16 Partie-2 Chapitre-3
16 Partie-2 Chapitre-3
16 Partie-2 Chapitre-3
Chapitre
3
L’information
syndicale :
multiple, foisonnante
et sous tension
Stéphan Lepoutre1
Introduction
A
utomne 1993 : le service Presse et certainement plus diversifiées que par le passé,
Information (francophone) soumet au tout comme sont multiples leurs motifs d’adhé-
débat des secrétaires des fédérations sion à l’organisation syndicale »2.
et des responsables francophones
des centrales des propositions sur la politique Sont aussi évoqués quelques « champs de tension
de communication de la CSC. L’introduction du inévitables » : « Comment concilier en effet : une
document en présente les nombreuses dimen- communication unifiante avec la rencontre de
sions : « Chacun sait que la communication d’une publics hétérogènes ? la force de la cohésion
organisation comme la CSC est globale et passe d’une organisation interprofessionnelle avec le
par toutes les dimensions de l’organisation, depuis respect de l’autonomie et des identités régio-
le dynamisme du délégué dans son entreprise ou nales et professionnelles ? une solidarité globale
sa localité, jusqu’à l’identification du sigle et la toujours à construire avec la rencontre des préoc-
visibilité de nos actions dans le grand public, en cupations quotidiennes et la satisfaction des inté-
passant par la qualité de l’accueil dans les locaux rêts particuliers ? » L’histoire de la Confédération
syndicaux ou encore la formulation des communi- est continuellement traversée par ces tensions,
qués de presse et la “présence” dans les médias. La celles-ci émergeant au travers de l’évolution des
communication de la CSC est également la résul- lignes éditoriales et des outils d’information et
tante des différents courants qui traversent démo- de communication syndicale. Ce chapitre a pour
cratiquement une organisation de masse affiliant vocation de les retracer à gros traits par le biais de
et organisant des femmes et des hommes aux quelques publications phares de la CSC.
identités sociales, culturelles et professionnelles
386
P
our mener sa politique d’informa- CSC. Sur la scène, que s’est-il passé pendant la
tion et de communication, en 1978, période étudiée ? Voici une tentative de saisir
la CSC crée pour ses affilié·e·s franco- le plus marquant. Elle laisse dans l’ombre
phones un service de presse, d’infor- divers aspects tels que l’édition de brochures,
mation et de propagande, distinct du service les réalisations audiovisuelles, l’organisation
de formation. Ce service rend compte de ses de manifestations et d’événements, l’accompa-
activités à différents niveaux : les instances gnement des campagnes et actions syndicales,
nationales pour sa politique générale et sa en collaboration avec d’autres services de la
participation à des publications et activités Confédération, sans parler des coulisses des
nationales ; les responsables francophones évolutions technologiques.
de la Confédération et les instances de la CSC
francophone, en ce compris les secrétaires
fédéraux et les responsables francophones des Avant les années 1980
centrales, pour l’hebdomadaire des affilié·e·s,
la propagande et les publications (et autres « La préoccupation d’avoir des organes de
activités) liées aux campagnes et actions de presse intéressants, compétents, attractifs
la CSC en Wallonie et à Bruxelles. existe depuis l’origine du mouvement syndical.
Il lui faut des instruments capables de véhi-
Le travail du service Presse, Information et culer son idéologie, de diffuser ses informa-
Propagande ne consiste pas tant à exécuter tions vers les membres et de faire remonter
des directives qu’à traduire au mieux les orien- celles de la base. »3 Lors de leur création au
tations et la volonté de la CSC en matière début du 20e siècle, les fédérations de métier
d’information dans des publications et autres (qui deviendront par la suite des centrales)
démarches de communication. En ce sens, il se mettent rapidement à publier leur propre
dispose d’une réelle autonomie. Il apporte journal. Ce sont les débuts d’une presse
aussi ses compétences et son savoir-faire syndicale qui prendra très progressivement
pour proposer des contenus pertinents et des une dimension interprofessionnelle après la
outils aux affilié·e·s et militant·e·s, et aux orga- constitution de la Confédération en 1912. Son
nisations. Cela demande une « coopération », histoire est mouvementée, faite de créations
parfois conflictuelle, qui prend des formes et de disparitions de divers titres.
variées, par exemple : l’aval des responsables
des fédérations et des centrales sur les plans Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
de travail, la consultation des organisations sur les affilié·e·s flamands reçoivent De Volksmacht,
les campagnes (élections sociales, campagnes l’hebdomadaire du mouvement ouvrier chré-
de mobilisation, de sensibilisation...) via la tien en Flandre (devenu Visie en 1994), dont
commission de propagande, d’accompa- une partie du contenu est réservée au syndicat.
gnement des élections sociales, ou autres, En Wallonie, des secrétaires régionaux wallons
selon l’époque. et des propagandistes de centrales fondent, un
peu avant la guerre, Au Travail asbl. Elle édite à
Ceci constitue en quelque sorte les coulisses Charleroi l’hebdomadaire Au travail qui devient
de l’information et de la communication de la l’organe des syndicats chrétiens. Il est diffusé
Chapitre 3 - L’information syndicale : multiple, foisonnante et sous tension 387
aux affilié·e·s ouvriers francophones. En 1952, d’une part, de réunir les responsables des
Au travail déménage à Bruxelles. publications francophones pour « assurer
la coordination pour ce qui concerne les
À partir de la fin des années 1920, la CSC thèmes interprofessionnels et […] proposer
adresse aussi des publications à ses mili- des mesures dans la perspective d’une unifi-
tant·e·s. Celles-ci donnent finalement nais- cation des publications afin d’accroître leur
sance, en 1972, à Syndicaliste CSC, une édition efficacité à porter le mouvement tout entier ».
nationale incluant des pages régionales. Le D’autre part, chaque organisation de la CSC en
service syndical des femmes, mis en place Wallonie est chargée de développer une poli-
après la Seconde Guerre mondiale, a son tique d’information en liaison avec le service
propre bulletin pour les militantes : Vrouwen Information de la CSC. Il est aussi question
aan de arbeid (1950-1981) et Femmes au Travail de mettre en place « des groupes de travail
(avril 1966-1977). Parallèlement, la CSC réalise rassemblant adhérents, militants et perma-
des émissions de radio et, à partir de 1971, de nents pour faire des propositions pour une
télévision. meilleure politique d’information externe »5.
publique8. La nécessaire synergie entre infor- Dans le même souci de cohérence, le congrès
mation, formation et animation est rappelée de 2002 plaide pour une complémentarité des
dans les résolutions du congrès de 19989. médias édités par les centrales avec les deux
hebdomadaires syndicaux : Visie et L’Info12. Au
À partir des années 2000, le souci principal est congrès de 2006, les services de presse et d’in-
de « donner plus de cohérence et d’efficacité à formation sont appelés à essayer de faire d’Info
la communication ». Le congrès de 2002 « recom- (et CSC Info en allemand) et de Visie un journal
mande l’élaboration d’une véritable politique à destination de tous les affilié·e·s ou tout le
nationale de communication à moyen terme », moins à assurer une meilleure coordination des
assortie d’objectifs opérationnels annuels10. journaux existants.
Cette recommandation conforte le changement
de cap donné en 1999 pour la campagne pour La préoccupation pour la cohérence, nationale,
les élections sociales, qui devient nationale et dans la communication revient dans les réso-
commune à toutes les organisations (cf. infra). lutions du congrès de 2015 : « Nous améliore-
Sans doute cette politique nationale de commu- rons la visibilité et la cohérence de l’image de
nication est-elle un processus lent, puisque, la CSC via les mesures suivantes : a. la création
en 2006, le congrès « charge plus particuliè- d’un réel style graphique maison uniformisé et
rement ce service [de presse et d’information] appliqué de manière cohérente dans toutes les
d’élaborer un plan de communication intégré, régions du pays afin de renforcer notre image,
tant pour la communication interne que pour un sentiment d’appartenance et d’améliorer la
la communication externe ». Décision réitérée confiance…»13. C’est donc surtout sur l’image
au congrès de 2010, notamment pour « offrir graphique unifiée que la CSC compte pour faci-
un contrepoids aux médias qui ne prêtent pas liter l’identification à l’organisation. Les congrès
suffisamment attention à notre message en tant de 2010 et 2015 inscrivent aussi dans les priorités
que syndicat, ou ne nuancent pas suffisamment le développement de l’Internet et des applica-
notre position »11. tions numériques.
Quelle proximité
Une du dernier numéro
avec les affilié·e·s ?
d’Au travail, 27 avril 1984.
Au début des années 1980, la CSC porte une
attention accrue à la variété des attentes
d’un public syndical hétérogène, qui appelle
à diversifier le message syndical pour élargir
le champ d’influence du syndicalisme chré-
tien. Cette diversification est surtout lisible
dans Au travail. L’hebdomadaire des affilié·e·s
des centrales ouvrières « s’ouvre à un certain
nombre de préoccupations qui n’étaient pas,
au départ, nettement syndicales (consomma-
tion, nouvelles pauvretés, endettement des
particuliers, cinéma, télévision, BD, etc.) »15.
S
yndicaliste CSC naît en 1972 de la fusion
de deux publications destinées aux
militant·e·s : le Bulletin CSC, bimensuel
traitant de l’actualité syndicale et des
positions de la CSC, et Le conseiller d’entreprise,
qui s’adressait aux élu·e·s CSC dans les entre-
prises. Il est publié en français et en néerlandais.
« Dès le départ, il fut convenu de mettre l’ac-
cent tour à tour sur des problèmes spécifiques
de l’entreprise et sur les problèmes syndicaux
interprofessionnels »25. De ce fait, l’édition du
10 du mois était essentiellement consacrée
à l’action dans l’entreprise et celle du 25 du
mois, centrée sur l’action interprofessionnelle,
et ce jusqu’en 1997. L’abandon de cette distinc-
tion formelle n’a pas empêché de maintenir un
équilibre entre ces deux dimensions.
l’action syndicale et réédité tous les quatre ans maquette, d’organisation des rubriques, et ce au
à l’approche des élections sociales, tout comme service de son rôle d’outil pour l’action des délé-
le guide pratique Rôle et compétences du comité gué·e·s et militant·e·s. Dans les années 2010, la
pour la prévention et la protection au travail, du formule évolue davantage vers le magazine, avec
conseil d’entreprise et de la délégation syndicale. des collaborations rédactionnelles avec l’Info.
Syndicaliste CSC joue aussi un rôle central dans Syndicaliste CSC fait plus qu’informer, il
la préparation et le suivi des congrès de la CSC. soutient les campagnes de la CSC. On pense
Il publie les documents de travail préparatoires, aux campagnes pour les élections sociales, dans
ainsi que les résolutions approuvées (dès 1974). lesquelles il propose au fil du temps une gamme
Il propose aussi des articles explicatifs sur les de plus en plus large d’outils pour recruter des
problématiques abordées et des interviews candidat·e·s et pour mener la campagne élec-
d’équipes syndicales pour les illustrer. Il est mis torale au niveau de l’entreprise. Il y a aussi les
à contribution de la même manière à l’occa- campagnes de sensibilisation et d’action menées
sion des assemblées et des congrès des comités par la CSC. À titre d’exemple, relevons l’Opération
régionaux et communautaires de la CSC. « Marguerite », en 1988, et la campagne « Travail
décent » entre 2008 et 2010, qui témoigne aussi
Syndicaliste CSC, devenu Syndicaliste en 2002, de l’attention pour la dimension internationale
connait plusieurs changements de format, de de l’information syndicale
Page de couverture de :
« Guide de législation
sociale », Syndicaliste,
n° 718, numéro spécial,
10 avril 2010.
Chapitre 3 - L’information syndicale : multiple, foisonnante et sous tension 393
À
l’automne 2008, une large
coalition regroupant les
syndicats et de nombreuses
organisations non gouvernemen-
tales annonce une campagne de
deux ans en faveur d’un travail
décent partout dans le monde. Un
salaire qui permet de vivre décem-
ment, le droit à une protection
sociale, la liberté d’association
sont les principaux piliers du travail
décent. Tout au long de la campagne,
Syndicaliste informe les délégué·e·s
et militant·e·s sur les enjeux de la
campagne et sur les outils mis à leur
disposition pour y participer active-
ment. Dès février 2009, il présente
le calendrier des actions concrètes :
signature de « cartes d’action »,
négociation dans les entreprises sur
un code de conduite, interpellation
des employeurs.
Au début des années 2010, la communication Dans les années 2010, la CSC crée un bulletin
interne est analysée et un nouvel objectif pour informer permanent·e·s et délégué·e·s
s’ajoute aux buts traditionnels : « Améliorer la sur les négociations interprofessionnelles.
circulation de l’information et la communica- D’abord intitulé AIP-news puis G10-news, il
tion pour obtenir l’adhésion du personnel »30. devient CIP-news (nouvelles de la concertation
Cette communication interne « se focalise sur interprofessionnelle). « Ce bulletin d’informa-
les informations vitales pour le bon fonction- tion est destiné à n’être diffusé qu’en interne,
nement de l’organisation ».31 Deux initiatives au sein de la CSC. Il ne doit pas être diffusé à
sont prises à destination du personnel : une tous vents. Pour nous, impliquer nos délégués
page intranet « Le monde change, nous aussi » dans la concertation interprofessionnelle dès
et, à partir de décembre 2012, la lettre d’infor- ses débuts fait partie de la démocratie interne
mation électronique « Double clic ». telle que nous la concevons. »32
L
a préparation du 100e anniversaire du point de départ d’une « pratique permanente
syndicalisme chrétien (1986) est l’oc- de marketing social dans le sens du rappro-
casion pour la CSC de s’interroger sur chement avec nos publics syndicaux »33. La
la façon dont elle est perçue par ses campagne des élections sociales de 1987 s’ins-
affilié·e·s et dans l’opinion publique. La CSC crit dans cette ligne, sous le thème « CSC. La
francophone commande une étude d’opinion voix qu’on écoute », décliné en trois slogans :
qualitative à l’INUSOP, l’Institut universitaire « D’abord construire », « Responsable » et
de sondage de l’opinion publique. L’étude « Solidaire ». Dans la foulée et suite aux bons
montre notamment qu’en période de muta- résultats aux élections sociales, la CSC fran-
tion, « il est reconnu que la CSC est adaptée cophone mène une campagne pour recruter
à ces changements et qu’elle apparaît comme de nouvelles et nouveaux affilié·e·s ; c’est
ouverte, positive, préférant la négociation et la l’« Opération Marguerite », soutenue par une
concertation comme moyen d’action ». C’est le large mobilisation.
Chapitre 3 - L’information syndicale : multiple, foisonnante et sous tension 397
Opération « Marguerite » :
l’information au service d’une campagne
d’affiliation
« Guide de
législation
sociale »,
Syndicaliste,
n° 718, numéro
spécial,
10 avril 2010.
L
ors des élections sociales de 1987, la CSC francophone se renforce dans les
entreprises. Sur cette lancée, elle décide, après consultation des centrales et
des fédérations, une campagne de recrutement. La Commission de propagande
élabore un plan de campagne qui vise en particulier quatre publics : les travailleurs
et travailleuses des PME, des services publics (en ce compris les enseignant·e·s),
les « sympathisant·e·s » (c’est-à-dire les non affilié·e·s qui ont voté pour la CSC aux
398
élections sociales) et les sans-emploi. Pendant l’automne 1987, des groupes de travail,
qui impliquent des services de la Confédération et des centrales, définissent les
démarches spécifiques à mener vers chacun de ces publics. Le thème : « Pour vous,
par vous, partout – la CSC, vous y êtes. » Et le lien se fait avec la campagne d’année
des Femmes CSC sur l’égalité.
Dans son rapport d’activité 1987-1988, la CSC constate : « En attendant les résultats
d’une évaluation approfondie de l’Opération « Marguerite », on peut dès à présent
constater que la campagne a donné lieu dans de nombreuses régions à des réunions
d’information, des animations dans les zonings, files de pointage35, etc. »36.
La CSC poursuit la réflexion sur son image et sa n° 1 : l’emploi. Une bataille à gagner ensemble ».
communication : en 1991, elle commande une Ces campagnes pour les élections sociales sont
nouvelle recherche au CECOM, Centre d’études menées sur des thèmes et avec des slogans
en communication de Louvain-la-Neuve38. Sur propres à la CSC francophone tout au long des
cette base, elle consulte ses organisations en années 1980 et 1990. Entretemps, le recours à des
1992-1993. Elle garde une approche souple, dans agences de conseil en communication pour ces
la mesure où, à chaque élection sociale, moment campagnes est devenu systématique, non sans
fort de la propagande, l’image et les slogans sont difficulté : en 1994-1995, les divergences de vue
construits sur les priorités du moment. En 1991, sont telles que la CSC met fin aux services de
c’est le rôle des délégué·e·s, « pièces maîtresses l’agence et s’appuie sur ses compétences propres
du puzzle social ». En 1995, ce sont l’emploi et pour construire la campagne. Changement de
le développement régional : « Ma préoccupation cap en 1999 : « Pour les élections sociales de
Chapitre 3 - L’information syndicale : multiple, foisonnante et sous tension 399
mai 2000, l’option a été prise de mener une suivent un même concept graphique. Cette cohé-
campagne nationale, commune à toutes les rence permet bien entendu de mieux identifier
organisations, dans toutes les régions du pays. »39 la CSC et d’accroître ainsi son rayonnement »40.
À partir de 2004, le slogan de base « Notre boulot, Le style maison ne s’applique pas qu’aux publi-
défendre le vôtre » est repris à chaque élection. cations : « Pour renforcer le style maison de
Il est décliné sous une dizaine de thèmes liés à la CSC, du nouveau matériel (tente, stand de
l’action syndicale dans l’entreprise. salons, drapeaux, manteau quatre-saisons…) a
été mis à la disposition des organisations »41. Les
Quelle image commune la CSC veut-elle mettre concepts d’image de marque et de style maison
en avant ? Elle est « essentiellement déter- sont particulièrement mis en avant en Flandre42.
minée par les actions que nous menons, le Dans les années 2010, la question de l’image de
programme que nous défendons, nos prises marque est soulevée à propos du recrutement
de positions et les services que nous rendons et de la fidélisation des membres : « Au sein du
à nos membres ». La CSC veut se positionner groupe de communication national ‘membres’,
« comme un syndicat moderne et efficace ». Elle un groupe de travail se penche depuis quelque
ne ménage pas ses efforts « pour améliorer ‘le temps sur l’image et le marketing. Des proposi-
style maison’. À ce jour, bon nombre de publica- tions de nouvelles initiatives dans ce domaine
tions interprofessionnelles et professionnelles sont en discussion »43.
comme canal d’information et de modulation En effet, ces programmes étaient plus vécus
de l’opinion publique incite la CSC à outiller comme une épine dans le pied de la chaîne de
ses dirigeant·e·s et ses militant·e·s à cette fin, service public que comme une véritable occa-
ainsi qu’à calibrer le discours syndical. Dès le sion d’affirmer ses devoirs de service public.
milieu des années 1980, le service Presse note Suite à l’insistance et à plusieurs démarches
qu’« un phénomène assez nouveau se déve- entreprises par les associations, le dialogue a
loppe sur le terrain de l’action syndicale. Les enfin pu être renoué avec la RTBF. De celui-ci
“praticiens de base” ressentent le besoin de est né le projet de refonte des émissions sous
débattre de l’information, pour mieux cerner un seul label commun : le magazine Opinions.
les enjeux qu’elle représente ». Des sessions En radio, Socialement Vôtre traite des moments
d’animation sont donc organisées avec un importants de la vie syndicale tous les quinze
certain succès et incitent à déployer une jours, dans un format de sept minutes50.
méthode de travail46. Dans les années 1990, le
service Presse organise à l’intention des diri- Dans la presse d’opinion
geants de la Confédération des formations à Face aux médias télévisés et radiophoniques,
la communication et à l’expression devant les la presse écrite reste une importante caisse de
médias, en collaboration avec la FEC47. Avec résonnance de l’action syndicale. Outre les jour-
quelle intensité les dirigeants syndicaux inter- naux bien installés dans le paysage médiatique
viennent-ils sur les plateaux télévisés et en francophone comme Le Soir, La Libre Belgique,
radio ? Comment se répartissent-ils la prise Vers l’Avenir, etc., le syndicalisme chrétien est
de parole (ex : répartition entre le secrétaire doté d’un canal privilégié avec le journal La
général et le président) ? Répondre à ces ques- Cité51. Né en 1950, celui-ci a pour vocation d’ex-
tions est un chantier à part entière et néces- primer la voix des travailleurs chrétiens wallons
siterait des recherches approfondies sur le dans un espace médiatique francophone trusté
long terme. Sans pouvoir présumer qu’il s’agit par une presse soit conservatrice, soit neutre,
d’une situation applicable à d’autres périodes, soit régionaliste, soit socialiste. À l’époque,
l’Observatoire belge des inégalités dresse un les démocrates-chrétiens flamands disposent
tableau où la présence syndicale est particu- déjà de leur propre organe de presse depuis
lièrement faible sur les radios de la RTBF ; en près de 60 ans, avec le journal Het Volk, créé
2014-2016 ; elle est même inférieure au taux en 1891 et devenu le journal de l’ACW en 193552.
d’interventions patronales et, a fortiori, à celle Que le MOC et ses organisations constitutives en
des hommes et femmes politiques, qui reste disposent d’un devient une évidence. Au début
prépondérante48. des années 1980, La Cité est déjà en déclin, ne
dépassant pas les 14 000 exemplaires journa-
Par ailleurs, la CSC est elle-même productrice de liers. Son format et sa structure sont révisés à
contenus pour les médias à large diffusion. En plusieurs reprises ; en 1987, le quotidien devient
1984-1985, elle produit cinq à six émissions télé- un hebdomadaire ; plus d’une fois, il est proche
visées par an, qu’elle diffuse sur les antennes de disparaitre, jusqu’à sa liquidation en 1995,
de la RTBF et qu’elle utilise lors des rencontres soit quelques mois après que l’ACW ait, pour sa
d’étude et de formation : il s’agit d’émissions part, vendu Het Volk.
concédées par la RTBF dans le cadre de ses
missions de service public, une politique qui La Cité est un journal d’opinion de centre-gauche
est menée, pour la télévision, depuis 197149. qui invite ses lecteurs et lectrices à une lecture
Cette pratique des émissions concédées ne va critique et participative et qui, sans méconnaitre
pas de soi. En 2004-2006, la CSC fait le constat les liens fondateurs avec le mouvement ouvrier
du manque d’attention accordée aux émissions chrétien, assume une indépendance rédaction-
concédées par les responsables de la RTBF. nelle de ses journalistes par rapport au MOC et
Chapitre 3 - L’information syndicale : multiple, foisonnante et sous tension 403
Le Matin
(fusion de La Wallonie Gauche au sens large 2001
et du Peuple)
L
e souci de visibiliser et de soutenir l’action des groupes spécifiques traverse
les époques et se retrouve dans toutes les productions du service Information.
Quelques exemples. Fidèle à deux objectifs de l’information syndicale dans
les années 1980, « capter le vécu des gens » et apporter le soutien aux campagnes
interprofessionnelles, Info CSC veille à « la mise en évidence permanente de l’action des
services spécifiques de la Confédération (jeunes, femmes, sans emploi, migrants) »57.
Dans les années 1980, Au travail et ensuite Info CSC publient régulièrement des
articles qui présentent l’actualité du service syndical des femmes ; ils traitent une
série de questions autour du travail et des revenus féminins (discrimination, égalité
salariale, chômage, temps partiel…), œuvrant ainsi à la sensibilisation des lecteurs et
lectrices. Le mouvement Jeunes CSC passe de la parution d’une page dans Au travail,
à partir de novembre 1981, à un trimestriel Écho des luttes Jeunes CSC encarté dans
l’hebdomadaire. L’Action des sans-emplois a également son trimestriel, Chôm’actif,
à partir de novembre 1983. Quant aux travailleurs et travailleuses migrants, après
les grandes mobilisations contre le racisme des années 1981-1982, l’hebdomadaire
de la CSC publie en 1983, une série intitulée Qui a dit que… ? pour déconstruire les
stéréotypes qui contaminent la société et donc aussi pour sensibiliser les affilié·e·s
de la CSC58. Près de 20 ans plus tard, en 2002, la nouvelle formule de l’Info réserve
aux groupes spécifiques une place dans deux rubriques : Sur le terrain, qui fait
notamment écho aux initiatives locales des groupes spécifiques, et L’autre info,
où trouvent leur place des « sujets relatifs, entre autres, aux actions des groupes
spécifiques »59.
Quant aux émissions TV, la CSC produit notamment entre 1998 et 2000 : On n’engage
plus, engageons-nous, qui donne la parole à des Jeunes CSC et Rencontres atypiques
sur la démarche d’éducation permanente des Femmes CSC autour des contrats
atypiques63.
Chapitre 3 - L’information syndicale : multiple, foisonnante et sous tension 407
En conclusion :
expertise et lecture critique
de la société au service de l’action
À
la fin des années 1970, la CSC dispose l’idéologie néolibérale. Elle relaie en effet le
d’un large éventail de médias syndi- (contre-)discours du monde du travail. Elle
caux pour informer ses affilié·e·s, inscrit les événements dans une autre vision du
ses militant·e·s et ses permanent·e·s. monde, dans un autre projet de société. Il s’agit
Pour atteindre un public plus large, elle entre- de renvoyer aux membres de la CSC une image,
tient des relations suivies avec la presse écrite et collective, qui leur rend leur dignité et la renforce.
audiovisuelle et produit des émissions de radio En parlant des réalités vécues par les travailleurs
et de télévision diffusées par le service public. Au et travailleuses avec ou sans emploi, la presse
milieu des années 2010, ces outils et démarches syndicale soutient aussi le travail syndical de
sont toujours bien vivants ; en complément, le terrain, un travail de l’ombre le plus souvent,
syndicat investit dans de nouveaux supports mené dans la perspective de défendre et de
médiatiques, basés sur les technologiques numé- construire des droits pour tous et toutes.
riques (site Internet, intranet). Les buts n’ont pas
fondamentalement changé. D’une part, il s’agit Une telle lutte impose à la CSC de travailler la
de proposer une grille de lecture critique des cohérence et l’efficacité de son information. À
enjeux socio-économiques, culturels, environ- cette fin, le syndicat chrétien modernise ses
nementaux, etc. qui se vivent par les travailleurs canaux de transmission. Mais il s’attelle aussi
et travailleuses avec et sans emploi localement, à produire une information qui construit une
aux plans régional, national et international, de unité de vue tout en intégrant des évolutions
soutenir l’action collective et de les outiller dans du monde du travail caractérisées par la diver-
cette perspective. D’autre part, la presse syndicale sité des réalités (ex : multiplication des (sous-)
a aussi ce rôle de cohésion au sein des affilié·e·s, statuts), et l’émergence de nouvelles préoccu-
des militant·e·s, par le partage d’informations et pations des travailleurs et des travailleuses sans
de valeurs communes, voire la volonté d’attirer emploi. De cette cohérence et cette unité de vue
de nouvelles et de nouveaux membres. dépend sa capacité de mobilisation.
La tâche n’est pas aisée, surtout que, en une Ce survol de l’information et de la communica-
quarantaine d’années, le contexte socio tion de la CSC est partiel, c’était annoncé et c’est
économique, politique et médiatique, se trans- inévitable. Il reste des zones à explorer et des
forme profondément. La dissipation d’une presse questions à approfondir. Nous pourrions ainsi
d’opinion de gauche déséquilibre les rapports de ouvrir des chantiers sur la place des femmes
force entre tendances idéologiques. Les porte- dans l’information syndicale, sur les manières
voix habituels des travailleurs et travailleuses de capter le vécu des travailleuses et travail-
avec et sans emploi deviennent marginaux et, leurs avec et sans emploi « à la base » pour le
avec eux, les analyses et les opinions syndi- faire « remonter » dans l’organisation, sur les
cales. À cet égard, cette contribution postule pratiques de communication syndicale sur les
que l’information syndicale est au cœur d’une lieux de travail, y compris les plus éclatés... et bien
bataille culturelle. La presse syndicale dénonce d’autres qui viendront à l’esprit des lectrices et
et combat avec ses moyens la domination de lecteurs restés sur leur faim. ||
408
Notes
1 Nous remercions Jacques Debatty et François Welter pour 23
Ibid., p. 1.
la lecture attentive de cet article.
24
CSC. Rapport d’activité 2006-2008, Bruxelles, (2008), p. 74.
2
Enquête auprès des secrétaires fédéraux et des respon-
sables francophones des centrales sur la communication 25 « Syndicaliste CSC, une étape dans... un parcours semé
de la CSC, Bruxelles, automne 1993, p. 5. d’embûches », dans Syndicaliste CSC, n° 250, 10 novembre
1985, p. 7.
3 ARHOP, Cent ans de syndicalisme chrétien, Bruxelles,
C
CSC, 1986, p. 129. 26 CSC. Rapport d’activité 1981-1984…, p. 65.
12
« Congrès CSC 17-19 octobre 2002. Les priorités pour les 36
CSC. Rapport d’activité 1987-1988…, p. 64.
4 prochaines années », Syndicaliste, n° 583, 10 avril 2003,
p. 46. 37 Telex, 19 février 1988, p. 4 et 8.
15
CSC. Rapport d’activité 1981-1984, Bruxelles, (1984), p. 63. 41 CSC. Rapport d’activité 2008-2010…, p. 80.
16
CSC. Rapport d’activité 1984-1985…, p. 65. 42 Voir les Rapports d’activité de la période 1996-2006.
17
CSC. Rapport d’activité 1987-1988, Bruxelles, (1988), p. 63. 43 CSC. Rapport d’activité, 2012-2014…, p. 54.
18 CSC. Rapport d’activité 2002-2004, Bruxelles, (2004), p. 76. 44 CSC. Rapport d’activité 1981-1984…, p. 63-64.
49
CSC. Rapport d’activité 1984-1985…, p. 67.
50
CSC. Rapport d’activité 2004-2006…, p. 87-88.
53
CSC. Rapport d’activité 1994-1996…, p. 72 ; CSC. Rapport
d’activité 2002-2004…, p. 74.
55
CSC. Rapport d’activité 1994-1996…, p. 68-69 ; CSC. Rapport
d’activité 1996-1998…, p. 84.
56
CSC. Rapport d’activité 2012-2014…, p. 53-54.