Guide Des Procédés D'écriture
Guide Des Procédés D'écriture
Guide Des Procédés D'écriture
Guide
d’écriture
des procédés
Anne Gagnon
Cari Perrault
Huguette Maisonneuve
ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE
LÜQ0
des procédés d’écriture
Digitized by the Internet Archive
in 2019 with funding from
Kahle/Austin Foundation
https://archive.org/details/guidedesprocedesOOOOgagn_c9IO
ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE
Anne Gagnon
Cari Perrault
Huguette Maisonneuve
enseignants au Collège Jean-de-Brébeuf
Révision linguistique:
François Morin
Correction d’épreuves:
Odile Dallaserra
Direction artistique:
Hélène Cousineau
Coordination de la production:
Muriel Normand
Le guide que nous vous proposons ne prétend pas être une méthode miracle pour
apprendre à analyser un texte littéraire. Il vise plutôt à présenter, de manière concise,
les principaux procédés d’écriture (moyens d'expression) desquels il est possible de
tirer du sens ou de dégager un effet. Ce guide sera particulièrement utile aux étudiants
du collégial qui, dans le cadre de leurs cours de littérature, sont appelés à analyser
des textes littéraires et à les commenter. Il servira également à tous ceux qui cherchent
à améliorer leur habileté de lecture ou à maîtriser davantage leur écriture.
Nous proposons un guide centré sur le sens et non sur le simple repérage. Ainsi, en
plus d’être défini et accompagné de stratégies de repérage ou d’analyse, chaque pro¬
cédé est mis en contexte à l’aide d’extraits littéraires, de manière à illustrer les diffé¬
rents sens ou effets qu’il peut produire1. D’autres procédés, présents dans le même
exemple et contribuant à créer le même sens ou le même effet, sont également souli¬
gnés2. Notre travail, systématique, ne se prétend toutefois pas exhaustif. À l'exhaustivité
nous avons préféré la clarté, qui permet non seulement de comprendre le texte, mais
aussi (et surtout) de tirer du plaisir de la lecture.
Le bonheur, ce n’est pas une note séparée, c’est la joie que deux notes ont à rebondir
l’une contre l’autre. Le malheur, c'est quand ça sonne faux, parce que votre note et celle
de l’autre ne s’accordent pas. La séparation la plus grave entre les gens, elle est là, nulle
part ailleurs: dans le rythme4.
En somme, notre souhait le plus intime est que ce guide donne envie de lire, qu’il
permette de mieux comprendre un texte littéraire, qu’il amène à en saisir les nuances et
à le savourer. Si, de surcroît, il fait aussi naître l’envie d’écrire, nous en serons ravis.
Bonne lecture!
Les auteurs
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier
Lucie Libersan, du Collège Ahuntsic
Julie Roberge, du Cégep Marie-Victorin
Louise Lachapelle, du Collège de Maisonneuve
Louise Poulin, du Cégep de Lévis-Lauzon
François La Bissonnière, du Cégep de Saint-Laurent
Dominique Cyr, du Collège de Bois-de-Boulogne
VI Présentation
Table des matières_
Présentation V
Procédés d'énonciation 3
Procédés lexicaux_9
4M Procédés stylistiques_39
5B Procédés musicaux 59
► Les sonorités:
l'allitération.60
l'assonance.61
► Le rythme:
la longueur des phrases.62
l’enjambement.63
les pauses et l’accentuation.64
► Lhistoire:
l'intrigue.66
les personnages.68
l'espace et le temps.69
► La tonalité lyrique.78
► La tonalité tragique.79
► La tonalité comique.80
► La tonalité dramatique.81
► La tonalité épique.82
► La tonalité fantastique.83
► La tonalité polémique.84
► La tonalité didactique.85
8BTexte synthèse_87
Médiagraphie_101
Définition
Un procédé d’écriture est un moyen d’expression dont il est possible de tirer du sens
ou de dégager un effet. Par exemple, pour affirmer qu’un repas est bon, il est possible
d’écrire cette phrase neutre: Le repas est bon, mais il est également possible d’écrire
Ce n’est pas mauvais (litote), Que c’est délicieux! (phrase exclamative), Comment arrives-
tu à cuisiner des plats si savoureux? (phrase interrogative, emploi du terme mélioratif
savoureux et de l’adverbe d’intensité si), C’est divin (hyperbole), Le poulet, la sauce, les
asperges, tout est bon! (énumération et emploi du pronom indéfini tout), etc. Un
message peut donc être formulé de différentes manières, à l’aide d’une variété de
procédés. Dans cet exemple, tous les procédés utilisés conduisent au même sens
général : le locuteur cherche à exprimer sa satisfaction et à complimenter le destina¬
taire. Ces procédés se distinguent toutefois par des nuances de sens: par la litote, le
locuteur met en valeur son compliment; par l’hyperbole ou par la phrase exclamative,
il s’exprime avec plus d’enthousiasme, etc. L’interlocuteur habile perçoit ces nuances
et peut les interpréter.
Introduction
L’énonciation est la production d’un énoncé dans un certain contexte. Par cet énoncé,
le locuteur peut rapporter des faits, des événements ou des pensées personnelles. Il
peut aussi rapporter les paroles de quelqu’un d’autre. Dans tous les cas, le locuteur
peut émettre son énoncé de manière neutre ou, au contraire, laisser transparaître son
attitude à l’égard du propos qu’il exprime.
Les procédés d’énonciation sont les moyens d’expression qui permettent de compren¬
dre la situation de communication: les marques du locuteur, les marques du desti¬
nataire, les marques du lieu et du moment où l’énoncé est émis, l’attitude du locuteur
par rapport à son propos (marques de modalisation) et le discours qui est rapporté.
Exemple
«SCAPIN - Bon. Imaginez-vous que je suis votre père qui arrive, et répondez-moi fermement,
comme si c'était à lui-même. [Comment, pendard, vaurien, infâme, fils indigne d'un père comme
moi, oses-tu bien paraître devant mes yeux, après tes bons déportements, après le lâche tour que
tu m'as joué pendant mon absence? Est-ce là le fruit de mes soins, maraud? est-ce là le fruit de
mes soins? le respect qui m'est dû? le respect que tu me conserves? Allons donc. Tu as l'insolence,
fripon, de t'engager sans le consentement de ton père, de contracter un mariage clandestin?
Réponds-moi, coquin, réponds-moi. Voyons un peu tes belles raisons] Oh! que diable! vous
demeurez interdit!
OCTAVE - C'est que je m'imagine que c'est mon père que j'entends.»
MOLIÈRE, Les Fourberies de Scapin (1671).
Marque de modalisation
Les marques de modalisation (noms et adjectifs
péjoratifs) montrent l'indignation du père face au
mariage clandestin de son fils.
Chapitre 1 3
Les marques du locuteur
Définition
Le locuteur est la personne qui émet l’énoncé. Il peut être l’auteur, le narrateur ou un
personnage.
«Je suis Le ténébreux, Le veuf, L'inconsoLé.» Le pronom personnelle met l'accent sur
Gérard de NERVAL, «El Desdichado», l'introspection du locuteur et sur la tonalité
Les Chimères (1854). lyrique du poème. Cette tonaLité est marauée
par les termes relevant du champ lexical
du deuil (ténébreux, veuf, inconsolé), qui
témoignent de la morosité du locuteur.
«Nous étions à L'étude, quand Le proviseur L'emploi du pronom personnel de la lre per¬
entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois sonne du pluriel (nous) donne l'impression
et d'un garçon de classe qui portait un grand que tous les élèves de la classe, y compris
pupitre. » le locuteur, forment une seule entité.
Gustave FLAUBERT, Madame Bovary (1857). L'emploi du déterminant indéfini un,
dans l'expression un nouveau, accentue
l'effet d'opposition entre le groupe et
l'individu.
Procédés d'énonciation
Les marques du destinataire
Définition
Le destinataire est la personne à qui l’énoncé est adressé. Dans une œuvre littéraire,
le premier destinataire est toujours le lecteur. Cependant, très souvent, le locuteur
s’adresse aussi à une personne (fictive ou réelle) à l’intérieur de l’œuvre.
«LÉOPOLD - Toute ta tabarnac de vie à faire La Dans cet extrait, le personnage de Léopold
même tabarnac d'affaire en arrière de la même se parle à lui-même comme si c'était quelqu'un
tabarnac de machine! Toute ta vie! T'es spécia¬ d'autre qui s'adressait à lui (emploi de la
lisé, mon p'tit gars! Remercie le bon Dieu! deuxième personne), en l'appelant «mon
T'es pas journalier! » p'tit gars» (apostrophe). Cette aliénation
Michel TREMBLAY, À toi, pour toujours, ta causée par le travail machinal et répétitif
Marie-Lou (1970). (répétition du mot tabarnac) est dénoncée
par son discours ironique (tonalité polémique).
Chapitre 1 5
Les marques du lieu et du temps
Définitions
Le lieu correspond à l’endroit où le locuteur se trouve au moment où il émet l'énoncé.
Attention! Si le locuteur emploie le mot là-bas, ce n’est pas parce qu’il se trouve
là-bas au moment où il parle. Le mot là-bas désigne plutôt un endroit qui se
trouve loin de lui. En cherchant à savoir quel est le lieu désigné par là-bas, on en
apprend sur le lieu où le locuteur se trouve au moment où il parle. La même
logique s’applique pour les marques du temps.
«Jamais je n'ai eu tant de plaisir en vous écri¬ Sans connaissance du lieu de l'énonciation,
vant; jamais je n'ai ressenti, dans cette occu¬ on ne peut apprécier cet extrait à sa juste
pation, une émotion si douce et cependant si valeur. En effet, l'hypocrisie et la cruauté
vive. Tout semble augmenter mes transports: du personnage de Valmont y sont remarqua¬
l'air que je respire est brûlant de volupté; bles: au moment même où il rédige une
la table même sur laquelle je vous écris1, lettre sulfureuse à Madame de Tourvel dans
consacrée pour la première fois à cet usage, le but de la séduire, le corps nu de sa maî¬
devient pour moi l'autel sacré de l'amour2 [...].» tresse lui sert de table. La volupté dont il
Choderlos de LACLOS, Les Liaisons dangereuses parle n'est donc pas inspirée par la destina¬
(1782). taire de la lettre, comme on pourrait le
Note: Il s'agit d'une lettre du Vicomte de croire au premier abord, mais par sa maî¬
Valmont à Madame de Tourvel, qu'il tente de tresse.
séduire.
6 Procédés d'énonciation
Les marques de modalisation
Définition
La modalisation est l’attitude, le point de vue du locuteur par rapport à son propos. Il peut
rester neutre, s'exprimer avec une certaine émotion ou porter un jugement sur ce qu’il
énonce.
«Et c'est merveille que dure aussi longtemps Par les adjectifs mélioratifs {merveille, féroce,
une bataille à ce point féroce. Tous deux vrais preux, belle) et par les adverbes d'inten¬
[les chevaliers] sont d'un tel courage qu'aucun sité {tel, aussi, à ce point, plus), le locuteur
ne céderait, à aucun prix, un pied du terrain, montre son admiration pour Yvain et son
sinon pour donner la mort. Et ils agissaient en adversaire, dont il fait voir les prouesses
vrais preux: à aucun moment, ils ne blessent guerrières.
ou n'estropient leurs chevaux. [...] Pas une fois,
ils ne mettent pied à terre. La bataille ne
s'avère que plus belle. »
Chrétien de TROYES, Yvain ou Le Chevalier
au iion (1175).
«[...] deux ou trois marchands de Normandie, Les nombreux termes qui viennent diminuer
sur la légère espérance d'un petit commerce de les réalités exprimées par le locuteur (il n'y
pelleterie, équipèrent quelques vaisseaux, a que «deux ou trois» marchands, l'espérance
et établirent une colonie dans le Canada, est «légère», le commerce est «petit», seuLs
pays couvert de neiges et de glaces huit mois «quelques» vaisseaux ont été équipés) font
de l'année, habité par des barbares, des ours, ressortir la petitesse du Canada aux yeux du
et des castors. » locuteur. Ils témoignent de son mépris pour
VOLTAIRE, Essai sur les mœurs (1753). ce pays. La connotation péjorative du mot
barbares accentue cette perception négative.
Chapitre 1
Le discours rapporté
Définition
On entend par discours rapporté une parole d’autrui ou un monologue intérieur inséré
dans un énoncé.
«Elle pleurait, elle disait non, elle disait oui, On remarque le discours indirect libre
elle ne savait pas. Ah! Seigneur! que cela est par un changement de variété de langue
bon et triste de manger, quand on crève ! » (l'exclamation Seigneur!, le verbe familier
Émile ZOLA, L'Assommoir (1877). crever). Ici, c'est nettement le personnage
affamé qui lance cette remarque, qui pousse
ce cri du cœur.
8 Procédés d'énonciation
Procédés
_ lexicaux
► Introduction ► Le vocabulaire mélioratif ou péjoratif
► Le sens propre ou la dénotation ► La variété de langue
► Le sens figuré et la connotation ► Les jeux lexicaux
► Le champ lexical
Introduction
Les procédés lexicaux sont les procédés qui relèvent du choix des mots. À première
vue, l’emploi d’un mot plutôt que d’un autre peut sembler arbitraire mais, dans un
texte littéraire, il n’en est rien: le choix du lexique est très révélateur et contribue à
l’expressivité du texte. Devant l’infinité de termes possibles, un écrivain doit choisir
ceux qui expriment le mieux les nuances de sens et les effets recherchés. Plusieurs
pistes permettent de saisir la portée du choix des mots. Se rapportent-ils à un même
thème et forment-ils un réseau de sens (champ lexical)? Leur sens propre ou figuré
est-il particulièrement révélateur? Les mots dévoilent-ils l’appartenance sociale du
locuteur (variété de langue)? Trahissent-ils son attitude envers une situation ou un
personnage (vocabulaire mélioratif et péjoratif)? Quand elle est reprise, une même
idée est-elle toujours exprimée avec les mêmes mots? Quelle nuance de sens la
variété des reprises apporte-t-elle? Les mots choisis créent-ils des combinaisons fan¬
taisistes ou étonnantes (jeux lexicaux)?
Le lexique peut être analysé sous différents angles. Un même mot peut à la fois appar¬
tenir à un champ lexical donné, être pertinent en raison de son sens figuré et de sa
valeur (méliorative ou péjorative), laisser entrevoir la classe sociale du locuteur, etc.
Ainsi, les catégories présentes dans cette section ne s’excluent pas les unes les
autres: elles permettent d’analyser les mots de différentes façons.
Exemple
«SCAPIN - Bon. Imaginez-vous que je suis votre père qui arrive, et répondez-moi fermement,
comme si c'était à lui-même. Comment, pendard, vaurien, infâme, fils indigne d'un père comme
moi, oses-tu bien paraître devant mes yeux, après tes bons déportements, après le lâche tour que
tu m'as joué pendant mon absence? Est-ce là le fruit de mes soins, maraud? est-ce là le fruit de
mes soins? le respect qui m'est dû? le respect que tu me conserves? Allons donc. Tu as l'insolence,
fripon, de t'engager sans le consentement de ton père, de contracter un mariage clandestin?
Réponds-moi, coquin, réponds-moi. Voyons un peu tes belles raisons. Oh! que diable! vous
demeurez interdit!
OCTAVE - C'est que je m'imagine que c'est mon père que j'entends. »
MOLIÈRE, Les Fourberies de Scapin (1671).
Chapitre 2 9
Le sens propre ou la dénotation
Définition
Le sens propre (ou la dénotation) désigne le sens premier d’un mot, son sens littéral.
Étant donné qu’il est impossible de chercher tous les mots dans le dictionnaire,
demandez-vous quels sont ceux qui apportent une nuance importante à l’idée formulée
par le locuteur et cherchez à comprendre cette nuance. Par exemple, pour affirmer qu’il
est surpris (terme neutre), un locuteur peut dire qu’il est estomaqué (frappé comme s’il
avait été atteint au ventre), médusé (tellement surpris qu’il reste pétrifié, comme s’il avait
été transformé en pierre par le regard de la Méduse) ou stupéfait (paralysé). Chaque
terme apporte une nuance à l’idée énoncée. Ce sont ces distinctions qu’il faut chercher
à mettre en lumière en se penchant sur le sens propre des mots.
«PHÈDRE - La veuve de Thésée ose aimer Le verbe oser signifie avoir l'audace de faire
Hippolyte!» quelque chose. Dans cette phrase, il fait res¬
Jean RACINE, Phèdre (1677). sortir le fait que l'amour que ressent Phèdre
envers Hippolyte, le fils de son défunt mari,
est un amour coupable. La périphrase veuve
de Thésée contribue également à mettre en
lumière le caractère condamnable de cet
amour.
«Le corbeau, honteux et confus, Le verbe jurer, qui illustre une décision prise
Jura, mais un peu tard, avec solennité, a une portée plus forte que
qu'on ne L'y prendrait plus. » le simple fait d'affirmer quelque chose.
Jean de LA FONTAINE, Il témoigne donc du sérieux de l'engagement
«Le Corbeau et le renard», Fabtes (1668-1693). que se fait le corbeau à lui-même. Le fait
que le verbe soit placé en tête de vers
(rejet) contribue d'ailleurs à donner de
l'importance à cette décision du corbeau.
«Vous aimiez la guerre - et vous vous battiez L'emploi du verbe aimer au sens propre
pour le plaisir? C'est une supposition que je prend toute sa force du fait qu'il est accolé
ne me permettrai même pas de faire [...].» à une réalité aussi critiquée que la guerre.
Boris VIAN, Lettre ouverte à M. Paul Faber (1955). Cela permet au locuteur de montrer le carac¬
tère odieux de son destinataire. Même
si la phrase prend la forme d'une question
(phrase interroqative). il s'aait en fait d'une
accusation voilée.
10 Procédés lexicaux
Le sens figuré et la connotation
Définitions
Le sens figuré est le sens imagé d’un mot.
La connotation est le sens second d’un mot, c’est-à-dire le sens ajouté au mot. Ce sens
est subjectif.
«[...] le médecin me défend toute espèce Au sens propre, l'excommunication est une
d'alcool [...]. Sinon, c'est ['excommunication peine ecclésiastique par laquelle une personne
médicale.» est exclue de l'Église catholique. En employant
Yves BEAUCHEMIN, Le Matou (1981). l'expression figurée excommunication médi¬
cale, le personnage affirme, avec humour,
que son médecin n'acceptera plus de le
soianer s'il boit de l'alcool. L'usaqe du verbe
d'interdiction défend illustre d'ailleurs la
fermeté du médecin.
Chapitre 2 11
Le champ lexical
Définition
Un champ lexical est un ensemble de mots qui se rapportent à un même concept. Plus
le champ lexical comporte d’éléments, plus il représente un thème dominant du texte
ou une symbolique importante.
Pour comprendre la portée d’un champ lexical, demandez-vous ce qu’il apporte au pro¬
pos du texte, comment il se combine aux autres champs lexicaux, quel est son degré
d’importance dans le texte, etc.
«Madame [...] vous ignorez l'étendue des dangers Le champ lexical composé de termes associés
qui vous menacent. Je ne vous parlerai pas de au langage des avocats met en lumière, de
l'incontestable authenticité des pièces, ni de la façon réaliste, la profession du personnage
certitude des preuves qui attestent l'existence qui parle. L'emploi de tels termes contribue
du comte Chabert. Je ne suis pas homme à me à donner à l'avocat plus de crédibilité
charger d'une mauvaise cause, vous le savez. aux yeux de sa destinataire, qu'il tente de
Si vous vous proposez à notre inscription en convaincre.
faux contre l'acte de décès, vous perdrez ce
premier procès, et cette question résoLue en
notre faveur nous fait gagner toutes les autres.»
Honoré de BALZAC, Le Colonel Chabert (1832).
«Ce n'est donc pas, comme dans mes autres Le champ lexical militaire, employé ici pour
aventures, une simple capitulation plus ou décrire une conquête amoureuse, montre que
moins avantageuse, et dont il est pLus facile de le locuteur perçoit la séduction comme un
profiter que de s'enorgueillir; c'est une victoire véritable combat, qu'il faut savoir dominer
complète, achetée par une campagne pénible, jusqu'à la chute de l'opposant. D'ailleurs, le
et décidée par de savantes manœuvres. Il n'est sentiment ressenti par l'amant vainqueur est
donc pas surprenant que ce succès, dû à moi un sentiment de «gloire» et non de bonheur.
seul, m'en devienne plus précieux; et le surcroît Ce champ lexical met le lecteur sur la piste
de plaisir que j'ai éprouvé dans mon triomphe, d'une métaphore filée.
et que je ressens encore, n'est que la douce
impression du sentiment de la gloire.»
Choderlos de LACLOS, Les Liaisons dangereuses
(1782).
12 Procédés lexicaux
Le vocabulaire mélioratif ou péjoratif
Définitions
Le vocabulaire mélioratif exprime une perception positive du locuteur pour le sujet dont
il parle, alors que le vocabulaire péjoratif traduit une perception négative.
Pour saisir la valeur du vocabulaire, demandez-vous si les mots employés sont neutres,
s’ils ne font que désigner un objet ou une personne ou s’ils expriment une perception
positive ou négative des réalités qu’ils désignent.
«Il cria avec une voix rauque et furieuse qui Le choix de termes péjoratifs (le verbe crier,
ressemblait plutôt à un aboiement qu'à un cri les adjectifs rauque et furieuse et le nom
humain et qui couvrit le bruit des huées: aboiement) que le locuteur attribue à la voix
- À boire!» de Quasimodo met en évidence la percep¬
Victor HUGO, Notre-Dame de Pans (1831). tion négative qu'il a du personnage, qui
est, selon lui, un être sauvage, presque
bestial, à la fois puissant et monstrueux.
«Je suis une fille maigre En associant des termes mélioratifs (beaux,
Et j'ai de beaux os. soins attentifs, polis sans cesse) à ses os, la
J'ai pour eux des soins attentifs locutrice montre qu'elle perçoit sa maigreur
Et d'étranges pitiés de manière très positive, ce qui crée un
Je les polis sans cesse effet macabre et troublant.
Comme de vieux métaux.»
Anne HÉBERT, «La fille maigre». Poèmes (1953).
Chapitre 2 13
La variété de langue
Définition
La variété de langue (aussi appelée niveau ou registre de langue) correspond à la
manière de s’exprimer caractéristique d’une classe sociale donnée ou d’une situation
de communication particulière.
Comme la variété de langue d’un locuteur peut changer d’une situation de communi¬
cation à une autre, demandez-vous ce que cette variété vous apprend sur le locuteur
lui-même ou sur la relation qu’il entretient avec le destinataire. Est-ce une relation de
familiarité, d’intimité, de respect, de courtoisie, etc.? Dans quelle situation chaque
personnage emploie-t-il une variété de langue donnée?
«CUIRETTE - Le chauffeur de taxi a dû avoir Cette langue populaire (marquée par l'angli¬
tellement peur de toé qu'y doit avoir pesé cisme dropper, la syntaxe orale Y'a et le
su'l'gaz au coton! Y'a dû te dropper icitte régionalisme au coton) illustre avec réalisme
comme un paquet qui s'est trompé de pays!» un langage québécois de locuteurs peu sco¬
Michel TREMBLAY, Hoscmna (1973). larisés. Elle révèle une certaine familiarité
entre le locuteur et son destinataire.
14 Procédés lexicaux
Les jeux lexicaux
Définition
Les jeux lexicaux sont les moyens fantaisistes qu’emploie un locuteur pour donner aux
mots une forme et une signification inhabituelles, surprenantes ou nouvelles. Pour ce
faire, le locuteur peut inventer des mots (néologismes), modifier une formule connue,
déformer des termes déjà existants (orthographe fantaisiste) ou jouer sur la polysémie
des mots (jeux de mots). Les formules sont multiples.
Demandez-vous quel effet a voulu créer l’auteur en jouant sur les mots: voulait-il sim¬
plement faire rire? s’interroger sur le langage? critiquer un aspect de la société?
donner plusieurs niveaux de sens à son énoncé?, etc.
«[...] elle se maria et eut de nombreux Dans les contes, on trouve souvent la
amants. » conclusion: «Ils se marièrent, vécurent
Louis GAUTHIER, Anna (1967). heureux et eurent beaucoup d'enfants.»
Le locuteur modifie cette expression et la
transpose dans une histoire d'amour adul¬
tère, où le personnage, après s'être marié,
a de «nombreux amants» plutôt que de
nombreux enfants. Le pervertissement de la
formule convenue crée une tonalité comique.
Chapitre 2 15
Procédés
_ syntaxiques et grammaticaux
► introduction ► Le mouvement dans la phrase
► Les types de phrase L’ajout de compléments du nom, l'ajout de
La phrase interrogative, la phrase exclamative, compléments de phrase, la suspension, l’ellipse
la phrase impérative ► Les temps verbaux
► Les formes de phrase ► Les classes de mots
La phrase négative, la phrase passive, la phrase Les déterminants, les noms, les pronoms,
emphatique, la phrase impersonnelle les adjectifs, les verbes, les adverbes, les
prépositions, les conjonctions
Introduction
Les procédés syntaxiques et grammaticaux sont les procédés qui relèvent de la
construction de la phrase, c’est-à-dire de ses types (déclaratif, interrogatif, exclamatif
et impératif) et de ses formes (positive ou négative; active ou passive; neutre ou
emphatique; personnelle ou impersonnelle), du mouvement dans la phrase (ajout ou
omission de groupes de mots), des temps verbaux et des classes de mots. Étant
donné que la mission du présent ouvrage est de mettre en lumière les procédés qui
produisent un sens ou un effet chez le lecteur, nous avons mis de côté les aspects
de la syntaxe et de la grammaire qui ont une valeur plutôt neutre, telles les phrases de
type déclaratif, de forme positive, active, neutre ou personnelle.
Exemple
«SCAPIN - Bon. Imaginez-vous que je suis votre père qui arrive, et répondez-moi fermement,
comme si c'était à lui-même. [Comment, pendard, vaurien, infâme, fils indigne d'un père comme
moi, oses-tu bien paraître devant mes yeux, après tes bons déportements, après le lâche tour que
tu m'as joué pendant mon absence? Est-ce là le fruit de mes soins, maraud? est-ce là le fruit de
mes soins? le respect qui m'est dû? le respect que tu me conserves?) Allons donc. Tu as l'insolence,
fripon, de t'engager sans le consentement de ton père, de contracter un mariage clandestin]?]
Réponds-moi, coquin, réponds-moi. Voyons un peu tes belles raisons. Oh! que diable! vous
demeurez interdit!
OCTAVE - C'est que je m'imagine que c'est mon père que j'entends.»
MOLIÈRE, Les Fourberies de Scapin (1671).
Chapitre 3 17
Les types de phrase: la phrase interrogative
Définition
La phrase interrogative est normalement utilisée pour poser une question à un interlo¬
cuteur ou à soi-même. Cependant, dans certaines situations, la phrase interrogative
exprime une affirmation (question rhétorique), une demande ou un ordre.
Pour bien comprendre une phrase interrogative, demandez-vous si, dans le contexte où
elle est employée, elle témoigne d’une simple curiosité du locuteur, si elle illustre la
volonté d’avoir de l’information, d’exprimer un doute, de demander une faveur ou de
donner un ordre.
«CLYTEMNESTRE - Pourquoi feindre à nos yeux Les deux questions posées par Clytemnestre
une fausse tristesse? constituent en fait des affirmations fortes
Pensez-vous par des pleurs prouver votre (questions rhétoriques). L'héroïne reproche
tendresse?» à Agamemnon de faire semblant d'être triste
Jean RACINE, Iphigénie (1674). et de tenter de prouver sa tendresse par des
pleurs. Présenté sous forme de question, le
reproche atteint le destinataire de manière
plus blessante. L'emploi de termes péioratifs
tels que feindre et fausse appuie cette idée.
« FIGARO - Qu'avez-vous fait pour tant de Le personnage de Figaro s'interroge sur les
biens! vous vous êtes donné la peine de naître, actions du comte. Le fait que cette interro¬
et rien de plus.» gation se termine par un point d'exclama¬
BEAUMARCHAIS, Le Mariage de Figaro (1784). tion montre l'Indignation de Figaro. Ainsi la
question adressée au comte prend la valeur
d'un reproche. Cet effet est accentué par
l'adverbe d'intensité tant.
«Une robe noire ou une robe blanche? Ces deux questions que le locuteur se pose
Des grands souliers ou des petits?» marquent une hésitation. Le locuteur semble
Paul ÉLUARD, «Définitions», Donner à voir (1939). chercher ce qui sera le plus approprié ou ce
qui plaira davantage. Cet effet est amplifié
par l'emploi de la conionction de coordina-
tion ou.
Définition
La phrase exclamative sert à exprimer un énoncé de manière «émotive».
«Les bons vergers à L'herbe bleue Par la phrase exclamative, le locuteur fait
Aux pommiers tors1 ! ressortir la forte impression que l'odeur
Comme on les sent toute une lieue capiteuse des pommiers lui a laissée, ce qui
Leurs parfums forts!» donne une plus grande force d'évocation au
Arthur RIMBAUD, «Les reparties de Nina», poème. Le rejet du groupe nominal leurs
Cahier de Douai (1870). parfums forts contribue également à mettre
cette odeur en évidence.
«- Quelle fille smatte, pensait Séraphin qui ne Par ces phrases exclamatives, Séraphin
la quittait pas des yeux. Et viande à chiens! exprime avec force son admiration pour
Quelles fesses itou, quelles fesses! Il ne les attributs de la fille qu'il contemple.
s'ennuiera pas avec ça, le petit Orner Lefont. Le ton admiratif se justifie également par
Une vraie belle fille!» les adjectifs mélioratifs smatte et vraie belle
Claude-Henri GRIGNON, Un homme et son péché ainsi que par la répétition de Quelles fesses.
(1933).
«J'ai le cul dans l'eau froide... Par la phrase exclamative Que chus donc
Mon habit est crotté... [...] écœuré!, le locuteur amplifie le sentiment
Que chus donc écœuré!» de dégoût qui l'anime. Ce dégoût est égale¬
Claude LÉVEILLÉE, «Le petit soldat de chair», ment perceptible par les termes péjoratifs
L'Étoile d'Amérique (1970). appartenant à une langue familière {cul,
crotté, écœuré).
1. Tors: tordus.
Chapitre 3 19
Les types de phrase: la phrase impérative
Définition
La phrase impérative est normalement utilisée pour inciter un interlocuteur à faire
quelque chose. En employant la phrase impérative, le locuteur s’attend donc à ce que
le destinataire adopte le comportement demandé.
«Ô temps, suspends ton vol! Par les deux phrases impératives, le locuteur
Et vous, heures propices, suspendez votre cours ! » implore le temps et les heures de s'arrêter
ALphonse de LAMARTINE, «Le lac». Méditations afin de lui permettre de prolonger ses
poétiques (1820). moments de bonheur. Cette idée est appuyée
par les marques du destinataire (les apos¬
trophes ô temps et heures propices) ainsi que
par la ponctuation expressive (points d'ex¬
clamation).
Définition
Qu’elle soit de type déclaratif, interrogatif, exclamatif ou impératif, une phrase peut
être exprimée à la forme positive ou négative. La négation correspond normalement au
fait de nier le contenu d’un énoncé. Cependant, il arrive parfois que la négation serve
à contester l’énoncé d’un interlocuteur (négation polémique).
«Ce n'était pas pour pêcher la truite En insistant sur le fait que ce n'était pas
Qu'elle s'étendit sur mon radeau» dans le but de «pêcher la truite» que la
Jean-Pierre FERLAND, «Marie-Claire», jeune fille s'était étendue (forme négative),
Jean-Pierre Ferland (1968). le poète ne fait que suggérer, de manière
coquine, l'intention réelle de sa partenaire.
La forme négative a donc ici une grande
force évocatrice puisqu'elle laisse le destina¬
taire s'imaginer ce qu'ont vraiment fait le
locuteur et la jeune fille.
«C'est pas facile d'être amoureux à Montréal.» En niant le caractère facile de la condition
BEAU DOMMAGE, «Montréal», Beau dommage amoureuse, le locuteur affirme qu'il est diffi¬
(1974). cile d'aimer. La négation a ici pour effet de
suggérer une idée en niant son contraire.
C'est précisément ce qu'on peut appeler une
litote.
Chapitre 3 21
Les formes de phrase: la phrase passive
Définition
Qu’elle soit de type déclaratif, interrogatif, exclamatif ou impératif, une phrase peut
être active ou passive. Contrairement à la forme active (Mon ami a posé des questions),
la forme passive est une construction dans laquelle le sujet de la phrase n’est pas le
sujet de l’action (Des questions ont été posées par mon ami).
«Combien vous aurez pitié de moi! [...] En se plaçant en position sujet dans cette
Vous qui avez épuisé tous [es chagrins de la vie, phrase passive, le locuteur laisse entendre
que penserez-vous d'un jeune homme sans force qu'il n'est que la victime d'une force exté¬
et sans vertu, qui trouve en lui-même son rieure. Il exprime ainsi sa faiblesse et son
tourment, et ne peut guère se plaindre que des apathie envers ce qu'il vit.
maux qu'il se fait à lui-même? Hélas, ne le
condamnez pas; il a été trop puni!»
François-René de CHATEAUBRIAND, René (1802).
«Quand on est atteint par certaines maladies, La phrase passive montre l'impuissance
tous les ressorts de l'être physique semblent du personnage face au mal qui le ronge.
brisés, toutes les énergies anéanties, tous les Son incapacité est également illustrée par la
muscles relâchés [...] Je ne peux plus vouloir; négation du verbe modalisateur pouvoir
mais quelqu'un veut pour moi; et j'obéis. » (Je ne peux plus vouloir) ainsi que par l'emploi
Guy de MAUPASSANT, Le Horta (1887). du verbe d'action obéis, seul geste que le
personnage est encore en mesure d'accomplir.
Définition
Qu’elle soit de type déclaratif, interrogatif, exclamatif ou impératif, une phrase peut
être neutre ou emphatique. Contrairement à la forme neutre (J’aime le chocolat), la
phrase emphatique permet généralement d’insister sur un élément ou de le mettre en
relief (C’est le chocolat que j’aime ou Moi, j’aime le chocolat).
Quand la forme emphatique permet d’insister sur un élément, cherchez les raisons qui
auraient pu pousser le locuteur à faire ce choix. De plus, demandez-vous ce que la
forme emphatique, contrairement à la forme neutre, apporte de plus à l’énoncé.
«Mais j'ai eu, moi, autrefois, à suivre une Par la phrase emphatique (reprise du sujet
affaire où vraiment semblait se mêler quelque je par le pronom personnel moi), le locuteur
chose de fantastique. Il a fallu l'abandonner, insiste sur le fait qu'il a lui-même eu à
d'ailleurs, faute de moyens de l'éclaircir.» traiter cette affaire et qu'il ne parle donc
Guy de MAUPASSANT, La Main (1883). pas par ouï-dire, afin de mieux convaincre
ses interlocuteurs du caractère vraiment
mystérieux de l'histoire qu'il entreprend de
leur raconter.
« CYRANO - Sois satisfait des fleurs, des fruits, Par l'emploi de la double forme emphatique
même des feuilles. (encadrement par c'est... que et reprise de
Si c'est dans ton jardin à toi que tu les l'élément ton jardin par l'expression à toi),
cueilles!» Cyrano insiste fortement sur l'importance
Edmond ROSTAND, Cyrano de Bergerac (1897). de se réaliser par soi-même et de se satis¬
faire de ses réalisations personnelles.
Chapitre 3 23
Les formes de phrase: la phrase impersonnelle
Définition
Qu’elle soit de type déclaratif, interrogatif, exclamatif ou impératif, une phrase peut
être personnelle ou impersonnelle. Contrairement à la forme personnelle (Un accident
est arrivé), la forme impersonnelle (il est arrivé un accident) est utilisée pour exprimer
un propos en mettant l’accent sur l'événement (sur le groupe verbal).
«Il me fut défendu pendant longtemps de voir La phrase impersonnelle fait ressortir la
Ou de porter les mains à l'objet qui me défense d'agir qui pèse sur le locuteur,
hante...» défense qu'il ne peut attribuer à aucun sujet
Émile NELLIGAN, «Le cercueil», Œuvre (1903). particulier. L'emploi de verbes exprimant des
actions qui lui sont interdites (voir et porter
les mains) témoigne de l'état passif dans
lequel est plongé le locuteur.
«Il est donc vrai que mon cœur est mortel.» La phrase impersonnelle permet au locuteur
Gatien LAPOINTE, «Les sabliers du temps». de donner une allure d'objectivité, de vérité
Ode au St-Laurent (1963). certaine à son affirmation. L'emploi du
présent de l'indicatif (temps verbal)
contribue également à créer cet effet.
«Dans ton p'tit trois et demi bien trop cher, L'emploi de la forme impersonnelle met
frette en hiver en valeur l'accroissement des envies que
Il te vient des envies de devenir propriétaire ressent le personnage, envies qui s'expliquent
[...]» par ses conditions de vie.
MES AÏEUX, «Dégénérations», En famille (2004).
Définition
Un complément du nom est un élément qui, dans un groupe du nom, ajoute du sens à
un nom ou à un pronom.
Les compléments du nom constituent des ajouts de sens souvent importants pour
l’interprétation d’un texte. Prêter une attention particulière aux compléments du nom
permet de ne pas négliger l’analyse des éléments importants pour la construction du
sens. Ainsi, demandez-vous quel sens le complément du nom ajoute au nom ou au pro¬
nom auquel il se rapporte. Pour y arriver, cherchez à comprendre le sens et la valeur des
termes employés dans le complément. Si les compléments sont nombreux, demandez-
vous s’ils créent un effet particulier (d’insistance, d’exagération, de précision, etc.).
«Alexis était le seul cousin de Poudrier. Père de Les trois subordonnées participiales qui com¬
huit enfants, c'était un paysan par atavisme1, plètent le nom paysan (travaillant, courant
travaillant comme une bête, courant souvent et dépensant) font ressortir les deux facettes
la galipote et dépensant comme un fou, du personnage d'Alexis, capable de travailler
dans une semaine, tout ce qu'il arrachait au dur mais aussi de profiter de la vie. De plus,
sein de sa vieille terre, labourée, ensemencée, l'adjectif vieille, qui complète le nom terre,
retournée, travaillée depuis trois générations.» est une marque affective qui montre l'attache¬
Claude-Henri GRIGNON, Un homme et son péché ment du paysan pour sa terre, à laquelle il
(1933). apporte beaucoup de soins. L'accumulation
des participes adjectifs (labourée, ensemencée,
retournée, travaillée) met en valeur ces soins
apportés à la terre par le paysan.
1. Atavisme : hérédité.
Chapitre 3 25
Le mouvement dans la phrase:
l'ajout de compléments de phrase
Définition
Un complément de phrase est un élément qui ajoute du sens à l’ensemble de la phrase,
en précisant les circonstances de l’événement: le temps, le lieu, la cause, la consé¬
quence, le but, etc.
Définition
La suspension consiste à laisser une pensée inachevée ou à marquer un arrêt dans
l’expression.
«LE COMTE - Quel homme est-ce? [...] La suspension montre que c'est Figaro qui
FIGARO - Brutal, avare, amoureux et jaloux à prend la parole pour continuer la phrase à la
l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort. place du comte, qui n'ose aller au bout de
LE COMTE - Ainsi ses moyens de plaire sont... sa pensée.
FIGARO - Nuis.»
BEAUMARCHAIS, Le Barbier de Séville (1775).
«VALVERT- Vous... vous avez un nez... heu... Les suspensions illustrent l'absence de
un nez... très grand. » courage du personnage, qui cherche à insulter
Edmond ROSTAND, Cyrano de Bergerac (1897). son interlocuteur, Cyrano, mais qui n'ose pas
exprimer les mots nécessaires pour y parvenir.
Cette idée est également appuyée par l'expres¬
sion somme toute assez banale qu'il finit par
trouver, soit Vous avez un nez très grand.
«La neige, qui n'a pas cessé de tomber depuis La suspension permet au locuteur de passer
trois jours, bloque les routes. Je n'ai pu me sous silence le nom du lieu où il devait se
rendre à R... où j'ai coutume depuis quinze jours rendre. Ce choix narratif donne un caractère
de célébrer le culte deux fois par mois.» plus réaliste au récit, puisque le locuteur
André GIDE, La Symphonie pastorale (1919). semble cacher délibérément un lieu que le
lecteur pourrait reconnaître.
Chapitre 3 27
Le mouvement dans la phrase: l'ellipse
Définition
L’ellipse consiste à supprimer des mots dans une phrase, sans en altérer le propos.
Outre le fait d’éviter la redondance, l’ellipse peut produire un effet précis dans un texte.
Pour en saisir la portée, demandez-vous en quoi la suppression de certains termes
modifie le rythme de la phrase et donne plus de force aux propos tenus par le locuteur.
«Ah! ce n'est pas la peine qu'on en vive En supprimant la première partie de la phrase
Quand on en meurt si bien à présentatif (ce n'est), le locuteur met
Pas la peine de vivre l'accent sur le propos de la phrase et,
Et voir cela mourir, mourir surtout, sur la négation Pas la peine de vivre.
Le soleil et les étoiles» Cette idée est accentuée par l'interjection
Hector de SAINT-DENYS GARNEAU, Ah!, au début de la strophe, et par la répé-
«Ah! Ce n'est pas la peine». Poésies (1949). tition de pas la peine.
«D'un peu de ciment: la ville En supprimant j’ai fait dans les deux premiers
D'une flaque d'eau: la mer vers, le locuteur crée un rythme régulier
D'un caillou, j'ai fait mon île (sept syllabes par vers) et accentue ainsi la
D'un glaçon, j'ai fait l'hiver.» musicalité des vers. Cet effet est également
Gilles VIGNEAULT, «Chanson», Silences produit par l'anaphore D'unfel au début
(1957-1977). des vers.
Définition
De manière générale, les temps verbaux indiquent le moment de l'action. À l’indicatif,
les temps des verbes sont les suivants: plus-que-parfait, imparfait, passé simple,
passé composé, présent, futur antérieur, futur simple, futur du passé (conditionnel
présent) et futur antérieur du passé (conditionnel passé).
Les temps de l’indicatif servent à marquer si une action se produit au moment même
où l’énoncé est émis, ou bien avant ou après ce moment (temps présent, passé com¬
posé, passé simple, imparfait, futur simple) ou à marquer le moment où un autre
événement se produit (temps plus-que-parfait, passé antérieur, futur antérieur, futur du
passé, futur antérieur du passé). En outre, le présent peut servir à exprimer une vérité
générale; l’imparfait, une habitude, une action répétée dans le passé ou une demande
atténuée; le futur simple, une promesse, un ordre ou une prédiction. Les temps des
autres modes verbaux, plus limités, indiquent si une action est passée ou en cours.
«Tous la verront passer, feuille sèche à la brise Par l'emploi du futur (simple et antérieur), le
Qui tourbillonne, tombe et se fane en la nuit; locuteur prédit le triste destin de la pauvre
Mais nul ne l'aimera, nul ne l'aura comprise.» passante aperçue dans un parc. Le futur
ÉmiLe NELLIGAN, «La Passante», Œuvre (1903). antérieur marque ce qui précède l'événement
au futur simple: personne ne comprendra la
passante, par conséquent, personne ne
l'aimera. Ce sens est également exprimé par
l'opposition entre les pronoms indéfinis tous
et nul.
«On ne voit bien qu'avec le cœur.» Dans cet énoncé, prononcé par le renard et
Antoine de SAINT-EXUPÉRY, Le Petit Prince (1943). adressé au petit prince, le présent a une
valeur de vérité générale. Cette phrase
remplit une fonction didactique: par elle,
le renard cherche à instruire son compagnon.
Cette tonalité didactique est marquée par
l'utilisation du pronom indéfini on, qui
permet au renard de généraliser son propos.
Chapitre 3 29
Les classes de mots: les déterminants
Définition
Le déterminant est un mot qui précède toujours le nom et qui permet d’identifier un
être ou une chose ou d’indiquer une quantité.
♦ déterminants démonstratifs, qui servent à désigner un référent connu (ce, cet, cette,
ces);
♦ déterminants possessifs, qui marquent un rapport d’appartenance, de parenté, de pos¬
session, etc. (mon, ton, son, ma, ta, sa, mes, tes, ses, notre, votre, leur, nos, vos, leurs);
♦ déterminants numéraux, qui expriment un nombre (un, deux, trois...);
♦ déterminants indéfinis, qui expriment une quantité ou une réalité quelconque, impré¬
cise, etc. (un, une, des, du, de la, certains, tout, plusieurs, quelques, chaque, beaucoup
de, aucun, nul...);
♦ déterminants définis, qui désignent un élément identifiable (la, les, /', au, aux, du, des).
Pour dégager du sens de l’emploi des déterminants, posez-vous les questions suivantes :
Y a-t-il plusieurs déterminants de même nature? Y a-t-il une opposition entre des déter¬
minants employés au singulier et d’autres employés au pluriel? Y a-t-il une opposition
entre le général et le particulier, etc.?
«Il [Séraphin] coupait du bois [...]. Il en coupait L'insistance sur les nombres (déterminants
et il en sciait vingt, trente, quarante cordes, numéraux) met en valeur le caractère calcu¬
qu'il vendait au village à raison de un dollar lateur du personnage, particulièrement en
soixante-quinze la corde, toujours vingt-cinq ce qui concerne l'argent. L'énumération de
sous plus cher que les autres [...].» déterminants fait également ressortir le
Claude-Henri GRIGNON, Un homme et son péché caractère de Séraphin.
(1933).
«Qué va, dit le gamin. Y a beaucoup de bons Le passage du déterminant indéfini beaucoup
pêcheurs et puis y a des très grands pêcheurs. de à des puis à un, associé à la gradation
Mais y en a qu'un comme toi.» bons pêcheurs, très grands pêcheurs, toi
Ernest HEMINGWAY, Le Vieil Homme et la mer exprime le caractère unique du pêcheur à qui
(1952). l'enfant s'adresse.
«Mon pays, ce n'est pas un pays, c'est l'hiver» L'utilisation du déterminant possessif mon
Gilles VIGNEAULT, «Mon pays» (1964). exprime le sentiment d'appartenance du
locuteur envers son pays, auquel il refuse
d'accoler un déterminant indéfini (un), qui
nierait sa spécificité. La phrase emphatique
(Mon pays [...] c'est [...]) vient accentuer
cette spécificité.
Définition
Le nom est un mot qui peut être précédé d’un déterminant et accompagné d’un adjec¬
tif. Il permet de nommer un être ou une chose.
«J'ai été à cette noce de Mlle de Louvois: que Dans cet extrait, les nombreux noms concrets
vous dirais-je? [...] habits rabattus et rebrochés (habits, or, pierreries, carrosses) renvoient au
d'or, pierreries, brasiers de feu et de fleurs, monde extérieur, à la richesse matérielle
embarras de carrosses [...]; du milieu de tout alors que les noms abstraits (ignorance,
cela, il sortit quelques questions de votre santé, indifférence, vanité) montrent l'idée plutôt
où ne m'étant pas assez pressée de répondre, négative que se fait la locutrice à partir de
ceux qui les faisaient sont demeurés dans l'igno¬ ce qu'elle observe. La valeur du vocabulaire
rance et dans l'indifférence de ce qui en est: appuie d'ailleurs cette idée: la locutrice
ô vanité des vanités ! » emploie des termes mélioratifs pour décrire
Madame de SÉVIGNÉ, les apparences et un vocabulaire péjoratif pour
lettre rédigée le 29 novembre 1679. parler de ce qui se cache derrière celles-ci.
«[...] c'était toujours à la barrière Poissonnière Les noms collectifs (troupeau, foule, défilé,
qu'elle revenait, le cou tendu, s'étourdissant à monde) combinés aux noms employés au
voir couler [...] le flot ininterrompu d'hommes, pluriel (hommes, bêtes, charrettes, ouvriers)
de bêtes, de charrettes [...]. Il y avait là un témoignent de la marée humaine qui
piétinement de troupeau, une foule que de déambule devant la fenêtre de Gervaise.
brusques arrêts étalaient en mares sur la L'énumération de cette foule contribue au
chaussée, un défilé sans fin d'ouvriers allant drame du personnage qui, désespérément,
au travail [...]. Lorsque Gervaise, parmi tout ce y cherche son compagnon de vie, Lantier.
monde, croyait reconnaître Lantier, elle se pen¬
chait davantage, au risque de tomber; puis,
elle appuyait plus fortement son mouchoir sur la
bouche, comme pour renfoncer sa douleur.»
Émile ZOLA, L'Assommoir (1877).
Chapitre 3 31
Les classes de mots: les pronoms
Définition
Le pronom est un mot qui permet de reprendre un élément du texte ou qui désigne une
réalité hors texte.
«Il y a de la place pour tous et pour chacun.» La présence dans une même phrase des pro¬
Georges MOUSTAKI, «Déclaration» (1973). noms indéfinis tous, qui marque la totalité,
et chacun, qui marque l'individualité, montre
l'importance particulière accordée à la fois à
la collectivité et à la personne.
«Quand je joue, je pense à vous Cet extrait met en scène un homme qui a
Quand je redeviens moi, je pense encore à toi» été abandonné par une femme, qui l'a quitté
Jean-Pierre FERLAND, «Le doux billet doux», pour un autre. Bien qu'il essaie de faire sem¬
Y'a pas deux chansons pareilles (1981). blant de ne pas en être affecté (il «joue»),
les pronoms personnels moi et toi expriment
la relation profonde qui existe encore entre
cette femme et lui, alors que le pronom per¬
sonnel vous témoigne de la distance qui le
sépare du couple nouvellement formé.
Définition
L’adjectif est un mot qui apporte un supplément d’information à un nom ou à un pro¬
nom. Certains adjectifs permettent de mieux voir, entendre, sentir, etc., ce qui est
exprimé. D’autres adjectifs permettent plutôt de saisir la perception ou l’attitude du
locuteur par rapport à ce qu’il exprime.
«Grandoïne était preux et vaillant, courageux Par les adjectifs exprimant un jugement moral,
et hardi au combat. Sur son chemin il rencontre le locuteur met en lumière les vertus guer¬
Roland [qui] le frappe d'un [...] terrible coup rières de Grandoïne. En le frappant, Roland
[...].» prouve ainsi son héroïsme puisqu'il se mesure
La Chanson de Roland (vers 1080-1100). à un adversaire de taiLle. Ces adjectifs contri¬
buent d'ailleurs à créer une tonalité épique.
« [Rastignac] vint dans la salle à manger nauséa¬ Les adjectifs qui expriment un jugement
bonde où il aperçut, comme des animaux à un esthétique contribuent à établir un contraste
râtelier, les dix-huit convives en train de se entre la pension Vauquer, qui inspire le
repaître. Le spectacle de ces misères et l'aspect dégoût au personnage Rastignac (nauséa¬
de cette salle lui furent horribles. La transition bonde, horribles), et les salons de l'aristocratie
était trop brusque, le contraste trop complet, parisienne, qui suscitent chez lui l'admiration
pour ne pas développer outre mesure chez lui le (fraîches, jeunes, passionnées). Dans cette
sentiment de l'ambition. D'un côté, les fraîches optique, les adjectifs qui décrivent la pension
et charmantes images de la nature sociale la Vauquer sont péjoratifs, alors que ceux qui
plus élégante, des figures jeunes, vives, décrivent les salons sont mélioratifs.
encadrées par les merveilles de l'art et du luxe,
des têtes passionnées pleines de poésie;
de l'autre, de sinistres tableaux bordés de
fange, et des faces où les passions n'avaient
laissé que leurs cordes et leur mécanisme.»
Honoré de BALZAC, Le Père Goriot (1834-1835).
Chapitre 3 33
Les classes de mots : les verbes
Définition
Le verbe est un mot qui peut se conjuguer.
«Je déclare l'état de bonheur permanent et le Le verbe déclare joue ici le rôle d'un verbe
droit de chacun à tous les privilèges.» performatif: le simple fait de prononcer ce
Georges MOUSTAKI, «Déclaration» (1973). mot constitue un acte solennel.
« [Et] toi qui montes, chantes, et qui cours, La lonque énumération de verbes d'action
vas, descends, fait ressortir la vitalité de l'interlocuteur.
et plantes, couds, cuisines, écris, cloues, et Cette accumulation de verbes crée un rythme
reviens, qui appuie cette vitalité présente sur le plan
si tu t'en vas, c'est que l'hiver a commencé.» du contenu.
Pablo NERUDA, «Midi, poème 38», La Centaine
d'amour (1973).
«L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes, Les verbes d'action permettent au locuteur
Allonge l'illimité. de décrire les multiples effets de l'opium.
Approfondit le temps, creuse la volupté, Les verbes du champ lexical de l'aqrandisse-
Et de plaisirs noirs et mornes ment {agrandit, allonge, approfondit, creuse)
Remplit l'âme au-delà de sa capacité.» révèlent la sensation de dilatation, d'infini
Charles BAUDELAIRE, «Poison», Les Fleurs que ressent le locuteur au contact de l'opium,
du mal (1857). alors que le verbe remplit fait ressortir la
sensation de plénitude de plaisirs noirs.
Définition
L’adverbe est un mot invariable qui modifie le sens d’un adjectif, d’un verbe ou d’un
adverbe.
«Rien n'était si beau, si Leste, si brillant, si bien La répétition de l'adverbe d'intensité si met
ordonné que les deux armées. Les trompettes, en lumière l'ironie du locuteur, qui simule
les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, l'admiration devant les deux armées qui
formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut s'apprêtent à commettre des atrocités.
jamais en enfer. » L'association des «canons» aux instruments
VOLTAIRE, Candide (1759). de musique marque également cette ironie.
«J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans L'adverbe d'intensité trop, qui modifie les
ma vie. » verbes de perception et de sentiment voir,
Alphonse de LAMARTINE, «Le VaLlon», sentir et aimer, laisse transparaître un senti¬
Méditations poétiques (1820). ment d'excès, une incapacité à vivre davan¬
tage. L'expression de ces émotions intenses
contribue à créer une tonaLîté lyrique.
Chapitre 3 35
Les classes de mots: les prépositions
Définition
La préposition est un mot invariable qui permet d’introduire un groupe du nom (pour la
vie), un pronom (pour tous), un adverbe (pour demain), une subordonnée (pour quand
tu voudras) ou un groupe prépositionnel (pour dans trois jours).
«Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées. Par la répétition de prépositions désignant
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, une situation dans l'espace, le locuteur a
Par-delà le soleil, par-delà les éthers, l'impression de survoler la nature et de
Par-delà les confins des sphères étoilées s'élever graduellement dans le ciel. Dans
Mon esprit tu te meus avec agilité.» cette optique, l'énumération des lieux
Charles BAUDELAIRE, «Élévation», Les Fleurs contribue elle aussi à créer l'effet d'élévation.
du mal (1857).
«On reconnaît d'un coup d'œil ceux gui vivent L'énumération de prépositions vient préciser
avec, malgré ou parmi les autres.» trois types de relations sociales: vivre en
Gilbert CESBRON. compagnie des autres («avec» les autres),
mener sa destinée sans se laisser freiner ou
influencer («malgré» les autres), enfin vivre
comme tous les autres («parmi» eux).
«3e marche à côté d'une joie La préposition à côté de indique que les pas
D'une joie qui n'est pas à moi du locuteur et la joie suivent des chemins
D'une joie à moi que je ne puis pas prendre» parallèles. Cette joie hors d'atteinte marque
Hector de SAINT-DENYS GARNEAU, l'aliénation du locuteur, qui vit comme
«Accompagnement», Regards et jeux dans l'es¬ étranger à ses propres sentiments. La forme
pace (1937). négative des compléments du nom exprime
également cette incapacité.
Définition
La conjonction est un mot invariable qui met en relation deux éléments de même fonc¬
tion (coordination) ou un élément dépendant d’un autre (subordination).
«Selon que vous serez puissant ou misérable L'emploi de la conjonction ou, qui marque
Les jugements de cour vous rendront blanc l'alternative, montre l'absence de nuance
ou noir.» dans les jugements de la cour, qui détermine
Jean de LA FONTAINE, «Les Animaux malades de la culpabilité de l'accusé en ne tenant compte
la peste». Fables (1668-1693). aue de son statut social. La répétition du ou
accentue cet effet.
Chapitre 3 37
K 4 Procédés
H_stylistiques
► Introduction ► Les figures de substitution
► Les figures de rapprochement d’éléments La métonymie, la périphrase, l’euphémisme,
analogues la litote, l'antiphrase
La comparaison, la métaphore,
► Les figures d'amplification et d’insistance
la personnification, l’allégorie
L’hyperbole, l’énumération et l’accumulation,
► Les figures de rapprochement d'éléments la gradation, la répétition et l’anaphore,
opposés le pléonasme
L’antithèse, l’oxymore ► Les figures syntaxiques
Le parallélisme, le chiasme
Introduction
Les procédés stylistiques (figures de style) sont des moyens de produire des effets.
Ils se distinguent des formulations neutres du discours. Ainsi, s’il est banal de dire II fait
noir, il est plus étonnant d’entendre La nuit est d’ébène, comme l’écrit Jean Leloup
dans sa chanson «L’Antiquaire». Au fil du temps, plusieurs figures sont devenues des
expressions courantes. C’est le cas de l’hyperbole mourir de faim, qui signifie avoir
faim, ou de la litote Tu n’es pas bête pour dire à quelqu’un qu’il est intelligent.
Nous avons limité ce chapitre aux figures de style qui sont les plus connues. Nous les
avons classées soit en fonction du moyen utilisé pour les concevoir (le rapprochement
ou la substitution d’éléments, l’organisation syntaxique), soit en fonction de l’effet pro¬
duit (amplification ou insistance).
Exemple
«SCAPIN - Bon. Imaginez-vous que je suis votre père qui arrive, et répondez-moi fermement,
comme si c'était à lui-même. Comment, pendard, vaurien, infâme, fils indigne d'un père comme
moi, oses-tu bien paraître devant mes yeux, après tes bons déportements, après le lâche tour que
tu m'as joué pendant mon absence? [Est-ce là le fruit de mes soins, maraud? est-ce là le fruit de
mes soins]?] le respect qui m'est dû ? le respect que tu me conserves ? Allons donc. Tu as l'insolence,
fripon, de t'engager sans le consentement de ton père, de contracter un mariage clandestin?
Réponds-moi, coquin, réponds-moi. Voyons un peu tes belles raisons. Oh! que diable! vous
demeurez interdit!
OCTAVE - C'est que je m'imagine que c'est mon père que j'entends. »
MOLIÈRE, Les Fourberies de Scapin (1671).
Chapitre 4 39
Les figures de rapprochement
d'éléments analogues: la comparaison
Définition
La comparaison consiste à rapprocher, à l’aide d’un mot de comparaison, deux élé¬
ments ayant quelque chose en commun, ce qui crée une image.
différence avec la métaphore: Dans la comparaison, les deux éléments sont rapprochés
à l’aide d’un terme comparatif.
Pour comprendre l’effet produit par une comparaison, demandez-vous ce que cette
figure apporte de plus à l’énoncé. Demandez-vous aussi ce que les deux éléments
comparés ont en commun, car c’est ce trait que le locuteur met en valeur.
« [...] je suis plus puissant que le doigt En comparant sa puissance à celle du doigt
d'un roi, dit le serpent [au petit Prince].» d'un roi, symbole d'autorité, le serpent met
Antoine de SAINT-EXUPÉRY, Le Petit Prince (1943). en lumière sa force, sa supériorité, puisqu'un
simple contact avec lui peut être fatal.
L'emploi de la locution comparative plus...
que accentue cet effet de puissance.
Définition
La métaphore consiste à rapprocher, sans mot de comparaison, deux éléments ayant
quelque chose en commun, ce qui crée une image. Quand une métaphore est dévelop¬
pée tout au long d’un texte, on l’appelle métaphore filée.
Pour comprendre l’effet produit par une métaphore, demandez-vous ce qu’elle apporte
de plus à l’énoncé. De plus, quand vous avez repéré les deux éléments mis en relation,
demandez-vous en quoi ces deux réalités se ressemblent, car c’est souvent ce point
commun que le locuteur met en valeur. Si un seul des éléments est exprimé, cherchez
à comprendre son sens figuré.
«Le monde entier est une scène.» En créant un lien de ressemblance entre «le monde
William SFIAKESPEARE, Comme il vous entier» et «une scène», le locuteur tente d'exprimer sa
plaira (1599). perception négative des comportements humains:
les hommes, tels des comédiens, jouent constamment
un rôle. Par cette métaphore, le locuteur dénonce
l'hypocrisie des hommes qui cachent leur véritable
nature derrière un masque. L'emploi du verbe être à
l'indicatif présent (temps verbal) donne d'ailleurs
à cette métaphore une valeur de vérité générale.
«Maggie est un paysage de juin Le rapprochement entre Maggie et «un paysage de juin
parfaitement vert et soleilleux sur parfaitement vert et soleilleux» permet d'exprimer de
lequel le temps n'a pas commencé façon imagée la vivacité, la force et la beauté qui carac¬
de s'aiguiser les griffes. » térisent Maggie. À l'inverse, le temps est présenté de
Monique PROULX, Homme invisible façon négative: en signalant que le temps a des griffes,
à la fenêtre (1993). le locuteur le compare implicitement à une bête sauvage
et cruelle qui attend le bon moment pour sauter sur sa
proie. Par ces métaphores, le locuteur exprime donc, de
façon imagée et évocatrice, la jeunesse de Maggie, qui
n'a pas encore subi les ravages du temps.
Chapitre 4 41
Les figures de rapprochement
d'éléments analogues: la personnification
Définition
La personnification consiste à attribuer des caractéristiques humaines à des animaux,
à des objets ou à des notions abstraites.
Pour comprendre l’effet produit par une personnification, demandez-vous ce que les
qualités humaines ajoutent à l’objet ou à l’animal personnifié. Ces traits humains lui
donnent-ils plus de pouvoir, d’autonomie, de considération? Quelle est la fonction de
cet être personnifié? Est-il présenté comme un adversaire, un allié, un confident du
locuteur, etc. ?
«RODRIGUE - Tous mes plaisirs sont morts.» En attribuant à ses plaisirs un caractère
Pierre CORNEILLE, Le Cid (1637). mortel, le personnage affirme que leur perte
est aussi tragique que la mort d'un individu.
L'emploi du déterminant tous mes accroît
l'ampleur de son affliction (hyperbole).
«Ô lac! l'année à peine a fini sa carrière, Le locuteur personnifie ici le lac en s'adressant
Et, près des flots chéris qu'elle devait revoir. à lui comme s'il s'agissait d'un ami intime
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre avec qui il partage d'heureux souvenirs.
Où tu la vis s'asseoir!» Cette image fait ressortir les liens étroits qui
Alphonse de LAMARTINE, «Le lac», Méditations unissent le locuteur à la nature et contribue
poétiques (1820). à créer une tonalité lyrique.
«Quand elle souriait, les fleurs pâlissaient de En attribuant aux fleurs le trait humain de la
jalousie et les feuilles tombaient des arbres jalousie (personnification), le locuteur illustre
pour embrasser ses pieds.» à quel point le sourire du personnage est
Shan SA, Impératrice (2004). beau, puisque même la nature y est sensible.
Cette idée est d'autant plus vraie que les
fleurs, symboles de beauté, sont sensibles
aux charmes du personnage.
42 Procédés stylistiques
Les figures de rapprochement
d'éléments analogues: l'allégorie
Définition
L’allégorie consiste à représenter une notion abstraite par un élément concret. Elle
repose souvent sur une personnification qui est élaborée dans un court récit ou dans
une description qui a une portée symbolique.
Pour comprendre une allégorie, vous devez d’abord identifier l’abstraction que le locuteur
tente d’illustrer de manière concrète, par exemple la condition humaine dans l’allégorie
de la caverne de Platon (tirée de La République). Puis, demandez-vous ce que symbolise
la description ou le récit présenté par le locuteur.
«[...] quiconque entend ces paroles et les met Dans cette aLLégorie, la prévoyance et la
en pratique [...] sera sembLable à un homme prudence sont ici symbolisées par la construc¬
prudent qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie tion d'une maison. Érigée sur le roc (symbole
est tombée, les torrents sont venus, les vents de solidité et de durabilité), une maison résis¬
ont souffLé et se sont jetés contre cette maison: tera aux intempéries, ce qui n'est pas le cas
elle n'est point tombée, parce qu'eLle était fondée d'un bâtiment érigé sur le sable (matière
sur le roc. Mais quiconque entend ces paroles [...] friable et instable). Ainsi, par ce récit
et ne Les met pas en pratique sera semblable à symbolique, le locuteur attire l'attention
un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sur l'importance d'avoir de bonnes fondations
sable. La pluie est tombée, les torrents sont pour s'assurer un avenir meilleur (tonalité
venus. Les vents ont soufflé et ont battu cette didactique).
maison, elle est tombée et sa ruine a été grande.»
La Bible, Mathieu 7, versets 24-27.
Chapitre 4
Les figures de rapprochement
d'éléments opposés: l'antithèse
Définition
L’antithèse consiste à rapprocher, au sein d’une phrase ou d’un ensemble de phrases,
deux réalités de sens contraire.
partie d’un même groupe de mots; ils sont disposés dans l’ensemble de la phrase.
Pour comprendre le sens d’une antithèse, demandez-vous quel contraste cette opposi¬
tion permet de faire ressortir.
«Où vont tous ces enfants dont pas un seul En écrivant que les enfants «innocents»
ne rit? [...] sont des «anges» qui travaillent dans un
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des «bagne» et dans un «enfer», le locuteur
meules; [...] utilise deux antithèses pour dénoncer une
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer» situation qu'il juge aberrante et inacceptable
Victor HUGO, «Melancholia», puisqu'un être pur, incapable de commettre
Les Contemplations (1856). le mal, se retrouve dans un lieu où on isole
les criminels et les pécheurs. La phrase néqa-
tive pas un seul ne rit concourt elle aussi à
susciter l'indignation, puisqu'elle exprime le
malheur et la tristesse de tous ces enfants.
«Votre visage est passé sur ma vie L'antithèse fondée sur le contraste entre
À l'occasion d'un sourire éternel éternel et instant permet au locuteur de
Qui n'a duré que l'amour d'un instant.» complimenter sa destinataire en lui signi¬
Gilles VIGNEAULT, «Votre visage est passé...». fiant à quel point il a été marqué par sa
Silences (1957-1977). rencontre: il se souviendra toujours de son
sourire, qui n'a pourtant duré qu'un bref
moment.
44 Procédés stylistiques
Les figures de rapprochement
d'éléments opposés: l'oxymore
Définition
L’oxymore consiste à rapprocher, dans un même groupe de mots, deux termes ou
expressions de sens contraires pour désigner une seule réalité.
différence avec l’antithèse: Dans l’oxymore, les mots en opposition sont étroitement
associés.
«Ce premier monde était une forme sans forme Le fait d'affirmer par un oxymore que la
Une pile confuse, un mélange difforme» «forme» du monde était «sans forme»
Guillaume DU BARTAS, «Un chaos de chaos», illustre le chaos des premiers jours de l'univers.
La Semaine (1578). L'énumération une forme sans forme, une pile
confuse, un mélange difforme accentue cet
effet.
«Candide, qui tremblait comme un philosophe, Par l'oxymore qui qualifie d'«héroïques»
se cacha du mieux qu'il put pendant cette les «boucheries» guerrières, où on abat des
boucherie héroïque.» hommes comme du bétail, le locuteur critique
VOLTAIRE, Candide (1759). l'opinion de ceux qui perçoivent les militaires
comme des héros, alors que, selon lui, ils ne
sont que des bouchers de chair humaine.
« [Boule de suif] se sentait noyée dans le L'oxymore gredins honnêtes met en lumière
mépris de ces gredins honnêtes [...].» l'hypocrisie des personnages fourbes, qui
Guy de MAUPASSANT, Boule de suif (1880). cachent leur véritable nature derrière le
masque de l'honnêteté.
«[Ma main droite] façonna une boule trempée Par cet oxymore, le Locuteur associe la douleur
dans la sauce... Elle la porta à ma bouche... au délice pour décrire la complexité de la
Je mastiquai... Oh! C'était douloureux d'une situation: le fait de manger pour la première
manière exquise.» fois depuis plusieurs jours lui fait ressentir
Yann MARTEL, Histoire de Pi (2001). à la fois de la souffrance et du plaisir.
La présence de points de suspension permet
d'ailleurs d'imaginer la lenteur et la solennité
avec lesquelles le Locuteur déguste son repas.
Chapitre 4 1
Les figures de substitution : la métonymie
Définition
La métonymie consiste à remplacer un terme par un autre, avec lequel il entretient un
lien logique (cause/effet, contenant/contenu, etc.)1. Par exemple, dans l'expression
«être bien sous son toit», le toit, qui ne représente normalement qu’une partie de la
maison, est ici employé pour représenter la maison tout entière.
1. Il y a autant de types de métonymie que de liens logiques possibles entre les mots. La synecdoque consiste
notamment à établir un rapport d’inclusion entre deux éléments (le tout/la partie, le générique/le spécifique,
le singulier à valeur de pluriel, etc.).
46 Procédés stylistiques
Les figures de substitution : la périphrase
Définition
La périphrase consiste à substituer à un terme une expression qui le décrit ou qui
l’évoque. Par exemple, en parlant du soleil, on pourrait employer la périphrase l’astre
qui nous éclaire et nous réchauffe.
«MAGDELON - [...] Vite venez nous tendre L'emploi de la périphrase conseiller des grâces,
ici dedans le conseiller des grâces. pour désigner un miroir, témoigne de la
MAROTTE - Par ma foi, je ne sais point quelle volonté de Magdelon de se démarquer de ses
bête c'est là: il faut parler chrétien, si vous semblables en tentant d'employer un langage
voulez que je vous entende. savant, plus recherché. Or, cette expression
CATHOS - Apportez-nous le miroir. » ampoulée illustre davantage le ridicule
MOLIÈRE, Les Précieuses ridicules (1659). de sa démarche que son raffinement.
Le contraste entre la langue soutenue de
Magdelon et la langue courante de Cathos
accentue la tonalité comique de cette scène.
«Dans les terres, de nuit baignées. En désignant les semences par la périphrase
Je contemple, ému, les haillons la moisson future, le Locuteur exprime tout
D'un vieillard qui jette à poignées l'espoir du pauvre vieillard, qui trouve sa force
La moisson future aux sillons.» en voyant déjà le fruit de son travail. En fait,
Victor HUGO, «Saison des semailles, le soir». ce vieillard symbolise, dans une allégorie,
Les Chansons des rues et des bois (1865). l'immense pouvoir d'espérance qui anime les
hommes: même s'il ne verra peut-être jamais
le fruit de ce qu'il sème, il s'accroche à ses
rêves, à son avenir.
«[...] la fille que j'aimerai au point de lui Au lieu de simplement utiliser le mot épouser,
glisser un jonc dans le doigt, je lui serai fidèle le locuteur emploie une périphrase qui décrit
de la tête aux pieds [...].» le geste symbolisant l'union entre les deux
Gratien GÉLINAS, Tit-Coq (1948). époux. Pour Tit-Coq, cet engagement envers
sa future femme est très important. On peut
également percevoir l'importance de cet
engagement dans l'hyperbole je lui serai
fidèle de la tête aux pieds.
Chapitre 4 47
Les figures de substitution: l'euphémisme
Définition
L’euphémisme consiste à remplacer une réalité désagréable, choquante ou perçue
négativement par une expression adoucie. Par exemple, on emploie l’expression troi¬
sième âge ou âge d’or pour désigner la vieillesse, ou bien l’expression non-voyant pour
parler d’un aveugle.
déplaisante, ce qui n’est pas nécessairement le cas d’une litote. De plus, l’euphé¬
misme vise à amoindrir une réalité pour ne pas choquer, alors que la litote vise plutôt
à renforcer une idée.
«Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame, L'euphémisme nous nous en allons, pour
Las! Le temps non, mais nous nous en allons signifier «nous vieillissons», permet au
Et tôt serons étendus sous la lame1.» locuteur de rappeler avec douceur que
Pierre de RONSARD, «Je vous envoie un sa dame et lui ne sont que de passage sur
bouquet...». Continuation des Amours (1555). terre. De même, l'euphémisme étendus sous
la lame est une façon adoucie de parier de
la mort.
«Il offrit son corps en silence au démon Par l'emploi de l'euphémisme, le locuteur
qui suit le courant.» parle avec pudeur du suicide du personnage,
Michel RIVARD, « L'oubli », Le Goût de l'eau et décrivant son geste comme une offrande au
autres chansons naïves (1992). cours d'eau.
1 Procédés stylistiques
Les figures de substitution : la litote
Définition
La litote consiste à renforcer une idée en la remplaçant par une expression atténuée,
par exemple affirmer «Il n’est pas laid» pour signifier «Il est beau».
Pour comprendre le sens d’une litote, demandez-vous quelle idée le locuteur cherche à
renforcer et dans quel but.
«On s'étonnera de voir tant d'aveuglement pour En affirmant par une litote que les Hurons
les choses du ciel en un peuple qui ne manque «ne manqufent] point» de raison et de
point de raison et de lumière pour celles de lumière pour les choses de la terre, le locu¬
la terre; c'est ce que leurs vices et leurs bruta- teur signifie en fait que ce peuple a une
Lités leur ont mérité envers Dieu. » excellente connaissance de la nature.
Jean de BRÉBEUF, Écrits en Huronie (1636). Cette figure permet de mieux faire ressortir
leur ignorance pour les choses du ciel (la
religion). L'opposition entre les termes
mélioratifs (raison, lumière) et les termes
péjoratifs (aveuglement, vices, brutalités)
contribue à amplifier cet effet.
«Quand nous étions à Mistassini, dit la mère En affirmant qu'il était «difficile de ne pas
Chapdelaine, voilà de ça sept ans, ça [François aimer [François]», la mère Chapdelaine
Paradis] n'était encore qu'une jeunesse, mais cherche plutôt à exprimer le fait qu'il était
fort et adroit pas mal, déjà aussi grand comme «facile de l'aimer». La litote lui permet
il est là..., je veux dire comme il était... l'été ainsi de mettre en valeur le caractère parti¬
dernier, quand il est venu icitte. C'était difficile culièrement attachant du personnage.
de ne pas l'aimer.»
Louis HÉMON, Maria Chapdelaine (1914-1921).
Chapitre 4 49
Les figures de substitution: l'antiphrase
Définition
L’antiphrase est une expression ironique qui consiste à remplacer ce que l’on veut dire
par le contraire.
«Que d'amis, que de parents naissent en Par la phrase exclamative, le locuteur feint d'être
une nuit au nouveau ministre!» étonné de voir qu'un nouveau ministre devient
Jean de LA BRUYÈRE, «De la cour». vite entouré de «parents» et d'«amis». En réalité,
Les Caractères (1688). cette antiphrase insinue qu'il est courant de voir
apparaître dans l'entourage d'un homme de pou¬
voir beaucoup de gens qui cherchent à tirer pro¬
fit de celui-ci. Cette figure d'ironie permet au
locuteur de dénoncer la situation.
«Monsieur le baron était un des plus puis¬ En déclarant que le fait de posséder un château
sants seigneurs de la Vestphalie, car son avec une porte et des fenêtres est un signe de
château avait une porte et des fenêtres. » grande puissance (raisonnement absurde), le
VOLTAIRE, Candide (1759). locuteur ridiculise le personnage, qui se croit
important alors qu'il ne l'est pas.
«Je suis gai ! je suis gai ! Dans le cristal En affirmant qu'il est «gai», c'est-à-dire joyeux,
qui chante. le locuteur dit le contraire de ce qu'il pense
Verse, verse le vin! verse encore et toujours. puisque cet état d'esprit est invraisemblable
Que je puisse oublier la tristesse des jours. dans un contexte où il boit pour «oublier la tris¬
Dans le dédain que j'ai de la fouLe méchante!» tesse des jours» et où il est confronté à une
Émile NELLIGAN, «La romance du vin». «foule méchante». L'antiphrase crée un effet
Œuvre (1903). d'ironie qui accentue l'ampleur de sa tristesse.
50 Procédés stylistiques
Les figures d'amplification et d'insistance: l'hyperbole
Définition
L’hyperbole est l’expression exagérée d’une réalité, dans le but de lui donner plus de
force.
Pour comprendre le sens d’une hyperbole, demandez-vous quelle idée est formulée par
l’auteur et pourquoi il l’amplifie. Est-ce pour convaincre quelqu’un, pour faire réagir,
pour critiquer, pour impressionner, pour faire rire, etc.?
« La pluie nous a débués et lavés, En affirmant que les pendus sont «plus»
Et le soleil desséchés et noircis; troués «que dés à coudre», le locuteur
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés illustre l'état pitoyable des pendus. Par cette
Et arraché la barbe et les sourcils. [...] hyperbole, il cherche à susciter la pitié des
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.» lecteurs. Il y parvient également par l'emploi
François VILLON, «La Ballade des pendus», des participes passés à valeur péjorative
Œuvres (1489). (débués, desséchés, noircis, cavés, arraché).
Chapitre 4 51
Les figures d'amplification et d'insistance:
l'énumération et l'accumulation
Définitions
L’énumération est une suite de mots ou de groupes de mots qui sont de même caté¬
gorie grammaticale.
L’accumulation, quant à elle, est une énumération de mots ou de groupes de mots qui
représentent une même réalité.
: Les termes qui composent une énumé¬
différence entre l’énumération et l’accumulation
«CHŒUR DES FEMMES - Là, là, j'travaille Par l'accumulation de noms de vêtements à
comme une enragée, jusqu'à midi. J'iave. laver et de verbes d'actions à accomplir, les
Les robes, les jupes, les bas, les chandails, femmes témoignent de la lourdeur de leurs
les pantalons, les canneçons, les brassières, tâches, qui semblent interminables. La répé¬
tout y passe ! Pis frotte, pis tord, pis refrotte, tition du coordonnant pis {puis) contribue à
pis rince...» accentuer cet effet, comme s'il y avait toujours
Michel TREMBLAY, Les Belles-sœurs (1968). de nouvelles tâches à accomplir.
«PÈRE SAINT-MICHEL - Le clergé [...] ne veut Par l'accumulation de verbes illustrant la souf¬
voir [au théâtre] que des saints et des saintes france des martyrs, le personnage témoigne
qui se font lapider, égorger, empaler, brûler, de l'attrait du clergé pour tous les épisodes
couper en morceaux; servis en amuse-gueule morbides de l'histoire religieuse, dont il
avec des sauces épicées.» semble se délecter. Cette tonalité comique
Michel-Marc BOUCHARD, Les Feluettes (1985-1986). est amplifiée par la métaphore «servis en
amuse-gueule avec des sauces épicées».
«Le député se releva, fit deux pas en s'écartant L'accumulation d'adjectifs qualifiant l'état
de Mario [...] et lui dit d'une voix suffisamment de choc du personnage met en lumière,
forte pour que nul n'en perde rien; de manière comique, son embarras. Son
- J'ai entendu dire que tu t'adonnes à la poésie? malaise est également exprimé par une
On raconte que tu fais concurrence à Pablo Neruda. comparaison («les éclats de rire des pêcheurs
Les éclats de rire des pêcheurs explosèrent aussi explosèrent aussi fort que la rougeur de
fort que la rougeur de sa peau: il se sentit sa peau»).
étranglé, interloqué, asphyxié, abasourdi [...].»
Antonio SKARMETA, Une ardente patience (1985).
52 Procédés stylistiques
Les figures d'amplification et d'insistance: la gradation
Définition
La gradation est une énumération dans laquelle les mots ou groupes de mots sont
disposés dans un ordre de progression croissante ou décroissante.
«DON DIÈGUE - Va, cours, vole et nous venge.» La qradation de verbes à l'impératif illustre
Pierre CORNEILLE, Le Cid (1637). l'empressement du personnage, qui souhaite
que son fils, à qui ü s'adresse, venge immé¬
diatement l'affront qu'il a subi. D'ailleurs,
l'allitération de consonnes fricatives (va, vole,
venge), qui rappelle le son du vent, contri¬
bue de façon sonore à illustrer cet empresse¬
ment.
«HARPAGON - [...] mon pauvre argent, mon La gradation de courtes phrases illustre le
pauvre argent, mon cher ami! on m'a privé de désespoir de l'avare qui, croyant avoir perdu
toi [...] je me meurs, je suis mort, je suis son argent, se sent complètement anéanti.
enterré.» La personnification de l'arqent («mon cher
MOLIÈRE, L'Avare (1668). ami») montre d'ailleurs l'importance
qu'Harpagon lui accorde: c'est sa raison
de vivre.
«Aimant l'amour. En vérité, la lumière m'éblouit. La qradation dans l'emploi des déterminants
J'en garde assez en moi pour regarder la nuit, (la, toute la, toutes les) montre, de manière
toute la nuit, toutes les nuits.» croissante, l'intensité de l'éblouissement
Paul ÉLUARD, «La dame de carreau». Les Dessous du poète. Ici, la lumière et la nuit jouent un
d'une vie ou la Pyramide humaine (1926). rôle symbolique: le poète sous-entend qu'il
a assez d'amour et de bonheur en Lui pour
pouvoir résister aux moments plus durs de
l'existence (connotation de la nuit).
Chapitre 4 53
Les figures d'amplification et d'insistance:
la répétition et l'anaphore
Définitions
La répétition consiste simplement à répéter un mot ou un groupe de mots.
L’anaphore est la répétition insistante d’un mot ou d’un groupe de mots en tête de
phrase, de vers, de paragraphe ou de strophe.
«Vous qui pleurez, venez à ce Dieu, car il pleure. Par l'anaphore, le locuteur veut montrer que
Vous qui souffrez, venez à lui, car il guérit. Dieu peut donner du réconfort à tous les
Vous qui tremblez, venez à lui, car il sourit. hommes, quelle que soit leur misère (qu'ils
Vous qui passez, venez à lui, car il demeure.» pleurent, souffrent, tremblent ou passent).
Victor HUGO, «Écrit au bas d'un crucifix», Les Cet aspect est également appuyé par l'oppo¬
Contemplations (1856). sition entre les verbes (souffrez/guérit,
tremblez/sourit, passez/demeure).
«Intérieur bourgeois anglais, avec des fauteuils Dans cette didascalie, la répétition de
anglais. Soirée anglaise. M. Smith, Anglais, l'adjectif anglais plonge le lecteur dans un
dans son fauteuiL anglais et ses pantoufles univers absurde, puisque tous les éléments
anglaises, fume sa pipe anglaise et lit un de la scène sont prétendument caractérisés
journal anglais, près d'un feu anglais.» par leur nationalité anglaise, même le feu !
Eugène IONESCO, didascalie, La Cantatrice Employé à outrance, l'adjectif perd son sens,
chauve (1950). car il ne joue plus adéquatement son rôle,
ce qui crée l'effet absurde et comique
(tonalité comique).
«Elle disait: J'ai déjà trop marché. La répétition de l'adverbe d'intensité trop
Mon cœur est déjà trop lourd de secrets. exprime un sentiment d'excès de vivre,
Trop lourd de peines.» d'accablement. L'expression de ce sentiment
Francis CABREL, «C'était L'hiver», Les Chemins personnel, combiné à la présence de marques
de traverse (1987). de la première personne (pronom personnel
et déterminant possessif), contribue à créer
une tonalité lyrique.
54 Procédés stylistiques
Les figures d'amplification et d'insistance: le pléonasme
Définition
Le pléonasme est une reprise volontaire d’une idée ou d’un concept en d’autres
mots.
Attention! Il n’est pas question ici du pléonasme fautif qui relève d’une mala¬
dresse de langage, comme c’est le cas pour l’expression monter en haut, par
exemple.
«TIT-COQ - [...] lui, il sera un enfant propre, La reprise du pronom permet à Tit-Coq de
en dehors et en dedans. Pas une trouvaille de mettre en relief la différence entre le statut
ruelle comme moi !» de son futur fils («lui, il») et son propre
Gratien GÉLINAS, Tit-Coq (1948). statut. Son fils sera «propre», c'est-à-dire
légitime, alors que lui a été une «trouvaille
de ruelle», expression employée au sens
figuré pour signifier un enfant bâtard aban¬
donné. Les adverbes de lieu «en dehors et
en dedans» mettent également l'accent sur
l'importance de la légitimité de l'enfant pour
Tit-Coq.
« [Chloé] agita la tête pour repousser en arrière Le pléonasme vraie réalité révèle que le
ses cheveux frisés et brillants, et appliqua, d'un personnage de Colin, envoûté par Chloé et
geste ferme et déterminé, sa tempe sur la joue par la danse, a été transporté dans une
de Colin. Il se fit un abondant silence à l'entour, autre réalité pendant un instant, celle du
et la majeure partie du reste du monde se mit à bonheur absolu, de l'amour naissant. Pendant
compter pour du beurre. Mais, comme il fallait que le disque jouait, rien d'autre ne comptait
s'y attendre, le disque s'arrêta. Alors, seulement. à part Chloé et lui, comme en témoigne
Colin revint à la vraie réalité [...].» l'hyperbole la majeure partie du reste du
Boris VIAN, L'Écume des jours (1963). monde se mit à compter pour du beurre.
Chapitre 4
Les figures syntaxiques: le parallélisme
Définition
Le parallélisme consiste à mettre en parallèle deux énoncés de même construction
syntaxique.
Pour comprendre le sens d’un parallélisme, demandez-vous ce que cette mise en paral¬
lèle fait ressortir de différent ou de similaire.
«CLÉONTE - Après tant de sacrifices ardents, de Dans cet extrait, les deux personnages se
soupirs, et de vœux que j'ai faits à ses charmes! plaignent de l'abandon de leurs fiancées.
COVIELLE - Après tant d'assidus hommages, de Or, pour s'exprimer, le serviteur (Covielle)
soins et de services que je Lui ai rendus dans reprend exactement la même formulation
sa cuisine! que son maître (Cléonte), qu'il transpose à
CLÉONTE - Tant de larmes que j'ai versées à sa réalité. Au lieu de parler des larmes qu'il
ses genoux! a versées, il parle davantage des seaux d'eau
COVIELLE - Tant de seaux d'eau que j'ai tirés qu'il a puisés pour sa bien-aimée. Le paral¬
au puits pour elle ! » lélisme met donc en lumière, de manière
MOLIÈRE, Le Bourgeois gentilhomme (1670). burlesque, le fait que les deux personnages
vivent une même situation, qu'ils per¬
çoivent de manière bien différente.
Les deux premières répliques sont d'ailleurs
elles aussi construites selon le même modèle,
ce qui amplifie la tonalité comique.
56 Procédés stylistiques
Les figures syntaxiques: le chiasme
Définition
Le chiasme consiste à mettre en parallèle deux groupes de mots ou deux construc¬
tions syntaxiques analogues, mais inversés.
Pour comprendre le sens d’un chiasme, demandez-vous quels éléments sont rappro¬
chés et dans quel but. De plus, étant donné que, dans un chiasme, les éléments
s’opposent souvent, demandez-vous ce que cette opposition d’idées fait ressortir.
«SIGISMOND - [Je suis] un homme entre les Le chiasme permet ici au locuteur d'exprimer
bêtes sauvages, une bête sauvage entre son incompatibilité avec le monde extérieur:
les hommes. » sa nature humaine l'exclut du monde animal,
Pedro CALDERÔN DE LA BARCA, La Vie est un alors que son caractère sauvage l'empêche
songe (1627-1629). de se sentir à l'aise avec Le genre humain.
Ce malaise est d'ailleurs marqué par l'oppo¬
sition entre les déterminants singuliers (qui
le représentent) et les déterminants pluriels
(qui représentent les autres).
Chapitre 4 57
Procédés
_ musicaux
► Introduction ► Le rythme
► Les sonorités La longueur des phrases, l’enjambement,
L’allitération, l’assonance ^es Pauses et I accentuation
Introduction
Les procédés musicaux sont les procédés qui créent la musicalité du texte. Cette
musicalité naît du rythme et de la sonorité des mots.
Dans la langue littéraire, les mots sont souvent choisis non seulement à cause du sens
qu’ils véhiculent, mais aussi à cause de leur aspect sonore. La récurrence d’un même
son (ou d’une même catégorie de sons) crée un effet d’harmonie et contribue à la
musicalité du texte. Certains auteurs choisissent des mots dont les sonorités sug¬
gèrent une sensation, une émotion ou rappellent un son de la réalité (bruit des vagues,
du train, de l’insecte, etc.). D’autres vont même jusqu’à inventer des mots dont les
seuls sons suggèrent le sens. Dans un poème, il faut souvent accorder une attention
particulière aux sons qui se trouvent à la rime. Quant au rythme, il est créé par la lon¬
gueur des phrases, par les enjambements et par la combinaison des pauses et des
accents.
Exemple
«SCAPIN - Bon. Imaginez-vous que je suis votre père qui arrive, et répondez-moi fermement,
comme si c'était à lui-même. [Comment, pendard, vaurien, infâme, fiLs indigne d'un père comme
moi, oses-tu bien paraître devant mes yeux, après tes bons déportements, après le lâche tour que
tu m'as joué pendant mon absence?] Est-ce là le fruit de mes soins, maraud ? est-ce là le fruit de
mes soins? le respect qui m'est dû? le respect que tu me conserves? Allons donc. Tu as l'insolence,
fripon, de t'engager sans le consentement de ton père, de contracter un mariage clandestin?
Réponds-moi, coquin, réponds-moi. Voyons un peu tes belles raisons. Oh! que diable! vous
demeurez interdit!
OCTAVE - C'est que je m'imagine que c'est mon père que j'entends.»
MOLIÈRE, Les Fourberies de Scapin (1671).
Chapitre 5 59
Les sonorités: l'allitération
Définition
L’allitération consiste à répéter, à l’intérieur d’une phrase ou d’un ensemble de mots
rapprochés, un son-consonne (ou un son appartenant à la même catégorie de sons-
consonnes).
Pour saisir l’effet produit par une allitération, tentez de voir s’il y a un lien entre le
propos ou l’atmosphère du texte et les sonorités qui s’y trouvent.
«J'ai marché, réveillant les haleines vives La forte concentration de consonnes liquides
et tièdes, et les pierreries regardèrent, dans cet extrait contribue à créer un effet
et les ailes se levèrent sans bruit.» de légèreté, d'évanescence. Cet effet est
Arthur RIMBAUD, «Aube», Illuminations (1886). également exprimé par les mots relevant de
ce champ lexical (haleines, ailes).
«[...] son vieux papa l'attend [...] Le caractère inusité de la situation (le père
le père a une tête de vieux paysan du pape a l'allure d'un vieux paysan qui
il fume la pipe fume la pipe) crée un effet déroutant et
il est simple comique. L'allitération en «p» accentue le
hélas hélas comique de cette situation (tonalité comique).
la pipe au papa du pape Pie pue [...]»
Jacques PRÉVERT, «La crosse en l'air»,
Paroles (1936).
« La porte s'ouvre sur une rousse Les consonnes fricatives accentuent La sen¬
Qui dit: "Entrez" de sa voix douce sualité de l'événement, déjà marquée par la
Et tu as presque la frousse. » connotation des mots rousse et voix douce.
MES AÏEUX, «Ta mie t'attend», En famille (2004).
1. Il ne faut pas confondre la consonne que l'on voit (la lettre de l’alphabet) et la consonne que l'on entend.
Par exemple, il faut savoir reconnaître la consonne occlusive k même si elle se présente sous la forme
«qu» ou «c».
60 Procédés musicaux
Les sonorités: l'assonance
Définition
L’assonance consiste à répéter, à l’intérieur d’une phrase ou d’un ensemble de mots rap¬
prochés, un son-voyelle (ou un son appartenant à la même catégorie de sons-voyelles).
Pour saisir l’effet produit par une assonance, tentez de voir s’il y a un lien entre le
propos ou l’atmosphère du texte et les sonorités qui s’y trouvent.
«Voici venir le temps où vibrant sur sa tige La forte présence de voyelles nasales
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir; contribue à créer une atmosphère feutrée,
Les sons et les parfums tournent dans L'air du soir; intime, qui correspond à celle de la soirée
Valse mélancolique et langoureux vertige!» évoquée, soirée dont l'air semble combler
Charles BAUDELAIRE, «Harmonie du soir». les sens du locuteur (les sons et les parfums
Les Fleurs du mal (1857). se confondent).
«[...] voyant parmi les hors-d'œuvre des filets Dans cet extrait, la répétition de la voyelle
de hareng, elle en prend machinalement en nasale «an» crée une tonalité comique.
sanglotant, puis en reprend, pensant à l'amiral Ici, le contenu est plutôt absurde: ce n'est
qui n'en mangeait pas si souvent de son vivant pas tant le sens que la musicalité des mots
et qui pourtant les aimait tant.» qui est important.
Jacques PRÉVERT, «Tentative de description d'un
dîner de têtes à Paris-France», Paroles (1936).
1. Les sons-voyelles du français sont les suivants: in, an, on, un; i, é, u; è, à, o, à, a, ou, e, ce, eu.
Chapitre 5 61
Le rythme: la longueur des phrases
Définition
Dans un texte en prose comme dans un texte en vers1, la longueur d’une phrase2
dépend du nombre de mots qu’elle contient et de la longueur de ces mots.
Pour saisir l’effet produit par la longueur des phrases, demandez-vous quel lien peut
être établi entre le sens du texte et son rythme. Le rythme correspond-il aux émotions
exprimées? à l’effet que le locuteur cherche à créer? à l’atmosphère générale du
texte? etc.
«HARPAGON - [...] Qui peut-ce être? Qu'est-il devenu? La succession de phrases très courtes
Où est-il? Où se cache-t-il? Que ferai-je pour le trouver? crée un rythme rapide qui, combiné
Où courir? Où ne pas courir? N'est-il point là? N'est-il aux multiples phrases interroqatives,
point ici? Qui est-ce? Arrête!» montre l'état de panique d'Harpagon,
MOLIÈRE, L'Avare (1668). l'avare, qui a pris conscience qu'on a
volé son argent.
ARCAS - Il attend à l'autel pour la sacrifier. L'échange vif est marqué par un alexan¬
ACHILLE - Lui! drin3 découpé en courtes phrases.
CLYTEMNESTRE - Sa fille! Ce découpage crée un rythme saccadé
IPHIGÉNIE - Mon père! et accéléré, qui met en valeur le
ÉRIPHILE - Ô ciel! Quelle nouvelle!» sentiment d'indignation exprimé par
Jean RACINE, Iphigénie (1676). les phrases exclamatives.
«J'étais sur les six heures à la descente de Les longues phrases fluides créent
Ménilmontant presque vis-à-vis du Galant Jardinier, un rythme lent. Cette lenteur fait
quand des personnes qui marchaient devant moi s'étant ressortir une dimension de la person¬
tout à coup brusquement écartées je vis fondre sur moi nalité du locuteur: fin observateur
un gros chien danois qui, s'élançant à toutes jambes et soucieux du détail, il cherche à
devant un carrosse, n'eut pas même le temps de retenir rapporter fidèlement ce qui lui est
sa course ou de se détourner quand il m'aperçut. arrivé. La narration détaillée des évé¬
Je jugeai que le seul moyen que j'avais d'éviter d'être nements est d'ailleurs marquée par la
jeté par terre était de faire un grand saut si juste que présence de nombreux compléments
le chien passât sous moi tandis que je serais en l'air.» du nom.
Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Rêveries du promeneur
solitaire (1782).
62 Procédés musicaux
Le rythme: l'enjambement
Définition
L’enjambement consiste à ne pas faire coïncider la fin d’une phrase avec la fin du vers
et d’en reporter une partie sur le vers suivant. Si l’élément rejeté sur le vers suivant
est court, il porte le nom de rejet. Si, au contraire, la phrase commence à la fin d’un
vers, ce court segment porte le nom de contre-rejet.
Pour saisir l’effet produit par un enjambement, cherchez s’il y a des phrases qui courent
sur plus d’un vers et demandez-vous si cette continuité est en lien avec ce qui est
exprimé. Cherchez s’il y a des rejets ou des contre-rejets et réfléchissez à l’importance
des mots qui sont ainsi mis en valeur.
« Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne. Le rejet du verbe s'avançaient montre que
S'avançaient, plus câlins que les Anges du mal [...]» le regard du locuteur est particulièrement
Charles BAUDELAIRE, «Les Bijoux», Les Fleurs attiré par ce rapprochement du ventre
du mal (1857). et des seins.
«Ils vont, viennent, jamais fuyant, jamais lassés. Dans cet extrait, le locuteur raconte les
Froissent le glaive au glaive et sautent les fossés, prouesses (marquées par les nombreux
Et passent, au milieu des ronces remuées, verbes d'action) de deux chevaliers qui
Comme deux tourbillons et comme deux nuées.» s'affrontent lors d'un duel. Le fait de laisser
Victor HUGO, «Le mariage de Roland», La Légende courir la phrase sur plusieurs vers donne du
des siècles (1859). souffle au propos, amplifie la puissance
des combattants.
«Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue. Le rejet du verbe dort met en valeur l'idée
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, de repos et de paix exprimée dans le
Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue. poème.
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.»
Arthur RIMBAUD, «Le Dormeur du val».
Poésies (1870).
Chapitre 5 (JJ
Le rythme: les pauses et l'accentuation
Définition
La lecture est toujours marquée par des pauses. Dans le cas d’un texte versifié, ces
pauses portent le nom de coupes et on les trouve toujours après une syllabe accen¬
tuée (syllabe prononcée plus fortement). Dans un texte en prose comme dans un texte
en vers, la ponctuation utilisée contribue à indiquer les pauses. La virgule marque une
pause courte; le point-virgule, le deux-points ou le tiret, une pause moyenne et les
points ou les points de suspension, une pause longue.
♦ Dans un vers de huit syllabes ou moins, on compte un accent fixe sur la dernière
syllabe prononcée du vers et, parfois, un accent secondaire à la fin d’un groupe
rythmique à l’intérieur du vers.
♦ Dans un vers de plus de huit syllabes, on compte deux accents fixes et, parfois, des
accents secondaires. Dans le cas du décasyllabe, les accents fixes se trouvent sur
la dernière syllabe prononcée du vers et sur la 4e ou sur la 6e syllabe prononcée
(1-2-3-4-5-6-7-8-9-10) ou (1-2-3-4-5-6-7-8-9-10). Dans le cas d’un alexandrin, les
accents fixes se trouvent sur la dernière syllabe prononcée du vers et sur la 6e ou
sur les 4e et 8e syllabes prononcées (1-2-3-4-5-6-7-8-9-10-11-12) ou (1-2-3-4-5-6-7-8-
9-10-11-12). Les accents secondaires sont placés à la fin de groupes rythmiques.
«Je n'ai plus que les os, un squelette je semble. Dans le deuxième alexandrin, l'accent (suivi
Décharné, dénervé, démuselé, dépulpé. d'une courte pause) qui tombe à la fin de
Que le trait de la Mort sans pardon a frappé [...]» chacun des quatre participes passés qui
Pierre de RONSARD, «Je n'ai plus que les os», montrent l'état de déchéance physique du
Derniers vers (1586). poète crée un effet de martèlement qui met
ces mots en valeur de manière douloureuse.
64 Procédés musicaux
6 Procédés d'organisation du discours:
_le discours narratif_
► Introduction ► La narration
► L’histoire Le narrateur, la focalisation, le moment de la
L’intrigue, les personnages, l’espace et le temps narration, l’ordre des événements, la vitesse de
la narration
Introduction
Qu’il rédige une œuvre poétique, dramatique, narrative ou un essai, un locuteur peut
décider de raconter une histoire (discours narratif), de défendre une idée au moyen
d’arguments (discours argumentatif), d’interpeller le destinataire (discours énonciatif), de
décrire un phénomène (discours descriptif) ou de l’expliquer (discours explicatif). Ces
différentes manières de présenter ou de développer une idée constituent ce qu’on appelle
les procédés d’organisation du discours. Le choix du discours dépend du but que le locu¬
teur poursuit dans son œuvre, de la personne à qui il s’adresse et du message qu’il veut
véhiculer. Étant donné que le discours narratif est un mode d’organisation complexe et
récurrent dans les œuvres littéraires, nous avons choisi d’y consacrer un chapitre entier.
Le discours narratif est le discours par lequel un narrateur raconte une histoire
(succession d’actions impliquant des personnages dans un temps et un lieu donnés).
Les composantes de ce type de discours sont les suivantes: l’histoire (ce qui est
raconté) et la narration (la manière de raconter l’histoire). Ces composantes comportent
à leur tour certaines particularités, qui créent des effets variés. Le but de ce chapitre
est de présenter les particularités du discours narratif afin que vous soyez en mesure
de mieux comprendre leurs fonctions et de mieux apprécier leurs effets.
Exemple
«OCTAVE - Un jour que j'accompagnais Léandre pour aller chez les gens qui gardent l'objet de ses
vœux, nous entendîmes, dans une petite maison d'une rue écartée, quelques plaintes mêlées de
beaucoup de sanglots. Nous demandons ce que c'est. Une femme nous dit, en soupirant, que nous
pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des personnes étrangères, et qu'à moins d'être
insensibles, nous en serions touchés. [...] La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que
c'était. Nous entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante, assistée d'une
servante qui faisait des regrets, et d'une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle et la
plus touchante qu'on puisse jamais voir. [...] Une autre aurait paru effroyable en l'état où elle
était, car [die n'avait pour habillement qu'une méchante petite jupe avec des brassières de nuit
qui étaient de simple futaine, et sa coiffure était une cornette jaune, retroussée au haut de sa tête,
qui laissait tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules]; et cependant, [faite comme cela,
elle brillait de mille attraits, et ce n'était qu'agréments et que charmes que toute sa personn§.»
MOLIÈRE, Les Fourberies de Scapin (1671).
Chapitre 6 65
L'histoire: l'intrigue
Définition
L’intrigue est l’ensemble des événements, des faits et des gestes accomplis par les
personnages. Généralement unique dans un court récit, telle la nouvelle, l’intrigue peut
être multiple dans un roman.
«- [Les filles de Goriot] ont renié leur père, répétait Eugène. Dans cet épisode enchâssé, la vicom¬
- Eh bien ! Oui, leur père, le père, un père, reprit la tesse explique qui est le père Goriot
vicomtesse, un bon père qui leur a donné, dit-on, à et, surtout, quel lien il entretient avec
chacune cinq ou six cent mille francs pour faire leur ses filles. Antérieurement dans le récit,
bonheur en les mariant bien, et qui ne s'était réservé ni le personnage d'Eugène ni le lecteur
que huit à dix mille livres de rente pour lui, croyant ne connaissaient véritablement le père
que ses filles resteraient ses filles, qu'il s'était créé Goriot. À cette étape de l'intrigue,
chez elles deux existences, deux maisons où il serait l'enchâssement permet de lever le voile
adoré, choyé. En deux ans, ses gendres l'ont banni sur un mystère qui planait autour du
de leur société comme le dernier des misérables... personnage de Goriot: qui sont ces
Quelques larmes coulèrent dans les yeux d'Eugène [...].» jeunes filles qui le fréquentent?
Honoré de BALZAC, Le Père Goriot (1834-1835). Quels rapports entretient-il avec elles?
«Le 16 août 1968 on me mit dans les mains un livre Dans cette préface, tout concourt à
dû à la plume d'un certain abbé Vallet, Le manuscrit de donner de la vraisemblance au récit qui
Dom Adson de Melk, traduit en français d'après l'édition sera raconté. Le fait que le document
de Dom J. Mabillon (aux Presses de l'Abbaye de la soit daté («16 août 1968»), que la
Source, Paris, 1842). Le livre, accompagné d'indications source soit indiquée («Presses de l'Ab¬
historiques en vérité fort minces, affirmait qu'il repro¬ baye de la Source, Paris, 1842») et que
duisait fidèlement un manuscrit du xive siècle, Le locuteur fasse référence à des évé¬
trouvé à son tour dans le monastère de Melk par le nements historiques (le printemps de
grand érudit du xvuc siècle, qui a tant fait pour Prague) amène le lecteur à lire l'in¬
l'histoire de l'ordre bénédictin. La docte trouvaille trigue comme si elle s'était réellement
(la mienne, troisième dans le temps donc) me réjouissait produite, ce qui devrait piquer sa
tandis que je me trouvais à Prague dans l'attente d'une curiosité et susciter son intérêt.
personne chère. Six jours après, les troupes soviétiques
envahissaient la malheureuse ville. [...] En un climat
mental de grande excitation je lisais, fasciné, la terrible
histoire d'Adso de Melk, et elle m'absorba tant que,
presque d'un seul jet, j'en rédigeai une traduction [...]
À présent je me sens libre de raconter, par simple goût
fabulateur, l'histoire d'Adso de Melk [...].»
Umberto ECO, préface. Le Nom de la rose (1980).
Chapitre 6 67
L'histoire: les personnages
Définition
Les personnages (ou protagonistes) sont les acteurs de l’intrigue: ils prennent part
aux événements qui constituent l’histoire et contribuent ainsi à son évolution.
«Il plongea sa main froide dans l'un des sacs, La description des gestes et des pensées du
avec quelles délices! Avec quel bonheur! personnage révèle son caractère avare.
Avec quel ruissellement de joie et de passion ! En effet, Séraphin vit un moment d'extase au
Du premier coup il toucha la bourse de cuir. L'or, contact de l'argent, qu'il vénère tel un dieu.
l'argent, les billets de banque, la vie, le ciel. Cette idée est appuyée par les phrases excla-
Dieu. Tout. Il laissa filer un long soupir.» matives et par l'accumulation de tout ce
Claude-Henri GRIGNON, Un homme et son que l'or représente pour lui : « la vie, le ciel.
péché (1933). Dieu. Tout.»
«- Vous autres, vous savez pas ce que c'est Le discours du Survenant renseigne le lec¬
d'aimer à voir du pays, de se lever avec le jour, teur autant sur ses aspirations (ce qui est
un beau matin, pour filer fin seul, le pas léger, en italique) que sur les mœurs de ses
le cœur allège, tout son avoir sur le dos. Non ! hôtes (informations mises en caractères
Vous aimez mieux piétonner toujours à la gras). En effet, alors qu'il est attiré par les
même place, pliés en deux sur vos terres de voyages et par la vie d'errance, qu'il décrit
petite grandeur, plates, cordées comme des avec un vocabulaire mélioratif (marcher
mouchoirs de poche. Sainte bénite, vous aurez «un beau matin», «le pas léger», «le cœur
donc jamais rien vu, de votre vivant! [...] allège»), il considère que les cultivateurs du
Si vous saviez ce que c'est de voir du pays...» Chenal du Moine mènent une existence rou¬
Germaine GUÈVREMONT, Le Survenant (1945). tinière et misérable sur des terres «de petite
grandeur, plates, cordées comme des mou¬
choirs de poche». Le vocabulaire péjoratif
illustre la perception négative qu'a le
Survenant de cette vie sédentaire.
Définition
Dans un récit, les événements racontés se situent dans l’espace (un ou plusieurs
lieux) et dans le temps (à une époque donnée et pendant une certaine durée).
«Il est dix heures. Ô ma pauvre petite fille! Le condamné, qui connaît l'heure fatidique
Encore six heures; et je serai mort!» où il sera exécuté (16 h), est très conscient
Victor HUGO, Le Dernier jour d'un condamné (1829). de chaque instant qui s'écoule et qui le
rapproche de la mort. Dans ce récit, le
temps est donc crucial, et les marques
temporelles contribuent à faire ressortir
la souffrance du personnage. Cette souf¬
france transparaît aussi dans la phrase
exclamative Ô ma pauvre petite fille !,
qui illustre son désespoir.
«Onze heures un quart: nous entendîmes du mou¬ Anne Frank décrit le déplacement des
vement en bas. Chez nous, seule notre membres de la Gestapo. Par les marques
respiration était perceptible, car tous nous étions de lieux, elle atteste qu'ils se rapprochent
figés. On entendit des pas aux étages inférieurs, du lieu où elle est cachée avec sa famille,
au Bureau privé, à la cuisine, puis... à l'escalier derrière la porte-armoire: ils sont d'abord
menant à la porte camouflée. Notre respiration «en bas», puis ils montent «aux étages
était coupée, huit cœurs battaient à se briser, en inférieurs», «à l'escalier» pour se rendre
percevant les pas sur l'escalier et les secousses à finalement «à la porte-armoire».
la porte-armoire. Cet instant est indescriptible. L'évolution dans l'espace constitue une
"Maintenant nous sommes perdus", dis-je, nous menace pour elle et ses proches et crée
voyant tous emmenés par la Gestapo la nuit même.» une forte tension dans le récit. La sus¬
Anne FRANK, Journal de Anne Frank (1942-1944). pension de la narration accentue cet effet.
«Quinze jours de voyage. Longues routes désertes. La longue énumération des noms de lieux
Forêts traversées. Petites auberges de village. [...] donne l'impression que le voyage déplai¬
La chaleur est insupportable. Il pleut à travers la sant de la narratrice est interminable. Cet
capote de la voiture. Louiseville, Saint- effet est appuyé par le contraste entre les
Hyacinthe, Saint-Nicolas, Pointe-Lévis, phrases courtes et cette énumération de
Saint-Michel, Montmagny, Berthier, L'Islet, noms de lieux.
Saint-Roch des Aulnaies, Saint-Jean-Port-Joli...»
Anne HÉBERT, Kamouraska (1970).
Chapitre 6 69
La narration : le narrateur
Définition
Le narrateur est un locuteur qui raconte une histoire. Toutefois, il ne faut pas le confondre
avec l’auteur. Dans un discours narratif, c’est toujours le narrateur qui s’exprime, à
moins que l’auteur précise que son récit est autobiographique.
«La perte d'un époux ne va point sans soupirs; Dans cet extrait, le narrateur est
On fait beaucoup de bruit; et puis on se console: externe (il ne se désigne jamais).
Sur les ailes du Temps la tristesse s'envoLe, Ce choix narratif accentue la
Le Temps ramène les plaisirs. fonction didactique de la fable
Entre la Veuve d'une année puisque le narrateur présente
Et la Veuve d'une journée son propos comme s'il s'agissait
La différence est grande; on ne croirait jamais d'une réalité objective, d'une
Que ce fût la même personne: vérité générale. L'emploi du
L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits.» pronom indéfini on témoigne
Jean de LAFONTAINE, «La jeune veuve», Fables (1668-1693). également de cette tonalité
didactique.
Définition
La focalisation (ou ie point de vue) est l’angle sous lequel le narrateur externe pré¬
sente le récit.
«[Le juge] commença L'interrogatoire. - Votre nom? La focalisation zéro (ou omnisciente)
Or voici un cas qui n'avait pas été "prévu par la loi", permet au narrateur de décrire ce
celui où un sourd aurait à interroger un sourd. qui se passe dans la tête de Quasi¬
Quasimodo, que rien n'avertissait de la question à modo, qui ignore qu'on l'interroge
lui adressée, continua de regarder le juge fixement et ne (extrait mis en caractère gras), et
répondit pas. Le juge, sourd et que rien n'avertissait de dans celle du juge, qui croit que
la surdité de l'accusé, crut qu'il avait répondu, comme Quasimodo répond à ses questions
Le faisaient en général tous les accusés, et poursuivit avec (extrait en italique). Grâce à cette
son aplomb mécanique et stupide. - C'est bien. Votre âge? focalisation, le lecteur est à même
Quasimodo ne répondit pas davantage à cette question. d'apprécier l'absurdité de la scène,
Le juge la crut satisfaite, et continua.» où un sourd interroge un autre
Victor HUGO, Notre-Dame de Paris (1831). sourd.
1. Il est à noter que, dans un même récit, le narrateur peut passer d'un type de focalisation à un autre.
Chapitre 6 71
La narration : le moment de la narration
Définition
Le narrateur peut raconter son histoire à différents moments, c’est-à-dire après qu’elle
s’est produite, pendant qu’elle se produit ou, dans des cas plus rares, avant qu’elle ne
se produise. C’est ce qu’on appelle le moment de la narration.
«Mes enfants, reprit d'une voix tremblotante En dévoilant d'entrée de jeu le dénouement
l'aïeul aux cheveux blancs, depuis bien longtemps, de son histoire (un personnage sera puni par
je vous répète à la veille de chaque jour de l'an, Dieu pour avoir refusé son hospitalité à un
cette histoire de ma jeunesse. 3e suis bien vieux, voyageur en détresse), le narrateur prouve
et peut-être pour la dernière fois, vais-je vous la que l'histoire s'est déroulée dans le passé.
redire ici ce soir. Soyez tout attention, et remar¬ Le récit a donc une valeur didactique:
quez surtout la punition terrible que Dieu l'intérêt de l'intrigue ne réside pas dans le
réserve à ceux qui, en ce monde, refusent suspense, mais dans la morale que le lecteur
l'hospitalité au voyageur en détresse. » peut en tirer.
Honoré BEAUGRAND, Le Fantôme de l'avare (1875).
«Non, je ne finirai pas ce livre inédit: le dernier Par l'emploi de verbes au futur (je ne finirai
chapitre manque qui ne me laissera même pas le pas, il surviendra), le narrateur se projette
temps de l'écrire quand il surviendra. Ce jour-là, dans l'avenir. Cette narration antérieure lui
[...] les pages s'écriront d'elles-mêmes à la permet de rêver d'un «prochain épisode»,
mitraillette: les mots siffleront au-dessus qui sera marqué par la réussite de son entre¬
de nos têtes, les phrases se fracasseront prise révolutionnaire et littéraire. Ce rêve
dans l'air...» révolutionnaire est également perceptible
Hubert AQUIN, Prochain épisode (1965). par le champ lexical guerrier (mitraillette,
siffleront et fracasseront).
Définition
Pour organiser son récit, le narrateur dispose les événements selon un ordre continu
(du présent au passé; du passé au présent; du présent au futur) ou discontinu (retour
en arrière ou anticipation).
Pour comprendre l’effet créé par l’ordre des événements, demandez-vous quelle est sa
fonction dans le récit.
«Il y avait seize ans à l'époque où se passe L'ordre des événements est ici perceptible
cette histoire que, par un beau matin de grâce au changement temporel: le narrateur
dimanche de la Quasimodo, une créature vivante rapporte une histoire passée (verbes à l'im¬
avait été déposée après la messe dans l'église parfait). Le retour en arrière permet de mettre
de Notre-Dame [...]. L'espèce d'être vivant qui en lumière le fait que, dès sa naissance,
gisait sur cette planche le matin de La Quasimodo Quasimodo était perçu comme un être mons¬
en l'an du Seigneur 1467 paraissait exciter à un trueux, ce qui explique son isolement et
haut degré la curiosité du groupe assez consi¬ son caractère farouche au moment où se
dérable qui s'était amassé autour du bois de lit. passe l'intrigue.
[...] En effet, ce n'était pas un nouveau-né que
"ce petit monstre". (Nous serions fort empêché
nous-même de le qualifier autrement.) C'était
une petite masse fort anguLeuse et fort remuante,
emprisonnée dans un sac de toile.»
Victor HUGO, Notre-Dame de Paris (1831).
«Seigneurs, vous plaît-il d'entendre un beau En révélant d'emblée le sort tragique des
conte d'amour et de mort? C'est de Tristan et personnages par un effet d'anticipation, le
d'Iseut la reine. Écoutez comment à grand'joie, narrateur capte l'attention du lecteur, qui
à grand deuil ils s'aimèrent, puis en moururent voudra connaître les moindres détaiLs de
un même jour, lui par elle, elle par lui.» cette fatale histoire d'amour.
Le Roman de Tristan et Iseut (xne siècle).
«On a dit que vous [Edmond Dantès] aviez Le décalage entre le passé composé et le
voulu fuir, que vous aviez pris la place d'un plus-que-parfait témoigne du fait que les
prisonnier, que vous vous étiez glissé dans événements relatés par le personnage se
le suaire d'un mort, et qu'alors on avait lancé sont passés antérieurement. Ce retour en
le cadavre vivant du haut en bas du château arrière permet de récapituler une bonne
d'If ; et que le cri que vous aviez poussé en partie du récit et de mettre en lumière
vous brisant sur les rochers avait seul révélé les dangers auxquels a fait face le person¬
la substitution à vos ensevelisseurs, devenus nage Edmond Dantès pour parvenir à la
vos bourreaux.» liberté.
Alexandre DUMAS, Le Comte de Monte Cristo (1845).
Chapitre 6 73
La narration : la vitesse de la narration
Définition
La vitesse de la narration est le rapport entre le temps que prend l’histoire et celui que
prend le narrateur pour la raconter.
«Ulysse avait tiré; la flèche avait frappé En temps réel, la scène décrite par le narrateur
Antinoos au col: la pointe traversa la gorge pourrait se dérouler en un court laps de temps.
délicate et sortit par la nuque. L'homme En effet, une flèche lancée à vive allure prend
frappé à mort tomba à la renverse; sa main une fraction de seconde pour atteindre sa cible
lâcha la coupe; soudain, un flot épais jaillit et la traverser. En affirmant que «la pointe tra¬
de ses narines [...] d'un brusque coup, ses versa la gorge délicate et sortit par la nuque»
pieds culbutèrent la table, d'où des viandes et qu'«un flot épais jaillit de ses narines», le
rôties, le pain et tous les mets coulèrent narrateur décrit la scène à une vitesse ralen¬
sur le sol, mêlés à la poussière. » tie, mettant ainsi en lumière la précision du
HOMÈRE, Odyssée (IXesiècle av. J.-C.). coup et ses conséquences funestes.
«Le monstre approchait. Il avait [...] les yeux L'interruption de la narration permet une des¬
rouges et tels que des charbons embrasés, cription du monstre. Dans cette description, le
deux cornes au front, les oreilles longues locuteur emploie des adjectifs (rouges, longues
et velues, des griffes de lion, une queue et velues, écailleux) qui lui permettent de
de serpent, le corps écailleux d'un griffon1. montrer la laideur de la créature. Le locuteur
Tristan lança contre lui son destrier2 d'une fait aussi des parallèles avec des animaux féroces
telle force que, tout hérissé de peur, il bondit {griffes de lion, queue de serpent, corps écailleux
pourtant contre le monstre.» d'un griffon). Le tout accentue l'aspect
Le Roman de Tristan et Iseut (xne siècle). effrayant du monstre et met en lumière le cou¬
rage de Tristan qui, malgré sa frayeur, n'hésite
pas à l'affronter.
1. Griffon : animal fabuleux pourvu du corps d'un lion et de la tête et des ailes d'un aigle.
«Comme [l'épouse de Charles Bovary] étendait Par des expressions telles que «le lendemain»
du linge dans sa cour, elle fut prise d'un crache¬ et «Quand tout fut fini», le narrateur passe
ment de sang, et le lendemain, tandis que sous silence les événements qui se sont pro¬
Charles avait le dos tourné pour fermer le duits pendant ce Laps de temps. Cette vitesse
rideau de la fenêtre, elle dit: "Ah! mon Dieu!", accélérée de la narration témoigne du rôle
poussa un soupir et s'évanouit. Elle était morte! très secondaire que la première femme de
Quel étonnement! Quand tout fut fini au Charles Bovary joue dans le récit.
cimetière, Charles rentra chez lui.»
Gustave FLAUBERT, Madame Bovary (1857).
«- Et quel est ton plat préféré, grand-père? Les dialogues donnent l'impression au lecteur
- Tous, tous, mon fils. C'est un grand péché d'assister à l'échange entre les personnages,
de dire: ça c'est bon, ça c'est mauvais! comme s'il était un véritable témoin de la
- Pourquoi? On ne peut pas choisir? scène. Cette vitesse réelle de la narration
- Non, pour sûr, on ne peut pas. permet donc d'apprécier la perspicacité du
- Pourquoi? vieil homme, qui sait répondre à son petit-fils
- Parce qu'il y a des gens qui ont faim. avec sagesse et clairvoyance.
Je me tus, honteux. Jamais mon cœur
n'avait pu atteindre à tant de noblesse et de
compassion.»
Nikos KAZANTZAKI, Alexis Zorba (1946).
Chapitre 6 75
Procédés
et tonalités
Introduction
Le repérage et l’interprétation des procédés d’écriture permettent de donner du sens
à un texte. Or, lorsqu'ils sont combinés, les procédés peuvent également contribuer à
créer une atmosphère donnée, ce qu’on appelle une tonalité. Le présent chapitre vise
à montrer l’emploi possible des procédés par le biais des tonalités.
Dans le présent chapitre, nous avons retenu les tonalités les plus fréquentes et nous
avons associé à chacune d’elles les procédés d’écriture qui la caractérisent ainsi
qu’une courte liste d’œuvres littéraires et cinématographiques qui l’illustrent bien.
Nous vous invitons à lire ou à voir ces œuvres afin de vous imprégner des atmosphères
qui y sont engendrées.
Avis aux futurs écrivains et aux scénaristes en herbe: cette section pourrait particuliè¬
rement inspirer votre esprit créatif en vous donnant des outils pour produire des effets
précis, qu’ils soient dramatiques, comiques ou autres...
Chapitre 7 77
La tonalité lyrique
Définition
Dans une œuvre de tonalité lyrique, un auteur vise à toucher le lecteur par l’expression
de ses sentiments, de ses états d’âme et de ses aspirations, comme c’est le cas dans
Le grand Meaulnes (1913) d’ALAIN-FOURNIER ou dans L'Homme rapaillé (1970) de
Gaston MIRON. Au cinéma, cette tonalité est perceptible dans La vie est belle (1997)
de Roberto BENIGNI et dans le film C.R.A.Z.Y. (2005) de Jean-Marc VALLÉE.
Variante: Une œuvre de tonalité pathétique vise à bouleverser le lecteur en lui inspi¬
rant des émotions intenses telles que la pitié, la sympathie, la souffrance ou la tris¬
tesse, comme c’est le cas de l’autobiographie du pianiste Wladyslaw SZPILMAN, qui a
été portée au grand écran par Roman POLANSKI dans son film Le Pianiste (2002).
Caractéristiques Procédés
Thèmes et procédés qui Champ lexical de l'amour, de la mort, de la fuite du temps, du bonheur,
illustrent l'affectivité de la douleur, du passé, de la condition humaine, vocabulaire mélioratif
et péjoratif, noms abstraits, adjectifs exprimant un jugement affectif,
modes et temps verbaux exprimant la nostalgie (passé composé,
imparfait, passé simple de l'indicatif et conditionnel)
Exemple
78 Procédés et tonalités
La tonalité tragique
Définition
Dans une œuvre de tonalité tragique, un lecteur est plongé dans un climat de souf¬
france en raison de la fatalité qui s’abat sur les personnages et du dénouement
funeste. Outre les tragédies classiques de Jean RACINE et de Pierre CORNEILLE,
Hamlet (1601) de William SHAKESPEARE et L’Assommoir (1877) d’Émile ZOLA incar¬
nent cette atmosphère tragique. Au grand écran, la trilogie Le Parrain (1972-1990) de
Francis Ford COPPOLA, La Haine (1995) de Mathieu KASSOVITZ et Oldboy (2003) de
Chan-wook PARK illustrent également cette tonalité.
Caractéristiques Procédés
Thèmes associés aux Champ lexical de l'honneur, du devoir, de la passion, de la mort et de
obligations, à la fatalité la solitude
et à la destruction
Climat tendu qui illustre Phrases exclamative et impérative; interjection; litote, euphémisme,
la gravité des événements langue soutenue (vocabulaire recherché, phrase longue et syntaxique¬
ment complexe, vouvoiement), vitesse de narration ralentie
Exemple
Chapitre 7 79
La tonalité comique
Définition
La tonalité comique vise à faire rire. Pour y arriver, un auteur peut faire appel au comique
de geste (telles les mimiques des personnages), au comique de situation (comme les qui¬
proquos), au comique de caractère (exagération d’un tempérament, d’un trait de caractère
particulier) ou au comique de mots (jeux de mots, hyperbole, etc.). Outre les comédies
de MOLIÈRE, bon nombre d’œuvres sont empreintes d’une atmosphère comique,
notamment Les Aventures d'Astérix et Obélix d’UDERZO et GOSCINNY, et les films Les
Visiteurs (1993) de Jean-Marie POIRÉ et Le Dîner de cons (1998) de Francis VEBER.
Variantes: Une œuvre humoristique fait sourire plutôt que rire. Une œuvre satirique
attaque les mœurs en les ridiculisant, comme le fait la série télévisée Les Bougon
(2003-2005) de François AVARD. Une parodie est une imitation ridicule d’une autre œuvre
(tel Austin Powers [1997] de Jay ROACH, qui se moque des films de James Bond).
Caractéristiques Procédés
Climat de légèreté Langue familière ou populaire (lexique peu recherché, grivois ou
grossier), quiproquo, faux raisonnement
Rapprochements inusités Jeux lexicaux (néologisme, déformation de mots, terme à double sens),
comparaison, métaphore, allitérations et assonances
Exemple
80 Procédés et tonalités
La tonalité dramatique
Définition
Généralement associée au discours narratif, la tonalité dramatique vise à susciter le
suspense grâce aux nombreux événements que comporte l’intrigue et aux émotions
que vivent les personnages confrontés à des épreuves diverses, comme c’est le cas
dans Les Trois Mousquetaires (1844) d’Alexandre DUMAS, Bonheur d'occasion (1945)
de Gabriel le ROY, Le Code Da Vinci (2004) de Dan BROWN, ou dans les films Cours,
Lola, cours (1998) de Tom TYKWER, Un long dimanche de fiançailles (2004) de Jean-
Pierre JEUNET et La Fille à un million de dollars (2004) de Clint EASTWOOD.
Caractéristiques Procédés
Multiplication des péripéties Intrigue à plusieurs péripéties, événements présentés en parallèle,
verbe d'action
Exemple
«Nous avançons clopin-clopant dans le soleil et dans le vent. Gloria, soudain, donne un coup de
tête. Comme moi, elle a entendu ces crissements derrière nous, ces frous-frous de pas de course.
Nous nous retournons.
- Ne tire pas! Ce sont les chiens! Ce sont les chiens! Nous sommes mortes!
Trop tard ! [T'ai fait feu. Les douilles éjectées m'effleurent les bras, brûlantes. Les entrailles des
chiens gisent éparses et luisantes dans les lueurs du feu. Les Syriens ne mettent pas grand temps
à réagir. Déjà, c'est le tonnerre, les balles sifflent à mes oreilles]. Nous sommes des cibles imman¬
quables. Seule Gloria peut me sauver. Je laisse tomber la mitraillette, happe Gloria par-derrière
et l'étreins de toutes mes forces pour la maintenir entre les balles et moi.»
Réjean DUCHARME, L'Avalée des avalés (1966).
Chapitre 7 81
La tonalité épique
Définition
Dans une œuvre à tonalité épique, l’auteur vise à susciter l’admiration ou l’indignation
du lecteur par des récits d’actions extraordinaires menées par des héros plus grands
que nature, qui se démarquent généralement par des exploits guerriers, tels Ulysse
dans L'Odyssée (IXe siècle av. J.C.) d’HOMÈRE, Lancelot, héros éponyme du récit (1170)
de Chrétien DE TROYES, ou les protagonistes de La Guerre des étoiles (1977-2005) de
George LUCAS, de Tigre et dragon (2000) d’Ang LEE et du Seigneur des anneaux (2001-
2003) réalisé par Peter JACKSON.
Caractéristiques Procédés
Exemple
«[...] Sur ce cri, le roi vint. Son cheval était d'un blanc de neige, doré était son bouclier, et sa
lance était longue. [...] La lumière jaillit dans le ciel. La nuit s'évanouit. [...] Dans un grand
fracas, ils [les soldats] chargèrent. Ils [...] passèrent à travers les rangs de l'Isengard comme un
vent de tempête dans l'herbe. Derrière eux, venaient du Gouffre les cris rauques des hommes
qui sortaient des cavernes, poussant l'ennemi devant eux. Se déversaient aussi tous les hommes qui
restaient sur le Rocher. Et toujours le son des cors se répercutait dans les collines.
Le roi et ses compagnons poursuivirent leur course. Capitaines et champions tombaient ou
fuyaient devant eux. Ni Orque ni homme ne leur résistaient. Les ennemis [...] poussaient des cris
et des gémissements [...].»
J. R. R. TOLKIEN, Le Seigneur des anneaux: Les Deux Tours (1966).
82 Procédés et tonalités
La tonalité fantastique
Définition
Dans une œuvre de tonalité fantastique, l’auteur vise à plonger le lecteur dans un uni¬
vers mystérieux et angoissant en intégrant des éléments surnaturels dans une époque,
un lieu et une situation qui semblent bien réels. Le Horla (1887) de Guy de MAUPASSANT,
Nouvelles histoires extraordinaires (1857) d’Edgar ALLAN POE ainsi que les films Les
Autres (2001) d’Alejandro AMENABAR et Le Sixième sens (1999) de M. N. SHYAMALAN
en constituent de bons exemples.
Variantes: Une œuvre est de tonalité merveilleuse lorsque les éléments irréels sont
présentés comme un phénomène normal. Dans cette tonalité, un auteur vise à plonger
le lecteur dans un univers enchanteur et féerique, comme c’est le cas dans les contes
de Hans Christian ANDERSEN et des frères GRIMM, à qui l’on doit notamment le conte
de Blanche-Neige. Les récits d’horreur, pour leur part, visent plutôt à faire peur, comme
c’est le cas dans le film Le Cercle (2002) de Gore VERBINSKI.
Caractéristiques Procédés
Cadre réaliste de l'intrigue Narrateur personnage, vitesse de la narration réelLe ou ralentie, marques
spatio-temporelles créant une atmosphère d'incertitude: moment de la
journée où la visibilité est réduite (la nuit, par moment de brouillard),
lieux isolés (forêt, maison abandonnée)
Exemple
«Nous traversâmes une forêt d'un sombre si opaque et si glacial, que je me sentis courir sur la
peau un frisson de superstitieuse terreur. Les aigrettes1 d'étincelles que les fers de nos chevaux
arrachaient aux cailloux laissaient sur notre passage comme une traînée de feu, et si quelqu'un,
à cette heure de nuit, nous eût vus, mon conducteur et moi, il nous eût pris pour deux spectres
à cheval sur le cauchemar. [...] La crinière des chevaux s'échevelait de plus en plus, la sueur
ruisselait sur leurs flancs et leur haleine sortait bruyante et pressée de leurs narines. Mais, quand
il les voyait faiblir, l'écuyer pour les ranimer poussait un cri guttural2 qui n'avait rien d'humain
et la course recommençait avec furie.»
Théophile GAUTIER, La Morte amoureuse (1836).
Chapitre 7 83
La tonalité polémique
Définition
Dans un texte de tonalité polémique, un auteur vise à susciter un débat sur un sujet
donné, comme l’ont fait les écrivains BEAUMARCHAIS dans Le Mariage de Figaro (1784),
Paul-Émile BORDUAS dans Refus global (1948), George ORWELL dans 1984 (1950)
ainsi que les cinéastes COSTA-GAVRAS dans Amen (2002) et Michael MOORE dans
Bowling for Columbine (2002).
Variante: Une œuvre est de tonalité ironique lorsqu’un auteur dénonce un sujet ou une
situation donnés avec raillerie, comme le font VOLTAIRE dans Candide (1759) et Richard
DESJARDINS dans sa chanson «Le bon gars» (1990).
Caractéristiques Procédés
Exemple
Apostrophe qui permet d'interpeller tous [ ] Néologisme: mot-valise formé des mots
les citoyens. «verbal» et «balistique», science qui
Métaphore dénonciatrice. étudie mouvement projectiles.
Ce jeu de mots prouve que le locuteur
Champ lexical du combat. utilise le langage comme une arme.
1. Anglosphyxie: mot-valise formé du préfixe «anglo» et du mot «asphyxie», qui exprime l'omniprésence presque
suffocante de la langue anglaise au Québec.
2. Phrygiens: ancien peuple d'Asie mineure qui fut asservi par les Romains en 103 av. J.C.
84 Procédés et tonalités
La tonalité didactique
Définition
La tonalité didactique est associée aux œuvres qui visent à instruire. C'est l’objectif
que se sont donné les auteurs tels que Jean de LA FONTAINE dans ses Fables (1668),
Biaise PASCAL dans Pensées (1669) et Jostein GAARDER dans Le Monde de Sophie
(1995). La tonalité didactique est également perceptible dans le film de Pierre
FALARDEAU 15 février 1839 (2000), qui porte sur la rébellion des Patriotes, ainsi que
dans le documentaire sur l’ex-premier ministre du Québec Bernard Landry, À hauteur
d’homme (2003), réalisé par Jean-Claude LABRECQUE.
Caractéristiques Procédés
Volonté de se faire comprendre Narration, description, lexique clair et précis (langue familière
ou courante), conjonction qui a une valeur de cause ou de
conséquence, comparaison, métaphore, personnification,
allégorie, répétition
Présentation de vérités générales Pronom indéfini, mode et temps verbal de l'indicatif présent,
phrase de forme négative ou impersonnelle, phrase à présentatif
Exemple
MORALITÉS
«La curiosité malgré tous ses attraits.
Coûte souvent bien des regrets;
On en voit (tous les] jours jmille] exemples paraître.
C'est, n'en déplaise au sexe1, un plaisir bien léger ;
Dès qu'on le prend il cesse d'être.
Et toujours il coûte trop cher. [...]
Il n'est plus d'époux si terrible,
Ni qui demande l'impossible.
Fût-il malcontent et jaloux.
Près de sa femme on le voit filer doux;
Et de quelque couleur que sa barbe puisse être,
On a peine à juger qui des deux est le maître.»
Charles PERRAULT, La Barbe bleue (1697).
] Déterminant qui marque une généralité. Indicatif présent qui exprime une vérité
générale.
Hyperbole qui vise à convaincre le lecteur Pronom indéfini qui permet au locuteur de
de la valeur de la morale. généraliser en parlant au nom de tous.
Chapitre 7 85
Texte synthèse
Soir d'hiver
«Ah ! [comme la neige a neigé}]
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! [comme La neige a neigéjj
[Qu'est-ce que Le spasme de vivre
A La douLeur que j'ai, que j'afT]
Tous Les étangs gisent geLés,
Mon âme est noire: [Où vis-je? où vais-je}}
Tous ses espoirs gisent geLés:
Je suis La nouveLLe Norvège
D'où Les bLonds cieLs s'en sont aLLés.
PLeurez, oiseaux de février.
Au sinistre frisson des choses,
PLeurez, oiseaux de février,
PLeurez mes pLeurs, pLeurez mes roses,
Aux branches du genévrier.
Ah ! [comme La neige a neigé}}]
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! [comme La neige a neigé}
[Qu'est-ce que Le spasme de vivre
A tout L'ennui que j'ai, que j'ai !.}}»
ÉmiLe NELLIGAN, Œuvre (1903).
Chapitre 8 87
Notions
_ sur les genres littéraires
► La poésie ► Le récit ► Le théâtre
La poésie
Poésie: Genre littéraire qui accorde une importance particulière au rythme, aux sono¬
rités et aux images. Jusqu’au xixe siècle, la poésie obéit aux règles de la versification,
c’est-à-dire à un ensemble de conventions qui régissent la structure interne du vers,
l’agencement des vers entre eux de même que le groupement des vers en strophes et
en poèmes à forme fixe. Les règles de la versification sont également mises en œuvre
dans certaines formes du genre dramatique, notamment dans la tragédie classique.
Toutefois, à partir du xixe siècle, les poètes explorent de nouvelles formes poétiques
(vers libre, poème en prose) et déjouent la versification classique.
Le vers
Vers: Ensemble de mots qui s’écrivent sur une seule ligne. Un vers ne correspond
pas nécessairement à une phrase: il peut arriver qu’une phrase se déploie sur plu¬
sieurs vers ou, à l’inverse, qu'il y ait plusieurs phrases dans un seul vers.
Longueur d'un vers: Pour déterminer la longueur d’un vers, il faut compter le nombre
de syllabes qu’il contient1, en prêtant une attention particulière aux aspects suivants:
♦ Le «e» caduc (ou «e» muet): Le «e» caduc est élidé (c’est-à-dire qu’il ne se prononce
pas) lorsqu’il est placé en fin de vers ou qu’il est suivi d’une voyelle à l’intérieur du
vers. Il compte seulement s’il est placé entre deux consonnes à l’intérieur du vers.
12 34 56 7 8 9 10 11 12
Ex.: Man/ger/ l’her/be/ d’au/trui!/ Quel /cri/m(e) a/bo/mi/nabl(e)!
Jean de LA FONTAINE, «Les animaux malades de la peste», Fables.
♦ Les voyelles en contact: Lorsqu’elles se suivent à l’intérieur d’un mot (ex.: nuit,
lion), deux voyelles se prononcent soit en une seule syllabe (synérèse), soit en deux
syllabes (diérèse). C’est la comparaison avec la longueur des autres vers de la
strophe qui permet de déterminer si la prononciation se fait en une ou deux syl¬
labes, puisque les vers comportent le même nombre de syllabes dans la versifica¬
tion classique.
1234 5 6 78 9 10 11 12
Ex. : En/vo/le-/toi/ bien/ loin/ de/ ces/ mias/mes/ mor/bides
12 3456 7 8 9 1011 12
Va/ te/ pu/ri/fi/er/ dans/ l’air/ su/pé/ri/eur
Charles BAUDELAIRE, «Élévation», Les Fleurs du mal.
1. Une syllabe est un groupe de consonnes et de voyelles qui se prononcent d’une seule émission de voix. Il
est préférable d’employer ce terme et non le terme pied, car ce dernier, calqué sur le découpage du vers latin
(alternance de voyelles brèves et de voyelles longues), ne s'applique pas à la versification française.
Chapitre 9 89
Nom des vers: La plupart des vers tirent leur nom du nombre de syllabes qui les
composent.
Vers libre: Vers non rimé de longueur irrégulière. Utilisé depuis la fin du xixe siècle,
le vers libre a progressivement supplanté les vers réguliers au xxe siècle.
Accent: Syllabe prononcée plus fortement que les autres. Dans un vers, certains
accents liés à la structure et à la longueur du vers sont fixes, alors que d’autres
accents, liés à la prononciation des mots, sont mobiles. (Pour plus d’informations à ce
sujet, voir la page 64 du présent guide.)
Coupe: Pause respiratoire placée après une syllabe accentuée dans un vers.
L’emplacement des coupes permet de créer différents effets rythmiques. Dans cer¬
tains vers, la coupe est renforcée par la présence d’un signe de ponctuation.
Ex.: Tout nous charmait,/ les bois,// le jour serein,/ l’air pur,/
Victor HUGO, «La fête chez Thérèse», Les Contemplations.
Hémistiche: Moitié d’un vers (le plus souvent, un alexandrin ou un décasyllabe) com¬
portant une césure. L’alexandrin classique comprend deux hémistiches de six syllabes
chacun. Dans le décasyllabe, la césure est le plus souvent placée après la quatrième
ou la cinquième syllabe.
La rime
Rime: Récurrence, à la fin de deux vers ou plus, d’un certain nombre de sons (il s’agit
généralement de la dernière voyelle accentuée du vers et de ce qui la suit).
Genre des rimes: Les rimes féminines se terminent par un «e» caduc (qui peut être
suivi de consonnes non prononcées); toutes les autres rimes sont dites masculines.
La versification classique préconisait l’alternance des rimes masculines et féminines.
Qualité des rimes: La qualité des rimes est mesurée par le nombre de sonorités
communes que partagent les vers. Le «e» caduc qui termine un vers ne compte jamais
pour une sonorité.
Chapitre 9 91
Disposition des rimes: Les modes les plus fréquents de combinaison des rimes
sont les suivants:
♦ Rimes embrassées: Rimes plates insérées dans une autre rime (ABBA).
La strophe
Strophe: Groupe de vers séparé d’un autre groupe de vers par un double interligne
et organisé par certaines règles qui assurent sa cohésion (longueur du vers, nombre de
vers dans la strophe, assemblage des rimes). La strophe est l’équivalent d’un paragraphe
dans un texte en prose. Une strophe comportant un seul type de vers est isométrique,
tandis qu’une strophe qui compte plusieurs types de vers de longueurs différentes est
hétérométrique. Les strophes tirent leur nom du nombre de vers qu’elles contiennent.
Formes fixes: Poèmes qui obéissent à des règles rigoureuses de structure établies
au fil du temps par les théoriciens et les praticiens de la littérature. Le sonnet, la bal¬
lade, l’épopée, l’ode, le rondeau et la stance sont des exemples de formes fixes.
Épopée: Long poème héroïque qui célèbre les exploits d’un héros. La chanson de
geste est la forme médiévale de l’épopée. Ex.: «L’Odyssée» d’HOMÈRE.
Ode: Poème lyrique le plus souvent constitué de strophes symétriques. L’ode fut
populaire dans l’Antiquité et à la Renaissance. Ex.: «Mignonne, allons voir...» de
Pierre de RONSARD.
Autres formes poétiques: À partir du xixe siècle, les formes fixes disparaissent
progressivement au profit du poème en prose et de poèmes qui n’obéissent pas à des
règles préétablies.
Poème en prose: Poème qui abandonne le vers ayant caractérisé la poésie pendant
des siècles, mais qui continue d’accorder une importance particulière au rythme, aux
sonorités et aux images, ce qui préserve son caractère poétique. Ex.: «Le mauvais
vitrier» de Charles BAUDELAIRE.
Chapitre 9 93
Le récit
Récit: Genre littéraire dans lequel un narrateur fait le récit d’une histoire fictive ou
réelle.
Roman: Récit en prose assez long qui s’articule autour d’une intrigue pouvant être
de diverses natures (intrigue policière, psychologique, historique, de mœurs, d’appren¬
tissage, d’aventures, de science-fiction, etc.). Ex. : Le Matou d’Yves BEAUCHEMIN.
Le conte merveilleux raconte une histoire qui se déroule à une époque et dans des
lieux irréels où les événements inexplicables sont acceptés comme tels.
Ex. : La Belle au bois dormant de Charles PERRAULT.
Nouvelle: Bref récit centré sur une intrigue unique qui ne réunit qu'un petit nombre
de personnages. Ex.: Le Torrent d’Anne HÉBERT.
Fable: Bref récit en vers ou en prose destiné à illustrer une morale. Ex. : Le Corbeau
et le Renard de Jean de LA FONTAINE.
Fabliau: Bref récit médiéval rédigé en vers qui raconte une histoire comique marquée
par l’obscénité et la scatologie. Ex. : Le Vilain de Bailleul de Jean BODEL.
Lai: Bref récit médiéval rédigé en vers relatant des épisodes tirés des légendes de
Bretagne. Ex. : Yonec de Marie de FRANCE.
Autobiographie: Récit dans lequel un auteur raconte sa propre vie. Ex. : La Détresse
et l’enchantement de Gabrielle ROY.
Mémoires: Récit qu’une personne fait d’événements historiques auxquels elle a par¬
ticipé ou dont elle a été témoin. Ex.: Mémoires d’outre-tombe de François-René de
CHATEAUBRIAND.
Parabole: Récit allégorique des livres saints qui dispense un enseignement religieux
ou moral. Ex. : Le bon grain et l’ivraie.
Antagoniste: Personnage qui fait obstacle au héros, qui l’empêche d’atteindre son
objectif.
Intrigue: Ensemble des événements et des faits et gestes accomplis par les person¬
nages. Généralement unique dans un court récit, telle la nouvelle, l’intrigue peut être
multiple dans un roman.
Exposition: Partie initiale d’une œuvre qui expose les détails importants pour la com¬
préhension de l’intrigue: temps, lieux, personnages, thème central de l’intrigue, etc.
La narration
Focalisation: Point de vue ou angle sous lequel le narrateur externe raconte l’his¬
toire. La focalisation peut être:
interne: lorsque le narrateur est dans la tête d’un personnage, qu’il exprime son point
de vue sur les événements en ignorant ce que pensent les autres personnages;
externe: lorsque le narrateur ignore ce qui se passe dans la tête des personnages,
qu’il n’est qu’un simple témoin des événements, telle une caméra;
zéro (ou omnisciente): lorsque le narrateur sait tout, qu’il en sait même plus que
les personnages eux-mêmes, puisqu’il connaît leurs désirs, leurs aspirations et leur
avenir.
Chapitre 9 95
Mise en abyme: Procédé narratif qui consiste à intégrer à une œuvre une image de
l’œuvre elle-même, par exemple en présentant un roman dans un roman ou en faisant
voir un auteur dans son œuvre.
Description: Procédé narratif qui consiste à énumérer des caractères d’un lieu, d’un
objet ou d’un personnage.
Portrait: Procédé narratif qui consiste à décrire un personnage sur le plan moral,
physique, psychologique ou social.
Discours rapporté: Procédé narratif qui consiste à rapporter les paroles d’un person¬
nage. Dans le discours direct, le narrateur rapporte un discours en citant directement
les paroles entendues. Dans le discours indirect, il ne rapporte que le contenu du
discours, sans citer les paroles exactes. Dans le discours indirect libre, il reproduit les
paroles entendues sans les citer de manière directe. (Voir la page 8 du présent guide
pour plus de détails.)
Théâtre: Genre littéraire en vers ou en prose destiné à être joué devant un public.
Tragédie: Œuvre dramatique, écrite en vers dans une langue soutenue et sur un ton
grave, qui met en scène des personnages hors du commun aux prises avec un destin
funeste. Née dans la Grèce du ve siècle av. J.-C., la tragédie vise à susciter ce qu’Aristote
appelle la catharsis, c’est-à-dire la «purgation des passions». Cet effet de libération est
provoqué par l’identification du spectateur au sort tragique du héros. Ex. : Œdipe-Roi de
SOPHOCLE.
Héritière de la tragédie antique, la tragédie classique (xvne siècle) doit également être
vraisemblable (caractère par lequel les événements d’une intrigue semblent vrais et
possibles dans la réalité), elle doit respecter la règle de bienséance (usage à mettre
en pratique en conformité avec les conventions de l’époque) ainsi que la règle des
trois unités: l’action doit se produire dans un délai limite de 24 heures (unité de
temps), dans un lieu unique (unité de lieu) et doit s’organiser autour d’une intrigue
principale (unité d’action). Ex.: Phèdre de Jean RACINE.
Comédie: Œuvre dramatique caractérisée par un ton léger, une langue familière et un
dénouement heureux. La comédie divertit en faisant ressortir les travers de la nature
humaine ou en ridiculisant les mœurs de la société. Afin d’atteindre leur objectif, les
auteurs peuvent recourir au comique de geste (mimiques des personnages, grimaces),
au comique de situation (quiproquos), au comique de caractère (exagération d’un
tempérament, d’un trait de caractère particulier) ou au comique de mots (jeux de mots,
répétitions, hyperboles). Ex. : Le Bourgeois gentilhomme de MOLIÈRE.
Drame bourgeois: Œuvre dramatique sérieuse née au xvme siècle, qui met en scène
des héros issus de la classe populaire mêlés à des conflits d’ordre familial ou social.
Ex. : Le Mariage de Figaro de BEAUMARCHAIS.
Chapitre 9 97
Farce: Comédie populaire de nature bouffonne destinée à faire rire. Ex.: La Farce de
Maître Pathelin.
Scène: Chacune des subdivisions d’un acte, généralement établies d’après l’entrée
en scène ou la sortie d’un personnage.
Didascalie: Indication scénique qui guide la mise en scène en donnant des informa¬
tions sur les costumes, le mouvement des acteurs, les décors, les éclairages, etc.
Aparté: Réflexion d’un personnage, à l’insu des autres personnages, que seul le
spectateur est censé entendre.
Intrigue: Ensemble des événements et des faits et gestes accomplis par les per¬
sonnages, généralement divisé en quatre parties: exposition, péripéties, nœud,
dénouement.
Exposition: Partie initiale d’une œuvre qui expose les détails importants pour la
compréhension de l’intrigue: temps, lieux, personnages, thème central de l’intrigue,
etc. L’exposition peut être précédée d’un prologue (discours introduisant l’intrigue).
Nœud: Point culminant de l’intrigue, où le conflit entre les personnages atteint son
paroxysme.
Les personnages
La représentation théâtrale
Scène: Dans une salle de théâtre, espace où jouent les acteurs, devant les spec¬
tateurs.
Acteur: Artiste qui interprète un rôle sur scène, également appelé comédien.
Figurant: Acteur incarnant un rôle secondaire, généralement muet.
Chapitre 99
Médiagraphie
ARCAND, Richard. Les Figures de styie FRONTIER, Alain. La poésie, Paris, Belin,
Allégorie, ellipse, hyperbole, méta¬ 1992.
phore.Montréal, Les Éditions de
GARDES-TAMINE, Joëlle. La Stylistique, coll.
l’Homme, 2004.
Cursus, Paris, Armand Colin, 1992.
BACRY, Patrick. Les Figures de style, coll. GENETTE, Gérard. «Frontières du récit», tiré
Sujets, Paris, Belin, 1992. de L’Analyse structurale du récit, coll.
BONHOMME, Marc. Les Figures du discours, Point, Paris, Seuil, 1981.
Paris, Seuil, 1998. GENEVAY, Éric. Ouvrir la grammaire, Montréal,
Éditions de la Chenelière, 1994.
BUFFAR-MORET, Brigitte. Introduction à ia
versification, Paris, Dunod, 1997. GÉRIN, L., et H. MAISONNEUVE. «Analyse
formelle d’un texte littéraire: le statu
CHARAUDEAU, Patrick. Grammaire du sens
quo est-il possible?», Correspondance,
et de l’expression, Paris, Hachette,
vol. 9, n° 1, septembre 2003, Centre
1992.
collégial de développement de matériel
CHARTRAND, Suzanne-G., Denis AUBIN, didactique.
Raymond BLAIN et Claude SIMARD.
GREVISSE, Maurice. Précis de grammaire
Grammaire pédagogique du français
française, 26e édition, Gembloux,
d'aujourd'hui, Boucherville, Graficor,
Éditions Duculot, 1959.
1999.
KLEIN-LATAUD, Christine. Précis des figures
DE VILLERS, Marie-Éva. Muitidictionnaire de de styie, coll. Traduire, Écrire, Lire,
ia langue française, quatrième édition, Toronto, Éditions du Gref, 2001.
Montréal, Québec Amérique, 2003.
LINARES, Serge. Introduction à la poésie,
DESSONS, Gérard. Introduction à l’analyse Paris, Nathan, 2000.
du poème, Paris, Nathan, 2000.
Littératures et langages, sous la direction
Dictionnaire du théâtre. Encyclopædia de Catherine KLEIN, Hachette, 2000.
Universalis, Paris, Albin Michel, 1998.
MAISONNEUVE, H. Vade-mecum de la nou¬
DUFIEF, Anne Simone. La versification. velle grammaire, Centre collégial de
100 exercices avec corrigés, Paris, développement de matériel didactique,
Hatier, 1997. mars 2003.
DUPONT, L. De l'analyse grammaticale à MOLINIÉ, Georges. Éléments de stylistique
l’analyse littéraire, Bruxelles, Marcel française, coll. Linguistique nouvelle,
Didier éditeur, 1962. Paris, Presses i iversitaires de France,
1986.
DUPRIEZ, Bernard. Gradus Les Procédés
littéraires, Paris, Union générale PAVIS, Patrice. Dictionnaire du Théâtre,
d’Éditions, 1984. Paris Armand Colin, 2002.
POUGEOISE, Michel. Dictionnaire de poé¬ SUHAMY, Henri. Les Figures de style, coll.
tique, Paris, Belin, 2006. Que sais-je?, Paris, Presses universi¬
taires de France, 1981.
REUTER, Yves. Introduction à l’analyse du
Roman, Paris, Bordas, 1991. TODOROV, Tzvetan. Les Genres du discours,
Paris, Seuil, 1978.
RIEGEL, Martin, Jean-Christophe PELLAT
et René RIOUL. Grammaire méthodique VIGNEAULT, Louise. La Lecture du spectacle
du français, Paris, Presses universi¬ théâtral, Laval, Mondia, 1989.
taires de France, 1998.
www.cafe.umontreal.ca/cle/index.html
ROBRIEUX, Jean-Jacques. Les Figures de
www.lettres.net/lexique/
style et de rhétorique. Paris, Dunod,
1998. www.theatrales.uqam.ca/glossaire.html
102 Médiagraphie
Index des auteurs cités
A Commedia dell’arte, 98
Accent, 90 Comparaison, 40, 52
Accentuation, 64 Compléments
Accumulation, 25, 34, 52, 68 de phrase, 26
du nom, 25, 36, 62
Acte, 98
Confident, 99
Acteur, 99
Conjonctions, 18, 37
Adjectifs, 33, 52, 54, 73
mélioratifs, 19 (voir Mélioratif) Connotation, 7, 11, 53, 60
Adjuvant, 95 Conte, 94
fantastique, 94
Adverbes, 18, 20, 35, 40, 54, 55, 57
merveilleux, 94
Alexandrin, 90 philosophique, 94
Allégorie, 43, 47, 66 Contre-rejet, 63, 90
Allitérations, 53, 60, 64 Coryphée, 99
Anaphore, 28, 54 Côté
Antagoniste, 95 cour, 99
Antiphrase, 7, 50 jardin, 99
Antithèse, 44 Coulisse, 99
Aparté, 98 Coup de théâtre, 99
Assonance, 61 Coupe(s), 64, 90
Autobiographie, 94 D
Avant-scène, 99 Décasyllabe, 90
B Décor, 99
Ballade, 93 Dénotation, 10, 40, 61
Épopée, 93 L
Espace, 69 Lai, 94
Euphémisme, 48 Langue
Exclamation, 8 courante, 14, 47
Exposition, 95, 98 familière, 14
populaire, 14
F soutenue, 14, 47
Fable, 94
Lieu, 6
Fabliau, 94
Litote, 21, 49
Farce, 98
Locuteur, 4
Figurant, 99
Longueur des phrases, 62
Figures
d’amplification et d’insistance, 51-55 M
de rapprochement Marques
d’éléments analogues, 40-43 de modalisation, 7
d’éléments opposés, 44-45 du destinataire, 5
de substitution, 46-50 du lieu, 6
syntaxiques, 56-57 du locuteur, 4
Focalisation, 71, 95 du temps, 6
externe, 95
Mélioratif (vocabulaire), 13, 33, 68
interne, 95
omnisciente, 95 Mélodrame, 97
zéro, 95 Mémoires, 94
Formes Métaphore, 12, 14, 41, 52
de phrase, 21-24 filée, 41
dramatiques, 97-98 Métonymie, 46
fixes, 93
Mise
narratives, 94
en abyme, 96
poétiques, 93
en scène, 99
G Modalisation, 7
Gestuelle, 99 Moment de la narration, 72
Gradation, 26, 30, 53 Monologue, 98
H Monostiche, 92
Flémistiche, 91 Monosyllabe, 90
Flendécasyllabe, 90 Mouvement dans la phrase, 25-28
0 Protagoniste, 95, 99
Octosyllabe, 90 Q
Ode, 93 Quadrisyllabe, 90
Œuvre Quatrain, 92
humoristique, 80 Quintil, 92
satirique, 80
R
Onzain, 92
Récit, 94
Ordre des événements, 75 d’horreur, 83
Organisation Refrain, 93
du discours dramatique, 98
Règle des trois unités, 97
du texte dramatique, 98
Rejet, 10, 19, 63, 90
Oxymore, 45
Répétition, 5, 19, 25, 26, 28, 35, 36, 37,
P 52, 54
Parabole, 94 Réplique, 98
Parallélisme, 56 Représentation théâtrale, 99
Parodie, 80 Rime(s), 91
Pauses, 64 alternées, 92
croisées, 92
Péjoratif (vocabulaire), 13, 31, 33, 68
disposition des, 92
Pentasyllabe, 90
embrassées, 92
Péripétie, 95, 98 féminines, 91
Périphrases, 10, 14, 47 genre des, 91
Personnages, 68, 95, 99 masculines, 91
Personnification, 42, 53 pauvre, 91
plates, 92
Phrase
qualité des, 91
courte, 62, 69
riche, 91
emphatique, 23, 30
suffisante, 91
exclamative, 19, 50, 55, 62, 63, 68, 69
suivies, 92
impérative, 20
Roman, 94
impersonnelle, 24
épistolaire, 94
interrogative, 5, 10, 18, 27, 62
longue, 62 Rondeau, 93
négative, 21, 26, 44 Rythme, 34
passive, 22
S
Pléonasme, 55
Scène, 98, 99
Poème en prose, 93
Scénographie, 99
Poésie, 89
Sens
Portrait, 96 figuré, 4, 11, 20, 32, 51, 55
Prépositions, 36 propre, 10, 32
9782761324304
2016 02-15 8:17
-