Tiers 0040-7356 1983 Num 24 95 4306

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Tiers-Monde

Participation et projets de développement


André Dumas

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Dumas André. Participation et projets de développement. In: Tiers-Monde, tome 24, n°95, 1983. pp. 513-536;

doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1983.4306

https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1983_num_24_95_4306

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LA PARTICIPATION POPULAIRE LOCALE

PARTICIPATION ET PROJETS
DE DÉVELOPPEMENT

par André Dumas*

Les projets de développement correspondent à la réalisation précise,


localisée dans l'espace et dans le temps, de certains objectifs de
développement en principe inscrits dans la planification. Ces derniers
objectifs constituent quant à eux la traduction technique d'un certain nombre
de choix politiques et sociaux déterminés au niveau de la Société.
Mais qui décide à chacun de ces différents niveaux ? Qui détermine
les finalités de la Société ? Qui fixe les objectifs du Plan ? Qui choisit les
projets de développement ?
Plusieurs sortes de « décideurs, dont les intérêts sont parfois
divergents, peuvent être appelés à intervenir à chacun de ces niveaux : le
gouvernement, les administrations, des Institutions étrangères
(notamment lorsqu'elles participent au financement des projets), des experts
et des partenaires divers (appelés à jouer un rôle dans la réalisation ou
l'exploitation du projet). La plupart des centres de décision restent en
fait relativement anonymes et les populations directement concernées
ne participent que rarement à la définition des finalités de la Société, des
objectifs des plans et des projets concrets de développement.
Et pourtant la transformation d'une société et le développement de
son économie dépendent moins de l'élaboration de plans et de projets
de développement techniquement corrects que de la capacité des groupes
sociaux et des masses populaires à impulser et animer un développement
qu'ils ont eux-mêmes défini. Les choix d'une stratégie de développement
autonome ne peuvent être des choix désignés comme neutres et imposés

* Directeur de I'uer de Sciences économiques, Université de Montpellier I.


Revue Tiers Monde, t. XXIV, n° 95, Juillet-Septembre 1983
514 ANDRE DUMAS

par une quelconque rationalité technocratique ; ils exigent la participation


des populations concernées.
En d'autres termes, la participation populaire devrait constituer un
élément clé de toute politique de développement, ainsi que le souligne
le Programme d'Action adopté en 1976 par la Conférence mondiale de
l'Organisation internationale sur l'Emploi : « Une politique orientée vers
la satisfaction des besoins essentiels demande que la population participe
aux décisions qui l'intéressent par l'intermédiaire des organisations de
son propre choix »4
La participation des populations aux projets de développement
permettrait en effet d'abord de satisfaire leur désir légitime de prendre part
à des décisions qui influent sur leur existence et leur mode de vie; mais
elle permettrait aussi d'identifier les besoins à satisfaire prioritairement,
de mobiliser les ressources disponibles et de répartir au mieux les
services ou les produits susceptibles de satisfaire ces besoins.
Et pourtant, les populations ne sont que très rarement associées aux
projets de développement qui les concernent et la participation, dont les
organes sont manipulés par les tenants du pouvoir, n'est conçue trop
souvent que comme une méthode de mobilisation d'une main-d'œuvre
locale considérée comme corvéable à merci. Trop souvent en effet, la
participation n'est qu'un simple moyen utilisé par les gouvernements,
ou un simple mythe mobilisateur véhiculé par l'Etat, pour obtenir un
soutien populaire2. Une véritable participation impliquerait que chaque
individu et chaque groupe d'individus puissent participer aux choix qui
les concernent. Certes il est possible, voire nécessaire, que cette
participation prenne des formes différentes, en fonction des spécificités locales
et notamment en fonction des différences culturelles de chaque pays;
il est aussi possible que certains groupes sociaux puissent avoir un rôle
plus actif que d'autres. Mais il serait nécessaire que puissent être réunies
les conditions indispensables à l'émergence d'une volonté collective,
d'abord au niveau de la Société dans son ensemble, dans la mesure où
ses « institutions affectent le fonctionnement de la participation en créant
un climat qui stimule ou étouffe l'initiative populaire »3, ensuite au niveau
plus étroit des populations locales concernées par les projets de
développement mis en œuvre.

1. Programme d'Action de la Conférence mondiale tripartite sur l'emploi, Bulletin


officiel, bit, 1977.
2. L'histoire a souvent montré comment la (ou les) classe(s) dominante(s) pouvait
annexer les idéaux populaires pour les utiliser à son propre profit.
3. Cf. R. J. Zsal, La participation populaire, l'emploi et la satisfaction des besoins
essentiels, Repue internationale du Travail, n° 1, janvier 1979.
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 515

A) La problématique de la participation populaire


AUX PROJETS DE DÉVELOPPEMENT

L'idée de faire participer les populations aux projets de


développement qui les concernent amène deux types d'interrogation :
— Quels avantages peut-on retirer de la participation populaire compte
tenu des coûts supplémentaires qu'elle risque de susciter ?
Autrement dit, quelle est l'efficacité de la participation ?
— Dans l'hypothèse où les avantages apparaissent supérieurs aux coûts,
comment faire participer la population?

1) U efficacité de la participation populaire

La participation populaire s'avère en pratique difficile à mettre en


œuvre; elle ne résout pas tous les problèmes et en pose même de
nouveaux : en d'autres termes la participation comporte en elle-même un
coût pour la Société.
Par ailleurs, sur le strict plan économique, l'analyse néo-classique
montre qu'une unité de production à participation maximum
(autogérée) est moins « efficiente » qu'une unité de production sans
participation placée dans les mêmes conditions de marché et de technologie :
la production réalisée, l'effectif employé et les investissements effectués
se situent dans le premier cas à des niveaux inférieurs à ceux de l'unité
de production sans participation.
Pourtant la participation fait aussi naître des avantages qui peuvent
compenser largement ses coûts ; elle peut se révéler en définitive autant,
sinon plus efficace que la non-participation, si l'on ne limite pas à la
simple performance économique et quantitative la validité des critères
d'efficacité.
a) Les coûts de la participation. — Au plan de l'efficacité économique,
on a pu parler à propos de la participation de « malthusianisme
économique »4. L'analyse néo-classique montre en effet que, dans les mêmes
conditions de marché (concurrentiel) et de technologie, et dans
l'hypothèse de maximisation du profit global par l'unité de production sans
participation, et de maximisation du profit par tête par l'unité de
production à participation, la seconde se révélait moins performante que la

4. Cf. H Lepage, L'Autogestion, un système malthusien, in A Dumas, U Autogestion,


un système économique, Dunod, 1981.
5l6 ANDRÉ DUMAS

première. L'équilibre de courte période de l'unité de production à


participation se situe en effet à un niveau de production et d'emploi inférieur
à celui de l'unité de production sans participation5.
La même analyse montre, cependant, que la rémunération et la
productivité des travailleurs de l'unité de production à participation sont
supérieures à celles des salariés de l'unité de production sans
participation.
Par ailleurs, une modification des coûts (fixes ou variables) et des
prix a une incidence différente sur l'équilibre des deux unités de
production. C'est ainsi qu'une augmentation des coûts fixes reste sans
incidence sur l'équilibre de l'unité sans participation, alors qu'elle entraîne
une augmentation de la production et de l'effectif employé de l'unité à
participation. Une variation des coûts variables entraîne quant à elle une
variation en sens contraire de la production et de l'effectif employé de
l'unité sans participation, alors qu'elle laisse inchangés ceux de l'unité
à participation.
Enfin, si les prix de vente augmentent, l'optimum de l'unité à
participation implique une diminution de l'effectif employé, celui de l'unité
sans participation exigeant par contre un accroissement de la main-
d'œuvre. Cette situation caractérise un comportement « pervers » de
l'unité à participation qui réagit à une augmentation des prix par la
réduction d'une offre que l'on peut supposer déjà insuffisante.
De telles conclusions dépendent cependant du bien-fondé des
hypothèses de départ et en particulier des hypothèses de maximisation du
profit global dans l'unité sans participation et du profit moyen dans
l'unité à participation. Il est certain, comme le souligne B. Horvat8
que « mathématiquement parlant, maximiser des valeurs absolues conduit
à des résultats favorables à l'efficience économique, alors que maximiser
des valeurs moyennes nous éloigne de l'efficacité ». Horvat montre par
ailleurs7 que l'hypothèse de maximisation du profit par tête dans l'unité
à participation ne correspond pas à la réalité yougoslave et que
l'entreprise autogérée yougoslave se comporte pratiquement comme
l'entreprise capitaliste en ce qui concerne la maximisation du profit8, ce qui
remet en cause toutes les conclusions dégagées précédemment.

5. N. Daures et A. Dumas, Théorie économique de l'entreprise autogérée, Ed. du Faubourg,


1977-
6. B. Horvat, Autogestion, efficacité et théorie néoclassique, in A. Dumas, U
Autogestion, un système économique, Dunod, 1981.
7. B. Horvat, Critique de la théorie de la firme autogérée, in A. Dumas, UAutogestion,
un système économique, Dunod, 1981.
8. Le Conseil ouvrier fixant les salaires pour une certaine période et maximisant seulement
le surplus résiduel.
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 517

Si l'on quitte l'équilibre de courte période, on peut aussi montrer9


que les travailleurs de l'unité participative adoptent généralement un
comportement défavorable à l'autofinancement de leurs investissements.
Et pourtant on peut constater en Yougoslavie un sur-investissement
quasi chronique des entreprises, et un taux de progrès technologique
plus élevé que dans le système capitaliste. Ici encore, les résultats de
l'analyse classique de la performance de l'unité à participation par
rapport à l'unité sans participation ne sont pas convainquants et la preuve
irréfutable reste encore à faire de la moindre efficacité économique de
l'entreprise participative par rapport à son homologue capitaliste.
Les coûts les plus importants de la participation se situent
certainement ailleurs, au niveau du fonctionnement même de la participation.
La passivité de certains acteurs (absence de militantisme, refus des
responsabilités, insuffisance des compétences) et l'usurpation du pouvoir
par d'autres acteurs, technocrates ou bureaucrates, affectent en effet le
fonctionnement de la participation.
L'étude des expériences de participation montre que cette dernière
est une fonction croissante de la qualification et du niveau d'instruction
des acteurs; son intensité varie aussi en fonction du type d'activité :
forte au niveau de la répartition des avantages immédiats, elle diminue
dans les autres domaines, les acteurs abandonnant leurs responsabilités
au profit d'experts jugés plus compétents. Dès lors resurgit le
phénomène hiérarchique et la constitution d'oligarchies liées à l'idéologie d'une
compétence effective ou supposée.
Lutter contre ces déviations et pallier toutes ces difficultés comporte
évidemment un coût, lié d'une part à la formation et à l'information
indispensables des acteurs, et d'autre part à la résistance de ceux qui
tirent bénéfice de l'absence de participation10.
Ces coûts peuvent cependant être largement compensés, tant au
plan économique qu'au plan social, par l'amélioration des conditions et
des relations de travail et par une meilleure utilisation des ressources
existantes.

b) Les avantages de la participation. — C'est d'abord au niveau de


l'exercice du travail que se situent les avantages les plus importants de la

9. N. Daures et A. Dumas, déjà cités.


10. La participation a en effet pour conséquence de redistribuer le pouvoir de décision
et les richesses disponibles au détriment des privilégiés. Il ne sera donc pas surprenant que
ces derniers opposent une résistance à la mise en œuvre de la participation, d'autant que les
choix politiques de nombreux pays ne sont guère favorables à une véritable participation
populaire.
5 l8 ANDRÉ DUMAS

participation. Le développement des motivations et de l'intéressement


au travail permet en effet, grâce à une adaptation spontanée du temps de
travail à la charge de travail, de diminuer les coûts relatifs à l'absentéisme
et à la « surveillance », et d'augmenter la productivité individuelle.
Le recensement des diverses motivations au travail (obligation
« alimentaire », conformisme collectif, valorisation ou identité sociale,
habitude, sens du devoir, intérêt, idéal, plaisir, amour, jeu, réalisation
de soi...) montre que certaines relèvent de motivations purement égoïstes
alors que d'autres ont une dimensions solidariste. Le système capitaliste
résout le problème des motivations au travail en renvoyant à
l'individualisme, alors que le système collectiviste le résout par la contrainte ou la
récompense. Le système participatif met quant à lui l'accent sur les
motivations altruistes et la solidarité sociale. La valorisation de l'intérêt
collectif permet de dépasser l'égoïsme des motivations individualistes,
la compétition se situant au niveau de ceux qui contribuent le plus à
l'intérêt collectif et non plus au niveau de ceux qui tirent
individuellement le plus d'avantages d'une activité donnée11. Une telle motivation
peut être amplifiée par l'éducation, l'information et même l'imitation
qui, pour de nombreux sociologues, constitue l'un des traits dominant
de l'individu. S. C. Kolm12 fait état à cet égard d'un véritable mécanisme
cumulatif de la « réciprocité ».
La participation permet aussi d'améliorer les conditions de travail,
dans la mesure où elle modifie les rapports de l'homme avec son travail,
avec la machine et surtout avec les autres travailleurs.
L'expérience montre que la participation des travailleurs s'exerce
d'abord au niveau de l'amélioration des conditions matérielles de travail
(organisation, cadre, sécurité, pénibilité, rythme et durée du travail).
La participation conduit aussi à une modification des relations de travail
et de pouvoir à travers :
— le renforcement de la solidarité (le travail de chacun est valorisé par
celui des autres);
— le développement de l'initiative et des responsabilités;
— la disparition de la hiérarchie (qui ne signifie pas la suppression de
l'autorité et qui ne remet pas en cause l'efficacité productive dans
l'entreprise) ;

11. Galembert (JJentreprise et ses travailleurs, Cerf, 1979) rappelle par exemple qu'à
l'occasion de la grève des mineurs de 1974, la semaine de trois jours de travail (au lieu de
cinq) permettait une production largement supérieure aux trois cinquièmes de la production
habituelle. Si les travailleurs sont réellement motivés, ils peuvent, dit-il, mettre en œuvre
des réserves de productivité considérables.
12. Cf. S. C. Kolm, ha réciprocité générale, cepremap, T979.
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 519

— l'amélioration du statut du travail (qui constitue la base objective de


la disparition de la hiérarchisation des fonctions);
— la limitation des conflits du travail.

L'amélioration des conditions de travail comporte certes un coût,


mais les coûts qui résultent de leur dégradation sont autrement plus
importants; le désintérêt et l'aliénation des travailleurs liés aux
dégradations des conditions de travail suscitent en effet l'absentéisme, l'absence
d'initiative, le défaut d'entretien de l'outil de travail, les gaspillages, la
baisse de la qualité du travail; les mauvaises conditions de travail
favorisent quant à elle les accidents du travail et les conflits sociaux.
En définitive, au-delà de ses avantages sociaux, la participation peut
se révéler tout aussi efficace que la non-participation, même si l'on se
limite au plan de la performance quantitative : suppression des coûts
de contrôle et de surveillance, la réduction des gaspillages, amélioration
de la qualité de la production, augmentation de la productivité...
Si l'on admet que les avantages de la participation puissent être
supérieurs à ses coûts au niveau de l'unité de production et, plus
largement, au niveau de la Société dans son ensemble, il reste à répondre à
la question relative à la mise en œuvre concrète de cette participation.

z) Les modalités de la participation populaire

La participation des populations aux projets de développement


implique que ces dernières soient associées à chacune des étapes des
projets, de leur formulation initiale à leur fonctionnement effectif; cette
association suppose quant à elle l'existence de structures de décision
locales et un appui technique de la part des agents extérieurs.
Mais qu'en est-il en réalité et comment s'élaborent et s'exécutent en
pratique la plupart des projets de développement ?

a) La pratique courante de la participation. — Le processus de


conception, d'évaluation et de mise en œuvre des projets de développement
sont évidemment différents d'un pays à l'autre et d'un projet à un autre.
Dans tous les cas cependant, entre la phase initiale et la phase finale du
projet un certain nombre de pressions politiques, administratives ou
technocratiques intérieures ou extérieures13 se manifestent qui risquent
de le dénaturer ou de le dévier de son objectif initial.

i}. Les organismes étrangers qui financent le projet par exemple.


52О ANDRE DUMAS

Au point de départ les pouvoirs publics décident de réaliser tel ou


tel projet de développement, soit que la réalisation du projet concourre
à la réalisation d'un programme plus large ou d'un plan de
développement (dans le meilleur des cas), soit pour d'autres raisons qui ne sont pas
toujours avouables14 mais qui de toute façon seront toujours justifiées
par les avantages qu'en retirera la collectivité.
Ils confient ensuite à un bureau d'études, public ou privé, national ou
étranger, le soin d'étudier le projet. L'évaluation réelle des projets est
généralement le fait des organismes, nationaux ou étrangers, qui les
financent, soit qu'ils ne fassent pas confiance à l'aptitude des bénéficiaires
à utiliser judicieusement les fonds qu'ils fournissent, soit qu'ils préfèrent
utiliser leurs propres critères d'évaluation (dans lesquels la probabilité
de « récupérer » un jour sous une forme ou sous une autre leur avance
initiale peut jouer un rôle important), soit enfin que les projets qui leur
sont soumis soient insuffisamment élaborés. Par ailleurs, le projet est
généralement étudié isolément, le milieu dans lequel il s'insère n'étant
considéré que comme un simple environnement. S'il s'agit d'un projet
rural, la procédure précédente sera complétée par une visite aux
populations locales concernées que l'on cherchera à « intéresser » au projet
pour les faire participer à sa réalisation (le plus souvent sous forme de
fourniture de main-d'œuvre) mais sans que les populations en question
puissent discuter de la nature du projet lui-même15.
Quant aux méthodes diverses qui permettent d'évaluer
techniquement les projets, elles dépendent des hypothèses retenues (notamment les
hypothèses concernant les prix de référence) et conduisent à des résultats
différents, susceptibles de modifier fondamentalement l'ordre des
priorités, sans que l'on puisse en contester le bien-fondé scientifique; elles
peuvent même aboutir à des « mésinvestissements »16 plus coûteux
qu'avantageux sur le plan de la collectivité, en dépit d'évaluations
sophistiquées et positives. Et même lorsque l'évaluation d'un projet
apparaît négative, celui-ci n'est pas toujours rejeté; le plus souvent, il est
amendé de façon à le rendre acceptable. En effet, l'adoption ou le rejet

14. Un projet routier par exemple peut être un élément d'un programme destiné à
faciliter le transport des hommes et des marchandises. Mais il peut être aussi une « faveur »
accordée à une entreprise qui en sera, pour les besoins de son activité, la seule utilisatrice.
Il peut être aussi plus simplement le résultat d'un besoin pressant manifesté par une haute
personnalité qui désire se rendre plus facilement à sa résidence secondaire...
1 5 . Les projets ne présentent que rarement des choix possibles ; les hypothèses de départ
deviennent rapidement des normes et le projet sera conçu de façon à justifier les choix
préexistants de ceux qui l'ont imaginé.
16. Cf. G. Ohlin, Préface à O. Morelius, Les institutions face à l'analyse des projets, ocde,
1981.
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 5 21

d'un projet n'est généralement pas le résultat d'une évaluation positive


ou négative mais le résultat d'une volonté politique (tout projet met en
cause des privilèges ou des intérêts établis et suscite des résistances) ou
celui des possibilités de financement17; les méthodes d'évaluations
permettent de calculer la valeur d'un projet de façon à satisfaire n'importe
quelle partie intéressée (il est facile de sous-estimer les difficultés et les
coûts et de surestimer les avantages d'un projet de façon aie faire adopter).
Le processus de prise de décision dépend davantage des diverses
pressions qui se manifestent pour ou contre un projet que d'une évaluation
techniquement correcte.
Si le projet est finalement retenu, modifié ou non en fonction des
contraintes financières, il reste à l'exécuter. Apparaissent alors les cadres,
les techniciens et, si la population participe à la réalisation du projet,
les encadreurs de base, autant de personnes qui, comme les concepteurs
et les maîtres d'œuvres, sont perçues comme extérieures par les
populations concernées.
Ainsi, la participation est généralement absente des projets de
développement, même si certains d'entre eux font référence à une certaine
forme de participation, conçue comme une simple mobilisation de la
main-d'œuvre locale disponible et non comme un moyen d'associer les
populations aux choix qui les concernent et de les intéresser au
développement de leur milieu.
Il est certes possible d'associer la main-d'œuvre locale à des travaux
d'intérêt collectif (routes, adductions d'eau, constructions, plantations...),
mais la participation ne doit pas se limiter à de telles actions, sinon toutes
les tentatives d'animation ou de vulgarisation se heurteront à des échecs
et conduiront à une certaine défiance des populations concernées18.
Participer n'est pas simplement participer aux efforts, c'est aussi
participer aux décisions et aux fruits procurés par les efforts. Autrement
dit, même si elle peut prendre des formes différentes selon les spécificités
locales, la participation doit être un élément constitutif de chacune des
phases des projets de développement.

b) La pratique idéale de la participation. — La mise en œuvre de projets


de développement susceptibles de satisfaire les besoins des populations

17. Les projets ne sont généralement rejetés que s'ils ne peuvent être financés. Il est rare
qu'on les rejette parce que l'évaluation a montré leur absence d'intérêt, direct ou indirect,
pour l'ensemble de la collectivité concernée.
18. Comment ne se méfieraient-elles pas de la « participation » lorsque par exemple
après avoir participé sous forme de main-d'œuvre à la réalisation d'un programme d'adduction
d'eau, on leur fait payer une eau qui jusque-là était gratuite pour elles ?
522 ANDRE DUMAS

concernées suppose que ces dernières puissent en établir l'inventaire


et l'ordre des priorités. Un rôle essentiel devrait être dévolu à ce niveau
aux institutions locales existantes, lorsqu'elles sont en étroite relation
avec l'ensemble des populations concernées : autorités locales,
associations d'entraide, organisations agraires, syndicales, artisanales,
politiques, associations privées... C'est dans le cadre de ces structures
collectives diverses préexistantes que les populations organisent leur
vie sociale, et il est souvent inutile de créer artificiellement des structures
parallèles qui risquent de rester extérieures ou étrangères aux populations
concernées et, partant, incapables de les mobiliser de façon permanente;
en imposant un système d'organisation des populations locales
incompatible avec les structures sociales et les contraintes de leur propre
milieu, on risque de provoquer une réaction de rejet de l'ensemble du
projet.
Les populations doivent donc d'une façon ou d'une autre être
associées à la prise de décision initiale. En d'autres termes, les projets
doivent être le résultat d'un processus collectif de prise de conscience
concernant les besoins ressentis par les populations concernées et non le
résultat d'une décision technocratique prise en dehors de ces dernières.
Un tel processus implique certes que les agents extérieurs (pouvoirs
publics par exemple) interviennent pour faciliter l'expression de ces
besoins, mais leur rôle à ce niveau doit se limiter à une action
d'information et de concertation.
Le rôle des agents extérieurs sera certainement plus important en ce
qui concerne le montage et l'évaluation des projets, où prédominent
les aspects techniques (études des incidences, montage technique et
financier) ; mais même à ce niveau, il est possible d'y associer les
populations concernées, lors de la mise en place du cadre institutionnel qui
en assura la réalisation et la gestion, et lors de la recherche des moyens
en main-d'œuvre ou en matériel.
Les projets une fois adoptés conjointement par les pouvoirs publics
et les populations concernées, la participation de ces dernières à leur
mise en œuvre peut se manifester par la fourniture de main-d'œuvre,
de matériaux et éventuellement de moyens de financement locaux, aussi
bien lors de la mise en place du chantier que lors de l'exécution
proprement dite, le rôle essentiel des agents extérieurs étant à ce niveau un rôle
de formation des personnels locaux, d'assistance technique à ces
personnels et de contrôle de la réalisation.
Les populations concernées devraient enfin participer à la gestion
et à l'exploitation des projets réalisés et être associées aux organes chargés
de l'administration et de la maintenance des réalisations. Bien entendu,
PROJETS DE DEVELOPPEMENT

Schéma de participation des populations aux projets de développement

Participation Rôle des agents extérieurs


Etapes des populations concernées (pouvoirs publics, experts)

Conception Prise de conscience Information


Identification et Concertation
inventaire des besoins
Mise en évidence des Etudes préliminaires et études
priorités et adaptation des incidences du projet
du projet aux besoins
Mise en place d'un cadre Participation éventuelle
institutionnel (organes de
la participation) et
détermination des
responsabilités
Recherche des moyens Etudes techniques (montage
(main-d'œuvre, matériel, technique et financier)
financement)

Réalisation Mise en place du chantier Assistance technique


(préparatifs construction)
Fourniture de main-d'œuvre Formation de la main-d'œuvre,
et de matériaux mobilisations des ressources
et fourniture de matériaux
Exécution du projet Assistance technique et
contrôle de la réalisation

Fonctionnement Gestion du projet Evaluation expost


Maintenance du projet Assistance technique
(fonctionnement et entretien)
Exploitation du projet Suivi du projet
(organisation des utilisateurs
et participation aux
avantages et aux charges)

elles doivent bénéficier des avantages procurés par les projets surtout
si on leur demande de participer aux charges. Il revient aux Agents
extérieurs d'assurer le travail technique d'évaluation expost et de
suivi des projets et de fournir aux gestionnaires locaux l'assistance
technique qui peut leur être nécessaire pour gérer et exploiter les
réalisations.
524 ANDRE DUMAS

En définitive, le concours des communautés concernées permet :


d'identifier les besoins ; de mobiliser les ressources ; de répartir les
avantages.

Quant au rôle des agents extérieurs il se résume finalement à un


appui technique.

B) Les expériences de participation populaire


AUX PROJETS DE DÉVELOPPEMENT

Certains projets de développement apparaissent comme prioritaires,


soit qu'ils aient pour objet la satisfaction de besoins élémentaires, soit
qu'ils constituent un préalable indispensable à d'autres projets de
développement. Il en est ainsi des projets de développement rural et des
projets d'approvisionnement en eau qui remplissent à la fois les deux
objets précédents et s'avèrent à ce titre hautement prioritaires. Il est donc
intéressant d'étudier l'influence que peut avoir la participation des
populations concernées (ou leur non-participation) sur la réussite ou l'échec
de tels projets.

1) Participation et projets d'approvisionnement en eau

Le Centre de Développement de I'ocde19 a tenté de mesurer


l'efficacité de la participation populaire à des projets d'approvisionnement
en eau réalisés en milieu rural en Afrique et en Amérique latine.
Par ailleurs, pour des projets en cours de réalisation, comme le
projet d'hydrolique villageoise de Haute- Sanaga au Cameroun, il est
possible sinon de juger de ses résultats et de mesurer l'efficacité de la
participation, du moins de mettre en lumière ses insuffisances dans le
domaine de la participation.

a) Les projets d'adduction ďeau potable en milieu rural dans sept pays
africains. — Les experts de I'ocde ont voulu mesurer en 1975 les résultats
effectifs obtenus dans sept pays africains20 à la suite de la réalisation de

19. D. Miller, La participation de la population aux systèmes d'approvisionnement d'eau en


milieu rural, ocde, 1979.
20. Botswana (13 villages), Cameroun (3), Kenya (25), Lesotho (10), Malawi (10),
Tunisie (27), Zaïre (9).
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 525

projets d'adduction d'eau potable en milieu rural. Certains résultats


ont pu être obtenus quant à l'incidence de la participation des populations
concernées à la conception, à la réalisation, au financement, à
l'exploitation et à l'entretien des projets. Ils montrent que le degré de réussite
du projet augmente lorsque les intéressés participent au niveau de leur
village aux différentes étapes des projets.
Ainsi, les deux tiers des projets qui ont obtenu le taux le plus élevé
de réussite sont des projets dont l'initiative est venue des villageois, qui
exprimaient ainsi un besoin ressenti. Il faut aussi noter, ce qui rend plus
difficile l'interprétation de ces résultats, qu'un quart des projets lancés à
partir du village a connu le taux d'échec le plus élevé, alors que cette
proportion tombe à un huitième pour les projets conçus par les agents
extérieurs.
Si les intéressés n'ont généralement pas participé à l'élaboration
technique du projet, ils ont pu, dans la moitié des cas, participer au choix
de l'emplacement des installations. Le nombre et la durée des pannes
apparaissent nettement supérieurs lorsque les intéressés n'ont pas
participé à ce choix.
Les populations ont généralement (dans 68 % des cas) participé à
la réalisation, en fournissant de la main-d'œuvre, des matériaux locaux
ou une partie du financement, mais les résultats obtenus montrent que
ce type de participation ne semble pas avoir d'incidence sur les chances
de réussite des projets.
Les données recueillies par l'enquête montrent par contre que
l'existence d'une structure organisationnelle locale et la participation des
intéressés à l'entretien des installations favorisent les chances de succès des
projets : les trois quarts des projets qui ont le mieux réussi étaient gérés
par un comité local et ceux dont l'entretien était assuré par les intéressés
n'ont eu que 10 % de pannes de longue durée contre 40 % pour ceux
dont l'entretien était assuré par des agents extérieurs.
L'enquête montre en définitive que la participation des populations
joue un rôle important au niveau :
— de l'expression des besoins;
— du choix de l'emplacement des installations;
— de la gestion des opérations;
— de l'entretien des installations.
Par contre son rôle apparaît comme mineur en ce qui concerne :
— l'élaboration du projet;
— l'exécution des travaux;
— le financement des travaux.
ANDRÉ DUMAS

b) Les projets d'approvisionnement en eau en milieu rural au Mexique.


— L'expérience étudiée ici concerne un programme
d'approvisionnement en eau en milieu rural au Mexique21 et tente de dresser le bilan
de la participation populaire qui s'y est manifestée à travers :
— des pétitions en faveur du projet d'approvisionnement en eau;
— des dons de terrains nécessaires à la mise en œuvre du projet;
— de la fourniture de main-d'œuvre, de matériaux et parfois même de
capitaux;
— la création de structures locales favorables au projet;
— la réalisation et l'administration des travaux liés au projet;
— l'entretien des installations.

L'enquête, réalisée à partir d'un échantillon de i 928 personnes


appartenant à 137 collectivités choisies au hasard (94 collectivités avaient
participé aux projets et 43 n'avaient pas participé), avait pour but de
tester un certain nombre d'hypothèses liées aux conséquences escomptées
de la participation :

Hypothèses
Avantages
A) La participation des usagers permettra un meilleur entretien des installations dans des
conditions moins onéreuses.
B) La participation des usagers permettra de faire naître des motivations dans la collectivité
et favorisera la création d'institutions.
C) La participation des usagers réduira les dépenses publiques de fourniture d'eau par
habitant.
D) La participation des usagers agira comme catalyseur pour d'autres actions de
développement au sein de la collectivité.
E) La participation des usagers facilitera la perception des redevances.

Inconvénients
A) La participation des usagers réduira l'efficacité et la rentabilité au cours de la phase de
mise en œuvre.
B) La participation des usagers aboutira par conséquent à la construction de réseaux
d'adduction d'eau moins nombreux et d'un coût plus élevé, quelle que soit l'époque considérée.
C) La participation des usagers donnera une construction d'un niveau technique médiocre
entraînant des pannes plus fréquentes.

21. F. de La Barra Rowland, Analyse des expériences d'auto-assistance et de la


participation de la population en matière d'approvisionnements en eau en milieu rural : le cas
du Mexique, in D. Miller, déjà cité.
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 527

Les résultats auxquels parvient l'auteur montrent que lorsque les


intéressés sont suffisamment motivés (besoin ressenti, traditions
communautaires, consultation des intéressés) leur participation effective devient
importante et que les projets réalisés fonctionnent d'autant mieux que
la participation des intéressés y est plus forte.

c) "Le projet ďhydraulique villageoise de Haute-Sanaga (Cameroun) . — Ce


projet, en cours de réalisation, constitue l'un des volets d'un projet de
développement rural intégré plus vaste22 et a pour objet :
— augmenter la disponibilité en eau saine;
— améliorer l'état sanitaire de la population (utilisation et conservation
de l'eau);
— accroître la responsabilité des villageois, à travers leur participation
à la réalisation de l'aménagement des points d'eau et à travers la
formation d'hygiénistes villageois chargés de l'entretien de la pompe
et de l'assainissement du point d'eau...
Les concepteurs du projet23 ont fait appel à un organisme extérieur
préexistant, le Service départemental du Génie rural, chargé du mode
d'aménagement des points d'eau (puits ou captage de source), de la
direction et du contrôle de l'aménagement, ainsi que du contrôle de
l'entretien.
La réalisation effective sera, quant à elle, du ressort d'équipes de
puisatiers, recrutés par le projet au fur et à mesure de l'extension du
programme, et associées à la main-d'œuvre villageoise dans le cadre de
« brigades d'hydraulique villageoise » dirigées par un chef de chantier;
chacune de ces équipes bénéficiera d'un équipement propre, exception
faite du gros matériel, commun à toutes les équipes. Parallèlement à
l'aménagement des points d'eau, une action de formation d'hygiénistes
vHlageois, chargés de l'entretien des points d'eau (puits, sources, pompes)
et de l'assainissement du village (stockage et utilisation de l'eau) sera
entreprise.
L'attitude des populations face aux bouleversements qu'implique un
tel projet s'avère déterminante; sans préjuger des résultats effectifs qui
seront obtenus, il est possible de savoir ce que pourra être cette attitude
en considérant les modalités de participation populaire proposées à
chacune des étapes du projet.
La décision d'améliorer la fourniture et l'utilisation de l'eau dans les

22. Le projet global sera examiné ultérieurement.


23. činám.
528 ANDRÉ DUMAS

villages concernés est certainement une décision imposée à ces derniers,


dans le cadre d'un programme de développement sanitaire. Toutefois
il faut dire, d'une part, que le caractère vital de l'eau est certainement
perçu par les villageois et, d'autre part, que le projet ne prévoit
d'entreprendre les programmes hydrauliques que dans les villages qui
considèrent le problème de l'eau comme prioritaire et qui manifestent une volonté
explicite de participation. Ce sont en effet les populations concernées
elles-mêmes qui, après dialogue avec le technicien du Génie rural,
décident du mode d'aménagement du point d'eau.
La participation des intéressés est, par contre, beaucoup plus réduite
en ce qui concerne le choix des structures de réalisation et de gestion
du projet. En effet, la structure de réalisation (brigade d'hydraulique
villageoise) leur est imposée, ainsi que le mode de gestion (entretien sous
contrôle du Génie rural). De fait les populations concernées n'ont pu
définir elles-mêmes les modalités de leur participation. On a par exemple
décidé pour elles que leur participation se limiterait à la fourniture de
main-d'œuvre et de matériaux de construction; tout au plus est-il
mentionné dans le projet que les paysans pourraient, en cours de réalisation,
s'initier aux techniques d'aménagement utilisées.
La participation populaire se retrouve cependant accrue lors de la
phase de fonctionnement : l'accès à l'eau est libre et gratuit et Д appartient
à la population, et plus particulièrement aux hygiénistes, d'assurer le
fonctionnement et l'entretien de la pompe. Les hygiénistes devront en
outre assurer la « rentabilisation » du point d'eau en veillant à
l'assainissement du village (organisation de l'utilisation de l'eau), les agents
extérieurs n'intervenant ici que pour contrôler l'entretien et éduquer
les hygiénistes.
En définitive l'examen de la participation, telle qu'elle est proposée
par le volet « hydraulique » du pdri de Haute-Sanaga, met en lumière une
volonté réelle d'associer les paysans à leur propre développement ; mais
cette volonté se retrouve avec une intensité variable dans chacune des
phases du projet, et des insuffisances demeurent encore par rapport au
schéma de participation idéal (p. 529).

2) Participation et projets de développement rural

L'exemple des projets de développement rural intégré au Cameroun


illustrent l'importance de la participation populaire dans le processus de
développement. Trois projets successifs, de conception différente quant
au problème de la participation, ont été mis en œuvre dans la région
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 529

Participation
Etapes des populations concernées Rôle des agents extérieurs

Elaboration Pas de participation Décision initiale de créer


dans la région un prdi
comprenant un volet
« hydraulique villageoise »
Pas de participation Etudes préliminaires
Expression d'une priorité Information de tous les
accordée au problème « eau » villages de la zone
et d'une volonté de
participation
Pas de participation Définition unilatérale du cadre
institutionnel du projet
Définition unilatérale des
modalités de la
participation et de la
formation des populations
concernées
Choix de la variante technique Etudes techniques et
la plus adaptée aux besoins montage financier
et aux conditions locales

Réalisation Pas de participation Mise en place du chantier


Fourniture de main-d'œuvre Fourniture d'équipements
et de matériaux techniques
Formation de la main-d'œuvre
Exécution de l'aménagement Appui technique (plan
par les différentes équipes et d'exécution et conseils)
par les manœuvres villageois Coordination entre les équipes
Contrôle de la réalisation
Formation d'hygiénistes

Fonctionnement Décisions concernant le Contrôle technique


fonctionnement du projet
Entretien Contrôle technique
Décisions concernant les Suivi du projet
conditions d'utilisation
du projet
53° ANDRE DUMAS

Centre-Sud du Cameroun. Les deux premiers se sont traduits par un


échec, eu égard à leurs objectifs initiaux : le projet de zones
d'aménagement prioritaire intégré (Zapi) à forte participation paysanne de 1967
à 1975 et, depuis 1975, le projet de la Société de Développement du
Cacao (Sodecao) caractérisé par l'absence de participation. Quant au
3 e projet de développement rural intégré de Haute- Sanaga, il ne fut
élaboré qu'en 198 1 et l'on ne peut encore porter de jugement sur les
résultats effectifs auxquels il peut conduire; il reste cependant possible
de dégager quelques remarques relatives à la participation à partir du
projet lui-même.
a) Le projet Zapi. — Le projet Zapi24 visait à une augmentation de
la production cacaoyère du Centre-Sud, en intégrant cet objectif à
l'ensemble des problèmes de développement de la région. C'est ainsi qu'il
voulait associer aux actions concernant la production de caco
(approvisionnements, commercialisation, crédit...) des actions spécifiques de
formation, d'animation, de santé, d'habitat, de promotion féminine...
Dans ce cadre, les paysans aidés par des « Entreprises de Progrès local »
devaient prendre progressivement en charge le développement de leur
région, leur participation étant considérée comme l'un des éléments
moteurs du projet :
« L'un des objectifs majeurs du projet Zapi est la prise en charge du
développement par les paysans... Objectif majeur parce qu'H est une
condition sine qua non de ce développement. S'engager dans cette voie
c'est d'abord obtenir une adhésion librement consentie des paysans...
Cela nécessite un dialogue permanent entre I'epl et le milieu paysan
qu'il faut aider à s'organiser. Progressivement, et grâce à la formation,
la structure du dialogue deviendra une structure de participation à
l'orientation et à la gestion de l'entreprise de progrès local »25.
Les epl, qui se substituaient au commerçant traditionnel, avaient le
monopole de la commercialisation du cacao dans la zone, et les bénéfices
qu'elles réalisaient devaient financer les investissements de
développement. A cet objectif d'autofinancement du développement s'ajoutait à
plus long terme un objectif d'autogestion de leur fonctionnement par
les producteurs organisés en coopératives.
Les epl s'intégraient en amont et en aval dans un milieu structuré
en 5 niveaux successifs :
1) Les équipes de travail (5 à 10 planteurs), groupements de travail de
base, préexistants au projet;

24. Elaboré par la cinam.


25. Extrait du rapport d'activité 1967-1968.
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 53I

2) Les associations (40 planteurs), cellules de base du développement,


assurant la précommercialisation du cacao au niveau villageois (pesée,
enregistrement, paiement...);
3) Les succursales, regroupant les représentants de 15 à 20 associations
et constituant l'échelon de discussion avec I'epl;
4) Les epl;
5) La SDR, société régionale de développement, regroupant l'ensemble
des epl de la région.

Une telle structure offrait donc un cadre large pour l'expression et


l'action des paysans et permettait une participation effective, d'autant
plus efficace que les paysans pouvaient contrôler les marges de
commercialisation du cacao, source de financement pour leur propre
développement. Pourtant, malgré ce contexte relativement favorable, la
participation paysanne est restée limitée. Les raisons tiennent à la fois à une
élaboration trop technocratique du projet, où la participation était
totalement exclue, et au fonctionnement du projet qui se révélait assez
nettement en retrait des structures participatives de principe.
En effet, si le projet était novateur dans ses objectifs, il était resté très
traditionnel dans ses méthodes d'élaboration, malgré la « bonne volonté »
du bureau d'études chargé du projet :
— d'une part, la connaissance du milieu était limitée (absence d'enquêtes
sociologiques sur les populations concernées, leur organisation, leur
appartenance ethnique et absence d'étude du système de production) ;
— d'autre part, l'avis des populations n'a pas été sollicité (absence
d'enquêtes sur la perception des problèmes par les paysans, sur leurs
souhaits...).
Ces carences eurent des conséquences de deux ordres quant au succès
de la participation et du projet dans son ensemble :
— d'une part, la priorité donnée au cacao par le projet ne correspondait
pas nécessairement aux besoins des paysans qui considèrent la culture
du cacao comme une activité d'appoint et pour lesquels la production
essentielle est constituée par les cultures vivrières (cette priorité
accentuait en outre le déficit vivrier local, malgré les intentions
différentes des promoteurs du projet);
— d'autre part, les actions destinées à faire participer les populations, et
notamment les femmes, se révélaient inadaptées du fait de l'ignorance
des réalités sociales locales.
Quant au fonctionnement du projet, il est resté en deçà des
espérances de ses promoteurs du fait de l'absence de motivation et de « respon-
532 ANDRE DUMAS

sabilisation » des paysans, qui percevaient les epl, auxquelles ils auraient
dû s'intégrer progressivement, comme des organismes étrangers et ne se
sentaient pas directement concernés par le fonctionnement du projet.
Arrêtée en 1975 pour des raisons financières et politiques26,
l'expérience du projet Zapi du Centre-Sud montre en définitive que si la
participation des populations concernées est une condition nécessaire au
succès des projets de développement, elle ne peut cependant se limiter à
certains aspects ou à certaines phases du projet, mais au contraire doit
s'appuyer sur l'ensemble de la population et se concrétiser dès le stade
de l'élaboration; elle ne peut non plus se réaliser si les acteurs ne sont pas
motivés, c'est-à-dire si les acteurs n'identifient pas leurs objectifs propres
à ceux du projet, et si les responsabilités de chacun ne sont pas clairement
définies.
Quant au projet Sodecao, qui depuis 1975 a remplacé le projet Zapi,
il a exclu totalement toute participation et ne vise qu'un seul objectif :
l'augmentation de la production de cacao. Il constitue donc une
régression par rapport au projet Zapi, et l'échec de sa première phase (1975-
1980) confirme que l'absence de participation peut être une raison de
l'échec.
b) Le projet de développement rural intégré de Haute-Sanaga. — Le
projet de développement rural intégré de Haute-Sanaga (Cameroun)
a pour objet de permettre l'accroissement des revenus des paysans à
travers l'accroissement de la promotion caféière, cacaoyère et rizière
de la région concernée (mécanisation, organisation des terroirs et des
transports...), l'amélioration des circuits d'approvisionnement et de
distribution et l'amélioration du crédit rural. Mais au-delà de cette vision
économique du développement le projet veut aussi améliorer le niveau
de vie des paysans à travers la promotion des échanges culturels, la
dynamisation des structures associatives ou coopératives et la
participation active des agents concernés.
Le projet comporte un certain nombre de sous-projets27 articulés dans
l'espace et dans le temps qui, outre leurs objectifs propres, ont en
commun deux priorités :
— rendre les communautés villageoises plus responsables;
— améliorer les relations entre les institutions et les populations rurales.

26. Opposition des commerçants de traite évincés du système de commercialisation


et de certains notables défavorables à l'apparition de « concurrents ».
27. Communications et transports, organisation coopérative, commercialisation,
transformation des produits, crédit et approvisionnement coopératifs, organisation
communautaire, encadrement et appui technique des exploitations, production agricole, développement
sanitaire, hydraulique villageoise et, enfin, formation.
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 533

Les concepteurs du projet28 ont voulu en effet tirer les leçons de


l'échec du précédent projet concernant les Zapi du Centre-Sud du
Cameroun au niveau de la responsabilisation et de la motivation des
paysans (fonctionnement du projet) ainsi qu'au niveau de la
connaissance de l'environnement (élaboration du projet).
C'est ainsi qu'en ce qui concerne l'élaboration du projet, ses
concepteurs ont tenté de recueillir les aspirations profondes des populations
concernées à partir d'enquêtes effectuées dans les villages. Pourtant, le
projet veut aussi tenir compte « des volontés politiques exprimées par
les plus hautes instances de la nation camerounaise » : cela signifie en fait
que les aspirations populaires ne pourront être prises en considération
que si elles ne se révèlent pas incompatibles avec les choix politiques
centraux et si elles s'insèrent dans les programmes de développement
préalablement déterminés par les pouvoirs publics29.
Par ailleurs, en ce qui concerne le fonctionnement du projet, ses
concepteurs voulaient « promouvoir l'organisation et l'activité des
communautés villageoises responsables » sous forme de structures
associatives et coopératives. Cependant ces dernières sont découpées et
regroupées technocratiquement en « zones d'action homogènes... dans
une perspective d'efficacité opérationnelle »; en outre, les structures
coopératives mises en place30 doivent être conformes à la réglementation
nationale et ne coïncident pas avec les organisations collectives
préexistantes constituées à l'initiative des villageois. Certes l'organisation
ainsi mise en place31 se veut un service d'appui et de conseil plus qu'un
service d'encadrement, mais tout dépendra finalement du rôle effectif
joué par les agents de l'administration centrale et notamment par le
délégué départemental de l'agriculture sous la tutelle duquel se trouve
placé le fonctionnement du projet. L'expérience montre qu'en général
les seules organisations capables de mobiliser les paysans sont celles
qu'ils ont eux-mêmes créées et que des structures créées de l'extérieur,
fussent-elles collectives, entrent souvent en conflit avec les structures
locales traditionnelles préexistantes. Il apparaît donc nécessaire que les
populations rurales concernées participent à l'élaboration du cadre
organisational des projets, ce qui n'est pas le cas pour le projet de Haute-
Sanaga.

28. CINAM.
29. L'accent mis par le projet sur le développement de la production cacaoyère illustre
parfaitement ce type de compromis entre la volonté politique du Centre et les aspirations
villageoises.
30. Associations pour la Commercialisation, le Crédit et les Approvisionnements ruraux
(accar) au niveau du village, Sections Coopératives zonales et Coopérative départementale.
31. Cf. Organigramme du projet.
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•8
PROJETS DE DEVELOPPEMENT 535

De telles réserves limitent le contenu participatif du projet, malgré


les intentions affichées, et risquent de se traduire par une moindre
efficacité au niveau de ses résultats effectifs.

* **

L'étude des expériences de participation populaire aux projets de


développement montre que cette dernière est toujours relativement
limitée, quand elle n'est pas réduite à son expression la plus caricaturale
de fourniture de main-d'œuvre.
Certes, on reconnaît généralement que la participation populaire à
certains projets, comme les projets d'infrastructure ou de développement
agricole, a pour avantage de réduire les coûts de réalisation32 ou
d'entretien des installations33; mais on considère aussi a priori que ces projets
ne sont pas rentables, la rentabilité impliquant nécessairement rapidité
d'exécution34, mécanisation et dirigisme.
En fait, les expériences décrites ci-dessus montrent qu'au contraire
la participation conditionne l'échec ou la réussite des projets. De
nombreux projets techniquement corrects et financièrement rentables
peuvent conduire à des résultats décevants, si les populations concernées n'y
sont pas associées. En effet, si les projets sont choisis en fonction des
seules données techniques ou technologiques, les réalisations ne seront
pas utilisées et entretenues par la population : cette dernière ne se sent
nullement responsable d'un puits, d'une canalisation ou d'une pompe
qui appartiennent au gouvernement; elle ne se sentira effectivement
responsable que si elle est consciente de l'utilité de la réalisation et si
elle a été préalablement consultée à son propos dans le respect des
traditions locales. Et de fait, le taux de réussite augmente lorsque les
populations concernées participent, et les résultats obtenus s'avèrent
généralement supérieurs à ceux que l'on espérait35.

32. De 5 à 20 % selon Viestra (Toward a fuller appreciation of Commity development,


Séminaire international de formation pour l'approvisionnement en eau des villages dans les pays
en voie de développement, oms, 1976).
33. Cf. E. W. Coward (Indigenous organisation bureaucracy and development; the
case of irrigation, Journal of Development Studies, octobre 1976) ou S. Fresson (La participation
paysanne sur les périmètres villageois d'irrigation par pompage de la zone de Matam au
Sénégal, in D. Miller, La participation de la population aux systèmes d'approvisionnement d'eau en
milieu rural, ocde, 1979).
34. D. Carruthers pense par exemple que la participation est trop coûteuse dans la
mesure où elle fait perdre trop de temps (Impact and economic commodity water supply. A study
of rural water investment in Kenya, London, Wye College, 1973).
35. Cf. Fresson, op. cit.
536 ANDRÉ DUMAS

En définitive, un projet est censé être la réalisation concrète


d'objectifs planifiés reflétant les choix de la société en matière de développement
et répondant à des besoins ressentis par les communautés locales. Cela
implique :
1) que les besoins en question puissent être exprimés, ce qui nécessite
la participation des populations au niveau de l'expression des besoins ;
les projets étudiés précédemment montrent bien que « si l'initiative
ne vient pas de la collectivité elle-même mais de l'extérieur, le projet
court habituellement à l'échec, une fois la construction terminée »36;
2) que le projet puisse être conçu de manière à répondre de façon
adéquate à ces besoins et puisse être accepté par les intéressés, ce qui
nécessite la participation des intéressés sinon à l'élaboration technique
des projets, du moins à la prise de décision37;
3) que les réalisations puissent fonctionner durablement et être
entretenues par les usagers, ce qui nécessite la participation de ces derniers à
la gestion des réalisations, beaucoup plus qu'à l'exécution proprement
dite ou au financement des travaux; dans cette perspective, Д semble
bien que les organisations locales préexistantes au projet peuvent
jouer un rôle beaucoup plus déterminant quant au succès du projet
que des organisations surajoutées pour la circonstance au tissu social
existant, même si ces dernières sont de nature coopérative.

Ainsi la participation des populations s'avère une nécessité : elle


conditionne largement l'échec ou le succès des projets de développement
et, au-delà des projets, conditionne l'échec ou le succès des stratégies
de développement économique et social mises en œuvre.

36. cesap, Proceedings of the Symposium on Social and non-economics Factors in


water resources development, New York, 1976.
37. Lors du choix de la localisation des réalisations pat exemple, de façon à ce que les
intéressés soient réellement motivés.

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