La Fiscalite Sur L or Noir Au Senegal
La Fiscalite Sur L or Noir Au Senegal
La Fiscalite Sur L or Noir Au Senegal
Avec la découverte d’un premier gisement de pétrole en 2014, puis des découvertes gazières en 2015 et
2016, le Sénégal prévoit d’améliorer ses performances économiques à moyen et long terme. N’ayant pas
toute l’expertise technique requise pour exploiter cette richesse, le pays envisage de faire de la fiscalité
l’un des principaux moyens d’en tirer profit.
Janvier 2020
L’objectif de ce texte est de contribuer à éclairer le débat sur la fiscalité appliquée à l’exploration et à
l’exploitation pétrolière au Sénégal, notamment avec l’entrée en vigueur d’un nouveau Code Pétrolier, en
2019. Il propose une définition des instruments mis en place et une comparaison des Codes Pétroliers
de 1998 et de 2019 suivant différents critères ; notamment l’efficacité, la neutralité et la transparence.
Comment taxe-t-on l’activité pétrolière au Sénégal ?
de contrat. Dans le CP-2019, un contrat pétrolier prend obligatoirement la forme d’un contrat de partage de
production ou un contrat de service.
Avec transfert de
Concession
droits de propriété
Contrats
La fiscalité sur l’or noir au Sénégal
Le prélèvement additionnel
Fonction de la rentabilité du gisement, le Prélèvement additionnel est prévu par le CP-1998 qui ne précise pas
ses modalités d’application. Cependant, il a été supprimé par le CP-2019.
Part de l'Etat
Profit-oil
Coûts pétroliers
La redevance superficiaire
Basée sur la surface exploitée, la Redevance superficiaire est due pendant la période de recherche. Le CP-1998
fait référence au contrat pour cet impôt. Le CP-2019 et le contrat SNE-2004 fixent le montant de la Redevance
superficiaire en fonction de la période du titre de recherche (attribution ou renouvellement). Cependant, les
montants prévus par le CP-2019 sont supérieurs. 3
Participation de l’État via PETROSEN
La Participation de l’État lui permet, par l’intermédiaire de PETROSEN, d’être associé au capital de la société
pétrolière. L’État doit participer aux dépenses et profiter des recettes à la hauteur de sa participation. Le CP-
1998 fait référence au contrat. Le contrat SNE-2004 et le CP-2019 prévoient une participation de 10% durant
la période de recherche. Pour le contrat SNE-2004, ce pourcentage peut atteindre 20 ou 18% en fonction de la
profondeur, pendant la période d’exploitation. Pour le CP-2019, l’État peut augmenter sa participation de 20%
maximum durant la période d’exploitation. Les deux textes précisent que la participation de l’État est portée par
l’exploitant pendant la période de recherche. Cependant, lors de la période d’exploitation, la participation de
l’État n’est pas portée par l’entreprise. Ce qui signifie que l’État ne participe aux dépenses qu’après découverte
d’hydrocarbures.
La clause de stabilité
Le CP-1998 stipule que le contrat peut prévoir une clause de stabilité. Le CP-2019 précise, en son article 72,
que cette clause permet à l’entreprise de maintenir les conditions du contrat au cas où de nouvelles mesures
« viendraient bouleverser son équilibre économique ». Cependant, les dépenses liées à la protection de
l’environnement ou des personnes, au droit du travail et au contrôle des opérations pétrolières ne sont pas
concernées par la clause de stabilité. De même, le CP-2019 prévoit la possibilité de renégocier les contrats, d’un
commun accord, dans les 24 mois suivant l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation.
Approche
Pour comparer les deux Codes Pétroliers, nous appliquons leurs instruments fiscaux aux données économiques
du gisement SNE. Ce dernier porte sur les blocs Rufisque Offshore, Sangomar Offshore et Sangomar Offshore
Profond. Le contrat a été signé en juillet 2004 et approuvé en novembre de la même année. La figure ci-dessous
NOTE POLITIQUE 2020 / 01 - IPAR / Janvier 2020
Capricorn : 40%
Conocophilips : 35%
HuntOil : 90% FAR : 90% FAR : 15%
PETROSEN : 10% PETROSEN : 10% PETROSEN : 10%
La fiscalité sur l’or noir au Sénégal
Nous basons l’analyse sur un modèle de partage de rente qui estime la part de l’État et de l’exploitant. Pour
rappel, la rente est la somme actualisée des profits pétroliers dégagés par l’exploitation après recouvrement
des coûts pétroliers. Ainsi, elle peut être captée à 100% par l’État sans que l’exploitant ne subisse de perte. Le
CP-1998 est complété par le contrat SNE-2004 pour les impôts dont les modalités sont prévues dans le contrat
4 pétrolier.
Rappelons que ceci n’est qu’une modélisation. Les réalités du terrain sont différentes. Les entreprises pratiquent
l’optimisation fiscale pour minimiser les prélèvements de l’État, notamment l’impôt sur les sociétés. De même,
les données économiques sont des estimations de l’exploitant datant de 2015 (Cairn, 2015). Cependant, le
modèle nous permet de faire une comparaison entre les deux Codes Pétroliers car on leur applique les mêmes
données économiques et hypothèses.
La neutralité
Lorsqu’elle est trop contraignante, la fiscalité peut ne pas inciter à l’investissement en baissant la rentabilité du
projet. Tout prélèvement fait par l’État diminue le bénéfice de l’investisseur. Nous évaluons la neutralité des
codes en mesurant, avec le Taux de Rendement Interne (TRI), la rentabilité du projet avant et après taxation. Le
graphique 1 montre que le CP-1998 est plus neutre que le CP-2019. De ce fait, il arrange plus l’investisseur.
Graphique 1:
TRI avant et après taxation
25% 25%
17%
12%
CP-1998 CP-2019
Avant Après
La progressivité
Ce critère veut que les projets les plus rentables soient mieux taxés. Nous calculons le TEMI avec un scénario
optimiste, prévu par l’exploitant dans ses estimations. Dans ce scénario, le projet est plus rentable. Les deux
codes ne sont pas progressifs, car quand la rentabilité augmente, leur TEMI baisse. Cependant, le CP-1998
est plus progressif avec une différence de 9% entre les deux scénarios. Pour le CP-2019, cet écart est de 14%
(Graphique 2). Ceci est principalement dû à la part de l’État dans la production. Ce prélèvement évolue en
fonction de la production journalière pour le CP-1998 et passe de 20% à 30% entre les deux scénarios, pour
chaque année. Dans le CP-2019, la part de l’État est basée sur le facteur R (Revenus cumulés/Investissements
cumulés). Ainsi, nous observons une augmentation de 5% pour quatre années et de 10% pour cinq années.
Pour les autres années, le taux ne change pas. De ce fait, les modalités de prélèvement de la part de l’État du
CP-1998 rendent le Code Pétrolier plus progressif.
5
Graphique 2:
TEMI avec deux sénarios
91%
77%
63%
54%
CP-1998 CP-2019
Normal Optimiste
La Flexibilité
La flexibilité du Code Pétrolier permet un partage du risque entre l’État et l’entreprise en cas de baisse de la
rentabilité du projet. Ici, elle renvoie à sa capacité à s’adapter au cours du baril. Quelle est la sensibilité des
deux Codes Pétroliers par rapport à l’évolution du prix du baril ? Pour répondre à cette question nous calculons
le TEMI pour différents cours du baril. Lorsque le prix du baril baisse, le TEMI augmente ; ce qui pénalise
l’entreprise. En effet, malgré la non-rentabilité du projet, l’État prélève toujours les impôts forfaitaires, de même
que les prélèvements basés sur la production et les intérêts. Aussi, même si l’Impôt sur les sociétés est nul, étant
donné que l’entreprise ne fait pas de bénéfice, l’Impôt minimum forfaitaire (basé sur le chiffre d’affaires) est
payé. Les codes ne sont pas flexibles par rapport au prix du baril. En effet, l’État se garantit des recettes, même
lorsque le prix du baril est bas. Toutefois, il ne peut pas profiter d’une hausse du prix du baril pour augmenter sa
NOTE POLITIQUE 2020 / 01 - IPAR / Janvier 2020
Graphique 3:
TEMI en fonction du cours du baril
400
350
La fiscalité sur l’or noir au Sénégal
300
250
200
150
100
50
0
40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90
6 CP-1998 CP-2019
La transparence
En son article 55, le CP-2019 intègre une obligation pour les exploitants de se conformer aux exigences de l’Initiative
pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE). L’article 56 précise que « Tous les revenus pétroliers dus à
l’Etat et perçus par ce dernier, y compris les réalisations sociales effectuées par les entreprises pétrolières et
gazières, sont communicables à toute personne et sont rendus publics » (République du Sénégal, 2019). Ceci
permet une meilleure transparence de la gestion du pétrole et pourrait aider à combattre la corruption.
Protection de l’environnement
Les codes 1998 et 2019 prévoient, respectivement en leurs articles 51 et 53, une obligation pour l’exploitant de
protéger l’environnement. Cependant le CP-2019 donne plus de précisions sur les modalités. Les deux codes
intègrent aussi une obligation d’indemnisation de la part de l’exploitant, en cas de préjudices subis par des
personnes dans le cadre de leur activité. Étant donné que le pétrole est offshore, c’est-à-dire en mer, la pêche
pourrait être touchée par l’activité même si l’Étude d’Impact Environnementale et Sociale (EIES) du projet SNE,
semble indiquer que ces impacts seront limités, sauf accident.
Conclusions et recommandations
Le Sénégal a adopté le CP-2019 pour garantir « (…) la sauvegarde et la sécurisation des intérêts économiques et
financiers du peuple sénégalais, tout en préservant l’attractivité et la compétitivité du pays (…). » (République
du Sénégal, 2019). Ce dernier, comparé au CP-1998, permet de capter une plus grande part de la rente.
Elle prend en compte les générations futures, baisse le risque de corruption et intègre les exigences de l’ITIE.
Cependant le CP-1998 permet de mieux imposer les gisements les plus rentables. De même, il est plus neutre
pour l’exploitant. Les résultats permettent de formuler les recommandations/remarques suivantes :
• Dans le CP-2019, la redevance sur la production et la part de l’État dans la production sont appliquées
sur une même assiette. Un titulaire de contrat de partage de production, étant donné qu’il verse une
part de la production à l’État, pourrait ne pas être soumis à la redevance sur la production qui serait plus
pertinente pour les contrats de concession (comme dans le CP-1998). Si l’État veut baisser le risque de
faible recouvrement, il pourrait appliquer un taux moins élevé de redevance sur la production aux titulaires
de contrat de partage de production.
• D’après la modélisation, la part de l’État dans la production semble plus progressive si le prélèvement est
fonction de la production journalière. On pourrait garder cette modalité et augmenter les taux pour chaque
tranche ou encore rendre les modalités du CP-2019 plus progressives.
7
• L’exploitant ne paie pas la redevance superficiaire pendant la période d’exploitation. On considère que le
versement d’une part de la production à l’État ne justifie pas une exonération de redevance superficiaire.
En effet, cet impôt n’est pas basé sur la production. Il est dû par l’exploitant car ce dernier dispose, pour
une durée limitée, d’une superficie appartenant à l’État sénégalais.
• Un certain nombre d’impôts ne sont pas recouvrables des coûts pétroliers. Il s’agit du bonus de signature,
du bonus de production, des dépenses sociales et des frais d’instruction. Certaines de ces charges
inhérentes à l’extraction du pétrole pourraient être recouvrables au titre des coûts pétroliers. Cependant,
les bonus de signatures non recouvrables peuvent être un moyen pour l’État de montrer l’attractivité de
ses ressources.
• Le CP-2019 augmente le niveau et le nombre de prélèvements. Il supprime aussi des avantages fiscaux
accordés à l’exploitant par le CP-1998. Ceci encourage les pratiques d’optimisation fiscale qui peuvent
baisser les prélèvements de l’État.
• L’État doit veiller à ce que les contrats pétroliers soient conformes au Code Pétrolier en vigueur. En effet,
le prélèvement additionnel est présent dans le CP-1998 mais pas dans le contrat SNE signé en 2004. Ce
qui permet à l’exploitant de ne pas s’acquitter de ce prélèvement basé sur la rentabilité. Si ces pratiques
continuent, les futurs contrats ne seront pas à l’image du CP-2019 et les réformes apportées seront inutiles.
• Pour mieux lutter contre la corruption, il peut être établi un contrat type de partage de production entre
l’État et l’exploitant afin d’être plus précis sur les modalités d’application de certains impôts forfaitaires. Si
aucun montant n’est prévu par la législation, la négociation se fait à la carte, ce qui favorise la corruption.
• Une définition claire de certains concepts permettrait une meilleure compréhension du Code Pétrolier,
notamment la profondeur du gisement pour avoir le taux de la redevance sur la production. Quand est-ce
qu’on considère qu’un gisement est profond, peu profond, ultra profond ? Notons que la définition de ces
termes varie avec le développement technique. Il serait alors opportun de donner plus de précisions dans
le Code Pétrolier.
• La protection de l’environnement est cruciale car le pétrole dont dispose le Sénégal est offshore. Certains
pays dédient un impôt à la protection de l’environnement. Le Sénégal pourrait, dans la répartition des
NOTE POLITIQUE 2020 / 01 - IPAR / Janvier 2020
redevance sur la production. L’État pourrait proposer une prise en compte partielle du CP-2019.