Bohounse@yahoo - FR: Regardsuds Deuxième Numero, Septembre 2017 ISSN-2414-4150 138
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Résumé
La ville de Bouaké compte un Centre Hospitalier Universitaire (CHU) et dix établissements
sanitaires de premiers contacts pour la gestion des épisodes morbides. À côté de ces structures
publiques, la médecine traditionnelle est aussi sollicitée. Ce faisant, cet article se propose
d’analyser la typologie et les motifs de recours aux soins traditionnels. La démarche
méthodologique que nous avons empruntée, repose sur une synthèse de la littérature
consacrée au système de santé en Côte d’Ivoire et ailleurs. Elle se fonde, également, sur des
entretiens avec des praticiens de la médecine traditionnelle et un questionnaire soumis aux
chefs de ménages issus de 4 quartiers de Bouaké : Koko, Houphouët-ville, Angouatanoukro et
Broukro. Les résultats nous révèlent deux principaux types d’utilisation des soins traditionnels
dont le recours est élevé. Plusieurs facteurs justifient un tel constat. L’accès facile, le coût
dérisoire des soins et autres prestations et surtout l’efficacité de cette médecine dans le
traitement de certaines pathologies, notamment le paludisme, la fièvre typhoïde, les infections
digestives sont autant de raisons qui poussent 86% des enquêtés à privilégier les soins
traditionnels. Par ailleurs, lorsque cette médecine ne se substitue pas à la médecine moderne,
elle vient pour renforcer sinon parachever le traitement entamé par ces services publics.
Mots clés : Côte d’Ivoire - Bouaké - Médecine traditionnelle - Soins traditionnels - Episode morbide
Abstract
The city of Bouaké has a University Teaching Hospital Center (CHU) and ten first contact
sanitary services for the morbid episodes management. Besides these public structures,
traditional medicine is also used. In doing so, this article aims at analyzing the typology and
reasons for the use of traditional care. The methodological approach we have used rests on a
synthesis of the literature on the health system in Côte d'Ivoire and abroad. It also relies on
interviews with traditional medicine practitioners and a questionnaire administered to heads of
households from 4 districts of Bouaké: Koko, Houphouët-ville, Angouatanoukro and Broukro.
The results reveal two main ways of utilization of traditional medicine. Several factors justify
this finding. Easy access, low cost of care and other benefits especially the effectiveness of
this medicine in the treatment of certain pathologies, including malaria, typhoid, digestive
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infections ... are reasons that lead 86% of the informants to focus on traditional medicine.
Moreover, when this medicine does not replace modern medicine, it comes to reinforce if not
to complete the treatment begun by these public services.
Key words: Côte d'Ivoire - Bouaké - Traditional medicine - Traditional practitioners - Morbid episode
Introduction
« L’utilisation des services de santé est l’un des facteurs clefs favorisant une meilleure santé
des populations » (Munyamahoro et Ntaganira, 2012 p 24). Ce qui est imputable à un système
de santé performant. En effet, le système de santé est défini comme « l’ensemble des
pratiques sociales sur un espace donné de façon différentielle des espaces à un certain profil
sanitaire » (Salem, 1995 p 53). En clair, c’est l’ensemble des éléments qui touchent à la fois à
l’accessibilité, à l’offre de services, aux structures de soins et aux processus tant administratif
que de prise en charge. C’est également une réponse plus ou moins harmonieuse et cohérente
aux besoins des citoyens ; parmi les nombreux facteurs, on note : la physionomie des
économies, la démographie, les politiques sociales, la médicalisation de l’état de santé, la
solidarité et les comportements des ménages (Gobbers et Pichard, 2000 p 38).
En matière d’amélioration de la santé des populations et du renforcement du système de santé
ivoirien, plusieurs politiques ont été élaborées. Ainsi, de 1996 à 2015, la Côte d’Ivoire a mis
en place, trois Plans Nationaux de Développement Sanitaire (PNDS). L’objectif général visé
par ces plans était d’accroître l’effectif du personnel de santé et de renforcer les plateaux
techniques des structures publiques de soins sur l’étendue du territoire national. De plus,
l’Etat a initié, depuis 2011, une politique de gratuité de soins pour tous qui a duré juste huit
mois. Faute de médicaments dans les structures publiques, l’Etat a été obligé de limiter cette
gratuité à une catégorie d’individus considérés comme les plus vulnérables, à partir de février
2012 (Médecin du Monde, 2013). Les femmes enceintes et les enfants de 0 à 5 ans constituent
les bénéficiaires de ce programme.
La ville de Bouaké (figure 1) n’est pas restée en marge de toutes ces politiques de
développement sanitaire. Elle compte un Centre Hospitalier Universitaire (CHU) et dix
Etablissements Sanitaires de Premiers Contacts (ESPC). Parmi ces structures modernes de
soins publics, plusieurs ont été réhabilitées et d’autres ont vu leur plateau technique relevé.
Avec l’appui des autorités municipales et de certains partenaires au développement, les
Centres de Santé Urbains (CSU) de Sokoura, de Nimbo et de Broukro, pour ne citer que ceux-
là, ont connu un renforcement de leur capacité d’accueil. Les CSU d’Ahougnanssou et de
Dar-es-Salam ont été érigés en Formation Sanitaire Urbaine entre 2015 et 2016 (Direction
Régionale de la Santé de Gbêkè, 2016). Toutes ces initiatives étatiques et municipales l’ont
été dans le but d’améliorer les conditions sanitaires des populations de la ville de Bouaké.
Malgré tous ces acquis, l’on constate encore un recours impressionnant aux soins de la
médecine traditionnelle à l’échelle de la ville, même dans les quartiers les plus « huppés » que
sont Municipal, Houphouët-ville, Kennedy. Dès lors, on peut se demander pourquoi une
majorité de la population urbaine préfère recourir à la médecine traditionnelle pour leurs soins
de santé primaires à Bouaké? Quels sont les types d’utilisation des soins de la médecine
traditionnelle?
La présente contribution a pour objectif d’analyser la typologie et les motifs de recours aux
soins de la médecine traditionnelle dans les quartiers Koko, Houphouët-ville,
Angouatanoukro et Broukro. Pour y parvenir, il convient d’indiquer la méthodologie de
collecte des données, les résultats auxquels nous sommes parvenus et la discussion.
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Source : CCT/BNETD, 2014 Dessin : Koné, 2017
Figure 1 : Présentation de la ville de Bouaké
1-Outils et méthodes
Pour une meilleure appréhension de notre objet d’étude, nous avons effectué une recherche
documentaire, des enquêtes de terrain à travers un inventaire des praticiens traditionnels et un
questionnaire de ménages.
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1-2 L’enquête de terrain
La collecte des données sur le terrain s’est déroulée pendant les mois d’Août et de Septembre
2016. Elle s’est appuyée sur un inventaire, des entretiens avec des praticiens de la médecine
traditionnelle et un questionnaire soumis aux chefs de ménages.
1-2-1 Inventaire et entretien avec les praticiens
L’inventaire des praticiens (nombre et type) de la ville de Bouaké s’est fait en deux étapes. La
première nous a permis de dénombrer par quartier, les praticiens de la médecine traditionnelle
et de relever les types de pratiques traditionnelles. La seconde nous a conduits dans les
quartiers, où nous avons réalisé deux jours d’enquêtes à travers deux recensements : pendant
les jours de marché et pendant les jours ordinaires. Par la suite, un croisement de ces deux
listes a été fait pour ressortir les praticiens de la médecine traditionnelle qui exercent de façon
permanente et qui logent dans les quartiers ciblés. Sur cette base, ce sont 27 praticiens de la
médecine qui ont été retenus pour cette étude. Par ailleurs, nous avons élaboré un guide
d’entretien à l’endroit de ceux-ci. Ce guide porte sur le nombre de consultation par jour, les
différentes prestations, l’organisation administrative et spatiale, les résultats des prises en
charge des pathologies et les zones d’approvisionnement des produits traditionnels.
1-2-2 Enquête par questionnaire
Nous avons procédé à l’identification des quartiers d’enquête et à la soumission d’un
questionnaire aux chefs de ménages choisis pour l’étude.
- Le choix des quartiers à enquêter
Le choix des quartiers s’est fait suivant leur typologie et la présence des praticiens de la
médecine traditionnelle dans ces quartiers. La ville de Bouaké compte quatre types de
quartiers qui sont fonction de l’habitat, à savoir : les quartiers d’habitat haut standing, les
quartiers d’habitat moyen standing, les quartiers d’habitat évolutif et les quartiers d’habitat
spontané (INS, 2014). Un quartier a été choisi selon le type d’habitat : Angouatanoukro
(précaire), Broukro (évolutif), Koko (moyen standing) et Houphouët-ville (haut standing)
(Figure 2).
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- Le choix des chefs de ménages
A été considéré comme ayant utilisé les services de la médecine traditionnelle, tout chef de
ménage s’étant rendu chez un praticien de la médecine traditionnelle lors d’un épisode de
morbidité. L’intérêt d’un tel choix réside dans l’idée qu’étant le responsable d’unité familiale
(Yassi, 2006 p 42), son comportement en matière de prise en charge sanitaire et de choix des
itinéraires thérapeutiques du ménage peut influer sur celui des autres membres.
En nous appuyant sur le Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2014, nous
avons fixé la taille de notre échantillon à 100 chefs de ménages selon la méthode de choix
raisonné. Le tirage de ces chefs de ménage s’est fait arbitrairement sur des lots. Le tableau 1
récapitule le nombre de chefs de ménages à enquêter par quartier. Cet échantillon se distribue
de façon proportionnelle dans les quartiers choisis.
Tableau 1 : Répartition des chefs de ménages par quartier d’enquête
Quartier Nombre de ménages Chefs de ménages à enquêter
Houphouët-ville 954 06
Koko 7 010 41
Broukro 6 780 40
Angouatanoukro 2 336 13
Total 17 080 100
Source : INS, 2014 ; nos calculs
Par ailleurs, le questionnaire proposé aux chefs de ménages s’est articulé autour des éléments
suivants : l’âge, le sexe, le lieu d’habitation, la situation socio-professionnelle, la
connaissance de la médecine traditionnelle, son utilisation, les modes d’utilisation, les raisons
de l’usage des soins traditionnels, les limites de la médecine traditionnelle.
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2-Résultats
Les résultats issus des informations recueillies dans les quatre quartiers ciblés, ont fait
connaître, à la fois, la typologie des praticiens (figure 3) ou des soins traditionnels, les modes
d’utilisation ainsi que les raisons motivant le choix de ces populations.
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6
5
Effectifs des praticiens
2 Autres
0
Ango uatano ukro Bro ukro Ho uph ou ët-ville Ko ko
Quartiers enquêtés
- Les phytothérapeutes
Ils utilisent uniquement les vertus préventives et curatives des plantes pour soigner le
paludisme, les infections digestives, la fièvre typhoïde... on les trouve aussi bien en milieu
rural qu’en milieu urbain et « l’on peut même affirmer que dans les familles africaines, les
grands-mères (photo 1) ont la connaissance des plantes qui guérissent les maladies de leur
progéniture » (Konan, 2012 p 14). Le phytothérapeute, c’est toute personne qui, sur la base
des connaissances acquises au sein de la famille, par révélation ou auprès d’un autre
phytothérapeute, utilise les vertus des plantes médicinales pour traiter les malades (MSHP,
2007 p 2). En plus, il soigne les troubles mentaux et établit l’équilibre spirituel à partir des
plantes médicinales et de pouvoirs surnaturels ou magiques.
Photo 1: Une phytothérapeute et sa petite fille à Koko
Nos enquêtes ont montré que le nombre de phytothérapeutes diffère d’un quartier à un autre
(figure 4). Faute d’organisation spatiale, ils sont présents dans les quartiers et pratiquent
l’activité chez eux à domicile. Sur les sept rencontrés, cinq sont localisés dans des magasins
ou dans leur domicile qu’ils dédient à l’activité. Le caractère thérapeutique de l’activité, fait
qu’ils sont plus situés dans leurs domiciles ou dans un endroit qu’ils dédient à l’activité. La
plupart des personnes qui pratiquent cette activité de phytothérapeute sont des hommes. Sur
les 7 phytothérapeutes enquêtés, 5 sont des hommes ; Les femmes étant beaucoup
commerçantes, s’adonnent à l’activité d’herboriste. Les phytothérapeutes identifiés à Koko
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sont au nombre de 3, à Broukro, ils sont 2 et on retrouve 1 à Houphouët-ville et à
Angouatanoukro. En plus des phytothérapeutes, on rencontre des herboristes.
- Les herboristes
L’herboriste, c’est une personne qui, sur la base des connaissances acquises en médecine et en
pharmacopée traditionnelle, conditionne et vend des matières premières végétales à des fins
thérapeutiques (MSHP, 2007 p 2). C’est une personne qui connaissant les plantes médicinales,
ne dispense pas les soins mais les met à la disposition des praticiens de la médecine
traditionnelle ou de la population. Ils pratiquent plutôt l’activité commerciale des thérapies
traditionnelles. Les herboristes sont les plus répandus dans les quartiers étudiés dans la ville
de Bouaké. Ils occupent une place de choix dans les marchés contrairement aux
phytothérapeutes qui ont tendance à exercer chez eux. Leur situation géographique se justifie
par le fait que 10 sur 12 herboristes ne dispensent pas de soins mais s’investissent plutôt dans
la commercialisation. La quasi-totalité des herboristes rencontrés à Bouaké (10) sont des
femmes (photo 2). L’absence ou la rareté des hommes (2 hommes) dans cette activité pourrait
s’expliquer par son caractère commercial. Les 2 hommes rencontrés parmi les herboristes sont
des livreurs de produits à base de plantes et matières végétales aux femmes.
Ces produits sont essentiellement constitués d’écorces, de feuilles, de tiges, de racines et
même de graines (photo 2). Il existe également des préparations et des produits finis à base de
plantes qui contiennent comme ingrédients actifs, des parties de plantes et autres matières
végétales ou une combinaison des deux (OMS, 2013 p 25).
Photo 2 : Une famille d’herboristes
Les herboristes sont inégalement répartis dans les quartiers étudiés : 5 à Koko, 3 à Broukro et
2 respectivement à Houphouët-ville et à Angouatanoukro. Ils sont concentrés dans les
marchés de proximité dans le but de faciliter l’accès à leurs produits. Leur nombre élevé à
Koko se justifie par l’ancienneté de son marché, la place que ce quartier occupe au niveau
économique à Bouaké et aussi par l’existence d’un jour de marché. Ce quartier est réputé pour
la commercialisation des plantes médicinales à Bouaké.
Ensuite à Broukro, la présence permanente de ces 3 herboristes se justifie par l’existence du
jour de marché (samedi) dans ce quartier. Aussi le voisinage des villages Outoukléssou et
Broukro-village joue un rôle important dans la géographie des herboristes à Broukro.
L’absence d’un marché de proximité à Angouatanoukro et à Houphouëtville fait que ces
praticiens sont localisés à domicile dans des endroits dédiés à cette activité. Particulièrement
parmi les 2 herboristes d’Houphouët-ville, on rencontre une qui exerce à la fois les deux
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activités. Selon le témoignage de certains habitants rencontrés, c’est le manque de praticien
traditionnel dans le quartier qui lui a permis de jouer ces deux rôles. Mais à la base, elle est
phytothérapeute. Hormis ces deux types de praticiens, il existe d’autres thérapeutes
traditionnels.
- Les autres thérapeutes traditionnels
Ils regroupent les charlatans, les accoucheuses traditionnelles, les rebouteux et autres. Ces
derniers sont également sollicités par la population urbaine pour de nombreux services. On les
retrouve dans les marchés de Bromakoté, Dar-es-Salam et sur les marchés de proximité de
certains quartiers comme Koko, Djézoukouamékro, Broukro et à domicile. Ils sont aussi
présents dans des villages rattrapés par la ville tels que Konankankro, Attienkro. Ils occupent
également une place importante dans la prise en charge des épisodes morbides à Bouaké. A
Koko comme à Broukro, l’on rencontre des charlatans, des rebouteux et des accoucheuses
traditionnelles ou matrones, le plus souvent, les jours de marché. Toutefois, il existe 2 formes
principales d’utilisation des médicaments traditionnels.
Figure 5 : Mode d’utilisation des soins traditionnels par les chefs de ménage
L’examen de la figure 5 fait état de deux formes d’utilisation de la médecine traditionnelle.
Cette médecine est utilisée soit uniquement pour se soigner ou soit elle vient en addition aux
soins modernes. Toutefois, les chefs de ménages ont plus recours à la médecine traditionnelle
en mode additionnel dans tous les quartiers enquêtés.
- Recours unique à la médecine traditionnelle
Le fort taux de recours à la médecine traditionnelle se justifie par une représentation de la
maladie chez certaines populations urbaines. En effet, 20% des chefs de ménages enquêtés ont
déclaré que le paludisme (ictère), la diarrhée, la fièvre typhoïde, les maladies contractées
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mystiquement ne peuvent pas trouver de remèdes dans des hôpitaux. Pour eux, la médecine
traditionnelle est, en l’espèce, la plus efficace eu égard à ses preuves et aux nombreux
témoignages qui fusent de partout. Par ailleurs, 35% des chefs de ménages enquêtés ont
recours uniquement à la médecine traditionnelle pour leurs soins de santé primaires, évoquant
des raisons sociologiques et culturelles. Ils estiment que, depuis leur naissance et dans leur
famille, le seul recours de soins était la médecine traditionnelle. L’utilisation de cette
médecine devenait dès lors un fait sinon une pratique culturelle. C’est à juste titre qu’un
enquêté, ressortissant du Nord de la Côte d’Ivoire s’est exprimé en ces termes : « Lorsque je
suis malade, je me rends chez un praticien de la médecine traditionnelle et je reviens avec un
canari, dans lequel il y a un assemblage de plantes médicinales pour gérer ma maladie »,
« c’est la seule option que j’ai pour me soigner ». De manière précise, dans les quartiers
enquêtés, les chefs de ménages qui utilisent uniquement les soins traditionnels pour se soigner
représentent 20% à Houphouët-ville, 40% à Koko et à Angouatanoukro. Dans le quartier
Broukro ce taux atteint 37% des enquêtés (figure 5). A côté de cette forme d’utilisation, les
chefs de ménage utilisent les médicaments traditionnels en association aux soins de la
médecine moderne.
- Des médicaments traditionnels en usage additionnel aux soins de la médecine moderne
Les soins de santé traditionnels sont utilisés par plusieurs personnes en concomitance avec les
soins de santé moderne. Cette manière d’utiliser les thérapies traditionnelles permet de traiter
les maladies de façon efficiente et définitive selon les usagers de cette forme d’utilisation. En
effet, pour un cas du paludisme, ils achètent quelques médicaments à la pharmacie soit à la
suite d’une consultation dans un centre de santé ou par une automédication. Ensuite, ils se
rendent chez un praticien de la médecine traditionnelle pour acheter également des
médicaments. Ils associent aux comprimés prescrits pour une durée de trois jours de
traitement, des lavements et/ou des décoctions selon les recommandations et prescriptions
d’un praticien. On peut également avoir une combinaison de médicaments pharmaceutiques et
de thérapies traditionnelles assemblées dans un canari avec lesquelles le malade se soigne. Ce
dernier ayant avalé les comprimés, boit, se fait masser, inhale et/ou prend un bain avec des
décoctions préparées dans un canari. En effet, les thérapeutes utilisent des plantes médicinales
pour le traitement des malades. Toutes les parties de la plante sont utilisées à l’état frais ou
sec : feuilles, fleurs, fruits, graines, tronc, bois, écorce, tige, racines. Les préparations sont
obtenues par macération, décoction ou infusion. Elles peuvent aussi être chauffées dans des
boissons alcoolisées, et/ou du miel ou dans d’autres substances comestibles.
Les chefs de ménages qui s’adonnent à cette utilisation additionnelle atteignent près de 60%
des enquêtés des quartiers étudiés. D’une manière spécifique, cette proportion varie d’un
quartier à un autre (figure 5). Dans tous les quartiers enquêtés, on enregistre un nombre
important des chefs de ménages qui ont recours à la médecine traditionnelle en addition à la
médecine moderne. Ces proportions représentent respectivement 56%, 60% et 63% des
individus enquêtés. Dans le quartier Houphouët-ville (haut-standing), ce sont 80% des chefs
de ménages enquêtés qui utilisent la médecine parallèle en addition à la médecine moderne.
Au regard des différents modes d’utilisation des soins traditionnels, il est impérieux de
chercher à identifier les mobiles de recours à ces soins.
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raisons explicatives : les soins faciles d’accès et économiquement supportables et les
considérations socio-culturelles (Tableau 2).
2-2-1 Des soins d’accès facile et économiquement supportables pour les populations
Les soins de la médecine traditionnelle sont facilement accessibles et proches de la population
urbaine. Ils sont financièrement abordables, acceptables et surtout un grand nombre leur font
confiance (OMS, 2013). Généralement, les consultations de patients par les praticiens de la
médecine traditionnelle, ne nécessitent pas de frais. Pour preuve, chez près de 60% de tradi-
praticiens interrogés, la consultation est gratuite. Seul le traitement est payant, par modalité
selon les moyens du malade ou après sa guérison. Dans le cas où elles ont un coût, il est
moins onéreux. Parfois, il est compris entre 5 et 25 FCFA, représentant la quote-part due aux
"génies" et aux "esprits", en guise de don (Konan, 2012).
De plus, l’on rencontre ces praticiens de la médecine traditionnelle à proximité ou dans les
marchés des quartiers, étant donné l’Etat n’a pas encore réussi à contrôler leur activité.
Quant aux médicaments de la médecine traditionnelle, les utilisateurs les trouvent
économiquement supportables, comparativement à ceux de la médecine conventionnelle. Les
coûts s’élèvent de 50 à 300 FCFA mais peuvent atteindre 2 000 FCFA selon l’état du malade.
Les prix sont également déterminés en fonction du type de remèdes. En effet, pour les
médicaments en sachet (photo 1) ou des feuilles, le coût est compris entre 50 et 200 FCFA.
Lorsqu’il s’agit d’une préparation d’un remède dans un canari, cela revient soit à 3 000 ou
5 000 FCFA voire plus, selon le type de pathologie. Quant aux décoctions, elles coûtent pour
la majeure partie des cas, 1 000 FCFA.
Pour ces coûts relativement abordables, ce sont 36% des chefs de ménages interrogés de façon
générale (nos enquêtes, 2017) qui disent en être les prestataires.
L’accessibilité géographique des produits de la médecine traditionnelle est un facteur
déterminant pour leur usage. D’un point de vue global, 30% (enquêtes de terrain, 2017) des
chefs de ménages enquêtés utilisent les produits traditionnels pour leur accès facile.
Généralement, l’essentiel des plantes médicinales exploitées par les praticiens traditionnels est
issu de peuplements sauvages du territoire ivoirien. Le ravitaillement des marchés et des
praticiens en plantes médicales se fait à partir des marchés des villages de la région de Bouaké
et même plus loin, dans les autres régions environnantes. Cependant, certaines plantes
proviennent des pays voisins. Elles ne sont cultivées que lorsqu’elles deviennent rares. Les
matières minérales utilisées par les praticiens sont : le kaolin, l’argile, la terre, la potasse…
Enfin, il arrive qu’en dehors des marchés de proximité, des utilisateurs qui ont une certaine
connaissance en médecine traditionnelle, trouvent eux-mêmes ces matières à travers la
végétation, dans l’espace communal de Bouaké.
Hormis le moindre coût des médicaments traditionnels et de leur accès facile, les populations
urbaines de Bouaké ont recours à la médecine traditionnelle pour des considérations socio-
culturelles.
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2-2-2 Des considérations socio-culturelles
Les considérations sociologiques et culturelles constituent des aspects très importants quant
aux mobiles de l’utilisation des médicaments traditionnels. Autrement dit, marqués
culturellement, fidèles à la tradition et plus loin, contrôlés par des clichés et stéréotypes
fustigeant la médecine moderne, une proportion importante de la population fait appel à la
médecine traditionnelle. Le recours à cette médecine est surtout dû à son efficacité dans la
gestion de plusieurs épisodes morbides. Parmi ces épisodes, on peut citer : le paludisme ictère,
les infections digestives, les crises hémorroïdaires et bien d’autres. Cette efficacité est à
l’origine de l’utilisation unique de la médecine traditionnelle pour certains et en addition pour
d’autres, dans la gestion des pathologies. Ainsi, on peut remarquer que 34% des populations
enquêtées ont recours aux soins traditionnels pour cette raison particulière (enquêtes de
terrain, 2017). Les considérations sociologiques et culturelles demeurent le deuxième mobile
explicatif de l’usage des médicaments de la médecine traditionnelle, après le motif du
"moindre coût".
Parmi ces 34%, près de la moitié considère que le recours à la médecine traditionnelle est la
condition sine qua non pour la gestion de leur épisode de morbidité. Pour ces chefs de
ménages, les remèdes de soins modernes présentent des limites. Dans la situation où la
médecine moderne échoue, il faut d’autres recours de soins tels que les pratiques de mystiques
ou de charlatans pour soigner la maladie. La maladie pour eux, n’est pas une simple infirmité,
mais plutôt un sort où une malédiction jetée par une tierce personne sur eux. Cette perception
de la maladie a des origines culturelles et participe aux récurrents recours à la médecine
traditionnelle.
A Houphouët-ville on remarque un fort taux de recours à la médecine traditionnelle pour des
raisons sociologiques et pour son efficacité dans le traitement de certaines maladies. Ce taux
atteint les 60% des chefs de ménages. Egalement dans les quartiers Koko, Broukro et
Angouatanoukro, on observe respectivement 42%, 26% et 20% des chefs de ménages
enquêtés qui utilisent la médecine traditionnelle pour ces mêmes raisons.
Discussion
La médecine traditionnelle est « l’expression assez vague désignant en général les pratiques
de soins de santé anciennes et liées à une culture qui avait cours avant l’application de la
science aux questions de la santé par opposition à la médecine scientifique ou allopathie »
(Bossard, 1987 p 14). Cette médecine est très développée en Côte d’Ivoire. À Bouaké, on
rencontre plusieurs praticiens traditionnels sur l’espace urbain : les herboristes, les
phytothérapeutes, les psychothérapeutes, les accoucheuses traditionnelles, les spiritualistes
(féticheurs, devins, occultistes, exorcistes), les naturothérapeutes et les Médico-droguistes.
L’étude menée par Konan (2012) et les travaux du Ministère de la santé publique de Côte
d’Ivoire (2007) ont formellement identifié ces mêmes praticiens qui exercent à Bouaké.
En outre, l’usage de la médecine traditionnelle occupe une place de choix dans les itinéraires
thérapeutiques des citadins ivoiriens. Dans les quartiers étudiés au sein de la ville de Bouaké,
le niveau de recours à cette médecine s’élève à 86%. Les populations rencontrées utilisent les
services de la médecine traditionnelle pour améliorer leur état de morbidité dans les cas de
paludisme, fièvre typhoïde, infections digestives, etc. Une telle conjoncture est induite par un
accès facile aux produits de la médecine traditionnelle, à des coûts de soins économiquement
abordables et par son efficacité dans la guérison de plusieurs pathologies. Le Ministère de la
santé du Bénin (2013) a également insisté sur ces facteurs explicatifs qui demeurent
identiques. Les travaux de Traoré (2016) indiquent qu’au Mali, plus de 80% de la population
fait appel à la médecine traditionnelle dans les soins de santé primaires. En effet, ce
pourcentage élevé au Mali se justifie par plusieurs facteurs d’ordre social, économique,
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culturel et démographique. Les maliens, quelque soit leur rang social et leur niveau
d’instruction restent attachés à leur tradition. D’ailleurs, l’OMS (2013) retient le même taux
de recours à la médecine traditionnelle de la population africaine que Traoré qui a relevé le
cas du Mali.
Conclusion
A Bouaké, les quartiers Angouatanoukro, Broukro, Koko et Houphouët-ville comptent
plusieurs praticiens traditionnels. Il s’agit en autres, des phytothérapeutes, des herboristes, de
charlatans, des accoucheuses traditionnelles, des rebouteux. Les praticiens participent,
majoritairement, à la gestion des épisodes de morbidité au côté des soins modernes. Ils
s’approvisionnent en médicaments traditionnels dans le Nord de la Côte d’Ivoire et dans les
villages situés à proximité de la ville. Par ailleurs, près de 86% des chefs de ménages des
quartiers enquêtés à Bouaké, ont recours aux prestations de la médecine traditionnelle. Pour
faire face à leur état morbide, deux modes opératoires s’offrent à eux. Ils utilisent les soins
traditionnels soit en complément à ceux de la médecine moderne, soit de façon absolue.
Plusieurs motifs peuvent être convoqués pour rendre compte de ce taux impressionnant
d’utilisation de ces produits. Il s’agit de leurs coûts abordables, de leur accès facile, des
considérations socio-culturelles et surtout de leur efficacité dans la prise en charge de
certaines pathologies (le paludisme ictère, les infections digestives, les crises hémorroïdaires
et bien d’autres).
Bibliographie
Bossard E., 1987, La médecine traditionnelle chez les Ovimbundu, Ethnologie, Université de
Neuchâtel, Suisse, 108 p.
Direction Régionale de la Santé de Gbèkê, 2016, Analyse situationnelle de la région
sanitaire de Gbèkê pour l’élaboration du PNDS 2016-2020, 49 p.
Gobbers D., Pichard E., 2000, "L’organisation du système de santé en Afrique de l’Ouest",
adsp, n°30, pp 35-42.
Institut Nationale de la Statistique, 2014, Recensement Général de la Population et de
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