Le Costume Historique - Tome 3
Le Costume Historique - Tome 3
Le Costume Historique - Tome 3
Le
COSTUME HISTORIQUE
Tome III
planches et notices
101 à 200
8 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 9
JAPON — Planche 101
Au Japon, comme en Chine, une femme bien élevée doit savoir lire et écrire
avec facilité ; la musique et le dessin font partie de l’éducation soignée. « Les
classes inférieures elles-mêmes, dit M. Dubois de Jancigny1, sont moins igno-
rantes que les classes correspondantes en Europe. » Les dames japonaises sont
élégantes, coquettes dans leur mise, distinguées dans leurs manières ; enfin, et
les voyageurs s’accordent tous sur ce point, ces femmes sont du caractère le plus
aimable. Elles jouissent d’une liberté beaucoup plus grande que celle accordée
à leur sexe dans les autres parties de l’Asie et, quoiqu’elles soient réellement
tenues en tutelle par leur famille, que la loi ne leur accorde aucun droit, qu’elles
ne soient même pas aptes à témoigner en justice, elles vont, viennent, se pro-
mènent en toute indépendance, avec cette démarche un peu gênée que certains
voyageurs ont cru devoir attribuer aux ceintures serrées sur les hanches, mais
qui est bien plus évidemment due à l’usage des patins de bois surhaussés sans
lesquels on ne s’aventure guère au dehors.
Les femmes se promènent en général la tête nue, armées de ces jolis parasols
en soie, en toile, en papier vernissé, dont l’armature en bambou finement dé-
bité est divisée enrayons plus ou moins nombreux, selon la portée. Ce parasol
presque plat, servant aussi de parapluie, d’un jeu simple et sûr, quoiqu’il n’y
entre aucun ressort métallique, est, avec l’éventail commun aux deux sexes et à
toutes les classes, le compagnon inséparable de toutes les sorties ; il a sa place
marquée à l’entrée de chaque maison où on le dépose avec les sandales.
Les robes superposées portées par les femmes sont de la même coupe que
celles des hommes. Elles sont semblables dans toutes les classes. Celles des
riches sont en soie, les autres sont de toile ou de calicot. Sur la grande robe traî-
nante en soie, on brode les armes de la famille, dans le dos et sur les manches,
comme on peut le voir aux nos 1 et 2.
1 Univers pittoresque, Paris, Didot.
10 Le costume historique — Tome III
La large ceinture des Japonaises est en soie et fait deux fois le tour du corps ;
la position du nœud de l’obi indique si celle qui le porte est mariée ou non. Les
filles ont ce nœud derrière le dos (voir n° 2).
Nous avons parlé de l’usage effréné que les femmes font des cosmétiques,
s’enduisant le visage de céruse, et se colorant les joues et les lèvres avec les
fleurs du carthame. Elles portent une sorte de sachet contenant des parfums
(moi-bukooroo), mais elles n’emploient pas de parfums liquides, l’usage des
mouchoirs de papier ne le permettant vraiment pas.
(Documents photographiques.)
12 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 13
JAPON — Planche 102
Nos 1, 2. — Bonzes allant par la ville. Ce sont les desservants des nombreux
monuments du culte ; sonner les cloches, battre la caisse, répéter des formules
de prières et mendier, telle est leur existence, et, quoiqu’ils soient d’une caste
tenant le milieu entre la noblesse et la bourgeoisie, ils jouissent de fort peu de
considération. L’oisiveté les a fait déchoir du rôle qu’ils jouèrent jadis dans les
arts, et particulièrement dans la sculpture et l’architecture, dont ils furent long-
temps les uniques représentants.
Les petits chapelets qu’ils tiennent dans leurs mains jointes ne sont qu’un
abrégé du grand chapelet bouddhiste, lequel a la taille d’un serpent boa de
moyenne dimension, et pour le défilé duquel on les fait venir au sein des fa-
milles, où ce défilé s’accomplit avec toutes sortes de contorsions.
Les Japonaises font un grand usage du fard : leur front, leurs joues, leur cou
sont couverts de couches épaisses de rouge et de blanc ; on met du carmin sur
les lèvres et il en est qui vont jusqu’à les dorer : au bout de quelques heures la
mince couche d’or prend la teinte du vermillon.
14 Le costume historique — Tome III
L’usage du bain étant au Japon beaucoup plus facile et plus fréquent que nulle
autre part, la propreté y est méticuleuse et parfaite. Les filles apportent à leur
toilette des soins compliqués que les femmes mariées abrègent plus volontiers :
la coutume voulant que celles-ci se rasent les sourcils et se noircissent les dents,
ces mutilées abdiquent, pour la plupart, toute coquetterie. La coiffure est un sa-
vant échafaudage dont les épingles sont souvent en écaille de grand prix. On se
badigeonne le cou, les épaules, la poitrine et les bras avec du lait d’amidon pour
blanchir la peau ; les sourcils sont foncés au crayon noir, enfin les lèvres sont
teintes. On endosse, sans chemise, les robes de dessous échancrées sur la gorge,
et l’on superpose sur le tout la robe ample, ouverte par devant, croisée sous
l’obi, large et longue ceinture de soie enroulée autour des reins et se terminant
par derrière en gigantesques nœuds.
La dame à l’éventail (n° 3) porte une robe ouatée des plus amples ; la fixité
de sa large ceinture est assurée par une seconde ceinture bouclée beaucoup plus
étroite que la première ; elle n’a d’autre chaussure que ses bas : c’est ainsi que
les Japonais circulent dans leur intérieur, sur les nattes de paille de riz soigneu-
sement tressées qui garnissent toutes les chambres.
La dame à l’enfant est montée sur ces patins de bois qu’on appelle guetta.
Jusqu’à l’âge de deux ans l’enfant ne quitte pas sa mère, qui le nourrit et le porte
continuellement ficelé sur le dos, avec une écharpe.
La voiture qui figure dans cette planche n’existe que depuis peu de temps ; on
l’appelle le jinrikisha et elle est en bois laqué. Le coolie qui traîne ce véhicule
va au petit trot et fait de quatre à cinq kilomètres à l’heure. La dame n’a pas
gardé ses chaussures et l’on peut voir qu’elles sont portées à côté d’elle par des
mains domestiques.
JAPON — Planche 103
est placée au centre, et chacun, accroupi autour, y puise pour remplir sa grande
tasse en porcelaine. Tout est posé à terre ; et le peu d’objets mobiliers, comme
les paravents dont on est entouré, devant être de maniement facile, sont si bas
que leurs proportions équivalent à celles de grands jouets. On dirait une réunion
d’enfants.
Les nattes sont toutes faites sur une mesure commune, qui est de six pieds
trois pouces de long, sur trois pieds deux pouces de large ; leur épaisseur est de
quatre pouces ; c’est un tressé très fin de paille de riz. La mesure de la natte sert
de base à toutes les constructions, quelles qu’elles soient. C’est un étalon vulgai-
rement employé pour désigner la dimension d’une pièce : telle chambre, comme
la salle d’audience où fut reçue la mission hollandaise, en 1826, à laquelle était
adjoint le docteur Siebold, porte le nom de salle aux cents nattes ; telle autre,
comme la pièce où étaient étalés sur des tables les présents destinés à S. M. im-
périale, est la salle aux mille nattes. Les constructions, mesurées sur cet étalon,
sont généralement régulières ; leurs parois extérieures, maçonnées légèrement,
sont les seules fixes ; les divisions intérieures se font avec des cloisons mobiles,
en châssis, ayant pied par l’assise portant sur les nattes, ou ayant le pied, sans
épaisseur, fixé au plancher par une goupille. Les nattes sont confectionnées de
manière à ne laisser aucune solution de continuité. On déménage souvent, car la
propreté de ces nattes exige qu’elles soient fréquemment relevées. C’est l’occa-
sion d’essayer de nouvelles subdivisions, un aménagement nouveau ; on en pro-
fite volontiers, puisque tout est dérangé et que le changement se fait sans peine.
On ne foule les nattes intérieures qu’avec des pieds dépouillés de la chaussure
de ville.
Il est fréquent de voir un Japonais, installé sur sa natte, prenant le repos en
plein air. Jusqu’aux matelots, chacun a sa natte portative. Ce fut un des étonne-
ments de l’équipage d’un vaisseau hollandais qui, en 1823, recueillit quelques
malheureux Japonais en détresse, n’ayant eu que le temps d’emporter quelques
effets et provisions de leur bâtiment qui coulait bas, de les voir, après la pre-
mière émotion, accroupis sur les nattes qu’ils avaient étendues sur le pont du
navire européen, pour y procéder à leur toilette. Chacun ouvrit son petit coffre ;
se lava, se rasa la barbe, ainsi que le toupet, offert en sacrifice à quelque divinité
tutélaire, et prit des vêtements frais. (Siebold.)
Dans les véhicules de luxe, dont la forme générale est intermédiaire entre
celle des palanquins de l’Inde et celle des chaises de transport chinoises, l’at-
titude est encore à peu près la même que l’accroupissement sur la natte. Les
grands norimons, qui ont la proportion d’un petit appartement portatif, sont as-
sez grands pour qu’on puisse s’y coucher ; mais dans les kagos, carrosses plus
Le costume historique — Tome III 19
nique et religieux, procède aux derniers apprêts par l’application des fards et
des cosmétiques, agenouillée devant le miroir à chevalet ; miroir toujours en
forme de disque, rappelant le soleil. L’écart du vêtement, l’absence de chemise,
permettent de mesurer au juste la dépression de la poitrine, qui est chez les
Japonaises une marque de race ; l’exemple n° 3 complète ce genre d’étude, en
révélant, sous un autre aspect, que les Japonaises usent, sous leurs vêtements,
d’une garniture intime. — Chaque dame a son nécessaire de toilette, sur le-
quel le miroir à court chevalet est souvent monté. Ce nécessaire contient des
boîtes variant de forme, de dimension, d’ornementation, selon leur usage, pour
les brosses, la poudre à dents, les fards, la poudre de riz, les cosmétiques ; le
tout est de bois laqué. — La bouilloire, le plateau du thé, sont toujours là ; la
consommation en est constante, et l’on sait si peu s’en passer, que les porteurs
de palanquins font le thé en marchant. C’est d’ailleurs l’habitude de boire chaud
en toute saison, et d’y prendre également des bains de température élevée. À
ce propos, il est à remarquer que les femmes en prenant leur bain, debout ou
accroupies, trempées jusqu’à l’épaule ou à la ceinture, évitent de se mouiller la
tête. — Le massage est très largement pratiqué ; il est accompli par des hommes,
mais par des aveugles. On les appelle de la rue, où leur passage est signalé par
le son plaintif et prolongé qu’ils tirent d’un roseau taillé en sifflet. Ces hommes,
qui s’en vont, tenant dans leur main droite le bâton de l’aveugle, suivant avec
précaution le trottoir, ont la tête rasée, une robe d’étoffe unie, grise ou bleue. Ils
sont tous membres d’une confrérie, d’une association, où les gains recueillis de
ville en ville sont mis en commun et partagés. Les sociétaires vieillis ont leur
subsistance assurée par ceux qui font le service actif. L’origine de cette corpo-
ration est, dit-on, d’un caractère chevaleresque, religieux.
Les jeunes filles de la bourgeoisie rehaussent la blancheur de leurs dents par
l’opposition du carmin dont elles colorent leurs lèvres ; leurs épingles en écaille
jaune ou en métal, leur large ceinture aux brillantes couleurs, les étoffes claires
qu’elles portent souvent, les distinguent de la femme mariée, reconnaissable à
la sévérité de sa toilette, à l’absence d’ornement dans les cheveux, de fard sur
le visage, à ses dents teintes en noir d’ébène, considérées comme une réminis-
cence de ce qui se fait en Malaisie, où tout le monde a les dents plus ou moins
noires, par l’effet du bétel ; la femme en puissance de mari se reconnaît encore
à ses sourcils arrachés, que certains assurent ne l’être qu’après la première ma-
ternité. Les dames de la cour s’épilent aussi les sourcils ; elles les remplacent
par deux faux sourcils, faisant tache, peints à trois ou quatre doigts au-dessus
de l’œil. On pense qu’elles essayent par ce moyen d’améliorer, en l’allongeant,
l’ovale de leur figure, sa pommette saillante laissant à désirer. Leurs maris usent
Le costume historique — Tome III 21
aussi du même subterfuge, et les sourcils de l’homme n° 4 sont peints à contre-
sens et surhaussés, un peu moins haut que ceux de la dame n° 5, peu apparents
sous le crêpe. Cette femme, appartenant à la noblesse, ramène sur sa poitrine
un vêtement dont elle se drape, qui ne paraît autre qu’un manteau ; cet ample
vêtement, qui cache peut-être le poignard, porté à la ceinture par les femmes
de condition, est sans doute de la famille de ces habits longs dont les dames de
haute qualité ont seules le privilège. Ces longs vêtements exigent un nombre
incroyable de mètres d’étoffes, servant aux femmes, dit M. Humbert, à mesurer
leur bonheur, puisqu’elles semblent le mettre tout entier dans l’exagération de
cet accoutrement. La toilette des femmes riches offre d’ailleurs des preuves
d’un goût exquis ; sous le rapport de la couleur et des sujets brodés, l’habit est
toujours en harmonie avec les fleurs et les diverses productions de la saison ; on
peut se faire une idée de la charmante variété qui doit résulter de ce goût délicat
dans un pays d’artistes où la moitié des noms des mois a un sens descriptif :
le mois bourgeonnant, le mois fleurissant, le mois transplantant, le mois des
lettres, parce que dans son cours on adresse sur des feuilles de papier des odes
aux étoiles, le mois des feuilles, lorsqu’elles commencent à tomber, le mois
de la gelée blanche, etc. L’aristocratie estime que le blanc mat est le teint de la
distinction.
Les vêtements, soit d’hommes, soit de femmes, s’attachent simplement avec
des cordons de soie. On n’use pas des boutons. Le geste de la pudeur, parmi
les femmes, est de se voiler la face avec les larges manches du kirimon. Au-
jourd’hui qu’on la voit d’assez près pour rapporter du Japon des photographies,
on se rend facilement compte de la véritable physionomie de la Japonaise ; la
mobilité d’expression, la variété, résultat d’un développement intellectuel plus
spontané, plus original, plus libre que chez les autres peuples de l’Asie, rendent
particulièrement intéressante cette figure humaine qui paraît plus vivante que
tant d’autres et dont l’originalité charme tous les voyageurs. On remarque à
Yèdo même, où le voisinage européen a fait naître une politique ombrageuse
qui condamne les femmes à la captivité, que celles mêmes qui ont à souffrir
de cette politique, conservent un air de quiétude et d’imperturbable gaieté qui,
dit M. de Moges (Voyage en Chine et au Japon, 1857-1858), paraît inhérent
au caractère japonais. En somme, malgré toutes les précautions prises par les
indigènes, on connaît aujourd’hui les femmes japonaises avec beaucoup plus
de précision qu’on n’en pouvait espérer il y a quelque soixante ans ; lorsque,
comme Fisscher le raconte, il ne lui fut donné de les entrevoir, dans une récep-
tion officielle, que blotties, avec leurs enfants, derrière des paravents, qu’elles
perçaient de leurs doigts pour apercevoir les étrangers.
22 Le costume historique — Tome III
Notre n° 1 représente une femme du peuple ; elle est au lavoir, et porte un tablier.
Tous les fonctionnaires publics, les officiers supérieurs et inférieurs, portent
du même côté deux sabres dont les lames se croisent. L’un est leur arme par-
ticulière, l’autre leur sabre d’office ; ce dernier est le plus long des deux. Pour
s’asseoir, on quitte le sabre d’office, on le place devant soi ou à côté. La trempe
de ces sabres est sans rivale ; dans les vieilles familles, où ils se transmettent,
chacun de ces glaives a son histoire, dont l’éclat se mesure au sang versé. C’est
dans leurs armes que les nobles japonais, amis en général de la simplicité, font
voir le plus de luxe et mettent le plus d’orgueil. Notre n° 4 montre un Japonais
de haut rang portant les deux sabres, l’un à la main, l’autre à la ceinture ; il est
en outre affublé du surtout de gaze de soie, s’étalant sur les épaules sous la
forme de deux ailerons fortement empesés, qui est propre aux fonctionnaires
du Taï-Koun. L’unique épingle que l’on voit à la coiffure de sa femme, est une
flèche empennée, ces épingles ayant souvent ainsi une figure emblématique ;
mais, malgré le rang de ce couple, on peut constater chez lui, de même que chez
tous les autres personnages, une absence complète de bijoux, tels que pendants
d’oreilles, colliers, bracelets. À peine aperçoit-on quelquefois une bague très
simple. Quoiqu’au Japon on possède la serpentine, la malachite, l’améthyste, la
topaze, et quoique la finesse de la métallurgie y soit des plus remarquables, on
n’y voit à proprement parler ni orfèvres ni joailliers.
Le groupe formé par les nos 6, 7 et 8 représente un orchestre féminin. Ces
orchestres se composent généralement d’une ou deux guitares, d’une sorte de
violoncelle, kokiou ou biwâ, selon qu’on l’emploie avec ou sans archet, et du
gottô, grande harpe ou luth que l’on couche sur le sol ; cette harpe est une caisse
sonore sur laquelle neuf cordes sont tendues ; pour en jouer, on adapte aux trois
premiers doigts de la main droite des ongles en os ou en ivoire. Entre tous les
instruments, y compris ceux à vent et à percussion, c’est le samsin, la guitare
à trois cordes, qui est le plus répandu et le plus estimé. C’est accompagnées de
semblables orchestres que les chanteuses, qui elles-mêmes ne touchent en géné-
ral à aucun instrument, et dont les plus distinguées ne s’aventurent point seules,
s’installent fréquemment en plein air, sous quelque véranda, ou dans l’enca-
drement de quelque construction légère en bambou, ornée d’une guirlande de
lanternes en papier de couleur. Ces chanteuses sont souvent les improvisatrices
de leurs chansons.
(Les figures sont reproduites d’après des photographies faites sur nature. — Pour le texte,
voir Fisscher, Siebold, Klaproth, Dubois de Jancigny, dans l’Univers pittoresque, Didot) ;
M. Humbert, dans le Tour du monde.)
24 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 25
JAPON — Planche 104
LE JAPONAIS EN FAMILLE.
C’est au Japon, par M. Aimé Humbert, paru dans le Tour du monde, en 187,
que nous devons ces documents originaux.
28 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 29
Documents photographiques.
Voir, pour le texte : M. Aimé Humbert, le Japon ;et M. Élisée Reclus, Géographie universelle.
32 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 33
JAPON — Planche 106
dépendent de la qualité du propriétaire ; il est fait de quatre ais d’un bois mince,
proprement joints, courbés en arc ; il est laqué et orné. Le nombre des porteurs
du norimon, la manière même dont il est supporté sont également des indices
de la qualité : un norimon un peu important exige quatre hommes, et on y en
emploie dans certains cas jusqu’à douze à la fois. Quand c’est un prince du sang
ou le seigneur d’une province qui occupe le carrosse, les hommes d’équipe sup-
portent le bâton avec la paume de leur main ; pour ceux d’une qualité moindre,
on le porte sur l’épaule. L’équipe est toujours double pour se renouveler sans
interruption. Les porteurs chantent en marchant, ce qui leur sert à soutenir le pas
en mesure. Les Japonais quand ils ne voyagent pas en cérémonie, mais en poste,
trouvent à chaque étape, des relais de porteurs tout prêts. Ces hommes, qui ont
quelquefois jusqu’à dix-sept heures de marche à fournir sur vingt-quatre, sont
tous dans l’usage de relever leur vêtement jusqu’à la ceinture, et comme ils
n’ont pas d’autre vêtement de dessous que cette ceinture étroite dont le devant
est simplement relié à l’arrière par un bandeau passant entre les jambes, tout le
bas de leur corps se trouve exposé à l’air à peu près intégralement. Ces coolies
agiles offrent un spectacle singulièrement étrange, celui d’une danse bouffonne
que l’on exécute en marchant à l’approche d’un bourg ou à la rencontre d’un
cortège d’un autre seigneur. Si l’on porte un prince, cette danse, à laquelle prend
part toute la valetaille, et qui consiste pour celle-ci à jeter un pied en arrière et
à le relever jusqu’au dos à chaque pas accompli, en étendant les bras en avant
comme s’il s’agissait de nager, tout en agitant les piques, les chapeaux, les para-
sols, enfin tout ce qu’on a en main, est plus curieuse à voir du côté des porteurs ;
ces derniers retroussent leurs larges manches jusqu’aux épaules, puis de leurs
bras nus, le bâton du norimon portant sur la paume de leur main, ils l’élèvent
au-dessus de leurs têtes. Pendant qu’ils le soutiennent ainsi, ils étendent hori-
zontalement l’autre bras dont la main est rigide, horizontale aussi, et se mettent
à marcher à pas comptés, avec des genoux raidis, affectant une circonspection,
une crainte, dont tout le monde se réjouit. Le peuple japonais aime à rire ; ce
pays est un des plus gais de la terre.
Bien que le norimon soit, par excellence, le véhicule de la noblesse, il n’ad-
met pas d’ornements de luxe. Celui que nous représentons est un type élégant,
appartenant à un Japonais d’un ordre élevé. Il n’est pas en tenue de cérémonie
et il a six porteurs ; car les deux hommes, accroupis au-devant de la scène, ne
sont pas des coolies, ce sont des domestiques ayant droit de porter l’épée, et
qui accompagneront le norimon en marche en se tenant à la portière, de chaque
côté. L’un d’eux tient en main le sabre de grande taille appartenant à son sei-
gneur qui n’en a conservé qu’un pour la commodité. L’attitude des porteurs doit
Le costume historique — Tome III 35
être remarquée ; ce qu’ils exécutent là c’est le véritable salut japonais non pas
seulement imposé aux gens de vile condition, mais exigé par l’étiquette entre
les citoyens d’égale condition. Dans une visite du matin, celui qui reçoit ainsi
que celui qui arrive s’accroupissent ainsi vis-à-vis l’un de l’autre, leurs mains
touchent la terre, et ils baissent simultanément leur tête en l’approchant, autant
que possible, de leurs genoux.
Parmi les nombreuses caisses contenant le linge, les vêtements, des acces-
soires de toutes sortes, dont un riche voyageur se fait toujours accompagner,
on trouve une cantine renfermant le service à thé. Ces colis sont portés à dos
de cheval et souvent sur l’épaule des gens de l’escorte. On fait fréquemment
le thé sans s’arrêter, et l’on déjeune en marche ; mais il y a encore là matière à
privilège. Ce ne sont que certains grands seigneurs, de ceux qui voyagent dans
les plus grands et les plus élégants norimons, qui peuvent ajouter à ce premier
avantage celui de se faire accompagner d’un chabinto ou service de thé complet.
Cette cantine portative se compose de deux de ces coffrets si joliment laqués
que les Japonais se plaisent à diviser en un grand nombre de compartiments ou
de tiroirs. Comme on le voit, lorsque l’on s’arrête en route, on pose la cantine
sur un chevalet en X.
Les bateaux sont variés d’aspect, selon leur usage comme partout, mais plus
qu’en beaucoup d’autres pays à cause de l’inégalité des fonds ; malgré l’habi-
leté incontestable des ingénieurs indigènes, on ne peut pas toujours établir des
ponts sur des points où ils seraient nécessaires : c’est un cas qui se présente sur
le Tokaïdo, entre autres ; là, faute de pont on a construit des bateaux si plats et
conséquemment si lents, que la plupart de ceux qui ont à passer le font à gué.
Il est vrai que c’est en chaise ou sur le dos de porteurs spéciaux que cela s’ef-
fectue. Ces porteurs qui se succèdent de père en fils, et forment une corporation
sont succinctement habillés ; ils ont un mouchoir noué sur le cou et une ceinture
autour des hanches, un tatouage remplace le reste ; c’est un usage généralement
répandu parmi les coolies des grandes cités japonaises. Le voyageur se met à
cheval sur la nuque du porteur qui lui tient les jambes et marche à pas lents,
fermes et mesurés ; les femmes sont menées de même et sans la moindre dif-
ficulté ; il paraît même que c’est un spectacle charmant que de voir la monture
et sa pratique cheminer de cette façon, en fumant l’un et l’autre leur pipe, et
causant du temps, de la hauteur des eaux, etc. Les navires destinés à la naviga-
tion des fleuves ont en général un mât composé de plusieurs pièces et portant
une seule et grande voile en toile de coton ; celle des petites embarcations est
en nattes. Ces barques ont une poupe ouverte et un avant qui se termine en pou-
laine. Tous ces petits bateaux, construits avec moins de soin que les bâtiments
36 Le costume historique — Tome III
de mer, n’en ont pas l’élégance et sont moins bien entretenus, en exceptant tou-
tefois ceux qui sont destinés à des parties de plaisir.
Les porte-faix qui se mettent à deux et portent leur charge suspendue à une
traverse allant de l’épaule de l’un à celle de l’autre se servent d’un expédient qui
remonte à une bien haute antiquité. C’était une pratique habituelle aux Égyp-
tiens et longtemps conservée par les Grecs et les Romains ; les prêtres saliens
n’en usaient pas autrement pour porter les boucliers sacrés, et les deux anses de
l’amphore étaient surtout faites pour cet usage.
En été, les paysans, les pêcheurs, les artisans, les coolies, vaquent à leurs
travaux dans un état de nudité presque complète, et leurs femmes ne gardent
qu’une jupe autour de la ceinture. En temps de pluie, ils se couvrent de man-
teaux de paille ou de papier huilé, et de chapeaux d’écorce de bambou, ayant
comme à Java la forme de boucliers.
Documents photographiques.
Voir pour le texte : Le Japon illustré, par M. Aimé Humbert, Tour du monde, Pékin, Yédo,
San Francisco, par M. le marquis de Beauvoir, 1872 ; le Japon, par M. de Jancigny, Univers
pittoresque.)
38 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 39
des tuyaux coupés en sifflets, les épingles ser- contenant des médicaments. Les deux objets
vant à la prise de l’opium et au nettoyage. Le sont suspendus au bout d’un fort cordon de
récipient et les fourreaux sont garnis avec de la soie, dont l’autre extrémité est garnie d’une
peau de requin préparée ; le métal est à reflets ou deux breloques qui retiennent le cordon et
amortis, dans le genre de l’exemple qui pré- l’empêchent de glisser lorsqu’on le passe à la
cède. Les cordons et les glands sont en soie. ceinture. Ces breloques sont souvent des fi-
Nos 10 et 11. gurines d’animaux tels que le tigre, le buffle,
Pipes du Cambodge ; longueur : 48 à 49 centi- l’ours, le singe, la souris.
mètres. — Ces jolies pipes à tournure fine N° 3.
et capricieuse, à petite embouchure, sont en Pipe japonaise ; longueur : 27 centimètres. — Le
bois ; les deux extrémités sont en cuivre, ainsi tuyau est en bois laqué ; les deux extrémités
que la souris qui court sur l’un des tuyaux. sont en métal blanc, le fourneau en métal noir.
N° 14. N° 8.
Coupe en laque en usage dans le royaume d’An- Pipe d’un genre commun & la Chine et au Japon ;
nam pour offrir le tabac. Diamètre : 8 cent. longueur : 27 cent. — Son tuyau est en bois,
N° 13. les extrémités en métal enrichi de crustacés en
Briquet portatif du Tibet, dont le fer est en acier relief.
ciselé, et dont la poche de cuir décorée avec du N° 12.
métal contient la pierre à feu et la mèche. Sa Poche à tabac ou blague japonaise en forme d’es-
largeur est de 5 centimètres. carcelle ; largeur : 12 centimètres. — Elle est
Nos 4 et 5. en cuir peint et le dessus est retenu par une fer-
Nécessaire de pipe japonais ; hauteur : 25 centi- meture métallique.
mètres. — Ce fourreau en deux parties est en N° 17.
bois, décoré d’un fond empierré. La blague à Pipe japonaise en porcelaine. — Avec son cha-
tabac, ayant ici la forme d’un oiseau, est sus- lumeau, cette pipe a une hauteur totale de
pendue par une double chaînette métallique ; 98 centimètres. La porcelaine est montée en
quant à, la pipe renfermée dans ce nécessaire, cuivre et pourvue d’une anse retombante, évo-
elle est représentée à côté, n° 5. Le tuyau est luant comme celle d’un seau, qui sert à porter
en bois, le fourneau et l’embouchure en métal. le récipient sans se brûler les doigts.
Ce nécessaire ne comporte pas de bri- Le tabacco-bon, le meuble où l’on dispose le
quet, les fumeurs japonais n’en faisant point charbon, le râtelier de pipes et les provisions
usage. Dans chaque maison on entretient jour du fumeur est de tous les repas et se sert avec
et nuit un brasier dont tout le monde se sert. la bouilloire de thé dans toutes les visites
Au-dehors, les gens allument leur pipe à celle qui se font au Japon. Jamais dans ces visites
des fumeurs qu’ils rencontrent, ou à la mèche et pendant les longues causeries des femmes
allumée du colporteur de tabac. entre elles, on ne les voit s’occuper à quelque
Les Japonais, hommes et femmes, travail d’aiguille. Fumer leur tabac haché très
portent tous leur pipe (dans un étui) et leur fin dans leurs très petites pipes de métal, voilà
blague à tabac, en même temps qu’une boîte leur plus agréable passe-temps.
Ces documents font partie de l’intéressante collection de pipes de tous les pays formée par
M. le Bon de Watteville, et mise à notre disposition avec une aimable libéralité.
(Voir pour le texte : Pékin et le nord de la Chine, par M. T. Choutzé ; Voyage en Chine et
au Japon, par MM. de Moges et de Trévise ; Le Japon illustré, par M. A. Humbert, Tour du
monde, Hachette, éditeurs ; le Japon et l’Indo-Chine, Univers pittoresque, Didot ; Mémoires
sur la Chine, par le comte d’Escayrac de Lauture.)
42 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 43
ASIE — Planche 108
LAOS.
N° 1. N° 8.
Laotien interprète. Laotienne de Bankok, capitale du royaume de Siam.
Madras en coton ; veste de soie rouge à brode- Cheveux noués en torchon derrière la tête ; pièce
ries d’or ; langouti de soie noué sur le côté. La d’étoffe couvrant la poitrine ; jupe ouverte
soie est réservée aux gens d’un certain rang ; dont la partie supérieure est d’étoffe jaune ;
quant aux chaussures, elles sont presque hors langouti rayé, serré à la ceinture et tombant
d’usage ou ne consistent simplement qu’en un peu au-dessous du genou ; panier en écorce
sandales de cuir de buffle attachées avec des tressée. Toutes les femmes portent au bras des
cordons de même matière. L’accessoire obligé cercles d’or, d’argent ou de cuivre. Les plus
du costume, c’est une énorme cigarette roulée pauvres se contentent de cordons de coton ou
dans un fragment séché de feuille de bananier ; de soie auxquels sont suspendues, surtout chez
on la porte souvent sur l’oreille, comme fait un les enfants, de petites amulettes ; les pendants
scribe avec sa plume. d’oreilles sont aussi d’un usage assez répandu.
SIAM OU THAI.
Ce royaume, l’un des plus riches de l’extrême Orient, appelé par les indi-
gènes Sajam (race brune) ou Thai (hommes libres), est entouré par la Birmanie,
l’Annam et le Cambodge.
La population n’y est pas homogène, à beaucoup près ; elle se compose de
Chinois, de Malais, de Cambodgiens, etc. ; les Siamois comptent à peine pour
deux millions sur six millions d’habitants. Ils appartiennent à une ramification
de la race jaune, celle des Indo-Chinois.
Les Siamois ont tous la tête complètement rasée, à l’exception du sommet
où ils laissent croître une espèce de petit toupet ; cet usage existe aussi chez les
femmes qui ne conservent que deux mèches de cheveux longeant les tempes
(voir les nos 5 et 9). La tête des enfants est rasée dès le bas âge ; lorsqu’ils ont
trois ou quatre ans, on commence à leur laisser pousser un toupet rond, le-
quel, bien peigné, artistement noué et retenu par une belle épingle en or ou en
argent, que les pauvres remplacent par une épingle de porc-épic, n’est coupé
que lorsque les enfants atteignent douze ou treize ans. Cela donne lieu à une cé-
rémonie de famille nommée la tonte du toupet, une des phases de la vie sociale
équivalant, pour le Siamois adolescent, à la prise de la robe virile chez les Ro-
mains ou à la première communion chez les nations chrétiennes. La tête devient
donc comme une chose sacrée, au point que personne, même les esclaves, n’y
pourrait supporter le contact d’une main quelconque ; enfin les Siamois portent
si loin le respect du chef, que le séjour dans une maison dont l’étage supérieur
serait habité leur deviendrait odieux.
La femme est honorée et jouit d’une grande liberté. Le roi n’en possède pas
moins de six cents ; mais, dans le nombre, une seule a droit au titre de reine.
Le costume historique — Tome III 45
Comme toutes les populations serviles, celle de Siam donne une bonne part
de son existence aux jeux et autres divertissements. Parmi ceux qu’on lui jette
en pâture, la comédie en plein vent est le plus de son goût. Le théâtre ne consiste
guère qu’en une sorte de tréteau sur lequel des acteurs et des actrices au corps
frotté de poudre blanche, aux vêtements excentriques, aux bijoux de clinquant,
chantent et crient, à tour de rôle ou en chœur, des histoires et des scénarios fan-
tastiques en s’accompagnant d’une pantomime exagérée.
Le roi et chaque grand personnage entretiennent une troupe d’acteurs dont le
talent ne dépasse guère celui déployé par ceux qui amusent le peuple.
CORÉE OU TCHAOSIAN.
La Corée est connue des étrangers sous un nom que n’emploient plus depuis
longtemps les indigènes. Cette appellation, appartenant jadis à la petite princi-
pauté de Korié, l’un des États qui se partageaient le territoire, a été appliquée à
l’île entière par les Chinois et les Japonais.
Mais, au quatorzième siècle, lors de la réunion des États de la péninsule en
un seul royaume, ce pays, qui se trouvait sous la suzeraineté de l’empereur de
Chine, prit le nom officiel de Tchaosian ou sérénité du matin, à cause de sa po-
sition géographique à l’orient de l’empire.
L’influence de la Chine est prépondérante dans la civilisation de la Corée ;
l’administration, les pratiques du monde officiel sont chinoises ; mais le peuple
a gardé ses coutumes et offre même de frappants contrastes avec celui de l’em-
pire du Milieu.
N° 6. avec petit sac contenant tous les accessoires du
Mandarin coréen. fumeur.
N° 7.
Chapeau de paille en fils de bambou, retenu par Officier coréen en costume de pluie.
une espèce de chapelet en boules résineuses ;
Coiffure de papier huilé sur un chapeau de feutre.
chemise de toile à larges manches ; justaucorps Quand il fait beau, on replie ce cône de pa-
sur une jupe unie ; large pantalon serré à la pier pour le remettre dans une poche. Robe
cheville ; bottes à entonnoir et à pointes rele- de toile ; justaucorps rouge ; large pantalon ;
vées ; grand sabre à longue poignée ; ceinture sabre à longue poignée ; chaussures de cuir.
Voir, pour le texte : Pallegoix (Mgr), Description du royaume de Thai ou Siam, Paris,1854.
— H. Mouhot, Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos, etc., 1863.
— M. A. Gréhan, le Royaume de Siam, 1870. — M. Zuber, Une Expédition en Corée (Tour du
monde,1873). — M. Élisée Reclus, Géographie universelle. — M. C. Bock, le Tatouage au
Laos (Revue ethnographique,mai-juin 1884).
48 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 49
Nos 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8.
Empire d’Annam.
Nos 9, 12 et 13.
Inde.
N 10, 14, 16 et 17.
os
Perse.
N 11 et 15.
os
Java.
INDE. JAVA.
N° 9. N° 11.
Gourgoury-houkka, pipe à eau de la famille du ka- Pipe à opium garnie de jonc tressé.
lioum. (Voir, au sujet des pipes d’eau, comme Longueur : 0,68 m.
le houkka, le kaléan, le narguilé, etc., la notice
de la planche 144, Asie.) Dans cette pipe de Java, le fourneau est intérieur
Garniture de cuivre ; vase en terre cuite ; et sa place n’est indiquée que par une étroite
marpitch, tuyau flexible en cuir. ouverture ; c’est le rudiment d’un genre de ca-
ractère tout rustique. (Voir la manière de fumer
N° 12 et 13. l’opium dans la planche 107, Asie.)
Pipes ordinaires en bois grossièrement taillé.
Longueur : 0,1 m. N° 15.
Étui à pipe en bois sculpté, incrusté de nacre.
PERSE. Hauteur : 0,55 m.
INDE — Planche 110
LES RAJPOUTES.
Au XVIIe siècle, il y avait encore plus de cent Rajahs conservant leur indépen-
dance, pouvant chacun mettre en campagne plus de vingt-cinq mille chevaux.
Les Rajpoutes, guerriers de père en fils, étaient toujours prêts à paraître à cheval
au premier appel. Aureng-Zeb, dont les troupes n’étaient pas toutes d’une qualité
égale, dut, pour les affaiblir, les opposer fréquemment les uns aux autres.
Les documents que nous publions appartiennent à cette époque ; ils sont ti-
rés d’une suite de portraits, de main indienne ou parsi, des derniers chefs du
royaume de Télingana, dont Golconde était la capitale. (Golconde, détruite par
les Mogols, est située à quatre kilomètres d’Haiderabad qui la remplace au-
jourd’hui et est le séjour du Nizam.) Les Indous ayant conservé leurs lois et
leurs coutumes plus qu’aucun autre peuple, il est à croire que le costume des
Rajpoutes du XVIIe siècle ne devait guère s’éloigner de celui de leurs ancêtres
les plus lointains ; il est certain que, tel qu’il se voit ici, il était en usage lors de
la conquête de Tamerlan.
d’or, entouré d’un rang de perles avec une émeraude, enserre la coiffure et la
fixe. Au sommet du turban, un bijou d’or, figurant un soleil et orné d’un gros
rubis, sert à attacher une aigrette de plumes souples, infléchies en arrière sous le
poids de deux diamants. Un cordon de perles et pierres fines, partant de la mon-
ture de l’aigrette, descend de chaque côté du turban en forme de collier, posant
sur le front, en avant de l’étoffe. Cette riche coiffure de fine soie est de forme
typique ; l’oreille, sans ornement, n’en est pas couverte. Djihan-Khan porte
toute sa barbe et ses moustaches, ainsi que ses deux contemporains. Le gilet ou
veste à manches dont il est vêtu clôt entièrement la partie supérieure du corps ;
il couvre la nuque, se croise et se double sur la poitrine ; il est juste au poignet
et serré par une ceinture ; c’est le gilet breton, et le rapprochement s’explique
lorsqu’on songe aux brusques changements que subit la température de l’Inde,
quand la mousson, particulière à ces contrées, élève ses terribles tempêtes sur
la mer des Indes et vient souffler sur toute la péninsule ; sensibles surtout sur
les côtes du Malabar et de Coromandel, les inconvénients de la mousson se font
sentir jusque sur les plateaux de Mysore et de Haiderabad. Les riches s’enve-
loppent donc soigneusement. Le large pantalon de soie, terminé étroitement,
descend jusqu’à la cheville (parfois c’est même un pantalon de pied, couvrant
entièrement celui-ci) ; la pantoufle de velours, en pointe allongée et relevée,
sans quartier, couvre presque entièrement le pied, le talon nu restant à décou-
vert, ce qui facilite l’usage de les quitter et de les reprendre, comme on le fait
fréquemment ; on les garde en effet, rarement chez soi. Notre homme est revêtu
d’une robe ample, assez longue pour être majestueuse sans entraver la marche
que contribue aussi à la faciliter le volume du pantalon à sa partie supérieure,
assurant le développement oblique des plis de la jupe. Cette robe transparente
est de cette espèce de mousseline pour laquelle les voyageurs ont montré tant
d’admiration. On lit dans les Lettres édifiantes : « Tout le monde a ouï parler
de pièces de mousseline de dix aunes et plus qu’on peut renfermer dans une
tabatière ordinaire et faire passer à travers une bague. » Ferrari rapporte qu’un
seigneur anglais reçut une pièce de cette mousseline qui, étendue sur l’herbe, ne
s’apercevait plus, ne cachant nullement la verdure. Djihan-Khan a une ceinture
orfévrée où brillent de grosses pierres ; elle est posée par dessus deux ceintures
de cachemire dont les bouts tombent en avant ; il a une espèce d’écharpe en
cachemire blanc uni, bordé d’or, dont les bouts flottent en arrière : c’est un in-
signe de commandement ; un collier de grosses perles et pierreries, à trois rangs,
descend sur sa poitrine ; sauf au pouce, on lui voit des bagues à tous les doigts
de la main, avec pierreries au médium et au petit doigt ; deux bracelets au poi-
gnet, l’un de perles, l’autre d’or avec pierre, et un autre bracelet à l’arrière-bras,
Le costume historique — Tome III 55
N° 3. — Suliman Moäsfdin n’offre d’autre particularité que celle d’être plus
simplement vêtu que les deux autres. Son turban et son vêtement sont entiè-
rement blancs, sans aucune broderie ; la coupe est en tout semblable à ce que
56 Le costume historique — Tome III
nous avons décrit. Il ne porte aucun bijou ; sa ceinture, brodée seulement aux
extrémités, est du plus fin cachemire.
EMPEREURS MOGOLS.
N° 1.
Azem Shah ; 1706-1707.
N° 2.
Shah Alem ; 1707-1712.
N° 3.
Prince rajpoute.
Figure présentant le costume décrit avec des variantes secondaires. Une gui-
ge suspend au cou le bouclier en peau de rhinocéros et orné de boutons en métal.
Ce prince tient, sur sa main gantée, un oiseau de proie dressé à revenir sur le
poing; le leurre consiste en un cordon de soie rouge.
N° 1. N° 2.
Prince indien du dix-septième siècle.
Mourad-Bakche, shahzadeh, prince impérial ; fils N° 3.
de Shah-Djehan et frère d’Aureng-Zeb. Souverain de Delhi (nom inconnu).
Voir, pour le texte : Ferrario, Le Costume ancien et moderne ; — Dubois de Jancigny, l’In-
de (Univers, Paris, Didot) ; — Penguilly l’Haridon, Catalogue des collections composant le
Musée d’artillerie, Paris, 1862.
64 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 65
INDE — Planche 113
Cet empereur, né en 1597, est mort en 1627, après avoir régné plus de vingt-
deux ans. Quoiqu’il soit assis sur le trône surmonté du parasol, le costume qu’il
porte semble exclure un grand cérémonial, mais il n’y a rien de plus élégant, ni
de plus fin que cette simplicité, plus apparente que réelle. Le turban enrichi de
perles et de diamants est d’une grâce parfaite ; la robe transparente qui descend
jusqu’à mi-jambe paraît être faite avec une espèce de toile de coton très fine
provenant du territoire ; de Daka. Les pieds nus et les mains de Djehanguir sont
dépourvues de bagues, ce qui est rare et ne prouve qu’un goût personnel. Pour
66 Le costume historique — Tome III
Les dames mogoles représentées portent des voiles de cette mousseline lisse,
soyeuse, d’une légèreté incomparable, sans qu’elle nuise à sa consistance, que
les Romains appelaient Ventus textilis et nebula linea ; car, dès la plus haute
antiquité, ces produits avaient valu aux Indiens d’être reconnus pour les plus
habiles tisserands de l’univers. Elles ont des bijoux au front, aux oreilles, aux
mains : on leur en verrait aux pieds s’ils n’étaient chaussés ; beaucoup portent
un anneau ou une perle attachée à la cloison nasale et des pierres précieuses
enrichissent leurs colliers et leurs bracelets. La robe qui ne couvre pas les bras
et à travers laquelle apparaît le buste nu, est faite du fin et léger coton de Daka,
mentionné plus haut ; le pantalon est en soie brodée, et c’est de la vallée du Ca-
chemire qu’est sorti le tissé d’or pendant, attaché au-devant de la ceinture. Les
chaussures sont ici des babouches sans talons, ni quartiers. Ces femmes ont leur
chevelure naturelle, la perruque n’ayant jamais été pour les Indiens qu’un objet
de répulsion. Après le bain, les dames mogoles se parfumaient avec de la poudre
de santal ; c’était, du moins, le parfum le plus usité. Les yeux étaient relevés de
noir avec de la poudre d’antimoine, à l’aide d’une aiguille de tête ; les ongles
teints en vermillon avec le suc d’une plante appelée Madroni en tamoul. Les
seins étaient contenus dans deux étuis d’un bois très léger, joints ensemble et
bouclés par derrière, étuis si polis et si souples qu’ils n’offensaient pas le tissu
délicat de la peau et ne contrariaient pas les plus molles ondulations. Ces étuis
étaient portés dans toutes les classes, comme on le verra.
La dame à mi-corps, n° 4, semble avoir été jaunie par la teinture de safran
employée souvent pour le visage, le cou, les bras et les jambes.
(Les figures des deux empereurs sont empruntés d’une belle collection de peintures in-
diennes représentant vingt portraits des souverains mogols, descendants de Tamerlan, collec-
tion faite à Delhien 1774 par le colonel Gentil. Ces peintures appartiennent à la bibliothèque
de M. Ambroise Firmin-Didot. Les deux figures de femmes sont tirées d’un recueil de peintures
persanes et mogoles, fort anciennes de la même bibliothèque.)
68 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 69
N° 4. — Houmaïoun ou Oumayoun, empereur de minutie naïve, et il semble que voilà une chose
l’Inde, de la dynastie mogole, né en 1508, sou- jugée. Il est au moins curieux, de faire re-
verain en 1530, mort en 1556. marquer, toutefois en se contentant des deux
N° 3. — Farouksiar ou Firouksir, empereur de exemples opposés ici, que les peintres indiens,
l’Inde de la même dynastie, élevé au trône en dépourvus du savoir de nos artistes, trouvent
1712, mort en 1719. néanmoins le moyen de faire entendre, à l’aide
Le plus ancien de ces deux souverains est repré- de leurs peintures, de certaines choses d’un
senté dans le costume de l’audience ordinaire. ordre plus relevé qu’on ne le croirait à la pre-
À peu d’exceptions près, les Indous ne se mière inspection de leurs œuvres. Ici, dans ces
servent ni de sièges ni de tables ; ils s’accrou- deux portraits historiques, la conception est
pissent sur des tapis, des coussins, des nattes. celle d’un artiste ou tout au moins celle d’un
Le chef, pour recevoir son monde, s’accrou- véritable philosophe.
pit sur une estrade recouverte d’un tapis, et Houmaïoun, fils de Bâber, le fondateur de la dy-
qui n’a, la plupart du temps, que la hauteur nastie mogole dans l’Inde, tint de son père un
d’une marche. Une balustrade fort basse isole empire troublé, encore mal assis, que, malgré
la place occupée par le souverain, désigné, en ses instincts d’homme d’étude, aimable, de
outre, par l’aigrette élevée que l’on voit ici goûts distingués, il dut défendre les armes à la
au-devant de son double turban enroulé autour main, ce qu’il fit d’ailleurs avec une réelle bra-
du haut bonnet. voure, mais avec les péripéties d’un malheur
Le trône, proprement dit, est de forme tel, qu’éloigné de ses États et constamment
variée, mais c’est un siège surmonté du para- poursuivi, au travers d’accidents dramatiques
sol et accompagné d’un marchepied. Le sou- qui ont fait de son existence la plus tourmentée
verain s’assoit sur ce trône les jours de grande qu’eut jamais aucun monarque de l’Asie, il ne
réception, à l’occasion de quelque cérémonie put remonter sur son trône, à Delhi, qu’après
et surtout lorsqu’il s’agit de traiter de quelque treize années d’exil, pour y mourir presque
affaire importante avec un étranger. L’étiquette aussitôt. Il laissait pour successeur de son pou-
est, dans ce cas, que le chef sur son trône soit voir son fils, le célèbre Aktar, dont l’héroïsme
revêtu du raz blanc, qui se pose par-dessus tenant de celui des chevaliers errants, est un
les autres vêtements ; c’est une sorte de robe des souvenirs légendaires les plus vivaces
longue, en mousseline, souvent de la plus lé- parmi les Indous. Fils du guerrier fondateur,
gère transparence, qui est serrée sur la poitrine, père d’un héros, Houmaïoun, passant sa vie
large et flottante par le bas ; de plus le sultan dans des luttes sans fin, est resté pour les gé-
est coiffé du petit turban, et paré de bijoux. nérations successives ce qu’il était, un homme
L’impassibilité traditionnelle du visage brave, instruit, d’une générosité périlleuse
asiatique, parmi les personnages de rang élevé pour lui-même, ce que les politiques indiens
chez lesquels la dissimulation est une nécessi- lui ont reproché en signalant la manière dont
té politique, enlève, à priori, à la représenta- il se conduisit envers des frères indignes qui
tion de leurs traits l’intérêt que les Européens le trahirent. « Il eût été plus grand prince, dit
sont habitués à rechercher dans leurs portraits Ferichta, s’il eût eu moins de bonté dans le
historiques. Qu’on y ajoute l’infériorité d’un cœur. » Houmaïoun était un homme valant par
art dont le principal mérite consiste dans une lui-même ; et c’est, selon toute apparence, ce
70 Le costume historique — Tome III
que l’artiste hindou a voulu faire comprendre : vant le crime pour assurer la réussite de ses
celui-là n’a pas besoin de la grande splendeur méfaits. Enfin, la petite coupe qu’il a en main,
du trône pour que son image vive dans le sou- complète le portrait, l’ivresse étant un des pé-
venir des générations. chés mignons de ce souverain, bien connu de
Il en est tout autrement de Firouksir, la masse du peuple, parce que les empereurs
l’un de ces petits fils d’Aureng-Zeb, qui, au mogols comptant dans leurs obligations celle
dix-huitième siècle, en pleine déchéance de de se présenter chaque jour dans le durbar, la
la dynastie mogole, s’ils ne sont assis sur le salle d’audience, lorsqu’ils n’y venaient pas
trône, ne sont rien par eux-mêmes. Élevés au siéger, il fallait en dire la raison au public as-
trône par des chefs turbulents qui levaient des semblé. La maladie ou l’ivresse expliquaient
armées pour les opposer au prince régnant, le- l’absence du souverain, et on peut en croire
quel était mis à mort après avoir été vaincu, le peintre hindou, le dernier cas dût être fré-
ces souverains conspirant immanquablement, quent. Ce n’était pas d’ailleurs, une excuse faite
une fois parvenus au rang suprême, contre pour soulever beaucoup de rumeurs au milieu
ceux qui les y avaient fait monter, mais qui de cette cour, où l’ivresse la plus éhontée était
gouvernaient sous leur nom, ces empereurs le fait de bien d’autres. Dans les occasions de
sans pouvoir et sans caractère, n’ont d’autre grande réjouissance, telles par exemple que le
importance historique que celle de leur pré- jour anniversaire de la naissance du souverain,
sence, d’une durée plus ou moins éphémère, dont le plaisir le plus vif en cette circonstance
sur le trône où le peintre indien les représente était de se faire apporter deux grands coffres
judicieusement. Firouksir y demeura sept ans pleins, l’un de rubis, l’autre d’amandes d’or et
avec une nullité parfaite. La tendance qu’il d’argent, que de sa main impériale il jetait à ses
montrait à s’affranchir du joug, fit qu’on s’en omrahs qui, semblables à des enfants, se les dis-
débarrassa. Un de ses parents, mis en sa place, putaient comme des dragées, la fête se terminait
dura cinq mois, et le frère de celui-ci survécut par l’ivresse générale de tous les assistants, à
environ trois mois à son élévation. l’aide de spiritueux copieusement distribués.
Il serait facile de multiplier ces exemples
de l’ingéniosité des peintres indous. Dans N° 1. Dame mogole, dit l’inscription manuscrite,
notre planche Inde 113, se trouve, assis sur écrite en français, que nous trouvons sur les
son trône, Djehanguir, empereur de la dynastie marges de cette peinture, laquelle inscription
mogole dont le portrait fait partie de la série certifie en outre, que cette dame est en dés-
d’où sont tirés Houmaïoun et Firouksir. Dje- habillé. — Qu’on y substitue que cette dame
hanguira les pieds nus, une jambe croisée sur est indienne, ce qui est plus générique, et de
l’autre, et tout en portant le costume d’appa- plus qu’elle est en grande toilette, on sera
rat, le raz transparent, le turban bas, il paraît beaucoup plus près de la vérité. Pour quelle
fort à l’aise sur son siège impérial. Ce fut, en circonstance et dans quel lieu, voilà ce qui
effet, un souverain qui ne se gêna en aucune reste indécis. S’agit-il ici de l’une de ces belles
façon pour satisfaire ses passions, ne reculant favorites du sérail que dans l’Inde on appelle
pas pour s’assurer la possession de la plus le mahl ? comme là, pas plus qu’en Perse et
belle personne de l’Indoustan, Mhir-el-Nissa, en Turquie, nul autre homme que le maître ne
le soleil des femmes, connue surtout sous le pénètre dans le harem, cette toilette dont la
nom de Nour-Djihan, la lumière du monde, liberté nous étonne peut se passer d’explica-
devant l’infraction considérable, inouïe même tion ; mais, quoiqu’elle soit la première qui se
de la part d’un souverain, consistant à briser présente à l’esprit, il se peut fort bien qu’il y
les liens indissolubles des fiançailles, contrac- en ait quelque autre à donner, non moins bonne
tées dès l’enfance, entre cette néfaste héroïne et plus intéressante. Selon les temps et les
et Sher-Afkan, l’un des hommes les plus esti- lieux, les convenances sont choses variables.
mables de la société d’alors. L’épée de combat Lorsque au dix-septième siècle la duchesse de
qui ne quitte pas cet empereur sur son trône, Bourgogne assistant à un sermon en habit de
est là pour rappeler qu’il ne reculait pas de- chasse, c’est-à-dire avec une robe montante,
Le costume historique — Tome III 71
fut vivement admonestée, malgré son rang, par dans la chevelure, les perles des oreilles et leurs
le prédicateur en chaire pour cette négligence, pendants, et le double carcan de joaillerie, et le
et qu’elle se retira pour reparaître dans le large riche et long collier de perles, et les pierreries
décolleté de la grande toilette, qui permettait du fin bracelet de l’arrière-bras, et les riches
de voir sa poitrine qu’elle avait fort belle, tout bracelets des poignets, et les bagues enfin, qui
le monde fut satisfait. Eh bien, dans l’Inde, brillent à tous les doigts, y compris le pouce.
il existe des conventions du goût de celle-ci. Il est donc certain que si la partie supérieure
Le fait est consigné dans les lettres de Lazare du corps de cette femme mariée n’est pas vê-
Papi, et cité par Ferrario. « Les femmes de la tue, ce n’est cependant pas une dame en dés-
caste Tchegoi ou Tier, ainsi que celles des Na- habillé. Si ses pieds étaient visibles, l’anneau
jer, ne peuvent paraître avec le sein couvert en d’orteil y brillerait, et eût-elle des sandales on
présence des personnes au-dessus d’elles. Cet le verrait néanmoins, car on prend soin que les
usage est général au Malabar et dans tout le sandales, dans ce cas, soient à découvert pour
reste de la péninsule. » le passage du gros orteil. L’unique vêtement
La preuve que cette dame est mariée que l’on aperçoive de cette grande toilette, est
c’est que parmi les bijoux qui parent sa poi- une ample pièce d’étoffe, soyeuse et brodée
trine on voit briller le tali, le petit bijou en or d’or, dont la légèreté et la souplesse sont une
suspendu à un cordonnet, que l’époux attache des merveilles de l’industrie hindoue. Fixée à
lui-même au cou de sa fiancée dans les céré- la tête dont elle recouvre la partie supérieure
monies du mariage ; c’est le dernier acte qui et tombant en arrière, cette pièce d’étoffe est
le consacre. Quant à sa toilette de primo car- une enveloppe sous laquelle, cette dame peut,
tello, elle ne fait pas plus de doute. D’abord il d’un seul geste, dérober à tous les regards les
a été procédé aux apprêts du corps, qui, frotté splendeurs qu’elle étale avec tant de sérénité.
avec le suc de la racine de safran, lavé ensuite
de manière à ne laisser qu’une teinte générale, N° 2. Demoiselle mogole, a écrit la même main en
comme indécise, a été ensuite parfumé avec la marge de cette seconde peinture. — Celle-ci pa-
poudre de santal. Les cheveux sont savamment raît être une Hindoue en costume de fiancée ;
disposés en une quantité de petites tresses ; les l’espèce de couronne largement tuyautée que
yeux ont été cerclés de noir avec l’aiguille de l’on voit sur sa tête est fort proche de la couronne
tête trempée dans la poudre d’antimoine. Le que Solvyns a mise sur le front de la femme en
bout de chaque doigt des mains est vermillon- représentant la cérémonie du mariage ; seulement
né par le henné. Les seins, considérés comme trompé sans doute par le jeu des tuyautés, il a fait
un des trésors les plus précieux de la beauté, et du sommet de cette coiffure des créneaux. L’es-
auxquels les Indiennes consacrent les soins les pèce de tablier que cette jeune femme porte est
plus attentifs pour que la pureté de leur galbe celui que le mari est tenu de donner à l’épouse ;
reste intacte, les seins n’ont pas été recouverts l’usage en est réservé seulement pour le jour des
des étuis de bois léger, joints ensemble, bou- noces. Il est toujours riche, et même parmi les
clés par derrière, étuis polis et souples, revê- pauvres il est toujours en soie. (On trouve dans
tus en dehors d’une feuille d’or parsemée de notre planche Inde 113, sous le n° 3, une dame
brillants, qui se prêtent aux plus légères palpi- mogole parée de ce même tablier ; la présence de
tations. La seule exhibition des seins nus suf- cette parure de circonstance détermine le carac-
firait pour montrer le caractère de cette grande tère de cette dame, c’est encore une épousée le
parure que complètent, et les fleurs disposées jour de ses noces).
Les portraits des deux empereurs sont tirés d’une suite de vingt portraits des souverains mogols, re-
cueillie à Delhi en 1774 par le colonel Gentil. Les deux dames font partie d’un recueil de peintures
diverses exécutées au siècle dernier. Les uns et les autres sont des peintures originales, de main
hindoue, et se trouvent dans la bibliothèque de M. Ambroise Firmin-Didot.
Voir pour le texte : l’Inde, par Ferrario, et l’Inde, par Dubois de Jancigny et Xavier Raymond, Univers
pittoresque
72 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 73
Cette miniature représente un Grand Mogol sur un trône ; elle date du XVIIe
siècle. Les voyageurs ont beaucoup parlé du fameux trône du paon dont la ri-
chesse excitait leur plus vive admiration. Les descriptions que le médecin Ber-
nier et Legoux de Flaix ont laissées de ceux qu’ils ont vus, car ce ne sont pas
les mêmes, ne se rapportent pas à celui-ci, qui a toute l’apparence d’un trône
de plein air, fait pour le transport (dans la peinture originale d’où celui-ci est
tiré, il y a, d’ailleurs, un dais horizontal, soutenu par quatre montants portatifs
dont la présence est décisive) ; c’est donc un troisième trône du paon, contem-
porain des deux autres et ayant une destination différente. Il y faut voir l’un de
ces tactravan, ainsi les appelle Bernier, qui étaient des trônes de campagne, de
voyage, décorés avec la plus grande magnificence ; huit hommes portaient les
quatre barres de cette espèce de chaise suspendue. C’était un des trois moyens
habituels de transport de l’empereur, transport qui s’effectuait à cheval, à bras
d’homme ou à dos d’éléphant, dans la petite tour carrée, appelée Mickdember,
ou sur un siège ovale avec un dais soutenu par des colonnettes, le hauze.
Le luxe de ces trônes était inouï, raconte Bernier ; celui dit du paon, qu’il vit,
avait des pieds d’or massif et étincelait de rubis, d’émeraudes, de diamants ; on
l’estimait quatre kiourour, ou quarante millions de roupies, valant chacune, se-
lon Langlès, quarante-cinq sols de notre monnaie, et, d’après Legoux de Flaix,
un écu de France ; il avait été ordonné par Schah-Djahan, père d’Aureng-Zeb,
pour mettre en œuvre une quantité de pierres accumulées dans ses trésors, pro-
venant des rajahs dépouillés et des présents que les Omra étaient tenus de faire
à l’empereur. Les deux paons du trône ovale vu par Legoux de Flaix étaient,
comme à celui décrit par Bernier, couverts de perles et de pierres précieuses :
les queues et les ailes étendues étalaient les plus belles émeraudes, et il y avait
des grappes figurant les fruits du palmier pour lesquelles on avait employé les
plus beaux diamants de Golconde. La richesse de celui que nous représentons
ne nous paraît pas inférieure à celle des deux autres.
Lorsque le roi sort en grand cortège, dit Maffei, en parlant des anciens rajahs,
il a à sa suite de cinq à six mille hommes, avec des éléphants, des palanquins,
74 Le costume historique — Tome III
une musique militaire, et est précédé de deux poètes qui chantent ses louanges.
Il est porté dans un palanquin entouré des nobles.
Ce trône de plein air servait probablement aussi dans l’Amkas, lieu des au-
diences, qui était une grande cour carrée, existant dans toutes les résidences
royales où le Grand Mogol rendait lui-même la justice, recevant, sur le midi, le
peuple en foule, sans distinction de rang ni de condition. Pendant cette séance,
on lui montrait aussi des chevaux, des éléphants, des bêtes sauvages, des oi-
seaux de proie et autres. Quelquefois, il était assisté des deux premiers cadis, ou
principaux ministres de la justice, le koutoual et le cadi ; le premier, juge civil,
était chargé de réprimer l’ivrognerie ; le second était le ministre de la justice
proprement dite. On pouvait décliner l’autorité du koutoual et du cadi, pour
recourir directement à celle du souverain lui-même. Les deux figures appuyées
sur leur bâton représentent sans doute ces deux fonctionnaires. Quant au per-
sonnage accroupi sur un petit trône hexagone, c’est probablement l’Himad-oud-
Deulet, le premier ministre. Aureng-Zeb se montrait au peuple au moins deux
fois par jour, dans la crainte que le soupçon de sa mort n’occasionnât quelque
révolution dans l’État. (Voir Tavernier, Bernier, Roe, Legoux de Flaix, etc.)
INDE — Planche 116
Des femmes esclaves faisaient tous les ouvrages serviles ; l’empereur même
était servi par elles. Le Grand Mogol avait, en outre, une garde permanente de
cent femmes Tartares armées d’un arc, d’un poignard et d’un cimeterre.
Dans les appartements intérieurs, comme aux portes, il y avait une multitude
d’eunuques ; le nombre de ceux que les dames chargeaient de leurs commis-
sions pour le dehors était, parait-il, prodigieux.
Haram et mâhl, sont des expressions de même source et de même sens. Pour
le vieil arabe, son haram c’étaient ses épouses et leurs esclaves que, pour la
bataille, il plaçait au centre des siens, et qui animaient le soldat dans le combat
en l’excitant à se battre bravement. Le mâhl ou la smala du chef arabe dans
l’Algérie, est ce haram de l’homme de la tente. Aussi, pour les Orientaux, le mot
« harem » n’a-t-il pas comme chez nous l’unique privilège d’évoquer certaines
images riantes, il s’y mêle toujours l’idée austère de quelque chose de mysté-
rieux et de sacré.
Les palais se composent ordinairement de petites cours, entourées de bâti-
ments élevés, quelquefois découvertes, mais le plus souvent plantées d’arbres
pour avoir de l’ombre.
On voit toujours une colonnade en forme de cloître qui règne autour de
chaque cour ; souvent les galeries du cloître sont des bâtisses à toit plat, presque
toujours en terrasses. Le stuc blanc des murailles est le tchounam ; il est d’une
qualité très fine et fait avec un calcaire tout particulier, le kanker, mode de
construction très solide. Les appartements sont peints avec des couleurs à l’eau,
et quelquefois à l’huile.
Dans les jardins, généralement réguliers, de longs et étroits canaux, revê-
tus à l’intérieur de pierre ou de stuc, aboutissent tous à un centre commun, où
se trouve quelque fontaine jaillissante. Les plates-bandes de fleurs sont toutes
dessinées d’une manière uniforme. De fraîches retraites, bien protégées contre
l’ardeur et l’éclat du jour, pendant les chaleurs de l’été, sont disposées de tous
les côtés.
On trouve un type des plus riches et des plus animés de la « cour intérieure
de l’habitation des femmes » en notre planche 116, Inde. Ce que l’on rencontre
dans ce tableau, sous le rapport de la décoration architecturale, des détails de la
véranda, des tapis, etc., est le véritable complément de nos terrasses.
Les grands appartements des palais sont aux étages supérieurs. On y parvient
par des escaliers étroits et raides, pris dans l’épaisseur des murs. La construction
est si solide, que les toits plats enterrasse, permettent toujours d’ajouter un ou
plusieurs étages par-dessus les autres.
De préférence, les maisons de campagne sont surtout de stuc blanc.
Le costume historique — Tome III 83
Les planchers des chambres sont recouverts dans toute leur étendue par un
épais tapis. Elles n’ont pas d’autre meuble fixe. On s’y assoit sur une pièce
d’étoffe que l’on y étend ; les égaux vis-à-vis l’un de l’autre, les princes sur un
coussin peu épais que recouvre un petit tapis de soie brodée.
Les portières, que l’on voit partout, que l’on monte, descend et fixe, repliées
sur le mode des stores, sont de lourds rideaux de soie.
La description de certaines tentes particulières de l’empereur nous permet de
compléter ces renseignements.
Ces tentes étaient doublées en toiles de Masulipatam des plus fines, parse-
mées des plus belles fleurs faites au pinceau ; à côté de l’Amka et des autres
pavillons principaux très élevés, faits pour être vus de loin, avec leur grosse et
forte toile rouge entrecoupée de grandes bandes de diverses couleurs, on voyait
les tentes des begoum et des autres dames du sérail, et entre autres de véritables
petites constructions, les karguai ou petits cabinets surmontés d’une espèce de
petit dôme ; ils étaient faits en planches de sapin très légères et très minces,
peintes et dorées en dehors, et tapissées en dedans de drap d’écarlate, ou en râs à
fleurs, ou bien en brocart. Les portes s’en fermaient avec des targettes en argent.
Le petit pavillon fixe, n° 10, est de ce type.
Nos nos 2, 3, 4, 5, 7 et 10, sont les terrasses d’un mâlh de la première partie de
notre dix-septième siècle. On est ici chez Djehanguir. (Voir son portrait planche
113, Inde.) Cet empereur, dont la résidence ordinaire était dans le Pendjab, à
Lahore, avait son palais de délices dans le petit royaume de Cachemire, que la
richesse de sa végétation a fait considérer comme un paradis terrestre, et dans la
vallée même célébrée avec tant d’enthousiasme par les poètes orientaux ; vallée
qui doit au voisinage de l’Himalayala fraîcheur de son climat, parfois même un
peu vif, puisque Djehanguir affligé d’un asthme, mourut à l’âge de trente ans
pour y avoir fait une résidence trop prolongée.
Chez cet empereur nous sommes particulièrement chez la célèbre Mhir-el-
Nissa, le soleil des femmes, la belle Tartare, Nour-Mahal, connue surtout sous le
nom de Nour-Djihan, la lumière du monde, qui fut toute puissante sur le cœur
de Djehanguir, et dont on voit ici se dérouler les premiers actes.
Nour-Mahal était fiancée dès l’enfance lorsque Djehanguir eut l’occasion de
la voir ; tous deux s’éprirent l’un de l’autre. Akbar vivait encore ; et comme le
lien des fiançailles est indissoluble dans les mœurs de l’Inde, il voulut que les
choses suivissent leur cours régulier, et défendit à son fils de s’y opposer.
C’est ce « cours régulier » que représente la chambre nuptiale n° 6, dont Sher
Afkan, le mari, s’éloigne en emportant le collier de perles de l’épousée, sym-
84 Le costume historique — Tome III
bole du joug qu’à en juger par son attitude la dame ne subit qu’avec la pensée
de s’y soustraire.
Le premier soin de Djehanguir, empereur, fut de faire tendre des pièges au
pauvre mari, pour le faire périr accidentellement, dans quelque chasse au tigre,
à l’éléphant. Et ne réussissant pas, Sher-Afkan étant très brave et très populaire,
à s’en débarrasser de cette façon, il se décida à le faire assassiner ouvertement ;
il y fallut une petite armée de quarante hommes, dont Afkan tua le chef de ses
propres mains avant de mourir sous une grêle de flèches. Djehanguir put alors
rapporter à la dame le collier de perles qui lui rendait une liberté dont le n° 3
montre l’usage qui en fut fait. Seulement, il paraît que le cœur du royal amant
fut d’abord déchiré de remords, et pendant longtemps ; car pendant quatre ans, il
refusa de voir Nour-Mahal, et l’abandonna négligée dans un coin de son palais.
La dame attendit patiemment, passant le temps comme il se pouvait ; là, n° 2,
entre une musicienne et probablement quelque diseuse de bonne aventure qui,
par ses propos encourageants, l’aidait à supporter la mélancolie du paysage ; là,
nos 4 et 6, s’occupant de ses parures, des mille apprêts raffinés de la galanterie, se
contemplant dans le miroir rassurant, et toujours prête pour le sacrifice attendu.
Le n° 7 montre Nour-Mahal ayant su rallumer la passion mal éteinte de l’empe-
reur, et devenant alors toute puissante. Nous ne saurions dire si les deux hommes
qui paraissent vouloir obtenir de la gardienne du harem l’autorisation de voir
Djehanguir, représentent les parents de la dame. Ces parents, dit la chronique,
furent élevés aux plus hauts emplois de l’État, et son frère nommé grand vizir. Le
bonheur voulut qu’il possédât les talents nécessaires à ce poste éminent.
La découverte de l’essence de rose est de ce temps ; on la nomma d’abord es-
sence de Djehanguir, et Mohammed-Hâchem, dans son histoire des Grands Mo-
gols, attribue cette découverte à Nour-Djihan, Nourdjihan-Beygum, la sultane
favorite de l’empereur. Kâmgar-Hossein, dans son livre intitulé Maacer Djihan
guîri, place la découverte de l’essence de rose à la même époque, mais l’attribue
à la mère de Nour-Djihan, que l’empereur récompensa en lui offrant un collier
de perles valant trente mille roupies. En indoustani, le nom resté à l’essence de
rose est ather goûl, ou simplement ather, essence.
C’est au souvenir de cette découverte qu’est consacrée la miniature n° 10 ;
le chef des eunuques noirs, le premier des officiers du sérail, ayant seul, par-
mi les domestiques, le privilège de s’asseoir devant le maître, était le princi-
pal ministre des huiles et des parfums ; et c’est une question qui les concerne
qu’agitent ici les deux personnages tenant chacun une fleur, la dame un pavot,
le noir, une rose.
Le costume historique — Tome III 85
Texte d’après Ferrario. — Dubois de Jancigny et Xavier Raymond, Inde, Univers pitto-
resque. — M. Louis Rousselet, Inde des Radjahs. Tour du monde, 1874.
86 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 87
INDE — Planche 119
(D’après une peinture indienne du XVIe siècle faisant partie de la bibliothèque de M. Am-
broise Firmin-Didot.)
90 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 91
N° 1. Poignard indien, dit khouttar. — Branches pointe. L’autre est un manche en bois, orné
de la poignée en damasquinure ; lame en da- de dessins en fils d’argent pointillés ; la fusée
mas à double tranchant, très aiguë, largement est couverte d’un manchon de cuir rouge. Les
décorée d’un relief en méplat gravé et doré ; quillons en cuivre doré et ciselé sont petits et
arête médiane vers l’extrémité. On se sert de disposés de la façon précédente. Les lames de
cette arme en prenant la poignée par le travers, ces poignards sont droites.
la pointe en avant. Nos 19 et 20. Poignards indiens à crosse relevée,
Nos 2 et 2 bis, 3 et 3 bis, 9, 11, 23 et 24. Poignards à demi sortis de leurs fourreaux. — La lame
indiens à lame forte ondulée, tranchante des est ondulée et décorée en damasquines dorées.
deux côtés, à évidement partagé par une arête La poignée est en argent ciselé rehaussé de do-
médiane. — La poignée du n° 2 est en ivoire rures. Les fourreaux en bois sont recouverts de
sculpté, et, comme celle d’un sabre, elle a une garnitures en argent travaillé de même.
branche que n’ont pas les autres. N° 22. Poignard persan dans son fourreau, avec
Les nos 3, 9, 11 et 23 ont des manches en crosse, cordons de suspension tressés d’or. — Le des-
d’ivoire enrichi de fleurettes en émaux cloi- sus plat du pommeau de cette arme riche est
sonnés. Le manche du n° 24 est également en orné de turquoises.
crosse, laquelle est formée par une tête de che- N° 15. Poignard turc dans son fourreau.
val ; il est en cristal de roche enrichi d’émaux N° 5. Épée indienne. — Lame à deux tranchants
cloisonnés. Les lames de ces armes de luxe dentelés en scie, portant une arête à son mi-
sont diversement rehaussées de damasqui- lieu, et des inscriptions arabes gravées dans un
nures dorées. cartouche qui part du talon et suit le dessin des
Les nos 2 bis et 3 bis sont les fourreaux des numé- dents de la lame. La poignée est en bois ; les
ros correspondants ; ils sont garnis de velours quillons sont recourbés vers le pommeau, le-
brodé d’or. quel est grand, taillé en losange, et porte une
N° 6. Poignard indien, légèrement sorti de son inscription arabe à son milieu.
fourreau. — Le manche est en jade vert sculp- N° 8 Épée indienne. — Lame plate, portant une
té, d’un dessin rapprochant de celui du n° 2, gorge d’évidement qui va jusqu’à la pointe. La
mais sans la branche de ce dernier ; le pom- poignée de cette arme est transversale et gar-
meau est à rondelle. La lame en damas est évi- nie d’un brassard et d’une garde ronde enve-
dée et ornée d’arabesques dorées au talon. Le loppant la main ; elle est décorée d’ornements
fourreau est en velours, rouge et ses garnitures gravés et ciselés. Ce genre d’épée est considé-
gravées sont en vermeil. ré dans l’Inde comme une arme déjà ancienne.
Nos 10 et 18. Poignards du genre oriental. — Ces N° 4. Sabre indien. — Lame courbe d’un beau
armes ont été fabriquées à Paris par M. Henri damas gris. Poignée en acier gravé et doré en
Lepage et offertes par lui au Musée d’artille- plein. Le pommeau est en rondelle ou cuvette,
rie. Ce sont plutôt des curiosités que des types et le bas de cette poignée en forme d’écusson
purs. La lame de l’une est en damas corroyé, s’avance en pointe sur la lame. Cette pointe
l’autre a été forgée avec de fines aiguilles. reste à l’extérieur du fourreau. La dragonne en
Celle du n° 10 est ciselée à jour. Son manche forme de branche est en cuir gaufré et doré.
est en ivoire strié, et a de courts quillons en N° 7. Sabre indien ; arme riche, à demi tirée de son
argent ciselé, à filets dorés recourbés vers la fourreau d’argent. — La lame est légèrement
92 Le costume historique — Tome III
courbe, ses damasquinures sont dorées. La velours uni d’un violet sombre. Un simple an-
poignée à branche et à petits quillons recour- neau embrassant ce fourreau, sur le bord du-
bés vers la pointe est en argent finement cise- quel était passé un cordonnet formant boucle,
lé. Le pommeau en crosse est formé par une servait à la suspension.
tête d’animal, ainsi que le haut de la branche, N° 21. Koukri kora du Népaul. — Ce glaive à
n’adhérant pas à l’autre. Les ciselures sont re- lame recourbée, fortement épanouie vers l’ex-
haussées de dorures sur la poignée de l’arme trémité, et se terminant carrément, a son tran-
comme sur son fourreau. chant à l’intérieur. La poignée, dont la fusée
N° 13. Sabre indien à lame courbe dont le tran- est enveloppée de cuir, porte deux rondelles,
chant est taillé en dents de scie. — La poignée l’une servant de garde, l’autre de pommeau.
noire est ornée d’un quadrillé damasquiné en
La gaine de cette arme est large, en bois revêtu
argent. Le pommeau est à rondelle ou cuvette ;
de velours rouge ; elle est ornée de riches gar-
les quillons droits se terminent en boutons,
nitures en or vierge, et porte parfois deux petits
ayant la forme de dés aplatis. Cette arme se
couteaux de la même forme que le koukri.
nomme dans l’Inde un puluar.
N° 12. Sabre d’exécution indien. — Large et fort N° 14. Fusil à mèche ; arme indienne. — Beau ca-
damas assez grossier ; poignée argentée avec non rond, entièrement damasquiné en argent.
branche, pommeau en rondelle, quillons et Crosse droite, longue, mince, taillée à pans.
pointe avancée, dans le genre des nos 7 et 13. Bois peint, orné et doré.
Ce sabre pèse six kilogrammes. À l’exposition Nos 16 et 17. Armes d’hast entièrement en acier,
de l’Union Centrale, en 1874, il y avait une avec damasquinures et reliefs en méplat, gra-
arme similaire dont les quillons mesuraient vés et dorés. — L’une est de la famille des mar-
en largeur quatorze centimètres, la cuvette ou teaux d’armes et a la forme d’un pic : l’autre se
rondelle huit, la lame huit, sur une longueur termine en une lame ondulée, rappelant le fer
de soixante-quinze. Le fourreau était garni de de certains fauchards.
Documents photographiques.
Les nos 4, 5, 6, 8, 10, 12, 13, 14, 18 et 21 proviennent du Musée d’artillerie de Paris.
Les nos 1, 2 et 2 bis, 3 et 3 bis, 9, 11, 16, 17, 23 et 24, font partie de la collection de M. de
Rothschild.— Ils sont reproduits d’après les photographies de M. Franck, l’Art ancien.
Les nos 7, 15, 19, 20 et 22, se trouvent au Musée de la ville de Cassel.
Voir pour les annotations, le Catalogue du Musée d’artillerie, par O. Penguilly l’Haridon,
Paris, 1862.
94 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 95
Voir, pour le texte : Victor Jacquemont, Voyage dans l’Inde. — É. Reclus, Géographie
universelle.
102 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 103
N° 1.
Funérailles d’un pénitent brahme, de la secte de N° 4.
Siva. Femme du radjah de Tanjore ou Tandjaour, dans
N° 2. le Karnatic. Caste marattia, secte de Vichnou.
Femme d’un raccommodeur de châles du Pendjab ;
caste marattia, secte de Siva. N° 5.
Femme du radjah de Gingy ou Gingée, également
N° 3. dans le Karnatic, au-dessus de Pondichery
Femme d’un brahme marchand de pierreries, à Caste Rasapouttira ; secte de Vichnou.
Guzerate ou Goudjerate, N.-O. de l’Indoustan.
Les Indiens brûlent leurs morts couchés tout au long sur le bûcher. Mais il
n’en est pas de même pour les membres des ordres religieux, qui y sont apportés
assis, les jambes ployées sous le corps.
Une simple corbeille suspendue par des cordes, remplace le palanquin. La
face du mort est découverte, selon l’usage général, et l’on voit à son front le
signe de l’affiliation ou de la caste ; le transporté est habillé à l’ordinaire, et tenu
sous l’ombre du rideau rouge achevalé sur le bâton des porteurs. Ce rideau et la
corbeille sont enguirlandés de branches fleuries.
Les Brahmes, dans toute l’Inde, dit Jacquemont, sont divisés en castes ou en
sectes. Les castes sont innombrables, et se rapportent, sans doute, à des degrés
plus ou moins éloignés de consanguinité. Les sectes sont infiniment moins nom-
breuses, du moins ostensiblement.
On peut donc considérer ici ceux qui portent le mort et ceux qui le suivent,
surtout comme des parents, des consanguins. Les musiciens qui ouvrent la
marche, sont des étrangers, ayant le caractère de mercenaires.
Les premiers portent tous, au front, à la base du cou par-devant, sur la poi-
trine, sur le ventre, au haut et au bas de l’arrière-bras et à la hauteur du poignet,
le stigmate en trois lignes horizontales des sectateurs de Siva. Leur turban est
du même pli, et c’est une indication qui se retrouve dans toute l’Inde : non seu-
lement la tournure du turban sert à distinguer la caste, mais encore dans chaque
caste, la classe ; enfin, ceux des porteurs qui sont tête nue, ont le chef rasé, sauf
la petite queue nouée que conservent les Brahmes sous le turban.
104 Le costume historique — Tome III
Les turbans des musiciens qui forment la tête du convoi sont différents de
ceux des parents ou des affiliés, et même diversifiés entre eux. Les uns sont
des sectateurs de Vichnou, les autres n’en ont pas le stigmate caractéristique au
front. On aperçoit parmi eux quelques moustaches que n’ont pas les brahmes
qui suivent.
Le costume général est l’unique dhoti, laissant à découvert le haut du corps
et les jambes. Tout le monde est nu-pieds. Le convoi funèbre s’annonce par les
sons tristes et lugubres de la trompette longue, le phounga, appelé aussi taré.
Deux hommes, à l’ordinaire, sont chargés de faire sonner la longue trompette
de cuivre, accompagnée par d’autres trompettes plus courtes, par le matalan,
ou petit tambour que la main fait résonner, et par le tal ou par le gopijanlar, les
cimbales plus ou moins petites, liées ensemble, et parfois même au corps du
musicien.
Parmi les musiciens qui ferment la marche, on trouve le tambourah, l’instru-
ment à cordes le plus ancien de l’Inde ; le puckhaway, tambour à forme légère-
ment elliptique semblable à la derbouka des Arabes, et aussi les cimbales.
N° 2. — Femme d’artisan de Amritsir .— La plu- N° 3. — La femme du marchand de pierreries est
part des ouvriers du Pendjab, dit V. Jacque- chargée de joyaux comme une idole. Sa che-
mont, sont employés à laver les châles appor- velure noire en reçoit un vif éclat ; elle porte
tés de Cachemir, et destinés pour les marchés l’anneau nasal, cercle d’or avec perles ; la
de l’Indoustan. Un châle de Cachemire qui perle à la gouttière du nez ; au haut de l’oreille,
n’aurait pas été lavé ne serait pas vendu dans son joyau particulier en embrassant l’ourlet, au
l’Inde, et on les lave mieux à Amritsir, dans le bas, le large pendant en forme de roue avec
Pendjab, qu’à Cachemir même. un prolongement suspendu, qui s’accroche
C’est là que, l’aiguille à la main, on ré- au lobule inférieur. (L’oreille est entièrement
pare les fautes du tissu en faisant des reprises percée, dit madame Ida Pfeiffer ; je comptai
perdues qu’il est impossible de reconnaître ; dans le lobule douze trous ; l’oreille était si
ceci est l’ouvrage des hommes. Enfin c’est couverte d’ornements, qu’on la découvrait à
là que l’on donne aux produits de l’industrie peine, on n’y voyait que de l’or, des perles,
cachemirienne la dernière façon qu’ils doivent et des pierres précieuses.) On compte ici six
recevoir avant d’être exportés dans l’Inde. ou sept colliers qui vont en s’élargissant de-
La blanchisseuse de cachemires est vêtue du puis le milieu du cou. Les manches du choli
choli, la petite jaquette à manches courtes qui se terminent en joailleries ; l’entre-deux des
ne descend pas plus bas que la poitrine, et ne seins en resplendit. C’est encore une ceinture
couvre le dos que dans le haut. Une jupe droite à boucle d’orfèvrerie émaillée en couleurs qui
est le vêtement principal ; les pieds sont nus, et retient le sari à la hauteur des flancs, par-des-
le voile ou sari d’une mousseline transparente, sus le dhoti, le caleçon ample relevé par der-
là où il n’est pas richement brodé, laisse aper- rière à la manière des hommes. Des annulaires
cevoir la nudité du torse au-dessous du choli. sont passés à chaque doigt des pieds, sauf au
La chevelure est massée en un chignon bas, en gros orteil ; un double chapelet de perles va du
forme de catogan. En fait de bijoux, on ne voit talon au milieu du cou-de-pied. Au dessus, à
qu’une perle, pendant à l’oreille. Le bracelet la hauteur des chevilles, se joue un anneau en
haut, n’est point métallique. tortil épais qui semble d’argent, et au-dessus
Le costume historique — Tome III 105
encore se trouve un autre anneau embrassant Les femmes rajpoutes sont généralement
la jambe étroitement, cercle plat et haut, dé- grandes, bien faites, et quelquefois très belles.
coré de méandres. On voit aussi aux poignets Celles des nobles vivent enfermées dans la ze-
de cette dame de hauts bracelets fort riches, nanah, les autres sont libres et sortent le visage
et aux doigts de sa main de fines bagues. Les découvert, mais ramènent modestement leur
Indous des deux sexes raffolent des bijoux ; sari sur la face quand elles se croient observées
j’ai compté, dit le capitaine Basile Hall, vingt par un Européen.
chaînes d’or au cou d’un petit garçon, indépen- Ces dames portent la jupe plissée, le lé-
damment des bracelets de ses jambes et de ses ger corset qui ne couvre que les seins et les
bras. Madame Ida Pfeiffer parle, en outre, « de épaules ; l’écharpe de gaze ou de soie dont
lourdes chaînes d’or qui faisaient trois fois le
elles s’enveloppent le buste en même temps
tour des cuisses de ces dames. »
qu’elles s’en couvrent légèrement la tête. Elles
Toute la fortune de l’Indou est souvent
se parent d’une quantité prodigieuse d’orne-
ainsi convertie en bijoux ; on attribue cette
coutume à une habitude prise sous l’ancienne ments en or et en argent, comme les femmes
monarchie mogole ; la religion du tyran mu- de toutes les races de l’Inde.
sulman lui interdisait de s’approprier les effets Le n° 4, qui a une perruche sur le doigt, a les pieds
des femmes ; ce fut donc un expédient de parer nus comme il convient sur les tapis de l’appar-
celles-ci à l’excès, pour soustraire sa fortune à tement.
l’avidité du conquérant. Le n° 5 est chaussé d’une mule à talon, sans quar-
Nos 4 et 5. — Les Mahrattes sont une des huit races tier, se terminant en une pointe recourbée dans
principales de l’Inde qui, par leur population, le genre de la riche chaussure n° 17, planche
leur littérature, leur industrie, et la vaste super- 121. Elle tient à la main une carotte de bétel, et
ficie qu’elles occupent, méritent d’être citées. en porte une chique à sa bouche.
Voir pour le texte : Victor Jacquemont, Voyage dans l’Inde. — Ferrario, l’Hindoustan.
— Dubois de Jancigny l’Inde, Univers pittoresque. — M. Alfred Maury, le Brahmanisme,
Encyclopédie moderne, Firmin-Didot. — M. L. Rousselet, l’Inde des rajahs, Tour du monde,
1870-71. — M. Alfred Grandidier, Voyage dans les provinces méridionales de l’Inde, Tour du
monde, 1869. — M. Guill. Lejean, Le Pendjab et le Cachemire, id. 1808. — F. J. Fétis, His-
toire générale de la musique.
106 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 107
N° 1. — Femme de nabab portée dans un palanquin appelé dôli et accompagnée de l’ayah ou
gouvernante.
N° 2. — Femme de sonar (marchand de bijoux), secte de Vichnou.
Nos 3, 4 et 5. — Danseuses appartenant à la même secte.
aux chevilles n’ont pas été épargnés, non plus tement les bras jusqu’aux poignets et retombant
que les bijoux qui couvrent les orteils. jusqu’aux pieds en nombreux plis. — Le choli
Au Malabar, on perce la narine dès l’en- à manches courtes vient recouvrir la poitrine,
fance ; à trois ou quatre ans, une petite fille mais il s’arrête au-dessous des seins. — Les
porte déjà une épine, une brindille de bambou, mains et les bras sont ornés de bijoux : sur la
pour empêcher le trou de se refermer jusqu’à poitrine s’étale un double collier de cauris.
ce que, devenue femme, son fiancé remplace — Les mules n’ont ni talon, ni quartier ; elles
l’épine par un saphir ou un rubis qui sera tou- se terminent en une pointe recourbée.
jours sous son œil, le plus près possible, pour Dans leurs exercices, les bayadères pré-
lui rappeler son amour. ludent ordinairement par une danse, où elles
Le noir éclatant des cheveux de la mar- ne font que tourner en levant les bras étendus
chande de bijoux, est rehaussé par une petite comme dans la figure n° 4 ; alors le voile flotte,
calotte de soie brodée coquettement posée sur le kangra s’enfle et se développe dans toute
le côté de la tête. Derrière, les cheveux sont son ampleur ; le grelot des bracelets marquant
massés en un chignon tombant assez bas. la mesure, elles viennent ainsi tourbillonner à
— Son gracieux costume se compose d’un tour de rôle devant le maître de la maison et
choli à manches courtes, d’une jupe et d’un ses invités.
sari de même étoffe ; cette dernière pièce est
À un moment donné, les danseuses aban-
retenue à la hauteur des reins par une ceinture
donnent le choli et la robe de mousseline :
de cachemire rouge.
le torse apparaît nu. Puis, par des gradations
habiles, se déroulent les phases obligées d’un
Nos 3, 4 et 5. — Nautch-girls (filles de danse)
nautch, où la beauté des femmes, la grâce de
appartenant à la secte de Vichnou ; elles for-
leurs mouvements, le scintillement des bijoux
ment la troisième classe des danseuses. (voir
se combinent savamment et magnifiquement
la planche 125.)
pour le plaisir de l’œil.
Les nautchs ou danses de bayadères sont un des Si le rouge domine dans ces trois cos-
divertissements favoris des riches et l’accom- tumes, c’est que, dans l’Inde, cette couleur est
pagnement obligé de toute fête. l’emblème de la joie et de la gaieté, par oppo-
La directrice d’une troupe de ce genre sition au noir qui est de mauvais augure. Dans
achète des jeunes filles de quatre ou cinq ans, les mariages et autres cérémonies, le rouge
à la condition toutefois qu’elles promettent un est de rigueur dans l’accoutrement. Les cartes
visage et des formes agréables. On leur donne d’invitation se font sur du papier rouge.
des maîtres de chant et de danse. Enfin c’est à La figure n° 3 tient une feuille de bé-
dix ou douze ans qu’on les produit en public. tel ; les Indiens en sont toujours abondam-
Le costume luxueux de ces trois femmes ment pourvus. Ils ont l’habileté d’envoyer les
consiste en une jolie calotte bordée de perles, messages les plus compromettants à l’aide
cachée à moitié par un sari transparent, voile d’échancrures diverses faites à ces feuilles,
immense qui fait plusieurs tours, enveloppe la dont eux seuls connaissent la signification.
tête et retombe largement devant et derrière ; La danseuse n° 5 et l’oiseau apprivoisé
— en puyjamas (pantalon) de soie brodée, ser- qu’elle a sur un doigt doivent certainement
ré à la taille par une simple coulisse ; — en un — devant une assistance — se partager les ef-
kangra, robe d’étoffe précieuse, couvrant étroi- fets d’un pas spécial où ils brillent tous deux.
(Reproduction de peintures indiennes provenant de Pondichéry) faites et annotées dans la
première partie de ce siècle, propriété de l’éditeur).
Voir, pour le texte : Rousselet, l’Inde des Rajahs (Tour du Monde, années 1873 et sui-
vantes), Hachette ; — Élisée Reclus, Inde et Indo-Chine (Géographie universelle), Hachette,
1883 ; — Bose, The Hindoos as they are, Londres, 1881 ; — Brau de Saint-Pol-Lias, Pérak et
les Orangs-Sakeys, 1883.
110 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 111
INDE — Planche 125
Les noces durent deux, cinq et jusqu’à trente jours. Les enfants des parents et
des amis des époux, portés dans des palanquins ou montés à cheval, précèdent
la voiture où se trouvent les époux ; les parents et amis viennent après et ferment
le cortège.
Le palanquin réservé pour les mariages, les processions, les grandes cérémo-
nies, est un lit ou sofa très léger, surmonté d’un bambou en forme d’arc dont
l’avant figure parfois une tête d’animal réel ou fantastique. Ce palanquin est le
chaupal, du type le plus ancien. Celui que nous reproduisons est orné de fleurs
naturelles et, comme il est destiné aux cérémonies du soir, sa base est entourée
de lanternes. — Le jâlledar, palanquin des rajahs et des grands seigneurs, est
de forme analogue au précédent ; il en diffère seulement par la tenture de soie
brochée d’or qui le préserve du soleil. — Dans le chaupal il faut toujours être
accompagné d’un domestique tenant le parasol. Ceux qui figurent ici, pour la
promenade du soir, ne manient que les chasse-mouches. À côté des nombreux
coolies, porteurs du palanquin, deux des domestiques tiennent des pots à fleurs
au bout d’un bâton, deux autres de petits étendards aux couleurs de chaque mai-
son ; enfin, il y a encore deux de ces serviteurs portant le bétel que les Indiens de
toutes les classes fument et mâchent, en lui attribuant toutes sortes de qualités
physiques et morales ; c’est pour eux un besoin aussi pressant que celui de boire
et de manger.
Un corps de trompettes, crotales, tambours, hautbois et chalumeaux précède
le char nuptial devant lequel figurent aussi les bayadères avec leurs joueurs
d’instruments.
Il y a trois classes de danseuses dans l’Inde : les devadâses sont consacrées
au culte ; elles prennent soin de l’intérieur du temple, y allument des lampes
et dansent devant le dieu le jour de solennité. Elles sont très vénérées par le
peuple, même après que leur beauté passée les a fait réformer et exclure. — Les
nartachis, veschastri, varàngana, suarim, etc., accompagnent les processions à
de certaines solennités, mais ne sont point recluses dans l’intérieur du temple.
— Les cancenis, naught-girls (filles perdues), si connues sous le nom de baya-
dères que les Portugais leur ont donné, forment la troisième classe des dan-
seuses ; on en trouve dans toutes les parties de l’Inde. Elles sont de toutes les
112 Le costume historique — Tome III
fêtes et sont appelées dans toutes les maisons riches, indoues ou musulmanes.
Chanteuses en même temps que danseuses, elles arrivent avec des joueurs d’ins-
truments, chantent en général en langue indoue, et s’exercent à la danse qui
consiste presque toujours en une pantomime amoureuse, contenue dans les li-
mites de la décence.
Le costume porté par la bayadère représentée dans le bas de notre planche,
n° 2, est digne d’attention. Sauf le bonnet, qui ne couvre pas sa tête nue, et
le pantalon plus moderne, ce costume est en tout semblable à celui porté par
Latchimi, femme de Vichnou, déesse de la beauté, mère d’Amanga, dieu de
l’amour, dans les représentations de la plus haute antiquité de cette Vénus in-
dienne. — La chevelure noire, luisante à force d’être humectée avec de l’huile
de noix ou de coco, est divisée sur le front et se termine par une seule tresse nat-
tée, retombant sur le dos, comme dans le type original ; il en est de même pour
les pendants d’oreilles, l’anneau nasal, les grands et petits colliers, les bracelets
de l’arrière-bras et du poignet, les anneaux des chevilles, des doigts de la main
et des doigts du pied. La fine brassière, prenant l’épaule et couvrant à demi le
sein, appartient également au type antique, ainsi que la jupe transparente, rame-
née à la ceinture et retombant en tablier, et l’écharpe légère, brodée à ses bouts,
à travers laquelle le torse apparaît.
Notre danseuse appartient d’ailleurs à la secte de Vichnou, ce qui est indiqué
par le stigmate qu’elle porte au front, entre les sourcils. Ces bayadères dansent
presque toujours seules. Les trois ménétriers qui l’accompagnent n’ont ici que
des instruments à vent et à percussion. L’un est une musette appelée tourti ou
tourry, instrument très ancien, composé d’une outre surmontée d’un tuyau in-
flateur qui alimente un tube à anche, percé de quatre trous ; les deux autres sont
des crotales et un tambour marquant la mesure et le rythme de la danse. Ce petit
tambour est le matalan : on l’attache à la ceinture et on le frappe avec les mains.
Le tal se compose de deux petites cymbales attachées par un lien ; l’un des pla-
teaux est en acier, l’autre du même métal que les cymbales. La femme qui figure
parmi les musiciens dit probablement la chanson.
D’après des peintures originales indiennes exécutées vers le commencement du siècle (pro-
priété de l’éditeur). Le texte est tiré des ouvrages suivants : Ferrario, et Dubois de Janeigny,
Inde (Univers pittoresque, publié par Firmin-Didot.
114 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 115
Indous est le nom générique propre à toutes les sectes, si opposées qu’elles
soient, qui ont adopté le système des castes et reconnaissent la suprématie des
brahmes, c’est-à-dire de la caste sacerdotale.
Il y a trois sectes principales : les sivaïtes, adorateurs de Siva ; les vichnou-
vites, adorateurs de Vichnou ; les saktites, adorateurs de l’une des Saktis, les
associées femelles ou les puissances actives des membres de la Trinité. Chacune
de ces sectes se divise en une infinité de rameaux. Les symboles peints sur le
front sont les indicateurs de la secte.
Les brahmanes du Deccan ressemblent à ceux du Bengale par la couleur
olivâtre de leur peau ; les premiers cependant l’ont un peu plus claire. Chaque
caste, chaque secte, a son mode particulier de porter le costume ; le turban est
de couleur, de dimension, de forme différente, selon ces divisions. Les brahmes
se reconnaissent, en général, à un petit cordon de coton, le cordon sacré, qui
leur descend de l’épaule jusqu’au milieu de la cuisse (voir n° 4). Ce cordon est
le privilège des trois premières castes, des hommes deux fois nés, de la famille
indoue ; mais celui des brahmanes est le plus gros : il a, dit M. Grandidier,
quatre dzenuars ; celui des Kchatrias et des Vaicyas n’en a que trois. Un dzennar
se compose de trois fils tressés ensemble, mesurant chacun quatre-vingt-seize
mains. Le cordon sacré se porte sur l’épaule gauche. Le costume des brahmes
n’est point d’ailleurs autre chose que le costume national, variant selon l’ai-
sance de chacun, et aussi selon les variétés du climat.
Nos trois hommes, nos 2, 4 et 5 portent le dhoti, ou dootée, selon Solvyns ;
c’est une longue bande d’étoffe roulée autour de la taille, puis passée entre les
jambes, et attachée derrière le dos. On porte le dhoti plus ou moins ample ; les
riches le disposent en larges plis sur le devant. La seconde pièce du costume
de ces trois hommes est une écharpe longue, plus ou moins luxueusement bro-
dée en couleurs, et faite de ces mousselines de l’Inde, dont les nobles plis, dit
Jacquemont, suffisent pour expliquer les draperies des statues grecques qu’au-
cune étoffe d’Europe ne peut imiter. Leur coiffure est garnie de même. Celle
116 Le costume historique — Tome III
que l’on voit ici est le turban en forme de shako ; il semble que, comme le
kulah, on puisse prendre et déposer ce bonnet, sans qu’il faille, chaque fois,
l’enrouler pour l’usage. Le reste du corps est entièrement nu. Les Indous qui
se piquent d’observer rigoureusement la religion de Brahma ne portent point
de chaussures. Cette coutume était sans doute générale autrefois, car cette reli-
gion défend expressément l’usage des souliers. Les hommes de toutes les castes
ont presque tous la tête rasée (nos nos 4 et 5 ne devraient avoir que la trace
bleue de la chevelure noire rasée) ; on garde seulement une touffe de cheveux
nouée sur le sommet de la tête ; chez les brahmes, cette touffe est un peu plus
rapprochée de l’occiput que chez les autres. Terry, en faisant l’éloge de la pro-
preté des brahmes, dit encore qu’ils se rasent scrupuleusement les poils sur la
poitrine, sous les aisselles et au bas des aines ; qu’ils sont sans cesse occupés
à se couper les ongles, à se laver la bouche, à se nettoyer les dents. Ils ont, en
général, la peau très luisante par suite de l’usage où ils sont de se frotter le corps
d’huile de sénevé plusieurs fois par jour ; ils font suivre cette onction du bain,
mais seulement deux ou trois heures après. Ces ablutions journalières et ces
onctions répétées sont considérées par eux comme étant nécessaires pour la san-
té ; elles donnent de la souplesse aux membres, empêchent les pores d’absorber
les miasmes, et en s’opposant à une trop grande transpiration, rendent le corps
moins sensible aux intempéries. C’était l’hygiène des Grecs et des Romains. Au
sortir du bain, les Indous se parfument soigneusement ; c’est un des éléments
de la beauté parmi eux que d’avoir la peau douce, de couleur jaunâtre, exempte
de cicatrices, de boutons, d’aucune tache quelconque. L’embonpoint paraît être
un attribut inséparable de la richesse et de la dignité. Les brahmes, comme le
reste des Indiens, se teignent le front, les oreilles et le corps, avec toutes sortes
de couleurs, dit Ferrari ; il en est qui s’impriment sur la peau le nom du dieu
qu’ils adorent ; d’autres, quelques passages des livres sacrés ; d’autres, enfin,
quelque emblème hiéroglyphique de leur religion. La marque de la secte qui
se porte sur le front, s’y trace avec une poudre blanchâtre, qui est de la cendre
de bouse de vache desséchée et brûlée, ou de la poussière de bois de santal, de
safran, etc. On en use de même pour les raies tracées sur les bras et la poitrine.
Les hommes aiment à se parer de bijouterie comme les femmes, et les brahmes
ont les oreilles largement percées comme les Indiennes. Quant au chapelet c’est
un des objets que les Indiens des deux sexes sont presque tous obligés d’avoir
sur eux.
Les deux femmes, nos 3 et 6, portent le choli, petite jaquette à manches courtes
qui ne descend pas plus bas que la poitrine, qu’elle comprime en la soutenant,
et le sary ou sari, grande pièce de toile ou de soie, parfois transparente, qu’elles
Le costume historique — Tome III 117
au haut de l’oreille une grosse perle, n° 6, puis des perles descendant des tempes,
et au bord du bourrelet de l’oreille un troisième bijou enrichi de perles comme la
pendeloque, relié parfois par un cordon de perles à la petite coiffe dont les che-
veux sont ornés. Cette coiffe, enrichie d’émaux ou brodée, est quelquefois retenue
par un cordon en ferronnière. La masse des cheveux formant un chignon tombant
est souvent décorée à son milieu, en dessous, par un bouton d’or en forme de
petite boule. Le port des bijoux est le signe caractéristique de la femme mariée.
Les individus de toutes les classes fument le tabac et mâchent le bétel. La loi
de Manou, qui défend aux femmes l’usage de la pipe, est celle qui est le moins
observée ; dans tout l’Indoustan elles fument, même en public. Le mélange de la
noix d’arec et de la chaux étendue sur une feuille de poivre bétel, teint les lèvres
et la langue en rouge ; son effet est pernicieux pour les dents qui deviennent
noires, mais les Indoues sont persuadées qu’il est beau de les avoir de cette cou-
leur, et raillent les Européennes qui ont « les dents blanches comme les chiens
et les singes. »
Les femmes des classes serviles portent d’ordinaire sur leur tête toutes les
charges qui s’y peuvent placer, les vases entre autres. Ce mode n’est pas com-
patible avec la chevelure parée ; on voit ici comment, pour porter soit un vase
à large panse, soit un paquet volumineux, une dame indienne use de sa fine
écharpe, son voile peut-être, en l’accommodant sur son épaule gauche de ma-
nière à en faire un anneau, une agrafe de suspension. — L’éventail porté par le
n° 5 est le pounya.
« Les musulmans du bas peuple, dit Jacquemont, sont vêtus généralement
comme les Indous ; plusieurs d’entre eux ne portent pas de barbe, et il est sou-
vent impossible de les en distinguer. » Rappelons que dans l’Inde, à côté des
Arabes et des Persans, on trouve toutes les variétés de la couleur noire, jusqu’à
une intensité qui égale parfois celle des races africaines les plus prononcées.
Rien, dit Jacquemont, n’est si mesquin que le costume des natifs quand il est
fait de percale anglaise ; rien n’est si élégant quand il est de mousseline. Toute-
fois, dans la foule, à distance, le tout souvent très sale, très déguenillé, en détail
très peu pittoresque, est parfois d’un effet agréable. Nous n’ajouterons rien :
nos musulmans parlent aux yeux. La couleur la plus populaire dans l’Inde est
l’écarlate, puis le blanc.
Les originaux de ces reproductions sont des peintures indiennes exécutées au commence-
ment du siècle et provenant de Pondichéry, où elles ont été annotées.
(Voir pour le texte : V. Jacquemont, Voyage dans l’Inde ; l’Inde, par Dubois de Jancigny,
Univers pittoresque, Didot ; l’Inde, de Ferrario ; MM. A. Grandidier et L. Rousselet, le Tour
du monde, Hachette.)
120 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 121
Nos 1 et 2. N° 5.
Mari et femme, marchands de grains. Marchand de sel.
Caste Lambadi. Nos 6et8.
Nos 3 et 4. Mendiant et sa femme; secte de Vichnou.
Mendiant de la secte de Vichnou, salué par sa N° 7.
femme. Mendiant cannadien ; secte de Siva.
membres sont égaux entre eux. La discipline de ces ordres n’a pas la régularité
qu’ont les ordres monastiques en Europe ; les gens ne se distinguent pas non
plus entre eux, ni du reste du genre humain, d’une façon aussi tranchée ; il n’y a
même pas de nom générique pour les désigner, le nom de Goseyens, qu’on leur
applique le plus souvent, n’appartenant rigoureusement qu’à une subdivision.
Les Indous les connaissent tous à quelque chose de leur costume quand ils en
portent, car il en est qui vont tout nus. Ordinairement c’est par le pli et la couleur
du turban et de la ceinture. Tous ces moines sont liés par des vœux, et si tous ne
sollicitent pas la charité, tous au moins acceptent l’aumône.
La plupart des ordres possèdent des couvents avec des propriétés territo-
riales ; la mendicité, de même que les métiers qui s’exercent quelquefois ou-
vertement, mais le plus souvent en secret, ont pour but l’accroissement de la
fortune commune fondée par les dons des personnes pieuses. Tout en apparte-
nant à des couvents, la plupart des Goseyens passent une partie de leur temps à
errer dans le pays, y vivant d’aumônes. Certains mènent une vie exclusivement
errante, basée sur les mêmes ressources, sans autre règle que celle qu’ils veulent
bien s’imposer.
Très peu de ces ordres monastiques ont des vœux précis. On s’y engage au
célibat, mais il n’est pas de règle générale ; un ordre du Bengale permet aux
hommes et aux femmes de vivre sous le même toit, en exigeant d’eux des vœux
de chasteté ; dans tel autre, les membres peuvent se marier et vivre avec leur
famille comme les laïques. Chez les Beïragis et les Yogis, il y a absence de toute
règle. Les uns ont pour principe de ne se vêtir que des plus beaux habits, de ne
se nourrir que des mets les plus fins, de se livrer à tous les plaisirs innocents,
et cela leur vaut beaucoup de considération auprès du public qui leur fournit
généreusement les moyens d’être fidèles à ces principes. D’autres affectent de
vivre dans l’ordure et la saleté, extorquant les aumônes par le dégoût qu’ils
inspirent. Enfin, à côté de la variété de ceux qui se livrent aux pratiques les plus
extravagantes, faisant vœu de ne jamais parler, se déchirant les chairs avec des
lames de rasoirs, tenant un bras et même les deux en l’air, les poings fermés,
jusqu’à ce que les ongles traversent la paume des mains, il est encore tels de ces
mendiants dont l’existence peut être comparée à celle de bandits. Les nagas sont
des moines qui ne font pas profession de prendre les armes pour la cause de leur
religion, mais seulement de se louer à qui veut les payer ; leurs cheveux nattés,
leur barbe en désordre, leurs membres nus et couverts de cendres, leur donnent
un aspect effrayant. Lorsque les nagas ne sont pas au service de quelque prince,
ils se forment en bandes de maraudeurs pour piller le pays ; et ils sont nom-
breux, car on dit qu’en 1760, à la grande foire de Hardouar, où sans être au
Le costume historique — Tome III 123
service de personne ils se trouvaient armés, il y eut entre les nagas de Vichnou
et ceux de Siva une collision telle qu’il ne serait pas resté sur la place moins de
18 000 morts. Exagéré ou non, ce chiffre donne une idée de l’importance de ces
affiliations monastiques.
Si bon nombre des Goseyens ne sont que d’importuns et impudents men-
diants, des vagabonds se livrant sans contrainte à la vie aventureuse, on compte
parmi eux quelques personnages savants, des religionnaires inoffensifs, des
marchands respectables. Les religieux de Vichnou ont, généralement, meilleure
réputation que ceux de Siva.
À côté du marchand, n° 1, en face du mendiant de caractère religieux, n° 4,
on voit ici la femme de chacun d’eux. La première porte sur sa tête un paquet
volumineux ; l’autre s’incline devant son mari en joignant les mains dans l’at-
titude de l’infériorité. Ces deux figures représentent bien et la manière dont est
traitée la femme du peuple et le rang que l’Indou assigne, en général, à sa com-
pagne. Tous les couples des gens de métier de la nombreuse collection qui nous
fournit ces sujets montrent ainsi la femme chargée habituellement du transport
des marchandises, quels que soient, en quelque sorte, leur poids et leur volume ;
la coiffure de la femme est toujours plate, car c’est sur sa tête qu’elle porte tout,
tandis que le mari qui l’emploie comme bête de somme chemine seulement
chargé de ce qui lui est personnel. Voici ce que dit Jacquemont sur le rang de la
femme chez le peuple indou : « Les femmes ne vont nulle part qu’aux marchés,
je dis celles des pauvres gens, et toutes à la rivière pour faire leurs ablutions,
devoir de piété ; mais pour leur plaisir, pour leur amusement, jamais elles ne
sortent. Elles ne participent à aucune récréation des hommes. Ceux-ci semblent
les considérer comme des créatures si impures, que je m’étonne comment le
dégoût ne réprime pas en eux le penchant de la nature qui les rapproche d’elles.
J’ai rencontré sur les routes, depuis deux mois, beaucoup de pauvres familles
en voyage. Si affamées qu’elles paraissent, si nues qu’elles soient, dans les der-
niers degrés de la misère et du dénuement, le mari marche silencieux devant,
la femme le suit à quelques pas, portant un enfant en bas âge, à cheval sur la
hanche du côté gauche. J’ai suivi quelquefois de ces tristes figures l’espace de
plusieurs lieues, sans les voir se joindre ni se dire un mot. »
Nos nos 1 et 2, qui sont des gens de la campagne, sont habillés d’une manière
conforme à la description donnée par Jacquemont des costumes du Malwa. La
toile dont usent ceux de cette classe est très commune et fabriquée dans leurs
familles ; longue de quinze à seize mètres et large d’un mètre, la pièce coûte une
roupie ou deux francs. Une pièce partagée en trois suffit à vêtir un homme. Il
roule un des morceaux en turban autour de sa tête, un autre autour de la ceinture,
124 Le costume historique — Tome III
qui couvre aussi les cuisses, et du troisième il fait un châle ou manteau qu’il
jette sur ses épaules.
Chaque bourg a quelques familles de teinturiers, le plus souvent musulmans.
Ils teignent en rouge et en bleu, par des procédés grossiers, ces étoffes com-
munes, et impriment sur elles de rudes dessins. Les femmes s’habillent de ces
toiles de couleur. Leur costume est le même que dans le Rajpoutana et dans
toutes les provinces septentrionales de l’Inde, y compris le Penjab. Leur jupon
descend jusqu’à la cheville ; il est serré sur les hanches par un cordon passé dans
une coulisse. Le ventre, l’estomac, les flancs sont plus ou moins nus ; le corset
qui recouvre la gorge, servant à cacher ou à soutenir les seins, est en général très
petit ; parfois, comme ici, il prend l’aspect d’un caraco ajusté, ne nuisant en au-
cune façon à la liberté des mouvements. Pour le travail des champs, les femmes
n’ont pas d’autres habits. Celles qu’on voit sur les routes ou dans les villages
autour des puits portent sur la tête une sorte de grand voile de très grosse mous-
seline, communément rouge ou bleue ou bariolée de ces couleurs, qui tombe
jusqu’à la ceinture ou jusqu’aux genoux, et qu’elles abaissent au-dessous des
yeux quand elles rencontrent un étranger.
Du poignet souvent jusqu’à l’épaule, leurs bras sont couverts de bracelets
de cuivre, de fer, d’argent, d’ivoire, et surtout de bois peint. Les vieilles ne re-
noncent pas à cet ornement.
Leurs bracelets de bois verni ressemblent beaucoup à des cornets à jeter les
dés. Elles portent des anneaux de cuivre ou d’argent aux doigts des mains, et
surtout des pieds, et d’autres anneaux massifs aux jambes, qui tombent sur le ta-
lon et le cou de pied. Il n’y a guère que les jeunes femmes qui portent un anneau
pendu au nez. Les femmes du peuple que l’on rencontre partout sont, comme
dans le reste de l’Inde, d’une grande modestie ; elles se cachent toujours de ceux
qui les regardent.
Chaque caste, et dans chaque caste, chaque classe, a dans toute l’Inde quelque
particularité dans la manière de rouler son turban. En général, il est de forme
peu gracieuse, laissant les oreilles découvertes et descendant fort bas sur le front
et derrière le cou.
Les nos 3 et 4 qui sont de ces mendiants signalés plus haut, portent des cos-
tumes qui ne sentent guère la misère. L’homme, tête entièrement rasée, ceinte
d’un ruban de joaillerie, ayant aux oreilles un large anneau avec pierre en éme-
raude, est vêtu du riche dhoti de mousseline, bordé de broderies en couleurs ;
son écharpe est de même étoffe et non moins luxueuse. Il est chaussé de la san-
dale en bois montée en patin, qui est souvent l’objet d’un travail raffiné. Cette
chaussure tient seulement au pied au moyen d’un bouton, dont la tige droite
Le costume historique — Tome III 125
passe entre le pouce et le premier doigt. Une série de ces sandales, provenant
du Penjab, a figuré à l’Exposition du Costume, ouverte en 1874 au Palais de
l’Industrie. Leur forme était analogue à ce que l’on voit ici ; le travail accusait
l’ancienneté, et on y remarquait, selon les paires, à l’une le bouton d’ivoire teint
en rouge et divisé en six lobes s’ouvrant comme les pétales d’une fleur de lotus,
chaque fois que le pied pose sur le bois de la sandale, à d’autres, un bouton en
ivoire blanc, dont la pression du talon faisait jouer le mécanisme. Certaines de
ces chaussures de bois étaient couvertes d’ornements gravés ; le bois en était
contourné ; sur d’autres, les gravures étaient remplies de pâtes colorées à la
façon des émaux champlevés. Ce moine qui pince de sa main droite les cordes
d’une riche guitare est salué par sa femme avec une vénération que redouble
sans doute son caractère religieux. Les vêtements de cette femme sont d’une
étoffe fine, légère, brodée ; les grandes nattes de ses cheveux ne pendent pas en
arrière dans toute leur longueur ; elles sont relevées en un nœud sur le dos. Elle
a la petite calotte d’orfèvrerie, les bijoux d’oreilles, l’anneau nasal, le collier à
plusieurs rangs, des bracelets d’or au poignet, des anneaux de jambes et aussi
des bagues de pied au doigt proche du pouce. Elle ne porte pas le petit corset,
l’étui des seins ; et peut-être faut-il voir dans l’abstention de cette protection de
la poitrine, coïncidant avec une riche toilette, la confirmation de l’usage admis
en certaines provinces, où la femme ne doit pas se présenter aux yeux d’un su-
périeur avec les seins couverts.
Le marchand de sel, n° 5, n’a d’autre particularité dans son costume que la
bordure rouge de la pièce de toile dont sont faits sa ceinture et son turban, et la
couleur différente de son manteau à petites franges. Les nombreux bracelets, ou
plutôt l’enroulement figurant des bracelets superposés que cet homme porte aux
arrière-bras qu’ils couvrent en grande partie, ne sont pas d’un usage très com-
mun chez le mari, c’est plutôt aux femmes que l’on voit cet appareil, qui paraît
ici composé de liens de jonc. Ce marchand de sel, qui naturellement a chargé sa
femme du fardeau de la marchandise, tient d’une main un bâton rond, de gros-
seur égale d’un bout à l’autre, de même nature que celui que le marchand de
grains, n° 1, tient sur l’épaule. Ce bâton n’est point une canne, mais le fléau de
la trutina des Romains, dont on allonge le bras de levier sur des fractions mar-
quées en conservant d’un côté l’unité de pesanteur, ce qui forme la balance la
plus rapide et la moins embarrassante. Le marchand de grains porte à sa ceinture
la série des poids dont le système de suspension ne permet pas la supercherie, et
derrière lui le sac qui renfermera les grains à peser. Le marchand de sel tient de
sa main droite les deux cordes courtes terminées par un nœud d’arrêt qui servi-
ront également à la suspension.
126 Le costume historique — Tome III
Voir pour le texte. V. Jacquemont, Voyage dans l’Inde ; Dubois de Jancigny, l’Inde, Didot,
Univers pittoresque ; Ferrario, l’Inde.
128 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 129
C’est dans la région méridionale du Kou- d’entre eux, l’anneau du nez, se présente ici
lou, le Sivradj, que les anciennes mœurs se avec une originalité de plus, celle d’être agra-
sont le mieux conservées : le mariage polyan- fé au-dessus de la lèvre supérieure après avoir
drique s’y est maintenu comme dans le Tibet ; passé dans une narine.
plusieurs hommes, généralement des frères
qui ne veulent pas diviser leur héritage, sont Nos 5 et 6.
les époux d’une seule femme et toutes leurs Nautch-girls du Cachemire.
économies sont employées à la couvrir de ba-
gues, de bracelets, de colliers, de pendants et Les femmes du Cachemire qui méritent leur ré-
autres bijoux en or et en argent ; parmi ces or- putation de beauté sont fort nombreuses et
nements, il en est du travail le plus intéressant, se distinguent surtout par la noblesse, la pu-
car les habitants du Koulou possèdent pour le reté des traits qu’elles gardent jusque dans la
travail des métaux des dispositions marquées. vieillesse. Cette réputation est telle qu’un des
On voit chez les montagnardes ici repré- articles de trafic, à Srinagar, consiste en pe-
sentées la même profusion de bijoux que chez tites filles envoyées par contrebande dès leur
les femmes indoues plus civilisées. Leur an- plus tendre jeunesse dans les grandes villes du
neau du nez, entre autres, est un travail dont nord de l’Hindoustan. La plupart deviennent
la délicatesse témoigne des attentions que ces bayadères et forment sans exception ce que
maris en société ont pour leur femme. l’on peut appeler le demi-monde cachemirien ;
Le costume convient à des habitantes des mais on peut dire à leur avantage que plusieurs
régions élevées ; il se compose d’une longue d’entre elles ont l’esprit cultivé, et ont, dans
tunique recouverte par un manteau se drapant certains grands centres, quelque chose de la
sur le corps et fixé sur la poitrine au moyen de position sociale qu’avaient les courtisanes à
deux fibules reliées par une chaînette ; les pans Athènes. D’autres jeunes filles que les familles
se rejettent sur les épaules. Comme coiffure, consacrent au service d’un dieu pour éviter de
les femmes koulou portent un bonnet autour les voir devenir de vulgaires nautchnis, mènent
duquel s’enroule une torsade de poils. une vie très réservée et ne dansent jamais que
dans le temple ou durant les cérémonies reli-
N° 4. gieuses.
Femme Mina. Le costume des bayadères du Cachemire
se distingue surtout par l’ampleur et la longueur
Les Mina étaient désignées jadis, comme tous les des vêtements. Il se compose d’un bonnet bro-
autres sauvages des régions montueuses par dé couvert de bijoux ; d’une longue tunique de
l’appellation méprisante de palita ou gens du satin broché sous laquelle se trouve un panta-
pal, enceintes fortifiées au moyen desquelles lon étroit serrant la cheville ; enfin d’une gaze
leurs demeures étaient parsemées à plusieurs de couleur tombant tout le long de leur corps,
centaines de mètres les unes des autres : c’est une de ces mousselines de Mourchidabad dont
ainsi qu’en Europe les termes de païens, ma- il faut s’envelopper sept fois pour se couvrir.
nants, rustres, furent donnés aux habitants des Ces femmes sont toujours parées de bijoux et
lieux écartés. de perles qui pendent avec profusion de leur
Aujourd’hui, les Mina se sont éloignés front et de leurs oreilles.
de l’ancien type aborigène. Épars dans le La beauté plastique et froide des naut-
royaume de Djaïpour, entre les Aravali et les ch-girls du Cachemire, s’harmonise avec leur
Djamna, ils se sont mêlés aux cultivateurs djat, danse qui n’est qu’une succession de poses
dont ils parlent le dialecte indou et pratiquent sculpturales d’un caractère tout antique. Un
les coutumes. de leurs pas (voir n° 5) consiste à balancer le
On voit dans cette figure de femme corps sur les hanches ou les jarrets en écartant
Mina la même réunion de bijoux que dans ou ramenant devant la figure leur grand voile
les exemples précédents. Le plus fantaisiste de mousseline.
Le costume historique — Tome III 131
Documents photographiques.
Voir pour le texte : Guillaume Lejean, le Pendjab et le Cachemire (Tour du Monde, 1869).
— M. L. Ronsselet Tableau des races septentrionales (Revue d’anthropologie, 1875). — M.
Élisée Reclus, Géographie universelle. — M. de Ujfalvy, l’Art des cuivres anciens dans
l’Himalaya occidental (Revue des arts décoratifs, mars 1884).
132 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 133
La plupart sont presque nus ; quelques- voit sur leur front. Colliers de verroterie et de
uns portent des vêtements provenant de la corail. Choli d’étoffe blanche, foncée chez
plaine, consistant simplement en pagnes et en la figure assise qui est vêtue en outre d’une
couvertures auxquels s’ajoutent parfois une pièce de toile portée en écharpe et d’un man-
sorte de manteau, morceau d’écorce que l’on a teau noué sur la poitrine. Langouti. Espèces
fait macérer dans l’eau pour n’en laisser que la de besaces suspendues de chaque côté et qui
fibre, procédé semblable à celui que l’on em- contiennent sans doute la provision de riz.
ploie dans les Carolines. Ici, les deux figures Les enfants et les femmes se chargent des
ont avec leur pagne, une pièce d’épaisse toile ustensiles de ménage ; seul, le pèlerin marche
blanche nouée sur la poitrine. libre, dans toute sa majesté de père de famille.
Le peu de longueur de leur pagne et la On voit tout le long des routes fréquen-
façon dont elles portent les lourds fardeaux tées par les pèlerins de grandes marmites de
(voir celui de l’enfant), permettent à ces po- terre intactes ou à peine brisées. Les gens de
pulations de gravir plus facilement les mon- caste croient que le regard d’un paria suffit
tagnes dont les escarpements sont coupés pour souiller les objets. En voyage, quelle que
d’une manière tellement abrupte que pour soit leur pauvreté, ils ne font jamais cuire leur
s’élever jusqu’à leur sommet, il faut en gra- nourriture dans un vase qui, après avoir servi
vir les parois soit au moyen d’échelles verti- aurait pu être vu par un individu hors caste ; ils
cales appliquées contre le rocher, soit par des préfèrent réduire leur ration de riz pour acheter
marches taillées dans la pierre. chaque jour une nouvelle marmite.
N° 6. N° 9.
Femmes des montagnes de l’Assam. Femme Mainpouri, habitante de l’est du Bengale.
Ces montagnardes sont beaucoup plus civilisées Il est peu de contrées, comme le Bengale, où la
que les Garro ; en contact avec les habitants de fantaisie naturelle ait inventé tant de curieuses
la plaine, elles en ont les mêmes vêtements : modes de coiffures. Cependant le turban por-
la longue tunique brodée et frangée et le châle té par cette figure ne s’écarte en rien du type
écossais ou à larges rayés, porté en carré ou consacré, il est même du caractère le plus pur.
noué sur la poitrine. Dans toute l’Inde, sa forme indique la caste.
Hommes et femmes sont très amateurs Boucles d’oreilles et pendants attachés
d’ornements. Ces dernières ont emprunté à aux côtés du turban, une chaînette les relie à
leurs voisines de la plaine les lourdes boucles l’anneau du nez (voir au sujet de cet anneau
d’oreilles ; mais les colliers de différentes lar- la notice de la planche 124). Colliers de corail
geurs et aux grains plus ou moins gros qu’elles ornés de petites médailles ; colliers d’orfèvre-
étalent sur leur poitrine, paraissent être une de rie dont l’un a une plaquette paraissant avoir
leurs fabrications. un caractère de piété ; longue chaîne de cou
s’étalant sur un corsage entre ouvert, d’étoffe
N° 7. légère. Jupe rayée et à fleurettes.
Femmes en pèlerinage. Dans le Bengale, il est des castes infé-
rieures dont le teint descend jusqu’au noir fuli-
Turban de toile. La marque blanchâtre de la secte gineux des Nubiens ou des Gallas. Cette figure
à laquelle appartiennent ces deux femmes, se en est un exemple.
Documents photographiques.
Voir pour le texte : M. A. Grandidier, Voyage dans les provinces méridionales de l’Inde.
— M. L. Rousselet, l’Inde des radjahs (ces deux ouvrages dans le Tour du Monde, années
1869 à 1874). — M. Élisée Reclus, Géographie universelle.
136 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 137
Japonais (voir le menuisier de la planche 98, vrages qui ont une beauté particulière et qui se
Japon). Pour travailler, le menuisier indou se distinguent par toutes les Indes. »
sert également de son pied gauche étendu en
avant et faisant l’office de sergent ou valet N° 10.
pour maintenir un support auquel il se dispose Barbier et son client.
à donner quelques coups de scie ; autour de
lui, sont dispersés les outils de son métier : Dans les pays barbaresques, on voit encore cou-
un ciseau à manche de bois, des tracerets, un ramment le barbier installé dans la rue, ayant
marteau, une équerre, etc. Les menuisiers de dressé contre un mur une table sur tréteaux, sur
l’Orient se servent de rabots qui jettent les co- laquelle le patient s’accroupit, afin que sa tête
peaux par les côtés et non par le milieu comme se trouve à la hauteur convenable pour que le
ceux dont on fait usage en Europe. Maure, qui opère debout, y promène le rasoir.
Les menuisiers indous ont le pas sur les Ce boutiquier est déjà assez primitif ; beaucoup
charpentiers et les remplacent parfois, comme moins cependant que celui qui instrumente ici
en Perse où l’on n’emploie que peu de char- avec son attirail du plus facile transport. L’arti-
pente dans la construction des édifices. On san est lui-même accroupi comme son client ;
peut citer, à propos de ces artisans indous, ce si les singes se rasaient les uns les autres, ils
que Chardin dit de leurs confrères persans : ne procéderaient pas autrement ; mais il faut
« Les menuisiers sont très habiles et très indus- à l’homme une singulière sûreté de main pour
trieux dans la composition de toutes sortes ou- raser une tête d’aussi près que le fait l’Indou en
pareille position.
vrages de rapport et de mosaïque, dont ils font
particulièrement des plafonds admirables. Ils
N° 8.
travaillent leurs plafonds en bas tout entiers ;
Marchand de mitai ou pâtisseries.
et quand ils sont achevés, des machines les
élèvent en haut sur le comble de l’édifice et sur
Ce marchand, coiffé d’un léger bonnet, est simple-
les colonnes qui le doivent supporter. » Dans
ment vêtu de l’angarkah, courte chemise s’ou-
le salon du pavillon persan érigé au Trocadéro
vrant sur le côté de la poitrine, et d’un janghir,
en 1878 (voir la planche 143), le plafond a été
caleçon collant. Son panier, construit avec
construit, puis élevé au moyen des mêmes pro- élégance et solidité, est couvert de pâtisseries
cédés décrits par le voyageur français. sucrées appelées mitai.
N° 11. N° 5.
Ciseleur cachemiri. Multani, colporteurs banyans.
Ce Cachemiri, accroupi devant son établi, ci- La caste des Banyans (en sanscrit banik, mar-
sèle l’une des faces d’un petit étui ; le ciselet, chand) du Penjab comprend les plus habiles
mordant sous le choc du marteau, creuse les commerçants de l’Inde. Dans toutes les villes
formes qui ont été préalablement indiquées sur de l’Asie centrale on rencontre de ces mar-
le métal. Dans le Cachemire, le même artiste chands, connus en général sous le nom de
est à la fois dessinateur, sculpteur et ciseleur. multani. Ces porte-balles sont les porteurs de
Les Cachemiris possèdent d’ailleurs de- nouvelles et des rumeurs de guerre qui se pro-
puis longtemps un talent spécial pour la fabri- pagent avec une si étonnante rapidité des bords
cation d’objets d’art de toute nature : « Ils ont, de l’Oxus à ceux du Gange.
dit Bernier, la réputation d’être beaucoup plus Ces deux marchands, accroupis à côté de
fins et adroits que les autres Indiens ; ils sont leur boutique ambulante, sont de couleur noire
de plus très laborieux et très industrieux : ils comme une partie des habitants du Penjab qui
font des palkys (palanquins), des bois de lit, descendent des tribus aborigènes antérieures à
des coffres, des écritoires, des cassettes, des l’invasion des Aryens. Le premier, coiffé d’un
cuillères et plusieurs autres sortes de petits ou- turban blanc aux plis savamment disposés,
Le costume historique — Tome III 139
n’a, pour tout vêtement, qu’une courte pièce vendant des étoffes et mille petits objets de
d’étoffe enroulée autour des reins. Le second leur industrie.
porte un léger bonnet, une veste sans manches Ces Mainpouris se retrouvent en foule à
sur l’angarkah ou chemise, un langouti et une Mandalé, une des principales villes de la Bir-
écharpe retombant sur la poitrine ; le tout est manie, où on leur confie les travaux les plus
d’étoffe blanche. pénibles.
Quant aux objets sortis de la malle et éta-
lés avec toute l’adresse d’un marchand indou, Nos 2 et 3.
ils sont de toutes sortes et de toutes prove- Gourkas, tribu guerrière du Népaul.
nances ; ce sont des flacons d’eaux de senteur,
des itinéraires, des bouteilles de liqueurs, des Turban laissant les oreilles à découvert ; sur l’an-
sachets parfumés et jusqu’à des peignes d’une garkah, courte chemise, une veste d’étoffe très
forme exactement semblable à ceux qui se fa- ajustée ; janghir, caleçon collant. Peu d’Indous
briquent en Europe. portent des souliers.
Le Népaul est un État jouissant d’une
N° 4. indépendance relative vis-à-vis du gouver-
La meule ou le moulin de famille ; les nement anglo-indien. Au quatorzième siècle,
femmes indoues écrasant le grain. des Rajpoutes s’emparèrent du pays et, avec
d’autres émigrants du sud fuyant devant le
Dans la majeure partie de l’Inde, tous les matins, fanatisme musulman, en modifièrent la popu-
lation primitive. Les Népalais doivent à ces
avant l’aube, on entend dans chaque chaumière
conquérants d’être les seuls habitants de l’Inde
le bruit sourd de la meule à bras sous laquelle
dont le territoire n’ait pas été foulé par les sol-
les femmes broient grossièrement le grain de
dats de l’Islam.
riz qui doit servir ce jour-là à la subsistance de
La race de ce pays, très mêlée, se com-
la famille ; car jamais on n’en moud au-delà
pose de Rajpoutes, — de Parbattia ou « mon-
de ce qui est nécessaire aux besoins d’un jour.
tagnards » offrant un type indianisé sous lequel
Les femmes Kabyles emploient une meule
se retrouve l’élément aborigène, le tibétain,
analogue pour écraser le grain de leur froment
— et de tribus militaires comme les Khas, les
(voir la planche double, 152-153, Afrique). Magars et les Gouroung, uniformément dé-
Ces femmes portent le choli, petit cor- signées sous le nom de Gourkas. Ces tribus
sage, le dhoti, caleçon, et le sari enveloppant montagnardes composent presque toute la
la tête, tous vêtements déjà décrits. force armée du Népaul ; mais cela ne suffisant
pas aux instincts militaires de leurs hommes,
MONTAGNARDS. beaucoup d’entre eux, à l’exemple des Suisses
d’autrefois, émigrent pour servir à l’étranger.
N° 1. Ces soldats nés ont le plus profond mépris
Mainpouri du bassin de l’Irraouaddi. pour les Madhesia, c’est-à-dire les gens de
la plaine. Voir les armes en usage au Népaul,
Turban noué sur le côté de la tête ; chemise recou- dans la planche 121, Inde.
verte d’une veste d’étoffe ; langouti de toile
blanche. Nos 6 et 7.
Les Mainpouris appartiennent à une po- Montagnardes assamaises.
pulation qui, prise en masse, ressemble, par les
traits physiques, aux habitants des contrées de Bonnet brun ; à la chevelure sont attachées une
l’Empire chinois. Ils abandonnent en général multitude de petites tresses de laine qui leur
leurs hautes vallées pour émigrer, comme nos pendent sur le dos et les épaules ; à l’extrémité
Auvergnats ; on les rencontre sur toutes les de ces tresses, se trouvent fixés plusieurs petits
routes de la Birmanie, poussant devant eux fragments de corail. Tunique aux manches lon-
leurs animaux de charge, buffles ou chevaux, gues et étroites ; pantalon froncé sur le bas de
140 Le costume historique — Tome III
Documents photographiques.
Voir, pour le texte : Jacquemont,Voyages dans l’Inde, Didot 1841. — Louis Rousselet,
l’Inde des Rajahs (Tour du monde, années 1870-71, 1872, 1873 et 1874).— M. Élisée Reclus,
Géographie universelle. — M. de Ujfalry Les Cuivres anciens du Cachemire, Ernest-Leroux,
1883.
142 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 143
Le climat brûlant de l’Inde a forcé ses habitants Dans l’Inde, les maisons du peuple et celles des
à chercher un genre de construction propre à riches sont si confusément mêlées qu’elles se
leur procurer un peu d’ombre et de fraîcheur. coudoient presque toujours. Les somptueuses
La forme qui a le mieux résolu ce problème demeures à plusieurs étages, à l’aspect svelte,
est une demeure largement couverte par un toit dégagé, aérien, aux larges balcons en bois dé-
immense ayant l’aspect d’une vaste tente et coupé, offrent généralement le croisement de
débordant sur des galeries à jour où l’air cir- deux styles rapprochés avec une grande origina-
cule librement. lité ; l’indou, représenté par les ornements et les
Le type de ces maisons se rencontre sculptures, et les principaux traits de l’architec-
dans celle ici représentée ; elle appartient à ture chinoise que l’on rencontre dans l’emploi
de petits marchands. Sa base est construite en du bois et la superposition des toitures.
pierre et le reste en briques séchées au soleil Leur façade présente ordinairement des
ornements ciselés sur le bois ou sur la pierre,
et soigneusement blanchies ; le rez-de-chaus-
où alors on voit cette façade couverte de pein-
sée et l’étage sont garnis de boiseries et de
tures représentant les figures allégoriques et
colonnettes sculptées. Sous une véranda som-
grotesques de la théogonie indoue. Les balcons
mairement installée, on voit une pile de chau-
font le tour de la maison aux étages supérieurs
drons superposés, offrant sans doute quelques
et se projettent en encorbellement sur ceux
échantillons de ces cuivres merveilleux que des étages supérieurs. Le toit est couvert en
l’on fabrique encore dans certaines contrées planches et en écorces de bouleau quelquefois
de l’Himalaya occidental, où les ménagères chargées d’une couche de terre battue. Les fe-
ont pour ustensiles des objets magnifiquement nêtres s’alignent par étage, comme dans les
décorés et couverts d’inscriptions persanes ; maisons européennes ; mais leurs dimensions,
œuvres d’art de deux à trois siècles d’existence ainsi que celles des portes, sont très petites,
et d’un travail trop délicat pour que, malgré vu le peu de hauteur de chaque étage ; on les
l’indiscutable habileté que possèdent encore munit de croisées semblables aux nôtres, sur
les ouvriers, l’on puisse en faire actuellement lesquelles on colle en hiver du papier huilé en
de semblables dans le pays. guise de vitres. En été, rien ne les ferme. Ces
Par sa structure, le bungalow, maison maisons, moins hautes assurément que celles de
anglo-indoue, se rapproche assez de celles des Paris, le paraissent davantage à cause de l’étroi-
indigènes ; il consiste en un simple rez-de- tesse des rues. Le rez-de-chaussée de presque
chaussée élevé sur un soubassement de briques toutes celles que n’habitent pas des gens fort
et surmonté d’un toit pyramidal. riches est converti en boutique ou en magasin.
Dans toutes les villes où l’agglomération
européenne n’est pas assez considérable pour N° 3. — Bateau de plaisance du maha-
avoir suggéré à la spéculation privée l’idée de radjah de Kachmir (Srinagar).
fonder des hôtels, le gouvernement a bâti un
traveller’s bungalow, sorte de villa, simple, Les barques effilées, comme ce petit yacht, qui
élégante, où tout voyageur peut s’installer parcourent en tout sens la « Venise indienne »,
confortablement pour un prix modique. sont rapides comme des gondoles.
144 Le costume historique — Tome III
Les Indiens ont toujours donné beaucoup d’atten- saison du flottage, presque tous les habitants
tion à la navigation intérieure ; car le grand des environs, en amont et en aval, n’ont d’autre
nombre de fleuves qui traversent l’Hindous- occupation que d’aller saisir le bois flotté et de
tan et surtout les inondations annuelles leur en le lier en radeaux. Le débardeur n’a pas besoin
faisaient sentir le besoin et l’utilité. C’est ce de bateau ; s’appuyant sur une sarna, outre en
qui a donné lieu parmi eux à cette prodigieuse peau de chèvre gonflée d’air, dont les pattes de
variété de bateaux dont les uns servent aux derrière sont attachées en forme d’anse pour
plaisirs des gens aisés et les autres aux néces- qu’il y passe les jambes, il glisse sur l’eau en
sités du commerce. Ces embarcations offrent la frappant des mains et, se laissant pousser par
une conformation analogue à la nature du pays le courant, va, vient sans cesse, remorquant les
où elles sont en usage : dans le Nord, on les troncs d’arbres.
fait plates, parce que les eaux sur lesquelles Toute cette population, du reste, a quelque
on les emploie sont peu profondes ; mais sur chose de l’amphibie. Elle ne se couvre généra-
les côtes, elles sont terminées en pointe, pour lement que d’un court caleçon de cotonnade et
mieux prendre les vagues et résister au choc d’un turban ; le reste du corps est nu. À terre,
des écueils. le paysan charge son outre sur son épaule et va
Le bateau de plaisance dont se servent les son chemin. Ce sont les mêmes usages dans les
gens riches pour faire quelque voyage d’agré- endroits où l’on se sert de l’outre de buffle.
ment, s’appelle fyl-t-chiarra, ce qui veut dire Il y a en Babylonie un mode de transport
tête d’éléphant, parce que la proue en porte qui consiste en un radeau (le kelek) soutenu par
l’image ; ces bateaux portent beaucoup de une couche d’outres gonflées, en nombre pro-
rames dont l’une, plus longue que les autres, portionné au poids que ce radeau doit supporter.
est fixée sur le devant et sert à les guider. Sur le plancher, on entasse les marchandises
Un autre genre assez semblable au pré- et on dresse parmi les ballots une cabine en
cédent, se nomme le mour-pounky ou tête de planche pour le marchand ou quelque passager
paon ; les rameurs se servent de pagaies, rames de qualité ; puis on part en suivant le fil de l’eau.
des embarcations indiennes et malaises ; ceux Arrivé à destination, le kelek est dépecé ; les
qui les manient ont la tête tournée vers la outres dégonflées sont reprises par le marchand
proue. L’exemple de notre planche est de cette qui retourne chez lui à dos de chameau.
famille. Cette manière de voyager par eau est
Entre toutes les variétés on peut encore connue depuis quelque trois mille ans, dit
citer le bangle, un des plus grands bateaux Guillaume Lejean (Voyage en Babylonie), et
dont on se sert pour les transports de riz ; le la description qu’en donne Hérodote peut en-
polouar, un des mieux construits et des plus core s’appliquer au temps présent. L’immo-
propres à la navigation intérieure à cause de bile Orient offre à chaque pas de ces ressem-
sa légèreté ; le gonga, que l’on emploie sur les blances, et l’antiquité y est aisée à commenter
lacs et les étangs pour la pêche au filet ; les sur place.
pinasses, véritables navires qui peuvent aller
en haute mer ; et enfin le graab ou paal, navire N° 5. — Hackerry ; Bombay.
à trois mâts ayant pour trait caractéristique une
proue se terminant en pointe, forme particu- Les grandes rues de Bombay sont encombrées de
lière à l’architecture navale des Indiens. véhicules : omnibus dont les chevaux ont la
tête abritée par un bonnet en moelle d’arbre ;
N° 4. — Paysans du Penjab, avec la sarna gonflée calèches élégantes qu’entraînent rapidement
qui les aide à traverser les rivières. des chevaux arabes ou mahrattes ; voitures
attelées de bœufs dont la bosse se balance sur
À Akhnour, dans les plaines du Penjab, le fleuve le garrot.
rapide entraîne au printemps les billes de déo- Le hackerry est une des seules voitures
dar et de pins que les bûcherons ont précipitées d’origine indienne que l’on rencontre encore
dans les cataractes du cours supérieur. Dans la aujourd’hui et sa forme a reçu quelques per-
Le costume historique — Tome III 145
fectionnements. C’est toujours une charrette On voit aussi quelques ruths, voitures couvertes
à deux roues, mais la caisse possède un peu de légers dômes dorés d’où pendent des ri-
plus d’élégance ; elle est surmontée d’un pe- deaux de soie ; elles sont également traînées
tit toit soutenu par quatre colonnettes, abri qui par des bœufs harnachés avec la plus grande
se trouve prolongé par une véranda maintenue magnificence.
horizontalement au moyen d’un bâton s’ap-
Le bœuf est à l’Inde ce que le cheval
puyant sur l’essieu, seul endroit où le cocher
peut trouver une place. L’attelage se compose et l’âne sont au reste du monde. Quelquefois
d’une paire de bœufs trotteurs. l’homme le monte comme en Afrique, et plus
Lorsque les dames indoues prennent le d’un courrier parcourt de vastes espaces sur
hackerry, ce qui est fréquent, elles en abaissent un petit bœuf à cornes droites, blanches et
les rideaux. presque diaphanes.
Documents photographiques.
Voir, pour le texte : Ferrario, le Costume ancien et moderne (Asie, tome II). — Jacquemont,
Voyage dans l’Inde, Paris, Didot, 1811. — Fleuriot de Langle (amiral),Voyage au Malabar
(Tour du Monde, année 1864). — Louis Rousselet, l’Inde des Radjahs (Tour du Monde, années
1870-71, 1872, 1873 et 1874). — Élisée Reclus, Inde et Indo-Chine (Géographie universelle),
Paris, Hachette, 1883.
146 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 147
L’île de Ceylan, Singhala, est la Taprobane des anciens ; elle est située à l’ex-
trémité sud de la péninsule indienne, à l’entrée du golfe de Bengale. Malgré cette
proximité, elle se rattache par des traditions et ses relations intimes à l’lndo-Chine ;
aux contrées d’Ava et de Siam particulièrement. C’est une des plus belles et des
plus fertiles îles du monde. Elle est éclairée presque verticalement par le soleil.
Les Portugais ont occupé le littoral pendant le XVIe siècle ; ils y furent rempla-
cés au XVIIe siècle par les Hollandais à qui les Anglais l’enlevèrent à la fin du
XVIIIe ; enfin, dans la première partie du siècle actuel, ces derniers ont complété
leur conquête, et sont aujourd’hui possesseurs de l’île entière.
La population indigène se divise en quatre races. Les Weddahs ou Beddas,
probablement aborigènes, retirés dans les montagnes ; les Singhalais ou Chin-
galais, venus de l’Inde, anciens conquérants, divisés en Kandiens, du centre
de l’île, et en Singhalais des côtes ; les Malabares, venus après, de l’Inde éga-
lement, et les Mores, répandus dans toute l’île. Les Singhalais professent le
bouddhisme, les Malabares, le brahmanisme ; les Mores sont mahométans. La
moitié des indigènes, surtout ceux des classes élevées, est chrétienne, catholique
pour le plus grand nombre. Le christianisme leur fut apporté au XVIe siècle par
saint François Xavier. Aux cultes des indigènes, on peut joindre le judaïsme,
car on trouve partout des fils d’Israël trafiquant de bijoux, de petits ouvrages en
bois d’ébène, en ivoire, en écaille, et agissant, dit-on, comme les Mores adon-
nés à ce commerce, c’est-à-dire mélangeant communément, des pierres fausses
aux pierres véritables. On dit ces juifs venus directement de Jérusalem. Chez
les Singhalais, comme parmi les Indous, il y a des distinctions de castes, ayant
encore une importance réelle, malgré les conquérants anglais qui les ont abo-
lies. On en compte quatre : la caste royale, Khastria, ou Radjah-Wansè ; la caste
brahmine, Brahmina-Wansé ; les castes inférieures, Wayssia-Wansé et Shou-
dra-Wansé. Les Rodias, Gattarou, qui sont les Pariâhs, sont hors de caste (out
castes). L’esclavage est supprimé.
148 Le costume historique — Tome III
N° 1. — Novice religieux. N° 6. — Singhalaise des côtes, des castes moyennes.
Son canezou de coton est brodé au cou et même
N° 2. — Prêtre kandien. rehaussé de dentelles ; elle est chaussée.
Il y a deux catégories de prêtres bouddhistes, d’un
ordre supérieur et d’un ordre inférieur. Avant de N° 10. — Singhalais de même rang social dont le
prendre les ordres, ils sont soumis à un noviciat. costume en coton est aussi décrit.
Ils sont engagés au célibat, et pour retourner à
N° 11. — Marin de Ceylan ; son turban est de co-
la vie laïque ils sont obligés de se dépouiller de
ton rayé, la veste agrafée est en soie rayée et
leur robe jaune et de la jeter à la rivière. Les brodée d’or, la robe et le pantalon sont en toile
prêtres vivent en communauté et sont voués à de coton ainsi que son mouchoir.
la pauvreté. Ils vivent de mendicité et de dons.
Ils pratiquent gratuitement la médecine. Leur Nos 3, 7, 9. — Israélites, dont le costume est remar-
nombre est considérable. Ceux qui desservent quable par le bon goût et la qualité des étoffes.
les temples des dieux sont appelés kapurals. L’homme, n° 3, est vêtu de soie. Le turban, la
Personne ne peut s’asseoir en leur présence. Ils robe ou surplis, le pantalon et jusqu’à la pan-
sont considérés comme supérieurs aux dieux toufle indienne brochée d’or, aux bouts rele-
qu’ils n’adorent jamais, et, quand ils prêchent, vés, tout est de ce tissu, sauf la pièce d’étoffe
sortant du vêtement à la hauteur de la poitrine,
ils invitent ces dieux à faire partie de leur audi-
qui est de mousseline brochée d’or. La mode
toire. Ces prêtres ont la tête rasée et découverte,
en est des plus anciennes et de caractère indou.
comme marque visible de leur renoncement aux La juive, n° 7, porte également une coiffure en
vanités du monde ; le sacrifice est en effet sen- turban et une robe de soie ; le corsage, taillé à
sible pour les Singhalais qui font de leur cheve- la mauresque, ainsi que les manches, sont très
lure un ornement si précieux. Ils ont trois robes élégants ; les souliers sont en velours. L’autre
de couleur jaune, la couleur sacrée, le sanghati, juive, n° 9, est habillée dans le même genre,
l’outtavasangha et le antarawasako ; ce sont de mais avec un luxe supérieur ; le turban est éga-
simples morceaux d’étoffe dont ils s’entourent lement en soie, mais la robe de soie, tissée d’or
le corps, laissant nus l’épaule et le bras droit. est un véritable brocard ; c’est de la dentelle
Les robes doivent être confectionnées et teintes qui termine les manches. La chaussure est aussi
en velours ; toutes deux portent des pendants
dans l’espace d’une journée. Il est des parties de
d’oreilles, des colliers, des bracelets. Leurs che-
Ceylan, dit M. Grandidier, où l’on récolte et file
veux découverts tombent librement en arrière.
le coton, où l’on tisse et teint l’étoffe en un jour, Les deux enfants, nos 4, 5 sont des parsis ou
avant le coucher du soleil. Notre novice n° 1, guèbres. On trouve de ces originaires du Kho-
tient un parasol à manche de bambou, de facture raçan dans toute l’Asie, depuis Aden jusqu’en
chinoise ; le prêtre n° 2 a en main un évent en Chine. Leur teint est plus clair que celui des
bois travaillé. Indous. Ils ont un attachement sans bornes
pour leurs usages primitifs ; leurs enfants sont
N° 8. — Chef de village. Les nobles Singha- vêtus selon des traditions dont ils sont fidèles
lais portent une jaquette boutonnée jusqu’au observateurs. Dès l’âge de sept ans les deux
cou. Celle-ci est en drap. Son comboye (voir sexes revêtissent le sadra ou surplis sacré qui
planche 133) est en soie à dessins brochés ; son représente la cotte de mailles que les Guèbres
portaient avant leur arrivée dans l’Inde, pour
baudrier est en soie, brodé d’or ; le fourreau de
se préserver des attaques d’Ahriman, l’esprit
son yatagan est métallique ; il a des souliers du mal. Ces enfants parsis sont vêtus, le n° 4
qui, ainsi que les bas, sont aujourd’hui d’un de coton, l’autre de beaux habits d’étoffe de
usage général parmi les personnes de distinc- soie brochée d’or. Les plus riches négociants
tion. Son peigne en écaille est travaillé d’or. de Bombay et même de l’Inde entière appar-
(Voir pour le détail de cette coiffure la planche tiennent à la communauté parsi. Ils déploient
ci-dessus rappelée). un luxe européen.
Le costume historique — Tome III 149
sous le nom d’hommes aux cheveux de femmes. drapent et se couvrent la tête à l’approche des
Les femmes n’emploient pas les deux peignes hommes, même dans leur maison.
dans l’arrangement de leur chevelure. Leur
costume est le même que celui des hommes, N° 6.
sauf la substitution à la veste d’un canezou Indou du menu peuple vêtu et coiffé, à l’ordinaire,
qui, comme on peut le voir dans le costume de toile de coton.
de la classe moyenne, est assez mal ajusté. Les
individus des deux sexes portent des boucles
N° 8.
d’oreille et quelques bijoux d’or et d’argent.
Indou de classe plus relevée. — Son pantalon est
C’est la coutume dans toutes les classes d’em-
de soie ; le reste, de cotonnade imprimée. Son
prunter des vêtements et des bijoux pour aller
en visite ; la pénurie est telle dans les classes turban élevé est peut-être l’insigne de quelque
inférieures, qu’il est peu de ces indolents Sin- affiliation religieuse. Parmi les Banyans, les
ghalais possédant un vêtement complet. Bhatiyas portent un turban de haute forme
avec une petite corne sur le front ; ils appar-
Nos 6, 8, 9, 10, 11, 12. tiennent à la secte djaïne.
Indous du Deccan méridional.
Ils ont pour la plupart la peau très luisante, par N° 9.
suite de l’habitude de s’oindre la tête et de se Femme indoue, vêtue à la musulmane. — Sa coif-
frotter le corps d’huile de sénevé, plusieurs fure, espèce de béguin, est de soie et d’or. Elle
fois par jour, pour combattre la transpiration. porte le sari sur l’épaule. Tout est en cotonnade.
Les hommes ont presque tous la tête rasée,
sauf dans quelques castes où pour des motifs N° 10.
religieux, on garde une touffe à l’occiput ;
Serviteur musulman. — Gilet en soie ; le reste en
les femmes portent leurs cheveux retroussés
coton, y compris le parasol.
par-derrière, formant un simple nœud ; il n’y
a que les veuves en deuil ou les femmes pu-
nies pour quelque délit qui aient la tête rasée. N° 11.
Les Indous et même les musulmans portant Indou de Pondichéry, également vêtu de coton,
leur barbe sont en petit nombre, mais presque ainsi que la servante, sa voisine.
tous ont des moustaches soigneusement entre-
tenues. N° 12.
Les femmes du Bengale, de Bahar, d’Oris- Servante indoue ; le sari est drapé autour du corps
sah portent toutes le sari, voile dont elles se en passant par-dessus l’épaule.
Voir pour le texte : Voyage dans les provinces méridionales de l’Inde, par M. Alfred Gran-
didier (Paris, 1864). (La relation si précise de l’exploration de l’île de Ceylan écrite par ce
voyageur nous a été du plus grand secours).— An historical, political and statistical Account of
Ceylan and its dependencies, by Charles Pridham (Londres, 1849, 2 vol. in-8°). — Ferrari, etc.
154 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 155
Nos 1, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10.
Kris avec deux gaines. Nos 5, 14, 17, 21, 22.
Armes plus compliquées, de même nature que les
N° 4.
précédentes.
Étendard.
Les Orientaux possèdent au plus haut degré l’art de draper le turban ; mais
quoiqu’il existe une véritable tradition sur la manière d’enrouler le turban sur
le tarbouch, tradition ottomane, les différents enroulements qui figurent ici font
assez voir, par leurs aspects variés, que la disposition du turban est loin d’être
toujours la même ; et que sa physionomie se modifie très sensiblement, par suite
des coutumes et des modes locales, et aussi, dans une mesure plus ou moins
large, selon les milieux, en raison du caprice personnel.
En retraçant la manœuvre qu’exige l’enroulement du turban ottoman, celui
qu’on peut appeler de type régulier, on sera d’autant plus à même d’apprécier
les écarts qui existent dans la pratique. Notre n° 17 offre un exemple du genre de
l’enroulement ottoman ; l’individu représenté est un descendant du prophète : il
porte un turban vert, indice caractéristique de sa filiation directe. C’est un Yezdi,
habitant de la ville de Yezd ou Jezd, en Perse.
L’étoffe d’un turban est ordinairement un carré long, quelquefois de quinze
ou seize pieds. Il faut être deux pour le rouler convenablement ; une des per-
sonnes tient à deux mains une extrémité du carré par les coins, tandis que l’autre
tient dans une seule main le coin opposé du bas, l’étoffe étant dans un plan ver-
tical, de manière que le coin supérieur retombe de lui-même et se replie suivant
une diagonale. Chacune des deux personnes tournant simultanément l’étoffe en
sens inverse, comme pour tordre un linge mouillé, la torsion s’opère. Pour ajus-
ter cet enroulement sur la tête, on saisit de la main gauche le bourrelet, dont on
laisse dépasser hors de la main, du côté du petit doigt, une longueur d’environ
deux mains ; on place le rouleau sur la tempe près de l’oreille gauche, tandis
que le bourrelet tourne derrière la tête, en couvrant presque entièrement l’oreille
droite et biaisant sur le crâne après deux ou trois tours parallèles et le reste des
tours en sens opposé ou en croix, de manière à couvrir l’oreille gauche, et en
continuant jusqu’au bout du bourrelet, dont on fixe l’extrémité posée en premier
sur cette tempe et sur le tarbouch ; on la passe au-dessus du turban, ce qui en
forme comme une embrasse consolidante. Le tarbouch doit être préalablement
très enfoncé sur les oreilles pour plus de solidité ; toutefois, cette nécessité est
plus ou moins grande, selon la conformation de la tête. Rappelons que, pour les
Orientaux, ôter le turban est un acte irrespectueux.
Le costume historique — Tome III 161
notre exemple montre est un bonnet en peau montagnards qui ont vu passer à leurs pieds
d’agneau noire de la forme du pileus. toutes les invasions sans jamais être délogés,
il faut convenir que leur nom de vaillants est
DAGHESTAN. largement justifié. Aujourd’hui une partie du
Kurdistan dépend nominalement de la Tur-
Nos 18 et 23. — Le Daghestan ou gouvernement quie, et l’autre, non moins nominalement, de
de Derbend est une province de l’empire la Perse ; mais pachas turcs ou gouverneurs
russe, ayant à l’est la mer Caspienne, au sud persans, chargés de prélever de faibles tri-
et à l’ouest les gouvernements de Bakou et de buts, n’insistent guère quand ces montagnards
Tiflis. Le Daghestan est habité par plusieurs font la sourde oreille et se montrent récalci-
peuples distincts, les Lesghiz ou Lesghiens, les trants. Les Kurdes sont redoutables et ne se
Kouinuks, les Nogaïs, des Arabes et des Juifs. contentent pas, en cas de désaccord, de rester
Le n° 18 est de Derbend, au sud de la mer Cas- sur la défensive : ils désolent les plaines par
pienne ; le n° 23, est un Lesghien.
de rapides incursions, et, sur toutes les routes
voisines, les passants sont détroussés, les ca-
KURDISTAN.
ravanes arrêtées par de hardis cavaliers, armés
Nos 7, 12, 13 et 26.
de la lance et du fusil.
N° 7. Kurde coiffé d’un fez avec puskul sur lequel
Le gros de la nation kurde habite aujourd’hui
le pays des montagnes qui s’étend à l’est du est enroulé un léger turban de foulard.
Tigre, au sud des lacs de Van et d’Ourmiah. Nos 12 et 13. Kurdes avec la coiffure du cos-
C’est le territoire où les historiens et les géo- tume de guerre. — La calotte damasquinée
graphes placent les Carduques, Gordiens ou et à pointe aiguë est ornée de trois plumes de
Gordiéniens. En Persan, kourd, gourd, veulent paon ; elle soutient un camail de fer indépen-
dire : fort, vaillant. Les Kurdes en prenant ce dant de la cotte de mailles, et se divisant sur
titre, auraient fait, selon M. G. Perrot, comme le devant pour ne pas gêner les mouvements
les Francs, comme les Germains et d’autres de la tête. Ce casque porte à l’avant un nasal
peuples encore ; leur nom ne serait qu’une qui s’abaisse ou se relève à volonté, comme on
épithète louangeuse, une naïve expression de peut le voir en nos deux exemples.
leur confiance en leur énergie et leur courage. N° 26. Kurde d’Ourmiah. — L’enroulement bi-
S’il est vrai que les Kurdes soient les anciens zarre de cette coiffure est un composé de fou-
Carduques, et si ce sont toujours les mêmes lard et de cotonnade.
Voir pour le texte : M. de Gobineau, Voyage en Perse. — M. Em. Duhousset, les Chasses
en Perse. — M. de Blocqueville, Quatorze mois de captivité chez les Turcomans. — M. Ba-
sile Vereschaguine, Voyage dans les provinces du Caucase. — M. Alf. Grandidier, Voyage
dans les pays méridionaux de l’Inde ces divers voyages parus dans le Tour du monde, Paris
Hachette. — Jacquemont, Voyage dans l’Inde, Paris, Didot) 1835-1844, 6 vol. — Hamdybey
et de Laimay, Costumes populaires de la Turquie, Constantinople, 1873. — Xavier Raymond,
l’Afghanistan, Univers pittoresque, 1841. — G. Perrot, les Kurdes de l’Haïmaneh. Revue des
Deux-Mondes, 1865. — Le Magasin pittoresque, 1841.
166 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 167
PERSE — Planche 137
Nos 1, 2. — Jeunes Ilyates de Véramine. Les Ilyates sont des nomades, vivant
sous la tente et parcourant le pays, du Tigre aux frontières de la Chine. Pasteurs,
élevant des bestiaux et des chevaux, ils abandonnent rarement la vie errante
pour se livrer à l’agriculture. Leurs femmes ne sont pas recluses et ne font au-
cune difficulté de se montrer sans voile aux étrangers.
On en fait ainsi deux par jour, sur les onze heures du matin et vers le coucher
du soleil ; le second plus abondant que le premier. L’aliment le plus usité est le
riz, que l’on mange ordinairement en pilau, c’est-à-dire peu cuit et un peu sec.
La composition de ce mets est souvent très compliquée chez les gens aisés ; on
y fait entrer des oignons, du sel, du poivre, du girofle et aussi de la cannelle, de
la cardamome, du fenouil. Parfois on y ajoute des amandes pilées, des raisins
sans le pépin, des pois rôtis, bouillis, des haricots verts, le mach-pilove, cuits
à l’eau ; on l’arrose de beurre, enfin on le décore en le colorant avec du safran,
de la garance, de l’épine-vinette et en y traçant divers dessins parsemés de pe-
tits haricots ou de pois disposés symétriquement. On mange souvent le pilau
avec l’yugurt, lait caillé légèrement aigri, ou encore avec le suc des cerises, des
mûres, des grenades.
Les sucreries et les pâtisseries sont parfumées avec des essences de toute
sorte. Les Persans excellent dans leur confection, ainsi que dans celle de leurs
sorbets.
PERSE — Planche 138
La servante n° 2 est également entourée de tous les vases dont elle a besoin
pour préparer le thé, l’entretenir et le servir bouillant. Le samovar est le prin-
cipal de ces récipients. Le thé est offert aux visiteurs avec du sucre, dans des
tasses avec soucoupes en verre. La servante n° 3 sert le café.
Quant au service du kaléan, il est non moins actif. Le tabac que l’on consume
dans cette pipe est ordinairement le tabac de Chiraz, très doux et qu’on lave en-
core trois ou quatre fois avant de s’en servir. Le kaléan doit être essuyé ; car il ne
faut pas que l’eau de la carafe monte à la bouche du fumeur. C’est ce que fait le
domestique qui l’a préparé, en l’allumant avec un tuyau de bois adapté à la place
du tuyau élastique à bout de cristal réservé au maître ; ce tuyau de bois est celui
qu’on présente aux convives lorsqu’on leur fait la politesse, qui ne doit jamais
être refusée, de les faire fumer les premiers. Les femmes, qui fument aussi beau-
1 Cette porcelaine, dite de Chine, se fabrique à Chinaz, à Metschad, à Kerman et dans un bourg
de la Caramanie, appelé Zarang. (Ferrari)
172 Le costume historique — Tome III
coup, s’offrent entre elles le kaléan, après le café, lorsqu’elles se rendent visite.
La servante n° 4 allume la pipe qu’elle offrira à sa maîtresse ou aux invités2.
Des serviteurs masculins remplissent toutes ces mêmes fonctions auprès des
invités du mari.
2 Le pisch-khedinet, uniquement destiné à porter, nettoyer et charger le kaléan, suit son maître à
cheval en portant toutes les pièces de cette pipe dans des fontes attachées à l’arçon de sa selle, la carafe,
les tuyaux, la tête, les pincettes, le tabac, et en outre, une grande bouteille remplie d’eau pour le renou-
vellement, ainsi qu’un réchaud dont le feu est entretenu par de petits morceaux de bois dont on emporte
une provision. Ces deux derniers objets sont suspendus à des chaînettes de fer attachées derrière la selle
et pendent à droite et à gauche. (Documents communiqués par M. le colonel Duhousset.)
174 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 175
PERSE — Planche 139
DANSEUSES ET MUSICIENS.
L’air de danse est chanté, comme chez toutes les nations asiatiques, mais non
par la danseuse elle-même ; c’est une autre femme ou un petit garçon qui chante.
Le rythme de ce chant est rarement vif ; l’action se compose d’attitudes du
corps, de mouvements passionnés et de jeux de physionomie exécutés sur des
airs langoureux. Parmi les exercices chorégraphiques, il en est qui sont animés
par les développements d’une action suivie où se révèle le génie particulier des
Persans. Sans avoir de théâtres, ils prennent, en général, un vif plaisir à faire ré-
citer par des gens exercés à la mimique quelque morceau de l’un de leurs poètes
de prédilection, ce qui constitue de véritables représentations dramatiques. La
danse de l’abeille est l’une des compositions conçues dans ce goût ; c’est une
scène exécutée sur un rythme saccadé : la danseuse feint d’être piquée par une
abeille et affecte de la poursuivre en se dépouillant successivement de tous ses
vêtements ; le corps qu’elle exhibe ainsi est souvent couvert de tatouages repré-
sentant des fleurs, des palmes, des animaux et jusqu’à de grands reptiles, enrou-
lés aux jambes. Il en est de ces danseuses qui déploient dans cet exercice une
souplesse, une agilité incomparables et y exécutent de véritables tours de force.
(Voir les voyageurs Chardin, Ollivier. — Ferrario, Le Costume ancien et moderne. — Fétis,
La Musique chez les peuples d’origine sémitique.)
178 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 179
BIJOUTERIE ORIENTALE.
N° 1. N° 8.
mant le collier est en forme de S ; la suite des base rectangulaire ; le fond en est décoré en
motifs se relie par de fins anneaux à libre jeu ; filigrane, ou se jouent parfois du corail, des
la double crosse ciselée est surmontée d’une pierres, des émaux. Des trous latéraux de cette
perle blanche fixée sur une petite rosace ; en plaquette, de chaque côté, part un double cor-
bas, de délicats anneaux mobiles supportent, donnet enfilant une suite de motifs semblables,
tantôt des plaquettes en filigrane ajouré ayant ayant la forme allongée d’un gland d’orne-
la forme de la palme indienne, ou d’autres ment, plus pressés par le haut que par le bas, de
plaquettes à contour symétrique, tantôt une manière à les faire irradier ; au bas de chacun
espèce de corolle entre ouverte d’où sort une de ces glands se trouve un petit anneau fixe
perle blanche. Ces fins pendants se retrouvent dans lequel un anneau à libre jeu suspend des
exactement les mêmes dans le collier suivant, glands de figure apparentée aux supérieurs, ou,
qui est, comme celui-ci, un exquis travail per- comme au n° 22, des fleurs demi-épanouies en
san. style sculptural. Les glands supérieurs, comme
les inférieurs et comme ces fleurs d’ornement,
N° 17. ne sont des rondes-bosses qu’en apparence ;
leur revers est en plaquette.
Ce magnifique guerdanlik se compose d’une suite
de pierres, d’agates précieuses, de forme ellip-
tique régulière, serties en griffes, et contenant N° 20.
chacune le nom d’un iman. D’autres pierres,
de même nature et de forme semblable, mon- Bijou de suspension. Son croissant est décoré en fi-
tées de même, mais de dimension moindre, ligrane ajouré. Du contour inférieur rayonnent
sont disposées en pendants, parmi les filigra- des attaches fixes où passent des anneaux mo-
nés et les perles. La fabrication du n° 16 et de biles, d’où pendent de petits disques filigranés
celui-ci remonte au seizième siècle. et ajourés aussi, en partie ; travail persan.
N° 18.
N° 21.
Fragment d’un collier de caractère rustique, for-
mé d’une suite de motifs semblables en argent Pendant d’oreille, formé d’une petite rosace d’où
doré, suspendus chacun par un double anneau descendent en rayonnant des chaînettes, sup-
à un cordon de laine. Cet ornement, dont le portant un croissant en filigrane ajouré. Ce
corps est hexagone, a l’une des formes des bi- croissant en or, de même genre que le précé-
joux beaucoup plus grands dans lesquels, en dent, a des attaches fixes où passent des an-
Égypte, on renferme des amulettes. neaux mobiles aboutissant à des piécettes
d’argent qui, tombant verticalement, passent
Nos 19, 22 et 23. les unes sur les autres, résonnant au moindre
mouvement, ce qui, comme on l’a vu, est un
Colliers irradiants à double rangée. Ces guerdan- des grands charmes de la bijouterie pour les
lik de caractère sobre, plus ou moins sévère, Orientaux, et explique les jeux de sequins, de
sont de famille arabe ; ils se composent d’une médailles, qui se trouvent accumulés dans un
plaquette centrale au sommet cintré sur une si grand nombre de leurs parures.
graphiques, se chiffre exactement pour les bijoux relevés par nos soins, comme les nos 3, 4, 6,
18, etc. ; elle est de 75 mill. pour 140.
tions interdites par l’islamisme ; mais, de même que la loi religieuse qui règle si
sévèrement l’usage des métaux précieux, n’a pas réussi à empêcher les femmes
orientales de continuer à se parer de bijoux avec profusion, en beaucoup de lo-
calités ; l’interdiction de l’imitation a été impuissante en plus d’un endroit où la
tradition a continué à prévaloir. C’est ainsi que la musulmane du Liban, au tépè-
lick d’argent travaillé à jour, plus fin que la plus fine dentelle de Smyrne, porte
au cou une quadruple chaîne, descendant jusqu’au-dessous de la ceinture, dont
chaque chaînon est une fleurette, une mignonne marguerite d’argent au cœur
d’or, un lis en miniature, une rose lilliputienne, avec leurs pétales à jours ; sans
compter, tremblants à ses oreilles comme agités par un léger souffle, les liserons
d’argent sortant d’une cupule d’or. Dans la parure entièrement en filigrane d’or
de la dame de Damas, avec la couronne, élastique ruban d’orfèvrerie, les brace-
lets, la broche, la boucle de ceinture, les boucles d’oreille, figurent les bagues en
roses ou en boutons, sous des feuillages dentelés. Jusque dans le populaire des
îles de l’Archipel, on rencontre des exemples de cette infraction.
Aussi, à l’aspect de la décoration de certains bijoux, comme l’est celle, par
exemple, de notre riche agrafe de ceinture, n° 1, on se demande s’il n’y au-
rait pas là quelque reflet direct des pratiques antiques dans la largeur de leur
symbolisme ; si ce semis de protubérances de diverses grosseurs ne serait pas
un lointain souvenir de ces dispositions constellées dont parle Homère, de ces
tèiréa, les étoiles du ciel, qu’il place sur le bouclier d’Achille, avec le soleil, la
lune, la terre et la mer. En observant que la courbure même de l’agrafe convient
à cet ouranos, il suffira, pour se convaincre de la possibilité de cette paren-
té, d’examiner la plaque de ceinture de la femme kurde des environs d’Yuzgat
(planche Turquie 176). Cette épaisse plaque d’argent repoussé, qui n’est pas une
agrafe de ceinture, mais une large orfèvrerie, avec doubles pendants de rangs
de piastres, posée sur la ceinture en soie tunisienne, porte naïvement la constel-
lation homérique ; ce sont de fastueux soleils entremêlés de lunes qui en font
toute la décoration.
Il semble, en vérité, que peu de choses aient changé dans la pratique des
artisans de ce pays, véritable patrie de la bijouterie orfévrée. Les parures des
musulmanes, des juives, des chrétiennes n’y diffèrent pas dans leur aspect ;
le croissant comme la croix sont des figures préhistoriques, et ce ne sont pas
des inscriptions comme celle de l’Armoudiè, où est gravé, le sceau magique du
grand Suléman, ce ne sont pas de telles additions qui modifient sensiblement le
fond des choses.
Bien entendu, il ne s’agit pas ici de faire remonter à une haute antiquité des
formules de détail ayant le caractère de cet art arabe, dérivé du grec, du byzan-
Le costume historique — Tome III 183
tin, dont la modernité relative est trop connue pour qu’il y ait à insister. Ce que
l’on peut toutefois observer au sujet de ces formules, c’est que, dans l’ornemen-
tation orfévrée des bijoux orientaux, elles tiennent beaucoup moins de place que
dans les autres industries.
Voir pour le texte : Mycènes, par M. Henry Schliemann, Hachette, Paris, 1879 ; et princi-
palement les Costumes populaires de la Turquie, décrits par Hamdy -bey et Marie de Launay ;
Constantinople, 1873.
184 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 185
PERSE — Planche 141
Il est d’usage dans les résidences royales d’annoncer chaque jour le lever
et le coucher du soleil au son de la trompe et du tambour. C’est de la terrasse
la plus élevée du palais que les trois musiciens font entendre ce salut solennel
(voir n° 1). Il est probable que cet usage est une des traditions des anciens
adorateurs du feu qui, malgré leur mahométisme et les reproches des Turcs,
célèbrent encore avec tant d’éclat la fête du Nourouz, c’est-à-dire de l’équinoxe
du printemps.
Le caba se serre sur les reins et se boutonne d’un côté. Le bagali croise un
peu sur la poitrine et se boutonne d’un côté jusqu’à la hanche. Le tikméh se
boutonne par devant. Le biruni est ample avec de larges manches jeté négligem-
ment sur les épaules. Enfin le katebi est doublé et bordé dans toute sa longueur,
sur les épaules et dans le bout des manches, de superbes fourrures ; c’est le
plus magnifique qu’il y ait en Perse. La coiffure du fonctionnaire représenté ici
est le kulah, plus commode que le turban, puisqu’on peut l’ôter d’une pièce. Il
est fait de peau d’agneau d’une laine noire, courte et frisée, l’astrakan ; doublé
d’une autre peau grise et moins fine ; le haut est de drap rouge. Il est recouvert
latéralement d’un châle de cachemire à palmes formant turban qui reste fixé au
bonnet lorsqu’on le quitte. Ce dignitaire porte le kangiar, propre aux grands et
186 Le costume historique — Tome III
aux militaires (les avocats et les lettrés, au lieu du poignard, portent une écri-
toire). Sa longue barbe est d’une proportion exceptionnelle en Perse où on la
porte moins longue qu’en Turquie ; on l’y estime noire et épaisse : ceux qui
l’ont blonde la font teindre et ne reculent pas, pour obtenir ce résultat, devant les
préparations successives, très compliquées, qu’il leur faut subir et cela dure des
heures ; on passe du rouge orangé, procuré par la pâte du henné, au vert foncé,
obtenu par une pâte de feuilles d’indigo réduites en poudre ; enfin on n’arrive
au noir, une fois la pâte levée, qu’après avoir passé vingt-quatre heures à l’air.
Ceux qui n’ont que peu de barbe recourent à tous les moyens possibles pour la
faire croître.
Les nos 4 et 5 représentent des individus qui préparent et allument les kaléans
et les narghilés pour le public. Le n° 6 est un abdari ou porteur d’eau, ayant
toujours en main un récipient rempli de glace afin de servir son liquide frais.
Le n° 8 est un derviche indien portant le kouskoul ou noix de coco dans la-
quelle il reçoit les offrandes, ainsi que la corne qui lui sert à attirer l’attention
des passants.
PERSE — Planche 142
N° 2. — Mirab, homme chargé d’ouvrir à certaines heures les conduits qui
arrosent les cultures maraîchères.
La Perse étant un des endroits les plus arides de la terre, l’irrigation y est
chose importante pour les travaux de l’agriculture. L’homme a su s’y procurer
des sources artificielles, creuser des puits, élever des digues ; on dirige dans les
canaux la fonte des neiges pour en distribuer l’eau dans les campagnes. Ces
eaux, ainsi que celles des ruisseaux et des torrents, sont sous l’inspection du
mirab emnirab, surnommé Prince de l’eau, lequel est chargé d’en faire la dis-
tribution aux cultivateurs en proportion du droit payé. Malheureusement la des-
truction de ces canaux, dont un certain nombre avaient jusqu’à plusieurs lieues
d’étendue, a été un des stratagèmes des guerres civiles, et le sol de la Perse
en état de culture est aujourd’hui considérablement réduit. (Olivier, Voyage en
Perse, 1807.)
PERSE — Planche 143
Reproduction de l’intérieur du pavillon persan élevé au Trocadéro, en 1878, par des arti-
sans nationaux venus exprès, et indispensables pour ce genre de construction, délicate entre
toutes, dont les traditions sont de véritables secrets de métier.
ASIE — Planche 144
La pipe qui, par le large usage qu’en font en Orient les deux sexes, est un
accessoire presque obligé du costume, y est l’objet de soins particuliers et sou-
vent d’un grand luxe. — Le hokka ou houkka indien, le chibouk oriental, sont
des noms génériques qui désignent plusieurs variétés ; la pipe à eau surtout est
d’origine asiatique.
Le type du sariel-houkkah indien, du tchélem du Turkestan, du ghâliân, ka-
lioum, kaléan persan, et celui du riche narguileh ou narghilé, se trouve ici re-
présenté par une simple pipe dont la carafe est une noix de coco, n° 21 ; elle
provient d’Égypte, et c’est une de ces pipes que les paysans des bords du Nil
font eux-mêmes pour leur propre usage ; elle est tout en bois. Le fourneau seul,
placé au haut de la tige verticale, est en terre cuite. On tient cette pipe de la
main gauche par la tige pour la fumer. À Bagdad, quand on veut la fumer sans
la tenir à la main, on se sert d’un simple escabeau, percé à son siège, pour la
maintenir. Le narguileh riche, avec son long tuyau souple, a un support spécial,
indépendant de la pipe même, auquel en Perse on donne la forme d’un trépied.
(Voir nos 12 et 18.) Ce support repose lui-même sur une natte ou sur un riche
tapis propre à ce genre de pipes, ainsi qu’aux nos 13, 14, 17, 18 et 19. Il y avait
plusieurs tapis de cette sorte à l’exposition universelle de 1878, dans la section
indienne, appartenant à S. A. R. le Prince de Galles. Ils avaient environ un mètre
de large sur un mètre et demi de long. On place le tapis à terre devant le fumeur
en sorte qu’il se présente par la partie étroite ; la place de la pipe, celle du pas-
sage du tuyau déroulé faisant face, sont indiquées par le dessin des ornements ;
la pipe se place en arrière, aux deux tiers environ du carré en longueur. Rien de
plus magnifique que ce tapis à fond de velours, chargé d’épaisses broderies d’or
et d’argent. Les pipes qui figuraient sur ces tapis avaient, en général, la forme
du houkkah (nos 13, 18, 19).
C’est lorsque le vase qui reçoit l’eau a une forme ovoïde et se termine en
pointe, lorsque le tuyau perpendiculaire est adapté au corps de ce vase, que la
pipe a le véritable caractère du narguileh, du mot narguil ou nardjil, noix de
coco. À Bagdad, le narguileh est encore d’un usage général. (Voir les nos 12 et
15). La pipe s’appelle houkka lorsque le vase qui reçoit l’eau a la forme d’une
198 Le costume historique — Tome III
cloche et que les deux tuyaux, la tige portant le fourneau et le tuyau d’aspira-
tion, sont adaptés l’un à côté de l’autre au haut de cette cloche ; nos nos 13, 18,
19 offrent des types complets ou fragmentaires de cette pipe indienne, dont les
tuyaux sont plus au moins longs, et où l’aspiration se fait avec le marpiteh, le
serpent en replis, ainsi que les Indiens appellent le tuyau flexible. Le kaléan de
Perse a la forme d’un élégant balustre à gros renflement inférieur, avec ou sans
pied (Voir le n° 14 et le n° 17 de type indien, et aussi notre planche 141, où se
trouvent des kaléans, celui du souverain figuré avec le couvercle de son four-
neau). Lorsque le vase de cette pipe est une carafe de cristal, le tuyau du fumeur
n’est point adapté au corps du vase, mais au corps même de la tige verticale
en bois, ce qui accentue encore la différence qui existe entre le narguileh et le
kalioum.
Toutes ces pipes à eau sont, d’ailleurs, de même nature. On verse de l’eau
dans le vase jusqu’à un peu plus de moitié ; un tuyau, plongeant dans l’eau et
surmonté d’un fourneau en terre ou en métal, est ensuite introduit ; le fourneau
a d’ordinaire un couvercle qui sert de ventilateur ; enfin un tuyau placé latérale-
ment sert à l’aspiration.
La plus rudimentaire de toutes les pipes à eau est le tchélem du Turkestan.
Celle-là n’a pas de tuyaux. Sa carafe est une gourde naturelle où deux trous se
font face. Sur l’un on applique les lèvres pour aspirer ; on bouche l’autre avec
un doigt que l’on soulève, selon que l’on veut avoir plus ou moins de fumée. On
fume le tchélem après le repas ; le Turcoman aspire avec précipitation trois ou
quatre bouffées, en prolongeant la dernière aspiration autant que ses poumons le
lui permettent, et passe la pipe à son voisin ; après quoi, il s’absorbe en un état
d’extase, penché en avant, la salive glissant entre ses lèvres. (M. de Blocque-
ville, Quatorze mois de captivité chez les Turcomans, Tour du monde.)
Cette violente sensation, procurée par le fort tabac de Boukhara, est bien éloi-
gnée de la douce extase que donne le tabac de Schiraz, employé de préférence
dans les kalioums ; déjà très doux par lui-même, on lave encore trois ou quatre
fois ce tabac avant de s’en servir, et, comme on ne le met jamais que mouillé
dans le fourneau de la pipe, ce n’est qu’avec beaucoup de peine qu’on parvient à
l’y faire brûler, quoique le fourneau soit rempli aux deux tiers de charbons allu-
més. L’eau de la carafe est souvent odoriférante, et les Persans, qui fument avec
beaucoup de gravité, aiment à conduire la fumée avec la main sur leur barbe
pour la parfumer. L’Oriental n’expectore pas en usant de la pipe.
En décrivant les pipes représentées ici, nous ferons voir le luxe des vases de
la pipe à eau, pour lesquels s’emploient l’or, l’argent, les matières précieuses,
quelquefois d’un si beau travail qu’il en coûte plusieurs milliers de francs. Le
Le costume historique — Tome III 199
persans : le premier a une longueur de 21 sable de la cigarette. C’est une boîte ronde
centimètres ; il est en filigrane d’argent, son dont le diamètre est de 6 centimètres ; elle est
bouquin est en pierre fine ; le second a 9 centi-
en cuivre et émaillée de rouge ; on en ferme
mètres de longueur ; son fourreau d’argent est
décoré de rinceaux en filigrane d’or, bouquin l’ouverture en poussant le bouton ; elle sert à
en pierre fine. — N° 20. Accessoire indispen- mettre la cendre du tabac.
— Voir pour le texte : Ferrario, l’Inde. — La Perse, par Louis Dubeu, Univers pittoresque.
— Le Magasin pittoresque, 1841, 1851.
202 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 203
Les mahométans font dans les vingt-quatre heures cinq prières qui ont pour
nom en turc : la première le matin, au lever de l’aurore, Sabah Namazy ; la
deuxième immédiatement après l’heure de midi, Oilah Namazy ; la troisième
dans l’après-midi, à l’heure moyenne entre midi et la tombée du jour, Akindy
Namazy ; la quatrième au moment où le soleil se couche, Acham Namazy ; la
cinquième le soir à la nuit close, Yatzu Namazy. L’attitude y joue un grand rôle.
On évite, pour la prière, d’avoir des habits somptueux et des bijoux. Les
femmes ne prient point publiquement avec les hommes, mais chez elles ou bien
à la mosquée quand ceux-ci n’y sont pas.
Ce sont les muezzins, comme on le sait, qui avertissent les fidèles en criant du
haut des minarets des mosquées ; chaque musulman fait alors ses ablutions et se
rend à la mosquée, ou, s’il est dehors, se tourne vers la Mecque.
Cette purification corporelle par les ablutions précède toujours la prière ; elle
en est le prologue obligatoire. Cette coutume a évidemment été empruntée par
le prophète aux Juifs de l’Arabie.
Relevé, il reste un instant, assis sur ses genoux, les mains posant sur les
cuisses, les doigts séparés, et il répète le tekbir (n° 16). Enfin, après une der-
nière prosternation (n° 17), la cérémonie se termine par une salutation à droite
et à gauche, que le croyant, restant agenouillé, adresse aux deux anges gardiens
supposés toujours à ses côtés, l’un pour l’exciter au bien, l’autre pour le charger
du mal qu’il pourrait commettre.
et flottants sur les épaules ; il ne faut pas que l’habit soit négligé, ni que l’étoffe
représente des figures d’hommes ou d’animaux, ni que les bords du vêtement
soient jetés sur la tête ou les épaules ; enfin, après avoir interdit, sous peine de
péché, de lever les yeux au ciel, de s’asseoir la plante des pieds contre terre, de
relever en se prosternant les manches de son habit, de se coucher entièrement
sur les bras, de se frotter le front contre terre, le Coran défend le croisement des
jambes.
Ces soins de propreté physique sont très observés par les musulmans, qui,
d’ailleurs, n’admettent que peu d’animaux dans les intérieurs, ne portent pas de
robes traînantes, et ont un tapis spécial pour la prière et généralement double
chaussure.
Le salut ou salamlek (nos 19, 20, 21, 22 et 23) se fait d’égal à égal, en portant
la main droite au turban, tournée en dedans sans inclinaison ; avec inclinaison,
la main droite à la coiffure, l’autre pendante, s’il y a inégalité de condition ; si
la distance est plus prononcée, la main droite n’est plus élevée, mais elle est di-
rigée vers la terre, la gauche posée sur la poitrine ; enfin, pour le salut tout à fait
inférieur, les jambes plient et le corps s’incline pour que la main droite touche
la terre, la main gauche est posée sur le genou gauche pour y aider. Les femmes
saluent des deux mains ouvertes, tournées en dehors, élevées à la hauteur des
épaules.
Voir aussi : Lane, Manners and Customs of the modern Egyptians ; London, 1846, 2 vol.
in-12.
208 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 209
N° 1. N° 7.
Templier primitif, en habit ordinaire. Chanoine séculier du Saint-Sépulcre, à Jérusalem.
N° 4. N° 11.
Moine arménien ; ordre de Saint-Antoine, dans la Religieuse arménienne.
Morée.
N° 12.
N° 5. Religieuse maronite, dite capucine, en habit de
Moine acémète ou studite ; Syrie. ville ; Alep, mont Liban.
de chasteté, pauvreté et obéissance, l’engage- ne se distinguent pas des séculiers par leur vê-
ment de porter les armes contre l’infidèle et tement, imitant en cela, comme le remarque
de protéger les voyageurs et les pèlerins. Chardin, les ecclésiastiques hébreux. « Hors de
leurs fonctions sacerdotales, dit ce voyageur,
Nos 2 et 8. ils paraissent aussi mal vêtus que la plupart de
Carmes dans leur ancien costume. leur nation. » Leur habit consiste en une che-
mise de grosse toile, renfermée dans un cale-
Ces moines abandonnèrent la Syrie et vinrent en çon ou pantalon étroit ; ils ont une espèce de
Europe à la suite de la paix conclue avec les veste courte, ou, selon la saison, un feutre sem-
Sarrazins, en 1229, par l’empereur Frédéric. blable à la chlamyde des anciens, que l’on met
Quoiqu’ils paraissent n’avoir jamais su eux- en passant la tête dedans et que l’on tourne à
mêmes quelle était précisément la première volonté pour se garantir du vent ou de la pluie.
forme de leur habillement, il est certain que Ce pluvial ne couvre que la moitié du corps et
ces religieux, en passant d’Orient en Europe, ne tombe que jusqu’aux genoux. La chaussure
avaient sur leur manteau ou kappa de grandes est une semelle de buffle sans apprêt, attachée
raies voyantes ; on les appelait les Barrés. La aux pieds avec une courroie de même peau,
chronique attribue cette singularité à la volon- et lacée par dessus. Dans ces sortes de san-
dales, les pieds ne sont guère moins mouillés
té des Sarrazins, qui ne purent souffrir que les
que s’ils étaient nus. Il n’y avait, au temps de
Carmes eussent des manteaux blancs, ce qui
Chardin, que les moines et les ecclésiastiques
n’était permis qu’à leurs chefs. Les monuments
qui fussent dans l’usage de laisser croître leurs
représentent, avec des intensités diverses, les
cheveux et leur barbe ; cela servait à les distin-
bandes foncées de ce vêtement. Dans les an-
guer des laïques. Une calotte et un bonnet par
ciennes peintures des couvents de Louvain
dessus, de couleur noirâtre naturelle, forment la
et de Cologne, les bandes étaient blanches et
coiffure. On dit que ces moines ignorants, qui
noires ; à Anvers, dans l’ancienne cathédrale
font consister tout leur devoir dans le jeûne et
de Salamanque, ainsi qu’à Paris, dans l’an-
la prière, sont peu considérés, à l’exception de
cien cloître des Carmes de la place Maubert, ceux qui exercent des fonctions sacerdotales.
elles se montraient blanches et tannées. Les
quelques carmes amenés de Palestine par saint N° 4.
Louis avaient, sous leur chape barrée, une robe Moine arménien de l’ordre de Saint-Antoine, dans
brune. En 1287, les carmes prirent la chape la Morée.
blanche et commencèrent à porter le scapu-
laire ; à la fin du treizième siècle leur costume Cet ordre fut fondé au dix-septième siècle par un
consistait en une robe noire avec capuce et converti nommé Mochtar, qui en fut le premier
scapulaire de même couleur, que recouvraient abbé. L’habillement de ces religieux consis-
une ample chape et un camail blancs. Ceux qui tait en une robe tombant sur les talons, serrée
vont pieds nus, les carmes déchaussés ou dé- d’une ceinture de cuir large d’environ trois
chaux, ne datent que du seizième siècle. doigts ; une autre robe par dessus, mais plus
courte que la première, et ouverte par devant,
Nos 3et6. avec un grand manteau et enfin un capuce as-
Religieux mingrélien, en habit ordinaire dans la sez large, le tout de couleur noire.
maison, et en habit d’hiver.
N° 5.
L’ordre, toujours existant, auquel appartient ce Moine acémète ou studite ; Syrie.
religieux, a une origine aussi ancienne qu’obs-
cure ; les Géorgiens passent pour s’être conver- Le moine Alexandre avait fondé cet ordre au com-
tis à la foi chrétienne dès la fin du premier mencement du cinquième siècle ; le premier
siècle, et l’institution monastique remonte monastère fut bâti sur les bords de l’Euphrate.
peut-être à cette date. Les moines mingréliens Après s’être étendue et avoir vécu pendant plu-
Le costume historique — Tome III 211
sieurs siècles avec une splendeur d’un lustre s’appelle alors cadeby. Les caleçons et le voile
inégal, cette institution disparut entièrement. ont ce même caractère d’usage général. Enfin,
On donne le costume de ces acémètes ou stu- lorsqu’elles sortent, ces religieuses masquent
dites comme ayant été composé d’une robe leur visage avec la percale épaisse du roubend,
longue, à manches étroites ne passant pas les dont l’ouverture en treillis est ménagée à la
poignets. Le pardessus était une espèce de hauteur des yeux ; c’est la seule pièce de leur
chape, ouverte par les côtés, qui retombait en costume qui soit de couleur blanche. L’origine
s’arrondissant devant et derrière ; sur le devant de ces Bères est inconnue ; on ne sait pas le
de cette chape, vers la poitrine, il y avait une nom de leur fondateur ou fondatrice. Elles
double croix rouge ; un petit capuce attaché à
conservent dans leur vie monastique une cer-
une mozette couvrait les épaules en retombant
taine liberté ; leurs vœux ne sont pas irrévo-
sur la poitrine ; le tout était vert. Ces moines
cables, et leur retour au monde dépend absolu-
laissaient croître leurs cheveux et leur barbe,
ment de leur volonté.
qu’ils avaient fort longue.
Nos 1, 2, 3.
Dromadaires et chameaux. (Damas.)
N° 4.
Dromadaire du désert. (Ghor méridionale.)
N° 5.
Chameau de charge. (Damas)
longues en cuir de diverses couleurs ; ses jambes sont croisées sur le col de
l’animal ; il le conduit par une lanière passée dans un anneau fixé à la narine.
On ne rencontre plus le chameau au-delà de l’équateur, et les mulets et les
ânes sont en Orient des montures habituelles.
L’âne y semble dans sa véritable patrie ; il y vit entre trente et trente-cinq
ans ; il n’y est ni maltraité, ni méprisé. En Arabie, d’où on le croit originaire, les
guerriers le montent et il est si vite que les chevaux barbes, selon le rapport des
voyageurs, l’égalent seuls à la course. En Égypte, il est d’un service incessant,
tant à la ville qu’à la campagne ; au Caire, on le monte pour parcourir les rues,
il y tient lieu de voiture de place. Les femmes s’en servent comme les hommes,
et notre exemple montre leur attitude.
Le cheval est l’ami, le compagnon de l’Arabe ; chaque chef de famille en
possède au moins un ; s’il en a plusieurs, il a un favori parmi eux, qu’il monte
pour la guerre. Il le soigne avec amour et passe plus de temps à le contempler
qu’il ne le fait pour ses femmes. Il tient à la descendance de son cheval, et
conserve avec soin sa généalogie écrite sur un parchemin.
Les selles arabes et berbères sont semblables à celles des Turcs ; elles sont
douces et commodes ; l’étrier est tenu court, la semelle en est large et le pied y
repose à l’aise ; mais nous la représentons et elle est trop connue pour qu’il soit
utile d’insister. Le cheval de l’Algérie n’est pas de race arabe pure, et est moins
beau que celui de l’Égypte et de la Syrie. Sa stature est moyenne ; quoique très
léger à la course, il est quelque peu paresseux et a besoin d’être stimulé ; aussi
quand il n’obéit pas à une simple piqûre de l’éperon, on lui déchire les flancs,
ce qui l’enlève ; le mors est attaché de court et la manière dont il est construit
permet au cavalier d’arrêter instantanément sa monture, même au grand galop.
Au Caire les chevaux et les ânes sont parfois l’objet d’une coquetterie singu-
lière. On les pare avec le fard dont les femmes orientales font un si large abus,
le henné. Le cheval favori du maître a le poil orné de bandes orangées, et, parmi
les ânes de louage que l’on y trouve à chaque coin de rue, celui sur lequel son
conducteur veut attirer la préférence des pratiques est souvent décoré d’orne-
ments de cette couleur.
Documents photographiques.
Les Berbères, considérés comme les plus anciens propriétaires du sol africain,
sont divisés en plusieurs rameaux. Les Amazighs ou Schellouh, nobles, libres,
à l’Ouest dans le Maroc ; les Tibbous, entre le Fezzan et l’Égypte ; les Toua-
regs dans la partie du Sahara comprise entre le Maroc, le Fezzan et le Soudan ;
enfin les Kabyles ou Kobaïls, habitant la chaîne de l’Atlas et du pays d’Alger
et de Tunis, distante en Algérie de douze à quinze lieues de la mer. « C’est, dit
M. Jules Duval (l’Algérie), le principal type de la race berbère, celui qui s’est
le mieux conservé. Ces montagnards ne sont autres que les anciens Numides. »
Braves et industrieux, guerriers et commerçants, les Kabyles estiment leur
nationalité plus que leur vie. Ils ne quittent jamais leur patrie que contraints
pas la nécessité ; ils ne s’en éloignent qu’avec l’espoir du retour. Ils sont mu-
sulmans, n’ayant pu résister à la propagande armée qui au VIIe siècle envahit le
nord de l’Afrique comme l’Asie ; mais ce sont des sectateurs assez tièdes, ayant
conservé même quelques pratiques de leurs anciennes traditions. Ils traitent
leurs femmes avec plus d’égards et de déférence que les autres musulmans,
et se bornent presque toujours à en avoir une. Les femmes Kabyles peuvent
sortir le visage découvert, assister aux fêtes publiques, danser même avec les
hommes, le yatagan ou le fusil en main, au son du zorna, espèce de hautbois
à six trous, la sgara, la danse guerrière. Leur liberté, la considération que l’on
a pour elles, leur permet de jouer un rôle important dans la société et d’aspirer
même au pouvoir dévolu à la sainteté ; car, semblables aux anciens Germains,
les Kabyles supposant à leurs femmes une mission religieuse, leur reconnaissent
une puissance d’inspiration. Elles contribuent d’ailleurs par leur travail manuel
à procurer l’abondance au foyer domestique. Dans toutes les tribus, les femmes
222 Le costume historique — Tome III
N° 1. Le vase de terre porté par cette femme est un de ceux que fabriquent
les Beni-Raten ; il se termine par une pointe ou sorte de cône servant à le ficher
1 Il s’en trouve cependant privé en ce moment par l’autorité française ; mais cela cause une telle
affliction qu’il lui sera probablement rendu.
Le costume historique — Tome III 223
N° 2. Femme portant à la fois du lait et son enfant. Les Kabyles, bonnes
mères, allaitent leurs enfants jusqu’à trois ou quatre ans et ne s’en séparent
même pas pour accomplir leurs travaux. On voit la manière dont elles le portent
dans le dos, sur leur ceinture disposée comme un hamac. Le large bassin en
terre de forme hémisphérique est posé sur un coussinet qui assoit la charge en
adoucissant le contact. Cette habitude de faire de la tête un point d’appui pour
les fardeaux explique la forme, de la coiffure des femmes Kabyles.
Le n° 3 est le costume fort succinct d’un ouvrier des champs ; il ne consiste
qu’en un soupçon de derbal, un long tablier de cuir pendu au cou, et un large
et haut chapeau de paille pour le soleil, ce qui n’empêche pas d’ailleurs que le
hâle ne rende noirs comme des nègres ceux qui ce livrent aux travaux agricoles.
Les nos 4, 5, montrent le costume féminin dans sa plus grande simplicité sous
deux aspects. On emploie pour le dépiquage des grains de forts tamis servant
à jeter au vent la paille que l’on fait tomber en pluie. C’est un travail d’homme
dont on ne charge les femmes que dans des moments de presse.
N° 6. Kabyle en tenue ordinaire. Il a deux sacs de cuir : l’un est une car-
touchière ; l’autre, de plus grande capacité, peut servir de gibecière pour d’assez
grosses pièces. Il est armé du long fusil dont la monture est en bois de noyer.
pris dans la ceinture, les jambières de laine noire serrant les mollets, le manteau
soulevé sur un bras, rien ne contrarie leur remarquable agilité. Le fourreau de
l’épée est en bois avec le bout en métal blanc. La poudrière est en corne.
N° 8. Chef Kabyle. Il porte deux burnous dont le brun est en poil de chameau ;
le baudrier du yatagan passe par-dessus ; les babouches sont de cuir maroquiné.
(Les huit premiers numéros proviennent des documents communiqués par M. Duhoussel ;
le neuvième est emprunté au Musée des colonies, créé à Paris par les soins du Ministère de
la Marine.)
226 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 227
ALGÉRIE ET TUNISIE.
Voir pour le texte : La Grande Kabylie, par le général Damnas. — La Kabylie et les cos-
tumes arabes, par MM. Hanoteau et Letourneux. — La Kabylie et le peuple Kabyle, par le
R. P. Dugas. — L’Algérie, par M. Jules Duval. — Les Kabyles du Djurjura, par M. N. Bibesco,
Revue des deux mondes, 1865. — Les Kroumirs et les Ouchetettas, par M. A. Cherbonneau,
Revue de Géographie, dirigée par M. Ludovic Drapeyron, mai 1881.
230 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 231
232 Le costume historique — Tome III
Nous représentons cet intérieur sous deux faces, afin de donner une idée aussi
complète que possible d’une pareille installation qui, au-dehors, comprend une
cour peu spacieuse, commune à plusieurs maisons dont elle est l’unique accès.
En général, cette cour est remplie d’immondices.
Telle est la demeure fixe où le Kabyle mène la vie sédentaire, dans de hauts
villages, dont quelques-uns ont des proportions de villes, en regard de ses an-
ciens maîtres, continuant l’existence des nomades et vivant encore sous la tente
pastorale.
Nous avons parlé, dans la notice de la planche 150, du rôle des femmes dans
la société kabyle, de leur liberté relative, du respect qu’elles inspirent souvent
malgré leur état habituel d’infériorité : il n’y a donc pas lieu d’y revenir ici. Il
ne sera pas toutefois hors de propos d’indiquer la constitution du village kabyle,
car son organisation sociale semble contribuer puissamment à l’attachement que
fait éprouver à ce demi-civilisé sa demeure si rustique, cabane, resserre, étable,
ressemblant beaucoup, si elle n’est absolument identique, à celle où l’Évangile
place la naissance du Christ, étable où se trouvent encore le bœuf et l’âne de
l’abri rayonnant de Bethléem.
Le village kabyle, ou déhera, est formé par la réunion de plusieurs familles,
kharoubas, dont chacune choisit parmi ses membres un représentant au conseil
municipal ; un dhaman, qui, au besoin, sert de caution pour chacun des siens ;
un oukil, gérant la caisse commune alimentée par les droits perçus pour les
mariages, les naissances, les morts, et grossie par les amendes. L’autorité est
exercée par un amin, choisi à l’élection et à tour de rôle dans chaque kharou-
ba. Ce chef veille à l’exécution des kanoun, ou canons qui ne sont autres que
l’énoncé des coutumes en usage de temps immémorial en Kabylie ; le seul code
en vigueur est le Coran, et tous les délits se résolvent en grotios ou amendes.
Dans chaque déhera est établi un taleb ou maître d’école, qui est l’iman de la
mosquée ; tout village possède ainsi son temple et son école. Cette mosquée est,
en général, la plus belle maison de l’endroit, et sert d’hôtellerie aux voyageurs ;
elle est entretenue et les voyageurs y sont défrayés aux frais des habitants.
Le Kabyle industrieux, qui montre tant d’incurie dans la disposition de sa de-
meure, centre d’insalubrité où règne une saleté affreuse contribuant à perpétuer
des maladies héréditaires, est si profondément attaché aux anciennes coutumes
qu’il ne paraît nullement se préoccuper des améliorations que pourrait recevoir
son intérieur. Tiède musulman, mais fort superstitieux, il accepte certains maux
avec la fatalité orientale, et il semble que chez lui il se plaise surtout à pouvoir
contempler d’un seul coup d’œil tout ce qui lui est le plus cher : sa réserve
alimentaire, ses bestiaux, sa monture, ses gens. D’ailleurs il ne séjourne guère
234 Le costume historique — Tome III
à la maison ; le travail productif qui, dans ses goûts, occupe le premier rang,
le retient presque constamment au-dehors où, heureusement, il vit dans un air
salubre. Dans les plaines, il est laboureur, pasteur, toujours au champ ; sur les
pentes des montagnes, il est jardinier, passant sa vie au milieu des vergers ; c’est
là qu’il cultive l’olivier, pour fournir aux innombrables pressoirs exprimant sans
cesse les flots d’huile qui se répandent sur un espace cent fois plus grand que
celui occupé par la Kabylie, des limites de la province d’Alger à la régence de
Tunis, et de la Méditerranée au pays des noirs. C’est sur les mêmes marchés
éloignés, que les immenses provisions de fruits, entassées annuellement dans
chaque village, dans chaque maison, trouvent aussi leur écoulement. Ces pro-
duits sont principalement dus au travail des femmes ; ce sont elles qui cultivent
à peu près exclusivement les arbres fruitiers, et c’est surtout par leur labeur que
l’aisance, et même l’opulence, entrent à la maison.
Cette aisance se traduit par quelque achat fait au colporteur israélite qui ap-
porte les fantaisies algériennes, ou par l’invitation à un orfèvre ambulant de
s’installer devant la maison pour fabriquer quelques objets sur commande. C’est
un spectacle intéressant que celui de cet atelier en plein vent, installé et fonc-
tionnant à merveille avec une incroyable rapidité. Ce sont surtout les Beni-Yeni
qui, allant par couple de village en village, arrivent un jour offrir leurs services.
Tout l’attirail est dans un sac en peau de bouc. Sont-ils requis, on déballe de-
vant la porte du client le sac qui devient le soufflet de la forge, alimentée par le
charbon de bois du laurier-rose ; les enclumes sont fichées en terre ; le métal
est bientôt en fusion et saisi par les pinces légères, le voilà prêt à subir toutes
les transformations. C’est cet atelier que nous représentons dans notre planche,
car nous avons pensé que l’adroit et industrieux Kabyle devait être montré dans
son activité. C’est encore à ce point de vue que nous avons fait figurer au haut
de la même planche la fabrication céramique à la main. C’est une femme des
Beni-Aïssi qui se livre à cette besogne toute primitive.
Quant aux deux femmes assises à droite et à gauche, au bas de la planche,
elles se livrent à la confection du couscoussou, travail qu’il faut recommencer
tous les jours. Comme on le voit, les femmes se servent d’un moulin à main
pour l’écrasement du grain de froment, humecté avec de l’eau, et introduit au
fur et à mesure par l’orifice de la meule conique. Cette opération terminée, le
couscoussou offre l’aspect d’une grosse semoule, chaque grain ayant la grosseur
d’une forte tête d’épingle. Il est blanc selon le choix de la céréale, la finesse de
la manipulation, le soin et le temps mis à sa confection. On l’assaisonne avec du
lait caillé, ou avec du meurga, graisse mêlée à beaucoup de poivre et de piment.
On sert le couscoussou dans de grands plats de bois et les consommateurs ac-
Le costume historique — Tome III 235
croupis autour y puisent avec de petites cuillers également de bois. Pour la diffa,
on mêle en général à ce plat de la viande de mouton, des poulets cuits à l’eau, du
lait aigre, du miel. Chacun ayant ouvert, en ce cas, son trou dans le plat avec sa
petite cuiller, y opère un mélange à sa guise, et déchire avec ses doigts la viande
qu’il en tire. L’eau est la seule boisson en usage dans les repas, et l’ivresse n’est
à la portée du plus grand nombre qu’au moment de la récolte des figues, ce fruit
étant à ce moment dans un état de fermentation qui la produit. Ivre comme un
Kabyle gorgé de figues, est passé en proverbe.
Les prototypes des dessins des tatouages kabyles, ayant des places consa-
crées, semblent avoir plus de rapports avec la structure de la lettre cadméenne
qu’avec l’hiéroglyphe égyptien ; mais en leur attribuant une origine hiératique,
consacrée par l’usage et le temps, on ne sait rien de ce qu’ils veulent dire, et on
ne peut que montrer à quelle partie du visage tel ou tel dessin est généralement
appliqué. Le bras droit que nous représentons permet de constater une fois de
plus, que ces tatouages, plus ou moins étendus, sont presque toujours d’un tracé
régulier ; la croix droite ou oblique que l’on y remarque souvent se rencontre
dans les écritures égyptiennes, comme on la trouve aussi des deux façons dans
les caractères alphabétiques phéniciens, cadméens, lyciens, et même parmi les
latins, où oblique elle devient l’X.
N° 1. N° 11.
Chapelet en bois. Zérouïar, grandes boucles d’oreilles que l’on
N° 2. passe à la partie supérieure de l’oreille ; de
Thacebt, diadème : argent, corail, émaux et verrote- profil, le haut offre un demi-cercle parfait.
ries. N° 12.
Nos 3, 9, 10 et 14. Fragment de ceinture en laine, ornée de coquil-
Broches et boucles de même nature. lages et de grains.
Nos 4 et 5. N° 13.
Kouneis, boucles d’oreilles, dont l’une développée. Ibesimen, épingles-crochets ; cette double broche
Nos 6 et 7. est d’un usage commun.
Bague avec son développement. N° 16.
Nos 8, 15 et 17. Khatkhal, anneau de jambe, en argent repoussé ou
Thazath, colliers de même nature que le diadème estampé. Le dah, bracelet en argent, est de même
et les broches, mais dont les liaisons sont de fil. nature, mais de dimension un peu moindre.
Les bijoux kabyles sont de caractère sévère, aussi bien sous le rapport de la
forme que sous celui de la décoration en corail ou en émaux, dont le corps mat
ne peut recevoir qu’un poli ne dépassant pas l’éclat de la perle. Le métal géné-
ralement employé est ou l’argent, ou ce qu’on appelle le métal blanc, alliage
de plomb et d’étain, auquel l’antimoine donne la dureté ; le plomb ne le rend
pas trop lourd, n’étant que dans la proportion de 26 %. Les objets de parure les
plus communs sont en verre ou en corne ; on sait combien le corail est abondant
dans la Méditerranée et surtout sur la côte d’Afrique, où les petites forêts de ces
polypiers atteignent jusqu’à deux cents mètres de profondeur. Depuis le rouge,
généralement préféré, son ton décroît jusqu’à la couleur de chair ; il y en a du
jaune, du blanc attribué à une maladie, du panaché, enfin il y en a du noir, celui
qu’on appelle le corail mort. Le corail est aussi dur que la perle, et le lapidaire,
pour le tailler et le polir, le travaille comme les pierres précieuses. Les peuples
noirs ou basanés le préfèrent à toute autre pierrerie, parce que sa matité discrète
est un heureux intermédiaire entre le brillant du métal et les tonalités de la peau.
Les Kabyles donnent au corail travaillé de leurs bijoux la forme de perles lon-
238 Le costume historique — Tome III
de laquelle Carthage fut bâtie, aux époques où, à la suite de l’invasion des Pas-
teurs en Égypte, quelque deux mille ans avant notre ère, naquit sur ce territoire
une nation nouvelle, « celle des Liby-phéniciens, du mélange des Sidoniens
nouveaux venus avec des descendants des tribus cananéennes, et les gens de
race berbère qui formaient le fond de la population autochtone. » (G. Maspero,
Histoire ancienne des peuples de l’Orient.) On connaît un fait plus récent, d’une
certitude absolue, qui, en expliquant la transformation de l’existence d’une par-
tie de la population nomade, pour qui la tente devint le gourbi, ouvre une voie
nouvelle à la conjecture des contacts phéniciens. C’est grâce à ces contacts que
les Numides errants, dès lors fixés, auraient pu recevoir des connaissances qui
devaient leur manquer, et contracter l’habitude du travail indispensable pour
faire réussir une entreprise désespérée, qui dure encore. Ce fait certain est celui
rapporté par les historiens latins, que ceux des vaincus du littoral africain qui ne
voulurent pas se soumettre aux Romains, leur abandonnèrent la plaine, les bois
et les ravins leur offrant un abri inaccessible aux centurions, et leur permettant
de se soustraire aux exigences du fisc.
Nous avons dit que c’était là une entreprise désespérée, ne semblant pas avoir
de chances de durée, et voici pourquoi : le Kabyle d’aujourd’hui, comme le Nu-
mide d’alors, des chaînes de l’Atlas, du pays d’Alger et de Tunis, a besoin d’une
industrie active, produisant des objets de commerce, d’échange, pour vivre en
conservant l’indépendance ; ses armes seules auraient été impuissantes pour ré-
soudre ce double problème, le sol de plaine, propre aux céréales, qu’il exploite,
étant trop restreint pour satisfaire à sa nourriture. Le travail allié à la bravoure
est donc devenu la loi suprême, et aujourd’hui on voit le Kabyle réunir, chose
rare, l’amour de l’indépendance, habituel aux montagnards, à celui du labeur,
plus fréquent chez l’homme de la plaine. Mais comment ces demi-sauvages qui
ne pouvaient avoir, en se réfugiant dans leurs aires, que des connaissances de
pasteurs errants, purent-ils acquérir l’expérience nécessaire au travail fructueux
dont ils avaient un besoin immédiat ? Par qui leur furent révélés les secrets et
les avantages de leurs fabrications comme de leurs cultures ? N’est-il pas vrai-
semblable que, par suite des rapports qu’ils avaient eus avec Carthage détruite, à
laquelle ils avaient fourni des troupes mercenaires, un certain nombre de Pœni,
comme les écrivains latins appellent les Carthaginois à cause de leur origine
phénicienne, qui devaient être ardents entre tous à se soustraire à la domination
romaine, s’étaient réfugiés parmi les Numides ; et n’est-il pas à croire que c’est
surtout par ces Pœni qu’ils furent initiés aux pratiques d’une agriculture perfec-
tionnée, dont les Carthaginois avaient la réputation ; que c’est par eux que leur
sont venues les formules traditionnelles de leurs arts populaires, leur permettant
240 Le costume historique — Tome III
(D’après les documents en nature appartenant à M. le colonel Duhousset, ceux du musée
des Colonies, fondé par le ministère de la Marine, et d’après les photographies de l’Art ancien,
publiées par M. Frank.)
242 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 243
AFRIQUE — Planche 155
emploie pour cet usage un composé de trois parties de noix de galle et d’un
mélange de sulfure d’antimoine et de pyrite de cuivre, l’hadida, le tout délayé
dans de l’huile d’olive, puis soumis à la chaleur, de manière à former une pâte.
La chevelure, empreinte de cette mixture, doit rester sous le linge pendant trois
jours ; ce n’est qu’au bout de ce temps que les cheveux sont peignés, huilés, et
que l’opération est terminée. Les sourcils se teignent par le même procédé.
Une femme en toilette a toujours sur elle, dans les plis de ses vêtements, par-
mi ses objets de parure, le petit étui en roseau ouvragé, avec l’aiguille dépolie en
argent ou en fer, contenant le kohl ou koheul. À propos de cette teinture spéciale
des cils, il n’est pas sans intérêt de faire remarquer que la coquetterie n’est pas la
raison unique de l’emploi de cet ingrédient qui, en Kabylie, n’est que du sulfure
de plomb natif. Le kohl est considéré par les Arabes comme un véritable collyre,
comme un remède souverain contre les ophtalmies dont on sait la fréquence
dans ces climats. La couche pulvérulente que l’aiguille dépose sur les cils en les
colorant d’un noir bleuâtre, qui a pour effet principal de donner de la douceur au
regard, préserve, en outre, l’œil de la vivacité et de l’éclat des rayons lumineux.
La pommade de teinture pour les cheveux, et le fard employé par les femmes
kabyles, sont des cosmétiques tout à fait primitifs. La salive joue un rôle impor-
tant dans la confection du fard, et il en est de même pour son application ; car
c’est sur une couche de salive qu’on enlumine la joue. Ce fard se compose d’une
gomme-laque de belle couleur rouge, réduite en poudre, et d’alun mêlés en par-
ties égales et incorporés dans une pâte faite de raisins secs, triturés avec de la
salive que l’on ne se procure en quantité suffisante qu’en mâchant de l’écorce de
noyer ; roulée dans une poudre odorante, le sembel, cette première pâte devient
un opiat que l’on fait sécher et dont on se frotte légèrement les joues, après les
avoir préalablement mouillées de salive, comme on vient de le voir. Il paraît
que les filles en toilette de mariage abusent de ce rouge un peu vif qui contraste
d’une manière choquante avec le bistre de leur visage ; mais les matrones, plus
expérimentées, en usent si adroitement qu’il semble que le rose de leur visage
soit sa coloration naturelle.
Dans les notices, des planches Afrique, 150, 153-153 et 154, etc., il est parlé
assez amplement des Kabyles, du vêtement de leurs femmes, de leurs bijoux,
du caractère de l’épouse, pour n’avoir à relever ici que quelques traits complé-
tant leur physionomie. Le vase typique que tient notre dame kabyle est de cette
argile commune thalakht, très abondante partout en Algérie, dont sont faites
toutes les poteries, depuis l’humble tasse jusqu’aux plus grandes amphores ; les
couleurs y sont fixées au moyen d’un vernis composé de résine de pin et d’un
peu d’huile d’olive. Ce sont tous travaux de femmes, et les Kabyles montrent
Le costume historique — Tome III 247
une grande habileté dans ces sortes d’ouvrages faits avec goût. Les principaux
ustensiles de ménage dont elles peuplent le gourbi sont l’asagoum, l’achmoukl,
l’aziar, ou les cruches à eau de diverses espèces dont quelques-unes rappellent,
par leur forme, les amphores romaines ; l’aboukal, le thaboukalt, pots à eau ;
des petits vases pour le lait, l’huile, etc., tassa, thabouiddouth ; des casseroles
pour la cuisson des galettes, aferrah, tadjin ; des marmites, thasilt, thakedourth,
thimesebbouith, thimeserbah.
Relativement au découvert habituel du visage de la Kabyle dans son village,
il est encore utile de savoir que les coutumes environnent cette liberté de cer-
taines précautions. Les femmes doivent être respectées, être à l’abri de toute
rencontre fâcheuse, de tout propos inconvenant, et même de tout regard indis-
cret. La loi interdit aux hommes de se trouver sur leur passage ou de se présenter
à la fontaine pendant qu’elles s’y trouvent ; s’il y a dans la localité plusieurs
fontaines, il y en a de particulières réservées à leur usage exclusif ; s’il n’y en a
qu’une, les femmes ont des heures spéciales pour y puiser l’eau ou pour y laver,
sans qu’aucun homme s’y trouve. La femme ne doit pas s’arrêter dans la rue ; il
lui est défendu d’y marcher en se regardant dans un miroir. « Le miroir attire les
amants aussi bien que les alouettes. » Enfin, si elle est mariée, il lui est enjoint
de ne pas sortir tête nue.
La montagnarde représentée ici a une beauté d’aspect et une franchise d’al-
lure qui conviennent bien à son caractère empreint d’héroïsme. On sait que ces
confectionneuses de cartouches, ces fondeuses de balles, ne se séparent pas de
leur mari pendant la guerre ; que leurs cris, leurs chants, se mêlent au bruit de la
poudre ; mais il faut savoir encore que, sur le champ de bataille où sa présence
excite jusqu’au délire l’ardeur des combattants, la Kabyle se montre parée de
tous ses bijoux. Elle est là comme un beau défi. Le costume reproduit a donc un
double caractère : c’est la parure en temps de paix et c’est le costume du céré-
monial guerrier.
À côté de cette Kabyle de la chaîne de l’Atlas du pays d’Alger et de Tunis,
c’est-à-dire de celle qui paraît la plus proche du type numide, se trouve, as-
sise sur un divan, une autre femme indigène, dont la parure a tout à la fois des
rapports et des dissemblances sensibles avec ce que l’on vient de voir. Cette
seconde femme est de Biskra ou Biskara, ville principale du Zab ou, au pluriel,
des Ziban, c’est-à-dire des oasis. Cette contrée est la partie extrême de la pro-
vince de Constantine et se trouve à l’entrée du grand désert. Les habitants de
Biskra ne sont pas de race arabe et leur souche est probablement quelque peu
voisine de la Kabyle. Leur position les rapproche des Touaregs, et il semble, à
voir cette femme surchargée de parure comme une idole syriaque, qu’un reflet
248 Le costume historique — Tome III
Documents photographiques.
Voir pour le texte : M. le Capitaine Villot : Mœurs, coutumes et institutions des indigènes
de l’Algérie, Constantine, Bastide, 1871 ; — MM. Hanoteau et Letourneux : la Kabylie, les
mœurs et les coutumes kabyles, Paris, Challamel, 1873 ; 3 vol.
250 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 251
MAURESQUE — Planche 156
Les dix personnages représentés décorent une des voûtes de la Sala de Justi-
cia de l’Alhambra de Grenade. Ils sont peints sur des panneaux de cuir cousus
ensemble et cloués sur une surface concave composée de planches d’un bois
résineux. Ces peintures sont les seules qui offrent des exemples authentiques
du costume mauresque ; elles prouvent assez que les fondateurs de l’Alhambra
n’ont pas toujours tenu compte des préceptes du Coran qui interdisent la repré-
sentation de tout être animé.
Les dix chefs maures qui délibèrent assis sur des almohadas (coussins), for-
ment un divan (al-dyônan) ou conseil de chefs des tribus de Grenade. Ils ont le
teint brun, la barbe noire taillée en fourche, et portent le costume des Maures
du quinzième siècle : xasia, ou turban, recouvert de la marlota, sorte d’écharpe
ou de voile qui retombe en plis flottants sur les épaules ; albornoz ou burnous
descendant jusqu’aux pieds et rappelant le djubbé turc (chez quelques-uns des
chefs, ce burnous est mi-parti ou accompagné d’un almofar, capuchon, ainsi
que le montre la figure n° 10) ; feredjé formant robe de dessous ; borceguies
ou bottines de cuir teint ; baudrier du cavalier consistant ici en une bande de
velours garnie de clous d’or, à laquelle est suspendue l’alfange, épée mince et
large à deux tranchants dont la poignée est munie d’une garde en forme d’écus-
son. Bien que l’épée à poignée en forme de croix des chevaliers chrétiens ait
été longtemps bannie chez les musulmans, on rencontre des gardes de sabres à
quillons droits dans l’armement des Arabes du seizième siècle, représentés dans
la suite des tapisseries de la « Conquête de Tunis » dont les dessins ont été tracés
par Vermeyen, et qui appartiennent au Musée de Madrid.
Au moyen âge, il n’y eut pas d’objets de luxe plus recherchés que les soieries
de Valence et d’Alméria, les draps de Murcie, les jaiques ou gazes, et les tissus
de coton de Grenade. Les rois maures faisaient présent de ces étoffes aux sou-
verains étrangers : en 1333, à la conclusion d’un traité de paix, on voit Moham-
med IV, roi de Grenade, offrir à Alphonse XI, roi de Castille, plusieurs pièces
d’étoffe en or et soie, de celles qui « se fabriquent à Grenade ».
Ce sont les Arabes qui perfectionnèrent les procédés en usage pour le travail
du cuir, et qui apprirent à l’Europe l’art du fourbisseur et de l’armurier. Leurs
252 Le costume historique — Tome III
Les épées font partie de l’Armeria de Madrid et ont été reproduites ici d’après les photo-
graphies de la collection Laurent.
Voir, pour le texte : comte de Circourt, Histoire des Mores Mudejares et des Morisques,
1845-48. — Viardot (Louis), Histoire des Arabes et des Maures d’Espagne, 1851. — Cata-
lago de los objetos de la Real armeria, Madrid, 1863. — Baron Charles Davillier, Voyage en
Espagne.
254 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 255
AFRIQUE — Planche 157
La calotte de feutre, la chachia, rouge, blanche ou brune, est portée par tous
les indigènes et sert de base à toutes les coiffures masculines. Le Turc et le
Maure y enroulent le turban ; l’Arabe la recouvre du haïk dont il se sert pour
préserver sa nuque et entourer son visage. Cette pièce d’étoffe est d’une laine
légère qui se fabrique surtout dans une oasis tunisienne, le Djerid ; on fixe cette
enveloppe en l’enroulant d’une corde faite de poil de chèvre ou de chameau,
tantôt ronde, tantôt plate.
L’Arabe porte sous son haïk deux et trois chachias superposées, la rouge
par-dessus ; s’il est en mission, cette coiffure qu’il ne quitte jamais, ni le jour ni
la nuit, lui sert de portefeuille ; il place entre les calottes étagées les dépêches
qu’on lui a confiées, et elles y demeurent jusqu’au terme de son voyage.
Le haïk étend ses plis sur une chemise de laine, la gandoura, couvrant le
corps et les épaules sous le burnous. On porte le manteau de diverses manières,
noué sur le devant avec des cordons, n° 1 et 6 ; relevé et rejeté sur une épaule,
n° 3 ; relevé et contenu sur la poitrine au moyen d’une courroie, n° 2.
Notre n° 1 représente un laboureur arabe du Tell, un de ces paysans dont la
principale occupation consiste dans l’élevage des bestiaux, des moutons surtout.
Le n° 2 met sous nos yeux un Arabe de la tribu des Smélas, de la province
d’Oran. Le n° 3 est un Chaouïa, Berbère du massif intérieur. Son burnous de
laine rayée est de ceux que deux tribus industrieuses, habitant les montagnes, les
Beni-Abbès et les Béni-Ourtilan, fabriquent pour les Kabyles.
Le n° 6 représente un grand chef arabe du désert. Les tribus sont de caractères
différents : il y en a de religieuses, commandées par des marabouts, et d’autres où
la noblesse militaire remplace l’autorité religieuse. Les tribus religieuses ne sont
pas les plus paisibles : ce sont elles qui, depuis la conquête, ont fourni les plus
ardents agitateurs. Les tribus nobles ou militaires sont désignées dans l’ouest
par le nom de Djouad et de Mehal, dans l’est, par celui de Douaouda. L’origine
en remonte aux invasions arabes. Elles traînent à leur suite d’autres tribus dé-
pendant entièrement d’elles : ce sont les tribus serves, subissant en effet, et sans
se plaindre, un véritable servage. Le chef ici représenté porte, par-dessus le haïk
obligatoire, un chapeau de plumes dont les larges bords peuvent procurer de
l’ombre au visage. Ce chapeau au sommet pointu est enjolivé de cordonnets en
256 Le costume historique — Tome III
soie rouge, tendus de la partie supérieure à ses bords. Nous n’insisterons pas sur
le vêtement de corps taillé à l’ottomane ; la veste courte est de soie avec brode-
ries d’or, la ceinture est également en soie et les culottes sont de drap, ainsi que
le burnous blanc et garance devenu celui de nos spahis. Des bas de coton rayé,
montant plus haut que le genou, et des bottines en maroquin à tiges largement
fendues, ornées de glands, complètent l’ensemble de ce costume original. La
pièce de soie rayée à la tunisienne, qui ceint les hanches et est nouée un peu sur
le côté, n’est pas une pièce essentielle de ce costume. C’est une parure que l’on
rencontre souvent en Kabylie, où elle entre dans les atours féminins. La chaus-
sure est beaucoup plus indispensable, et mérite l’attention ; elle se compose
de deux pièces, la bottine, dont les montants aident à se préserver des vipères,
et une sandale grossière, faite de peau de bœuf ou de chameau, avec son poil,
nouée sur le pied au moyen de lanières de cuir. Cette sandale est la torbaga, la
chaussure d’été. On la porte, comme on le voit ici, par-dessus le maroquin des
bottines légères, mais tous les Arabes du désert en font usage en l’attachant avec
de simples ficelles ; elle est indispensable aux pieds nus pour marcher sur les
sables brûlants de la plaine.
Notre chef arabe tient un coran de sa main droite ; sous son burnous, par-des-
sus sa veste, se trouve un étui pour ce coran, car c’est un péché que de porter le
livre sacré sous la ceinture.
Les nos 4, 5, 7 offrent des types de Juives d’Alger et de ses environs. Les
mœurs et les usages des Juifs de ces contrées sont presque les mêmes qu’au
moyen âge. Le costume féminin est un mélange hétéroclite des modes anciennes
du nord de l’Europe et de celles de l’Orient. Le yémèni qui serre le front et
barre hermétiquement le passage aux cheveux est la coiffure de rigueur pour les
femmes mariées. Les Juives ne se tatouent pas le visage, la Bible leur interdisant
ce genre d’ornement ; elles sont en général remarquables par la blancheur de
leur teint. Comme elles ne quittent guère la maison (c’est le mari négociant qui
court au-dehors), elles ne cherchent pas à briller, et se contentent du confortable
pour leur accoutrement. L’élégance de leur costume s’en ressent ; la plupart du
temps, il est fait de tissus assez grossiers, et il n’a pas la coupe gracieuse de
celui des Mauresques bien qu’il leur soit emprunté en grande partie. Le cor-
sage n’est pas taillé pour soutenir la gorge, comme chez ces dernières, et les
Juives l’ayant communément volumineuse, ce défaut de goût, de soin, quoiqu’il
y en ait nombre de fort jolies, leur fait de bonne heure le plus grand tort. Leurs
longues jupes ne laissent voir que le bas de la jambe nue et leurs pieds chaus-
Le costume historique — Tome III 257
sés d’une espèce de pantoufle sans quartier, ne recouvrant que les doigts. Elles
portent des caleçons, et lorsqu’elles sortent, enveloppées depuis le haut du bon-
net jusqu’aux talons, elles ne se cachent que la moitié du visage, se conformant
ainsi à un usage antérieur à l’islamisme, car il proviendrait des anciens peuples
idolâtres de l’Asie et de l’Afrique.
En résumé, le costume de ces Juives de l’Algérie semble plein des traces
du passage de leur peuple sur tant de points divers du vieux monde. La forme
élevée de la coiffure en cotonnade, portée par la demoiselle juive n° 4, rappelle
celle des musulmanes du commun de Tchanak-Kalé, à la presqu’île asiatique
des Dardanelles ; ses cheveux, tombant dans le dos en une tresse unique, sont
enroulés dans de la soie, comme on le voyait en Perse au XVIe siècle, selon Ve-
cellio ; ses manches de linge, taillées en pointe, sont nouées par derrière l’une à
l’autre, et, dans plus d’une peinture de notre moyen âge occidental, on retrouve
l’exemple de manches de cette coupe, nouées de la même façon. La longue
coiffure du n° 7 a tout à fait la physionomie du hennin des dames françaises du
XVe siècle ; l’édifice était de même forme et portait aussi le long voile traînant
à terre, ou relevé. Cette coiffure, vint-elle d’Europe lorsque les Juifs d’Espagne
s’établirent à Alger, à la suite des Maures chassés de leur conquête ? Ne vien-
drait-elle pas de la Syrie ? Voici ce qui appuierait cette dernière hypothèse. Le
bonnet en pointe de notre n° 5 est de forme analogue, tout en étant moins long :
or ce bonnet se trouve dans Vecellio comme étant celui de la Juive de Syrie.
Enfin, au mont Liban, les femmes druses portent encore aujourd’hui sur le haut
du front une longue corne d’orfèvrerie, le tantour, du haut duquel descend, en le
recouvrant, un long voile épais et noir traînant à terre dans la maison.
Les étoffes de ces costumes offrent peu de variété. Au n° 4, la demoiselle
juive est coiffée avec une étoffe assez épaisse, espèce de madras en coton. Son
corsage mal ajusté est de soie, galonné d’or aux coutures ; la jupe est en coton-
nade à larges dessins. Le bonnet du n° 5 est une espèce de feutre ; le nœud est
en soie, ainsi que la ceinture. Le corsage, également de soie, est décoré sur la
poitrine d’épaisses broderies d’or ; linge de coton. Le long voile du n° 7 est en
mousseline, brodée sur le travers du bonnet qu’il recouvre ; le corsage est en
soie, largement quadrillé de gansés d’or, plus propres à dissimuler les formes
qu’à les faire valoir ; la jupe est en laine ; les chaussures sont en soie.
Les nos 1, 2, 3, 5 sont reproduits d’après des aquarelles appartenant au Musée d’histoire
naturelle de Paris. — Les nos 4, 6, 7 proviennent du Musée des colonies.
(Voir pour le texte : Voyage dans la régence d’Alger, par P. Rozet ; Paris, 1833, in-8° ;
— L’Algérie, par M. E. Carette [L’Univers pittoresque]. — Exploration scientifique de l’Algé-
rie, par A. Ravoisié ; Paris, 1846 et suiv., in-fol.)
258 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 259
AFRIQUE — Planche 158
droits que les Arabes et les Maures, avant que l’abolition de l’esclavage eût été
décrétée par la France.
La principale différence qui existe entre les tribus et sert à les désigner est
celle du langage ; elles sont arabes ou berbères, selon le sang et la langue qui
dominent. Les tribus qui vivent sous la tente sont des nomades, se mouvant au-
tour de points fixes, obéissant dans leurs mouvements aux besoins de la culture,
selon le retour des saisons et l’inégalité du partage des eaux. Il n’existe pas de
tribus errantes en Algérie. Les tribus sédentaires sont celles qui, habitant sous le
chaume, la tuile ou la terrasse, ne se déplacent jamais.
L’ensemble de la population indigène est un mélange, à dose variable, des
conquérants et du peuple conquis, malgré l’éloignement que le Berbère et
l’Arabe éprouvent l’un pour l’autre, « tenant, dit M. E. Carette, à des diffé-
rences organiques que le temps et la civilisation affaibliront par degrés, mais ne
détruiront jamais ».
Le Maure et le Turc sont deux types similaires ; ce sont surtout les classes
citadines de la population musulmane, ayant des costumes analogues, mais avec
une démarche différente ; celle des Turcs est empreinte de fierté et même d’ar-
rogance ; ils portent le turban légèrement incliné et l’usage des bas est plus
répandu parmi eux que parmi les Maures ; mais, encore une fois, c’est surtout
dans l’ensemble du maintien que les deux natures se dessinent.
Toutes les classes de la population algérienne observent d’ailleurs, dans la
forme et la couleur de leurs vêtements, certains usages particuliers qui per-
mettent de les reconnaître.
N° 1. — Nègre d’Oran, de la tribu arabe Zmélas.
Ce nègre a la barbe peu abondante. Il porte le haïk par-dessus la chachia.
Ses oreilles sont ornées d’anneaux d’or ; son burnous est en laine. En général,
le nègre montre une prédilection marquée pour les couleurs claires ; il porte
presque invariablement le turban et le séroual (la culotte) blancs, et, presque
toujours aussi, une veste blanche ; les industries même qu’il exerce sont, pour
la plupart, en opposition avec sa couleur naturelle : s’il est marchand de chaux,
sa femme vendra de la farine. Sa profession spéciale dans les villes est celle de
badigeonneur, et c’est à ses mains noires qu’Alger doit le voile blanc qui l’en-
veloppe et la dessine au loin.
N° 3. — Type vandale du groupe d’élément berbère des montagnes de l’Au-
rès, groupe du massif intérieur désigné sous le nom de Chaouïa. Le turban n’est
pas enroulé ; il est en soie et à bordure brodée, sans le haïk. Le burnous gris en
laine est doublé de bleu.
Le costume historique — Tome III 261
Turcs et des Maures ; mais celui des femmes est empreint d’un caractère asia-
tique qui sied à leur figure, où la tranquillité et la douceur sont peintes.
Le n° 2 porte une coiffure de ville dont la forme élevée se rapproche de
celle des hommes, lorsqu’ils portent deux et trois chachias superposées. Cette
coiffure est entourée d’une bande en coton à plusieurs tours, fixant le haïk de
mousseline retombant sur les épaules, et encadrant le visage, non sans laisser
passer d’un côté une partie libre de la chevelure. Cette femme porte, par-dessus
sa robe, un vêtement de coton rayé couvrant les épaules, qu’on retrouve dans la
figure n° 9. C’est un habit fermé, avec un trou pour le passage de la tête, retom-
bant par-devant et par-derrière ; sa disposition est tout à fait antique, rappelant
la pænula sans capuchon des Grecs, des Romains et des Gaulois, dont l’un des
dérivés fut la chasuble ecclésiastique du moyen âge.
Le n° 7 est en costume d’intérieur. La robe, aux larges manches, est en coton,
ainsi que le mouchoir noué qui retient la chevelure. La veste aux longues épau-
lettes formant le corsage, qui dessine et soutient les seins, est en soie brodée et
passementée d’or. Ses boutons sont en passementerie ; la ceinture est en soie ;
les boucles d’oreilles sont en perles.
Le n° 9 est une jeune femme Konloughlis coiffée, avec un goût exquis, d’une
étoffe de soie frangée, rayée d’or. La chevelure est divisée en deux parties ; en
avant, les cheveux couvrent le front jusqu’aux sourcils et descendent de chaque
côté du visage, sans cacher l’oreille ; ceux de l’arrière, ramenés d’abord au
sommet et contenus par un peigne, s’en échappent et, retombant dans le dos,
y étalent toute leur opulence. La moitié environ de l’étoffe carrée servant de
coiffure fait le tour de la tête, au-dessus de l’oreille ; elle est ramenée, puis
nouée sur le haut du front ; l’autre partie retombe librement en arrière, montrant
sa frange. Un large anneau d’or monté de pierreries pend aux oreilles ; un fin
collier de corail à double rang est posé à la base du cou, par-dessus le vêtement.
Ce vêtement, composé de deux pièces, est entièrement en mousseline : celle de
dessus est légèrement rayée de carreaux d’or et brodée en quinconce de fleurs
colorées ; celle de dessous est simplement rayée. Enfin, cette jeune femme a
l’avant-bras largement tatoué de rayures en quadrillé.
C’est un usage encore fréquemment pratiqué que celui de ces tatouages fixes
ou passagers ; les femmes de la Kabylie, comme les Mauresques, et, en général,
toutes celles du littoral barbaresque, se décorent ainsi diverses parties du corps.
Outre le kohol dont elles se noircissent le tour de l’œil pour l’agrandir, ainsi
que l’ont pratiqué les Orientaux de tous les temps, elles emploient encore cette
poudre d’antimoine pour dessiner sur leur front et leur menton de légers dessins
symétriques, ou pour piquer des mouches éparses sur leur figure. Ces tracés
Le costume historique — Tome III 263
à l’aiguille, d’un noir bleuâtre, durent cinq à six jours. Il y en a d’autres plus
tenaces et résistant à tous les détersifs ordinaires, dus à la poussière colorante
de la feuille du henné. Cette teinture, rouge-orangé, est employée là, comme
dans l’Indoustan, comme en Perse, pour teindre les ongles et les paumes de la
main ; les courtisanes en embellissent jusqu’à la plante de leurs pieds, les ongles
de leurs orteils et les malléoles de leurs chevilles. Ce genre singulier de parure
est principalement porté aux jours de fêtes, et surtout dans les célébrations de
noces. Il est aussi commun aux chrétiennes qu’aux musulmanes.
Tous les originaux de ces reproductions appartiennent au Muséum d’histoire
naturelle de Paris.
Voir pour le texte : Voyage dans la Régence d’Alger, par P. Rozet, 1833, in-8° ; — l’Algérie,
par E. Carrette (Univers pittoresque) ; — Exploration scientifique de l’Algérie, par A. Ravoi-
sié ; Paris, 1846 et suiv., in-fol.
264 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 265
AFRIQUE — Planche 159
ALGÉRIE ET TUNISIE.
COSTUMES POPULAIRES. — LES ENFANTS.
« Dieu fasse que ta femme te donne cinq garçons ! » c’est là un souhait arabe.
Pourquoi ce nombre de cinq ? se demande le général Daumas ; parce qu’il rap-
pelle les cinq doigts de la main droite qui a le pouvoir de conjurer tous les dan-
gers du mauvais œil. Le nombre cinq porte bonheur. Sur la porte de la maison,
dans les villes, on voit souvent imprimée la main aux cinq doigts ouverts. Les
campagnards comme les citadins se plaisent à disposer sur la chachia de l’en-
fant cette même main, que les riches brodent d’or ou d’argent, que les autres
rappellent en plaçant sur le même rang cinq pièces de monnaie.
L’inégalité entre les sexes se marque, dès la plus tendre enfance, par l’impor-
tance donnée à tout ce qui concerne les garçons (première coupe de cheveux à
deux ans, prise du burnous au même âge, circoncision à sept ans, toutes céré-
monies accomplies avec une certaine solennité). Rien de pareil pour la fille, la
telfa, préparée dès le plus jeune âge par sa mère aux travaux manuels qui carac-
tériseront son état d’infériorité.
Les principales pièces des costumes représentés ici sont les suivantes :
La chemise algérienne est courte ; elle a des mala, turban. — Farmela, gilet de dessous.
manches très larges qui s’attachent sur le poi- — Sadria, gilet avec boutons. — Abaïa, veste
gnet. Le costume ordinaire des peuples de l’in- brodée. — Samla, ceinture. — Seroual, pan-
térieur est un haïk, une paire de petits caleçons, talon. — Seroual-dakélani, caleçon. — Tuka,
et, selon les circonstances, le turban ou, à son lacet pour attacher le pantalon sur le premier
défaut, une calotte de laine rouge. On trouve gilet. — Kelasset, bas. — Sebbat, souliers
encore dans le costume algérien plusieurs pe- marocains. — Sebbarla, pantoufles de mai-
tites vestes avec ou sans manches ; les culottes son. — Rihiéa, petites pantoufles de dessous
à larges plis qui descendent jusqu’au bas de la en peau. — Babra, souliers très minces à se-
jambe ; la ceinture dans les plis de laquelle on melles souples. — Besmak, savates sans talon.
met la montre, la bourse, etc. ; puis les pan- — Kabkab, socques. — Kaftan, grand habit
toufles. Il n’y a guère que les gens âgés qui descendant jusqu’aux talons, et porté par les
portent des bas, et cela dans les temps froids. tolbas, les scribes. — Zouka, caftan allant
Les diverses pièces de l’habillement des Maures seulement jusqu’aux genoux. — Gefara, pe-
dans la régence de Tunis se désignent ainsi : tit burnous en laine fine et blanche, pour l’été.
Chéchia, fez ou bonnet rouge avec flot — Barnus, burnous. — Haïk, grand vêtement
de soie bleue. — Alarakia, petit bonnet blanc en laine et soie, qui se place sous le burnous et
en calicot pour mettre sous la chéchia. — Djé- peut envelopper la tête et le corps entier.
266 Le costume historique — Tome III
Nos exemples montrent, dans leur variété, une l’usage que ce soient leurs parents ou leurs
partie de ces costumes portés par les enfants amis qui en fassent les frais et soient chargés
et les grandes personnes. La petite Mauresque de fournir les vêtements. Les enfants ainsi
n° 3 porte le bonnet en cône tronqué qu’en voués sont généralement en guenilles.
Algérie on appelle le sarmah ; cette coiffure Les Arabes portent habituellement pour chaus-
couvre la tête de manière à ne laisser voir sures des savates jaunes, belgha ; elles sont
que deux boucles de cheveux ; on l’orne de de cuir du Maroc, filali. Le plus souvent, ils
rubans, de cordons de soie, de chaînes d’or, ne les chaussent pas ; cela est plus commode,
et les riches y ajoutent des perles et des dia- soit pour entrer dans les mosquées, soit pour
mants ; on la recouvre encore en entier par
les ablutions.
un voile de gaze blanc qui descend sur les
Le n° 9 représente un Arabe sur un âne, portant un
reins. Parmi les broderies que l’on voit ici au
volumineux paquet ; c’est un de ces exemples
sarmah, la palmette placée sur le devant est à
que l’on rencontre partout en Orient, où les
cinq divisions sur la photographie originale :
c’est la confirmation de ce qui a été dit ci-des- transports se font encore comme au temps
sus au sujet de la main ouverte ou des figures de Joseph. À Tunis, les bêtes de somme sont
qui la rappellent. Cette petite fille qui porte innombrables. On y voit parfois passer des
une riche ceinture, des bas et des babouches caravanes composées de cent ânes au moins,
à brides, appartient à la classe aisée ; chez les d’autant de mulets et de chameaux.
Juifs on voit souvent les enfants habillés tout Les nos 8 et 10, montrent l’un un jeune garçon,
en blanc : c’est la conséquence d’un vœu, de l’autre un homme arabe, tels qu’on peut les
la nature de celui que font parfois les chré- voir dans les marchés aux herbes et aux fruits,
tiens. Les Juifs vouent au blanc leurs enfants particulièrement à Tunis, où toute la vie de la
avec d’autant plus de facilité qu’il est dans ville est concentrée en ces endroits.
Voir pour le texte : M. Arsène Berteuil, L’Algérie française, Paris, 1856. — M. Henri
Dunant, la Régence de Tunis, 1858. — Émile Feydeau, Alger, 1862. — M. A. de Flaux, la Ré-
gence de Tunis au XIXe siècle, 1865. — Le général Daumas, la Vie arabe et la société musul-
mane, Paris, 1809. — M. le capitaine Villot, Mœurs, costumes et institutions des indigènes de
l’Algérie. Constantine 1871, Bastide éditeur. — M. Émile Andrieu, Algérie, types et costumes,
1875. — M. E. de Lorral, Tlemcen (Tour du monde), 1875.
268 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 269
270 Le costume historique — Tome III
Nos 8 et 11.
Tunisie.
N° 15.
Égypte.
Nos 16 et 17.
Roumains : le Roumi.
sale. La gandoura est mise sur une autre tu- Cette femme s’appuie sur la grande man-
nique couvrant immédiatement le corps. Bra- doline arabe dite durbakka (voir quelques
celets estampés. Larges anneaux d’oreille. types de juives d’Alger et de ses environs dans
la planche 157).
N° 4. Nègres.
Arabe des environs de Bône. N° 18.
N° 9.
TUNISIE.
Juive de Constantine.
N° 8.
Kuffia brodé, genre de coiffure rehaussée sur le
Femme arabe des classes ai-
sommet en forme de corne. Collier de perles. sées ; costume de ville.
Corsage garni de broderies épaisses, faisant
cuirasse sur la poitrine. Robe ouverte laissant Takréta, long voile de tête enveloppant le kuffia,
apercevoir une jupe de dessous aux larges dont on n’aperçoit que la silhouette. Le bas du
manches pendant sur le côté Tablier brodé. visage est couvert par le beskir, pièce d’étoffe
Babouches. ici nouée derrière la tête et retombant jusqu’à
274 Le costume historique — Tome III
mi-jambe. Riche collier d’orfèvrerie. Sassari, Sur la tête de cette fellahine on voit un
haïk d’étoffe légère cachant complètement le ustensile de cuivre. Elle a pour vêtements, un
costume intérieur. Bas de soie ; babouches. ielech, grande robe bleue recouvrant un libas
Souvent, ces femmes mystérieusement (caleçon) de toile ou un chintyan, petite robe
voilées dissimulent ainsi une maturité hâtive. d’indienne, et un long tablier bordé d’un li-
Dans ce pays où les femmes se flétrissent de séré rouge. La coiffure présente une certaine
bonne heure, les Tunisiens ont un mot pour complication : acbeh, fichu, en soie de couleur
qualifier une beauté disparue ou en train de éclatante, posé sur le libdeh ou petite calotte,
disparaître, ils disent : « C’est une enchir, » ce de manière à laisser tomber une des pointes
qui dans l’idiome local signifie une ruine, une de chaque côté du visage et la troisième sur la
antiquaille. nuque ; sur ce fichu, on met le tarbah, le grand
morceau de toile de coton ou de mousseline
N° 11. qui part du sommet de la tête et descend en ar-
rière comme un voile jusqu’au bas de la robe.
Femme arabe des classes pauvres. Quand les femmes veulent sortir de la maison,
elles prennent le borquo, longue bande de gros
Les femmes de ces classes vont presque toujours crêpe noir couvrant la figure à l’exception des
à visage découvert : coiffure formée d’une saf- yeux et retombant assez bas sur le tablier ;
faka, mouchoir de tête, et d’une pièce d’étoffe ce borquo est garni de rubans qui l’attachent
encadrant le visage ; on remarque encore dans de chaque côté de la calotte. Une rangée de
cette figure le beskir, mais cette pièce d’étoffe grosses perles de métal ou de verroterie est
n’est pas ici destinée à cacher le bas du visage, adaptée à cette même calotte ou libdeh, afin
elle fait partie de la coiffure et couvre immé- de maintenir le borquo au milieu du front en
diatement la tête. même temps qu’elle l’écarte du nez et permet
Gandoura aux larges manches. Burnous à l’air de circuler sur le visage ; à droite et à
de grosse laine fixé sur l’épaule (arrangement gauche pendent quelquefois des chaînettes for-
qui rappelle l’antiquité). Bracelet de cuivre. mées également de perles fausses ou de pié-
cettes de métal (voir la bijouterie rustique de
l’Égypte à la planche 463, Orient).
ÉGYPTE. Cette femme tient aussi un tamis pour le
dépiquage des grains.
N° 15.
Les paysannes égyptiennes se servent
Fellahine ou paysanne. peu du henné ; les rudes travaux de la cam-
pagne auraient bientôt enlevé cette coloration
Les Fellahs forment la population agricole de orangée dont les femmes oisives ornent le
l’Égypte. La conformation et la physionomie bout de leurs doigts. Ces femmes substituent à
de la fellahine offre une grande analogie avec l’usage du henné un tatouage indélébile ordi-
les figures sculptées sur les anciens monu- nairement bleu ou vert, dont elles se couvrent
ments ; telles sont les statues d’Isis, telles sont le front, la poitrine, le dessus des mains et les
ces Égyptiennes modernes. Malheureusement, bras ; les plus modérées de ces Fellahines en
la beauté de la femme fellah se flétrit vite par ont au moins sur le front et sur le menton. Ce
les fatigues de la maternité et les souffrances raffinement de coquetterie exotique forme un
d’une situation misérable. étrange contraste avec les misérables occupa-
Le seul luxe de la famille du cultivateur est, avec tions auxquelles ces femmes sont condamnées.
l’usage du café, celui du tabac. La figure ci-
jointe tient à la main une des longues pipes de
Nos 16 et 17.
terre dans lesquelles les Fellahs fument un ta-
bac indigène soumis à une simple dessiccation Mendiants ; types slaves.
et dont le parfum est, paraît-il, très agréable :
c’est pour eux un enivrement et une tonifica- La mise de ces deux mendiants offre un mé-
tion tout à la fois. lange hétéroclite de vêtements empruntés à
Le costume historique — Tome III 275
Voir, pour le texte : les Classes pauvres en Égypte (Magasin Pittoresque, année 1847).
— Dunant (Henri), La Régence de Tunis, 1858. — Michel (Léon), Tunis et l’Orient africain,
1867. — M. J. de Crozals, Bizerte, son passé, son présent et son avenir (Revue de Géographie,
octobre 1881). — M. Maurice Wahl, l’Algérie, Germer-Baillère, 1882. — M. Paul Gaffarel,
l’Algérie, histoire, conquête et civilisation, Didot, 1883.
276 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 277
AFRIQUE — Planche 162
marche, ne manquent pas de prendre la tournure forcée des autres ; cela leur sert
à se distinguer des femmes des basses classes dont la marche est aisée et agile.
N° 2. — Chef arabe. Variante du costume décrit.
Nos 3 et 4. — Enfants mendiants.
N° 5. — Porte-faix. Un caleçon, une chemise, une calotte de feutre : c’est
le fellah d’Égypte. Alger est plein de ces serviteurs de la rue, qui couchent au
hasard.
N° 6. — Spahis indigène. La formation des corps militaires indigènes re-
monte au 1er octobre 1830, époque où des bataillons d’infanterie furent créés
sous le nom de zouaves. La cavalerie prit naissance le 10 décembre de la même
année. Elle était formée primitivement d’un mélange de Français et d’indi-
gènes ; l’organisation actuelle consacre, en principe, la séparation complète des
corps français et indigènes, réguliers et irréguliers. En conservant à ces troupes
leur costume national, en rapport avec le climat, le gouvernement français, qui
l’a même appliqué à des troupes françaises, a certainement montré plus de dis-
cernement que les princes musulmans qui donnent à leurs armées régulières le
costume européen.
Le n° 8, dont le voile ample, attaché par le bas, a une physionomie si parti-
culière, provient des environs d’Alger. Cette femme porte, au bout d’un collier,
l’une de ces amulettes dont l’usage est si répandu, que les personnes les plus
éclairées, comme les plus ignorantes, ont toujours sur elles quelque chose de
cette nature. Le mauvais œil ou l’œil envieux, accusé de toutes les maladies, de
tous les événements fâcheux qui surviennent, c’est la croyance de tout Orien-
tal. Ce sont les marabouts qui font et donnent les talismans, nommés telsem,
auxquels est reconnu le pouvoir préservateur. Il y en a de beaucoup de sortes,
doués de vertus particulières, servant de moyens curatifs, en grande réputation.
Un médecin arabe contente son client en lui remettant un morceau de papier,
un fragment de parchemin, sur lequel sont inscrits les noms de Dieu, des pro-
phètes, certains versets du Coran. C’est toute une pharmacopée talismanique,
en pierres plus ou moins précieuses, tantôt chargées d’inscriptions, tantôt non
gravées, mais toutes infaillibles. Le Maure regarde la topaze (yagout-astar)
comme un spécifique souverain contre la jaunisse et les affections bilieuses. La
cornaline ou sardoine, la gemme rouge, que les Arabes nomment hadjar-ed-
dam, pierre du sang, est excellente contre le flux de sang et l’hémorragie. Les
nourrices manqueraient à tous leurs devoirs si elles ne portaient pas de bagues
dont les chatons sont des turquoises, qui augmentent la qualité nutritive de leur
lait. Le rubis fortifie le cœur, éloigne la foudre et la peste ; il apaise la soif, etc.
L’émeraude guérit la piqûre des vipères, ou toute autre blessure venimeuse. Elle
280 Le costume historique — Tome III
aveugle même les serpents auxquels on la présente ; elle chasse les démons et
les mauvais esprits ; c’est un spécifique contre l’épilepsie, les douleurs d’esto-
mac, les maux d’yeux. Le diamant (elmâs) n’est pas moins utile et a des ver-
tus analogues. La cornaline a encore d’autres qualités que celles signalées plus
haut, elle calme la colère, guérit les maux de dents ; elle préserve de la mauvaise
fortune, est un gage de bonheur constant et de prolongation de la vie. L’hématite
(maghnâttys) calme les douleurs de la goutte, facilite l’accouchement, détruit
l’action des poisons. Le jade (yechm) garantit de la foudre et des mauvais rêves.
Enfin, la gemme appelée œil de chat (ayn-el-hor) préserve de l’influence des
mauvais regards, et met à l’abri des coups du sort ; bien plus, dans un combat,
elle rend celui qui la porte invisible aux yeux de son adversaire, etc. Ces pré-
cieuses recettes sont consignées par un écrivain arabe, nommé Teyfâchy, dont le
manuscrit est conservé à la bibliothèque nationale de Paris. Cette étrange phar-
macopée occupe l’ouvrage entier ; tous les spécifiques y sont indiqués : contre
la gale, la peste, la fièvre et la rogne, et même contre les chutes de cheval et les
blessures de toute espèce.
N° 9. — Ce costume, de grand caractère, attaché des deux côtés par une
double épingle, a plus d’un rapport avec la palla grecque, que nous avons déjà
reconnue sur une femme kabyle ; le mode de la coiffure plate, faite pour servir
d’appui à des fardeaux, comme les femmes le pratiquent en Kabylie, permet de
rattacher à leur groupe ce costume ample et pudique avec lequel le haïck, sans
le voile, suffit d’après l’usage.
Le n° 10 est un costume de paysanne de la Tunisie ; nous n’avons pas besoin
de faire remarquer que la chaussure n’a pas le caractère oriental.
ALGÉRIE ET TUNISIE.
TYPES DIVERS. — COSTUMES ET HABILLEMENT DES CLASSES INFÉRIEURES.
N° 1. — Mendiante. N° 2. — Glaneuse et son fils. marche ! de nos sous-officiers résonne à Tu-
N° 3. — Celui-ci est un des Berranis dont il a été nis. Ce Tunisien porte deux de ces chiachias
parlé. Les Mzabis ou Mozabites appartiennent qu’en Algérie et en Tunisie, l’Arabe accumule
au Mzab, contrée située sous le méridien et à d’habitude sur sa tête ; l’une est en feutre blanc
deux cents lieues d’Alger. Leurs professions l’autre en feutre rouge. Les Tunisiens excellent
sont fort diverses ; ils sont baigneurs, entre- dans la fabrication de ces petites calottes ; ils
preneurs de charrois, bouchers, fruitiers, mar- en exportent des millions dans tous les pays
chands de charbon, et même négociants et dont Mahomet est le prophète.
banquiers au besoin. Le fruitier, comme l’est N° 7. — Nous ne saurions préciser quel est ce Ber-
notre Mzabi, habite souvent une de ces exca- rani ; il n’a point le type arabe, ni le berbère.
vations, moitié rez-de-chaussée, moitié cave, Sa tenue est celle d’un chasseur, il en a l’équi-
dont sont, d’ordinaire, percées sur la rue les page : le fusil, la cartouchière, le couteau pour
maisons mauresques. Son fonds se compose dépecer, la provision d’eau sans laquelle on ne
de quelques bottes de légumes, de piment peut s’aventurer. Le vêtement est à capuchon,
rouge, d’œufs de poule, de lait aigre ou doux,
les pieds sont nus pour la solidité de la marche.
d’oranges, de balais en palmier nain, de petites
N° 8. — Femme rapportant du bois mort.
bougies, d’huile rance, de quelques poteries
N° 9. — Femme de la Tunisie, portant son enfant
grossières ; toutes choses peu coûteuses. Notre
en allant faire la provision d’eau. Il en est là
homme porte une espèce de Gandoura, sorte
de même qu’en Kabylie où les mères allaitent
de chemise de laine épaisse et rayée, que l’on
leurs enfants jusqu’à l’âge de trois ou quatre
fait bleue, rouge, ou jaune.
N° 4. — Ce jeune garçon bien planté, aux traits ans, sans s’en séparer en allant à leurs travaux.
rappelant ceux de la race nègre quoiqu’il ne N° 10. — Ce costume a le caractère de ceux de
soit pas noir, est un de ces produits hybrides la Kabylie ; le vêtement supérieur est atta-
qui se rencontrent fréquemment en Algérie. De ché comme la palla grecque, ainsi que nous
tous ceux qui figurent ici il est le seul qui porte le faisons remarquer dans la notice de notre
un costume correct. C’est l’un de ces servi- planche 154, et c’est la fibule kabyle qui rem-
teurs que l’on gâte dans les maisons des riches plit cet office ; seulement à la différence du vê-
particuliers. tement grec, l’arrière de la robe couvre la tête
N° 5. — Mesureur et marchand d’huile, le et y est fixé par le haïk. Celui-ci est enroulé
l’ar’ouati, dont il a été parlé plus haut. d’une façon particulière ; la robe est remon-
N° 6. — Soldat régulier de la Tunisie. Il tricote ; tée en partie dans la ceinture pour faciliter la
le pantalon européen est, de par le fait du gou- marche. La stature de cette femme n’est pas
vernement, une introduction ne datant que moins remarquable que son costume où tout
de quelques années, depuis que le en avant annonce la plus haute antiquité.
Voir pour le texte : Mœurs et coutumes de l’Algérie, par le Général Daumas ; Histoire et
description de l’Algérie, par M. L. Piesse ; Voyage à Tunis, par M. Amable Crapelet, Hachette ;
L’Algérie, par M. E. Carette, Didot ; L’Algérie française, par M. Arsène Berteuil, Dentu.
286 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 287
AFRIQUE — Planche 164
Les a’ouâlem publiques ne se trouvent que dans les villes ; on leur donne
le nom particulier de ghaouâzy. Les Européens les appellent à tort des almées,
celles-ci étant simplement chanteuses et ne dansant pas. Les ghaouâzy sont ac-
compagnées par un musicien dont l’archet fait résonner le rabâb (instrument à
deux cordes), et par une vieille femme marquant le rhythme avec le darâbouk-
kéh ; les deux mains de la danseuse agitent des castagnettes métalliques qu’elles
font résonner d’abord avec éclat, pour finir par en étouffer graduellement la
sonorité. La danse de ces filles, au pantalon rayé, à la robe transparente, est à
vrai dire une pantomime dont l’action est toute dans les hanches, dans la partie
inférieure du corps jusqu’aux genoux, et dans les mouvements des bras ; elle
finit par un ralentissement gradué, jusqu’à l’immobilité.
est d’un usage général en Orient ; c’est un instrument à cordes dont le corps de
résonnante est surmonté d’un manche sur lequel sont tendues des cordes mé-
talliques pincées avec un plectre ; il y en a de toutes les grandeurs. Le tanbour
boulghâry, dont le nom semble indiquer une origine bulgare est le plus petit de
ces instruments ; la tableest de sapin, le manche et le cheviller de bois d’érable
incrusté de nacre de perle ; il a une corde de laiton et trois d’acier. Le joueur
ne fait résonner qu’une corde ou plusieurs cordes à l’unisson avec une plume
d’aigle ou un morceau d’écaille, mais jamais avec les doigts1.
Les nos 7, 8, 9, 10 représentent des Maures des campagnes ; le n° 9, avec ses
enfants, a toutes les allures des sorcières ; le n° 10 offre un type de mendiant.
AFRIQUE — Planche 165
grosses perles de verre ; bracelets en argent, en manteau fixé sur les épaules au moyen d’une
métal blanc ou en cuivre ; larges boîtes dans attache reliée par deux grosses broches ; tu-
lesquelles sont conservés les kheurouz (talis- nique et robe ; colliers de corail et de perles
mans) ; tubes pour mettre le koheul ; plaque de verre ; bracelets en argent ; bagues ; longue
d’argent filigranée sur la ceinture ; bagues. chaîne terminée par une boîte contenant les
Quelques-uns de ces bijoux se retrouvent dans talismans ; anneaux de jambes et babouches
le n° 2, costume d’intérieur. brodées.
Nos 7 et 9.
N° 4.
Groupe de femmes de la tribu des Ouled-Naïl,
Femmes de la tribu des Beni-Saad. arabes nomades.
Les filles des Ouled-Naïl sacrifient toute pudeur
Écharpe de soie enroulée sur les faux cheveux ;
au but de se faire une dot. On les rencontre
long voile ; malhafa, robe et ghamma, manteau.
dans les principales villes du Sahara, notam-
L’une de ces figures reproduit les exemples de
ment à Biskra. Mouchoir doré retenant un
bijouterie indigène que l’on rencontre dans la
voile de mousseline blanche qui les drape
parure des femmes de Touggourt.
par-derrière ; énormes tresses de laine noire si-
mulant les cheveux ; grands anneaux d’argent
N° 5.
passés dans ces tresses ; robe attachée avec des
Négresse au service d’une femme maure : bonnet broches et des chaînettes d’argent ; ceinture de
avec frontal à pendeloques ; voile et gandoura laine ; colliers d’ambre et de corail ; au poignet
sans manches. et à la cheville, des anneaux en argent et des
N° 6. bracelets de verroterie.
Lalla de Biskra.
N° 8.
L’attitude gênée de ces femmes, posées par un
photographe, s’explique par le peu d’habitude Femme kabyle parée de ses bijoux et portant le
qu’elles ont de s’asseoir autrement qu’en s’ac- costume de la montagne.
croupissant, la coutume générale étant, comme Ichaoun, coiffure, ornée du thacebd, diadème en
on le sait, de s’asseoir les jambes croisées sur argent garni d’émaux et de corail ; zerouoïar,
un divan ou sur un tapis. grands pendants d’oreilles ; gandoura à
Frontal courant obliquement dans un manches courtes ; manteau maintenu par les
turban ; à ce turban sont attachées plusieurs ibesimen, épingles à crochet ; colliers et bra-
chaînettes encadrant le visage ; larges boucles celets. (Pour les détails de la bijouterie kabyle,
en argent suspendues aux fausses nattes ; voir la planche 154, Afrique.)
Documents photographiques.
Voir pour le texte : général Daumas, le Grand Désert, 1861. — M. V. Largeau, le Sahara
algérien, Hachette, 1882. — M. P. Gaffarel, l’Algérie, Didot, 1883.
294 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 295
K G
A
B
A E
H
I
D
F C
A. Grande salle pour l’été avec bassin et jet F. Chambre pour les domestiques.
d’eau. G. Écuries.
B. Entrée de la maison. H. Escalier pour le logement du maître.
C. Cour. I. Entrée pour le logement du harem.
D. Kiosque. J. Petite cour.
E. Chambre pour les étrangers. K. Cuisine.
Toutes les maisons des particuliers aisés, au Caire, ont plus ou moins la
même disposition, au dire de Pascal Coste, et sont décorées à l’intérieur suivant
la fortune du propriétaire. La porte d’entrée est gardée par un portier qui n’a
d’autre logement que le vestibule ; il y a deux portes pour entrer dans la cour de
la maison ; l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes. « Les femmes en
Orient ne sont pas recluses, mais elles sont séparées des hommes ; comme les
296 Le costume historique — Tome III
femmes grecques de l’antiquité, elles sont libres de sortir du gynécée, mais les
hommes ne sont pas libres d’y entrer. » (Ampère, Voyage en Égypte et en Nu-
bie.) La maison est ordinairement à deux ou trois étages. Le rez-de-chaussée est
composé d’une cour, d’une pièce pour les étrangers, d’une grande salle fraîche
pour l’été, de cuisine et dépendances. C’est au premier étage que le maître reçoit
les visites ; il voit du mandarah tout ce qui se passe dans la cour. Le second et le
troisième sont destinés aux femmes ; au dernier étage se trouve toujours la salle
des festins. La distribution de ces maisons est toujours fort irrégulière ; selon Jo-
mard, « les pièces d’un même appartement sont rarement de plain-pied ; il faut
toujours descendre ou monter quelques marches pour aller de l’une à l’autre. »
On sait assez que le luxe de la vie orientale ne montre toute sa splendeur que
dans l’intérieur des maisons. Ainsi que le disait Vivant-Denon en l’an XI :
« Lorsqu’on a pénétré dans ces espèces de forteresses on y trouve quelques
commodités. » L’élégance est surtout remarquable dans le salon d’été ; nous
donnons le plan du rez-de-chaussée d’une maison, relevé par Coste, montrant
l’emplacement de ce salon.
L’élévation géométrale de la construction du salon de fraîcheur est nécessaire
aussi pour apprécier le mérite d’une combinaison dont toute la valeur est surtout
sensible au Caire, où la température est plus élevée que celle de la plupart des
lieux qui se trouvent sous la même latitude. Un passage de Gérard de Nerval sur
l’époque du Khamsin nous suffira pour montrer et les inconvénients du climat
et les moyens employés pour y remédier. « Depuis le matin l’air était brûlant
et chargé de poussière. Pendant cinquante jours (Khamsin veut dire cinquante)
chaque fois que le vent du midi souffle, il est impossible de sortir avant trois
heures du soir, moment où se lève la brise qui vient de la mer. On se tient dans
les chambres inférieures revêtues de faïence ou de marbre et rafraîchies par des
jets d’eau ; on peut encore passer sa journée dans les bains. » (Scènes de la vie
orientale.) De Chabrol achève ce tableau : « Dans les appartements les plus
frais, et même dans la basse Égypte, le thermomètre de Réaumur se soutient à
24 et 25 degrés pendant les mois de juillet et d’août. » (Description de l’Égypte.)
Le salon d’été se compose d’une cour couverte par une coupole en bois et à
jour, très élevée, de manière que le soleil ne puisse pénétrer et que l’air circule
librement dans les ouvertures de la coupole. Au-dessous de la haute toiture est
un bassin en marbre avec des eaux jaillissantes. Ce bassin, et son niveau mar-
ginal même, sont en contrebas du sol de la rue. Les latéraux de cette petite cour
carrée sont sous des plafonds moins élevés. L’ensemble affecte souvent la forme
d’un T, comme le disent Jomard et Ampère. En ce cas une grande chambre
meublée de sofas prend la pièce aquatique par le travers. Le salon de fraîcheur
Le costume historique — Tome III 297
Élévation en coupe du salon d’été figurant dans le plan ci-dessus ; d’après Pascal Coste.
C’est de l’une des maisons abandonnées du vieux Caire, aux trois quarts en
ruine, que provient notre exemple. « Il faut aller, dit M. Maxime Du Camp,
jusque dans le quartier autrefois occupé par les Mamelucks pour trouver
quelques belles constructions arabes ornées de stalactites et de longs versets du
Coran déroulés sur la frise des murailles. » (Le Nil, Égypte et Nubie.)
Le document photographique qui nous le fournit ne saurait contenir d’indi-
cation plus précise. « Le Caire est un dédale, écrit M. Edmond About dans son
Fellah ; toutes les rues, sauf une ou deux, semblent construites au hasard, non
seulement elles ne portent pas de nom et les maisons n’y sont pas alignées,
mais elles n’ont ni commencement ni fin ; on y entre par une porte, on en sort
par une brèche. »
298 Le costume historique — Tome III
Ce salon aquatique ancien (nous verrons quelles peuvent être les probabi-
lités de son âge) nous semble d’un agencement plus complet que ce qu’on a
décrit jusqu’à présent. Si l’eau ne jaillit plus aujourd’hui de son bassin cen-
tral, ni ne coule plus légèrement sur les gradins de ses cascatelles, il est facile
d’en reconstituer le jeu et de reconnaître la combinaison à l’aide de laquelle la
pièce se trouvait irriguée dans toute sa longueur, de façon que, de chacune des
chambres, on pût jouir de la fraîcheur d’un véritable parterre d’eau en mou-
vement. Pour obtenir ce résultat, le dallage en carreaux rouges était incliné
dans la direction du bassin central et, de plus, sa surface légèrement convexe,
en dos d’âne très adouci, était disposée de façon que la pluie de la cascatelle
s’écoulât sur le sol en une nappe transparente comme un voile et vînt, après
une dernière, douce et large chute, s’épandre sur le sol inférieur où le bassin
l’absorbait. C’est parce que l’écoulement de l’eau des cascatelles des deux
fonds de la pièce se faisait ainsi, qu’on ne voit pas à leur pied le bassin qui
reçoit immédiatement les eaux de la cascatelle du milieu. Les jeux de ce genre
devaient être vivement appréciés chez une race intelligente et sensuelle pour
laquelle ils étaient un véritable bienfait.
Ce qu’était un tel séjour, décoré avec un art si exquis, à l’époque où la de-
meure fut construite, qui ne le pressent en voyant ces mosaïques de marbre, ces
carreaux émaillés, ces boiseries fines, ces murs enduits de stuc aux frisés ornées
d’inscriptions magistrales, ces stalactites soutenant de leur encorbellement les
poutres des plafonds, ces sofas, ces tapis, etc. ? N’est-ce pas en des endroits
pareils que l’on peut redire ce qu’éprouvait Ampère en parcourant les rues du
Caire : « Il semble qu’on relit les Mille et une nuits. » De fait, ces maisons aban-
données, d’âge incertain, ne sont peut-être pas très éloignées de l’époque même
où ces contes merveilleux furent rédigés au Caire, dans la forme qu’ils ont pré-
sentement (vers le commencement du seizième siècle, selon M. Lane, qui en a
donné la première version exacte.) N’est-il pas vraisemblable qu’une splendeur
d’aussi bon goût, d’aussi beau style appartienne aux époques qui ont précédé la
conquête des Turcs, ou que du moins elle se rapproche de ces temps anciens ?
Car, ainsi que l’affirme Ampère, « depuis cette conquête Le Caire n’a jamais
recouvré la fraîcheur et l’éclat que les mœurs, les habitations, les costumes, ont
dans les récits de Shéhérazade. » En tous cas la pureté de cette décoration est
bien éloignée de l’Égypte moderne où, dit encore M. Maxime Du Camp, « l’art
n’est pas même en décadence, il n’existe plus. »
MAURESQUE — Planche 167
de l’Espagne, elle est d’une magnificence, d’une élégance, d’un goût, qui ne
semblent avoir été dépassés nulle part. L’ornementation, d’où la représentation
de la figure humaine est bannie, offre partout l’accord d’une variété infinie et
d’une invariable régularité. Aux soubassements, elle se compose généralement
de figures géométriques ; aux parois des murs, de dessins sans fin en léger re-
lief, et de frises formées par des inscriptions se jouant dans les arabesques. Les
plafonds sont à compartiments, ou en forme de voûte ; de petites niches super-
posées en encorbellement y semblent appendues comme des cristallisations.
Partout brille la couleur : dans la mosaïque de marbre, sous l’émail des
faïences et des briques, sur le stuc ou le plâtre des dentelles des murs, comme
aux verrières des fenêtres, comme à la menuiserie des plafonds. L’or, l’argent,
le cinabre, et surtout l’outremer, sont les couleurs les plus employées dans les
parties peintes ; le vert, le jaune, le bleu, le brun, le noir, le sont davantage dans
les parties émaillées.
La pièce ici représentée est la sala de la Barkah, salle de la bénédiction (Owen
Jones), dont le nom figure dans les ornements. Elle précède la fameuse salle des
Ambassadeurs, la plus importante du palais de l’Alhambra, et donne sur la cour
de l’Étang ou patio de la Alberca. Son état de conservation, bien meilleur que
celui des autres parties du palais, a déterminé notre choix. Il ne manque ici que
les verres de couleur de la fenêtre, dans leur armature de plâtre disposée en des-
sins géométriques.
La profonde baie de la large et haute fenêtre à balustrade qui décèle ici le pa-
lais-forteresse est à remarquer. Dans l’épaisseur des murs de la tour de Comarès,
la principale de l’Alhambra, il y en a de ce modèle qui atteignent jusqu’à neuf
pieds de profondeur.
Les quelques figures placées dans ce cadre n’ont d’autre objet que d’y servir
d’échelle de proportion. Nous n’avons point cru devoir essayer de reproduire,
d’après des données hypothétiques, l’ameublement de la grande pièce ; on sait
d’ailleurs que les Orientaux en sont fort sobres. Quant aux alcôves latérales ou
espèces de boudoirs aux larges entrées, il est facile d’en garnir les planchers des
tapis moelleux de l’Orient ou d’y dérouler les nattes, selon la saison. C’est par
une tenture mobile, portée par une traverse posée sur le tailloir des chapiteaux
ou sur la console recevant l’archivolte de l’arcade, que se faisait la clôture de
ces pièces, laissant ainsi passage à l’air extérieur.
Pour le texte, voir l’Alhambra, par Owen Jones ; Voyage en Espagne, par de Laborde, Ba-
tissier, Gailhabaud, etc.
304 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 305
AFRIQUE — Planche 168
à son centre, un porte-lanterne en bronze est suspendu par des chaînettes. Les
carreaux du dallage sont en faïence émaillée et font, par les contrepositions du
dessin colorié, un tapis sans fin.
Au second étage de ces habitations se trouve généralement la terrasse servant
de promenoir la nuit et où, souvent même, par les grandes chaleurs, on passe la
nuit tout entière ; parfois, dans le jour, on y tend un vélum qui ombrage complè-
tement la cour.
Voir, pour le texte : Shaw, Voyage dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant,
1743. — Piesse, Itinéraire de l’Algérie, 1862.
308 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 309
dans les grandes solennités, il le tient appuyé lie, est celle qui leur est ordinairement réser-
sur l’épaule droite. vée.
Les armes et les armures à l’usage parti- ITSCH-AGHASSYS. (Offi-
culier du sultan sont confiées à sa garde. ciers de l’intérieur du sérail.)
Takie, petit bonnet de coton blanc piqué,
accompagné de deux cordons tombant le long N° 2.
des joues ; calotte brodée, en forme de casque, Tutundjy, page qui a soin des
surmontée d’un flot de mousseline atteignant pipes et du tabac du sultan.
une certaine hauteur et retombant tout uni der-
rière les épaules. Robe de brocart croisée sur Turban de velours qui paraît être le mudjeweze,
la poitrine et serrée à la taille par une ceinture coiffure innovée par Bajazet II (1481-1512). So-
largement étoffée. liman Ier bien qu’il eût inventé plusieurs formes
Le grand vizir et les pachas de province de turban s’en tint de préférence au mudjeweze ;
ont tous leur silidhar-agha sous la direction du- il le portait, garni de mousseline, tantôt blanche,
quel sont placés tous les gens à leur service. tantôt rouge. — Orta-couschak, veste longue
croisée sur la poitrine, fendue sur les côtés,
serrée au corps par une ceinture de cachemire
ULÉMAS. dans les plis de laquelle est passé le bitschak.
Long chalwar. Babouches jaunes. Dans aucune
N° 3.
maison les domestiques ne portent de livrée ; ils
Coiffure du scheik des Cadrys. font usage de toutes sortes d’étoffes de soie et
même de châles des Indes.
Scheik, vieillard, ancien, est le titre honorifique
des supérieurs des différents ordres de der- N° 6.
viches et des prédicateurs de mosquées.
Les Cadrys forment une des douze sectes Eunuque.
nées au sein de l’islamisme. Les eunuques noirs au nombre d’environ deux
Oeurf, turban des ulémas. Mahomet II connu cents sont préposés à la garde du harem impé-
par la protection qu’il accordait aux ministres rial ; le kizlar-agha (voir n° 15) les commande.
de la religion et aux gens de lettres, adopta ce Také, haut bonnet de drap. Long cafetan
turban pour son usage particulier. C’est depuis à quatre pans dont deux sont relevés dans la
cette époque que l’usage des turbans garnis de ceinture. Tunique rayée sous laquelle on aper-
mousseline devint général. — Robe de drap çoit le chalwar descendant jusqu’à la cheville.
vert, couleur propre au corps des ulémas ; en Babouches de maroquin jaune.
hiver, ces robes sont garnies de petit-gris ou de Les grands dignitaires ont la prérogative
zibeline. d’entretenir deux ou trois eunuques pour le
N° 5. service de leur harem.
Coiffure d’un derviche cadry.
N° 8.
La coiffure de presque tous les derviches porte le
Coz-bekdji-baschi, porte-aiguière.
nom de tadjh, qui signifie couronne. Ce sont
des turbans dont la forme est différente, soit Calotte en laine foulée, de forme élevée et cy-
par la manière dont la mousseline est pliée, lindrique, se rapprochant du tarbouch ; cette
soit par le drap du bonnet qui est partagé en coiffure se termine en fond étoffé retombant
plus ou moins de sections. Chez les cadrys, ce sur l’épaule. Cafetan croisé ; ses quatre pans
bonnet présente six divisions. forment la pointe, deux sont ramenés dans la
Très peu de derviches se permettent ceinture et découvrent ainsi la courte tunique
l’usage du drap dans leurs vêtements ; l’aba, en étoffe de l’Inde. Chalwar enfoncé dans les
étoffe de feutre qui se fabrique dans l’Anato- bottes de maroquin.
312 Le costume historique — Tome III
Bonnet de feutre, coiffure des Turcs dans feutre fut abandonnée aux officiers des classes
l’ancienne monarchie. C’est sous Soliman Ier inférieures du sérail. — Cafetan à pointes re-
que les turbans blancs furent d’un usage uni- levées et passées dans la ceinture. Tunique
versel et que l’ancienne mode du bonnet de rayée. Chalwar. Bottes de maroquin jaune.
Ces exemples proviennent des figures dessinées par Barbier l’aîné principalement, pour
l’ouvrage de Mouradja d’Ohsson, Tableau de l’empire ottoman, auquel nous avons également
recours pour le texte.
314 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 315
relèvent et se rattachent en arrière du turban. corps ; chalwar à larges plis ; châle épais serré
Beurundjuk brodé ; robe en étoffe à fleurs ; à la taille. Souliers à boucles.
jupe rayée ; hauts-de-chausses ; feredjé en ca- N° 10. Bonnet conique ; yelek, gi-
melot moiré d’Angora ; châle de l’Inde arran- let droit tailladé sur les côtés ; salta, veste
gé en écharpe. Boucles d’oreilles ; guerdanlik sans manches ; châle en ceinture ; chalwar ;
orfévré ; ceinture brodée avec tchaprass en or ; babouches.
khatims, bagues avec pierres. — Terliks en ma- N° 11.
roquin jaune.
N° 7. Femme esclave ; costume d’intérieur.
Voir pour les figures et le texte l’ouvrage de d’Ohsson : Tableau général de l’empire otto-
man ; Paris, 1790 ; Didot, éditeur.
318 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 319
TURQUIE — Planche 171
INTÉRIEUR DE L’HABITATION.
APPARTEMENT D’UNE DAME MUSULMANE. — LE TANDOUR.
L’habitation est généralement en bois ; le salon représenté est, ainsi que les
pièces principales de cette construction, assez haut de plafond pour que deux
rangées de fenêtres y soient superposées. Les plus élevées sont des vitraux par-
mi lesquels s’en rencontrent de coloriés. Les compartiments formant dessin sont
faits avec du plâtre, ce qui est un mode tout oriental. Les grandes fenêtres sont
garnies de stores grillagés et de rideaux qui ne sont jamais que d’indienne. Les
murs unis sont enduits et peints, ordinairement avec simplicité, fréquemment en
marbre blanc.
Le mobilier, à peu près unique et que l’on trouve dans toutes les pièces des
appartements, c’est le sopha, sur lequel on s’assied les jambes croisées. Le sur-
plus ne consiste guère qu’en des petites tables volantes, qui servent aux colla-
tions et aux repas, et sur lesquelles, le soir venu, on place les flambeaux.
En été, les parquets sont couverts de nattes d’Égypte ; en hiver, de tapis tra-
vaillés à Smyrne, à Salonique, etc.
Le plafond en bois, est divisé en caissons nombreux, peints de diverses cou-
leurs, mais les détails ne valent pas qu’on s’y arrête. L’ornementation de cette
pièce est due à quelque main européenne. Il est à croire qu’elle est authentique, les
Turcs du dix-huitième siècle comme ceux de notre temps ayant souvent recours à
nos décorateurs ; mais comme on voit dans les corniches, des arbres, des paysages,
des hameaux, des keoskchs, écrit d’Ohsson, des parterres, des jets d’eau, et sur les
murs des fleurs et des fruits, malgré les prescriptions du Coran ; enfin comme on
rencontre aux entre-fenêtres des cartouches du genre rocaille qui donnent une
date à cette décoration sans caractère national, on ne doit vraiment considérer cet
ensemble que dans ses dispositions générales véritablement typiques.
Le chauffage de la maison turque est fort différent du nôtre ; on ne voit des che-
minées en Orient que rarement, dans quelques maisons riches. L’usage du poêle
320 Le costume historique — Tome III
y est inconnu. Le brasero de cuivre, encore dans les mœurs espagnoles, et dont
usèrent les Romains et les anciens Grecs, est la manière la plus générale de chauf-
fer les chambres ; on le place au milieu de la pièce. De plus, les femmes ont leur
tandour ou taundour, corruption du mot tennour qui signifie chauffe-corps.
Le tandour est une table rectangulaire garnie de grandes couvertures touchant
le sol, sous laquelle on met un brasero en cuivre couvert de cendres pour en ré-
gler la température. On s’y chauffe commodément en prenant sur ses genoux le
bord de la couverture ; la chaleur entretenue sous la table est douce et salutaire.
L’usage du tandour est général dans toutes les classes du pays, et même chez
les Européens établis dans l’empire, qui en contractent l’habitude avec tous les
étrangers.
Le tandour est installé dans l’un des kiochés ou angles du divan, à la place
d’honneur où s’assoit la maîtresse de la maison. Les tandours sont des objets
de luxe ; les couvertures sont de satin, de drap d’or et d’argent, d’étoffe riche-
ment brodée. C’est au tandour que la hanum reçoit ses visites, et elles sont
nombreuses avec le goût des réunions et des causeries si développé chez les
Levantines. Les dames turques ne sont point recluses, et sous le yachmak et le
féradjé elles sortent même absolument seules, allant et venant en pleine liberté.
Elles se réunissent, toujours sur invitation, tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre.
La maîtresse de la maison à son tandour placé à sa droite celle de ses visiteuses
à laquelle elle veut faire le plus d’honneur ; c’est au tandour que se forme le
cercle de la conversation ; c’est là que les hanums prennent ordinairement leurs
repas et passent leur journée à fumer le tountounn dans les narguilehs ou les
chibouks, à consommer des sucreries, les doundourmas, à faire de petits repas,
variant parfois ces occupations en exécutant des broderies au tambour, au mé-
tier horizontal fixe. Le tandour, tel qu’on le voit ici, est posé sur une espèce de
grand matelas, moitié moins épais que les divans, et il est garni d’une double
couverture. Toutes les hanums sont en toilette.
Document emprunté au Tableau général de l’Empire ottoman, par Mouradja
d’Ohsson (Ignace), ambassadeur suédois à Constantinople ; 2 vol. publiés à Pa-
ris en 1787-90. Le 3e vol., par C. d’Hosson, fils d’Ignace, paru chez Firmin-Di-
dot en 1821.
Voir pour le texte l’ouvrage des d’Ohsson ; et dans le Tour du monde, année 1863, les
Femmes turques, leur vie et leurs plaisirs, par M. F. Jérusalémy.
322 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 323
324 Le costume historique — Tome III
renseignements n’ont pas la haute valeur de ceux donnés par Melling, architecte
allemand qui, ayant eu la bonne fortune de diriger les embellissements des pa-
lais de la sultane Hadjigé et ceux de son frère Sélim III, fut à même de pénétrer
dans l’intérieur du sérail et d’y recueillir les nombreux matériaux publiés dans
son Voyage pittoresque à Constantinople (1819), magnifique ouvrage auquel on
doit l’intérieur du harem représenté.
L’étiquette de la cour ottomane date également du règne de Soliman II ; c’est
ce souverain qui régla les attributions des hauts fonctionnaires, et dota le harem
d’une organisation que le temps n’a guère altérée.
Le sérail renfermait alors une population de six mille âmes dans laquelle les
eunuques noirs et blancs, les nains, les muets, les femmes et les jeunes gens
comptaient au moins pour trois mille. La plupart de ces esclaves, nés chrétiens,
étaient des enfants de tribut, c’est-à-dire qu’ils provenaient de l’espèce de dîme
humaine que les pachas, gouverneurs de provinces, prélevaient chaque année
sur les populations vaincues.
Les jeunes filles passaient dans le harem et devenaient les compagnes d’autres
captives venant de toutes les parties du monde ; car c’est là que les Tartares
amenaient leurs prisonnières, les Circassiens leurs plus belles filles (comme ils
le font encore aujourd’hui) et les pirates des États barbaresques des contingents
relativement considérables de femmes espagnoles, italiennes et françaises.
Les plus intelligents des jeunes gens élevés dans le sérail étaient choisis
comme pages de la chambre du sultan, ou comme musiciens, secrétaires, porte-
glaive, etc. ; quelques-uns arrivaient même aux hautes fonctions de ministre.
L’élite de cette troupe était comme une pépinière de fonctionnaires ; le reste
était dispersé dans les emplois subalternes.
Les eunuques noirs étaient spécialement destinés à garder les femmes du ha-
rem ; les eunuques blancs s’occupaient des affaires domestiques et de l’éducation
des enfants. Les muets, très habiles à serrer le lacet, avaient les fonctions d’exé-
cuteurs des sentences du sultan, et les nains remplissaient le rôle de bouffons.
Voir le texte de cet ouvrage ; celui des d’Ohsson, Tableau de l’Empire ottoman, et Une
visite au sérail, par Madame X*** (Tour du monde, 1863).
328 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 329
TURQUIE — Planche 174
est garnie de tapis épais étendus partout et remplaçant, au milieu, le bassin avec
la fontaine jaillissante qui occupe le salamlik original.
Les colorations ont de même le caractère d’une restauration, et c’est égale-
ment sur les données de M. Paul Bénard que Stéphane Baron en a fait l’aqua-
relle.
TURQUIE — Planche 175
N° 1. — Derviche Bektachi. — Les religieux de cet ordre portent, comme ac-
cessoires obligés, sur leur poitrine, une pierre nommée teslim tache, large étoile
de jade, et à l’oreille droite un ornement en forme de croissant de même métal ;
ils sont munis d’une sorte de cornet à bouquin recourbé dont l’ouverture est en
gueule de poisson, rappelant le sabre à double pointe d’Omar ; une giberne de
cuir, le djilbend, est attachée sur le devant de leur ceinture.
Leur habillement se compose d’un manteau à manches, le kirka ; d’une veste,
d’un pantalon très large, le potour, formant de grands plis sur la cuisse, collant
sur les jambes où il est attaché avec des agrafes. La chaussure est rouge ou
noire. Leur coiffure, fabriquée de leurs propres mains dans leurs couvents, est
un symbole ; on la nomme tadj (couronne), dans le sens oriental de bonnet ré-
servé aux princes.
L’ancienne organisation des Bektachi était à la fois religieuse et militaire, ayant
plus d’un rapport avec les confréries actives du Temple, de l’Hôpital et de Malte.
La création de leur ordre précéda de peu de temps celle de la milice des janissaires
avec lesquels, tant qu’ils vécurent, les Bektachi demeurèrent étroitement liés. Le
bonnet de feutre des janissaires portait un appendice représentant une manche de
derviche, en mémoire de la bénédiction que le fondateur de l’ordre religieux, Ha-
dji Bektach, aurait répandu sur eux en leur remettant leur étendard.
N° 2. — Hammal. — Portefaix affublé de l’attirail de sa profession, le se-
mer, espèce de crochet sans montants fait d’un bloc de bois et muni de fortes
bretelles, sur lequel il accumule les plus lourds fardeaux. La rusticité de cet
ustensile, la nature de son emploi l’ont fait comparer à la bosse du chameau,
avec lequel le hammal, sobre, patient et fort, a d’ailleurs plus d’un rapport. Rien
de particulier ne le fait remarquer dans son costume ; toutes les pièces en sont
solides et présentent des garanties de durée. La veste est d’une étoffe indigène,
feutrée ; le chalwar de même, les bas sont de laine à côtes. La chaussure est
double. La coiffure en feutre blanc, le kulah, historié de broderies en soie de
diverses couleurs, est entourée d’un saryk hygiénique. Tout cela est presque
inusable, chaud, et, sans être à bas prix, est à bon marché.
N° 3. — Aïvas. — Dans les maisons turques, la cuisine est séparée de l’ha-
bitation proprement dite ; elle en est même assez éloignée, afin d’éviter que du
334 Le costume historique — Tome III
(Le dessin des personnages est emprunté aux photographies des Costumes
populaires de la Turquie, ouvrage publié en 1873 à Constantinople par P. Sebah
[texte par Hamdy-Bey et M. de Launay], sous le patronage de la Commission
impériale de l’Exposition de Vienne, et les détails du costume, ainsi que la colo-
ration, sont pris d’après les modèles en nature exposés par l’Union centrale des
Beaux-Arts appliqués à l’Industrie, Musée du Costume, 1874.)
338 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 339
ASIE MINEURE.
N° 1. — Bourgeois de Manissa, vilayet d’Aïdin. tépélik placé, comme son nom le veut, sur le
sommet de la tête. Ce tépélik est en argent, à,
Manissa passe pour le plus riche marché de co- peu près grand comme une assiette, et d’un
ton de l’Asie Mineure. C’est une vieille ville travail assez soigné ; le puskul, bien fourni, de
qui, sons le nom de Magnésie du Sipyle, fut la moyenne longueur, s’y rattache par un gland
capitale de l’Empire byzantin pendant que les en passementerie de fils d’argent, autour du-
Latins étaient maîtres de Constantinople. Une quel s’entrechoquent des piécettes d’or et un
portion de la tribu hellénique des Magnètes armoudiè de même métal, ornement plat et
l’aurait fondée. Le bourgeois de Manissa porte mince, allongé en forme de poire. Le suléïma-
le gilet à la franka, sur une chemise dont le col niè, le sceau de Salomon, prince des génies,
n’a pas de cravate. Son mintan est une veste qui est gravé d’ordinaire sur l’armoudiè, pré-
simple ; ses souliers sont lourds et forts ; son
serve non seulement du mauvais œil, mais
fez est à la mode de Smyrne. Son chalvar à
encore assure à celui qui le porte, la réussite
plis cassants est bouffant en bas par-derrière,
dans toutes ses entreprises. On roule en turban
comme un sac de noix à moitié plein. Enfin,
autour du fez une pièce de coton rayé, jaune
sa ceinture est large et à ramages. Sur cette
et rouge. Le surplus du costume est simple,
ceinture, détail caractéristique, il étale bien
sans complications, de coupe franche. L’entari
proprement, eu vue du public, son mouchoir
long, en étoffe de fil, descend tout droit sur les
de mousseline brodé d’or.
paboudj. La ceinture est une pièce carrée de
châle mélangé de soie, à l’usage des classes
N° 2. — Dame musulmane de Manissa.
moyennes, dans toute l’Asie. Le mouchoir,
Cette dame porte l’antique fez en forme de mor- dont on fait parure là aussi, pend le long de
tier, bordé d’une bande de broderie d’or, cou- la jupe ; c’est un yèmèni de couleur foncée,
vert d’un puskul soigneusement étalé ; un riche à grandes fleurs, souvent peintes de tons vio-
voile cousu au fez fait partie intégrante de cette lents. Le salta est de drap foncé et s’arrête à
coiffure. Le mintan est de la même coupe que mi-chemin, entre le coude et le poignet, d’où
celui porté par le bourgeois. La chemise est en pend la manche évasée de l’entari.
beurundjtuk et bordée d’oya ; la jupe est longue Le vilayet d’Angora, qui est un composé
et cache le chalvar ; ce qui donne au costume de l’ancienne Galatie et d’une partie de la Cap-
de cette dame, outre sa coiffure, son caractère padoce, offre des exemples de costume des
décisif, c’est le tchèvrè de mousseline empe- classes rustiques d’un cachet tout particulier.
sée, à fleurettes de soies diversement colorées,
mélangées de paillettes d’or, qui s’étale sur le N° 4. — Paysan musulman des envi-
devant de sa ceinture de cachemire. rons d’Angora, l’ancienne Ancyre.
N° 9. — Musulmane de Bourdour, vilayet de Konich. La singulière enveloppe que porte ce paysan est
le kèpènek. C’est un pardessus de feutre blanc,
Sa coiffure a les proportions d’un fez ordinaire ; orné de dessins fantastiques, qui ne laisse pas-
de forme droite et basse, elle est ornée d’un ser que la tête et les pieds ; ce n’est qu’une am-
340 Le costume historique — Tome III
plification du diphtère des anciens bergers ga- suspendent circulairement un double étage de
lates, ou du sagum, porté encore aujourd’hui, sequins, que la marche fait bruire doucement.
sous le nom de bique, en Bretagne et dans les L’armoudié et son sceau magique, divers or-
Landes. nements en or, se balancent encore autour de
Le kèpènek est une véritable maison, la tête. De légères boucles en filigrane sont
portative comme la coquille de l’escargot, pendues au lobe des oreilles ; un large collier,
et parfaitement close ; non seulement on se guerdanlik, en monnaies d’or et d’argent en-
couche soi-même sous le kèpènek, mais en- tremêlées, couvre les épaules et tombe jusque
core on y met à l’abri de la pluie, du serein, sur la ceinture de soie tunisienne.
de l’humidité du matin et du soir, les armes,
les ustensiles de ménage, les objets usuels pe- N° 8. — Artisan musulman d’Angora,
tits et grands. Cette enveloppe, qui garantit du
Les principales industries de cette ville sont : la
froid mieux que tout autre vêtement, a donné
tisseranderie, la teinture des toisons et des ma-
lieu à un proverbe turc : Képènek altenda her
roquins, le tannage, la fabrication des tapis.
yateur, signifiant littéralement : Tout couche
Comme dans toutes les villes de la Turquie,
sous le kèpènek. Cette assertion proverbiale
les ouvriers d’Angora sont organisés en esnaf
donne lieu à plusieurs interprétations, entre
(corporation) et le costume de chaque corpo-
autres que, s’il faut entendre par ce proverbe
ration, sans avoir rien d’absolument uniforme,
que toutes sortes de gens couchent sous le
a cependant toujours quelque chose de parti-
kèpènek, cela veut dire qu’on y peut trouver
culier : choix d’étoffe, couleur, arrangement
aussi bien un prince qu’un simple gardeur de de quelque pièce, qui permet de distinguer fa-
chèvres. Tout ce qu’on voit du paysan mu- cilement les divers métiers les uns des autres.
sulman des environs d’Angora, en dehors de L’artisan représenté est, selon toute apparence,
son kèpènek, se réduit à la tête et au bas des un tisserand de châli (étoffe lustrée de poil de
jambes. La coiffure est le fez rouge, entouré du chèvre d’Angora). Il paraît dans l’aisance ;
saryk blanc dont la mousseline est rayée légè- c’est d’ailleurs le fait de presque tous les ou-
rement de vert et de rouge. Le caleçon, sortant vriers ottomans qui dissimulent également leur
d’un chalvar assez étroit, est assujetti par les richesse ou leur misère. Le costume de celui-ci
cordelettes des tcharyk, qui sont en peau de n’a pas besoin de description ; la ceinture de
chèvre garnie de son poil. châli blanc en est le seul luxe, et il dépasse-
Lorsque le paysan galate possède quelque rait les ressources de celui qui la porte, s’il
objet dont il puisse tirer vanité, il se sert de son ne l’avait fabriquée lui-même. Le djubbé de
képènek pour en faire l’exhibition. Les deux drap de couleur foncée, que cet artisan relève
côtés de ce vêtement sont garnis d’appendices derrière son dos en prenant une attitude qui
pour cet usage : on y attache purement et sim- convient à un homme pénétré de son impor-
plement l’objet en question : c’est ainsi que tance relative, découvre un élégant salta, qui
l’on voit figurer ici un de ces jolis tchibouk à est invariablement, soit d’un beau bleu ciel,
fourreau plissé, de soie et d’or, avec houppes soit d’un vert frais et gai, couleur de perruche.
floconneuses, que les bergers asiatiques se La chaussure consiste en mest noirs, plongés
plaisent à confectionner ; ce petit étalage est dans des paboudj rouges à bouts recourbés.
tant soit peu mercantile, car ces tchibouk se
vendent facilement aux étrangers. N° 5. — Artisan chrétien d’Angora.
lée en turban. L’entari est de soie, de couleur leurs feuillages peints sur une écharpe de soie
unie, et bien croisé sur la poitrine. Les pieds à raies rouges et jaunes. D’autres serviettes de
sont chaussés de bottines lacées, les laptchin coton blanc pelucheux, à franges et pompons
en chevreau mou, et de goundoura, souliers placés en bordure, sont cousus par leur bord
communément noirs, de forme ordinaire, sans supérieur au bonnet, qui les dépasse d’un tiers
bouts recourbés. La ceinture est de cachemire environ de toute la hauteur de l’ensemble ;
gris, et l’ample djubbé est à manches pagodes. au besoin, on ramène ces serviettes sur le vi-
sage, pour le cacher aux yeux indiscrets des
N° 6. — Kurde des environs de Yuzgat. profanes d’un autre sexe. L’accompagnement,
en quelque sorte obligé, de ce monument gran-
Yuzgat, dans le vilayet d’Angora, est une ville
diose, ce sont les énormes boucles d’oreille,
toute moderne fondée vers la fin du siècle der-
cercles d’argent d’où pendent des chaînettes
nier. Les tribus Kurdes des Afchar viennent
supportant des pièces de monnaie traînant
faire paître leurs troupeaux dans les steppes
avec bruit sur les épaules. D’autres chaînettes,
environnantes. Les Kurdes, qui s’y établissent
plus grosses, sont fixées par des épingles, à
pendant l’été, sont vêtus à la légère. Leur
têtes épanouies en étoiles, sur les deux côtés
armes, inutiles pour le moment, sont déposées
de la poitrine ; elles s’y arrondissent en de-
sous la tente. Fez droit, en feutre épais et dur,
mi-cercles au-dessous du cou. Une épaisse
recouvert d’un mouchoir ; yèmèni à fleurs ;
plaque d’argent repoussé, où se voient des
puskul volumineux ; entari de cotonnade rayée
soleils entremêlés de lunes, s’étale fastueuse-
de rouge, de noir, de blanc et de jaune, suivant
ment sur la ceinture de soie tunisienne, d’où
la mode locale, boutonné au cou, par un seul
pendent encore deux autres chaînes à plu-
bouton en forme de fleur de camomille ; il est
sieurs rangs de piastres. En fait de bijouterie,
fermé dans toute sa longueur au moyen d’une
la femme kurde de la tribu des Afchar porte
ceinture de soie tunisienne, à raies jaunes sur
encore de grosses bagues d’argent à presque
un fond rouge. Le tchepken d’un gris blan-
tous les doigts de ses deux mains.
châtre est en feutre, et brodé en laine noire sur
Ces femmes ont un tablier étrange ; il
les côtés ainsi qu’au bas des manches ; il laisse
est de feutre noir et, tailladé comme les pans
à découvert les deux bras. On se préserve de
d’une dalmatique ; il s’élargit surtout le devant
la fraîcheur, en boutonnant tout du long les
de la jupe de l’entari ; sur la poitrine, ce tablier
manches de ce tchepken ainsi que son corsage.
se rétrécit considérablement : il n’y est plus
Les bottes rouges sont en fort maroquin doublé
qu’une bavette, puis, tout à coup, poussant une
de plusieurs épaisseurs de cuir ; leurs pointes
pointe sur chaque épaule en s’arrondissant au-
sont relevées en croissant. Les deux semelles
tour du cou, le tablier passe sur le dos qu’il
de ces bottes sont si fortes que, frappées l’une
couvre en entier. On appelle chez les Kurdes
contre l’autre, elles rendent un son analogue
cette pièce du vêtement yelek, gilet, mais son
à celui d’une porte de chêne sous le heurtoir.
vrai nom devrait être eunluk, tablier. La chaus-
sure, ce sont les mest dans les paboudj jaunes.
N° 7. — Femme kurde des environs de Yuzgat.
L’origine semi-persane, semi-chal-
Le hotoz de la femme de la tribu des Afchar est déenne, des hordes kurdes, se décèle par le ho-
un échafaudage extraordinaire composé d’un toz de la femme de la tribu des Afchar. C’est
grand nombre de pièces. Le fez est entière- une alliance de la tiare cylindrique des popula-
ment enveloppé de serviettes de coton blanc tions orientales de l’antiquité avec le voile des
qui sont, à leur tour, recouvertes jusqu’aux musulmanes, dont la disposition dans sa par-
trois quarts de la hauteur de l’édifice princi- tie inférieure est d’une lointaine ressemblance
pal, de plusieurs mouchoirs yèmèni croisant avec le pschent des Égyptiens.
342
Le dessin des personnages est emprunté aux photographies des Costumes populaires de
la Turquie, ouvrage publié en 1873 à Constantinople par P. Sebah (texte par Hamdy-Bey et
M. de Launay) sous le patronage de la Commission impériale de l’Exposition de Vienne. Les
détails du costume, ainsi que la coloration,sont pris d’après les modèles en nature exposés par
l’Union Centrale des Beaux-Arts appliqués à l’Industrie, Musée du costume, 1874.
344 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 345
POPULATIONS ASIATIQUES.
sur les côtés. La coiffure est le fez ordinaire, feutre en est épais et dur ; la plate-forme de
garni d’un long puskul de soie bleue, et entou- cette calotte est une plaque d’argent, minu-
ré d’un mouchoir yéméni peint de feuillages et tieusement ouvragée, nommée bachlik ; le
de fleurs de couleurs éclatantes. puskul de soie bleue est fixé sur le bachlik
au moyen d’un gland en passementerie d’or,
N° 3. muni de petits anneaux ; un yéméni de mousse-
line blanche, orné de fleurs peintes à la main,
Femme grecque de Bourdour, vilayet de Koniah. s’enroule au bas du fez et couvre à peu près
— Ce costume est un souvenir vivant des la moitié du front ; des pendeloques de larges
époques les plus reculées ; son aspect est celui
pièces d’or, tombant entre les sourcils qu’elles
de figures sculptées dans les bas-reliefs mé-
cachent en partie, sont fixées sur le yéméni à
diques trouvés à Boghaz-Keni dans l’ancienne
l’aide d’épingles et de chaînettes. De très jo-
région de Ptérie, en Cappadoce.
lies boucles d’oreilles, boucles creuses en fi-
La coiffure, mître cylindrique, se com-
ligrane d’argent, tranchent sur le noir des che-
pose d’un fez de très haute forme, s’élargissant
veux ramenés en avant ; un collier de piastres,
de bas en haut ; des mouchoirs yéméni l’en-
des bracelets d’orfèvrerie, quelques bagues de
tourent à partir du front, jusqu’aux trois quarts
cornaline « qui portent bonheur, » complètent
de la hauteur ; des ornements de tous genres,
cette parure. Le costume proprement dit est la
sont fixés sur la coiffure, fleurs en oya, bijoux
chemise transparente de soie, l’entari de coton
divers, étoiles et soleils d’argent ciselé, niellé,
rayé, taillé en cœur autour des seins, le court
filigrané, ganses en passementerie d’or, cou-
ronnes de sequins, en triple étage, et tombant hyrka de coton blanc piqué. Une ceinture de
jusque sur les yeux. De chaque côté du visage cuir peint, piqué de soie, à dessins coquets et
descendent, en outre, de lourdes pendeloques variés, fixe à la taille le chalwar ; ce caleçon
de pièces de monnaie rattachées par de fines offre cette particularité qu’il est ouvert par de-
chaînettes métalliques ; elles descendent le vant comme le corsage de l’entari, découvrant
long des joues, du cou et des épaules. Des gre- ainsi la soie transparente de la chemise. Le
lots d’argent, groupés par petites masses, pen- chalwar, est de satin à raies alternées de lignes
dant aux lobes des deux oreilles. Les cheveux, de fleurettes. Les pieds sont chaussés de mest
que rien ne retient, se déroulent en anneaux et de paboudj jaunes, dont la pointe est recour-
crépelés. L’entari, de soie épaisse et lustrée, bée en croissant. Ce costume, dont les formes
dessine les contours des seins ; il est échan- et les couleurs sont en heureux accord, a un
cré sur la poitrine et découvre la transparente caractère national des plus prononcés, et des
chemise de beurundjuk ; les plis tombants de plus purs que l’on puisse rencontrer.
cet entari sont larges et raides. La ceinture,
en soie rouge, à larges franges terminées par N° 5.
des pompons, serre faiblement la taille. Le
Juive de Brousse, en costume de ville (vilayet
chalwar est en satin cramoisi. Les paboudj, en
d’Hudavindiguar). — Brousse est, par ex-
maroquin jaune, ont leur extrémité recourbée.
cellence, une ville de productions manu-
Le tchepten, le vêtement de dessus, est d’une
facturières et de commerce international ;
grande simplicité de coupe ; ses manches lon-
il s’y trouve beaucoup de juifs, banquiers,
gues cachent les mains ; le dos et une partie
de la poitrine sont ornés d’enroulements de négociants, changeurs, et surtout courtiers et
feuillages, de rosaces, et de palmes, brodés en colporteurs ; un des quartiers de la ville leur est
soutache et gansés d’or. exclusivement réservé.
À la ville, une dame juive a l’air d’un
N° 4. énorme ballot ambulant. Par dessus le hotoz,
qui cache entièrement les cheveux, composé
Femme d’artisan musulman d’Angora. — La coif- déjà d’un bonnet de carton en forme de tuyau,
fure est un fez presque droit, d’une hauteur ressemblant à celui des prêtres grecs, et du
moyenne, légèrement rétréci par le haut ; le kavèzè, longue pièce de coton enroulée for-
Le costume historique — Tome III 347
mant un turban lourd et écrasant, on met en- fie indépendants. Il n’est pas probable que les
core pour sortir le yalhmak, mais de façon à ce Zeïbek soient de race turque ; leur physiono-
qu’il ne cache ni le visage ni les bijoux fichés mie rappelle celle des Thraces qui fondèrent
sur le bord de la coiffure et pendants de là sur l’antique ville de Tralles. Ces derniers dont le
le nez et les joues. Le feradjé dont on s’enve- métier, dit-on, était fort approchant de celui du
loppe est aussi d’une forme spéciale, très dif- bravo italien, seraient les ancêtres directs des
férente du feradjé des dames musulmanes. Les Zeïbek, parmi lesquels, d’ailleurs, se trouvent
juives l’additionnent d’une pièce d’étoffe de aujourd’hui des individus de races diverses,
soie, placée en fichu sur le haut de la poitrine même des nègres. Longtemps indisciplinés
et descendant sur le dos ; ces dames portent les et redoutés des populations sur lesquelles ils
paboudj de maroquin jaune à bout relevé. levaient des tributs forcés, les Zeïbek, conver-
tis aujourd’hui aux saines doctrines, sont em-
N° 6. ployés en qualité d’auxiliaires des gendarmes ;
ils servent d’escorte aux voyageurs. Leur cos-
Turcoman des environs de Brousse. — Les Turco-
tume est, assurément, le plus excentrique de
mans de la province d’Hudavindiguar, sont des
tous ceux que l’on rencontre en Orient. Le Zei-
nomades, amis de la paix et du travail, qui ne
bek est d’abord surabondamment armé d’un
portent pas d’armes. Leur ancienne et noble
luxueux fusil à pierre à long canon et à capu-
origine les fait respecter. Ce sont les restes
cines innombrables ; de magnifiques pistolets à
d’anciennes familles de la tribu du mouton noir,
crosses d’argent ciselé, semées de fleurettes en
tige des empereurs turcs seldjoukides. Ils pos-
turquoise et en corail ; du formidable couteau
sèdent de vastes et grasses prairies, où paissent
yataghan à la poignée en forme de houlette, au
des troupeaux qui sont la source unique de leur
fourreau d’argent massif, repoussé en bosse,
richesse ; ils vivent dans l’aisance. Ils habitent
gravé en creux. Le silahlik, la ceinture de cuir
pendant l’été le plateau du mont Olympe ;
du Zeïbek, contient tout un monde, en plus des
l’hiver, ils redescendent dans la plaine. Ces
accessoires d’armes, harbi, baguettes de pis-
gens aiment la parure, et leurs costumes sont
tolets ; palaska, giberne ; sac à pierres à fusil,
amples et riches ; de larges broderies d’or re-
etc., on y voit figurant à part, pour que chacun
haussent leur yelek, leur salta, leur tchepken,
en puisse admirer les ornementations, un tchi-
leur chalwar ; ils en mettent jusque sur l’épais
bouk, pipe ; une paire de pincettes, macha, et
kapout de drap rouge qui leur sert de manteau.
un sac à tabac monumental ; sans compter le
Leurs pieds sont chaussés à l’aise avec des
bidon oriental où s’emmagasine la provision
bottes de maroquin. Leur fez dur, à l’ancienne
d’eau, la gourde caractéristique appelée kabak,
mode, est entouré d’un saryk, souple et moel-
leux, de coton blanc de Brousse, d’où pendent, citrouille, dont les cordons, pendants du cou
autour d’un puskul de soie bleue long et bien jusque sur les cuisses, s’entrelacent à mi-che-
fourni, des houppes coquettes. min dans la ceinture ; sans compter, non plus,
d’autres cordons, en ganse de laine, de soie
Nos 7 et 8. ou d’or selon le grade, comme ceux qui ap-
partiennent à l’enam kècésst, la boîte carrée de
Les Zeïbek, caporal et sergent (vilayet d’Aïdin, à métal précieux finement travaillé dans laquelle
l’est de Koniah, comprenant une grande par- le tchavouch, sergent, met les dépêches qu’il
tie de l’antique Phrygie, l’Éolide, l’Ionie, la est chargé de transmettre.
Lydie, la Carie, la Lycie). — Les Zeïbek sont Le degré hiérarchique se révèle par la na-
des montagnards dont le costume et les habi- ture de toutes les pièces du costume : la cein-
tudes diffèrent complètement de ceux de la ture d’armes, le silahlik, n’est qu’à feuillets
population qui les avoisine. Les uns assurent unis pour le simple onbachi, caporal, n° 7 ;
qu’on ignore l’origine de la signification de pour le sergent, n° 8, les dentelures dorées
leur nom ; qu’eux-mêmes n’en ont aucune sont multipliées sur tous les compartiments :
idée. M. le comte de Moustier (Voyage de le kulah, composé de fez ordinaires s’emboî-
Constantinople à Éphèse) certifie qu’il signi- tant, superposés comme les chachia sous le
348 Le costume historique — Tome III
haïck arabe, est d’un feutre plus fin pour le au corps d’argent ; » or, le caporal a des jar-
supérieur, et les kèfîè, les mouchoirs de soie retières qui empêchent l’exhibition tradition-
rayée bordés de longues houppes, y sont non nelle, le sergent n’en a pas ; ce qu’ils ont, par
seulement d’un tissu plus recherché, mais en- exemple, de commun, ce sont les pieds nus,
core en plus grand nombre. Le tchepken du vierges de bas ou de chaussettes, dans des yé-
sergent, taillé sur le même patron écourté, est méni rouges, échancrés pour en faire valoir
tout raide de broderies d’or, tandis que ce- toutes les beautés.
lui du caporal n’a que d’humbles ornements,
relevés toutefois, au collet, de rinceaux qui N° 9.
constituent la supériorité vis-à-vis du simple
Cavalier musulman de Koniah. — Ce cavalier
Zeïbek. L’entari court est de soie chez l’un, de
est un de ces auxiliaires volontaires qui sont
coton chez l’autre, rayés d’ailleurs tous deux
employés concurremment avec les zaptiés,
des mêmes couleurs. La ceinture de drap fin,
pour servir d’escorte aux autorités, aux pèle-
de couleur unie pour le sergent, est de soie
rins et aux voyageurs ; ils portent des ordres
rayée à la tunisienne pour son subordonné. et protègent les convois de marchandises. Son
Le chalwar, de drap fin, ainsi que les guêtres silahlik est garni, avec moins de profusion,
brodées de palmes d’or et bordées d’un triple d’armes moins somptueuses que celles du Zei-
rang de galons, deviennent pour le caporal un bek ; les crosses de ses pistolets sont en cuivre,
chalwar de toile blanche, des guêtres de drap et arrondies en pomme, terminée comme une
grossier tout uni, bordées d’une simple passe- toupie renversée ; le fourreau du couteau ya-
menterie noire. Le large djubbè, véritable ca- taghan, de fin acier bien trempé, souple, tran-
pote, que porte le n° 7, doit être à l’usage de chant, est en simple maroquin vert, la poignée
tous les deux ; mais il existe encore une der- est en os. Le salta n’est que de coton rayé, et
nière marque d’infériorité, et celle-là des plus le djubbe court, large, est taillé pour ménager
terribles pour un Zeïbek. C’est une des prin- l’aisance des mouvements ; les bottes, peu
cipales coquetteries parmi ces montagnards hautes, sont serrées à la jambe, afin que le ca-
que de porter, quand ils le peuvent, le chalwar valier sente bien les flancs de sa monture ; un
court et la guêtre peu montante, de manière à saryk à plis épais ombrage les yeux. La bra-
faire valoir l’attache fine de leur genou, cette verie, selon le vieux mot français, d’un usage
marque de race, et la peau blanche qui ne per- général dans le pays, se retrouve ici dans l’éta-
met pas de douter qu’ils soient réellement les lage du mouchoir et de la serviette, qui, de la
descendants des anciens Tralliens. Les peuples ceinture et le long du chalwar, montrent si lar-
de race hellénique étaient renommés dans gement leurs brillantes broderies de couleurs
l’antiquité pour la blancheur éclatante de leur constellées de paillettes d’or. Cet étalage est
peau ; on disait proverbialement : « les Grecs une coutume locale
(Le dessin des personnages est emprunté aux photographies des Costumes populaires de la
Turquie, ouvrage publié en 1873 à Constantinople par P. Sebah (texte par Hamdy-Bey et M. de
Launay), sous le patronage de la Commission impériale de l’Exposition de Vienne ; les détails
du costume, ainsi que la coloration, sont pris d’après les modèles en nature exposés à Paris par
l’Union centrale des Beaux-arts appliqués à l’Industrie, Musée du Costume 1874.)
350 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 351
Le nom de cette ville signifie un lieu bien pour- Des tanneries et des manufactures de cotonnades
vu de pommes ; elle est, en effet, entourée de sont les deux principales industries de la nom-
jardins fruitiers où la pomme domine. Le culti- breuse population ouvrière d’Aïdin. Ces arti-
vateur de ces pommiers porte un costume ap- sans jouissent d’une honnête aisance. Les rè-
proprié à ses occupations. Ses longs vêtements glements fraternels des corporations de métier
seraient insupportables pour travailler aux les garantissent de la misère, et, généralement,
champs, faucher, semer, conduire la charrue, et ils se soucient peu de la richesse à laquelle
sa coiffure n’y offrirait pas un préservatif suf- quelques-uns seulement arrivent.
fisant ; mais ils conviennent à l’arboriculteur, L’artisan de la ville d’Aïdin, où les fabri-
qui n’a pas besoin de relever dans sa ceinture cants ont une réputation de loyauté, est fidèle
les plis de son entari, et peut conserver à cette aux traditions de métier ; ses produits, d’une
ceinture le mouchoir dont les palmettes d’or qualité toujours la même, sont de ceux sur les-
se pavanent au grand jour. — Ce propriétaire quels on peut compter ; il est aussi simple dans
rural complète son vêtement par un pardessus, son costume que dans ses habitudes. Sa coiffure
un djubbé traînant qui lui donne une tournure est une sorte de chapeau sans bords, un kalpak
quasi majestueuse, pour les promenades du de forme droite, à long puskul de soie bleue traî-
soir que l’habitant d’Elmaly aime à faire dans nant sur l’épaule et la poitrine ; un mince saryk
les pommeraies entretenues par ses soins assi- enroule ses maigres plis à l’extrémité inférieure
dus. L’entari est en étoffe de fil ; la ceinture, de cette coiffure. Un long entari de coton rayé,
de soie rayée. Le fez est entouré d’un yémèni attaché sur les côtés avec un cordon ; un court
serré en plis minces et réguliers, remplaçant le mintan de drap fin, une double chaussure com-
saryk épais. posée de mes et de paboudj noirs, forment le
vêtement de ce sédentaire.
N° 2. — Vilayet de Houdavendighiar. — Juive de
Brousse en costume d’intérieur. N° 4. — Environs de Brousse.
— Le seïs ou palefrenier.
Les juives, à Brousse, ainsi que dans tout l’Orient,
portent un costume particulier dans l’intérieur Le seïs ou saïs est un des luxes de l’Orient où les
des maisons comme dans la rue : celle-ci est chevaux ont un arbre généalogique, un pen-
coiffée du singulier hotoz, ensevelissant en- non, comme un seigneur de notre moyen âge.
tièrement les cheveux qu’il leur est interdit de L’éclat d’emprunt de la tenue du seïs, mesuré
laisser voir ; c’est une masse d’étoffe bariolée, sur l’importance de son rôle fait honneur à la
lourde et disgracieuse. L’entari est d’une riche maison. Le proverbe franc « tel maître, tel va-
étoffe de soie à fleurs ; il est ouvert par devant let, » n’est pas inconnu à l’Orient.
et retenu à la ceinture par un châle. Le hyrka Le seïs représenté porte sous un tchepken
passé par-dessus est sans manches ; il est plus de drap fin, bordé de délicates passementeries,
court que la robe et doublé de fourrure appa- un djamadan de velours amarante, constellé
raissant sur les bords, et formant comme un d’or, laissant passer les manches blanches et
cadre au vêtement. Le costume de ville de cette empesées d’une chemise parisienne. Son po-
même juive, se trouve en notre planche 177. tour ample se rétrécit le long des jambes pour
352 Le costume historique — Tome III
y dessiner de fausses guêtres en broderies de raissent sous leurs ornements ; des jarretières
soie qui descendent jusque sur la pointe des à glands rouges les rattachent au chalwar plus
bottines à la franka. Le fez est de couleur de simple. La ceinture de soie rayée, à la tuni-
cinabre et de la forme dite azizié. La ceinture sienne, est étalée largement et foulée en plis
tunisienne est portée lâche. interminables. Les bas sont de laine blanche,
des yéméni rouges pour chaussure et le fez,
N° 5. — Vilayet d’Aïdin. — Haham, docteur israé- également rouge, à la mode de Smyrne, com-
lite de Smyrne. plètent ce costume élégant dont le prix élevé
tient surtout à la main d’œuvre.
La Smyrne antique, descendue de la montagne au La mariée est coiffée d’un fez à puskul
bord de la mer, est restée une ville commer- floconneux, répandu en flots autour de la tête
çante où affluent tout à la fois les produits de sur la chevelure noire déroulée, formant un
l’intérieur pour l’exportation, et les produits manteau naturel. La veste, le mintan, est de
de l’étranger qu’on y envoie en abondance couleur claire et agrémentée de palmes d’or ;
pour l’importation. Les Israélites y sont nom- c’est la seule partie de ce costume qui soit
breux ; ils y ont prospéré et occupent tout un brodée. Le chalwar et l’entari sont de soie ;
quartier de la ville où ils ont des écoles, des la ceinture mince est un châle. Les paboudj
synagogues, et de savants docteurs en théo- rouges sont relevés en pointe. Malgré la beauté
logie, les haham, dont le costume est sérieux des soieries de Brousse, dont la splendeur est
et grave comme leur personne. La coiffure de comme un défi à celles de Lyon, le prix de ce
ces savants, le bonneto, est une sorte de tur- costume ne dépasse pas 300 fr1.
ban qui leur donne quelque ressemblance avec
les membres du corps des ulémas, quoique sa N° 7. — Dame musulmane de Smyrne.
forme légèrement ovoïde ne soit pas de mode
chez les musulmans. Le haham promène une Costume de caractère foncièrement asiatique,
canne longue, à la Louis XIV, en bois de ce- sauf l’arrangement de la chevelure qui trône
risier, à grosse pomme et bout d’ivoire ; il aujourd’hui dans tous les harems d’Istamboul,
fait usage d’un cache-nez de cachemire gris à et est une concession à la mode prétendue eu-
franges qu’il porte aussi en ceinture, comme ropéenne. Cette chevelure est d’ailleurs recou-
on le voit ici ; son entari de soie rayée est long verte en grande partie par une couronne d’oya
et recouvert par un ample binich de couleur et le long voile blanc à poste fixe que portent
sombre, à manches ouvertes et pendantes. Le toujours les arriérées. Les bords de ce voile
chalwar est de drap et descend sur le haut de sont enjolivés de guirlandes de roses. L’entari,
la chaussure composée de mest et de paboudj. ouvert par devant, est retenu au-dessous des
seins par quelques agrafes renforcées par une
Nos 6 et 8. — Paysan et paysanne des envi- ceinture d’argent à grands fermoirs ronds déli-
rons de Brousse, en costume de mariage. catement orfévrés. À partir de la ceinture, l’en-
tari devenu libre laisse apercevoir le chalwar
Les paysans bithyniens annoncent tout à la fois de soie rayée qu’il accompagne jusqu’à la
leur richesse et leur bon goût dans leurs cos- cheville ; les pieds sont chaussés de bas blancs
tumes nuptiaux. L’habit masculin est élégant et de paboudj de maroquin. Le pardessus est
et dégagé ; sa somptuosité est due surtout au un djubbé à manches collant tout le long du
travail de la brodeuse : le drap du yeleh tout bras jusqu’aux poignets où elles s’évasent et
entier en est couvert et raidi. Ces broderies pendent en sabots échancrés en forme d’écus-
sont en laine et soie, bleues et noires ; elles sons. Ce djubbé, qui peut s’agrafer par-dessus
dessinent une sorte de châle en cœur autour du l’entari, mais que d’ordinaire on laisse flotter,
mintan, se développent sur les manches, et for- est de même étoffe que l’entari, de l’un de ces
ment un décor magnifique sur le tchepken. Les tissus aussi solides que splendides qui ne se fa-
guêtres, brodées dans le même style, dispa- briquent nulle part comme en Turquie. Ce sont
des ouvrages absolument artistiques où l’on ne femme en a pour sa vie entière ; les débris
se préoccupe ni de régularité, ni d’économie, mêmes en seront encore bons.
mais de l’effet pittoresque, tout en obtenant
une œuvre durable. Leur couleur de lune et de N° 9. — Commerçant chrétien d’Aïdin.
soleil est formée de fils d’or, d’argent et de soie
Ce marchand est un bakkal, un épicier, fournis-
aux teintes vives et variées que, pour les nuan-
seur de l’huile d’olive, du vinaigre de vin, du
cer encore plus, on mêle, au besoin, de coton,
caviar, du sucre et du café quotidien, etc. Son
de chanvre et de lin. La tisseuse choisit ses ma-
fez est ceint du mouchoir, le mandil, dont l’en-
tériaux fil par fil, les combinant dans chaque roulement irrégulier annonce une négligence
fleurette, dans chaque branche de feuillage, d’homme occupé, que décèle encore son dja-
avec un goût inné des plus remarquables. madan mal clos, retenu sur la poitrine par
Malgré tant de soins donnés par un ar- un seul bouton. Le salta à manches étroites,
tisan consciencieux qui ne sait produire que sans aucun ornement ; le chalwar de nuance
de belles et de bonnes choses, le prix de ce discrète, tombant également sur le haut des
luxueux vêtement est relativement modique ; chaussettes blanches ; les souliers noirs, té-
ce costume tout entier, en y comprenant les moigneraient de la simplicité des goûts de ce
moindres accessoires, depuis la chemise de commerçant, n’était la fastueuse ceinture de
beurundjuk jusqu’aux boucles d’oreille de fi- soie et d’or frangée de tant de pompons, dont
ligrane, vaut 2617 piastres : 523,40 francs. La l’étalage bien oriental indique l’ostentation et
qualité de ces brillants tissus est telle qu’une la prospérité du négociant.
Le dessin des personnages est emprunté aux photographies des Costumes populaires de
la Turquie, ouvrage publié en 1873 à Constantinople par P. Sebah (texte par Hamdy-Bey et
M. de Launay), sous le patronage de la Commission Impériale de l’Exposition de Vienne ; les
détails du costume ainsi que leur coloration sont pris d’après les modèles en nature exposés
à Paris par l’ Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, Musée du costume, 1874.
354 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 355
SYRIE.
POPULATIONS MUSULMANES DE DAMAS, DE BELKA ET DU LIBAN.
Nos 1, 2, 3, 5 et 6.
Musulmans de Damas, de Belka et des environs.
Nos 4, 7, 8, 9, 10 et 11.
Populations du Liban : Druses, Bédouins, etc.
Le dessin des personnages est emprunté aux photographies des Costumes populaires de
la Turquie, ouvrage publié en 1873, à Constantinople) par P. Sébah (texte par Hamdy-Bey et
M. de Launay) sous le patronage de la Commission impériale de l’Exposition de Vienne. Les
détails du costume, ainsi que la coloration, sont pris d’après les modèles en nature exposés par
l’Union Centrale des Peaux-Arts appliqués à l’Industrie, Musée du Costume, 1874.
360 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 361
ASIE MINEURE.
Nos 1, 11 et 12. Vilayet de Trébizonde. — Nos 2 et 5. Vilayet de Sivas. — Nos 3 et 14. Vilayet de
Diarbekir. — Nos 4 et 15. Vilayet de Hedjaz. — Nos 6 et 10. Vilayet d’Erzeroum. — Nos 7 et 9. Vilayet
d’Alep. — N° 8. Vilayet d’Houdavendighiar. — N° 13. Vilayet de Yémen.
VILAYET DE TRÉBIZONDE.
N° 11.
N° 1.
Dame musulmane de Trébi-
Paysanne musulmane des en- zonde ; costume d’intérieur.
virons de Trébizonde.
Fez de forme basse entouré d’un léger mouchoir
Tepelik couvrant le fez tout entier ; ce morceau yemeni ; un tepelik d’argent doré est posé des-
d’orfèvrerie consiste ici en une plaque épaisse sus, en plan doucement incliné, de manière
de forme arrondie, en argent doré et repoussé ; que ses chaînettes puissent couvrir à peu près
ses bords sont entourés de chaînettes finement le front. Collier de perles, auquel est suspendu
ouvragées et terminées par des piécettes d’or le muhuri Suleïman, sceau de Salomon, entou-
s’agitant sur le front et les sourcils. Guerdan- ré de perles et de turquoises. Hyrka de satin,
lik, collier formé de piécettes étagées sur trois ouvert en cœur sur le milieu de la poitrine ;
rangs séparés par un treillis d’argent doré fi- les pans de ce vêtement sont relevés par de-
ligrané. Du centre de ce collier, pend sur le vant et rentrés dans la ceinture de soie à larges
gheuuzluk de soie, sorte de bavette qui couvre raies avec ceux d’un entari de même étoffe qui
entièrement la poitrine, une large médaille d’or traîne par derrière comme un manteau de cour.
percée en bas de trous dans lesquels sont ac- Sur le hyrka est passé un salta de velours gar-
crochées plusieurs piécettes. Par l’ouverture ni de broderies, sans collet et juste à la taille ;
échancrée de l’entari boutonné au-dessous des ses manches laissent dépasser celles de la che-
seins, on aperçoit le bord du mintan de soie mise en soie dite beurundjuk, sous laquelle
légère, de couleur claire et unie ; ses manches apparaissent deux bracelets en or, argent et
découpées en pointes, s’arrêtent à la hauteur perles. Le chalwar de taffetas uni tombe en
du poignet et laissent dépasser les manches de plis amples sur des paboudj brodées.
l’entari en soie épaisse et brillante ; celles du
ferméné, veste courte en drap uni bordée d’une N° 12.
tresse d’or, ne dépassent pas le coude. Les
manches de ces trois vêtements se trouvent Dame musulmane de Trébi-
ainsi disposées en triple étage. zonde ; costume de ville.
Ceinture en filet de soie, terminée par des
houppes floconneuses. Pechtimal, tablier de Petché, épais voile noir en canevas de crin bor-
soie unie. Chalwar, pantalon bouffant de soie dé de passementerie d’or, et immense tchar-
pareille à celle de l’entari. Bottines d’étoffe or- chaf (drap de lit) en soie damassée d’étoiles
nées de broderie. d’argent.
362 Le costume historique — Tome III
autour du front est garnie d’une broderie d’or Cette pièce du costume, qui sert égale-
sur laquelle sont cousus des sequins ; le second ment de couverture de lit ou de sofa, est dans
voile, également de gaze, a des broderies d’or le pays l’objet d’une grande fabrication, entre-
et de soie, de couleur vive ; le troisième, de tenue autant par la consommation locale que
mousseline blanche bordée d’une étroite gar- par l’exportation dans les vilayets voisins et à
niture de dentelle d’or, couvre les deux autres Constantinople. C’est une pièce de soie large
et traîne par-derrière en mêlant ses plis à ceux d’environ un mètre et demi sur une longueur
du premier voile. Pèlerine carrée en tissu d’or de deux à trois mètres. Sur la moitié de son
couvert de sequins ; elle est garnie d’une cré- étendue, elle est quadrillée soit en bleu, soit en
pine d’or. Bas de coton blanc et paboudj de ve- rouge sur fond blanc ; l’autre moitié de l’étoffe
lours brodé d’or et de perles ornées de houppes est de même couleur, mais beaucoup plus fon-
en fils de soie et d’or. cée et seulement rayée. Le tcharchaf est bor-
Bracelets en filigrane d’or et d’argent, dé de larges franges composées d’effilés où le
garnis de grelots. Bijou accroché dans l’une fond blanc du milieu reparaît entre les raies.
des ailes du nez. Aux oreilles, de longues pen- Chez elle, la musulmane de Van est ha-
deloques de filigrane d’or au bout desquelles billée comme l’Arménienne représentée sous
pendent, jusqu’au-dessus de la ceinture, des le n° 10.
chaînettes composées de plusieurs rangs de se- N° 10.
quins enfilés.
N° 15. Arménienne de Van.
Femme musulmane de Djeadde- Fez entouré d’un mouchoir yemeni roulé sur un
lé ; environs de La Mecque. étroit bourrelet de façon à dessiner une sorte
de couronne. Les cheveux crespelés tombent
À Djeaddelé, les femmes musulmanes n’ont pas derrière les épaules.
l’habitude de se couvrir le visage. Leur coif- Entari et chalwar de solide étoffe de soie
fure se compose de deux voiles : le premier, de dite koutnou, disparaissant sous le chapô, sorte
coton noir, est posé sur les cheveux dénoués de chape se rapprochant de celle des prêtres
et ramenés par devant ; le second, le chemsé latins. L’étoffe de cette pièce importante du
(c’est-à-dire destiné à garantir du soleil) est costume est un cachemire de soie et coton à
une pièce de coton rouge ornée de broderies larges raies, alternativement de couleur claire
de soie blanche, de garnitures et de franges et de couleur foncée, sur lesquelles courent
en perles d’acier ; elle est pliée carrément en des guirlandes de palmes. Le chapô n’a pas
plusieurs doubles qu’une règle de bois assez de manches ; il est ouvert sur les côtés dans
longue partage et maintient, de manière que la toute sa longueur ; le djubbé de drap uni le re-
moitié couvre la tête en s’avançant sur le front couvre entièrement et n’en laisse voir que le
comme un auvent, tandis que l’autre moitié devant ; les manches un peu courtes du djub-
tombe sur la nuque. bé, montrent celles de l’entari découpées en
Caleçon de coton formant jupe et attaché sabots et garnies d’un liseré dentelé. Paboudj
par des cordons sur les hanches ; ce vêtement en cuir, à pointes recourbées.
laisse apercevoir les pieds nus dans des nadass
à brides ornées de grosses houppes de soie. VILAYET D’ALEP.
Le haut du corps est couvert par un yelek
brodé, n’ayant d’autres ouvertures que celles N° 7.
nécessaires pour passer la tête et les bras.
Femme Bedewi.
VILAYET D’ERZEROUM.
Asaba noir, voile épais encadrant étroitement le
N° 6. visage. Une épingle fichée sur le haut de ce
voile fait pendre d’un côté du front une espèce
Musulmane de Van ; costume de ville.
de cocarde où se balancent des sequins. Parfois
Tcharchaf (drap de lit) que les deux mains tiennent le nez de la femme Bedewi est orné de boucles
étroitement croisé sur le visage de manière à passées dans la cloison médiane en traversant
ne laisser paraître que les yeux. les narines.
364 Le costume historique — Tome III
Yachmak de soie transparente, tissu fin en châle de soie et coton. Bagues en argent et
et crespelé, teint en noir et orné de longues pendants d’oreilles de même métal.
houppes de cordonnet sur un entari de laine éga-
lement noir traînant sur des bottes de maroquin. VILAYET DE HOUDAVENDIGHIAK.
Une ceinture en argent ornée de chaî-
nettes serre le yachmak autour de la robe. Les N° 8.
manches flottantes de l’entari et les larges plis Femme turcomane des environs de Brousse.
du yachmak cachent quatre bracelets dont deux
garnis de grelots sont en argent travaillé à jour, Fez mou très élevé et entouré d’un mouchoir ye-
et les deux autres en verre filé. Bagues d’argent. meni de couleur vive ; jupe de soie brodée
d’or, couvrant le chalwar ; kapout, capote, des-
N° 9 cendant jusqu’à terre ; salta, yelek et paboudj
brodés d’or.
Dame juive d’Alep.
VILAYET DE YÉMEN.
Véritable mitre de soie rayée de plusieurs cou-
leurs ; cette coiffure se complique d’une gar- N° 13.
niture de faux cheveux en partie tressés et
tombant droit de chaque côté de la poitrine, en Dame musulmane de Sanaa ; costume de ville.
partie disposés en nappes se répandant sur les
Yemeni bordé d’une large dentelle blanche sous un
épaules et le long du dos.
voile de coton rouge semé de figures diverses :
Long entari de soie rayée et sans
pois, lignes de fleurs, palmes indiennes, etc.
manches ; on le passe sur le chalwar après
Ce voile est arrangé et fixé par des épingles de
avoir mis un mintan d’étoffe pareille à celle manière à laisser voir la bande de dentelles du
de l’entari, à manches démesurément longues, yemeni, à cacher tout le visage à l’exception
collant aux bras et s’élargissant en éventail à des yeux, et à former une espèce de mante en
partir du poignet où elles s’ouvrent jusqu’à tombant sur les épaules, les bras et le dos.
leur extrémité coupée carrément. Chez elles, les dames musulmanes
Hyrka de taffetas couleur claire, fermé portent seulement deux pièces d’habille-
juste au cou et dont les manches étroites s’ar- ment : une chemise longue de coton rayé,
rêtent plus haut que le coude. sans manches, ornée sur le côté d’une figure
Le corsage de l’entari monte sous les bras, cabalistique, brodée en or et représentant un
par-dessus le corsage du mintan et du hyrka ; parallélogramme allongé dont l’une des faces
il contourne le dos en ligne droite et reste entre est compliquée d’un rang de losanges qui se
ouvert sur la poitrine où il s’ajuste. La jupe de redoublent en se croisant. La seconde pièce du
l’entari est froncée à petits plis autour des reins costume d’intérieur est un chalwar taillé en
et tombe roide sur les pieds chaussés de tché- forme de pantalon un peu étroit, presque col-
dik (bottines molles) et de paboudj. Ceinture lant, s’arrêtant au-dessus de la cheville.
Le dessin des personnages est emprunté aux photographies des Costumes populaires de
la Turquie, ouvrage publié en 1873, à Constantinople, par P. Sebah (texte par Hamdy-Bey et
M. de Launay), sous le patronage de la Commission impériale de l’Exposition de Vienne. Les
détails du costume, ainsi que la coloration, sont pris d’après les modèles en nature exposés par
l’Union centrale des Beaux-Arts appliques à l’Industrie, Musée du Costume, 1874.
TROISIÈME PARTIE
LE MONDE EUROPÉEN
À PARTIR DU MOYEN ÂGE
PLANCHES 181 À 410
DIVISION1 :
Planches
1 Planches réparties sur les tomes 3 et 4.
366 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 367
BYZANTIN — Planche 181
cuir doré. La figure n° 3 a, sur le pallium, un et le petit doigt restant fermés (nos 13, 17 et 21).
superhuméral en tissu d’or, ornement byzantin D’après Guillaume Durand, cette disposition
que l’on rencontre chez les princes et les per- aurait son symbolisme : les trois doigts ouverts
sonnages importants comme chez les membres désignent la Trinité ; les deux doigts fermés, les
du haut clergé. deux natures, divine et humaine, du Christ.
En Grèce, on retrouve les saints repré-
sentés de la même manière que dans les églises L’EMPEREUR D’ORIENT ET LES
byzantines de l’Occident. Ni le temps, ni le OFFICIERS DE SA SUITE.
lieu, ne font rien à l’art byzantin ; au dix-hui-
tième siècle, le peintre moréote continue et N° 20.
calque le moine, du Mont Athos du sixième Nicéphore Botaniate, empereur
siècle ou le peintre vénitien du dixième. Le d’Orient ; couronné en 1078.
costume des personnages est partout et en tout Nos 4, 5, 7 et 8.
temps le même, non seulement pour la forme, Officiers de la suite de l’empereur.
la couleur et le dessin, mais aussi pour l’épais-
seur et le nombre des plis. Les saints grecs Le costume impérial de Nicéphore diffère peu
qui portent le vêtement long, comme dans ces de celui que porte ce souverain dans la
exemples, ont tous le même petit pli formé planche 183, Franco- Byzantin, n° 3. Ces vê-
par la robe au-dessus du genou. On ne saurait tements, fort riches, sont en harmonie avec le
pousser plus loin l’exactitude traditionnelle et trône d’or sur lequel l’empereur est assis.
l’esclavage du passé. Les officiers de sa suite ont un manteau
brodé et orné, sur la poitrine, d’un clave en
LA BÉNÉDICTION CHEZ LES tissu d’or. Ce dernier ornement garnit aussi le
GRECS ET LES LATINS. haut de la superbe dalmatique portée par la fi-
gure n° 6.
La bénédiction est grecque ou latine ; elle se fait
toujours avec la main droite, la main puissante. LE CONSUL ROMAIN.
Dans l’Église grecque, on l’exécute avec l’in-
dex entièrement ouvert, le grand doigt légère- N° 14.
ment courbé, le pouce croisé sur l’annulaire et Consul du Bas-Empire ; cinquième siècle.
le petit doigt courbé (nos 6, 16, 18 et 19). Ce
Sous les empereurs, et à Constantinople, l’auto-
mouvement et cette direction des doigts for-
rité des consuls était devenue une charge pu-
ment plus ou moins le monogramme du Christ.
rement honorifique réservée aux plus riches
Voici ce que le Guide de la Peinture, ma-
patriciens ; c’est alors que s’accrut la pompe
nuscrit byzantin, prescrit au sujet de la main
de l’appareil consulaire.
divine figurée lorsqu’elle bénit :
Les ornements attribués aux consuls furent
« Quand vous représentez la main qui bé-
la trabea ou palmata, toge brochée d’or et ornée
nit, ne joignez pas trois doigts ensemble, mais
de clavi de pourpre, et la subarmalis profondum
croisez le pouce avec le quatrième doigt, de
ou lorum, large bande d’étoffe enroulée autour
manière que le second doigt reste ouvert et le
du corps, laquelle en se rétrécissant graduelle-
troisième un peu fléchi ; ces deux doigts for-
ment, devint le pallium sacerdotal (nos 6, 17, 18
ment la première et la dernière lettre du nom
et 19). On joignait à ces riches vêtements des
de Jésus, I C (IhsouC). Le pouce, placé en
calcei aurati, chaussures dorées.
travers sur le quatrième doigt, et le cinquième
Le consul représenté, trônant sur une
légèrement courbé, forment un X et un C, pre-
sella curulis d’ivoire munie d’un marchepied,
mière et dernière lettre de CpistoC. » Voir, tient d’une main le sceptrum eburneum, sceptre
dans l’Ornement polychrome, 2e série, la no- d’ivoire surmonté de la figure de l’empereur,
tice accompagnant la planche russe 398. et de l’autre, la mappa, linge que le consul
Quant à la bénédiction latine, elle se fait jetait dans l’arène du cirque pour donner le
avec les trois premiers doigts ouverts, l’annulaire signal des jeux. Cette mappa, originairement
Le costume historique — Tome III 369
une serviette d’une étoffe quelconque, devint lorsqu’ils représentent le Sauveur. Le trône à
l’un des insignes de tous les magistrats appelés marchepied est recouvert d’un coussin garni
à présider les jeux publics, et enfin, celui des de bandes brodées.
empereurs d’Orient, lorsque le consulat leur Dans la première et la deuxième période
fut conféré à perpétuité. C’est alors que cet de l’art chrétien, c’est-à-dire du deuxième
objet se transforma en une espèce de petit rou-
siècle jusqu’au dixième, le Christ est représen-
leau allongé qu’on remplissait d’air pour imi-
té le plus souvent jeune et imberbe.
ter le gonflement de l’ancienne mappa repliée,
rouleau plein qui prit, d’après Montfaucon, le
nom d’acatia, c’est-à-dire « sans malice ». Les MOBILIER CIVIL ET RELIGIEUX.
empereurs portaient la croix d’une main et de
Nos 12 et 22.
l’autre l’acatia auquel un nouveau symbolisme
donnait cette signification : « les souverains Sièges du commencement du dixième siècle.
destinés à être réduits un jour en poussière,
N° 12. Bisellium, siège sans dossier ni bras, avec
doivent s’étudier à passer leur vie dans l’inno-
coussin et draperie (voir la planche 32, Gre-
cence. » Voir les figures d’empereurs nos 5 et 8,
planche 182, Abyssin et Byzantin. co-Romain).
Cette figure de consul provient d’un N° 22. Siège à dossier du même carac-
diptyque d’ivoire, tablette sculptée dont les tère. Bien que, dans les premiers siècles, les
Romains se gratifiaient mutuellement au re- sièges à dossiers hauts soient peu communs,
nouvellement de l’année. Les consuls, entrant les vignettes de manuscrits des neuvième,
en charge au mois de janvier, tenaient natu- dixième et onzième siècles en laissent voir
rellement la première place entre ceux qui se quelques-uns ; mais ce ne sont comme dans cet
trouvaient dans l’obligation de donner des exemple, que des sièges d’honneur réservés à
« étrennes ». Pour enchérir sur les simples ci- de grands personnages.
toyens, ils agrandirent le format des diptyques,
voulurent y être représentés dans tout l’éclat
N° 15.
du costume consulaire et y faire retracer les
jeux qu’ils donnaient au peuple. Les diptyques Phari ou porte-cierge ; neuvième siècle.
devinrent ainsi des monuments d’art, infini-
L’usage des cierges, ainsi que celui des lampes,
ment précieux aujourd’hui par les renseigne-
dans les cérémonies religieuses, remonte à
ments qu’ils donnent sur les costumes et les
l’origine même de l’Église, c’est un souvenir
mœurs des anciens.
direct des catacombes de Rome ; mais l’usage
de placer ces lumières sur l’autel n’est venu,
LE PATRICIEN.
chez les Latins, que vers le dixième siècle ;
N° 21. quant aux orthodoxes, ils ne l’ont jamais adop-
Toge-chlamyde de pourpre brodée d’or, sur une té. Leurs cierges sont placés sur un petit autel,
tunique foncée. Cette figure a les pieds nus et à côté du grand, et, comme dans l’Église la-
des sandales retenues par de minces lanières tine, sont portés par les lecteurs ou les acolytes
et sans la ligula du citoyen, suivant l’usage devant l’officiant ou le diacre, aux divers mo-
observé par les peintres grecs de cette époque ments fixés par la liturgie.
Les nos 1, 2, 3, 9, 10, 11, 16 et 18 ont été reproduits d’après des peintures du Mont-Athos
exécutées sur bois de cèdre ; propriété des éditeurs.
Les nos 4, 5, 7, 8 et 20 sont tirés des Œuvres choisies de saint Jean Chrysostome (Bibl. nat.,
ms. 70, fonds Coislin) ; nos reproductions réduites sont dues aux gravures que le comte de
Bastard a fait exécuter d’après ce manuscrit célèbre.
370 Le costume historique — Tome III
Les nos 6 et 15, tirés des Monuments français inédits de Willemin, proviennent d’un manus-
crit du dixième siècle.
Les nos 12, 13 et 22, reproduits d’après le Recueil des costumes français de Beaunier et
Rathier, sont tirés de vignettes ornant un manuscrit du dixième siècle.
Le n° 14 provient de l’Encyclopédie méthodique de Mongez.
Le n° 17 est une statue ornant l’un des portails de la cathédrale de Chartres.
Le n° 10 est tiré d’un Évangéliaire du onzième siècle appartenant à l’abbaye de Luxeuil, et
le n° 22, d’un Évangéliaire de Charlemagne appartenant à la Bibliothèque nationale.
Voir, pour le texte : Didron, Iconographie chrétienne. — Didron et Paul Durand, Manuel
d’Iconographie chrétienne, grecque et latine. — M. l’abbé Martigny, Dictionnaire des anti-
quités chrétiennes, Hachette, 1877.
372
Le costume historique — Tome III 373
N° 8.
Andronic II Paléologue, empereur de 1273 à 1322.
Groupe n° 5.
Manuel Paléologue, empereur de 1391 à 1425, et ses deux premiers fils, Jean, qui
devint Jean Paléologue II en 1419, et Théodore Porphyrogénète, prince de Sparte.
celle brodée faisant également partie du costume sacerdotal des évêques grecs.
Théodore, second fils de l’empereur a la chlamyde brodée.
N° 4.
Tiare de l’empereur Michel Paléologue.
Forme de bonnet plus large que haute ; au bas, est un cercle garni de pierre-
ries, duquel partent, en hauteur, deux autres cercles aussi richement ornés ; entre
ces deux cercles, on voit un gros diamant, et au sommet du bonnet, scintille une
autre pierre précieuse entourée de perles ; de chaque côté de cette tiare, sont des
pendants de perles qui pourraient bien rappeler les attaches du frontal du grand
prêtre hébreu.
Groupe n° 6.
Patriarche d’Antioche et prêtres maronites.
Le haut dignitaire placé entre ses deux acolytes a les mêmes vêtements sa-
cerdotaux que les évêques de l’Occident ; ce sont la mitre brodée et enrichie de
pierreries, l’amict, la chasuble et l’aube. Il porte le pallium, insigne du patriar-
cat, ainsi que la croix pectorale et l’anneau. Une main tient la crosse, dont la
hauteur dépasse celles que l’on voit en Europe, et l’autre main, une petite croix
Le costume historique — Tome III 375
d’argent que les patriarches d’Abyssinie sont aussi dans l’usage de toujours
porter avec eux ; voir le détail n° 2.
Les chaussures de ce prélat consistent en paboudj à pointes relevées.
Les deux prêtres maronites ressemblent, par leur costume, aux membres
du corps des ulémas ; ces vêtements, tout musulmans, sont le djubbé à larges
manches ; l’entari, sur lequel s’étale la croix pectorale ; une bande de cachemire
servant de ceinture ; et des koundoura, forts souliers de cuir noir. La coiffure se
compose d’un bonnet de carton à côtes, entouré d’un yemeni noir ; c’est le kulah.
Nos 1, 3 et 7.
Évêques et diacres orthodoxes.
l’union jointes à la prudence ; entre les deux serpents se trouve une boule sur-
montée d’une croix (nos 1 et 3).
La croix pectorale et l’annulaire font également partie des insignes réservés
aux évêques orthodoxes.
Ces évêques sont représentés donnant la bénédiction grecque, telle qu’elle est
décrite dans la planche 181, Byzantin.
Les diacres (groupe n° 7) portent une dalmatique brodée, et l’épitrachelium
ou étole, entourant le col et l’épaule.
En dehors de l’aube, ces costumes sacerdotaux sont généralement de soie ;
on y emploie indifféremment toutes les couleurs, excepté le noir qui est inusité,
même dans les enterrements.
LA CROIX ABYSSINIENNE.
N° 2.
Croix de Théodoros, empereur d’Abyssinie.
même auteur.
Voir, pour le texte : Voyage en Abyssinie exécuté pendant les années 1839-43, par Lefèvre,
Petit, Quentin, Dillon et Vignon. — M. François Lenormant, Histoire des massacres de Sy-
rie en 1860. — M. Édouard Lockroy, Voyage de M. Ernest Renan en Syrie (Tour du Monde,
année 1863.)
378 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 379
FRANCO-BYZANTIN — Planche 183
N° 2. N° 8.
L’empereur des premiers siècles ; Justinien II, dit Rhinotmète (nez coupé) ; empe-
costume d’apparat. reur, la première fois, de 685 à 695, et la se-
conde, de 705 à 711.
Nos 3et5.
Nicéphore Botaniate, empereur (1078-1081), N° 9.
et Marie, sa femme ; costumes d’apparat. Philippique Bardane ; 711-713.
N° 4. Dynastie isaurienne.
Nicéphore Botaniate, costume d’intérieur.
N° 10.
Léon IV le Khazare ; 775-780.
EFFIGIES IMPÉRIALES. N° 10.
Constantin V Porphyrogénète (né dans la
Dynastie des Héraclides.
pourpre) ; 780-797.
Nos 6 et 7.
Les nos 1, 3, 4 et 5 proviennent des Œuvres choisies de saint Jean Chrysostome, manuscrit
de l’ancienne bibliothèque du duc de Coislin, évêque de Metz, et appartenant actuellement à
la Bibliothèque nationale (ms. n° 79, fonds Coislin). C’est une œuvre artistique de premier
ordre parmi les documents archéologiques, et nous devons aux magnifiques gravures que le
comte de Bastard en a fait faire, nos reproductions réduites. Les colorations ont été prises sur
les originaux.
Le n° 2 provient de Historia Byzantina de Du Cange ; 1680.
Les nos 6, 7, 8, 9, 10 et11 sont tirés des Icones, vitæ et elogia imperatorum romanorum,
publiés à Anvers en 1608 et dont les belles gravures sur bois sont d’Hubert Goltzius.
Voir, pour le texte : Brunet de Presles, Grèce, depuis la conquête romaine jusqu’à nos jours
(Univers pittoresque). — M. Pariset, Histoire de la soie.
382 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 383
FRANCE (420-987)
Nous n’avons que des renseignements très vagues sur l’histoire des transfor-
mations de l’art romain pendant les longs siècles de sa décadence. Au milieu
des invasions, de la confusion de la barbarie, des luttes religieuses, des guerres
intestines, on perdit de plus en plus la tradition des pratiques anciennes ; si bien,
dit M. Batissier (l’Art monumental), qu’en France, par exemple, il ne se trou-
vait plus de sculpteurs pour les monuments publics. Les guerres des derniers
Mérovingiens avec les Saxons et les Arabes avaient arrêté l’essor que les arts
y avaient pris au VIIe siècle, et il faut arriver à Charlemagne pour revoir, pen-
dant un temps assez court, l’architecture cultivée de nouveau avec succès. Mais,
pour ses palais de Nimègue, d’Aix-la-Chapelle, d’Ingelheim, de Waltorf, il dut
recourir à des sculpteurs et à des architectes venus de Rome et de Ravenne,
comme il l’avait fait pour édifier la basilique d’Aix-la-Chapelle, c’est-à-dire, à
des artisans de l’école byzantine, comptant dans leurs rangs des Byzantins purs.
Quoiqu’il soit certain que ces étrangers furent secondés par des architectes lo-
caux, de la nationalité des pays où l’on faisait construire, puisque Éginhard et le
Moine de Saint-Gall les nomment, on ne saurait mettre en doute que sous Char-
lemagne, comme sous Louis le Débonnaire, comme sous Charles le Chauve,
qui appela également des artistes grecs, ce furent ceux de Rome et de Ravenne
qui seuls se montrèrent en état de soutenir une architecture alors en pleine déca-
dence, et que c’est sous leur direction que tous les travaux s’accomplirent.
Le nombre de ces hommes possédant encore la tradition de l’architecture ro-
maine, devenue la romano-byzantine, était relativement restreint. Répandus sur
les divers points de l’Europe, où on les appelait, ils y apportaient les mêmes
principes de construction. Les décorations de leurs édifices, plus étroitement by-
zantines que le reste, ne devaient guère différer entre elles. C’est en s’appuyant
sur cette probabilité que notre restauration a été faite ; elle est un composé de la
construction romano-lombarde, qui a reçu le nom de style roman, et du décor
néo-grec, importés dans nos contrées. Les monuments, encore existants, de ce
style demi-oriental, sont, il est vrai, des édifices religieux ; mais comme, ainsi
qu’on le voit dans Albert Lenoir (Instructions du Comité des arts et monuments),
« les constructions civiles du IVe au XIe siècle s’exécutaient également suivant la
388 Le costume historique — Tome III
pratique romaine », il est plus qu’admissible que la décoration que l’on appliquait
aux constructions religieuses était du même caractère pour les autres. Les travaux
des artistes, qui rehaussaient alors les murailles de leurs peintures, se rattachaient
aux vieilles traditions de cet art assez étroit dont les moines du Mont-Athos sont
restés les conservateurs attiédis. Dans ces œuvres, où la personnalité ne se fait
sentir que dans les détails, la facture générale conserve toujours un caractère im-
posé par l’usage, ainsi qu’on le remarque jusque dans les peintures minuscules
des manuscrits grecs des VIe, VIIe, VIIIe et IXe siècles. Cet absolutisme, cette
unité, nous ont permis d’essayer de combler une lacune fâcheuse pour ceux qui,
ayant à traiter quelque sujet appartenant à cette période historique, ne veulent rien
risquer qui ne soit vraisemblable. Il est toutefois utile de se rappeler qu’un luxe
aussi grand ne peut être qu’exceptionnel, et ne peut convenir qu’en de certains
cas. La vie féodale avant le XIIe siècle était toute militaire ; le château ne trouvait
de sécurité que derrière des retranchements ; les chefs n’avaient guère le loisir
de rechercher le bien-être, de s’adonner au luxe ; or, l’ensemble d’une décora-
tion aussi riche que celle représentée ne saurait convenir qu’à l’une des pièces du
donjon, car, ainsi que le fait remarquer M. Viollet-le-Duc, avant le XIIe siècle le
donjon seul présentait dans l’enceinte fortifiée une demeure bâtie d’une manière
durable ; il ne contenait alors qu’une ou deux salles à chaque étage. Le reste du
château n’était qu’un camp retranché, abritant un hameau où la garnison habitait
des baraques ; véritable village où se trouvaient les écuries, les hangars pour serrer
les fourrages et les engins, les cuisines, etc.
Nous n’avons point à entrer dans l’examen des questions de construction,
de l’appareil en brique, de la maçonnerie, opus incertum des anciens. Tout au
plus avons-nous à indiquer le parallélisme des assises comme moyen de déco-
ration, et l’arcade formée de voussoirs en pierre, séparés les uns des autres par
deux ou trois briques restant apparentes, qui complètent un genre d’ornemen-
tation rudimentaire. Ces pratiques n’appartiennent point en propre au génie de
l’Europe septentrionale-occidentale. Répétons-le de nouveau, d’après Batissier,
elles sont le fait des Grecs réfugiés en Italie pendant les persécutions des icono-
clastes, reçus dans les loges de la franc-maçonnerie en Lombardie, et enseignant
les procédés byzantins. Ce sont leurs corporations, répandues en France, en
Angleterre et en Allemagne, qui élevaient alors les monuments et les ornaient
selon leurs principes décoratifs, qui certainement étaient les mêmes que ceux
des églises bâties par eux en Italie et en Sicile. La généralité de ces monuments
appartient au style à plein cintre des Latins, qui dominait encore au XIIIe siècle
dans le Languedoc et la Provence. L’arcade simulée, borgne, aveugle, ou de
décharge, employée comme moyen de construction de la porte carrée, dont l’ar-
Le costume historique — Tome III 389
et plus épais vers la tête, que l’on donnait une grande déclivité à la couchette.
Ces lits étaient souvent garnis, sur l’un des grands côtés, comme les sofas mo-
dernes ; la sangle n’était qu’un réseau de cordes lacées sur les traverses basses.
Pour dormir, on se couchait nu, drapé dans l’ample linceul qui était jeté sur les
matelas. C’était un reste des usages antiques qui dura longtemps au moyen âge.
Ce n’est guère qu’à partir du XIIe siècle, et lorsque le luxe se déploie dans le
bois incrusté, sculpté, peint, dans les galons et broderies des matelas ainsi que
dans les couvertures, que le lit se trouve sous un ciel suspendu ou porté sur des
colonnes. Nous avons dû nous en tenir à la courtine attachée par des anneaux
glissant sur une traverse, servant de paravent, dont l’usage est le plus ancien.
On usait de cet appareil mobile pour séparer les lits lorsqu’on en installait plu-
sieurs dans la même pièce ; il était indispensable pour parer aux inconvénients
des grandes salles dénudées, et de plus, les habitants des châteaux et maisons au
moyen âge prenaient, ainsi que le constate M. Viollet-le-Duc, toutes sortes de
précautions pour éviter l’humidité, le froid et les courants d’air, dont il semble
que les hommes habitués à vivre en plein air ont plus à craindre que les autres.
Les bâtiments simples, en épaisseur, ne contenaient encore, et il en fut ainsi
pendant une grande partie du moyen âge, que de grandes salles avec quelques
dégagements secrets. On suppléait à ce manque de distributions intérieures par
ces sortes d’alcôves, qu’on appelait des clotets, et on usait de la mobilité de ces
clôtures comme le font encore aujourd’hui les Japonais avec les cloisons qui
leur servent, en une pièce unique, à établir une chambre à coucher, un salon
de réception, etc., changeant leur disposition pour une autre, selon le caprice.
C’est ainsi que dans la salle, qui était le lieu de réunion, dit encore M. Viollet-
le-Duc, se trouvait la chambre à coucher, prise aux dépens de la pièce. On ne
fit les chambres à coucher séparées du lieu de réunion que vers la fin du XIIIe
siècle. La lampe ou veilleuse, suspendue au-dessus des lits, était d’un usage
habituel, que l’on trouve prolongé pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles. On re-
doutait l’obscurité complète, et, à ces époques, où l’on croyait aux apparitions,
à l’influence des mauvais esprits, on attribuait à la lampe allumée près de soi,
pendant le sommeil, le pouvoir d’éloigner les esprits malfaisants et d’empêcher
les apparitions funestes.
Nos figures, nos autres meubles, n’ont ici qu’un intérêt figuratif de propor-
tion ; sauf, cependant, la servante qui apparaît dans le cadre de la porte. On
avait pour usage, afin de conserver la chaleur des mets, de servir le manger en
le recouvrant d’un napperon, comme le fait cette femme, d’où vint le mot de
couvert, servir le couvert.
Nos 1 et 2. Profil et face d’un siège en bronze doré, grands. C’est pour continuer ce même usage
connu sous le nom de trône de Dagobert. — Ce que Suger l’avait fait réparer, consolider et
trône appartient aux premiers temps mérovin- compléter au goût du jour. Ce siège royal qui,
giens. C’était originairement un pliant dont on a de temps immémorial, faisait partie du trésor de
fait un faudesteuil fixe, en y ajoutant le dossier
Saint-Denis, existe toujours.
et les côtés formant bras, ce qui fut accompli
par l’ordre de Suger. Les rois des Francs avaient N° 7. Siège épiscopal du huitième siècle, représenté
coutume, après avoir pris le gouvernement de de face. — C’est une chaise en marbre reposant
leur royaume, de s’asseoir sur ce pliant, de tra- sur deux éléphants. Elle appartient à l’église de
dition antique, pour recevoir l’hommage des Canova, petite ville du royaume de Naples.
394 Le costume historique — Tome III
N° 8. Siège archi-épiscopal, qui a plus que l’autre, N° 11. Lit. — Ce lit, avec dossier au chevet, et
l’aspect d’un trône ; il est de la fin du onzième plus relevé de ce côté que de celui des pieds,
siècle. — Le diocèse de Canova ayant été ré- de façon que la personne couchée y paraisse
uni à celui de Bari, l’archevêque appelé à le presque sur son séant, est une forme plus par-
gouverner avait fait graver, en latin, sur sa ticulière. L’usage des lits de repas, plus courts
chaire, cette inscription : « Sur ce siège s’as- que ceux faits pour dormir, avait été entière-
soit le pieux et excellent patron Hélie, arche- ment abandonnée depuis le sixième siècle.
vêque de Bari et de Canova. » — Les lions qui Quoique l’on semble ne connaître du moyen
servent de supports au marchepied de ce trône, âge que des lits pour la nuit, peut-être cepen-
dont l’emploi est fréquent dans des trônes ana- dant doit-on voir ici dans ce meuble du neu-
logues, semblent un souvenir du trône de Sa- vième siècle, le lit de repos de cette époque.
lomon, tel qu’il est décrit dans le IIIe Livre des Ces deux exemples proviennent d’un manus-
Rois. « Ce grand trône d’ivoire, revêtu d’un or crit grec exécuté vers 886.
très pur, avait deux appuis et six degrés ; deux N° 17. Lit du douzième siècle. — Celui-ci qui est
lions auprès des deux appuis, et douze lion- bien un lit pour dormir a beaucoup fixé l’at-
ceaux sur les six degrés, six d’un côté et six de tention. Le châlit est en plan droit ; au chevet,
l’autre. » — Il y aurait, selon toute apparence, se trouve un dossier élevé, et au pied, un ar-
peu d’effort à faire, pour reconnaître dans le rêt moins élevé de même nature ; un unique
lion accroupi que l’on voit ici sous le marche- et souple matelas, retenu par l’arrêt du pied, et
pied une tradition d’artisan assyrien ; celui-ci se repliant du côté du dossier de chevet qu’il
est du genre de ceux que l’on retrouve à Ni- domine, telle est cette couche. Sur ce matelas,
nive, car c’est à leurs voisins que les Hébreux le dormeur appuie sa tête sur un oreiller, et re-
empruntaient leurs artistes. (Voir planche 227, pose sous une couverte dont il est enveloppé
ce qui est dit au sujet de l’évêque siégeant in sans que le matelas le soit. (On ne dormait pas,
cathedra.) Ce trône épiscopal est dans l’église bien entendu, la couronne sur la tête, la pré-
de Bari, royaume de Naples. sence de cet insigne étant, dans les peintures
N° 6. Pliant articulé, drapé et avec coussin, ayant antérieures au quatorzième siècle, une des
le caractère d’un trône, d’un siège d’honneur. manières de désigner la qualité des person-
— On le rencontre fréquemment dans les ma- nages.) C’est ordinairement par des amas de
nuscrits de la période carlovingienne. coussins, plus nombreux et plus épais vers la
N° 15. Chaise à dossier du milieu du neuvième tête, que l’on donnait une grande déclivité à la
siècle. Bible de Charles le Chauve. couchette, déjà construite dans ce sens, assure
N° 16. Siège du douzième siècle, provenant d’un Viollet-le-Duc. Dans notre exemple, si éloigné
manuscrit de l’époque. — Les bois façon- de toutes ces conditions, le bâti paraît de bois,
nés au tour qui entraient généralement dans les montants des dossiers sont en fer, et leurs
la composition des sièges, retenaient encore traverses sont des cordes. Un tapis couvert
quelque chose des formes architecturales mas- d’ornements est placé sous le matelas et pend
sives de l’âge précédent. au-dehors. Ce tapis est fort riche, ainsi que le
N° 14. Trône, d’après une Bible de la fin du trei- matelas et l’oreiller. Il y a un marchepied, et le
zième siècle. siège n° 16, décoré de même sorte, appartient
Nos 3 et 10. Faudesteuils, tirés d’un manuscrit sur à cet ameublement. Le manuscrit d’où ce do-
la chasse, composé en 1380 par Gaston Phé- cument a été tiré est du douzième siècle et de
bus, comte de Foix et seigneur de Béarn. l’école rhénane.
N° 13. Lit du neuvième siècle, et de caractère by- N° 12. Lit du douzième siècle. — Celui-ci est em-
zantin. — C’est le châlit rectangulaire grec et prunté au portail de Notre-Dame de Chartres et
romain avec son marchepied et son coussin. figure dans une scène qui représente l’accou-
Seulement il ne semble pas qu’il y ait de mate- chement de la Vierge. Il est de forme élégante
las, et il paraît n’y avoir là qu’un fond tendu ou et semble offrir un exemple qui s’affirme d’ail-
tressé attenant au bâti à la manière de certains leurs pleinement dans le motif suivant. Nous
lits égyptiens. voulons parler de l’ouverture latérale prati-
Le costume historique — Tome III 395
quée dans le pourtour du lit, qui avait pour but Dans l’antiquité les lits de repos étaient souvent
d’en faciliter l’accès. Sur le dais formant le fabriqués en métal, et il semble que cet usage
ciel de ce lit d’accouchée, le motif, qui semble ait persisté assez longtemps. Ceux de l’époque
d’abord un gros coussin, est le berceau de l’en- carlovingienne indiquent l’emploi du bronze ;
fant, garni de ses sangles croisées. C’était une à partir du douzième siècle, le luxe de ce
précaution usitée pour empêcher l’enfant de meuble se développe, et l’on en confectionne
tomber, lorsque l’on imprimait des balance- de la plus grande richesse. À l’examen de ceux
ments au berceau. des manuscrits, les bois semblent couverts
N° 4. Lit du treizième siècle. — On se servait alors d’ornements incrustés, sculptés ou peints ; les
de lits facilement transportables. Ceux de cette matelas sont ornés de galons et de broderies,
époque se composent habituellement d’une ainsi que les couvertures ; ils sont alors géné-
sorte de balustrade posée sur quatre pieds, ralement accompagnés de courtines suspen-
avec un intervalle libre dans le milieu d’un des dues à des traverses ou à des ciels portés sur
grands côtés pour permettre à la personne vou- des colonnes.
lant se coucher de se placer sans efforts entre Le treizième siècle continue la tradition de
les draps. On ne montait pas alors sur son lit ce luxe ; au quatorzième siècle, les bois de lit
pour se coucher : on s’y asseyait entre les deux prennent moins d’importance et sont complète-
montants du milieu, et, en soulevant la cou- ment recouverts de larges draperies flottantes,
verture, on se glissait entre les draps. Ces lits qui en deviennent la décoration principale.
étaient bas, de la hauteur d’un sofa : au besoin, N° 9. Petit vase. — Ce vase est du genre de ceux
ils servaient de sièges, et leur ouverture latérale dont on rencontre de nombreuses variétés dans
facilitait cet usage. La chaise basse n° 5 appar- les manuscrits du neuvième siècle, et qui ca-
tient au même ameublement. Les exemples de ractérisent les Gallo-Francs. Leurs formes
ce genre sont fréquents dans les manuscrits du sont des plus diversifiées ; on y reconnaît des
XIIIe siècle ; ceux-ci proviennent d’une His- buires, des cassolettes, des coquemars, des
toire du saint Graal, Bibl. nat. n° 6767. cornes à boire, des aiguières.
Les étoffes dont on faisait ce vêtement n’étaient pas toujours unies, mais
parfois brochées d’or ou tissées de soies de couleurs différentes ; ces étoffes
conservaient cependant de la souplesse ; elles devaient être fines et légères de
tissu. Celles employées par les classes élevées venaient la plupart de l’Orient.
Vers la fin du onzième siècle, la jupe du bliaud s’allongea, les manches s’élar-
girent et devinrent ouvertes à leurs extrémités ; la ceinture disparut et le vête-
ment ne serra la taille qu’au moyen d’agrafes posées sur les bords d’une ouver-
ture pratiquée au dos.
L’aumusse. Ce capuchon, avec pèlerine y attenant, est un vêtement très an-
cien, propre aux deux sexes, mais qui, à dater du onzième siècle, fit partie du
costume ecclésiastique et fut spécialement affecté aux chanoines réguliers. Les
aumusses étaient taillées différemment (nos 5, 6 et 9) ; celles des femmes res-
semblaient au capulet des Pyrénéennes. Dans la suite, cette petite cape, en rai-
son des transformations de la mode, devint le chaperon.
Les braies. Presque tous les personnages représentés ont, avec leurs tuniques
courtes, des braies collantes ; les braies larges et courtes, portées avec des
chausses, faisaient plutôt partie du costume militaire. Les braies collantes sont
le haut-de-chausses, du principe des pantalons à pied. Elles étaient faites de drap
souple, de tricot de laine ou de soie.
Les manteaux. Au onzième siècle, le manteau était quadrangulaire, comme
le pallium, ou semi-circulaire. Les figures nos 10, 11, 12 et 13 montrent ce vête-
ment attaché en chlamyde sur l’épaule droite, au moyen de deux bandes d’étoffe
fixées à l’un des bords et passant dans une boucle recouverte de la même étoffe,
le bras gauche relevant la partie circulaire à peu près au tiers de son dévelop-
pement. La figure n° 5 et les premières des groupes nos 1 et 8 ont le pallium,
manteau quadrangulaire, attaché sur l’épaule gauche ou maintenu au milieu de
la poitrine soit par une agrafe, soit par une boucle.
Trois personnages du groupe n° 1 ont la pænula ou le pluvial, vêtement tou-
jours garni d’un capuchon et considéré comme cape de voyage. Ce manteau
était aussi à l’usage des clercs, des religieux, des prélats, et fut l’origine de la
chape sacerdotale.
Le manteau féminin, par sa coupe, ne différait pas de celui des hommes ;
la manière de le porter, seule, présentait quelques variétés. Les femmes l’atta-
chaient, ou sur l’une des épaules au moyen d’une agrafe, ou sur le devant de la
poitrine au moyen d’un lacet ; dans ce dernier cas, les deux côtés du manteau
tombaient parallèlement jusqu’aux pieds, de façon à laisser les bras libres et à
découvrir le bliaud (n° 8).
Le costume historique — Tome III 401
Il est peu de vêtements dont la forme soit sujette à moins de variations, mais
il n’en est pas aussi qui présentent plus de différences dans la manière de le
porter et de l’attacher.
Le voile. La femme représentée dans le groupe n° 8 a, sous le bonnet, le grand
voile circulaire à la mode pendant les premiers siècles du Moyen âge, et qui
paraît avoir été porté par les femmes de toutes les classes ; c’était d’ailleurs un
usage romain.
Ce voile fut d’abord posé sur la tête, l’étoffe tombant naturellement sur le
manteau ; puis on le porta attaché sur le milieu de la poitrine par une broche à
large plaque. Cette coiffure, qui tenait à la fois du ricinus et de l’anabole an-
tiques, devint la guimpe.
Les chaussures. Les souliers à l’usage des deux sexes, faits d’étoffe, étaient à
pattes, ou simplement ouverts sur le cou-de-pied ; les hommes en portaient aussi
qui se maintenaient au moyen de bandelettes enveloppant les jambes par-dessus
les braies collantes.
Pour marcher dans la boue, on mettait, avec ces fins souliers, des patins de
bois.
Les sièges sans dossiers, sur lesquels sont assis les personnages nos 10 et 12,
ont des coussins jetés sur le bois. Avec le marchepied, le siège devient un trône ;
ici ce sont des trônes consulaires.
L’exemple n° 3 donne un modèle de voiture à quatre roues. Les chevaux de
cette véritable charrette sont simplement attelés au moyen de cordes.
Le harnais de la monture du cavalier n° 5 consiste en une selle sans bâtes,
ayant la sangle, le poitrail et la croupière ; elle n’a pas d’étriers. Le cheval a le
dessus-de-tête, le frontal, la sous-gorge, la têtière et la muserolle.
La statue nimbée, n° 1, représentant Clotilde, femme de Clovis Ier, est le type
le plus complet du costume féminin au XIIe siècle ; il se compose d’un corsage
ajusté au plus près, prenant le ventre, n’ayant qu’une ouverture de dimension
restreinte au haut de la poitrine, et lacé dans le dos. Une ceinture d’étoffe faisant
le double tour, à bouts prolongés, retombants, couvre la jonction du corsage
et de la jupe traînante. Les manches recouvrantes sont très larges. Cette robe
404 Le costume historique — Tome III
était posée sur la chemise, visible au cou et descendant jusqu’aux pieds ; ou,
plus souvent encore, elle était mise sur une robe intermédiaire, dont la manche
étroite était fermée au poignet. Dans notre exemple le manteau ouvert ne cache
pas la poitrine, il descend droit des épaules ; les bras en sont couverts et de leur
repli soulèvent les coins du vêtement semi-circulaire, ce qui lui fait former des
plis étagés en cascade. La chaussure pointue (voir n° 2) ajustée, couvre le pied,
se recourbant, dit Guilbert de Nogent, à la mode de Cordoue.
La coiffure est une couronne verticale en orfèvrerie. Les cheveux, divisés
sur le milieu du front par une raie, sont réunis de chaque côté en deux grandes
mèches non tressées, enroulées et réunies par des rubans ou des galons ; ils
descendent au-devant des épaules dans toute leur longueur. Point de collier,
mais une plaque de poitrine à l’endroit du fermail du vêtement intérieur. Tel est
l’ensemble de ce costume féminin ne laissant visibles que le visage, à peine le
haut du cou et les mains. On y employait la soie, les fines toiles, la mousseline.
La chemise en toile légère était à petits plis et bordée de gansés d’or aux en-
droits visibles, le cou et les manches..
Le corsage, le justaucorps, était d’une sorte de tricot de soie crépelée, si élas-
tique, si souple, que la tension sur les seins fait disparaître la gaufrure de l’étoffe.
(On fabrique encore aujourd’hui de ces soies crépées dans tout l’Orient.) La
jupe de soie était tantôt unie, tantôt brochée d’or ou tissée de soie de couleurs
différentes ; mais la quantité et la nature des plis démontrent qu’elle était tou-
jours légère de tissu, et il en était de même pour les larges manches aux ouver-
tures frisées comme des ruches. La ceinture était en étoffe avec des applica-
tions d’orfèvrerie, de pierres fines ; elle était passementée et à plat pour ceindre
jusqu’à son retour où on la nouait. Elle se terminait en une cordelette de soie
tressée dont le nœud lâche était fait ; les bouts pendants étaient ornés de bagues
d’orfèvrerie. Quelquefois cette ceinture ne consistait qu’en une longue bande
d’étoffe très riche.
Le manteau semi-circulaire était de même coupe pour les deux sexes ; il
était aussi de soie fine et non doublé de fourrures comme on le fit plus tard ; le
nombre et la nature des plis l’indiquent ; rarement décoré de broderies ou fait
avec des étoffes à dessin, il était souvent passementé sur les bords. Les couleurs
les plus usitées étaient le rouge, le bleu, le vert. Il y avait plusieurs manières
de l’attacher : ou on le croisait sur la poitrine en le retenant sur l’épaule avec
une simple fibule, ce qui exigeait une ampleur à la romaine (voir n° 3), ou plus
simple, ne se croisant pas, il était fixé au haut du thorax par un nœud fait avec
l’étoffe du manteau même. On passait cette étoffe par une ouverture garnie de
métal sur le bord opposé et on y faisait un nœud pour l’empêcher de repasser
Le costume historique — Tome III 405
(voir n° 8). Cette façon était assez fréquemment usitée pendant le XIIe siècle et,
comme elle exigeait la plus grande souplesse de l’étoffe, les bords du manteau
n’étaient point passementés pour ce cas. La manière la plus généralement ré-
pandue était de relier les deux bords rectilignes par un cordonnet allant de l’un à
l’autre et permettant de tenir le vêtement plus ou moins ouvert, ou de le fermer
tout à fait. La ganse, fixée d’un côté, passait de l’autre à travers une boucle où
se faisait l’arrêt à volonté ; le point de départ et celui de passage avaient, en ce
cas, la même apparence extérieure, celle de boutons de métal fixés sur l’étoffe
(voir n° 5), ou encore, le cordonnet fixé d’un côté, passait de l’autre à travers un
œillet et, noué, laissait pendre l’excédant au dehors (voir n° 4) ; on appelait cette
manière : lacer le manteau.
Le manteau était plus court que la robe ; il appartenait particulièrement à la
noblesse. La façon de le porter en fut une marque qui ne s’effaça qu’à la fin du
XIVe siècle.
Le port de ce long vêtement exigeait une éducation complète, une habitude
prise dès l’enfance, dit M. Viollet-le-Duc1, auquel nous devons la plus grande
partie de nos renseignements ; la démarche des dames était lente, mesurée ; à
la promenade elles faisaient usage de cannes longues surmontées d’un oiseau
(M. Quicherat).
Nous parlerons en leur temps des souliers ajustés, prolongés en pointe, et
des couronnes orfévrées pour lesquelles il n’y eut de classement nobiliaire que
depuis le XVIe siècle.
Le costume des hommes était beaucoup plus simple et plus pratique.
Le manteau était le même, comme on l’a vu, mais la robe non traînante ne
dépassait guère les chevilles ; par-dessus on portait le bliaut, que l’on ne mettait
pas sans le manteau lorsqu’on était paré. Ce bliaut est une tunique sans autre
ouverture que le passage de la tête, composée d’une seule pièce d’étoffe, plus
étroite à la hauteur des épaules qu’en bas de la jupe où elle était fendue jusqu’à
une certaine hauteur pour la facilité de la marche ; les deux parties de cette
unique pièce d’étoffe retombaient devant et derrière, laissant le bas de la robe à
découvert (voir n° 5). La robe qui était sous le bliaut était habituellement faite
de lin ; elle était posée sur la chemise et souvent en tenait lieu. On en superposait
parfois plusieurs, selon la saison. La manche, serrée au poignet, était très large
et étoffée à la naissance, nullement gênée par le bliaut qui, lui, n’avait pas de
manches. La ceinture en rapprochant les deux pans du bliaut autour de la taille,
ne rétrécissait pas le passage nécessaire aux amples entournures des manches
de la robe. Une fois le bliaut passé, on fermait avec une agrafe la fente pratiquée
1 Dictionnaire raisonné du mobilier français, Vêtements.
406 Le costume historique — Tome III
chaussures et les couronnes paraissent être de cette époque. En tout cas leur pré-
sence a facilité l’erreur des premiers antiquaires. — Provenance de ces statues
et noms sous lesquels elles sont consacrées :
N° 1. Clotilde, femme de Clovis ; portail de Notre- statue qui recouvrait son tombeau. — N° 9.
Dame de Corbeil. — N° 2. Haregonde, femme Saint-Marcel, évêque de Paris ; portail de
de Clotaire Ier ; portail de Notre-Dame de Pa- Saint-Germain l’Auxerrois. — N° 10. Prêtre ;
ris. — N° 3. Clovis Ier ; portail de Notre-Dame portail de Notre-Dame de Chartres. — N° 11.
de Corbeil. — N° 4. Sainte-Geneviève ; portail
Prêtre ; portail de Saint-Germain-l’Auxerrois.
de Saint-Germain l’Auxerrois. — N° 5. Clo-
vis Ier ; abbaye de Sainte-Geneviève de Paris. — N° 12. Frédégonde, femme de Chilpéric Ier ;
— N° 6. Childebert Ier ; fils de Clovis ; même portail de Notre-Dame de Paris. — N° 13.
provenance. — N° 7. Ultrogothe, femme de Chilpéric Ier ; même provenance. — N° 14.
Childebert Ier, ibid. — N° 8. Childebert Ier ; Clotaire Ier ; ibid.
La cheminée, qui n’apparaît réellement qu’au XIIe siècle, se posait entre les
deux fenêtres ; elle n’était encore décorée qu’avec des peintures. Celle qui figure
ici appartient à une maison de la ville de Cluny ; de chaque côté se trouve une
fenêtre basse permettant de voir au-dehors, tout en se chauffant ; ces fenêtres
sont au-dessous de deux tablettes en pierre où se posaient les flambeaux du
soir ; des poignées en fer sont fixées au manteau de la cheminée pour aider à se
tenir debout, sans fatigue, près de l’ardent loyer où brûlaient des troncs d’arbre
de deux et trois mètres de long. Deux banquettes de caractères différents, mais
412 Le costume historique — Tome III
On a vu que les murs et les plafonds de cette salle étaient peints. L’orne-
mentation en était sobre ; on y employait principalement l’ocre jaune, le brun
rouge, le rouge, le bleu et le vert ; l’or était réservé à la représentation des ar-
moiries. Les relations avec l’Orient n’avaient encore introduit que le goût des
étoffes riches et à coloration voyante, celui des meubles incrustés d’ivoire, d’or,
d’argent, d’étain, etc., pour lesquels on employait des bois précieux, et où l’on
introduisait de la marqueterie. On tournait l’ivoire et on le gravait de véritables
nielles noires ou colorées. Les armoires étaient généralement peu ornées de
sculptures et ne le furent guère jusqu’au XVe siècle, mais les panneaux encastrés
dans les montants étaient exécutés habilement en bois poli et préparé pour être
peint dans le genre des miniatures des manuscrits. Les serrures étaient en saillie,
n’entaillant pas l’épaisseur du bois.
2 Voir le Romuléon. (Manuscrit, Bibl. nat. n° 6 984 ; fonds Colbert.)
Le costume historique — Tome III 413
(Cette restauration a été faite par M. Paul Bénard, architecte, et peinte par M. Stéphane
Baron. C’est une traduction des savants écrits de M. Viollet-le-Duc que l’on s’est appliqué à
suivre pas à pas.)
414 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 415
INSTRUMENTS DE MUSIQUE,
DU XIIe SIÈCLE AU COMMENCEMENT DU XVIe.
Nos 1, 4, 6, 8, 10, 13, 17, 19, 22, 24, 25, 26, 27, 30, paraît remonter au dixième et peut-être au neu-
31,32 et 35. vième siècle.) Cette harpe ou lyre résonne sous
le plectre. Les nos 1, 19, 26, 27 et 30 sont du
Instruments à cordes pincées. douzième siècle. Le n° 17 date du douzième le
n° 4, du quatorzième.
La harpe, le psaltérion, la rote, le luth, la mandore,
Le psaltérion, appelé aussi psalteire, psaltère,
la guitare, le cistre et la citole.
psaltri, salterion, salteire, et saltère, et en-
La harpe était connue dès le neuvième
core demi-canon, est le santir ou pisantir des
siècle sous le nom de cithara anglica, qui
Arabes. Il en conserva le nom, et ne devint un
en montre l’origine. On s’en servit jusqu’au
seizième siècle pour l’accompagnement de instrument régulier qu’à partir du douzième
la voix. Elle semble avoir eu douze cordes siècle, époque où les croisés apportèrent en
d’abord ; au quatorzième siècle elle en avait Europe le modèle arabe. Le qânon oriental est
vingt-cinq, « De vingt-cinq cordes que la harpe le plus grand développement du pisantir.
ha, » dit Guillaume de Machaut. La harpe était La table d’harmonie du psaltérion est
toujours portative ; assis, on en appuyait la percée d’une, deux, trois ou quatre ouïes ; en
base sur ses genoux pour jouer ; debout, on la général, trois ; les cordes sont métalliques,
tenait suspendue par un lien passé autour du argent, ou mélange d’argent et or ; les plectres
cou. On jouait d’une seule main pour soutenir étaient des plumes d’aigle. Le son aigu des
le chant ; des deux mains pour les accords, ou cordes obligeait de les faire résonner avec déli-
lorsqu’on jouait à deux parties. L’instrument catesse. Le nombre de ces cordes est variable :
de cette famille, n° 24, est de beaucoup anté- il fut de six, de douze, de quinze ; au treizième
rieur au douzième siècle. (Willemin a oublié siècle il est encore augmenté ; au quatorzième
de désigner la provenance de ce document qui on en compte trente-deux. Il y en a du seizième
416 Le costume historique — Tome III
siècle qui en ont trente-huit ; ces dernières sont La mandore, qui paraît dater de la fin du douzième
en acier, et la table n’a que deux ouïes. siècle, fut une réduction du luth. La forme, plus
Au Moyen âge, on jouait du psaltérion en allongée, est la même ; seulement le chevillier,
l’appuyant sur sa poitrine, comme on le voit au lieu d’être renversé en arrière, est recourbé
nos 22, 25 et 35. Au seizième siècle, on le pla- en avant et souvent terminé par quelque tête
çait sur les genoux ou sur une table. fantastique d’homme ou d’animal. Elle avait
Le n° 22 est de l’une de ces formes gros- ordinairement quatre cordes, et n’en eut pas
sières qui précédèrent la connaissance exacte plus de six. Ces cordes étaient métalliques
du modèle arabe. Cette peinture est du dixième comme celles du luth, et comme celles-ci ré-
et peut-être du neuvième siècle. Le n° 31, est sonnaient sous le plectre de plume.
du douzième, le n° 25, du treizième, les nos 32 La guitare, guitarre, guittère, guiterne, guitterne,
et 35 du quatorzième, le n° 6 du commence- guinterre, guitarne, guisterne et guistarne,
ment du seizième. était connue en France, au quatorzième siècle,
La rote était un psaltérion dont on avait arrondi sous le nom de guitare moresque. Guillaume
la forme, en y ajoutant plusieurs cordes. Cet de Machaut, en l’appelant enmorache et mo-
instrument, qui avait la figure d’une roue de rache, confirme son origine, qui, comme celle
moulin, selon un contemporain du onzième des instruments déjà énumérés, est tout orien-
siècle, et sept cordes seulement, en avait dix- tale ; les Maures d’Espagne à qui l’Europe dut
sept au douzième siècle, ce qui exclut la sup- la guitare, n’étant autres que des Arabes d’Asie
position faite par quelques-uns que la rote était et d’Afrique. Le principe de la guitare, à corps
bombé, rond ou oblong, avec un manche droit
peut-être un instrument à archet. Un si grand
et un chevillier plus ou moins renversé, est tout
nombre de cordes ne se rencontre que parmi
entier, sauf les proportions relatives, dans le
ceux à cordes pincées.
tambour bouzourk des Arabes et des Persans.
Le luth du Moyen âge, leut, leuth, luit, lut, lue, luz,
Il y eut, au Moyen âge, des guitares à dos plat
lus, laute, liuto en italien, laud, laute en alle-
et à quatre cordes. Cette forme et ce nombre
mand, est l’eoud arabe transporté en Espagne au
n’étaient point sans exception. On en cite de
commencement du huitième siècle, répandu en
la fin du quinzième siècle ayant cinq cordes
Europe par les croisés du douzième. Ce ne fut
doubles et une sixième simple, la chanterelle.
que dans la seconde partie du quatorzième siècle Au dix-septième siècle, l’accord des guitares
que sa forme orientale fut modifiée : on com- françaises était le même que celui des guitares
mença alors à diviser son manche par des cases. espagnoles et italiennes.
Le corps du luth était bombé et à côtes Le cistre ou citre, le klein Cither des Allemands, est
oblongues, diminuant progressivement une variante de cette famille, mais son manche
jusqu’au manche, sur lequel était collée une est en volute et courbé en avant, contrairement
touche en ébène. La table d’harmonie était au chevillier de la guitare. L’extrémité des
ovale ; au milieu se trouvait une ouverture en cordes de cet instrument se terminait en œil-
rosace de grande dimension. Le chevillier, ren- lets retenus dans des crochets de cuivre, qui
versé en arrière, portait les chevilles des deux se tendaient par un tour de clef. Des sortes de
côtés. Au bas de la table, était collé le cordier. sillets mobiles, des capo-tasto, disposés sur un
Depuis le Moyen âge jusqu’à la fin du dix-hui- des côtés du manche, permettaient d’en éle-
tième siècle, où cet instrument a cessé d’être ver l’accord. On voit des cistres du seizième
en usage, cette forme est restée la même. Le siècle ayant quatre cordes doubles en laiton et
nombre des cordes du luth est fort variable ; en acier, tendues par huit chevilles disposées
il y en a qui n’ont que quatre cordes simples des deux côtés de la volute du manche. Au
ou doubles : au commencement du seizième dix-huitième siècle, où on en vit jusqu’à onze,
siècle, on en comptait six doubles ou six cinq doubles et une simple, la chanterelle, elles
chœurs ; au début du dix-septième, on en voit étaient attachées par leur extrémité inférieure à
jusqu’à dix. L’accord de cet instrument n’était autant de boutons d’ivoire placés sur l’éclisse,
pas le même partout. au-dessous de la table d’harmonie.
Le costume historique — Tome III 417
La citole ou cuitole, dont parlent souvent les blies. La plupart des figures de cet instrument
poètes français du Moyen âge, est une réduc- qu’on voit sur les monuments et dans les ma-
tion du cistre. nuscrits en sont dépourvues. Les violes primi-
Ceux de nos exemples qui offrent les di- tives ont trois, quatre ou cinq cordes, le corps
vers caractères du luth, de la mandore, de la gui- ovale sans échancrure pour le passage de l’ar-
tare, du cistre et de la citole, sont du douzième chet, ce qui obligeait à le tenir dans une posi-
siècle, les nos 10 et 12, du quatrième siècle ; tion horizontale ; le quatorzième siècle montre
les nos 8, 23 et 28, dont les deux derniers sont encore des vielles ovales et rectangles de ce
des citoles sans leurs cordes, montrent sur leur modèle imparfait qu’on améliorait seulement
côté l’apparence extérieure de la manivelle qui en plaçant la première corde en dehors du
permettait de remonter l’accord du cistre d’un manche, pour permettre au ménétrier qui levait
tour de clef. Le n° 13 est du commencement du le coude de la toucher seule. Aux quinzième
seizième siècle. et seizième siècles, quatre violes de grandeur
différente, à trois, quatre, cinq et six cordes,
Instruments à archet. formaient un ensemble concertant.
De la vielle à roue nous n’avons rien à
La rubébe, les gigues, le rebec, les vielles ou dire, n’en ayant pas ici d’exemple.
violes, la vielle à roue, rubèbe, rebeble, re- La série des instruments à archet qui
belle, étant le rebab arabe, il est à croire que figurent dans notre planche se compose des
la forme de l’un et de l’autre et la manière de nos 3, 5, 9 et 11, remontant au douzième siècle ;
les jouer furent d’abord semblables. La rubèbe des nos 16 et 21, du treizième siècle ; des nos 7
avait deux cordes ; pour en jouer, on la tenait et 35, du quatorzième siècle (l’archet du n° 7
par le manche près du chevillier ; elle était est auprès de l’instrument) ; enfin du n° 18, le-
appuyée sur le genou. C’était un instrument quel est du commencement du seizième siècle.
grave, qui donna naissance, selon toute pro-
babilité, au rebec, dont le diapason était plus Instruments à vent.
élevé, la caisse sonore plus petite, et qui était
monté de trois cordes comme la gigue qu’il fit Flûtes, hautbois, chalumeaux, cornemuse, bom-
oublier en France au seizième siècle. On jouait barde, krumhorns, trompettes, trombones, cors
le rebec comme un violon. La volute de son et cornets.
manche était souvent terminée par une tête N’ayant ici que peu d’exemples des ins-
grotesque, qui donna lieu à l’expression pro- truments de ce genre, nous n’avons que peu de
verbiale : « c’est un visage de rebec. » choses à en dire.
La gigue fut une viole du Moyen âge sans cases Le n° 2 est de la famille du chalumeau, chalemie,
sur la touche ; elle avait trois cordes ; connue chalemelle, qui dérivait de la flûte simple à
au douzième siècle, elle était probablement anche des Grecs et des Latins. L’anche était
plus ancienne. Il semble que la gigue origi- de roseau ou métallique et recouverte par un
naire était faite, corps, manche et volute, d’un barillet surmonté d’un petit tuyau qui servait à
seul morceau de bois. La caisse sonore aurait l’emboucher ; on ne voit pas ici cet appendice ;
été creusée dans la pièce ; on y collait la table mais c’est le nombre des trous dont le tube de
d’harmonie qui se prolongeait sur le manche, cette flûte est percé qui la rapproche du chalu-
lequel n’avait pas d’autre touche. Les gigues meau. Cet exemple est du quatorzième siècle.
françaises et allemandes avaient le dos voûté, Le n° 14, double flûte à unique embouchure, est
mais non à côtes. On en fabriquait de diverses de la première partie du seizième siècle, ain-
grandeurs pour concerter ensemble, dès la fin si que le cor n° 33. Ce cor est l’oliphant du
du quatorzième siècle. Moyen âge. Cor de chasse ou de combat,
La vielle ou viole du Moyen âge différait de la l’oliphant ne se présente que sous cette forme
gigue en ce que son manche était divisé en générique jusqu’à la fin du seizième siècle ;
cases formées par des touches saillantes ; on ce n’est qu’alors que le cor circulaire fut ima-
ne sait à quelle époque ces divisions furent éta- giné. L’oliphant n’est qu’un porte-voix sem-
418 Le costume historique — Tome III
blable au cor de pin ou cor des alpes dont les Instruments à clavier.
Suisses se servent depuis le treizième siècle.
On l’appelait à tort cor sarrazinois, les Sar- Le clavicorde, les orgues portatives, etc. Ce ne fut
qu’au douzième siècle que le pisantir arabe,
razins n’ayant jamais eu de cor en forme de
devenu le psaltérion à cordes pincées, fut in-
corne. L’oliphant ou olyphant était une trompe
troduit en Europe. Ce n’est donc que postérieu-
de chevalier ; il s’en servait à la guerre pour
rement qu’il y devint le clavecin, quand on lui
appeler à la rescousse. Le chasseur l’employait eut appliqué un procédé mécanique pour faire
pour le ralliement. Le nom d’oliphant lui ve- résonner ses cordes. Il en est de même pour le
nait de la matière dont les plus riches de ces qânon, transformé en tympanon à cordes frap-
porte-voix étaient faits : c’était de l’ivoire pées, qui devint le clavicorde ou manichordion,
d’éléphant, creusé à l’intérieur et très souvent manicorde, comme on l’appelait en France et
ciselé à l’extérieur. en Angleterre. Ces instruments avaient acquis
Les cornets, qui avaient la figure du cor noble, d’assez grands développements au quinzième
ayant comme celui-ci été faits d’abord avec siècle. Cependant les écrivains des treizième
des cornes d’animaux évidées, ordinairement et quatorzième siècle n’en parlent pas. Ce que
par paires, furent aussi d’ivoire à côtes. Au l’on découvre de certain à propos des orgues,
quinzième siècle, les meilleurs étaient en bois dont l’existence se révèle dès le douzième
de cormier ou de poirier qu’on recouvrait de siècle par la qualité d’organiste donnée à des
cuir noir pour leur conservation ; ils étaient musiciens de cette époque, c’est qu’il y avait
percés de trois, de six, de huit trous, dont des instruments d’espèces différentes auxquels
on donnait le nom d’orgue ; les uns étaient de
certains avec clefs. Organes habituels de la
petite dimension et se portaient suspendus
musique instrumentale au Moyen âge, on ré-
au cou par un lien ; les autres, plus grands,
unissait toujours les cornets aux voix, quand
étaient placés sur une table et exigeaient le
celles-ci ne chantaient pas seules. secours d’une personne pour faire fonctionner
Le n° 29 est la saquebute, en italien, trombone ; les soufflets ; enfin, il y avait les grandes or-
sa forme est celle du clairon, clarion, clara, gues d’église qui avaient plusieurs claviers. Le
claraïus, clareta, la trompette à tube étroit qui clavier des petites orgues portatives était joué
devait son nom à un son strident. La saquebute d’une main, pendant que l’autre faisait mou-
diffère de cette trompette en ce que son tube voir le soufflet.
glissant sur la coulisse en fit un instrument Notre n° 20 est un orgue portatif du quatorzième
chromatique. Cet exemple est du commence- siècle. Le n° 15, plus grand et plus compliqué,
ment du seizième siècle. est du commencement du seizième siècle.
Les nos 1, 5, 11, 19, 26, 27 et 30 proviennent de l’abbaye de Saint-Denis ; les nos 3, 9,10,
12 et 31, du portail de Chartres. Les nos 16, 17 et 21 ont été recueillis sur un bassin d’émail du
treizième siècle. Le n° 25, de la même époque, est une figure de manuscrit.
Les nos 2, 4, 7, 8, 20, 23, 28, 32, 34 et 35 sont tirés des manuscrits de bibles historiées du
quatorzième siècle.
Enfin Willemin, auquel sont dus tous ces documents épars dans son œuvre, n’a laissé au-
cune indication sur la provenance très ancienne des nos 22 et 24.
Voir, pour le texte, l’ouvrage si complet de F. J. Fétis. Histoire générale de la musique de-
puis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours ; Paris, Firmin-Didot.
420 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 421
C’est également au quinzième siècle que l’on vit les mitres des prélats ornées
de figures brodées ; d’autres étaient chargées de pierreries, de diamants et de
perles.
Il y en avait de trois sortes : la simplex, qui était de soie blanche ; l’auriphry-
giata, de soie d’or, et la pretiosa, également de soie d’or et enrichie de perles et
de pierres précieuses.
Les évêques portaient la mitre dans toutes les cérémonies, aussi bien à l’église
qu’au-dehors, dans les grandes réunions laïques. À ce propos, Guillaume Le
Maire, sacré évêque d’Angers en 1290, dit dans ses mémoires : « Après la pro-
cession dans la ville, entré dans notre chambre, nous déposâmes tous les vête-
ments avec lesquels nous avions célébré la messe ; nous vêtîmes un nouveau
rochet (aube courte), et, conservant sur la tête la coiffe et la mitre, nous allâmes
dîner au palais. »
Les papes accordèrent la mitre à quelques abbés privilégiés et même aux
chanoines de quelques églises de France, à ceux, entre autres, des cathédrales
de Lyon, du Puy, des collégiales de Saint-Pierre de Mâcon et de Saint-Julien de
Brioude.
Les crosses. — Dans l’antiquité, les chefs des peuples tenaient un bâton à la
main, comme insigne de leur pouvoir ; l’Église donna aux évêques et aux ab-
bés la crosse, qui est à la fois un symbole d’autorité et un emblème de douceur.
— Les anciens l’appellent baculus pastoralis, ferula, pedum, pontificale, cam-
buta, etc. Dans les peintures des catacombes, le bon Pasteur, portant l’agneau
sacré sur les épaules, aide sa marche du bâton pastoral.
Le bois, l’ivoire, le cuivre, l’argent et l’or ont été employés comme matières
de cet insigne ; mais, pendant plusieurs siècles, la crosse fut exclusivement de
bois léger. Celui de sureau (sambucus) fut mis en œuvre assez fréquemment
pour que la crosse en prît le nom ; Durand de Mende l’appelle sambuca.
Non seulement les anciennes crosses étaient plus simples de forme et de dé-
coration que celles des âges postérieurs, mais elles étaient aussi plus courtes et
ressemblaient soit à une canne, soit à une crossette ou béquille (voir l’évêque
représenté dans la planche 189) en forme de tau, comme celle trouvée dans le
tombeau de Morard, abbé de Saint-Germain-des-Prés, mort en 990. Telle est
aussi la forme des crosses orientales qui, cependant, présentent plus souvent
leur sommet orné de deux serpents entrelacés dont les têtes se regardent (voir la
planche 182). La crosse épiscopale figurait encore le lituus des augures antiques
ou consistait en une simple volute analogue à celle du chapiteau ionique.
Le costume historique — Tome III 423
Autour du globe d’où partait cette tige recourbée en volute, on gravait le mot
homo, pour rappeler au prélat qu’il ne devait point s’enorgueillir de sa dignité.
Le sommet recourbé, le tube de la tige et la pointe de l’extrémité, ont été
l’objet d’un symbolisme exprimé par le vers suivant : « Attirez par le haut bout ;
gouvernez par le milieu ; corrigez par la pointe. » En d’autres termes : persua-
dez, régissez, punissez.
L’évêque, ayant la crosse à la main, devait en tourner la courbure en avant
vers le peuple, pour signifier que sa juridiction s’étendait sur lui ; tandis que
l’abbé devait tenir la courbure de la sienne en arrière, vers lui-même, pour indi-
quer que son autorité ne regardait que sa propre communauté.
De même que les mitres, les crosses, après le douzième siècle, crûrent en
hauteur et en profusion d’ornements, jusqu’à ce qu’elles eussent le plus haut
degré de richesse et d’élégance, au quatorzième et au quinzième siècle. Sous
Charles VII, on en vit dont la volute avait pour base un édicule distribué en plu-
sieurs niches dans chacune desquelles on mettait parfois une figure (voir le n° 4
de cette planche et les différents exemples du bâton pastoral représentés dans la
planche 195).
Chez l’évêque représenté sous le n° 4, le sudarium est attaché à la crosse. Cet
insigne avait autrefois appartenu aux abbés, pour indiquer que leur autorité était
d’une nature secrète et subordonnée ; mais ils l’abandonnèrent dans la suite.
Toutefois, le sudarium resta toujours attaché à la crosse des abbesses, à laquelle
il pendait, flottant comme une banderole.
Les gants. — L’origine des gants est féodale ou barbare. Lorsque les princes
disposaient des bénéfices ecclésiastiques, c’est par une paire de gants qu’ils en
investissaient les prélats. Les gants devinrent une pièce liturgique au onzième
siècle ; ils étaient faits de tricot, de cendal ou de drap de soie, avec une croix
dans un nimbe, brodée en or sur le dos de la main. Guillaume Durand dit que
l’évêque doit couvrir sa main de gants, afin que sa gauche ne sache pas ce que
fait sa droite.
424 Le costume historique — Tome III
Voir, pour le texte : l’abbé J.-B. Pascal, Institutions de l’art chrétien. — Quicherat, Histoire
du costume en France. — Viollet-le-Duc, Dictionnaire du mobilier.
426 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 427
COSTUMES SACERDOTAUX.
Le costume clérical existait dès le quatorzième siècle ; car il était de règle que
les gens d’Église ne devaient prendre dans les modes régnantes que les habits
longs et flottants ; mais le costume sacerdotal fut constitué seulement sous les
premiers Mérovingiens.
Auparavant, on s’était accordé, dans le clergé, à ne s’approcher de l’autel que
vêtu de blanc, mais il y eut bien des exceptions faites à cet usage. Saint Martin,
pendant tout le temps de son apostolat, célébra en birre noir ; au cinquième
siècle, les évêques de la Narbonnaise se servaient d’étoffes teintes et brodées.
L’aube et l’amict. — L’un des premiers vêtements liturgiques fut l’aube, tu-
nique de lin descendant jusque sur les pieds, comme l’ancienne stola des dames
romaines ; elle admettait, ainsi que ce vêtement, la décoration de claves de
pourpre. Elle fut appelée linea en considération de son étoffe, et alba parce
qu’elle était blanche. Alba a fait aube en français.
Lorsque, sous les Carolingiens, le luxe fit irruption dans le costume sacerdo-
tal, les aubes, en dépit de leur nom, furent faites d’étoffes de couleur et de tous
autres tissus que le fil. Ducange parle d’une aube sur laquelle un abbé de Saint-
Gall avait fait représenter en broderie des sujets tirés des Noces de la Philologie,
de Martianus Capella.
L’aube, au douzième siècle, dut être préservée du contact de la peau par une
tunique de dessous, origine de la soutane ; et, afin de cacher l’encolure de ce
premier vêtement, les épaules furent enveloppées de l’amict. Le parement, pièce
carrée d’étoffe de couleur brochée ou brodée cousue au bas de l’aube, date de
la même époque. Ce détail est visible dans chacune des figures ici représentées.
Pour empêcher que la longueur et l’ampleur ne gênassent les mouvements
du célébrant, on la serrait autour des reins avec un cordon auquel on substituait
quelquefois une ceinture de soie aux extrémités enrichies de broderies d’or ou
d’argent. Les évêques étaient les seuls qui usassent de ces sortes de ceintures.
Les aubes perdirent, vers le milieu du quatorzième siècle, l’apparence an-
tique qu’elles avaient conservée jusque-là. Au lieu de draper par l’effet de la
428 Le costume historique — Tome III
ceinture, elles furent bâties de manière à produire des plis droits. Quant au pa-
rement de couleur qui les décorait dans le bas, il ne fut supprimé qu’à la fin du
quinzième siècle.
Le rochet est une aube courte, à manches étroites, que portent encore les
évêques.
L’amict, longue pièce de toile fine garnie au chef d’une broderie enveloppant
le cou du célébrant, fut adopté vers l’époque carolingienne ; il voilait alors la
tête et était abaissé au moment de l’office.
L’origine de ce vêtement n’est point indiquée dans les premiers monuments
chrétiens ; au contraire, à cette époque les prêtres sont toujours représentés la
tête nue par opposition aux usages religieux du paganisme. Au treizième siècle,
le prêtre, avant de monter à l’autel, se voilait encore avec l’amict, bien que les
monuments figurés montrent toujours la partie brodée de ce vêtement rabattue
sur la chasuble en manière de collet, tandis que la partie de toile fine entre, en
se plissant, sous l’aube. Les collets de broderie, dont les amicts étaient pourvus,
disparurent peu à peu depuis 1450.
La chasuble. — Elle fut le manteau sacerdotal choisi par l’Église dans ses
prescriptions relatives aux premiers vêtements liturgiques. Il n’y avait alors au-
cune différence entre le costume sacerdotal des prêtres et celui des évêques ;
seulement, parmi ces derniers, les métropolitains, qu’on a appelés depuis arche-
vêques, portaient, sur la chasuble, le pallium, marque distinctive consistant en
une bande d’étoffe blanche ornée de croix noires (voir les planches 181, Byzan-
tin, et 182, Byzantin et Abyssin).
« Comme une petite maison (casula), la chasuble couvrait entièrement
l’homme », dit Isidore de Séville. Celui qui en était revêtu, pour faire usage de
ses bras, en relevait les deux côtés au-dessus des poignets, de manière à former
de nombreux plis latéraux ; mais la gêne que ces plis épais devaient causer aux
mouvements fit que, dès le onzième siècle, on échancra un peu la chasuble sur
les deux côtés correspondant aux bras, et qu’au lieu d’être ronde, elle devint
ovale. Au treizième siècle, elle est coupée en forme de large entonnoir, afin
de donner, sur les bras, un amas moins considérable de plis ; cette forme ne se
modifie que vers la fin du siècle suivant où elle prend alors moins de longueur
dans la partie recouvrant les bras et plus d’ampleur dans les parties inférieures ;
voir n° 10. Dans les exemples n° 3, 4, 5, 7 et 8, datant du quinzième siècle, la
chasuble se raccourcit encore sur les bras. Dans la suite, on exagéra de nouveau
cette dernière mode, ce qui conduisit à la forme de la chasuble moderne qui ne
Le costume historique — Tome III 429
recouvre plus les bras et se compose de deux pans d’étoffe roides tombant de-
vant et derrière.
Dans les mosaïques des premiers siècles, les chasubles ont toujours l’ap-
parence d’un vêtement de laine aux nuances indécises. Sous les Carolingiens,
les couleurs les plus éclatantes sont admises, en même temps qu’une étoffe
toute de soie, désignée sous le nom de cendal, obtient la préférence sur les fins
lainages et les tissus mélangés de laine et de soie. Jusqu’au treizième siècle, la
chasuble est presque toujours décorée d’un clave par devant et par-derrière ;
c’est le dernier emploi que l’on ait fait de cet ornement qui existait depuis tant
de siècles ; on lui donna le nom d’orfroi lorsqu’il était décoré de broderies.
Les orfrois des chasubles, tout en conservant leur nom, se transformèrent,
sous Charles VI, en bandes d’une très grande largeur, sur lesquelles on exécu-
tait en broderies d’or ou de soie, tantôt des sujets légendaires enfermés dans
des cadres d’architecture, tantôt des emblèmes héraldiques. La bande dorsale,
par l’addition d’une traverse, devint une croix (voir n° 4) ; il y eut même, à
cette époque, des chasubles sur la face antérieure desquelles on voit ce même
ornement (n° 3), exemple qui ne se rencontrait jamais dans le costume sacer-
dotal des prêtres français.
La chape. — Elle fut, dans son origine, un manteau muni d’un capuce dont
on se couvrait la tête. On en faisait surtout usage pour les processions lointaines,
afin de se garantir de la pluie. De là le nom de pluvial qui lui fut aussi donné.
La chape était exactement ronde et ouverte sur le devant ; une large agrafe
maintenait les deux bords fermés sur les épaules. Sa forme ne changea pas
jusqu’au quinzième siècle, si ce n’est que l’agrafe avait été remplacée par une
Le costume historique — Tome III 431
large bride brodée. C’est à partir de cette époque que l’on commença à fabriquer
des chapes d’étoffes épaisses et couvertes d’orfrois (voir nos 9 et 11).
N° 5. Nos 2, 3, 7 et 8.
Évêque ; 1450. Prêtres ; 1460-1500.
Mitre sans fanon. Amict dont le collet brodé, N° 2. Aube dont le bas et les poignets sont ornés
comme dans chacune des autres figures, re- de parements. Étole aux pans croisés sur la
tombe sur la chasuble ; cette dernière, d’étoffe poitrine et passés dans la ceinture.
unie, est portée sur une dalmatique brodée. Nos 3, 7 et 8. Chasubles orfraisées ; l’une,
Aube sans parements. Mules de velours. n° 7, n’est garnie d’orfrois que sur les bords ;
Crosse à laquelle est attaché le sudarium. (Voir, les autres, sur chacun de leurs côtés, ont une
pour les insignes de l’évêque, la planche 193.) bande verticale ou une croix brodée.
Nos 9 et 11.
N° 10.
Prêtre anglais ; 1350. Prêtres de la même époque vêtus, de la chape. Le
n° 11 porte un évangéliaire.
Chasuble d’étoffe unie. Les broderies du manipule
et de l’étole sont du même caractère que celles N° 4.
du parement de l’aube. Prêtre vénitien ; 1460.
432 Le costume historique — Tome III
Voir, pour le texte : Willemin, Monuments français, texte d’André Pottier. — L’abbé J.-
B. Pascal, Institutions de l’art chrétien, 1856. — Quicherat, Histoire du costume en France.
— Viollet-le-Duc, Dictionnaire du mobilier.
434 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 435
OBJETS RELIGIEUX.
Nos 1, 2. N° 8.
Haut de crosses d’évêques, émaillées, du XIIe Chandelier d’argent, XIIe siècle ; même source.
siècle ; provenant du trésor de la cathédrale de
Trèves. N° 9.
Nos 3, 4, 5, 6, 7. Croix latine processionnelle en vermeil du XVe
siècle, aux deux faces pareilles, ayant appar-
Crosses d’archevêques des XIIe, XIVe et XVe
tenu à l’ancien couvent de Saint-Dominique
siècles ; provenant d’Hildesheim. d’Elvas, en Espagne ; d’après une photogra-
phie de M. Laurent.
(Les exemples des huit premiers numéros proviennent de la collection photographique des
musées nationaux d’Allemagne.)
436 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 437
MOBILIER RELIGIEUX.
N° 1. N° 10.
Encensoir en argent de la fin du XIIIe siècle, don- Chandelier pascal à trois branches avec lectrin. La
né par Boniface VIII à la basilique d’Anagni. tige cylindrique et annelée le fait attribuer au
(Exposition religieuse de Rome en 1870.) XVe siècle, vers le milieu. Le lectrin, travaillé
à jour, ainsi que les rampants reliant les tiges
Nos 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8. latérales à la principale, est décoré de l’agneau
de Dieu : il servait à placer le livre le samedi
Encensoirs en bronze de 1350 à 1450, provenant saint pendant que le diacre chantait l’Exultet.
de Munich. La hauteur de ce chandelier est de 2 mètres.
N° 9. Il appartient à l’église Saint-Waast, à Gaurain.
Chandelier pascal de la fin du XIIe siècle. La base
N° 11.
est un trépied formé par trois dragons ailés,
reliés par des rinceaux encadrant des person- Chandelier d’autel d’une hauteur de 0,178 m., ap-
nages ; à chaque milieu se trouve le Christ bap- partenant à l’hôpital Saint-Jean, à Bruges. Mi-
tisé, le Christ en gloire, et le Christ à nimbe lieu du XVe siècle.
crucifère. La tige et les quatre nœuds qui la di-
visent sont ornés de rinceaux, de quatre feuilles N° 12.
et de croix à jour. Le bassin, muni d’une pointe
pour ficher la cire, est soutenu par trois dra- Porte-paix du XVe siècle en argent niellé, représen-
gons en ronde bosse. Ce travail, dit M. Weale tant sainte Catherine et la donatrice à genoux ;
dans son analyse de l’exposition de Malines, cadre en argent ciselé, en partie doré, haut de
est un beau spécimen des fontes dinantaises de 0,135 m. ; provenant de l’église Saint-Nicolas,
l’époque. Hauteur, 1,43 m. Église de Postel. à Dixmude.
(Le n° 1, d’après une photographie faite à Rome ; les nos 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, d’après les pho-
tographies des musées d’Allemagne, et les nos 9, 10, 11, 12, d’après les photographies publiées
à Bruxelles, par MM. Simonau et Toovey.)
438 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 439
MOBILIER RELIGIEUX.
Ces objets sont des billes de chape et des appareils de lumière où l’on fichait
la cire ; ils sont de fabrication flamande. — Les billes de chape appartiennent
à cette orfèvrerie relevée au marteau, ciselée, gravée au niello, peinte en émail,
qui, en conservant encore la sévérité des formes, était de la plus grande richesse.
Les trois suspensions formant lustres sont plus ou moins chargées de ces
histoires qui ont fini par donner à ce genre d’objets un caractère moins religieux
que profane. Les modernes les ont parfois peinturlurées avec un goût détestable,
comme on le voit par le n° 8. Il n’est pas à croire que les auteurs de ces jolis
ouvrages recourussent à ces moyens inférieurs.
N° 1. des vingt-huit cierges qu’il portait devait faire
disparaître les quatre légères barres de suspen-
Bille de chape, en forme de trèfle, d’argent en par- sion, et la couronne lumineuse devait être d’un
tie doré, appartenant à M. C. Onghena, à Gand. grand effet ; le diamètre est de 1,40 m. Il pro-
vient de l’église Saint-Pierre, à Bastogne.
N° 2.
N° 6.
Quignon des damoiseaux, en argent ciselé avec
Lustre en cuivre, pour seize cierges, du XVIe
émail translucide, représentant la ville de
siècle, provenant de l’église Saint-Michel et
Tournai. Corneille, à Machelen, hauteur 1,20 m.
N° 4.
POLOGNE,ALLEMAGNE ET FLANDRE.
COSTUMES MONASTIQUES.
Nos 1 et 11. — Chanoines du Saint-Sépulcre en Le Père Hélyot conclut que ce fut sous le pon-
Pologne. tificat de Léon Ier que ces clercs vécurent en
L’ordre des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre, commun.
à Jérusalem, fut institué, en Pologne, par Jaxa, La congrégation de Latran s’éteignit peu
gentilhomme polonais, en 1126 selon les uns, de temps après que Boniface VIII eut rempla-
selon d’autres en 1162. cé par des séculiers, ces chanoines qui avaient
Le n° 1, portant le costume des dix-sep- desservi l’église de Latran pendant plus de huit
tième et dix-huitième siècles, est en habit ordi- siècles. Les chanoines réguliers portaient au-
naire. trefois ; par-dessus la robe, une aube qui a été
Le n° 11, vêtu de blanc et avec le rochet, depuis successivement raccourcie jusqu’aux
montre ces chanoines aux époques antérieures. genoux, ce qui lui a fait donner le nom de ro-
chet. Ceux de Pologne, qui ôtèrent les manches
N° 2. — Sœur du tiers-ordre des Servites (Alle- à ce rochet, les enlevèrent de même à la chape
magne). également raccourcie jusqu’aux genoux, ce
Selon Giani, le premier général de cet ordre, qui la réduisit à la forme d’un mantelet sem-
Bonfils Monaldi, à l’imitation de saint Fran- blable à celui des prélats de Rome.
çois, fondateur de trois ordres, divisa aussi ce-
lui des Servites en trois : l’un pour les hommes, N° 4. — Moine de l’ordre des Esclavons (Po-
le second pour les femmes vivant en clôture logne).
perpétuelle, le troisième pour des séculiers de Wladislas V, roi de Pologne, qui y fonda cet ordre
l’un et de l’autre sexe. en 1389 ou 1390, aurait fait venir les religieux
L’ordre des Servites dont les couvents de ce caractère de la ville de Prague, où ils
furent détruits par les hérétiques et qui n’était avaient un monastère.
plus, en quelque sorte, connu en Allemagne, y Selon plusieurs auteurs, leur habit était
fut restauré par Anne Catherine de Gonzague, une robe ou tunique, une coule avec un capuce
femme de Ferdinand d’Autriche. pardessus, le tout rouge ; ils ne conservaient
Suivant la règle de ce tiers-ordre, les qu’une couronne de cheveux, et ne portaient
sœurs étaient habillées de noir, avec des tu- point leur barbe.
niques étroites et fermées, serrées d’une cein-
ture de cuir ; voiles blancs et guimpe. Celles Nos 5 et 6. — Religieux et religieuse de l’ordre de
d’Allemagne portaient, sur la partie du voile la Madeleine (Allemagne).
retombant sur le front, une étoile bleue. Le Il est certain que cet ordre existait au treizième
grand manteau que l’on voit ici était la marque siècle, mais on ne connaît ni la date de sa fonda-
des sœurs professes. tion, ni le nom de son fondateur. Ses monastères
avaient été établis pour servir de refuge aux
N° 3. — Chanoine régulier de Latran (Pologne). pécheresses publiques ; cependant au dix-sep-
On a fait remonter l’existence de ces clercs vi- tième siècle, il y avait déjà longtemps que l’on
vant en commun jusqu’aux apôtres ou encore n’y recevait plus que des filles d’honneur.
jusqu’à saint Augustin, auquel on attribue la L’habillement du religieux était entière-
véritable origine des communautés de clercs. ment blanc.
442 Le costume historique — Tome III
L’habit des femmes, composé d’une descendait vers le bas de la jambe. On pense
robe, d’un scapulaire et d’un manteau, était de que le costume porté par le pauvre volontaire
même ; on les appelait les Blanches Dames. des Flandres, n° 10, pourrait bien être celui
même des anciens de l’Allemagne avant 1470.
N° 7. — Ancien chanoine régulier de la Pénitence L’habit que l’on donne à ceux des Flandres se
des Martyrs, ordre établi en Pologne vers 1257. compose d’une robe serrée d’une ceinture qui
Selon les historiens polonais, c’est Boleslas le paraît de cuir ; cette robe est assez courte, et
Chaste, duc de Cracovie et de Sandomir, qui ses manches étroites sont un peu retroussées.
l’établit en Pologne. Le manteau n’est pas plus long que la robe. Le
L’habit était blanc dans la maison et au capuce est tenu sur la tête ; la barbe conserve
chœur, au dix-septième siècle. On conjecture que toute sa longueur. La chaussure consiste uni-
l’ancien habit était de couleur gris-rougeâtre. quement en de méchants bas, sans pieds. Ces
quêteurs portaient au bras un panier destiné à
N° 8. — Frère pénitent du tiers-ordre de Saint-Fran- recevoir les aumônes, et tenaient en leur main
çois. Bon-fieux dans les Flandres. un long bâton terminé en crucifix.
Cet ordre de frères pénitents, établi en 1615, à Schoonebeek ne parle point de ces reli-
Armentières, par Henri Pringuel, embrassa gieux flamands sous le nom de pauvres volon-
en 1626 la troisième règle de Saint-François.
taires, il leur donne celui de frères Nolards.
Louis XIV chargea les Bon-fieux de l’adminis-
tration de ses hôpitaux de terre et de marine, à
N° 12. — Chanoine régulier et hospitalier de
Dunkerque, Bergues et Ypres. Vêtement brun,
l’ordre du Saint-Esprit, en Pologne (en habit
robe assez longue et ample, dont les manches
de chœur d’été et d’hiver).
médiocrement larges couvrent les poignets ;
Cet ordre fut fondé par Guy de Montpellier vers
manteau à collet, descendant à mi-jambes ;
la fin du douzième siècle. L’habillement de ses
ceinture de corde selon l’usage des Francis-
cains ; barbe entière, tête rasée ne conservant chanoines était semblable à celui des ecclé-
que la couronne cléricale ; chaussure gros- siastiques ; ils y ajoutaient une croix blanche
sière ; point de capuce, mais un chapeau. sur la soutane et sur le manteau, faite à peu
près comme celle que portaient les chevaliers.
Nos 9, 10 et 14. — Religieux de l’ordre des pauvres
volontaires, en Allemagne et dans les Flandres. N° 13. — Moine de l’ordre des Frères blancs
On croit que cet ordre fut institué vers l’an 1370, à (Prusse).
Hildesheim. On ne sait au juste quel était l’ha- Cet ordre, qui remonterait au commencement du
billement des pauvres volontaires avant 1470, quatorzième siècle est considéré comme sup-
époque où il est certain qu’il fut modifié. À posé, Schoonebeek étant le seul auteur qui
partir de ce temps, l’habit de ces religieux parle de cette secte, composée d’hommes qui
dans la maison, et depuis leurs vœux solen- auraient pris le nom de Frères blancs à cause
nels, était une robe grise avec un scapulaire et de la couleur de leur manteau où il y avait une
un capuce noir par-dessus, qu’ils ne quittaient croix verte de Saint-André. Ces illuminés, qui
jamais ; ils avaient la barbe longue et portaient disaient avoir des révélations particulières pour
des souliers. Pour sortir, ils mettaient sur leurs aller recouvrer la Terre sainte, seraient tombés
épaules un grand manteau de la couleur de la en discrédit, et, quoiqu’ils fussent nombreux,
robe, ayant de nombreux plis autour, et qui l’ordre aurait disparu.
Tiré des ouvrages du Père Hélyot, de Schoonebeek et de Bar , sur les costumes des Ordres
religieux.
444 Le costume historique — Tome III
Le costume historique — Tome III 445
LE ROI DE CASTILLE ; PRÉLAT, NOBLES, los, filles en cheveux. Les femmes mariées
GUERRIERS ET BOURGEOIS. étaient seules dans l’usage de les tenir relevés
TOILETTE FÉMININE. (voir n° 3) ; cette coutume existe encore dans
quelques localités.
Groupe n° 12. Cette jeune fille porte, sous son manteau, une
paire de robes : la cyclade, ou cotte d’origine
Dans ce groupe fragmentaire, Alphonse X, por-
visigothe, et le loba ou bliaut, vêtement dont
tant un reliquaire, préside une procession
on retrouve l’origine en Asie. La cyclade, d’un
aux côtés d’un évêque qui bénit la foule. Le
usage général en Espagne au treizième siècle,
roi est vêtu du paile (pallium) rouge ; sa cou-
est serrée sur le torse et prend de l’ampleur de-
ronne est à huit fleurons dont quatre grands et
puis la taille jusqu’aux pieds. Le loba de samit
quatre petits. La chape de l’évêque est décorée
est sans manches et a un tour de gorge bro-
de broderies transversales ; au bâton épisco-
dé ; il tombe droit, sans ceinture ni lacets. Ce
pal est attaché le sudarium (voir à ce sujet les genre de bliaut se perpétua sans modifications
planches 193 et 194, Europe Moyen-âge, cos- sensibles jusqu’au commencement du quator-
tumes ecclésiastiques). Les personnages qui zième siècle, c’est-à-dire jusqu’au moment de
forment le cortège se drapent dans des man- l’adoption franche du surcot.
teaux de riches étoffes. Aujourd’hui, on voit Le mot paile (pallium) désigne le man-
encore des manteaux de même coupe chez les teau que portait alors toute personne noble. On
campagnards aragonais, catalans, andalous et le retenait sur les épaules au moyen de ganses
valenciens. d’or appelées cuerdas, sur lesquelles il était
d’usage d’appuyer la main par contenance.
Groupe n° 1. Le seigneur placé aux côtés de cette
jeune fille porte les mêmes vêtements : la
Damoiselle coiffée d’une tiare de cendal ou toile
cyclade, le loba et le paile. Il est coiffé d’un
fine, enrichie de broderies, de perles, de pierre-
bonnet brodé à oreillères. Sa chaussure est de
ries, et maintenue sur la tête à l’aide d’un bar-
cuir ou d’étoffe brodée, et attachée au-dessus
buquejo, large ruban, passant sous le menton.
du cou-de-pied par une boucle ou un bouton.
Cette coiffure rappelle la tiare droite des an-
Ce seigneur reçoit un pli scellé que lui
ciens rois de l’Asie et l’alcandora mauresque,
remet un messager vêtu de l’esclavine, sorte
bonnet de toile orné de xomordos (bijoux) d’or,
de casaque en grosse laine brune ou noirâtre,
de perles ou de pierres précieuses. En dépit des
d’origine sarrazine, qu’on endossait pour
lois somptuaires édictées par Alphonse X dans
chevaucher par les temps de pluie. À cette
les dernières années de son règne, la mode époque, les cavaliers portaient ou de simples
augmenta encore la hauteur de cette coiffure capuchons ou des chapeaux assez semblables
qu’elle enjoliva d’accessoires flottants repré- au pétase antique. Dans la figure représentée,
sentés dans le Livre des Jeux, autre ouvrage le chapeau est suspendu à un cordonnet passé
que le roi fit enrichir de miniatures quelque autour du cou (voir les figures nos 14 et 15).
temps avant sa mort.
La chevelure tombe en boucles on- Groupe n° 3.
doyantes. Toutes les jeunes filles espagnoles
portaient alors leurs cheveux flottants sur les Dames offrant à un personnage placé au milieu
épaules ; on les appelait mancebas en cabel- d’elles, une large faja (écharpe) aux bouts
Le costume historique — Tome III 451
frangés. L’écharpe et le bourdon étaient les bords relevés derrière et formant devant une
marques distinctives du pèlerin des croisades. longue visière, suspendu derrière le dos par
Les tiares à l’usage des dames prennent un cordon passant autour du cou. Ce chapeau
ici une forme qui est celle du corno des do- armorié est de plus garni, en enseigne, d’une
garesses de Venise ; elles sont assujetties sur croix blanche.
la chevelure relevée au moyen d’un large bar- Les guerriers espagnols de cette époque
buquejo passant sous le menton. Chez l’une faisaient parade de la croix. Sous plusieurs
de ces dames, la cyclade est à corsage, et chez règnes, à partir d’Alphonse VIII et plus parti-
l’autre, consiste en une longue tunique tom- culièrement sous celui de Saint-Ferdinand, ces
bant droit et garnie de larges ouvertures se pro- guerriers, entraînés sans doute par l’exemple
longeant depuis l’aisselle jusqu’aux hanches. des Français et des Allemands, se montrèrent
Le personnage du milieu a le bonnet, le disposés à aller en Terre sainte, et si les papes
bliaut à manches et des chausses longues en les encouragèrent à prendre part à ces expédi-
façon de pantalon à pied. tions, ils ne tardèrent pas à voir la nécessité de
modérer l’essor de cet enthousiasme et à dé-
N° 8. fendre les départs pour la Palestine, lorsqu’il
y avait tant de musulmans à combattre dans la
Exemple de l’aumusse à l’usage des laïques. Cette péninsule. Mais les Espagnols obtinrent des
pièce du costume n’est alors qu’un capuchon papes les mêmes indulgences que les croi-
avec pèlerine y attenant ; on ne la portait que sés, et on lit, dans les annales de Tolède ainsi
dehors. que dans quelques chroniques anciennes, que
ces guerriers se croisèrent et entrèrent sur les
Groupe n° 2. terres des Maures.
Guerriers dont le chef, simplement vêtu d’un
N° 13.
bliaut à manches, n’a pour tout insigne mili-
taire qu’une grande épée d’armes. Ses bottines Chasseur à courre.
brodées annoncent un personnage d’impor-
tance. Bonnet brodé à oreillères. Quezote (peliçon) sans
Les deux autres figures montrent, sous manches, doublé d’hermine, ne descendant
le gambison, un sayo descendant à mi-jambes. qu’au-dessus du genou. Brassards de plates
Leurs chausses rappellent les zaraguellas des et jambières de mailles. Ceinture de cuir noir
Maures. dans laquelle est passée une dague à poignée
N° 16. orientale. Ce chasseur tient un épieu, arme
avec laquelle on frappait le sanglier, une des
Bourgeois dans l’attitude obligée des requérants cinq bestes noires ; au défaut de l’épaule.
vis-à-vis des hauts seigneurs.
N° 14.
VÊTEMENTS DE CHEVAUCHÉE.
Chasseur au vol.
N° 15.
Bonnet de cuir ; chapeau suspendu derrière le dos.
Alphonse X est ici couvert d’une gonelle ample, Esclavine descendant au-dessous du genou.
légère, et munie d’une pèlerine. Ce vêtement Jambières de mailles. Gants de chasse à poi-
était toujours porté sans ceinture et se mettait gnets découpés en forme de pattes, de façon
en campagne pour chevaucher. Jambières de qu’en les mettant, on puisse plus facilement
mailles. Bonnet à oreillères décoré d’écussons tirer pour entrer la main dans le gant. Toute la
d’armes brodés. Chapeau de feutre aux larges cuirie de la selle est jaune, et le jaez (harnais)
452 Le costume historique — Tome III