Les Modèles D'Équilibre Général Calculable À Générations Imbriquées
Les Modèles D'Équilibre Général Calculable À Générations Imbriquées
Les Modèles D'Équilibre Général Calculable À Générations Imbriquées
GÉNÉRAL CALCULABLE
À GÉNÉRATIONS IMBRIQUÉES
ENJEUX, MÉTHODES ET RÉSULTATS*
Jacques Le Cacheux
Directeur du Département des études de l’OFCE
Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Vincent Touzé
Département des études de l’OFCE, THEMA et Institut d’études politiques de Lille
* Cet article est une version remaniée d’un rapport réalisé pour la Commission des finances,
de l’économie générale et du Plan de l’Assemblée nationale. Nous la remercions pour son
soutien financier.
Janvier 2002
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Les enjeux
Les questions
Cette réalité complexe alimente régulièrement le débat public. Les
choix de la politique économique dans le moyen ou long terme font
ainsi l’objet de multiples interrogations : « Quelle justice pour les
retraites 7 ? » ; « Les retraites pourront-elles être payées après l’an
2000 8 ? » ; « La Sécurité sociale réduit-elle l’accumulation de richesse
privée 9 ? » ; « La dette publique est-elle solvable ? » ; « Le vieillissement
démographique va-t-il engendrer du chômage 10 ? » ou « dans une
perspective de pénurie de postes, la contraction de la population active
révèle-t-elle un espoir de réduction du chômage 11 ? » ; « Quelle est l’in-
fluence de la démographie sur le prix des actifs 12 ? » ; « La politique
fiscale implicite pour les générations futures est-elle juste 13 ? » ; « La
libre circulation des facteurs de production en Europe ne laisse-t-elle
pas présager une concurrence fiscale par l’intermédiaire des systèmes
de protection sociale ? » ; « Les évolutions démographiques et écono-
miques internationales, qui seront probablement très différenciées,
vont-elles sensiblement transformer les mouvements coutumiers de
capitaux 14 ? » ; « Les vieux sont-ils trop riches 15 ? » ; « Quels sont les
effets de la Sécurité sociale sur le taux d’activité des travailleurs
âgés 16 ? » ; « Quels sont les mécanismes sous-jacents aux inégalités
entre générations ? » ; « Comment les modes de financements des admi-
nistrations publiques modifient-ils les allocations de ressource entre les
générations17 ? » ; « Comment vont évoluer la qualification moyenne et
l’épargne productive si leurs niveaux sont corrélés à la distribution des
âges dans la population ? » ; « Les structures par âge importent-
elles 18 ? » ; « Comment les services publics devront-ils se transformer si
les besoins dépendent en partie de la structure par âge 19 ? » ; « Quel
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Le noyau théorique
Les MEGCGI reposent sur un cadre théorique qui allie accumulation
de richesses productives, démographie et comportements de cycle de
vie. Il s’agit d’une unification de l’approche appliquée du modèle de
cycle de vie développé par Ando et Modigliani (1957), et du fameux
modèle de croissance de Solow (1956). Les modèles à générations
imbriquées, dans leur forme théorique, ont été initiés par deux prix
Nobel : Allais en 1947 et Samuelson en 1958. Par la suite, Diamond
(1965) a introduit l’État via une politique d’endettement public. Les
premières versions appliquées et calculables remontent aux débuts des
sur la santé et sur les retraites. Inversement, l’apparition d’excédents fiscaux par rapport à ceux
attendus oriente actuellement les débats sur l’opportunité d’alimenter une caisse pour financer
la transition démographique, avec pour espoir de ne pas faire supporter l’essentiel du fardeau
à un nombre réduit de générations.
20. Cf. Fonteneau et alii, (1988).
21. Cf. Boadway et Wildasin (1989).
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Les ménages
Emise par Modigliani, l’hypothèse de cycle de vie est particulière-
ment adaptée à l’analyse des conséquences économiques du
vieillissement. Elle consiste à diviser la vie d’un individu en trois grandes
périodes. La jeunesse est la période au cours de laquelle l’individu est
économiquement dépendant de ses parents. Ensuite, pendant l’âge
adulte, l’individu travaille et perçoit des revenus, consomme (pour lui-
même et pour sa famille), épargne et accumule en vue du financement
de sa consommation pendant la retraite. L’inactivité constitue la troi-
sième période, au cours de laquelle l’individu est retraité. Son épargne
et sa pension financent sa consommation. L’hypothèse de cycle de vie
implique que l’individu rationnel cherche à lisser le profil de sa consom-
mation au cours de sa vie. Lorsque les individus ont des motifs
d’héritage (altruisme), les comportements de cycle de vie s’amenuisent
— la détention de capital en fin de vie n’est plus nulle — voire ils dispa-
raissent si les parents adoptent un comportement purement dynastique
— l’accumulation d’épargne ne vise plus à lisser le revenu sur une durée
de vie humaine mais sur celle de la dynastie dont l’espérance est
infinie 22 —. Le taux d’épargne national peut alors apparaître comme
peu dépendant de la démographie.
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Les entreprises
Le secteur de production est généralement supposé parfaitement
concurrentiel. La technologie combine deux facteurs : le travail et le
capital. Le capital productif est la propriété des épargnants. Les rende-
ments d’échelle sont constants. La croissance de la production provient
de l’accumulation du capital, de la croissance de la population active et
d’un gain de progrès technique exogène qui profite simultanément aux
productivités du travail et du capital. La concurrence sur les marchés
des facteurs aboutit à une rémunération de ces derniers à leur produc-
tivité marginale. Parce que les rendements d’échelle sont constants, les
productivités marginales sont rivales de la rareté relative des facteurs
respectifs, et le ratio capital-travail mesure la rareté relative des
facteurs de production. Plus ce dernier est élevé, plus les salaires sont
hauts et le rendement marginal du capital faible. Il en ressort que les
arbitrages consommation-épargne des générations actuelles, puisqu’ils
guident l’accumulation de patrimoine, et des mutations démogra-
phiques, puisqu’elles modifient l’intensité capitalistique, influencent la
richesse par tête des générations futures. La demande de capital est une
fonction décroissante du taux d’intérêt réel et croît avec la taille de la
population active.
L’État
L’État met en œuvre une politique fiscale et de transferts (Sécurité
sociale, système socio-fiscal étendu, dette publique) et de production de
services publics (infrastructure, réglementation 24). Le financement de
23. Dans le cadre d’un modèle stochastique, il s’agit de la distribution des prix d’équilibre.
Ce domaine de recherche est en plein développement (cf. Judd, 1998).
24. Dans les approches calculables, les caractères utile et productif des dépenses publiques
hors transferts n’apparaissent pas explicitement.
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Le reste du monde
Il peut s’agir d’un agent représentatif de l’économie mondiale ou
dans le cadre d’une analyse plus détaillée d’une introduction de
plusieurs régions du monde. Souvent négligée, cette extension se révèle
cruciale lorsqu’on sait que les évolutions démographiques et écono-
miques ont tout lieu de profondément différer d’une zone
géographique à l’autre (Asie, Europe, Amérique, Afrique, ...). Cela peut
signifier un bouleversement de la destination traditionnelle des mouve-
ments internationaux de capitaux. Les pays avec une population jeune à
faible capacité d’épargne pourraient capter le surplus de capital des pays
avec une population vieillissante et à forte capacité d’épargne.
L’équilibre économique pertinent n’est plus alors celui d’une économie
fermée mais celui de l’économie mondiale 25.
L’équilibre général
Il s’agit de l’équilibre général sur l’ensemble des marchés. Deux prix
ajustent les offres et les demandes. Le salaire réel équilibre le marché
du travail tandis que le taux d’intérêt réel équilibre le marché du capital.
Il s’agit d’un équilibre intertemporel : les prix d’équilibre présents
dépendent des prix d’équilibre passés et futurs.
25. On peut se reporter aux travaux de l’équipe INGENUE (cf. infra).
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Les modèles
L’état de l’art
Les modèles d’équilibre général calculable à générations imbriquées
ont été popularisés par Auerbach et Kotlikoff (1987), leurs initiales A-K
étant d’ailleurs souvent utilisées comme acronyme pour désigner les
MEGCGI (voir le survey de Kotlikoff 26, 1998). Les premières versions
remontent au tout début des années 1980. Summers (1981) et Seidman
(1983) ont présenté des premières versions calculables où le calcul des
trajectoires avait été réalisé sous l’hypothèse d’anticipations myopes.
Dans leur article de 1983, Auerbach et alii, ont proposé des simulations
compatibles avec l’hypothèse d’anticipations rationnelles 27. Par la suite,
suivant les modèles, certains aspects techniques ont varié. On trouve
notamment des différences selon que l’offre de travail est déterminée
ou non à l’issue d’un arbitrage entre la consommation et le loisir, selon
26. Il s’agit plutôt d’une autobiographie que d’un recensement exhaustif des modèles
existants.
27. Il peut exister plusieurs catégories d’anticipations : les agents anticipent rationnellement
(parfaitement) l’ensemble des variables (les prix présents et futurs, la démographie ainsi que la
législation) ; les agents anticipent imparfaitement (myopie) et de façon adaptative l’ensemble des
variables ; les agents ont des anticipations mixtes (anticipations adaptatives pour les prix et
rationnelles pour la législation).
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28. L’incertitude sur la durée de vie est une façon simple de modéliser la dynamique de la
population. Les taux de survie déterminent l’espérance de durée de vie et l’espérance de bien-
être de cycle de vie. En général, l’hypothèse jointe est celle de perfection du marché des rentes
viagères. Cela induit que la rémunération de l’épargne est viagère, c’est-à-dire que l’épargne de
chaque génération est partagée entre les survivants.
29. Pour la Suède, voir Person et Svensson (1987). Pour la Norvège, voir Steigum et
Steffensen (1990) ainsi que Raffelhüschen et Risa (1995). Pour l’Allemagne, voir Hirt et Weber
(1997). Pour le Canada, voir Fougère et Merette (1998). Pour le Danemark, voir Knudsen et
alii, (1999).
30. Il s’agit d’un article méthodologique qui développe différents modèles dynamiques avec
hétérogénéité d’agents et introduction de chocs macroéconomiques.
31. Cubeddu introduit une hétérogénéité assez large : le genre (homme/femme), l’origine
ethnique (blanc/non blanc) et le type d’éducation (secondaire ou non).
32. Hugget et Ventura cherchent à estimer l’incidence redistributive de la proposition de
réforme de Boskin (1986) qui préconise « de séparer [la] politique de retraite [américaine] —
[…] la Social Security, Medicare, et ses programmes reliés — en deux parties distinctes. L’une —
quelquefois appelée assurance ou viagère — fournira une assurance actuariellement équivalente
(i.e. des rendements identiques pour chaque dollar payé par tout le monde) pour l’incapacité,
les soins médicaux, les pensions de retraite et de survie. L’autre — quelquefois appelée la partie
transfert ou la partie welfare — garantira un revenu de retraite minimum adéquate pour tous
les citoyens ».
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et alii, 1992a et b) ont mis au point, au début des années 1990, les
premières versions de MEGCGI appliquées à la France. Le modèle
INGENUE (2001a, 2001b) a été réalisé par trois équipes issues du CEPII,
du CEPREMAP et de l’OFCE. Les deux premiers centres de recherche
sont des émanations du Commissariat général du Plan. Certaines de
leurs études ont été réalisées à la demande du Conseil d’analyse écono-
mique, institution rattachée au cabinet du Premier ministre, mais aussi du
Conseil national du crédit et des titres. La Banque mondiale a également
développé des modèles (Arrau, 1991 ; Arrau et Schmidt-Hebbel, 1993).
Les données
Sur quelles observations de l’économie réelle la modélisation
MEGCGI se fonde-t-elle ? Les informations proviennent d’études
descriptives sur des données microéconomiques (panels) et macroéco-
nomiques (comptabilité nationale). Le modèle est censé restituer les
comportements des agents et le système de prix observés pendant une
période de référence.
Les paramètres clés à estimer sont le taux d’escompte, l’élasticité de
substitution intertemporelle, l’élasticité de subsitution entre travail et
capital, la productivité globale des facteurs, le taux de croissance de la
productivité, les paramètres démographiques, les niveaux de pression
fiscale et de prestations sociales. Taux d’escompte et élasticité de
substitution permettent de profiler le taux de croissance de la consom-
mation par tête.
Les paramètres clés sont rarement observables dans la réalité. Sauf
étude économétrique adéquate, il faut donc souvent recourir à un
étalonnage (Schubert, 1993). Cela consiste à résoudre le modèle en
inversant le statut des variables : les valeurs des variables économiques
(en principe endogènes) sont fixées à leurs niveaux observés pendant
la période de référence, et les valeurs des paramètres sont laissées
libres. On cherche alors l’ajustement optimal des paramètres pour
reproduire la réalité. D’une manière générale, les données « tempo-
relles » qui figurent dans le modèle font référence à trois « dates » ou
périodes : la date initiale de simulation, la période de calibrage et le très
long terme.
La principale qualité empirique du MEGCGI est, en principe, de bien
reproduire les profils individuels sur le cycle de vie, mais seulement
dans la mesure où on est capable de les observer dans la réalité. Les
données indispensables concernent donc l’accumulation du capital par
âge, les profils de consommation et d’activité selon l’âge, les héritages,
la répartition de l’actif net de la nation, le stock de capital productif, le
partage de la valeur ajoutée entre salaire et rémunération du capital et,
bien évidemment, l’ensemble des composantes nécessaires à la projection
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La simulation
En quoi consiste la simulation ? Quelles sont les forces économiques
mises en jeu dans le calcul de l’équilibre économique ? Dans les versions
les plus simples, les ménages arbitrent entre consommations présente
ou future, et entre consommation ou loisir ; la rémunération des
facteurs de production dépend de la richesse par tête. Les équilibres
passés et futurs influencent l’équilibre présent. L’obtention de l’équi-
libre économique procède en une répétition de deux étapes : pour un
système de prix passés et futurs donnés, les comportements de
consommation, d’épargne et d’offre de travail sont déterminés ; compte
tenu des choix d’accumulation de capital et des évolutions démogra-
phiques, les anticipations de prix sont ensuite révisées. La procédure de
simulation s’arrête lorsque les anticipations sont parfaites, c’est-à-dire
lorsque les prix anticipés coïncident avec les prix effectifs. L’initialisation
du système de prix intertemporels suppose que la trajectoire équilibrée
à taux constant de l’ensemble des variables a été identifiée dans une
estimation préalable.
Plus précisément, l’équilibre de long terme est d’abord déterminé.
Ensuite, la trajectoire compatible avec le long terme et les conditions
initiales est recherchée : elle doit vérifier la propriété d’anticipations
rationnelles. Les deux méthodes courantes de simulation sont les algo-
rithmes de Gauss-Seidel et Gauss-Newton. Il s’agit, dans les deux cas,
de méthodes itératives, c’est-à-dire qui reproduisent une sorte de
tâtonnement walrasien intertemporel impliquant un double balayage
(résolution de l’équilibre temporaire à anticipations données, calcul des
anticipations rationnelles) 36 : une première chronique de prix anticipés
est proposée ; une première chronique d’équilibres temporaires est
alors calculée ; cette chronique d’équilibres temporaires est substituée
à la chronique d’anticipation ; une nouvelle chronique d’équilibres
temporaires est alors calculée. La substitution se répète jusqu’à obtenir
une « forte » coïncidence entre les anticipations et les valeurs d’équili-
bres calculés. La méthode de Gauss-Newton détermine les solutions
d’équilibre au moyen d’un développement linéaire censé accroître la
vitesse de convergence vers la solution. Il s’agit d’une méthode dite des
« tangentes » . Si l’équilibre macrodynamique se résume à l’équation
f(x,y) = 0 où x correspond aux variables endogènes et y aux exogènes,
on calcule x’ = x + fx/fy.f(x,y) où fx (resp. fy) est la dérivée de la fonction
f par rapport à x (resp. y), puis on substitut x par x’ jusqu’à convergence.
36. Dans un contexte stochastique, il faut calculer les solutions associées à chaque état de
la nature possible.
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37. Pour un modèle à durée de vie aléatoire, le nombre utile d’équations est approximati-
vement : (A + B – 1) x C, où A est le nombre de périodes de vie, B est le nombre de marchés
à équilibrer (3 en général : travail, bien et capital) et C est le nombre de périodes de simula-
tions.Ainsi, pour un modèle annuel avec 75 périodes de durée de vie dont l’horizon de simulation
est un siècle, le système à résoudre comprend environ 7 700 équations non-linéaires. Avec la
technologie actuelle, le temps de résolution d’un tel modèle est devenu très court.
38. Pour pallier cette difficulté, l’équipe INGENUE (2001b) fait appel à un programme (court)
écrit dans un langage particulier (PYTHON) qui permet d’engendrer facilement le programme
final (long) qui est écrit en TROLL.
39. Il s’agit d’une critique des méthodes de calibrage employées dans les cadres des modèles
de « Real Business Cycle ». Elle consiste en partie à dire qu’il n’y a pas de théorie statistique
des estimateurs utilisés.
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Les enseignements
Les enseignements sont de plusieurs ordres. On peut les regrouper
en trois catégories :
— Analyses positives : quels sont les impacts des politiques écono-
miques sur les taux d’activité, la croissance et le taux d’intérêt à long
terme ?
— Analyses normatives : on dispose d’une « métrique » naturelle de
la performance des politiques économiques. Cette métrique peut occa-
sionner l’estimation sous la forme d’équivalents monétaires des
bénéfices sociaux induits par une politique économique 41. Il est
possible d’identifier les gagnants et les perdants — catégories sociales
et générations — suite à des modifications de la politique économique
de référence et de bâtir des indicateurs agrégés de justice sociale.
— Analyse en terme d’économie politique : la comptabilisation du
nombre de gagnants et perdants vivant la même période permet de
construire un solde électoral. Si une réforme récolte l’unanimité des
votes au sein des générations présentes et futures, elle est Pareto-
améliorante. Si elle ne récolte pas une majorité de satisfaction au sein
des générations présentes, elle n’est pas politiquement tenable.
Trois types de scénarios sont en général analysés : les variantes
démographiques, les variantes sur les évolutions technologiques
(exogènes) et les variantes politiques, qui regroupent des variantes
institutionnelles et des variantes fiscales. Les variantes démographiques
visent à modifier la chronique du taux de croissance de la population
active en jouant sur les hypothèses de fécondité, d’immigration et de
mortalité (tendance à l’orthogonalisation des probabilités de survie,
recul de l’âge maximal de décès). Les variantes technologiques consis-
tent à explorer les conséquences de différentes hypothèses sur la
chronique de la productivité totale des facteurs, donc sur la croissance
économique. Parmi ces variantes, l’équipe INGENUE a introduit un
nouveau type, les variantes de convergences technologiques : dans la
mesure où le modèle s’intéresse à une économie mondiale, l’enjeu de
l’alignement des niveaux de productivité des différentes zones sur celle
du leader (les États-Unis) est de première importance pour expliquer l’al-
location internationale du capital productif. Enfin, au sein des variantes
politiques, les variantes institutionnelles concernent la modification des
paramètres caractérisant le système de Sécurité sociale — âge de la
retraite, taux de remplacement, taux de cotisation sociale, niveau des
prestations sociales, etc. — tandis que les variantes fiscales cherchent à
évaluer les effets des différents prélèvements obligatoires : impôts sur la
consommation, droits de successions (dans la mesure où des legs volon-
taires sont modélisés), impôt sur le revenu et sur le capital.
41. Kotlikoff (1995, cf. infra) estime ainsi que le coût de distorsion induit par une pression
fiscale inadéquate dépasse le montant de la dette implicite du système de retraite par répar-
tition américain.
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43. Ce résultat est conditionné par le caractère certain des taux de rendement de la capita-
lisation et de la répartition.
44. Le caractère distordant peut principalement provenir du caractère redistributif du
système de pension.
45. Cette réforme a été mise en place au Chili au début des années 1980.
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Enseignements annexes
Ces modèles fournissent un certain nombre d’informations suscep-
tibles d’aboutir à plusieurs formes de résultats annexes : la répartition
du budget national par génération, les taux de rendement interne par
générations des politiques sociales et la richesse nette de la Sécurité
sociale.
Comptabilité par génération et ratios d’équité fiscale : les ratios d’équité
fiscale sont calculés à l’aide d’une comptabilité par génération, qui vise
à répondre à une simple question : si l’État garantit le même traitement
fiscal (transferts et impôts) sur l’ensemble du cycle de vie à toutes les
générations vivantes aujourd’hui, quelle est la politique de taxation des
générations futures qui rend solvable les engagements pris aujourd’hui ?
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Conclusion
La principale raison d’utiliser des MEGCGI repose sur leurs capa-
cités à fournir des évaluations quantitatives des effets des politiques
économiques. Mais un MEGCGI reste avant tout un outil d’analyse
prospective et non de prévision 46. L’appel à « l’intelligence numérique »
et au calibrage permet de résoudre des problèmes économiques
conceptuels dans une dimension complexe, tout en préservant cohé-
rence, logique et ordres de grandeur. D’une certaine manière, le
raisonnement en termes de cycle de vie et de croissance économique
est mené jusqu’à son extrême.
46. Dans une certaine mesure, certains scénarios peuvent fournir des projections réalistes
de long terme.
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