Céder N'est Pas Consentir
Céder N'est Pas Consentir
Céder N'est Pas Consentir
Le « Nous » de la révolte,
le « Je » du consentement
Cet essai, sous le titre Céder n’est pas consentir, s’inscrit dans une
actualité politique, celle de la mondialisation de la libération de la parole
des femmes depuis 2017. Le mouvement #MeToo marque un tournant dans
l’histoire du féminisme, le tournant d’une libération nouvelle via les
réseaux sociaux, l’univers du Web et la temporalité accélérée qui
l’accompagne. Il oblige à penser la nouveauté du phénomène et à tenter
d’en analyser les effets.
Le mouvement des « collages féminicides », lettres noires sur fond de
papier blanc, qui font parler les murs de nos villes, et font résonner ici et là
l’énoncé « Céder n’est pas consentir », s’ajoute au premier. C’est un
« non » visuel, donné à déchiffrer, comme un message venu d’ailleurs et
qu’on ne peut plus ignorer : son orientation de fond est une révolte contre
l’instrumentalisation du corps des femmes au service d’une jouissance qui
peut aller jusqu’à l’abolition de la vie d’une femme.
Mais cet essai s’inscrit aussi dans une actualité littéraire qui a donné
lieu à un questionnement inédit, en première personne, sur le consentement
en matière amoureuse et sexuelle et m’a conduite à m’interroger pour ma
part au-delà, en tant que femme, philosophe et psychanalyste, sur les
ressorts du consentement dans l’existence.
Si la révolte du « Nous les femmes » énonce un « non », l’écriture du
« Je » explore l’ambiguïté d’un « oui ». Cette rencontre entre ce que disent
les murs de la ville, que « céder » et « consentir » sont marqués du signe
« différent », et un récit témoignage sur Le Consentement 1, qui rend compte
des effets d’un abus qui n’a pas été vécu comme tel sur le moment, mais
seulement dans l’après-coup, est à l’origine de cet essai. Enfin, la parution
du livre de Camille Kouchner, La Familia Grande 2, me conduira à poser
une ultime question : au nom de quoi consent-on ? J’y reviendrai au terme
de ce parcours. Camus considérait la révolte comme un non qui est aussi
une affirmation. « En somme, ce non affirme l’existence d’une frontière 3 »,
écrivait-il au début de L’Homme révolté en 1951. C’est l’existence de cette
frontière entre « céder » et « consentir » qui fera l’objet de cet essai.
Frontière que le « non » de la révolte des femmes du XXIe siècle affirme et
que la littérature et la psychanalyse peuvent explorer en en démontrant
l’opacité.
Énigme du consentement
Obscur consentement
Le consentement fait toujours peur. Après coup peut surgir l’angoisse.
Avant aussi. L’inquiétude. Ce consentement me sauvera-t-il ou me perdra-t-
il ? Je ne sais pas. Mais j’éprouve en même temps le caractère irrésistible du
consentement comme un choix vivant. C’est parce que le consentement me
surprend moi-même qu’il est aussi élan de vie. Le consentement à l’Autre, à
sa parole, à son corps, à son désir, redéfinit mon être comme enlacement,
corps ému, force vive. Corps à la fois aspiré, mais aussi revivifié par
l’Autre. Le vertige du consentement, ce cum-sentire, qui m’arrache à la
solitude, gît aussi dans l’expérience d’un dénuement. Je suis sans
protection. Je ne m’appartiens plus. Je suis ailleurs. Autre à moi-même. Je
n’éprouve pas tant un accord avec l’autre qu’un accord avec mon corps ému
par l’autre. Je dis « oui » à ce qui se manifeste de vie dans ce corps qui est
le mien et qui m’apparaît comme étranger.
Et cela dans une douce pénombre. Celui à qui je consens partage alors
l’énigme de ce consentement. Il l’accueille. Il ne sait pas pourquoi je dis
« oui » mais il croit dans ce consentement sans qu’il soit jamais de l’ordre
d’un acte clair et rationnel. L’opacité de mon consentement peut donc aussi
être éprouvée par l’autre comme étrange et le confronter à cette part d’un
être qui toujours échappe dans la rencontre amoureuse. Le narrateur de La
Prisonnière aime Albertine qu’il jalouse en même temps. Il perçoit bien que
son consentement ne dit pas tout d’elle. Elle n’est pas « toute » à lui pour
autant. La jeune fille qu’il a repérée sur la plage de Balbec, parmi la petite
bande insolente de jeunes filles qui couraient sur la plage, sautant même
par-dessus le corps étendu d’un vieillard, cette jeune fille consent à l’aimer.
Mais ce qui suscite les tourments du narrateur, c’est qu’elle lui échappe
dans son consentement même. Il a pensé qu’il allait suffire de la rencontrer
et qu’elle lui dise « oui », pour qu’il la possède. Mais ce « oui » n’a pas mis
fin à l’énigme qu’est Albertine pour lui.
Le narrateur éprouve dans la jalousie l’opacité de ce consentement qui
ne dit pas tout de la vie d’Albertine, de son désir à elle, de sa vie intime
avec d’autres, sans lui. Le consentement d’Albertine ne fait que renouveler
son caractère insaisissable. Le narrateur perçoit qu’Albertine est
consentante au-delà de lui. Il ne cesse alors de la questionner, sur cette vie
mystérieuse qu’elle a avec d’autres, des amies surtout, Andrée, la fille de
Vinteuil, et toutes celles dont elle ne lui parle pas. Son consentement au
désir et à l’amour avec lui ne s’arrête pas aux frontières de leur relation.
C’est ce qu’il éprouve dans la jalousie qui le conduit à surjouer
l’indifférent. Il voudrait la faire prisonnière d’un consentement exclusif tout
en l’invitant à avouer ce qu’elle se refuse à lui dire. Il aime en elle l’oiseau
qui s’échappe toujours de sa cage, l’« oiseau merveilleux des premiers
jours 1 », tout en cherchant à la rendre prisonnière de son univers à lui.
Énigme du consentement amoureux et de ses effets.
La notion de « consentement éclairé » invoquée notamment dans le
domaine de la pratique médicale masque cette opacité du consentement,
perceptible dans le champ de l’amour et de la sexualité. Elle la fait oublier.
D’où vient l’idée d’un consentement « éclairé » ? Dans cette formulation, le
registre du « sentir » propre au consentement se voit recouvert par celui de
la rationalité. « Consentement éclairé » signifie consentement issu d’un acte
de raison. L’éclairage vient là des lumières de la raison comme faculté me
permettant de savoir ce que je dis et ce que je fais. Cette notion de
« consentement éclairé » est contemporaine d’une pratique de la médecine
où paradoxalement une forme de méfiance est à l’œuvre dans la relation du
patient au médecin – et du médecin au patient. Elle est corrélative d’une
exigence de transparence qui viendrait rétablir la confiance perdue en
l’Autre. Le consentement éclairé est exigé du patient afin que celui-ci
accepte la part d’imprévu qui accompagne toujours l’acte médical et que
cette part d’imprévisible ne lui soit pas cachée par le médecin. Il est exigé
comme une protection et une garantie. Il est aussi corrélatif d’un dû, d’un
devoir du médecin de l’informer et de ne pas le soigner sans rendre compte
de ce qu’il décide de faire pour le guérir. C’est la parole du médecin qui est
censée être transparente et ne pas voiler les conditions d’exercice du soin,
mais c’est aussi l’accord du patient qui est censé être pleinement donné en
connaissance de cause. « Consentement éclairé » veut dire ici que le patient
a été au fait des risques qu’il encourt, au fait du caractère inattendu de
certaines réponses du corps à une intervention médicale et chirurgicale.
« Consentement éclairé » veut dire que le patient a été prévenu et qu’il a
accepté le risque. Cela signifie qu’on lui en a parlé avant, que d’une
certaine façon, il savait en toute transparence ce qu’il risquait.
Mais, en réalité, le patient consent sans savoir.
L’adjectif « éclairé » fait croire à un fondement rationnel du
consentement. Mais cet adjectif qui en appelle à la lumière jetée sur le
consentement tente de faire oublier l’origine obscure du consentement du
sujet, ce « cum-sentire », ce « se sentir avec l’autre en confiance ». Le
consentement a partie liée avec la rencontre d’un Autre et l’effet que cette
rencontre peut produire en moi. « Le consentement, explicite ou implicite,
extériorisé ou supposé, demeure une affaire nouée à l’intime du sujet 2 »,
pour le dire avec Geneviève Fraisse. Cet adjectif « éclairé », qui en appelle
aux Lumières et à la responsabilité en chacun, vient qualifier le
consentement pour le hisser à la hauteur d’un acte de la raison. Mais n’est-
ce pas pour faire oublier qu’il n’y a pas de fondement rationnel au
consentement qu’on le veut à tout prix « éclairé » ? N’est-ce pas pour
effacer que le consentement a ses raisons que la raison ne connaît pas ? Cela
peut susciter la peur, cette absence de fondement rationnel à mon acte, ce
choix absolu du consentement sans justification.
Le consentement éclairé du patient est donc exigé en médecine afin de
rendre explicite la confiance supposée. Il faut que j’aie accepté la
contingence de ce qui peut se produire – pour que le médecin soit aussi
protégé en cas d’imprévu – pour que je ne puisse pas juridiquement me
retourner contre lui, en arguant que je ne savais pas. En réalité, je ne savais
pas et je ne peux pas savoir. Ce « oui » repose non pas sur un « je savais le
risque que j’encourais », mais sur la confiance dans la déontologie et le
savoir du médecin. Ce « oui » ne signifie donc jamais « je savais » mais « je
te reconnais ». « À toi, je peux dire “oui” car je crois en ton autorité. » C’est
tout en ne sachant pas, que je dois dire « oui ». Cette opacité du
consentement, visible dans les affaires de l’amour, est donc également
présente dans le domaine du soin. Il se pourrait même que le consentement
dans le champ amoureux dise la vérité de tout consentement. C’est
précisément parce que je ne sais pas quelles seront les conséquences exactes
d’un acte médical que mon consentement est exigé. Il faut que j’aie dit
« oui », sans savoir. Si j’attends de savoir, je dis toujours « non ». Je reporte
toujours mon « oui » à plus tard. J’attends encore un peu d’être sûre pour
dire « oui ». Mais je ne le suis jamais. Je ne peux jamais l’être du point de
vue du savoir. Je peux l’être du point de vue du désir seulement.
Je dis « oui », même si je ne sais pas exactement à quoi je consens, et
c’est ainsi.
Le risque du consentement
Le consentement n’est pas de l’ordre du savoir ; il est de l’ordre d’une
foi dans la rencontre avec un autre qui a un savoir que je n’ai pas. Il peut
m’éclairer s’il le veut sur ses décisions, ses actes, ses choix, il ne peut pour
autant rendre son savoir transparent au point de me le rendre accessible. Je
sais juste que c’est « oui » parce que j’ai foi en lui. Par le consentement, je
me lie à lui. Le consentement en appelle davantage à la croyance qu’à la
raison. Ainsi, avec le consentement, il y a aussi toujours la possibilité de se
méprendre, de dire « oui » à une aventure et finalement de se retrouver
prisonnier d’une autre histoire, qu’on n’a pas choisie. Il y a dans le
consentement un sentiment de risque absolu qui est aussi un jeu avec sa
propre vie. Il y a dans tout consentement un pari. Je mise tout. Je consens à
perdre. C’est en ce sens que le consentement dans les affaires d’amour et de
désir révèle la vérité du consentement dans tous les autres registres. Le
consentement amoureux est un acte intime, que personne ne peut faire à ma
place et qui me transforme. Je ne peux là non plus me laisser éclairer par les
lumières de l’autre. Les autres, les proches, les moins proches, ne peuvent
jamais savoir à ma place si j’ai raison de consentir. Ils peuvent juger s’ils le
veulent. Ils peuvent croire qu’ils savent mieux que moi ce qui est bon pour
moi. Mais mon consentement, il n’y a que moi qui puisse le donner. Je ne
peux pas le déléguer à un autre. Donc à cet égard, je suis responsable du
consentement que j’ai donné. Je suis responsable de ce qui m’arrive une
fois que j’ai consenti. Mais jusqu’où ?
Je donne mon consentement en matière amoureuse et sexuelle, en
sachant à qui, du moins en croyant savoir à qui, mais sans savoir pourquoi.
Cette responsabilité ne repose pas sur une maîtrise mais sur un désir.
J’éprouve mon consentement comme un acte qui m’a engagée ailleurs, un
acte qui m’a déplacée et transportée en un lieu où j’ai accepté de perdre
quelque chose pour découvrir autre chose. En un lieu où justement je ne
savais pas. Où peut me mener cet acte ? Pourrais-je revenir en arrière ? Le
consentement est un acte irréversible.
Une fois que j’ai consenti, comment me reprendre si mon consentement
a été trahi ? Puis-je me reprendre d’ailleurs ? Reprendre quoi ? Comment
récupérer ce que j’ai perdu dans mon consentement ? Lorsqu’il y a
maldonne entre ce à quoi un sujet consent et ce qu’il a rencontré, c’est un
abîme dangereux qui s’ouvre sous ses pas. Est-il responsable de cette
méprise ? Impossible de passer une existence sans ne jamais consentir à
rien. Refuser de consentir, ce n’est pas seulement refuser quelque chose à
l’autre, mais aussi souvent se refuser quelque chose à soi-même. Le
consentement me confronte à un pari avec ma propre vie depuis un rapport
à l’Autre. Un pari aussi avec mon corps, car « il n’y a pas de consentement
sans corps 3 ». Le consentement a aussi ses délices et indique le chemin vers
un continent nouveau, qui me fait appréhender un autre sujet en moi-même,
lorsque l’autre rencontré est à la hauteur de ce consentement. Je ne peux
passer ma vie à dire « non ». Mais je peux choisir à qui je dis « oui ». Je
peux choisir le moment où je laisse le consentement décider de la situation
et me déplacer ailleurs.
Le consentement,
intime et politique
En deçà de consentir,
« se laisser faire »
« Se laisser faire »,
céder à l’effroi
J’en viens maintenant à un troisième degré du « se laisser faire », qui est
en quelque sorte un palier de plus dans la dimension de la souffrance. J’en
viens au « se laisser faire » dans le traumatisme. Plonger avec le sujet lui-
même dans ce moment qui précède le trauma, c’est faire un arrêt sur image
en cet endroit où le sujet se laisse faire par l’Autre, soit ne parvient plus à
répondre. J’aborde là un autre registre.
Je veux plonger dans ce moment trouble et obscur où le sujet n’est plus
en mesure de consentir ou pas. C’est en ce lieu que le « qui ne dit mot
consent » doit être contredit car le silence prend un autre sens, le sens de ne
plus pouvoir rien dire, le sens d’être coupé du monde de la parole du fait de
l’effraction que produit la situation traumatique dans le corps du sujet, le
sens d’une pétrification. Lorsque c’est arrivé, elle n’avait que 8 ans. Elle n’a
rien pu dire. Elle s’est laissé faire en silence. Emma est une petite fille qui
aime les friandises. Comme il arrive quelquefois, elle sort faire une course.
Elle porte une petite robe, une robe de petite fille de 8 ans.
Elle entre seule dans la boutique de l’épicier, car elle veut s’acheter des
bonbons. Elle sait que l’épicier vend des bonbons. Elle entre alors, toute
seule, avec sa petite robe de petite fille de 8 ans. Et là, se produit ce à quoi
elle ne pouvait aucunement s’attendre. Même pas le temps d’être angoissée.
C’est arrivé et elle n’a rien pu dire. Le marchand l’a regardée et peut-être
même qu’il lui a souri, d’un drôle de sourire de vieil homme alléché par la
petite créature qui vient de rentrer de son plein gré, dans son épicerie.
Pourquoi se priver de plaisir ? Que fait le vieil homme ? Il la trouve sans
doute jolie, et aussi si innocente, de venir là seule, pour s’offrir ses petites
friandises. Il va lui faire goûter autre chose, sans qu’elle n’y comprenne
rien. Soudain, alors que la petite fille se tient là, devant lui, les bonbons
dans la paume de sa main, lui s’approche et « porte la main, à travers
l’étoffe de sa robe, sur ses organes génitaux 6 ». Emma est pétrifiée. Peut-on
dire qu’elle s’est laissé faire ? Elle n’a rien dit, pas bougé, immobilisée par
ce qui se produit là. Pas eu le temps sans doute de partir en courant. Surtout
elle n’a rien compris. Le temps de l’angoisse a été court-circuité. Ce temps,
qui est aussi le signal d’un danger, n’a pas eu lieu. L’angoisse n’a pas été
éprouvée. Elle n’était même pas inquiète avant d’entrer dans la boutique,
puisqu’elle était contente d’y aller justement, pour se procurer ces friandises
qu’elle aimait tant. Est-elle allée chez l’épicier en cachette ? Avait-elle dit à
sa mère, ou à son père, qu’elle s’y rendrait ? Peut-être pas. Peut-être même
qu’elle n’a rien dit à personne et que c’est aussi pour cela qu’elle s’est
retrouvée prise au piège. Elle venait chercher son petit plaisir d’enfant, des
bonbons. Peut-être avait-elle même dérobé une petite pièce dans le porte-
monnaie maternel pour se procurer secrètement les moyens d’acheter les
friandises qu’elle adorait. Toute seule, sans défense, sans protection. Elle se
retrouve sous le joug d’un adulte, qui voit dans la situation l’occasion
d’assouvir une pulsion. Toucher les organes génitaux de la petite fille à
travers sa robe. Elle se laisse faire.
Freud a rencontré Emma alors qu’elle était déjà jeune fille et qu’elle
était « hantée par l’idée qu’elle ne doit pas entrer seule dans une
boutique 7 ». Sans bien savoir pourquoi. C’est ce qui lui reste maintenant
qu’elle a grandi, que son corps s’est transformé, de ce qui a eu lieu un jour,
alors qu’elle n’avait que 8 ans. Mais de ce moment de « laisser faire », elle
ne se souvient pas du tout. C’est l’amnésie. Elle a oublié. Le sujet Emma a
oublié le traumatisme de la petite fille de 8 ans. Ce dont se souvient la jeune
fille qui s’adresse à Freud, c’est d’un autre épisode qui lui est arrivé
lorsqu’elle avait 13 ans. C’est un souvenir qui renvoie, pour elle, à un passé
plus récent et à un moment de sa vie où son corps était déjà pubère. Elle
savait alors qu’elle n’était plus une enfant et qu’on pouvait la regarder avec
du désir. Ce souvenir de ses 13 ans a aussi à voir avec une histoire de
boutique où elle est entrée et où quelque chose d’étrange est arrivé. Elle se
souvient qu’elle avait pénétré dans une boutique à l’âge de 13 ans, pour y
acheter quelque chose, mais elle s’était enfuie en courant. Bizarre. Il ne
s’est pourtant rien passé dans la boutique si ce n’est que les deux vendeurs
l’ont regardée en riant. Y avait-il en elle quelque chose de risible ? Sa
tenue ? Sa robe ? Son corps ? Emma est sortie de la boutique, paniquée.
Elle s’est sentie humiliée. Les deux hommes semblaient se moquer d’elle,
de sa tenue, de sa robe. Cela l’a d’autant plus gênée que l’un d’eux lui est
apparu comme un homme séduisant. Emma a fui. Freud souligne le
caractère énigmatique du symptôme d’Emma : être hantée par l’idée de ne
surtout pas entrer seule dans une boutique et se souvenir de ces deux
vendeurs qui se sont esclaffés en la voyant, à 13 ans. Cela ne suffit pas pour
rendre compte de cette angoisse qui la saisit à chaque fois qu’elle entre
seule dans une boutique, et surtout pour expliquer cette idée fixe. Qu’est-ce
que cette hantise ? En parlant à Freud, Emma va un jour se souvenir de ce
qu’elle avait oublié jusque-là, ce qui est arrivé à son corps d’enfant, quand
elle avait 8 ans. C’est en retrouvant l’autre souvenir, celui qui renvoie à
l’épisode traumatique qui s’est produit lorsqu’elle avait 8 ans, qu’Emma
peut commencer à dénouer son symptôme.
À 13 ans, elle ne s’était pas du tout rappelé que la scène qu’elle venait
de vivre avec les deux vendeurs faisait écho à une autre scène, plus
ancienne, qui l’avait laissée sans voix. Mais de parler à Freud de cette
histoire de boutique, de vêtement, de vendeur, a fait remonter à la surface ce
qu’elle avait oublié. Cela lui a permis de défaire les nœuds du temps. Son
nœud à elle, où le premier événement s’était camouflé dans le second,
comme pour se rappeler à elle tout en se laissant oublier par elle. De quoi se
souvient-elle alors ? Non seulement elle se souvient de la première fois,
celle où l’épicier a porté la main sur ses organes génitaux à travers sa robe,
mais elle se souvient d’autre chose, de tellement étrange. Ce qu’elle peut
dire à Freud, c’est qu’elle était entrée dans la boutique deux fois, et c’est
bien dès la première fois que l’abus s’est produit. Pourquoi est-elle
retournée une seconde fois dans la boutique ?
Freud écrit : « Par la suite, elle se reprocha d’être revenue chez ce
marchand, comme si elle avait voulu provoquer un nouvel attentat 8. » Elle
est entrée une seconde fois dans la boutique en sachant. Si la première fois a
pu se produire parce qu’elle ne savait pas, la seconde la confronte au
mystère de ce qu’elle savait. Mais comment lire ce retour sur les lieux du
traumatisme ? Est-ce Freud qui ajoute « comme si elle avait voulu
provoquer un nouvel attentat » ou est-ce elle, Emma, qui se pose la question
du « pourquoi elle y est retournée » ? Ce que l’on sait, c’est qu’elle est
retournée sur les lieux du traumatisme, là où son corps a subi l’effraction
qui l’a laissé muette. Ce que Freud veut démontrer porte d’abord sur la
levée de l’amnésie. Comment un souvenir refoulé peut-il être retrouvé par
l’analyse ? Comment ce qui n’a jamais été dit jusque-là en vient-il à
pouvoir être ainsi enfin révélé, pas seulement à l’autre, mais à elle-même ?
Car c’est toujours d’un silence qu’il s’agit avec le trauma. Le sujet qui n’a
rien pu dire sur le moment ne peut rien dire non plus après. Comme si la
bouche s’était cousue sur l’événement, irréversiblement. C’est donc au
processus de refoulement du premier souvenir que Freud s’intéresse et à ce
mécanisme d’après-coup qui montre la nécessité d’une seconde scène pour
que la première revienne à la surface.
Quelles sont les voies qui ont permis de retrouver le premier temps du
trauma ?
Le second épisode survenu alors qu’elle a 13 ans répète quelque chose
du premier sans être identique. Mais lorsque ce second épisode se produit,
elle ne se souvient de rien. C’est le fait de parler de ce second épisode à
Freud, de se laisser aller à dire ce qui lui traverse l’esprit lorsqu’elle songe à
cette hantise d’entrer dans une boutique seule, qui la conduit par hasard à
retrouver le premier souvenir effacé. Emma retrouve à travers le second
souvenir des échos du premier : la boutique, le fait d’entrer seule, le
vêtement (les rires des vendeurs seraient relatifs à sa tenue), et un effet dans
le corps (l’un des vendeurs lui apparaît séduisant). Ce qui retient l’attention
de Freud, c’est cette dualité temporelle. « Un souvenir refoulé ne s’est
transformé qu’après coup en traumatisme 9. » L’après-coup (Nachträglich)
est ce moment où le traumatisme premier s’avère à travers un second
événement. La scène de ses 13 ans, revenue à la mémoire d’Emma,
constituera après coup la première scène marquée d’abord d’un blanc, en
traumatisme. Ce qui a manqué au premier épisode, c’est le surgissement de
l’angoisse. À la place de l’angoisse et la court-circuitant, il y a eu un effet
d’intrusion dans son corps. L’enfant a ressenti quelque chose qu’elle n’avait
jamais ressenti auparavant, tout en étant privée de parole. Car il y a eu
effraction.
Silence, amnésie, effraction – tels sont les trois traits du traumatisme
sexuel.
L’angoisse est apparue longtemps après, et elle s’est transformée en
symptôme – être hantée par l’idée de ne surtout pas entrer seule dans une
boutique.
Le traumatisme résulte du moment où l’enfant s’est laissé faire. Mais
lorsque c’est arrivé, elle n’était pas là en tant que sujet. C’est son corps qui
a subi quelque chose qu’elle n’a pas compris. C’est ce que je désignerai par
ce troisième degré du « se laisser faire », qui a peu à voir avec les deux
premiers, que j’ai isolés, le « se laisser faire » du consentement, et le « se
laisser faire », de la demande et de l’angoisse.
La question que je voudrais dès lors poser est celle qui me semble
pouvoir apporter un éclairage sur la portée du « se laisser faire » au sens de
ce dernier degré. Pourquoi l’enfant de 8 ans est-elle retournée dans la
boutique, alors qu’elle avait été victime de cet abus ? Comment interpréter
cette répétition ?
Freud souligne qu’Emma se reproche d’y être retournée, comme si elle
avait cherché à ce que cela recommence. C’est là en effet une énigme.
Freud en 1897 ne dispose pas encore de la théorie de la répétition
pulsionnelle. Ce n’est que vingt ans plus tard, dans son article intitulé « Au-
delà du principe de plaisir », qu’il pourra articuler la pulsion et la répétition
et rendre compte de ce retour, de ce qui revient dans le corps, sans le sujet.
Pourquoi Emma y retourne-t-elle alors ? Ce que je soulignerai, c’est
d’un côté le temps premier d’un « se laisser faire », face auquel elle est sans
défense aucune, et le temps second d’un « y retourner » comme premier
effet du trauma. Mais c’est le « pourquoi » de ce retour qu’il faut explorer.
Car c’est là que se tient la différence fondamentale entre « céder » et
« consentir ». Y retourne-t-elle pour se laisser faire à nouveau ? Je ne
l’interpréterai pas ainsi. La petite fille de 8 ans y retourne cette fois-ci en
sachant ce qui peut se produire là-bas, même si elle ne peut rien en dire.
C’est un savoir qui vient de son corps.
Mais peut-être cette impossibilité de dire a-t-elle un lien avec le retour ?
Elle y retourne, en ne sachant pas ce qu’elle a perdu. Or, lorsqu’on a perdu
quelque chose quelque part, sans savoir quoi, que fait-on ? On retourne sur
les lieux pour essayer de savoir ce que l’on a perdu et peut-être pour le
récupérer. Ce qui est certain, c’est qu’il lui est arrivé quelque chose et
qu’elle ne peut revenir en arrière. Ce retour est de l’ordre d’une répétition
des conditions de ce qui a eu lieu comme pour comprendre. Après ce temps
de voir traumatique, elle y retourne pour voir encore ce qu’elle n’a pu
comprendre.
Je ferai l’hypothèse qu’elle y retourne pour récupérer ce qui lui a été
arraché, un émoi dans le corps avant même que ce corps soit pubère. Là où
il n’y a pas eu pour l’enfant de 8 ans de possibilité de se mouvoir, lorsque
l’épicier a approché sa main de son corps, il y a maintenant mouvement
vers le lieu où elle est restée pétrifiée. Ce mouvement peut être lu comme
une commémoration du trauma. Ce qu’elle va retrouver, ce n’est pas
l’épicier qui a touché ses organes sexuels derrière sa robe de petite fille,
c’est la scène qui l’a privée de voix. Cette logique concerne la perte qui a
marqué le corps de l’enfant. Elle y retourne justement parce que le
traumatisme est resté au niveau de l’effraction dans le corps.
Le « se laisser faire » du traumatisme engendre une répétition
pulsionnelle avant même de se constituer en traumatisme pour le sujet.
Lorsque le sujet cède, il est comme prisonnier du trauma qui lui a arraché
son corps. Ce n’est que bien des années plus tard, à 13 ans, qu’Emma
éprouvera l’angoisse qu’elle n’a pu éprouver à 8 ans. C’est la signature du
trauma, cette angoisse après coup.
Ce dernier degré du « se laisser faire », que Freud rencontre à l’origine
de la psychanalyse et qui provoque le traumatisme psychique, est aussi
celui qui produit un blanc dans la mémoire du sujet. Chapitre censuré de
l’histoire, comme Lacan le dira de l’inconscient, le traumatisme n’entre pas
dans le monde de ce qui peut se dire et se transmettre. Il devient pour le
sujet de l’ordre d’un point d’ombilic, un point originaire mystérieux, qui
reste indicible. La passivité du traumatisme ne trouve pas à se symboliser.
« Qui ne dit mot », en ce cas, se trouve voué à y retourner, comme pour
retrouver la parole perdue à l’endroit de l’abus. Qui ne dit mot ne comprend
pas ce qui s’est produit et cherche à retrouver ce corps qui a été éveillé trop
précocement à un émoi qui laissera le sujet plus tard dans l’angoisse.
En deçà de l’angoisse, qu’y a-t-il ? Peut-être le dégoût de son propre
corps qui a été ainsi instrumentalisé par l’autre ? Peut-être la honte de ce
corps ayant suscité la jouissance d’un autre ? Peut-être une indifférence
pour la transformation de ce corps qu’elle a dû reconnaître comme le sien
au moment où il lui était le plus étranger.
VI
« Céder sur »
« Céder à »
Situation traumatique
Le sujet ne cède pas tant à l’Autre qu’à une situation traumatique dont il
ne peut se défendre. Il cède à ce qui se produit en son corps. Comment
rendre compte de cette situation ? Le danger est là, présent, mais l’angoisse
qui aurait pu le signaler n’a pas eu le temps d’être éprouvée, de s’installer,
que déjà l’effraction a eu lieu. C’était trop tôt et c’est déjà trop tard. Ce à
quoi le sujet cède, c’est aussi bien alors ce qu’il cède de lui-même, ce qui
lui est arraché de sa façon d’être un corps vivant, qui éprouve, qui s’émeut,
qui ressent. Une part de son corps lui est comme arraché sans son
consentement et c’est le monde de l’Autre qui se fracture en même temps.
Comme en un tremblement de terre, le sujet éprouve un séisme qui le fait
chuter et disparaître. Cette intrusion brutale de l’Autre, via le regard, la
voix, une parole qui déchire le voile qui recouvre le monde des liens à
l’autre, en visant l’être et la jouissance, via le corps de l’Autre lui-même qui
impose sa pulsion, qui force l’accès à la jouissance, est la cause
déterminante du traumatisme sexuel et psychique. Forcer l’accès à la
jouissance, signifie que c’est à la fois la jouissance de l’Autre qui s’impose
mais que c’est aussi ma propre jouissance qui est comme arrachée à un
corps que j’ai déjà perdu.
Dans cette « confrontation radicale, traumatique, le sujet cède à la
situation 1 », dit Lacan. Il s’agit donc d’une confrontation non pas seulement
à l’Autre mais à une situation que le sujet ne peut vivre en tant que sujet,
parce qu’il n’en a pas les moyens, psychiques et physiques. La situation
traumatique agit comme un rapt.
Lacan se pose la question de ce que veut dire « à ce moment, cède 2 ». Il
introduit alors une distinction cruciale entre ce qui peut se produire au
niveau du sujet lui-même en tant qu’être de parole et ce qui peut se produire
au niveau du corps du sujet, au niveau de ce corps qu’il a et qui n’est pas
son être, mais qui est en même temps ce qu’il a de plus réel.
La première réponse de Lacan est d’abord d’écarter ce que le « céder »
n’est pas. « Ce n’est pas que le sujet vacille, ni qu’il fléchisse 3. » Vaciller
ou fléchir sont des modalités de l’être pris dans le rapport à l’Autre,
relevant du registre du « choisir » et finalement des modalités du
« consentir ». Vaciller ou fléchir, c’est finir par se déprendre de soi-même
pour dire « oui ». C’est ne plus refuser, ou se refuser à, pour prendre le
risque de vivre avec l’autre une expérience qui engagera mon corps. Mais
lorsqu’il est question de l’angoisse et de la situation sexuelle traumatique,
Lacan souligne bien que ce n’est pas sur ce registre que se joue la chose. Ni
vacillement ni fléchissement, mais « cession ». Qu’est-ce à dire ? Tout
d’abord que ce qui se produit alors n’en passe pas par la parole. Il ne s’agit
pas d’une contradiction, d’une contrainte, d’un refus. Le « non » est un
« non » du corps qui est forcé par l’Autre. Quelque chose du sujet s’est figé
dans la situation. C’est de ce « se laisser faire »-là qu’il s’agit pour la petite
Emma de 8 ans pétrifiée alors que l’épicier, chez qui elle s’est rendue pour
acheter des friandises, passe sa main à travers sa robe sur ses organes
génitaux.
Figement, impossibilité de dire
« Dans une situation dont le figement met devant nos yeux le caractère
primitivement inarticulable, et dont il restera marqué à jamais, ce qui s’est
produit est quelque chose qui donne son sens vrai au cède du sujet – c’est
littéralement une cession 4. » Figement, caractère inarticulable de la
situation traumatique, marque à jamais de l’événement sur le corps,
« cession ».
Nous trouvons là une description qui nous plonge au cœur du
traumatisme sexuel et psychique. « Figement » d’abord, c’est-à-dire que le
sujet est comme pétrifié. Son corps devenu corps de pierre ne lui permet
plus de s’enfuir. Quelque chose du vivant du corps est comme capté,
extorqué, arraché au sujet. Il ne parvient plus à se dégager. Ce qui est à
souligner ici, c’est que ce rapt n’est pas seulement dû à une force physique
contre laquelle je ne peux me défendre – ce qui est aussi à prendre en
compte dans la situation traumatique – mais qu’en deçà, ce rapt est dû à une
déflagration qui touche le corps de telle façon que le sujet est comme séparé
de ce corps. Il ne peut plus le mouvoir. Le sujet est à la fois réduit à son
corps pris au piège de la situation traumatique et contraint à céder quelque
chose de son corps.
Caractère « inarticulable » de la situation traumatique ensuite. Le sujet
ne peut rien dire. Le silence n’est dès lors pas celui d’un « qui ne dit mot
consent », mais celui qui signe l’impossibilité pour le sujet de répondre de
la situation à laquelle il est confronté. Il peut crier, mais il ne peut pas
articuler une parole. Ou sa parole elle-même ne sera qu’un cri. Ce silence
qui se produit une première fois sera alors un stigmate de l’expérience
traumatique qui ne peut se dire. Comme si plus aucun frayage vers la parole
n’allait rendre possible le dire de la situation traumatique. Comme si ce qui
allait se répéter avec l’événement traumatique, c’est aussi ce silence comme
une impossibilité d’en parler. J’ai déjà fait référence à cette temporalité
étrange du traumatisme, avec Freud et le cas d’Emma, mais également avec
le récit témoignage de Vanessa Springora. Trente ans de silence. Ce n’est
pas là une contingence. Là où le sujet n’a rien pu dire une première fois, il
ne pourra rien dire ensuite.
C’est en tout cas ce que je propose depuis la perspective
psychanalytique. C’est dire que ce qui a fait traumatisme sexuel se redouble
étrangement d’un « ne rien pouvoir en dire ». Comme si un interdit d’en
parler venait recouvrir ce qui s’est ouvert, ce qui s’est fendu dans le monde
du sujet confronté à l’Autre. Le caractère inarticulable de la situation
traumatique produit donc un nœud qui maintient inarticulé l’événement. Ce
« ne rien pouvoir en dire » n’est pas déterminé seulement par un contexte
historique ou social. Ce silence est aussi celui qui revient de la situation
traumatique elle-même, qui a court-circuité la parole.
Cet « inarticulé » a plusieurs dimensions. Tout d’abord, le sujet n’en
parle pas par pudeur. Comme si quelque chose d’une honte de lui-même lui
restait de ce qu’il a vécu dans ce forçage. Comme si la jouissance de l’Autre
l’avait aussi éclaboussé et conduit à se sentir sali. La pudeur est un affect
qui a une grande valeur dans l’existence et qui fait que l’on ne souhaite pas
nécessairement dévoiler ce qui a touché notre corps, ce qu’on n’a pas
compris de ce qui s’est produit alors dans notre chair. Nous sentons que le
dire à n’importe qui comporte un nouveau danger comme si la faille
traumatique allait s’ouvrir à nouveau. La pudeur est l’affect qui permet de
traiter en un certain sens le trauma en ne l’exhibant pas, en le voilant, en
n’en faisant pas un usage public, en le maintenant dans la sphère de
l’intimité qui ne se partage pas. Paradoxalement, c’est en effet quelquefois
donner une valeur particulière au traumatisme sexuel que de ne pas le
partager avec n’importe qui, mais de considérer qu’il faudra des conditions
de paroles particulières pour le dire. C’est considérer qu’il n’est pas un
événement commun, mais un événement à part.
Tenter d’articuler un trauma prend en effet toujours les dimensions de
l’aveu. Or avouer, ce n’est pas seulement dire la vérité, c’est tenter de dire
quelque chose de ce qui a été éprouvé sans le consentement du sujet. Là est
le paradoxe. Cet aveu peut alors fragiliser celle ou celui qui ne parvient pas
à faire reconnaître ce qui s’est produit en son corps. Cet aveu ne relève en
quelque sorte plus de la vérité mais de ce que Lacan appelait « le réel ». Il
ne s’agit pas seulement de la réalité de ce qui a eu lieu, mais de l’effraction
dans un corps, qui n’est plus de l’ordre de ce qui peut se faire reconnaître
dans le langage de tous, mais de ce qui nécessite une confiance immense
dans celui à qui on s’adresse pour pouvoir se dire. Une confiance immense
dans son éthique, dans son écoute, dans son aptitude à croire et à ne pas
juger, dans sa capacité à accueillir ce qui est rejeté. Cet inarticulé du
traumatisme renvoie donc à un indicible, qui ne se situe pas au niveau
simplement du non-communicable publiquement, mais au niveau d’un
impossible à dire intime. J’y reviendrai.
Cession
L’expérience de dire ce qui s’est produit dans le corps, de dire cette
« cession », nécessite de pouvoir s’appuyer sur un nouveau pacte, celui qui
s’installera entre le sujet qui parle et l’Autre qui le croit. En ce point, celui
qui parle ne dénonce pas. Il ne parle pas pour dénoncer ou accuser. Il
cherche à retrouver ce qu’il a perdu et à le dire, car ce qui compte alors pour
lui, c’est de tenter d’avérer ce qui n’a pu s’avérer d’abord et qui a laissé
cette trace ineffaçable.
« Marqué à jamais », souligne Lacan. C’est dire que cette marque dont
il s’agit de parler non seulement ne s’efface pas, résiste à l’usure du temps,
se maintient comme « un corps étranger 6 » dans la chair, pour le dire avec
Freud et Breuer, mais en plus produit quelque chose comme une répétition.
La première fois qui a marqué au fer rouge la chair du sujet engendre
ensuite une série qui ne signifie pas que le sujet revit exactement la même
chose du point de vue de la réalité des faits, mais que le sujet éprouve en
différents moments stratégiques de son existence, le retour de ce qui n’a pu
s’avérer, comme en un éternel retour du même impossible à dire.
Figement du sujet, caractère inarticulable de la situation traumatique,
marque ineffaçable. Redisons-le avec Lacan : « ce qui s’est produit est
quelque chose qui donne son sens vrai au cède du sujet – c’est littéralement
une cession 7 ». Qu’est-ce alors que cette cession au sens littéral ? Là est le
lieu où la distinction entre « céder » et « consentir » prend un sens inédit.
Entre la cession et le consentement, il y a une différence criante. « Cedere »
apparenté à « cadere » 8, veut dire tomber, choir. La cession que Lacan nous
invite à prendre dans sa littéralité a à voir avec le sens juridique du terme,
celui de transfert de droit. Le sujet qui cède à la situation traumatique
abandonne son propre droit sur son corps. Il n’a plus droit à son corps. Il
choit en tant que sujet abandonné par l’Autre, réduit à son corps. Le sujet
s’est effacé et a cédé devant la puissance supérieure de la situation
traumatique. Aucune arme ne lui permet d’affronter ce qu’il rencontre.
Aucun droit ne vaut plus. Il est en quelque sorte abandonné par son propre
corps qui n’est plus là pour l’assurer de sa vie. Quelque chose de l’« identité
du corps 9 », antérieur à la constitution du sujet, est rapté et perdu.
Quand j’ai perdu mon corps, comment me retrouver ? Comment
retrouver ce nouage qui s’est défait au moment où j’ai cédé à la situation ?
Le cri vient dire ce que le sujet cède, un morceau de lui-même. Expérience
de la détresse. Il ne peut rien faire contre. Aucun autre en cette situation ne
peut plus le protéger. Il a cédé quelque chose et rien ne l’y conjoint plus.
VIII
Langue coupée
Le cri de Philomèle
Ovide, à travers l’histoire du viol de Philomèle, fille du roi Pandion, par
son beau-frère, le Thrace Térée, nous conduit là où le sujet ne peut plus rien
dire. Ce viol, dont Pascal Quignard livre une analyse subtile dans L’Homme
aux trois lettres, est suivi dans le mythe d’Ovide d’un événement qui touche
à la parole confisquée. Térée, après avoir violé Philomèle, lui coupe la
langue. Ce mythe d’Ovide dit l’histoire de ce silence qui suit le traumatisme
sexuel.
« Sa bouche muette ne peut révéler ce qui s’est passé 3. »
Comment Philomèle pourra-t-elle en effet révéler quand même ce qui a
eu lieu ? N’ayant plus de langue, elle est sans voix. Aucun son articulé ne
peut plus sortir de sa bouche. Que s’est-il passé exactement ? C’est « dans
les profondeurs d’une étable cachée à l’ombre d’antiques forêts 4 » que le
Thrace Térée, trahissant en même temps son épouse et le père de celle-ci,
abuse de Philomèle. Il franchit là l’infranchissable en trompant d’un même
geste la parole du père et la confiance de son épouse.
Térée viole la sœur de sa femme.
Sa femme, c’est Procné. Elle lui a fait part de son vœu le plus cher, celui
de revoir sa sœur aimée, Philomèle, restée à Athènes dans la demeure
familiale, dont elle a été séparée à la suite de son mariage avec lui. Térée,
auquel la beauté de Philomèle n’avait pas échappé, se rend à Athènes chez
Pandion, son beau-père, pour accomplir sa mission, ramener auprès de sa
femme sa sœur chérie. Pandion consent à confier sa seconde fille à son
gendre, par amour pour Procné, et afin que les deux sœurs se retrouvent.
Ses mots témoignent à la fois de son angoisse à laisser ainsi la seule fille
qui lui reste s’éloigner de lui pour ce voyage et de sa demande à Térée. « La
voici ; cher gendre, puisque de pieux motifs ont eu raison de mes
résistances, puisqu’elles l’ont voulu toutes les deux, que tu l’as voulu toi-
même, Térée, je te la remets. Au nom de la bonne foi, au nom de nos
affectueux liens de parenté, au nom des dieux, je t’en conjure, en suppliant :
comme un père, prends soin d’elle avec amour, et cette fille qui est la douce
consolation de ma vieillesse soucieuse, aussitôt que possible […] renvoie-là
moi 5. »
Plus qu’une demande, le message de Pandion à son gendre est une
supplique.
Au nom de la bonne foi, Pandion lui remet ce qu’il a de plus cher,
maintenant que Philomèle est la seule enfant qui lui reste. Au nom de la
valeur de la parole, il consent à se séparer de sa fille. « Occupe-toi d’elle
comme un père », lui dit Pandion. Ce sont les lois du mariage, fondée sur la
parole, qui l’amène à faire ce pacte avec Térée : « protège-là par amour
pour moi, ton beau-père, le père de ta femme ». Ce sont les lois de la parole
et du langage, que nul n’est censé ignorer. Ce sont les lois de la promesse.
Mais la bonne foi n’existe plus devant l’exigence pulsionnelle. La
parole ne renferme plus aucun pacte de confiance. Térée veut jouir de ce
corps, celui de la sœur de sa femme. Point de père en lui, mais un abuseur.
En passant à l’acte, il sait qu’il vise aussi en Philomèle son lien de sororité.
Il la force à trahir sa sœur. L’homme n’est pas cet être débonnaire et doux
animé par l’amour du prochain, mais un être qui peut être tenté d’user
sexuellement du corps d’un autre sans son consentement, de le faire souffrir
et même de le tuer, pour reprendre la remarque de Freud. Térée n’est en
effet pas un être animé de l’amour du prochain. Ce n’est pas un être
débonnaire et doux. C’est un tyran. L’exigence de jouissance du corps de la
sublime Philomèle dicte sa conduite. Plus aucune promesse ne vaut. Le
pacte de parole ne fait pas point d’arrêt à ce qui s’impose à Térée. Sans son
consentement, il emporte la jeune femme là où plus personne ne pourra
entendre ses cris.
La jeune fille ne comprend pas tout de suite : où est donc sa sœur ? Où
l’a-t-il conduite ? Quel est ce piège ? « Il l’y enferme, pâle, frémissante, en
proie à toutes les terreurs et, les yeux pleins de larmes, demandant où est sa
sœur ; puis ne cachant plus ses intentions criminelles, il fait violence à cette
vierge, qui est seule, qui vainement, à grands cris, en appelle à son père, à
sa sœur et surtout aux dieux puissants 6. » Dans cette étable, le viol a lieu.
Que Philomèle en appelle à un Autre qui pourrait la sauver fait aussi partie
de sa jouissance à lui.
Personne ne peut entendre les cris de Philomèle. Philomèle peut appeler
encore et encore, personne ne la sauvera des mains de Térée. Il n’y a plus
de dieux pour la sauver. Expérience de l’Hilflösigkeit, aurait pu dire Freud
au XXe siècle. Terrorisée, « tremblant comme une brebis effrayée 7 »,
Philomèle cède à la situation. Émoi, perte de ses moyens, effroyable
solitude face à la pulsion d’un autre : « et moi ? », oubliée de tous, là où
plus personne ne peut entendre ses cris, elle est réduite à n’être plus que ce
corps dont l’autre jouit sans son consentement.
Qui me croira ?
Ressusciter le silence,
pouvoir en revenir
« Le silence qui avait régné pendant la guerre et peu après était comme
englouti par un océan de mots. Nous avons l’habitude d’entourer les
grandes catastrophes de mots afin de nous en protéger. Les premiers mots
de ma main furent des appels désespérés pour trouver le silence qui m’avait
entouré pendant la guerre et pour le faire revenir vers moi. Avec le même
sens que celui des aveugles, j’ai compris que dans ce silence était cachée
mon âme et que, si je parvenais à le ressusciter, peut-être la parole
reviendrait 1. »
Comment retrouver la parole lorsqu’il y a eu rencontre traumatique,
lorsque l’expérience de la langue coupée m’a retiré la possibilité de dire ?
Ne faut-il pas revenir à une forme de silence pour faire résonner une parole
nouvelle, étrangère au discours de tous, une parole qui serait véritablement
propre à la cession subjective que j’ai rencontrée ?
Ressusciter le silence par l’écriture, telle est la voie choisie par
l’écrivain Aharon Appelfed pour tenter de retrouver ce qui a eu lieu dans
son corps d’enfant de 10 ans pendant la Seconde Guerre mondiale. Le
traumatisme vient toujours réveiller la détresse de l’enfant qui n’a plus
aucun recours, la déréliction de celui qui appelle et que personne n’entend,
la solitude d’un être à qui plus personne ne répond. Dans son récit Histoire
d’une vie, Appelfeld ressuscite le silence du traumatisme de la guerre qu’il
a vécu alors qu’il n’était qu’un enfant.
Lorsqu’un traumatisme singulier, celui qu’un être rencontre dans
l’intimité de son existence, rencontre un traumatisme historique, un trauma
« collectif », comme c’est le cas avec la Seconde Guerre mondiale
notamment, la question se pose de savoir comment retrouver une parole
singulière concernant ce qui m’est arrivé. Les mots des autres à propos
d’une catastrophe historique, l’océan de mots, pour le dire avec Aharon
Appelfeld, peuvent avoir un effet rétroactif paradoxal : à la fois de
reconnaissance de l’événement dans sa réalité historique et de
méconnaissance de la singularité de l’effet de l’événement sur mon être.
Comme si les mots trop nombreux, les discours trop bruyants, les
interprétations trop massives, finissaient par faire taire autre chose :
l’expérience singulière de chacun. Comme si le « Nous » imposait silence
au « Je ».
C’est en cet endroit que le témoignage en première personne prend une
valeur inédite. Afin de pouvoir trouver comment écrire ce qu’il a traversé
enfant pendant la Seconde Guerre mondiale, seul dans les forêts
ukrainiennes, ayant survécu à la mort de ses parents en camp de
concentration, Appelfeld fait valoir la nécessité de ressusciter le silence.
Comme si à un certain moment, dans l’après coup du traumatisme, la parole
ne pouvait avoir une valeur que si elle s’arrachait au silence. Comme si
faire silence en soi-même permettait aussi de retrouver quelque chose de la
trace traumatique dans son caractère le moins communicable mais le plus
réel. L’océan de mots, lorsqu’il vient des autres, a aussi pour effet de priver
le sujet de ses propres mots. La difficulté pour lui fut, dit-il dans Histoire
d’une vie, « de conserver le “je” sommé d’être ce qu’il ne pouvait et ne
voulait pas être 2 ». « Nous » n’avons jamais vécu la « même » chose, bien
que le traumatisme du nazisme s’inscrive dans l’histoire des peuples qui en
ont subi les effets de destruction. Chaque être a été touché d’une façon qu’il
est le seul à pouvoir rendre réelle, à travers un témoignage, une parole, un
écrit, une œuvre.
C’est donc la question de renouer avec le pays des mots à partir d’un
événement qui a fait effraction dans le monde des mots et de la vie qui est
posée.
Traumatisme sexuel, traumatisme de guerre, le trauma comporte
toujours, en plus de l’effraction corporelle, un choc psychique, qui fait
silence : comment retrouver la parole lorsqu’elle a été réduite au silence ?
« Pendant de longues années, je fus plongé dans un sommeil amnésique.
Ma vie s’écoulait en surface. Je m’étais habitué aux caves enfouies et
humides 3. »
C’est au cœur de ce silence de la cession subjective que j’arrive
maintenant au sein de ce parcours clinique et politique, philosophique et
littéraire aussi, en me laissant guider par cet aphorisme : « céder n’est pas
consentir ». C’est en ce lieu où faire silence est quelquefois nécessaire afin
de pouvoir dire, sans que l’océan des mots, le blabla de nos discours
courants, le flot continu des conversations permanentes, ne viennent
recouvrir la marque ineffaçable du trauma.
Consentir à un dédoublement
S’éprouver comme femme, n’a rien à voir avec « se prendre pour La
femme », « chercher à incarner un mythe », « se croire » celle qui est
vraiment une femme et qui est la seule même peut-être à l’être, ou imposer
aux autres ses normes de genre. Lacan a été jusqu’à mettre du côté de la
folie les identifications trop puissantes. Croire trop à son être, c’est déjà
céder à l’infatuation. Si cela vaut pour le paranoïaque qui se croit un peu
trop ce qu’il est, se sentant méconnu de tous, cela vaut aussi pour le sujet
féminin qui se prendrait pour « La » femme. Le manque-à-être touche
chaque sujet et se prendre pour « La femme » serait de l’ordre d’une folie
mettant en péril le lien à l’autre. Mais, en vérité, dans la clinique, ce qui se
révèle, c’est plutôt que lorsqu’une femme croit que « La Femme existe », ce
n’est pas en elle-même qu’elle la situe mais en l’Autre. C’est le statut de
cette Autre qui compte alors. Car tout se passe comme si au lieu de pouvoir
consentir à cette Autre en elle-même, une femme situait en l’Autre sa
propre étrangeté. Effet de dédoublement propre à la féminité.
« Je suis avertie déjà. Je sais quelque chose. Je sais que ce ne sont pas
les vêtements qui font les femmes plus ou moins belles, ni les soins de
beauté, ni le prix des onguents, ni la rareté, le prix des atours. Je sais que le
problème est ailleurs. Je ne sais pas où il est. Je sais seulement qu’il n’est
pas où les femmes croient 2. » Duras parle ainsi de cet ailleurs où se situe la
question du désir pour une femme, et qui n’est pas là où elle croit. Elle
évoque ce rapport à la mascarade comme relevant davantage d’un
déplacement de la chose dont il s’agit que d’une vérité sur la féminité.
Duras, avec ses mots d’écrivain et aussi de femme qui écrit, dit quelque
chose qui éclaire l’aphorisme « La femme n’existe pas ». Lorsque Lacan dit
dans les années 1970 que « “La” femme n’existe pas », cela peut résonner
comme une sentence qui nous laisse devant une énigme redoublée. Peut-
être ne faut-il pas lire cette phrase comme un axiome sentencieux mais
plutôt comme on lirait un fragment d’Héraclite. « On ne se baigne jamais
deux fois dans le même fleuve », « Tout s’écoule », « La femme n’existe
pas ». Peut-être s’agit-il là de la part de Lacan d’une bouteille lancée à la
mer dans l’océan des discours sur « les » femmes afin de fissurer cette idée
rigide de « La » femme, comme paradigme.
« La femme n’existe pas » n’est pas à recevoir comme une vérité ou un
mensonge de plus sur « les femmes », mais comme une façon de trouer le
monde des mots et d’introduire un autre rapport à l’existence que celui de la
définition de l’être à partir d’une universalité. Ce sur quoi Lacan met
l’accent, c’est sur cet impossible accès au « La » de « La femme », et sur la
nécessité d’en passer par un chemin singulier qui ne fait jamais devenir
« La » femme, mais « une » femme. C’est pour faire de l’expérience de la
féminité un phénomène qui vient faire obstacle à l’universel, qui vient lui
« faire objection 3 » pour le dire avec Jacques-Alain Miller, et qui jamais ne
fait accéder une femme à une identité, mais à une jouissance qui fracture
toute identité.
En quel sens l’expérience de la jouissance féminine fissure-t-elle le
rapport à ce que l’on pensait être ? Pas toute présente en cet endroit où les
autres sont, je peux assumer cette part qui ne se reconnaît dans aucun
« Nous ». Pas toute là, représentée par un ailleurs aussi, une part de ce que
je suis n’entre pas dans le discours et pourtant existe. Être en proie à un
certain moment de sa vie à cette expérience, c’est sentir qu’il y a quelque
chose de l’existence qui échappe à l’universalité imposée, qui ne parvient
pas à se dire et qui me fait éprouver comme un dédoublement. Consentir à
assumer cette part qui n’est pas représentée dans le groupe, dans l’universel
de l’ensemble des êtres qui appartiennent à la même espèce, dans le langage
même, c’est pouvoir en faire autre chose que de la rejeter ou d’en pâtir
comme d’une exclusion de son être. C’est pouvoir assumer la part féminine
de son existence comme une joyeuse marginalité.
J’entendrai cet aphorisme aux relents présocratiques selon lequel « La
femme n’existe pas » à partir de cette expérience de dédoublement, qui fait
que par un côté, un sujet se sent avoir rapport aux autres, à ce qui se dit
dans le monde, et par un autre côté, se sent avoir rapport à quelque chose
qui ne peut se signifier. Vertigo (Sueurs froides, 1958) est le film d’Alfred
Hitchcock qui met en scène un tel dédoublement à travers Madeleine et
Judy, dédoublement entre la blonde et la rousse, la morte et la vivante. Mais
ce dédoublement est traité du point de vue d’un homme, Scottie, fasciné par
celle dont il ne parvient pas à saisir l’identité. Après Hitchcock, Lynch, dans
son film opus Mulholland Drive (2001) 4, revisite ce thème du
dédoublement mais en se situant du côté du sujet féminin lui-même. J’ai
traité dans un premier livre sur Les Amoureuses de l’expérience du désir
montrée à travers le rêve et le cauchemar d’une femme perdue. J’évoquerai
ici à nouveau ce film inoubliable pour ajouter que l’énigme du message de
David Lynch se noue aussi autour de cette expérience de dédoublement.
C’est celle-ci qui retient mon intérêt dans mon enquête sur le ressort caché
du consentement.
Ce film mystérieux montre comment une femme, ici Diane Selwyn,
rejette à l’extérieur d’elle-même ce dédoublement en conférant à une Autre
femme l’éclat d’une féminité qui lui semble inaccessible. La croyance en
l’existence de « La » femme, on l’aperçoit à travers le destin de Diane, c’est
ce qui peut donner un poids à l’Autre femme dans la vie d’un sujet au point
de produire un phénomène de fascination qui laisse le sujet silencieux sur
lui-même. Dans ce film, l’héroïne est prise au piège de sa propre
fascination. L’Autre femme, celle qui semble détenir le secret de la
féminité, est celle en laquelle elle rejette finalement la part exclue d’elle-
même. L’Autre femme s’incarne pour elle en celle qui semble ne jamais
avoir rencontré de question concernant sa féminité, dénuée de toute
angoisse de ce côté-là, étant femme en quelque sorte par nature.
Le rapport à l’Autre femme peut prendre différents degrés d’intensité.
Cela peut aller d’une simple admiration, conduisant à s’intéresser à l’Autre
femme – à son allure, son style, son rapport à la présence et à l’absence, sa
façon d’être ou de ne pas être, de parler en se montrant ou en se cachant – à
la fascination mortifère. Celle-ci fige alors le sujet pétrifié par ce qu’il ne
comprend pas. Dans le film de David Lynch, c’est de cette fascination qu’il
s’agit. Il nous la rend visible au sein du rêve de Diane, qui croit que « La »
femme existe, qu’elle porte le nom de Rita, se dédoublant déjà en
Rita/Camilla Rhodes au sein même de la production onirique de la rêveuse.
Diane se dédouble elle-même en Betty/Rita dans son propre rêve. Elle est à
la fois la brune et la blonde, celle qui sait et celle qui ne sait pas, celle qui se
montre sur les plateaux et celle qui se cache pour que personne ne la
retrouve, celle qui se souvient et celle qui est frappée d’amnésie sur son
identité.
Tout devient alors trouble. Là où il était question de consentir à ce
dédoublement en elle-même, Diane Selwyn a rejeté en l’Autre l’étrangeté
qu’elle a pu éprouver en elle-même. Elle a fait du corps de Camilla le
dépositaire du mystère du désir.
Car c’est de cela qu’il est question, d’un dédoublement entre une part de
soi que l’on peut dire, une part de soi que l’on ne peut pas dire, mais que
l’on éprouve, parfois sans savoir même où cet éprouvé va nous conduire.
Cette part de soi que l’on ne peut pas dire, qui nous confronte à ce qu’on ne
sait pas de soi, on peut chercher à s’en défaire en la rejetant dans l’Autre.
Mais si l’on en croit Lacan, c’est plutôt de parvenir à assumer cette
dimension d’altérité à soi-même qui conduit un sujet à consentir à
l’expérience de la féminité.
Faire l’expérience de la féminité, ce n’est donc pas croire que l’Autre
femme existe. Ce moment de croyance est le signe d’une difficulté
rencontrée dans son existence, d’une question en somme sur soi-même.
Peut-être est-ce même le premier pas vers cette expérience du devenir autre
que l’on est, autre à soi-même. Faire l’expérience de la féminité n’a rien à
voir non plus avec le fait de faire croire aux autres que « La » femme existe
en soi, même pour du semblant, même pour de la comédie, même pour le
théâtre des genres. C’est même tout l’envers. Paraître « La femme », le
vouloir, faire comme si on détenait un savoir sur ce point, sur la sexualité
féminine, sur le désir, sur l’amour, relève d’un rapport à l’image et non pas
à l’être. Il peut même s’agir là d’un rapport ironique à la féminité afin de ne
pas se sentir concernée par cette expérience singulière. C’est une façon de
montrer qu’on n’y croit pas, tout en réduisant la question à celle du rôle et
de la mascarade.
Folles concessions
Éprouver ce désir, qui est désir de l’autre et désir d’être désirée aussi, ce
n’est pas se soumettre ou s’aliéner, mais prendre le risque de consentir à cet
émoi qui me rend étrangère à moi-même. C’est là qu’est l’ambiguïté, la
proximité et en même temps la frontière entre le « consentir » et le
« céder ». Dans la perspective de Lacan, l’expérience de la féminité est de
l’ordre d’une rencontre avec une jouissance qui traverse le corps et à
laquelle on consent. L’expérience du « céder », celle du traumatisme, est de
l’ordre de la rencontre avec une jouissance imposée par l’autre, qui
provoque aussi un séisme dans le corps du sujet, mais un séisme auquel le
corps ne consent pas. Voilà la différence.
Voilà le point auquel tout ce parcours me conduit. Oui, il y a une
proximité dangereuse entre le « consentir » et le « céder », car dans ces
deux formes d’expérience, désignées par l’infinitif des verbes, il y a
rencontre avec la jouissance et avec le « se laisser faire ». L’énigme porte
donc dorénavant, au terme de ce parcours, sur le « pourquoi se laisse-t-on
faire ? », même lorsque le corps dit « non » ? Là est le nœud.
Dans le consentement, la jouissance est l’événement engendré de façon
inattendue par un « oui ». Dans la cession subjective, la jouissance arrachée
au corps est l’événement traumatique produit sur fond de « non » du corps
lui-même.
C’est peut-être d’en être passé par l’examen du traumatisme de guerre
qui permet de creuser l’écart entre les deux phénomènes de corps. À la
jouissance consentie, je me suis en quelque sorte préparée. Je peux être
angoissée après avoir dit « oui », car je me suis dépris de moi-même pour
tenter quelque chose de nouveau. Mais il y a un « oui » qui fraye la voie à
une expérience de vie. À la jouissance non consentie, celle de l’autre et
celle qu’il m’impose aussi en mon corps, je ne me suis jamais préparée. Je
suis alors séparée de moi-même, dans la honte ou le silence, dans l’effroi.
La rencontre avec l’altérité en moi est comme renversée en rencontre avec
un forçage de l’autre.
Déprise et emprise
Je le disais en ouvrant cet essai, la grâce du livre de Vanessa Springora,
Le Consentement, est de se situer au niveau de ce que signifie, pour une très
jeune fille qui rêve de devenir une femme, la rencontre avec le désir de
l’Autre. À lire Le Consentement, on saisit ce que veut dire consentir à
quelque chose qui dépasse ce à quoi nous croyions avoir consenti. On saisit
que consentir au désir de l’Autre ne va pas sans angoisse. Consentir à la
féminité est toujours un franchissement pour une jeune femme. La première
rencontre, celle au cours de laquelle une jeune fille perd sa virginité, laisse
sur son corps des stigmates ineffaçables.
L’histoire de Vanessa Springora aurait pu avoir des accents durassiens.
La toute jeune fille avait consenti à avoir un premier amant, plus âgé
qu’elle, attendant de lui de se laisser emporter ailleurs, loin de sa mère, à la
rencontre de la femme qu’elle avait envie de devenir. Mais l’analogie
s’arrête là. Car si elle se croit aimée un temps, bien que déboussolée par la
tournure que prend cet amour en termes de relations sexuelles, elle ouvre
les yeux dans un second temps et aperçoit qu’elle n’a jamais été l’objet de
son amour, que tout était orchestré, calculé pour qu’il puisse en faire l’objet
de jouissance.
V. dit qu’en vertu du désir qu’elle éprouvait, elle ne s’est jamais
identifiée à une victime. Là où elle a cru que le désir de l’Autre voulait
l’éveil de son désir à elle, elle a été abusée. C’est parce que le devenir
femme en passe par ce consentement à être désirée que l’abus est une
trahison du consentement lui-même.
L’effet traumatique ne vient pas seulement d’avoir été initiée trop
précocement à des pratiques sexuelles qui n’étaient pas de son âge, et cela
par un homme de 50 ans alors qu’elle n’en avait que 14. Mais c’est le fait
d’avoir désiré cet homme et d’avoir cru être aimée de lui qui fait trauma.
C’est en ce point de vulnérabilité qu’agit le poison de la mauvaise
rencontre. Car ce à quoi elle consent alors en vertu du désir éprouvé et de
l’amour auquel elle croit, c’est au forçage. Il y a donc eu duperie. Elle a cru
consentir à être un objet de désir et d’amour. En réalité, elle est devenue un
pur objet de jouissance pour l’autre.
Le franchissement de la frontière entre « consentir » et « céder » se situe
en cet endroit où la déprise de soi laisse une place à l’emprise de l’autre.
Car pour qu’il y ait emprise, il faut d’abord qu’il y ait eu déprise. Ce récit
en première personne est celui d’un cas où le consentement a ouvert la voie
au traumatisme.
La mauvaise rencontre est venue répondre à un flottement existentiel,
celui d’une collégienne prise entre une mère adorée un peu égarée, avec qui
elle semble ne faire qu’un, et un père indifférent à son existence. C’est au
moment où elle attend un homme, comme on attend un père, que surgit
celui qui fera d’elle sa proie. Le père qu’elle rencontre n’est ni celui de
l’amour ni celui du désir, mais celui de la jouissance, celui, qui abusant de
la fascination qu’il exerce sur elle en tant qu’écrivain, assouvit ses propres
pulsions. Après la mauvaise rencontre, – crise d’angoisse, épisode
anorexique, moment de dépersonnalisation viendront signer le séisme qu’a
été pour elle cette première histoire qui n’était pas de l’amour.
« Depuis combien de temps avais-je perdu trace de moi-même 1 ? »
Perdre la trace de soi-même, voilà une expérience proprement féminine, qui
peut condamner une femme à l’inexistence. Car la mauvaise rencontre est
aussi venue rejouer le trauma après coup, celui de la nuit où encore enfant,
elle entend une scène violente entre sa mère et un amant. Ce « retourne-
toi », adressé par un amant à sa mère, lui reviendra de cet homme auquel
elle ne pourra se soustraire à 14 ans comme on ne peut se soustraire à un
impératif de jouissance féroce.
Ce livre d’une femme qui s’en est sortie grâce à la psychanalyse, grâce
à une proviseur de lycée qui a su faire une place d’exception à son drame
subjectif, grâce à un homme en qui elle a pu avoir confiance, nous montre
que l’affaire du désir et de la jouissance peut conduire là où la frontière
entre « consentir » et « céder » se brouille. C’est justement en ce point de
brouillage que la distinction devient urgente.
Il y a bien une proximité dangereuse entre ces deux expériences. C’est
de ce nœud fait de consentement et de cession qu’il s’agit dans ce récit
intime. Comme si quelquefois, dans la vie d’un sujet, le consentement, avec
son caractère vertigineux, énigmatique, opaque, pouvait être le chemin le
plus direct vers la cession. Ce n’est pas alors que « consentir » devient
« céder » et « céder » « consentir ». C’est qu’un pacte a été trahi.
Au-delà de la révolte,
consentir à dire
Désobéir
Mais c’est aussi « au nom de » que le sujet peut un jour se réveiller et
enfin désobéir à la soumission qu’il s’est imposée. Si c’est « au nom de » la
familia grande et de l’amour pour sa mère, un amour qu’on pourrait
qualifier avec Christine Angot, d’amour impossible 7, que Camille
Kouchner a consenti au silence, c’est peut-être aussi « au nom de » ce que
signifie depuis pour elle être une sœur, « au nom de » ce que signifie aussi
d’être devenue mère elle-même et de s’inquiéter de sa transmission, que
Camille Kouchner parvient à désobéir.
À la façon d’Antigone, qui ne cèdera pas et ira jusqu’au bout de ce que
signifie pour elle de s’assumer enfin depuis sa place à elle, Camille
Kouchner écrit, trente ans après, sur ce qu’il y avait derrière la familia
grande. Ce livre constitue un acte de courage et pose la question de la
désobéissance, dans un contexte où pourtant la liberté et l’« interdit
d’interdire » étaient les maîtres mots du monde de son auteur. C’est aussi la
force de ce récit que de nous montrer ce qui peut se nicher derrière la
revendication de la liberté, un déchaînement de jouissance qui fait taire
finalement le sujet qui désire autre chose.
La peur est au rendez-vous lorsqu’il s’agit de déchirer le voile de ce qui
semble tenir lieu de monde. La peur est ce qui fait que le sujet préfère
fermer les yeux sur ce qui fait que le monde est quelquefois immonde,
comme le disait Lacan. Le prix à payer pour l’accès à son propre « Je » est
alors un autre consentement, un consentement à prendre le risque de perdre
finalement un monde dans lequel on a cru. Enfin, trente ans plus tard,
Camille Kouchner parvient à se libérer de ce silence et à « empoisonner
l’hydre en achevant ce livre 8 ».
L’instrumentalisation du consentement rencontrée dans les idéologies
totalitaires serait au politique ce qu’est l’instrumentalisation du
consentement dans la vie sexuelle. Car finalement, c’est bien d’un pacte de
confiance qu’il est question, aussi bien dans le consentement intime que
dans le consentement politique et ce pacte met en jeu le rapport à la parole.
C’est aussi d’un brouillage des frontières en moi-même entre ce que je peux
accepter, ce que je peux donner, ce que je peux même sacrifier pour l’autre
et ce qui va me détruire, qu’il s’agit dans cette proximité dangereuse entre
céder et consentir.
Jusqu’où le consentement peut-il me conduire ? Dois-je aller jusqu’à
renoncer à mon propre désir ? Là est peut-être le signe qu’il se passe
quelque chose à quoi je peux dorénavant dire « non ». Se révolter, c’est dire
« non » et en même temps affirmer quelque chose, disait Camus. La révolte,
le « non », s’apparente alors à un réveil. Le « non » est un franchissement
qui est en même temps déjà un « oui ».
Se révolter, lorsque le consentement a conduit au traumatisme, c’est se
retrouver.
C’est affirmer : « Je suis là à nouveau », je n’ai pas disparu. C’est se
défaire de l’emprise, se défaire de la honte, se défaire de la peur de se
perdre une seconde fois en parlant. Cela suppose quelquefois d’être prêt à
affronter la perte d’un monde, celui de la famille, celui de l’amour, au nom
d’une valeur plus grande, qui n’est relative à aucune autre, et qui est la
possibilité de dire « je ».
La révolte, pour accoucher d’une possibilité de loger quelque part ce qui
a eu lieu, peut prendre la forme d’un « non » collectif. Mais elle gagne aussi
à se singulariser. Elle ouvre sur ce qui ne peut se dire qu’en première
personne et à un Autre en particulier. Car au fond, ce qui m’est arrivé, cela
m’est arrivé à moi. En l’écrivant, en l’adressant à celui qui saura entendre,
en tentant de le dire, je donne aussi une valeur à la marque traumatique, à ce
qui a fait empreinte en moi, sans laisser personne d’autre parler à ma place.
Je lui donne une valeur telle que je ne le dévoilerai pas à n’importe qui,
dans n’importe quelles conditions. L’écriture peut être ce lieu à soi qui
permet de rejoindre le monde de l’autre sans passer sous silence ce qui a
fait effraction dans le mien.
Je suis là. À nouveau. Je peux dire. En un lieu qui devient pour moi le
lieu de l’émergence de ma parole.
Camus voyait dans la révolte un mouvement authentique dont la portée
était d’autant plus grande que cette révolte restait fidèle à ce premier élan.
Derrière le « non », il y a aussi une affirmation de son être, et un « oui ».
C’est peut-être en ce point que le « Nous » doit céder la place à un « Je »
qui parvient à s’affronter à l’histoire intime, dans ce qu’elle a de dicible et
d’indicible. C’est en ce point que la langue aussi, avec ce qu’elle contient
de pouvoir et de faille, parvient à situer le traumatisme.
Alors que j’écrivais ce livre me plongeant dans les sous-sols du
consentement, j’ai découvert qu’autour du consentement, il y avait dans le
champ du droit comme un vide juridique. La présomption de non-
consentement, quel que soit l’âge de l’individu, n’existe pas dans le droit
français. Reconnaître un non-consentement, selon un âge déterminé, serait
du point de vue du droit actuel porter atteinte à la présomption d’innocence.
Le non-consentement devrait donc se prouver. Seule la preuve de la
contrainte et du recours à la force peut établir le non-consentement 9. Le
paradoxe est qu’à chercher à prouver le non-consentement d’un enfant ou
d’un adolescent qui a cédé à une situation d’emprise, on redouble le
traumatisme. À nouveau, on instrumentalise son consentement en le
supposant en faveur de ce qui a fait trauma.
Le point où j’en suis arrivée montre que c’est méconnaître la distinction
entre céder et consentir que de s’en tenir à rechercher une preuve de non-
consentement pour faire valoir la réalité d’un abus. Car ce qu’est l’abus,
c’est toujours une trahison du consentement. La question plus intime, et qui
n’est plus du ressort du juridique, est « au nom de quoi ? » le sujet a-t-il pu
se laisser faire ?
Ce qui revient au sujet comme de la culpabilité, c’est le point où
l’emprise a pu s’exercer depuis une croyance dans le fait d’être aimé,
depuis une croyance dans l’indivision familiale, engendrant un « se forcer »
soi-même comme étrange réponse au forçage de l’Autre.
C’est peut-être aussi en cet endroit que ce qui s’est produit ne peut se
réparer exclusivement dans le cadre de la justice seule bien que la
législation en cet endroit témoigne d’une méconnaissance des causes et des
conséquences psychiques de l’abus. Car obtenir le statut de « victime » ne
suffit pas à revenir d’un traumatisme. Quant à se le voir dénier, c’est être
une seconde fois confronté au trauma, par la non-reconnaissance de ce qui
est alors appelé un préjudice. S’aventurer à dire alors quelque chose du
point où mon consentement a permis une cession, c’est aussi prendre un
risque, celui de creuser la faille du traumatisme. Camille Kouchner
témoigne aussi de ce risque, celui pris de parler, de révéler et de voir,
plusieurs années avant l’écriture de ce livre, se retourner contre soi les siens
qui préfèrent continuer de fermer les yeux.
C’est pourquoi, quelquefois, il est nécessaire aussi de redonner une
valeur à une parole qui croyait ne plus en avoir. C’est ce que fait la
psychanalyse. Se détacher de ce « au nom de quoi » on s’est condamné au
silence, c’est traverser le brouhaha des discours pour retrouver une parole
renouant avec le fil du réel. C’est pourquoi le destinataire que je choisirai et
les mots que je parviendrais à faire résonner alors, pour la première fois,
seront de nouvelles amarres de l’être.
II - Énigme du consentement
Obscur consentement
Le risque du consentement
VI - « Céder sur »
« Céder sur son désir »
VII - « Céder à »
Situation traumatique
Cession
Le cri de Philomèle
IX - Qui me croira ?
Consentir « au nom de »
Désobéir
Annexe
Bibliographie
Filmographie
Remerciements
Du même auteur
www.puf.com
1. Vanessa Springora, Le Consentement, Paris, Grasset, 2020.
2. Camille Kouchner, La Familia Grande, Paris, Seuil, 2021.
3. Albert Camus, L’Homme révolté, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1951, p. 27.
4. Geneviève Fraisse, Du consentement, Paris, Seuil, 2017, p. 135.
5. Voir sur ce point le témoignage de Sarah Abitbol, Un si long silence (Paris, Plon, 2020).
6. Vanessa Springora, Le Consentement, op. cit.
7. Simon Liberati, Eva, Paris, Le Livre de poche, 2016, p. 165.
8. François Regnault, « Laissez-les grandir ! », La Cause du désir, 2020, vol. 2, no 105, p. 9.
9. Vanessa Springora, Le Consentement, op. cit., p. 163.
10. Albert Camus, L’Homme révolté, op. cit., p. 38.
1. Marcel Proust, Albertine disparue, in À la recherche du temps perdu, t. VI, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1989, p. 56.
2. Geneviève Fraisse, Du consentement, op. cit., p. 24.
3. Geneviève Fraisse, Du consentement, op. cit., p. 127.
1. Gilles Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch, Paris, Minuit, 1967, p. 18.
2. Frédéric Gros, Désobéir, Paris, Albin Michel, 2017.
1. Hugo Grotius, Le Droit de la guerre et de la paix, Paris, Puf, 1999, livre I, p. 38.
2. Frédéric Gros, Désobéir, op. cit., p. 146.
3. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, GF-Flammarion, 1966, p. 45.
4. Ibid., p. 56.
5. Ibid., p. 148.
6. Ibid., p. 42.
7. Ibid., p. 54.
8. Frédéric Gros, Désobéir, op. cit., p. 157.
9. Albert Camus, L’Homme révolté, op. cit., p. 221.
10. George Orwell, 1984, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1972, p. 371.
11. Ibid., p. 391.
12. Albert Camus, L’Homme révolté, op. cit., p. 308.
13. Id.
1. Annie Ernaux, Passion simple, Paris, Gallimard, « Folio », 1991, p. 13.
2. Ibid., p. 20.
3. Ibid., p. 21.
4. Ibid., p. 76.
5. Ibid., p. 31.
6. Sigmund Freud, La Naissance de la psychanalyse, Paris, Puf, 1956, p. 364.
7. Id.
8. Ibid., p. 365.
9. Ibid., p. 366.
1. Jacques Lacan, L’Éthique de la psychanalyse, Le Séminaire, livre VII, Paris, Seuil, « Champ
freudien », 1986, p. 368.
2. Jacques Lacan, « Kant avec Sade », in Écrits, Paris, Seuil, « Champ freudien », 1995, p. 765.
3. Sigmund Freud, Le Malaise dans la civilisation, trad. B. Lortholary, Paris, Seuil, « Points
essais », 2010, p. 119.
4. Éric Laurent, « Remarques sur trois rencontres entre le féminisme et le non-rapport sexuel »,
La Cause du désir, 2020, vol. 1, no 104, p. 111.
5. Jacques Lacan, L’Éthique de la psychanalyse, loc. cit., p. 96.
6. Ibid., p. 370.
1. Jacques Lacan, L’Angoisse, Le Séminaire, livre X, Paris, Seuil, « Champ freudien », 2004,
p. 361.
2. Id.
3. Id.
4. Ibid., p. 362.
5. Jacques Lacan, « Propos sur la causalité psychique », in Écrits, Paris, Seuil, « Champ
freudien », 1995, p. 164.
6. Sigmund Freud, Josef Breuer, Études sur l’hystérie, trad. A. Berman, Paris, Puf, 1956, p. 4.
7. Jacques Lacan, L’Angoisse, loc. cit., p. 362.
8. Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2000, p. 410.
9. Jacques Lacan, L’Angoisse, loc. cit., p. 363.
1. Je renvoie ici à l’ouvrage de Timothy Gantz, Mythes de la Grèce archaïque, trad. D. Auger et
B. Leclercq-Neveu, Paris, Belin, 2004, p. 219-422.
2. Ovide, Les Métamorphoses, trad. J. Chamonard, Paris, GF-Flammarion, 1966, p. 171.
3. Id.
4. Ibid., p. 170.
5. Ibid., p. 169.
6. Ibid, p. 170.
7. Id.
8. Id.
9. Id.
10. Id.
11. Ibid., p. 171.
12. Id.
13. Id.
14. Pascal Quignard, L’Homme aux trois lettres, Paris, Grasset, 2020, p. 41.
1. Confucius, Entretiens, Paris, Seuil, 2014, p. 153.
2. Jacques Lacan, L’Éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 264.
3. Sigmund Freud, « Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) », in Cinq psychanalyses, Paris,
Puf, 1954, p. 18.
4. Ibid., p. 16.
5. Id.
6. Jacques Lacan, « Radiophonie », loc. cit., p. 428.
1. Aharon Appelfeld, Histoire d’une vie, trad. V. Zenatti, Paris, « Points », 2005, p. 116.
2. Ibid., p. 128.
3. Ibid., p. 10.
4. Id.
5. Sigmund Freud « Au-delà du principe de plaisir », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot,
1981, p. 50.
6. Id.
7. Sigmund Freud, « Au-delà du principe de plaisir », loc. cit., p. 50.
8. Ibid., p. 50.
9. Philippe Lançon, Le Lambeau, Paris, Gallimard, 2018, p. 274.
10. Jacques Lacan, « La psychanalyse et son enseignement », in Écrits, op. cit., p. 446.
11. Ibid., p. 209.
12. Philippe Lançon, « Les monstres de Bormazo », Ornicar, 2020, no 53, p. 50.
13. Aharon Appelfeld, Histoire d’une vie, op. cit., p. 10.
14. Ibid., p. 138.
15. Ibid., p. 135.
16. Ibid., p. 393.
1. Virginia Woolf, « Un collège de jeunes filles vu de l’extérieur », Rêves de femmes, trad.
fr. Michèle Rivoire, Paris, Gallimard, « Folio », 2018, p. 30.
2. Marguerite Duras, L’Amant, Paris, Minuit, 1984, p. 27.
3. Jacques-Alain Miller, « L’Un tout seul », département de psychanalyse de Paris 8, cours du
25 mai 2011, inédit.
4. Voir Clotilde Leguil, Les Amoureuses, voyage au bout de la féminité, Paris, Seuil, 2009.
5. Jacques Lacan, Encore, Le Séminaire, livre XX, Paris, Seuil, « Champ freudien », 1975,
p. 69.
6. Marguerite Duras, L’Amant, op. cit., p. 47.
7. Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, Paris, Gallimard, « Folio », date, p. 23.
8. Marguerite Duras, L’Amant, op. cit., p. 47.
9. Ibid., p. 46.
10. Ibid., p. 47.
1. Ibid., p. 173.
2. Ibid., p. 56.
3. Voir Jacques Lacan, Télévision, Paris, Seuil, « Champ freudien », 1974, p. 63.
4. Vanessa Springora, Le Consentement, op. cit., p. 128.
5. Ibid., p. 175.
6. Voir Serge Tisseron, « Le désir peut exister, mais cela ne change rien à ce qui est permis et
défendu », Le Monde, 22 janvier 2020.
7. Jacques-Alain Miller, « L’Un tout seul », déjà cité.
8. Jacques Lacan, L’Angoisse, loc. cit., p. 209.
9. Voir sur ce point la fin du Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, leçon XXIV.
10. Jacques Lacan, « L’objet de la psychanalyse », Le Séminaire, livre XIII, séance du
15 décembre 1965, inédit.
11. Vanessa Springora, Le Consentement, op. cit., p. 63.
12. Voir « L’affaire Gabrielle Russier, un amour hors la loi », Le Monde, série d’été par Pascale
Robert-Diard et Joseph Beauregard, juillet-août 2020.
13. Vanessa Springora, Le Consentement, op. cit., p. 60.
14. Jacques Lacan, Télévision, op. cit., p. 64.
1. Camille Kouchner, La Familia Grande, op. cit.
2. Ibid., p. 122.
3. Ibid., p. 204.
4. Ibid., p. 107.
5. Ibid., p. 126.
6. Ibid., p. 105.
7. Christine Angot, Un amour impossible, Paris, Flammarion, 2015.
8. Ibid., p. 204.
9. Voir en Annexe.