Textes À Étudier

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TEXTES À ÉTUDIER

11 décembre 2002
Notre Blanc est arrivé hier à vingt-trois heures. À vingt heures, l’impatience nous a poussées à
l’Aéroport International de Yaoundé-Nsimalen. C’est un merveilleux et gigantesque espace vitré, gorgé de
lumière. Les nombreux départs et arrivées des avions surchauffaient l’ambiance. De petits Blancs habitués à
voyager jouaient avec dextérité sur des escaliers roulants comme des singes sur des arbres. J’ai toujours adoré
les atmosphères que l’on trouve dans les lieux de voyages. Mon âme les reçoit comme une invitation au
voyage.
Un avion a posé pied et a déversé des fiancés-internet. Un blanc sur un divan roulant tenait sur sa poitrine
un papier de format A4 sur lequel était écrit son nom : « Philippe Noir », beau nom pour un blanc qui aime les
négresses ! Tout un programme, ai-je pensé. La vue de ce nom a provoqué une folle course, celle de la fiancée
camerounaise : « Non ! Je refuse ! Il m’a menti dans ses mails ! Il ne m’a jamais dit qu’il était invalide ! » Il s’en
est suivi des criailleries et braillements des membres de la famille de la promise. Une femme a tempêté : « Ana
Wama ! Ma fille va me tuer de honte ! C’est ce machin-là ? C’est ça, le mari qu’on attendait ? Hééééééé ! Ma
fille ! Toute ta vie durant, tu ne seras qu’une ratée ! Ou on t’a gâtée au village oooo ! Je ne sais pas ! Hééééééé !
Je vais aller me cacher où maintenant ? Je vais vivre comment dans ce Yaoundé-ci ! » Puis, elle a aboyé à sa
tribu : « Allons ! Je ne veux pas d’un serpent comme beau-fils ! » Tout le monde est sorti, laissant le fiancé hébété
et désagrégé sur sa couchette. Cette pénible scène m’a fait frissonner car j’ai découvert de manière brutale les
leurres de l’Internet.
Vingt-trois heures pétantes : arrivée de Benoît à l’aéroport international de Nsimalen. Nous avons été
bien soulagées car l’original était conforme à la photo. Il n’est ni beau, ni laid, il se défend.
A. S. BONONO, Le Journal intime d’une épouse, Yaoundé, SOPECAM, 2007, pp.69-70.
Au même instant, un caillou s’écrasa à côté de moi. Il était temps de s’enfuir. Je m’arrêtai devant une
boutique. Dans la cour, des gens jouaient au ludo. Une femme activait le feu au-dessous de son assiette de
plantain. Son bébé rampait à côté des joueurs de ludo qui, trop concentrés, ne faisaient pas attention à ses
mouvements. Je vis l’enfant prendre un mille-pattes entre ses mains et l’avaler. J’aboyai vivement. La mère
du bébé se réveilla de sa tâche. En poussant un cri de détresse, elle courut vers son bambin et le leva de terre.
Elle lui vida la bouche de ses grosses mains. Un sursaut de responsabilité les poussa vers le bébé que la mère
faisait vomir. La femme ne les laissa pas toucher à son gamin. Elle les insulta, leur disant qu’ils devaient tous
avoir honte. « Même seulement regarder un enfant vous dépasse, dit-elle.
- Regarder, que c’est mon enfant ? » demanda un joueur.
Un autre demanda, lui : « D’ailleurs, où est son père ? »
Cette scène était commune. À un carrefour, une femme maudissait tous ceux qui venaient dans la nuit
la manger. Elle faisait des gestes démentiels, et promettait de partir chez le père Soufo. Sa voix devint
terrible : « Vous allez voir, dit-elle. Il va vous écraser dans mes rêves ! »
Elle promenait encore plus de mal à tous ceux-là qui habitaient ses nuits. Les faire écraser par le père
Soufo ne suffisait pas, non, elle voulait les faire jeter au feu, puis leur faire mettre le piment dessus, et jurait
de les manger elle-même au petit déjeuner. Un passant l’injuria, lui disant que la sorcière du quartier, c’était
bien elle. « N’est-ce pas c’est vous qui mangez les gens ? dit-il.
- Ils vont me voir », disait la femme.
Le passant ne se tut pas : « Laisse-nous, hein, ndjúm ! »
Et il montra de la viande crue et sanglante qu’il disait suinter des dents de la femme, toutes les fois que
cette dernière parlait. Il dit que c’était la preuve des orgies auxquelles elle prenait part la nuit. La femme ne
lui répondit pas. Elle continua sa criée et multiplia ses menaces. Un homme passa à côté de moi en secouant
la tête : « C’est entre eux. »
Et son ami s’étonna : « Nlongkak-ci est un quartier de sorciers, hein !
- Je te dis, soulignait l’autre, ils se mangent maintenant en plein jour, sans même plus avoir hont-o !
- Qu’est-ce que tu veux ? dit le premier, c’est la pauvreté ! »
Je ne les écoutais plus. Je savais enfin où j’étais : Nlongkak.
Patrice Nganang, Temps de chien, pp. 240-242.

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