2 Propositions de Corrigés Pour Le Commentaire de Roy
2 Propositions de Corrigés Pour Le Commentaire de Roy
2 Propositions de Corrigés Pour Le Commentaire de Roy
Introduction
[Amorce] Gabriel Celaya, poète espagnol contemporain, définit la poésie comme « une arme
chargée de futur ». Le poète doit-il s’isoler dans sa tour d’ivoire à l’écart des rumeurs du
monde, ou s’ouvrir aux violences pour donner une voix à ceux qui en sont privés ? Dans la
France meurtrie, les poètes de la Résistance se sont engagés pour redonner espoir à leurs
compatriotes accablés. Mais le monde a continué à souffrir. C’est le message que fait passer
Claude Roy dans « Jamais je ne pourrai ». [Annonce des axes] Il y décrit une figure singulière
du poète, la sienne certes, mais aussi celle du poète universel, porte-parole laïc des hommes
qui souffrent [I]. Il évoque avec lyrisme la femme qui l’encourage dans cette mission
empreinte d’un humanisme aux accents de prière universelle, dans laquelle la charité devient
solidarité [II]. Si le poète s’inscrit dans une tradition religieuse qui remonte à François
d’Assise, il est aussi influencé par les innovations poétiques de son siècle, celles
d’Apollinaire, du surréalisme et de la poésie contemporaine [III].
1. La figure du poète
La poésie plonge ses racines dans le culte des dieux et ce poème, pourtant sans
référence religieuse explicite, est comme baigné d’une tonalité évangélique. La
première strophe semble faire écho à la prière implorante de la liturgie catholique :
« Agneau de Dieu qui prend tous les péchés du monde ».
Le poète est une âme inquiète : il ne peut pas « dormir tranquille », il a « mal au
cœur ». Claude Roy redonne de la force à l’expression « cela me fait mal au cœur » et
on pense au culte du Sacré-Cœur de Jésus, vu comme le cœur saignant de la douleur
du monde.
Comme le Christ, le poète accueille la souffrance. Quand il affirme « qui vous frappe
me frappe », il revendique une sympathie (au sens de « partage ») avec la souffrance
des hommes, ce qui rappelle les paroles : « Ce que vous aurez fait au plus petit d’entre
mes frères c’est à moi que vous l’aurez fait. »
Au début du texte, cette fraternité n’a pas encore de résonance politique. C’est plus
loin seulement que le poète montrera sa proximité avec « les rouges », c’est-à-dire les
communistes, poursuivis alors dans plusieurs pays.
Apôtre laïc, Roy donne dans la première strophe une force prophétique à son propos
par le futur, la répétition de « jamais » et de « J’ai mal ». Il amplifie cette douleur au
vers 5 par un groupe ternaire (« cœur / terre / présent ») et par des oppositions : « pour
personne » / « pour tout le monde ».
Par la métaphore du poète devenu « abri » pour le « sommeil » des passants, il se décrit
comme un couvent sur les routes des pèlerins de Saint-Jacques, ouvert à « tout le
monde » : on y entre « sans frappe[r] » et il accorde sa protection à chacun, sans
discrimination.
II. Pour les malheureux, contre les puissants, en hommage à la femme aimée
La deuxième strophe, isolée par un blanc typographique, prend la forme d’une litanie
qui développe le vers 11 par des exemples précis et brutaux ; dans ce cortège
dramatique se succèdent les « damnés de la terre », comme dans le chant
révolutionnaire de L’Internationale.
Roy enchaîne des versets où l’anaphore de « Pour ceux qui », répété sept fois (chiffre à
charge symbolique, mystique et religieuse : chandelier à sept branches, sept péchés
capitaux), oppose les souffrances réelles aux prétextes iniques qui les justifient par un
« parce que » dérisoire.
Roy peint de façon réaliste la douleur des hommes en multipliant les mots violents qui
se répondent par des rimes intérieures : « pleurent » fait écho à « meurent » (repris trois
fois), les hommes « saignent ». Il faut les « tuer », les « extermin[er] », les battre à
coup de « trique » pour qu’ils « triment ».
Il énumère les prétextes assumés par la bonne conscience des bourreaux au nom de
tous les « antis » possibles : antisémitisme (v. 12), racisme anti-« jaunes », « mépris »
anti-« pauvres », anticommunisme, au nom surtout de l’égoïsme, de l’indifférence. Le
poète dénonce là des réalités contemporaines.
Le poète entend aussi ce que disent les voix officielles (médias, lieux de pouvoir).
Dans un verset distinct, isolé par des blancs typographiques et l’italique, il fait défiler,
à la façon d’un crépitement, les dépêches de presse.
Mais quel contraste de tonalité avec la strophe précédente ! Ces phrases inachevées
énumèrent les informations sur le ton officiel de la diplomatie, avec des formules
convenues et vagues (« les milieux bien informés »).
Derrières ces bribes de phrases et ces formules stéréotypées, on retrouve les guerres de
la deuxième moitié duxxesiècle, notamment celles d’Extrême-Orient (« Corée »,
« Malaisie », Vietnam avec « Saigon »), les allusions à la dictature des généraux grecs
(« Le tribunal Militaire » à « Athènes » qui exécute les opposants), le franquisme
(« Madrid »). Morts et souffrances sont occultées.
Il est impératif que le poète fasse entendre la voix de la vérité et de l’amour. À partir
du vers 25, il reprend la parole pour célébrer avec lyrisme la femme qu’il aime, son
inspiratrice. Il n’en donne pas de description et ne confie qu’une précision
biographique : cet amour dure depuis « dix ans » déjà.
C’est presqu’un hymne pour une femme transfigurée en divinité, figure qui rappelle
celle de Marie, trait d’union et d’amour entre le ciel et la terre. Le poète la « tien[t] par
la main » et par elle il « tien[t] la main de tous les hommes ». Elle est capable de
miracles, elle métamorphose le poète. Il parle d’elle avec enthousiasme (au sens
étymologique de « souffle d’un dieu qui inspire ») : le tutoiement, les pronoms des 1 re
et 2e personnes qui se répondent et l’accumulation des possessifs du vers 25 traduisent
cette relation fusionnelle. Comme un refrain grisant, il répète cinq fois « aime, amour,
aimant ».
Par la succession de verbes d’action, Roy rend compte des effets prodigieux de cet
amour, qui le transcende et le démultiplie, source de liberté, d’ouverture au monde. Il
pousse le poète à l’action et non plus à la contemplation. Cette certitude est proclamée
dans un nouveau verset, comme la conclusion de tout ce qui précède et comme la
devise impérative de la vie du poète engagé : « Il ne s’agit plus de comprendre le
monde il / faut le transformer ». « Comprendre », mais dans quel sens ? au sens
intellectuel ou au sens, plus concret, de « recevoir, abriter », d’y être « pour tout le
monde » ?…
Roy a choisi une forme libre qui donne plus de liberté à la pensée : il n’y a
apparemment pas de lien entre les strophes, comme si le poème se construisait par
association d’idées. Le lecteur est surpris, tenu en éveil par les ruptures, les
changements de ton, les typographies. Roy refuse les rimes, les rythmes réguliers, tout
ce qui pourrait « anesthésier » la conscience du lecteur.
Il utilise une langue courante, même familière : les « bons Français » qui « triment »,
ceux qu’on frappe à coup de « trique », qui « paient les pots cassés ». Il joue avec les
mots, détourne des expressions courantes : « J’y suis pour tout le monde » parodie
ironiquement le « Je n’y suis pour personne » des puissants. Le poète « en voi[t] de
toutes les couleurs », couleur de peau de ceux qu’il accueille mais aussi couleurs de
toutes les misères.
Il rapproche l’amical : « Ne frappez pas avant d’entrer » du menaçant : « qui vous
frappe me frappe ». Son « J’ai mal au cœur » exprime une souffrance qui fait vraiment
« mal au cœur » et il renouvelle l’expression par des associations insolites : « mal à la
terre, mal au présent ». Pour marquer son engagement social, il oppose « ceux qui
paient les pots cassés » au « Profit », personnifié.
Roy est bien de son époque, il supprime la ponctuation comme Apollinaire mais
surtout propose des images spectaculaires qui témoignent de sa proximité avec les
surréalistes. Comme Breton dans L’Amour libre, il métamorphose sa femme et leur
relation par des métaphores inattendues. Il devient un marin, sa femme est la « clarté »,
le phare qui le guide, elle est une « mouette ».
De l’univers marin, on passe au monde végétal : la femme est un arbre protecteur, un
« ombrage », mais subtilement personnifié (« pensif » et « rieur »).
Conclusion
Étymologiquement, le poète est « celui qui crée, qui agit », et non celui qui se contente
d’observer le théâtre du monde. Pour Claude Roy, la poésie devient une « arme chargée de
futur », mais il n’est pas seul pour la porter. Le « je » du poète et celui de l’amant se fondent
dans le « je » universel de l’humanité.
Proposition 2
1. Le poème n’est pas logique : ce n’est pas la même chose à chaque fois / Sujets différents / Lien pas
expliqué
Ø 2. Pourquoi y a-t-il une dépêche dans la poésie ? / Intérêt ?
Ø 3. Opposition entre ce qu’il y a avant la dépêche (guerre…) et ce qu’il y a après (amour) / Plusieurs
thèmes : fraternité puis amour / Pourquoi ce changement ? / Impression qu’il y a deux poèmes en un
La construction du poème
v Suite à la remarque 1 : donner les thèmes de chaque strophe
§ 1 : engagement de « je », souffre des souffrances des autres, fraternité
§ 2 : exemples de ceux qui souffrent, d’injustices, de violences (lien : souffrance des autres)
§ 3 : dépêches sur le thème de la guerre (lien : violence)
§ 4 : amour (rupture)
§ 5 : vision du monde
§ 6 : fraternité (retour au thème de départ)
>> Le lien existe en fait entre les trois premières strophes (thème). Rupture après la dépêche.
Dans les dernières strophes, chercher un lien entre le « je » poète se rapprochant de ceux qui
souffrent et le
« je » amant.
Ce lien est fait aux vers 28-29 : « en t’aimant j’ouvre grand les portes de la vie / et parce que je t’aime
je dis ». Par l’amour, le poète est en perpétuel devenir (vers 25-26). L’amour est source de liberté,
donc d’ouverture au monde et aux autres. Il pousse le poète à l’action et non plus à la contemplation
(vers 30-31).
Explications historiques.
Ø Franco (1892-1975), général espagnol à la tête du soulèvement nationaliste de 1936. Nommé chef
du
gouvernement national, il dirige la conduite de la guerre (guerre civile 1936-39 ; dictature militaire ;
non intervention de Londres et Paris) avec le concours de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie
fasciste. Dote
l’Espagne d’un régime catholique autoritaire, étouffe toute velléité d’opposition. Reste neutre
pendant la 2nde guerre mondiale. En 1947 rétablit la monarchie et s’institue régent à vie.
Ø Grèce : crise politique aboutissant à une dictature en 1936, imposée par le général Metaxas en
accord avec le roi Georges II. Pendant 2nde GM, farouche résistance aux forces italiennes puis
allemandes. Occupation allemande, italienne et bulgare. Famine.
>>Le poète utilise un langage souvent simple mais a recours à des images poétiques, joue parfois sur
des expressions figées qu’il détourne.
l’indignation
A propos de quoi s’indigne le poète ?
Vers 2 personnes sans sommeil, sans abri
Vers 4 personnes qui meurent sans raison
Vers 5 la terre, le présent
Vers 10 ceux qui sont frappés
Vers 13 à 19 énumération d’injustices : racisme (v.13-14), violence générale (v.15, 17), exploitation
(v.16, 19), rejet d’opinions politiques différentes (v.1 . Il s’agit d’extrêmismes menant à la violence
et même à la mort.
pourquoi ce choix ?
La forme libre choisie par le poète permet de suivre les associations d’idées, les étapes de la pensée,
donne plus de liberté à l’expression des idées (cf absence apparente de liens au premier abord,
remarques 1 et 3). La citation des dépêches n’aurait pas été possible dans une forme classique. La
variété des strophes laisse l’esprit du lecteur en alerte, il n’y a pas de routine, pas de « ronronnement
» des rimes et du rythme.
pas de ponctuation
Forme libre et héritage d’Apollinaire. Fluidité. Jouer sur la continuité pour provoquer des effets (cf §3
dépêches), laisser libre cours aux mots et aux idées. Vers 6-7 : ne pas surcharger de guillemets et de
points, le rythme aurait été hâché (au moins visuellement).
>> L’expression d’un engagement, la conception du rôle que le poète doit jouer :
Dès le début, dont vers 6-7 parallélisme, insistance « Le poète n’est pas celui qui dit Je n’y suis pour
personne / Le poète dit J’y suis pour tout le monde » (et vers 12 : « J’y suis pour tout le monde »)
A la fin vers 32-33 image de solidarité, de fraternité (union) : une chaîne humaine (cf enchaînement
aussi avec reprise de « la main »). « le » = le monde. L’amour d’un être humain ouvre à l’amour des
autres hommes.