Thesis La Laude La Bayle
Thesis La Laude La Bayle
Thesis La Laude La Bayle
au niveau universitaire
Analyse didactique et épistémologique
Remerciements
Je remercie chaleureusement Laurent Lévi, Patrick Gibel et Isabelle Bloch d'avoir
accepté de diriger cette thèse et de m'avoir consacré tant de leur temps. Ils ont tou-
jours su se montrer disponibles et prévenants et m'ont constamment témoigné leur
soutien et leur conance. Mes travaux doivent beaucoup aux échanges passionnants
que nous avons eus. Leur constante exigence de rigueur a contribué à constituer
un cadre favorable pour que s'épanouisse une réexion didactique dont ce mémoire
constitue une trace. Merci à vous.
Je remercie également Maggy Schneider et Corine Castela qui ont accepté d'être
rapporteures de ce travail. Leurs remarques et leurs questions ont contribué à enri-
chir ma réexion et à ouvrir ou préciser des perspectives de recherche.
Merci également à Fabrice Vandebrouck et Valentina Celi d'avoir pris de leur temps
pour participer aux comités de suivi de thèse. Leurs interventions ont chaque fois
été revigorantes et leurs interrogations stimulantes.
Lorsque l'on travaille à temps complet, une condition nécessaire pour envisager
ce long périple est de disposer de conditions professionnelles favorables. Philippe
Fortin, Guillaume Hannachi et Claude Terras ont permis que je puisse mener mes
travaux aussi sereinement. Je les remercie inniment pour leurs eorts et leur com-
préhension.
Je remercie aussi les étudiants des CPGE du lycée Barthou, et en particulier ceux
de la lière ECS, pour leur implication dans les diérentes étapes de ma recherche.
Merci aussi à mon frère Antoine, ma s÷ur Marie-Pierre et à ma mère pour leur
soutien et leurs encouragements.
Enn, merci à mes enfants Judith, Véra et Antonin de ne pas avoir arrêté de grandir,
de rire, de pleurer, de bouger ... bref, de faire que le quotidien soit encore plus beau
avec vous ; et merci de tout mon c÷ur à mon épouse, Caroline Despierre, qui m'a
toujours soutenu et encouragé, même dans les moments diciles ou de doute. Pour
cette présence et cet océan d'amour, merci.
Table des matières
I. Partie théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
5
6 Table des matières
Conclusion du chapitre 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Partie théorique
Table des matières 11
Introduction
Premières questions
Notre recherche trouve son origine dans les dicultés que semblent rencontrer les
étudiants lorsque, en situation de résolution de problème d'algèbre linéaire, ils utili-
sent certaines notions mathématiques dites abstraites an de conduire un calcul
ou d'élaborer un raisonnement algébrique. En particulier, les objets de l'algèbre
linéaire semblent faire obstacle, conrmant dans le cadre institutionnel des CPGE
ce que Dorier (1997) appelle l'obstacle du formalisme . En eet, la conduite,
l'observation et l'analyse de nombreuses séances d'interrogations orales menées dans
diérentes classes de CPGE, de niveaux et de lières distinctes, nous ont conduit à
constater des dicultés récurrentes à aborder les problèmes d'algèbre linéaire.
Dans un premier temps, nous nous sommes interrogés sur les diérentes approches
envisagées dans l'enseignement supérieur pour introduire et faciliter une appropria-
tion et un usage des objets espace vectoriel et application linéaire . Cela nous
a conduit à des travaux didactiques de mathématiciens proposant une réexion sur
l'enseignement de l'algèbre linéaire1. De ces lectures se dégagent caricaturalement
13
14 Introduction
Canevas de la thèse
Pour aborder ces questions de recherche, nous procédons en deux parties. Dans une
première partie plutôt théorique, nous commençons (chapitre 1) par dresser un pano-
rama des travaux didactiques concernant l'algèbre linéaire en lien avec nos questions
ainsi que ceux concernant les phénomènes de transition entre secondaire et supérieur.
Puis (chapitre 2), nous proposons une étude épistémologique de l'objet application
linéaire et du lien avec l'émergence de l'algèbre linéaire, étude sur laquelle nous
pourrons nous appuyer pour identier des ruptures et obstacles épistémologiques
susceptibles d'être à l'origine de dicultés chez les étudiants. Ensuite (chapitre 3),
nous revenons sur la notion de raisonnement mathématique produit en situation, en
la distinguant de celle de raisonnement mathématique au sens usuel du terme. Nous
motivons puis présentons ensuite les cadres théoriques dont l'articulation éclaire
notre réexion didactique sur l'objet application linéaire et son enseignement
ainsi que les phénomènes de transition. En particulier, nous complétons le modèle
d'analyse des raisonnements de Bloch & Gibel (2011) et développons un outil d'ana-
lyse sémiotique appelé diagramme sémantique. Enn, pour conclure ce chapitre et
cette première partie, nous proposons un retour sur les questions premières à l'ori-
gine de notre recherche. Nous les formulons plus précisément alors à l'aide des cadres
didactiques explicités au chapitre précédent. Puis nous présentons la méthodologie
que nous adoptons dans la partie suivante an d'apporter des éléments de réponse
à ces questions didactiques.
16 Introduction
Dans la seconde partie, plutôt expérimentale, nous envisageons de mener une ana-
lyse des raisonnements an d'identier les dicultés produits par les étudiants en
situation d'interrogation orale. Au travers d'analyses d'ouvrages et de curriculums,
nous commençons (chapitre 5) par préciser les raisonnements, savoirs et connais-
sances que l'on peut attendre d'un étudiant de CPGE concernant les applications
linéaires. Nous utilisons alors entre autres la notion d'organisation mathématique de
la Théorie Anthropologique du Didactique explicités au chapitre 3. Nous présentons
ensuite (chapitre 6) le cadre institutionnel d'une interrogation orale classique .
Nous procédons alors à une analyse sémiotique a priori d'une situation mathéma-
tique en nous appuyant sur un diagramme sémantique tel que déni au chapitre
3. Puis, à l'aide du modèle complété de Bloch & Gibel (2011), nous analysons les
raisonnements produits en situation. Nous soulignons alors en quoi la Théorie des
Situations Didactiques avec la sémiotique de Peirce, dont les éléments utiles à nos
travaux sont rappelés au chapitre 3, proposent un cadre pertinent pour mener notre
analyse des raisonnements produits par les étudiants en situation et comprendre les
dicultés auxquelles ils sont alors confrontés. En appliquant à nouveau le modèle de
Bloch et Gibel, nous procédons ensuite (chapitre 7) à une analyse des raisonnements
produits dans une situation expérimentale conçue à partir des conclusions de l'ana-
lyse du chapitre précédent. Nous y soulignons alors les diérences, notamment en
terme de milieu au sens de la Théorie des Situations Didactiques, entre la situation
d'interrogation orale dite classique et ce format expérimental.
Enn, nous proposons en conclusion une synthèse des résultats didactiques3 obtenus
et indiquons quelques perspectives de recherche ouvertes par nos travaux.
3. Résultat didactique est à prendre ici au sens de Joshua (1996) : Un résultat en didactique est
un bloc qui comprend des analyses de données empiriques saisies dans un cadre théorique explicatif, et c'est
ce bloc, et lui seul, qui est doté éventuellement d'une certaine stabilité dans des contextes semblables. Si la
stabilité est avérée, les conclusions de travaux didactiques peuvent en partie se détacher des préoccupations
propres au chercheur pour être légitimement considérées comme des résultats. (Joshua, 1996, p. 197)
Chapitre 1
Travaux didactiques liés à l'algèbre
linéaire et aux phénomènes de transition
Nous avons formulé dans l'introduction les questions à l'origine de nos travaux. Nous
nous proposons maintenant d'en délimiter les contours en eectuant un bref état de
l'art des travaux relatifs à notre problématique. Nos questions portent sur certaines
notions d'algèbre linéaire et leur enseignement lors des deux premières année de
CPGE. En plus des questions liées aux notions elles-mêmes, apparaissent donc des
phénomènes de transition auxquels sont confrontés les étudiants lors du passage de
l'enseignement secondaire à l'enseignement supérieur, voire entre la première et la
seconde année de CPGE. Les travaux antérieurs que nous présentons abordent donc
au moins un de ces thèmes, les notions d'algèbre linéaire ou les questions de tran-
sition, certains abordant d'ailleurs simultanément les deux. De manière peut-être
articielle, nous traitons d'abord les travaux spéciques relatifs à l'algèbre linéaire
puis ceux relatifs aux phénomènes de transition.
17
18 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
2. The teaching of linear algebra (Dorier, Sierpinska, 2001, p. 265). Ils détaillent
cette catégorie en quatre sous-catégories :
a. les principes postulés de l'enseignement de l'algèbre linéaire (Harel, 2000)
b. la cohérence et les limitations du lien entre algèbre linéaire et géométrie dans
l'enseignement (Robert, Robinet et Tenaud 1987; Gueudet 2000)
c. les ingénieries longues (Rogalski, 1991; Robert, 1992)
d. le lien entre les interactions étudiant/tuteur/livre et le type de connaissances
mises en place (Behaj, Arsac 1998, Sierpinska 1997)
De son côté, Maracci (2005) souligne le contraste énorme entre les travaux didac-
tiques sur l'enseignement de l'analyse et ceux publiés jusqu'alors sur l'enseignement
de l'algèbre linéaire : en eet, peu d'études se focalisaient jusqu'alors sur une notion
spécique de l'algèbre linéaire, alors qu'en analyse on avait déjà étudié les limites,
la continuité, l'intégrale, les fonctions etc ...
An d'orir une autre lecture des travaux publiés, nous nous proposons de les
regrouper articiellement en deux catégories : ceux s'appuyant sur une étude des
modes de pensée, avec pour certains l'objectif de construire un curriculum ou une
ingénierie, et ceux s'appuyant sur une étude des objets à enseigner. Caricatura-
lement, dans la première catégorie nous regroupons les travaux anglo-saxons voire
nord-américains et dans la seconde les travaux issus d'une didactique plutôt euro-
péenne voire de tradition française1.1.
1.1. On retrouve une telle distinction dans les travaux de Castela (2011)
1 Travaux didactiques relatifs à l'algèbre linéaire 19
Ainsi, an que les étudiants puissent conceptualiser les éléments sur lesquels
s'appuie l'algèbre linéaire, il montre l'apport bénéfique d'ancrer certains de ces
éléments dans le cadre géométrique. Puis, il nuance l'intérêt d'une introduction
géométrique de ces éléments, ce que Gueudet (2000) conrmera plus tard. Harel
écrit à ce sujet
I have found that when geometry is introduced before the algebraic concepts
have been founded, many students view the geometry as the raw material to be
studied. As a result, they remain in the restricted world of geometric vectors and
do not move up to the general case. (Harel, 2000, p. 184)
Harel introduit ensuite le principe de nécessité
For students to learn what we intend to teach them, they must have a need
for it, where `need' refers to intellectual need, not social or economic need. (Harel,
2000, p. 185)
Notons qu'il justie ce principe en s'appuyant sur des travaux de Piaget, Bala-
che et Brousseau
This principle is in line with the Piagetian theory and the theory of pro-
blematique developed by French mathematics educators - see (Balache, 1990)
and (Brousseau 1994 and 1997). It has been established that the main tool for
modifying existing conceptions is true problem-solving activities where the learner
applies existing conceptions to solve problems and modies these conceptions
when encountering cognitive conicts. (Harel, 2000, p. 185-186)
Puis il illustre ce principe de nécessité, pour lequel une connaissance se développe
en tant qu'outil de résolution d'un problème, avec l'exemple suivant
An example of a violation of the necessity principle would be "deriving" the
denition of vector-space from a presentation of the properties of Rn that corres-
pond to the vector-space axioms. This statement does not hold for an advanced
student who understands the role of the postulational approach in mathematics.
It does, however, hold for a beginning student, one who has yet to witness the
economy of thought in thinking in terms of vector-space axioms. For this student,
properties in Rn are self-evident; thus they do not warrant the attention they get.
(Harel, 2000, p. 186)
Enn, le principe de généralisabilité est caractérisé ainsi
When instruction is concerned with a 'concrete' model, that is, a model that
satises the Concreteness Principle, the instructional activities within this model
should allow and encourage the generalizibility of concepts. (Harel, 2000, p. 187)
Alors que les deux premiers principes concernent plutôt l'apprentissage, le prin-
cipe de généralisabilité est plus attaché à l'enseignement de l'algèbre linéaire. Il exige
de l'enseignant qu'il rééchisse à sa pratique an que les étudiants puissent abstraire
les concepts auxquels ils se trouveront confrontés dans le modèle spécique qu'il
aura choisi. En cela, ce principe est d'ordre plus didactique que les deux premiers
(Dorier, 2002a, p. 880).
À la suite de ses travaux, Harel a rejoint le groupe Linear Algebra Curriculum
Study Group (LACSG). Ce groupe de mathématiciens, fondé en 1990 par Carlson,
Johnson, Lay et Porter, partage le même constat quant aux dicultés des étudiants
lors de l'apprentissage de l'algèbre linéaire (Carlson et al., 1992). Carlson et al.
(1992) envisagent quatre raisons à l'origine de ces dicultés pour les étudiants
américains : l'algèbre linéaire y est enseignée trop tôt, à des étudiants non préparés ;
20 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
1.2. Plus précisément, pour établir ses recommandations, le LACSG s'appuie sur trois types de sources :
celles concernant la façon dont les étudiants apprennent, celles concernant la ou les façons dont on devrait
enseigner les mathématiques et celles concernant des considérations pédagogiques et épistémologiques sur
l'algèbre linéaire (Harel, 2000, p. 177)
1.3. C'est en partie par la lecture de ces recommandations que nous en sommes venus au questionne-
ment didactique à l'origine de nos travaux.
1.4. le (S) est ici entre parenthèses car la notion de schéma n'est pas explicite dans cet article de
Dubinksy.
1 Travaux didactiques relatifs à l'algèbre linéaire 21
1.5. Il est intéressant de noter que dans ses travaux épistémologiques sur la théorie de la mesure,
Villeneuve établit un lien entre notions FUGS et abstraction rééchissante : Nous en concluons que les
caractéristiques logiques des notions FUGS sont sensiblement les mêmes que celles du processus d'abstrac-
tion rééchissante. (Villeneuve, 2009, p. 10)
1.6. Pour une discussion sur la notion d'abstraction chez Piaget, nous renvoyons à la thèse d'Allier
(2001) ainsi qu'à l'article de Villeneuve (2009).
22 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
Schème
intériorisation
actions
processus
coordination
objets renversement
encapsulation
désencapsulation
Une implantation pédagogique possible a lieu via le cycle ACE (Activities, Class
discussions, Exercises) en utilisant l'outil informatique, et en particulier le lan-
gage ISETL, favorisant l'action sur les objets mathématiques. Mais la conception
1 Travaux didactiques relatifs à l'algèbre linéaire 23
d'activités puis d'exercices via le cadrage des discussions nécessite une réexion préa-
lable sur les objets visés. Elle s'appuie sur le concept de décomposition génétique.
La décomposition génétique, à savoir un modèle hypothétique des constructions
mentales auxquelles un étudiant pourrait faire appel lors d'une confrontation à
un nouveau concept mathématique, apparaît alors comme le principal outil de la
théorie APOS permettant de construire un cycle ACE (Arnon et al., 2014, p. 2).
Par exemple, Trigueros et Oktaç obtiennent la décomposition génétique du concept
d'espace vectoriel suivante
1.7. Remarquons la dénition triadique du concept de procept. Nous retrouverons cet aspect triadique
dans la dénition de signe proposée par Peirce.
1 Travaux didactiques relatifs à l'algèbre linéaire 25
un monde basé sur les symboles, sur l'action, la manipulation de ces sym-
boles qu'il appelle proceptual-symbolic world . On commence par une action
(compter), que l'on encapsule1.8 dans un concept avec des symboles, ce qui nous
permet de glisser des processus1.9 à l'activité mathématique sur la façon de
penser ces concepts. Un procept apparaît alors comme la compression de schémas
d'action en concepts intellectualisés qui opèrent en tant que processus et en
tant que concept.
un monde basé sur des propriétés, basées sur des dénitions formelles et des
axiomes et constituant des structures mathématiques qu'il appelle formal-axio-
matic world .
Ainsi, pour Tall
Advanced mathematical thinking (AMT) is concerned with the intro-
duction of formal definitions and logical deduction. Of particular interest is
the transition from elementary school mathematics (geometry, arithmetic,
algebra) to advanced mathematical thinking (axiomatic proof) at university.
(extrait de la page web de D. O. Tall's webpage : http://homepages.war-
wick.ac.uk/sta/David.Tall/themes/amt.html)
Stewart et Thomas (2007) illustrent les liens entre la théorie APOS et la théorie
AMT dans le tableau suivant :
Figure 1.4. Algèbre linéaire, APOS et AMT (Stewart, Thomas, 2007, p. 4-202)
1.10. Maracci (2006) croise ensuite ses résultats avec la théorie cKȼ pour souligner que, malgré la
consistance mathématique des systèmes d'opérateurs et de contrôle, une inadéquation entre ces connais-
sances et les problèmes à résoudre expliquerait les dicultés de ces étudiants.
1.11. Pour une discussion sur les dicultés liées à l'utilisation de la théorie AMT, nous renvoyons le
lecteur à la partie de la thèse de De Vleeschouwer consacrée à cette théorie (De Vleeschouwer, 2010, p. 3-4).
1 Travaux didactiques relatifs à l'algèbre linéaire 27
1.12. Registre est ici à comprendre au sens de Duval (1995). Nous reviendrons sur la notion de registre
sémiotique dans le chapitre consacré aux cadres théoriques.
28 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
ou encore les modes de description que propose Hillel (2000) et déjà évoqués dans
le cadre de la théorie AMT :
A typical course will generally include several modes of description of the basic
objects and operations of linear algebra. These modes of description co-exist, are
sometimes interchangeable, but are certainly not equivalent. They include:
1. The abstract mode - using the language and concepts of the general for-
malized theory, including: vector spaces, subspaces, linear span, dimension, opera-
tors, kernels
2. The algebraic mode - using the language and concepts of the more specic
theory of Rn, including: n-tuples, matrices, rank, solutions of systems of equations,
row space
3. The geometric mode - using the language and concept of 2- and 3-space,
including: directed line segments, points, lines, planes, geometric transformations
(Hillel, 2000, p. 192)
Les modes de description de Hillel constituent donc des observables qui per-
mettent de mieux appréhender le mode de pensée des étudiants. Ce cadre permet
notamment à Celik de conclure
(...) there is an inconsistency between students' thinking modes and abstract
structure of the linear algebra problems. Although the given problems can be
easily solved by identifying linear dependence/independence, students usually
used arithmetic or algebraic operation to solve problems. (Celik, 2012, p.20)
Parallèlement aux travaux cités plus haut, les enquêtes menées de 1987 à 1994
par Robert et Robinet (1989), par Dorier (1990a) puis par Rogalski (1991, 1994)
précisent les dicultés auxquelles sont confrontées les étudiants lors d'un premier
enseignement d'algèbre linéaire. Ces auteurs montrent que ces dicultés sont révé-
latrices de ce que Dorier et al. (1997) appellent l'obstacle du formalisme (Dorier
1991), obstacle associé à la nature de la généralisation qui a lieu. Sierpinska (1997)
généralise ce concept d'obstacle du formalisme ainsi
For us, a student would be labeled as being 'under the spell' of the obstacle
of formalism if he or she behaves as if the formal symbolic representations of the
linear algebra objects were the objects in themselves, yet has insucient compe-
tence to grasp the structure of these representations, and therefore manipulates
them in a manner which is incompatible with their 'grammar'; the student does
not see the relationships between formally distinct representations, and thus has
to deal with an often unmanageable number of objects. (Sierpinska, 2000, p. 210)
1.13. D'après une note de Robert (1987, p 20), la notion de concept FUG semble eectivement avoir
été introduite en didactique dans la thèse de J. Robinet Ingénierie didactique de l'élémentaire au supérieur,
Université Paris Dauphine, 1984. Nous verrons dans la partie épistémologique que Grabiner (1974, 1983)
fait déjà référence à certaines composantes des concepts FUG(S). Robert parle initialement de concepts
de type généralisateur, unicateur, formalisateur (Robert, 1987, p. 3) puis de concept FUGS (1998) et
enn de concept FUG (2008). Nous pensons comme Hausberger, que le S est épistémologiquement
associé à la notion de progrès mathématique (Hausberger, 2012, p. 6).
30 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
1.14. Comme indiqué ci-dessus, la méthode algébrique moderne ne se limite pas au domaine de
l'algèbre classique mais elle s'étend au-delà et s'impose en réalité à toute la mathématique. Son principe
peut être appliqué partout, pour dégager les fondements conceptuels élémentaires d'une théorie, à des ns
d'uniformisation et de systématisation, à commencer par la logique (...) (traduction de M. et I. Bloch,
de M. et J. Cresson et de M. Lalaude-Labayle)
1 Travaux didactiques relatifs à l'algèbre linéaire 31
Revenons ici sur la notion de formalisme et sur le processus dont elle est issue : la
formalisation. Au sens moderne, la formalisation est la présentation des mathéma-
tiques dans le cadre d'un système formel, permettant de caractériser sans ambiguïté
les expressions du langage et les règles de démonstration recevables (Balibar,
Macherey, 2015). L'activité de formalisation, en tant que pratique experte, constitue
un trait marquant de l'évolution des mathématiques (Rogalski, 2012). Cette pra-
tique théorique de formalisation, bien que connue des Grecs avec par exemple la
formalisation de la théorie des grandeurs pour surmonter la crise des indivisibles,
a pris depuis le début du XXème siècle une place croissante dans l'activité mathé-
matique. D'après Rogalski, cette pratique mathématique serait liée à une activité
réflexive1.15 des mathématiciens sur leurs pratiques spontanées de résolution de
problèmes (calculs, raisonnements), sur les objets produits par ces pratiques (orga-
nisation des calculs, méthodes, théorèmes, concepts, contre-exemple) et sur la nature
des problèmes qu'ils essayent de résoudre. Rogalski (2012) pointe trois processus
distincts de formalisation :
1. une unication des points de vue diérents via une dénition formelle concernant
une notion mal dénie
2. un processus d'unication formelle de diérents domaines qui aboutit à une
notion FUG(S)
3. une formalisation par simplication locale qui est le lieu du changement de cadres
au sens de Douady et de registres au sens de Duval.
Concernant l'unication de points de vue diérents, l'activité de formalisation repose
ici sur la création de dénitions par les mathématiciens, non pas a priori mais dans le
but de résoudre des problèmes. Par exemple, le formule d'Euler sur les polyèdres, la
notion de convergence et le lien avec les inniment petits, les implicites en géométrie
euclidienne telles que les aires et surfaces, le logarithme des nombres négatifs ...
Cette pratique de formalisation constitue donc un saut conceptuel qui unie dié-
rents points de vue via une dénition formelle sur laquelle tout le monde s'accorde :
cela crée alors un sens nouveau, unié à un niveau supérieur (Rogalski, 2012).
Ce processus de formalisation suscite des dicultés didactiques lors de sa transpo-
sition. Eectivement, il s'agit souvent de problèmes diciles, souvent implicites des
programmes du secondaire ou du supérieur ; le processus de formalisation demande
souvent une longue durée historique pour se stabiliser, durée qui ne correspond pas
à la durée de l'enseignement. D'où, l'obligation de se placer souvent à un niveau
intermédiaire an de dévoluer une partie de ce processus : les étudiants n'accèdent
donc qu'à une ébauche de formalisation. Ce processus n'est pas présent dans la suite
de nos travaux.
Il y a formalisation par unication formelle de diérents domaines lorsque sont
rassemblés sous un même concept des problèmes et des démarches qui se ressemblent
dans la forme mais se situent dans des domaines diérents. Cette pratique nécessite
donc une démarche réexive. Les concepts créés dans ce cadre sont des concepts
FUG(S) tels que dénis plus haut et sont à l'origine de la méthode axiomatique :
l'algèbre linéaire, la théorie des groupes, les espaces de Fréchet ... Cette pratique
1.15. On devine le concept de levier méta utilisé par Rogalski, Robert, Robinet et Dorier pour l'ensei-
gnement de l'algèbre linéaire en tant que notion FUG(S).
32 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
permet de créer des relations nouvelles entre les diérents domaines uniés, permet
l'usage de nouveaux registres symboliques et sémiotiques et aboutit donc à une
meilleure exibilité cognitive (on pense ici à la géométrisation de l'analyse fonction-
nelle, au lien entre espérance et projection orthogonale en probabilités ...). Cette
pratique de formalisation suscite aussi quelques dicultés didactiques. En eet, il
n'y a pas forcément de bons problèmes d'introduction : la partie dévolue aux
élèves est l'unication et non la résolution d'un problème. De plus, pour pouvoir
unier divers domaines, il faut avoir été confronté à beaucoup de domaines diérents,
nécessitant de multiples changements de cadres et de registres. Ici non plus, le
temps nécessaire ne correspond pas forcément au temps de l'enseignement. Nous
reviendrons plus en détail sur les implications didactiques associées à l'enseignement
de notions FUG(S).
Enn, la formalisation par simplication locale est un processus de formalisation par
simplication-généralisation qui a souvent recours à une dénomination systématique
des éléments concrets du problème, sans altération de structure du problème. C'est
une pratique quotidienne du mathématicien qui consiste donc à abandonner de
l'information pour résoudre un problème en passant à un problème plus général.
Rogalski parle de procédé d'axiomatisation locale (Rogalski, 2012). Par exemple,
pour montrer que l'application ' dénie sur Rn[X] par '(P ) = (X 2 ¡ 1) P 0 ¡n X P
est à image dans Rn[X], on pourra1.16 écrire P sous la forme P = an X n + Q où
Q 2 Rn¡1[X]. Cette pratique semble donc implicite dans les concepts FUG(S) : par
R +1
exemple, pour déterminer inf(a;b)2R2 0 (t2 ¡ (a t + b))2 e¡t dt on peut commencer
par identier l'espace vectoriel concerné puis le produit scalaire adapté. Lors de
cette pratique, le mathématicien s'appuie sur quelques idées simples. Il considère
qu'un problème n'est jamais isolé et appartient donc à une classe de problèmes
plus générale. Il considère ensuite qu'il y a intérêt à regrouper des paramètres an
d'éviter d'avoir à manipuler simultanément trop de paramètres. Le mathématicien
s'appuie enn sur l'ecacité du calcul symbolique par rapport au calcul sur des
objets concrets. Cette méthode de formalisation simplicatrice nécessite donc que
l'étudiant ait été confronté à un grand nombre de cadres, de points de vue et de
registres diérents.
Ces diérents processus de formalisation étant clariés, il nous semble maintenant
possible de mieux cerner le caractère abstrait des notions d'algèbre linéaire, carac-
tère abstrait dont les étudiants se font souvent l'écho. En eet, associée à cette
formalisation aux multiples traits, se trouve l'émergence de la notion de structures
et donc du structuralisme en mathématiques. Par structuralisme, nous entendons
ici une façon d'envisager l'organisation du champ des mathématiques autour des
structures comme le sont les groupes, les ensembles ordonnés, les espaces topolo-
giques, etc... (Delahaye, 2015). Les étudiants se trouvent alors confrontés à une
redénition de ce que sont les mathématiques, ce que Delahaye décrit ainsi
L'idée que les mathématiques ne sont ni la science des nombres, ni celles des
gures, ni celle des ensembles, mais celle des structures, provient de la pratique de
l'axiomatisation (progressivement acceptée par tous les mathématiciens), et plus
spéciquement de l'école algébrique de Van den Waerden, mais c'est chez Bour-
baki seulement qu'elle prend une forme précise, consciente et systématique, dont
1.16. On pourrait aussi montrer la linéarité de ' puis déterminer '(X i) pour i 2 J0; nK.
1 Travaux didactiques relatifs à l'algèbre linéaire 33
l'idée générale a été exprimée par Bourbaki lui-même en 1962 : Pour dénir une
structure, on se donne une ou plusieurs relations où interviennent ses éléments [...] ;
on postule ensuite que la ou les relations données satisfont à certaines conditions
(qu'on énumère) et qui sont les axiomes de la structure envisagée. Faire la théorie
d'une structure donnée, c'est déduire les conséquences logiques des axiomes de la
structure, en s'interdisant toute autre hypothèse sur les éléments considérés (en
particulier toute hypothèse sur leur nature propre). (Delahaye, 2015)
Ainsi, d'un point de vue pédagogique et de par leur nature, les notions FUG(S)
et la formalisation par simplication des objets ainsi obtenus, peuvent dicilement
être abordées comme solution d'un problème introductif. Elles nécessitent certai-
nement une ingénierie longue s'appuyant sur une étude épistémologique ne des
concepts étudiés. Leur caractère FUG(S), le recours au formalisme lié à la logique
élémentaire et à la théorie des ensembles (Dorier, 1997) et une écriture à l'aide de
symboles nouveaux semblent donc constituer des caractéristiques spéciques des
notions d'algèbre linéaire parmi celles enseignées à ce niveau du supérieur. C'est
l'un des objets du levier méta que nous abordons ci-dessous.
1.17. cf. les enquêtes menées de 1987 à 1994 citées plus haut et l'étude épistémologique et historique
de la notion d'espace vectoriel (Dorier, 1995b, 1997a)
1.18. Nous détaillons chacune des ces deux théories dans la chapitre dédié aux cadres théoriques.
34 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
an de pointer cette richesse des points de vue , ces auteurs utilisent ce qu'ils
appellent le levier méta .
Le mot levier se rapporte à l'idée d'introduire à un moment bien choisi de
l'apprentissage un élément permettant aux étudiants de mieux comprendre
la nature épistémologique de l'algèbre linéaire. Le préxe substantivé méta
signie que ce levier favorise une réexion sur l'activité mathématique propre.
(Dorier, 2000b, p.37)
En corollaire à ces deux idées émerge la nécessité d'une ingénierie longue an notam-
ment d'enrichir les pré requis sur lesquels s'appuyer. Parmi ces pré requis se trouvent
une pratique de la logique élémentaire et du langage ensembliste (Dorier, 1990a),
des éléments permettant aux étudiants une acceptation de la démarche algébrique
et axiomatique à laquelle ils seront confrontés et une pratique de la géométrie dans
l'espace et de la géométrie cartésienne.
À l'instar de Kullmann (1974) qui voit dans la notion de rang un concept unicateur
de l'algèbre linéaire, Rogalski, Robert, Robinet et Dorier identient la notion de rang
comme centrale en algèbre linéaire. Ils proposent alors un enseignement en quatre
étapes successives :
1. Une première étape durant laquelle ils développent les préliminaires en logique,
théorie des ensembles et en algèbre linéaire autour des notions essentielles d'équa-
tions et systèmes linéaires et des points de vue paramétrique/cartésien pour les
sous-espaces de Rn.
1 Travaux didactiques relatifs à l'algèbre linéaire 35
2. Une seconde étape où le regard sur les objets introduits évolue : par exemple,
une équation linaire est associée à un vecteur de Rn puis, implicitement, à une
forme linéaire (De Vleeschouwer, 2010). Les concepts d'indépendance linéaire,
de rang, de dimensions, de base et les résultats sur l'ensemble des solutions d'un
système linéaire sont introduits et prouvés par des formulations abstraites. À
la suite de cette seconde étape, les étudiants ont donc été confrontés aux trois
modes de description des objets de l'algèbre linéaire dénis par Hillel (2000).
3. Une troisième étape durant laquelle ils traitent de l'algèbre linéaire abstraite (et
axiomatique) avec comme problème type le modèle général de l'équation linéaire
T (x)= y, utilisé dans plusieurs domaines des mathématiques.
4. Une quatrième étape, plus technique, consacrée à l'étude du calcul matriciel et
des techniques de changement de base.
Les résultats de cette ingénierie montrent que the obstacle still not has been
overcome (Dorier et al., 2000a, p. 103). Aux réserves soulevées par Robert et
Robinet (1996), notamment liées à la durée et l'eectivité de l'ingénierie, s'ajoutent
des doutes quant à l'utilisation et l'évaluation du levier méta, ce que Dorier et al.
précisent en écrivant
It seems, therefore, that although the introduction of meta-type teaching is
possible in linear algebra, although such scenarios are easily imagined and can
even be set up without diculty, their eects are less easily tested. In other words,
their evaluation remains problematic, as much in measuring their impact as in the
very methodology of this evaluation. (Dorier et al., 2000b, p. 173)
Nous reviendrons plus loin sur la notion de levier méta et des dicultés qui lui
sont associées en nous appuyant sur les travaux de Castela (2011, p. 16-21 et p. 35-
39).
Les liens entre géométrie et algèbre linéaire sont historiquement établis comme le
montre l'étude épistémologique menée par Gueudet (2000). Sophie Germain écrit
d'ailleurs dans la première1.19 moitié du XIXème siècle
L'algèbre n'est qu'une géométrie écrite, la géométrie n'est qu'une algèbre
gurée.1.20 (Germain, 1879, p. 223)
1.19. La date de citation, 1879, correspond à la première publication posthume et non à la date
d'écriture de l'ouvrage ×uvres philosophiques.
1.20. Cette célèbre citation de S. Germain est souvent citée isolément mais il nous semble intéressant
de donner ici les propos qui la suivent
1.21. Le changement de statut des apprenants souligne ce changement d'institution : ils étaient élèves
dans le secondaire et deviennent étudiants dès la première année du supérieur.
38 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
1. les questions sur les modes de pensée ( Une nouvelle pensée mathématique ? ) :
en eet, Tall associe le terme transition au passage d'une pensée élémentaire
à une pensée mathématique avancée (AMT)
1.22. Notons ici une diérence avec les modes de pensée précédents. Dans les modes de pensée, les
auteurs postulent que les pratiques et raisonnements des mathématiciens modélisent ceux des étudiants.
2 Travaux sur la transition secondaire-supérieur 39
Dans un cadre sémio-cognitif, Winslow rappelle le rôle central des notions de registre
sémiotique et de la coordination des représentations discursives ou non-discursives
dans une multitude de registres diérents (symbolique, géométrique, graphique,
numérique ...)
On [Un apprenant] ne retient en général que des représentations en registres
discursives (langues naturelle, symbolismes) ; les représentations non discursives
(dans le sens de Duval, 2000, p. 66) sont au plus heuristiques . Ainsi, la exibilité
nouvellement découverte et acquise, disparaît en grand parti. On peut parler d'une
expansion suivie de réduction par rapport aux représentations. (Winslow, 2007,
p. 192)
1.23. Plus précisément, les praxéologies exercées par les élèves sont concentrées sur des blocs pratiques
au sens de la TAD, blocs que nous dénissons plus bas.
1.24. Nous préférons parler de transition de seconde espèce pour dénir une transition au sein d'une
même institution et de transition de première espèce pour parler d'une transition entre deux instituions
distinctes.
1.25. Cette seconde étape a été plus abondamment étudiée par De Vleeschouwer (2010).
42 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
Mais, alors que tous les étudiants ne se sont peut-être (ou certainement ?) pas
encore adaptés à ce premier type de transition, Winsløw annonce qu'une deuxième
transition survient très rapidement : les éléments nouvellement introduits qui inter-
venaient dans des blocs technologico-théoriques 1 (des concepts, des dénitions,
des démonstrations, etc.) vont maintenant constituer des éléments sur lesquels des
types de tâches et des techniques vont être développés. (De Vleeschouwer, 2010,
p. 20)
Dans le cadre de la TSD, Winsløw souligne le rôle de la notion d'obstacle épis-
témologique. Pour analyser ces obstacles, il rappelle les variables macro-didactiques
utilisées par Bloch (2005) et par Bloch et Ghedamsi (2005). Pour Winslow, ces
variables permettent de
caractériser la rupture secondaire/supérieure par rapport aux propriétés
des milieux didactiques usuels pour l'apprentissage de l'analyse dans ces deux
contextes institutionnels. (Winslow, 2007, p. 197)
Nous rappelons ci-dessous le tableau proposé par Bloch synthétisant les valeurs
de diérentes variables macro-didactiques concernant l'enseignement de l'analyse
qui nous semblent pour la plupart tout à fait adaptées à l'enseignement de l'algèbre
linéaire :
Nous reviendrons donc plus bas sur les spécicités du contrat didactique en
CPGE, dans le cas particulier des interrogations orales.
La tableau suivant souligne la complémentarité des trois cadres théoriques invo-
quées par Winslow pour répondre à certaines des questions soulevées par Gueudet
Conclusion du chapitre 1
Nous venons de proposer un bref survey des travaux didactiques consacrés peu
ou prou à l'algèbre linéaire, en abordant d'abord ceux qui ont trait aux modes de
pensée puis ceux pour lesquels l'étude des objets à enseigner est première.
En positionnant la focale sur les modes de pensée, les chercheurs en didactique sou-
haitent étudier les modes de construction des connaissances auprès des apprenants
(élèves ou étudiants). Mais nous partageons la mise en garde de De Vleeschouwer
Nous ne rentrons pas dans le débat, non encore clos à ce jour, d'essayer de
dénir ce que l'on entend par pensée mathématique avancée . (De Vleeschouwer,
2010, p. 4)
Néanmoins, nous avons vu avec Gueudet (2008) en quoi ce point de vue s'est
révélé pertinent pour mieux cerner ce que la notion de transition recouvre.
Les travaux centrés sur les objets de l'algèbre linéaire nous ont permis de rap-
peler quelques constantes : ceux sont pour la plupart des notions FUG(S), le (S) de
simplicateur étant en discussion1.26 reposant toutes sur un formalisme accru, utile
pour leur dénition, leur description et les preuves sous-jacentes.
Par ailleurs les travaux de Winslow (2007) orent une motivation supplémentaire
au choix de notre outillage théorique développé au chapitre trois : la Théorie des
Situations Didactiques (TSD), la Théorie Anthropologique du Didactique (TAD) et
la sémiotique peircéienne y seront présentés en lien à notre objectif d'analyse des
raisonnements produits. Nous n'utiliserons pas les diérents modes de pensée évo-
qués plus haut (AMT, APOS etc ...) à cause notamment de l'absence de consensus
sur ce qu'est l'AMT et de la diculté à lier observables et point de vue cognitif.
1.26. Simplicateur, pour qui : le mathématicien, l'étudiant ? Et suivant quel(s) critères peut-on
déterminer ce caractère simplicateur ?
44 Travaux didactiques liés à l'algèbre linéaire et aux phénomènes de transition
Néanmoins, la plupart des travaux cités s'appuient sur une analyse épistémolo-
gique des notions étudiées. Nous nous proposons donc dans le chapitre suivant de
mener une analyse épistémologique. Comme une application linéaire est une appli-
cation, nous commençons par une étude de l'évolution de la notion d'application
qui nous semble complémentaire à celles sur les fonctions que nous avons pu trouver
dans les travaux didactiques existants. Puis, nous analyserons l'épistémologie de
la notion d'application linéaire en précisant son rôle dans l'émergence de l'algèbre
linéaire tout en isolant ses caractéristiques FUG(S). Enn, en lien avec le formalisme
des objets et des raisonnements soulevé plus haut, nous étudierons l'évolution de ce
que l'on appelle classiquement la méthode axiomatique d'Euclide à Hilbert. Nous
proposerons alors un autre regard sur les dicultés liées au lien entre géométrie et
algèbre linéaire.
Chapitre 2
Éléments relatifs à l'histoire et l'épis-
témologie de la notion d'application
linéaire
Comme nous l'avons déjà signalé, notre réexion épistémologique naît d'un ques-
tionnement didactique. Le panorama des travaux didactiques consacrés à l'algèbre
linéaire confirme cette nécessité de recherche épistémologique : par exemple, la
théorie APOS, la dialectique outil-objet, la TSD, les travaux de Dorier et al., de
Gueudet, de De Vleeschouwer, de Bridoux s'appuient sur une réexion épistémo-
logique. Dans une section introductive, nous précisons ce questionnement didactique
à l'origine de notre réexion ainsi que quelques points de méthodologie. Puis nous
abordons une analyse épistémologique de la notion de fonction, centrale en algèbre
linéaire, une application linéaire étant une fonction. Nous traiterons ensuite plus
spéciquement de l'évolution de la notion d'application linéaire. Nous verrons alors
en quoi la notion de rigueur est liée à ces deux réexions épistémologiques, la pre-
mière plutôt en lien avec l'analyse et la seconde avec l'algèbre. Nous proposerons
donc une analyse épistémologique des notions de preuve et d'axiomatique.
45
46 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
Question. Comment a émergé la notion d'application linéaire et quel est son rôle
dans la genèse de l'algèbre linéaire ?
lectique outil/objet en faisant varier les cadres dans lesquels les notions mises en jeu
sont présentées (De Vleeschouwer, 2010, p. 11). Notre objectif n'étant ici qu'épis-
témologique, nous pouvons essayer d'identier ces caractéristiques outil/objet des
notions relatives aux applications linéaires et les cadres dans lesquels cette dia-
lectique prend alors place : Dans notre analyse épistémologique, peut-on identier
diérents cadres propices à la genèse de la notion d'application linéaire ? Et peut-
on alors identier le caractère outil ou objet de ces notions ?
Maintenant que nous avons proposé un éclairage didactique à notre question
principale, nous décrivons rapidement la méthodologie adoptée pour y apporter des
éléments de réponse.
Nous y verrons en particulier que l'une des dicultés des étudiants confrontés à
cette situation est de simplement faire agir la fonction (ou l'application pour
Bourbaki) ' sur les vecteurs (X k)06k6n.
Il est essentiel ici de remarquer, d'une part, l'absence de tout caractère géomé-
trique dans cette dénition de la notion de fonction et, d'autre part, la notion encore
indénie de quantité à partir de laquelle une fonction est dénie.
2 Le concept de fonction : de multiples ruptures épistémologiques 51
Toutes les questions alors soulevées par D'Alembert, Euler, Bernoulli puis
Lagrange sur l'intervention des limites, sur la convergence des séries, sur la dif-
férence entre une fonction et sa représentation analytique ont en fait pour objet
la question centrale suivante (Shenitzer, Luzin, 1998) :
Question. peut-on trouver une dénition de la notion de fonction qui soit satisfai-
sante d'un point de vue analytique (et donc mathématique) et dont l'interprétation
physique soit juste , autrement dit, dans ce cas particulier, existe-t-il une formule
qui donne la position de la corde vibrante de manière générale ?
2 Le concept de fonction : de multiples ruptures épistémologiques 53
Théorème. Toute fonction f (x) dénie sur [¡l; l] peut être représentée sur cet
intervalle comme série de sinus et cosinus,
a0 X nx
1
nx
f (x) = + an cos + bn sin ;
2 n=1 l l
où
Z l Z l
1 nt 1 nt
an = f (t) cos dt et bn = f (t) sin dt:
l ¡l l l ¡l l
d'autre part, ceux qui constatent l'absence de lien logique entre diérentes parties
d'une courbe représentant une fonction et donc l'impossibilité de décrire une
courbe à l'aide d'une unique expression analytique : c'est le point de départ
de l'analyse réelle (Dirichlet) que nous développons ci-dessous, pour laquelle
la caractéristique correspondance de la notion de fonction va jouer un rôle
central.
Pour nos travaux, il nous semble susant de ne nous intéresser qu'au domaine de
l'analyse réelle. Dirichlet revisite les travaux de Fourier en proposant en 1829 la
première preuve rigoureuse de la convergence des séries de Fourier pour certaines
fonctions (Birkho, Kreyszig, 1984) et propose une dénition de fonction qui est
plus ou moins celle que l'on utilise encore dans l'enseignement secondaire :
sion analytique n'étant pas clairement dénie par Dini. Pour y répondre, Baire
propose une classication (dite de Baire) dont la réunion constitue l'ensemble des
fonctions dites de Baire : les fonctions continues sont dites de classe 0, les fonctions
limites simples de fonctions continues sont dites de classe 1, la fonction de Dirichlet
est de classe 2 etc ... Ainsi, pour Baire, les fonctions admettant une représentation
en série de Fourier ne constituent a priori qu'une partie des fonctions admettant une
représentation analytique.
Baire appelle alors fonction admettant une représentation analytique toute fonction
appartenant à l'une des classes de Baire. De manière synthétique, pour Baire, une
fonction admet une représentation analytique si cette fonction peut-être écrite
comme expression contenant une variable, des constantes, un nombre ni ou dénom-
brable d'additions, multiplications et de passages à la limite simples. Lebesgue étend
ensuite (en 1905) les travaux de Baire de plusieurs façons : il montre l'inutilité de
considérer les opérations d'analyse classiques (dérivation, intégration, développe-
ment en séries, fonctions transcendantes ...) en incluant l'ensemble des fonctions
admettant une description à l'aide d'un nombre ni ou dénombrable de telles opé-
rations dans l'ensemble des fonctions admettant une représentation analytique au
sens de Baire ; il montre également que chaque classe de Baire contient au moins une
fonction ; enn, et surtout, Lebesgue construit une fonction qui n'est dans aucune
des classes de Baire et montre donc qu'il existe des fonctions n'admettant pas de
représentation analytique au sens de Baire. Cette découverte constitue d'ailleurs
pour Luzin une rupture épistémologique de même ampleur que celle provoquée par
la découverte de Fourier en son temps
Unter einer Abbildung ' einer Menge S wird ein Gesetz verstanden, nach
welchem zu jedem bestimmten Element s von S ein bestimmtes Ding gehört,
welches das Bild von s heiÿt und mit '(s) bezeichnet wird; wir sagen auch, daÿ
'(s) dem Element s entspricht, daÿ '(s) durch die Abbildung ' aus s entsteht
oder erzeugt wird, daÿ s durch die Abbildung ' in '(s) übergeht.2.5 (Dedekind,
1887)
La même année que la parution de l'article Was sind und sollen die Zahlen ? ,
Volterra introduit la notion de fonctionnelle : une application dont les arguments
sont des fonctions et dont les images sont des scalaires, réels ou complexes. C'est le
début de l'analyse fonctionnelle, secteur mathématique qui a contribué à l'émergence
de l'algèbre linéaire en tant que champ mathématique. Il nous semble également
important de signaler qu'après Grassmann en 1862, et Dedekind en 1888, Pincherle
(1896) est l'un des rares mathématiciens à noter une fonction ' et non comme ses
contemporains '(x). Pincherle insiste d'ailleurs sur le fait qu'une fonction doit être
considérée comme un point d'un certain ensemble (Dieudonné, 1978). On devine
ici l'inuence de la théorie des ensembles naissante ainsi que de l'algèbre linéaire,
dont la création est anticipée par Grassmann et Pincherle.
Ainsi, dans un cadre de théorie des ensembles alors établie, Bourbaki propose en
1939 une première dénition ensembliste
Soient E et F , deux ensembles distincts ou non, une relation entre une variable
x de E et une variable y de F est dite relation fonctionnelle en y ou relation
fonctionnelle de E vers F , si pour tout x appartenant à E, il existe un seul y
appartenant à F , qui soit dans la relation considérée avec x. On donne le nom de
fonction à l'opération qui associe ainsi à tout élément x de E, l'élément y dans F
qui se trouve dans la relation donnée avec x; on dit que y est la valeur de la fonction
pour l'élément x, et que la fonction est déterminée par la relation fonctionnelle
considérée. (Bourbaki, 1939)
2.5. Par une application ' d'un ensemble S on entend la loi selon laquelle à tout élément s de S est
associé un certain objet qui s'appelle l'image de s et sera notée '(s) ; on dit aussi que '(s) correspond à
l'élément s, que '(s) est obtenu par l'application de ' à s et que s se transforme en '(s) par l'application
'. (Traduction de M. et J. Cresson et de M. Lalaude-Labayle)
2.6. En termes sémiotiques dénis plus tard, nous pourrions dire qu'un graphe passe d'un statut de
sinsigne à celui de légisigne.
3 La notion d'application linéaire, un fil conducteur de l'émergence de l'algèbre
linéaire 57
Rolle (1690), avec sa méthode dite des cascades, utilise l'opérateur dérivation D
pour résoudre des équations diophantiennes polynomiales d'une variable.
Newton (1687) et Rolle utilisent et maîtrisent les méthodes classiques de sub-
stitution linéaire, substitutions introduites par Cardan en 1545 pour éliminer le
terme en x3 dans une équation polynomiale de degré 4 et revisitées par Viète en
1591 (Katz, 1998, p. 364).
Mais, alors que Leibniz (1684,1686,1695) développe les premières notions de calcul
symbolique sur les opérateurs diérentiels et sur les opérateurs aux diérences nies,
que Jean Bernoulli (1706) systématise l'étude du calcul symbolique en introdui-
sant notamment l'opérateur qui porte parfois son nom (Epistemon, 1981), les
opérations et les calculs diérentiels ont toujours lieu sur des fonctions explicites,
isolées, et non sur un ensemble des fonctions. Arbogast (1800), en séparant les
opérateurs des fonctions sur lesquels ils opèrent, permet l'émergence du concept
d'opérateur diérentiel et l'idée que l'on peut calculer à l'aide d'opérateurs : ces
opérateurs, jusqu'alors outils de calculs des mathématiciens, deviennent ainsi au
début du XVIIIème siècle à la suite d'Arbogast, objets d'étude
La deuxième étape dans le développement du calcul symbolique est liée aux
noms d'Arbogast et de J. F. Français, dans les travaux desquels les opérateurs,
séparés des fonctions sur lesquelles ils opèrent, deviennent eux-mêmes objets d'une
étude indépendante. (Lusternik, 1972, p. 202)
De même, jusqu'à la deuxième moitié du XIXème siècle, la géométrie est conçue
comme l'étude des gures géométriques isolées et non comme une étude portant
sur l'espace tout entier. Ainsi, même si on connaît quelques transformations dont
l'anité linéaire d'Euler (1748), ces transformations ne sont appliquées qu'à des
courbes et non au plan tout entier. Il faut toutefois nuancer ce propos en évoquant
ce qui semble être une exception avec la notion de projection géométrique, trans-
formation appliquant l'espace tout entier sur un plan ou le plan tout entier sur une
droite (Epistemon, ). Néanmoins, l'émergence du concept de projecteur en tant
qu'opérateur n'aura lieu qu'en 1907 avec E. Schmidt dans le cadre de problèmes
d'analyse concernant des équations intégrales, problèmes qui vont s'avérer cruciaux
tant pour l'émergence de la notion d'opérateur linéaire que pour celle de valeur
propre. Ainsi, au XVIIIème siècle, l'aspect linéaire des transformations géométri-
ques n'est pas dégagé : à l'instar des opérateurs diérentiels, on ne fait opérer les
transformations géométriques que sur les objets géométriques (gures ou courbes)
concernés et non sur l'espace tout entier. Cependant, les transformations linéaires
interviennent de manière implicite en géométrie analytique avec les changements
de repères cartésiens, la recherche des extrema de fonctions de plusieurs variables,
la détermination des axes des coniques, des quadriques et des axes d'inertie d'un
solide par exemple. Il est important de rappeler que ce point de vue analytique, en
s'appuyant sur des calculs longs et laborieux, motive une série de travaux visant
à construire un calcul intrinsèque sur les objets géométriques, recherches dont le
point d'orgue est l'ouvrage de Grassmann (1844) et qui constituent le début de
l'algèbre linéaire. En fait, jusqu'en 1844 et les travaux de Grassmann, la linéarité
(d'une application, d'un espace) lorsqu'elle apparaît dans un problème y est traitée
localement : aucun lien n'est établi avec les autres problèmes déjà étudiés. Dieudonné
résume ainsi les propos qui précèdent :
3 La notion d'application linéaire, un fil conducteur de l'émergence de l'algèbre
linéaire 59
Quant aux notions que nous considérons maintenant à présent comme faisant
partie de l'Algèbre linéaire et multilinéaire : indépendance linéaire, transforma-
tions linéaires, valeurs propres, dualité, formes bilinéaires et quadratiques, nous
les verrons intervenir sporadiquement, dès le XVIIIème siècle, dans de nombreux
problèmes venus de parties très variées des mathématiques et de leurs applications.
Mais jusque vers 1840, lorsqu'un mathématicien doit aborder un problème où ces
notions jouent un rôle, il le fait invariablement par des méthodes ad hoc, sans
songer à les relier à d'autres questions. (Dieudonné, 1978, p. 57)
Ainsi, les applications linéaires telles que nous les rencontrons durant les pre-
mières années d'enseignement supérieur, i.e. en tant qu'applications entre espaces
vectoriels le plus souvent de dimension nie et donc facilement numérisables, appa-
raissent avec la notion de substitution linéaire dans les travaux de Lagrange (1771)
puis dans les travaux de Gauss (1801) sur les formes quadratiques à coecients
entiers. Afin de simplifier les calculs, Gauss introduit implicitement une nota-
tion matricielle pour représenter une substitution linéaire en trois variables, là où
Lagrange se contentait de travailler avec deux variables sans tableau, et remarque
que ses calculs se généralisent à n variables. De plus, Gauss associe implicitement
la composition de deux substitutions linéaires au produit des matrices associées.
Eisenstein (1844), alors étudiant de Gauss, développe plus avant le symbolisme
associé à ces substitutions linéaires. En notant S et T des substitutions linéaires,
il note la composition par le produit S T , remarque la non commutativité de
1
ce produit, introduit la notation S ainsi que les puissances de S. Tout comme Gauss,
il arme que tout ce qui précède peut se généraliser à n variables, sans le montrer,
et ne se limite donc pas aux trois variables de son exposé. Dans une note postérieure,
Eisenstein (1850) indique que l'on peut aussi additionner deux substitutions, mais il
n'introduit aucune notation pour cette opération qu'il ne semble d'ailleurs pas avoir
utilisée (Dieudonné, 1978). Ainsi Eisenstein est le premier à reconnaître que l'on
peut manipuler des transformations linéaires comme des nombres ordinaires, à une
exception près : le produit n'est pas commutatif. C'est pourquoi, on considère par-
fois qu'Eisenstein est le premier à avoir envisagé la structure d'algèbre de l'ensemble
des transformations (ou substitutions) linéaires. Parallèlement aux travaux alle-
mands, et comme nous l'avons vu dans la section concernant l'épistémologie de
la notion d'espace vectoriel et donc de vecteur, Hamilton développe une théorie des
quaternions et publie en 1853 ses notes de cours de 1848. Dans ses notes Lectures
on Quaternions , Hamilton introduit la notion de linear vector operator , dont
nous verrons plus tard qu'elle peut se confondre avec celle de matrice d'ordre 3 ou 4.
Ainsi, durant la première moitié du XIXème siècle, des précurseurs de nos appli-
cations linéaires actuelles voient clairement le jour dans au moins deux domaines :
celui de l'analyse, avec les opérateurs diérentiels discrets ou continus, et celui de
l'algèbre, avec les substitutions linéaires2.8 et les linear vector operator . Il est inté-
ressant de souligner dès maintenant que ces deux types d'applications linéaires
vont donner lieu à des développements et des questionnements diérents, pour ne
converger vers une dénition institutionnalisée et reconnue de l'ensemble du monde
2.8. Il est à noter que Hermite, contemporain de Eisenstein, utilise le symbolisme de celui-ci dans
ses travaux sur les substitutions linéaires en théorie des formes et sur les transformations de fonctions
abéliennes.
60 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
mathématique que dans les années 1930. Nous étudions tout d'abord les questions
associées aux substitutions linéaires, ces questions contribuant de manière essentielle
au développement de l'algèbre linéaire telle que nous l'enseignons actuellement avec
l'apparition de la notion de matrice et de valeur propre. Puis nous étudions les
principaux développements de la théorie des opérateurs avec l'apparition d'espaces
de dimension innie. Enn, nous revenons sur le développement de l'algèbre dite
moderne dans laquelle les applications linéaires et les matrices nies trouvent pro-
gressivement leur place.
2.9. Hawkins et Brechenmacher proposent deux lectures de la place de Cayley dans l'histoire de
l'algèbre des matrices en particulier et dans celle de l'algèbre linéaire en général.
3 La notion d'application linéaire, un fil conducteur de l'émergence de l'algèbre
linéaire 61
Après avoir établi une théorie des déterminants, Cauchy généralise les travaux
de Lagrange sur la transformation (linéaire et orthogonale) des polynômes homo-
gènes à n variables, où pour Cauchy n est quelconque (1829). On considère que ces
travaux de Cauchy, dans lesquels il montre (en termes actuels), qu'une matrice symé-
trique réelle est diagonalisable sur R, constituent le point de départ de la théorie
spectrale (Katz, Parshall, 2014). Nous reviendrons plus bas sur les travaux ayant
choisi la direction proposée par Cauchy, direction prise notamment par ce que l'on
appelle parfois l'école de Berlin avec Weierstrass, Kronecker ... Mais une autre
voie est envisagée par des mathématiciens anglais. Ceux-ci reviennent à la question
initiale, à savoir celle posée par Euler et Lagrange concernant la détermination de
l'axe principal (droite passant par l'origine et dirigée par ce que l'on appelle
maintenant un vecteur propre), question que Cauchy avait abordée et généralisée à
l'aide de la théorie des déterminants.
2.10. Ici, nous nous basons sur l'article de Hawkins (1974) et ne souhaitons pas soulever de polémique
quant aux découvreurs des quaternions et à l'inuence des travaux de Hamilton sur ceux de Cayley. Nous
renvoyons à Altmann (1989).
2.11. Hors de question bien-sûr de parler d'invariant intrinsèque, tel que la courbure de Gauss d'une
surface ...
62 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
des systèmes linéaires, Hermite généralise en 1854 les méthodes et les résultats
de Cayley dans le secteur des formes quadratiques (et donc dans le domaine nais-
sant de la théorie des nombres). Le problème soulevé par Lagrange, auquel Cayley
et Hermite tâchent de répondre s'énonce ainsi : étant donné une forme quadra-
tique de n variables, déterminer toutes les transformations linéaires des variables
qui laissent la forme quadratique invariante. La réponse proposée par Hermite,
bien que généralisant celle de Cayley, reste incomplète : par exemple, il n'y détaille
les coecients des solutions que dans le cas n = 2. Pour pouvoir exhiber ces coef-
cients, la notation matricielle va s'avérer utile voire nécessaire.
Comme nous l'avons vu, tous les travaux précédents sur les tableaux (terme choisi
notamment par Cauchy) sont clairement en lien avec la résolution des systèmes
linéaires (de dimensions nies), le terme matrice, conjointement à celui de mineur,
est introduit explicitement en 1851 par Sylvester dans le cadre de travaux géométri-
ques dans le mémoire On the relations between the minor determinants of linearly
equivalent quadratic functions . Une matrice y est alors dénie relativement à un
déterminant, en tant que mère des mineurs d'un déterminant2.12
I have in previous papers dened a Matrix as a rectangular array of terms,
out of which dierent systems of determinants may be engendered, as from the
womb of a common parent ; these cognate determinants being by no means isolated
in their relations to one another, but subject to certain simple laws of mutual
dependence and simultaneous deperition. The condensed representation of any
such matrix, according to my improved Vandermondian notation, will be
a1; a2; ::: an
1; 2; ::: n
ce que l'on peut écrire avec les notations d'Eisenstein (et donc sous forme moderne)
X = A¡1 (A ¡ S) (A + S)¡1 A x:
= x + y + z + ;
= 0 x + 0 y + 0 z + ;
= 00 x + 00 y + 00 z + ;
::: ::: ::: (Cayley, 1855)
Le lien entre système linéaire et produit matriciel (ou équation matricielle) est donc
implicitement établi en 1855. Même si Cayley est le premier à décrire les matrices
comme un outil commode pour représenter les systèmes linéaires, ce n'est qu'avec
le mémoire A Memoir on the Theory of Matrices de Cayley (1858) que les
matrices acquièrent vraiment le statut d'objet mathématique. Comme le précise
Brechenmacher
La matrice n'est plus, en 1858, une simple notation commode permettant de
distinguer un objet comme un système linéaire ou une forme quadratique de son
déterminant. Elle fait désormais l'objet d'une théorie s'articulant autour de
l'énoncé d'un "théorème remarquable" (Brechenmacher, 2006, p. 17)
There would be many things to say about this theory of matrices which should,
it seems to me, precede the theory of determinants (Cayley, 1858)
It was Cayley who seems rst to have noticed that the idea of matrix precedes
that of determinant. More absolutely, we can say that the relation of determinant
to matrix is that of the absolute value of a complex number to the complex
number itself, and it is no more possible to dene determinant without
the previous concept of matrix or its equivalent than it is to have the feline grin
without the Cheshire cat. In fact, the importance of the concept of determinant
has been, and currently is, vastly overestimated. (McDuee, 1943, p. v)
2.13. On pourra lire à ce sujet la réponse de Perrin à une lettre de Dorier : http://www.math.u-
psud.fr/~perrin/Debats-et-controverses/Divers/Dorier.pdf
3 La notion d'application linéaire, un fil conducteur de l'émergence de l'algèbre
linéaire 65
X = A¡1 (A ¡ S) (A + S)¡1 A x:
Sans pour autant faire explicitement le lien avec les matrices de Cayley (le mot
matrice n'apparait pas dans ce chapitre), Peano adopte une notation assez proche
et arrive également à la notion de single quantity , élément qui était central pour
l'énoncé du théorème remarquable de Cayley. On retrouve aussi la notation de
Grassmann, où il écrit
b1; b2; :::; bn
Q=
a1; a2; :::; an
pour désigner la transformation linéaire qui transforme ai en bi (Fearnley-Sander,
1979).
3 La notion d'application linéaire, un fil conducteur de l'émergence de l'algèbre
linéaire 67
Comme nous l'avons déjà signalé, à l'instar des travaux de Grassmann, cet ouvrage
n'aura que peu d'inuence sur la communauté mathématique de l'époque et donc
sur l'axiomatisation de l'algèbre linéaire. Ainsi, les algébristes continuent à utiliser
le langage matriciel et les déterminants et, comme nous allons le voir, les ana-
lystes adoptent également ces méthodes algébriques pour aborder leurs problèmes
de dimension innie.
Pour Bernkopf (1968), la théorie des opérateurs ne concerne que les articles dont
la problématique est du premier type de la citation précédente, autrement dit, ceux
pour lesquels l'étude d'une transformation d'un espace de fonctions dans un espace
de fonctions est le sujet principal. Ceci contribue à situer Poincaré à l'origine de la
théorie des opérateurs et donc comme important dans la théorie des applications
linéaires. De plus, comme nous l'avons écrit, les notations sur les fonctions jusqu'au
début du XXème siècle paraissent constituer un obstacle à l'émergence de la notion
de fonction en tant qu'objet d'étude2.15. Ici aussi, il nous semble que la remarque
de Bernkopf sur la dénition de ce qui relève de la théorie des opérateurs ou non,
constitue potentiellement un nouvel obstacle épistémologique sur lequel nous nous
arrêterons plus bas. En eet, nous pouvons établir un parallèle entre cette citation
sur les opérateurs intégrales et sur les systèmes linéaires : concernant un système
linéaire, on pourra d'une part se demander quel n-uplet est solution du système et
d'autre part s'interroger sur les conditions pour qu'un système linéaire possède une
solution, ce qui motivera alors la recherche d'une méthode de résolution d'un système
linéaire quelconque. Autrement dit, dans un premier temps, nous portons un regard
local sur un système linéaire, vu en tant qu'outil, puis, dans un second temps, nous
abordons la notion de système linéaire de manière plus globale, en tant qu'objet.
Von Koch applique la théorie de Poincaré à une équation diérentielle de Fuchs
et, pour s'aranchir de certaines restrictions nécessaires à l'application des tra-
vaux de Poincaré, établit en 1893 les théorèmes sur les matrices et déterminants
innis nécessaires aux problèmes alors posés. Ces travaux de Von Koch permettent
à Fredholm de résoudre complètement une équation intégrale (1900, 1903). Il est
intéressant de noter que pour montrer son résultat Fredholm s'appuie sur une expres-
sion du déterminant formulée par Von Koch mais non démontrée (Bernkopf, 1968).
Cet article de Fredholm (1903) est essentiel pour plusieurs raisons : comme le précise
Dorier (1997), chez Fredholm l'aspect opérateur, connu depuis Arbogast et surtout
Volterra, en plus de permettre de poser simplement le problème, devient un élément
de résolution du problème. Fredholm pose clairement le problème de résolution en
tant qu'inversion de l'opérateur en jeu. Ce changement de paradigme concernant les
opérateurs permet à Dieudonné (1981) de considérer que l'article de Fredholm est
l'un des quatre articles fondamentaux, qui, en cristallisant les pratiques algébriques
et analytiques du XIXème siècle, est à l'origine de l'émergence des espaces de Hilbert
et donc des espaces vectoriels. Dieudonné écrit ainsi
2.15. Nous rappelons que seuls deux algébristes anticipateurs , Grassmann et Pincherle, dénotent
systématiquement par ' et non '(x) une fonction.
3 La notion d'application linéaire, un fil conducteur de l'émergence de l'algèbre
linéaire 69
This beautiful paper may be considered as the source from which all further
developments of spectral theory are derived. It made a deep and lasting impression
on the mathematical world, and almost overnight the theory of integral equations
became a favorite topic among analysts (Dieudonné, 1981)
Birkho (1984), quant à lui, écrit à propos de l'article de Fredholm
The remarkable simplicity of Fredholm's methods contrasted with the methods
used in earlier work on integral equations. His papers had the eect of moving
these equations suddenly into the center of interest of contemporary mathematics.
Fredholm's work has become very signicant in mathematical physics and as a
starting point of general spectral theory. (Birkho, 1984)
Comme le remarque De Vleeshouwer (2010), aucune approche formelle généra-
lisatrice n'est développée dans l'article de Fredholm, les mathématiciens cherchant
alors seulement à résoudre des problèmes spéciques donnés. Néanmoins, si
l'aspect généralisateur est absent de l'article de Fredholm, pour nos travaux il est
important d'insister sur la simplicité et l'originalité de sa solution proposée, sim-
plicité et originalité à l'origine du succès de son article auprès de la communauté
mathématique (Dieudonné, 1981; Birkho, 1981). Les travaux de Von Koch sur les
déterminants et matrices innis appliqués par Fredholm ainsi que le changement de
paradigme concernant les opérateurs (Fredholm considère l'ensemble des opérateurs
de déterminant non nul, comprend que c'est un groupe et utilise les propriétés algé-
briques des groupes) constituent donc deux ingrédients qui simplient les méthodes
de résolution des équations intégrales connues jusqu'alors.
It may seem obvious to us that the results of Hilbert are but one step removed
from what we now call the theory of Hilbert space; but if, in fact, the birth of that
theory almost immediately followed the publication of Hilbert's papers, it seems
to me that it is due to the fact that this publication precisely occurred during the
emergence of a new concept in mathematics, the concept of structure. (Dieudonné,
1981)
Néanmoins, Dorier (1996) souligne le fait que les travaux de Hilbert, à l'instar de
ceux de Poincaré ou de Fredholm, ne permettent toujours pas de donner un point
de vue unié :
Bien qu'il ait proposé une axiomatisation de la géométrie euclidienne dans ses
Grundlagen der Geometrie en 1899, on peut noter l'absence de point de vue géo-
métrique dans les travaux de Hilbert de 1904 à 1910. Moore précise à ce sujet
Indeed, in 1909 Hilbert made it clear that his aim was a methodologically
unied restructuring of algebra and analysis in the context of integral equations
(Moore, 1995)
Après les travaux de Fréchet, une nouvelle analyse fonctionnelle peut naître
et la théorie des opérateurs se scinde alors en deux : d'une part, l'école de Hilbert
qui poursuit les travaux de Hilbert, d'autre part l'école de Fréchet qui poursuit,
comme son nom l'indique, ceux de Fréchet (Bernkopf, 1968). Ces travaux étant
vraiment éloignés de nos préoccupations didactiques et de la réalité de notre pratique
pédagogique, nous allons les survoler en renvoyant le lecteur intéressé aux références
bibliographiques en général et à Dorier (1996) et Bridoux (2010) en particulier.
Nous nous arrêterons néanmoins sur deux interprétations diérentes du qualicatif
axiomatique : celle de Hellinger et Toeplitz de l'école de Hilbert puis celle de
Banach, de l'école de Fréchet.
Parmi les membres de l'école de Hilbert , nous n'en citons que quatre :
Schmidt, qui permet de géométriser les travaux de Hilbert, en étudiant en parti-
culier les projecteurs, Hellinger et Toeplitz qui généralisent la géométrisation opérée
par Schmidt, puis Von Neumann, qui montre l'inadaptation des matrices innies
pour aborder les problèmes de théorie des opérateurs.
Nevertheless, this work of Schmidt has signicance beyond the solution of in-
nite linear equations. As we noted earlier, he was the rst to introduce geometric
language into Hilbert space theory, and the results obtained by Schmidt show that
these geometric notions are not mere pedantry. Rather, tile concepts of subspace,
orthogonaity, etc..., form an integral part of the circle of ideas centered about the
term function spaces . (Bernkopf, 1968)
Les travaux de Hellinger et Toeplitz sur les matrices innies, bien que non fonda-
mentaux pour nos travaux épistémologiques sur les applications linéaires, présentent
néanmoins un réel intérêt. En eet, ils y proposent une approche axiomatique des
matrices innies
Diese Untersuchung kann als eine axiomatische Behandlung des Kalküls mit
unendlichen Matrizen ausgesehen werden ; die beiden Konvergensätze, auf denen
sie fuÿt, bieten jedoch vielleicht auch selbständiges Interesse2.16 (Hellinger, Toe-
plitz, 1910, p. 289)
2.16. Cette recherche peut être vue comme un traitement axiomatique du calcul avec des matrices
innies ; les deux notions de convergence sur lesquelles cet examen est basé ont cependant de l'intérêt en
tant que pour eux seul. (Traduction de M. et J. Cresson et de M. Lalaude-Labayle)
72 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
Mais ils utilisent le mot axiomatische dans un sens diérent du sens actuel.
Leur approche axiomatique signie que leur article ne résout aucun problème : leur
approche des matrices innies se veut indépendante de toute question relative aux
équations intégrales ou même aux théories algébriques existantes
Wir benutzen indessen zugleich diese Gelegenheit, uns eine Grundlage zu ver-
schafen, auf die wir uns auÿer im zweiten Kapitel der vorliegenden Arbeit auch
in eingien folgenden Arbeiten wollen berufen können, ohne die Kenntnis anderer
Arbeiten aus dem Gebiete der Integralgleichungen und der unendlichvielen Verän-
derlichen vorauszusetzen.2.17 (Hellinger, Toeplitz, 1910, p. 290)
Cette utilisation du mot axiomatique , au sens d' indépendant de toute
problématique autre que celle du sujet et non pas au sens actuel i.e. reposant
sur des axiomes et sur une méthode logico-déductive , cette utilisation faite donc
par des mathématiciens de Göttingen travaillant avec Hilbert, interroge2.18.
En s'appuyant sur les travaux de Lebesgue, Riesz choisit de travailler avec des
opérateurs comme Fredholm plutôt qu'avec des formes quadratiques comme Hilbert
et généralise en 1910 ses propres travaux de 1907 et ceux de Schmidt. À partir de
ces travaux, la géométrisation des espaces de fonctions, et donc d'espaces vectoriels
de dimension innie, se généralise. Nous avons vu avec Epistemon (1981) que les
calculs de déterminants constituaient certainement un frein à l'émergence de l'aspect
géométrique des problèmes et des concepts. Dorier (1997) précise en quoi cette
géométrisation constitue une étape essentielle à la création de l'algèbre linéaire :
Les travaux de Riesz et de Schmidt sont à l'origine de l'habitude consistant
à penser en termes géométriques dans les espaces fonctionnels. Ce point de vue
est d'autant plus important qu'il permet une convergence des origines algébriques
(cf. les débuts de la résolution de systèmes innis), géométriques et analytiques
de l'algèbre linéaire. L'importance des espaces de Hilbert est donc essentielle pour
comprendre les liens qui unissent la géométrie et la théorie des espaces vectoriels.
(Dorier, 1997)
On peut noter que, dans son article de 1910, Riesz introduit implicitement la
notion de dualité et dénit la transposée d'un opérateur, ceci dans un cadre topolo-
gique d'espace abstrait de Fréchet et non dans un cadre vectoriel (De Vleeschouwer,
2010). C'est également Riesz, qui dans son livre sur les systèmes linéaires innis
publié en 1913, invente le terme espace de Hilbert (Birkho, 1981).
2.17. Nous protons de cette occasion pour nous constituer une base sur laquelle nous pourrons nous
appuyer non seulement à partir du deuxième chapitre du présent travail, mais aussi dans quelques travaux
ultérieurs sans avoir connaissance d'autres résultats du domaine des équations integrales et des variables
innies. (Traduction de M. et J. CResson et de M. Lalaude-Labayle)
2.18. Elle peut faire écho à certains propos d'étudiants pour qui l'algèbre linéaire est aux mathémati-
ques ce que le Parnasse est à la littérature : une pratique volontairement impersonnelle et inutile, la beauté
et l'art n'étant alors pas l'un de leurs critères.
3 La notion d'application linéaire, un fil conducteur de l'émergence de l'algèbre
linéaire 73
Avec son article de 1910, Riesz réalise ainsi l'unication des travaux de Fredholm,
Hilbert, Fréchet et Lebesgue, travaux qui constituent pour Dieudonné (1981) the
four fondamental papers à l'origine de l'analyse fonctionnelle. Riesz, avec la notion
de dualité, permet aussi le passage des espaces abstraits de Fréchet aux travaux de
Banach
After a preliminary announcement in 1909 [Comptes Rendus (Paris) 148,
1303-1305], Riesz initiated and developed Lp-space theory in 1910. He extended
Schmidt's results from p=2 to general p, 1 < p <+1, hence from Hilbert space
to other Banach spaces. (Birkho, 1981)
En uniant les travaux contenus dans les four fondamental papers , Riesz
montre aussi, comment à partir d'un problème concret, sa résolution conduit à des
notions abstraites et comment ces notions abstraites généralisent l'ensemble des
travaux précédents. Riesz donne donc raison à Hilbert pour qui la résolution de
problème est l'essentiel, et à Fréchet, pour qui l'abstraction nécessaire des notions
est l'essentiel. D'ailleurs, ses articles concernant des problèmes concrets sont écrits
en allemand et publiés dans des journaux allemands et ses articles développant des
théories abstraites sont écrits en français et publiés dans des revues françaises !
Banach sera l'analyste dont les travaux auront le plus d'inuence pour l'axio-
matisation de l'algèbre linéaire. Dans la première partie de sa thèse, il propose une
dénition axiomatique de la notion d'espace vectoriel normé an d'étudier dans la
seconde partie de sa thèse ce qu'il appelle les opérations additives . Il motive sa
démarche axiomatique de façon atypique pour l'époque
L'ouvrage présent a pour but d'établir quelques théorèmes valables pour dif-
férents champs fonctionnels, que je spécie dans la suite. Toutefois, an de ne
pas être obligé à les démontrer isolément pour chaque champ particulier, ce qui
serait bien pénible, j'ai choisi une voie diérente que voici: je considère d'une façon
générale les ensembles d'éléments dont je postule certaines propriétés, j'en déduis
des théorèmes et je démontre ensuite de chaque champ fonctionnel particulier que
les postulats adoptés sont vrais pour lui. (Banach, 1922)
Il est intéressant de lire la note de bas de page de cette publication de 1922, publi-
cation qui a lieu deux ans après la soutenance de sa thèse. Les éditeurs y précisent
l'inutilité de trois des axiomes d'espace vectoriel donnés par Banach. On peut donc
penser que Banach ne cherche pas à obtenir une axiomatisation minimale de la
notion d'espace vectoriel mais simplement à caractériser les ensembles sur lesquels
il pourra ensuite appliquer ses résultats.
2.19. L'examen de cette classe de fonctions va éclairer d'une façon particulière les avantages réels et
évidents de l'exposant p = 2 ; et l'on peut aussi armer qu'il fournit du matériau utilisable pour une étude
axiomatique des espaces fonctionnels. (Traduction de M. et J. Cresson et de M. Lalaude-Labayle)
74 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
Avec son livre consacré aux opérateurs linéaires, Théorie des opérateurs linéaires
publié en 1932, Banach propose ce qui semble être la première dénition axioma-
tique des espaces vectoriels de dimension quelconque sur R, et à la diérence de sa
publication de 1922, il n'y a aucune référence à une norme. Nous devons préciser un
premier point : pour Banach, une opération est dite linéaire lorsqu'elle est additive
et continue, les opérations additives et homogènes correspondant à nos applications
linéaires. Par ailleurs, il est intéressant de noter que Banach commence par dénir
axiomatiquement ce qu'est un groupe (en assumant implicitement la commutativité
de la loi +) mais, bizarrement Banach n'établit aucun lien entre la structure de
groupe additif et celle d'espace vectoriel. Pour dénir la notion d'espace vectoriel, il
se contente de reprendre les axiomes de sa thèse de 1922 en apportant quelques
modications, dont les corrections des éditeurs. L'axiomatique d'espace vectoriel de
Banach, aisément perfectible en 1922 puis avec un goût d'inachevé en 1932, nous
permet de penser qu'elle ne constituait pas l'objet principal des travaux de Banach :
à l'instar de Fréchet, cette axiomatique ne semble n'avoir qu'un intérêt simplicateur
lui évitant de devoir traiter péniblement chaque champ d'application de ses
résultats sur les opérateurs.
L'algébrisation de la notion abstraite d'espace vectoriel de dimension quelconque,
le lien entre les structures algébriques de groupe et d'espace vectoriel, résultent
essentiellement des travaux des algébristes de l'école allemande.
Nous avons vu avec ce qui précède que l'émergence de la notion d'espace vectoriel
est intimement liée aux notions d'application linéaire (ou d'opérateur linéaire) et de
dualité et à l'immersion du point de vue géométrique dans les approches déjà exis-
tantes (Dorier, 1995; De Vleeschouwer, 2010). Nous avons également souligné que
les immenses progrès liés à l'analyse fonctionnelle ont lieu, alors que les structures
font leur apparition en mathématiques. Autrement dit
Thus far we have discussed the geometric and analytic origins of abstract
vector spaces. (Moore, 1995, p. 288)
L'aspect géométrique initié par Grassmann puis repris par Peano donne lieu à
une axiomatisation de l'algèbre linéaire, reprise ensuite dans le cas ni par Weyl en
1918 (Dorier, 1997, 2002 ; Moore, 1995). L'aspect analytique, centré sur des appli-
cations linéaires, donne lieu aux espaces de Banach qui fournissent une utilité2.20
à cette structure en permettant d'obtenir de nouveaux résultats mathématiques
(Dorier, 1997, 2002)2.21. Dorier précise d'ailleurs2.22
2.20. Cela permet d'ailleurs à Gabriel d'écrire : L'algèbre linéaire fut conçue par des analystes
pour les besoins de l'analyse. (Gabriel, 2001, p. 514)
2.21. Il est intéressant de noter ici encore les travaux de Pincherle publiés en 1901 dans lesquels il
s'appuie sur les travaux de Peano pour proposer une théorie axiomatique des opérateurs linéaires. Ces
travaux semblent n'avoir eu que peu d'inuence sur la convergence des notions d'algèbre linéaire (Dorier,
1997, 2002) jusqu'aux travaux de Fréchet (Moore, 1995).
2.22. La citation originale de Dorier parle de problèmes linéaires en dimension innie et non nie
comme c'est le cas dans sa traduction.
3 La notion d'application linéaire, un fil conducteur de l'émergence de l'algèbre
linéaire 75
The rst axiomatic presentations of linear algebra and the crucial works on
finite-dimensional linear problems are more or less contemporary (end of the
1880s). Nevertheless, the two aspects remained largely independent until at least
1920 and really started being unied only from 1930. However, it is quite stri-
king to see that these two aspects of the recent history of linear algebra have
coexisted for more than 40 years and yet have had so little inuence on each
other. On one side, the theoretical corpus, constituted for nite dimensional pro-
blems in the second half of the 19th century, was generalized, at the turn of
the century, to innite-dimensional problems by preserving the tools and the
objects treating an innite number of variables; while on the other side, some
mathematicians tried (in vain) to impose a new axiomatic approach to linear pro-
blems, without trying to solve new problems but aiming, above all, at giving better
theoretical foundations to the treatment of old problems. (Dorier, 2002, p. 30)
Pour Moore (1995), la convergence vers les notions d'algèbre linéaire telles que
nous les connaissons repose également sur un questionnement algébrique à propos
du concept de module. Nous ne détaillons pas ici toutes les étapes, n'étant pas
forcément pertinentes pour notre analyse didactique. Noether introduit la notion
moderne de module2.23 en 1921, dont les espaces vectoriels apparaissent comme un
cas particulier. Les nouveaux paradigmes algébriques introduits par Artin, Noether
et leurs collègues sont diusés par l'ouvrage de Van der Waerden (1930-1931). Le
quinzième chapitre du tome II de ct ouvrage comporte un chapitre intitulé Lineare
Algebra, où pour la première fois l'expression algèbre linéaire est employée dans
le sens que nous lui donnons toujours (Kleiner, 2007 ; Moore, 1995). Il nous semble
intéressant de relever que l'existence d'une relation entre application linéaire et
matrice est formulée par Noether en 1929, qui plus est en note de bas de page. Elle
écrit
As B. L. van der Waerden has communicated to me, one can obtain an
invariant connection,independent of the specic choice of basis, by separating
the concepts linear transformation and matrix. A linear transformation is a
homomorphism of two modules of linear forms; a matrix is an expression (the
representation) of this homomorphism by a denite choice of basis. (Noether,
1929, p. 670, cité par Morre, 2005, p. 293)
Avec ces travaux, nous pouvons envisager les espaces vectoriels et les applications
liénaires suivant trois points de vue : géométrique, analytique et algébrique.
Se posent alors les questions de la transposition de ces savoirs et de leur diusion
dans les institutions d'enseignement. Dorier (1997, 2002) aborde cette question et y
répond précisément dans le cas du système universitaire et des Classes Préparatoires
en France en lien avec Bourbaki et donc une approche axiomatique et structuraliste
de l'algèbre linaire. Mais le développement de l'algèbre linéaire est particulière-
ment important sur le sol nord-américain (Dorier, 1997, 2002). Nous dégageons
trois ouvrages, complémentaires, qui abordent et participent au développement de
l'algèbre linéaire. Tout d'abord l'ouvrage de Mac Lane et Birkho, Survey of Modern
Algebra publié en 1941 et basé sur des notes de cours prises en Allemagne, est consi-
déré comme l'un des premiers ouvrages destiné à l'enseignement supérieur exposant
l'algèbre moderne. Ils écrivent d'ailleurs dans leur préface
Enn, l'ouvrage de Mac Duee, Vectors and Matrices, publié en 1943, propose
un point de vue plus numérique. Il se propose d'aborder toute l'algèbre linéaire en
se basant sur les systèmes linéaires
la réduction des matrices, objet principal de l'ouvrage. Le tout est présenté dans
le cadre des vecteurs de Rn et Cn. Néanmoins, dans le dernier chapitre, destiné
à ceux qui aiment l'abstraction , il introduit les concepts d'espace vectoriel et
d'application linéaire, montre l'équivalence de ce point de vue avec le précédent,
et remarque in ne que cette approche abstraite a l'avantage de l'élégance, et
explique de façon beaucoup plus naturelle les propriétés du calcul matriciel. (Epis-
temon, 1981, p. 81)
Notons également que, bien avant Axler (1995), Mac Duee s'interroge déjà sur
la place des déterminants2.24dans l'enseignement de l'algèbre linéaire
In fact, the importance of the concept of determinant has been, and currently
is, vastly over-estimated. (Mac Duee, 1943, preface, p. v)
Dorier (1997, 2002) précise que l'unication des points de vue algébriste et ana-
lytique sur les espaces vectoriels est faite par Gel'fand en 1941, avec l'introduction
des algèbres de Banach. Gel'fand est l'auteur d'un ouvrage publié en 1948 et basé
sur un cours d'algèbre linéaire qu'il a professé. Nous nous appuyons sur la traduc-
tion en anglais de la seconde édition de cet ouvrage, publiée en 1961 sous le titre
de Lectures on Linear Algebra. L'étude des applications linéaires constitue l'objet
central de cet ouvrage. La dénition d'espace vectoriel qu'il propose rappelle la
volonté pragmatique de Banach
Ce n'est qu'en dehors de cette dénition qu'il précise les axiomes que doivent
satisfaire les deux opérations dénies dans la dénition précédente. Notons aussi
que, dès 1948, Gel'fand insiste sur la relation entre matrices et applications linéaires
Cette étude épistémologique semble conrmer le rôle central joué par la notion
d'application linéaire dans la genèse des espaces vectoriels. D'ailleurs, dans un article
sur les méthodes de résolution de problèmes en algèbre linéaire, Flanders (1956)
précise
2.24. Une recension de l'ouvrage de Givens (1944) souligne insiste sur cette réexion de la place des
déterminants dans l'enseignement de l'algèbre linéaire : The solution of a system of linear equations is
treated in the rst chapter without the use of determinants. The author remarks in his introduction that
"the importance has been, and currently of the concept of determinant is, vastly over-estimated." The with
this statement and highly recommends reviewer is in full agreement MacDue's as well as mathematical
readers. It should, brief treatment to non-mathematical be required reading for every author of a textbook
in college algebra (Givens, 1944, p. 255)
78 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
Possibly the most signicant curricular change arising from GCMC was the
introduction of a sophomore-year linear algebra course; it was adopted widely at
universities and colleges. Linear algebra had entered the undergraduate curricu-
lum in the 1950's at universities as part of a yearlong upper-division abstract
algebra course. It is somewhat ironic that this sophomore linear algebra course
evolved from Kemeny et al.'s Introduction to Finite Mathematics text. (Tucker,
2013, p. 698)
Kemeny et al. publient en 1959 une variation de leur ouvrage, intitulé Finite
Mathematical Structures dont le chapitre le plus long concerne alors l'algèbre
linéaire. Il est intéressant de noter certaines similitudes, autres que chronologiques,
avec ce que Dorier (1997, 2002) a mis en évidence pour la France. Après la révo-
lution engagée2.25 par Choquet en 1954, c'est en 1956 avec la réforme des CPGE
que l'on introduit dans l'enseignement supérieur français un enseignement rénové
dans lequel les espaces vectoriels occupent peu à peu une place centrale (Dorier,
1997, p. 98). Nous voyons avec Kemeny et al. que c'est avec dans des enseigne-
ments destinés aux ingénieurs ou biologistes que l'algèbre linéaire est introduite
au plus tôt dans l'enseignement supérieur nord-américain
It is of course refreshing to see a book like this, which recognizes the necessi-
ties of the modern world: probability, linear algebra, and linear programming,
for instance, are at least as valuable to the physical scientist and engineer today
as the subjects we usually stu them with, such as tricky dierential equations.
(Hughes, 1960, p. 936)
2.25. On pourra lire aussi à ce sujet (et bien d'autres, dont l'histoire de Bourbaki) l'autobiographie
de Weil (1991)
4 Évolution de la notion de preuve et d'axiomatique 79
Comme nous l'avons déjà remarqué précédemment, nous allons ici couvrir en quel-
ques lignes une histoire de la notion de rigueur en mathématiques qui mériterait
certainement des centaines de pages.
Nous verrons également les liens ténus entre le développement de l'exigence de
rigueur formelle dans les preuves mathématiques et ce qui précède, en particulier
l'éclosion de l'algèbre abstraite.
Néanmoins, nous pensons que l'une des dicultés pour les étudiants actuels lors du
passage secondaire-supérieur est le changement d'exigence quant aux preuves exigées
en exercices et présentées en cours.
L'une de nos hypothèses est que l'algèbre abstraite et donc l'algèbre linéaire en
particulier constitue un terrain favorable pour permettre aux étudiants de progresser
dans leur maîtrise des attendus d'une preuve.
Avant de commencer ce bref survol épistémologique concernant la notion de
rigueur et de preuve formelle en mathématiques, nous nous devons de souligner deux
types de raccourcis auxquels nous nous soumettons :
1. D'une part, des raccourcis temporels : eectivement, en nous inspirant des prin-
cipaux travaux existants sur la notion de rigueur et de preuve formelle en
mathématiques, nous aborderons ces notions en survolant encore plus rapide-
ment voire en omettant deux périodes historiques non contiguës :
a. la période qui précède les mathématiques grecques, autrement dit l'intervalle
de temps ]¡20000; ¡600]2.26 ;
b. la période allant d'Euclide jusqu'au début du XIXème siècle, soit l'intervalle
de temps [¡300; 1800]
2. D'autre part, un raccourci spatial, géographique : en eet, nous nous concentrons
classiquement sur l'évolution de la notion de preuve en occident en omettant les
mathématiques chinoises, indiennes et arabes.
Il nous semble important de préciser voire de justier ce choix de raccourcis spatio-
temporels. On associe souvent à ce choix, à cette lecture de l'histoire, le terme
d'eurocentrisme (Hodgkin, 2005). Dès 1992, Joseph (1992) pointe les défauts de
cette lecture partiale eurocentrée de l'histoire des mathématiques
I propose to show ... that the standard treatment of the history of non-euro-
pean mathematics exhibits a deep-rooted historiographical bias in the selection
and interpretation of facts, and that mathematical activity outside Europe has in
consequences been ignored, devaluated or distorted. (Joseph, 1992, p. 3)
2.26. Nous proposons -20 000 en référence à l'os d'Ishango, même si l'interprétation des marques
sur ces os en termes de nombres premiers suscite des discussions comme le montre Keller (Les fables
d'Ishango, ou l'irrésistible tentation de de la mathématique-fiction, article consultable sur bibnum à
l'adresse : http://www.bibnum.education.fr/sites/default/les/ishango-analyse-v2.pdf).
80 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
Joseph (1992) propose alors trois modèles historiques sur lesquels il s'appuie pour
interpréter les caractéristiques de la transmission du savoir mathématique :
1. un modèle eurocentré classique, dit classical Eurocentric trajectory , pour
lequel les mathématiques sont passés directement de la Grèce Ancienne à la
Renaissance Européenne ;
2. un modèle eurocentré modié, dit modied Eurocentric trajectory , pour
lequel les mathématiques grecques étendent les mathématiques babyloniennes et
égyptiennes, furent préservées par les pays du Monde Islamique puis réintroduits
lors de la Renaissance Européenne ;
3. enn, un modèle alternatif, dit alternative trajectory , pour lequel les mathé-
matiques développées dans le Monde Islamique au cours du moyen-âge et en lien
avec les mathématiques indiennes, chinoises et même européennes occupent une
place centrale. Les mathématiques arabes n'apparaissent plus seulement comme
vecteurs du savoir mathématique (receveurs puis passeurs de savoirs) mais aussi
comme découvreurs de mathématiques.
Les recherches récentes semblent valider cette troisième voie proposée par Joseph
(1992). Néanmoins, dans le cadre de nos travaux, à savoir une épistémologie suc-
cincte de la notion de rigueur et de preuve en mathématiques, nous nous sommes
appuyé sur une bibliographie d'ouvrages et articles sur l'histoire des mathématiques
et sur l'évolution des concepts mathématiques. Ces travaux relèvent le plus souvent
du premier ou du deuxième modèle de Joseph (1992), mais mener une analyse cri-
tique basée sur des textes historiques ne nous a pas semblé pertinent. D'autant plus
que, comme le dit Hodgkin (2005), l'une des raisons qui explique cet eurocentrisme
de l'histoire des mathématiques est l'importance que nous accordons à la forme
result+proof (Hodgkin, 2005, p. 13), autrement dit à la notion de preuve suivant
le modèle déductif, qui est au c÷ur de nos travaux. On pourrait alors légitimement
se poser la question suivante : des mathématiques existant ailleurs, peut-on faire
des mathématiques sans preuve ? Pour répondre à cette question, on se doit de
s'interroger sur la notion de preuve, celle de démonstration et plus généralement
sur ce que sont les mathématiques. Mais, comme nous l'avons déjà dit plus haut,
ce n'est pas ici l'objet de cette partie de nos travaux. Nous ferons donc nôtres les
propos certainement simplicateurs de Galda
As far as we know, no culture outside of the European tradition has developed
a well-dened standard of mathematical proof, nor proved any mathematical
theorems in a way that we would call a proof. However, research in this area of
the history of mathematics has not been adequately carried out, so it is certainly
possible that we may have to revise our present position. (Galda, 1980)
Nous nous abriterons également derrière le fait qu'un des chapitres de Hodgkin
(2005, p.42) s'intitule, en référence à Morris Kline, The Greek miracle , alors que
Hodgkin semble être lui-même un ardent défenseur de la trois ème voie proposée par
Joseph (1992).
Pour une discussion historique bien plus détaillée et précise, nous renvoyons aux
travaux de Chemla (2015), de Hodgkin (2005), de Neugebauer & Sachs (1946) et
de Neugebauer (1952) pour des travaux spéciques concernant les mathématiques
égyptiennes et babyloniennes et à Youschkevitch (1976) pour les mathématiques
arabes.
4 Évolution de la notion de preuve et d'axiomatique 81
(en géométrie) avec des arguments logiques. Il serait l'auteur, entre autres, des
propositions suivantes et de leurs preuves (Eves, 1976, p. 55) :
tout cercle est bissecté par l'un quelconque de ses diamètres
les angles de base d'un triangle isocèle sont égaux
tout angle inscrit dans un demi-cercle est droit (résultat connu semble-t-il
depuis 1400 ans par les Babyloniens)
Comme le précise Eves
tion serait plus ancienne que celle concernant le fameux théorème de Pythagore.
Durant environ 300 ans (entre -600 et -300), les Grecs perfectionnent la notion de
raisonnement et de discours logiques comme suite de déductions rigoureuses émises à
partir d'un état initial et reposant sur des armations explicitement formulées :
chaque armation apparait donc comme une conséquence logique et nécessaire
des armations précédentes. Cette méthode, dite postulationnelle ou axiomatique,
est certainement la plus importante contribution des Grecs aux mathématiques
(Kleiner, 1991 ; Eves, 1976) et Les Éléments d'Euclide en constituent l'exemple le
plus emblématique : on parle parfois d'exemple paradigmatique.
Pour les Grecs, le titre Éléments était alors utilisé pour décrire un système de
propositions déduites d'axiomes (Galda, 1980 ; Bell, 1945) ce que semble conrmer
la référence aux Éléments d'Hippocrate, écrits quelques cent ans plus tôt que ceux
d'Euclide (Galda, 1980 ; Hodgkin, 2007 ; Netz, 1999). Mais les Éléments d'Euclide
seraient le plus ancien exemple connu d'un traitement axiomatique et systéma-
tique de la géométrie. D'ailleurs, l'inuence de cet ouvrage sur le développement
de la logique et de la science occidentale est fondamental. Pour Galda (1980), les
Éléments constituent le standard méthodologique pour toute rédaction de démons-
tration mathématique mais aussi pour toute argumentation logique (scientique,
philosophique ou politique), standard qui va prévaloir jusqu'au XIXème siècle ... Van
der Waerden insiste lui aussi sur l'importance des Éléments d'Euclide, en écrivant
dans la biographie consacrée à Euclide dans la Biography in Encyclopaedia Britan-
nica
Almost from the time of its writing and lasting almost to the present, the
Elements has exerted a continuous and major inuence on human aairs. It was
the primary source of geometric reasoning, theorems, and methods at least until
the advent of non-Euclidean geometry in the 19th century. It is sometimes said
that, next to the Bible, the Elements may be the most translated, published,
and studied of all the books produced in the Western world.
4 Évolution de la notion de preuve et d'axiomatique 83
Avant d'aller plus loin, il est intéressant de s'arrêter quelques instants sur les
motivations possibles d'une telle révolution, d'un tel changement de paradigme dans
les mathématiques grecques. Nous suivons ici les propositions faites par Kleiner
(1991) et Wilder (1968). Wilder (1968) classe les raisons qui expliqueraient
de tels bouleversements en mathématiques en deux catégories, les raisons héré-
ditaires et les raisons environnementales , que Kleiner (1991) qualie respective-
ment de raisons internes et raisons externes aux mathématiques. En s'appuyant
sur ces deux catégories, Kleiner (1991) énumère cinq raisons possibles :
1. des raisons internes ou héréditaires :
a. la nécessité deprésoudre la crise suscitée par la découverte de l'incommen-
surabilité de 2 : cette crise serait à l'origine d'un questionnement sur les
fondations logiques des mathématiques ; Dowek (2007) associe ce moment à
la naissance des mathématiques (où le raisonnement devient une nécessité)
et non plus simplement calcul ;
b. la nécessité de décider, et donc de justier son choix, entre plusieurs possi-
bilités incompatibles : par exemple, pour les Babyloniens, 3 r2 donne l'aire
¡8
d'un cercle alors que les Égyptiens utilisent la formule 9 2 r 2 ;
2. des raisons externes ou environnementales :
a. la nature de la société grecque : la démocratie nécessite l'art de l'argumenta-
tion et de la persuasion, mais aussi et certainement, l'existence d'une classe
aisée (et secondée par des esclaves) disposant donc de temps pour la contem-
plation voire l'abstraction mathématique ;
b. la philosophie grecque, pour laquelle le raisonnement est central ;
c. la nécessité d'enseigner qui a obligé les mathématiciens à penser en profon-
deur les principes à la base de leurs raisonnements.
Nous remarquons que l'une des explications à la nécessité d'une certaine rigueur
en mathématiques est associée, dès le début de l'histoire des mathématiques, à des
fonctions didactiques : le souci pédagogique et la nécessité de justier leurs concep-
tions et procédures obligent les mathématiciens à un dépassement de l'évidence, tel
qu'illustré plus haut par les (supposés) travaux de Thalès par exemple.
Avec la nécessité d'une justication de leur démarche mathématique (on pense ici à
l'école de Pythagore) et de l'explication de leur raisonnement logico-mathématique,
l'axiomatisation de la géométrie par les Grecs impose également une mise à distance
des objets mathématiques aux objets de la nature. On assiste ainsi à la naissance des
mathématiques (Dowek, 2004) ou, pour le moins, à une transformation de la pratique
mathématique : les mathématiques passent d'un statut de science expérimentale,
de science empirique à celui de science intellectuelle (Grabiner, 1974).
Cette distance naissante entre objets mathématiques et objets de la nature est dou-
blée d'une diérentiation entre objets mathématiques et procédures sous-jacentes à
l'émergence de ces objets. Cette distinction entre objets et procédures se révélera
essentielle lors de notre partie expérimentale.
84 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
Ainsi, pour Netz (1999), dès les travaux d'Hippocrate, une première véritable révo-
lution mathématique (au sens de Kuhn) a donc lieu en Grèce au Vème siècle avant
Jésus-Christ, révolution dont les Éléments d'Euclide constitue le phénomène le plus
important. Dowek, en s'appuyant sur les contributions des Pythagoriciens, va même
jusqu'à écrire
Ce passage du calcul au raisonnement a été retenu comme l'acte de naissance
des mathématiques, en Grèce, au Vème siècle avant notre ère (Dowek, 2007, p. 23)
La justification de type axiomatique en mathématiques, dont les Éléments
constituent le premier exemple paradigmatique de l'histoire des mathématiques,
va prévaloir jusqu'à la prochaine rupture au XIXème siècle. Néanmoins, d'immenses
progrès mathématiques vont être produits sans cette exigence de rigueur,
Standards of rigor have changed in mathematics, and not always from less rigor
to more (Kleiner, 1991, p. 291)
Pour comprendre cette nouvelle rupture épistémologique quant à la notion de
rigueur en mathématiques, rupture qui a eu lieu au XIXème siècle, nous devons isoler
les conditions dans lesquelles elle se produit et justier ce qui fait que l'on appelle
parfois le XVIIIème siècle le siècle de la vigueur, en opposition au siècle suivant dit
parfois siècle de la rigueur.
Comme nous l'avons fait avec la géométrie pour la Grèce Antique, on peut
s'essayer ici aussi à isoler plusieurs sources à l'origine de ce changement de paradigme
concernant la notion de preuve et de rigueur en mathématiques :
1. des raisons internes ou héréditaires :
a. À la n du XVIIIème siècle, les erreurs sur les séries trigonométriques (par
exemple Euler arme que toute fonction 2 -périodique est limite de série
trigonométrique), les erreurs sur les fonctions de plusieurs variables sont plus
fréquentes : la seule intuition ne sut maintenant plus.
b. Comme le souligne Bridoux (2011), l'algébrisation de l'analyse qui culmine
au XVIIIème siècle avec notamment les travaux de Lagrange ou de Euler a
constitué un frein à l'émergence d'une plus grande rigueur en analyse. Bien
que les attaques de Berkeley dès 1734 et leurs réponses ne susent pas à
elles seules à motiver les scientiques pour rendre les mathématiques plus
rigoureuses, à l'instar de ce qui eut lieu avec la géométrie euclidienne, une
brèche dans l'édice mathématique est ouverte.
c. Dahan-Dalmedico et Peier arment que
la conception algébrique et formelle des fonctions, qui a stimulé si long-
temps l'ascension de l'analyse, fonctionne maintenant comme un facteur
de blocage (Dahan-Dalmedico, Peier, 1986, cité par Bridoux, 2011)
Grabiner conrme également ce point de vue
At the end of the eighteenth century, several mathematicians thought
that the pace of getting new results was decreasing. (...) most of the results
obtainable by the routine application of eighteenth-century methods had
been obtained. (Grabiner, 1974)
Émerge alors un souci de généralisation et d'unication de tous les résultats
obtenus qui pourrait avoir mécaniquement aboutit à une réexion sur la
nécessité de fondements axiomatiques rigoureux sur lesquels baser les tra-
vaux existants. On peut noter que l'on retrouve ici des éléments du concept
d'objets FUG(S) pour la notion de preuve et de rigueur en mathématiques
et ce dès 1974 avec les travaux de Grabiner (1974, 1983).
Pour Kleiner (1995) il semble historiquement acceptable, qu'à une longue
période exploratoire durant laquelle de nombreux résultats sont publiés suc-
cède une période plus posée de réexion et de consolidation de ces résultats,
tel que ce fût en quelque sorte le cas pour la géométrie avec les Grecs.
2. des raisons externes ou environnementales : comme pour la géométrie eucli-
dienne, une des motivations de la rigorisation des mathématiques est liée à
l'activité d'enseignement des résultats obtenus par les mathématiciens. Grabiner
(1974) précise que pour diérentes raisons sociales liées à la Révolution Fran-
çaise, cette activité d'enseignement est devenue une nécessité pour les besoins
matériels des mathématiciens. Et d'ailleurs, la plupart des travaux sur les fon-
dations des mathématiques ne sont pas publiés dans des revues scientiques
mais sont issus de cours, sont publiés dans des livres d'enseignement ou dans
des ouvrages de vulgarisation (Grabiner, 1974). Il est essentiel ici de rappeler
que l'École Polytechnique est créée en 1795 et est alors la plus grande insti-
tution pour l'enseignement des sciences, enseignement qui apparaît comme une
véritable nécessité politique et militaire aux gouvernements.
4 Évolution de la notion de preuve et d'axiomatique 87
Peut-être de façon encore plus importante que lors du miracle grec , des fonctions
didactiques apparaissent à nouveau comme un facteur essentiel à l'évolution des
mathématiques, et en particulier ici du domaine de l'analyse, vers une plus grande
rigueur.
En s'appuyant sur des travaux de Grabiner, nous avons identié les principaux argu-
ments qui pourraient expliquer les motivations des mathématiciens du XVIIIème
siècle pour passer d'une pratique mathématique focalisée sur l'obtention de nou-
veaux résultats à une pratique plus rigoureuse, plus conforme aux canons issus de
la géométrie grecque. Néanmoins, ce survol serait incomplet sans rappeler le rôle
essentiel qu'a joué un mathématicien, en l'occurrence Lagrange, à la n du XVIIIème
siècle. En 1784, à l'Académie de Berlin, dans une question mise à prix, Lagrange
demande
qu'on explique comment on a déduit tant de théorèmes vrais d'une supposi-
tion contradictoire, & qu'on indique un principe sûr, clair, en un mot vraiment
mathématique, propre à être substitué à l'Inni, sans rendre trop diciles, ou
trop longues, les recherches qu'on expédie par ce moyen (Lagrange, Nouveaux
mémoires, 1786)
Nous allons quitter l'ordre chronologique tel que nous l'avons adopté jusqu'à présent.
Tout d'abord, nous allons voir comment Cauchy puis Weierstrass s'éloignent petit
à petit de la vision algébrique de l'analyse des mathématiciens du XVIIIème siècle
pour aboutir à une arithmétisation de celle-ci2.27. Puis nous verrons comment ré-
émerge petit à petit l'approche axiomatique notamment avec les travaux des algé-
bristes anglo-saxons dont ceux de Boole.
Les mathématiciens du XVIIIème siècle ont développé et exploité de nombreuses
techniques analytiques et peu de techniques nouvelles seront introduites au XIXème
siècle pour répondre à ce souci de fondements de l'analyse mathématique (Gra-
biner, 1974) : la plupart des outils utilisés par Cauchy, essentiellement des inégalités,
étaient maîtrisés par ses prédécesseurs (Grabiner, 1974 ; Dhombres, Pensivy, 1988).
La rigorisation de l'analyse qui a lieu au cours du XIXème siècle n'est donc pas une
conséquence immédiate des pratiques du siècle précédent : un changement de regard
sur les objets manipulés en analyse doit être eectué. Grabiner (1974), en s'appuyant
sur plusieurs exemples, montre comment les pratiques du XVIIIème siècle ont évolué
en dénitions et théorèmes au XIXème siècle. Elle regarde en particulier les approxi-
mations telles qu'elles étaient développées au XVIIIème siècle pour résoudre des
équations algébriques ou diérentielles et telles qu'elles ont lieu au siècle suivant.
Grabiner distingue deux types de problèmes associés à l'approximation de solutions :
les procédures d'approximation elles-mêmes et les déterminations (ou encadrement)
d'erreur. Concernant les procédures elles-mêmes, trois exemples sont donnés qui
illustrent le changement de regard sur les objets :
d'une méthode d'approximation de solution du XVIIIème siècle, les mathémati-
ciens du XIXème en tirent une preuve de l'existence d'une telle solution en regar-
dant la démarche de leurs prédécesseurs comme construction d'une solution :
ainsi, le théorème de Cauchy-Lipschitz se base sur une méthode d'approxima-
tion développée par Euler, la preuve de Cauchy du théorème des valeurs
intermédiaires des fonctions continues utilise les travaux de Lagrange ...
alors que l'erreur d'une approximation était estimée pour un n donné, la question
devient au XIXème siècle : étant donné une erreur souhaitée ", et en admettant
que le procédé d'approximation converge, quel est la rang n de l'approximation
qui garantisse que l'erreur commise entre l'approximation et la solution est au
plus (dans un sens à préciser bien-sûr) "2.28.
enn, des approximations obtenues pour des cas particuliers sont généralisées :
Gauss puis Cauchy généralisent ainsi les travaux de d'Alembert pour montrer
la convergence de la série hypergéométrique, Cauchy, Bolzano puis Weierstrass
généralisent la dénition algébrique de nombre dérivé de Lagrange pour
donner la dénition que nous connaissons actuellement.
On voit avec les exemples précédents que la rigorisation des fondements de l'analyse
mathématique au cours du XIXème siècle nécessite deux moments, au sens tem-
porel et philosophique : tout d'abord exploiter et élargir l'application des techniques
2.27. Pour une discussion approfondie sur la diérence d'approche entre Bolzano et Cauchy et ce en
quoi Bolzano annonce les travaux de Weierstrass, on pourra consulter Benis-Sinaceur (1973), Harrer et
Wainer (2000) ou Boyer (1949).
2.28. En langage informatique, les mathématiciens du XVIIIème siècle utilisaient des boucles for alors
que ceux du XIXème siècle introduisent les boucles while
4 Évolution de la notion de preuve et d'axiomatique 89
analytiques développées par les prédécesseurs, puis poser les bonnes questions
et les bonnes dénitions2.29. On remarque aussi que le nom de Cauchy apparait
dans chacun des exemples donnés ci-dessus. En eet, Cauchy, le plus prolique des
mathématiciens du XVIIIème siècle avec Cayley (Eves, 1976), est motivé par les
ouvrages de Lagrange et le problème posé à l'Académie de Berlin en 1784, est inter-
pellé par les problèmes posés par la représentation des fonctions en tant que séries de
Fourier mais est aussi impliqué en tant qu'enseignant à l'École Polytechnique pour
laquelle il devait rédiger ses cours. Toutes ces raisons poussent Cauchy à devenir le
législateur de l'analyse au XIXème siècle : il rigorise l'analyse mathématique en
introduisant implicitement le notion d'inniment petit, notion qu'il exploite pour
dénir (certes en langage courant) certaines notions déjà utilisées par les mathémati-
ciens (Grabiner, 1983). Néanmoins, Cauchy ne distingue pas la notion de continuité
de celle de continuité uniforme, pas plus qu'il ne fait de diérence entre la notion de
convergence simple et de convergence uniforme d'une suite (en fait d'une série) de
fonctions (Kleiner, 1991). En particulier, avec sa fonction continue nulle part déri-
vable, Weierstrass met en défaut la preuve de Cauchy pour qui une fonction continue
est forcément dérivable sauf en quelques point isolés. Les eorts de rigorisation de
l'analyse menés par Cauchy d'une part engendrent de nouveaux problèmes et ne
répondent pas complètement aux exigences de rigueur attendus par Lagrange. On
peut émettre deux raisons possibles pour expliquer ce à côté de quoi passe Cauchy :
1. ses dénitions de limite et de continuité sont écrites en français et font appel à
la notion encore oue2.30 d'innitésimal. Par exemple, sa dénition de limite est
la suivante
Si les valeurs successivement attribuées à une variable s'approchent indé-
niment d'une valeur xe, de manière à nir par en diérer aussi peu que l'on
voudra, alors cette dernière est appelée la limite de toutes les autres (Cauchy,
1821)
et celle de continuité d'une fonction :
h désignant une quantité inniment petite lorsque, la fonction f(x) admet-
tant une valeur unique et nie pour toutes les valeurs de x comprises entre
deux limites données, la diérence f(x + h) - f(x) est toujours entre ces limites
une quantité inniment petite, on dit que f(x) est une fonction continue de la
variable x entre les limites dont il s'agit (Cauchy, 1821)
2. Cauchy s'appuie encore trop souvent sur son intuition géométrique pour établir
l'existence de certaines limites (Kleiner, 1991)
Pour dépasser ces problèmes, Weierstrass puis Dedekind abandonnent les formu-
lations algébriques et les démonstrations jugées encore trop géométriques dues à
Cauchy : Weierstrass montre les théorèmes d'analyse d'une manière purement arith-
métique puis, Dedekind (1872) achève l'arithmétisation de l'analyse en proposant
une dénition rigoureuse des nombres réels.
2.29. On pense ici à la citation de Grothendieck : C'est à ce moment, je crois, que j'ai entrevu pour la
première fois (sans bien sûr me le formuler en ces termes) la puissance créatrice d'une bonne dénition
mathématique, d'une formulation qui décrit l'essence. Aujourd'hui encore, il semble que la fascination qu'a
exercé sur moi cette puissance-là n'a rien perdu de sa force (Grothendieck, Esquisse d'un programme,
note (2)).
2.30. Voir Lakatos (1984)
90 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
Those who are acquainted with the present state of the theory of Symbolic
Algebra are aware that the validity of the process of analysis does not depend on
the interpretation of the symbols which are employed, but solely upon the laws of
their combination (Boole, 1847)
Pour y parvenir, Boole construit ce que l'on appelle maintenant une algèbre
booléenne dans laquelle les problèmes de logique sont résolus par un processus de
calcul formel (Burton, 2011). Les travaux de Boole sont à l'origine d'une première
formalisation de la logique ce qui poussa Bertrand Russell à armer plus tard que
Pure Mathematics was discovered by Boole in a work which he called The Laws of
Thought (...) (Russell, 1901). De Morgan en Angleterre et C.S. Peirce aux États-
Unis développeront ensuite les travaux de Boole. On voit donc que l'un des objectifs
et l'un des résultats du mouvement initié par Peacock est de fournir des bases
formelles, via des structures algébriques, à de nombreux domaines mathématiques,
dont la logique.
La plupart des travaux mathématiques importants de la n de la seconde moitié
du XIXème siècle a pour objectif d'asseoir rigoureusement les mathématiques sur
des fondations solides (Galda, 1980). L'arithmétisation de l'analyse a réduit le pro-
blème de ses fondements à celui de la dénition des nombres réels. Ceux-ci furent
dénis ensuite à l'aide des nombres rationnels. Puis, la construction des rationnels
à partir des entiers positifs suivit (Kleiner, 1991). Enn, l'arithmétique, c'est à
dire la construction des entiers positifs fut traitée, comme nous l'avons vu plus
haut, par Dedekind, Peano et Frege, chacun utilisant une axiomatique diérente.
Parallèlement, on assiste à une reconstruction de la géométrie par Pasch (1882)
puis Peano (1889), reconstruction complète avec l'ouvrage de Hilbert publié en
1899 Grundlagen der Geometrie. Hilbert y propose une axiomatisation de la géo-
métrie euclidienne, proche de l'esprit des Éléments d'Euclide mais satisfaisant des
standards modernes de rigueur mathématique. À l'instar des Éléments d'Euclide,
les Grundlagen d'Hilbert ont servi de prototype pour la construction de systèmes
axiomatiques modernes (Galda, 1980). Nous abordons maintenant et de manière
succincte, ce que l'on entend par méthode axiomatique en essayant de souligner les
diérences entre celle d'Euclide et celle d'Hilbert.
des corps puis des anneaux (1910 et 1914), pour dénir des espaces de fonctions
dits espaces de Fréchet (1906), pour les espaces de Banach (1922), pour les espaces
de Hilbert axiomatisés par Von Neumann (1929), en théorie des ensembles avec
Zermelo en 1908 puis Fraenkel en 1921 et Von Neumann en 1925 etc ... Kleiner
insiste d'ailleurs sur l'importance de la méthode axiomatique comme outil du déve-
loppement de la pensée mathématique du XXème siècle
The axiomatic method, surely one of the most distinctive features of 20th-
century mathematics, truly ourished in the early decades of the century (Kleiner,
1991, p. 165)
qu'elle soit vraie pour tout objet satisfaisant aux axiomes. Il est assez remarquable
que l'application systématique d'une idée aussi simple ait si complètement ébranlé
les mathématiques. (extrait de Cap sur l'axiomatique et les structures, Pour la
science)
I sense that modern mathematics, despite its abstractness, looks more and
more like an applied science. (Wilder, 1967)
94 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
Ainsi, le postulat hyperbolique des parallèles n'est pas une abstraction d'une
réalité sensible mais une alternative logiquement élaborée au cinquième postulat
d'Euclide en géométrie hyperbolique. Dans l'axiomatique moderne, les axiomes sont
relationnels : ils ne mettent qu'en relation les termes primitifs.
A l'instar de la dégéométrisation progressive de l'analyse mathématique, on
assiste au cours du XIXème siècle à une désensibilisation physique de l'axiomatique.
Cette profonde diérence dans la relation aux objets entre la géométrie grecque
et l'axiomatique moderne telle que révélée par l'évolution de la notion d'axiome,
constitue à elle seule une explication possible de la diculté de tout étudiant à
manipuler les axiomes des structures algébriques courantes.
Une autre diérence entre la notion d'axiomatique moderne et celle d'Euclide
réside dans la formalisation de règles d'inférence logique. Pour l'axiomatique eucli-
dienne, les règles logiques restent tacites et les démonstrations ne sont souvent que
des descriptions des constructions géométriques : l'existence d'un objet mathéma-
tique repose sur sa constructibilité géométrique. Dans une axiomatique moderne, les
règles sont souvent évoquées et parfois formalisées mais sont utilisés dans un cadre
naïf pour élaborer les preuves.
Enn, une dernière diérence se fait jour concernant les objectifs de l'axioma-
tique euclidienne et d'une axiomatique moderne. Pour les Grecs, l'axiomatisation
de la géométrie poursuit un objectif fondationnel : celui de proposer des fondements
rigoureux avec une théorie axiomatique consistante et une méthodologie basée sur
la déduction logique. L'axiomatique moderne revisite l'objectif fondationnel grec et
l'enrichit en achant un but abstractionnel , en tant que catalyseur de l'émer-
gence d'objets mathématiques abstraits (groupes, anneaux, modules etc ...).
Ci-dessous se trouve un tableau résumant les diérences entre l'axiomatique
euclidienne et l'axiomatique moderne, tableau dans lequel dénissable (?) signie
potentiellement dénissable et démontrable (?) potentiellement démontrable :
96 Éléments relatifs à l'histoire et l'épistémologie de la notion d'application
linéaire
Conclusion du chapitre 2
L'analyse épistémologique que nous venons de mener nous a permis d'isoler des
obstacles voire des ruptures qui peuvent être sources de diculté pour les étudiants.
Ainsi, il nous semble que nous avons donné à voir que la notion de fonction dans sa
dénition ensembliste ou logique du XXème siècle constitue une profonde rupture
épistémologique. Les fonctions y apparaissent comme des éléments d'ensembles ou
classes et passent donc progressivement d'un statut d'outil à un statut d'objet, au
sein de cadres ou domaines d'intervention multiples.
Concernant le lien entre application linéaire et l'émergence de l'algèbre linéaire en
tant que domaine des mathématiques, il nous semble que nous pouvons postuler la
centralité de cette relation. En eet, les travaux de Banach, qui institutionnalisent
la notion d'espace vectoriel, sont motivés pour proposer un cadre général à ses
résultats sur les formes linéaires. Mais nous avons également vu que l'émergence
de la notion d'application linéaire comme objet mathématique institutionnalisé est
associée aux travaux algébriques de N÷ther (1929) et Van der Waerden(1930), et
leur adaptation, voire leur transposition au sens didactique2.31, dans les ouvrages
de Mac Duee (1943) et de Halmos (1942). Ainsi, alors que les cadres ou domaines
d'intervention peuvent être fonctionnels, lié aux systèmes linéaires ou géométriques,
c'est sous une forme algébrique en tant que cas particulier de module sur un corps,
que la notion d'espace vectoriel se cristallise dans les années 1930.
Par ailleurs, les représentations sémiotiques des objets, sous forme de matrices et
ou d'applications bilinéaires par exemple, jouent un rôle essentiel. Les dicultés
liées aux matrices innies constituent d'ailleurs un obstacle possible entre registre
matriciel et registre algébrique générique. Nous avons pu alors souligner un aspect
2.31. Comme nous l'avons souligné, ces deux ouvrages sont le fruit d'une réexion didactique de leurs
auteurs.
Conclusion du chapitre 2 97
2.32. Ici formelle est à prendre au sens peircéien du terme, en lien avec la forme du signe, son aspect
extérieur .
2.33. Nous rejoignons en ce sens Rogalski : Ce type de formalisation ne fait pas perdre le sens
des objets mathématiques manipulés, bien que ce soit un reproche qui lui a été fait (...). Il y a là création
d'un sens nouveau, à un niveau supérieur (...) (Rogalski, 2012, p. 508)
2.34. Cette réexion est à mettre en relation avec ce que conclut Gueudet dans sa partie épistémolo-
gique : Les recherches des mathématiciens dont le point de départ était de nature géométrique, comme
Hamilton, Grassmann et Peano étaient soutenus par des projets philosophiques qui ont permis à chacun
de ces auteurs de dépasser les limites du modèle géométrique qu'il employait (...). (Gueudet, 2000, p. 89)
Chapitre 3
Présentation des cadres théoriques et
méthodologie
Nous avons déjà précisé la complexité des notions mathématiques abordées et des
raisonnements à analyser. La citation précédente, en rappelant la complexité d'une
situation d'enseignement de mathématiques, envisage deux approches théoriques
pour mener une recherche didactique. Dans ce chapitre, nous explicitons les outils
et cadres théoriques spéciques à notre problématique, en montrant comment ils
tiennent compte de toutes les complexités soulignées ci-dessus avant de les utiliser
concrètement lors de l'analyse eective de raisonnements menée dans la partie expé-
rimentale.
Ainsi, au cours de ce chapitre, nous précisons notre questionnement initial en
le situant dans des cadres didactiques théoriques pertinents, cadres dont nous jus-
tions la pertinence compte-tenu des questions de recherche objets de notre étude.
Notre travail est initié par un objectif didactique, comprendre comment les étudiants
appréhendent certaines notions d'algèbre linéaire. Or, the notion of mathematical
understanding is meaningless without a serious emphasis on reasoning (Ball &
Bass, 2003, p. 28). Nous postulons donc que le raisonnement produit par un étudiant
est un marqueur de sa compréhension des notions mathématiques convoquées en
situation. L'analyse des fonctions et des formes des raisonnements ainsi que leur
place dans l'activité mathématique devrait donc nous permettre de comprendre les
dicultés auxquelles l'étudiant est confronté en situation. Le but de notre analyse
du raisonnement sera alors d'identier, au travers de la mise en situations réelles,
les savoirs et connaissances mobilisés lors de la production du raisonnement, de
déterminer à quel moment les étudiants rencontrent des dicultés et la nature de
celles-ci, puis de mesurer le contrôle qu'ils en ont.
99
100 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Ces dicultés rencontrées en situation réelle par un étudiant peuvent être dues
aux savoirs eux-mêmes, à leur enseignement, c'est à dire aux choix faits pour ensei-
gner les notions relatives à ces savoirs, ou à l'usage valide ou erronée que l'étudiant
fait des connaissances dont il dispose. Le travail épistémologique eectue dans le
chapitre précédent nous permet d'anticiper de possibles dicultés intrinsèques au
savoir lui-même grâce, entre autres, aux notions de rupture et d'obstacle épisté-
mologique. Nous devons donc utiliser des cadres théoriques an de discriminer les
dicultés propres à l'étudiant de celles relevant plutôt de l'institution. L'analyse
selon la Théorie des Situations Didactiques (TSD), en portant la focale sur la notion
de situation, rend visibles les raisonnements eectivement produits et propose alors
un cadre favorable à l'analyse mathématique et didactique de situations réelles. De
plus, de par son ancrage fortement épistémologique, la TSD s'avère également être
un outil structurant et ecace pour la conception et l'analyse de situations expéri-
mentales. Analyser un raisonnement, déterminer ses fonctions an de le catégoriser
nécessite que l'on détermine et étudie les observables qui le traduisent. La sémiotique
peircéienne, qui partage avec la TSD un ancrage épistémologique fort, permet de
mener une analyse locale de ces signes. Ainsi, à l'aide en particulier de la notion de
structuration de milieu propre à la TSD et de l'utilisation de la sémiotique triadique
de Peirce, nous pourrons saisir le raisonnement comme un processus dynamique tout
en précisant les contenus sur lesquels ce processus porte. Nous décrirons et enrichi-
rons alors le modèle de Bloch & Gibel (2011) utilisé dans la partie expérimentale
pour conduire ces analyses du raisonnement. Puis, en nous appuyant sur l'algébrisa-
tion de la sémiotique triadique de Marty, nous développerons un outil théorique de
schématisation d'analyse des classes de signes apparaissant dans un raisonnement.
Par ailleurs, les raisonnements et signes produits en situation par un étudiant ne
peuvent être analysés qu'en s'appuyant sur des savoirs et connaissances élaborés par
confrontation aux institutions auxquelles l'étudiant appartient. Nos travaux por-
tent sur l'enseignement de notions d'algèbre linéaire dans le cadre d'une institution
particulière de l'enseignement supérieur français, celle des classes préparatoires aux
grandes écoles. Pour mieux cerner ce que recouvrent les savoirs auxquels un étudiant
a réellement accès, et donc les raisonnements qu'il peut eectivement produire,
le rôle de l'institution apparaît comme central. La Théorie Anthropologique du
Didactique (TAD), avec en particulier les notions d'organisation mathématique et
de contrat didactique, semble pertinente pour aborder cette partie institutionnelle
de nos travaux.
Comme nous l'avons écrit, nos travaux de recherche se situent en Classes Prépara-
toires aux Grandes Écoles (CPGE). Dans un premier temps, en suivant les travaux
de Farah (2015), nous proposons un bref survol3.1 de cette institution de l'enseigne-
3.1. Pour une discussion plus détaillée de cette institution, nous renvoyons le lecteur à Farah (2015).
Des statistiques concernant cette institution y sont proposés.
1 Niveau et contexte d'enseignement 101
ment supérieur français. Puis, en nous appuyant sur les travaux de Castela (2004,
2011) nous comparons le rapport des étudiants de CPGE et ceux de Licence d'Uni-
versité au savoir et à la pratique mathématique. Enn, nous décrivons rapidement
les interrogations orales, qui constituent notre contexte de recherche et d'expérimen-
tation.
Parmi ces institutions, l'Université et les CPGE sont deux formations non pro-
fessionnalisantes, donc plutôt généralistes, dans lesquelles les mathématiques sont
enseignées. Les Classes Préparatoires aux Grandes Écoles (C.P.G.E.) sont accessi-
bles après le baccalauréat à la condition que le dossier du lycéen candidat soit validé
par l'équipe pédagogique de l'établissement auquel il postule. Ces Classes Prépa-
ratoires, situées dans des lycées, proposent une formation sur deux ans, ce qui corres-
pond aux deux premières années L1 et L2 du LMD3.2 de la Licence Universitaire.
L'un des objectifs des CPGE est de préparer leurs étudiants aux concours sélec-
tifs permettant d'intégrer une Grande École scientique, économique et commerciale
ou littéraire. Les CPGE sont donc divisées en lière. Nous ne nous intéressons
ici qu'à certaines d'entre elles, réservées aux bacheliers scientiques : ECS, la
lière qui prépare aux écoles économiques et commerciales ; PCSI en première année
puis PC en seconde année, une lière qui prépare aux écoles d'ingénieur à domi-
nante physico-chimiste ; BCPST, la lière qui prépare aux écoles vétérinaires et
d'ingénieur agronomique. Concernant les horaires obligatoires,
dans la filière ECS, les étudiants de première et seconde année ont 9h de
mathématiques (7h de cours, 2h de Travaux Dirigés) pour 32h de cours heb-
domadaires3.3
dans la lière BCPST, les étudiants de première année ont 8h de mathématiques
(5h de cours, 3h de Travaux Dirigés) pour 31,5h de cours et ceux de seconde
année ont 7h de mathématiques (5h de cours, 2h de Travaux Dirigés) pour 33h
de cours hebdomadaires
dans la lière PCSI-PC, les étudiants de première année (PCSI) ont 10h de
mathématiques (7h de cours, 3h de Travaux Dirigés) pour 34h de cours hebdoma-
daires3.4 et ceux de seconde année (PC) ont 9h de mathématiques (6h de cours,
3h de Travaux Dirigés) pour 33,5h de cours hebdomadaires
À ces heures de cours s'ajoutent des évaluations écrites et orales obligatoires dans
plusieurs disciplines dont les mathématiques nécessitant un travail de préparation
signicatif de la part des étudiants en plus des heures de cours (Farah, 2015, p.
31). Pour les évaluations écrites, il s'agit de Devoirs Surveillés3.5 (DS) réguliers, de
Devoirs en Temps Libre (DM), d'éventuelles interrogations courtes et ponctuelles3.6.
Les évaluations orales ont lieu à travers des interrogations orales, nommés tradition-
nellement colles ou khôlles. Les interrogations orales constituent le cadre dans lequel
s'est déroulé notre travail de recherche et notre expérimentation. Nous reviendrons
plus tard sur cette forme d'évaluation, en précisant notamment son aspect institu-
tionnel à travers les textes réglementaires et les pratiques qui la régissent.
3.3. hors informatique dont le statut est particulier : l'informatique est intégrée à l'emploi du temps
étudiant mais pas à l'OS enseignant.
3.4. Il convient ici de préciser que les étudiants de PCSI s'orientant vers la lière PC ont en fait 32h
de cours hebdomadaires au second semestre alors que ceux ayant choisi la lière PSI ont toujours 34h de
cours hebdomadaires.
3.5. Dans chacune des lières, les devoirs surveillés (DS) durent en général 4h, ce qui correspond à la
durée des épreuves de concours, à quelques variantes près.
3.6. Ces interrogations courtes évaluent (sont censées évaluer) le plus souvent un apprentissage du
cours (théorème, propriétés, démonstrations exigées) et concernent principalement les étudiants de pre-
mière année.
1 Niveau et contexte d'enseignement 103
Les classes préparatoires favorisent plus que l'université la construction par les
étudiants des connaissances praxéologiques, notamment la technologie pratique,
qui jouent un rôle important dans les épreuves écrites du CAPES (Castela, 2011,
p. 79)
Castela mène une étude comparative sur le travail personnel des étudiants de
CPGE et de Licence d'Université. En s'appuyant sur une analyse des données obte-
nues, Castela conclut que
relativement aux savoirs théoriques, l'apprentissage du cours est un enjeu qui
est plus mis en avant par la population universitaire que par les élèves de la classe
préparatoire (Castela, 2011, p. 84) et cette auteure propose une interprétation
de ce phénomène comme l'expression d'une diérence dans le rapport des
deux institutions au savoir mathématique (Castela, 2011, p. 84). En classes
préparatoires pour ingénieurs, le savoir mathématique est envisagé dans une
perspective d'application aux autres disciplines scientiques. En conséquence,
la classe de mathématiques oriente l'attention vers la résolution de problèmes3.7.
Notons que ce phénomène d'orientation vers la résolution de problèmes est aussi
présent en ECS, lière pour laquelle il n'y a pourtant pas de discipline cliente
aux mathématiques. Nous proposons ci-dessous une explication possible à ce
phénomène. Par ailleurs, à l'université, les enseignants sont pour la plupart des
chercheurs en mathématiques pour lesquels le savoir savant a un intérêt en
soi (Castela, 2011, p. 84). Pour Castela, cette diérence quant au rapport aux
savoirs théoriques est liée à une autre et importante distinction institutionnelle
entre CPGE et Licence d'Université : en CPGE, il n'y a qu'un seul enseignant res-
ponsable des cours et des travaux dirigés alors qu'à l'Université, cours magistraux
et travaux dirigés sont assurés par des enseignants de statuts diérenciés. Elle
rejoint en cela Winslow (2007) lorsqu'il écrit concernant la transition secondaire-
supérieur au niveau de l'Université et dans le cadre de la théorie anthropologique
du didactique
3.7. Nous entendons ici problème au sens donné par Brun : Un problème est généralement déni
comme une situation initiale, avec un but à atteindre , demandant au sujet d'élaborer une suite d'actions
ou d'opérations pour atteindre ce but. Il n'y a problème, dans un rapport sujet/situation, que si la solution
n'est pas disponible d'emblée, mais possible à construire. (Brun, 1990).
104 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
l'existence pour les concours d'un programme annuel unique qui impose
un travail à plus long terme et qui élargit le champ des problèmes susceptibles
d'être posés ainsi que le domaine des connaissances potentiellement en jeu
dans une épreuve. Au cours de l'année, l'enseignant n'est pas soumis à la
contrainte du taux de réussite puisque celle-ci ne se mesurera qu'en n de
cycle par le succès à des épreuves dont il ne maîtrise aucunement l'élaboration.
Enn, fait exceptionnel dans le système éducatif français, les notes obtenues
n'ont pas véritablement d'importance, seul compte le classement des élèves, y
compris dans l'année. (Castela, 2011, p. 90)
De leur côté, à cause de différentes contraintes qui pèsent sur les ensei-
gnants3.8, les examens de Licence d'Université sont proches des exercices abordés
en TD (Castela, 2011). À partir de ces constats, Castela envisage trois styles de
travail des exercices. Un style orienté vers la reproduction des exercices rencon-
trés en TD, plus présent chez les étudiants d'Université et qui tend à montrer que
la nature des évaluations permettrait que les formes de l'étude ecaces au lycée
continuent à assurer la réussite à l'université. (Castela, 2011, p. 90). Un second
style, dit d'entraînement, qui repose sur la conviction que les progrès en mathé-
matiques résultent d'un entraînement à partir de la résolution d'une quantité
importante d'exercices. Ce style, complété par un apprentissage du cours, reste
souvent détaché d'une réexion sur la pratique (Farah, 2015, p. 109). En CPGE,
les énoncés de concours ne sont pas réduits à des transpositions plus ou moins
directes d'exercices classiques (Castela, 2011, p.90). Castela postule l'existence
d'un rapport stratégique (Castela, 2011, p. 91) des étudiants de CPGE quant
3.8. Nous renvoyons le lecteur à Castela (2001, p. 89-90) pour une explication plus détaillée de ces
contraintes.
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 105
Enn, les interrogations orales évoquées plus haut constituent une autre dif-
férence entre les deux formations. Comme nous l'avons écrit, nous détaillerons ce
type d'évaluation dans la partie expérimentale de nos travaux. Nous y soulignerons
notamment le lien avec le travail personnel des étudiants et en quoi elles peuvent
constituer un moment d'institutionnalisation des savoirs-pratiques au sens de Cas-
tela (2011).
En nous appuyant sur les quelques travaux concernant les CPGE, nous venons
de planter le décor institutionnel dans lequel nous avons mené nos recherches. Nous
souhaitons en particulier analyser des raisonnements produits par les étudiants en
situation d'interrogation orale.
L'un des objectifs à l'origine de nos travaux est de mesurer la compréhension mathé-
matique qu'ont les étudiants des objets qu'ils manipulent. Nous avons aussi écrit
que les raisonnements nous semblent constituer des observables sur lesquels baser
notre étude. Nous souhaitons donc disposer d'un cadre permettant d'appréhender
cette relation aux objets mathématiques au travers d'une analyse des raisonnements
produits. À l'instar de Bloch et Gibel (2011), nous postulons que la Théorie des
Situations Didactiques (TSD) fournit un cadre premier pour notre étude. La notion
de structuration de milieux couplée à celle de situations emboîtées devrait permettre
de coller à l'aspect dynamique de l'évolution des fonctions des raisonnements et
des confrontations énoncés/représentations qui ont lieu au cours d'une interrogation
orale.
106 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
force est de constater qu'il n'existe encore aucun modèle permettant de clarier
ce qu'est le raisonnement en mathématique qui permettrait aux enseignantes et
enseignants de mathématiques de mieux comprendre comment s'articulent les
diérents raisonnements en mathématique. (Jeanotte, 2009, p. 1183)
Brousseau et Gibel (2005) puis Gibel (2015) s'appuient sur une dénition générale3.9
de la notion de raisonnement proposée par Oléron
3.9. Il est intéressant d'insister sur l'aspect général de la dénition proposée pour laquelle le raisonne-
ment n'est pas restreint au domaine mathématique. D'ailleurs, dans sa thèse intitulée Les raisonnements à
l'÷uvre dans la conception de business models innovants, Meyer Haggège (2006) choisit comme dénition
de raisonnement celle proposée par Oléron et reprise par Gibel.
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 107
Une situation peut expliquer pourquoi un raisonnement faux a été produit par
d'autres causes qu'une erreur ou une insusance du sujet (Gibel, 2015, p. 3)
Dans les analyses didactiques que nous mènerons dans la partie expérimentale,
nous devrons identier les raisonnements produits par les étudiants et ceux, appelés
moyens, produits par le professeur lors de ses interventions dans la situation. Nous
allons adapter à notre étude la méthodologie proposée par Gibel (2008) et Gibel
et Brousseau (2005)
identier des observables produits par l'étudiant ou par le professeur, en inter-
action l'un avec l'autre ;
établir une relation rationnelle, matérialisée ou hypothétique, entre ces obser-
vables. L'expression de cette relation fera appel aux notions propres au cadre
didactique dans lequel le chercheur travaille ;
préciser,
dans le cas d'une relation rationnelle matérialisée, lequel entre le professeur
et l'étudiant, est l'actant à l'origine de l'établissement de cette relation ;
dans le cas d'une relation rationnelle hypothétique, sa validité, au sens proba-
biliste du terme : en s'appuyant sur d'autres signes, cette hypothèse apparaît
comme la moins improbable des relations rationnelles.
Tout comme chez Gibel, il nous semble important de rappeler que
Nous excluons donc de nos analyses expérimentales les situations de simple res-
titution ou citations de connaissances. Il apparaît également qu'un raisonnement
est alors déterminé par sa fonction dans une situation. Ainsi, dans le cadre de la
théorie des situations didactiques que nous détaillons plus bas,
dans les situations adidactiques (ou à dimension adidactique), un raisonnement
est produit par un étudiant (ou un groupe d'étudiants)
an de justier une décision dans une situation d'action ;
an de préciser formellement ou empiriquement une information dans une
situation de formulation ;
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 109
Les raisonnements mathématiques étudiés dans nos travaux reposent sur la notion
d'inférence où par inférence nous entendons de manière large toute opération par
laquelle une proposition dont la vérité n'est pas admise directement est acceptée
en vertu de sa relation avec d'autres propositions. Nous avons également souligné
l'importance de distinguer un raisonnement d'une simple citation. Nous avons
aussi vu qu'une décision d'action peut être justiée par un raisonnement, raisonne-
ment qui peut alors se manifester sous la forme d'une activité de calcul au sens large
ou d'une déclaration.
En s'appuyant sur ces remarques, Gibel propose la formalisation suivante de raison-
nement : un raisonnement est un triplet (P ; C ; R) où
P et C sont des signes3.10 et
R une relation qui conduit l'actant, dans la condition initiale P à conclure C.
Plus précisément, P , appelé prémisses, désigne un énoncé, une condition, une asser-
tion, un fait observé, tous supposés vrais. C, appelé conclusion, désigne une nouvelle
assertion, une décision, un fait, une action. Ainsi, dans les conditions P , la relation R
conduit l'actant suivant la nature de C à énoncer l'assertion C, à prendre la décision
C, à prévoir le fait C. R est un élément de l'ensemble R des relations rationnelles
liant P à C.
3.10. Nous entendons ici signes au sens peircéien, que nous dénissons plus bas.
110 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Pour que le raisonnement soit un raisonnement eectif, il faut de plus qu'un actant
E ait un projet3.11, c'est à dire un but au sens d'Oléron (1977), déterminé par une
situation dont la réalisation exige l'utilisation par E d'un élément R de R. Ainsi,
dans le cas d'un raisonnement eectif, an de réaliser le projet déterminé par la
situation, l'actant E infère la conclusion C des prémisses P via la relation R.
Nous venons de voir que les raisonnements dépendent des situations dans lesquels ils
sont produits. Dans les dispositifs didactiques objets d'étude, ces situations peuvent
apparaître comme emboîtées : les actions menées par l'étudiant donnent lieu à
des formulations ou des validations, nécessitant à leur tour de nouvelles actions et
décisions d'action. Nous explicitons plus bas cette notion de situations emboîtées
dont la dénition repose sur le concept de schéma de la structuration du milieu
décrit dans le cadre de la TSD. Nous décrivons donc ce cadre théorique dans la
section suivante en montrant en quoi il rend visible les raisonnements eectivement
produits. Nous y préciserons, en lien avec la notion centrale de raisonnement, les
notions de situation, de répertoire didactique et de système organisateur an d'étu-
dier précisément le fonctionnement des connaissances et des savoirs. Puis, nous
serons également conduits à expliciter dans le cadre de notre étude la structuration
de milieu puis celle de contrat didactique, de dévolution et d'institutionnalisation.
3.11. Nous verrons plus loin la notion de raisonnement diagrammatique de Peirce, pour qui le raison-
nement mathématique est interprété comme parcours d'un diagramme (en tant que type et non token) :
ce voyage au sein du diagramme pourrait être assimilé à un projet.
3.12. Nous retrouvons ici une première rupture, dite paradigmatique, concernant la didactique.
En eet, pour Brousseau, l'élaboration du projet d'enseignement dépend des spécicités du contenu à
enseigner. Alors que l'approche classique de la didactique avait pour objet d'étude la transmission
et l'acquisition de notions mathématiques données (Bosch, Chevallard, 1999, p. 2) et restait cantonnée
aux institutions d'enseignement, Brousseau met en avant la modélisation de l'activité mathématique dans
son ensemble. D'ailleurs, Brousseau situe plus globalement la didactique des mathématiques dans le
cadre d'une science des conditions de la production et de la diusion des savoirs utiles aux sociétés
et aux aaires des hommes (Brousseau, 1995, p. 4).
3.13. Nous retrouvons ici la seconde rupture, dite expérimentale, de la didactique. On parle d'ailleurs
d'épistémologie expérimentale. La didactique des mathématiques nécessite donc des études expérimentales
an d'élaborer des aménagements (voire des améliorations) adaptés au contenu disciplinaire et au niveau
d'enseignement.
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 111
Autrement dit, une situation mathématique est une mise en relation de diérents
objets mathématiques, dans un registre textuel (oral ou écrit) ou graphique, et qui
se présente le plus souvent sous forme de problèmes ou de théorèmes. À la rencontre
d'une situation mathématique et d'une intention (explicite ou implicite) d'enseigner
se situe pour Brousseau la notion de situation didactique
Une situation didactique est une situation décrivant les relations pertinentes
d'un étudiant et d'un enseignant au sein d'un milieu mobilisé par l'enseignant dans
le but de permettre à l'étudiant de s'approprier un savoir déterminé. (Brousseau,
glossaire)
Ainsi, une situation adidactique est une situation organisée par l'enseignant (et
donc à nalité didactique) dans laquelle le sujet agit comme si la situation était non
didactique en répondant indépendamment des attentes putatives de l'enseignant : la
situation adidactique permet un glissement de responsabilité par rapport au savoir,
de l'enseignant vers l'élève. L'élève devient alors responsable de son rapport au
savoir : le savoir autour duquel est centré la situation devient donc le problème de
l'étudiant par un processus dit de dévolution introduit plus haut
Une dévolution est un processus par lequel l'enseignant parvient, dans une
situation didactique, à placer l'étudiant comme simple actant d'une situation adi-
dactique. (Brousseau, glossaire)
3.15. On peut aussi dénir la notion de situation adidactique en lien avec celle de situation non
didactique. Si on dit qu'une situation est non didactique lorsque le milieu ne comprend aucun agent
intervenant au cours du temps qui permette à l'étudiant d'acquérir une connaissance indéterminée, alors
Bloch écrit qu'une situation adidactique est une situation d'enseignement qui apparaît à l'élève comme
une situation non didactique sur une période de temps susante.
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 113
Pour qu'il y ait dévolution, l'enseignant doit proposer à l'étudiant une situa-
tion au cours de laquelle ce dernier puisse se libérer des motivations didactiques et
arrive à prendre ses propres décisions : l'action de l'étudiant ne doit être produite et
justiée que par les nécessités du milieu et par ses connaissances an qu'il se sente
responsable de l'obtention de ses énoncés propres. Les situations adidactiques sont
des situations rares dans l'enseignement3.16
In ordinary teaching, actual adidactic situations are rare, but one can observe
situations that have some adidactic potential. (Hersant, Perrin-Glorian, 2005, p.
117)
3.16. Pour qu'une situation contienne une partie d'adidacticité, il semble nécessaire que : la réponse
initiale, basée sur les connaissances antérieures de l'élève, ne soit pas celle que l'on veut enseigner ; l'élève
soit contraint de procéder à des accommodations et des modications de ses connaissances antérieures,
autrement dit l'élève doit pouvoir choisir entre plusieurs stratégies et recommencer ; le savoir visé est
nécessaire pour passer d'une stratégie de base à une stratégie optimale ; la situation ait une nalité
identiable indépendamment du savoir visé, autrement dit, qu'il existe un milieu de validation lié à la
nalité de la situation qui permette des rétroactions.
3.17. Brousseau distingue la connaissance supposée de l'actant dans le cas où elle a une forme de
déclaration, et il parle alors de théorème en acte, du cas où elle a une forme procédurale, qu'il appelle
schème d'action.
114 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
action
Milieu Sujet
Enseignant
rétroaction
Savoir
Contrat didactique
3.18. On peut d'ailleurs penser qu'une situation ne peut être que théoriquement adidactique.
3.19. Il nous semble intéressant de distinguer les notions de situation à dimension adidactiques de
celles potentiellement adidactiques. En eet, alors que dans la première l'analyse a priori assure l'existence
d'une composante adidactique au sein de la situation, dans la seconde il n'y a que possibilité d'adidacticité.
Cette note nous permet aussi d'insister, s'il est nécessaire, sur l'importance de mener une analyse a priori
la plus complète possible, tant sur le plan mathématique que didactique.
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 115
le registre des formules qui correspond aux énoncés produits par l'institutionna-
lisation ;
3.20. On verra plus loin que Castela (Castela, 2008) inclut les savoirs pratiques dans le terme
moyens .
3.21. Nous verrons que dans le cadre de la sémiotique de Peirce, ce répertoire didactique initial de
l'étudiant peut être assimilé au ground sémiotique.
116 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Le schéma ci-dessous, d'après Gibel et Ennassef (2012, p. 7), illustre cette modé-
lisation du fonctionnement dynamique du répertoire didactique de l'étudiant en
situation d'apprentissage à dimension adidactique
Répertoire
de décision
Répertoire de Répertoire
représentation d'action
Au cours de notre partie expérimentale, nous nous appuyons sur deux étapes
didactiques chronologiquement distinctes. Ces étapes s'apparentent aux moments
développés dans le cadre de l'analyse des modèles de milieux proposé par Isabelle
Bloch lors de la XIème école d'été de didactique des mathématiques (Bloch, 2002).
Par ailleurs, la notion de milieu semble essentielle pour pouvoir isoler le poten-
tiel adidactique d'une situation
the concept of milieu makes it possible to account for the potential of adidactic
work in the situation. (Hersant, Perrin-Glorian, 2005, p. 117)
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 117
Nous nous appuyons sur le modèle de structuration de milieu tel que modié par
Margolinas (1995, 1998) puis adapté par Bloch (1999, 2001) pour une meilleure prise
en compte du milieu du professeur et par Castela (2004) pour celui de l'étudiant aux
niveaux surdidactiques. En concaténant leurs résultats, nous obtenons le tableau de
structuration du milieu suivant
Les niveaux de milieu de M¡3 à M¡1 sont dits niveaux adidactique, le niveau de
milieu M0 est dit niveau didactique et les niveaux de milieu M+1 à M+3 sont qualiés
de niveau surdidactique. À l'aide de ce modèle, nous comprenons la dynamique
des emboîtements des situations, dynamique en lien avec celle de l'évolution du
répertoire de représentation. Gibel insiste sur cet aspect vivant de l'apprentissage
et souligne à nouveau ce que permet ce modèle
Ce modèle permet ainsi de
¡ représenter des déroulements eectifs de leçons ;
118 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
3.22. Nous renvoyons à Gibel (2008) pour une schématisation plus détaillée de chacun des niveaux de
milieu.
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 119
3.23. Dans le cadre de l'analyse a priori, cette lecture ascendante correspondra dans la partie expéri-
mentale à une analyse côté étudiant et une lecture descendante à une analyse côté enseignant.
120 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Dans les problèmes posés en interrogation orale dans la partie expérimentale, les
étudiants seront amenés à faire des choix : on observera d'ailleurs diérentes formes
de raisonnement. Gibel envisage dans ce cas, qu'à ce niveau de milieu, le sujet
eectue à la demande de l'enseignant une communication inhérente à ses actions
(Gibel, 2008, p. 23) et modélise cette communication
Gibel distingue diérents critères auxquels l'étudiant peut se référer lors de cette
communication inhérente aux actions menées
Cette prise de position nécessite de la part des élèves une capacité à analyser
les productions en fonction de diérents critères
¡ la pertinence : ce dont l'élève parle est réalisé dans la situation qui lui a été
dévolue ;
¡ l'adéquation : la procédure mise en ÷uvre permet d'obtenir la solution ;
¡ la complexité : le nombre de pas du raisonnement produit ;
¡ la consistance : ce n'est pas contradictoire avec ce qui a été institutionnalisé
précédemment, c'est-à-dire avec le répertoire de connaissances de la classe ;
¡ la validité : consistance et adéquation. L'élève utilise ses connaissances confor-
mément aux règles d'usage du répertoire didactique pour réaliser l'attendu.
(Gibel, 2008, p. 23-24)
C'est au cours de cette situation de référence S¡2 que les premiers observables sont
produits avec l'étudiant E¡2 en situation d'action.
Ainsi, la réexion de l'étudiant apprenant E¡1 sur ses actions sur les objets,
actions soumises à des conditions, se situe à un deuxième niveau par rapport
à l'analyse de ses actions sur les objets (Gibel, 2008, p. 26). Avec une prise
de conscience des décisions sur lesquelles reposent ses actions, E¡1, dans son rôle
d'apprenant formulateur, produit des signes dont il doit pouvoir questionner la
validité. En prenant en considération le domaine de validité du raisonnement formulé
produit, E¡1 entre ensuite, de façon autonome mais sous le contrôle du professeur
régulateur P¡1, dans une situation d'argumentation et de preuve : E¡1 est alors
étudiant apprenant validateur. Après avoir produit un raisonnement E¡1 prend
conscience des conditionnements de fonctionnement des connaissances sur les-
quelles s'appuie son raisonnement (Gibel, 2008, p. 28). Notons que Castela (2011)
parle de E¡1 comme étudiant résolveur de problèmes en situation de résolution de
problèmes S¡1. Néanmoins, les fonctions de formulation et de validation des raison-
nements produits par l'étudiant à ce niveau de milieu nous semblent caractériser E¡1.
122 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
3.24. Cette exigence est implicite dans le contrat didactique associé à une interrogation orale.
3.25. Il est très fréquent que les étudiants viennent nous voir à la n d'un cycle d'interrogations orales
pour relier leur exercice à ceux abordés en TD dans la classe ou le plus souvent, à ceux qu'ils rencontrent
dans les annales de concours.
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 123
3.26. Nous renvoyons le lecteur à Perrin-Glorian (Perrin-Glorian, 1999) pour une discussion sur le lien
entre milieu et discours méta.
3.27. On retrouve ici un doute formulé par Castela : Les positions E1 et E2 étant dénies, on peut se
demander s'il y a une quelconque légitimité à les situer aux mêmes niveaux 1 et 2 que les situations de Projet
et de Construction du Professeur. En toute rigueur, je n'en suis pas certaine (...) (Castela, 2011, p. 63)
124 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
The contract: the teacher is obliged to teach, and the pupil is obliged to learn.
[...] For the persons involved, the contract is mainly implicit and it cannot be
negotiated. Hence teacher and pupil are all the time busy inventing ever new
forms of behaviour and interaction, which they hope to be in accordance with
the contract, being either interpretations of it, or tolerable evasions. Neither of
the two parties is able to completely control the contract, nor may it be ignored.
(Brousseau, Otte, 1991, p. 18)
(...) le cours synthèse interactif est aussi caractérisé par une institutionna-
lisation très diluée tout au long de l'enseignement et eectuée uniquement au
moment de la correction d'exercices (Hersant, 2004, p. 137 en particulier) : il n'y
2 Raisonnement et Théorie des Situations Didactiques 125
Nous devrons discuter chacune de ces quatre conditions lors d'une situation d'inter-
rogation orale. En particulier, la condition d' usage , adaptée pour un enseignant
d'une classe, doit être modiée pour une interrogation orale, l'enseignant interroga-
teur ne revoyant pas forcément plus tard le groupe interrogé.
Les notions de milieu et de contrat didactique apparaissent donc comme deux ver-
sants complémentaires de la situation didactique (Hersant, Perrin-Glorian, 2003).
À travers le prisme du contrat didactique, nous devrions pouvoir observer les rai-
sonnements produits lors du travail des étudiants ainsi que le travail de l'enseignant.
Mais, comme nous venons de le voir avec l'institutionnalisation, il nous faudra
préciser au préalable quel est le contrat didactique implicite liant l'enseignant inter-
rogateur à l'étudiant en tant que membre du groupe d'interrogation lors de notre
expérimentation en interrogation orale.
Nous venons de voir en quoi la TSD constitue un cadre premier pour l'analyse des
fonctions du raisonnement dans les niveaux de milieux. Mais an d'obtenir une
catégorisation de ces raisonnements, il nous faudra compléter ce cadre par des outils
d'analyse locale, et en particulier par une analyse des signes formels et langagiers
qui les soutiennent. La sémiotique peircéienne, qui partage de plus avec la TSD un
fort ancrage épistémologique, nous semble orir les éléments nécessaires et adéquats
à ces analyses locales.
Dans la section suivante constitués des éléments indispensables à notre étude sémio-
tique, nous rappelons les notions de phanéroscopie et de sémiose au sens de Peirce.
Puis, nous revenons sur la trichotomie des instances du signe et les relations entre
les classes de signe. Enn, nous revisitons la notion de répertoire didactique à l'aide
de celle de ground sémiotique.
3. Sémiotique de Peirce
En lien avec ces représentations3.28, Duval insiste sur leur évolution et leurs trans-
formations comme moteur du symbolisme mathématique. Il souligne leur fonction
majeure pour faire des mathématiques , résoudre des problèmes
3.28. Nous soulignons ici le lien avec la notion d'ostensif au sens de Chevallard (2007) et de sinsigne
de Peirce.
3 Sémiotique de Peirce 127
3.1.1. Phanéroscopie
Afin d'exclure toute dimension psychologique à la notion philosophique d'idée,
Peirce introduit la notion de phanéron
3.29. http://www.commens.org/
128 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
English philosophers have quite commonly used the word idea in a sense
approaching to that which I give to phaneron. But in various ways they have
restricted the meaning of it too much to cover my conception (if conception it
can be called), besides giving a psychological connotation to their word which
I am careful to exclude. (Peirce, C. S. (1904 [c.]), CP 1.285)
Ainsi, chez Peirce, phanéron est synonyme de phénomène : c'est ce qui est pré-
sent à un esprit, ici et maintenant, qu'il s'agisse de quelque chose de réel ou non.
La phanéroscopie est l'étude du phanéron, autrement dit la phanéroscopie est la
description de ce qui est devant l'esprit ou la conscience, tel qu'il apparaît
Phaneroscopy is the description of the phaneron; and by the phaneron I mean
the collective total of all that is in any way or in any sense present to the mind,
quite regardless of whether it corresponds to any real thing or not. (Peirce, C. S.
(1905 [c.]), CP 1.284)
3.30. En logique du premier ordre, on formalise les relations précédentes en parlant de prédicat d'arité
1, 2 ou 3 dont l'ordre des éléments est important (et pour lequel on parle de place).
3 Sémiotique de Peirce 129
The First is that whose being is simply in itself, not referring to anything nor
lying behind anything. The Second is that which is what it is by force of something
to which it is second. The Third is that which is what it is owing to things between
which it mediates and which it brings into relation to each other. (Peirce, C. S.
(1887-1888), CP 1.356)
Figure 3.8.
3.31. Cette analogie avec la chimie est revendiquée par Peirce et pourrait expliquer le -scopie, comme
dans spectroscopie.
130 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
détermine les corps élémentaires constitutifs puis les propriétés des corps composés
émergent au regard des propriétés de chaque constituant. Donc, que ce soit en
chimie ou en phanéroscopie, les éléments déterminés le sont uniquement d'après leur
capacité à entrer en relation avec d'autres. On peut alors préciser la dénition de
phanéroscopie : la phanéroscopie est l'étude du phanéron dans le sens où tout pha-
néron est décomposable en trois catégories de phanérons élémentaires qui permettent
de le recomposer par une combinatoire appropriée. (Marty, Glossaire3.32). En
utilisant l'image de la pelure d'oignon de Peirce, procéder à une phanérosocpie, et
donc eectuer la décomposition du phanéron en éléments indécomposables, nécessite
de dégager les qualités, les faits et existants et enn les lois ou concepts dont la
combinaison constitue le phanéron. On constate que la phanéroscopie peut être
obtenue par trois voies indépendantes :
par une réexion a priori sur ce que peuvent être les éléments des phénomènes,
My view is that there are three modes of being. I hold that we can directly
observe them in elements of whatever is at any time before the mind in any
way. They are the being of positive qualitative possibility, the being of actual
fact, and the being of law that will govern facts in the future. (Peirce, C. S.
(1903), CP 1.23)
Figure 3.9.
Cette schématisation donne à voir que les lois régissent/réglementent des faits et
que les faits actualisent des qualités. On note également qu'il existe des faits régis
par aucune loi et qu'il existe des qualités qui ne s'actualisent dans aucun fait. Le
tableau suivant résume ce qui précède
3.32. http://perso.numericable.fr/robert.marty/semiotique/s043.htm
3 Sémiotique de Peirce 131
Nous pouvons souligner qu'à aucun moment nous n'avons accordé au phanéron
une quelconque considération cognitive : la cognition intervient lors du processus
sémiotique que l'on décrit ci-dessous.
Autrement dit,
Un signe (ou representamen) est une chose qui représente une autre chose : son
objet.
Un objet est ce que le signe (ou representamen) représente.
Le representamen, pris en considération par un interprète, a le pouvoir de déclen-
cher un interprétant.
À partir de cette dénition, on peut introduire la notion de processus sémiotique :
But by semiosis I mean, on the contrary, an action, or inuence, which is,
or involves, a cooperation of three subjects, such as a sign, its object, and its
interpretant, this tri-relative inuence not being in any way resolvable into actions
between pairs. (Peirce C. S., (1907), CP 5.484)
Ainsi, un processus sémiotique (ou sémiose) est un rapport triadique entre un
signe ou representamen (noté R), un objet (noté O), représenté par R et un interpré-
tant (noté I), qui met en relation R et O. Un signe est donc signe, n'existe comme
signe, qu'en tant qu'élément du phénomène sémiotique. Il n'est pas signe en vertu
de ses propriétés intrinsèques mais par les médiations qu'il entretient (en tant que
chose qui représente) avec son objet et avec l'interprétant (éventuellement de la
personne). On schématise cette relation triadique sous la forme suivante :
Interprétant (I)
Pour Peirce, la sémiose est donc dénie comme l'interaction entre le represen-
tamen, son objet et son interprétant. Ainsi, quand on dit qu'un signe représente
son objet, on doit comprendre qu'il s'agit ici non d'une relation directe mais d'une
relation médiate : le signe représente l'objet, non sous tous les angles, sous tous les
rapports, mais à travers le ltre de ce que Peirce appelle le ground
A sign, or representamen, is something which stands to somebody for some-
thing in some respect or capacity. It addresses somebody, that is, creates in the
mind of that person an equivalent sign, or perhaps a more developed sign. That
sign which it creates I call the interpretant of the rst sign. The sign stands for
something, its object. It stands for that object, not in all respects, but in reference
to a sort of idea, which I have sometimes called the ground of the representamen'
(Peirce C.S., (1897 [c.]), CP 2.228).
Le ground détermine la façon dont l'objet est visé par le signe, le prol
selon lequel il est atteint dans la représentation (Thibaud, 1983). Le ground a
donc pour fonction fondamentale de faire éclater l'objet en une multitude d'aspects,
d'éclairer l'objet suivant une multitude de facettes : on retrouve ici l'idée que l'objet
n'est tel que s'il est pensé, appréhendé via une multiplicité de cadres et registres
interprétatifs, de référence. Nous détaillons plus bas les liens entre cette notion
fondamentale de ground sémiotique et celle de répertoire didactique.
3 Sémiotique de Peirce 133
Mais avant d'aller plus loin, expliquons en quoi cette dénition de la sémiose est
récursive. Tout d'abord, avant d'être interprété, le signe ou representamen est une
pure potentialité : le representamen se situe ainsi dans la catégorie de la priméité.
Le signe n'a pas la capacité à faire connaître l'objet qu'il représente : il ne peut que
représenter l'objet. De manière caricaturale, le representamen, pris en considération
par un interprète3.35, a le pouvoir de déclencher un interprétant, qui est un represen-
tamen à son tour et renvoie, par l'intermédiaire d'un autre interprétant, au même
objet que le premier representamen, permettant ainsi à ce premier de renvoyer à
l'objet. On peut schématiser ce processus théoriquement inni ainsi
Notons que dans ce schéma, l'objet visé semble être le même dans chaque relation
triadique. C'est une simplication à laquelle nous aurons recours et qui met la
focale sur l'interprétant d'une triade en tant que representamen de la suivante.
Ce processus est théoriquement inni mais l'expérience montre à l'évidence que
l'établissement d'un sens, c'est à dire la détermination de l'objet du signe, se fait en
temps ni (Bruzy et al., 1980, p. 37). Marty, en soulignant que le seul invariant
expérimental de la sémiose est le representamen, parle alors de processus convergent :
à partir d'un certain rang, la suite des interprétants (donc aussi celle des objets)
devient stationnaire, c'est-à-dire qu'interprétants et objets se reproduisent ad in-
nitum identiques à eux-mêmes (Bruzy et al., 1980, p. 38). Marty postule donc
l'existence dans la contingence d'une triade sémiotique limite, à un temps donné,
obtenue à partir d'une triade initiale dont le representamen est xé. Cette triade
expérimentalement limite correspond à l'établissement d'une signication, c'est
à dire la détermination de l'objet d'un signe (au sens du representamen initial)3.36.
Marty en propose la schématisation suivante
Nous avons vu que tout signe n'est signe que par la relation triadique qui le relie
en tant que chose qui représente à son objet, en tant que chose représentée, via
l'interprétant de l'interprète dans un contexte donné. An de saisir la sémiose, Peirce
eectue une trichotomie de chacune de ces trois relations : celle du signe en lui-même
(dimension syntactique), celle du signe à son objet (dimension sémantique) et celle
de la relation du signe avec son objet à son interprétant (dimension pragmatique).
Ainsi, un representamen peut être
A Sinsign (where the syllable sin is taken as meaning being only once, as
in single, simple, Latin semel , etc.) is an actual existent thing or event which is
a sign. It can only be so through its qualities; so that it involves a qualisign, or
rather, several qualisigns. But these qualisigns are of a peculiar kind and only
form a sign through being actually embodied. (Peirce C. S., 1903, EP 2:291)
3.37. Pour justier la nitude du processus, Peirce parle d'interprétant logique nal. Nous ne détaille-
rons pas cette notion ici.
3 Sémiotique de Peirce 135
Par exemple, un qualisigne ne peut être relié à l'objet que de façon iconique
et cette relation iconique induit un interprétant rhématique. On parlera alors de
qualisigne au lieu de qualisigne iconique rhématique. De même, un légisigne ne peut
être que symbolique argumental. On parlera alors par abus d'argument3.38. Plus
simplement, on peut dire qu'un representamen (premier) ne peut renvoyer à un objet
(second) d'une catégorie supérieure, et l'interprétant (troisième terme) ne peut, à
son tour, appartenir à une catégorie supérieure à celle de l'objet. En appliquant ce
principe, on obtient par combinatoire 10 classes de signes possibles et non 33 = 27
classes que nous détaillons dans le tableau ci-dessous3.39
3.38. On peut voir l'argument en tant qu'interprétant comme une borne supérieure et la qualisigne
en tant que representamen comme une borne inférieure de cet ordre.
3.39. Par abus lorsque ROI=111 dans ce tableau, il faut en fait comprendre que le representamen est
un qualisigne, que son rapport à l'objet est iconique et que l'interprétant de ce rapport est rhématique.
138 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
R O I Signe Exemples
1 1 1 Qualisigne iconique rhématique Un sentiment vague de peine, une
couleur ou l'empreinte d'un pied sur
le sable comme pure forme
2 1 1 Sinsigne iconique rhématique Une maquette, une photo ou
l'empreinte d'un pied sur le sable
reconnue comme empreinte de
n'importe quel pied
2 2 1 Sinsigne indiciel rhématique Un cri spontané (liée de façon cau-
sale à un événement), la fumée (liée
de façon causale à un feu)
2 2 2 Sinsigne indiciel dicent Une girouette un jour de vent, des
nuages gris (qui attirent l'attention
sur le mauvais temps) ou l'empreinte
d'un pied sur le sable reconnue
comme le passage d'un individu
3 1 1 Légisigne iconique rhématique Une onomatopée ( cocorico ), les
pièces d'un jeu d'échec ou encore une
figure géométrique que la commu-
nauté scientique a appelé rectangle
3 2 1 Légisigne indiciel rhématique Un embrayeur (ceci) ou un pronom
démonstratif
3 2 2 Légisigne indiciel dicent Un feu rouge en contexte ou un pan-
neau routier indiquant un virage à
droite
3 3 1 Légisigne symbolique rhématique Un nom commun (pomme qui ren-
voie au concept de pomme)
3 3 2 Légisigne symbolique dicent Toute proposition ( il fait froid ici ,
la sémiotique c'est compliqué )
3 3 3 Légisigne symbolique argumental L'empreinte d'un pied sur le sable
reconnue comme le passage d'un indi-
vidu dont l'empreinte a été identiée
précédemment dans une base de don-
nées et qui va par un raisonnement
permettre au détective d'adopter un
comportement conforme à l'hypo-
thèse qu'il a pu émettre
Figure 3.14. Tableau des dix classes de signes
d'ordre que chacune des classes renferme toutes celles avec lesquelles elle est en
relation dans le treillis des classes de signes. Nous n'en donnons ici qu'une version
simpliée et renvoyons à l'annexe pour une version dite détaillée ou complète.
Argument
Symbole dicent
Sinsigne iconique
Qualisigne
3.41. On pense ici au spectre visible obtenu par décomposition de la lumière blanche par un prisme.
3.42. Nous retrouvons ici les jeux de cadres au sens de Douady et de registres sémiotiques de Duval.
140 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Ainsi Peirce envisage plusieurs objets possibles du même signe, l'objet se consti-
tuant au travers d'une description opératoire d'un ensemble d'expériences possibles.
Nous pensons que cet ensemble d'expériences possibles dière d'un étudiant à l'autre
et se distingue de celui de l'enseignant. Cette dernière distinction constitue un fon-
dement sémiotique aux diérences d'interprétation relatives au répertoire didactique
de la classe. L'enseignant institutionnalise le répertoire didactique de la classe en
lien avec les savoirs disciplinaires, épistémologiques et didactiques qui contribuent
à constituer son (au sens de l'enseignant) répertoire didactique. Ce répertoire est
ensuite interprété par l'étudiant pour constituer son répertoire didactique dont le
répertoire de représentation constitue l'ensemble des observables.
D'après Peirce, l'interprétant d'un signe est l'ensemble de tous les faits connus
relativement à son objet en fonction du ground de l'interprète (Thibaud, 1986).
Comme nous l'avons écrit plus haut, le representamen, pris en considération par un
interprète, a le pouvoir de déclencher un interprétant dépendant d'un ground au
moment de la sémiose. Cet interprétant est un representamen à son tour ; il renvoie
alors par l'intermédiaire d'un autre interprétant au même objet que le premier
representamen, permettant à ce premier de renvoyer à l'objet. Nous produisons
ainsi un autre schéma possible de la notion de sémiose, qui illustre les niveaux
d'interprétant relatifs à un signe :
In
I2
I1
O R
Figure 3.16. Ground et sémiose
3.43. Il distingue aussi, relativement aux objets, l'interprétant immédiat, l'interprétant dynamique et
l'interprétant nal.
3.44. À ces deux conceptions de l'objet dynamique correspondent deux interprétants : l'interprétant
dynamique et l'interprétant nal. L'interprétant dynamique est l'objet réellement produit dans l'esprit de
l'interprète, l'eet réel que le signe produit au cours du développement de la sémiose dont il est la source.
3 Sémiotique de Peirce 141
deux moments d'une même réalité envisagée dans son devenir, dans un sens logique
et non chronologique. Cette diérenciation entre ces deux moments se réalise, grâce
au signe, dans l'objet immédiat, en tant qu'objet tel que le signe le représente, dont
l'être est ainsi dépendant de sa représentation dans le signe. L'objet immédiat est
donc l'objet dynamique connu dans le signe, l'objet dynamique intériorisé dans
le signe. Et cette intériorisation s'appuie sur le ground. Ainsi, l'objet immédiat
est l'objet dynamique tel qu'il est appréhendé au travers du signe via le ground.
L'objet immédiat apparaît donc comme ce que le signe choisit de l'objet dynamique
en fonction du ground et donc du niveau d'interprétant dans la sémiose qu'il a
déclenchée. Ainsi, dans cette sémiotique, dite hexadique, le ground représente la
façon dont l'objet dynamique est appréhendé au travers du representamen et l'objet
immédiat le résultat de cette appréhension. L'objet immédiat n'est qu'une possibilité
concrète. Il n'acquiert sa réalité qu'au travers d'un processus d'interprétation au
moyen d'interprétants qui vont expliciter, par de nouveaux signes, ce que le repre-
sentamen choisit de l'objet dynamique en fonction du ground. On peut représenter
ce processus avec le schéma3.45 suivant
OI
aspect de constitue
dénote
OD G R I
rend possible détermine interprété par
L'interprétant nal est un interprétant asymptotique, au sens de suite logique et non pas chronologique.
Il constitue une croyance en l'avenir qui consiste à accepter le résultat de l'enquête sur cet objet.
3.45. En fait, on schématise ici une triade ROI dite dyadiquement dégénérée.
142 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
OIn
OI1
aspect de
dénote constitue
OD G1 R I1
In
rend possible Gn détermine interprété par
L'objet dynamique OD apparaît ici comme la classe de tous les OIi institués à
travers tous les Gi possibles, les OIi étant construits à partir des Ii, les Ii étant eux
produits en fonctions des Gi. Autrement dit, l'objet dynamique est ce qui rend
possible l'apparition de l'objet immédiat instituant le signe au travers du ground.
L'objet immédiat est donc lié à la façon dont l'expérience montre sélectivement son
contenu et est étroitement lié au ground ; il est la façon dont l'objet dynamique est
visé par le signe au travers du ground. Selon les degrés de cette internalisation de
l'objet dynamique, on retrouve les trois types de signes que Peirce distingue : l'icône,
l'indice et le symbole. Pour l'icône, la relation à l'objet est de ressemblance, pour
l'indice elle est de modication eective et pour le symbole d'association réglée.
Ainsi, lorsque nous dirons par exemple qu'un signe est une icone, cela reviendra à
dire que la triade sémiotique associée à ce signe et dont l'objet est un objet immédiat
internalise l'objet dynamique de manière iconique, donc par ressemblance. Cette
distinction d'internalisation entre iconique, indicielle et symbolique sera utilisée dans
la partie expérimentale en appliquant le modèle d'analyse des raisonnements de
Bloch-Gibel (2011).
Nous avons décrit plus haut le lien entre ground et répertoire didactique. La
diérence entre objet dynamique et objet immédiat semble rappeler celle entre le
répertoire didactique de la classe et le répertoire de représentation de l'étudiant :
l'objet immédiat de l'étudiant, qui est un objet du répertoire didactique de l'étudiant
donné à voir au travers de son répertoire de représentation, est un aspect de l'objet
dynamique qui est un objet du répertoire didactique de la classe. Par ailleurs, la
transmission de savoirs et connaissances nécessite des signes et l'acquisition de ces
connaissances et savoir-faire a lieu essentiellement au moyen de la manipulation
de signes. Tout acte pédagogique s'identie donc à une production rationnelle et
contrôlée de signes doublée d'une connaissance des processus de leur interprétation.
Le schéma précédent éclaire l'importance des transformations sémiotiques pour la
constitution de la signication (Duval, 2006). Pour enrichir le ground sémiotique et
donc l'univers des transformations sémiotiques possibles, la dialectique outil/objet
au sein d'un jeu de cadres de Douady et la notion de registres sémiotiques de Duval
sont deux approches qui proposent des éléments constitutifs de ce ground.
3 Sémiotique de Peirce 143
Ces règles d'inférences valides auxquelles Kouki fait référence relèvent du lien
entre logique et mathématique3.46. Or, d'après Durand-Guerrier (2003), la tricho-
tomie de la sémiotique au sens de Morris apporte un éclairage nécessaire pour l'étude
didactique de cette relation
In a didactical purpose, we assume, according with Costa (1997), that to
study logical-mathematical elds, it's necessary to gasp simultaneously syntactic,
semantic and pragmatic aspects, with Morris (1938)'s acceptation for these three
terms. (Durand-Guerrier, 2003 , p. 1-2)
Par exemple, alors que les symboles Ker et ~u = (1; 2; ¡3) sont des symboles de
l'algèbre linéaire, l'expression Ker ~u viole certainement3.47 une régle syntaxique de
l'algèbre linéaire. La syntaxe est donc associée à une grammaire3.48 du langage
donné. Ainsi Kouki (2006) précise
En logique, la syntaxe d'un langage formel donne les règles de formation et de
transformations des énoncés du langage considéré; elle permet de reconnaître si
un énoncé est bien formé ou non et si le passage d'un énoncé à un autre dans une
démonstration de théorème, par exemple, est valide. (Kouki, 2006, p. 9)
Pour Morris, la dimension sémantique s'intéresse quant à elle aux relations entre
signes et objets
3.46. Nous reviendrons sur ce lien entre logique et mathématique dans la section consacrée au raison-
nement diagrammatique au sens de Peirce.
3.47. Il se pourrait néanmoins que l'on voit les applications linéaires comme des vecteurs ...
3.48. En informatique théorique, une grammaire est un formalisme permettant de dénir une syntaxe
et donc un langage formel, c'est-à-dire un ensemble de mots admissibles sur un alphabet donné.
144 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
sémantique : le signe est ici conçu dans sa relation à ce qu'il signie ; (Eco,
1988, p. 41)
Par exemple, d'un point de vue sémantique, Ker correspond à la notion de noyau
et est donc relative à celle d'application linéaire alors que ~u est un vecteur d'un
espace vectoriel, certainement l'espace vectoriel sur lequel opère les applications de
l'énoncé de la situation. Ainsi, en logique
La sémantique logique étudie les interprétations possibles des symboles uti-
lisés ainsi que les relations entre les diverses interprétations des formules utilisées.
(Kouki, 2006, p. 10)
Enn, pour Morris, la dimension pragmatique concerne la relation entre les signes
et leurs utilisateurs
pragmatique : le signe est ici perçu en fonction de ses origines, et des eets
qu'il a sur les destinataires, les usages que ceux-ci en font, etc... (Eco, 1988, p. 41)
Cette trichotomie de la sémiotique initiée par Morris est très ancrée dans celle
envisagée par Peirce. De manière schématique, on peut associer syntaxe et repre-
sentamen, sémantique et objet, pragmatique et interprétant3.49. Nous soulignons
néanmoins une diérence essentielle dans l'utilisation didactique fait de la tricho-
tomie de la sémiotique. En eet, chez Peirce, la sémiose3.50 est la notion essentielle
de sa sémiotique3.51 alors que cette notion est absente chez Morris. Cependant,
comme nous postulons que la sémiotique de Peirce ore un cadre propice à l'analyse
didactique des signes produits en situation, il nous semble utile de préciser les liens
entre la trichotomie de la sémiotique de Morris et celle des signes de Peirce.
À partir de la notion de ground, Peirce écrit
In consequence of every [sign] being thus connected with three things, the
ground, the object, and the interpretant, the science of semiotic has three bran-
ches. The rst is called by Duns Scotus grammatica speculativa. We may term
it pure grammar. It has for its task to ascertain what must be true of the [signs]
used by every scientic intelligence in order that they may embody any meaning.
(Peirce C.S., [c.1897], 2.229)
Ainsi, pure grammar est associée au ground du signe, que Morris nomme le
sign vehicle . À l'instar de Zeman (1977) et Sowa (2000), nous pensons donc que
pour nos travaux didactiques nous pouvons identier l'aspect syntaxique, au sens
de Morris, au pure grammar de Peirce.
Peirce dénit la seconde branche de la sémiotique ainsi
The second [branch] is logic proper. It is the science of what is necessarily true
of the [signs] of any scientic intelligence in order that they hold of anyobject, that
is, may be true. Or say, logic proper is the formal science of the truth of repre-
sentations. (Peirce C.S., [c.1897], 2.229)
Il nous semble que nous retrouvons l'aspect sémantique en logique tel que rappelé
par Durand-Guerrier (2003, 2005, 2010)3.52. Toujours avec Zeman (1977) et Sowa
(2000), nous pensons que l'aspect sémantique, au sens de Morris, peut s'identier au
logic proper de Peirce. Notons dès à présent que Peirce distingue trois formes
de logiques : la déductive, l'inductive et l'abductive, appelée aussi rétroductive car
permettant la formation d'hypothèses. Nous reviendrons plus tard sur cette distinc-
tion que nous utiliserons pour caractériser les raisonnements produits en situation.
Enn, Peirce dénit la troisième et dernière branche de la sémiotique ainsi
The third (...) I call pure rhetoric. Its task is to ascertain the laws by which
in every scientic intelligence one sign gives birth to another, and especially one
thought brings forth another. (Peirce C.S., [c.1897], 2.229)
Soit :
3.51. Peirce nomme parfois semeiotic ce que l'on entend par semiotic.
3.52. Notons cependant que Durand-Guerrier ne propose pas de lien avec la notion de sémiose de
Peirce.
146 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Par rapport au trivium remanié par Peirce, on note ces changements : (a) La
grammaire pure devient la syntactique, ce qui paraît une restriction. Mais on
sait que pour beaucoup de linguistes contemporains, les grammaires se réduisent
bien souvent à des syntaxes, et notamment des syntaxes formelles, qui comme la
syntactique de Morris sont indépendantes de la sémantique et ne traitent que des
relations entre signiants, (b) La logique proprement dite devient la sémantique.
Ici encore, rien de surprenant, car il s'agit d'une sémantique logique extensionnelle,
traitant des rapports entre les signiants et les objets, (c) La rhétorique pure
devient la pragmatique. (Rastier, 1990)
Nous venons de voir que Peirce distingue trois formes de raisonnement au sein
de ce qu'il nomme pure logic et que l'on a associée à la sémantique de Morris : la
décution, l'induction et l'abduction. au cours de la section suivante, nous revenons
sur la notion de raisonnement avec l'outillage oert par la sémiotique de Peirce.
En partant des logiques monotone et non-monotone, nous aboutirons à une carac-
térisation de raisonnement mathématique chez Peirce. Nous utiliserons enn ces
éléments théoriques pour proposer une dénition sémiotique possible de la notion
de raisonnement par identication de pattern.
Nous avons vu que Brousseau et Gibel (2005) puis Gibel (2008,2015) se basent
sur une dénition très générale de la notion de raisonnement proposée par Oléron
(1977), qu'ils spécient ensuite au domaine de l'analyse didactique des mathémati-
ques. La dénition de raisonnement eectif proposée par Gibel (2008, 2015) permet
d'attribuer à un auteur (émetteur) de signes observables un raisonnement non plus
supposé mais eectif. Cette dénition s'appuie sur la notion d'inférence, elle aussi à
comprendre dans un sens le plus général possible, et peut donc être appliquée à un
tout autre domaine que les mathématiques.
4 Approche sémiotique de raisonnement 147
Dans cette section, nous revenons sur les notion d'inférence monotone et non-mono-
tone an d'éclairer la dénition de raisonnement de Gibel. Puis, en nous appuyant
sur le treillis des signes de Marty, nous proposons d'établir un lien entre diérentes
formes de raisonnement et la notion de parcours sémiotique.
Nous voyons que pour Lithner, l'argumentation n'apparaît que comme une partie
du raisonnement. Il précise d'ailleurs le lien entre raisonnement et argumentation :
The term reasoning is dened as the line of thought, the way of thinking,
adopted to produce assertions and reach conclusions. Argumentation is the sub-
stantiation, the part of the reasoning that aims at convincing oneself, or someone
else, that the reasoning is appropriate (Lithner, 2000, p. 166)
148 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
3.53. The three patterns of reasoning discussed above are variants on a single pattern, similar to
that described by Popper as underlying the structure of scientic investigations. In all of them the students
observed patterns and made conjectures. Then they tested their conjectures, resulting in either rejection
of the conjecture and a return to pattern observing or in conrmation of the conjecture, raising it to the
status of a generalization on which further exploratory deductions were based. (Reid, 2002, p.24)
4 Approche sémiotique de raisonnement 149
Ces propos de Reid sont dans l'esprit de ce que Ross écrivait en 1998 à propos
du raisonnement et des preuves en mathématiques
It should be emphasised that the foundation of mathematics is reasoning.
While science veries through observation, mathematics veries through logical
reasoning. Thus the essence of mathematics lies in proofs, and the distinction
among illustrations, conjectures, and proofs should be emphasize (Ross, 1998, p.
254)
Néanmoins, une précision doit être apportée à cette citation de Steen. En eet,
C.S. Peirce, comme nous l'avons remarqué avec Arsac, distingue mathématiques et
logique déductive :
Mathematics studies what is and what is not logically possible, without making
itself responsible for its actual existence (Peirce, 1903, C.P. 1.183-187)
En particulier, pour Peirce, la pensée n'opère pas sur des propositions mais sur
des signes. On est donc conduit à élargir la notion d'inférence à des opérations
portant sur des symboles (dicents) et à remplacer la notion de vérité d'une propo-
sition par celle de réalité d'une représentation pour un interprète particulier. Cette
conception de l'inférence ouvre le champ à la description des opérations réellement
eectuées dans la vie quotidienne (mathématique ou non) et libère des contraintes
imposées par le point de vue qui s'en tient uniquement à la production de vérités
universelles, c'est-à-dire aux arguments valides. C'est ainsi que l'acte de poser une
hypothèse qui consiste à tenir pour vraie, au moins provisoirement, une proposition
n'entretenant aucun lien logique nécessaire avec les prémisses aura droit de cité dans
cette perspective. On l'observe en eet dans toute activité de recherche ou de créa-
tion, dont elle constitue la part d'invention possible. L'abduction et l'induction sont
deux formes d'inférence relevant de cette dénition d'inférence non-monotone. Cette
distinction entre inférence monotone et non-monotone, implicite chez Pedemonte,
nous semble importante dans notre travail didactique sur l'analyse de raisonnements
eectifs produits par les étudiants et éclaire d'un point de vue sémiotique le choix de
dénition adopté par Gibel : en eet, l'ajout d'informations au niveau des premisses
modie souvent la conclusion fournie par un étudiant après un raisonnement. Par
exemple, dans le cas d'une application linéaire ', si on s'interroge sur l'injectivité de
' et si on s'interroge sur l'injectivité de ' et son noyau ker ', la conclusion d'une
première étape du raisonnement sera certainement de déterminer ker ' et donc de
court-circuiter tout raisonnement lié à la dénition ensembliste de l'injectivité.
Dans les dénitions du raisonnement mathématique proposées par Arsac, Lithner
ou Reid, les raisonnements de type déductif semblent jouir d'une position domi-
nante dans tout raisonnement mathématique. Or, avec les travaux de Polya sur les
rasionnements plausibles, nous avons pressenti l'intérêt didactique d'une étude du
raisonnement de type inductif et surtout abductif au sens de Peirce.
3.54. Le raisonnement de type abductif a d'abord été mis en évidence indirectement par Aristote
comme un syllogisme dont la prémisse majeure est certaine et dont la mineure est seulement probable ; la
conclusion n'a alors qu'une probabilité égale à celle de la mineure. On pourra consulter Peirce's Theory of
the Origin of Abduction in Aristotle, Jorge Alejandro Flórez Transactions of the Charles S. Peirce Society
Vol. 50, No. 2 (Spring 2014), pp. 265-280 pour une discussion détaillée du lien entre l'abduction de Peirce
et celle d'Aristote.
3.55. http://perso.numericable.fr/robert.marty/semiotique/s072.htm
152 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
3.56. http://perso.numericable.fr/robert.marty/semiotique/s070.htm
4 Approche sémiotique de raisonnement 153
Induction.
Pour Peirce,
Induction is the experimental testing of a theory. The justication of it is
that, although the conclusion at any stage of the investigation may be more or
less erroneous, yet the further application of the same method must correct the
error. The only thing that induction accomplishes is to determine the value of
a quantity. It sets out with a theory and it measures the degree of concordance
of that theory with fact. It never can originate any idea whatever. No more can
deduction. All the ideas of science come to it by the way of Abduction. (CP, 5.145)
Nous pouvons aussi schématiser ceci d'un point de vue plus formel de la façon
suivante :
3.57. http://perso.numericable.fr/robert.marty/semiotique/s071.htm
154 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Mais, Peirce associe aussi ces trois inférences possibles, abduction, déduction,
induction à la sémiotique, en particulier avec les trois niveaux d'objets possibles
d'un signe : icône, indice et symbole. Il écrit à ce sujet
Now, I said, Abduction, or the suggestion of an explanatory theory, is infe-
rence through an Icon, and is thus connected with Firstness; Induction, or trying
how things will act, is inference through an Index, and is thus connected with
Secondness; Deduction, or recognition of the relations of general ideas, is inference
through a Symbol, and is thus connected with Thirdness. (PPM 276-277)
Symbole dicent
Zone d'inférence
Légisigne indexical Symbole rhématique
dicent
Zone de signication
iconique Sinsigne iconique
Qualisigne
La zone d'inférence comporte six classes répartie sur trois niveaux. La hiérarchie
des classes, régie par la logique relationnelle des signes peirciens, nous permet d'isoler
cinq chemins, et cinq seulement. Ces parcours sémiotiques, témoins de sémioses,
ont pour origine un sinsigne iconique et aboutissent à un symbole dicent. La zone
d'inférence est la suivante :
Une lecture visuelle des chemins possibles sur cette zone nous permet de dire que
un cheminement par la droite du treillis opère selon les eets à l'intérieur du
signe (Bénazet, 2004, p. 213) : en eet, l'interprétant relève de la priméité. Ce
cheminement correspond plutôt à une approche par analogie et s'appuie sur une
hypothèse ;
le passage par la partie gauche achemine jusqu'à la signication par le jeu des
renvois hors du signe (ib. p. 213) : en eet, l'inteprétant relève le plus souvent
de la secondéité. Ce cheminement repose sur une enquête et est plutôt empirique.
Ainsi, les cinq parcours possibles conduisent de la représentation iconique à la signi-
cation aboutie par une approche ou hypothétique ou empirique, et suivant des
régles inférentielles qui, pour Peirce, peuvent être ou abductives, déductives, ou
inductives. Nous obtenons alors les cinq modes d'inférence possibles : hypothético-
déductif, empirico-déductif, hypothético-inductif, empirico-inductif, abductif. Par
ailleurs, d'après la logique relationnelle de Peirce, il n'est pas possible d'emprunter
plus d'un chemin à la fois. Nous pensons donc qu'il doit être possible d'appréhender
le raisonnement d'un étudiant en analysant la trace du parcours emprunté. Nous
détaillons ci-dessous chacun des ces cinq parcours et reprenons les dénominations
d'accès à la connaissance adoptées par Marty (1990).
Argument
Symbole dicent
Symbole rhématique
Légisigne indexical
rhématique
Légisigne iconique
Sinsigne iconique
Qualisigne
Ce parcours est situé sur la partie droite du treillis : le raisonnement est donc
en lien avec le representamen, avec la forme. Il est intéressant de noter d'ailleurs
la présence de la priméité dans chacune des classes de signes traversées lors de ce
parcours. Décrivons ce parcours :
1. après avoir construit le sinsigne iconique, l'étudiant accède à un légisigne ico-
nique : il produit donc un signe de loi ;
2. puis, de ce signe de loi certes iconique, l'étudiant dégage un rhème : il ne s'appuie
que sur les qualités du representamen et rien d'autre pour opérer la relation
du representamen à l'objet. Ces qualités sont aussi celles de toute une classe
d'objets possibles. Le rhème apparait donc comme une instance de l'objet parmi
la classe des possibles existants ;
3. ensuite, il érige le rhème obtenu en symbole, rhématique puis dicent pour aboutir
à un argument.
Le savoir qui émerge est aecté par la forme, par l'aspect du signe. Comme le dit
Bénazet,
L'apprenant dispose d'une connaissance relative à l'objet pointé par le signe
en rapport à ce que son aspect lui indique et du fait qu'il possède le légisigne dans
son interprétant (Bénazet, 2004, p. 218)
L'étudiant accède alors à ce que Marty nomme une connaissance formelle, car
liée à la forme. Bénazet résume ce parcours en écrivant que dans ce parcours
158 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
le sens est produit par déduction sur la base d'une hypothèse construite par
analogie. La ressemblance de l'objet considéré par ses qualités, avec la forme
présente à l'esprit, a atteint un degré satisfaisant pour l'apprenant au point d'en
dégager une hypothèse et de la raccrocher à une loi dans le symbole rhématique.
L'analogie est le l conducteur de ce raisonnement (ib., p. 219)
Nous pensons que le passage du sinsigne iconique au légisigne indexical rhéma-
tique via le légisigne iconique est une des formes de raisonnement par identication
de pattern.
Raisonnement empirico-déductif.
Comme dans le parcours précédent, le symbole dicent, par lequel on entre dans
la zone de signication, s'incorpore dans un argument et sera un signe particulier
via le symbole rhématique : l'inférence est donc de la forme déductive. Par ailleurs,
l'inférence est empirique lorsqu'elle procède (ou est amorcée) par expérimentation,
c'est-à-dire par un sinsigne indexical rhématique. La logique relationnelle impose
alors le passage (ou incorporation) par le légisigne indexical rhématique. Nous obte-
nons le parcours complet suivant :
Argument
Symbole dicent
Symbole rhématique
Légisigne indexical
rhématique
Sinsigne indexical
rhématique
Sinsigne iconique
Qualisigne
qu'il fait dans son existence et non dans son apparence comme pour le parcours
précédent. Décrivons ce parcours :
1. dans un premier temps, l'étudiant s'appuie sur la forme construite dans la zone
de signication iconique avec le sinsigne iconique et utilise l'indexicalité du signe
pour incorporer le fait dans le forme avec un sinsigne indexical rhématique ;
2. le sinsigne indexical rhématique est incorporé en tant que réplique dans le
légisigne indexical rhématique. Le légisige est ici un signe de loi obtenu par
observation de faits, ce qui relève bien d'une démarche empirique ;
3. enn, en extrayant le concept contenu dans le légisigne indexical rhématique,
concept en rapport à une instanciation de l'objet pointé au sein du signe, l'étu-
diant convoque la loi à travers le symbole rhématique.
Ainsi, lors de ce parcours, une observation du fait donne lieu ensuite à une déduction
par rapport à une loi.
Raisonnement hypothético-inductif.
L'induction est la production d'une généralité à partir d'un signe particulier.
Le symbole dicent, par lequel on entre dans la zone de signication, s'incorpore
dans un argument et sera un signe de loi générale via le légisigne indexical dicent.
L'inférence est hypothétique lorsqu'elle procède (ou est amorcée) par analogie, c'est-
à-dire par un légisigne iconique. La logique relationnelle impose alors le passage
(ou incorporation) par le légisigne indexical rhématique. Nous obtenons la parcours
complet suivant :
Argument
Symbole dicent
Légisigne indexical
dicent
Légisigne indexical
rhématique
Légisigne iconique
Sinsigne iconique
Qualisigne
3. avec le légisigne indexical dicent, la loi, dont on connait l'existence avec le légi-
signe indexical rhématique, est devenue réelle et, de plus, apparait comme une
réplique singulière d'une loi générale qui reste à construire dans la zone de signi-
cation aboutie. Autrement dit, avec le légisigne indexical dicent, la loi se trouve
confortée dans le symbole dicent.
Nous venons de voir que l'étudiant procède d'une généralisation formée sur la forme
dans le légisigne iconique : l'étudiant généralise donc une hypothèse émise par ana-
logie.
le sens est produit par la généralisation sur la base d'une hypothèse construite
par analogie. La ressemblance de l'objet considéré par ses qualités, avec la forme
présente à l'esprit et la possession d'un légisigne, ont permis à l'apprenant de
généraliser un signe de loi hypothétique. L'analogie sert de guide sur ce chemin.
(Bénazet, 2004, p. 222)
Raisonnement empirico-inductif.
Comme dans le parcours précédent, le symbole dicent, par lequel on entre dans la
zone de signication, s'incorpore dans un argument et sera un signe de loi générale
via le légisigne indexical dicent : l'inférence est donc de la forme inductive. Par
ailleurs, l'inférence est empirique lorsqu'elle procède (ou est amorcée) par expéri-
mentation, c'est-à-dire par un sinsigne indexical rhématique. La logique relationnelle
n'impose pas de passage (ou incorporation). Étudions le cas où le chemin passe par
le légisigne indexical rhématique. Nous obtenons la parcours complet suivant :
4 Approche sémiotique de raisonnement 161
Argument
Symbole dicent
Légisigne indexical
dicent
Légisigne indexical
rhématique
Sinsigne indexical
rhématique
Sinsigne iconique
Qualisigne
Raisonnement abductif.
L'abduction consiste, lorsque l'on observe un fait dont on connaît une cause
possible, à conclure à titre d'hypothèse que le fait est probablement dû à cette cause-
ci : cette cause est la meilleure hypothèse explicative du fait. Le symbole dicent,
par lequel on entre dans la zone de signication, s'incorpore dans un argument et
sera un signe de meilleure explication via le légisigne indexical dicent. L'inférence
est empirique lorsqu'elle procède (ou est amorcée) par expérimentation, c'est-à-
dire par un sinsigne indexical rhématique. La logique relationnelle n'impose pas de
passage (ou incorporation). Nous avons étudié dans le parcours précédent le cas
d'un passage par le légisigne indexical rhématique qui caractérise un raisonnement
de type empirico-inductif. Étudions maintenant le cas d'un passage par le sinsigne
indexical dicent. Nous obtenons la parcours complet suivant :
Argument
Symbole dicent
Légisigne indexical
dicent
Sinsigne indexical
dicent
Sinsigne indexical
rhématique
Sinsigne iconique
Qualisigne
2. Avec le sinsigne indexical rhématiuqe, les observations ont lieu au sein même de
l'objet. Avec l'émergence du sinsigne indexical dicent, l'existence d'une explica-
tion apparaît ;
3. à l'issue des observations menées à travers l'indexicalité du signe, l'étudiant
produit un légisigne indexical dicent, généralisation d'une probabilité de cause
explicative.
Ainsi, l'observation des propriétés intrinsèques puis extrinsèques d'un signe particu-
lier permet à l'étudiant de généraliser une cause des faits observés. Comme l'écrit
Bénazet
Ce cinquième parcours cognitif amène l'apprenant à formuler une règle pro-
bable par observation. La démarche empirique n'est confortée par aucune connais-
sance antérieure de règle, l'apprenant invente en quelque sorte une régle nouvelle
applicable à la situation en cours et qu'il tentera d'appliquer dans le futur lors
d'une expérience analogue, mais qui pourra tout à fait ne pas se vérier. Cette
règle lui servira en tous cas de prémisses dans l'avenir. (Bénazet, 2004, p. 226)
3.58. Nous ne distinguons pas icône de signe iconique bien que Peirce écrive
A possibility alone is an Icon purely by virtue of its quality; and its object can
only be a Firstness. But a sign may be iconic, that is, may represent its object mainly
by its similarity, no matter what its mode of being. If a substantive be wanted, an
iconic representamen may be termed a hypoicon. Any material image, as a painting,
is largely conventional in its mode of representation; but in itself, without legend or
label it may be called a hypoicon.
Hypoicons may be roughly divided according to the mode of Firstness of which
they partake. Those which partake of simple qualities, or First Firstnesses, are images;
those which represent the relations, mainly dyadic, or so regarded, of the parts of one
thing by analogous relations in their own parts, are diagrams; those which represent
the representative character of a representamen by representing a parallelism in some-
thing else, are metaphors. (Peirce, 1903, EP 2:273)
Pour une discussion sur la notion de hypoicône, nous renvoyons le lecteur à Fisette (2002), Farias P,
Queiroz J. (2006) et T. L. Short (2007) ce dernier envisageant une dénition d'hypoicône comme sinsigne
iconique.
164 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
position logique est aussi un diagramme, car elle représente une relation entre des
propositions ; une matrice est une icône, car elle représente une relation entre des
colonnes et des vecteurs. Nous proposons deux citations de Peirce dans lesquelles il
dénit ce qu'il appelle un diagramme. Chaque citation apporte un éclairage qui va
se révéler essentiel pour notre analyse des formes de raisonnements. Peirce dénit
le diagramme de la manière suivante
A Diagram is a representamen which is predominantly an icon of relations and
is aided to be so by conventions. Indices are also more or less used. It should be
carried out upon a perfectly consistent system of representation, one founded upon
a simple and easily intelligible basic idea. (Peirce, 1903, CP 4.418)
Avec cette dénition, Peirce révèle un aspect essentiel d'un diagramme : on peut
expérimenter sur ce diagramme suivant une syntaxe et un système de représenta-
tion établis. Nous retrouverons cette notion d'expérimentation avec la dénition
de raisonnement diagrammatique ci-dessous. Cependant il ne faut pas entendre le
terme diagramme comme un synonyme de schéma ou de graphique, à savoir comme
un dispositif physique, observable par un tiers, même si un tel dispositif peut être
considéré parfois comme un diagramme. Peirce précise d'ailleurs :
A diagram is an icon or schematic image embodying the meaning of a general
predicate; and from the observation of this icon we are supposed to construct a
new general predicate. (Peirce, 1904, EP 2:303)
Cette dénition de Peirce insiste quant à elle sur la notion d'observation. Peirce
arme même que l'observation est nécessaire dès le plus simple syllogisme
observation is required in the simplest syllogism. Thus, if we reason, 'All men
are mortal, Enoch is a man, therefore Enoch is mortal', we only do this by obser-
ving that the man of the rst premise is the same predicate as the man of the
second premise, etc ...(Peirce, 1896, MS 17)
Notons également que nous retrouvons ici les étapes initiales d'un raisonnement
mathématique tel que déni par Lithner ou Reid. Cette notion d'observation va
eectivement se révéler essentielle pour dénir celle de raisonnement diagramma-
tique.
Enn, pour Bakker et Homann (2005), la distinction diagramme physique/dia-
gramme idéalisé est essentielle, voire constitutive, au développement des concepts
chez les étudiants. D'après Peirce, un diagramme représenté sur une feuille de papier
comme le triangle est un token. Mais, si l'on considère les relations liées au token
triangle comme idéales, le diagramme, alors interprété comme idéal, est un type.
Bakker et Homann (2005) arment :
If diagrams are just taught as tokens (how do you raw a box plot?), students
are unlikely to conclude any general or aggregate information from them. To deve-
lopp concepts, students need to learn to reason with diagrams as types. (Bakker,
Homann, 2005, p. 340)
Raisonnement diagrammatique.
À partir de la notion de diagramme, Peirce dénit celle de raisonnement dia-
grammatique, comme un raisonnement via l'utilisation de diagrammes au lieu de
moyens linguistiques ou algébriques. Il écrit
4 Approche sémiotique de raisonnement 165
3. enn, il faut observer les résultats des expérimentations précédentes. Pour Peirce,
dans le cas des mathématiques, le diagramme
puts before him an icon by the observation of which he detects relations
between the parts of the diagram other than those which were used in its
construction (Peirce, NEM, 3:749)
Paavola (2011) insiste sur le fait que toute cette expérimentation a lieu au sein
d'un système de représentation : la première étape xe le système de représentation
et impose donc les règles du jeu de l'expérimentation qui va suivre. Nous retrou-
vons bien dans cette chronologie d'un raisonnement diagrammatique les constituants
essentiels de la notion de diagramme : le système de représentation, l'expérimenta-
tion puis l'observation. Peirce dénit alors tout raisonnement mathématique comme
un raisonnement diagrammatique :
The rst things I found out were that all mathematical reasoning is diagram-
matic and that all necessary reasoning is mathematical reasoning, no matter how
simple it may be. By diagrammatic reasoning, I mean reasoning which constructs
a diagram according to a precept expressed in general terms, performs experiments
upon this diagram, notes their results, assures itself that similar experiments per-
formed upon any diagram constructed according to the same precept would have
the same results, and expresses this in general terms. This was a discovery of no
little importance, showing, as it does, that all knowledge without exception comes
from observation. (Peirce, NEM IV, 47-48)
Plus précisément,
une déduction est corollarielle lorsque, pour percevoir que la conclusion est
valide, il sut d'imaginer tous les cas pour lesquels les prémisses sont vraies
Corollarial deduction is where it is only necessary to imagine any case
in which the premisses are true in order to perceive immediately that the
conclusion holds in that case. (Peirce, 1902, NEM 4.38)
3.59. Peirce considère d'ailleurs cette distinction théorématique/corollarielle comme sa première décou-
verte majeure
My rst real discovery about mathematical procedure was that there are two kinds
of necessary reasoning, which I call the Corollarial and the Theorematic, because the
corollaries axed to the propositions of Euclid are usually arguments of one kind,
while the more important theorems are of the other. (...) I show that no considerable
advance can be made in thought of any kind without theorematic reasoning. When
we come to consider the heuretic part of mathematical procedure, the question how
such suggestions are obtained will be the central point of the discussion (NEM 4:49).
168 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Par ailleurs, pour illustrer cette distinction, May propose le schéma suivant :
Dans ce schéma3.61, le chemin court allant des prémisses à la conclusion via une
construction et une observation correspond au raisonnement corollariel. Le chemin
plus long, nécessitant des phases de manipulation voire des construcitons supplé-
mentaires, correspond au raisonnement théorématique.
Pour une distinction encore plus ne entre corollariel et théorématique, tenant
compte de certaines objections faites à la caractérisation de Hintikka, nous renvoyons
le lecteur à l'article de Homann (2005). Il nous semble que pour nos travaux
la dénition générale de Peirce est susante. Soulignons néanmoins avec Campos
(2010) la diérence entre trivial/non trivial et corollariel/théorématique : en eet,
nous verrons des déductions corollarielles non triviales. Nous avons vu que le raison-
nement diagrammatique permet de créer de nouveaux objets, en particulier lorsqu'il
est théorématique : Peirce parle alors d'abstraction hypostatique. Nous dénissons
succinctement cette notion, par souci d'exhaustivité et pour le lien avec la dialectique
outil/objet de Douady, reprise par Otte dans le cadre sémiotique.
Abstraction hypostatique.
3.60. Notons que cette distinction a été anticipée par Peirce lorsqu'il écrit : The peculiarity of
theorematic reasoning is that it considers something not implied at all in the conceptions so far gained,
which neither the denition of the object of research nor anything yet known about could of themselves
suggest, although they give room for it. Euclid, for example, will add lines to his diagram which are not
at all required or suggested by any previous proposition. (NEM, 4:49)
3.61. On trouvera une discussion plus détaillée de ce schéma dans (Stjernfelt, 2007, p. 104).
4 Approche sémiotique de raisonnement 169
Nous comprenons donc que pour Peirce, les objets mathématiques sont essentiel-
lement obtenus par abstraction hypostatique. Et le raisonnement diagrammatique
est un outil de base pour construire de telles abstractions, le diagramme construit
devenant lors de l'observation un nouvel objet. Ce nouvel objet peut ainsi devenir
un moyen d'obtenir un nouveau diagramme : nous retrouvons ici des éléments pro-
ches de la dialectique outil/objet de Douady. Pour Otte (1997) cette dialectique
objets/moyens est l'essence même de l'activité mathématique.
Une possible interprétation de raisonnement à l'aide de pattern .
Nous avons vu, avec Reid en particulier, l'importance de la notion de pat-
tern dans le raisonnement mathématique. Resnik (1981) et Steen (1988) dénissent
d'ailleurs les mathématiques comme la science des patterns . Devlin (1997),
intéressé par l'article de Steen et surtout motivé par des considérations pédagogi-
ques, revisite cette notion de pattern dans Mathematics: The Science of Patterns
(Devlin, 1997) puis actualise sa réexion sur ce lien entre mathématiques et pat-
tern dans un article de son blog3.62 intitulé Patterns? What patterns? . Cette
notion de pattern est également centrale dans le modèle d'analyse3.63 de rai-
sonnement proposé par Stylianides (2005, 2008) et rappelé ci-dessous
3.62. http://devlinsangle.blogspot.fr/2012/01/patterns-what-patterns.html
3.63. Nous verrons le lien entre ce modèle et celui de Bloch-Gibel (2011). Il est intéressant de noter aussi
l'usage des termes support et claims dans ce tableau, usage qui rappelle le modèle de raisonnement
de Toulmin.
170 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
La notion de congruence qui apparaît dans cette citation de Resnik est à mettre
en relation avec celle liée aux registres sémiotiques de Duval tels que décrits ci-
dessous. Ainsi, devant l'importance du lien entre ce mot pattern et celui de
raisonnement en mathématiques, nous nous risquons ici à une interprétation plus
sémiotique3.66 de la notion de raisonnement par pattern . Nous postulons que
raisonner à l'aide de pattern consiste essentiellement à construire et expérimenter
un diagramme suivant des règles xées par l'identication d'un motif via un ground
sémiotique. Ainsi, pour un étudiant, raisonner à l'aide de pattern consiste dans un
premier temps à identier un motif grâce à son répertoire didactique : on retrouve
ici, la notion d'icône. Puis, en se basant sur cet icône, le système organisateur
permet d'envisager une direction, une décision de calcul associée à ce pattern :
nous sommes donc maintenant face à un indice. Enn, le système organisateur
nous permet de raisonner en utilisant des symboles et autres formules du répertoire
didactique : nous obtenons alors un argument. Nous postulons donc que raisonner
par identication de patterns est un cas particulier du raisonnement diagram-
matique de Peirce.
Nous avons donné à voir au cours de notre analyse épistémologique, l'impor-
tance de la notion de concept FUG(S) introduite par Robert et al. (1987, 1989).
Nous avons également souligné le statut outil puis objet de la notion d'opéra-
teur linéaire ainsi que la multiplicité des cadres dans lesquels ce concept apparait.
Enn, la notation '(x) pour la fonction ', les diérences culturelles appa-
rentes dans le choix entre écritures matricielles et formes bilinéaires justient une
analyse sémiotique sur les transformations entre ces diérentes écritures ou regis-
tres (Duval, 1995). Cette multiplicité des cadres et des regsitres sémiotiques d'une
notion FUG(S) constituera un élément important de notre analyse des raisonne-
ments dans la partie expérimentale.
3.64. Ici, la notion de généralisation de pattern est dénie au sens de Radford (2006) : generalizing
a pattern algebraically rests on the capability of grasping a commonality noticed on some elements of a
sequence S, being aware that this commonality applies to all the terms of S and being able to use it to
provide a direct expression of whatsoever term of S. (Radford, 2006, p. 5, cité par Stromskag-Masoval,
2011, p. 18)
3.65. Pour une étude didactique plus détaillée des liens entre entre généralisation algébrique et shape
patterns nous renvoyons le lecteur à la thèse de Stromskag-Masoval (2011).
3.66. Pour voir des illustrations des caractéristiques sémantiques du mot-concept pattern ainsi que
la richesse du lexique phraséologique qui lui est associé, nous renvoyons à lathèse de C. Larue (2015).
5 Dialectique outil/objet, dualité cadres/registres : vers une organisation de
l'enseignement 171
Nous allons adopter ici une perspective plus large en faisant évoluer la notion
de fonctionnalité outil introduite par Douady vers une notion de nalité outil
dépendant d'un objectif poursuivi par un enseignant ou un auteur de manuel. (De
Vleeschouwer, 2010, p. 56)
Par ailleurs plusieurs outils peuvent être adaptés à la résolution d'un même
problème et ces outils peuvent appartenir à diérents cadres : géométrique,
fonctionnel, algébrique, numérique etc ... Dans ses travaux, le mot cadre est pris
au sens usuel des mathématiciens. Plus précisément, Douady dénit un cadre de la
façon suivante
un cadre est constitué des objets d'une branche des mathématiques, des rela-
tions entre les objets, de leurs formulations éventuellement diverses et des images
mentales associes à ces objets et ces relations. (Douady, 1992, p. 135)
Il est intéressant de noter que dès 1981, Ovaert et Verley, sous le pseudonyme
de Léonhard Épistémon, insistent sur la multiplicité des domaines de fonctionne-
ment et la multiplicité des fonctionnalités outil de l'algèbre linéaire comme des
dicultés de l'enseignement de l'algèbre linéaire. Ainsi, pour modérer l'apparente
simplicité des notions d'algèbre linéaire qui constituent un cours de Licence, ils
écrivent
Cette grande simplicité n'est qu'apparente, pour deux raisons essentielles.
a) Le domaine de fonctionnement de l'algèbre linéaire est triple :
¡ Tantôt on raisonne de façon purement algébrique, dans les algèbres d'endo-
morphismes.
¡ Tantôt on utilise l'aspect géométrique, c'est à dire l'action des endomor-
phismes sur des objets variés.
¡ Tantôt on passe dans le domaine numérique (emploi de bases, calcul matri-
ciel).
Il ne sut donc pas de connaître les dénitions et les théorèmes pour savoir
résoudre les problèmes, car il convient d'eectuer un choix judicieux entre les
trois méthodes précédentes.
b) L'algèbre linéaire intervient dans la plupart des secteurs mathématiques, mais
sous des formes très différentes, et à divers niveaux d'approfondissement.
Parmi les domaines d'intervention les plus importants, on peut citer :
¡ La géométrie élémentaire, et les groupes de transformation ;
¡ Le comportement des systèmes dynamiques discrets et continus3.68, qui est
lié à la résolution des systèmes d'équations linéaires diérentielles et aux
diérences nies ;
¡ Les problèmes d'interpolation polynomiale et d'approximation des fonc-
tions ;
¡ Le calcul diérentiel et ses généralisations ;
¡ (...) (Épistémon L., 1981, introduction p. IX)
Dans la partie expérimentale, nous utiliserons les diérents cadres suivants, proches
de ceux de De Vleeschouwer (2010) mais avec parfois des description distinctes :
¡ cadre algébrique : l'espace vectoriel n'est pas précisé (et souvent noté E) ;
¡ cadre numérique : les espaces vectoriels sont du type Kn1 ou Mn;1(K) (et
souvent obtenu par choix, donc non canonique, d'une base)
¡ cadre paradigmatique : les espaces vectoriels sont du type Kn (donc les vecteurs
sont des n ¡ uplets)
¡ cadre fonctionnel : les espaces vectoriels sont des espaces de fonctions
¡ cadre polynomial : les espaces vectoriels sont K[X] ou Kn[X]
3.67. Nous pensons que cette citation de Balache illustre la relation entre la notion de cadre et la
troisième praxéologie envisagée par Job & Schneider, dite modélisation fonctionnelle (Job & Schneider,
à paraître, 2007, p. 5)
3.68. Notons que A. Douady, époux de R. Douady, était un spécialiste de ces domaines des mathé-
matiques.
174 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
A typical course will generally include several modes of description of the basic
objects and operations of linear algebra. These modes of description co-exist, are
sometimes interchangeable, but are certainly not equivalent. They include:
1. The abstract mode - using the language and concepts of the general for-
malized theory, including: vector spaces, subspaces, linear span, dimension, opera-
tors, kernels
2. The algebraic mode - using the language and concepts of the more specic
theory of Rn, including: n-tuples, matrices, rank, solutions of systems of equations,
row space
3. The geometric mode - using the language and concept of 2- and 3-space,
including: directed line segments, points, lines, planes, geometric transformations
(Hillel, 2000, p. 192)
Duval (1995), en s'appuyant sur les travaux de Douady, place alors le jeu sur
les représentations et formulations au centre de la conception de l'apprenant en
associant activité conceptuelle et coordination de registres sémiotiques (Duval,
1995, p. 61). Ainsi, après avoir postulé que toute représentation sémiotique mobilise
un système sémiotique, Duval (1995) caractérise un registre sémiotique comme un
système sémiotique permettant de remplir simultanément les trois fonctions cogni-
tives fondamentales liées à la semiosis
Par exemple, en se basant sur les travaux de Pavlopoulou (1994) et Alvès-Dias (1998)
en algèbre linéaire, De Vleeschouwer (2010) associe les vecteurs à cinq registres
sémiotiques :
le registre de représentation graphique : le vecteur est représenté par une èche;
le registre de l'écriture symbolique : le vecteur est représenté par une lettre
(éventuellement surmontée d'une èche) ou par une combinaison linéaire de
lettres représentant d'autres vecteurs du même (sous-)espace;
le registre de coordonnées : le vecteur est représenté par une matrice (éventuel-
lement ligne ou colonne) correspondant à la représentation du vecteur par ses
coordonnées dans un repère.
le registre explicite : le vecteur est décrit explicitement. Par exemple, un élé-
ment de l'espace vectoriel complexe C sera décrit comme x = x1 + i x2. (De
Vleeschouwer, 2010, p. 11)
Néanmoins, un même registre peut être utilisé dans diérents cadres et un même
cadre mathématique peut faire appel à diérents registres de représentation sémio-
tique. Comme le dit Duval
Un registre se détermine par rapport à un système sémiotique permettant de
remplir les trois fonctions cognitives fondamentales. Un cadre se détermine par
rapport à des objets théoriques, en l'occurrence des objets mathématiques. Il peut
y avoir changement de cadre sans changement de registre et changement de registre
sans changement de cadre, car un cadre peut exiger la mobilisation de plusieurs
registres. (Duval, 1996, p.357)
d'une matrice est aussi son inverse à gauche, il est commode de passer dans un cadre
0 1
1
B 0 C
algébrique avec l'endomorphisme associé. De même, confronté au produit M B C
@ A
0
où M 2 Mn(K), les étudiants peuvent éprouver le besoin de 0
voir1 M comme la
1
B 0 C
matrice de l'endomorphisme f de K associée. Le fait que M
n
@ A =
B C M (:; 1), où
0
M (:; 1) désigne la première colonne de M , apparaît alors clairement en disant que
M (:; 1) est le vecteur des coordonnées de f (e1) dans cette base (e1; :::; en).
De même, en dimension n = 2 ou n = 3, on peut utiliser un registre graphique
pour représenter les vecteurs et sous-espaces vectoriels d'un cadre paradigmatique.
Le tableau suivant illustre les problématiques de changement de cadres et celles
de changement de registres et leur complémentarité
Après avoir précisé ce que nous entendons par raisonnement produit, en lien
avec les notions de structuration de milieux, les éléments de sémiotique de Peirce
et d'inférences logiques associés ainsi que la dualité cadres/registres, nous pouvons
présenter puis compléter le modèle multidimensionnel d'analyse des raisonnements
de Bloch et Gibel (2011). Puis, avec la notion de treillis de classes de signes de
Marty (1992), nous proposons un outil diagrammatique d'analyse sémiotique, le
diagramme sémantique, qui complète le modèle précédent en permettant notamment
une analyse sémiotique locale ne.
dans une situation comportant une dimension adidactique, les élèves donnent
à voir des raisonnements qui dépendent fortement du niveau de milieu où ils se
situent (Bloch & Gibel, 2011, p. 13)
Cet axe fait référence à la dynamique des confrontations puis de l'évolution des
représentations que le modèle de structuration des milieux souligne.
Le second axe est constitué par l'analyse des fonctions des raisonnements. Ces
raisonnements peuvent avoir pour but : une intuition sur un dessin, une décision
de calcul, un moyen heuristique, l'exhibition d'un exemple ou d'un contre-exemple,
des calculs génériques, une formulation de conjectures étayées, une décision sur un
objet mathématique, une formalisation des preuves dans un domaine mathématique
pertinent ... Nous retrouvons ici des fonctions utiles au composantes mathématiques
du modèle analytique de Stylianides (2005, 2008) : making mathematical genera-
lizations et providing support to mathematical claims .
Le troisième et dernier axe est celui des signes et des représentations observables
d'analyser les signes produits en situation et de les relier aux niveaux des
6 Modèle d'analyse des raisonnements et diagramme sémantique 179
... et, en dénitive, de porter une appréciation sur l'adéquation des signes, des
raisonnements et des connaissances produits aux enjeux de la situation (Bloch-
Gibel, 2011, p. 14)
Concernant les fonctions des raisonnements, nous avons souligné plus haut l'impor-
tance de la notion de registres sémiotiques, en lien avec les transformations des
représentations mathématiques pour la constitution de la signication (Duval, 2006).
Il nous semble que transformer et/ou adapter un énoncé d'une situation en convo-
quant d'autres registres sémiotiques constitue une fonction des raisonnements propre
au milieu objectif M¡2. De même, décider du cadre de travail, notamment en algèbre
linéaire, est aussi une fonction de raisonnement du milieu objectif. Nous avons donc
enrichi l'élément R1.1 du tableau. En lien avec le professeur en situation didactique,
l'étudiant peut être amené à réorganiser les signes qu'il a produits, an d'obtenir
un nouvel objet calculable ou de certier une formulation ou une validation. Nous
avons donc complété le niveau R1.3 en tenant compte de ces possibilités.
Concernant les niveaux d'utilisation des symboles, pour éviter toute ambiguïté avec
la notion de symbole au sens de Peirce, nous l'avons renommé niveaux d'utilisation
des signes . En milieu de référence M¡1, il nous semble que les signes peuvent aussi
être sollicités pour leur caractère opératoire et permettre ainsi le passage d'argu-
ments locaux à des arguments plus génériques. Ce nous semble être le cas par
exemple avec une représentation matricielle d'un endomorphisme donné. Nous avons
alors complété R2.2.
Concernant le niveau d'actualisation du répertoire didactique, il nous a semblé utile
de le renommer usage et actualisation du répertoire didactique pour insister
sur son rôle et son utilité dans l'analyse des raisonnements. En tenant compte
des précisions concernant la notion d'heuristique en mathématique apportées par
Castela (2011), nous l'avons également précisée en y associant celles de savoirs
pratiques de Castela et de pattern (et donc implicitement de registre sémiotique).
Enfin, nous avons ajouté une ligne spécifiant les formes de raisonnement telles
qu'envisagées par Peirce : abduction, induction, déduction, sans préciser la nature
hypothétique ou empirique.
Nous obtenons ainsi le tableau synthétique suivant :
180 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
En suivant les travaux de Marty3.69, nous distinguons trois étapes successives (au
sens chronologique) pour mener une analyse sémiotique.
La première étape consiste à identier des representamens pivots dans l'accès à la
signication globale. Nous appelons representamens pivots les signes de l'entropie
phénoménologique produite dont la contribution à la signication est essentielle, en
ce sens que, si on supprime ce signe on aecte la signication de l'ensemble étudié.
3.69. http://robert.marty.perso.neuf.fr/Manuel/913-Methodologie%20de%20l'analyse.htm
6 Modèle d'analyse des raisonnements et diagramme sémantique 181
Dans une seconde étape, nous classons ces representamens pivots dans l'une des
classes de signes. Il s'agit ici d'objectiver les trois composantes du signe, dont
l'interprétant. C'est un moment délicat de l'analyse qui peut d'ailleurs être sujet
à discussion. En nous appuyant sur le répertoire didactique de la classe lors de
l'analyse a priori ou de l'étudiant lors de l'analyse a posteriori, qui constituent
les seuls observables du ground sémiotique, nous portons notre attention sur les
modes d'être de chaque representamen, en le reliant à son objet d'une part et à
son interprétant objectivé d'autre part.
Pour la relation du mode d'être du representamen à l'objet, il faut déterminer par
quel type de liaison l'objet peut être (analyse a priori) ou a pu être (analyse a
posteriori) appréhendé. Il y a trois types possibles : cette relation peut avoir lieu en
raison d'une opération abstraite, ou être imposée par une liaison existante extérieure
au signe étudié (le lien est alors importé ) ou enn advenir par un sentiment, une
supposition d'existence, ou une simple analogie.
Pour l'interprétation de la relation du mode d'être du representamen à l'objet,
plusieurs cas sont envisageables suivant cette relation. Si l'on est dans le premier
cas, celui d'une relation abstraite, alors l'interprétation de cette opération l'iden-
tie : ou à une induction, avec l'actualisation d'une régularité tirée de l'expérience
de l'interprète ; ou à une déduction, avec une conséquence nécessaire ; ou à une
abduction, avec une hypothèse qu'il juge raisonnable. Si l'on est dans le second cas,
celui où la relation du mode d'être du representamen à l'objet est importée , alors
l'interprétation identie cette relation suite à une reconnaissance d'une connexion
réelle, physique, objective, entre representamen et objet ou par une supposisition,
une présomption, de l'existence de connexion réelle, physique, objective entre repre-
sentamen et objet. Enn, dans le dernier cas, celui d'une relation du mode d'être
du representamen à l'objet, celui d'une simple sentiment familier d'analogie, l'inter-
prétant de cette relation ne peut être qu'occupé par ce sentiment d'analogie entre
representamen et objet.
Enn, dans une troisième étape, nous devons déterminer l'accès à la signication
de l'objet global. En nous appuyant sur le treillis des classes de signe, nous savons
que toute classe présuppose la présence des classes inférieures, au sens des relations
existantes descendantes dans le treillis. La classe de l'objet global doit donc être la
classe du treillis qui contient toutes les classes retenues dans l'analyse précédente :
par nécessité, elle en contient la synthèse.
sens de Duval) diérents an d'enrichir la sémiose des objets manipulés. Ce dia-
gramme devrait aussi articuler une multiplicité de parcours démonstratifs possibles
an de faciliter l'émergence de motifs ou patterns . Cette présentation non linéaire
d'accès aux objets, savoirs et connaissances3.70 devrait enrichir le système orga-
nisateur de l'étudiant en articulant les éléments du registre des énoncés les uns
par rapport aux autres au sein de son répertoire didactique. A l'instar du modèle
d'analyse des raisonnements de Bloch et Gibel (2011), ce diagramme devrait nous
aider dans l'analyse didactique de la situation et apporter un outil complémentaire
pour lier analyse sémiotique et didactique comme l'envisage Muller (2003)
Mais aussi complète que soit cette analyse sémiotique, les objets de signi-
cation qu'elle met en lumière, ne sont pas encore des objets didactiques : même
s'ils permettent d'énoncer des faits didactiques dans le langage sémiotique (par
exemple milieu didactique réel, milieu adidactique possible), ils n'en donnent pas
les raisons didactiques. L'analyse sémiotique ne dit pas sous quelles conditions
didactiques ces objets pourraient se réaliser ou non. (...) Par là, ce n'est qu'une
possible analyse sémiotique du didactique et non pas une réelle analyse sémiotique
du didactique. Le lien avec une analyse didactique doit donc être construit (...)
(Muller, 2003, p.17)
La lecture du diagramme peut fournir les éléments essentiels pour construire une
argumentation. Ce diagramme correspond plutôt à une présentation d'un résultat
mathématique lors d'un séminaire de recherche : seuls les éléments principaux,
sémantiquement essentiels, sont donnés à voir an de faciliter l'argumentation mais
il est rare qu'une démonstration canonique soit réellement produite.
Nous répondons maintenant à chacune des deux questions précédentes sur la
construction du graphe, en justiant nos choix. Concernant les sommets, dans sa
méthodologie d'analyse sémiotique, Marty propose d'identier les representamens
qui, si on les supprime, altèrent la signication globale du raisonnement. Nous appe-
3.70. Nous pensons ici à la collection d'ouvrages d'informatique Head First publié par O'Reilly,
mais sans l'aspect humoristique. Nous pensons aussi à l'analyse épistémologique des objets manipulés en
l'algèbre linéaire qui montre la caractère hautement non linéaire de leur émergence.
3.71. Pour reprendre la terminologie de Peirce, ce graphe est ici un token du type diagramme.
6 Modèle d'analyse des raisonnements et diagramme sémantique 183
Bien qu'il ne parle pas explicitement de graphe orienté dans cette dénition, les
graphes proposés par Balache sont eectivement orientés par la relation logique A
implique B. Après les avoir ainsi dénis, il motive l'introduction et l'utilisation des
graphes de démonstration
Nous étudions la démarche de raisonnement des élèves par rapport aux
démonstrations de référence en comparant les graphes et les champs respectifs.
Ceci est préférable à une analyse des travaux d'élèves à la lumière des seules
démonstrations que l'observateur peut envisager, outre qu'une telle démarche est
trop liée à l'introspection, elle conduit à envisager un éventail de possibilité plus
étroit que celui que l'on peut mettre en évidence par l'utilisation systématique
et combinatoire des règles de déduction logique (démonstration automatique).
(Balache, 1978, p. 44)
3.74. La présence de quanticateurs dans les representamens pivots, potentiellement en lien avec le
raisonnement inductif, nous interroge. En eet, Job & Schneider soulignent les dicultés à lier logique
des prédicats et compréhension sémantique dans les productions d'étudiants (Job & Schneider, à paraître,
2007, p. 9)
3.75. Notons aussi qu'il introduit une notion d'intersection de graphes an de comparer raisonnement
produit et raisonnement de référence (Balache, 1978, p.48)
3.76. Chez Balache, il y a quatre types d'énoncés : les données, les connaissances, les hypothèses et
les productions. Avec notre relation entre sommets, basée sur une logique non monotone, les hypothèses
au sens de Balache, sont des productions car obtenues après raisonnement. Les connaissances sont des
éléments du répertoire de représentation de l'étudiant et donc constitutifs de son ground sémiotique. Ces
connaissances sont bien présentes dans notre diagramme, mais dans les liaisons entre sommets.
6 Modèle d'analyse des raisonnements et diagramme sémantique 185
Argument nal
R. P. 9 R. P. 10 R. P. 11 R. P. 12
R. P. 4 R. P. 5 R. P. 6 R. P. 7 R. P. 8
R. P. 1 R. P. 2 R. P. 3
Signes de l'énoncé
TD externe TD interne
Savoir savant Savoir à enseigner Savoir enseigné
Pour les enseigner, le professeur doit donc réorganiser les connaissances an
qu'elles se prêtent à cette description, à cette épistémologie. C'est le début du
processus de modication des connaissances qui en change l'organisation, l'impor-
tance relative, la présentation, la genèse... en fonction des nécessités du contrat
didactique. Nous avons appelé transposition didactique cette transformation.
(Brousseau, 1986, p. 56-57)
3.78. On ne fait ici que rappeler le sous-titre du livre de Chevallard (1985, 1991) : Du savoir savant
au savoir enseigné
188 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
3.79. Étant donné un objet o et une institution I, on appelle rapport entre o et I, l'ensemble des
pratiques sociales qui se réalisent dans l'institution I et qui mettent en jeu l'objet o en question (Bosch,
Chevallard, p. 4)
7 Théorie Anthropologique du Didactique 189
le cadre de la TAD, les notions d'objet de savoir et d' institution sont intrinsè-
quement liées et précise cette relation en armant que : un objet de savoir n'obtient
son statut de savoir que relativement à une institution xée (c'est la proposition
précédente) alors que réciproquement , une institution n'est institution qu'en tant
que communauté invariante relativement à cet objet de savoir, pour la constitution
de ce savoir et pour sa diusion. Par exemple, au lycée, un vecteur est associé à
un déplacement (une translation) et est ainsi caractérisé/déni par une longueur,
une direction et un sens alors qu'à l'université, ce même objet vecteur, est déni
de manière axiomatique (la notion de norme de vecteur pose dans l'enseignement
supérieur de nouvelles dicultés en lien avec la bilinéarité). L'exemple précédent,
en illustrant un choix institutionnel quant à la dénition de vecteur soulève la
question de la réorganisation, de l'adaptation voire de la transformation des savoirs à
enseigner. Cet exemple souligne également la distinction entre le savoir savant, celui
construit par les mathématiciens au cours de l'histoire, et le savoir enseigné dans une
institution donnée. On retrouve ici la notion introduite plus haut de transposition
didactique qui met en évidence l'aspect institutionnel du savoir. On peut alors dénir
les termes employés précédemment au sein du cadre de la TAD :
la savoir mathématique de référence est en fait un savoir en construction, un
modèle théorique pour la recherche ;
le savoir savant correspond à un état xé du savoir mathématique en construction
au sein des institutions de recherche ;
le savoir à enseigner correspond au savoir tel que les institutions à l'origine des
programmes l'envisagent.3.80
le savoir enseigné correspond au savoir de l'institution classe . Notons qu'ici
aussi, il y a une diérence entre le savoir tel qu'enseigné par le professeur et le
savoir tel que reçu par le groupe classe et plus localement encore par l'élève.
Dans la TAD, les objets de savoir ne pouvant être possédés (De Vleeschouwer,
2010, p. 12), on étudie le rapport qu'une personne a à un objet au sein d'une
institution. Ainsi, en notant o l'objet de savoir (par exemple la notion de vecteur), I
l'institution dans laquelle cet objet est amené à vivre, et x la position de la personne
au sein de I (ici x est élève ou enseignant), le rapport RI (élève; o) dière du rapport
RI (enseignant; o). Ce rapport entre une personne et un objet ne peut naître et
évoluer qu'au travers d'activités liées, explicitement ou implicitement, à cet objet.
Pour espérer observer la naissance ou l'évolution d'un rapport à un objet o, il
faut, si je puis dire, observer l'individu x ou l'institution I dans son rapport à
o , dans les activités de x ou de sujets de I qui activent o. De là prirent pro-
gressivement forme les notions clés de type de tâches, de technique , de technologie
et de théorie. (Chevallard 2007, p. 6)
3.80. Une remarque s'impose ici : les programmes du secondaire dépendent de l'Inspection Générale,
ont donc un caractère global (national dans ce cas), sont établis en dehors de l'institution dans laquelle
ce savoir est développé et en dehors de l'institution dans laquelle ce savoir sera enseigné. À l'université,
le programme est établi localement, au sein de la même institution à l'origine de ce savoir. Il y a là une
réelle diérence entre les transpositions en jeu pour l'enseignement secondaire et celles pour l'enseignement
universitaire.
190 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Pour décrire cette activité, la TAD introduit les notions de type de tâches, de
technique, de technologie et de théorie, éléments constitutifs de celle d'organisation
mathématique. Schématiquement, pour accomplir une tâche, on utilise une tech-
nique ; cette technique est justiée par un discours nommé technologie ; et cette
technologie est à son tour justiée par une théorie. Nous détaillons et illustrons
chacune de ces quatre composantes dans les deux sections qui suivent.
An de modéliser les pratiques liées à l'activité mathématique, la TAD s'appuie sur
la notion de tâche et plus généralement de type de tâches et postule que toute pra-
tique institutionnelle se laisse analyser, de diérents points de vue et de diérentes
façons, en un système de tâches. Par exemple, montrer qu'une application ' est
un endomorphisme de E est un type de tâches et montrer que l'application '
dénit par '(P ) = P 0 ¡ P est un endomorphisme de Rn[X] est une tâche.
Une tâche ou un type de tâches étant donnés, se pose maintenant la question de
la manière de faire an daccomplir cette tâche. La TAD introduit la notion de
technique3.81 et postule que l'accomplissement de toute tâche résulte de la mise en
÷uvre d'une technique. Par exemple, pour accomplir une tâche du type montrer
que est une valeur propre d'un endomorphisme ' de R3 , une technique possible
consiste à montrer que rg(' ¡ id) < 3. On remarque qu'associée à une même
tâche, il existe souvent plusieurs techniques de résolution de cette tâche. Ainsi, pour
résoudre la tâche précédente, on aurait pu aussi faire appel à la technique consistant
à calculer le polynôme caractéristique, ou alors à la technique reposant sur notre
capacité à deviner par combinaison des colonnes de matB(') un vecteur propre
associé à la valeur propre 3.
On appelle alors bloc practico-technique3.82 tout couple [T ; ] où T désigne un type
de tâche et désigne une technique relative à une tâche t 2 T . Néanmoins, on peut
remarquer que pour certaines tâches, il n'existe pas encore de technique accessible
à toute personne d'une institution donnée. Plusieurs raisons sont envisageables :
par exemple, dans le cadre de l'enseignement de l'algèbre linéaire, les élèves d'une
classe ne peuvent pas déterminer le noyau d'une application linéaire avant d'avoir
rencontré cette notion ; dans le cadre de la recherche, ces tâches problématiques pour
lesquelles les techniques usuelles se montrent inecaces permettent aux chercheurs
de construire de nouvelles techniques.
3.81. Plus précisément, pour Chevallard, une technique permet de réaliser les tâches t 2 T : la notion
de technique est donc associée à l'ensemble T et non à l'élément t. Il précise d'ailleurs qu'une technique
ne réussit que sur une partie P(T ) des tâches du type T auquel la technique est relative : il nomme
cette partie P(T ) la portée de la technique.
3.82. Barbé et al. (Barbé et al., 2005) proposent d'assimiler savoir-faire à cette notion de bloc
practico-technique.
7 Théorie Anthropologique du Didactique 191
3.83. Remarquons qu'ici aussi est intrinsèquement lié à l'institution dans laquelle il se situe.
192 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
puis,
7 Théorie Anthropologique du Didactique 193
tout problème est d'abord envisagé comme doté d'une certaine généricité, celui
qui l'aronte cherche a priori à le mettre en relation, plus ou moins étroite, avec
un ou des types de tâches pour lesquelles il a déjà construit des praxéologies de
traitement ; inversement, toute nouvelle manière de faire est considérée comme
potentiellement généralisable et donc à capitaliser. (Castela, 2011, p. 97)
Pour Castela, ces connaissances peuvent être considérées comme savoirs, car
reconnues institutionnellement dans le milieu de la recherche mathématique. Ces
savoirs d'ordre stratégique plus que tactique, sont des savoirs sur le fonctionnement
mathématique d'une part et d'autre part des savoirs concernant l'activité de réso-
lution proprement dite, considérée comme dotée de traits relativement invariants,
d'une situation de recherche à l'autre et d'un sujet à l'autre (Castela, 2011, p.37).
Par ailleurs, Castela arme que ces savoirs pratiques
circulent dans certains cercles plus ou moins restreints de la recherche mathé-
matique (Castela, 2011, p. 26)
Puis, Gowers exhibe une telle première connaissance instituée qui apparait
comme savoir pratique institué au sein de la communauté des mathématiciens
For the remainder of this post, I want to discuss a couple of failures. The rst is
a natural idea for generalizing the problem to make it easier that completely fails,
at least initially, but can perhaps be rescued, and the second is a failed attempt
to produce a counterexample. I'll present these just in case one or other of them
stimulates a useful idea in somebody else. (Gowers, 2016, post 0)
Gowers s'appuie ensuite sur un autre savoir pratique issu ici d'une micro-insti-
tution mathématique (Farah, 2015, p. 127)
An immediate reaction of any probabilistic combinatorialist is likely to be to
wonder whether in order to prove that there exists a point in at least half the sets
it might be easier to show that in fact an average point belongs to half the sets.
(Gowers, 2016, post 0)
3.85. Cette distinction rappelle celle proposée par Sierpinska (Sierpinska, 2000) quant aux deux modes
de pensée qu'elle dénit : la pensée pratique ou pratical thinking et la pensée théorique ou theoretical
thinking .
7 Théorie Anthropologique du Didactique 195
" #
th
Castela aboutit au modèle praxéologique suivant T ; ; p ; et propose
une classication fonctionnelle des savoirs technologiques d'un bloc practico-tech-
nique [T ; ]. Ainsi, pour Castela, la technologie possède six fonctions possibles
que Farah (Farah, 2015) regroupe en deux blocs : un premier bloc comprenant les
deux fonctions valider la technique et expliquer la technique en lien avec les
savoirs théoriques permettant de justier l'usage de la technique ; un second bloc
comprenant les fonctions décrire la technique , faciliter la mise en ÷uvre de la
technique , motiver la technique et les gestes qui la composent et évaluer la
technique , plutôt orientés vers la composante pratique et non pris en charge par
un savoir théorique.
Équipée de cette modélisation, Castela se propose alors de dénir des outils per-
mettant de diérencier les tâches prescrites par les enseignants suivant la complexité
des activités requises par la résolution (Castela, 2008, p. 150). Elle précise plus
loin qu'il s'agit de mettre en évidence une chronogénèse praxique : les avancées du
temps didactique sont marquées par l'apparition d'objets de savoir, celles du temps
praxique le sont par l'apparition d'exigences pratiques nouvelles (Castela, 2008, p.
151). Castela dénit une tâche prescrite comme un couple associant l'énoncé et le
contexte de prescription (Castela, 2008, p. 151) où contexte fait référence à la TSD
avec les notions de milieu et de contrat. Castela revient sur le rôle de l'enseignant au
cours de la résolution d'une telle tâche : ses interventions modient le couple initial
et amène à distinguer tâche potentielle, à partir de l'énoncé de l'enseignant, de tâche
eective, celle qui détermine eectivement l'activité de l'étudiant. Nous verrons
en quoi le modèle d'analyse des raisonnements de Bloch-Gibel et le diagramme
sémiotique constituent des outils d'analyse de l'une ou l'autre de ces deux types de
tâches.
An de diérencier les tâches, et permettre par exemple à un enseignant de choisir les
tâches qui lui semblent adaptées à ses objectifs, Castela propose un tableau à double
entrée3.86 : une première entrée consiste à rechercher les éléments du savoir théorique
accessibles aux étudiants et utilisés dans l'ensemble des résolutions possibles de
la tâche ; une seconde entrée consiste à déterminer la sensibilité3.87 des objets
présents dans le contexte mathématique du problème et manipulés lors de la mise
en ÷uvre de la technique (Castela, 20008, p. 154). Pour le premier axe d'analyse,
Castela rappelle que dans une organisation mathématique OM0 = [T0; 0; 0th ¡
0p; 0], si l'étudiant doit reconnaitre la tâche T0 ou si, malgré les spécicités
technologico/théoriques du problème et de son contexte, il doit choisir OM0 parmi
plusieurs OM relatives à T0 pour mener à bien la résolution (Castela, 2008, p. 152),
Castela dit que l'organisation mathématique ecace OM0 intervient au niveau
3.88. Équipé de la sémiotique de Peirce, nous associerons plus loin raisonnement corollariel à OM t-
convoquée et raisonnement théorématique à OM r-convoquée.
7 Théorie Anthropologique du Didactique 197
Pour Castela, un tel curriculum praxique peut dicilement être déployé dans
son intégralité s'il reste institutionnellement ignoré. À la suite de nos travaux
sur les CPGE, nous posutlons que les interrogations orales constituent une ins-
titutionnalisation ociellement rythmée de ce curriculum praxique.
3. Pour décrire la transition secondaire/supérieur :
Discipline
m
Domaine
m
Secteur
m
Thème
m
Sujet
Figure 3.33. Échelle des niveaux de détermination didactique (Chevallard,
2007)
198 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
Ainsi, dans le cadre de la TAD, pour une institution xée, on dit qu'une orga-
nisation mathématique est
ponctuelle lorsqu'elle ne porte que sur un type de tâches3.89 ;
locale lorsqu'elle est constituée par l'articulation de plusieurs organisations ponc-
tuelles autour d'une technologie relative commune ;
régionale lorsqu'elle constituée par l'articulation de plusieurs organisations
locales autour d'une théorie relative commune ;
globale (ou régionale interreliée) lorsqu'elle constituée par l'agrégation de plu-
sieurs organisations régionales3.90.
3.89. Comme nous l'avons déjà souligné, une tâche peut être réalisée par plusieurs techniques. Pour
qu'il y ait unicité de la technique relative à un type de tâches, il faudrait que ce type de tâches soit
très contraint. On pourrait alors parler d'organisation mathématique atomique pour une organisation
construite autour d'un unique couple [t; ]. L'organisation mathématique ponctuelle serait alors consituée
par l'articulation de plusieurs organisations mathématiques ponctuelles ayant une technique relative com-
mune. On conserverait ainsi l'aspect récursif de cette construction des organisations mathématiques qui
s'avère essentiel dès que l'on aborde des domaines mathématiques tels que l'algèbre linéaire.
7 Théorie Anthropologique du Didactique 199
3.90. Nous n'utiliserons pas ce type d'organisation mathématique, ce degré de généralisation n'étant
pas lindispensable pour nos travaux.
200 Présentation des cadres théoriques et méthodologie
1. Questions de recherche
Les chapitres précédents nous permettent de préciser nos questions de recherche et,
pour certaines, d'apporter des éléments épistémologiques de réponse.
Au sein du troisième groupe thématique TWG3 (Logic, Numbers and Algebra)
d'INDRUM 2016, Bosch posait comme centrale la question de la façon dont les étu-
diants appréhendent les notions mathématiques de l'enseignement supérieur. Nous
avons montré, en nous appuyant sur les travaux de Bloch et Gibel (2011) en quoi
une analyse des raisonnements produits par les étudiants fournit des observables
dont l'étude apporte des éléments de réponse à la question de Bosch
Si, comme on peut bien le penser, la principale préoccupation professionnelle a
été et continue à être de se demander comment amener les élèves à `bien raisonner'
et à démontrer (...). (Bloch, Gibel, 2011, p. 3)
Conclusion du chapitre 3 : explicitation des questions de recherche et méthodo-
logie 201
diculté de l'articulation des ces deux objets que sont les matrices et les appli-
cations linéaires. Tout ceci peut donc constituer des dicultés pour les étudiants.
En plus d'identier ruptures et obstacles, notre analyse épistémologique de l'axio-
matique nous permet aussi de poser la question suivante :
Les règles syntaxiques formalisantes de l'algèbre linéaire ne sont-elles pas pré-
gnantes et ne font-elles pas passer au second plan l'aspect sémantique des objets
utilisés ?
Les dicultés intrinsèques étant maintenant (en partie) précisées, nous pouvons
revenir sur les questions relatives aux autres types de diculté (Gueudet, 2008c),
en lien avec les raisonnements envisageables et ceux eectivement produits.
Le modèle d'analyse des raisonnements de Bloch et Gibel (2011), que nous avons
présenté et complété au chapitre 3, et en s'appuyant sur le diagramme sémantique,
devrait nous permettre d'étudier la nature des dicultés rencontrées par l'étudiant.
Nos travaux visent donc à apporter des éléments de réponse aux questions sui-
vantes :
Au travers de la mise en situations réelles, quels sont les savoirs et connaissances
mobilisés ?
Plus précisément, avec le cadre proposé par la TSD :
¡ Sous quelles formes apparaissent les raisonnements produits par les étudiants au
cours des diérentes phases d'une situation d'interrogation orale en CPGE ?
¡ Le modèle présenté permet-il de les analyser ?
¡ Quelles fonctions recouvrent les raisonnements produits par les étudiants ?
¡ Sont-elles en adéquation avec le projet initial de l'enseignement explicité et étudié
en TSD par l'analyse a priori détaillée produite par le chercheur ?
¡ Comment les raisonnements produits par les étudiants dans les situations
d'action ou de formulation sont-ils eectivement utilisés lors de la situation de
preuve ?
Ces questions devraient nous permettre d'envisager des éléments de réponses au
problème suivant :
À quel moment les étudiants rencontrent-ils des dicultés ? Comment les aider
à en prendre conscience, à les identier et à les dépasser ?
La TSD fournissant également un cadre propice à l'ingénierie didactique, nous pou-
vons enrichir la question précédente relative aux dicultés des étudiants en nous
demandant :
Comment adapter les dispositifs classiques existants an qu'ils permettent
une meilleure prise en compte des raisonnements (produits) aux savoirs mathéma-
tiques visés ? 3.91
Enn, en nous situant dans le cadre de la TAD avec la notion de savoirs pratiques de
Castela (2004) et dans le cadre de la TSD avec les aspects de l'institutionnalisation
de Comin (2000), nous pouvons formuler une question transverse à notre probléma-
tique initiale et l'aborder dans chacun de ces deux cadres :
Qu'institutionnalise-t-on à l'issue d'une interrogation orale ?
3.91. Nous retrouvons ici la question posée par Gibel (2008)
Peut-on favoriser la pratique des raisonnements en faisant dévolution, aux élèves,
de situations dans lesquelles ils produisent et utilisent leurs raisonnements pour
répondre aux exigences de la situation ? (Gibel, 2008, p. 5)
Conclusion du chapitre 3 : explicitation des questions de recherche et méthodo-
logie 203
sémantique. Pour l'analyse a priori en lien avec la structuration du milieu, nous envi-
sageons ici deux analyses qui illustrent l'emboîtement en couches d'oignons des
milieux. Une analyse a priori descendante, située du côté de l'enseignant, part donc
de la situation noosphérienne avec l'enseignant P+3 (P¡noosphérien) pour aboutir
à la situation de référence avec l'enseignant P¡2 (P¡dévolueur et P¡observateur).
Puis, une analyse a priori ascendante, située du côté de l'étudiant qui part donc de
la situation objective avec l'étudiant E¡3 (E¡objectif) pour aboutir à la situation de
construction avec l'étudiant E+2 (E¡autonome). Concernant l'analyse a priori des
raisonnements, nous identions les éléments produits lors de l'analyse a priori perti-
nents au regard des dimensions du modèle d'analyse des raisonnements, dimensions
que nous rappelons ci-dessous pour l'analyse a posteriori. Nous complétons cette
analyse par une analyse sémiotique ne des representamens en jeu dans la situation
mathématique en illustrant le fonctionnement du diagramme sémantique décrit plus
haut.
Pour la première étape de l'analyse a posteriori des raisonnements, nous nous
appuyons sur les données recueillies après la mise en ÷uvre et proposons une retrans-
cription des observables écrits et/ou oraux produits au cours de la séance. Puis
nous précisons les éléments essentiels du déroulement eectif de la séance. Nous
procédons alors à l'analyse a posteriori des raisonnements à proprement parlé en
identiant les diérentes dimensions. Nous identions tout d'abord le niveau de
milieu correspondant auquel est confronté l'étudiant. Pour cela, nous nous appuyons
sur les observables de l'étudiant mais aussi de l'enseignant. Ces observables nous
permettent de déterminer les raisonnements eectivement produits au cours de la
situation. Puis, à l'aide des observables relevés, nous pouvons préciser les fonc-
tions des raisonnements eectivement produits, en lien avec les milieux concernés.
Pour le point de vue de l'analyse sémiotique, nous analysons les representamens
des raisonnements produits. En appliquant les éléments théoriques du ce chapitre,
nous pouvons alors déterminer le niveau d'incorporation de l'objet dynamique
dans l'objet immédiat : sous forme iconique, indicielle ou symbolique. Nous pouvons
aussi déterminer l'aspect syntaxique ou sémantique du raisonnement produit. Nous
précisons ensuite les éléments du répertoire utilisés par l'étudiant ainsi que le fonc-
tionnement du système organisateur proposé par l'étudiant. Enn, en nous appuyant
sur des observables langagiers et/ou symboliques logiques, nous essayons de préciser
la forme de raisonnement qui peut être de type déductif, inductif ou abductif.
Partie II
Partie expérimentale
Conclusion du chapitre 3 : explicitation des questions de recherche et méthodo-
logie 211
Chapitre 4
Analyse d'ouvrages, OM et analyses cur-
riculaires
1. Analyse d'ouvrages
Dans la partie épistémologique, nous avons amorcé le phénomène de la transposition
didactique par une étude du savoir savant : nous avons essayé de comprendre les liens
historiques et épistémologiques entre la genèse de l'algèbre linéaire et les applications
linéaires. Puis nous avons évoqué quelques ouvrages qui nous ont semblé impor-
tants dans la démocratisation institutionnelle de de l'enseignement de l'algèbre
linéaire4.1 jusqu'à la parution de l'ouvrage de Kemeny (1956) et l'introduction de
l'algèbre linéaire dans les premières années d'université (Tucker, 1993).
En nous situant toujours du côté du savoir à enseigner, nous souhaitons proposer
ici un rapide survol de diérents types d'ouvrages, consacrés à l'enseignement de
l'algèbre linaire. Ces ouvrages, post 1956, sont utilisés par les enseignants et/ou les
étudiants de C.P.G.E et de Licence à l'Université. Nous avons du eectuer un choix
parmi une multitude d'ouvrages. Voici les ouvrages que nous allons étudier :
Linear algebra de Homan et Kunze (1961) ;
Linear algebra de Lang (1966) ;
Elementary linear algebra de Anton (1973) ;
4.1. On pense ici aux ouvrages de Mc Duee, de Halmos, de Mac Lane et Birkho, de Schreier et
Sperner, de Gel'fand, de Bourbaki.
213
214 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
Enn, pour l'analyse des contenus en lien avec les savoirs pratiques, nous étu-
dions la quantité d'exercices proposés et leur complexité, précisons leur place dans
l'ouvrage et dans le chapitre, ainsi que les cadres et registres sollicités.Lorsque cela
est possible, nous concluons l'étude en nous appuyant sur une recension de l'ouvrage
étudiée, recension dont la publication est contemporaine à la sortie de l'ouvrage.
Cette recension nous permet de mieux appréhender l'ouvrage et sa perception lors
de sa publication.
Ils proposent alors un long discours théorique de deux pages qu'ils illustrent à
l'aide de deux exemples matriciels. Nous pensons que l'on peut voir ici la distinction
proposée par Castela (2008) entre th et p : les deux exemples proposées représentent
ici ce que Durand-Guerrier et al. (2014) qualient d'exemple paradigmatique et
constituent des éléments de p alors que le discours qui précède est un élément de th.
1 Analyse d'ouvrages 217
Le chapitre 3 aborde l'objet qui, pour les auteurs, sera le plus étudié dans toute
la suite de l'ouvrage : les applications linéaires. Ce chapitre, à l'instar des précé-
dents, est découpée en sections, ici au nombre de sept : linear transformations ; the
algebra of linear transformations ; isomorphism ; representation of transformations
by matrices ; linear functionals ; the double dual ; the transpose of a linear trans-
formation. Ce découpage renforce le caractère axiomatique de sa présentation et
eectivement, à nouveau, le chapitre commence par une dénition, ici celle d'appli-
cation linéaire. Cette dénition est illustrée par cinq exemples : l'endomorphisme
identité dans le cas générique, la dérivation des fonctions polynomiales, l'application
T (X) = A X où A est une matrice mR n, l'application T (A) = P A Q où P 2 Fmm,
x
Q 2 Fnn et A 2 Fmn et (T f )(x) = 0 f (t) dt sur l'espace des fonctions réelles conti-
nues sur R. Le premier théorème assure, pour une base ( i)i de V où dim V = n et
une famille ( i)i de n vecteurs de W , l'existence et l'unicité d'une application linéaire
f telle, pour tout i, f ( i) = i. Ce théorème, appelé souvent propriété universelle, est
illustré dans un exemple avec V = R2 et W = R3 puis généralisé à V = Fm et W = Fn
avec l'apparition de la matrice et du produit à gauche T (x1; :::; xn) = [x1xn] B
comme description explicite d'une application linéaire. Suivent alors les notions
de rang et de nullité (dim ker T ) utilisées dans le second théorème du chapitre : le
théorème du rang. Ce théorème est établi et montré dans le cas où l'espace d'arrivée
est de dimension quelconque. Le troisième théorème établit que rg(A) = rg(tA). Sa
démonstration repose sur une application du théorème du rang appliqué à la fonction
T dénie de Fn1 dans Fm1 par T (X) = A X. Cette section se clôt par treize
exercices, alors que les sections précédentes contenaient environ huit exercices. La
section suivante commence par montrer la structure vectorielle de L(E ; F ) dans le
quatrième théorème du chapitre. Puis, le cinquième théorème donne la dimension
de L(E ; F ) en fonction des dimensions (nies) de E et F . Ce théorème est établi en
appliquant le principe universel (second théorème du chapitre). Le sixième théorème
permet, sous certaines conditions de dénition, de montrer que la composée de deux
applications linéaires et aussi une application linéaire. Les auteurs dénissent alors
la notion d'endomorphisme puis celle d'isomorphisme. Le septième théorème établit
que si T 2 L(V ; W ) est un isomorphisme alors T ¡1 est un isomorphisme de W sur
V . Le huitième théorème permet de caractériser les applications linéaires injectives
à travers leur action sur toute famille libre de vecteurs. Enn, le dernier théorème
du chapitre établit l'équivalence entre injectivité, surjectivité et bijectivité dans le
cas où les espaces de départ et d'arrivée sont de même dimension (nie). Ici encore,
cette section se clôt par un nombre important d'exercices : douze. La section suivante
est courte, moins de deux pages, et ne contient qu'un seul théorème : celui armant
que tout espace de dimension n sur F est isomorphe à Fn. Ce théorème permet
aux auteurs de souligner l'isomorphisme entre Fn et Fn1. La section suivante
commence par une discussion qui se révèle être la preuve du théorème écrit après et
qui assure l'existence d'une matrice associée à une application linéaire relativement
à un choix de bases. Suivent ensuite le théorème d'isomorphisme entre L(V ; W )
et Mn;p(F), deux exemples d'écriture matricielle d'endomorphismes, du théorème
exhibant le lien entre composition d'applications linéaires et produit matriciel et
enn du théorème de changement de bases et de la dénition de matrices sembla-
bles. Cette section se clôt par douze exercices. Nous n'abordons pas les sections
218 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
suivantes, relatives à la notion de dualité hors des programmes qui nous intéressent.
Les exercices proposés se situent tous dans Fn ; Fnm ou dans le cadre algébrique
générique. Le seul exercice faisant intervenir une intégrale apparaît dans la dernière
section du chapitre, consacrée à la dualité.
En conclusion, le livre de Kunze et Homan propose une introduction axioma-
tique des premières notions d'algèbre linéaire en se plaçant sur un corps quelconque.
Les cadres et registres proposés dans les exemples et exercices sont relativement peu
variés : ainsi, sur les chapitres étudiés, une seule gure est dessinée (Kunze, Homan,
1971, p. 33). On peut donc penser que les trois principes proposés par Harel, le
principe de concrétude, de nécessité et celui de généralisabilité sont partiellement
absents de l'ouvrage pour le lecteur auquel il est destiné. Néanmoins, l'introduction
par les systèmes linéaires suivi des matrices, novatrice à l'époque, constitue l'un des
éléments possiblement concrets d'introduction du produit matriciel et des espaces
vectoriels. Comme le remarque MacDuee, on note également un manque d'exem-
ples et d'exercices techniques au prot du traitement théorique
So much time devoted to denitions and concepts must be purchased at the
expense of conventional mathematics, namely techniques (which the authors look
down upon) and applications. But somewhere in his career the future mathema-
tician must acquire these techniques, just as did those of an older generation who
afterwards developed the abstract approach. (MacDuee, 1961, p. 820-821)
Dans cette optique, Anton choisit de favoriser les exemples numériques (la cin-
quième édition que nous étudions ici en contient plus de 200) et les interprétations
géométriques et adopte une position hybride quant aux preuves présentées dans
l'ouvrage
My treatment of proofs varies. Those proofs that are elementaryand have signi-
cant pedagogical content are presented precisely, in a style tailored for beginners.
A few proofs that are more dicult, but pedagogically valuable, are placed at
the ends of the sections and marked Optional . Still other proofs are omitted
completely, with emphasis placed on applying the theorem. Whenever a proof is
omietted, i try to motivate the result, often with a discussion about its interprat-
tation in 2-space or 3-space. (Anton, 1987, preface)
Ce choix de rigueur quant à la présence des preuves est l'une des spécicités du
livre d'Anton
Consider, for example, the balance between intuition and rigor. (...) Anton
has tried to strike a good balance by including proofs in the text when they
are especially elegant or simple, while omitting some other proofs which are too
complicated to be enlightening at this level of mathematical maturity. Sometimes
he gives an informal discussion of the idea, followed by a formal statement of the
theorem. (Kullman, 1974, p.298)
4.2. Denition. A subset W of a vector space V is called a subspace of V if W is itself a vector space
under the addition and scalar multiplication dened on V . (Anton, 1987, p. 155)
4.3. Theorem 4. If W is a set of one or more vectors in a vector space V , then W is a subspace of
V if and only if the following conditions are satised :
(a) If u and v are vectors in W , then u+v is in W .
(b) If k is a scalar and u is a vector in W , then ku is in W . (Anton, 1987, p. 156)
4.4. Ni Kunze et Homan ni Lang ne proposent de notation. Anton, à l'instar de Kunze et Homan
et à la diérence de Lang, montre que linfv1; :::; :::; vn g déni en tant qu'espace engendré par (v1; :::; vn)
est l'ensemble des combinaisons linéaires de (v1; :::; vn).
224 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
There are two major reasons why this indirect procedure is important, one
quite practical and the other theoretical:
1. This procedure makes it possible to carry out linear transformations on a
computer using matrix multiplication.
2. The procedure shows that by working with coordinate vectors, all linear trans-
formations on nite-dimensional vector spaces can be represented as matrix
transformations. Thus, answers to theoretical questions about general linear
transformations on nite-dimensional vector spaces can often be obtained by
studying just the matrix transformations. Such matters are considered in detail
in more advanced linear algebra courses. (Anton, 1987, p. 286)
Cette représentation diagrammatique est centrale dans la section suivante sur les
matrices semblables : Anton l'utilise comme outil de preuve de la formule liée au
changement changement de base : A 0 = P ¡1 A P . Il énonce également un Warning
sur l'interversion possible entre P et P ¡1
Chaque section se conclut par une série de nombreux exercices (entre 20 et 30)
et chaque chapitre se termine en plus par une série d'exercices dits supplémentaires.
Les exercices y sont de dicultés variées, du calculatoire à la preuve de théorème.
Comme les ouvrages de Kunze et Homan et celui de Lang, les cadres envisagés
restent principalement numériques mais le registre graphique, beaucoup plus présent
dans l'ouvrage d'Anton, donne lieu à des exemples et exercices relevant du cadre
géométrique. Notons ici aussi la quasi-absence du cadre fonctionnel, en particulier
dans le chapitre sur les applications linéaires.
En conclusion, le livre d'Anton propose une introduction motivée à la fois par
la résolution de systèmes linéaires, comme chez Kunze et Homan, et par le cadre
de la géométrie euclidienne en dimensions 2 et 3 qui fournit un support, comme
chez Lang. Comme le souligne Kullman (1974), un point de comparaison possible
lors de l'analyse de livres d'algèbre linéaire est l'usage qui est fait des structures
mathématiques, en tant que notions unicatrices des diérents cadres rencontrés.
Alors que chez Kunze et Homan et chez Lang, l'approche structurelle est explicite,
l'absence de volonté de formalisme chez Anton restreint la portée l'unication à
l'espace des solutions d'un système linéaire, à son interprétation géométrique et à
leur structure vectorielle commune
Anton (...) employs geometric ideas to good advantage, but he leaves out the
algebra of linear transformations and the notion of isomorphism. (Kullman, 1974,
p. 298)
Associée à cette dicile unication des objets d'algèbre linéaire vie la structure
vectorielle, Kullman (1974) relève aussi le rôle que la notion de rang joue en algèbre
linéaire et regrette sa présence tardive dans l'ouvrage d'Anton
Weaknesses of Anton include his failure to exploit the concept of rank until late
in the book. This is another unifying concept which could be used in a number of
places. (Kullman, 1974, p. 299)
Comme pour les deux ouvrages précédents, le chapitre concernant les applica-
tions linéaires, et en particulier les exercice proposées, constituent un marqueur
des cadres et registres sollicités par l'auteur pour introduire et manipuler les objets
d'algèbre linéaire. Et dans cet ouvrage comme dans les deux précédents étudiés, le
cadre fonctionnel, plus dicilement numérisable, est très peu présent. Néanmoins,
on note l'apparition de commentaires de niveau méta pour chaque notion introduite :
on assiste d'ailleurs à une forte augmentation du nombre de pages des ouvrages
au vu des notions abordées. Enn, comme le relève Kullman, les ouvrages publiés
jusqu'alors ne mentionnent que rarement des applications de l'algèbre linéaire à
d'autres domaines
None of the three books says much about applications of linear algebra to other
subjects. This is a defect which is all too common among books in this category.
(Kullman, 1974, p. 298)
Les éditions futures de l'ouvrage d'Anton, dont la cinquième étudiée ici, comblent
cette lacune avec un chapitre dédié aux applications.
226 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
Cet ouvrage est publié après les recommandations du LACSG (Carlson et al.,
1993b) dont Lay est l'un des membres. Folland et Stuart (2005), dans leur recension
de l'ouvrage de Lay, en rappellent les cinq principales
(i) A rst course in linear algebra must respond to the needs of the client
disciplines. (ii) A rst course in linear algebra should be a matrix-oriented course.
(iii) A rst course should be organized around students' needs as learners. (iv) A
rst course should utilize technology. (v) At least one "second" course in matrix
theory or linear algebra should be a high priority for every mathematics curri-
culum. (Folland, Stuart, 2005, p. 285).
Ces deux questions constituent le l directeur des quatre premiers chapitres jusqu'à
l'obtention de la notion de rang. Comme dans l'ouvrage d'Anton, la réduction est
abordée via un exemple générique et permet d'établir un première réponse aux deux
questions posées. Le théorème ainsi obtenu n'est justié que par des exemples et de
simples remarques : aucune preuve logique au sens usuel du terme n'est proposée.
Lay associe à un système linéaire la notion d'équation vectorielle (où Rn est déni
comme l'ensemble des vecteurs colonnes à n lignes), puis celle d'équation matricielle.
Cette présentation illustre l'importance de la notion de colonne4.5 d'une matrice par
rapport à celle de coecient
The denitions and proofs focus on the columns of matrix rather than on the
matrix entries. (Lay, 1994, preface)
Lay donne ensuite une première description algébrique de l'ensemble des solu-
tions d'un système linéaire sans puis avec second membre en s'appuyant sur des
représentations graphiques dans le plan. La notion de dépendance linéaire est ensuite
abordée dans le cas de Rn et les preuves reposent sur l'ensemble des solutions
de systèmes linéaires. Les applications linéaires sont introduites du produit d'un
vecteur de R4 par une matrice A de taille 2 4 : la fonction x 7! A x. La notion
d'application est introduite (sous les noms de transformation , function et
mapping ). Puis l'application T : x 7! A x de Rn dans Rm est introduite sous le nom
matrix tranformation et constitue les seules applications étudiées. La dénition
d'application linéaire est donnée, en supposant implicitement que les vecteurs sont
des éléments de Rn et leurs images de Rm. Ainsi la notion d'application linéaire est
introduite en tant qu'objet associé à une matrice. Des représentations graphiques
illustrent les exemples choisis pour cette dénition. La section suivante aborde la
matrice en tant qu'objet associé à une application linéaire. Après avoir traité un
exemple introductif, où T (e1) et T (e2) étant donnés il faut déterminer une expression
de T (x) avec x quelconque dans R2 de base (e1; e2), Lay énonce le théorème qui à une
application linéaire T de Rn dans Rm associe une unique matrice A. Il illustre cette
bijection en rappelant les applications linéaires géométriques du plan vues jusqu'à
présent. Puis, en lien avec les applications linéaires et en suivant le l directeur xé
au début, il dénit la notion d'injectivité et de surjectivité
4.5. On note ici l'inuence des logiciels matriciels tels que Matlab, Scilab ou Octave ou encore le
module numpy de Python où les opérations par slicing sont courantes.
228 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
Ce chapitre se clôt par un section dédiée à des applications des modèles linéaires.
Le chapitre suivant est consacré au calcul matriciel. Notons que la dénition du
produit matriciel est celle que l'on retrouve dans les recommandations du LACSG
Abstract vector spaces are covered, and a variety of spaces are mentioned, but
disappointingly, most examples and exercises use either Rn or a low-dimensional
space of polynomials. (Folland, Stuart, 2005, p. 285)
Cet ouvrage de Uhlig est publié en 2002 chez Prentice Hall et contient 502 pages. Cet
ouvrage est destiné aux étudiants undergraduate nord-américains. Uhlig a accom-
pagné son ouvrage d'articles expliquant son approche (Uhlig, 2002a, 2003a, 2003b).
Bien que de tradition anglo-saxonne, les articles d'Uhlig ne s'appuient pas sur les
modes de pensée et, pour certains, donnent lieu à des discussions didactiques (Dorier
et al., 2002b). La particularité de cet ouvrage est de considérer les applications
linéaires comme la notion principale
Cette approche repose sur une réexion épistémologique dont la conclusion est
proche des résultats de notre analyse et se trouve conrmée dans la pratique algo-
rithmique de l'auteur. La table des matières complète est la suivante :
Introduction (Mathematical Preliminaries, Vectors, Sets, and Symbols).
1. Linear Transformations.
2. Row-Reduction.
3. Linear Equations.
4. Subspaces.
5. Linear Dependence, Bases, and Dimension.
6. Composition of Maps, Matrix Inverse.
7. Coordinate Vectors, Basis Change.
8. Determinants, -Matrices.
9. Matrix Eigenvalues and Eigenvectors.
10. Orthogonal Bases and Orthogonal Matrices.
11. Symmetric and Normal Matrix Eigenvalues.
12. Singular Values.
13. Basic Numerical Linear Algebra Techniques.
14. Nondiagonalizable Matrices, the Jordan Normal Form.
Chaque chapitre démarre par une lecture , suivie d'une section théorique et/ou
d'une section d'applications. Cet ouvrage n'aborde que les espaces vectoriels Rn. La
notion d'espace vectoriel abstrait fait l'objet de l'appendice C, page 437.
Dans cet ouvrage, les applications linéaires sont donc toutes présentées4.7 sous la
forme d'un produit matriciel après avoir déni en page 13 Rn comme un espace de
vecteurs colonnes. Ainsi, une application linéaire peut être vue comme un vecteur
colonne de formes linéaires. L'analyse du contenu théorique des chapitres ne montre
pas de diérence essentielle avec les ouvrages de Lay ou d'Anton, tous les deux axés
également sur Rn : pour les uns, les systèmes linéaires constituent l'objet premier là
où pour Uhlig, ce sont les applications linéaires. Concernant notre volonté d'iden-
tier des OM relatives aux applications linéaires avant leur réduction, cet ouvrage
n'apporte que peu de d'informations complémentaires. Il se distingue néanmoins par
l'usage fréquent qu'il fait du registre graphique pour aborder les matrices et propose
une nouvelle notation qui semble ecace pour décrire graphiquement les matrices
par ses lignes ou colonnes
The notation
0 1
j j
@ a1 an A
j j
which is used to denote the matrix whose columns are (a1; :::; an), is worth
emulating. It is very clear and suggestive. (O'Malley, 2006, p. 394)
Il annonce aussi l'utilisation d'un discours non mathématique, que l'on peut
penser d'ordre méta
Enn nous n'avons pas craint d'allonger encore cet ouvrage par des remarques
nombreuses sur le choix des dénitions et sur la signication des résultats énoncés
(...). (Queysanne, 1964, p.6)
Nous avons apporté un grand soin au choix des termes et des notations. D'une
manière générale nous avons adopté les dénominations et les notations de N.
Bourbaki (...).
4.8. en utilisant le produit scalaire sans qu'il ait été déni, comme le remarque O'Malley, (2006, p. 395)
1 Analyse d'ouvrages 231
En dehors des fascicules de N. Bourbaki, j'ai beaucoup utilisé les livres et cours
polycopiés d'Algèbre parus ces dernières années, en particulier ceux de MM. Che-
valley, Choquet, Dixmier, Dubreil, Godement, Lichnerowicz, Pisot, Zamansky,
sans oublier le livre de Van der Waerden, qui reste à ce jour, sous un volume réduit,
le traité d'Algèbre le plus complet. (Queysanne, 1964, p. 7)
Les programmes des concours d'entrée dans les grandes Écoles sont nécessai-
rement très stricts; ceux de M.P. [premier cycle universitaire] peuvent être plus
souples : le choix de la frontière entre ce qu'il faut traiter et ce qu'il faut passer
sous silence est toujours délicat. (Queysanne, 1964, p. 5)
En ne détaillant que les chapitres en lien avec l'algèbre linéaire, hors déterminant,
la table de matière de l'ouvrage est la suivante
Avant-Propos
1. Ensembles. Applications. Relations.
2. Entiers naturels.
3. Lois de composition.
4. Groupes.
5. Anneaux et corps.
6. Nombres complexes.
7. Espaces vectoriels.
I. Dénition. Premières propriétés.
II. Sous-espaces vectoriels
III. Indépendance linéaire. Bases
IV. Propriétés des applications linéaires
V. Opérations algébriques eectuées sur les applications linéaires
VI. Formes linéaires. Dualité
8. Matrices.
I. Généralités
II. Opérations algébriques sur les matrices
III. Changement de bases
9. Déterminants.
10. Équations linéaires.
11. Polynômes.
12. Fractions rationnelles.
13. Équations algébriques.
14. Valeurs propres et vecteurs propres d'un endomorphisme
Réduction des matrices.
15. Formes bilinéaires symétriques et formes hermitiennes.
Chaque section de chapitre est elle-même divisée en sous-sections, numérotées de
1 pour la première sous-section de l'ouvrage à 240, pour la dernière sous-section.
Chaque sous-section se clôt par une liste courte d'exercices (de un à cinq exercices)
et chaque chapitre par vingt à quarante exercices. Il y a 559 exercices, croisant
des cadres diérents et nécessitant surtout des niveaux de connaissance souvent
mobilisables
232 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
Some of these [exercises] introduce new concepts or advance the theory beyond
what is explained in the text. (Raney, 1966, p. 796)
In his choice of terms and notations the author follows Bourbaki: he speaks of
internal and external composition laws, neutral elements, and stable subsets; he
stresses the notion of an equivalence relation compatible with given operations;
he includes remarks on the notion of a structure. (Raney, 1966, p. 796)
matrice peut être considérée comme associée à une application linéaire de Km dans
Kn. Nous reproduisons ici ce que l'on peut considérer comme un discours comportant
des éléments du levier méta et qui précise cette relation matrice-application linéaire
Cette bijection entre L(E; F ) et M(m; n) (des bases étant choisies dans E et
E) est très importante : elle permet de passer de toute notion ou toute opération
dénie sur les applications linéaires à une notion ou à une opération dénie sur
les matrices : raisonnements et calculs étant équivalents dans L(E; F ) et M(m; n)
(E et F de dimensions nies). Il faut noter cependant :
1. En mathématiques pures il vaut mieux raisonner et calculer dans L(E; F ),
d'une part raisonnements et calculs sont intrinsèques (indépendants des bases
choisies), d'autre part, du point de vue technique, tout est beaucoup plus simple,
on évite toutes les complications d'écriture dues à la superposition d'indices. Enn
les raisonnements et calculs dans L(E; F ) sont plus généraux : beaucoup d'entre
eux s'appliquent aux espaces de dimension innie.
2. En mathématiques appliquées, au stade du calcul numérique il faut avoir
recours aux matrices.
Une question se pose enn : comment se transforme M (f ; (ai); (b j )) lorsque l'on
change de bases? Nous étudierons ce problème dans la section III. (Queysanne,
1964, p. 308-309)
Le lecteur risque d'être dérouté par la diversité des méthodes utilisées pour
résoudre et discuter un système linéaire. Rappelons que pour les questions théo-
riques il vaut mieux raisonner sur l'application linéaire f . Quant à la résolution
eective nous ferons les remarques suivantes :
Si le système comprend un petit nombre d'équations à un petit nombre d'incon-
nues, les coecients ayant des valeurs numériques spéciées (c'est-à-dire lorsqu'il
n'y a pas de paramètres) la méthode du 178, par combinaison linéaire des
équations , est en général la plus simple : elle conduit à un système de Cramer
triangulaire et éventuellement à des conditions indépendantes des inconnues, qui
indiquent si le système est possible ou non. L'utilisation des déterminants conduit,
en général, à des calculs plus compliqués : ayant choisi un déterminant principal
r =/ 0, il y a n ¡r caractéristiques à former et ensuite à calculer r autres déter-
minants pour résoudre le système principal.
Si le système comprend un petit nombre d'équations et d'inconnues avec des
paramètres, il sera bon de chercher le cas général , c'est-à-dire celui où le rang
du système est maximum; en particulier si m=n ce cas correspondra a = / 0,
234 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
Cet ouvrage nous semble être une déclinaison digeste pour un étudiant du
premier cycle d'une vision structuraliste de l'algèbre et de l'algèbre linéaire en
particulier : les structures sont introduites et manipulées avant les objets qu'elles
contiennent. La présentation y est axiomatique, sans application et sans motiva-
tion, avec peu d'illustrations numériques. Néanmoins, cette présentation a reçu
une recension favorable en France et sur le sol nord-américain4.9
Up-to-date in style, it will be welcomed for its clear presentations of many of
the topics which have become traditional in modern algebra and for its excellent
sequences of exercises.
(...)
Considering these exercises, as well as the uniformly high quality of the expo-
sition, one does not hesitate to recommend speedy translation of the present book
into English. (Raney, 1966, p. 796-797)
4.9. Notons que le livre de Queysanne ne sera pas traduit alors que le cours d'algèbre de Godement,
cité dans l'avant-propos de l'ouvrage de Queysanne, publié en France en 1963 le sera en 1968.
1 Analyse d'ouvrages 235
Le but des quatre premiers chapitres est de présenter des situations où l'algèbre
linéaire est utile. Dans les chapitres suivants, on verra comment les notions
d'algèbre linéaire permettent de les envisager dans un même cadre. (Escoer,
2002, p. 1)
Le chapitre 5 est donc le premier chapitre théorique sur les espaces vectoriels,
introduit par une note historique documentée et motivant l'importance unicatrice
de l'algèbre linéaire, qui permet de traiter de la même manière des problèmes de
domaines éloignés (...) (Escoer, 2002, p. 75). Ce chapitre permet d'introduire les
notions d'espace vectoriel et de sous-espaces vectoriels illustrées à l'aide des chapitres
précédents, celle de combinaison linéaire et d'espace engendrée, en introduisant la
notation vect(), et enn celle de somme de sous-espaces. Le cadre des énoncés
est algébrique mais les nombreux exemples permettent d'illustrer les notions dans
d'autres cadres. Notons que le relation entre vect() et intersection de sous-espaces est
écrite sous forme de commentaire. Remarquons enn qu'au cours de l'introduction
axiomatique de la notion d'espace vectoriel apparaît le terme groupe abélien ,
participant ainsi à la préparation du chapitre consacré aux groupes de la seconde
partie.
236 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
Sont ensuite abordées les notions de noyau et ses liens avec l'injectivité et la
liberté de l'image d'une famille libre, celle d'image d'une application linéaire et son
lien avec celle de famille génératrice. Suit le théorème du rang, qui fait l'objet d'une
section et dont la preuve repose sur le théorème de la base incomplète. Sont ensuite
établis les liens avec la résolution d'une équation et d'un système linéaire. Enn, une
section est consacrée à le notion d'isomorphisme qui permet à Escoer de proposer
une classication des espaces vectoriels de dimension nie. Le lien est établi entre
isomorphisme et bijection, non présent dans la dénition choisie. Nous voyons ici
une diérence de choix entre Escoer et Queysanne, indépendante des cadres et
approches axiomatique ou non de présentation des notions. Ce chapitre se clôt par
la rubrique Vers le chapitre 8 , consacré aux matrices et motivées ainsi
Nous avons dit que pour calculer dans un espace vectoriel de dimension nie, il
fallait introduire la notion de base. Maintenant que nous avons déni les applica-
tions linéaires et présenté quelques-unes de leurs propriétés, nous allons introduire
les matrices pour pouvoir faire des calculs sur les applications linéaires. (Escoer,
2002, p. 125)
4.10. On retrouve ici la notation du Fang Cheng des Neuf Chapitres de l'Art Mathématique (Blyth
& Robertson, 2002, p.vii ; Stepanova, 2010)
1 Analyse d'ouvrages 237
Cette table des matières ne laisse aucun doute quant au mode de présentation
adopté dans cet ouvrage. Et eectivement, le premier chapitre consacré à l'algèbre
linéaire suit le mode de présentation DLPTPC (Uhlig, 2002) comme le laisse
deviner l'image ci-dessous qui correspond à la première page du chapitre 27 sur
l'algèbre linéaire
L'ouvrage qui suit est un cours soigné et complet idéal pour apprendre toutes
les Mathématiques qui sont indispensables au niveau de la Licence. Il regorge
d'exercices (700) qui incitent le lecteur à réfléchir et ne sont pas de simples
applications de recettes, et respecte parfaitement l'équilibre nécessaire entre
connaissances et savoir-faire, permettant à l'étudiant de construire des images
mentales allant bien au-delà de simples connaissances mémorisées. (...)
Il insiste sur la rigueur et la précision et va au fond des notions fondamentales
les plus importantes sans mollir devant la diculté et en respectant constam-
ment l'unité des mathématiques qui interdit tout cloisonnement articiel. (Ramis,
Warusfel et al., 2006, p. vi)
1.9. Bilan
L'analyse rapide des ouvrages précédents a été menée en vue d'identier des struc-
turations d'OM possibles au sein du secteur algèbre linéaire ainsi que les cadres
et registres sémiotiques mobilisés.
Une première conclusion s'impose : on distingue des approches diérentes suivant
la culture et donc le public auquel est destiné l'ouvrage et suivant l'époque de
publication. Ainsi, dans les années 60, les ouvrages d'Homan et Kunze, de Lang
ou de Queysanne proposent une approche axiomatique, abstraite, plus ou moins
structuraliste et rarement motivée. Les ouvrages choisis nous semblent représentatifs
de la plupart de ceux publiés durant cette période : parmi d'autres,nous pouvons
citer les ouvrages de Greub (1963), de Marcus et Minc (1965), de Godement (1963)
ou encore de Dieudonné (1964). Seul Lang (1966) propose un cadre géométrique4.11
support des développements axiomatiques qui suivent. Ces cours sont hérités de celui
de Van der Waerden, comme le rappelle Queysanne (1964). Ils constituent donc des
ouvrages de référence sur l'aspect axiomatique et algébrique constitutif de l'algèbre
linéaire. Ces ouvrages ne contiennent pas ou peu d'applications, peu de registres
sémiotiques diérents et n'utilisent que rarement le cadre numérique à un niveau
technique. Comme le précise Christie
Textbook writers aim at shifting targets, hence the continuing need for new
books with old titles. One conspicuously mobile target has been the course in
linear algebra. This subject, while continuing to be an active area for advanced
study, has invaded sophomore, freshman, and even secondary-school curricula.
The older books (Bôcher, Dickson) and even the not so old ones (Halmos, Birkho-
MacLane, Homan-Kunze), though irreplaceable, were not suitable for the unso-
phisticated, unspecialized audiences generated in part by the eorts of CUPM and
SMSG. The new need stimulated a ood of books, often scarcely distinguishable
from one another. (Christie, 1973, p. 702)
Les ouvrages initiés par celui d'Anton (1973), dont celui de Lay (1994) et celui
de Uhlig (2002) que nous avons aussi analysés essaient de répondre à cette nouvelle
exigence soulevée par Christie ci-dessus. Le seul espace vectoriel étudié est Rn et la
distinction entre une propriété intrinsèque ou non relative aux objets de l'algèbre
4.11. Notons que ce chapitre introductif disparaît dans la troisième édition de l'ouvrage publiée en
1971.
2 Un choix d'OM locales 241
Nous proposons ici un choix d'OM qui n'est ni dénitif ni complet. Il peut être sujet
à discussion. Son intérêt est ici de xer un cadre pour pouvoir mesurer la complexité
des notions à enseigner et des relations qu'elles opèrent entre elles. Ce cadre doit
aussi nous permettre d'analyser le secteur algèbre linéaire des programmes ociels
de certaines lières de CPGE première année. À partir de ces OM, nous pourrons
alors déterminer les éléments du répertoire didactique que nous solliciterons lors de
l'analyse mathématique a priori de situations à venir.
OM1 : Linéaribilité
T1 montrer que ' est une application linéaire de E dans F
T2 montrer que ' est un endomorphisme de E
Par exemple, l'OM4 lien avec la représentation matricielle est justiée par
par les éléments technologiques : dénition d'une matrice, dénition de matrices
particulières, propriété universelle d'une application linéaire, structure vectorielle de
Kn, notions de coordonnées, changements de bases, théorème de la base incomplète.
Nous voyons que la justication de certains éléments technologiques de cette OM
locale est un type de tâche d'une autre OM, comme par exemple T3 de l'OM2.
On pourrait généraliser cette étude à l'ensemble des OM envisagés et aboutir à
une schématisation du type de celle que l'on trouve dans Tran Luong (2006), adaptée
ci-dessous
OM1 : Linéaribilité
Image, antécédent
OM 2 :
OM3 : propriété universelle
Injectivité
surjectivité OM5 :
bijectivité représentation Structure
OM 4 :
rang matricielle de L(E,F)
Applications linéaires
OM6 :
particulières
par rapport à des tâches qui ont pour objets les éléments de blocs théoriques
antérieurs. (Winslow, 2007, p. 195)
On peut donc ici armer que, comme dans le cadre de la dualité (De Vlees-
chouwer, 2010), les deux types de transition sont présents dans l'enseignement des
applications linéaires. Mais, comme le précise Escoer (2006), pour rendre les objets
d'algèbre linéaire calculables , nous avons recours à une numérisation du cadre
via l'expression dans une base. Ainsi, l'objet de savoir applications linéaires est
associé à l'objet de savoir matrices et calcul matriciel . Ce dernier objet de savoir
est également structuré par une OM régionale (secteur) en tant que secteur du
domaine de l'OM algèbre linéaire . Cette OM régionale est elle-même composée
de plusieurs OM locales (thèmes) que nous décrivons ci-dessous :
246 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
OM1 : matriçabilité
M1 écrire un système linéaire S sous forme d'équation matricielle A X = B où A est la matrice
des coecients de S, B celle du second membre et X celle des inconnues de S
M2 écrire une équation vectorielle x1 A1 + + xp A p = Y sous forme matricielle A X = Y où,
pour tout i 2 J1; nK, Ai 2 Mn;1(K), xi 2 K et Y 2 Mn;1(K).
OM2 : inversibilité
réduire une matrice par OEL
étudier l'inversibilité d'une matrice M 2 Mn(K) quelconque
étudier l'inversibilité d'une matrice diagonale
étudier l'inversibilité d'une matrice triangulaire
inverser une matrice M 2 Mn(K) quelconque
inverser une matrice diagonale
inverser une matrice triangulaire
déterminer rg M où M 2 Mn; p(K)
déterminer rg M où M 2 Mn(K) est diagonale
déterminer rg M où M 2 Mn(K) est triangulaire
Avant tout, on note une grande similarité entre ces deux OM régionales. Cette
similarité trouve une expression et une explication en théorie des catégories, comme
le montre Biland (2013a, 2013b)4.12. Pour cette OM régionale, nous pourrions aussi
établir et illustrer graphiquement les interactions entre blocs technologico-théoriques
et blocs practico-techniques. Mais nous voulons plutôt insister ici sur l'articulation
de ces deux OM régionales au sein du secteur algèbre linéaire . Ainsi, pour calculer
avec des applications linéaires, nous devons changer d'OM régionale pour utiliser
des techniques développées au sein de l'OM locale calcul matriciel . Mais récipro-
quement, dans le cadre d'une approximation au sens des moindres carrés dans le cas
d'une matrice de rang maximal, pour que l'objet mathématique soit calculable ,
on passera dans un cadre d'algèbre bilinéaire, éventuellement avec registre matriciel
ou algébrique. Cette remarque fait écho à une perspective de recherche proposée par
De Vleeschouwer (2010) au sujet du regard institutionnel porté sur les phénomènes
de transition
Dans le cadre de la TAD, nous pourrions alors proposer un troisième type de
transition qui apparaîtrait lorsque, pour pouvoir présenter une notion d'un secteur
particulier, il est nécessaire de concevoir préalablement qu'elle est rattachée à
diérents thèmes, secteurs voire domaines des mathématiques. Faut-il parler de
transition de 3 ème type ou de exibilité entre thèmes-secteurs-domaines ? Nous
laissons la question ouverte dans une perspective de continuation des travaux
entrepris dans notre recherche. (De Vleeschouwer, 2010, p. 200)
Nous postulons que le type de transition évoqué ci-dessus est diérent des tran-
sitions de seconde espèce. En eet, la nature plus encore que le cadre des objets
manipulés est diérente. De plus, les questions implicites pour le passage d'une OM
régionale à une autre dans ce cas de l'algèbre linéaire reposent sur une propriété,
dite universelle, non triviale4.13. Comme nous l'avons écrit plus haut, cette analogie
entre les deux OM régionales trouve également du sens au travers de la théorie des
catégories. Enn, rappelons que ce lien entre application linéaire et matrice n'appa-
raît initialement que comme une note de bas de page d'un article de N÷ther (Moore,
1995). Il nous semble important d'insister sur l'articulation entre les OM qui peut
et, dans notre cas particulier doit, intervenir pour rendre les objets calculables .
Nous n'avons pas su trouver cette notion d'articulation dans les deux espèces de
transition dénies par Winslow (2007).
Nous nous proposons maintenant d'eectuer un bref retour sur les ouvrages
analysés plus haut à travers le prisme des OM dénies ci-dessus.
3. Analyse curriculaire
Au cours de cette section, nous faisons le bilan des OM identiées en analysant le
programme4.15 commun des PCSI et MPSI puis celui des ECS première année pour
le domaine de l'algèbre linéaire.
Pour le programme commun de MPSI-PCSI, nous nous référons au programme
ociel de PCSI, l'ordre de la rédaction diérant quelque peu d'avec celui de MPSI.
Le secteur Algèbre et Géométrie est introduit ainsi
Le programme d'algèbre et géométrie est organisé autour des concepts fonda-
mentaux d'espace vectoriel et d'application linéaire, et de leurs interventions en
algèbre, en analyse et en géométrie. La maîtrise de l'algèbre linéaire élémentaire
en dimension nie constitue un objectif essentiel.
Le cadre d'étude est bien délimité : brève mise en place des concepts d'espace
vectoriel, d'application linéaire, de sous-espaces vectoriels supplémentaires,
d'algèbre et de produit scalaire, sous leur forme générale, en vue notamment
des interventions en analyse ; en dimension nie, étude des concepts de base,
de dimension et de rang, mise en place du calcul matriciel, étude des espaces
vectoriels euclidiens ; interventions de l'algèbre linéaire en géométrie ane et en
géométrie euclidienne. La maîtrise de l'articulation entre le point de vue géomé-
trique (vecteurs et points) et le point de vue matriciel constitue un objectif majeur.
Pour les groupes, les anneaux et les corps, le programme se limite à quelques
dénitions de base et aux exemples usuels ; toute étude générale de ces structures
est hors programme.
Le point de vue algorithmique est à prendre en compte pour l'ensemble de ce
programme. (Programme PCSI, p. 18)
Cette introduction permet déjà de deviner les conceptions implicites du domaine
de l'algèbre linéaire qu'ont les auteurs de ce programme4.16. En eet, la notion de
sous-espaces supplémentaires apparaît avant celle de base : on peut donc penser que
les auteurs ont une approche structuraliste des objets manipulés et que la propriété
universelle sera certainement explicitée. De plus, l'introduction du calcul matriciel
est subordonnée à la notion d'application linéaire. Néanmoins, l'articulation entre
diérents registres sémiotiques constituent un objectif majeur . Notons ici qu'il
y a un doute sur l'OM régionale ou locale implicitement associée au point de vue
géométrique. Les notions d'anneaux, corps et groupes sont réduites à leur simple
dénition et ne font l'objet d'aucune étude et d'aucun exercice particulier.
Le secteur Algèbre linéaire et géométrie ane est introduit plus loin
L'objectif est double :
¡ acquérir les notions de base sur les espaces vectoriels de dimension nie (indé-
pendance linéaire, bases, dimension, sous-espaces vectoriels supplémentaires
et projecteurs, rang), le calcul matriciel et la géométrie ane du plan et de
l'espace (sous-espaces anes, barycentres) ;
¡ maîtriser les relations entre le point de vue géométrique (vecteurs et applica-
tions linéaires, points et applications anes) et le point de vue matriciel.
Il convient d'étudier conjointement l'algèbre linéaire et la géométrie ane du plan
et de l'espace et, dans les deux cas, d'illustrer les notions et les résultats par de
nombreuses gures.
En algèbre linéaire, le programme se limite au cas où le corps de base est K4.17,
où K désigne R ou C. (Programme PCSI, p. 21)
Le texte impose le recours au registre graphique et géométrique mais notons qu'il
n'impose pas l'ostensif vect(). Le secteur Algèbre linéaire et polynômes est séparé en
trois parties pour les PCSI (et cinq parties pour les MPSI). La première partie est
consacrée aux généralités sur les espaces vectoriels et dénit la notion d'application
linéaire. Notons que le second item est
Intersection de sous-espaces vectoriels. Sous-espace engendré par une partie.
ce qui conrme le point de vue structuraliste implicite à l'élaboration du pro-
gramme. La seconde partie aborde la notion de dimension des espaces vectoriels.
La propriété universelle liant application linéaire et base y est énoncée ainsi que le
théorème du rang. La troisième partie traite du calcul matriciel. L'identication des
matrices colonnes et des vecteurs de Kn, des matrices lignes et des formes linéaires
sur Kp est un attendu écrit en colonne de droite4.18. La notion de rang d'une matrice
4.16. Notons cependant que l'enseignant a entière liberté pour organiser son enseignement de ces
notions et doit donc pouvoir s'abstraire des supposées conceptions des auteurs du programme.
4.17. On note ici la notation K au lieu de K conformément au texte publié par l'Éducation Nationale
visant à uniformiser les notations et normaliser les sujets d'examen et de concours (http://eduscol.educa-
tion.fr/sti/ressources_techniques/typographie-la-composition-des-mathematiques-et-de-la-physique-tech-
nologie)
4.18. Devant donc être rappelé ou précisé lors d'un concours.
250 Analyse d'ouvrages, OM et analyses curriculaires
4.19. En MPSI, les déterminants bénécient d'une partie qui leur est dédiée. Ils sont dénis de manière
classique à l'aide du groupe symétrique.
4.20. On retrouve d'ailleurs dans certains sujets de concours de cette lière une identication abusive
et implicite de Kn à Kn1.
4 Conclusion 251
Nous voyons que le programme d'algèbre linéaire des ECS permet d'aborder le
calcul matriciel pour la discipline cliente, les statistiques.
Ces deux programmes montrent deux organisations de domaine différentes :
l'articulation des OM régionales de la lière MPSI-PCSI semblent être dans une
tradition bourbakiste alors que celle de la lière ECS semble bénécier d'un statut
hybride. Mais quelle que soit la lière, les OM sont complètes au sens de la TAD.
4. Conclusion
L'analyse de certains ouvrages nous a permis d'identier des pratiques pédagogiques
culturellement distinctes. De ces pratiques, nous avons construit deux OM régionales
au sein du domaine de l'algèbre linéaire. Les interactions au sein de chacune de ces
deux OM nous a notamment permis de mesurer la complexité des notions abordées
dans ces OM. Nous avons ensuite analysé les programmes de la lière PCSI et de
la lière ECS à travers le prisme de ces OM et des implicites qui leur sont associés.
Le répertoire didactique de la classe est constitué par transposition didactique de
ces OM et donc éventuellement des implicites contenus dans ces programmes. Nous
disposons maintenant d'éléments que l'on peut attendre et donc observer de la part
des étudiants. Nous pouvons donc procéder dans les chapitres suivants à l'analyse
des raisonnements produits en situation.
Chapitre 5
Présentation et analyse didactique de
situations d'interrogation orale dites
classiques
Nos travaux de recherche en didactique des mathématiques ont entre autres pour
origine des questions quant à la pratique pédagogique des enseignants de mathémati-
ques en CPGE. Le chapitre précédent illustre la richesse et la complexité des notions
relatives à l'enseignement de l'algèbre linéaire au niveau supérieur de l'enseignement.
À la suite de notre étude didactique de la partie I, nous avons justié que l'analyse
des raisonnements constitue un choix méthodologique adéquat à la catégorisation
des dicultés rencontrées par les étudiants et un marqueur de leur activité mathé-
matique en situation d'interrogation orale. En eet, comme Bloch et Gibel (2011),
nous pensons qu'étudier les éléments caractéristiques des raisonnements produits
par les étudiants est une des façons d'étudier les eets en termes didactiques d'un
enseignement des mathématiques
La recherche de caractéristiques des raisonnements des élèves dans l'ensei-
gnement des mathématiques est concomitante des premières études sur cet ensei-
gnement. (Bloch, Gibel, 2011, p. 3)
Ainsi, an de déterminer la capacité des étudiants à mobiliser et utiliser les
connaissances et savoirs de leur répertoire didactique, nous avons choisi dans un
premier temps d'analyser les formes d'activité mathématique des étudiants à travers
les raisonnements produits en les reliant à leurs fonctions spéciques. Cette première
situation expérimentale doit nous permettre d'isoler, d'identier et d'analyser ces
raisonnements. Ayant lieu au cours d'une interrogation orale classique , il faut
justier de la pertinence de la situation choisie. En eet, l'énoncé de la situation
mathématique doit être épistémologiquement fondé : en particulier, comme nous
l'avons explicité au chapitre 3, il doit permettre explicitement ou implicitement un
jeu de cadres en lien éventuellement avec un jeu de transformations et d'évolution
de registres sémiotiques. Mais l'énoncé doit également être didactiquement pertinent
pour notre recherche. Cet énoncé doit pouvoir donner lieu à une situation didactique
correspondante comportant une véritable dimension adidactique. L'énoncé doit per-
mettre une dévolution de la tâche à l'étudiant, exempte de toute intervention de
l'enseignant, an que l'étudiant puisse se confronter aux milieux adidactiques. Les
raisonnements mathématiquement justes ou faux produits dans ces milieux pourront
alors lui être attribués : ils constitueront les observables sur lesquels appuyer nos
analyses.
Les interrogations orales constituent le cadre principal de nos expérimentations.
Nous commençons donc par les décrire d'un point de vue institutionnel et explicitons
le format dit classique des interrogations orales en mathématiques d'un point de
vue didactique. Puis, en nous appuyant sur les éléments théoriques du chapitre 3
dont le diagramme sémantique, nous proposons une analyse sémiotique ne a priori
d'un énoncé extrait de la situation mathématique que nous étudions ensuite. Enn,
253
254 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
5.5. Dans l'établissement dans lequel ont eu lieu les observations, les consignes des enseignants res-
ponsables de classe demandent aux interrogateurs de considérer cette heure d'interrogation orale comme
une heure d'aide individualisée pour l'étudiant, et les notes sont le plus souvent supérieures à 10/20.
2 Analyse sémiotique fine a priori et diagramme sémantique en lien avec la situa-
tion de différence finie 257
2.1. Méthodologie
2.1.1. Détermination des liens R-O-I
Lors de toute analyse didactique, nous sommes confrontés à des observables : nous
commençons par les récolter puis nous identions ceux qui semblent pertinents
pour notre étude et enn nous procédons à l'analyse de ces observables. Dans le cadre
de la sémiotique, et suivant la terminologie de Peirce, les representamens sont les
observables. Un representamen pertinent étant isolé, il nous faut alors lui associer un
objet et un interprétant. Illustrons les questions qui se posent à l'aide d'un exemple.
258 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
Alors, la matrice de ' dans la base canonique de Rn[X] est triangulaire supérieure,
à coecients diagonaux nuls et dont les coecients de la première sur-diagonale sont
tous non nuls. On peut donc écrire
0 1
0 :::
B 0 0 C
M = mat ' =B C
@ A;
0 0
2 Analyse sémiotique fine a priori et diagramme sémantique en lien avec la situa-
tion de différence finie 261
5.8. Le signe ' n'est pas un élément du répertoire didactique des étudiants, mais la notion
d'isomorphisme l'est.
262 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
Enn, R0[X] = ker ' permet de caractériser ker ' à l'aide d'un espace vec-
toriel du répertoire didactique en pointant une égalité mal maîtrisée : vect(1) =
R0[X]. Il nous semble que l'on peut aussi considérer R0[X] = ker ' comme
un representamen pivot, d'autant qu'il apparaît naturellement dans les autres
cadres envisageables.
2.2.3. Le diagramme global
En généralisant ce que nous venons de produire dans le cadre matriciel aux cadres
algébriques et polynomiaux (au sens fonctionnel du terme), nous obtenons le graphe
ci-dessous :
0 1 0 1
a0 0
8n 2 N; P (n) = P (0) M A = @
@ A
dim ker ' vect(1) ker '
an 0
8x 2 R; P (x + 1) = P (x)
P P rg ' '(1) = 0
Soit P = ai X i Soit P = ai X i
P 2 ker(') ) P 2 ker(') ,
d'un système dont l'écriture repose sur une identication non directe des coecients
des polynômes en jeu.
2 Analyse sémiotique fine a priori et diagramme sémantique en lien avec la situa-
tion de différence finie 263
5.9. Comme le précise Muller, Ne confondons donc pas progression logique et progression temporelle
d'un sujet réel : le passage d'un niveau d'interprétation à un autre n'est ni obligé ni automatique, il peut
y avoir des sauts et des retours en arrière, et la réussite de la tâche ne signie pas forcément l'accès
à un signe argumental. (Muller, 2004, p. 6)
264 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
2. Parmi les éléments du milieu auquel est confronté l'étudiant, on trouve une
question avec des mots en français, des symboles mathématiques. Ces signes,
et ker ' en particulier, résultent de l'expérience de l'objet qu'en a l'étudiant :
ce sont donc des sinsignes. Ce signe ker ' atteste le rapport existentiel entre
la connaissance et son objet : c'est un sinsigne iconique. En tant que tel, il
représente l'image que l'étudiant se fait spontanément de son objet, il concrétise
une structure déjà expérimentée, vécue accolée à l'objet.
Nous pouvons alors envisager la sémiose du signe Déterminer ker ' à partir de la
première classe de la zone inférentielle. Nous avons distingué trois sémioses a priori
idéales possibles, les deux autres n'étant pas adaptées selon nous à cette situation.
Argument
Symbole dicent
Symbole rhématique
Légisigne indexical
rhématique
Légisigne iconique
Sinsigne iconique
Qualisigne
1. Ici l'étudiant remarque que dans le signe déterminer ker ' , ' est un endomor-
phisme de Rn[X]. Il relève le signe in situ : ker ' est un objet d'expérience
directe qui est réellement lié à un autre objet (ici ' en tant qu'endomorphisme
de Rn[X]) et dirige son attention sur cet objet. Issu de la confrontation avec
le milieu et donc de l'expérimentation, ker ' est ici un sinsigne. De plus,
l'étudiant remarque que dans le signe ker ' , ' est un endomorphisme de
l'espace vectoriel de dimension nie Rn[X], a priori banal : le sinsigne ker '
dirige donc l'attention vers l'objet ' , prenant seulement acte de cette liaison.
On parle parfois d'enquête de la part de l'étudiant. On remarque également que
le signe est ancré dans la situation. Il y a donc émergence d'un sinsigne indiciel
rhématique.
5. Le signe déduit par ce qui précède est l'argument : ' est une application linéaire
telle que '(P ) = P (X + 1) ¡ P (X), ker désigne le noyau, donc ker ' est le noyau
de '. Autrement symbolisé par :
Comme précédemment, nous obtenons donc le schéma suivant, extrait du treillis des
classes de signes :
Argument
Symbole dicent
Symbole rhématique
Légisigne indexical
rhématique
Sinsigne indexical
rhématique
Sinsigne iconique
Qualisigne
revient ici à en avoir sur ker M (en tant que sous-espace vectoriel de Mn+1;1(R)).
M = matB0(') est donc maintenant un objet membre d'une classe d'objets
préalablement constituée et donc élément du répertoire didactique et intériorisée
par l'étudiant dans son répertoire de représentations. Il y a donc émergence d'un
légisigne indiciel dicent.
4. Le légisigne indiciel dicent précédent, par son mode de connexion qui expose
les fondements de la liaison entre M et ', est un signe que l'étudiant équipé du
répertoire comprend. En eet, l'étudiant sait ce que signie matB0(') où '
est un endomorphisme de Rn[X] et B0 la base canonique : il faut calculer '(X k).
Ainsi, l'étudiant a établi une règle liant ', M et le calcul des '(X k) : c'est un
légisigne symbolique dicent.
5. Enn, le signe déduit par ce qui précède est l'argument : ' est une application
linéaire telle que '(P ) = P (X + 1) ¡ P (X), ker désigne le noyau, donc ker ' est
le noyau de ', M = matB0(') = matB0('(1); '(X); :::; '(X n)) et ker ' ' Ker M .
Autrement symbolisé par :
ker ' ' Ker M avec M = matB0('(1); '(X); :::; '(X n)):
Comme pour les deux sémioses précédentes, nous obtenons donc le schéma suivant,
extrait du treillis des classes de signes :
Argument
Symbole dicent
Symbole rhématique
Légisigne indexical
rhématique
Sinsigne indexical
rhématique
Sinsigne iconique
Qualisigne
8i > 1; ai = 0 ,
ker ' R0[X] ou ker ' = R0[X] ,
ker ' = R0[X] .
Le diagramme peut alors être simplié sous la forme suivante
8i > 1; ai = 0
0 1 0 1
a0 0
M@ A = @
A
an 0
P
Soit P = ai X i
P 2 ker(') ,
Tout comme pour l'analyse locale, cette analyse globale a priori est idéale : on
considère ici que l'argumentation permet de justier chaque formulation, dont en
particulier la conclusion. On suppose donc que l'étudiant objectif accède à la zone
de signication aboutie, et que la conclusion est symbolisée et argumentée. Le repre-
sentamen du signe tel que déni ci-dessus, à savoir l'expression de la caractérisation
de ker ', présuppose tous les autres signes de la démonstration. La caractérisation
attendue sera donc forcément un argument et non un symbole dicent : l'étudiant
objectif énonce une proposition mais au terme d'une inférence. On étudie donc la
globalité d'une démonstration, produite sous ces conditions.
On peut alors écrire,
ker ' = R0[X] : est donc un argument. C'est eectivement un represen-
tamen déni par les deux symboles dicents, ker ' et R0[X] , qui constituent
ici les prémisses, et la loi = qui les relie. Ici ker ' est un symbole dicent
reliant les symboles rhématiques ker et ' par la loi caractérisant le noyau d'un
endomorphisme d'un espace vectoriel. De même, R0[X] est un symbole
dicent, reliant les symboles rhématiques R[X] et 0 par la loi associée
au degré des polynômes. En tant qu'argument, le representamen ker ' =
R0[X] présuppose un symbole dicent. Nous pensons en particulier que deux
representamens présupposent des symboles dicents possibles : le representamen
= de l'interprétant du signe ker ' = R0[X] et l'objet R0[X] . Le
representamen = présuppose l'objet inclusion dans le signe ker ' R0[X]
et le signe R0[X] peut ici présupposer le signe 8i > 1; ai = 0 . Comme le
dit Muller,
À ce niveau-là d'interprétation, le milieu est totalement mathématisé, il
est devenu un milieu mathématiquement argumenté ou adidactiquement argu-
menté. (Muller, 2004)
ker ' R0[X] : associé aux representamens = et R0[X] de l'argu-
ment, nous avons le representamen ker ' R0[X] . Ce signe est obtenu à l'aide
d'un raisonnement et peut donc être considéré comme un argument. Néanmoins,
l'inclusion ne sut pas à décrire ker ' et ce signe ne saurait donc clore la sémiose.
C'est pourquoi nous considérons ici le signe ker ' R0[X] comme un
symbole dicent. Il est constitué de symboles rhématiques, ker ' et R0[X] étant
des representamens de classes d'objets, étant un representamen d'une classe
de fait concernant ces objets. Eectivement, il est un fait, établi par la sémiose,
que ker ' est un sous-espace vectoriel de R0[X] : cette proposition correspond à
la mise en ordre des formulations et validations énoncées par l'étudiant objectif
jusqu'à présent et lui permet d'établir un contrôle sur ses actions précédentes
avant l'argument nal.
8i > 1; ai = 0 : on reconnaît ici un polynôme constant par sa forme,
réduite au coecient constant. Ce signe est obtenu par expérience, en l'occur-
rence résolution concrète d'un système linéaire, et possède la qualité requise,
ici avoir comme seul coecient non nul son coecient constant, pour être un
polynôme constant. C'est donc un symbole rhématique. Comme peut l'expliquer
la priméité de l'interprétant, ce signe ne fournit aucun contrôle sur la production
précédente. Ainsi, le passage de 8i > 1; ai = 0 à ker ' = R0[X] pourrait
être réalisé, sans référence aux objets précédents, en particulier aux relations
2 Analyse sémiotique fine a priori et diagramme sémantique en lien avec la situa-
tion de différence finie 273
d'équivalence entre P 2 ker ' et P est solution du système linéaire puis lors de
la résolution du système. Il nous semble donc que, quel que soit le chemin choisi
entre ker ' R0[X] et ker ' = R0[X] , 8i > 1; ai = 0 reste ici un symbole
rhématique. En tant que symbole rhématique, il présuppose potentiellement un
légisigne indexical rhématique.
0 1 0 1
a0 0
MB A : ce système linéaire est ici un objet d'expérience, les coef-
C B C
@ A = @
an 0
cients étant obtenus par calcul eectif. Il est lié, en tant que système linéaire,
à l'objet système triangulaire de la classe des systèmes linéaires. Son mode de
connexion rend la méthode résolution du système, élément du répertoire didac-
tique, présente : il permet de diriger le raisonnement dans
0 une1 certaine
0 1 direction,
a0 0
celle du calcul des solutions du système linéaire. M @ A = @
A
est donc
an 0
ici un légisigne indexical rhématique. Nous pensons que ce légisigne indexical
rhématique incorpore un légisigne iconique, c'est à dire un representamen pos-
sédant une conguration de qualités commune à une classe d'objets éléments du
répertoire didactique. Plus précisément la matrice des coecients du système
M est une matrice triangulaire et opère ici, en tant qu'écrite par l'étudiant
comme un sinsigne iconique relative à une règle générale portée par le légisigne
iconique5.10 qui .
P
Soit P = ai X i. P 2 ker(') , P (X + 1) ¡ P (X) = 0 : nous avons
ici un
P signei complexe, composé de deux classes de signes diérentes : Soit
P = ai X et P 2 ker(') , '(P ) = 0 . P
En eet, nous pensons qu'ici Soit P = ai X i représente une classe
particulière, celle des polynômes de degré au plus n, par une chose particulière,
son écriture sous forme de somme, représentant la famille d'appartenance. Il
s'agit ici pour l'étudiant de s'immerger (...) dans son objet (Arino, 2004, p.
309) an de relever les signes in situ : il pourra éventuellement exprimer '(P )
et relever les informations portées par les coecients. Autrement
P dit, P est
un objet d'expérience directe, réellement lié à l'objet ai X , ne dit rien
i
Il est intéressant de noter qu'au cours de la sémiose, c'est avec ce signe que
commence le problème. L'étudiant objectif a pris une décision sur l'interprétation
de l'objet mathématique qui lui semble adaptée à la situation et va alors pouvoir
se confronter au milieu objectif en situation d'action. Comme pour Muller, le
milieu adidactique est donc maintenant bien réel.
Ce signe ouvre donc la voie à l'émergence des signes symboliques, et, avec
lui, on peut dire que le problème est construit et qu'il y a eu dévolution de
celui-ci. Quant au milieu, il est en passe de devenir un milieu symbolique, soit
de se mathématiser. C'est donc un milieu adidactique réel. (Muller, 2004)
2.4. Conclusion
Les analyses sémiotiques a priori locale et globale que nous venons de proposer
en lien avec le diagramme sémantique nous conrment et complètent les résultats
obtenus précédemment comme le rappelle Muller
l'analyse sémiotique a priori construit des objets de signication renvoyant à
ce que peuvent être les relations milieu-sujet, objets qu'une enquête empirique ne
pourrait que dicilement mettre en lumière. (Muller, 2004)
En eet, avec l'analyse sémiotique a priori globale et locale, nous venons d'isoler
les moments de la sémiose mathématique qui permettent successivement l'émer-
gence de la tâche, puis celle du problème à traiter et enn celle de la règle au sens
sémiotique. Nous avons également montré comment le triplet R-O-I évolue tout au
long de la sémiose : lors de la construction de la tâche à partir du triplet originel, un
nouveau triplet se fait jour. C'est à partir de ce nouveau triplet qu'il peut y avoir
construction du problème et de même pour la règle. Les objets mathématiques asso-
ciés à ces trois moments sont tous des objets éléments du milieu objectif. Ceci tend
à souligner l'importance de ce milieu à partir duquel l'activité mathématique peut
5.11. D'après nous, ce signe n'est pas forcément un légisigne indexical rhématique, la loi régissant
ker ' pouvant être interprétée par l'étudiant objectif avec une implication ou une équivalence d'où les deux
representamens pivots envisagés sur le diagramme.
3 Situation dite différence finie , cas ouvert 275
se construire pour aboutir à la règle. L'analyse sémiotique locale de l'énoncé, qui est
le premier élément du milieu objectif issu du milieu matériel, nous semble également
permettre de catégoriser les formes de raisonnement sollicitées pour établir la règle.
Les trois sémioses envisagées donnent lieu à des formes de raisonnement et donc
des sémioses globales à venir distinctes que seul un retour au milieu objectif pourra
modier. Notons que cette analyse locale, menée sur chacun des representamen pivot
de la démonstration proposée par un étudiant, doit permettre de mieux cerner son
appréhension des objets invoqués. Par ailleurs, lors de ces analyses, nous pensons
pouvoir isoler les étapes favorables au contrôle qu'a l'étudiant de ses raisonnements.
Plus précisément, nous conjecturons que la catégorie de classes à laquelle doit appar-
tenir un signe pour permettre cette fonction de contrôle est le symbole dicent. De
plus, avec la centralité du raisonnement hypothético-déductif comme paradigme de
toute activité mathématique, l'analyse sémiotique et le treillis des classes de signes
montrent ce que les observations suivantes conrment : le fait que les points de vue
syntaxique et formel, au sens de forme, constituent un obstacle à l'émergence du
point de vue sémantique des objets convoqués dans les actions et formulations des
milieux adidactiques.
Les analyses didactiques menées à la section suivante et au chapitre suivant
vont nous permettre de conrmer et de préciser le lien entre le milieu objectif et le
contrôle des raisonnements produits.
Notons que dans l'énoncé original le lien entre Ker ' et injectivité apparaît
ostensiblement dans la question alors que dans l'énoncé que nous proposons, c'est
aux étudiants d'eectuer un choix du cadre pour aborder l'injectivité. Il nous semble
donc que la dimension adidactique de la situation est favorisée avec notre énoncé
modié. Cet énoncé nécessite de la part de l'étudiant plus d'initiatives, de décisions
et donc d'actions possibles, élaborées à partir du répertoire didactique. De même,
aucun ostensif relatif à une représentation matricielle de ' n'apparaît dans cet
énoncé. C'est ici aussi une volonté : comme nous l'avons écrit plus haut, dans les
programmes ociels alors en vigueur dans les classes de CPGE sur lesquels portent
nos travaux, le calcul matriciel apparaît après la partie consacrée aux applications
linéaires. Or nous souhaitons laisser le choix du cadre à l'étudiant. Le contrat didac-
tique implicite aux exercices proposés laisse penser que si une écriture matricielle
est demandée à la troisième question, on doit rédiger les questions précédentes sans
recours à cette écriture.
5.12. Citons entre autres : Petites Mines 1995 (concours à l'issue de la première année), concours Agro
1999 (BCPST), Engees 1999 (PSI, épreuve A), École de l'Air 1999, Centrale 2000 (TSI), Essec 2008 (ECS),
Epita 2010, oral HEC 2010 (ECS), oral ESCP 2014 (ECS), Ecricome 2015 (ECS) ...
3 Situation dite différence finie , cas ouvert 277
Cet énoncé est proposé dans le cadre d'une situation d'interrogation orale clas-
sique . Il répond donc à une exigence de programme émise par l'enseignant de la
classe. Chaque fois que cet exercice a été posé, le programme d'interrogation orale
couvrait a minima toutes les premières notions d'algèbre linéaire communes à toutes
les lières : espaces vectoriels, applications linéaires et matrices. Seules les notions
relatives à la diagonalisation n'étaient pas forcément au programme. Cet exercice
est donc accessible aux étudiants de chaque lière étudiée, où, par accessible
nous entendons que l'étudiant peut idéalement faire fonctionner ses connaissances à
chacun des trois niveaux5.13 dénis par Robert (1998) et rappelés en première partie.
Les enjeux didactiques associés à cette situation sont clairement multiples. Nous
détaillerons chacun de ces enjeux plus bas et nous nous contentons ici d'en dresser
simplement une liste, la plus exhaustive possible. Ainsi, les enjeux en lien avec
l'enseignement mathématique liés à cette situation sont5.14 :
s'assurer dans une premier temps de la maîtrise de la dénition d'application
linéaire par l'étudiant et donc de la capacité de l'étudiant à une mise en place
d'un fonctionnement à un niveau technique voire mobilisable (Robert, 1998) de
cette notion. L'analyse a priori qui suit montre que l'étudiant doit choisir l'OM
qui lui semble adaptée. Nous sommes alors dans une tâche r ¡ convoquée au sens
de Castela (2004) et donc à un niveau mobilisable plus que technique ;
vérier ensuite que l'étudiant fait fonctionner diérentes notions à un niveau
disponible ; il y aura alors discussion entre l'enseignant et l'étudiant concernant
les règles qui le conduisent à produire des preuves ou pour lui faire chercher des
contre exemples ;
enn, permettre à l'étudiant de mesurer l'intérêt pratique et théorique de la
représentation matricielle d'une application linéaire et donc la nécessité pour
l'étudiant d'agir et de faire fonctionner ses connaissances au niveau du milieu
objectif et heuristique.
Comme nous le préciserons plus bas, cette situation, dans son volet argumentation,
est essentiellement adidactique. Néanmoins, l'enseignant devra très probablement
intervenir an de maintenir le processus adidactique d'argumentation. Nous retrou-
vons et rappelons ici plusieurs questions liées aux raisonnements produits par les
étudiants et formulées en conclusion du chapitre 3 :
1. Sous quelles formes apparaissent les raisonnements produits par les étudiants au
cours des diérentes phases de cette séquence ?
2. Quelles fonctions recouvrent ces raisonnements produits par les étudiants ?
3. Comment les raisonnements produits par les étudiants dans les situations
d'action ou de formulation sont-ils eectivement réutilisés lors de la situation
de preuve ?
L'analyse a priori à laquelle nous procédons maintenant sera donc conduite en ayant
ces questions comme l directeur de notre réexion.
5.15. Nous pouvons dénir un niveau de profondeur d'une preuve proposée en comptant le nombre de
procédures nécessaires à sa rédaction. Ce niveau de profondeur complète la notion de largeur arborescente
vue au chapitre 3. On pourrait penser que le niveau de profondeur, déni comme le nombre d'arêtes d'un
sous-graphe connexe du diagramme sémantique, mesure la richesse logique de l'argumentation attendue,
alors que la larguer arborescente mesure la richesse sémantique des arguments et procédures envisageables.
3 Situation dite différence finie , cas ouvert 279
n
!
X
'(P ) = ' ai X i
i=0
n
X
= ai '(X i)
i=0
n
X i¡1
X
i
= ai X i:
k
i=0 k=0
situation de preuve. Ainsi, pour établir que '(Rn[X]) Rn[X] l'étudiant doit
tout d'abord prendre une décision sur les objets qu'il choisit de manipuler en
situation d'action. Puis, en situation de formulation, il formule pour chaque
étape du raisonnement les justications adéquates pour l'autre actant qu'est
l'enseignant et enn, en situation de validation, s'installent les premiers échanges
autour de la validité des raisonnements, interactions dont l'un des objectifs est
de maintenir une certaine adidacticité.
Par ailleurs, la dimension adidactique est centrale dans la seconde partie de
la situation, avec une question ouverte sur l'injectivité et la surjectivité ainsi que
sur les moyens de prouver la conjecture émise.
2. Scénario envisagé
L'exercice est écrit au tableau par l'enseignant interrogateur ou par l'étu-
diant. Il est accompagné de commentaires oraux tels que décrits plus haut dans
la retranscription de l'énoncé. Une fois l'énoncé lu, l'étudiant eectue au tableau
ses calculs, conjectures ... et rédige sa réponse sous la forme d'une procédure en
explicitant les étapes et les justications. Classiquement, l'étudiant, sauf mention
contraire de l'enseignant, peut eacer ce qu'il pense être une erreur ou une
impasse : ici, l'étudiant ne pourra rien eacer sans en demander l'autorisation à
l'enseignant. L'enseignant n'intervient qu'exceptionnellement avant dix minutes
de réexion autonome de l'étudiant, ceci pour chaque question. Cette absence
d'intervention inhérente à la dimension adidactique de la situation telle que
décrite plus haut, nous conforte dans le choix de l'outil utilisé pour mener l'ana-
lyse des raisonnements dans les situations à dimension adidactique. Ainsi, une
fois que l'étudiant pense avoir répondu à la première question, il expose son
travail à l'enseignant qui, après avoir observé ses énoncés, demande si nécessaire
des précisions sur les objets décrits, les raisonnements avancés ... Une fois la
preuve proposée par l'étudiant pour la première question institutionnellement
validée5.17, l'enseignant invite l'étudiant à rééchir à la question suivante. Ici
aussi, la règle de non intervention durant au moins les dix premières minutes
s'applique. Cette règle, en plus de favoriser l'adidacticité de la situation, s'impose
à l'enseignant an qu'il puisse travailler avec les deux autres étudiants du groupe
d'interrogation dans le schéma classique décrit plus haut où les trois étudiants
sont simultanément au tableau, confronté chacun à un exercice et des questions
diérentes.
3. Variables didactiques de la situation
Nous présentons ici les variables didactiques retenues :
Nature du corps des scalaires (Vd1) : au cours de cette situation, le corps des
scalaires est R.
Nature de l'espace vectoriel (Vd2) : Rn[X] est le seul espace vectoriel osten-
sible de l'énoncé. C'est un espace de fonctions de dimension nie.
Type de l'espace vectoriel (Vd3) : Rn[X] est un exemple paradigmatique
d'espace vectoriel obtenu en tant que sous-espace vectoriel d'un espace vec-
toriel le contenant, ici R[X].
Question 2.
An de ne pas alourdir l'analyse a priori, nous ne traitons que le cas où
l'étudiant commence par étudier l'injectivité puis la surjectivité. Il est impor-
tant de souligner que, en dimension nie, lorsque l'on sait qu'une application
' est un endomorphisme et que l'on souhaite démontrer qu'elle est de plus un
isomorphisme, rares sont les problèmes où la surjectivité est plus facile à traiter
que l'injectivité. Donc l'étudiant aura vu plus de problèmes où la question de
l'injectivité est abordée avant celle de la surjectivité.
a. Comme pour la question précédente, une première diculté possible pour
l'étudiant est de savoir appliquer ' à un polynôme. Alors qu'à la question
précédente, on peut penser que l'étudiant puisse produire une réponse cor-
recte sans que l'application de ' sur Rn [X] soit réellement comprise, il
sera beaucoup plus dicile pour l'étudiant de trouver Ker ' (et Im ') sans
savoir faire opérer '.
b. Concernant la question de l'injectivité de ', nous pouvons envisager deux
dicultés de nature distincte :
i. Une première diculté possible serait pour l'étudiant de rester dans un
cadre ensembliste. Montrer que si P et Q sont deux polynômes de Rn[X]
tels que '(P ) = '(Q) alors on a forcément P = Q nous semble amener
à des calculs inextricables pour les étudiants. Ainsi, une diculté serait
de ne pas appliquer la propriété selon laquelle, ' étant une application
linéaire, l'injectivité de ' et Ker ' sont liés et donc de ne pas s'appuyer
sur les outils oerts par la structure algébrique d'espace vectoriel.
ii. On voit poindre une nuance dans le lien entre Ker ' et l'injectivité de '.
D'après le répertoire didactique des étudiants, une application linéaire
' est injective si, et seulement si son noyau est réduit au vecteur nul,
i.e. Ker ' = f0g. Donc pour montrer la non-injectivité d'une application
linéaire, il sut de montrer que le cardinal de Ker ' est supérieur à un,
autrement dit que Ker ' contient au moins un vecteur non nul. Cet énoncé
n'est pas une propriété identiée comme telle dans le répertoire et peut
être produit par les étudiants en utilisant le système organisateur. On
peut donc isoler une diculté menant à deux choix possibles pour les
étudiants : déterminer explicitement Ker ', ce qui soulève des dicultés
détaillées dans le point ci-dessous, ou trouver un vecteur non nul de Ker '.
c. L'énoncé de la question tel qu'elle est posée concerne l'injectivité de '. La
détermination explicite de Ker ' n'est donc pas exigible d'après l'énoncé
donné à l'étudiant. Nous avons vu que ce choix s'est imposé an de favo-
riser l'adidacticité de la situation et de minimiser le nombre d'ostensifs dans
l'énoncé. La détermination est donc demandée par l'enseignant à l'oral, une
fois l'injectivité validée. Concernant la détermination explicite de Ker ', et
une fois assuré que l'opérateur est correctement appliqué aux polynômes,
plusieurs dicultés sont prévisibles :
i. Comme nous l'avons dit, les calculs
Pn formels pour déterminer les poly-
nômes P sous la forme P (X) = k=0 ak X solutions de
k
P (X + 1) = P (X);
3 Situation dite différence finie , cas ouvert 285
i.e. de
n
X n
X
k
ak (X + 1) = ak X k
k=0 k=0
Nous nous proposons ici de référencer des aides. Nous reviendrons sur cer-
taines d'antre elles lors de l'analyse a priori des raisonnements.
a. Concernant la première question et donc la preuve ' 2 L(Rn[X]),
nous pouvons envisager, en cas d'oubli de la part de l'étudiant de
vérier '(Rn[X]) Rn[X], de lui demander de rappeler la dénition d'un
endomorphisme ;
suivant la formulation et la validité de la réponse proposée, nous pouvons
préciser le rôle des quanticateurs ;
b. Concernant l'opérateur ',
nous pouvons nous assurer que l'étudiant sait faire opérer ', en lui deman-
dant de calculer '(X); '(X 2); '(X 3); '(X k) puis '(1) ;
nous pouvons aussi lui demander de réécrire l'énoncé sous une forme
fonctionnelle en écrivant par exemple que ' est l'application qui à un
polynôme P associe le polynôme Q déni par : pour tout x 2 R, Q(x) =
P (x + 1) ¡ P (x) ;
c. Concernant l'injectivité,
nous pouvons éventuellement encourager l'étudiant à étudier numérique-
ment ', c'est à dire à envisager sa représentation matricielle ;
nous pouvons aussi lui demander de préciser ce qu'il sut d'établir pour
l'injectivité ou pour la non injectivité ;
d. Concernant la surjectivité, après l'injectivité,
nous pouvons lui demander de rappeler les résultats du cours d'algèbre
linéaire dans lesquels la notion de surjectivité apparaît
6. Validation
La validation attendue de la part de l'étudiant est proche de celle attendue
avec la rédaction de preuves mathématiques par des mathématiciens. Comme
nous l'a conrmé l'analyse précédente, l'étudiant semble disposer dans son réper-
toire didactique des outils nécessaires. Néanmoins, nous avons souligné le fait
que, l'étudiant devait s'appuyer parfois sur des énoncés produits par application
du système organisateur. Nous pensons donc qu'une formulation correcte, sans
une explicitation formelle réelle des quanticateurs, constitue une réponse valide
à ces questions d'algèbre linéaire : cette pratique correspond à ce qui se fait lors
des jurys de concours de CPGE, où les points sont attribués lorsqu'il n'y a pas
d'ambigüité soulevée par l'absence de quanticateurs. Néanmoins, l'enseignant
régulateur P¡1 pourra demander que soit précisé le rôle de ces quanticateurs
dans la situation de formulation ou de validation en lien avec l'étudiant appre-
nant E¡1.
288 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
¡ les notions de calcul matriciel et leur lien avec les applications linéaires en dimen-
sion nie.
L'étudiant autonome E+2 est également envisagé par P+2 au cours de cette situa-
tion5.18. Le milieu M+2, en tant que champ conceptuel minimal aérant est
eectivement porteur d'une globalité implicite que P+2 pense accessible à E+2.
La situation de projet : le professeur projeteur, l'étudiant réexif et le
milieu didactique.
Le professeur, en opérant des choix en fonction de ses connaissances mathé-
matiques, épistémologiques, didactiques voire ethnomathématiques, projette de
construire une situation d'apprentissage visant à faire utiliser le répertoire didac-
tique des étudiants interrogés. Dans ce projet de situation, le professeur envisage
une certaine adidacticité an, entre autres, de favoriser l'élaboration de diérentes
formes de raisonnement de la part des étudiants. Le professeur accède alors à la
situation de projet S+1.
A ce niveau, le professeur projeteur P+1 précise le milieu sur lequel il va agir.
Ainsi ce milieu didactique M+1 est constitué donc de l'ensemble des situations en
adéquation avec le projet de l'enseignant et dont il a connaissance. Les applications
linéaires sur des espaces de fonctions sont donc des éléments de ce milieu M+1, mais il
n'y a à ce niveau aucune précision sur les variables didactiques des situations de M+1.
P+1 envisage également à ce niveau l'étudiant réflexif E+1, l'étudiant après
apprentissage. L'étudiant E+1 devrait avoir compris que le choix de l'endomor-
phisme , opérateur de diérence nie, n'est qu'une instanciation d'un schéma
plus général, qu'un exemple paradigmatique sur les applications linéaires, leur lien
avec une représentation matricielle et l'ecacité de cette représentation pour la
production de raisonnements dans une situation de preuve.
Le rôle de l'étudiant autonome E+2 étant idéal, c'est donc à ce niveau de
structuration du milieu que l'on pourra confronter analyse descendante et analyse
ascendante : l'analyse descendante étant l'analyse du point de vue de l'enseignant,
l'ascendante du point de vue de l'étudiant. Comme le dit Bloch, cette confron-
tation est essentielle pour l'objectif visé par l'enseignant interrogateur
cette confrontation permettra de mesurer les concordances et les décalages,
donc de mesurer d'une certaine façon l'ecacité de la situation proposée pour
l'apprentissage, souci qui comme professeur ne saurait nous abandonner tout à
fait. (Bloch, 1995, p.51)
Dans le cadre des règles, l'élève va, à l'aide de son répertoire de connaissances,
établir une action, en général une action sur les objets. Ce qui motive l'action sur
les objets c'est le répertoire didactique dont dispose l'élève (Gibel, 2008, p. 22)
diant E¡1 est plutôt corollariel, l'étudiant E0 en situation de preuve mène un
raisonnement théorématique.
Ainsi, dans la situation didactique S0, le professeur P0 exige5.19 de l'étudiant
E0 qu'ayant pris conscience du domaine de validité de son raisonnement produit
au niveau précédent, il entre dans une situation de preuve. Avec cette exigence du
professeur P0, la situation quitte son état adidactique. Néanmoins, après avoir
procédé à la dévolution de la situation de validation des formulations produites,
la situation de preuve est également dévolue à l'étudiant. Nous retrouvons ici la
question soulevée au chapitre 3 quant à l'utilisation des raisonnements produits dans
une situation de preuve. C'est donc au sein de ce niveau que l'on peut identier les
éléments de réponse à la question posée par Gibel
À quelles conditions les raisonnements produits par les élèves en situation
d'actions ou de formulation peuvent-ils être utilisés par les élèves dans des situa-
tions de preuves ? (Gibel, 2008, p. 33)
5.19. Cette exigence est implicite dans le contrat didactique associé à une interrogation orale.
5.20. Pour qu'il y ait institutionnalisation à l'issue de cette interrogation orale, il semble important de
ne pas bloquer les actions de l'étudiant sur des dicultés qui soulevées à ce niveau là peuvent déstabiliser
l'étudiant. L'adidacticité semble ainsi maintenue et la fonction de contrôle des raisonnements permettra
alors de revenir et de souligner cette diculté de composition implicite dans la linéarité.
4 Analyse a priori des raisonnements 295
prenant en compte les quatre axes principaux (fonctions des raisonnements, niveaux
d'utilisation des signes, usage et actualisation du répertoire didactique et formes des
raisonnements), nous obtenons le tableau d'analyse des raisonnements pour le fait
que '(Rn[X]) Rn[X] :
Nous adoptons ici la méthodologie proposée par Gibel (2015) : nous procédons à une
analyse a priori des raisonnements en jeu dans cette situation en relation avec le
niveau de milieu tout en spéciant leur(s) forme(s), leur(s) fonction(s), la nature des
296 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
signes ainsi que les éléments du répertoire didactique utilisés par les étudiants. Cette
analyse nous permet de souligner le caractère dynamique et emboîté des niveaux de
milieu : une fois confronté au niveau de milieu M¡1 par exemple, l'étudiant pourra
évoluer vers le niveau de milieu M0 ou au contraire remettre en question ses déci-
sions et actions établies au niveau de milieu M¡2 et donc décider d'y revenir.
c. R.3.1 (point de vue du répertoire didactique) : nous distinguons ici son uti-
lisation et son éventuelle actualisation.
son utilisation : on devrait constater l'utilisation à un niveau
Pn technique
(Robert, 1998) de certaines notions comme le calcul de '( i=0 ai X i) une
fois le cadre numérique choisi. L'utilisation du système organisateur par
l'étudiant devrait lui permettre d'articuler les notions de linéarité et de
stabilité entre elles et de stabilité avec celle de degré ;
son actualisation : même si l'opérateur ' peut être considéré comme
élément du répertoire didactique, nous pensons qu'il n'est pas forcé-
ment élément du répertoire de représentations de l'étudiant. Ainsi, le
retour systématique au niveau heuristique pour illustrer et comprendre
la composition implicite dans l'action de ' sur les polynômes constitue
un enrichissement potentiel du répertoire didactique et du répertoire de
représentations.
d. R.4.1 (point de vue de la forme des raisonnements) : les raisonnements et
calculs pourront être
déductif : linéarité et stabilité impliquent endomorphisme ; ...
inductif : à partir de '(X); '(X 2) en déduire '(X k) ; ...
abductif : à partir de '(X k) en déduire une règle sur deg('(P )) sans avoir
formulé la linéarité ; ...
2. R.*.2 : Lors de la situation d'apprentissage S¡1, en confrontation au milieu de
référence M¡1 constitué des raisonnements produits par E¡1 dans le but de
répondre à la question et ceux relatifs à la prise en considération de ses actions
sur les objets en regard des conditions
a. R.1.2 (point de vue des fonctions des raisonnements) : en fonction des rai-
sonnements produits lors de sa confrontation au milieu objectif, l'étudiant
formule et valide les actions menées plus haut. Il peut
P
eectuer le calcul générique de '(P ) où P = ai X i, eectuer le calcul
de '(X k)
formuler une conjecture étayée sous la forme deg('(P )) 6 deg(P ) voire
même deg('(P )) 6 deg(P ) ¡ 1
prendre une décision sur un objet mathématique : s'appuyer sur la com-
position pour formuler deg('(P )), décider d'écrire P pour déterminer
deg('(P )) en lien avec la linéarité (ce qui constitue la seconde solution
mathématique envisagée ci-dessus)
b. R.2.2 (point de vue du niveau d'utilisation des signes) : les signes produits
peuvent
être
P desi arguments locaux : composition numérique dans le cas où P =
ai X
298 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
être des arguments génériques : le degré après composition est donné par
une formule
P
avoir un aspect opérationnel : pour le calcul de deg '(P ))
c. R.3.2 (point de vue du répertoire didactique) : au niveau argumentaire, il y
a utilisation et actualisation du répertoire à propos
des énoncés (double somme, composition ...)
du système organisateur (linéarité+stabilité, protocole pour déterminer
le degré, ...)
de l'émergence de nouveaux objets ou paradigmes (rôle central de la linéa-
rité dans la seconde solution)
d. R.4.2 (point de vue de la forme des raisonnements) : à ce niveau de milieu les
décisions sont prises et les premiers calculs eectués. Envisager une conjec-
ture étayée sur le degré peut relever d'un raisonnement inductif (on connaît
le degré de '(1); '(X); '(X 2) ...) ou déductif (dans le cas d'une utilisation
de la formule liant degré et composition polynomiale).
3. R.*.3 : Lors de la situation didactique S0, en confrontation au milieu d'appren-
tissage M0 qui contient la situation telle qu'agie par l'étudiant E0, ses formula-
tions, sa preuve et les règles de validation d'une preuve dans ce contexte d'inter-
rogation orale et à ce niveau d'enseignement.
a. R.1.3 (point de vue des fonctions des raisonnements) : en lien avec l'ensei-
gnant l'étudiant peut
organiser les signes pour obtenir un objet calculable : '(P ) dans le
cas d'une double somme
s'assurer du contrôle de ses formulations, de ses validations, de ses preuves
en lien avec la ou les conjectures envisagées
b. R.2.3 (point de vue du niveau d'utilisation des signes) : les arguments utilisés
sont des arguments syntaxiques (formels et numériques) de l'algèbre linéaire
et des polynômes. Il y a synthèse des signes produits précédemment an
d'obtenir '(Rn[X]) Rn[X]. Les signes produits sont donc symboliques.
c. R.3.3 (point de vue du répertoire didactique) :
i. son utilisation : ici, l'étudiant utilise le système organisateur an de for-
muler une preuve rigoureuse de sa conjecture en articulant les symboles
produits dans les niveaux de milieu précédents.
ii. son actualisation : comme au niveau précédent, la preuve produite avec
l'étudiant (avec ou sans changement de cadres) complète l'ensemble des
démarches du système organisateur. L'utilisation des savoirs et connais-
sances en jeu dans cette situation devrait pouvoir avoir lieu à un niveau
mobilisable dans un contexte semblable .
4 Analyse a priori des raisonnements 299
d. R.4.3 (point de vue de la forme des raisonnements) : nous sommes ici dans
une situation didactique avec un professeur et un étudiant. Les raisonnements
fournis, basés sur les actions, formulations et validations des niveaux précé-
dents, sont déductifs.
P
deg('( ai X i))
P
'( ai X i)
deg(P (X + 1)
P
¡P ) P= ai X i
Comme plus haut, nous détaillons maintenant ce tableau en précisant les R.i.j aux-
quels nous faisons référence. Nous nous permettons de simplement rappeler les
couples (situation,milieu) auxquels nous nous situons. Cette analyse comportant
4 Analyse a priori des raisonnements 301
'(P ) = '(Q) ) P = Q
5 Analyse a posteriori 303
n'est pas calculatoirement simple bien que corollariel : identier les variables du sys-
tème implicite puis résoudre eectivement ce système constituent pour les étudiants
des dicultés sémantiquement distinctes5.21.
det M rg M ker M
ker ' = ~g
/ f0
M = Mat '
'(1) =~0
Montrer que :
' bijective ? ' surjective ? Étudier ker ' '(P ) = '(Q) ) P = Q
5. Analyse a posteriori
Comme nous l'avons écrit dans la méthodologie du chapitre 4, les productions des
étudiants ont été choisies suivant plusieurs critères : la diversité des lières auxquelles
ils appartiennent, la richesse et la variété des raisonnements produits donnant lieu
à un ensemble relativement complet de dicultés que les étudiants rencontrent et
5.21. Nous rappelons que seul un étudiant a pu poser et résoudre correctement ce système linéaire
an de prouver suivant ce schéma l'injectivité de '.
304 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
5.1.1. Retranscription
Pour cette retranscription, nous disposons des photos des diérents tableaux et
de notes sur la teneur des échanges oraux ainsi que des réactions de l'étudiant.
L'étudiant est ici confronté à l'énoncé modié (dit ouvert) quant à l'injectivité et
surjectivité de '. Il occupe le tableau du milieu et est donc le second des trois
étudiants à qui l'enseignant écrit l'énoncé au tableau.
Nous présentons les retranscriptions sous forme de tableau à deux colonnes : dans la
première colonne, nous écrivons le numéro de ligne correspondant à la production de
l'étudiant écrite sur la même ligne dans la colonne de droite. Ainsi, nous pourrons
nous référer au tableau en rappelant le numéro de ligne concerné par notre étude.
Étape 1 :.
Étape 2 :.
L'enseignant intervient alors. L'étudiant avoue ne pas avoir d'idées pour déter-
miner le noyau de '. L'enseignant demande alors de quels outils on dispose pour
mieux appréhender l'application '. Devant l'absence de réponse de l'étudiant,
l'enseignant interrogateur propose de décrire ' à l'aide de sa matrice dans la base
canonique. L'enseignant demande alors à l'étudiant de rappeler ce qu'est la base
canonique pour Rn[X]. Voici ce que l'étudiant écrit alors que l'enseignant va aider
un autre étudiant.
B = (1; X ; :::; X)
( '(1) '(X) '(X n) )
0 1 0 1
1 0 0 ::: ::: 0 1
B 0 1 0 C B X C
B C B C
A = MatB(') = B
B 0 1 0 C C
B C
B C
B 0 C B C
B C B C
@ 1 0 A @ A
0 0 0 0 1 Xn
'(1) = (X + 1) ¡ X = 1
'(X) = X (X + 1) ¡ X X = X
'(X 2) = X 2 (X + 1) ¡ X 2 X = X 2
'(X n) = X n (X + 1) ¡ X n X = X n
Étape 3 :.
Voici les traces écrites produites alors que l'enseignant travaille avec un autre
étudiant
des niveaux de milieu : confronté au milieu objectif M¡2, K. fait appel à des
connaissances sur les espaces vectoriels et sur les applications linéaires ; puis,
à l'aide du système organisateur, K. établit des formulations en lien avec le
milieu objectif M¡2, formulations qui dans cette étape, sont des formulations des
preuves liées à l'introduction et à la manipulation d'ostensifs organisés (tels que
Soit P ; R 2 Rn[X], ; 2 R ) en lien avec le milieu de référence M¡1. Enn,
il nous semble intéressant de souligner que la composition, en tant qu'opération
fonctionnelle et en tant que terme mathématique, est bien un élément du réper-
toire didactique : on peut donc se demander pourquoi l'étudiant n'y fait pas
explicitement référence.
Point de vue des formes des raisonnements
Durant cette première étape, K. utilise les conjonctions de coordination
donc (L2, L7 et L11), or (L4) , car (L6) puis la conjonction
de subordination d'après (L12) : lors de cette utilisation, et conformément
à l'usage5.23, la conjonction de subordination établit une hiérarchie entre les
éléments coordonnés alors que les conjonction de coordination réunissent des
éléments de même niveau syntaxique. Ainsi, en s'appuyant sur ces observa-
bles, nous pouvons dire que K. procède à un raisonnement de type déductif.
De plus, K. n'accède aux objets mathématiques que via l'une de leurs caractérisa-
tions théoriques : on peut donc être plus spécique et armer que K. produit un
raisonnement de type hypothético-déductif. Néanmoins, en écrivant P 2 Rn[X]
donc deg P 6 n a-t-on Q 2 Rn[X] c'est à dire deg Q 6 n (L2 et L3) et en par-
ticulier avec la question a-t-on Q 2 Rn[X] , il nous semble que le raisonnement
de K. contient une part d'abduction : tous les polynômes Q = '(P ) doivent être
de degré au plus n. Soit Q un tel polynôme. Est-il eectivement de degré au plus
n ? Ceci correspond à des formes de raisonnement envisagées en R.4.1 et R.4.2.
5.23. D'après wikipedia, en grammaire, une conjonction de coordination est un mot outil invariable,
qui unit deux phrases, deux sous-phrases ou, à l'intérieur d'une phrase indépendante, deux éléments de
même fonction syntaxique et généralement aussi de même même nature grammaticale. À la diérence de
la conjonction de subordination, qui établit une hiérarchie entre les éléments coordonnés, la conjonction
de coordination réunit des éléments de même niveau syntaxique.
5 Analyse a posteriori 309
5.24. On pourrait préférer écrire revenir, mais ce verbe convient que l'étudiant passe du milieu M n+1
au milieu M n ou réciproquement. Il nous semble qu'en utilisant plutôt les verbes redescendre et remonter,
nous illustrons la structuration en couches d'oignon du milieu.
310 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
Revenons maintenant sur la double confusion soulevée plus haut. Tout d'abord,
K. confond injectif et surjectif : cela le mène à introduire un polynôme Q, image
de P par ', à introduire une écriture développée de Q puis une écriture de P .
Le choix des coecients, ai pour Q et bi pour P , qui en résulte ajoute aussi
à la confusion. On retrouve ici la seconde confusion liée à la signication de
Q 2 im ' . En eet, dans la production de K., il n'y a aucun quanticateur.
On peut penser que pour K., im ' est seulement décrit par
Tout
P ceci Plaisse i penser que K. ne sait plus sur quel objet il doit agir : P , Q,
ai X ,
i
bi X , ' ...
L'intervention de l'enseignant a notamment pour but de replacer l'action de '
comme objet d'étude. Dans le raisonnement produit, la loi associée à l'action
de ' est implicitement présente mais non opératoire. Notons cependant que K.
écrit convenablement le polynôme P (X + 1) et semble à ce moment là avoir bien
compris l'opération de composition P (X + 1) = P (X 1 + X 0). Les calculs qui
suivent montrent que ce n'est pas le cas : pour K., '(X) = X (X + 1) ¡ X (X).
On mesure ici la complexité liée à la notation X dans le cadre des fonctions
polynomiales : le fait que X i est la fonction dénie sur R par X i(x) = xi n'est
pas stabilisé. Cette perte de sens se retrouve lors de l'écriture de la matrice qui
est déduite de ces calculs : la matrice obtenue ne semble pas être interprétée par
K. en lien avec le milieu de référence, ' = id n'étant pas évoqué. On peut donc
penser que K. n'exerce aucun contrôle sémantique relatif à cette matrice. Après
la régulation par l'enseignant, les raisonnements produits s'apparentent encore
à un indice : le modèle implicite d'action qui sous-tend l'action de l'étudiant
est que la représentation matricielle donne accès, plus ou moins facilement, à
des informations sur l'endomorphisme associé. Nous pensons que cette analyse
sémiotique illustre les relations entre sémantique et pragmatique : la non appré-
hension pragmatique d'un signe au sens peircéien ne semble pas permettre à K.
d'en avoir une vision sémantique solide et donc d'activer un possible contrôle de
ses calculs, formulations et raisonnements.
Point de vue de l'usage du répertoire didactique
K. s'appuie à nouveau sur ses connaissances d'algèbre linéaire lorsqu'il passe
du cadre ensembliste sans structure pour l'injectivité de ' à la détermination
de ker ' : en eet, ' injectif()ker ' = ~0E . Néanmoins, le fait qu'il n'isole
pas 1 2 ker ' comme un argument concernant l'injectivité de ' tend à montrer
qu'il ne semble pas faire fonctionner le système organisateur à ce moment là :
déterminer l'injectivité de ' n'est pas déterminer le noyau mais simplement
savoir si ce noyau est réduit au vecteur nul ou non.
Rappelons aussi que, en se situant dans le cadre linéaire, K. confond injectif
et surjectif lorsqu'il écrit ' surjective()ker ' = 0Rn[X] . Le théorème liant
injectivité, surjectivité et bijectivité dans le cas des endomorphismes en dimen-
sion nie valide cette équivalence mais peut aussi être source de cette confusion.
5 Analyse a posteriori 311
L'écriture ker ' = 0Rn[X] montre de plus que K. confond le vecteur nul
et l'espace vectoriel réduit au vecteur nul. Cette confusion élément/ensemble
souligne la diculté associée à ce qu'il est susant d'établir pour l'injectivité de
', diculté relevée plus haut : il ne s'agit pas forcément pour K. de déterminer
l'ensemble ker ' mais de savoir si ~0Rn[X] en est le seul élément.
Ensuite, K. montre qu'il ne dispose que d'une conception partielle de la
composition, implicite dans l'écriture P (X + 1) : alors qu'en écrivant le polynôme
P sous forme développée, il formule correctement P (X + 1) sous la forme P (X +
1) = b0 + b1 (X + 1) + + bn(X + 1)n, il confond composition et produit lorsqu'il
doit évaluer '(X i).
Enn, K. sait écrire une matrice d'endomorphisme en fonction des calculs,
erronés ou non, des '(X i). Néanmoins, dans son répertoire didactique et avec son
système organisateur, K. n'identie pas l'objet matrice en tant que pattern
tel que déni dans la partie théorique : il n'interroge pas l'objet matrice obtenu en
se référant aux éléments du milieu objectif de la situation dont ceux du répertoire
didactique relatifs aux matrices d'endomorphismes.
Après cette étape, on peut penser qu'il y a une réelle actualisation du réper-
toire, concernant au moins deux notions, la composition P (X + 1) et le statut
iconique de l'objet matrice mieux identié. On peut aussi estimer que le système
organisateur s'est enrichi : K., pour aborder un problème d'algèbre linéaire dans
un espace de polynômes de dimension nie, pourra en plus du traitement algé-
brique en proposer un traitement numérique et matriciel. Nous voyons ici les
liens avec R.3.2 et R.3.3 et donc l'imbrication entre les niveaux de milieu M¡1
et M0 suite à l'intervention de l'enseignant.
Point de vue des formes des raisonnements
Ici, K. utilise à nouveau des conjonctions ou des symboles logiques entre
diérents objets mathématiques. On peut penser qu'il produit donc un raisonne-
ment de type déductif. Plus précisément, en s'appuyant sur les calculs explicites
de '(X i) et ne sachant pas la forme de la matrice à venir, on est dans un
raisonnement de type empirico-déductif. Puis, en appliquant l'algorithme pour
remplir les colonnes de la matrice de ' par exemple, ou en écrivant l'équivalence
' surjective()ker ' = 0Rn[X] , K. procède à un raisonnement de type
hypothético-déductif.
Étape 3 : injectivité, surjectivité de ', détermination de ker ' et im '.
Identication du niveau de milieu correspondant
K., confronté au milieu objectif M¡2 lors de l'étape précédente, sait mainte-
nant faire opérer correctement ' sur Rn[X]. Ainsi, lors de cette troisième étape,
il utilise les calculs de l'étape précédente pour étayer ses arguments et décider
quelle dénition de im ' semble adaptée à la situation : K. est alors en situation
d'apprentissage S¡1, confronté au milieu de référence M¡1. Puis, K. dans son rôle
d'étudiant formulateur et validateur5.25, rédige une preuve de la non injectivité et
la non surjectivité de '. Mais, alors que lors de l'étape 1, le raisonnement produit
par K. avait pour but de vérier une assertion contenue dans la question, les for-
5.25. au sens de contrôle des formulations produites, tel que décrit dans la partie théorique.
312 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
5.2. L. (MPSI)
5.2.1. Narration
Pour cette retranscription, nous disposons des photos des diérents tableaux et des
notes du professeur sur la teneur de ses interventions ainsi que ce qu'il pense être
des réactions de l'étudiant ainsi que des éléments du dialogue entre le professeur et
l'étudiant.
Étape 1 : ' 2 L(Rn[X]).
Le premier échange oral a lieu neuf minutes après le début de l'interrogation
orale, à la demande de l'étudiant :
¡ est-ce que vous pouvez venir voir ?
¡ n'eace rien je fais une photo parce qu'il y pas mal de fautes.
Voici le tableau tel que rédigé par l'étudiant :
n
X
(i) deg P = n donc P (X) est de la forme P (X) = ak X k car P (X) 2 Rn[X]
k=0
n
X n
X
Q(x) = P (X + 1) ¡ P (X) = ak (X + 1)k ¡ ak X k
Xn
k=0 k=0
= ak ((X + 1)k + X k)
k=0
donc deg Q = n
' par de P 2 Rn[X] dans Q 2 Rn[X] donc ' est un endomorphisme : ' 2
L(Rn[X])
(ii) Soit P 2 ker ' alors Q(X) = 0
Comme ' est linéaire P (0) = 0 et donc par récurrence P (X) = 0
Après la remarque de l'enseignant, l'étudiant attend que la photo soit prise puis
corrige seul en écrivant deg P 6 n au lieu de deg P = n et de même pour Q avec
deg Q 6 n. L'enseignant valide les modications puis prend la parole.
¡ Que fais-tu quand tu regardes le degré en terme d'espace vectoriel ?
¡ Je montre que Q appartient au même ensemble.
¡ Est-ce que ça sut pour montrer que c'est un endomorphisme ?
¡ Ah ben non, il faut montrer que c'est une fonction linéaire.
L'étudiant prend la craie et rédige alors la preuve suivante
5 Analyse a posteriori 315
Soit P ; R 2 Rn[X]
Soit 2 R
'( P + Q) = P + Q(X + 1) ¡ ( P + Q(X))
= (P (X + 1) ¡ P (X)) + Q(X + 1) ¡ Q(X)
= '(P ) + '(Q)
L'enseignant ne relève pas la changement de variable de R en Q et demande
¡ il y a une petite ambiguïté avec ce que tu écris : à quoi s'applique le (X+1) ?
Au Q?
¡ Ah, oui, il faudrait peut-être mettre des parenthèses.
L'étudiant ajoute alors les parenthèses autour de P + Q.
Étape 2 : injectivité de '.
Nous rappelons ici ce que L. a écrit et sur quoi l'enseignant interrogateur n'a
pas encore joué son rôle de régulateur :
(ii) Soit P 2 ker ' alors Q(X) = 0
Comme ' est linéaire P (0) = 0 et donc par récurrence P (X) = 0
L'enseignant revient ensuite sur le noyau
¡ tu me montres que Ker ' = f0g. Es-tu certain ?
Puis, après environ cinq minutes durant lesquelles l'enseignant va aider un
autre étudiant, il revient et dit
¡ OK. Alors tu me dis, ' est linéaire donc P (0) = 0. C'est quoi le lien entre '
linéaire et P (0) = 0.
L'étudiant se met au tableau et essaie de déterminer ker ' sans dire ce qu'il fait
vraiment. Il a écrit ce qui suit
': Rn[X] ¡! Rn[X]
P 7¡! P (X + 1) ¡ P (X)
Xn Xn
P (X) = ak X k P (X + 1) = ak (X + 1)k
k=0 n
X k=0
P (X + 1) ¡ P (X) = ak ((X + 1)k ¡ X k)
k=0
n
X n
X
ak (X + 1)k = ak X k
k=0 k=0
n
X n
X
pour X = 0 on a ak = a0 donc ak = 0
k=0 k=1
L'enseignant dit alors
¡ pour pouvoir identier tes coecients, il faut développer (X + 1)k et c'est
pas simple ensuite d'identier les coecients. Il y aura une double somme
certainement
L'étudiant n'a pas d'autre idée pour déterminer ker '. L'enseignant dit alors
¡ Regarde. Qu'est-ce qu'il fait ton voisin ?
où on peut voir sur le tableau du voisin, qui traite un exercice similaire (à savoir une
1¡X
étude de l'application '(P ) = P + n P 0), une matrice de ' dans la base canonique.
L'étudiant après avoir regardé le tableau n'a pas l'initiative de passer à une écriture
matricielle mais dit
316 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
¡ ' envoie une base sur une base non libre, donc ' n'est pas bijective, donc pas
injective
Avant d'aller aider un autre étudiant, l'enseignant revient rapidement sur quelques
unes des formulations produites. L'enseignant obtient notamment conrmation que
L. a supposé que la matrice associée à son endormorphisme était semblable (au
sens de ressemblance) à celle de son voisin, que non bijectif implique non injectif
était valable car appliqué à un endomorphisme sans mentionner la dimension nie.
L'enseignant insiste alors sur la nécessité de dimension finie pour l'équivalence
bijectif et injectif et revient sur la distinction entre base et famille, une base ne
pouvant pas être non libre.
5.2.2. Analyse des raisonnements
Étape 1 : ' 2 L(Rn[X]).
Identication du niveau de milieu correspondant
Le raisonnement de L. pour vérier que ' 2 L(Rn[X]), en se diérenciant de
celui de K., illustre la liberté de décision et d'action oerte à chacun et conrme
ce que nous avions alors écrit sur le niveau de milieu concerné : nous pensons
qu'ici aussi, L., confronté au milieu de référence, se trouve dans une situation
d'apprentissage. Mais, alors que pour K. la confrontation au milieu Pnobjectifk était
implicite, il nous semble qu'en écrivant P sous la forme P (X) = k=0 ak X puis
Pn
Q(x) = k=0 ak ((X + 1)k + X k) pour étudier le degré de Q, la confrontation de
L. au milieu objectif est plus explicite.
Point de vue des fonctions des raisonnements
L. adapte l'énoncé au cadre polynomial, se confrontant alors au milieu
objectif. Cette confrontation aboutit à la décision d'écrire P sous forme de
somme et de faire agir ' an d'en déduire seulement le degré. Ainsi, par absence
de nécessité, L. ne développe pas les formules pour '(P ). Le caractère opé-
ratoire de ' n'est encore qu'hypothétique à ce niveau là. Tout comme K., après
avoir décidé du cadre pour aborder l'objet mathématique ', le raisonnement
produit par L. a pour fonction de fournir une validation concernant la nature
de l'objet '. L. oublie cependant d'établir la linéarité de '. Par ailleurs, L.
met en place les symboles nécessaires
Pn pour un calcul générique de '(P ) lorsqu'il
écrit, en recopiant mal, Q(X) = k=0 ak ((X + 1)k + X k).
Point de vue de l'analyse sémiotique
À la diérence de K., le raisonnement produit par L. apporte quelques infor-
mations sur les objets en jeu : en cours de preuve, nous pouvons deviner comment
opère ' mais l'erreur du symbole + en lieu et place du symbole ¡
empêche l'accès à une information plus précise, mais peu utile à ce stade du
raisonnement et de décision, concernant le degré de '. Le raisonnement produit
de L. est constituée d'arguments formels et organisés selon des règles syntaxiques
caractéristiques de l'algèbre linéaire : il se situe donc principalement à un niveau
syntaxique. L'intervention de l'enseignant pour le parenthésage lors de la preuve
de la linéarité, tend à montrer que le formalisme associé à la composition dans
ce cadre polynomial n'est pas complètement assuré. Pn De plus, L. omet de vérier
la linéarité de ', et, alors que le signe Q(X) = k=0 ak ((X + 1)k + X k) est un
indice pour la linéarité de ', il ne s'en sert que comme argument pour le degré
5 Analyse a posteriori 317
écrite après avoir regardé le tableau de son voisin montre que L. exploite les
colonnes de la matrice du voisin, sans se poser des questions quant à son propre
travail. Néanmoins, cette matrice est de rang n, donc vect('(1); :::; '(X n)) est
de dimension n et la famille ('(1); :::; '(X n)) n'est pas libre. Notons enn qu'il
confond base et famille en n de situation.
Point de vue de l'usage du répertoire didactique :
Le lien entre injectivité et détermination du noyau a lieu. Ici aussi, il semble
que pour étudier l'injectivité il faille déterminer explicitement le noyau. Mais
dans ce cas, pour montrer ker ' = f0 ~ g, cela semble nécessaire. La récurrence
citée est certainement appliqué pour montrer que pour tout n 2 N, P (n) = 0 et
donc P = 0. Cependant, l'application de la récurrence est imprécise et ambiguë
et pourrait relever d'un lien avec un exercice précédemment vu par l'étudiant.
Lors de cette formulation, l'étudiant fait aussi appel au fait qu'une application
linéaire envoie le vecteur nul sur le vecteur nul.PDans les formules Pnproduites
ensuite, on note une certaine maîtrise du symbole lorsqu'il écrit k=0 ak = a0
Pn
donc k=1 ak = 0 . Enn, L. utilise implicitement l'équivalence entre bijectivité
et injectivité dans le cadre des endomorphismes en dimension nie.
L'enseignant, en précisant l'association malheureuse des termes base
et non libre devrait permettre à L. de mieux appréhender l'usage du mot
base .
Point de vue des formes des raisonnements
L'usage de comme (L7) et de donc (L7) permet de dire que le rai-
sonnement des lignes L6 et L7 se veut déductif. Notons que la récurrence, citée
explicitement mais appliquée implicitement, laisse penser que le raisonnement
de L. contient une part d'inductivité, non rigoureusement démontrée. Il est
intéressant de noter que l'on retrouve les prémisses d'un raisonnement de type
inductif lorsque L. écrit Pour X = 0 et établit une première ligne d'un système
linéaire.
Bilan.
Concernant cette analyse a posteriori, et au regard de l'analyse a priori, nous
pouvons déjà compléter le bilan établi pour K.. Avant tout, cette analyse nous
convint un peu plus de la pertinence de l'utilisation du modèle enrichi d'analyse
des raisonnements. L. semble éprouver les mêmes dicultés pour appréhender la
sémantique des objets manipulés. Cette diculté est ici ampliée par l'utilisation
erronée de certains signes et objets et aboutit en particulier à un syntaxe fausse de
certaines formulations. En particulier, le statut hybride des polynômes, entre objet
analytique et objet algébrique, constitue ici un obstacle.
L'enseignant demande de déterminer ker f et passe alors à l'un des autres étu-
diants. Après avoir vérié et/ou aidé les deux autres étudiants, l'enseignant revient
vers l'étudiant dont on étudie le raisonnement et lit ce qu'il a produit au tableau
D'après le théorème du rang dim ker f = 1
Or pour P = 1; f (P ) = 1 ¡ 1 = 0:
Donc P 2 ker f . De plus P = 1 =/ 0.
Donc ker f = vect(1)
L'étudiant répond ensuite correctement à l'oral quant à l'injectivité et la surjec-
tivité.
5.3.2. Analyse des raisonnements
Étape 1 : ' 2 L(Rn[X]).
Identication du niveau de milieu correspondant
B. formule ici une validation de la linéarité de ' en adaptant la dénition
à la situation objective proposée sans intervention de l'enseignant interroga-
teur. Le rôle de l'étudiant et celui de l'enseignant tendent à valider le fait que
nous sommes dans une situation d'apprentissage S¡1 dans laquelle l'étudiant est
confronté au milieu de référence M¡1. Comme chez K., la confrontation au milieu
objectif est ici implicite.
Point de vue des fonctions des raisonnements
À la diérence de L. et de K., l'adaptation de l'énoncé au cadre polynomial
est ici réduite au minimum : il y a omission de l'étude du degré pour établir
'(Rn[X]) Rn[X], et, comme chez L., B. établit la linéarité de manière géné-
rique, sans se préoccuper de l'aspect opératoire de '. Le raisonnement proposé
par B. a pour fonction de produire une formulation de la linéarité de ' an de
valider le fait que ' est un endomorphisme.
Point de vue de l'analyse sémiotique
Tout comme chez K., le raisonnement produit par B. n'apporte que peu
d'informations sur les objets en jeu : nous ne savons pas comment opère ' et
avant l'intervention de l'enseignant nous n'avons même pas d'information sur le
degré. Les arguments de B. sont d'ordre générique, comme chez K.. Mais, à la
diérence de K., après l'intervention de l'enseignant, B. obtient implicitement
une information précise sur le degré : elle utilise l'écriture qui suit de f (P ) pour
en déduire que deg f (P ) = n ¡ 1 et pas seulement deg f (P ) 6 n. L'enseignant
ne cherche pas à obtenir plus de précisions du type : si deg P = r > 1, alors
deg f (P ) = r ¡ 1, accessible explicitement avec les formules écrites par B. au
tableau. B. semble appréhender la composition polynomiale P (X + 1) de manière
conforme à la pratique.
Nous pensons que comme chez K., le raisonnement produit est essentielle-
ment syntaxique, même si pour obtenir la stabilité de Rn[X] par f , B., via sa
formule donnant f (P ), accède à l'action de f à un niveau sémantique. Notons
que la composition est implicite dans cette formule. Le raisonnement produit est
donc du type symbole-argument pour la linéarité de f mais B. s'appuie sur la
formule de f(P ) écrite ensuite, formule qui a ici le rôle d'indice pour la stabilité
de Rn[X] par f .
Point de vue de l'usage du répertoire didactique
322 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
5.4.1. Narration
Voici les productions de l'étudiant au tableau concernant la preuve que ' 2
L(Rn[X]).
324 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
0 1
1
B a0 1 C
B C
B 0 a1 1 C
B C
B C
B C
@ 1 A
0 0 an 1
L'étudiant pose alors le système linéaire écrit sous la forme matricielle suivant
01 0 1
a0 0
B a1 C B 0 C
MB C B
@ A=@
C:
A
an 0
Nous n'avons pas de notes concernant la preuve de f 2 L(Rn[X]). À l'oral, cet étu-
diant associe l'injectivité de f à la détermination explicite de ker f . Eectivement,
l'étudiant arme sans preuve que ker f est l'ensemble des polynômes constants mais,
suite à la demande de l'enseignant, avoue ne pas savoir du tout le démontrer. Sous
les conseils de l'enseignant, l'étudiant écrit la matrice et, avec l'aide de l'enseignant
(qui lui demande de déterminer le rang de l'application puis un élément du noyau
et enn comment conclure avec ces éléments) parvient à déterminer ker f et la non
injectivité de f .
328 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
sur eux. Nous verrons que l'intervention de l'enseignant, même si elle a pour but
de maintenir l'adidacticité, n'enrichit pas forcément le rapport de l'étudiant à ces
niveaux de milieu. Cela justiera donc une réexion sur un protocole expérimental
visant à favoriser et stabiliser les niveaux de milieu M¡2 et M¡1 sur lesquels l'étudiant
construit son argumentation. Enn, nous justierons en quoi l'utilisation du modèle
d'analyse des raisonnements permet d'identier eectivement le fonctionnement du
répertoire didactique et comment le système organisateur permet ce fonctionnement.
la vérication f (Rn[X]) Rn[X] n'est pas forcément rédigée par les étudiants et,
lorsqu'elle l'est, elle révèle parfois une mauvaise conception de l'objet Rn[X]5.27 ;
elle peut aussi permettre de changer de cadre, en se plaçant dans un cadre
polynomial, et donc d'enrichir le milieu ;
la démonstration de la linéarité semble souvent correctement rédigée alors que
l'action de f elle-même ne l'est que rarement ; c'est, entre autre, ce que la
question suivante sur l'injectivité de f révèle. Par action de f , nous entendons
les objets sur lesquels f opère et la façon dont elle opère sur ces objets. Ainsi,
nous pouvons donc dire que la linéarité peut être acquise syntaxiquement sans
pour autant maîtriser la sémantique de l'application étudiée.
5.27. Plus généralement, l'inclusion f (E) F est souvent omise par les étudiants lorsqu'ils doivent
montrer qu'une application f est un morphisme de E dans F .
5 Analyse a posteriori 331
Avec ces remarques nous souhaitons souligner l'importance que nous pensons devoir
accorder aux objets eux-mêmes. L'utilisation de l'analyse du fonctionnement des
connaissances et savoirs mobilisés en situation permet d'appréhender les diérents
domaines sémiotiques liés aux objets.
Rappelons ici ces trois domaines décrits plus en détail au chapitre 3 :
le domaine syntaxique, plutôt associé au representamen d'un signe, vise
essentiellement à l'étude et la description des relations formelles entre signes ;
le domaine sémantique, plutôt associé à l' objet d'un signe, vise notamment
à l'étude des rapports entre les objets du milieu objectif en situation mathéma-
tique ;
et le domaine pragmatique au sens de Peirce, vise à l'étude des rapports eectifs
entre signes, objets et leurs utilisations signiantes.
Ainsi, en nous appuyant sur nos remarques précédentes concernant les preuves
qu'une application est un morphisme d'espace vectoriel, nous pensons qu'il peut
y avoir maîtrise syntaxique de la linéarité sans qu'il y ait maîtrise sémantique des
objets sur lesquels porte cette syntaxe. Nous devons souligner aussi l'absence de
confrontation au milieu objectif : il y a donc corrélation entre absence de confron-
tation au milieu objectif et défaut sémantique. Une question se pose dès lors : y
a-t-il causalité entre ces deux phénomènes ? Schématiquement, nous postulons que
pour accéder à l'aspect sémantique du raisonnement et des objets sur lesquels opère
ce raisonnement, l'étudiant doit se détacher de l'aspect syntaxique et replonger
dans l'aspect pragmatique. Autrement dit, an qu'il y ait réexion sur les condi-
tions d'utilisation des objets au niveau de milieu M¡1, il est nécessaire qu'il y ait
eu au préalable appropriation et mise en fonctionnement de ces objets au niveau
de milieu M¡2. On retrouve ici ce que Bloch appelle la composante heuristique
de la démarche mathématique :
Cette composante est liée à la dimension `réelle' des mathématiques, ainsi que
la pensait Gonseth : ceci signie qu'en mathématiques on peut, tout au moins
dans un premier temps de l'étude, chercher des preuves pragmatiques, faire des
dessins, des calculs, des expérimentations, et se baser sur l'intuition, ce que les
mathématiciens, en herbe ou expérimentés, ne manquent pas de faire. (Bloch,
2015)
Enn, nous voyons également que pour évaluer la rigueur mathématique d'un
raisonnement produit par un étudiant, il peut être parfois dicile de ne s'appuyer
que sur les observables produits lors de ce raisonnement. Il faudra éventuellement
tenir compte des raisonnements produits ensuite (respectivement précédemment) et
qui seront (respectivement sont) liés au champ d'utilisation de la connaissance : les
réponses produites peuvent en eet révéler la maîtrise ou non qu'a l'étudiant des
objets auxquels il est confronté.5.29
5.28. Les dicultés liées aux polynômes peuvent également être en lien avec les multiples ruptures
épistémologiques nécessaires à l'émergence de la notion de fonction rappelées au chapitre 2.
5.29. Cette pratique est courante en mathématiques : on fait plus conance en la rigueur des preuves
d'un chercheur réputé que d'un chercheur inconnu. On accepte donc plus facilement ce qui semble être des
approximations initiales de la part d'un chercheur chevronné en s'appuyant notamment sur la suite de ses
résultats qui valide ceux qui précèdent.
5 Analyse a posteriori 333
Associée à la multiplicité des milieux auxquels sont alors confrontés les étudiants,
nous notons ici une plus grande richesse des fonctions des raisonnements produits.
Ainsi, dans le cas de K., l'enseignant, en imposant un cadre matriciel, transforme
l'énoncé et permet ainsi à l'étudiant de se confronter à nouveau au milieu objectif
en situation d'action. Puis, pour l'évaluation de f (X), il va proposer à l'étudiant de
changer de cadre, en passant dans un cadre fonctionnel qui ne semble pas naturel a
priori. De même, dans le cas de C., en évoquant la possibilité d'une évaluation de
l'image d'un vecteur de la base canonique et non d'un calcul générique, l'enseignant
propose à l'étudiant de se confronter au milieu objectif M¡2 an de constituer une
nouvelle situation de référence. Le milieu de référence enrichi qui en résulte permet
d'ailleurs à C. d'écrire une matrice associée à '. Pour B., le contrôle de sa détermi-
nation de im ' à l'aide d'une base, nécessite qu'elle revienne aux calculs des images
des vecteurs de la base canonique par ' et donc au milieu objectif pour justier
la liberté de la famille ainsi obtenue et valider sa formulation. Cette discussion
enrichit le répertoire didactique des étudiants et ne semble pas avoir pour objectif
d'institutionnaliser un objet nouveau ou une démarche nouvelle.
Cette étape conrme la confusion sémantique de certains objets manipulés : cette
confusion déjà apparente pour certains raisonnements précédents se généralise ici à
tous les étudiants confrontés à l'écriture matricielle de '.
Enn, cette étape conrme un lien entre heuristique et symbolisme algébrique, ce
lien ayant lieu lors de notre analyse lors de la confrontation au milieu objectif dit
aussi milieu heuristique chez Bloch et Gibel. Ce lien est déjà présent dans les travaux
de Desclés et Cheong (2006)
En fait, ces diérents aspects sémiotiques des formalismes algébriques sont
intimement liés entre eux. Ils montrent clairement que le symbole algébrique (aussi
bien, du reste, le symbole d'opération que le symbole d'inconnue) n'est pas un
simple accessoire, une simple désignation abréviative mais que, du point de vue
heuristique, il constitue l'essor même du symbolisme algébrique. (Desclés, Cheong,
2006, p. 65)
6. Conclusion du chapitre 5
L'utilisation de notre modèle complété d'analyse des raisonnements à un niveau
d'enseignement supérieur a montré ici sa pertinence, en tenant compte de la syntaxe
des raisonnements, de la sémantique des objets manipulés mais aussi de la situation
réelle dans laquelle les raisonnements sont produits ainsi que des savoirs et connais-
sances des auteurs de ces raisonnements. En cela, ce modèle répond à la nécessité
de la dialectique syntaxique/sémantique/pragmatique pour l'analyse didactique de
raisonnements mathématiques produits, nécessitée rappelée par Durand-Guerrier
The examples presented here, added with other ones described elsewhere, show
that the model-theoretic point of view as developed by Tarski oers a general fra-
mework for analyzing mathematical proofs or reasoning, in addition with classical
didactical theories. Coming back with our general theoretical framework, we think
that the cases described here emphasize the necessity of considering the three
aspects we have introduced : syntax (...), semantic (...), pragmatic (...). (Durand-
Guerrier, 2004, p. 9-10)
Notons que nous retrouvons ici aussi les conclusions de Gardes (2013) qui sou-
ligne l'importance de cette dialectique syntaxique/sémantique/pragmatique
336 Présentation et analyse didactique de situations d'interrogation orale dites
classiques
5.30. On parle ici de profondeur en lien avec les schémas de sémiose proposée au chapitre 3 dans
lesquels diérents niveaux d'interprétant s'empilent .
5.31. Cette stabilité des milieux, plus précisément des conditions du milieu, est présente dans la
réexion philosophique de H. Rosa en Théorie Critique (Rosa H. (2014), Aliénation et accélération, Vers
une théorie critique de la modernité tardive, La Découverte)
Chapitre 6
Analyses didactiques des situations
d'interrogations orales dites expéri-
mentales
Comme nous l'avons écrit au chapitre précédent, nous postulons que l'aspect séman-
tique des raisonnements produits par les étudiants repose sur des niveaux de milieu
adidactiques, en particulier le milieu objectif, riches et stabilisés. Dans ce chapitre,
nous commençons par présenter et justier le format expérimental d'interrogation
orale que nous avons mis en place dans la lière ECS seconde année. Puis, à l'instar
du chapitre précédent, et suivant le même méthodologie, nous utilisons le modèle
an d'analyser des raisonnements produits.
337
338 Analyses didactiques des situations d'interrogations orales dites expéri-
mentales
1.2. Format
Dans la classe CPEC2 du lycée Barthou, nous avons donc expérimenté un protocole
expérimental d'interrogation orale. Ce protocole a été suivi par tous les enseignants
interrogateurs de la classe.
La semaine précédant celle des interrogations orales, chaque enseignant interro-
gateur fournit6.3 au groupe de colle qu'il interrogera une liste de trois énoncés de
situation mathématique. Ces énoncés, de dicultés variées, contiennent chacun de
trois à cinq questions et sont extraits pour la plupart d'épreuves écrites ou orales
de concours. Durant la semaine qui précède l'interrogation orale, les étudiants du
groupe de colle préparent et rédigent ensemble une solution aux énoncés proposés.
Lors de l'interrogation orale proprement dite, chacun des trois étudiants se voit
attribué par l'enseignant un des trois énoncés que le groupe a préparé. À partir de
ce seul énoncé, chaque étudiant rédige alors une solution au tableau. Si la résolution
nécessite des calculs qui peuvent être longs et diciles à mener au tableau, l'ensei-
gnant peut alors permettre à l'étudiant de s'appuyer sur les notes rédigées par le
groupe durant la phase de préparation. Cette première partie de l'interrogation orale
durant laquelle l'étudiant confronte sa rédaction aux exigences de l'enseignant et
approfondit sa compréhension des objets manipulés dure environ trente à trente cinq
minutes. S'ensuit alors une interrogation orale traditionnelle au cours de laquelle
l'étudiant est amené à raisonner face à un exercice en direct au tableau.
6.2. Il y a eu en fait plusieurs formats testés. Nous ne présentons ici que le dernier format adopté, le
seul qui ait fait l'objet d'un travail d'ingénierie didactique.
6.3. via l'enseignant de la classe ou directement par mail.
2 Origine et enjeux de la situation 339
Une remarque s'impose : en orant une complète autonomie aux étudiants, on crée
une boîte noire sur laquelle l'enseignant n'a que peu de contrôle. Mais cette
expérimentation a lieu en seconde année de CPGE, avec des étudiants dont le niveau
en mathématiques au baccalauréat est en moyenne inférieur à celui de la plupart
des autres CPGE. Le contrat didactique centré sur les savoirs avec comme objectif
explicite la réussite de tous lors des concours fait que les étudiants n'ont pas eu
recours à un autre enseignant. Ainsi, dans l'énoncé qui suit, aucun groupe de colle à
qui cet énoncé a été proposé n'est allé plus loin que la question 2. Ce sont donc bien
des connaissances, savoirs et savoirs pratiques propres aux étudiants qui prennent
place lors de cette étape préliminaire.
Nous procédons maintenant à une analyse de la situation telle que déroulée réelle-
ment.
revenir sur la notion de structure ane qui n'est présente qu'implicitement dans
le répertoire didactique, par exemple dans la description de l'ensemble des solu-
tions d'un système linéaire compatible.
Cette situation est à dimension adidactique. En eet, Ker est à déterminer par
exemple et l'élaboration de l'argumentation est entièrement dévolue à l'étudiant. De
plus, comme nous allons le mettre en lumière, certaines questions nécessitent une
véritable confrontation au milieu objectif de la situation. Cette situation propose
l'étude d'un endomorphisme d'un espace de fonctions de dimension nie, l'espace
des fonctions polynomiales de degré au plus n. Nous rappelons que les étudiants
ne disposent pas dans leur répertoire d'une dénition algébrique et formelle des
polynômes6.4.
Cette situation mathématique comporte un énoncé composé de trois questions de
natures diérentes. Nous précisons ceci dans le paragraphe suivant en exhibant la
nature de la réponse attendue par l'enseignant.
6.4. Ceci s'explique par le fait que les seuls corps au programme sont R et C.
3 Analyse mathématique a priori de la situation 341
( P + Q) = (X 2 ¡ X) ( P + Q) 00 + (X + 1) ( P + Q) 0 ¡
( P + Q)
= [(X 2 ¡ X)P 00 + (X + 1)P 0 ¡ P ] + [(X 2 ¡ X)Q 00 +
(X + 1)Q 0 ¡ Q]
= (P ) + (Q):
(X k) = k (k ¡ 1) (X 2 ¡ X) X k ¡2 + k (X + 1) X k¡1 ¡ X k
= (k 2 ¡ 1) X k ¡ (k 2 ¡ 2 k) X k¡1:
6.5. Nous verrons plus bas que l'on peut aussi le voir comme un cadre fonctionnel, la dérivation étant
L 'opérateur sur les fonctions connu depuis le secondaire.
342 Analyses didactiques des situations d'interrogations orales dites expéri-
mentales
Donc
0 1
¡1 1 0 ::: 0
B 0 0 0 0 0 0 C
B C
B 3 C
B C
B C
B C
B 2 k ¡ k 2 C
M = matB0() =B C:
B 2 C
B k ¡1 C
B C
B C
B 2 n ¡ n2 C
@ A
0 ::: n2 ¡ 1
Une seconde
Pméthode consiste à déterminer (P ) où l'on écrit P sous la
n
forme P = i=0 ai X . On obtient
i
n
X n
X
P0= i ai X i¡1 et P 00 = i (i ¡ 1) ai X i¡2:
i=0 i=0
Et
(P ) = (X 2 ¡ X)P 00 + (X + 1)P 0 ¡ P
n
X n
X n
X
= (X 2 ¡ X) i (i ¡ 1) ai X i¡2 + (X + 1) i ai X i¡1 ¡ ai X i
i=0 i=0 i=0
n
X n
X
= [i (i ¡ 1) + i ¡ 1] ai X i + [i ¡ i (i ¡ 1)] ai X i¡1
i=0 i=0
n
X n
X
= (i2 ¡ 1) ai X i + (2 i ¡ i2) ai X i¡1
i=0 i=0
n
X
= [(i2 ¡ 1) X i + (2 i ¡ i2) X i¡1] ai ;
i=0
est de rang n, donc ((1); (X 2); :::; (X n)) engendre un espace de
dimension n. Comme c'est une famille de cardinal n, c'est une base de
cet espace : elle est donc libre. Ainsi, vect((1); (X 2); :::; (X n)) Im
et, dim vect((1); (X 2); :::; (X n)) = rg(M ) = dim Im . D'où Im =
vect((1); (X 2); :::; (X n)) = vect(1; X 2; :::; (k 2 ¡ 1) X k + (2 k ¡
k 2) X k ¡1; :::; (n2 ¡ 1) X n + (2 n ¡ n2) X n¡1). Nous proposons ici une autre
rédaction possible pour la liberté de la famille ((1); (X 2); :::; (X n)).
Soit 1; :::; n des réels tels que 1 (1) + 2 (X 2) + + n (X n) = 0.
( 1; :::; n) est alors solution du système (non carré)
0 1
¡1 0 ::: 0 0
B 0 0 0 0 0 0 C
B C
B 3 C
B C
B C
B C
B 2 C
B 2 k ¡ k C;
B C
B k2 ¡ 1 C
B C
B C
B 2 C
@ 2 n ¡ n A
0 ::: n2 ¡ 1 0
dont l'unique solution obtenue de proche en proche est ( 1; :::; n) = (0; :::;
0) : la famille ((1); (X 2); :::; (X n)) est libre.
Remarquons que l'on peut commencer par déterminer Im de la même
façon puis obtenir Ker .
(k ¡ 1)2 ¡ 1 = k 2 ¡ 2 k:
346 Analyses didactiques des situations d'interrogations orales dites expéri-
mentales
des étudiants : par exemple, la façon dont opère sur Rn[X] ne devrait pas
poser problème.
Concernant la preuve de la linéarité de , les dicultés mises en évi-
dence en situation d'interrogation classique restent envisageables mais auront
probablement été discutées en groupe lors de la situation de préparation.
Ensuite, pour montrer (Rn[X]) Rn[X], l'étudiant peut raisonner de
manière algébrique directement sur les degrés ou revenir Pnà la description
explicite d'un objet de Rn[X] sous la forme P (X) = a X k. Dans
k=0 k
ce dernier cas, il peut rencontrer des dicultés dans les calculs, d'autant
plus qu'il peut juger nécessaire de calculer les coecients de (P ) expli-
citement alors que majorer le degré sut. Enn, la solution consistant à
montrer que pour tout k 2 J0; nK, (X k) 2 Rn[X] puis à utiliser la linéa-
rité est peu probable. Cette solution s'appuie sur une double linéarité :
celle liée à l'application et celle liée à la structure de Rn[X] vu comme
l'espace vectoriel engendré par la famille (1; X ; :::; X n). À nouveau, nous
pouvons penser que, implicitement, (P ) sera supposé être un polynôme,
sans justication (même orale) : l'étudiant parlera donc de degré sans se
poser la question de la nature de la fonction (P ).
b. Pour déterminer la matrice de dans la base canonique, l'étudiant calculera
très certainement (X k) pour obtenir les colonnes de la matrice. Le calcul
de (X k) eectué, une diculté consiste alors à remplir la bonne colonne
de la matrice. En eet, la k + 1-ème colonne correspond6.8 aux coordonnées
de (X k).
c. Nous ne traitons ici que le cas où l'étudiant détermine Ker avant de déter-
miner Im , ce qui correspond à l'ordre auquel l'étudiant aura été le plus
souvent confronté dans les situations constitutives de son répertoire. Nous
pensons que les premières dicultés lors de ce type d'interrogation orale peu-
vent avoir lieu à partir de cette sous-question. En eet, pour la détermination
de Ker , nous retrouvons les dicultés envisagées en situation Pnd'interro-
gation classique : des dicultés dans les calculs en posant P = k=0 ak X k,
des dicultés pour poser et résoudre le système linéaire associé à (P ) =
0, notamment à cause de la forme de la matrice M , une conclusion trop
rapide d'égalité au lieu d'une inclusion suivant la rédaction adoptée lors de la
résolution du système. Une diculté importante ici concerne une justication
rigoureuse du rang de à cause de la forme de la matrice. La manipulation
consistant à sommer les deux premières colonnes n'est pas toujours un savoir
pratique des étudiants : peu identieront 1 + X comme un vecteur de Ker .
Par ailleurs, si l'étudiant devine le lien entre la colonne 1 M:1 et la colonne
2 M:2 il peut rester dans le registre matriciel et donc à une description d'une
base de Ker dans la base B0 : la nature intrinsèque des vecteurs n'est pas
explicite. Il peut aussi décrire correctement le vecteur de manière intrinsèque
mais conclure directement sans faire appel à la dimension de Ker , en écri-
vant Ker = vect(1 + X) au lieu de vect(1 + X) Ker .
6.8. On retrouve ici les dicultés liées aux indices des listes dans langage python ou aux dicultés
liées aux états initiaux dans le calcul de chaînes de Markov dans scilab.
4 Analyse didactique a priori de la situation 351
2. Question 2 : Nous abordons les éventuelles dicultés suivant les deux sous-
questions.
6.9. Après enquête informelle auprès des étudiants de la classe, il semblerait que le fonctionnement
adopté lors de cette phase de préparation soit le suivant : tout d'abord un temps de travail de l'étudiant
seul, suivi ensuite d'un temps de travail collaboratif avec mise en commun.
352 Analyses didactiques des situations d'interrogations orales dites expéri-
mentales
b. Il nous semble que cette question est à nouveau d'une diculté supérieure6.11.
En effet, une tentative ensembliste menant à la résolution d'un système
linéaire nous semble complexe à poser et à mener. Nous pensons qu'ici la
notation simpliée d'un système linéaire sous forme de produit matriciel
permet d'appréhender le pattern sous-jacent sans avoir à isoler les coecients
du second membre des inconnues. Mais il est peu probable que l'étudiant
arrive à une expression de ¡1(X k).
Cette question contient des dicultés liées aux cadres et registres sémiotiques
invoqués : par exemple, sur le lien entre Im et Im . Ceci peut conduire à
des imprécisions quant aux objets manipulés : confusion entre et , entre
lignes et colonnes de la matrice associée. On pourra peut-être retrouver l'absence
6.10. Ce problème d'existence peut apparaître en algèbre bilinéaire lorsque l'on demande de vérier
qu'une application dénie par une intégrale dénit un produit scalaire. Il est néanmoins présent en pro-
babilités où on peut calculer une espérance sans avoir vérié son existence. Une rédaction acceptée aux
concours est alors d'écrire sous réserve de convergence ou d'absolue convergence suivant les cas.
6.11. Au cours de notre carrière d'enseignant, cette question n'a été résolue que par un seul étudiant,
au cours d'une interrogation orale dite classique.
4 Analyse didactique a priori de la situation 353
4.6. Validation
Ici aussi, la forme attendue quant à la validation est proche de ce que l'on exige
pour la rédaction de preuves dans la communauté des mathématiciens. Elle s'appuie
sur le répertoire didactique, sur le système organisateur et sur les signes produits
par application de celui-ci sur l'énoncé. Mais, alors que dans la validation d'une
interrogation orale classique le professeur peut accepter un certain ou quant à
l'utilisation des quanticateurs par l'étudiant, l'étudiant apprenant E¡1 devrait dans
ce format expérimental pouvoir mieux contrôler les quanticateurs invoqués, tant
pour leur aspect syntaxique que sémantique.
Dans le milieu d'apprentissage M0, le professeur P0 attend des preuves des énoncés
proposés par les étudiants quant à la détermination de Ker ; Im, à la bijectivité
de , à la détermination de ¡1 ... En cela, il peut donc rompre le caractère adidac-
tique de la situation. Ainsi S¡1 est constitué des conjectures, raisonnements, calculs
matriciels et résultats émis par l'étudiant apprenant E¡1 en référence à la situation
2a étudiée ici. Les justications de la détermination de Ker et de Im étant
attendues, E¡1 sera dans une situation de formulation de conjecture étayée puis dans
une situation de validation, de preuve de sa conjecture : ici encore, nous retrouvons
le lien fort entre situations de formulation et situations de validations. Le professeur
régulateur P¡1 intervient à ce niveau en essayant de maintenir l'adidacticité de la
situation : ceci permet de garantir que les décisions et validations restent à la charge
des étudiants. Pour maintenir cette adidacticité, les interventions du professeur
régulateur P¡1 doivent s'appuyer au maximum sur les productions de l'étudiant et
donc sur les observations du professeur au niveau inférieur . Le milieu de référence
M¡1 est donc constitué des actions en cours produites par l'étudiant relatives à
l'exercice.
Dans le cadre des règles, l'élève va, à l'aide de son répertoire de connaissances,
établir une action, en général une action sur les objets. Ce qui motive l'action sur
les objets c'est le répertoire didactique dont dispose l'élève (Gibel, 2008, p. 22)
En suivant le même schéma rédactionnel que dans le chapitre précédent, nous propo-
sons une analyse des raisonnements en utilisant le modèle de Bloch et Gibel (2011)
enrichi au chapitre 3.
6.12. Pour une vision plus large de cette autonomie lors de la prise de décisions, nous renvoyons ici le
lecteur à l'introduction When am i going to use this ? de Ellenberg (2014).
5 Analyse a priori des raisonnements de la situation 359
5.3.1. 2 L(Rn[X])
Concernant la preuve du fait que 2 L(Rn[X]), on obtient un tableau similaire à
celui proposé au chapitre 6. Par souci de clarté, nous le recopions ci-dessous :
5.3.2. matB0
Une spécicité de cette étape concerne le choix du cadre. En eet, pour exprimer
la matrice, le cadre de travail est xé : on numérise le problème, c'est donc un
cadre numérique. Mais subsiste un choix quant au registre sémiotique sollicité pour
travailler dans ce cadre. Le tableau que nous obtenons précise chacune des cases
R.i.j avec (i; j) 2 J1; 4K J1; 3K :
5.3.4. 2 GL(Fn)
¡1
5.3.5. mat
Sur toutes les situations contenant cet énoncé et quel que soit le format d'interro-
gation orale, cette étape de détermination de ¡1 n'est que très rarement abordée.
Nous proposons néanmoins un tableau synthétique des raisonnements qui nous sem-
blent a priori envisageables pour aborder cette question.
5 Analyse a priori des raisonnements de la situation 363
2 GL(Fn)
bijective
dim Fn nie
surjective injective
Im = Fn diagramme
injectivité
Fn Im Ker = Ker \ Fn
surjectif ? injectif ?
mat inversible ?
bijectif ? endomorphisme de Fn ?
automorphisme de Fn ?
6. Analyse a posteriori
Les productions que nous analysons maintenant concernent deux étudiants de
CPEC2. De par leur diérence de niveau6.13 en mathématiques, les raisonnements
de ces deux étudiants sont représentatifs de ceux de la classe concernée. Nous pro-
cédons maintenant à l'analyse a posteriori de leurs productions. En raison du mode
de relevé de données, essentiellement d'après photos dans cette situation, l'ordre
de présentation de l'analyse des raisonnements dière de celui du chapitre précé-
dent, tout en gardant la même méthodologie. Ainsi, au lieu de procéder étudiant par
étudiant, nous procédons ici étape par étape et, après la retranscription de l'étape
sujet d'étude, nous procédons à l'analyse des raisonnements à proprement parler.
6.13. On considère ici comme marqueur de ce niveau leur moyenne en mathématiques durant l'année
ainsi qu'aux concours de n d'année.
6 Analyse a posteriori 365
Retranscription de l'étudiant 1 :
Retranscription de l'étudiant 2 :
6.14. On retrouve ici la même chose en informatique avec les commentaires lorsque l'on code : ces
commentaires sont destinés à faciliter la compréhension et le contrôle par une autre personne (ou par le
codeur, mais longtemps après avoir produit le programme).
6.15. Nous rappelons ici que Rn[X] est un exemple paradigmatique d'espace vectoriel de dimension
nie autre que Rn.
368 Analyses didactiques des situations d'interrogations orales dites expéri-
mentales
culation plus riche entre sémantique (du côté des objets) et syntactique (du
côté des representamen) que pour les raisonnements établis lors de la situa-
tion précédente. Notons que ces raisonnements sont menés sans que l'opérateur
ne semble être encore appréhendé dans un autre cadre qu'algébrique : cela
contribue à montrer que les milieux adidactiques, dont le milieu objectif M¡2, à
partir desquels les raisonnements se construisent, sont plus riches et plus stables.
Bilan.
Lors du chapitre précédent, nous avions montré en quoi, un énoncé qui pouvait
ressembler à une simple restitution de connaissance, donnait lieu à la produc-
tion de divers raisonnements qui constituaient les premiers representamens d'une
sémiose en devenir. Ce constat nous conduit à considérer avec un intérêt particulier
les diérences entre les raisonnements produits lors des deux types de situation
d'interrogation orale dès cette question supposée de simple restitution. Et en
eet, nous pensons que l'analyse des raisonnements que nous venons de mener donne
à voir plusieurs diérences majeures.
6 Analyse a posteriori 369
Retranscription.
À partir de cette étape, nous ne retranscrivons que les raisonnements produits
par l'étudiant 2 :
L1 (P ) = (X 2 ¡ X) P 00 + (X + 1) P 0 ¡ P
L2 (1) = ¡1
L3 (X) = 1
L4 (X 2) = (X 2 ¡ X) 2 + (X + 1) 2X ¡ X 2
L5 =2X 2 ¡ 2X + 2X 2 + 2X ¡ X 2
L6 =3X 2
L7 (X ) = (X 2 ¡ X)n(n ¡ 1)X n¡2 + (X + 1)n X n¡1 ¡ X n
n
Remarque. Les éléments /1; /X ; :::; /X n et (1)(X):::(X n), présents sur cette
retranscription et sur les photos, ont été rajoutés après l'écriture de la matrice et
seront utilisés lors de la question suivante.
6.16. cette réciprocité est bien entendu non nécessaire à la résolution du problème.
6.17. Nous rappelons qu'une méthode ecace d'inversion repose sur le travail précis de ces coecients
diagonaux et surdiagonaux.
6 Analyse a posteriori 371
Bilan.
L'application du modèle d'analyse des raisonnements lors de cette étape donne
à voir à nouveau l'importance du milieu objectif. Ce milieu objectif, donné à voir
par les calculs et formulations au niveau M¡1 en L1-10, est ici à nouveau stabilisé
pour les raisonnements à mener. En lien avec ce milieu, nous avons donné à voir
comment les raisonnements étaient menés en fonction d'un objectif. Cet objectif,
qui inuence la formulation, apparaît ici comme un élément potentiel de ce milieu
objectif : c'est en lien avec l'objectif que la décision de formulation est prise en L11.
Retranscription.
Nous retranscrivons ci-dessous les raisonnements de l'étudiant 2 pour cette
étape :
372 Analyses didactiques des situations d'interrogations orales dites expéri-
mentales
0 1
0 1 0 ::: 0
B C
B 0 0 0 0 C
B C
L1 B 0 0 3 0 C
=)B C
B C
B C
@ 0 0 0 2 n ¡ n2 A
0 0 0 n2 ¡ 1
L2 Ainsi, on a dim Im f =0n
0 10 1 0 11
1 0 0
BB
B 0
CB
CB 0 C
C
B
B 0
C
CC
L3 On a donc Im f = vectBB
@B
B
CB
C; B
C@
3 C; :::; B
C B
B
CC
CA.
C
@ A A @ 2 n ¡ n2 A
0 0 2
n ¡1
L4 De plus, on a d'après le théorème du rang :
taire permet donc à l'étudiant de formuler une conjecture sur dim Im f validée en
s'appuyant sur le rang de cette matrice. Puis, en sollicitant une multiplicité des
cadres, l'étudiant aboutit à une formulation et une validation d'une caractérisa-
tion de Ker f . Autrement dit, confronté au milieu de référence M¡1, l'étudiant
prend des décisions, sémantiquement adaptées, sur les objets mathématiques
abordés.
engendrée par le vecteur (1; 5; ¡2). Ainsi, en mettant une double parenthèse, on
peut penser que l'étudiant s'assure bien que vect() porte sur un vecteur et non sur
des scalaires ou des coordonnées. Par ailleurs, l'équivalence (1) + (X) = 0 ()
(X + 1) = 0 (L6-L7) repose sur l'égalité utilisée ici de gauche à droite : de
(1) + (X) à (X + 1). La linéarité algébrique est donc vue ici comme un
procédé symétrique. Notons enn que l'égalité (X + 1) = 0 est un indice de
l'égalité Ker ' = Vect((X + 1)) mais, dans un souci d'argumentation, apparaît
d'abord comme un argument de l'inclusion vect(X + 1) Ker .
Point de vue de l'usage du répertoire didactique
L'étudiant utilise ici la matrice de pour en lire le rang. En s'appuyant
sur le théorème du rang il obtient la dimension de Ker , puis, procède par
inclusion d'espaces vectoriels pour trouver une base de Ker . On reconnaît ici un
schéma de rédaction spécique à l'algèbre linéaire. Ce schéma est un élément du
répertoire didactique de la classe, et nous semble relever de savoirs pratiques : la
matrice est dans un premier temps un signe iconique de ce type de raisonnement,
puis, en s'appuyant sur les indices de la structure de ses colonnes, l'étudiant doit
pouvoir formuler des symboles constitutifs du raisonnement argumentatif. Ainsi,
ce schéma de preuve nous semble plus précisément être un élément du système
organisateur reliant les notions de rang d'une matrice, de rang d'une application
linéaire, de dimension du noyau et d'implication d'espaces vectoriels de même
dimension. Nous insistons à nouveau sur l'identité (X) + (1) = (X + 1)
diérente6.19 de (X + 1) = (X) + (1).
Point de vue des formes des raisonnements
À nouveau, l'étudiant s'appuie d'abord sur la matrice obtenue en L1 pour
en déduire deux informations : le rang de la matrice et donc dim Im puis les
vecteurs, ici vecteurs colonnes par confusion du registre sémiotique, qui consti-
tuent une base de Im '. Le fait que dim Im f soit formulé sans argumentation
symbolisée laisse penser qu'il s'agit plutôt d'un raisonnement empirico-déductif.
Les inférences qui suivent, en se basant sur les symboles et énoncés du répertoire
didactique, relèvent de raisonnements hypothético-déductifs.
Bilan.
Nous voyons que l'objet matrice obtenu précédemment est devenu un élément du
milieu objectif sur lequel la suite des raisonnements repose. La stabilité initiale du
milieu objectif semble permettre à l'étudiant de faire évoluer ce niveau de milieu au
cours de la situation, sans intervention de l'enseignant. La multiplicité des cadres et
des registres qui sont sollicités par l'étudiant peut poser quelques dicultés d'ordre
6.19. Cette diérence est encore plus manifeste lorsque les étudiants sont confrontés à la première
question du problème suivant : Soit E un K-espace vectoriel de dimension n, soit u0 2 E n f0g. Soit ' 2 L(E)
tel que ('i(u0))16i6n soit une base de E.
1. Montrer que ' est un isomorphisme de E.
2. Montrer que (u0; :::; 'n¡1(u0)) est une base de E.
3. En déduire qu'il existe (a1; :::; an) 2 Kn tel que 'n + an 'n¡1 + ::: + a1 Id = 0.
Pour établir le surjectivité de ', en écrivant qu'un vecteur u de E peut se décomposer sous la forme
u = a1 '(u0) + + an 'n(u0) presqu'aucun étudiant ne pense à transformer cette expression sous la forme
u = '(a1 u0 + + an 'n¡1(u0)).
6 Analyse a posteriori 375
syntaxique (en L3 par exemple). Avec les lignes L8 et L9, nous voyons que l'étudiant
porte un point de vue sémantique sur la linéarité des structures : il ne se situe pas
dans un cadre ensembliste pour raisonner, uniquement pour formuler. La présence
de De plus en L4 souligne également le changement de nature de la sémiose
initiée par la matrice en L1 : cet objet constitue l'icône d'un pattern associé au
théorème du rang. L'analyse des raisonnements produits au cours de cette étape
nous conforte dans notre hypothèse entre ce format d'interrogation orale, le milieu
objectif et l'enrichissement sémantique des objets manipulés et des formulations
produites, comme en témoigne la profondeur (en termes de niveaux logiques) des
raisonnements produits.
Étudiant 2 :
0 1
L1 MatB 0 = ¡1 0 ::: 0 /1
où B C
B 0 0 0 C
: (1; X 2; :::; X n) B C
B 0 3 0 C
B C
B C
B C
@ 0 0 2 n ¡ n2 A
0 0 n2 ¡ 1 /X n
(1) (X 2) ::: (X n)
L2 Or on a dim Fn = n
00 10 0 11
L3 1 0
1
0
BB
B 0
CB
CB 0 C
C
B
B 0
C
CC
Im = vectBB
@B
B
CB
C; B
C@
3 C; :::; B
C B
B
CC
CA
C
@ A A @ 2 n ¡ n2 A
0 0 2
n ¡1
Ker ' = vect((X + 1))
L4 Or d'après0 la matrice
1
on 0
a dim Im 1 = n
0 1
1 0 0
B CB C B C
B 0 CB 0 C B 0 C
L5 et Im =B
B
B
CB
C; B
C@
3 C
B
C; :::;B
B
C
C
C
@ A A @ 2 n ¡ n2 A
0 0 n2 ¡ 1
r6n
L6 On a soit P 2 Fn ¡! deg P = r avec
r=
/1
L7 donc deg P 00 = r ¡ 2 et deg P 0 = r ¡ 1
L8 donc deg((X 2 ¡ 1) P 00) = r et deg((X + 1) P 0) = r
Lors de cette étape, l'enseignant intervient au tableau. Les traces écrites des
interventions de l'enseignant sont en rouge sur les photos. Nous les reproduisons en
gras ci-dessous
0 1
L1 MatB 0 = ¡1 0 ::: 0 /1
où B
B 0 0 0 C
C
: (1; X 2; :::; X n) B C
B 0 3 0 C
B C
B C
B C
@ 0 0 2 n ¡ n2 A
0 0 n2 ¡ 1 /X n
(1) (X 2) ::: (X n)
L2 Or on a dim Fn = n
00 10 0 11
L3 1 0
1
0
BB
B 0
CB
CB 0 C C
B
B 0
C
CC
Im = vectBB
@B
B
CB
C; B 3 C
C@ C
B
; :::;B
B
CC
CA
C
@
A A @ 2 n ¡ n2 A
0 0 2
n ¡1
Ker ' = vect((X + 1))
L4 Or d'après0la matrice
1
on 0
a dim Im 1 = n
0 1
1 0 0
B CB C B C
B 0 CB 0 C B 0 C
L5 et Im =B
B
B
CB
C; B
C@
3 C; :::; B
C B
B
C
C
C
@ A A @ 2 n ¡ n2 A
0 0 2
n ¡1
L6a ¾ (Fn) Fn ?
r6n
L6 On a soit P 2 Fn ¡! deg P = r avec
r=
/1
L7 donc deg P 00 = r ¡ 2 et deg P 0 = r ¡ 1
L8 donc deg((X 2 ¡ 1) P 00) = r et deg((X + 1) P 0) = r
L8b Im Im vect(1; X 2; :::; X n)
Fn
L8c Fn Im ?
Devant l'écriture matricielle ainsi que l'exploitation qui semble en être envisagée
en L4 et L5, l'enseignant en L6a demande à l'étudiant de revenir à et de vérier
que l'application est bien dénie en tant qu'endomorphisme de Fn, autrement dit
que, en sachant que est linéaire, (Fn) Fn. En L8b, l'enseignant interrompt
le raisonnement de l'étudiant. Il propose alors un cadre plus structurel avec une
syntaxe plus ensembliste que ce que semble envisager l'étudiant. Enn, en L8c,
l'enseignant propose l'inclusion réciproque Fn Im avec un double objectif. Cette
inclusion, formulée avec la syntaxe ensembliste de L8b, permet en eet d'établir la
surjectivité et donc la bijectivité de . Mais cette inclusion permet aussi de poser
la problématique à venir sans en préciser le cadre (algébrique ou numérique) : pour
un polynôme de la famille (1; X 2; :::; X n) quelconque, peut-on établir qu'il est aussi
dans Im ?
6 Analyse a posteriori 377
son armation. Nous notons encore des dicultés liées au symbole vect(). On
note son absence (L5) mais surtout, le raisonnement mené en L6 montre la
confusion relevée en analyse a priori sur les objets de Fn. Nous remarquons
aussi qu'à la question posée par l'enseignant et implicite dans l'énoncé, à savoir
vérier que est un endomorphisme de Fn, l'étudiant utilise des éléments du
milieu objectif et se situe à la frontière des cadres numériques et algébriques
avec l'utilisation exclusive de la notion de degré. Ceci conrme la diculté à
faire intervenir dans un raisonnement mathématique des objets et des cadres qui
ne sont pas envisagés dans le milieu objectif : on pense à l'inclusion ensembliste
Im vect(1; X 2; :::; X n), qui met la focale sur le lien entre degré, écriture
matricielle et stabilité par combinaison linéaire. On retrouve ici une application
locale de la notion de raisonnement théorématique : la structure vectorielle des
espaces manipulés, bien qu'implicite, n'est pas explicite par un usage de signes
et doit donc être ajoutée au raisonnement pour qu'il soit complet.
Point de vue de l'usage du répertoire didactique
Nous voyons ici une diculté de l'étudiant à travailler avec une application
linéaire dénie en tant que restriction d'une autre. Cette construction n'est pas
dans l'OM régionale algèbre linéaire à la base de leur répertoire didactique.
Cette notion apparaît implicitement dans les savoirs pratiques de l'OM régionale
analyse réelle , mais le système organisateur de l'élève, non autonome au sens
de Castela (2011), ne lui permet pas d'établir de lien sémantique. L'étudiant
actualise donc ici son répertoire.
Point de vue des formes des raisonnements
Les raisonnements produits sont à nouveau déductifs, empirico ou hypothé-
tico-déductifs. Les interventions de l'enseignant en L6a et L8c nous semblent
inviter l'étudiant à envisager un raisonnement abductif.
Bilan.
Avec cette question, nous constatons la diculté de l'étudiant à être autonome
quant à l'utilisation du système organisateur pour articuler les OM régionales en lien
avec les questions d'existence des objets mathématiques6.20. Nous constatons aussi
les dicultés à manipuler et à comprendre l'objet vect() en lien ici avec la notion
de combinaison linéaire6.21. Cette question nous permet aussi de montrer l'intérêt,
voire l'aspect simplicateur, d'un point de vue ensembliste et structuraliste, et donc
surplombant (Hausberger, 2016), plutôt qu'un point de vue au niveau des objets
manipulés. Il nous semble que nous avons ici une nouvelle illustration de l'aspect
simplicateur d'une structure par rapport à un traitement au niveau de l'objet, ici
des vecteurs.
6.20. Les nouveaux programmes de CPGE pour la voie ECS ont ajouté la notion de trace au pro-
gramme d'algèbre linéaire de seconde année. La définition de la trace d'un endomorphisme devrait
permettre aux étudiants de se poser une question d'existence peut-être plus accessible que celle de rang
vue en première année.
6.21. Nous retrouvons ici les dicultés épistémologiques liées à l'émergence de la notion de combinaison
linéaire (Épistémon, 1981 ; Dorier, 1997)
7 Conclusion du chapitre 6 379
7. Conclusion du chapitre 6
Dans le chapitre précédent, nous avions postulé le lien entre un milieu objectif riche
et stabilisé et la capacité de l'étudiant à mobiliser ses savoirs et connaissances en lien
avec l'énoncé de la situation. La profondeur, en terme d'étapes logiques, des argu-
mentations produites tend à conrmer notre hypothèse. De plus, les raisonnements
ne recouvrent plus ici un ensemble de fonctions que l'on peut penser trop riche pour
une interrogation orale d'étudiants tels que ceux d'une CPGE de proximité. En
eet, à la diérence de la situation d'interrogation orale classique, les décisions pour
l'essentiel ont déjà été prises. De même, les calculs ont été menés une première fois. Il
s'agit donc pour l'étudiant lors d'une interrogation orale expérimentale, d'organiser
les actions et décisions qu'il a menées au préalable, puis de formuler et de valider
par des calculs et arguments ces actions et décisions. Le recours au milieu objectif
est également pris en charge par l'étudiant lui-même, lorsqu'il enrichit par des signes
la matrice sur laquelle il va travailler. Nous pensons avoir aussi montré que dans ce
format d'interrogation, l'étudiant envisage des raisonnements ayant pour fonction de
contrôler les raisonnements produits précédemment. L'utilisation du modèle d'ana-
lyse dans ce format dit expérimental nous permet enn d'insister sur la dynamique
intrinsèque au schéma de structuration des milieux : cette dynamique, forcée parfois
par l'enseignant en interrogation classique, est ici entièrement prise en charge par
l'étudiant.
Conclusion et perspectives
Dans ce travail de recherche nous avons étudié les notions d'application linéaire et
de matrices en algèbre linéaire, au sein du cadre institutionnel de l'enseignement
supérieur français que sont les Classes Préparatoires aux Grandes Écoles. Nous
espérons donc avoir contribué à enrichir les réexions didactiques menées jusqu'à
présent dans le domaine de l'enseignement de l'algèbre linéaire et celles concernant
l'enseignement supérieur en général et les CPGE en particulier. Nous rappelons
maintenant les résultats de nos travaux et envisageons ensuite des perspectives de
recherche en lien avec ceux-ci.
381
382 Conclusion et perspectives
nous ont permis d'identier diérentes nalités possibles : Halmos, en lien avec la
géométrie des espaces de Hilbert propose, pour caricaturer, une analyse fonctionnelle
en dimension nie ; Mc Duee, en lien avec les matrices, envisage une approche
numérique ; enn, Mac Lane et Birkho, en lien avec les structures algébriques, pro-
posent une approche fondamentalement algébrique. Nous avons également associé la
libération de la géométrie à celle de l'algèbre. Cette dégéométrisation se trouve
à l'origine d'une réexion sur les pratiques mathématiques et logiques et aboutit
à l'émergence d'une méthode axiomatique dont nous avons souligné les diérences
avec celle héritée des Grecs. Nous avons montré comment cette nouvelle pratique
axiomatique, associée à l'émergence de la structure d'espace vectoriel, constitue
elle aussi une rupture épistémologique importante, complétant ainsi les travaux
didactiques sur l'épistémologie des notions de preuve et de rigueur (Arsac, 1987) et
ceux sur le lien entre géométrie et algèbre linéaire (Gueudet, 2000, 2004a, 2004b,
2006). Cette étude nous permet d'apporter des premiers éléments de réponse à la
question posée au chapitre 3 :
Les règles syntaxiques formalisantes de l'algèbre linéaire ne sont-elles pas pré-
gnantes et ne font-elles pas passer au second plan l'aspect sémantique des objets
utilisés ?
En eet, l'analyse épistémologique précédente montre que le formalisme utilisé en
algèbre linéaire est constitutif de la sémantique des objets manipulés et leur donne
un sens nouveau . Cette étude montre également que les règles syntaxiques nou-
velles, développées conjointement à l'essor de l'algèbre, dont l'algèbre linéaire, sont
le corollaire d'un questionnement d'origine plutôt philosophique sur les pratiques
mathématiques antérieures et sur leur rigueur. Nous avons alors rappelé en quoi
un discours méta en mathématiques peut dicilement aider à la prise en charge de
cette réexion.
Nous avons ensuite motivé les cadres théoriques par notre questionnement sur les
dicultés que rencontrent les étudiants et les interventions didactiques possibles
pour qu'ils puissent les identier et les dépasser. An de favoriser la pratique mathé-
matique, nous avons justié le choix d'une étude des raisonnements produits comme
observables de l'appréhension sémantique et syntaxique qu'ont les étudiants des
objets mobilisés pour répondre aux exigences de la situation. À partir d'une dé-
nition large de raisonnement, incluant l'éventualité d'un raisonnement erroné tout
autant que celle d'un raisonnement valide, nous avons montré en quoi la TSD avec
le schéma de structuration du milieu, et la sémiotique de Peirce, en partageant
un ancrage épistémologique commun fort, constituaient un cadre pour une analyse
multidimensionnelle des raisonnements. Nous avons complété le modèle de Bloch
& Gibel (2011) avec la notion de forme de raisonnement de manière à identier les
dimensions non hypothético-déductives. Le modèle ainsi complété donne à voir les
éventuelles inférences relevant d'un raisonnement abductif, forme de raisonnement
épistémologiquement essentiel dans tout processus de découverte scientique et de
recherche lors de la résolution d'un problème. Avec la notion d'incorporation de
l'objet dynamique dans l'objet immédiat, nous avons aussi rappelé en quoi une
analyse sémiotique au sens de Peirce pouvait être menée sans qu'il y ait de référence
explicite à la notion d'interprétant, ceci sans que pour autant la triade sémiotique
ne soit dyadiquement dégénérée. De plus, nous pensons qu'une analyse sémiotique
1 Apports de nos travaux 383
sémantique nous a aussi permis de montrer, via une analyse a priori ne de la
situation, que la forme du raisonnement adoptée pour l'émergence de la tâche puis du
problème liés à l'énoncé repose sur une sémiose locale, en lien avec le milieu objectif.
An de pouvoir valider les résultats obtenus, nous avons posé la question
Le modèle présenté permet-il d'analyser ces raisonnements ?
La réponse à cette question est positive pour le secondaire et pour l'enseignement de
l'analyse dans les premières années du supérieur (Bloch & Gibel, 2011, 2016). Les
analyses des chapitres 5 ont montré en quoi la multidimensionnalité du modèle per-
mettait aussi d'analyser les raisonnements produits dans des situations de l'enseigne-
ment supérieur en lien avec l'algèbre linéaire. En nous appuyant sur les conclusions
de ce chapitre, nous avons construit une situation expérimentale pour l'analyse
de laquelle le modèle s'est à nouveau révélé pertinent.
En utilisant ce modèle, nous pouvons alors répondre à la question suivante
Quelles fonctions recouvrent les raisonnements produits par les étudiants ?
Les raisonnements produits, tout comme les formes de ces raisonnements, sont asso-
ciés aux niveaux de milieu dans lesquels ils sont eectivement produits. Ainsi, en
milieu objectif, les raisonnements ont pour fonction d'alimenter et de stabiliser ce
niveau de milieu adidactique. Il peut s'agir de transformations entre registres sémio-
tiques, de décisions de cadre de travail tels que schématisés dans le diagramme
sémantique voire de recherche de pattern à partir des representamens. Il peut aussi
s'agir de décision de calcul sur des objets en lien avec l'énoncé ou de tout autre
moyen heuristique. Enn, comme nous l'avons vu, il peut aussi s'agir d'exhiber
un exemple ou contre-exemple. Comme le suggère l'analyse sémiotique ne que
nous avons menée en lien avec le diagramme sémantique, le milieu objectif voit la
construction eective de la tâche. Dans le milieu de référence les raisonnements
produits ont pour objectif de conduire des calculs génériques et non spéciques, de
formuler des conjectures étayées par les calculs en lien avec le milieu objectif, de
prendre des décisions sur un objet mathématique en y appliquant un pattern ou de
contrôler les raisonnements déjà produits. Nous avons montré que cette fonction de
contrôle semble liée à une classe de signe particulière et donc associée à un niveau
d'interprétant spécique. Ce niveau dépend des raisonnements menés au sein du
milieu objectif et donc du point de vue sémantique porté sur les objets manipulés
jusqu'alors. En situation d'interrogation orale classique, ces fonctions de contrôle
sont rarement sollicitées, alors qu'en situation expérimentale elles le sont fréquem-
ment. Enn, l'analyse sémiotique laisse penser que le milieu de référence permet la
construction du problème. Dans le milieu d'apprentissage, il s'agit d'organiser les
signes produits dans les milieux précédents pour obtenir des objets calculables ,
comme des matrices par exemple. Il s'agit aussi de formuler des preuves suivant les
règles syntaxiques de la théorie mathématique requise ou de certier les contrôles
menés au niveau de milieu précédent. C'est donc entre le milieu d'apprentissage et
le milieu de référence que se construit la règle, règle qui pourra être réactivée.
Une fois ces fonctions des raisonnements identiées et analysées, nous avons pu
répondre à la question :
Ces fonctions sont-elles en adéquation avec le projet initial de l'enseignement
explicité et étudié en TSD par l'analyse a priori détaillée produite par le chercheur ?
1 Apports de nos travaux 385
2. Perspectives de recherche
Nous abordons maintenant quelques perspectives de recherche que notre travail
laisse entrevoir. Nous les évoquons sans ordre particulier de préférence ou de di-
culté.
388 Conclusion et perspectives
Notre analyse épistémologique montre que les questions qui sous-tendent l'émer-
gence des structures sont de deux natures distinctes. Tout d'abord, des questions
mathématiques, avec la thèse de Banach ou encore les idéaux introduits par Kummer
en 1846 qui généralisent la notion de nombre an de conserver une unicité de décom-
position en facteurs premiers. Mais aussi des questions plutôt philosophiques qui
interrogent sur la nature même des objets et des pratiques mathématiques, avec
les travaux de Grassmann ou de Peano par exemple. Nous envisageons deux ques-
tions relatives à ce constat : peut-on construire des situations qui se rapprocheraient
de situation fondamentale au sens de la TSD, épistémologiquement pertinentes et
qui favorisent l'appréhension, non pas des structures, mais des objets qui peuplent
ces structures ainsi que de leurs relations ? La notion de pattern telle que nous
l'avons précisée dans un sens sémiotique n'est-elle pas implicite dans la double dyna-
mique verticale et surtout horizontale qui caractérise la dialectique objets-structures
d'après Hausberger (2016) ?
Nous avons mis en relief des éléments montrant qu'une interrogation orale participe à
l'institutionnalisation de savoirs pratiques et donc du curriculum praxique. On peut
alors s'interroger plus avant sur cette hypothèse et sur le fait que les interrogations
orales constitueraient un marqueur du temps praxique (Castela, 2011) plus que du
temps didactique, et se demander quels outils didactiques pourraient permettre
d'identier les avancées du temps praxique.
Dans le diagramme sémantique d'une preuve, chaque étape peut être envisagée
comme un raisonnement corollariel en lien avec le répertoire didactique de la classe.
Avec l'utilisation d'outils d'évaluation des raisonnements dans les environnements
numériques d'apprentissage, on peut se demander si l'intégration du schéma d'argu-
mentation de Toulmin au sein d'un diagramme sémantique de preuve permettrait
de développer un tel outil d'évaluation de l'argumentation prenant en compte la
structure de l'argumentation, la nature et les fonctions des raisonnements produits
et les pattern sémantiques d'interactions.
Au sein de notre thèse, nous n'avons utilisé le diagramme sémantique qu'an d'éta-
blir une analyse a priori sémiotique ne. En lien avec la méthodologie d'analyse
sémiotique précisée au chapitre 3, nous envisageons de mener des analyses sémioti-
ques nes a posteriori de productions d'étudiants an de valider sa pertinence dans
la contingence.
En lien avec notre pratique pédagogique, nous élargissons actuellement nos travaux
à la réduction des endomorphismes et des matrices. L'analyse épistémologique en
cours précise et complète les organisations mathématiques régionales détaillées au
chapitre 4. En particulier, l'étude du rôle de la notion de déterminant, à la fois dans
la genèse de la théorie spectrale, et dans les choix pédagogiques et curriculaires pour
aborder la réduction, s'avère déjà prometteuse quant à la sémantique des objets
tels que valeur et vecteur propre. Ces travaux en cours complètent notre recherche
de thèse et pourraient apporter aussi d'autres éléments de réponse concernant les
enjeux de l'articulation des organisations mathématiques régionales avec la notion
de polynôme annulateur.
Par ailleurs, nous avons souligné à plusieurs reprises les dicultés qu'ont les étu-
diants à contrôler leurs raisonnements : sens des calculs, liens logiques ... Les
questions de la pertinence, de l'adéquation, de la complexité, de la consistance de
2 Perspectives de recherche 389
leur production et de la communication inhérente telles que posées par Gibel (2008,
p. 23), liées aux fonctions de contrôle que peut jouer un raisonnement, trouvent
également leur place dans le cadre d'un enseignement informatique. Avec l'évo-
lution de l'enseignement de l'informatique et de l'algorithmique en France, on peut
se demander si les outils didactiques présentés dans nos travaux sont pertinents
pour l'analyse des liens entre un enseignement en informatique et un enseigne-
ment de mathématique autour de ces questions communes de calculabilité.
Nous souhaiterions également étudier cette fonction de contrôle des raisonnements
avec les outils didactiques d'intelligibilité rationnelle de Schneider (2013) et la notion
qui nous semble être en lien que Lecorre (2016) nomme niveau de rationnalité.
Enn, en lien avec notre première perspective et an d'alimenter le levier méta,
nous nous posons la question de relever les situations mathématiques conduisant à
un travail sur la validité de la dénition d'un objet (on pense ici au rang, à la trace,
à l'existence d'une somme, d'une espérance, mais aussi à la dénition de l'inté-
grale sur un segment comme diérence de primitives évaluées aux bornes, etc ...).
Nous pourrions envisager d'essayer de construire des situations qui favorisent à la
fois l'émergence d'un discours heuristique et l'identication d'invariants, essentiels
à l'enseignement de l'algèbre linéaire, comme cela est expérimenté dans d'autres
domaines des mathématiques, dont l'analyse (Job & Schneider, à paraître, 2007 ;
Schneider, 2011).
Nous insistons encore sur l'importance des milieux adidactiques et en particu-
lier du milieu objectif ou heuristique pour l'activité mathématique et souhaiterions
conclure avec une citation de Schneider
Mais, il faut le dire, on tient peu souvent un discours heuristique que ce soit
dans l'enseignement secondaire ou à l'université. C'est dommage car seuls de très
très bons élèves ou étudiants sont capables de saisir, dans l'implicite, les règles
fondamentales du jeu mathématique en cours et leur évolution d'un niveau d'étude
à l'autre. (Schneider, 2013)
Liste de figures
(d'après Arnon et al., 2014, p. 10) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Décomposition génétique d'espace vectoriel (Trigueros et Oktaç, 2005, p. 168) . 23
Décomposition génétique d'application linéaire (Roa-Fuentes, 2008, p. 112) . . . 23
Algèbre linéaire, APOS et AMT (Stewart, Thomas, 2007, p. 4-202) . . . . . . . . 25
Variables macro-didactiques (Bloch, 2012, p. 394) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Complémentarité des cadres didactiques (Winslow, 2007, p. 202) . . . . . . . . . 43
Organigramme de l'enseignement supérieur français (Farah, 2015, p. 28) . . . . 101
(Hersant, Perrin-Glorian, 2003, p. 218) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
Fonctionnement dynamique du répertoire didactique . . . . . . . . . . . . . . . . 116
Schéma de structuration du milieu (extrait de Gibel, 2008, p. 19) . . . . . . . . 118
(Gibel, 2008, p. 22) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
(Gibel, 2008, p. 23) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
(Gibel, 2008, p. 27) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
. ..... ...... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
. ..... ...... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
Triade sémiotique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
(Bloch, 2015a, p. 9) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
(Bruzy, Burzla, Marty, Réthoré, 1980, p. 37) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
(Peirce, 1904, MS 339) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Tableau des dix classes de signes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
Treillis simplié des classes de signes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Ground et sémiose . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
(d'après Thibaud, 1983, p. 11) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
(d'après Thibaud, 1983, p. ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
Schématisation des inférences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
Treillis de classes de signes et zones d'inférence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Zone d'inférence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Raisonnement hypothético-déductif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Raisonnement empirico-déductif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
Raisonnement hypothético-inductif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Raisonnement empirico-inductif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
Raisonnement abductif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
Schématisation du raisonnement diagrammatique (Homann M. H.G., 2007) . 166
Schématisation d'un raisonnement diagrammatique (May, 1999, p. 186) . . . . 168
Modèle d'analyse de raisonnement (Stylianides, 2008, p. 10) . . . . . . . . . . . 169
Dualité Cadre/registre (Duval, 2002, p. 86) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Schéma d'un diagramme sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Transpositions didactiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
Échelle des niveaux de détermination didactique (Chevallard, 2007) . . . . . . . 197
Schéma de strucuration praxéologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Scan de la page 777 du livre Tout en Un MPSI-PCSI . . . . . . . . . . . . . . . . 238
Représentation incomplète de l'articulation des OM locales . . . . . . . . . . . . 243
Treillis de la première sémiose . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
Treillis de la seconde sémiose . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
Treillis de la troisième sémiose . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
Diagramme sémantique de ' 2 L(Rn[X]) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299
Tableau d'analyse des raisonnements de l'injectivité de ' . . . . . . . . . . . . . 300
Un diagramme sémantique de l'injectivité de ' . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303
Diagramme sémantique de 2 GL(Fn) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364
391
Liste de tableaux
393
Bibliographie didactique
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