Jurisprudence
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N2340BZP
Citer l'article
par Stéphane Vernac, Professeur de droit privé à l'Université Jean Monnet de Saint-
Étienne et Directeur scientifique de la Revue Lexbase Social
le 27 Juillet 2022
Mots clés : licenciement pour motif économique • difficultés économiques • C. trav., art. L.
1233-3 • baisse significative du chiffre d’affaires
Les (bonnes) intentions réformatrices, et en particulier celles guidées par les ambitions
sécurisatrices et simplificatrices, ne tardent jamais bien longtemps à faire naître de nouvelles
interrogations et zones d’ombre. Les exemples sont légion, tout particulièrement dans le
champ du droit du licenciement pour motif économique. En témoigne l’arrêt « CWF », rendu
le 1er juin 2022 par la Chambre sociale de la Cour de cassation [1], au sujet de l’appréciation
des difficultés économiques aptes à justifier un licenciement pour motif économique. Les
précisions apportées par cet arrêt contrastent, il est vrai, avec les intentions énoncées dans
l’exposé des motifs de la loi du 8 août 2016 dite loi « Travail » [2] : « l’objectif de cette
codification est de rendre accessible aux petites et moyennes entreprises, à tous ceux qui ne
disposent pas de conseils juridiques ou de services de ressources humaines, les critères qui
permettent de savoir si le motif économique est ou non fondé. Il lève ainsi les freins à
l’embauche lorsque le chef d’une PME hésite à recruter » [3]. Voilà qui expliquerait la
réécriture de l’article L. 1233-3 du Code du travail N° Lexbase : L1446LKR. Cette
disposition prévoit notamment que les difficultés économiques sont « caractérisées soit par
l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des
commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la
trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier
de ces difficultés ». Le législateur livre ensuite une méthode d’appréciation de la « baisse
significative des commandes ou du chiffre d'affaires », en précisant que celle-ci « est
constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de
l'année précédente, au moins égale à » une période comprise entre un à quatre trimestres et
définie en fonction des effectifs de l’entreprise. L’arrêt « CWF » apporte une utile précision
s’agissant de la détermination de la période au cours de laquelle doit être caractérisée la baisse
d’un indicateur (I.). En revanche, il ne répond que partiellement à la délicate question du
statut de la démarche comptable posée par la loi : s’impose-t-elle au juge ? (II.).
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, une salariée, engagée en 1982 en qualité
d'ouvrière en confection, est licenciée en raison de difficultés économiques par la société
CWF qui emploie plus de trois cents salariés. Contestant le bien-fondé de son licenciement,
qui lui a été notifié en juillet 2017, la salariée est déboutée par les juges du fond. Constatant
que la procédure de licenciement économique collectif a été engagée au second trimestre
2017, la cour d’appel, a notamment considéré qu’il convenait d’apprécier les difficultés
économiques au regard de l'évolution d'un des indicateurs énumérés par l'article L. 1233-3 du
Code du travail connus à ce moment-là. Puisque seul le premier trimestre 2017 était alors
connu et non l’entier exercice 2017, le juge d’appel prend en considération les données
comptables relatives au chiffre d’affaires du dernier exercice clos, soit l’exercice 2016. Et le
recul de quatre trimestres consécutifs du chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à
l'année 2015 suffisait à caractériser l’existence de difficultés économiques, l’augmentation de
0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016, n'étant
alors pas suffisante pour signifier une amélioration tangible des indicateurs. L’arrêt est
censuré pour violation de la loi, au motif qu’il résultait des propres constatations de la cour
d’appel que « la durée de la baisse du chiffre d'affaires, en comparaison avec la même période
de l'année précédente, n'égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du
contrat de travail pour cette entreprise de plus de trois cents salariés ». L’article L. 1233-3 du
Code du travail caractérise une « baisse significative des commandes ou du chiffre
d’affaires » en référence à la durée de cette baisse qui doit être « en comparaison avec la
même période de l'année précédente, au moins égale à : a) Un trimestre pour une entreprise de
moins de onze salariés ; b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze
salariés et de moins de cinquante salariés ; c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise
d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ; d) Quatre trimestres
consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ». Ce décompte trimestriel
pouvait susciter une interrogation, principalement pour l’appréciation de la baisse de chiffre
d’affaires : convient-il de se référer, pour apprécier la baisse significative, aux trimestres
successifs du précédent exercice clos ou aux trimestres successifs précédant immédiatement la
notification du licenciement ? La réponse est contenue, pour les Hauts magistrats, dans une
solution jurisprudentielle constante posée il y a plus de trois décennies : le juge doit se placer
à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci [4]. Il est en effet acquis que le
juge doit apprécier le bien-fondé du motif du licenciement à la date de son prononcé, bien
qu’il puisse, pour cette appréciation, tenir compte d'éléments postérieurs [5]. Il ne peut se
placer à une date antérieure à la notification du licenciement pour apprécier le motif
économique. D’ailleurs, toute appréciation du motif économique précédant la notification du
licenciement est condamnée par la Haute juridiction, au point de faire obstacle à toute
contestation du motif économique engagée antérieurement à la notification du licenciement.
La Cour de cassation a ainsi jugé en 2021, dans un arrêt « Ford Aquitaine Industries », que
« la régularité de la procédure de licenciement économique ne s'apprécie pas en considération
de la cause économique de licenciement » et que « le juge judiciaire, saisi avant la notification
des licenciements pour motif économique, ne peut faire droit à des demandes tendant à
constater l'absence de cause économique et à enjoindre en conséquence à l'employeur de
mettre fin au projet de fermeture du site et au projet de licenciement économique collectif
soumis à la consultation des instances représentatives du personnel » [6].
Partant, la période trimestrielle qu’il convient de prendre en compte doit être celle qui précède
immédiatement la notification du licenciement. Le juge d’appel ne pouvait apprécier les
difficultés économiques à la date du déclenchement de la procédure, ni se contenter de se
référer à l'exercice clos 2016, alors que le licenciement a été notifié au cours du troisième
trimestre 2017. Un observateur relève très justement que « c'est là une manière de situer cette
période en fonction de la date à laquelle le juge doit apprécier la légitimité du licenciement
(ou de la rupture), et non pas à l'aune d'échéances comptables » [7]. Les indicateurs sont
présumés connus, avant même la clôture d’un exercice comptable, et doivent être comparés
avec la même période de l'année précédente, jusqu’à la date de notification du licenciement.
Il ressort de l’arrêt « CWF » qu’un regain d’activité, même faible, peut empêcher toute
caractérisation des difficultés économiques [8]. La baisse significative, au sens de l’article L.
1233-3, doit être caractérisée pendant plusieurs trimestres pleins et consécutifs. Les juges
d’appel ne pouvaient donc considérer que les difficultés économiques étaient caractérisées,
tout en constatant l’augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017
par rapport à celui de 2016. Les juges auraient dû, pour caractériser des difficultés
économiques, s’assurer que la durée de la baisse du chiffre d'affaires, en comparaison avec la
même période de l'année précédente, n'égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la
rupture du contrat de travail pour cette entreprise de plus de trois cents salariés. C’est là un
autre apport de l’arrêt « CWF » : l’identification d’une baisse significative des commandes ou
du chiffre d’affaires est une condition nécessaire à la caractérisation des difficultés
économiques [9], du moins lorsque l’employeur invoque l’évolution de l’un ou de l’autre de
ces indicateurs. Cette solution pourrait sans doute concerner l’évolution significative de tout
autre indicateur invoqué par un employeur, tel que l’évolution des pertes d'exploitation, de la
dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation. S’il s’agit d’une condition
nécessaire, suffit-elle pour autant à caractériser l’existence de difficultés économiques ? Il
serait infondé d’ériger la démarche comptable posée par l’article L. 1233-3 du Code du travail
en présomption, et encore moins en « présomption irréfragable » [10] de difficultés
économiques qui « prive le salarié du droit de contester l'existence d'un tel motif » [11]. Bien
au contraire, si l’article L. 1233-3 du Code du travail guide l’appréciation judiciaire relative à
l’évolution significative d’un indicateur, sa rédaction ménage une marge de manœuvre aux
juges. Ainsi, les difficultés économiques peuvent être caractérisées soit par l’évolution
significative « d’au moins un indicateur » - expression qui reconnaît au juge une faculté de
prendre en compte une pluralité d’indicateurs - « soit par tout autre élément de nature à
justifier de ces difficultés ». De surcroît, le caractère significatif de la baisse d’un indicateur
peut-il se réduire à une durée, indépendamment de l’ampleur de cette baisse [12] ? En tout
état de cause, sous couvert d’une prétendue objectivité comptable [13], l’appréciation des
difficultés économiques ne saurait se satisfaire du ou des seuls indicateurs choisis par
l’employeur [14], et parfois élaborés pour les besoins de la cause. En définitive, l’article L.
1233-3 du Code du travail doit être interprété à la lumière du principe posé par l’article L.
1233-2 du même code, en vertu duquel le licenciement pour motif économique doit être
« justifié par une cause réelle et sérieuse », et conformément à la Convention n° 158 de l’OIT
[15], qui prévoit notamment, en son article 9, que les juges doivent être habilités « à examiner
les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas »,
« à former leur conviction quant aux motifs du licenciement au vu des éléments de preuve
fournis par les parties », et « à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour
ces motifs ».
[1] Cass. soc., 1er juin 2022, n° 20-19.957, FS-B N° Lexbase : A58547YH, RDT, 2022, p.
384, obs. F. Géa ; JCP S, 2022, n° 26, 1184, obs. P. Morvan ; D. actualités, 13 juin 2022, obs.
L. Malfettes.
[2] Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social
et à la sécurisation des parcours professionnels N° Lexbase : L8436K9C.
[3] Projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les
entreprises et les actifs, 24 mars 2016, exposé des motifs.
[4] V. not. Cass. soc., 21 novembre 1990, n° 87-44.940 N° Lexbase : A3369AHA, Bull. civ.
V, 1990, n° 574 ; Cass. soc., 26 février 1992, n° 90-41.247 N° Lexbase : A1759AAE, Bull.
civ. V, 1992, n° 130.
[6] Cass. soc., 29 septembre 2021, n° 19-23.248, FS-B N° Lexbase : A054448N, F. Géa et S.
Vernac, L'arrêt Ford Aquitaine Industries : un (double) déni de justice ?, RDT, 2021, p. 647.
[7] F. Géa, Les indicateurs comptables des difficultés économiques : quelle portée ?, préc..
[9] F. Géa, Les indicateurs comptables des difficultés économiques : quelle portée ?, préc..
[10] P. Morvan, JCl. Travail, Fasc. 31-1 (Licenciement pour motif économique - Définition
du motif économique), spéc. n° 83 ; v. également le commentaire de l’arrêt « CWF » par ce
même auteur, JCP S, 2022, n° 26, 1184.
[13] Par exemple, une diminution de chiffre d’affaires ou du volume des commandes ne
s’accompagne pas nécessairement d’une réduction des bénéfices, en particulier lorsque le taux
de marge augmente.
[14] C. Wolmark, Les difficultés économiques à l'épreuve du droit à l'emploi, préc.. ; V. aussi
T. Sachs, De l'objectivation comptable des difficultés économiques à l'enrichissement du
contrôle de la décision de l'employeur, Controverse, RDT, 2016, 662.
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N3341AKX
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[Jurisprudence] Un nouveau pas en avant pour le licenciement économique fondé sur la sauvegarde
de la compétitivité des entreprises. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208033-
jurisprudence-un-nouveau-pas-en-avant-pour-le-licenciement-economique-fonde-sur-la-sauvegarde-
de-la
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le 07 Octobre 2010
Décisions
Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-46.201, M. Joël Ains c/ Société Les Pages Jaunes, FS-
P+B+R+I (N° Lexbase : A3500DML) ; Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 05-40.977, Société
Pages Jaunes c/ M. Philippe Delporte, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3522DME)
Rejet (cour d'appel de Dijon, Chambre sociale, 29 juin 2004) et cassation partiellement sans
renvoi (cour d'appel de Montpellier, Chambre sociale, 15 décembre 2004)
Textes concernés et visés : C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) ; C. trav., art.
L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K)
Résumé
1. La société Les Pages Jaunes, appartenant au groupe France Télécom, a mis en place, en
novembre 2001, un projet de réorganisation, afin d'assurer la transition entre les produits
traditionnels (annuaire papier et minitel) et ceux liés aux nouvelles technologies de
l'information (internet, mobile, site), qu'elle jugeait indispensable à la sauvegarde de la
compétitivité de l'entreprise, compte tenu des conséquences prévisibles de l'évolution
technologique et de son environnement concurrentiel.
Plusieurs salariés, après avoir refusé cette modification, ont saisi la juridiction prud'homale
de demandes tendant, notamment, au paiement d'une indemnité pour absence de proposition
d'une convention de conversion et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle
et sérieuse.
Second arrêt : La cour d'appel a infirmé le jugement du conseil de prud'hommes et fait droit
aux demandes du salarié, après avoir retenu que l'employeur ne peut prétendre que sa
compétitivité était menacée au point de risquer la survie de l'entreprise alors qu'il est
présenté, non pas une baisse du chiffre d'affaires, mais une modification de sa structure, qu'en
2003 sa situation était largement bénéficiaire, et qu'il résulte du plan de réorganisation
commerciale qu'il avait pour objet d'améliorer l'activité de sites déficitaires, de développer la
valeur moyenne de chacun des clients et de développer des offres publicitaires nouvelles à un
rythme plus élevé, ce dont il résulte que cette réorganisation avait pour objet unique
d'améliorer la compétitivité de l'entreprise et de faire des bénéfices plus élevés, dans un
contexte concurrentiel nullement menaçant.
Solution
1. "La cour d'appel, qui a retenu à bon droit que l'accord interprofessionnel du 20 octobre
1986 ne s'appliquait pas aux licenciements économiques prononcés après le 30 juin 2001 et
qui a constaté que les intéressés avaient été licenciés après cette date, a légalement justifié
sa décision".
2. "La cour d'appel, après avoir constaté que les dispositions du plan social comportaient un
ensemble de mesures de reclassement interne et externe, a pu en déduire qu'elles
répondaient aux exigences légales et étaient proportionnées aux moyens de l'entreprise".
2. "En statuant comme elle l'a fait, alors que le licenciement de M. Delporte avait une cause
économique réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; en application de
l'article L. 627, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2884AD8),
la Cour de cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige par
application de la règle de droit appropriée".
Le texte ayant indiqué, par la présence de l'adverbe "notamment", que la liste des événements
à l'origine de la suppression d'un emploi, de sa transformation ou de la modification du
contrat de travail, n'était pas limitée aux seules hypothèses de difficultés économiques ou de
mutations technologiques, la jurisprudence a admis comme cause supplémentaire la cessation
de l'activité résultant du non-renouvellement du bail commercial (Cass. soc., 16 janvier 2001,
n° 98-44.647, M. Daniel Morvant, publié N° Lexbase : A2160AIT, Dr. Soc. 2001, p. 413,
chron. J. Savatier ; D. 2001, somm. p. 2170, obs. C. Boissel) ou de la maladie de l'employeur
(CA Nancy, 16 janvier 1991, RJS 1991, n° 830).
La Cour de cassation a aussi, et surtout, admis, en 1995, que "lorsqu'elle n'est pas liée à des
difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut
constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du
secteur d'activité" (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et
Displays c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3, RJS 1995, n° 496 et
p. 321 et s., concl. Y. Chauvy ; SSL n° 740 du 18 avril 1995, rapp. B. Boubli ; D. 1995,
jurispr. p. 503, note M. Keller ; JCP G 1995, II, 22443, note G. Picca ; Dr. ouvrier 1995, p.
281, note A. Lyon-Caen ; Dr. soc. 1995, p. 489, chron. G. Lyon-Caen).
La formulation de cette nouvelle cause a, par la suite, été assouplie, puisque la Cour de
cassation a abandonné la formulation négative ("ne peut constituer que si") pour une
expression plus simple et directe, moins restrictive ("si une restructuration entraînant la
suppression de poste d'un salarié peut constituer une cause économique de licenciement,
c'est à la condition que cette mesure soit nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de
l'entreprise" : Cass. soc., 11 juin 1997, n° 94-45.175, Mme Kryger c/ M. Raguin, publié
N° Lexbase : A2165AAG), même si, dans de nombreux arrêts où la Cour de cassation
entendait manifester une certaine sévérité à l'égard des entreprises, la formule initiée en 1995
réapparaissait (Cass. soc., 15 janvier 2003, n° 00-44.793, F-D N° Lexbase : A6866A43).
La première concerne l'autonomie de cette cause économique qui a été, très logiquement,
affirmée : la réorganisation de l'entreprise justifiée par la nécessité de sauvegarder sa
compétitivité suffit, sans qu'il soit utile de prouver l'existence de mutations technologiques ou
de difficultés économiques (Cass. soc., 24 septembre 2002, n° 00-44.007, FS-P sur le premier
moyen N° Lexbase : A4873AZI).
C'est ce que confirment, de manière plus claire encore, ces deux arrêts rendus le 11 janvier
2006, puisque la Cour de cassation affirme que "la réorganisation de l'entreprise constitue
un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la
compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, et que répond à
ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir
liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi, sans être
subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement".
La Cour de cassation s'était simplement montrée d'une extrême sévérité, comme en témoigne
le nombre important de cassations, soit pour violation de la loi lorsque les juges du fond
confondaient sauvegarde de la compétitivité et amélioration des relations avec les clients
(Cass. soc., 20 novembre 2002, n° 00-45.343, F-D N° Lexbase : A0606A49), soit pour
manque de base légale, la Cour rejetant, également, de nombreux pourvois contre des
décisions ayant refusé d'admettre ce motif (Cass. soc., 17 décembre 2002, n° 00-45.621, FS-P
N° Lexbase : A4954A4A ; Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-47.065, F-D N° Lexbase :
A5127DK4), parfois même en se référant au pouvoir souverain d'appréciation des juges du
fond, concernant les menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise (Cass. soc., 15 janvier
2003, n° 00-44.793, F-D N° Lexbase : A6866A43 ; Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 02-
40.293, F-D N° Lexbase : A4397DA4).
C'est dans ce contexte, marqué à la fois par l'absence de véritable directive pour apprécier la
notion de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et une certaine hostilité latente de la
Cour de cassation à l'égard de cette possibilité, qu'interviennent ces deux arrêts rendus le 11
janvier 2006, qui ont pour double intérêt, à la fois d'admettre cette justification, et de fournir
un critère explicatif.
Dans ces deux arrêts, qui concernent la même affaire, la société Les Pages Jaunes,
appartenant au groupe France Télécom, avait mis en place, en novembre 2001, un projet de
réorganisation afin d'assurer la transition entre les produits traditionnels (annuaire papier et
minitel) et ceux liés aux nouvelles technologies de l'information (internet, mobile, site),
qu'elle jugeait indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, compte tenu
des conséquences prévisibles de l'évolution technologique et de son environnement
concurrentiel.
Plusieurs salariés, après avoir refusé cette modification, avaient saisi la juridiction
prud'homale de demandes tendant, notamment, au paiement d'une indemnité pour absence de
proposition d'une convention de conversion et de dommages-intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse.
Dans la première affaire, la cour d'appel de Dijon avait donné raison à l'entreprise alors que,
dans la seconde, la cour d'appel de Montpellier avait refusé de considérer la réorganisation
comme justifiée, après avoir relevé que la situation financière de l'entreprise était largement
bénéficiaire et qu'il s'agissait non pas de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise mais,
simplement, de l'améliorer et de faire des bénéfices plus élevés, dans un contexte
concurrentiel nullement menaçant.
Pourtant et, serait-on tenté de dire, contre toute attente, l'arrêt est cassé, la Cour de cassation
affirmant que "répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des
difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences
sur l'emploi". L'affirmation prend une signification particulière dans la mesure où l'arrêt est
cassé pour violation de la loi, et donc pas pour une insuffisance dans sa motivation, et n'est
pas renvoyé devant une nouvelle juridiction du fond.
La Cour de cassation impose, ici, aux juges du fond une forme incontestable de réalisme
économique. Le basculement du "tout papier" vers le "tout numérique" entraîne,
incontestablement, des bouleversements dans l'organisation des entreprises et sur l'emploi qui
se trouve, bien entendu, menacé, l'introduction des technologies de la communication et de
l'information ayant déjà eu, à de très nombreuses reprises, un impact négatif sur les métiers
traditionnels.
La Cour de cassation livre, également, une clef d'analyse qui pourrait ressembler plus à une
justification socio-économique qu'à un véritable critère : la mesure de réorganisation doit être
destinée à "prévenir des difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques
et leurs conséquences sur l'emploi". La Cour n'entend donc pas donner un blanc-seing aux
entreprises concernées, comme pourrait pourtant le suggérer la généralité de la formule
employée. C'est parce que les menaces sur l'emploi sont avérées que le motif est admis, et
non pas seulement parce que l'employeur le prétend.
Pour que cet argument soit retenu, il sera donc vraisemblablement nécessaire de démontrer
que d'autres entreprises, relevant du même secteur d'activité, et qui ne sont pas réorganisées,
ont été contraintes de réduire le nombre de leurs emplois.
Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, Syndicat professionnel l'Union des opticiens
(UDO), FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP)
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le 07 Octobre 2010
Depuis une quinzaine d'années, le droit de la formation professionnelle n'a cessé de prendre
une place de plus en plus imposante dans notre droit du travail. La jurisprudence a joué un
rôle moteur dans la mise en place de cette réglementation durant les années 1990. On pensait,
avec la loi du 4 mai 2004 (1), que le relais avait été pris par le législateur. Pourtant, la Cour de
cassation ne semble pas disposée à se désengager de ce domaine et accroît, encore, le champ
de l'obligation d'adaptation des salariés à leurs postes de travail. C'est ce qui ressort d'une
décision rendue le 23 octobre 2007 par la Chambre sociale, et qui distingue deux préjudices
pouvant découler du manquement par l'employeur à son obligation d'adaptation. Le premier
préjudice, classique, découle du licenciement intervenant en raison du défaut d'adaptation (1).
Le second, innovant et distinct du précédent, semble plutôt correspondre aux difficultés que
subiront, sur le marché de l'emploi, les salariés n'ayant pas bénéficié de cet effort de formation
(2).
Résumé
L'employeur qui se contente de faire bénéficier d'un stage de trois jours des salariées
embauchées dans l'entreprise respectivement depuis 12 et 24 ans manque à son obligation
d'adaptation des salariés à leur poste de travail. Ce manquement constitue une exécution
défectueuse du contrat de travail entraînant un préjudice distinct de celui découlant de sa
rupture.
1. Un préjudice classique matérialisé dans le licenciement pour motif économique
C'est la jurisprudence qui, la première, s'était penchée sur cette question. A travers le célèbre
arrêt "Expovit", rendu en 1992, elle institua une obligation, à la charge de l'employeur,
d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi (2). La solution fut souvent confirmée par la
Chambre sociale de la Cour de cassation (3), jusqu'à ce que le législateur ne prenne la mesure
de l'importance que revêtait la formation des salariés et n'institue cette obligation, de manière
générale, à l'article L. 930-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8835G7D) (4).
Comme l'avait très justement révélé la Cour de cassation en 1992, l'obligation d'adaptation est
de nature contractuelle, elle participe de l'idée selon laquelle le contrat de travail doit être
exécuté de bonne foi (5).
Il s'agit, donc, d'une obligation accessoire aux obligations principales du contrat de travail.
Outre que l'employeur doit fournir un travail à son salarié et le rémunérer pour cette tâche, il
doit s'assurer, selon la formule consacrée, que le salarié demeure adapté à son poste de travail
et doit veiller au maintien de ses capacités à occuper un emploi.
Contenu de l'obligation
L'obligation n'est pourtant pas sans limites (7). On ne saurait, ainsi, exiger de l'employeur qu'il
pallie les carences de la formation initiale du salarié (8). Dans le même ordre d'idées, il ne
peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir fait suivre à son salarié une formation d'une
trop longue durée, par exemple une formation s'étalant sur trois années (9).
Jusqu'à présent, le manquement à l'obligation d'adaptation ne donnait lieu qu'à une sanction
unique. Le préjudice subi par le salarié se matérialisait toujours dans l'intervention d'un
licenciement pour motif économique. A la suite de difficultés économiques ou de mutations
technologiques, le salarié n'était plus adapté à son emploi et l'employeur prononçait son
licenciement.
La Cour de cassation a toujours estimé que le licenciement était, dès lors, dépourvu de cause
réelle et sérieuse. En effet, si l'employeur avait exécuté son obligation d'adaptation, un
reclassement du salarié aurait été envisageable. Sachant qu'un licenciement pour motif
économique est considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse (10) si
l'employeur s'est prononcé sans avoir suffisamment recherché si le reclassement du salarié
était envisageable, le salarié percevait donc les indemnités afférentes à ce type de rupture du
contrat de travail.
Si l'existence de ce préjudice est, bien entendu, confirmée dans l'arrêt commenté, la Cour de
cassation se prononce en faveur de l'existence d'un autre préjudice subi par le salarié du fait de
la mauvaise exécution de l'obligation d'adaptation par l'employeur. La réparation de ce
nouveau préjudice est, pour le moins, innovante.
La cour d'appel avait décidé d'allouer des dommages-intérêts pour violation de l'obligation de
formation des deux salariées concernées dans cette affaire, indemnisation distincte de celle
perçue en raison de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision. Elle estime, en effet, qu'à
côté du préjudice subi du fait du licenciement, les salariées ont subi un préjudice distinct
résultant du manquement de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail.
Quelle est donc la nature exacte de ce préjudice ? Comme celui relatif au licenciement, il
s'agit, bien entendu, d'un préjudice matériel. Si ces salariées ont perdu leur emploi de manière
injustifiée, elles vont, également, connaître des difficultés pour retrouver un nouvel emploi.
L'une était restée 12 années au service de l'entreprise, l'autre 24 ans. Durant ces périodes, il ne
leur avait été permis d'effectuer qu'un stage de 3 jours. Sur un marché du travail pour le moins
volatile et pour lequel les facultés d'adaptation des salariés sont un critère déterminant dans la
recherche d'un emploi, l'absence d'évolution de leurs connaissances leur était très
probablement préjudiciable.
Si la Cour de cassation ne reprend pas expressément les termes de la cour d'appel qui voyait,
dans les manquements de l'employeur, une violation de "l'obligation de formation", c'est bien
cela qui cause implicitement le préjudice. Les salariées ne seront pas suffisamment formées,
pas suffisamment armées pour affronter le marché de l'emploi, et ce déficit de formation est,
en partie, dû aux manquements contractuels de l'employeur.
Bien que l'obligation d'adaptation ne soit plus totalement une obligation contractuelle,
accessoire et implicite, mais bien une obligation légale imposée par le Code du travail, la
solution rendue par la Cour semble s'inscrire dans une parfaite logique contractuelle.
Quant à l'argument qui consisterait à dire que l'obligation n'est pas contractuelle mais légale, il
paraît inopérant car il impliquerait d'exclure du champ contractuel toute obligation imposée
par la loi, dans le cadre d'un contrat. Ainsi, si le législateur prescrit que le contrat de travail
doit s'exécuter de bonne foi, l'obligation demeure une obligation contractuelle et en suit le
régime. L'existence de deux préjudices distincts n'était donc pas techniquement contestable.
En effet, les deux préjudices identifiés par les juges étant distincts, on pourrait parfaitement
imaginer, demain, des recours effectués devant le juge prud'homal par des salariés qui, n'ayant
pas subi de licenciement pour motif économique, reprocheraient à leur employeur un
manquement à l'obligation d'adaptation en raison de l'absence de formation pendant la durée
de leur contrat de travail. Cette évolution parait conforme à l'évolution du droit du travail et
du marché de l'emploi dans lesquels la qualité de la formation des salariés est, sans cesse,
mise en avant. Cela s'inscrit, d'ailleurs, dans le cadre de l'apparition d'un véritable droit
individuel à la formation (Dif), tel que l'a prévu la loi du 4 mai 2004.
Cependant, selon ce texte, l'accès aux formations individuelles doit s'opérer à la demande du
salarié, demande qui doit être acceptée par l'employeur (11). Avec l'arrêt commenté, on peut
se demander si la Cour de cassation ne souhaite pas aller plus loin. Ce ne serait plus au salarié
de prendre l'initiative et de demander à bénéficier de son droit à la formation, mais bien à
l'employeur de proposer, de lui-même, en exécution de son obligation contractuelle
d'adaptation de ses salariés, des formations durant l'exécution du contrat de travail.
Deux conceptions sont, alors, envisageables. Soit l'on considère que réapparaît, ici, le hiatus
entre les sources de l'obligation, l'obligation de formation d'origine légale ne s'imposant que
sur demande du salarié, l'obligation contractuelle s'imposant d'elle-même à l'employeur. Si
l'on suit cette interprétation, il faut alors considérer que la décision de la Cour de cassation est
mal fondée et qu'elle aurait dû s'assurer que les salariées avaient fait des demandes de
formation qui ont été refusées. Soit l'on estime que la Cour de cassation, en étendant le champ
de l'obligation d'adaptation, ajoute à l'obligation légale de fournir des formations au salarié
qui le demande, une autre obligation, contractuelle cette fois, et qui imposerait à l'employeur
de prendre les devants face à des salariés ne prenant pas cette initiative. Si la rédaction de
l'arrêt, reprenant exactement les termes du Code du travail, permet de pencher vers la
première proposition, la logique et le respect des termes du Code poussent plutôt à prendre
parti pour la seconde.
Quoiqu'il en soit, que l'une ou l'autre de ces interprétations soit retenue, il faut conclure à
l'accroissement de la vigueur de l'obligation de formation et d'adaptation des salariés à leur
emploi, accroissement qui emporte, insidieusement, le renforcement du droit à la formation
des salariés.
(1) Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la
vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8).
(2) Cass. soc., 25 février 1992, n° 89-41.634, Société Expovit c/ Mme Dehaynain, publié
(N° Lexbase : A9415AAX) ; Bull. civ V, n° 122 ; D. 1992, somm. 294, note A. Lyon-Caen ;
D. 1992. 390, note M. Defossez ; JCP éd. E, 1992, I, 162, note D. Gatumel.
(3) Parmi les nombreuses confirmations de l'arrêt "Expovit" fournies par la Chambre sociale
de la Cour de cassation, v., notamment, Cass. soc., 19 octobre 1994, n° 92-41.583, Comité
d'entraide aux Français rapatriés c/ Mme Prist, publié (N° Lexbase : A3918AAD) ; Cass. soc.,
10 juillet 1995, n° 94-40.137, Société à responsabilité limitée Parolai et Cie c/ Association
pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic), inédit (N° Lexbase : A8740AGS).
(4) Ce texte est issu de l'article 7 de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation
professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. V. S. Koleck-Desautel,
Présentation de la réforme de la formation professionnelle, Lexbase Hebdo n° 120 du 13 mai
2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1527AB8).
(5) Initialement fondée sur le second alinéa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase :
L1234ABC), cette nécessité d'exécuter le contrat de travail de bonne foi se trouve aujourd'hui
renforcée, en droit du travail, grâce à l'existence de l'article L. 120-4 du Code du travail
(N° Lexbase : L0571AZ8).
(6) Cass. soc., 21 octobre 1998, n° 96-44.109, Société CPC France c/ Mme Maryse Renaud,
épouse Quentin et autres, inédit (N° Lexbase : A8868AGK).
(7) V. Ch. Figerou, Les limites de l'obligation d'adaptation des salariés à l'évolution de leur
emploi, Lexbase Hebdo n° 217 du 1er juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9035AKT).
(8) Cass. soc., 3 avril 2001, n° 99-42.188, Marzouk c/ Société Aptargroup Holding
(N° Lexbase : A9714ATX).
(9) Cass. soc., 11 janvier 2000, n° 97-41.255, M. Dominique Vancon c/ Société Delboy
Daniel, société anonyme, inédit (N° Lexbase : A0337AUZ).
(10) Par application du troisième alinéa de l'article L. 321-1 du Code du travail (N° Lexbase :
L8921G7K).
(11) V. l'article L. 930-1 du Code du travail, préc..
Décision
Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, Syndicat professionnel l'Union des opticiens
(UDO), FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP)
Lien bases :
newsid:299845
lexbase.fr
On se souvient de l'émoi qu'avaient pu susciter, dans une partie de l'opinion, les fameux arrêts
"Pages jaunes" rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 11 janvier 2006
(Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-46.201, M. Joël Ains c/ Société Les Pages jaunes
N° Lexbase : A3500DML et n° 05-40.977, Société Pages jaunes c/ M. Philippe Delporte
N° Lexbase : A3522DME). Alors même que la Cour de cassation avait pris la peine
d'accompagner ces deux décisions d'un communiqué destiné à rassurer les justiciables sur ses
intentions, certains n'avaient pas manqué d'évoquer un revirement de jurisprudence et
avançaient l'idée qu'en résultait un "blanc-seing pour les licenciements préventifs". Joignant
en quelque sorte le geste à la parole, la Cour de cassation a toutefois démontré, dans plusieurs
arrêts postérieurs, qu'une telle conclusion s'avérait pour le moins hâtive et qu'elle n'entendait
pas, loin s'en faut, modifier son regard sur les licenciements économiques procédant du souci
de sauvegarder la compétitivité des entreprises. Deux décisions rendues le 13 septembre
dernier par la Chambre sociale s'inscrivent dans cette perspective rassurante.
Observations
Genèse
L'article L. 321-1 du Code du travail définit le licenciement pour motif économique comme
"le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la
personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une
modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives
notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques".
Au-delà, on pouvait reprocher à la Cour de cassation l'absence d'indications utiles sur ce qui
doit permettre de distinguer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise des difficultés
économiques. C'est au regard de cette carence que les arrêts "Pages jaunes" revêtent toute leur
importance.
On s'accordera avec d'autres pour affirmer que les arrêts "Pages jaunes" n'ont nullement
constitué une innovation ou une inflexion de la jurisprudence de la Cour de cassation et
encore moins un revirement (V. notamment, J.-E. Ray, Revirement ? Quel revirement ? Dix
ans après l'arrêt "Vidéocolor", les arrêts "Pages jaunes" du 11 janvier 2006, Dr. soc. 2006, p.
138). Peut-être la crainte irraisonnée suscitée par ces arrêts découlait-elle du fait, qu'une fois
n'est pas coutume, la Chambre sociale admettait la validité de licenciements économiques
consécutifs à la réorganisation de l'entreprise effectuée pour en sauvegarder la compétitivité.
Car, pour le reste, la Cour de cassation s'est tout d'abord bornée à rappeler que la
réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est
effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel
elle appartient. Elle a, ensuite, précisé, plus fondamentalement, que répond à ce critère la
réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques liées à des
évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi, sans être subordonnée à
l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement.
En résumé, et ainsi que l'a souligné à juste titre un auteur autorisé, "ces arrêts disent, d'une
manière finaliste, ce qui peut autoriser des licenciements hors toute difficulté économique ou
mutation technologique : des difficultés économiques prévisibles et qu'il s'agit de prévenir,
par une mesure d'anticipation, en limitant leurs conséquences futures sur l'emploi. [...] Mais
ces arrêts disent aussi clairement que cette cause de licenciement n'est pas subordonnée à
l'existence de difficultés économiques au jour du licenciement, comme certaines juridictions
du fond avaient tendance à le juger" (P. Bailly, Actualité des licenciements économiques,
Sem. soc. Lamy, 17 juillet 2006, n° 1270, p. 6).
Rien de bien nouveau donc, si ce n'est une certaine insistance sur la possibilité de privilégier
la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, au demeurant dans l'air du temps
(V., sur cette question, l'art. préc. de J.-E. Ray. V. aussi, F. Favennec-Héry, obs. ss. les arrêts
"Pages jaunes", JCP éd. S 2006, n° 1076). En tout état de cause, des arrêts postérieurs ont
démontré qu'il était toujours nécessaire de caractériser une menace pesant sur la compétitivité
de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle relève. Les deux décisions sous
examen s'inscrivent dans cette perspective et sont de nature à rassurer ceux qui, au lendemain
des arrêts "Pages jaunes", envisageaient le pire (V. aussi, pour d'autres arrêts de cette nature,
Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-47.376, F-P sur 1er moyen N° Lexbase : A7525DPE ; Cass.
soc., 4 juillet 2006, n° 04-46.261, M. Olivier Majeune, N° Lexbase : A3702DQ8).
Il est désormais très clair que l'employeur n'a en aucune façon à démontrer l'existence de
difficultés économiques au jour du licenciement. Mais ce dernier doit produire des éléments
tendant à établir que, s'il n'avait pas pris des mesures de réorganisation impliquant des
licenciements, la situation de l'entreprise se serait dégradée ou, à tout le moins, aurait pu se
dégrader, au point d'imposer des mesures plus graves, en termes d'emploi (P. Bailly, art. préc.,
p. 6). C'est bien de gestion prévisionnelle des emplois dont il est ici question. La
réorganisation doit viser à prévenir des difficultés économiques futures pouvant avoir un effet
sur l'emploi. En d'autres termes, l'employeur a le droit (pour ne pas dire le devoir) pour sauver
l'entreprise, de procéder, à l'occasion d'une réorganisation, à des licenciements nécessaires à
son maintien en bonne santé.
Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'un des deux arrêts commentés (pourvoi n°
04-45.915), les juges du fond ont uniquement pour mission d'apprécier si la réorganisation et
les licenciements économiques qui en découlent étaient nécessaires à la sauvegarde de la
compétitivité de l'entreprise. Ils n'ont donc pas à s'expliquer sur des difficultés économiques,
dès lors à tout le moins qu'elles ne sont pas invoquées dans la lettre du licenciement, dont on
doit rappeler qu'elle fixe les limites du litige.
En conclusion, et au regard des deux arrêts commentés, il y a tout lieu d'affirmer que les arrêts
"Pages jaunes" n'auront nullement provoqué les bouleversements que certains avaient pu un
peu trop rapidement prédire. On ne peut que s'en féliciter, tout en soulignant que l'on avait
toutefois peu de craintes à cet égard.
lexbase.fr
Réf. : CE, 1° et 4° ch. réunies, 15 novembre 2022, n° 449317, mentionné aux tables du recueil
Lebon N° Lexbase : A13048TH
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le 28 Novembre 2022
► Lorsque le salarié protégé refuse les modifications des clauses de son contrat, il
incombe au juge administratif, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de se prononcer
lui-même sur le bien-fondé de l’appréciation qui a été faite par l’autorité administrative
sur le lien entre la modification du contrat et le motif économique du licenciement
projeté.
d’une part, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit dès
lors qu’il appartient à l’administration de vérifier que la modification du contrat de
travail est, non « strictement nécessaire », mais justifiée par le motif économique
allégué et ;
d’autre part, que la cour administrative d’appel s’est méprise sur son office et a
commis une autre erreur de droit dès lors qu’il incombe au juge administratif, lorsqu’il
est saisi d’un moyen en ce sens, de se prononcer lui-même sur le bien-fondé de
l’appréciation de l’autorité administrative sur le lien entre la modification du contrat et
le motif économique du licenciement projeté, sans s’arrêter à une étape intermédiaire
de son analyse sur ce point.
Pour aller plus loin : rappr., s'agissant de l'appréciation de la réalité des motifs économiques
dans le cas où la société fait partie d'un groupe, CE, 1° et 4° ch. réunies, 29 juin 2020, n°
417940, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A78253PI.
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lexbase.fr
Reprenant à son compte l'adage populaire selon lequel "Mieux vaut prévenir que guérir", la
Cour de cassation précise, dans un arrêt en date du 21 novembre 2006, les modalités
d'application de sa jurisprudence "Pages jaunes" et l'articulation entre la GPEC et la
possibilité reconnue aux entreprises de procéder à des licenciements préventifs (1) et admet le
bien-fondé, dans cette affaire, de près de 400 suppressions d'emplois (2).
Commentaire
C'est ainsi qu'à partir de 1995, la Cour de cassation a admis que "lorsqu'elle n'est pas liée à
des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut
constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du
secteur d'activité" (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays
c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3 ; RJS 1995, n° 496 et p. 321 et
s., concl. Y. Chauvy ; SSL n° 740 du 18 avril 1995, rapp. B. Boubli ; D. 1995, jurispr. p. 503,
note M. Keller ; JCP éd. G, 1995, II, 22443, note G. Picca ; Dr. ouvrier 1995, p. 281, note A.
Lyon-Caen ; Dr. soc. 1995, p. 489, chron. G. Lyon-Caen).
Dans ces affaires, Pages Jaunes n'avait toutefois pas envisagé de suppressions d'emplois mais
simplement la modification du contrat de travail de près d'un millier de salariés, de telle sorte
que l'on pouvait se demander si cette circonstance n'était pas de nature à justifier la solution
finalement retenue par la Cour dans cette affaire (en ce sens, notre commentaire préc.), même
si, dans un certain nombre d'hypothèses, le refus de ces modifications avait conduit
l'entreprise à licencier, pour motif économique, les salariés réfractaires.
Dans des décisions ultérieures, la Cour de cassation, suivie d'ailleurs en cela par de
nombreuses juridictions du fond tant dans d'autres volets du contentieux "Pages Jaunes"
(refusant ainsi la justification avancée : CA Lyon, 5ème ch., 11 janvier 2006, n° 04/00816, M.
David Brunet c/ Brunet N° Lexbase : A8963DRE, mais l'admettant CA Versailles, 17ème ch.,
27 octobre 2005, M. J.-M. Caillens c/ SA Pages Jaunes, RG n° 04/00310) que dans d'autres
contentieux (CA Chambéry, 21 mars 2006, n° 05/01362, Madame Michelle Aubry et autres c/
SA Fromageries Piconca N° Lexbase : A3286DPE), avait d'ailleurs bien montré son désir de
ne pas admettre trop largement des mesures affectant l'emploi et justifiées par la nécessité de
prévenir les difficultés économiques.
Dans un arrêt en date du 31 mai 2006, la Cour avait, en effet, considéré que des motifs d'ordre
général étaient impropres à caractériser l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité
du secteur d'activité du groupe dont relevait l'entreprise (Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-
47.376, F-P N° Lexbase : A7525DPE), puis avait rappelé que la seule volonté d'améliorer
"des marges qui étaient positives, ne justifiaient pas d'une telle nécessité" (Cass. soc., 13
septembre 2006, n° 05-41.665, F-D N° Lexbase : A0358DRP ; également, Cass. soc., 12
juillet 2006, n° 04-47.724, F-P N° Lexbase : A4461DQB).
Le Conseil d'Etat, qui avait à son tour, quoique tardivement, admis le motif tiré de la volonté
de sauvegarder la compétitivité, avait considéré, dans la même affaire, qu'un simple
"tassement de l'activité d'une des branches d'une société" ne peut justifier le licenciement
pour motif économique (CE 4° et 5° s-s-r., 8 mars 2006, n° 270857, Mme Moranzoni
N° Lexbase : A4876DNW ; Dr. soc. 2006, p. 857, concl. R. Keller).
On attendait donc que la Cour de cassation confirme véritablement cette jurisprudence "Pages
Jaunes" et en fasse application dans une affaire où des licenciements étaient envisagés, dès le
départ, par l'entreprise.
Dans cette affaire qui concernait la société Dunlop, 391 emplois devaient être supprimés dans
le cadre d'un plan de réorganisation de l'activité pour faire face aux défis de la concurrence à
l'échelle planétaire.
La cour d'appel avait considéré ces licenciements comme justifiés, ce que contestaient les
salariés, notamment au regard de l'absence de difficultés économiques contemporaines de la
décision et de nature à justifier les licenciements envisagés.
Or, la Cour de cassation donne, ici, raison aux juges du fond et relève, avec ces derniers, les
arguments économiques qui justifiaient ces licenciements. Pour la Cour, en effet, "appréciant
souverainement l'ensemble des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, [la cour
d'appel] a retenu que l'évolution du marché des pneumatiques, la baisse des prix de ces
produits et l'augmentation du coût des matières premières, plaçaient l'entreprise dans
l'impossibilité de réaliser les investissements qui étaient nécessaires pour remédier à la faible
dimension des sites de production par rapport à ceux des concurrents et à la diversification
excessive des fabrications, et que cette situation lui imposait de se réorganiser pour pouvoir
affronter la concurrence". Or, "la nouvelle organisation mise en place qui procédait d'une
gestion prévisionnelle des emplois destinée à prévenir des difficultés économiques à venir et
leurs conséquences sur l'emploi était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de
l'entreprise et du secteur d'activité du groupe dont elle relevait".
Or, la lecture du rapport 2005 avait bien montré que la Cour était particulièrement sensible à
l'articulation entre GPEC et licenciement économique. Pour reprendre les termes mêmes de
l'auteur du rapport 2005, concernant les arrêts "Pages Jaunes", "on peut d'ailleurs se
demander si dans les entreprises où l'article L. 320-2 du Code du travail s'applique, la
nouvelle obligation de négocier sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences
et les mesures d'accompagnement susceptibles d'y être associées ainsi que sur les modalités
d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de l'entreprise et ses
effets prévisibles sur l'emploi et les salaires, ne devrait pas conduire à une approche plus
rigoureuse des mesures de licenciement économique qui interviendraient par la suite,
notamment lorsque la gestion prévisionnelle aura été défaillante" (voir notre commentaire,
La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2005 à la lumière du rapport de la Cour
de cassation : social général (1ère partie) N° Lexbase : N9294AKG ; La jurisprudence de la
Cour de cassation rendue en 2005 à la lumière du rapport de la Cour de cassation : social
général (2ème partie) N° Lexbase : N9327AKN, Lexbase Hebdo n° 218 du 8 juin 2006 -
édition sociale).
Bien avant la loi du 18 janvier 2005 et l'introduction dans le Code du travail de l'articulation
entre GPEC et licenciement pour motif économique (C. trav., art. L. 320-2 N° Lexbase :
L8919G7H et C. trav., art. L. 320-3 N° Lexbase : L8920G7I), la Cour de cassation avait,
d'ailleurs, manifesté son intérêt pour la prévention des licenciements économiques.
En 1999, déjà, elle avait exonéré l'entreprise qui procède à des mesures de "gestion
prévisionnelle du personnel" de la mise en place d'un plan social tant que des licenciements
n'avaient pas été envisagés, dérogeant ainsi à sa jurisprudence "Framatome" et "Majorette"
(Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 97-12.962, Fédération générale des mines et de la métallurgie
CFDT et autres c/ Compagnie IBM France, publié N° Lexbase : A4682AGI ; Dr. soc. 1999, p.
297, obs. F. Favennec-Héry ; Cass. soc., 23 octobre 2002, n° 00-41.996, F-D N° Lexbase :
A3390A3X solution a contrario visant, cette fois-ci, la notion de "gestion prévisionnelle des
emplois" ; Cass. soc., 12 juillet 2004, n° 02-19.175, F-D N° Lexbase : A1037DDR ; Cass.
soc., 4 avril 2006, n° 04-48.055, F-D N° Lexbase : A9739DNZ).
Dans toutes ces hypothèses, ces mesures de GPE ne s'étaient, toutefois, pas traduites par des
licenciements, ce qui avait également été le cas dans les affaires "Pages Jaunes".
Le pas est, cette fois-ci, franchi puisque l'entreprise avait tout de même supprimé près de 400
emplois, mais pour en sauver un plus grand nombre à l'échelle européenne et mondiale.
Cette solution appelle logiquement de notre part la même approbation que précédemment
(notre chron. préc. sous les arrêts "Pages jaunes"), dès lors que la Cour de cassation
demeurera vigilante pour que tout, et n'importe quoi, ne soit pas admis, au titre de la
sauvegarde de la compétitivité.
lexbase.fr
Commentaire
Le texte ayant indiqué, par la présence de l'adverbe "notamment", que la liste des événements
à l'origine de la suppression d'un emploi, de sa transformation ou de la modification du contrat
de travail, n'était pas limitée aux seules hypothèses de difficultés économiques ou de
mutations technologiques, la jurisprudence a admis comme cause supplémentaire la cessation
de l'activité résultant du non-renouvellement du bail commercial (Cass. soc., 16 janvier 2001,
n° 98-44.647, M. Daniel Morvant, publié N° Lexbase : A2160AIT, Dr. Soc. 2001, p. 413,
chron. J. Savatier ; D. 2001, somm. p. 2170, obs. C. Boissel) ou de la maladie de l'employeur
(CA Nancy, 16 janvier 1991, RJS 1991, n° 830).
La Cour de cassation a aussi, et surtout, admis, en 1995, que "lorsqu'elle n'est pas liée à des
difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut
constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du
secteur d'activité" (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays
c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3, RJS 1995, n° 496 et p. 321 et
s., concl. Y. Chauvy ; SSL n° 740 du 18 avril 1995, rapp. B. Boubli ; D. 1995, jurispr. p. 503,
note M. Keller ; JCP G 1995, II, 22443, note G. Picca ; Dr. ouvrier 1995, p. 281, note A.
Lyon-Caen ; Dr. soc. 1995, p. 489, chron. G. Lyon-Caen).
La formulation de cette nouvelle cause a, par la suite, été assouplie, puisque la Cour de
cassation a abandonné la formulation négative ("ne peut constituer que si") pour une
expression plus simple et directe, moins restrictive ("si une restructuration entraînant la
suppression de poste d'un salarié peut constituer une cause économique de licenciement, c'est
à la condition que cette mesure soit nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de
l'entreprise" : Cass. soc., 11 juin 1997, n° 94-45.175, Mme Kryger c/ M. Raguin, publié
N° Lexbase : A2165AAG), même si, dans de nombreux arrêts où la Cour de cassation
entendait manifester une certaine sévérité à l'égard des entreprises, la formule initiée en 1995
réapparaissait (Cass. soc., 15 janvier 2003, n° 00-44.793, F-D N° Lexbase : A6866A43).
La première concerne l'autonomie de cette cause économique qui a été, très logiquement,
affirmée : la réorganisation de l'entreprise justifiée par la nécessité de sauvegarder sa
compétitivité suffit, sans qu'il soit utile de prouver l'existence de mutations technologiques ou
de difficultés économiques (Cass. soc., 24 septembre 2002, n° 00-44.007, FS-P sur le premier
moyen N° Lexbase : A4873AZI).
C'est ce que confirment, de manière plus claire encore, ces deux arrêts rendus le 11 janvier
2006, puisque la Cour de cassation affirme que "la réorganisation de l'entreprise constitue un
motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou
celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, et que répond à ce critère la
réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir liées à des
évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi, sans être subordonnée à
l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement".
La Cour de cassation s'était simplement montrée d'une extrême sévérité, comme en témoigne
le nombre important de cassations, soit pour violation de la loi lorsque les juges du fond
confondaient sauvegarde de la compétitivité et amélioration des relations avec les clients
(Cass. soc., 20 novembre 2002, n° 00-45.343, F-D N° Lexbase : A0606A49), soit pour
manque de base légale, la Cour rejetant, également, de nombreux pourvois contre des
décisions ayant refusé d'admettre ce motif (Cass. soc., 17 décembre 2002, n° 00-45.621, FS-P
N° Lexbase : A4954A4A ; Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-47.065, F-D N° Lexbase :
A5127DK4), parfois même en se référant au pouvoir souverain d'appréciation des juges du
fond, concernant les menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise (Cass. soc., 15 janvier
2003, n° 00-44.793, F-D N° Lexbase : A6866A43 ; Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 02-
40.293, F-D N° Lexbase : A4397DA4).
C'est dans ce contexte, marqué à la fois par l'absence de véritable directive pour apprécier la
notion de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et une certaine hostilité latente de la
Cour de cassation à l'égard de cette possibilité, qu'interviennent ces deux arrêts rendus le 11
janvier 2006, qui ont pour double intérêt, à la fois d'admettre cette justification, et de fournir
un critère explicatif.
Dans ces deux arrêts, qui concernent la même affaire, la société Les Pages Jaunes, appartenant
au groupe France Télécom, avait mis en place, en novembre 2001, un projet de réorganisation
afin d'assurer la transition entre les produits traditionnels (annuaire papier et minitel) et ceux
liés aux nouvelles technologies de l'information (internet, mobile, site), qu'elle jugeait
indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, compte tenu des
conséquences prévisibles de l'évolution technologique et de son environnement concurrentiel.
Plusieurs salariés, après avoir refusé cette modification, avaient saisi la juridiction
prud'homale de demandes tendant, notamment, au paiement d'une indemnité pour absence de
proposition d'une convention de conversion et de dommages-intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse.
Dans la première affaire, la cour d'appel de Dijon avait donné raison à l'entreprise alors que,
dans la seconde, la cour d'appel de Montpellier avait refusé de considérer la réorganisation
comme justifiée, après avoir relevé que la situation financière de l'entreprise était largement
bénéficiaire et qu'il s'agissait non pas de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise mais,
simplement, de l'améliorer et de faire des bénéfices plus élevés, dans un contexte
concurrentiel nullement menaçant.
Pourtant et, serait-on tenté de dire, contre toute attente, l'arrêt est cassé, la Cour de cassation
affirmant que "répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des
difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences
sur l'emploi". L'affirmation prend une signification particulière dans la mesure où l'arrêt est
cassé pour violation de la loi, et donc pas pour une insuffisance dans sa motivation, et n'est
pas renvoyé devant une nouvelle juridiction du fond.
La Cour de cassation impose, ici, aux juges du fond une forme incontestable de réalisme
économique. Le basculement du "tout papier" vers le "tout numérique" entraîne,
incontestablement, des bouleversements dans l'organisation des entreprises et sur l'emploi qui
se trouve, bien entendu, menacé, l'introduction des technologies de la communication et de
l'information ayant déjà eu, à de très nombreuses reprises, un impact négatif sur les métiers
traditionnels.
La Cour de cassation livre, également, une clef d'analyse qui pourrait ressembler plus à une
justification socio-économique qu'à un véritable critère : la mesure de réorganisation doit être
destinée à "prévenir des difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques
et leurs conséquences sur l'emploi". La Cour n'entend donc pas donner un blanc-seing aux
entreprises concernées, comme pourrait pourtant le suggérer la généralité de la formule
employée. C'est parce que les menaces sur l'emploi sont avérées que le motif est admis, et non
pas seulement parce que l'employeur le prétend.
Pour que cet argument soit retenu, il sera donc vraisemblablement nécessaire de démontrer
que d'autres entreprises, relevant du même secteur d'activité, et qui ne sont pas réorganisées,
ont été contraintes de réduire le nombre de leurs emplois.
La solution retenue, parce qu'elle semble bien équilibrée, nous semble bienvenue.
Les juges ne sont pas là pour substituer à la réalité du monde économique une vision utopiste
où il suffirait de refuser l'idée de difficultés économiques à venir pour que ces dernières ne se
produisent pas. Mieux vaut prévenir que guérir ! Il n'est, d'ailleurs, pas indifférent que ce plan
de restructuration ne s'était pas traduit, dans l'entreprise Pages Jaunes, par des suppressions
d'emplois mais par des modifications du contrat de travail d'un certain nombre de salariés,
chargés de mettre en oeuvre la politique de l'entreprise.
Le message pourrait donc bien, également, s'adresser aux salariés qui ne doivent pas camper
sur leurs acquis mais aussi, parfois, accepter les contraintes de la modernisation de l'activité
économique ; à bon entendeur, salut !
lexbase.fr
Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-42.994, Société de distribution du Beauvaisis (SDB)
Auchan, FS-P+B (N° Lexbase : A8582DYI)
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le 07 Octobre 2010
Les clauses du contrat de travail sont d'un maniement difficile, à tel point qu'il est, désormais,
fréquent de s'interroger sur leur validité. Toutes les clauses du contrat de travail ne sont pas,
toutefois, illicites. Tel est, notamment, le cas des clauses de garantie d'emploi ou clauses de
garantie de stabilité d'emploi. Par de telles clauses, l'employeur s'engage à conserver le salarié
à son service pendant une certaine durée, sauf faute grave et/ou lourde du salarié, sans pouvoir
user de la faculté de résiliation unilatérale que lui offre le Code du travail. Ce sont sur ces
clauses de garantie d'emploi et, singulièrement, sur leurs conditions de validité et leur nature,
que devait se prononcer la Haute juridiction dans une décision du 23 octobre 2007. La Cour
de cassation confirme qu'en l'absence de faute de la salariée, la clause de stabilité d'emploi
prévue pour une durée de 5 ans doit recevoir application, et que ces clauses, qui ont pour objet
de préserver le salarié de la perte de son emploi dans un contexte économique difficile, ne
constituent pas des clauses pénales. Cette double solution doit, en tous points, être approuvée.
Résumé
La clause d'un contrat garantissant au salarié la stabilité de son emploi pendant une période de
5 ans est licite et doit donc recevoir application dès lors qu'aucune faute n'a été commise par
l'intéressé.
Objet
Le principe de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée n'est pas
d'ordre public absolu. L'employeur peut, en effet, parfaitement décider de garantir, à un ou
plusieurs de ses salariés, la stabilité de leur emploi. Cet engagement de l'employeur peut être
tacite ou, encore, résulter d'une clause insérée dans le contrat de travail, voire de la convention
collective.
Ces clauses prennent la forme d'un engagement de l'employeur, pour une durée déterminée,
de ne pas user de sa faculté de résiliation unilatérale du contrat de travail.
L'employeur ne peut donc plus, une fois qu'il est lié par une telle clause, rompre le contrat de
travail du salarié, sauf si la clause comporte une exception et prévoit sa mise à l'écart en cas
de faute du salarié.
Il a ainsi été jugé qu'un motif économique (Cass. soc., 30 mai 2000, n° 97-43.191, Société
civile d'exploitation agricole (SCEA) du Domaine du Fesq c/ M. Alain Esman, inédit
N° Lexbase : A6979AHX), ou encore l'adhésion du salarié à une convention de conversion
(Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 98-41.169, M. Dreyfuss c/ Société Construction Jean Bernard
et autres, publié N° Lexbase : A9173AGT), ne permettait pas à l'employeur de licencier.
Ces clauses, bien que restreignant la faculté de résiliation unilatérale de l'employeur, sont
valables. Elles sont conformes à l'ordre public social.
Force est de constater que la clause par laquelle l'employeur s'interdit de licencier son salarié
pendant une certaine durée est plus favorable au salarié que le droit du licenciement qui
devrait trouver à s'appliquer, notamment, dans un contexte économique difficile.
Toutes les clauses ne sont, toutefois, pas valables. Toutes ne peuvent pas, en outre, recevoir la
qualification de clauses de garantie d'emploi.
Conditions de validité
Pour être qualifiée de clause de garantie d'emploi, la clause doit garantir l'emploi du salarié et
non seulement se contenter de prévoir une indemnité de rupture spéciale si la rupture survient
avant une certaine date (Cass. soc., 18 juin 2003, n° 01-42.298, F-D N° Lexbase :
A8581C8C). La clause de garantie d'emploi se distingue, ainsi, de la clause destinée à
indemniser la rupture survenue avant une certaine date.
Une fois qualifiée de clause de garantie d'emploi, la clause doit, encore, remplir certaines
conditions.
Elle doit, en premier lieu, avoir une cause licite. Aucun problème ne se pose lorsque la clause
a été insérée dans le contrat de travail pour maintenir un salarié dans son emploi dans un
contexte économique difficile ou, encore, pour s'assurer la fidélité d'une main d'oeuvre rare
et/ou particulièrement qualifiée.
Cette clause ne doit, en second lieu, pas être excessive. Tel serait le cas d'une clause qui
interdirait à l'employeur de licencier le salarié quelle que soit la cause de ce licenciement, ou
qui prévoirait une indemnité de rupture particulièrement importante.
Les clauses de garantie d'emploi, malgré leur caractère plus favorable au salarié que le droit
du licenciement, ne doivent, en effet, pas totalement priver l'employeur de sa faculté de
rompre le contrat de travail. Pour cette raison, elles trouvent, en principe, leur limite dans la
faute grave, voire dans la faute lourde du salarié.
L'employeur ne peut, enfin, s'engager que pour une durée déterminée. Le cas échéant, la
clause ferait échec au principe de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée
déterminée, principe d'ordre public. Elle serait donc illicite.
Lorsque la clause insérée ou ajoutée au contrat de travail d'un salarié respecte ces conditions,
elle est parfaitement valable et l'employeur est tenu d'en faire application. Le cas échéant, il
est tenu d'indemniser le salarié.
C'est ce principe qu'a rappelé la Haute juridiction à l'employeur qui contestait la décision de la
cour d'appel qui l'avait condamné à verser au salarié des dommages et intérêts pour violation
de la clause de garantie d'emploi.
Espèce
Dans cette espèce, l'employeur avait, par voie d'avenant, introduit dans le contrat de travail
d'une de ses salariées, une clause de garantie d'emploi par laquelle il s'interdisait, sauf faute
lourde de cette dernière, de rompre le contrat de travail pendant 5 ans. Quelques mois plus
tard, l'entreprise avait cédé ses actions et la salariée avait été licenciée pour faute lourde.
Contestant cette rupture, cette dernière avait saisi la juridiction prud'homale de demandes
d'indemnités au titre de la rupture de son contrat de travail. La cour d'appel avait condamné
l'employeur à lui verser des dommages et intérêts pour violation de la clause de garantie
d'emploi, ce que contestait l'employeur.
La Cour de cassation confirme la position prise par les juges du second degré. Elle considère,
en effet, que la clause de garantie d'emploi, qui garantissait à la salariée la stabilité de son
emploi, était licite et devait recevoir application dès lors qu'aucune faute n'avait été commise
par l'intéressée. Partant, le contrat de travail ne pouvait être rompu au cours de la période de
garantie d'emploi, ce qui permettait à la salariée d'obtenir le versement de l'indemnité de
préavis. Elle rappelle, enfin, qu'une telle clause, simplement destinée à garantir à la salariée le
maintien de son emploi dans un contexte économique difficile, ne constitue pas une clause
pénale.
L'employeur, malgré la cession d'actions intervenue, était donc tenu par la clause de garantie
d'emploi qui avait été ajoutée au contrat de travail de la salariée.
Comme nous l'avons vu, une clause de garantie d'emploi remplissant les conditions de validité
préalablement énoncées ne peut être écartée, et ce même si l'employeur considère que
l'indemnité versée au salarié est manifestement excessive. Seule la faute de la salariée,
lorsqu'elle a été prévue par l'employeur comme limite à la clause de garantie d'emploi, est
susceptible de libérer ce dernier.
Dans l'espèce commentée, le bénéfice de la clause était limité par la faute lourde de la
salariée, mais aucune faute n'ayant été relevée à son encontre, l'employeur ne pouvait que la
conserver à son service pendant toute sa durée ou l'indemniser.
La violation par l'employeur d'une clause de garantie d'emploi emporte l'allocation, au profit
du salarié, de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice résultant de la violation de
la clause. Ces dommages et intérêts s'ajoutent aux sommes éventuellement perçues par le
salarié licencié sans cause réelle et sérieuse. La jurisprudence considère, dans ce cas, que le
licenciement, intervenu en violation d'une clause de garantie d'emploi, est sans cause réelle et
sérieuse et que l'employeur est tenu de verser cumulativement l'indemnité pour licenciement
sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité destinée à compenser le préjudice résultant de la
violation de la clause de garantie d'emploi (Cass. soc., 27 octobre 1998, n° 95-43.308, M.
Schroeder c/ Groupement d'intérêt économique Services pour la Caisse des dépôts et
consignations, publié N° Lexbase : A5717ACQ). Seul le revenu de remplacement versé par
les Assedic n'est pas cumulable avec les dommages et intérêts versés en contrepartie de la
violation de la clause de garantie d'emploi (Ass. plén., 13 décembre 2002, n° 00-17.143, M.
Michel Brocard c/ Assedic de l'Ain et des Deux Savoies, P N° Lexbase : A4092A4C).
La clause pénale est la clause dans laquelle les parties à une convention prévoient de
sanctionner l'inexécution ou la mauvaise exécution par l'un des cocontractants de son
obligation. La sanction est destinée à réparer la perte ou le manque à gagner de l'autre partie.
Lorsque cette sanction est prévue au contrat, elle peut être réduite par le juge sur le fondement
de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ).
Une clause de garantie d'emploi ne peut être assimilée à une clause pénale. Elle peut encore
moins recevoir cette qualification. Il existe, en effet, une différence d'objet entre elles qui
impose de les distinguer.
Une clause de garantie d'emploi n'a pas pour objet de sanctionner l'inexécution par
l'employeur de l'interdiction qu'il s'est fait de rompre le contrat de travail qui le lie à son
salarié. Son objet est de préserver le salarié de la perte de son emploi dans un contexte
économique rendant difficile son reclassement professionnel, comme le rappelle la Cour de
cassation dans la décision commentée.