GSR Eabt 1STMG1
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Session 2022
Récapitulatif
1
Textes ou passages travaillés dans l’œuvre intégrale :
• « Melancholia »
• « Par vanité ou par goût, […] interdit tout commerce entre nous. »
• Fragment 67
• Fragment 121
• Scène 1
2
Texte 1 : Victor Hugo, « Melancholia »
4
Texte 2 : Victor Hugo, « Elle avait pris ce pli... »
– Eh bien, Monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l'on n'a
jamais fait à son mari, mais l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en donne la force. Il
est vrai que j'ai des raisons de m'éloigner de la cour, et que je veux éviter les périls où se trouvent
quelquefois les personnes de mon âge. Je n'ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne
5 craindrais pas d'en laisser paraître, si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour, ou si j'avais
encore madame de Chartres pour aider à me conduire. Quelque dangereux que soit le parti que je
prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d'être à vous. Je vous demande mille pardons,
si j'ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions.
Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d'amitié et plus d'estime pour un mari que l’on
10 n’en a jamais eu ; conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez.
Monsieur de Clèves était demeuré pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors de lui-
même, et il n’avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu’il jeta les
yeux sur elle qu'il la vit à ses genoux le visage couvert de larmes, et d'une beauté si admirable, il
pensa mourir de douleur, et l'embrassant en la relevant :
15 – Ayez pitié de moi, vous-même, Madame, lui dit-il, j'en suis digne ; et pardonnez si dans les
premiers moments d'une affliction aussi violente qu'est la mienne, je ne réponds pas, comme je dois,
à un procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d'estime et d'admiration que tout ce qu’il
n’y a jamais eu de femmes au monde ; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait
jamais été. Vous m'avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue, vos rigueurs
20 et votre possession n'ont pu l'éteindre : elle dure encore ; je n'ai jamais pu vous donner de l'amour, et
je vois que vous craignez d'en avoir pour un autre. Et qui est-il, Madame, cet homme heureux qui
vous donne cette crainte ? Depuis quand vous plaît-il ? Qu'a-t-il fait pour vous plaire ? Quel chemin
a-t-il trouvé pour aller à votre cœur ? Je m'étais consolé en quelque sorte de ne l'avoir pas touché par
la pensée qu'il était incapable de l'être. Cependant un autre fait ce que je n'ai pu faire. J'ai tout
25 ensemble la jalousie d'un mari et celle d'un amant ; mais il est impossible d'avoir celle d'un mari
après un procédé comme le vôtre. Il est trop noble pour ne me pas donner une sûreté entière ; il me
console même comme votre amant. La confiance et la sincérité que vous avez pour moi sont d'un prix
infini : vous m'estimez assez pour croire que je n'abuserai pas de cet aveu.
Texte 5 : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678)
– Par vanité ou par goût, toutes les femmes souhaitent de vous attacher. Il y en a peu à qui vous ne
plaisiez ; mon expérience me ferait croire qu'il n'y en a point à qui vous ne puissiez plaire. Je vous
croirais toujours amoureux et aimé, et je ne me tromperais pas souvent. Dans cet état néanmoins, je
n'aurais d'autre parti à prendre que celui de la souffrance ; je ne sais même si j'oserais me plaindre.
5 On fait des reproches à un amant ; mais en fait-on à un mari, quand on n'a à lui reprocher que de
n'avoir plus d'amour ? Quand je pourrais m'accoutumer à cette sorte de malheur, pourrais-je
m'accoutumer à celui de croire voir toujours monsieur de Clèves vous accuser de sa mort, me
reprocher de vous avoir aimé, de vous avoir épousé et me faire sentir la différence de son
attachement au vôtre ? Il est impossible, continua-t-elle, de passer par-dessus des raisons si fortes : il
10 faut que je demeure dans l'état où je suis, et dans les résolutions que j'ai prises de n'en sortir jamais.
– Hé ! croyez-vous le pouvoir, Madame ? s'écria monsieur de Nemours. Pensez-vous que vos
résolutions tiennent contre un homme qui vous adore, et qui est assez heureux pour vous plaire ? Il
est plus difficile que vous ne pensez, Madame, de résister à ce qui nous plaît et à ce qui nous aime.
Vous l'avez fait par une vertu austère, qui n'a presque point d'exemple ; mais cette vertu ne s'oppose
15 plus à vos sentiments, et j'espère que vous les suivrez malgré vous.
– Je sais bien qu'il n'y a rien de plus difficile que ce que j'entreprends, répliqua madame de Clèves ;
je me défie de mes forces au milieu de mes raisons. Ce que je crois devoir à la mémoire de monsieur
de Clèves serait faible, s'il n'était soutenu par l'intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont
besoin d'être soutenues de celles de mon devoir. Mais quoique je me défie de moi-même, je crois
20 que je ne vaincrai jamais mes scrupules, et je n'espère pas aussi de surmonter l'inclination que j'ai
pour vous. Elle me rendra malheureuse, et je me priverai de votre vue, quelque violence qu'il m'en
coûte. Je vous conjure, par tout le pouvoir que j'ai sur vous, de ne chercher aucune occasion de me
voir. Je suis dans un état qui me fait des crimes de tout ce qui pourrait être permis dans un autre
temps, et la seule bienséance interdit tout commerce entre nous.
Texte 6 : Jean de La Bruyère, Les Caractères, Livre XI (1688)
67
Les hommes parlent de manière, sur ce qui les regarde, qu’ils n’avouent d’eux-mêmes que de
petits défauts, et encore ceux qui supposent en leurs personnes de beaux talents ou de grandes
qualités. Ainsi l’on se plaint de son peu de mémoire, content d’ailleurs de son grand sens et de son
bon jugement ; l’on reçoit le reproche de la distraction et de la rêverie, comme s’il nous accordait
5 le bel esprit ; l’on dit de soi qu’on est maladroit, et qu’on ne peut rien faire de ses mains, fort
consolé de la perte de ces petits talents par ceux de l’esprit, ou par les dons de l’âme que tout le
monde nous connaît ; l’on fait l’aveu de sa paresse en des termes qui signifient toujours son
désintéressement, et que l’on est guéri de l’ambition ; l’on ne rougit point de sa malpropreté, qui
n’est qu’une négligence pour les petites choses, et qui semble supposer qu’on n’a d’application
10 que pour les solides et essentielles. Un homme de guerre aime à dire que c’était par trop
d’empressement ou par curiosité qu’il se trouva un certain jour à la tranchée, ou en quelque autre
poste très périlleux, sans être de garde ni commandé ; et il ajoute qu’il en fut repris de son général.
De même une bonne tête ou un ferme génie qui se trouve né avec cette prudence que les autres
hommes cherchent vainement à acquérir ; qui a fortifié la trempe de son esprit par une grande
15 expérience ; que le nombre, le poids, la diversité, la difficulté et l’importance des affaires occupent
seulement, et n’accablent point ; qui par l’étendue de ses vues et de sa pénétration se rend maître
de tous les événements ; qui bien loin de consulter toutes les réflexions qui sont écrites sur le
gouvernement et la politique, est peut-être de ces âmes sublimes nées pour régir les autres, et sur
qui ces premières règles ont été faites ; qui est détourné, par les grandes choses qu’il fait, des
20 belles ou des agréables qu’il pourrait lire, et qui au contraire ne perd rien à retracer et à feuilleter,
pour ainsi dire, sa vie et ses actions : un homme ainsi fait peut dire aisément, et sans se commettre,
qu’il ne connaît aucun livre, et qu’il ne lit jamais.
Texte 7 : Jean de La Bruyère, Les Caractères, Livre XI (1688)
121
Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient
point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ;
il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son
propre1 de chaque service : il ne s’attache à aucun des mets, qu’il n’ait achevé d’essayer de tous ; il
5 voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les
viandes2, les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu’il faut que les conviés, s’ils
veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes,
capables d’ôter l’appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la
barbe ; s’il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la
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10 nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la
table est pour lui un râtelier4 ; il écure ses dents, et il continue à manger. Il se fait, quelque part où il
se trouve, une manière d’établissement5, et ne souffre pas d’être plus pressé6 au sermon ou au
théâtre que dans sa chambre. Il n’y a dans un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ;
dans toute autre, si on veut l’en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S’il fait un voyage avec
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15 plusieurs, il les prévient dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure
chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d’autrui, courent dans le même
temps pour son service. Tout ce qu’il trouve sous sa main lui est propre, hardes8, équipages9. Il
embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux
que les siens, que sa réplétion10 et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la
20 sienne, qu’il rachèterait volontiers de l’extinction du genre humain.
Le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, (1755)
Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à
coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de
coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs
arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou
5 quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des
ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de
plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par
leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais
dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était
10 utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit,
le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il
fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la
misère germer et croître avec les moissons.
La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande
15 révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent, mais pour le philosophe ce sont le fer et le blé
qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain ; aussi l’un et l’autre étaient-ils
inconnus aux sauvages de l’Amérique qui pour cela sont toujours demeurés tels ; les autres
peuples semblent même être restés barbares tant qu’ils ont pratiqué l’un de ces arts sans
l’autre ; et l’une des meilleures raisons peut-être pourquoi l’Europe a été, sinon plus tôt, du
20 moins plus constamment et mieux policée que les autres parties du monde, c’est qu’elle est à
la fois la plus abondante en fer et la plus fertile en blé.
Texte 9 : Marivaux, L’Île des esclaves (1725)
IPHICRATE
Eh ! ne perdons point de temps ; suis-moi : ne négligeons rien pour nous tirer d’ici. Si je ne me sauve, je
suis perdu ; je ne reverrai jamais Athènes, car nous sommes dans l’île des Esclaves.
ARLEQUIN
Oh ! oh ! qu’est-ce que c’est que cette race-là ?
IPHICRATE
Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus s’établir
5 dans une île, et je crois que c’est ici : tiens, voici sans doute quelques-unes de leurs cases ; et leur coutume,
mon cher Arlequin, est de tuer tous les maîtres qu’ils rencontrent, ou de les jeter dans l’esclavage.
ARLEQUIN
Eh ! chaque pays a sa coutume ; ils tuent les maîtres, à la bonne heure ; je l’ai entendu dire aussi, mais on
dit qu’ils ne font rien aux esclaves comme moi.
IPHICRATE
Cela est vrai.
ARLEQUIN
10 Eh ! encore vit-on.
IPHICRATE
Mais je suis en danger de perdre la liberté, et peut-être la vie : Arlequin, cela ne te suffit-il pas pour me
plaindre ?
IPHICRATE
Suis-moi donc.
ARLEQUIN siffle.
15 Hu, hu, hu.
IPHICRATE
Comment donc ! que veux-tu dire ?
IPHICRATE
Parle donc, as-tu perdu l’esprit ? à quoi penses-tu ?
ARLEQUIN, riant.
Ah, ah, ah, Monsieur Iphicrate, la drôle d’aventure ! je vous plains, par ma foi, mais je ne saurais
20 m’empêcher d’en rire.