PEPIN - La Pensée Infirmière - Chap 1
PEPIN - La Pensée Infirmière - Chap 1
PEPIN - La Pensée Infirmière - Chap 1
LA PENSEE
JACINTHE PEPIN
-
SUZANNE KÉROUAC
FRANCINE DUCHARME
INFIRMIERE
3e ÉDITION
La troisième édition de La pensée infirmière se veut une réflexion contemporaine sur les assises de la
discipline et sur les liens entre la pensée infirmière et les divers champs d'activités de l'infirmière, en
ajoutant à la pratique, à 1.a recherche, à la gestion et à la formation, le champ du politique dans lequel
les infirmières s'investissent toujours davantage. L'intention première de La pensée infirmière demeure
de favoriser l'accès à des notions théoriques et d'en assurer l'appropriation par toute étudiante et
toute infirmière.
Cette édition est aussi le reflet de l'effervescence actuelle de la pensée infirmière et de la maturité de
là discipline. Cette maturité se traduit par une plus grande affirmation des savoirs. C'est ainsi que nous
avons remplacé le titre du premier chapitre «Vers l'essentiel de la discipline» par «L'essentiel de la
discipline». Notre ouvrage se veut une voix qui se joint à d'autres ailleurs dans le monde pour exprimer
que ce sont les savoirs à la base des actions des infirmières qui caractérisent l'apport de ces dernières à
la santé des personnes, des familles, des communautés et des populations.
Jacinthe Pepin, inf., Ph. D. est professeure titulaire et directrice du Centre d'innova-
tion en formation infirmière (CIFI) à la Faculté des sciences infirmières de l'Université
de Montréal, après y avoir assumé les postes de vice-doyenne aux études de 2001 à
2003 et vice-doyenne aux études de premier cycle de 2003 à 2007. Elle est également
professeure invitée à l'Institut universitaire de formation et de recherche en soins
à l'Université de Lausanne (2008 et 2009). Présidente de !'Association canadienne
des écoles de sciences infirmières, région Québec (ACESl-RQ), de 2002 à 2007, elle a
reçu un prix Hommage de cette Association.
Suzanne Kérouac, inf., M.N., M. Sc. a fait carrière à l'Université de Montréal. Nom-
mée professeure émérite en 2003, elle a été doyenne de la Faculté des sciences
infirmières de 1993 à 2000. Elle est actuellement conseillère auprès du Secrétariat
international des infirmières et infirmiers de l'espace francophone (SIDllEF). L'insigne
du Mérite de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OllQ), la plus haute
distinction, lui a été décerné en 2006. Elle a également reçu un prix Reconnaissance
du SIDllEF en 2009.
Francine Ducharme, inf., Ph. D. est professeure titulaire à la Faculté des sciences
infirmières de l'Université de Montréal, chercheure boursière nationale du Fonds
de la recherche en santé du Québec (FRSQ) et chercheure au Centre de recherche
de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Elle est présentement titulaire
de la Chaire de recherche Desjardins en soins infirmiers à la personne âgée et à la
famille de l'Université de Montréal. Elle a reçu le prix Florence de l'Ordre des infir-
mières et infirmiers du Québec (OllQ) pour sa contribution à la recherche et a été
élue, en 2007, membre de l'Académie canadienne des sciences de la santé.
ISBN 978-2-7650-2674-7
111111111111111111111111111111
www.cheneliere.ca 9 782765 026747
11, doc-
ous lui
Table des matières
Préface................................................................... 111
sonnes
Avant-propos et remerciements . ........................................... . VI
:ion du
.e mes- CHAPITRE 1 L'essentiel de la discipline .................................... . 2
Une discipline professionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
s infir- Le centre d'intérêt. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
11ltiples Quelques énoncés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
ciences Des tendances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
isation Notre énoncé du centre d'intérêt. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
:voirs. Les modes de développement et d'utilisation du savoir infirmier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Le mode personnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Le mode esthétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Le mode éthique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
icinthe Le mode empirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
'audace Le mode sociopolitique ou émancipatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . · 21
:ure en La contribution du savoir infirmier à la santé humaine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Iles ont En d'autres mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
n infir-
CHAPITRE 2 L'influence des paradigmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
édition
Les paradigmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Le paradigme de la catégorisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
,, .
eqmpe Le paradigme de l'intégration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
le. Le paradigme de la transformation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Le développement de la discipline infirmière et les paradigmes.......................... 31
L:impulsion de Florence Nightingale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
L:orientation vers la santé publique et les paradigmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
L:orientation vers les soins de santé et les paradigmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
En d'autres mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Quelques· énoncés
Nightingale (1860/1969), pionnière du nursing moderne dont on reconnaît encore de
nos jours les mérites (Beck, 2006; Clements et Averill, 2006; Johnson, 2000;
Mitchell et Cody, 2002; Reed, 2000), a soutenu que les
L'énoncé du centre d'intérêt qui relie infirmières se centrent «sur les lois de la santé, les processus
les concepts centraux représente le de guérison et les conditions qui favorisent le maintien des
premier niveau de spécificité de la personnes et des populations en santé ou leur guérison par
discipline infirmière. les forces de la Nature» (traduction libre, p. 133-134). Elle
a affirmé que les lois de la santé, qui sont en fait les mêmes
que celles du nursing, sont obtenues autant auprès des personnes en santé que des
personnes malades.
Depuis ce temps, plusieurs énoncés ont été proposés, particulièrement au cours des
trente dernières années (de 1978 à nos jours), pour exprimer le centre d'intérêt de la
discipline infirmière et pour guider l'élaboration de nouvelles connaissances. Il s'agit
notamment d'énoncés de penseuses nord-américaines, européennes, asiatiques ou
néo-zélandaises que nous présentons par ordre chronologique : Donald~on et Crawley
(1978), Watson (1985, 1988), Newman, Sime et Corcoran-Perry (1991), Parse (1992),
Meleis et Trangenstein (1994), Newman (1997, 2002), Thorne, Canam, Dahinten,
Hall, Henderson et Kirkham (1998), Roper, Logan et Tierney (2000), Collière
(2001), Gustafsson et Andersson (2001), Barrett (2002), Donaldson (2002, 2003a et
b), Eriksson (2002), Pang et autres (2004), Nadot (2008), Litchfield et Jonsdottir
(2008), Newman, Smith, Pharris et Jones (2008) et Willis, Grace et Roy (2008).
Pour Donaldson et Crawley (1978), les sciences infirmières «étudient l'intégra-
lité ou la santé des êtres humains en reconnaissant qu'ils sont en interaction conti-
nuelle avec leur environnement» (traduction libre, p. 119). Les auteures ajoutent que
la pratique infirmière vise à créer le meilleur environnement de santé possible pour
l'être humain, et qu'elle est un service humanitaire en ce sens qu'elle s'intéresse à
préserver le respect et l'autodétermination de la personne. Elles sont d'avis que cette
pratique, en effet, ne se restreint pas à limiter les éléments qui nuisent à la santé,
mais qu'elle sert également de force pour la promotion de la santé.
En 1985, Watson affirme la centralité du caring qui émane de l'unité individu-
infirmière en coopération et en union avec le monde. Newman et autres (1991),
ayant observé la prédominance de deux concepts dans les écrits (caring et santé),
L:essentiel de la discipline 1 7
t,Sime et soutiennent que «les sciences infirmières sont "l'étude du caring dans l'expérience
1-delà des humaine de santé"» (traduction libre, p. 3). Ces auteures spécifient que le caring, ·
ement de dans l'expérience humaine de santé, est le mandat social de l'infirmière et le domaine
particulier dans lequel cette dernière devrait développer ses connaissances. Elles
choisissent le concept de« caring» pour désigner le soin, et l'expression« expérience
frêt de la
de santé» pour remplacer le concept de «santé», soutenant que l'infirmière se centre
ui reflète
davantage sur l'expérience de santé ou de maladie que sur la santé et la maladie à
proprement parler. De plus, elles estiment que le concept d'«environnement» est
implicite dans l'expression «expérience humaine de santé».
Parse (1992) affirme de son côté que la discipline infirmière s'intéresse au pro-
encore de cessus humain-univers-santé. Dans ce cas, la personne, indissociablement liée à sa
n, 2000; santé et à son univers, est le centre d'intérêt de la discipline infirmière. Elle porte
u que les la responsabilité de ses choix dans un processus dynamique, continu et simultané,
processus et la santé est l'expression de son expérience personnelle en interaction avec l'uni-
ntien des vers. Parse (1997) met l'accent sur la connaissance de l'expérience humaine de
:rison par santé grâce à la compréhension de ses significations comme étant une condition
l34). Elle essentielle au développement de la discipline et à la mise en place du fondement de
~s mêmes
la pratique.
é que des
Oyant à Meleis et Trangenstein (1994), elles relient les trois grands concepts
«personne-client», «santé» et «environnement» à d'autres, notamment à ceux de
cours des «transition», d'« interaction», de «processus de soins infirmiers» et de « thérapeu-
érêt de la tique de soins infirmiers». Selon ces métathéoriciennes, l'interadion et la transition
s. Il s'agit sont également au coeur de la discipline infirmière. L'interaction touche spécifique-
tiques ou ment deux éléments du domaine d'intérêt des infirmières: les interactions de la
tCrowley personne avec l'environnement et les interactions de l'infirmière avec la personne.
se (1992),
Les auteures, ainsi que Meleis et autres (2000), précisent aussi que les infirmières
)ahinten,
s'occupent d'aider des personnes, qui sont en transition ou qui en anticipent une, à
CoIlière maintenir un sens de bien-être. Une transition consiste en un changement dans la
2003a et
santé, dans les rôles, dans les attentes de soi et des autres, dans ses capacités, et fait
·onsdottir
appel à des processus internes chez la personne (Meleis et Trangenstein, 1994). Les
:008).
transitions comprennent ainsi les expériences de santé et de maladie (par exemple,
l'intégra- lors d'un accident ou d'une maladie aiguë ou chronique), les événements liés au
on conti- développement (notamment la transition de l'enfance à l'adolescence, la ménopause
utent que ou le vieillissement), les situations de vie (l'arrivée d'un nouveau membre dans la
:ible pour famille ou la perte d'un proche, par exemple) et les changements des conditions
ltéresse à sociales et culturelles (entre autres les modifications du rôle d'une personne engen-
que cette drées par la retraite, l'aide familiale à un parent âgé ou la familiarisation à un nou-
la santé, veau milieu de vie en conséquence de l'immigration). Au cours d'une transition, la
santé d'une personne est sujette à une grande vulnérabilité.
individu- L'expérience humaine de transition peut être définie par des indicateurs de pro-
~s (1991), cessus (interactions dans le temps et dans l'espace, développement de la confiance)
et santé), et de résultats (maîtrise de nouvelles habiletés, renouvellement de l'identité).
8 Chapitre 1
Selon cette perspective, les soins infirmiers sont définis comme étant un processus
facilitant les transitions en vue d'optimiser le sentiment de bien-être, quels que
soient l'âge des personnes, leur culture, leur situation de vie et de santé ou l'envi-
ronnement des soins.
En 1997, puis en 2002, Newman pousse davantage sa réflexion en mettant l'ac-
cent sur le caractère entier de la personne (wholeness) et en le présentant comme un
concept central pour la discipline infirmière. Elle soutient que le caractère entier
d'une personne ne se mesure pas, mais qu'il peut être saisi grâce aux significations
que cette personne donne à son expérience. De l'ensemble de ces significations se
dégagent des patterns, c'est-à-dire des expressions d'une unité à la fois en change-
ment et en continuité qui permettent à l'infirmière de comprendre l'individu comme
étant un tout indivisible. Un processus interactionnel engage la personne et l'infir-
mière dans une relation de partenariat: chacune participe à l'élaboration de signifi-
cations et de patterns qui mènent à une compréhension de la situation de soins dans
sa globalité. Il s'en dégage une pratique réflexive consciente et sensible.
Barrett (2002) insiste aussi sur le caractère entier de la personne comme concept
de base de la discipline infirmière. À partir des travaux du comité d'experts de
l'American Academy of Nursing (Parse et autres, 2000), l'auteure avance que la
science infirmière, une science fondamentale, est enracinée dans les connaissances
spécifiques du processus humain-univers-santé, centre d'intérêt de la discipline.
En ce sens, les diverses perspectives philosophiques enchâssées dans les concep-
tions infirmières orientent la progression et l'utilisation des connaissances du
domaine. Les soins infirmiers sont ainsi l'expression de l'art lié à la science de l'être
humain unitaire en processus mutuel avec son environnement.
Par ailleurs, pour les Canadiennes Thorne et autres (1998), les concepts centraux
doivent refléter une neutralité paradigmatique, permettre une diversité de positions
philosophiques, être utilisés couramment dans les écrits et être reconnus pour leur
pertinence par les infirmières de divers milieux de pratique. Se situant au centre des
débats théoriques ou paradigmatiques, ces auteures proposent un énoncé selon
lequel la discipline infirmière se définit par «1' étude des processus de la santé
humaine et de la maladie» (traduction libre, p. 1265). Les soins infirmiers sont un
service offert par des expertes aux personnes et à la société. L'infirmière soutient et
assiste les individus, les familles, les communautés ou les sociétés afin qu'ils amélio-
rent, préservent ou recouvrent la santé, ou que soient réduits les effets de la maladie.
Le but de l'infirmière est la santé et la qualité de vie de la personne, que ce soit dans
son environnement immédiat ou élargi.
Plus récemment, dans une série d'articles courts, Donaldson (2002, 2003a, 2003b)
définit la science de la discipline infirmière comme étant la «science del' écologie de
la santé humaine, qu'elle soit personnelle ou familiale» (traduction libre, p. 61).
Depuis Nightingale, la discipline infirmière s'est développée autour de l'interaction
personne-environnement et, au cours des années 1970, Barnard a utilisé l'expression
L'essentiel de la discipline 1 9
Jrocessus «écologie de la santé du jeune enfant» pour décrire son domaine de recherche.
[Uels que L'écologie est un champ scientifique qui s'intéresse aux interrelations et aux patterns
m l'envi- d'interactions entre les organismes et leur environnement. Comme les interactions
personne-environnement liées à la santé sont d'un intérêt particulier pour les
sciences infirmières, l'expression «écologie de la santé humaine» couvre une
tant l'ac-
dimension essentielle de la discipline (Donaldson, 2002). Donaldson soutient que
>mme un
les sciences infirmières s'intéressent aux perceptions de la personne dans son expé-
~re entier
rience de santé tout en conceptualisant la santé comme étant le bien-être ou la
ifications
qualité de vie perçue par la personne, et ce, même si cette dernière est malade. Elle
:ations se
juge que cette perspective est spécifique et qu'elle s'étend plus récemment à l'éco-
change-
logie de la santé familiale. Les infirmières partagent la perspective écologique de la
ucomme
santé avec les professionnels de la santé publique; toutefois, l'unité d'analyse de
et l'infir-
chacun diffère. L'auteure soutient que les infirmières oeuvrent traditionnellement
e signifi-
avec la famille et les groupes, et qu'elles reconnaissent l'importance de la dyna-
Jins dans
mique créée entre les interactions sociales des personnes et l'expérience de santé,
alors que les professionnels de la santé publique s'intéressent aux groupes et aux
! concept populations qui partagent des caractéristiques particulières comme la maladie, le
cperts de risque ou la blessure .
.e que la
En 2003, Donaldson propose de renommer la science de la discipline infirmière
aissances
«science de la santé humaine» plutôt que «science infirmière» afin de mieux en
iscipline.
refléter la maturité telle que constatée à partir de deux analyses (Donaldson, 2000;
concep-
Heitkemper et Bond, 2002). L'auteure présente une structure organisationnelle de
ances du
cette science de la santé humaine en unifiant deux classifications des domaines de
: de l'être
recherche: 1) les domaines thématiques de santé, qu'elle dérive des trois thèmes
énoncés précédemment (Donaldson et Crawley, 1978): santé humaine, comporte-
centraux ments de santé et thérapeutiques de santé; et 2) les domaines de santé liés à des
positions groupes de personnes (santé des personnes âgées, des femmes, des familles, etc.).
pour leur Elle soutient que le corpus de connaissances fourni par cette. science est à la base de
entre des soins préventifs et de soutien de la santé des humains, et propose d'intégrer les
icé selon récentes découvertes en matière de technologie, de génétique et de génomique afin
la santé de maintenir la pertinence de la science de la santé humaine.
s sont un
Finalement, en Amérique du Nord, deux articles récents de l'Advances in Nursing
mtient et
Science (ANS) (Newman, Smith, Pharris et Jones, 2008; Willis, Grace, Roy, 2008)
s amélio-
permettent de consolider l'essence de la discipline infirmière. Newman et autres
maladie.
(2008), qui ont examiné les connaissances développées depuis l'énoncé « caring dans
soit dans
l'expérience humaine de santé», soutiennent, à partir d'une perspective unitaire-
transformationnelle, que les soins dans le monde et dans divers contextes sont centrés
a, 2003b) sur la relation avec des personnes. Les auteures proposent la relation infirmière -
alogie de personne/famille/communauté comme construit unificateur. Cette relation peut
e, p. 61). être décrite dans les concepts suivants: santé (l'intention de la relation), caring (la
1teraction nature de la relation), conscience (le pattern informationnel de la relation), récipro-
x:pression cité (mutual process, la façon dont la relation se déroule), patterning (la configuration
10 Chapitre 1
üfication infirmières et du pouvoir symbolique des langages au sein d'une institution» (N adot,
ur récur- 2005, dans Nadot, 2008, p. 364). Il retrace les origines de l'intermédiaire culturel
1ppement jusqu'à Nightingale et parle de médiation de santé pour désigner l'aspect premier du
:le multi- soin, cet aspect relationnel et informationnel.
Par ailleurs, un texte rédigé en anglais (Pang et autres, 2004) permet d'accéder
c concep- à la pensée de certaines infirmières asiatiques. Ses auteures décrivent leur pro-
liscipline cessus consensuel les menant à formuler ainsi le centre d'intérêt de la discipline:
misation, 1' état de santé dynamique d'une personne, ses préoccupations de santé et les inter-
>ersonnes ventions dans le but de l'aider à utiliser des connaissances de santé appropriées et
des habiletés pour son bien-être optimal (traduction libre, p. 657-658).
.a science
Des tendances
é comme C2!ie dire de tant d'énoncés à la fois semblables et différents? Dans les paragraphes
;ion de la qui suivent, nous présentons une réflexion sur les tendances observées dans les
du déve- énoncés du centre d'intérêt afin de clarifier plus avant la substance de la discipline
ie confir- infirmière. L'évolution du savoir infirmier, tant dans son développement théorique
1digue un que dans son utilisation pratique, sera utile pour comprendre des prises de position
dans des divergentes et pour proposer un rapprochement à.la mesure d'une vision contempo-
raine de la discipline infirmière.
Comme nous l'avons vu précédemment, le centre d'intérêt concerne l'élément
intérêt de
central du développement des connaissances dans la discipline infirmière. Au moins
·der la vie
trois orientations sont observées. D'aucuns croient que la santé humaine, c'est-à-dire
~tablir un
les processus de santé et de vie, ou l'écologie de la santé (Donaldson et Crawley,
1978; Pang et autres, 2004; Roper et autres, 2000; Thorne et autres, 1998), est
~ culturel l'élément central du développement de savoirs fondamentaux ou pratiques dans la
~92, à la discipline. Cette tendance est renforcée par les récents écrits de Donaldson (2002,
::>logie de 2003a et b). Celle-ci affirme que c'est le processus de la santé humaine en interaction
édiologie avec l'environnement, ou l'écologie de la santé humaine, qui constitue la science de
e sont les la discipline infirmière.
12 Chapitre 1
>... les soins comme actes de la vie: soigner est une pratique qui Collière, 2001
engendre, génère et régénère la vie.
soin-vie
2008; Newman et autres, 1991; Newman et autres, 2008; Watson, 1988; Willis
et autres, 2008). Pour Watson, le caring découle de l'unité personne-infirmière
en lien étroit avec le monde environnant, et cette unité donne lieu à une relation
transpersonnelle, un processus fondé sur l'intentionnalité et la conscience dans
lequel deux subjectivités se rencontrent et sont en interaction. L'ensemble des au-
teurs soutiennent que les connaissances à développer doivent porter sur cette rela-
tion infirmière - personne/famille/communauté, et certains (Watson, 1979/ 2008;
Willis et autres, 2008) ajoutent le devoir moral d'humanisation des soins, quel que
soit l'environnement.
D'autres encore affirment que le principal élément du centre d'intérêt est le
processus humain-univers-santé ou le caractère entier de la personne (Barrett,
2002; Gustafsson et Andersson, 2001; Litchfield et Jonsdottir, 2008; Meleis et
Trangenstein, 1994; Newman, 1997, 2002; Parse, 1992, 2002). Dans ce cas, la
personne, indissociablement liée à sa santé et à son univers, est au cœur du déve-
loppement de savoirs dans la discipline infirmière. Les savoirs sur de nom-
breuses expériences universelles de santé, cocréées dans la relation humain-univers,
sont essentiels à une pratique ancrée dans la discipline infirmière; ils en consti-
tuent le fondement.
Est-ce que les trois orientations décrites, offrant chacune des connaissances selon
une structure arborescente, représenteront un jour chacune une science de la disci-
pline: la science de la santé humaine (Donaldson, 2003a et b), la science du soin
centré sur la relation avec l'humain unitaire (Newman et autres, 2008; Watson et
Smith, 2002), la science de l'humain-univers-santé (Parse, 2002) ou autre? Il est
difficile de répondre à cette question. Cependant, en introduction à un récent
numéro de la revue ANS qui porte sur la discipline infirmière, Chinn (2008a) note
la vitalité de cette discipline scientifique. Elle évalue la maturité intellectuelle qui
s'en dégage par les récentes propositions d'auteures reconnues et par de nouvelles
propositions d'énoncés du centre d'intérêt qui tiennent compte des changements
sociaux et dont la liberté d'expression n'est pas restreinte.
Une autre tendance récente dans le développement de la discipline infirmière est
la résurgence d'écrits qui engagent les infirmières non seulement dans la vie des
personnes, des familles et des communautés, mais aussi dans l'action politique. Ces
écrits, qui adoptent une perspective critique, mettent en évidence la disparité de la
richesse, sa répercussion sur la santé et l'importance de l'implication des infir-
mières. Par exemple, Falk-Rafael (2005) propose une perspective critique du caring
pour guider le soin de santé publique. Retournant aux origines des actions socio-
politiques de pionnières telles Florence Nightiiigale et Lillian Wald, elle présente
«la quête de justice pour les plus démunis comme une manifestation de caring et
de compassion» (traduction libre, p. 214) ou encore l'action politique comme une
expression de caring (p. 212). D'autres écrits portant sur la syntaxe, ou modes de
développement de la connaissance, vont dans ce sens (Chinn et Kramer, 2008;
White, 1995). Falk-Rafael (2005) soutient que les infirmières dont la pratique se
situe à l'intersection des politiques publiques et des vies personnelles occupent une
L'essentiel de la discipline 115
8; Willis position privilégiée et ont l'obligation morale d'inclure dans leur pratique des efforts
l1firmière d'influence des politiques publiques.
: relation
Si le champ de la santé publique, avec l'hygiène comme concept fondateur, a
nce dans
pris vie d'abord dans la discipline infirmière (Cohen, Pepin, Lamontagne et
e des au-
ette rela- Duquette, 2002), il s'est développé au fil du temps avec l'apport de diverses
professions. Alors que certaines théoriciennes (Donaldson, 2002) considèrent ce
'9/ 2008;
quel que champ complémentaire au domaine spécifique de la discipline, d'autres, comme
Falk-Rafael (2005), y accordent une place centrale dans la discipline. Tout comme
Nightingale le proposait, l'infirmière a la responsabilité de contribuer à la création
rêt est le d'environnements physiques, sociaux, politiques et économiques soutenant la santé
(Barrett, des populations.
Meleis et
:e cas, la En somme, des auteures ont proposé des énoncés reliant les quatre concepts cen-
du déve- traux de la discipline infirmière: personne/famille/communauté, environnement,
de nom- santé et soin. Chacun des énoncés présentés ci-dessus illustre le centre d'intérêt de
-univers, la discipline tel qu'il est perçu par ces auteures. Or, les concepts utilisés et les rela-
l1 consti- tions qu'ils supposent visent à mettre en lumière, de façon succincte, l'essentiel de la
discipline infirmière.
Lces selon Notre intention n'est pas d'opposer un énoncé du centre d'intérêt à un autre, de
: la disci- nous accommoder de l'un ou de l'autre ni d'éliminer les différences, car les débats,
~ du soin les analyses et les synthèses sont les outils qui permettent l'avancement de la pensée
Vatson et infirmière. Cependant, inspirées de ces auteures, nous croyons que l'énoncé d'un
re? Il est centre d'intérêt de la discipline doit être succinct et transcender les époques et
m récent les lieux. Dans la section suivante, nous en proposons un de ce type qui relie les
)8a) note concepts centraux, précise celui que nous avions proposé dès 1994 (Kérouac, Pepin,
:uelle qui Ducharme, Duquette et Major, 1994) et permet à chaque infirmière de se situer
l1ouvelles dans la discipline et de participer à son devenir. Nous sommes conscientes qu'il
igements sera toujours nécessaire de raffiner cet énoncé en fonction du caractère dynamique
d'une discipline.
mière est
a vie des Notre énoncé du centre d'intérêt
lque. Ces
En 1994, puis en 2003, nous avons proposé que la discipline infirmière s'intéresse
rité de la
au soin de la personne qui, en interaction continue avec
ies infir- La discipline infirmière s'intéresse au
son environnement, vit des expériences de santé. Dans un
du caring soin, dans ses diverses expressions,
souci de prendre en compte les grandes tendances de l' évo-
ns socio- auprès des personnes, des familles,
lution de la discipline, nous reformulons ainsi 1' énoncé du
présente des communautés et des populations
centre d'intérêt (voir l'encadré ci-contre):
caring et qui, en interaction continue avec
nme une Dans une perspective unitaire-transformationnelle qui leur environnement, vivent des
nodes de sera décrite au prochain chapitre, les diverses expressions expériences de santé.
:r, 2008; du soin réfèrent à des approches individuelles, familiales,
atique se communautaires et populationnelles, selon la cible de ce soin. Le soin, au singulier,
pent une intègre et dépasse à la fois les procédés de soins; de nature humaine et relationnelle,
il englobe les diverses activités d'accompagnement, de soutien, de facilitation lors de
situations de santé ou de fin de vie. Le caring décrit la nature de la relation profession-
nelle avec la personne, la famille et la communauté. À l'instar de Falk-Rafael (2005),
nous croyons que le caring critique constitue un apport spécifique de l'approche
populationnelle. Dans tous les cas, la collaboration réciproque décrit la façon dont la
relation est menée. Le caractère entier de la personne, de la famille, de la commu-
nauté ou de la population, de même que l'interaction continue de chacune avec
l'environnement interne (microsystèmes: génétique, physiologique, psychologique,
etc. pour la personne; individuel, parental, fr~ternel pour la famille; sous-groupes
communautaires ou populationnels) et externe (méso et macrosystèmes: physique,
social, politique, économique, à 1' échelle planétaire et cosmique) sont pris en compte
afin de bien comprendre l'expérience de santé. Par expérience de santé, nous enten-
dons le caractère subjectif, la manière unique selon laquelle la personne ou la famille
vit les événements liés à la santé, c'est-à-dire ce qui est vécu dans des situations rela-
tives à la croissance, au développement et à des problèmes comme la maladie. Dans
le contexte d'une communauté ou d'une population, nous entendons aussi le caractère
subjectif, la manière selon laquelle la communauté ou la population vit les événe-
ments liés à la situation de santé collective. À titre d'exemple, pensons à la réaction
globale de la population lors d'une catastrophe naturelle ou encore à la veille d'une
pandémie. La perspective infirmière guide les professionnels dans leur contribution
à la création d'environnements physiques, sociaux, politiques et économiques soute-
nants qui incluent le soin des plus vulnérables et des plus démunis: informer et mobi-
liser à partir des données scientifiques; participer à la priorisation des activités;
planifier et participer à la vaccination massive; proposer des solutions pour les per-
sonnes incapables de suivre le mouvement, etc.
La discipline infirmière s'intéresse ainsi au soin, dans ses diverses expressions,
auprès des personnes, des familles, des communautés et des populations qui, en
interaction continue avec leur environnement, vivent des expériences de santé. Cet
énoncé du centre d'intérêt ainsi que les conceptions et les théories qui le précisent
constituent la substance de la discipline. Ensemble, ils clarifient la contribution ou
la raison d'être des infirmières et le but du service qu'elles offrent à la population,
quel que soit leur lieu de pratique.
Après avoir examiné le centre d'intérêt de la discipline infirmière, sa substance
ou le «quoi» du développement de savoirs pour la pratique - notre ontologie-,
tournons-nous vers les modes de développement et d'utilisation du savoir infirmier,
c'est-à-dire la syntaxe.
on lors de par une activité mentale suivie» (Le Petit Robert, 2009), un «ensemble de connais-
rofession- sances approfondies acquises par un individu, grâce à l'étude et à l'expérience»
.el (2005), (Legendre, 2005) où il correspond à ce que la personne sait, c'est-à-dire à ce qu'elle
'approche perçoit et comprend avec clarté (Collins, 2000). Ces définitions renvoient à l'acqui-
)il dont la sition de connaissances par 1' étude et à l'intégration de connaissances à un niveau de
L commu- perception et de compréhension. Dans un sens plus spécialisé, le terme «savoir»
:une avec signifie la somme de connaissances propres à une discipline (Legendre, 2005).
tologique,
s-groupes Dans le contexte du développement des connaissances en sciences infirmières,
physique, Chinn et Kramer (2008) distinguent les termes anglais knowing et knowledge. Pour
:ncompte les auteures, le premier désigne un pn;icessus dynamique qui réfère aux façons de
1us enten- percevoir et de comprendre, soi et le monde, alors que le deuxième est l'expression
la famille de la compréhension sous une forme qui peut être partagée ou communiquée aux
:ions rela- autres (p. 2). Dans ce qui suit, nous utilisons le terme «savoir» quand il s'agit d'un
die. Dans ensemble de connaissances, et l'expression «mode de développement et d'utilisation
: caractère du savoir».comme traduction de l'expression anglaise patterns ofknowing.
.es événe- L'étude du savoir infirmier - notre épistémologie - a fait l'objet de nombreuses
a réaction publications au cours des dernières décennies. Plusieurs auteures tentent ainsi de
:ille d'une
répondre à des questions sur 1' évolution du savoir infirmier ainsi que sur les appro-
ltribution
ches de développement et les méthodes et critères de validation des nouvelles
1es soute-
connaissances en sciences infirmières (Chinn et Kramer, 2008; Meleis, 2007).
r etmobi-
Carper (1978) rappelle que c'est la conception générale d'un domaine d'investiga-
activités;
tion (sa substance) qui détermine le type de connaissances que ce domaine vise à
1r les per-
développer, à structurer et à mettre en application (sa syntaxe).
Souvent cité, le texte de Carper (1978) est considéré comme étant un classique
pressions,
parmi les écrits américains. Dans le cadre de ses études doctorales, l'auteure a décelé
ts qui, en
quatre modes de développement et d'utilisation du savoir infirmier: le mode per-
:anté. Cet
sonnel, ou l'effort de compréhension de soi et de l'autre; le mode esthétique, ou l'art
précisent
bution ou infirmier; le mode éthiq_ue, ou la dimension morale; et le mode empirique, ou la
>pulation, dimension scientifique. A la suite de cette publication, des auteures ont souligné
l'importance d'autres modes de développement et d'utilisation du savoir. White
(1995) a notamment proposé l'ajout du mode sociopolitique, ou émancipatoire. Plus
substance récemment, Chinn et Kramer (2008), à l'instar de White et à partir de leurs propres
tologie -, travaux menés selon une perspective critique, ont proposé de le nommer « émanci-
infirmier, patoire ». Dans les paragraphes qui suivent, nous définissons brièvement chacun de
ces modes de développement et d'utilisation du savoir infirmier, et nous intégrons
des éléments explicatifs de ces processus à partir des travaux de Chinn et Kramer.
Le mode personnel
Le mode personnel prend appui sur l'expérience personnelle de l'infirmière de
est défini devenir un être unitaire, conscient et authentique. Il englobe la compréhension sub-
, acquises jective de soi et de l'autre, ou ce que l'infirmière connaît d'elle-même, tant par son
18 Chapitre 1
intellect que par son intuition qui lui permettent de comprendre de façon sensible
une situation de soins donnée. Par exemple, lorsque de jeunes parents doivent faire
face à la mort d'un nouveau-né, les sentiments de l'infirmière ayant déjà elle-même.
perdu des êtres chers lui donnent des outils pour aborder de façon plus fine l'expé-
rience de ces parents. Ainsi, sur le moment et dans cette situation, des attitudes ou
des actions telles que l'écoute, l'attention, l'empathie et le toucher sont des compor-
tements qui ont le potentiel de réconforter les parents. Carper (1978) souligne que,
sans ce mode de développement de la connaissance, l'utilisation thérapeutique de soi
ne serait pas possible. Généralement difficile à évaluer, cette dimension du savoir est
exprimée par la présence vraie, authentique et ouverte de l'infirmière. Pour appro-
fondir ce mode, Chinn et Kramer (2008) suggèrent à l'infirmière de se demander:
«Est-ce que je sais ce que je fais?» et «Est-ce que je fais ce que je sais?». Elles pro-
posent la tenue d'un journal réflexif avec l'intention d'approfondir la connaissance
de soi, comme personne et infirmière, ou encore la méditation régulière dans le même
sens. Le savoir à partir de ce mode est formalisé par des descriptions d'histoires
personnelles qui sont sources de réflexion et de partage rétrospectif d'une compré-
hension contribuant à enrichir la pratique. La pratique réflexive sur des situations de
soins fait entre autres appel au mode personnel quand une infirmière se demande
ce qu'elle ressentait et ce qui la faisait se sentir ainsi dans l'expérience sur laquelle elle
réfléchit (Johns, 1995, 2004).
De son côté, Munhall (1993) propose la notion d'inconnaissance comme mode
de développement de savoirs ou comme attitude personnelle à adopter pour com-
prendre l'autre. Elle présente le fait de savoir comme étant un risque de fermeture
ou une imperméabilité qui pousserait à ne pas considérer d'autres options comme
potentiellement valables. En ce sens, l'auteure décrit l'inconnaissance, ou le fait de
ne pas savoir, comme une présence ouverte, empreinte de compassion et de non-
jugement dans le but d'accéder à des connaissances intersubjectives inédites. Par
exemple, de son point de vue, il y a tout lieu de croire que l'inconnaissance de la
situation d'un patient lors d'une première rencontre est la source d'acquisition de.
nouveaux savoirs. Cet «état d'esprit d'inconnaissance» (p. 125) augmente la vigi-
lance de l'infirmière, qui cherche toute information pertinente à l'analyse globale de
la situation, de manière à déterminer comment, quand et où théories et recherches
peuvent contribuer à l'atteinte optimale des objectifs de soins. De plus, selon
l'auteure, l'ouverture d'esprit qui résulte du fait de ne pas savoir encourage l'ap-
prentissage continu. Une telle attitude devant la connaissance se révèle des plus
appropriées pour le développement de nouveaux savoirs.
Le mode esthétique
Le mode esthétique, ou l'art des soins infirmiers, fait référence à l'appréciation de la
signification d'une situation et nécessite des ressources créatives pour rejoindre
l'autre profondément et rendre possible ou transformer une expérience. Il est lié aux
expressions de type artistique qui découlent des expériences quotidiennes de l'infir-
mière: la beauté d'un geste, l'intensité d'une interaction et l'adresse manifestée au
~
----------------'-----!-·
L'essentiel de la discipline 119- - - j t
11
1,
. sensible moment de la coordination d'activités de soins qui font une différence pour l'autre.
'ent faire Il s'exprime dans la pratique par un art et par des actes qui transforment. Les expres-
le-même sions du savoir esthétique prennent la forme de critiques esthétiques et de travaux
.e l'expé- d'art qui inspirent. Par exemple, l'écriture est une occasion pour l'infirmière de
tudes ou communiquer la singularité d'une expérience (Holmes et Gregory, 1998). En effet,
compor- la rédaction de textes narratifs ou de poèmes est une façon de mettre en lumière
gne que, l'essence d'une expérience de santé tout en décrivant les réponses uniques des per-
ue de soi sonnes devant la santé et la maladie (Breslin, 1996; Watson, 1994). Le savoir esthé-
;avoir est tique est une voie prometteuse pour améliorer la qualité des soins (Wainwright,
lr appro- 2000) ainsi qu'une façon de retravailler la manière dont on conçoit certains éléments
mander:
de la pratique et de faire avancer la théorie (Benner, 2000; Blondeau, 2002 ; SchÔn,
1les pro-
1987; Thomas et Pollio, 2002).
iaissance
le même Pour approfondir ce mode, Chinn et Kramer (2008) suggèrent à l'infirmière de
histoires se demander: « Qy'est-ce que cela signifie?» et «Comment est-ce significatif?».
compré- Dans le cadre de la pratique réflexive sur une situation de soins, Johns (2004) pro-
ations de pose les questions : « Qyels éléments de la situation semblent significatifs?»,
femande «()y'est-ce que je voulais accomplir?» et « Qyelles étaient les conséquences de mes
uelle elle actions sur le patient, les autres et moi-même?». En relevant le défi de s'ouvrir aux
significations et de préserver le caractère humain des soins devant les contraintes
ne mode d'efficacité et de rentabilité, et en créant un tout significatif pour la personne, la
mr com- famille ou la communauté, l'infirmière développe et met en application un savoir
!rmeture esthétique. Elle contribue ainsi dans sa pratique au développement de savoirs spéci-
; comme fiques de sa discipline.
le fait de
de non- Le mode éthique
.ites. Par
Le mode éthique fait référence aux processus de prise en compte de valeurs et de
ice de la
sition de· clarification d'ordre moral qu'exigent de nombreuses situations de soins. Cette
dimension du savoir concerne ce qui est juste, bon, désirable, et s'appuie sur des
! la vigi-
lobale de principes et des codes. Ainsi, une connaissance de diverses positions philosophiques
cherches relatives aux gestes à effectuer ou non est nécessaire pour prendre une décision
is, selon éclairée. Les dilemmes éthiques amènent notamment à considérer quelles contraintes
age l'ap- peuvent être éliminées, améliorées ou acceptées (Durgahee, 1997). L'énoncé des
des plus valeurs, des codes et des standards à considérer pour poser un jugement éthique met
en lumière «la compl~xité des situations éthiquement problématiques engendrées
par les développements scientifiques et techniques que nous avons connus»
(Saint-Arnaud, 2009, p. 3). Le développement du savoir éthique part de l'héritage
de compréhension morale de l'infirmière qui réfléchit à sa pratique en se posant les
ion de la questions: «Est-ce juste?», «Est-ce responsable?» (Chinn et Kramer, 2008). En
rejoindre. plus de la réflexion et du jugement, le savoir éthique s'acquiert par le dialogue
st lié aux d'ordre moral et par la justification des principes choisis, deux processus qui occu-
le 1'infir- pent une place dans la pratique réflexive (Johns, 2004). L'application du savoir
festée au éthique se fait en contexte et se démontre par le comportement moral et éthique de ·
,-~_ _ _ _ _ _ _ _2_0--+_C_h__,ap_it_re_1_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ __
Le mode empirique
Le mode empirique est issu de la recherche scientifique, de l'observation, de l'explo-
ration, de la description et de l'explication des phénomènes. Diverses méthodes de
recherche, qu'elles soient de type qualificatif ou quantitatif, traduisent l'approche
scientifique. La recherche a abondamment contribué au développement des connais-
sances scientifiques au cours des dernières décennies. Ainsi, en sciences infirmières,
les savoirs croissent sans cesse. Cependant, le défi est de transformer les pratiques
infirrp.ières en fonction de ces savoirs. L'expression du mode empirique dans la pra-
tique est la compétence scientifique ou l'habileté de remettre en question ses inter-
ventions et d'intégrer à ses interventions des savoirs issus de la recherche (Chinn et
Kramer, 2008) comprenant des théories explicatives de phénomènes rencontrés
dans sa pratique. Le développement de savoirs dans ce mode découle de questions
telles:« Qy'est-ce que c'est?»,« Comment cela fonctionne-t-il? »et donne lieu, par un
processus de conceptualisation et de structuration, à des descriptions formelles et à
des théories explicatives, lesquelles doivent être confirmées et validées (Chinn et
Kramer, 2008). Le mode empirique de développement et d'utilisation de la connais-
sance englobe les divers processus menant à la reconnaissance d'une science dont:
1) l'analyse conceptuelle (Rodgers et Knafl, 2000; Walker et Avant, 2004), ou la
création de significations conceptuelles (Chinn et Kramer, 2008) pour des expé-
riences ou des phénomènes rencontrés dans la pratique infirmière (par exemple,
fatigue, confort et espoir); et 2) l'élaboration et la vérification de théories descrip-
tives ou explicatives (ex. : sur la résilie,nce ou sur le rétablissement) utiles à la pra-
tique, et ce, que les processus soient inductifs ou déductifs.
En 2000, Donaldson relatait les principales percées sur le plan des savoirs qui
découlent de la recherche scientifique de la discipline infirmière. En se basant sur la
définition qu'elle avait donnée en 1978 du domaine infirmier ou du centre d'intérêt
de la discipline (Donaldson et Crawley, 1978), elle a analysé des travaux majeurs
réalisés de 1960 à 1990. L'auteure a souligné les changements que les percées de la
recherche infirmière ont apportés dans la compréhension de phénomènes de santé
tels que l'expérience des personnes à l'annonce d'un diagnostic, le soulagement de la
douleur ou encore la qualité de vie des personnes démentes. Ces percées ont eu un
impact positif sur l'adoption de nouvelles pratiques non seulement par les infir-
mières, mais par d'autres professionnels de.la santé ayant aussi un impact sur la santé
des personnes.
L'essentiel de la discipline 1 21
les repères Carper (1978) a le mérite d'avoir mis en relief trois modes de développement de
1rincipe de savoirs - personnel, esthétique et éthique - qui complètent, dans la discipline infir-
>onsabilité mière, le mode empirique (celui de la recherche scientifique). Les écrits de certains
puie sur la auteurs (Johns, 1995, 2004; Liaschenko et Fisher, 1999) font ressortir toute l'im-
197), pion- portance de ces différents modes non seulement pour le développement, mais aussi
r les infir- pour l'utilisation de savoirs dans la pratique infirmière.
vie de personnes vivant avec une incapacité physique, au soutien des aidants familiaux,
aux considérations éthiques relatives à la mort ou encore à l'utilisation des technolo-
gies en génétique humaine; de telles préoccupations nécessitent de parer aux limites
d'un seul savoir disciplinaire et d'approcher les questions humaines selon une perspec-
tive élargie, faisant ainsi appel aux points de vue de diverses disciplines et aux repré-
sentants des familles ou de la communauté, par exemple. Il s'agit d'une façon de faire
permettant de partager valeurs, buts et objectifs, et de s'approcher de décisions com-
munes relatives au bien-être et à la santé des personnes. Le partage de connaissances,
grâce à l'élimination des barrières disciplinaires, mène à l'acquisition de nouveaux
savoirs ainsi qu'à des approches de soins et à des services intégrés conçus au bénéfice
des personnes et des familles (Anderson, Monsen et Rorty, 2000). La transdisciplina-
rité est axée sur l'action, se situe en contexte, se veut inventive, éclectique et très liée
aux questions de processus dans les sphères communautaires et gouvernementales,
notamment. Elle témoigne d'une nouvelle relation entre science et société où le dia-
logue et le partage contribuent à 1'élaboration de la connaissance (Gibbons et autres,
1999; Nowotny, Scott et Gibbons, 2001).
Le savoir infirmier est riche de ces divers modes, approches et influences qui
contribuent, chacun à leur manière, à l'émergence ou à la consolidation de connais-
sances variées sur les expériences de santé et sur le soin. Au fur et à mesure de la
clarification des concepts spécifiques de la discipline, de nouveaux savoirs sont mis
à jour et permettent d'en circonscrire la singularité. Un tel objectif doit être pour-
suivi pour l'élaboration de connaissances contributives à la santé humaine caracté-
risées par une sensibilité aux questions de genres, d'influences socioculturelles, de
croyances, de valeurs et de partenariats avec la clientèle.
liliaux, La figure 1.1 situe le centre d'intérêt de la discipline par rapport à l'interaction
hnolo- circulaire existant entre les divers champs d'activités de l'infirmière (pratique,
limites recherche, gestion, formation et politique) et les différents modes de développe-
erspec- ment et d'utilisation des savoifs (modes personnel, esthétique, éthique, empirique
: repré- et sociopolitique ou émancipatoire).
fe faire
.s com-
A partir des considérations précédentes ayant trait à l'essentiel de la discipline
infirmière, nous proposons, dans le prochain chapitre, d'examiner l'influence des
sances,
paradigmes, ou grands courants de pensée, sur le développement du savoir infirmier.
uveaux
énéfice
:iplina- U!Bmijl Centre d'intérêt de la discipline, modes de développement et d'utilisation du savoir
rès liée infirmier et champs d'activités de l'infirmière
~ntales,
le dia-
autres, Pratique
ces qui
mnais-
·e de la
mtmis
\
~pour
CENTRE D'INTÉRÊT
aracté-
lles, de Le soin, dans ses diverses
expressions, auprès des ·
personnes, des familles, des
communautés et des populations
qui, en interaction continue avec
leur environnement, vivent des
expériences de santé.
>lution.
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1
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