Revue Printemps 2022
Revue Printemps 2022
Revue Printemps 2022
SOMMAIRE
Francis Bacon, le chancelier rosicrucien, par A. Marbeuf ................... 2
L’holomatière, l’esprit au cœur de la matière, par M. Armengaud ..... 11
La spiritualité et ses pièges, par M. Schuermans ..................................... 21
La musique dans le règne animal, par F. Billieux ................................... 27
L’émotion esthétique, une voie d’accès au Sacré,
par M. Auzas-Mille .................................................................................... 35
Hypatie, une étoile dans le ciel d’Alexandrie, par J. Dejean .............. 42
COUVERTURE
P. 1 : Photo A.M.O.R.C.
P. 3 : Convention de Saint-Hyacinthe, les 24, 25 et 26 juin 2022.
P. 4 : Arbre de vie, poème de Palmine Tricoli.
Cette revue trimestrielle est publiée par la Diffusion Rosicrucienne et sous l’égide
de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix, mondialement connu sous le sigle
« A.M.O.R.C. ». Dans tous les pays où il est actif, il est reconnu comme une Organisation
philosophique, initiatique et traditionnelle, qui perpétue la Connaissance que les Initiés se
sont transmise depuis la plus haute Antiquité. Parfois désigné sous le vocable « Ordre de la
Rose-Croix », il a pour devise : « La plus large tolérance dans la plus stricte indépendance ».
En raison même de son origine, de sa nature et de son but, l’A.M.O.R.C. n’est pas une
religion. Il n’est pas non plus une secte. De surcroît, il est totalement apolitique. Ouvert
aux hommes et aux femmes de toute confession religieuse et de tout milieu social, il
propose ses enseignements séculaires à tous ceux et à toutes celles qui s’intéressent à la
philosophie et à la spiritualité. Dans son symbole, qui n’a aucune connotation religieuse,
la croix représente le corps physique de l’homme et la rose son âme en voie d’évolution.
2
général (1615), membre du Conseil privé (1616), Garde des Sceaux
(1617), et finalement Grand Chancelier (1618). Cette période publique
de la vie de Francis Bacon prendra fin rapidement. En effet, malgré le
soutien du favori du roi, le duc de Buckingham − rendu célèbre au
XIXe siècle par le roman d’Alexandre Dumas père « Les Trois
Mousquetaires » −, il fut accusé de corruption par la Chambre des
Communes et fut condamné par la Chambre des Lords en 1621. Si
l’amnistie royale lui permit de retrouver la liberté, ces événements
marquèrent néanmoins la fin de sa carrière politique et lui permirent
de se consacrer entièrement à la philosophie et à l’écriture jusqu’à sa
mort en 1626.
3
†1783), lui rendront un vibrant hommage, reconnaissant en lui un
précurseur de l’empirisme en science et louant ses efforts pour
classifier les connaissances et les rendre universelles tout en utilisant
la totalité des ressources disponibles. Le premier lui consacrera
toute sa « XIIe Lettre anglaise » ; évoquant le « Novum Organum », il
écrira : « Le chancelier Bacon ne connaissait pas encore la nature ;
mais il savait et indiquait tous les chemins qui mènent à elle. Il avait
méprisé de bonne heure ce que les universités appelaient la philosophie
(…). Il est le père de la philosophie expérimentale. »
4
Comme l’a avancé un autre épistémologiste, George Sarton (°1884 ;
†1955), Bacon, avec la « métaphore végétale de la croissance en
branches du savoir laquelle (…) remontait à l’imaginaire mystique et
alchimique [du] lignae vitae chrétien, [de] l’arbor scientiae de Lulle »(5).
Pour cet auteur, nous retrouvons cette idée dans l’Encyclopédie avec
d’Alembert et « l’iconographie des théories évolutionnistes, de Lamarck
à [de] Jussieu, de Darwin à Haeckel ».
5
en quelque 130 aphorismes dans le « Livre Premier », et 51 dans le
« Livre Second ». En introduction à leur traduction, M. Malherbe et
J.-M. Pousseur ont passé en revue les points essentiels du traité qui se
révèle être « l’instrument d’un nouveau savoir » tel qu’il ressort de ces
aphorismes :
Tableau : la double distinction des règles ou des causes chez Francis Bacon
Règles Causes
Fin spéculative Fin opérative Fin spéculative Fin opérative
Apposition d’une
Fin Invention des
nature sur une Métaphysique Magie
première formes
matière
Invention du Transformation
progrès et du des corps
Fin seconde Physique Mécanique
schématisme concrets les uns
latents dans les autres
6
Nous en arrivons maintenant à un texte de Bacon : « La Nouvelle
Atlantide ». Dans ce roman philosophique, fleurant bon l’utopie, les
habitants de l’île de Bensalem, « fils de la Paix », (en rapport avec
l’hébreu « = שלַֹוםpaix »), sont gouvernés par une société philosophique
savante – la « Maison de Salomon –, la science y est omniprésente.
Comment ne pas penser au mythe de l’Atlantide, rapporté par Platon
dans le « Timée » et dans le « Critias » et à sa description de la société
idéale, détruite par le matérialisme et un cataclysme bien opportun :
« Sachez, mes amis, que parmi les choses excellentes accomplies par ce
roi, il en est une qui surpasse toutes les autres. Ce fut la création et
l’institution d’un Ordre ou Société que nous appelons la « Maison de
Salomon » – la plus noble fondation, selon nous, qui fût jamais sur
terre, et le flambeau de ce royaume. Elle est consacrée à l’étude des
œuvres et des créations de Dieu. (...) Je suis enclin à penser qu’elle fut
ainsi nommée en mémoire du Roi des Hébreux, célèbre chez vous, et qui
n’est pas un inconnu pour nous non plus. »
7
Quant à la présence du rosicrucien
Robert Fludd (°1574 ; †1637) auprès de la
reine Élisabeth Ire (photo ci-contre) en tant que
médecin, elle incite à penser que ces deux
célébrités se sont très certainement
fréquentées. Mentionnons que Fludd était
également alchimiste et physicien expéri-
mentateur ; par ses écrits, il fut un ardent
défenseur des rosicruciens en 1616 et en
1617 : il en sera question dans un pro-
chain article. De nombreux auteurs
comme Serge Hutin (°1929 ; †1997) ou
Frances Yates (°1899 ; †1981) se sont fait l’écho des contacts entre
philosophes, scientifiques, et théologiens, échangeant dans le domaine
de la métaphysique, en Angleterre comme sur le continent, et impli-
quant les rosicruciens. F. Yates déclare pour sa part qu’« il faut étudier
Bacon comme un rosicrucien, un rosicrucien d’un type nouveau, un
rosicrucien renonçant au secret pour devenir un savant coopérant
ouvertement avec d’autres savants au sein de la future Royal Society »
(Voir « Science et Tradition hermétique », Frances Yates, trad. Boris
Donné, Éditions Allia, Paris, 2009, p. 33). En ce sens, si le chancelier se
détache en partie de son précurseur anglais John Dee (°1527 ; †1608),
mage et mathématicien inspirateur du progrès technique, chef de file
de la Renaissance élisabéthaine il en reste néanmoins proche.
8
des œuvres de Bacon et des « Manifestes rosicruciens » : il y a donc un
ensemble d’indices qui vont dans le sens d’une démarche toute
rosicrucienne chez Bacon, sans qu’aucun écrit ne vînt la confirmer.
Notes
(1) : Citation extraite d’un article de Michèle Le Doeuff, « Bacon, chancelier Francis
(1560 ou 1561-1626) », paru dans https://www.universalis.fr/encyclopedie/
bacon-chancelier-francis/
(2) :Voir sur le site https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55869434/f89.item.r=uni-
versit%C3%A9.langFR le document relatant l’histoire de cette Université fait
référence à Francis Bacon à neuf reprises (p. 7, 73, 89, 92, 96, 150-151, 334 et 551)
et le mentionne fréquentant les cercles d’étudiants de 1577 à 1578.
(3) : Elle parut en 1626, après la mort de Bacon. La première traduction française
en 1702 est due à l’Abbé Gilles-Bernard Raguet (°1668 ; †1748), docteur en théolo-
gie et mathématicien, consultable sur le site https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/
bpt6k82587c/f2.item. D’autres publications se sont succédé, témoignant de l’intérêt
pour la « Nouvelle Atlantide »… Une des plus récentes provient du travail de
traduction de Michèle Le Doeuff et de Margaret Llasera (« La Nouvelle Atlantide »,
éd. Michèle Le Doeuff, Flammarion, Paris, 1995).
(4) : « Études Galiléennes », Alexandre Koiré, Hermann Éditeur, Paris, 1966, p. 12.
(5) : George Alfred Leon Sarton (°1884 ; †1955) est un chimiste et historien des
sciences américain, fondateur de la revue « Isis ». Dans sa monumentale Histoire
des sciences, il a montré comment après la période antique des Égyptiens, des
Sumériens, des Grecs, des Alexandrins, des Romains, puis des Byzantins, les
savants du monde musulman (Persans, arabes, berbères, juifs, chrétiens, musul-
mans) ont dominé, en une suite ininterrompue, de 750 à 1100. On y retrouve en
effet : le chimiste Jabir Ibn Hayyan (vers 800), l’inventeur de l’algèbre et des algo-
rithmes Al-Khawarizmi (°780 ; †850), le fondateur du premier hôpital, Rhazès
(†925), l’astronome et historien Al-Biruni (°973 ; †1050), le philosophe et médecin
Avicenne (°980 ; †1037), Omar Khayyam (°1047 ; †1122), mathématicien et poète.
À partir du XIIe siècle, émergent les savants européens dont Ramon Lulle (°1232 ;
†1315) qui doivent cependant compter avec le philosophe Averroès (°1126 ; †1198),
le médecin et théologien Maïmonide (°1135 ; †1204), le géographe et voyageur Ibn
Battûta (°1304 ; †1377), l’historien Ibn Khaldoun (°1332 ; †1406). Voir l’article de
Pietro Redondi, « Henri Berr, Hélène Metzger et Alexandre Koiré : la religion
d’Henri Berr » dans Revue de synthèse 117 (1966), p. 141).
9
(6) : L’astronome William Gilbert (° 1544 ; †1603) fut médecin de la reine Élisabeth
Ire, puis de Jacques Ier. Véritable physicien, il a découvert les premières lois rela-
tives au magnétisme (règles d’attraction et de répulsion des aimants, aimantation
d’un barreau de fer doux dans un champ magnétique) et aux propriétés de l’ambre
ou d’autres corps pouvant se charger électriquement ; le bilan de ses recherches fut
publié en 1600 dans son « De Magnete, Magneticisque Corporibus, et de Magno
Magnete Tellure ».
(7) : Les trois « Manifestes » rosicruciens sont contemporains de Bacon : la « Fama
Fraternitatis » (1614), la « Confessio Fraternitatis » (1615) et les « Noces Chymiques
de Christian Rosenkeutz » (1616), publiées en Allemagne, défendues notamment
par Robert Fludd dès 1616 (« Apologie Sommaire, lavant et nettoyant, comme par
les flots de la vérité, la Fraternité de la Rose-Croix, éclaboussée des taches de la
suspicion et de l’infamie »), et rapidement connues en Angleterre.
(8) : La « Royal Society », héritière de « Cercles » comme celui se réunissant autour
de Hartlib (°1600 ; †1662) et de l’« Invisible College », vit le jour à Londres en 1660
(voir « Newton ou l’alchimie au service de la science », Alain Marbeuf, Diffusion
Traditionnelle, Le Tremblay, 2021, p. 53-54 et p. 62-63).
(9) : Rodolphe II (°1552 ; †1612), prince de la dynastie des Habsbourg, fut roi de
Bohême et empereur du Saint Empire Romain Germanique à partir de 1576.
Furieusement épris d’ésotérisme, il s’entoura d’artistes comme les peintres
Giuseppe Arcimboldo (°1527 ; †1593) qui fit son portrait, du Caravage (°1571 ;
†1610) ou de Bartholomeus Spranger (°1546 ; †1611), des astronomes Tycho Brahé
(°1527 ; †1593) et Johannes Kepler, mais aussi d’alchimistes et d’astrologues, que
furent son médecin personnel, le rosicrucien Michael Maier (°1568 ; †1622), et le
même Kepler.
10
L’HOLOMATIÈRE
L’esprit au cœur de la matière
11
sans cesser, jusqu’au bout, d’attaquer le Réel sous des angles et à des
plans différents(1). » Il ajoutera à cela : « Atomes, électrons, corpuscules
élémentaires, quels qu’ils soient (pourvu qu’ils soient quelque chose en
dehors de nous), doivent avoir un rudiment d’immanence, c’est-à-dire
une étincelle d’esprit(2). »
Emmanuel Ransford
Dualité onde-particule
12
Prenons un exemple très simple. Par une belle nuit étoilée vous sortez
avec une lampe torche. Vous maintenez la lampe au-dessus de votre
tête et vous l’orientez verticalement vers le ciel. Qu’elle soit allumée
ou éteinte, rien ne change. Mais lorsque vous quittez la verticale et
réorientez la lampe vers le bas un moment viendra où le faisceau
lumineux rencontrera le toit puis les murs de votre maison, à ce
moment vous saurez si elle est allumée ou éteinte ! Nous avons là
l’illustration des deux états de la lumière. En l’absence d’obstacle, le
faisceau lumineux est dans sa phase ondulatoire, il n’est pas visible.
Lorsqu’il se heurte à un obstacle, la lumière se manifeste, sous l’aspect
de photons. Il y a donc une transition quantique onde-particule. Ce qui
fait dire aux scientifiques, qu’en dehors des mesures, la lumière est
une onde, mais dès lors que nous utilisons un détecteur elle se
manifeste sous l’aspect de particule. Ici le détecteur serait l’obstacle
que constitue le mur, lorsque le faisceau lumineux l’atteint. John
Archibald Weeler disait que « rien n’existe avant qu’on le mesure ; tout
cesse d’exister dès qu’on ne l’observe plus ».
Nous pouvons aussi imaginer une bille qui soit à la fois bleue et
rouge, mais ni bleue ni rouge dans son état de flou quantique.
Cependant, dès qu’un observateur voudra connaître son aspect elle
deviendra soit toute bleue, soit toute rouge. Le choix de la couleur
demeure aléatoire.
13
valeur unique est aussi appelé : réduction du paquet d’ondes. Un
nouvel éclairage nous sera donné par l’approche d’Emmanuel Ransford
et les concepts de quantition et de phase parale.
L’holomatière
14
Nous remplacerons le terme de particule par celui d’holoparticule.
Nous allons entrer dans le domaine de la double causalité, c’est-à-dire
la rencontre du déterminisme et de l’aléatoire. Nous devons commen-
cer par introduire deux concepts, celui d’exo-causalité et celui
d’endo-causalité.
15
Loi de quantition et phase parale
16
Une interrogation demeure, la toupie adopte un sens de rotation,
la bille opte pour une seule couleur, le morceau de glace passe d’un
côté de la lame de scie ; les physiciens parlent souvent de hasard, ou
d’indétermination. L’endo-causalité ouvre la porte au choix, mais bien
sûr ce n’est qu’une hypothèse.
17
Le schéma suivant va nous permettre de mieux comprendre cette
notion de supralité ou intrication.
Extension de la supralité
18
Le lien supral ne se révèle que lors d’une phase parale de l’une des
particules (réduction du paquet d’ondes). Dans la mesure où c’est
l’endo-causalité qui est le principe actif, nous pourrions dire que
l’invisible tire les ficelles du visible, ce qui évoque l’influence du
psychisme sur la matière.
Réseau de
Emmanuel Ransford propose
hyphes une réflexion à partir des
champignons. Ceux-ci possèdent
des microfilaments (hyphes) qui
constituent un vaste réseau
souterrain pouvant établir de
nombreux contacts avec d’autres
champignons ou même d’autres
végétaux. Nous savons
aujourd’hui que la majorité des
plantes vivent en symbiose grâce
aux champignons. Certains
parlent même du « Wood Wide
Web » tellement ce réseau res-
semble à nos liaisons internet.
19
La thèse d’Emmanuel Ransford s’inscrit bien dans la convergence
entre la science et la spiritualité. Et l’holomatière introduit bien une
part de conscience au cœur de la matière. Comme l’écrivait Teilhard de
Chardin : « Au fond de nous-mêmes, sans discussion possible, un inté-
rieur apparaît, par une déchirure, au cœur des êtres. C’en est assez pour
que, à un degré ou à un autre, cet « intérieur » s’impose comme existant
partout et depuis toujours dans la Nature. Puisque, en un point d’elle-
même, l’Étoffe de l’Univers a une face interne, c’est forcément qu’elle est
biface par structure, c’est-à-dire en toute région de l’espace et du temps,
aussi bien par exemple que granulaire : Coextensif à leur Dehors, il y a
un Dedans des Choses(7). »
Notes
(1) Pierre Teilhard de Chardin, Le phénomène humain, Seuil, 2007, p. 18.
(2) Pierre Teilhard de Chardin, Science et Christ, Seuil, 1999, p. 76.
(3) Emmanuel Ransford, La conscience quantique et l’au-delà, Trédaniel, 2019.
(4) Emmanuel Ransford utilise les termes xo et ndo, nous utiliserons les expres-
sions exo et endo qui seront plus faciles à intégrer dans le cadre de cet article.
(5) Emmanuel Ransford, La conscience quantique et l’au-delà, Trédaniel, 2019, p. 200.
(6) Ibid., p. 164.
(7) Pierre Teilhard de Chardin, Le phénomène humain, Seuil, 2007, p. 44.
20
La
spiritualité
et ses pièges
21
Les recherches scientifiques montrent que les gens qui pratiquent
une forme de spiritualité ont certains avantages comparés aux
personnes qui professent des valeurs plus matérialistes. Grâce à leur
vision de la vie, du monde et de l’homme, ils sont mieux armés pour
faire face aux tempêtes de la vie, sont moins vite victimes de
dépressions ou d’épuisement. Ils souffrent moins du stress et jouissent
donc d’une meilleure santé ; ils sont plus reconnaissants envers tout ce
qui est positif dans leur existence et sont capables de relativiser les
difficultés. Il semblerait que, comme l’a dit Nietzsche, « celui qui pos-
sède un pourquoi qui le fait vivre peut supporter tous les comment ».
Quiconque croit que sa vérité est la seule vérité, ou pire, qu’elle doit
être la seule vérité, peut avoir le sentiment d’être meilleur que son
prochain. Ce sont en effet de vieilles âmes qui ne se demandent pas
toujours pourquoi elles sillonnent encore les routes de la vie ici-bas.
Dans le meilleur des cas, ces personnes se comportent avec une affabi-
lité un peu irritante envers les autres, avec une compassion condes-
cendante avec ceux « qui ne sont pas encore si avancés sur le sentier ».
Dans le pire des cas, l’amabilité se transforme en fanatisme, croisades
et autres génocides. Ils sont de toutes les époques et de toutes les
cultures : deux mille ans séparent les premiers chrétiens des terroristes
islamistes, leur fanatisme aveugle les unit sans faille. D’un point de vue
rosicrucien, cela s’explique par les différentes phases de l’évolution que
l’âme doit parcourir. D’abord on est un homme de foi, puis un homme de
savoir, puis un homme de connaissance, et ce n’est qu’après beaucoup
22
de vies et encore plus d’expériences que l’on devient finalement un
homme de sagesse. Il est clair que nombre d’anciennes âmes autopro-
clamées se trouvent en réalité quelque part dans la première phase.
Leur arrogance se manifeste aussi dans leur comportement.
23
buts d’une vie spirituelle est le détachement, le lâcher-prise sur les
choses et les personnes, ainsi qu’un mode de vie impersonnel. Le déta-
chement est pourtant bien souvent confondu avec les symptômes d’un
trouble de l’attachement, à savoir que ces personnes se disent
détachées parce qu’elles n’entretiennent pas de relations étroites avec
leurs congénères et n’en sentent pas non plus le besoin. Il s’agit
pourtant de choses très différentes : l’un vit de cette façon par
incapacité, tandis que le vrai adepte s’est libéré consciemment
du besoin d’attachement.
Hans ten Dam, directeur
d’un institut néerlandais
pour la formation des théra-
peutes par la régression,
disait qu’il est beaucoup plus
facile d’aimer tout le monde
que son voisin… Une pensée
à méditer !
24
leur voiture de luxe devant leurs disciples qui attendent le bus. Cela
n’a rien à voir avec le vrai mysticisme.
25
exécution parfaite est réclamée, alors ils ne sont plus source de
compréhension profonde, ni source d’émotion. Les rituels se doivent
d’être au service de l’homme, et non l’inverse. Il est juste que leur effet
est maximal quand ils sont exécutés aussi parfaitement que possible,
d’une manière intuitive et spontanée. Les petites erreurs dans l’exécu-
tion ne doivent jamais être source d’incompréhension ou de colère.
Dans un lointain passé, les erreurs conduisaient à de lourdes sanc-
tions, espérons que de nos jours il en est autrement.
26
La musique dans le règne animal
27
C’est dans une démarche et une approche spiritualiste que nous allons
essayer de comprendre quelle véritable place occupent les animaux
sur notre planète et quelles sont leurs relations avec la musique.
28
Rose-Croix en est un des dépositaires, nous enseignent qu’il existe un
règne supra-humain qui, d’ailleurs, est très bien défini et expliqué
dans un recueil intitulé L’Ontologie des Rose-Croix et plus précisément
dans sa 11e loi qui énonce ceci : «Il existe un règne supra-humain,
formé de toutes les âmes désincarnées qui peuplent les plans invisibles
de la Création. » Il est pour l’instant évident que la science n’est pas en
mesure de prouver l’existence de ce règne puisqu’il ne s’applique pas à
la matière proprement dite. Mais nous savons tous, par exemple, que
nos pensées ne sont pas perceptibles ou visibles et pourtant elles sont
bien réelles dans notre vie.
29
comportement et leur santé en sont directement
affectés. Et comme pour l’homme, la musique les
apaise, mais un son d’intensité élevée sera géné-
rateur de stress.
30
compagnons qui partagent la vie quotidienne de l’être humain, une
osmose va se mettre en place entre eux, à tel point que pour certains
animaux ne dira-t-on pas « qu’ils ne leur manquent que la parole ». On
peut d’ailleurs constater qu’il existe une gradation de sociabilisation
qui permet de qualifier certains
animaux de « plus ou moins
sauvages » ou de « plus ou moins
proches de l’homme ».
Compositeurs et animaux
31
peurs, sans oublier l’archétype
du loup, personnage cruel et
effrayant. Cette œuvre véhi-
cule aussi un but pédago-
gique : les enfants peuvent
grâce à elle découvrir certains
instruments de l’orchestre.
Tandis que le récitant parle,
l’orchestre ponctue le récit
d’intermèdes musicaux où les
différents protagonistes sont
personnifiés par des instru-
ments. Par exemple dans cette
œuvre, le chat est représenté
par la clarinette. Mais l’ins-
trument ne va pas simuler un miaulement. C’est plutôt la démarche
douce et féline du chat qui est évoquée par le thème.
32
Dans « Le Carnaval des animaux », seules deux notes de clarinette
suffisent à Camille Saint-Saëns pour illustrer le chant du coucou dont
le dialogue est effectué par le piano.
33
La musique, porteuse d’un message caché, sacré et subtil qui ne
peut être perçu par nos sens physiques, va accomplir sa mission inspi-
ratrice et contribuer à instaurer une harmonie parfaite entre tous les
règnes de la création. C’est ce que va percevoir consciemment ou
inconsciemment un compositeur qui agencera les sons qu’il entend
pour leur donner la forme musicale voulue. Voilà pourquoi il y en a
tant qui ont écrit de la musique dite « sacrée », comme si un besoin
impérieux de, précisément sacraliser leur art s’imposait à leur esprit
créatif. Et de la même manière, s’inspirant de ses frères du peuple
animal, ils leur rendront hommage en honorant cet amour qui les lie
depuis qu’ils sont apparus sur terre.
34
L’émotion esthétique,
Une voie d’accès au Sacré
35
de crainte irréfléchie vis-à-vis de la personne, de la fonction, de la
situation ou de l’objet considéré. « On ne doit pas y porter atteinte sous
peine de profanation ». Ce qui, entre nous soit dit, entretenait, en ces
temps-là, une certaine irrationalité dans les rapports humains.
D’un côté les « bons » : ceux qui adhéraient sans réserve au « Sacré »
qui leur était proposé – et quelques fois imposé – de l’autre côté les
« méchants » étiquetés « profanes » : ceux qui n’acceptaient pas la règle
du jeu, ou qui, tout simplement, émettaient quelques réserves. Cette
dichotomie, consciencieusement entretenue en ces temps reculés tend,
bien heureusement, à s’estomper, voire à disparaître dans nos sociétés
contemporaines. À tel point qu’on en est malencontreusement venus à
« jeter le bébé avec l’eau du bain ».
36
nous dit dans son ouvrage « Le Sacré et le Profane » : « Faut-il ajouter
qu’une telle existence profane ne se rencontre jamais à l’état pur. Quel
que soit le degré de la désacralisation du Monde auquel il est arrivé,
l’homme qui a opté pour une vie profane ne réussit pas à abolir le com-
portement religieux. On verra que l’existence même la plus désacralisée,
conserve encore des traces d’une valorisation religieuse du Monde ».
37
Mais, comme nous l’avons souligné au tout début de cet article, la
notion de « sacré » s’accompagne très souvent, pour ne pas dire
toujours, d’un respect absolu, mêlé d’une crainte irréfléchie vis-à-vis
de ce qui est entrevu en cet « Espace » : personne, fonction, situation ou
objet. Aussi, Mircéa Eliade préfère-t-il, au terme de « Sacré », utiliser
celui de « Hiérophanie »(2) car, nous dit-il dans son « Traité d’histoire
des religions » : « La hiérophanie, qui désigne la manifestation du
sacré, consiste non pas en l’irruption d’une puissance numineuse(3)
extérieure dans le domaine profane, mais s’exprime dans un regard
neuf sur ce qui nous entoure et sur nous-même, la vision pure ».
« Connais-toi toi-
même et tu connaîtras
l’Univers et ses Dieux »
était une devise gravée
photo A.M.O.R.C.
au fronton du Temple de
Delphes dans la Grèce
ancienne. Apprendre à
se connaître soi-même, c’est apprendre à ouvrir les yeux, autant sur
ses propres aspects « Lumière » que sur ses côtés « Ombre ». C’est
accepter de se défaire des œillères que nous avons soigneusement
plaquées sur notre conscience – souvent par peur de l’inconnu. C’est
reconnaître enfin, au plus profond de soi, que la « Réalité », à laquelle
nous participons quotidiennement, est toute relative et peut voiler
d’autres dimensions auxquelles nous ne prêtons que très rarement,
sinon jamais, attention.
L’« espace sacré » est de cet ordre, mais nous ne pouvons en appré-
hender l’ampleur, ni avec notre intellect, ni avec notre raison
38
discursive. Il s’agit d’un « tout autre ». Ce que vient nous confirmer
Rudolf Otto, dans son ouvrage « Le Sacré », en 1917 : « Le tremendum
est l’effroi ou la terreur de la divinité, dans tout ce qu’elle a d’incompré-
hensible et de mystérieux. Le mysterium est l’appréhension d’un tout
autre, altérité radicale, qui nous paralyse et nous fascine. Il prend ainsi
la forme du fascinans, celui qui « séduit, entraîne, ravit d’étonnement »,
emporte dans « le délire et
l’ivresse ».
Pouvoir mettre des mots sur de tels instants de « grâce » est très
difficile. Quant à tenter d’en partager la teneur avec autrui, relève
purement et simplement de l’utopie. Tous les exemples que l’on peut
39
donner ont un caractère si « personnel », voire « intime », qu’il semble
impossible d’en montrer le moindre aperçu sans provoquer, chez
l’autre, une incrédulité polie ou même, souvent, les soupçons de « mys-
ticisme » un tant soit peu « allumé ». Sauf, bien évidemment, chez des
personnes qui ont connu des situations similaires et qui peuvent donc
comprendre. Il n’est que de voir ce magnifique film – à mon avis –
récemment sorti en salle, et qui traite de la « transe chamanique » :
« Un Monde plus Grand ».
40
Pour conclure, citons une dernière fois Marie-Madeleine Davy, dans
son livre « la Traversée en solitaire » : « Quand le monde invisible
s’entrouvre, le recueillement devient festif. Au-dedans, une atmosphère
de fête se déroule. Et, cette joie, propulsée dans l’espace, rejoint tous
« les mendiants de l’Absolu. »
Notes
(1) Chez les philosophes
grecs de l’Antiquité le
terme κόσμος (Cosmos)
évoque un monde clos qui
a un ordre (par opposition
au chaos). Ainsi pour
Socrate : « À ce qu’assurent
les doctes pythagoriciens,
le ciel et la terre, les dieux
et les hommes sont liés
entre eux par une commu-
nauté, faite d’amitié et de
bon arrangement, de
sagesse et d’esprit de jus-
tice, et c’est la raison pour
laquelle, à cet univers, ils donnent, mon camarade, le nom de cosmos, d’arrange-
ment, et non celui de dérangement non plus que de dérèglement. »
(2) Hiérophanie : de hiérophante (du grec ancien ἱερός / hierós, « sacré », et φαίνω /
phaínô, « découvrir ») est un prêtre qui explique les mystères du sacré. Dans l’Anti-
quité grecque, le mot désignait plus particulièrement le prêtre qui présidait aux
mystères d’Éleusis et instruisait les initiés.
(3) Le numineux est, selon Rudolf Otto et Carl Gustav Jung, ce qui saisit l’individu,
ce qui venant « d’ailleurs », lui donne le sentiment d’être dépendant à l’égard d’un
« tout Autre ». C’est « un sentiment de présence absolue, une présence divine. Il est à
la fois mystère et terreur, c’est ce qu’Otto appelle le mysterium tremendum ».
Bibliographie :
CHEVALIER, Jean et GHEERBRANT, Alain, Dictionnaire des Symboles, Éd. Robert
Laffont-Jupiter, collection Bouquin, 1982.
ELIADE, Mircéa, Le Sacré et le Profane, NRF Gallimard, collection Idées 1965.
ELIADE, Mircéa, Traité d’histoire des religions, Éd. Payot, Paris, 1949.
DAVY, Marie-Madeleine, La connaissance de soi, Presse Universitaire de France,
2013.
OTTO, Rudolf, Le Sacré, Petite Bibliothèque Payot, 1917.
MALRAUX, André, La légende du siècle, Téléfilm, 2e chaine TV 1972.
DAVY, Marie-Madeleine, La traversée en solitaire, Albin Michel, 2004.
41
HYPATIE
Une étoile dans le ciel
d’Alexandrie
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grand réfectoire, un zoo, et on y trouvait aussi la grande bibliothèque
d’Alexandrie, fondée par le premier des Lagides, Ptolémée Sôter Ier,
en 288 av. J.-C. Cette célèbre grande bibliothèque d’Alexandrie conser-
vait les trésors (archives, manuscrits) de toutes les cultures antiques.
Celle-ci sera développée et enrichie par ses successeurs. On pense
qu’elle comptait 700 000 papyri à son apogée. Elle fut la première à
prétendre un caractère d’universalité ; c’était la première fois, dans
l’histoire, qu’une bibliothèque réunissait l’ensemble des connaissances
acquises par l’homme, ainsi que les écrits de tous les peuples. L’activité
de cette bibliothèque était telle qu’il fallut en établir une filiale, une
annexe, dans le serapeum, sanctuaire dédié au dieu Sérapis (Apis et
Osiris), on l’appelait : « La fille de la Grande ». On y mettait les
doubles. Il faut savoir, qu’en fait, la grande bibliothèque d’Alexandrie
n’avait pas été complètement brûlée par César, en 48 av. J.-C. lors de
son affrontement avec Ptolémée XIII, le frère de Cléopâtre ; César
avait fait incendier la flotte égyptienne pour éviter que l’ennemi ne s’en
emparât. Le feu n’avait atteint qu’un entrepôt où se trouvaient environ
quelque 40 000 rouleaux, vite remplacés par les 200 000 rouleaux de la
bibliothèque de Pergame offerts par Marc Antoine.
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platonicienne et fut la première femme qui enseigna cette philosophie
à Alexandrie. Elle appartenait au courant le plus tolérant du
néoplatonisme : elle se voulait neutre à l’égard de la religion, ce qui lui
permettait une coexistence harmonieuse entre ses disciples chrétiens
et païens. Ses connaissances en mathématiques la firent s’intéresser à
ce courant de pensées, car pour Platon, les mathématiques étaient le
principe de la philosophie. Cette tradition philosophique défendait
l’idée que tout était issu de l’Un, et qu’il n’y avait pas de séparation
entre l’Un et le monde, ceci au contraire de la distinction entre Dieu et
sa création, défendue par les théologiens juifs et chrétiens. Parfois, les
habitants l’interpellaient dans la rue et l’interrogeaient sur la
philosophie de telle ou telle école de pensée.
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modestie et de dignité. C’est grâce aux sept lettres échangées entre
eux, que l’on connaît mieux la figure de la savante. Elle conseilla aussi
Oreste, alors préfet d’Égypte. On peut l’imaginer dans une salle du
Muséion, ou du serapeum, entourée d’hommes, désireux de l’écouter,
et prêts à suivre ses conseils, ou vêtue d’un simple manteau drapé,
l’habit des philosophes, mais aussi marcher en ville pour « expliquer
publiquement les écrits des grands philosophes ».
Peu d’écrits d’Hypatie en grec nous sont parvenus, sans doute ont-
ils été détruits. Le fruit de ses travaux disparut définitivement en 642,
dans le dernier incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie (il y en eut
quatre), lors de la prise de l’Égypte par les Arabes. Pour le calife Omar,
tous les livres qui ne sont pas conformes au Coran devaient être
détruits, car pernicieux. Il fit donc distribuer les manuscrits dans les
bains d’Alexandrie qu’ils ont chauffés pendant 6 mois. Malgré cela, on
a les titres de ses écrits sur l’astronomie, les mathématiques, et des
commentaires sur les œuvres scientifiques des savants de son époque.
participa avec son père aux commentaires sur
Elle partic
tables de Ptolémée, précurseur de la géogra-
les table
phie, ssur ceux de l’Almageste : une synthèse des
connaissances mathématiques et astrono-
co
miques de son temps. On sait aussi qu’elle
m
prit part à la mise au point de l’astrolabe,
construit un planisphère, un appareil
pour mesurer l’eau, et un hydromètre
pour mesurer la densité des liquides.
Donc, pour la première fois, une femme
appliquait la physique et les mathéma-
tiques à la mécanique et à la technologie
Un astrolabe pratique.
p
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Sa mort est l’aspect le plus connu de la vie d’Hypatie. Toutes les
sources s’accordent pour révéler l’atroce crime commis au cours du
mois de mars 415. Alexandrie, capitale de la culture, était alors menacée
par le fanatisme. C’était un creuset où s’affrontaient deux communau-
tés religieuses monothéistes : les Juifs et les Chrétiens La mort
d’Hypatie fut causée par le conflit qui opposa le Préfet d’Alexandrie
Oreste, gouverneur de la province romaine, et le nouveau patriarche
de la ville Cyrille (photo ci-contre) qui avait succédé
à son oncle Théophile, évêque d’Alexandrie,
celui, qui en 392, avait fait déjà détruire le
serapeum, appliquant un décret de Théodose,
autorisant la fermeture et la démolition des
temples païens. Il contenait une annexe de la
bibliothèque d’Alexandrie, ainsi que les statues
de nombreux « sages » et poètes illustres de la
Grèce, (parmi lesquels Pindare, Protagoras,
Platon, sans doute Homère, Thalès, Héraclite,
Démétrios de Phalère). Cette folie chrétienne
causa la mort de 6 000 personnes. Cyrille,
encore plus radical que son oncle, voulait sou-
mettre toutes les autorités publiques. Pour
contrer Cyrille, Oreste regroupa les opposants
chrétiens à la politique de Cyrille, et l’aristo-
cratie païenne représentée par Hypatie. La
notoriété, le rayonnement et les convictions de
celle-ci suscitèrent la colère de Cyrille et la
haine des chrétiens les plus radicaux. Des
conflits sanglants éclatèrent dans la ville.
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aux instruments de musique, et elle ensorcela beaucoup de gens par ses
dons sataniques. Et le gouverneur de la cité l’honorait excessivement ;
en effet, elle l’avait ensorcelé par sa magie. Et il cessa d’aller à l’église
comme c’était son habitude… Une multitude de croyants s’assembla
guidée par Pierre le magistrat – lequel était sous tous aspects un par-
fait croyant en Jésus-Christ – et ils entreprirent de trouver cette femme
païenne qui avait ensorcelé le peuple de la cité et le préfet par ses sorti-
lèges. Et quand ils apprirent où elle était, ils la trouvèrent assise et
l’ayant arrachée à son siège, ils la traînèrent jusqu’à la grande église
appelée Césarion. On était dans les jours de jeûne. Et ils déchirèrent ses
vêtements et la firent traîner (derrière un char) dans les rues de la ville
jusqu’à ce qu’elle mourût. Et ils la transportèrent à un endroit nommé
Cinaron où ils brûlèrent son corps. Et tous les gens autour du
patriarche Cyrille l’appelèrent le nouveau Théophile, car il avait
détruit les derniers restes d’idolâtrie dans la cité. »
Ce sont donc les diatribes de Cyrille contre elle, et son influence sur
les moines du désert, incultes, analphabètes, donc faciles à manipuler
dans sa croisade fanatique contre l’hérésie et le paganisme, qui appa-
raissent comme responsables de ce projet criminel. Pour beaucoup de
ces ermites du désert, la possession de livres était blâmable, donc ils
étaient réfractaires à toute philosophie. Qu’est-ce qui a pu provoquer
tant de haine de la part du patriarche Cyrille ? Ce qu’il craignait,
c’était le prestige dont elle jouissait auprès de la classe intellectuelle
d’Alexandrie, ainsi que ses qualités personnelles et intellectuelles
qui la faisaient apprécier de la classe dirigeante. Cyrille la jalousait
en voyant les personnalités de la ville, le préfet, les notables, de
nombreux chrétiens, se presser aux cours de cette philosophe païenne.
Son assassinat porta aussi un coup sévère au préfet Oreste. Ce crime
fit scandale, l’autorité municipale d’Alexandrie rédigea une plainte
contre Cyrille. L’Empereur Théodose II s’informa de l’affaire. Mais son
envoyé se laissa soudoyer et disculpa les coupables. Cyrille avait
triomphé !
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penseurs de l’antiquité comme Aristote, Platon, Pythagore, Épicure
etc. Mais un cardinal aurait ordonné au peintre de la faire disparaître.
Il l’aurait donc retirée, mais pas totalement puisqu’elle aurait été
remplacée par la figure efféminée du neveu du pape Jules II. Des
tableaux et croquis ont été réalisés à son effigie ; elle apparaît aussi à
l’époque des Lumières puisqu’elle représentait pour Voltaire une
victime de la superstition et de l’ignorance. Leconte de Lisle, Gérard
de Nerval, Maurice Barrès se sont emparés du personnage tout comme
le firent Marcel Proust et Umberto Eco. Le monde du théâtre et du
cinéma a révélé au grand public l’histoire d’Hypatie ; le plus connu est
le film Agora, sorti en 2009 au Festival de Cannes ; les critiques ne lui
furent pas favorables en France ; il fut aussi mal reçu aux États-Unis
et interdit en Égypte pour insulte à la religion. À notre époque,
Hypatie est un modèle pour les féministes qui la mettent en avant à la
lumière des droits des femmes.
Bibliographie :
BERNARD, André, Alexandrie, la Grande.
GAUDEFROY, Olivier, Hypatie, l’étoile d’Alexandrie.
HARICH-SCHWARZBAUER, Henriette, Hypatie d’Alexandrie.
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Document A.M.O.R.C.
Arbre de vie
L’Arbre de vie
resserre nos liens
et nous maintient
dressés vers le ciel
Présence magique
fusion alchimique
de ces instants de vie
Palmine Tricoli