Étude Sur L Insurrection Du Dhara
Étude Sur L Insurrection Du Dhara
Étude Sur L Insurrection Du Dhara
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L'INSURRECTION DU DHARA .
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SUR
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DU DHARA .
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SUR
L'INSURRECTION DU DHARA .
( 1945-1940 )
[ Carles
PAR QH . RICHARD ,
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TYPOGRAPHIE A. BESANCENEZ, RUE BRÉMONTIER.
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Monsient le général Cravaignac, commandant la
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des affaires arabes ; c est à vos encouragem que je
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volte suffrage.
Daignez agréer,
mon général,
CA. RICHARD ,
ÉTUDE
sur
L'INSURRECTION DU DHARA .
( 1845. - 1846 . )
AVANT - PROPOS .
entier , avec ses routes et ses oasis, dans les dimensions d'une
feuille de papier grand -aigle ; mais nous en sommes encore à
nous étonner , et nous nous étonnerons encore long-temps , de
vant certains phénomènes qui se passent dans la vie morale et
politique de ce peuple . La raison en est simple .
Qnand on veut conquérir, dans le vrai sens du mot , un pays , il
y a deux espèces de conquêtes à exécuter : celle du terrain qui
est la conquête matérielle , et celle du peuple qni est la conquête
morale . La première s'exécute par les armes , el ne dure quel
quefois que l'espace de quatre ou cinq grandes batailles , où
tout ce qu'il y a d'hommes vigoureux dans le parti qui se dé
ſend , mord la poussière ; la seconde s'exécute par les idées , et
celle-là peut durer des siècles , quand le peuple conquérant est
chrétien et le peuple conquis musulman . La première est main
tenant accomplie , et certes c'est un résultat glorieux ; c'est le
travail d'un homme : la seconde , c'est à peine si nous la com
mençons ; c'est le travail de toute une nation . Le terrain est à
nous ; nous le connaissons ; le peuple est à peine à nous , nous
ne devons qu'imparfaitement le connaître. Jusqu'ici nous ne l'a
vons guère vu qu'à la distance de la portée de son fusil; nous
l'avons admiré à cheval magnifiquement drapé dans son bur
nous , toujours beau quoique en guenilles ; nous l'avons vu se
battre souvent avec courage , et mourir toujours en héros ou en
martyr , et nous nous sommes rappelés , involontairement, ce
peuple issu d'une misérable tribu de sauvages , qui faillit écraser
sous ses premiers pas la civilisation chrétienne , et qui ne dut
qu'à la perte d'une bataille d'être déshérité du vieux patrimoine
romain . Nous ne l'avons vu , en un mot, que sous sa face poéti
que. Maintenant si , par la pensée , nous faisons le calme autour
de lui, si les balles ne sifflent plus , si la poussière et la fumée
8
encore des peuples qui ne valent pas mieux que nous à cette
époque de notre histoire . Bonnes gens qui veulent bien qu'on
fasse la guerre , mais à la condition de ne tuer personne : pro
blème magnifique au point de vue de l'humanité , mais qu'il n'est
donné à aucun général de résoudre . Une fois nos précautions
prises contre ces esprits qui , du reste , ont leur valeur utile dans
l'ensemble des intelligences humaines , et qui n'errent que parce
qu'ils abordent des questions qui leur sont étrangères , nous
pourrons entrer en matière , et c'est ce que nous allons faire.
Tout ce qui précède pourrait se réduire à ceci : Ne vous éton
nez pas si nous annonçons quelques faits un peu en dehors des
idées reçues , car nous ne dirons rien qui ne soit parfaitement
exact . Nous avouons sans peine que la chose eût pu être dite
moins longuement, mais les considérations que nous venons d'é
mettre , nous ont pourtant paru indispensables pour ouyrir la
voie à ce qui va être dit .
PREMIÈRE PARTIE .
NAISSANGE ET PROPAGATION
DE
CHAPITRE PREMIER .
BOU - WAZA ,
d'un ton d'inspiré et avec l'air que donnent une confiance et une
certitude complètes , produisirent une très- grande sensation sur
l'esprit des gens grossiers et superstitieux auxquels elles s'a
dressaient .
La prédication finie , la foule se dispersa avec un vague pres
sentiment que d'étranges évènemens allaient s'accomplir dans le
pays . Chacun secoua sa vieille foi endormie sous son indolence
kabile , et alla redire à ses voisins les paroles qui l'avaient frappé
et la scène dont il avait été témoin . La nouvelle de l'évènement
de montagne en montagne , et bientôt , sous tous les gourbis
du Dhara et les tentes de la plaine , il ne fut plus question que
de l'envoyé du prophète , le sultan Mohammed ben Abd - Alla .
Toute la poésie arabe, qui encore plus que la nôtre , se nourrit
de merveilleux et de fables , se plut à orner et à embellir tous les
récits qui circulaient sur son compte . On le disait jeune , beau et
orné d'une étoile au front ; on racontait qu'il avait fait des mi
racles , et , comme aux siècles malheureux de notre foi aveugle
et superstitieuse , on trouvait des menteurs ou des pauvres fous
qui attestaient sur le Koran en avoir été témoins. On assurait
que la poudre n'agissait pas contre lui ; on racontait , à l'appui
de cette assertion merveilleuse , qu'il s'était fait tirer un coup de
fusil à deux pas , et qu'au lieu de détonnation de feu et de balle ,
on n'avait aperçu qu'un simple filet d'eau sortir du canon et venir
expirer à ses pieds . Les uns disaient qu'il venait des Cheurfa ,
des Flittas, d'autres qu'il venait du Maroc , ceux- ci qu'il venait
du sud , ceux- là de la Mecque. Enfin , les plus rationnels pré
tendaient qu'il ne devait venir de nulle part , à moins que ce ne
fut du ciel , puisqu'il était envoyé par le prophète. Cette der
nière hypothèse étant la plus logique , quoique la plus extraor
dinaire , finit par avoir le plus de crédit , tant est forte la puis
18
La contagion gagne nos agens . · Preuve de la mission divine du chérif. - Premières hostilités.
- Meurtre de Hhadj Cadok , kaid de Médiouna. — Trahison et meurtre
de Hhadjbel-Kassem , ancien kaïd des Sebehhas.
(1 ) Sorte de grand gobelet dont les Arabes se servent pour boire, en route
surtout.
(2) Secrétaires.
(3) Trésorier.
( 4) Sorte de gendarmes familiers.
(5) Soldats .
21
mais encore les objets volés , résultat non moins important. Les
vols se multiplièrent d'une manière effrayante , et dépassèrent
les limites de l'audace . Tous ces aventuriers arabes , qui s'étaient
attachées à la fortune du chérif, se répandaient la nuit dans les
tribus voisines et même dans nos villes , et y exécutaient , avec
leur adresse accoutumée , des vols de toute espèce , qui, peu à
peu , enrichissaient la zemala ( 1 ) de leur chef.
Quand les askers et les krialas inscrits furent assez nombreux ,
et que les témoignages de sympathie et de soumission qui lui ar
rivaient de loutes parts lui parurent assez unanimes pour qu'il
put compler sur un succès dans ses premiers pas , Bou -Maza se
décida , sinon à agir , du moins à se déplacer un peu pour juger
de l'effet que le déploiement de ses forces produirait dans le
pays . Il quitta les Ouled -lounes, où il était depuis le commence
ment de ses prédications, et vint poser son camp sur l'Oued
Oukhelal , non loin de la kouba de Sidi - Aissa ben Daoud , à la li
mite de la subdivision d'Orléan ville et de celle de Mostaganem .
Il lui arriva là un de ses accidens merveilleux qui , au dire des
Arabes , ont marqué sa vie extraordinaire et ont fait croire à sa
mission divine .
Il était dans sa tente , entouré des principaux dignitaires de
son gouvernement naissant , un Kabyle , à l'aspect rude et déter
miné se présente d'un air audacieux et demande à lui parler . Le
chérif ordonne lui- même qu'on le laisse pénétrer jusqu'à lui . Cet
homme entre dans la lente , détache un pistolet de sa ceinture et
lui dit d'un ton brusque , en lui montrant le canon : « Tu te dis
envoyé de Dieu , avec la mission de vaincre les chrétiens et de
les chasser du pays ; si tu mens , il faut que ton mensonge soit
ses paroles fussent répétées , qu'il réservait à tous les kaïds , nos
serviteurs , le sort qui avait frappé Abadj- Cadok . Ainsi , ce mal
heureux kaïd de Médiouna se trouvait avoir été tué pour nous avoir
trop bien servis. Certes , si , de son vivant, on eut prédit à ce pauvre
homme que sa mort devait avoir un pareil prétexte , il n'aurait
pu se défendre d'un profond sentiment d'étonnement et d'incré
dulité. El-Hbadj-Çadok ayant été tué à cause de son grand
dévouement pour nous il était manifeste qu'aucun autre kaïd
ne pouvait espérer de trouver grâce devant le chérif. Aussi, la
nouvelle de cette mort répandit -elle une terreur glaçante dans
tous les cours de nos investis . Cette terreur était du reste bien
naturelle , et était produite par une cause sérieuse ; car la nou
velle de l'exéculion du kaïd de Médiouna attira sous les drapeaux
de la révolte une foule de mécontens qui étaient jusqu'alors
restés indécis . Ces gens , entrevoyant devant eux la perspective
de se venger des chefs qui les avaient pressurés et qui les avaient
fait souffrir , se décidèrent à aller vers un homme qui leur pro
mettait la satisfaction de leurs passions haineuses , et faisait pas
ser de leur côté toutes les chances heureuses dans la lutte jus
que - là inégale qu'ils avaient soutenue contre les petits despotes
dont ils avaient à se plaindre . De ce nombre furent Aïssa bel
Djin , Hhadj -Fegraul et quelques autres vigoureux cavaliers
des Mecheïa , fractions des Sebehha du Dhara . Ces gens-là vou
laient se venger de leur ancien kaïd , Hhadj bel Kassem , contre
lequel une vieille haine, qui prenait sa source dans les causes que
nous venons d'exposer , les animait depuis long-temps. Huit mois
avant , les Ouled -Aïn -en -Nas, subdivision des Mecheïa , s'étaient
25
sins , avec lesquels ils ont toujours été en état d'hostilité ouverte .
Quant à leur respect pour l'autorité établie , un seul fait pourra
en donner une juste idée.
1 Au temps des Turcs , un Sebehha qui réclamait une dette à un
autre était toujours renvoyé à l'époque du passage du kralifa
d'Oran , quand il allait à Alger porter son denouch (1 ) au pacha.
C'est ce moment que le débiteur choisissait pour satisfaire son
créancier . Il se glissait furtivement, pendant la nuit , au milieu
du camp turc , et volait tout simplement de quoi payer sa dette
et satisfaire aussi ses petites exigences particulières. Or, comme
les Sebehhas ont beaucoup de dettes , on comprend à quel genre
de désagrément l'autorité régnante était exposée quand elle tra
versait leur tribu ( 2 ).
La tribu des Sebehhas , en conséquence de ces divers traits ,
que nous venons d'esquisser, est la tête des tribus de la subdivi
sion ; elle est , en quelque sorte , le baromètre de l'esprit public.
Si elle est calme, les autres ne songent guère à s'agiter, mais si
elle remue , les voisines sentent une terrible démangeaison à sui
vre son exemple . D'après cela , on comprend quelle importance
Bou -Maza devait attacher à la soumission d'une pareille tribu ,
qui , malgré les pertes énormes que les dernières guerres lui ont
fait éprouver, pouvait encore mettre à sa disposition 300 vigou
reux cavaliers et au moins 2,000 fantassins.
Aussi Aïssa bel Djin et ses compagnons furent- ils reçus avec
des marques non équivoques d'une très- grande joie . On leur
promit la satisfaction de leurs haines contre Hhadj bel Kassem ; on
leur fit l'honneur d'un prêche particulier ; les fidèles qui avaient
(1 ) Mot consacré pour désigner les visites des beys au pacha , et aussi
l'impôt qu'ils lui apportaient .
(2) Voyez note 2 .
27
voir aller bien loin et de se faire bloquer par l'Oued -Ras , soit
pour aller , soit pour revenir, ainsi que cela nous était déjà ar
rivé au mois de janvier. Mais , comprenant bientôt l'importance
des évènemens qui se passaient , et dont la gravité, il faut le dire
sincèrement , ne nous avait pas paru d'abord bien démontrée, le
colonel profita de deux jours de beau temps , qui avaient dû per
mettre aux rivières de s'écouler un peu , organisa sa colonne et
se mit immédiatement en campagne .
Entrée dans le Dhara. - Mort de M. Beatrix , chef du bureau arabe de Ténez . — Attaque du camp de
Gorges à Ténez. - Comhat sur la route de Ténez. — Les environs d'Orléaaville s'insur
-
rectiondent. — Attaque d'Orléanville. L'insurrection gagne l'Ouersenis.
qu'il fallait éviter à tout prix, tant pour les malheurs dont il aurait
frappé nos colons, que par le fatal retentissement qu'il aurait eu
en France , devant la nation et aussi devant les pouvoirs de l'État .
Le pays des Beni Hidja était la grande route qui pouvait mener
l'insurrection jusqu'aus portes d'Alger ; il fallait lui intercepter
cette roule et la rejeter autant que possible dans l'ouest . Le co
lonel penetra donc chez eux avec le projet de les soumettre , et de
calmer ensuite les Beni Derdjin et les Beni Rached , qui , avec les
premiers , tiennent toute la profondeurs du Chelif à la mer . Avant
de pénétrer dans leurs montagnes et quand nous étions déja en
chemin , les nouvelles qui nous parvinrent d'Orléanville , nous
apprirent que de graves évènemens , s'étaient accomplis de ce
côté, et que ce pays que nous avions laissé si tranquille , et sur
la fidélité duquel nous comptions un peu , avait suivi l'entraîne
ment général.
Après notre départ des Ouled lounès , les opérations du général
de Bourjolly dans cette tribu et les voisines , avaient déterminé Bou
Maza à se jeter dans la vallée du Chélif. Au point où en était l'exal
tation publique , sa présence fut accueillie par des manifestations
unanimes de sympathie . Tous les Sbehhas de la rive gauche et les
riverains du fleuve, long - temps maintenus par l'énergie extraor
dinaire de leur kaïd , Si Mohhamed , se rallièrent enfin au ché
rif , et la . soumission de celte tribu entraîna définitivement
celle de toutes les autres . Les Sbchhas, ainsi que nous l'avons
déjà dit, jouent dans la plaine le même rôle qne les Beni Hidja
dans les montagnes. Ces deux tribus sont des têtes de mouvement .
Si elles sont tranquilles, il est rare que les autres s'agitent, mais
si elles proclament la guerre , à coup sûr les autres ne pourront
pas rester en paix .
Après l'adhésion des Sbehlas, l'entraînement devint en effet
51
53
Trahison générale de nos agens. — Impossibilité d'atteindre Bou Maza. — Goum de l'ordre public.
- Fuite de Bou Maza ; son krezena est enlevé par l'agha de l'Ouersenis.
Abd- el - Kader s'est long - temps servi avec succès , et qui, dans
l'état actuel de la constitution arabe , sont de terribles moyens de
résistance . Il fit la guerre aux tribus pour les forcer à la faire
contre nous. Il frappa de terreur , par d'horribles supplices , ceux
qui nous gardaient quelque fidélité dans la débâcle générale.
Tous nos kaïds, tous nos agens , devinrent autant de traîtres , qui
l'instruisaient de nos mouvemens et même de nos projets les plus
secrets . Dans toute la subdivision , il ne resta guère plus que deux
hommes auxquels nous pûmes nous fier : EI Hhadj Hhamed ,
1*agha de l'Ouersenis , et si Mohhamed , l'agha des Sbehhas ; deux
serviteurs dévoués et intelligens , qui ont payé de leur vie les
bons services qu'ils nous ont rendus ( 1 ) . Tous les Arabes qui
nous entouraient devinrent des agens du chérif ; et ce qu'il y eut
de plus déplorable, c'est que , connaissant leur trahison , il nous
fut impossible de les châtier , sous peine de faire en quelque sorte
le vide autour de nous , et d'errer à l'aventure sans guide et sans
renseignemens .
Quand le chérif eut à peu près renoncé à nous combattre direc
tement , le colonel de St-Arnaud ne songea plus qu'à le surpren
dre par des marches rapides et secrètes . Nous nous mîmes alors
à faire souvent du jour la nuit , et réciproquement. Nous pous
sâmes des pointes d'une hardiesse inouïe à travers les montagnes ,
et il arriva plus d'une fois à notre infanterie de faire vingt lieues
en vingt-quatre heures pour atteindre le chérif , qui , prévenu à
temps par ses espions de notre camp , avait fui bien loin avant
notre arrivée . La manière dont cet homme était renseigué et servi
par nos propres agens, dut nous faire renoncer à le surprendre
ainsi , à moins d'un hasard heureux .
(1 ) Voyez la note 3 .
57
Ainsi donc , après avoir essayé de tous les moyens pour attein
dre et vaincre notre ennemi , nous en fûmes réduits à frapper les
tribus , à les forcer à venir à nous et à combattre le chérif, mal
gré la terreur qu'il leur inspirait , et malgré le prestige attaché
à sa personne . Nous fûmes donc conduits à faire des grazias sur
les tribus hostiles , et à les mener à nous par la terreur , seule
(1 ) Caisse , malle.
(2) Trésor.
59
les détails de cette narration , mais cette longueur était une néces
sité . Un sujet aussi important pour nous ne pouvait pas être traité
à la légère , et il était nécessaire à la logique de ce travail que
cette grande manifestation de tout un peuple , qui retrouve tout
à-coup son ancienne énergie pour secouer le joug de la domina
tion étrangère , fût suivie pas à pas dans son essor. La longueur
d'un récit est certainement un défaut; mais n'oublions pas que ,
dans les choses de ce monde , pour transformer un défaut en qua
lité et même un vice en vertu , il suffit quelquefois de les déplacer
en les changeant de milieu .
Nous allons maintenant entrer dans l'examen des causes qui
ont pu amener cette révolte , et pénétrer aussi avant que possi
ble dans le mystère du caractère et des tendances du peuple que
nous voulons dominer.
B
DEUXIÈME PARTIE .
LA RÉVOLTE .
CHAPITRE PREMIER .
La révolte a-t-elle eu pour cause un vice radical dans notre manière de gouverner? — Exposition
de notre système de gouvernement dans la subdivision d'Orléanville. —Digression . -
Parallèle entre les systèmes de gouvernement de nos devanciers et le nôtre. — La
révolte a-t -elle été produite par les sourdes menées d'Abd -el-Kader ?
OOK
( 1 ) Habitation d'hiver.
(2) Hommes de garde.
78
toutes les contrées du pays occupées par nous, car bien qu'il ait
pu exister , d'une province à l'autre, quelques différences dans le
système gouvernemental , et il n'en est pas moins certain que
partout nous avons à peu près produit un égal bien , et que partout
où nous avons gouverné , la paix , la richesse publique , et la sa
tisfaction générale , ont entouré notre drapeau. Et il ne pouvait
pas en être autrement . La civilisation actuelle , qui n'est heureu
sement pas , le dernier état de notre société , ni la dernière forme
du progrés humain , porte néammoins en elle certains bienfaits,
qui doivent presque instantanément frapper des peuples aussi
imparfaitement organisés que le peuple arabe et encore em
bourbés dans la fange de la barbarie .
Les deux colonnes qui doivent soutenir l'ordre social le plus
élevé auquel nous puissions prétendre , sont la paix et la justice
dans le sens le plus large de ces deux mots . Dans la civilisation
actuelle , nous avons bien ces deux colonnes , mais elle n'ont pas
la solidité convenable , et sont encore dans un état imparfait. Nous
avons bien la paix , mais d'une manière périodique et alternant
avec la guerre ; nous avons bien la justice , mais il faut le recon
naître , nous en avons la forme plus que la réalité ; nous avons la
loi et les magistrats qui l'appliquent, c'est beaucoup, mais ce
n'est pas suffisant. Malgré cela , notre paix et notre justice , pour
le peuple auquel nous avons affaire, doivent paraitre des bienfaits
inappréciables, quelle que soit la manière de les lui communi
quer .
Avant notre conquête, et surtout après notre entrée à Alger,
ce malheureux pays était livré à des tourmentes et des désordres
dont il est difficile de se faire une juste idée . Les tribus se ruaient
les unes contre les autres , et s'exténuaient dans des luttes inces
santes. Le sang appelait le sang , tout tourbillonnait et roulait
79
« A notre bien aimé le plus cher de ceux qui sont devant nous,
» le glorieux , le vertueux , le juste , El- Hhadj- Mammar - Bel
» Kobzili , que Dieu te garde et le salut soit sur toi , ainsi que la
» miséricorde et la bénédiction de Dieu . Après m'être informé
► de toi et de l'état dans lequel est ta famille , je prie
» Dieu qu'il lui accorde tout ce que tu peux désirer ; je te dirai
>> de prendre patience et de redoubler de vigilance , car le ser
> vice de Dieu est difficile , mais sa récompense est grande.
» Il nous est parvenu qu'il y a dans ton pays , un homme
» qui proclame la guerre sainte et prétend au commandement
» à ton préjudice ; nous n'avons pas de nouvelle certaine à son
» égard . Il faut que tu examines quel est son état , et que tu
» m'informes exactement de ses projets et de la marche qu'il
» suit , ainsi que de sa manière d'être avec le peuple ; car elul
» qui suit la vérité ne se cache à personne . Nous nous sommes
rivaux presque autant que contre nous , s'émeut à l'idée d'un hom
me qui proclame la guerre sainte . Il charge Bel-Kobzili de voir
ce que c'est , et de lui donner des nouvelles certaines, à ce sujet,
le plus promptement possible . Cette dernière recommandation
prouve qu'il est dominé par l'inquiétude que lui cause le nouveau
propagateur de la foi musulmane. Il veut connaître ses projets,
savoir surtout s'il voudra bien le reconnaître pour sultan , ou si ,
au contraire , il se dispose à lutter contre lui , le cas échéant . Il
est donc bien manifeste qu'il n'est pas le moteur de cette grande
agitation qui secoua le pays . Mais avec son habileté ordinaire , il
a su en tirer parti , et l'escamoter en quelque sorte au profit de
sa puissance et de son prestige .
Quand l'insurrection a été bien vivace , sur beaucoup de
points , ses émissaires , dans notre subdivision , Ben Zitouni ,
Ben Seïhba , Djilali Bel Chergui , Bel Kobzili , lui ont écrit pour lui
apprendre le véritable état des choses , et l'engager à venir au
plus vite ; et c'est alors qu'il s'est décidé à recommencer une
lutte qui , dans ses projets, ne devait pas être sitôt renouvelée .
Cette fois, comme en 1839 , c'est encore le sentiment national
qui l'a débordé et forcé à agir avant l'heure qu'il avait marquée
dans son esprit; et cette précipitation , vraiment providentielle
pour notre domination , pour la deuxième fois nous a facilité la
victoire .
La révolte n'étant le produit, ni de notre vice en matière de
gouvernement, ni des menées secrètes d’Abd - el -Kader, elle ne
peut donc être que le résultat d'une tendance fatale du peuple
arabe , qui le condamne à la guerre sainte et au désordre d'une
manière périodique. C'est cette vérité malheureuse que nous
allons maintenant essayer de démontrer .
CHAPITRE II .
résulte que la religion est chez les Arabes la science morale uni
verselle. Un taleb (1 ) , un savant , est un homme à consulter pour
( 1) Savant , lettré,
87
( 1 ) Gouvernement.
88
( 1 ) Talismans.
89
rivée d'un envoyé du ciel , désigné par eux sous le nom de Moule
Saâ , qui doit renverser tout ce qui existe , jeter l'humanité dans
d'horribles bouleversemens , et établir, pendant quelque temps
seulement , une certaine félicité publique, comme compensation
à tous les désastres qu'il aura produits, à tous les flots de sang
qu'il aura fait répandre . Cette idée effrayante de l'avenir est ap
puyée sur des prophéties incontestables, et tout Arabe , quel que
soit le degré de ses lumières, y croit aussi sincèrement que le
plus fervent catholique peut croire à tel point essentiel de son
dogme , à la Trinité , par exemple .
Ces prophéties sont de deux sortes : les unes sont écrites, et ne
sont généralement connues que des savans ; les autres sont sim
plement transmises par la tradition , et quoique souvent d'ori
gine très-incertaine , sont bien plus répandues et ont bien plus de
crédit que les premières .
Sidi- el -Boukrari est le premier des écrivains' sacrés qui an
nonce en termes généraux , mais pourtant suffisamment clairs ,
l'arrivée d'un homme extraordinaire qui changera tout ce qui
existe . Voici cette prédiction telle que la donnent les tolbas .
أسم أبى واسم أمه على اسم أتى يشبهني في الخلف لابی
.On le voit, celle -ci est beaucoup plus claire. L'envoyé du ciel
doit venir dans la soixante- dixième année du treizième siècle de
l'hégire, qui est celui que comptent maintenant les musulmans..
Nous sommes dans la 62° année de ce siècle ; c'est donc dans huit
ans , c'est - à - dire en 1854 , suivant l'ère chrétienne , que cet ins
trument de Dieu accomplira sa terrible mission ( 1 ) . Ben - el- Benna
ajoute quelques détails sur la personne même de Moule Sâa . il
sera jeune, beau de figure ; il aura des petites lèvres fines, un nez
un peu retroussé et un signe particulier au front, à peu près
comme unelentille . Il sera , en outre , très instruit et très-versé dans
Favor
taat
Mijn pons
98
longue , car on peut dire que chaque localité a son prophète. Cha
que Kouba ( 1) que l'on voit blanchir à l'horizon , renferme pres
que toujours les cendres d'un saint homme, dont les paroles, re
cueillies par la tradition , sont considérées, dans le pays , comme
des oracles, comme autant d'indications pour ce qui doit s'ac
complir dans l'avenir . Tous les peuples dans un état imparfait, se
sont toujours occupés de l'avenir autant que du passé . De là les
sibylles , les augures de l'antiquité et autres manifestations de l'in
quiétude de l'esprit humain . Toutes ces infirmités que subit l'in
telligence humaine dans son développement , sont choses fort na
turelles , et subsisteront dans chaque société , tant que la raison
de l'homme ne sera pas arrivée à un point tel , que tout en lui dé
couvrant l'ensemble général de ses destinées véritables, elle puisse
leconvaincre , d'une manière certaine, que la connaissance des faits
individuels lui est définitivement interdite et ne peut- être que le
secret de Dieu .
Digression sur les religions et les prophéties en général. — Sens résumé des diverses prophéties
citées. — Caractère qu'elles impriment au peuple. - Connues et admises par les
Arabes de toutes les conditions. — Parallèle entre Abd-el-Kader et le
Moule-Saâ, — Croyance de l'émir dans le Moule-Saà
dire qu'ils les tenaient de gens dignes de foi, ayant eux -mêmes
joui du privilège précieux d'assister à ces manifestations de la
mission divine du chérif ; mais toutes nos recherches n'ont pu
nous faire rencontrer un seul de ces êtres privilégiés .
Toutes ces assertions merveilleuses peuvent pourtant s'expli
quer d'une certaine manière . Il se passe dans ces maladies de
l'intelligence humaine, quelque chose d'analogue à ce qui se re
marque dans certaines maladies des yeux . Quand les yeux sont
malades , ou privés pour un moment de la lumière , il leur semble
voir, suivant l'impression du moment, des formes étranges et
inattendues ; de même dans l'enfance des peuples , l'intelli
gence de l'homme, vivant comme au milieu des ténèbres, per
çoit à chaque instant des idées et des faits en dehors des lois com
munes . Mais ce qu'il y a de plus extraordinaire et de plus inex
plicable , c'est le merveilleux de ces prophéties qui , au milieu du
vague et de l'ambigu , qui est le propre de ces sortes d'indications
dans nos livres sacrés , comme dans les autres, contiennent pour
lant des vérités incontestables . Sans doute , on pourra dire qu'elles
sont faites après coup , quoique , pour quelques -unes, la chose ne
soit pas admissible , mais , dans tous les cas , il y aura encore à ex .
pliquer comment l'antiquité toute entière, avec sa civilisation , ses
philosophes avancés , présente des phénomènes aussi étranges .
Comment expliquer le livre mystérieux de la Sybille de Cumes ,
déposé au Capitole , qui contenait les destinées de la république,
et que le grave sénat de Rome faisait consulter dans les cas dif
ficiles pour éclairer ses décisions ? Que dire aussi du philosophe
Senèque , qui n'était rien moins qu’un inspiré du ciel , et qui pour
tant , dans sa tragédie de Médée , prédit avec la clarté du prophète
Daniel la découverte de l'Amérique ? Est-ce le résultat d'un pur
hasard , où bien Dieu permet - il , en effet, à quelques hommes ex
7
102
Arabes , quel que soit leur genre d'instruction , ont donc sus
pendu sur la tête comme une autre épée de Damoclès , la me
nace de l'arrivée d'un être extraordinaire qui bouleversera leur
état, leur fortune, et jusqu'au gouvernement existant. C'est là
la croyance capitale. Cette croyance , ainsi qu'il est facile de le
conclure, ôte à l'Arabe toute confiance dans la durée de la con
dition dans laquelle il vit, et le jette dans une incertitude inces
sante sur son avenir .
D'autres prophéties donnent des détails plus circonstanciés
sur la venue de celui que le peuple désigne sous le nom de Moule
Sâa . Ainsi , celles de Ben el Benna et de Sidi Aïssa el Grouati indi
quent, à elles deux , l'époque de son arrivée, le signalement du
personnage, les divers actes qu'il doit accomplir , mais elles ne
s'accordent pas sur le détail des évènemens. Aussi , tel qui admet
les paroles de Sidi-el Benna , peut rejeter celle de Sidi-Aïssa . Il
en est de même des autres que nous avons citées et de celles qui
circulent parmi les masses et que nous n'avons pas reproduites.
Mais ces contradictions et ces opinions contraires qui circulent
sur le Moule-Såa , ne font qu'ajouter encore à l'incertitude de
l'avenir et faire redouter davantage les bouleversemens prédits .
Ainsi , celui qui croit aux paroles de Ben el Benna n'est , en défi
nitive , pas bien sûr de n'être pas dans l'erreur, et pense quel
quefois que Sidi el Akredar, ou toute autre prophète , pourrait
bien avoir raison sur le premier. De cette manière, un Arabe
quelconque, quelle que soit du reste sa conviction à ce sujet,
doit , à la première nouvelle qu'il reçoit de l'arrivée du Moule
Såa , frémir de tout son corps et l'admettre comme vraie ; car le
fait de l'avènement est évidemment plus fort que ses opinions par
ticulières . En admettant même que , dans sa pensée , le Moule -Sâa
dût venir dans un autre temps , il pense alors qu'il s'est trompé ,
1
104
Il y a bien aussi une autre idée qui les soutient; c'est qu'il peut
fort bien se faire que le Moule Sâa , ne vienne pas de leur temps,
et les incertitudes qui règnent sur l'heure de sa venue , leur per
mettent cette espérance. Hhadj Hhamed , l'agha de l'Ouersenis et
Si Mohhamed l’agha des Sebebhas, les deux seuls serviteurs vrai
ment dévoués que nous eussions dans la subdivision , et qui, pour
cette raison, ont été assassinés, répondaient franchement ainsi
quand on leur posait la question : si le Moule Sâa vient avant no
tre mort , eh bien ! nous partirons avec vous quand vous quitte
rez le pays .
De tout ceci résulte une conséquence fort grave; c'est que nous
ne pouvons avoir des Arabes dévoués qui nous servent avec zèle ,
et qui soient incapables de nous trahir, que parmi ceux qui sont
disposés à nous suivre , quand les temps seront venus , où nous
devons être chassés de l'Afrique et retourner chez nous . Il ne faut
pas s'étonner d'après cela , si le nombre de ces serviteurs fidèles
est si restreint. En prenant pour base ce que nous connaissons
dans la subdivision d'Orléansville, ce nombre n'atteint certaine
ment pas le chiffre de trente pour toute l'Algérie , et encore ,
pourquoi ne pas le dire franchement ? ne donnons nous un chiffre
si élevé que pour ne pas choquer trop violemment l'opinion pu
blique, et pour éviter le reproche d'exagération qui nous serait
très -sensible .
Mais on dira peut- être qu'il doit y avoir chez le peuple arabe ,
comme chez tous les peuples du monde , des hommes d'une in
telligence supérieure, qui devançant leur génération dans sa mar
che vers l'avenir , doivent se rire de ces croyances populaires,
107
Notre conquête est annoncée par les prophéties. — Paroles de Sidi el Akredar. — Idées des Arabes
sur leur avenir. — Origine et aliment du mépris de l'Arabe pour le Chrétien .
– Fausseté de ses relations avec nous. — Un trait de son caractère.
savoir les détails des opérations que nous devons faire dans le
pays ( 1 ) .
Le plus remarquable des écrivains sacrés qui parlent de nous ,
est sans contredit Sidi el Akredar : Ce qu'il dit est vraiment cu
rieux et mérite d'être cité . Nous élaguerons , bien entendu , dans
celle citation , tout le nuageux ordinaire aux prophètes , pour ne
rapporter que les versets les plus clairs et qui parlent de nous
d'une manière certaine . Sidi el Akredar , n'a rien à envier , pour
le lugubre et le ténébreux , au chantre des malheurs de Sion , et
ce qu'il dit des calamités qui doivent fondre sur le peuple arabe,
peut dignement figurer à côté des lamentations de Jérémie . Le
lecteur nous saura sans doute gré de lui faire grâce des passages
obscurs et lugubres , pour ne lui présenter que ceux qui méritent
de fixer notre attention par leur clarté et le rapport qu'ils ont
avec notre domination .
Voici ces passages tels que les talebs nous les ont donnés :
« Leur arrivée est certaine dans le premier du 90° و, car par la puis
» sance de Dieu je suis instruit de l'affaire . Les troupes des Chré
» tiens viendront de toutes parts ; les montagnes et les villes se ré
» tréciront pour nous . Ils viendront avec des armées de toutes parts ;
» fantassins et cavaliers , ils traverseront la mer .
» Ils descendront sur la plage avec des troupes semblables å un
» incendie violent , وå une étincelle volante .
» Les troupes des Chrétiens viendront du côté de leur pays ; cer
» tes , وce sera un royaume puissant qui les enverra..
» En vérité , tout le pays de France viendra . Tu n'auras pas de
» repos et la cause ne sera pas victorieuse . Ils arriveront tous comme
un torrent pendant une nuit obscure , comme un nuage de sable
» poussé par les vents .
» Ils entreront par sa muraille orientale .
119
:
CHAPITRE V.
Des confréries religieuses. - Exemple de quelques influences religieuses. - Hostilités entre l'ordre
des Moulé Tažéb et celui des Moulé Abd -el -Kader. — El Hhadjel Arbi , chef des Moulé
Taréb . — Un mot sur le Maroc . Un mot sur Shhara et la Kabilie .
saient de diriger eux mêmes les sociétés dans leurs marches vers:
l'avenir. Il n'est pas extraordinaire que les gens qui croient re
présenter Dieu , désirent dominer partout, et à notre sens , Gré
goire VII , sans compter son génie , avait sur ses prédécesseurs
l'avantage d'être beaucoup plus logique qu'eux tous . Malheureu
sement , les personnes et les institutions qui ont la prétention de
représenter la divinité , en arrivent à se mettre si bien à sa place ,
dans les choses de ce monde , que l'opinion publique , qui recou
nait la supercherie, finit par les écraser ou les repousser suivant
la résistance qu'elles opposent . C'est donc une tendance géné
rale , inhérente à la nature humaine , et les confréries arabes,
malgré leur apparente humilité et leurs protestations à ce sujet,
se mêlent au contraire aux affaires de cette terre avec beaucoup
d'ardeur . Du reste , comme la lutte contre les chrétiens est une af
faire essentiellement religieuse , on ne peut guère , en bonne
justice , leur reprocher d'y prendre une part active .
Les membres des confréries religieuses ont des relations in
times avec les zaouïas (1 ) de marabouts , bien qu'ils diffèrent
de beaucoup de ceux - ci. Les marabouts , quoique de race sainte ,
peuvent néanmoins aller à la guerre , commander des hommes
armés , porter eux-mêmes des armes , comme notre kralifa Sidi
el Aribi , par exemple , tandis que les krouans d'une confrérie ne
doivent jamais aller au combat , et ne peuvent porter des armes
que par exception , et quand ils craignent pour leur vie . Il n'ont,
du reste , jamais besoin de se défendre ; respectés par tout
le monde , ils peuvent, sans crainte , visiter deux camps ennemis .
Leur faire du mal est un sacrilège qui attire aussitôt sur la tête
du coupable la vengeance du ciel . Il perd un oeil , il devient
côté que de tout autre , mais nous sommes loin de penser que les
montagnards nous laisseront toujours tranquilles. On a dit que les
Kabiles ne faisaient pas invasion dans la plaine ; il est vrai que
l'histoire en offre peu d'exemples, mais ce qu'ils n'ont pas fait
sous les Turcs , ils peuvent bien le faire sous notre domination .
Il faut s'attendre encore de ce côté à quelque chérif montagnard ,
qui viendra aussi faire la guerre aux chrétiens , et satisfaire en
même temps à la haine des Kabiles pour les Arabes . Cette inva
sion est sans contredit la moins à craindre, car l'ennemi à pied
qui nous attendra une fois dans une plaine , ne nous y attendra
certainement pas une seconde fois.
Nous avons montré des dangers pour l'avenir dans l'ouest , le
sud et le nord , heureusement qu'en portant nos regards vers
l'est , nous pouvons dire que nous n'apercevons aucun nuage in
quiétant . Nous avons là , de Tunis à Constantinople, une série de
princes fort débonnaires, qui , en face des progrès de la chrétienté ,
ont l'air tout honteux d'être encore musulmans . Ils envoient les
fils des grandes familles de leurs états étudier à Paris ; il n'y a
plus à nous inquiéter de leurs projets d'avenir et des tendances
de leurs peuples . Ils ont mis le pied dans la voie du progrès, ils
vont marcher tout seuls . Leur religion les gêne encore bien un
peu , mais elle subira chez eux le sort de toutes celles qui ont trop
comprimé le génie humain ; un Luther musulman n'est pas une
chose impossible .
1
CHAPITRE VI .
Du gouvernement des grands chefs indigènes. — Les deux faces des grands chefs indigènes. —
Mécanisme de leur influence et de leur pouvoir , — Discrédit qui les atteint quand ils
passent dans nos rangs. Considérations générales. — Manière
personnelle de juger la question d'Afrique.
(1 ) Voyez la note nº 5 .
146
par hasard , sans besogne , elle n'a qu'à faire arrêter le premier
Arabe qui entre par une des portes de la ville , et lui faire son
procès. Nous lui certifions que le plus novice des substituts , s'il
veut bien s'éclairer des renseignemens du bureau arabe , pourra
le faire condamner à la peine capitale , séance tenante , et cela
quelle que soit l'éloquence de son défenseur.
Le peuple arabe , on ne saurait trop le redire , est un peuple
dans un état de dégradation morale et physique qui dépasse tou
tes nos idées de civilisés . Le vol et le meurtre dans l'ordre mo .
ral , la syphilis et la teigne dans l'ordre matériel , sont les larges
plaies qui le rongent jusqu'à le rendre méconnaissable dans la
grande famille humaine. Il est impossible que ses chefs et ses
grands ne participent pas un peu de cette dégradation , quelle
que soit la richesse des vêtemens qui les recouvrent et la beauté
des chevaux qui les portent. C'est une vérité qu'il ne faut jamais
perdre de vue , afin de nous garder des illusions qui , en matière
de gouvernement et de conquêtes , ne font ni le bonheur, ni la
réussite .
( 1 ) Voyez la note n° 6 .
148
si vous avez un autre moyen d'agir avec eux sans risquer vos tê
les , faites-moi le plaisir de me l'indiquer, et je le suivrai immé
diatement . Si vous ne tenez pas à vos têtes et que vous préfériez
mourir pour la grande gloire de la religion , jurez-moi de me sui
vre , et je vous conduirai à l'attaque de la première colonne fran
çaise que nous rencontrerons, et qui , certainement , nous 'exter
minera tous. Cette proposition ainsi dite , avec quelque esprit,
réduisait au silence les plus fanatiques, et leur faisait compren
dre un moment tout ce qu'il y avait d'absurde dans leur hostilité
149
pense que le ciel sera assez généreux pour lui faire rencontrer
quelque pauvre diable , qui aura assez l'air d'avoir fait une mau
vaise action , pour qu'il puisse lui enlever son burnous et sa
bourse sans craindre une trop grande volée de coups de bâton .
Quand nous envoyons un kralifa parcourir les tribus pour pré
lever un impôt , le même phénomène se présente, mais dans un
ordre beaucoup plus élevé . Le kraliſa profite de la force que lui
donne la réunion de son goum et de ses gens , pour punir les ré
calcitrans qui , dans le courant de l'année , ont désobéi aux sim
ples injonctions des mekrazenis . Il se fait donner une diffa dans
chaque tribu , et la traite fort durement quand cette diffa n'atteint
pas le chiffre qui lui convient . Il se fait payer fort cher l'aran (1 )
des gens qui ont été directement compromis envers nous par
une trahison ou par tout autre crime ; il prend ensuite le plus
qu'il peut de l'impôt , et verse ce qui reste à l'Etat . Il réunit ainsi
des sommes considérables , et dont nous ne pouvons guère nous
faire une idée . Si Mohhamed , qui est un des chefs indigènes les
plus généreux que nous ayons connus , et qui , à notre connais
sance , n'écorchait pas trop ses administrés , a laissé à son en
fant , après six mois seulement d'exercice , une valeur de
30,000 francs au moins. Ainsi , cet agha aurait pu mettre , chaque
année de côté, s'il avait vécu , une somme de 60,000 francs , en
dehors des dépenses de sa tente et de son aghalik , qui , pourtant,
est un des plus petits qui existent.
Un crime , qui nous paraît toujours un évènement déplorable ,
est , au contraire , pour le chef indigène , une source de joie ,
parce qu'il lui offre tout à coup un bénéfice à réaliser. Nous
avons entendu Djilali ben Seïhha, nous dire fort crûment , que la
beaucoup trop loin ; mais nous croyons pourtant utile d'en citer
un , à l'appui de ce que nous venons de dire , sur la préoccupa
tion qui domine un grand chef indigène , quand il prélève un
impôt .
Tout au commencement de l'occupation d'Orléanville , le gé
néral Cavaignac envoya le chef du bureau arabe , avec un ba
taillon et un goum d'une cinquantaine de chevaux , pour faire
rentrer une certaine quantité de paille dont notre cavalerie avait
grand besoin . Le goum était commandé par Si Kaddour , nou
vellement investi kralifa de l'agha . Ce Si Kaddonr était un per
sonnage fort lourd et fort gros , mais qui ne manquait pas d'une
certaine gravité et d'une certaine dignité dans les manières. Le
chef du bureau arabe , encore novice en matière arabe , crut
pouvoir compter sur l'aide de ce haut fonctionnaire, pour lui fa
ciliter l'accomplissement de sa mission . Le kralifa répondit le
plus gracieusement du monde , que l'affaire de la paille ne souf
frait pas la moindre difficulté, et qu'il se chargeait d'en inonder
Orléanville . Pendant quelques jours, au bivouac , sa tente ne
désemplissant pas d'Arabes , avec lesquels il avait l'air de débat
tre des choses fort sérieuses , le chef du bureau arabe dût se fé
liciter d'avoir ainsi confié la négociation de l'affaire à un homme
qui s'en occupait de si bon coeur. Dans cette conviction , il dor
mait tranquille et s'attendait à voir arriver , d'un moment à l'au
- 152
tre , une légion de mulets pour enlever d'un coup toute la paille
du pays . Mais quel ne fut pas son étonnement , quand , après
quelques jours d'illusion , il acquit la triste certitude que le kra
lifa s'occupait de tout autre chose que de la paille , et passait son
temps à régler la diffa qui Jui était due pour son investiture. On
comprend qu'il dut renoncer à le considérer comme un auxiliaire
utile , et qu'il dut se mettre au plus vite à faire ses affaires tout
seul , Si Kaddour ne fut pas le moins du monde outragé de n'a
voir plus à s'occuper d'une opération aussi secondaire , il conti
nua dans son coin ses petites manoeuvres , et parvint , à l'aide de
la peur qu'il sut inspirer en montrant nos soldats , à réaliser,
pendant notre tournée , une somme fort satisfaisante.
Dans des momens de trouble , comme ceux que nous avons
traversés , nos chefs arabes trouvent des occasions sans nombre
de gagner de fort grosses sommes . Non- seulement ils pillent avec
une rapacité sans égale , les propriétés de ceux qui sont avec
l'ennemi , ce qui n'est pas un très-grand mal , mais encore , ce
qui est fort grave , ils se font payer des sommes considérables
par ceux qui , repentans de leurs premières hostilités , veulent
retourner à nous et demandent notre pardon .
Le chef du bureau arabe envoie une lettre d'aman à un homme
important du parti de la révolte qui implore notre indulgence ; il
est fort étonné de ne plus entendre parler , ni de la lettre , ni du
personnage qui l'a demandée . Cela tient le plus souvent à ce que
le kaïd de ce dernier , prévoyant qu'une démarche directe envers
l'autorité française , lui enlève toute chance de bénéfice , lui fait
dire , en secret , que l'aman accordé n'est qu'un piège, et le re
pousse ainsi jusqu'à ce qu'il ait consenti à passer par ses toiles
d'araignée.
Mais nous avons premis de ne pas étaler tous les moyens
153
soit d'abord praticable. Sans doute on peut entrevoir dans un avenir très
éloigné , que nous parviendrons à gouverner directement la population in
digène sans le sccours d'aucun intermédiaire , mais nous ne pensons pas
qu'il soit jamais venu à l'esprit de personne, que nous puissions , dès à -pré
sent adopter un pareil mode de gouvernement. On trouvera plus loin la
confirmation de cette idée .
156
ceptions près que nous avons signalées, pour lui dire qu'ils étaient
repentans de nous avoir servi, et qu'ils demandaient à expier
leurs fautes en combattant pour la religion qu'ils avaient trahie.
Leurs démarches complétèrent l'unanimité des manifestations
qui éclataient partout pour l'envoyé du ciel , et donnèrent à ce
lui-ci une puissance immense . Dans toutes les lettres qu'on lui
écrivait, on lui disait qu'il n'avait qu'à se présenter , que tous
iraient à ses drapeaux. On ne lui demandait que d'assister de
loin au combat , persuadé que sa présence seule donnerait la
victoire aux fidèles . Il ne faut donc pas s'étonner que cet
homme ait obtenu de si rapides succès : la trahison et la con:
fiance publiques lui servaient de pavois (1 ) .
Dans cette débâcle générale de nos agens , il у avait pourtant
(1) C'est ce qui explique pourquoi Abd - el -Kader et Bou-Maza sont restés
quelquefois simples spectateurs dans les combats que nous avons eu à sou
tenir contre les tribus révoltées . Leur inaction était le plus souvent une
condition de leur arrivée et de la bénédiction divine qui les suit partout.
Elle avait pour eux le double avantage, de compromettre encore plus leurs
partisans, et de ménager le noyau d'hommes d'élite et de réguliers qui
suivaient toujours leurs drapeaux.
(2) On comprendra sans doute la réserve qui nous fait taire les noms de
ces grands chefs. Puisque nous avons besoin de ces hommes et que leurs
services nous sont encore indispensables , il faut nous garder de toute ma
nifestation qui pourrait leur faire admettre que nous doutons d'eux . C'est
ainsi qu'il faut agir avec les Arabes; il ne faut jamais être les dupes de leur
diplomatie machiavélique , mais il faut toujours avoir l'air de leur accorder
la confiance la plus absolue, jusqu'au moment où on les fait garotter par un
mekrazeni.
158
ils ont écrit au chérif et lui ont envoyé leurs ziaras . Leurs cachets
montrés à la foule ont produit une très grande sensation , ont don
né une confiance immense aux premiers soldats de la révolte ,
et en ont augmenté le nombre. Mais, comment se fait - il, que ces
hommes qui ont d'abord montré de la sympathie pour Bou-Maza ,
l'ont ensuite combattu ? Cette contradiction apparente s'explique
facilement.
Dans l'incertitude de ce qui allait se passer , et dans la crainte
que le chef de l'insurrection ne fut réellement le Moulé Saâ pré
dit , ils ont essayé de se le rendre favorable , et d'établir avec lui
un pacte secret qui les mit à l'abri de ses coups . Mais quand le
chef de l'insurrection , sans tenir compte de l'engagement tacite
qui les liait à eux , est venu sur leur territoire et a manifesté pu
bliquement l'intention de leur trancher la tête , ils ont fait natu
rellement ce que tout homme , qui ne veut pas se laisser tuer
comme un mouton , fait alors ; ils se sont battus contre le chérif
pour défendre leurs existences , leurs fortunes et leurs familles,
mais à coup sûr ils n'ont pas brûlé une amorce à notre intention .
Du reste , leur défense n'a pu durer long- temps ; trahis bientôt
par leurs cavaliers , qui croyaient commettre une impiété en
combattant Bou-Maza , ils ont été forcés d'abandonner leur pays
à la dévastation , et de se sauver , eux et leurs familles, sous la
protection de nos canons ou dans des asiles sacrés .
Quant aux aghas des Flittas Hhadj-Djefoul, Ould -el -Mecheri, à
celui des Akerma Kaddour ben Sifi et tant d'autres dont il est inu
leur avions donnés ; nous n'en parlerons pas : il n'est pas besoin
de démontrer que ceux-là nous ont trahis . Nous avons voulu seu
lement parler de ceux qui nous sont restés fidèles , afin de mon
159
(1 ) On dira peut- être que le triomphe éclatant de notre cause , dont ils
auront été témoins, leur donnant une haute idée de notre force , les rassu
rera complètement sur l'avenir, mais pour peu qu'on réfléchisse, on verra
qu'il n'en sera pas ainsi; car en admettant même qu'ils soient bien convain
cus que la victoire nous restera toujours dans ces luttes , on ne leur ôtera
160
Nous avons long -temps cru que les hommes influens dans le
parti qui nous combat , pourraient , en venant à nous , entraîner
avec eux leur influence et la faire servir à notre avantage. Dans
cette croyance nous avons employé deshommes que nous savions
être franchement hostiles à notre cause , pensant que la confiance
que nous leur accorderions , et les bienfaits dont nous les com
blerions , finiraient par nous les attacher. sérieusement et les
transformer en auxiliaires puissans . Il était très sage en effet
d'essayer de ce moyen . Nous avons dans ce but rendu à Ben -Zi
touni , Djilali-ben -Seïhha et Bel Kobzili le commandement qu'ils
exerçaient sous Abd - el - Kader . Ces trois hommes se sont pré
sentés à l'instant où la révolte semblait se calmer et l'on pouvait
penser qu'en partant de cette circonstance favorable , ils pour
raient reconquérir leur ancienne influence et ramener la paix
dans leurs tribus ; c'est le contraire qui a eu lieu . Ces trois hom
mes qui avaient joui d'un pouvoir immense , quand ils luttaient
contre nous , ne trouvèrent partout que mépris et résistance
quand ils se présentèrent avec notre livrée et qu'ils voulurent
exercer leur autorité en notre nom . Leur présence sembla rania
mer l'agitation qui prenait haleine un instant, et eux -mêmes,
voués à la haine publique , furent obligés, pour sauver leur tête ,
de se réfugier sous les fossés d'Orléanville . Bientôt abreuvés de
dégoûts et rongés par le remords , ils songèrent à nous trabir pour
se laver de l'impiété qu'ils venaient de commettre en venant dans
nos rangs . Djilali ben Seïbha passa à l'ennemi un certain jour où
il nous avait prodigué les protestations de fidélité , et juré un dé
vouement éternel ; Ben Zitouni fut arrêté au moment où il allait
pas la pensée que notre triomphe , quelque prompt qu'il soit, ne pourra
jamais sauver les hommes qui nous seront franchement dévoués , attendu
que les premiers coups seront infailliblement pour eux .
161 -
L В
TROISIÈME PARTIE .
UN MOT D'ORGANISATION .
CHAPITRE PREMIER .
L'organisation du pays ne peut être que l'@ uvre du temps. — Nécessité d'un gouvernement
militaire unique.— Troupes de réserve dans le midi pour parer aux catastrophes. —
Colonies organisées militairement. Tendre à supprimer les grands
chefs. — Déplacer les hommes influens.
Nous allons terminer en disant un mot sur les idées qui nous
paraissent devoir servir de base à l'organisation du pays . Nous ne
pouvons avoir la prétention de donner, en quelques pages , un
aperçu bien complet de cet important sujet. Quel est celui , du
reste , qui pourrait se vanter de savoir tout ce qui convient au
gouvernement de l'Afrique ? Depuis seize ans que nous y sommes ,
nous apprenons chaque année des choses nouvelles, et il est
174
probable qu'il en sera long - temps ainsi . Une mesure qui est ex
cellente en 1846 , ne vaudra peut- être plus rien en 1847. Un
homme qui reste un an loin du pays , est déjà fort en retard sur
tont ce qui s'y passe , et commence à professer de très - graves
erreurs à son endroit. Comment en serait- il autrement ? Rien dans
nos études ne nous a appris la grande affaire de la conquête et
du gouvernement d'un peuple musulman par un peuple chrétien .
Nos études historiques et philosophiques n'ont jamais entamé cet
important sujet que d'une manière imparfaite . Nous assistons ici
à un spectacle aussi neuf qu'étrange ; ne nous étonnons pas qu'il
nous produise des sensations et nous révèle des idées qui nous
étaient inconnues . Soyons humbles comme les esprits forts le
sont ; ne sachant rien d'une chose, mettons-nous à l'apprendre , et
surtout gardons-nous bien d'agir comme si nous la connaissions ,
car notre sotte prétention pourrait nous coûter cher .
Personne donc ne peut dire d'une manière absolue ce qu'il con
vient de faire ici , parce que ce qu'il convient de faire, dépendant
du temps et des circonstances, et de bien d'autres élémens ex
trêmement variables, il est impossible de donner à priori une
formule qui comprenne l'avenir . Tout ce qu'on peut demander à
un homme qui a vu les choses de près, et qui a bien pu étudier
la question , c'est de donner les bases qui doivent servir de point
d'appui . On peut bien indiquer par où il faut commencer, mais
nul ne peut dire comment il faut finir .
Nous croyons avoir montré d'une manière assez claire , que la
guerre est en Afrique toujours imminente . Au moment où nous nous
y attendons le moins , au sein de la paix la plus profonde, la cons
piration permanente qui se trame dans l'ombre contre nous, peut
éclater tout-à -coup , et remettre tout en question si nous ne
sommes sur nos gardes. La conséquence immédiate à déduire de
175
Nous avons montré que tous les Arabes nous trompent et nous
trahissent, à part quelques rares exceptions dont on ne peut guère
tenir compte . Nous avons fait voir que tous nos agens indigènes
constituaient un épais rideau qui nous cachait complètement au
peuple , et nous empêchait de communiquer avec lui , de connaî
tre ses croyances , ses tendances et même le degré de haine qu'il
a pour nous . Nous avons expliqué la politique de ces agens , qui
consiste à nous faire de bonnes manières , dire du mal de nous à
leurs administrés afin d'affecter des airs de pureté musulmane,
et à rejeter sur nous tout l'odieux de leurs exactions et de leurs
iniquités. Il faut conclure que nous devons tendre graduellement
à nous passer de ces serviteurs dangereux et à nous mettre à leurs
places . Les premiers à élaguer sont évidemment les kralifas qui
nous coûtent des sommes énormes et nous gênent plus que les
autres . Nous devons autant que possible ne conserver ces hauts
fonctionnaires que sur nos frontières, c'est- à- dire dans les pays
où il nous est impossible d'avoir d'action , et où par conséquent
un grand vassal qui nous paie un maigre impôt , et retient assez
les tribus de son commandement pour qu'elles n'attaquent pas
nos colonnes quand elle traversent leur territoire, fait suffisam
ment notre affaire. Nous ne voulons pas dire que l'on peut dès
à présent se passer partout de ces hauts fonctionnaires, même
doit trouver ici une terre généreuse, disposée à récompenser largement ses
travaux.
La meilleure combinaison est évidemment celle qui emploierait d'une
manière intelligente les deux systèmes de colonies militaires et civiles , et
placerait les premières comme sentinelles avancées et protectrices des se
condes . Quant au mécanisme intérieur de ces colonies , de quelque nature
qu'elles soient , nous pensons que le principe de l'association , si fécond
dans les entreprises industrielles, devait en être la base essentielle . Mais
toutes ces idées demanderaient des développemens que nous ne pouvons
donner ici .
180
que Dieu
رایم مالم ويطلی الله يكثر العرب یکث que Dieu
augmente les Arabes, augmente leurs biens et divise leurs con
seils . Les Turcs étaient aussi barbares que les Arabes , et ne
voyaient rien au -delà du pillage éternel du pays . Nous avons au
tre chose à faire ; il nous faut d'abord, il est vrai , mettre ce peu
ple sous nos pieds pour qu'il sente bien notre poids , mais dimi
nuer ensuite peu à peu la pression , et lui permettre enfin , après
des siècles, de se dresser à notre hauteur et de marcher avec
nous dans la grande voie du progrès humain . Il nous faut agir à
à peu près comme un intelligent et intrépide nageur qui , pour
sauver un malheureux qui se noie , commence par l'assommer à
moitié pour se délivrer de ses étreintes de forcené, et le tirer de
l'eau sans risquer de périr avec lui .
12
1
1
1
CHAPITRE 1
II.
Nous devons traiter l'Arabe comme un enfant en tutelle. Dangers d'une émancipation trop
brusque. — Nécessité de donner plus d'extension aux bureaux arabes . Division du
pays en tribus makrezen et tribus rafa. - Organisation des tribus en zemalas. -
Répandre nous -mêmes des prophéties qui nous soient avantageuses. — Pro
phètes et inspirés à gages. Nous montrer dans les tribus aussi
souvent que possible . - Conclusion.
(1 ) Le bureau arabe a en outre une mission conciliatrice que lui seul peut
remplir, et qui est un des beaux côtés de notre domination . C'est lui qui doit
185
éteindre ces vieilles hostilités qui séparent les tribus et les arment les unes
contre les autres ; c'est lui qui doit vider tous ces débats qui ne trouvent
pas de solution devant la justice indigène , parce qu'ils sont produits par
des passions et des haines trop ardentes. Il a , malgré son titre de chrétien ,
pour obtenir cet important résultat, une qualité qui dans toutes ces graves
affaires lui donne plus d'autorité que n'en ont un kralifa ou un marabout : il
a l'impartialité que tous les Arabes lui reconnaissent instinctivement .
(1 ) Voyez note 7 à la fin du volume .
186
devons faire de même de toutes celles qui se manifestent devant une mesure
qui sert notre grand but.
192
être que c'est un petit moyen ; c'est vrai , mais c'est avec des pe
tits moyens qu'on mène les enfans et les peuples enfans .
Il y aurait encore quelque chose à faire : ce serait de profiter
de l'hostilité qui sépare maintenant la confrérie de Moulé Taïeb
et celle de Moulé Abd - el- Kader, pour nous rendre favorable la
première et l'exciter encore plus contre la seconde . Il nous fau
drait établir , auprès de El Hhadj el Arbi, le grand chef des Moulé
Taïeb , un agent secret musulman , qui entrerait dans cet ordre et
recevrait le dzeker de lui-même. Cet agent , à l'aide des grosses
sommes et des magnifiques présens que nous mettrions à sa dis
position , et avec quelque diplomatie , pourrait , sans nul doute ,
parvenir à mettre de notre côté sa sainteté musulmane, et à re
culer assez loin de nous l'époque où doivent éclater les catastro
phes que le Maroc couve pour nous . Ce moyen vaudrait proba
blement mieux que ces ambassades solennelles qui compromettent
l'empereur aux yeux de son peuple , et le mettent à deux doigts
d'une révolution qui ferait aussi mal ses affaires que les nôtres .
Un dernier moyen de pacification, qui n'est pas le moins ef
ficace , quoique nous le donnions le dernier , consiste à nous
montrer partout , et souvent même au milieu du calme le plus
parfait. Chaque commandant de subdivision ne devrait jamais
cesser de faire des tournées dans le pays qui lui est confié, et ces
tournées devraient être aussi rapprochées les unes des autres
que possible . Nous produirions un résultat énorme pour la con
solidation de notre conquête , si nous pouvions visiter une fois
par mois nos tribus , particulièrement les plus turbulentes, et si
nous en arrivions à régler , sur leur terrritoire même , les contes
tations incessantes qui les agitent, et qui perpétuent parmi elles
l'esprit de désordre . Ces promenades utiles se feraient d'abord
avec des colonnes , et finiraient par s'opérer avec un escadron
194
de cavalerie ; jamais avec moins, parce que quel que soit le degré
de sécurité dont nous jouissions un jour, il faudra toujours, pour
l'effet moral , que le représentant de l'autorité française soit en
touré d'une force respectable .
Nous voici arrivé au terme de la tâche que nous nous étions
imposée . Nous avons montré comment la révolte est née , com
ment elle s'est propagée à travers le pays ; nous avons expliqué
les causes secrètes qui l'ont produite et qui en amèneront néces
sairement d'autres ; enfin nous avons indiqué en passant les
moyens qui nous paraissent les meilleurs pour lutter contre de
pareilles catastrophes , les rendre moins sanglantes , moins dan
gereuses , sinon impossibles. C'est tout ce que nous voulions dire
pour le moment sur l’Algérie . Mais avant de clore ce premier
essai de notre plume encore novice , et en songeant à l'imperfec
tion de ce travail, entrepris dans le but seul de dire quelque
chose d'utile , nous sentons le besoin de réclamer l'indulgence à
laquelle nous croyons avoir droit . Nous pensons qu'elle ne nous
fera pas défaut, si le lecteur veut bien se rappeler , devant les ir
régularités de style et de méthode qui l'auront sans doute frappé,
que ce livre a été fait au beau milieu de la tourmente , dans les
circonstances les plus orageuses et les préoccupations les plus
graves ; que beaucoup de ses pages ont été écrites au bruit de la
mousqueterie de nos avant -postes, et que quelques -unes d'entre
elles sont teintes de sang.
F
I
'N
NOTES .
NOTES
sur
L'ÉTUDE DE LA RÉVOLTE
DU DHARA .
Note 1 .
Plus tard , il a été possible d'avoir du chérif une notice plas terrestre et
plus satisfaisante.
D'après ce que racontent certains Arabes qui se disent bien informés, il
appartiendrait à la petite tribu de marabouts des Ouled Sidi Ouadhha, située
entre les Sebehbas de la rive gauche du Chélif et les Ouled Krouidem . Doué
d'un esprit inquiet et ardent, il se serait engagé, jeune encore, dans le batail
lon régulier de el- hhadj Moustapha . Après quelque temps de service, son ca
ractère indompté ne se prêtant pas aux exigences de la discipline militaire,
il aurait abandonné cette carrière pour courir les aventures à travers le pays.
13
198
La connaissance de quelques hommes influentde la confrérie de Moulé Taïéb
l'aurait conduit à être accepté par elle, comme l'homme qui devait accomplir
les prophéties transcrites au chapitre 2 de la deuxième partie . El-hhadj el
Arbi qui tient , avant tout, à perpétuer la tradition du Moulé Sad , parce
qu'elle soutient son prestige, aurait lu sur lui le fetéhha (1 ), qui est le sa
cre des musulmans , et l'aurait ensuite lancé dans le pays en lui traçant sa
ligne de conduite .
Ébloui par ses premiers succès , Bou Maza aurait ensuite oublié les intérêts
du ciel pour ne songer qu'aux siens propres , et aurait rêvé la fondation d'un
gouvernement indépendant .
Ces renseignemens nous ont été donnés par l'agha des cavaliers réguliers
qu'Abd el Kader avait mis à sa disposition , et qui a quelque temps vécu dans
son intimité ; ils s'accordent parfaitement avec ceux venus d'autres sources .
Cet agha a vu , dans le camp de Bou Maza , un vieillard qui vivait seul avec
un jeune homme dans une tente retirée . Tout le monde se disait, bien bas ,
dans les derniers temps , que le vieillard était son père et le jeune homme
son frère, le seul qu'il eûl .
Le chérif qui a été arrêté par les Beni Zougzoug n'était en rien son pa
rent . L'interprète se sera sans doute trompé , en lui faisant déclarer qu'il
était le frère du chef de la révolte du Dhara ; il voulait sans doute dire qu'il
était membre ou instrument de la même confrérie .
Note 2 .
Si Mhhamed ben Ioussef, qui a laissé, sur les tribus , des mots qui sont
quelquefois d'une vérité frappante, a dit des Sebebhas :
( 1 ) Feléhha , ouverture , passage du livre sacré qu'on ouvre et qu'on lit dans une cérémonic reli
gieuse
199
tonner de voir que tous les châtimens que nous leur avons infligés ne les
ont pas encore changes ; ils sont incorrigibles .
Note 3.
Pour donner une idée de cette trahison générale de nos agens indigènes ,
nous n'avons qu’à citer quelques chiffres.
Sur 80 fonctionnaires, aghas , kaïds et cheikhs importans, que nous avions
dans la subdivision avant la révolte , 68 nous ont trahis et 12 seulement nous
sont restés fidèles. Parmi ces derniers, 8 ont payé de leur tête leur fidélité ,
et 4 seulement ont échappé à l'orage . Parmi les 8 qui ont été assassinés ,
6 nous auraient trahis, s'ils avaient vécu plus longtemps ; de sorte qu'en dé
finitive, nous ne pouvons guère compter que 6 fonctionnaires restés fidèles,
sur les 80 que nous avions ; et encore , si nous voulions être sévères , nous
serait-il facile de réduire ce nombre à deux.
Note 5 .
Note 6 .
Les personnes qui n'ont jamais approché du détail des choses arabes, se
font, sur cette générosité de nos grands chefs indigènes, d'étranges illusions
qu'il est bon de détruire .
On voit quelquefois un haut fonctionnaire indigène faire un magnifique
présent à l'hôle qui le visite ; donner un beau cheval , par exemple, et on en
conclut que cet homme doit être bien généreux , de dépenser ainsi une si
grosse somme pour faire une simple politesse . La raison de cette générosité
est très-facile à trouver, quand on connait un peu le mécanisme des coutu
mes arabes . Voici comment les choses se passent.
S'il est dans les coutumes du pays de donner un beau cheval à un per
sonnage important qui vous visite, il est aussi dans ces coutumes que le
prix du cheval doit être remboursé par les gens de la tribu . Cette circons
tance, comme on le comprend bien , permet à l'auteur de la générosité de
réaliser quelque petit benéfice,
202
Si le cheval de gada (1 ) vaut cent douros , il est inutile de dire qu'il sera
remboursé au prix de deux cents par ceux qui sont toujours tondus , quoi
qu'il arrive . On peut, d'après cela , s'expliquer facilement la générosité de
certains grands chefs qui , l'époque où nous étions nouveaux dans le pays,
savaient comment nous éblouir, en usant à propos de ce moyen ; en termes
crus : ces messieurs font les généreux avec l'argent des autres .
Quelques chefs à esprit étroit, qui tiennent à leurs écus outre mesure,
n'emploient pas ce procédé , par la raison seule qu'il faut quelquefois faire
d'abord un déboursé, et attendre pendant quelque temps la rentrée de l'a
vance . Mais ceux qui ont l'intelligence plus ouverte recherchent, au contraire,
les occasions de jeter quelque éclat en se montrant généreux à bon compte.
Les premiers sont de la nature de ces comptables qui rognent affreusement
les portions et se livrent ainsi au mépris public, en ne réalisant que de pau
vres bénéfices ; les seconds appartiennent à la classe intelligente de ces
mêmes fonctionnaires, qui sont toujours disposés à donner un peu plus qu'on
ne doit prendre, et qui savent ensuite se rattraper à l'aide de combinaisons
plus habiles et plus secrètes .
Si l'on dit d'un comptable habile qu'il ne peut que gagner, on doit dire
d'un chef indigène qui comprend les délicatesses de ses fonctions, que cha
que dépense publique qu'il fait doit être pour lui l'occasion de réaliser un
bénéfice proportionné.
Note 7 .
(1 ) Gada vient de gooud, conduire en main ; cheval conduit en main et offert à titre de soumission
ou de simple politesse .
203
FIN
des
notes
TABLE DES MATIÈRES.
AVANT-PROPOS .
Première Partie.
Deuxième Partie.
fluence et de leur pouvoir. --Discrédit qui les atteint quand ils pas
sent dans nos rangs . Considérations générales . Manière per
sonnelle de juger la question d'Afrique. 143
Troisième Partie .
de
FIN
Betsore che
Staatsbi in
Minha
#
°
/
anterioaral.le
Vünchen , kur