L'homélie de La Messe
L'homélie de La Messe
L'homélie de La Messe
En cette fête de la Saint Louis, patron de notre diocèse et de la cité, nous sommes,
cette année, conviés à relire notre histoire commune à la lumière de la Parole de Dieu
pour mieux entendre l’appel à poursuive l’idéal de notre hymne national : as one
nation, as one people, in peace, justice and liberty. Nous faisons cette relecture avec
un sentiment de grand respect, dans l’esprit d’une profonde reconnaissance et dans
un mouvement d’action de grâce, envers tous ceux et celles dont nous allons évoquer
la mémoire.
1722-2022 : 300 ans avec le peuple mauricien — 3 siècles de présence de l’Église au
côté des autorités civiles dans l’édification d’un peuple — 3 siècles de cheminement,
de marcher ensemble, de collaboration, de partenariat… hier des missions
catholiques et de l’État colonial — aujourd’hui de l’Église Catholique et de l’État
mauricien dans la construction de la nation mauricienne.
Pour commencer cette relecture, faisons mémoire des premiers arrivants sous
l’occupation française. En effet, il y a 300 ans que l’Ile Maurice — baptisée Isle de
France — vit débarquer le 5 avril 1722, au Port Nord-Ouest les rescapés d’une
expédition d’établissement colonial sous le commandement du Gouverneur Denis de
Nyon à bord de deux navires de la Cie des Indes : la Diane (capitaine Briand de la
Feuillée) et l’Atalante (Capitaine de la Salle). Ces deux vaisseaux viennent de la ville
de Lorient : ils y embarquèrent 210 soldats suisse — 160 vont périr durant le voyage
— vingt femmes, 30 enfants, quelques officiers et ouvriers — plus de la moitié sont
morts en cours de route. Parmi les voyageurs, nous notons la présence de quatre
religieux lazaristes, deux prêtres : Jean Baptiste Borthon et Gabriel Igou et deux
frères : Pierre Adam et Etienne Lecoq.
Ils appartenaient à la Congrégation de la Mission, avec laquelle la Compagnie des
Indes avait signé une convention lui confiant la charge spirituelle de la colonie. La
traversée dura neuf mois. Elle fut désastreuse à l’arrivée, car c’est dans une extrême
précarité qu’ils vont établir «le camp» au lieu-dit jardin de la Cie aujourd’hui…
Comment, en ce jour, ne pas saluer la mémoire de ces premiers arrivants qui vont
démarrer le peuplement avec les esclaves que la Compagnie ira chercher sur les
côtes voisines.
En cette année 2022, nous commémorons, en réalité, un triple tricentenaire : (i)
l’installation d’une colonie française — à la base de notre peuplement (ii) l’installation
de la mission catholique, les deux venus dans le même bateau, et aussi (iii) le
débarquement des premiers esclaves avec notamment la première traite française
d’esclaves effectuée sur Madagascar à la baie d’Antongil pour l’Isle de France. À cet
effet, l’ISM tient actuellement une exposition dans le cadre du 23 août, journée
souvenir de l’abolition de la traite et de l’esclavage.
Ainsi, à travers la commémoration de ce triple tricentenaire, nous pouvons nous
connecter aux origines, aux sources du peuplement de Maurice, alimenté tel un cours
d’eau d’une grande rivière, par d’autres vagues d’immigration qui s’ensuivront et vont
constituer l’âme mauricienne avec ces trois composantes majeures :
(i) la langue créole (ii) l’attachement à notre terre natale (iii) un vivre ensemble tant
spécifique que prophétique à Maurice.
Cependant, n’ayons pas une vision idyllique ou romantique des débuts du
peuplement. Nous sommes dans un monde dur, fait de sueur et de sang, de rapines
et de pillage, cabales, mutinerie, rébellion, mise aux fers, assassinat, seuls comptaient
les gains dans un contexte géographique marqué par l’isolement des îles au milieu de
l’immense océan, le manque d’approvisionnement, climat dangereux avec ses
cyclones, inondations, sans compter d’autres fléaux tels que l’invasion des rats… Mais
ces difficultés sont au fur et à mesure vaincues et surmontées, signe de résilience de
l’âme mauricienne.
1722-2022 : trois siècles de présence de l’Église Catholique à «tomber/lever» avec le
peuple mauricien depuis ses débuts en assumant ses ambigüités par rapport à son
rôle face à l’esclavage — car comme le font ressortir les historiens «le missionnaire
est venu dans la valise du colon» dans la mesure où il existait sous l’ancien régime
cette alliance du trône et de l’autel. Pour autant, les missionnaires lazaristes — les
documents d’archives l’attestent, ont été des hommes religieux zélés dans leur charge
pastorale ; ils furent fort critiques du système esclavagiste et sur le terrain, prirent la
défense des esclaves maltraités et privés de recours spirituels.
Pour relire cette coopération de l’Église et de l’État dans le service d’un peuple,
appuyons-nous sur la Parole de Dieu où la première lecture nous parle de la demande
de sagesse dans l’art de gouverner un peuple et l’Évangile où Jésus, réclamant une
pièce d’argent à l’effigie de César, énonce un principe clair dans son célèbre «Rendez
à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu». Il nous somme
de distinguer la notion du temporel de celle du spirituel — du politique de celui du
religieux. Je dis bien distinguer et non séparer, car le politique et le religieux tel que
l’entend l’Église catholique depuis Vatican II — ces deux mondes interagissent dans
le même champ de compétence quand il s’agit du respect de la dignité de la personne
humaine, surtout en faveur de ceux qui sont vulnérables et de la construction d’une
nation fondée sur le droit. Tel est le fil conducteur de la doctrine sociale de l’Église
que les papes contemporains — de Jean-Paul au Pape François en passant par
Benoît XVI — ne cessent de développer en ce qui concerne la mission de l’Église
aujourd’hui dans le monde. Elle s’inspire du geste d’abaissement et de service que le
Christ recommande à ses apôtres au soir de son dernier repas, la veille de sa mort.
C’est à la lumière de cette posture du service désintéressé que je vous propose de
faire mémoire et de rendre hommage à quelques grandes figures de l’Église qui,
entourées d’autres acteurs zélés, ont contribué à la construction d’un seul peuple, une
seule nation, éprise de paix, de justice et de liberté unie sous notre quadricolore.
Commençons par
• le Missionnaire Lazariste, le Père Igou — arrivé sur la Diane en 1722, il est considéré
comme le Fondateur de l’Église à l’Isle de France. D’une longévité étonnante, il
s’éteint à l’âge de 86 ans en l’année 1764, après 42 ans d’apostolat, principalement
comme curé de Saint Louis. Il connut sept gouverneurs — du premier de Nyon au
septième Magon. Devenu infirme dans les trois dernières années, il est l’objet de
grande vénération de la part de tout le peuple. Il se dévoua corps et âme à l’apostolat
auprès des esclaves et tenait à ce qu’ils soient enterrés avec tous les habitants au
cimetière de l’enfoncement. À la sortie de la messe, nous assisterons à un dépôt de
gerbe sur sa pierre tombale, dont la sculpture traduit la vénération de ceux qui l’ont
enseveli.
• Mgr William Collier (1841-1862) — Premier Évêque de Port-Louis, il est le fondateur
du diocèse qu’il dota de solides institutions (paroissiales, éducatives, caritatives,
sanitaires, etc.) pour servir le peuple mauricien à la sortie de l’esclavage et à l’arrivée
des immigrants indiens. Nous lui devons la venue des grands missionnaires épris d’un
amour-passion pour le peuple mauricien, à l’instar du P. Laval, de l’Abbé Masuy, entre
autres, et surtout les soeurs irlandaises des Lorette qui jusqu’aujourd’hui sont une
référence dans l’éducation des femmes mauriciennes.
• Le Père Laval (1841-1864), l’apôtre des Noirs affranchis et après sa mort, il fut
reconnu comme apôtre des Mauriciens par l’affluence des Mauriciens — toutes
communautés confondues — à son caveau. Lors de sa visite à Maurice, au monument
Marie Reine de la Paix, le Pape François, le qualifiant «d’apôtre de l’unité
mauricienne». Hommage et Vénération au Bienheureux Jacques Désiré Laval que
nous fêterons dans une quinzaine de jours.
• Faisons mémoire de mère Augustine, née Caroline Lenferna de Laresle (1824-1900),
une jeune Mauricienne qui fonda la Congrégation du Bon et Perpétuel Secours — est
qualifiée, par Mgr. Nagapen comme étant la pionnière des institutions charitables. Elle
sut entraîner presque une centaine de jeunes Mauriciennes dans la vie consacrée qui
fondèrent et s’occupèrent de crèches, des écoles primaires (près de 17 écoles), des
hospices, des hôpitaux et dispensaires et même une léproserie. C’est elle qui a
constitué le berceau du mauricianisme en fondant le premier orphelinat en 1854, au
lendemain de l’épidémie de choléra.
• Faisons mémoire de mère Barthélemy (1840-1897), une femme de coeur, forte de
tempérament qui pansa les plaies physiques et morales de ceux qui étaient sans
soutien, en particulier les engagés venant de Chine. Une stèle à sa mémoire est
dressée au jardin de la Compagnie où l’on peut lire : mère Barthelmy, mère des
pauvres.
Mais plus proche de nous, faisons mémoire et rendons hommage à des figures que
nous avons connues et qui ont contribué au “nation building' du peuple mauricien.
• Le Père Eugène Dethise, pour avoir suscité l’éveil de la conscience ouvrière ; il fut
avec l’Abbé Jean-
Margéot le fondateur de la JOC et en tant que rédacteur en chef réorienta La Vie
Catholique à
s’intéresser à la vie de l’Église locale autant qu’à la vie sociale.
• Sachons rendre grâce à Dieu pour l’abbé Jean-Margéot, devenu cardinal en 1988,
et nous a quittés en l’année 2009. Il fut pour nous tous ici présents, à la fois un véritable
papa et un géant mauricien. L’histoire retiendra de lui, entre autres, deux initiatives
décisives à portée nationale au cours des années 60. (i) la promotion de la famille
mauricienne par la fondation de l’Action familiale. (ii) la promotion audacieuse d’une
nation réconciliée quand il célébra un Te Deum à la cathédrale pour l’accession de
Maurice à l’Indépendance.
• Comment ne pas faire mémoire d’un autre géant qui nous a quittés dix ans déjà :
Mgr. Amédée
Nagapen, gardien de la mémoire nationale par ses 70 publications tant sur l’histoire
de l’Église que sur l’histoire du pays. Il fut le père fondateur des Credit Union à
Maurice. Dans son souci de promouvoir la justice sociale, il fut aussi le fondateur de
l’IDP avec le concours de Jean-Noël Adolphe. Pour lui rendre un grand hommage en
ce jour, ses oeuvres sont en cours d’exposition sous la varangue de l’évêché.
• Et enfin, Père Roger Cerveau (1948-2013), le chantre créole, dont la voix de stentor
résonne encore dans nos coeurs par ses chants inspirés du negro-spiritual. Le 1er
février 1993, il poussa ‘le cri haut et fort’ quant à la souffrance des créoles,
marginalisés au sein de l’Église et au sein de la société mauricienne. A son
enterrement, Mgr. Piat disait : il a libéré l’identité créole de dessous la chape de plomb
où elle était retenue. Le Père Roger Cerveaux fut la voix prophétique de l’Église au
sein de la République quant à l’exigence de la justice sociale et de l’égalité des
chances.
La relecture de notre histoire partagée et l’évocation vénérable de ces grandes figures
de l’Église, parmi tant d’autres, illustrent fort bien l’esprit prophétique du service de
l’Église au sein de la société mauricienne. Elle s’est toujours attelée à rester fidèle à
sa mission d’évangélisation ‘de l’humain dans son intégralité et son intégrité’. Elle se
veut humble, discrète, mais agissante et exigeante au cours de l’histoire vécue aux
côtés du peuple mauricien. 1722-2022, trois siècles de présence active, trois siècles
de marche synodale, trois siècles de construction nationale. En cette année du triple
tricentenaire, Que Dieu nous bénisse et qu’il nous garde dans sa paix.
P. Alain Romaine