Senegambie Un Concept Historique Et Soci

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8 PETER JVÍARK and JOSÉ DA SILVA HORTA

MarJc Peter J o s é da Silva Horta. , „ P r e s s ™ _ zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA


Commumties in West Africa an7 the t\ D í a S P o r a :

LA SÉNÉGAMBIE:zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIH
U N C O N C E P T H I S T O R I Q U E E T S O C I O C U L T U R E L E T UN
Cambndge: Cambridge Univers.tyPrefs g ° f M a n t i c ^orld zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
O B J E T D ' É T U D E RÉÉV A L U E S '

EDUARDO COSTA DIAS ET JOSÉ DA SILVA HORTA

L
a session "Trade, Traders and Cross-cultural relationships in Greater
Senegambia: From the Historical Background to the Dynamics of the
Present" dont les contributions paraissent dans ce numero spécial du
Journal of Mande Studies a été conçue dans le cadre d'un projet de recherche
cadré sur la "Grande Sénégambie." Cette méta-espace encadre en partie le
2

Mande en tant qu'espace historique et culturel; on pourrait dire même qu'il n'y
aurait eu de "Grande Sénégambie" sans le Mande. De toute façon nous croyons
que la présentation de ce concept à la fois spatial et socioculturel peut servir de
contribution utile pour la compréhension du monde mande.
Dans notre experience personnelle, nous nous affrontons toutefois três
souvent à un conflit méthodologique qui oppose le besoin d'utiliser certains
concepts partagés par la communauté scientifique générale et la necessite de les
adapter aux contextes spécifiques definis par 1'objet de (notre) étude. En effet, ce
processus dialectique est três évident dans le cas sénégambien, oú nous sommes
depuis toujours confrontes, d'un côté, avec des affirmations documentées et
'scientifiques' sur une Sénégambie en tant que totalité, mais dont les contours ne
se trouvent pas definis et, d'autre côté, avec la constatation, sur le terrain et dans
les sources historiques, de la diversité que presente cette même unité territoríale
vue de 1'intérieur.
Cest donc surprenant que nulle part, même après des siècles de discours
ethnographiques, géographiques et historiques sur 1'Afrique ouest atlantique,
peut-on trouver que ce support méthodologique ait été élevé, lui-même, à un
objet de conceptualisation et de définition épistémique. Une exception
importante est la définition de Sénégambie en tant que "Grande Sénégambie"
proposée par Boubacar Barry, laquelle est le point de départ de notre recherche,
3

quoique que sa contribution ne soit pas, forcément, notre point d'arrivée.


A ce point dans nos réflexions, nous avons elabore un corpus d'hypothèses
par le moyen desquels nous pensons arriver à la construction d'un concept dont
on pourra tester les limites. Cela veut dire, du point de vue du procès historique
qu'il pourrait aider à comprendre, à savoir, la diachronie d'un espace produit par
1'homme, et aussi les limites de ce que, dans le contexte hétérogène du Nord-
ouest africain, ce cadre conceptuel peut apporter, c'est à dire, ce que reste
extérieur à la dynamique centripète de la Grande Sénégambie. On essayera aussi
de démontrer, en dernier ressort, qu'on ne peut plus parler d'une Sénégambie en
tant qu'unité spatiale après le milieu du X I X siècle, mais malgré cette
e

discontirmité historique quelques unes de ses fonctionalités se maintiennent


encore aujourd'hui.

Mande Studies 9 (2007) pp. 9-19


; j0 EDUARDO COSTA DIAS ET JOSÉ DA SILVA HORTA LA SÉNÉGAMBIE 11

Lespremières questions s'imposent: qu'est-ce que c'est que la Sénégambie politiques. Ils ont servi de pont indispensable entre les marchants africains et les
et quelles sont ses limites? rharchants européens. Si, comme nous le verrons, 1'islam a joué un role importam
Boubacar Barry concevait une Sénégambie élargie se bornant entre les pour relier ces communautés marchandes locales, musulmanes ou non
vaílées du Senegal et Gambie au Nord, les contreforts orientaux du Fuuta Jalon musulmanes, le processus de construction du Luso africanisme a apporté à la
à I'Est et la vallée de la rivière Kolenté au Sud - une limite qu'il faudra repenser. région un nouveau facteur, non négligeable, dans la médiation des liens
II conçoit ce grand espace comme un "pays," "le pays de Rencontres et de commerciaux : le Christianisme et même à une moindre échelle, dans le temps,
5

Dispersions" (Barry 1988: 25). Pour nous, la Grande Sénégambie est un espace et 1'espace, le Judaísme. Ces nouvelles religions, arrivant surtout par la mer (le
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catalyseur, un enorme carrefourde commerce oú la diversité économique, sociale cas du Judaísme est discutable sur ce point), , et même en apportant une plus
7

et politique mobilise les différences, pour nourrir un macrosystème social base grande diversité, n'ontpas mal renforcé, en homologie avec le cas de 1'Islam, les
sur des intérêts mercantiles communs; voir un fonctionnement articule qui processus d'intégration essentiels à 1'existence d'un vaste espace de circulation
produit un espace en commun. Cest dans ce sens que nous proposons que la
de personnes et des biens, base soit sur la convivialité et convenance, soit sur la
Sénégambie doit être comprise comme un espace de "convivialité et convenance"
complémentarité et transition.
et de "complémentarité et transition."
La dynamique des diversités spécifiques, cette articulation des composants
Une "convivialité" entre une pléthore três riche d'identités ethniques et qui constituent la totalité "Sénégambie," rinfluence des routes du commerce
espaces politiques et religieux et une "convenance" dans la mesure oú les intra-régional, qui s'articulent avec les axes transsaharien et atlantique, est
equilibres internes sont inscrits dans le propre génome commercial constitutif de susceptible d'être repérée au-delà des frontières méridionales définies par
ce noeud, qui vit de la stabilité et respect mutuei entre les pouvoirs établis (par Boubacar Barry, notablement le fleuve Kolente. Cest bien le cas du Nord-ouest
exemple, les Maures et Peuls au Nord, les Wolof dans la région-septentrionale et de 1'actuelle Sierra Leone (la contribution de Allen Howard, ci-dessous, en
les Mande au Sud). Mais aussi une "complémentarité" commerciale, témoigne clairement). La "Serra Leoa" des Portugais et des Luso-africains (bien
géographique et économique entre les différents systèmes sociaux à 1'intérieur de plus élargie à ses limites nord que l'actuelle Sierra Leone) faisait bel et bien
la Sénégambie et le besoin de la regarder comme un espace de "transition" entre partie d'un même espace ouvert à I'Atlantique qui fonctionnait comme un
1' Atlantique et le cceur du continent africain, entre le Sahara et la forêt, entre 1' Islam ensemble soit avec ses liens aux axes commerciaux terrestres et intérieurs, soit
et les religions autochtones. En fait, Barry a souligné que cette méta-région est avec les routes maritimes côtières directes entre le Nord et le Sud de la Grande
celle qui, dans le contexte géographique de 1'Afrique de 1'Ouest, a été la plus
Sénégambie. Dans ce sens, et au moins dans un premier moment, pour definir
8

fortement touché par 1'arrivée des Européens par 1'Atlantique; non seulement en
des limites de la Sénégambie vers le Sud, i l faut adopter une gradation entre les
tant qu'objet de convoitise des marches occidentaux d'esclaves, mais surtout
frontières, ou mieux dirait-on, avec Barry et Thioub, les fronts, humains d'une
parce qu'elle a démontré une consistante attitude d'ouverture vers le commerce
" Sénégambie nucléaire" et des "Sénégambies" périphériques. Par exemple, une
atlantique. On peut dire même que la Grande Sénégambie a été construite en toute
Sénégambie nucléaire qui arriverait jusqu'aux fleuves Corubali-Cacine versus
sa puissance au fur et à mesure du développement des contacts commerciaux dans
les régions plus méridionales, même jusqifà la Sierra Leone, oú se situent les
les espaces côtiers et la basse cours des rivières. Cest cet engagement croissant
terminaux mercantiles qu'établissent les rapports avec la forêt dans le commerce
de ceux-là dans les troes océaniques qui a élevé sa condition au dépens des
du kola. Ici la forêt est une frontière, mais aussi une charnière, comme on peul le
périphéries, soit envers 1'interface sahélíenne saharienne, au Nord et à l'Est, soit
vérifier dans le cas du commerce qui contourne les régions forestières pour y
dans la dynamique du réseau mande qui est reste toujours loin des zones côtières,
rentrer de nouveau, circuit dans lequel les Jakanké ont eu historiquement, en tant
du moins si l'on pense aux centres de redistribution de commerce situes bien à
l'intérieur de 1'Afrique Occidental, à lamarge des forêts. que principaux agents, un role fondamental. 9

En plus du kola ou de 1'indigo, denrées fondamentales pour tous les


En effet, les formes de contact euro-africain qui ont eu lieu dans cet espace échanges en direction du nord et de 1'intérieur des milieux de savane, d'autres
ont présupposé un modele de construction identitaire à la fois inclusive et fluide marchandises du marche intra-régional accompagnent aussi cette dynamique
qui a permis la création de groupes et de sociétés métissées, notamment les Luso- mercantile. Aussi de nouveaux liens commerciaux se sont désormais établis par la
africains spécialisés dans la médiation commerciale. Ces groupes offrent des
4
mer, reliant directement les cotes de 1'actuelle Guinée-Conakry et du nord de Ia
traits spécifiques par rapport à d'autres groupes de luso-africains dans les autres Sierra Leone aux ports plus au Nord, de la région de la Guinée-Bissau et le nord
espaces de présence portugaise comme 1'Angola, et avec les luso-descendants ont de la Sénégambie. Cette innovation dans les Communications n'affaiblit pas les
fini par constituer une identité ethnique parmi les autres de la région. lis se sont routes africaines intérieures et fluviales, mais renforce plutòt le marche et les
montrés essentiels pour approfondir les liens économiques, sociaux, culturels et zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
complémentarités entre les sous-régions de la Sénégambie, ce qui rend les
12 EDUARDO COSTA DIAS ET JOSÉ DA SILVA HORTA LA SÉNÉGAMBIE 13
entreprises plus diversifiées et les relations humaines plus intenses. Bref, cette Un deuxième groupe de questions porte naturellement sur le role de
ouverture vers FAtlantique a donné plus de consistance à une unité spatiale qui Fexpansion de 1'Islam dans la construction de la Sénégambie. L'on peut toujours
prenait forme sur les routes préalables à la présence européenne. Ce changement s'interroger non seulement sur Fimportance de Fislam dans cette construction,
valorise les axes commerciaux antérieurs. II ne faut pas oublier le phénomène de mais aussi sur son role comme agent d'intégration et de normalisation. En effet,
1'apparition des ports dans les cours inférieurs des rivières oú avant i l n'y avait il n'est pas seulement douteux que Fislam se soit généralisé dans toute la
eu que des ports de communication au niveau local et inter-fleuve. Sénégambie, comme surtout, on peut trouver différentes conceptions et pratiques
Mais si cettte ouverture sur FAtlantique augmente les effects des ressources religieuses dans le propre Islam (voir Costa Dias 1999). Même si nous
existantes, elle a aussi un effet dezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
transformation. Une telle ouverture sur 1'océan considérons une conception minimaliste (et à notre avis réductrice) du
change profondément 1'organisation des espaces marchands côtiers. Avec macrosystème social sénégambien (entre les fleuves Senegal et Combali), on peut
Finvention de FAtlantique comme espace utilisable et pas seulement comme trouver déjà, par exemple dans les X V et X V P siècles, au moins deux structures
C

espace cosmologique, i l devient nécessaire de créer de nouvelles structures et de islamiques. L'une se trouve déjà inscrite clairement dans les tissus sociaux wolof,
nouvelles fonctions. L ' "alcaide," "alcade" ou "alkair," qui s'affirme dès la oú le marabout de la "cour" synthétise le role politique de Fislam et la présence
seconde moitié du X V siècle, est un exemple paradigmatique en tant que figure
e
récurrente des commerçants musulmans symbolise un "temps nouveau" dans la
qui apparait à la fois comme politique-militaire, en représentant les chefs et rois, région; si le marabout symbolise un contrepoids aux pouvoirs ceddo et,
et économique, en fixant les conditions du commerce. Dans un premier moment postérieurement, coloniaux, la présence des commerçants musulmans signale la
les Européens ne font le commerce q u ' à bord de leurs navires dans des endroits diffusion "populaire" de Fislam.
préalablement fixes avec les Africains et les marchandíses vont tout simplement Par contre au sud de la rivière Cambie, malgré la présence déjà dans la
intégrer et faire croitre les foires africaines. ' Cest aussi bien le moment de la
1 0
deuxième moitié du X V P siècle de commerçants musulmans, , ce n'est que
11

constitution des premières communautés de lançados et Luso-africains (et euro- d'une façon plus tardive et plus lente que ITslam participe dans la construction
africains en general) les marchands européens qui seront les plus importants d'un espace politique et commercial d'origine mande, dont le Kaabu mandingue
médiateurs économiques et culturels entre les outsiders atlantiques et les sociétés
est Fépicentre. 14

sénégambiennes. La protectíon que ces marchands reçoivent des pouvoirs


Quoique commerce et religion musulmane soient inséparables, même pour
politiques côtiers est bien une évidence de sa mise en valeur : dorénavant non
ce qui est de la figure du commerçant mande, nous n'envisageons pas ITslam
plus marginaux íl s'autonomisent des forces centripètes de Fhinterland,
comme le ciment originei des rapports dans Fintérieur de la Sénégambie. II n'est
fréquentent en changeant les contours des espaces politiques."
plus legitime de marginaliser en termes de conceptualisation de la totalité
Dans un deuxième moment, qui est visible surtout à partir de la deuxième
sénégambienne des espaces sociaux non islamisés, surtout dans la cote
moitié du XVP et début du X V I P siècles, Ia lente émergence des établissements
atlantique. Pour nous, ce role de ciment est susceptible d'être attribué au
européens, voire des comptoirs, conduira à la disparition progressive des foires
commerce: une fonction structurelle de consolidation de Fespace sénégambien de
africaines dans les espaces côtiers et le bas cours des rivières (Lambert 1998: 31).
Ia part de ITslam n'intervient que dans un deuxième moment: c'est un
Quoique encadrés par le contexte politique local, oú ils dépendent des bonnes
macrosystème social d'âmes et non pas un quadrant politique et administratif avec
relations avec les notables africains et la satisfaction des choix des marches
des frontières géographiques bien définies.
internes, ce qui demandait quelquefois un equilibre précaire à soutenir, les
Même dans le contexte du réseau commercial mande c'est la flexibilité qui
comptoirs renforceront les transformations sociales íssues de 1'intensité des
domine et qui est instrumentale pour le commerce (voir Howard, ci-dessous). On
contacts inter-culturels Euro-africains. 12

peut alors se demander quel effet aura le temps des jihad sur le fonctionnement
15
Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas eu de frontières intérieures à ces
de la Grande Sénégambie en tant que meta-espace de circulation de gens et de
transformations, même dans les régions de la 'Sénégambie nucléaire.' Des zones
marchandíses. Est-ce que les temps de jihad ont eu des conséquences sur la
qu"on peut considérer non pas globalement périphériques restent à la surface
flexibilité identitaire nécessaire en contextes culturels et religieux diversifiés ?
selon les circonstances politiques et religieuses ou même se conservent dans le
temps, éloignées des dynamiques globales sénégambiennes (la contribution de En fait, les vagues successives de jihad tout en essayant d 'homogénéiser Fespace
Tomás ci-dessous illustre la question assez bien chez les Joola-Huluf de la Basse dans la double dimension religieuse et politique, ont laissé, comme beaucoup
Casamance). d'auteurs le signalent, une enorme souplesse en termes de circulation de biens
dans Fintérieur de Ia Sénégambie. Le jihad était avant tou! une entreprise
religieuse et politique; le controle du commerce, surtout des axes commerciaux
entre le littoral et Fintérieur, en était une cpnséquence naturelle mais qui a prís
14 EDUARDO COSTA DIAS ET JOSÉ DA SILVA HORTA LA SÉNÉGAMBIE 15
beaucoup plus de temps, comme on peut voir dans le cas du remplacement des- de nouveaux espaces de développement" (Lambert, ibidem).
commerçants mande par des commerçants du Fouta-Djalon dans le controle des: En effet, malgré toutes ces vicissitudes politiques e économiques imposées
axes en amont des basses cours des rivières comme le Casamance, le Cacheu, le; par la colonisation, socialement et culturellement, la Sénégambie à survécu
Geba ou le Combali, et qui, dans cette matière spécifique, a obligé les vainqueurs pendant le période coloniale et, comme on remarquera, d'une certaine façon
pendant longtemps à composer avec les vaincus. ; constitue encore actuellement un important point de repère politique de
Ceci nous renvoie à la dernière question dans cet essai: la pérennité de cet' 1'intégration subrégional, même si le toponyme Sénégambie ne soit pas três
espace historique. Est-ce que nous pouvons continuer à utiliser le concept de commun dans le jargon des organisations ouest-africaines chargées de la mener
Sénégambie, en tant que totalité et référent de recherche pour le X I X et le X X
e e
à bien. Bien sur, la politique d'íntégration sous-régionale menée depuis les
siècle ? Nous proposons une rupture méthodologique qui nous obligerait à í années 1960-1970 n'a pas eu pour objectif de reconstruire, dans un cadre nouveau,
abandonner, à partir des années 1850, la notion d'une Sénégambie en tant* la Sénégambie. Les états nationaux sont, suite au fait accompli de Pimposition
qu'objet d'étude indubitable, c'est-à-dire, en tant qu'une "unité de recherche"' coloniale des frontières, une réalité et le sens de la reconstruction des identités a,
incontestée et opératoire aujourd'hui. Et cela si, particulièrement, l'on d'une certaine façon, accompagné le sens de la reconnaissance de ces identités
accepte que: politiques e économiques nationales.
Quand même, malgré le cadre nouveau de construction de Fespace
i) à cette époque le système intra-régional de commerce sur lequel se fonde d'intégration sous-régionale, "Fidéologie" qui preside aux différentes mesures
1'unité d'espace sénégambienne est en train de se disloquer; d'intégration (politiques, sociales, économiques, culturelles) ne laisse pas mettre
ii) en plus, au moins un des deux modeles d'Islam, le Kaabunké, est entre en première ligne les mesures de promotion de la libre circulation de
en crise confronte à un modele nouveau, un modele "exporte" par la marchandíses et personnes (et évidemment, malgré tous les obstacles politiques,
théocratíe Peul du Fouta Djalon après les successives défaites militaires j des idées) dans la sous-région. Le processus d'intégration sous-régionale est
des Mansa Kaabunkés et; j aujourd'hui, tout comme Fa été dans le passe le processus de construction de la
iii) en dernier lieu, au niveau de la "Sénégambie Wolof," on assiste au ' Sénégambie, avant tout un processus de promotion de la libre circulation de
graduei transferi de pouvoirs lignagers traditionnels (composées par les zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
marchandíses et de gens.
damel, kangam, lamans) aux acteurs islamiques, investis par les sujets Dans le cas des états de la "Petite Sénégambie" (Gambie, Guinée-Bissau,
comme nouveaux symboles autochtones des systèmes de rapports
Senegal) une intégration que privilegie encore, au moins dans les déclarations
africains.
des responsables politiques, Femboítement économique et la consultation
politique permanente. D'ailleurs, la "Petite Sénégambie," malgré les frontières
D'autre part, Pavènement de la colonisation va conditionner la circulation de | nationales et les différences de parcours depuis Favènement de la domination
marchandíses et la circulation de gens, et dans un moment postérieur, sous la j coloniale au milieu du X I X siècle, n'a jamais cesse d'être un espace commun, du
e

bannière de 1'intérêt de chaque metrópole coloniale et par le biais de frontières à la \ point de vue social, culturel et, dTine certaine façon, religieux, et du point de vue
fois politiques et économiques, va limiter,la libre circulation de marchandíses entre I économique, un espace composite de trois économies nationales, en plusieurs
les dívers territoires coloniaux issus du partage de 1'espace social, économique et i
volets, subsidiaires. Même pendant Ia guerre coloniale et malgré le controle
culturel sénégambien. |
accru des autorités portugaises sur les frontières, les populations et certaines
D'ailleurs, un des enjeux de la domination coloniale en Sénégambie comme \ marchandíses ont circule dans toute la Petite Sénégambie sans grands problèmes
un peu partout en Afrique était "la superposition des espaces d'échanges, des j et, au niveau des populations, la solidarité n'a jamais fait défaut.
espaces monétaires à 1'intérieur des espaces politiques nouvellement delimites" | En guise de conclusion on croit pouvoir dire que le projet à la base de cet
(Lambert 1998: 36).
essai a réussi à éprouver la validité du concept de la Sénégambie comme espace er
Malgré cela, les populations que le partage colonial a séparées ne sont pas comeun système pour comprendre Févolution historique de cet espace. On s'est
demeurées immobiles face à cette nouvelle partition et ont aisément traversé les penché sur le role, d'un cote, du commerce atlantique et des commerçants
frontières. Les commerçants, accoutumés depuis des siècles à parcourir la région | européens et luso-africains et, de Fautre cote, sur le role de ITslam. On aura aussi
sénégambienne, ont continue à circuler dans des espaces dépassant les limites [ réussi à démontrer que malgré les vicissitudes de Fhistoire, la Sénégambie.
étroites des nouveaux territoires decides à Paris, Londres et Lisbonne. "Les constitue encore aujourd'hui un repère avec quelques 'fonctionnalités' dans le
nouvelles frontières-limites sont devenues paradoxalement, par le jeu des acteurs nord-ouest africain.
hérité du passe, des opportunités d'échanges, dans la mesure oú elles ont delimite En effet, encore aujourd'hui, les populations de la Sénégambie continuent à
16 EDUARDO COSTA DIAS ET JOSÉ DA SILVA HORTA LA SÉNÉGAMBIE 17

se reconnaítre dans le référent mythique et politique mande. Si pendant le XVP e# 10L'exemple paradigmatique de cette phase de transition est celui des foires régionales
X V I P siècles, comme attestent tous les récits portugais de íépoque, elles se des Bainunk, situes entre les rivières Cacheu et Casamance, décrites pata Valentim
référaient au Mandimansa avec respect ou même sousmission, 1'Empire du Mal: Fernandes c. 1507. Voir sa Description de la Cate Occideniale d'Afrique (Senegal au
est pris dans la mémoire collective comme "le" berceau de Ia région. Son avenitj
16 Cap de Monte, Archipels).
social et culturel mais aussi politique, économique et, dans le cas des musulmans,! " Un exemple paradigmatiqque de ce bouleversement politique est la dislocation du
religieux est regardé dans un cadre de relations plus large que celui delimite par les Grand Jolof érudiée par Jean Boulègue (1987).
frontières nationales. Ce cadre se répand jusqu'à aux limites des frontières* Àce sujet, voir, par exemple, Brooks 1983, Sinou 1993, et plus récemment Havik 2004.
11

volatiles d'une réalité devenue avec les vicissitudes de 1'histoire elle même unq
La présence de ces commerçants est clairement signalée dès la deuxième moitié du
13
identité à la fois historique et mythique. {
XVP et début du XVIP siècles au moins par deux récits portugais bien connus: le Tratada
I Breve dos Rios de Guiné do Cabo Verde (ms. de 1592-93 et 1594) de André Alvares de
NOTES j Almada, et V Ethiopia Menor du Pe Manuel Alvares (c. 1615).
Nous ne partageons, donc, la perspective d'un role cataliseur d'une Sénégambie dans
14

Cet article se base sur une communication faite auzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA


1 6' Congrès d'Etudes Mande temi à; un sens restreint, septentrional, notamment à partir du modele wolof de construction de
Conakry et Kankan (Republique de Guinée, 20-27 juin 2005). La version originelle la; ITslam. Pour cette vision voir Diouf 2001.
communication a beneficie aussi de la contribution de Manuel Maria Braga. Nous|
15 Ces temps de jihad sont initiés à la fin duXVIPparMaalík Sy au Bundu, au XVlIPpar
remercions Peter Mark pour ses commentaires sur la première version de ce texte.
Ibrahima Sambegu/K.aramoko Alfa au Fuuta Jallon, par Suleyman Ba! et Abdul Kader au
Projet de recherche "A Senegâmbia: da crítica de um ícone histórico-sociológico à
2
Fuuta Tooro, et plus tard, après le passage de Shaykh limar Tal et la grande expansion du
reavaliação de um objecto de estudo" (POCT1/AFR/61152/2004) financé par Ia
Fuuta Jallon vers les Rivières du sud dans la première moitié du XIX siècle, la deuxième
e
Fundação para a Ciência e Tecnologia (FCT - Fondation de la Science et Technologie -'
Portugal). I moitié du XIX siècle voit de grands mouvements dans Fespace sénégambien. Voir Barry
C

1988.
3Voir Barry 1981, 1988,2001. En dialogue et convergence avec Barry, voir Thioub 2000. | Toute le monde prend ses origines dans le Mande ; tout le monde a quelque chose à voir,
16

Pour 1'origine historique de la catégorie « Sénégambie/Senegambia » qui n'est pas} par la positive ou par le négative, avec FEmpire du Mali. Voir à ce sujet Belcher 1999.
1'object de cet essai, voir Hargreaves 1974. Voir aussi d'autres vues d'emsemble sur lai
Sénégambie: Person 1974, Mboge 1974, Sall 1992, Fali 1998. j
REFERENCES
A propôs du role médiateur des Luso-africains, après la contribution pionnière de |
4

Teixeira da Mota (1951) la bibliographie est trop vaste pour être citée ici. On ne citera
que quelques noms d'historiens dont les travaux sont bien connus: Walter Rodney, Ba, Idrissa. 2006. "Présence juive au Sahara et au Soudan au Moyen Age:
George Brooks, Jean Boulègue, M. E. Madeira Santos, Peter Mark. Sur la fluidité du perceptions et réalités." Thèse de doctorat, (Jniversité de Parts I Paníhéon -
modele identitaire sénégambien adopte par les Luso-africains voir Mark 2002; Horta Sorbonne.
2000 et 2009.
Barry, Boubacar. 1981. "Emiettement Politique et Dépendance Économique
5Sur le role des Luso-africains dans la diffusion du Christianisme, voir Boulègue 1989; dans FEspace Géopolitique Sénégambien du X V au X I X Siècle." Revne
C

Brooks 2003; Mark 2002; Havik 2000; Horta 2007. Françoise d'Histoire d'Outre-Mer, n° 250-253: 107-114.
6Sur le role du Judaísme dans la construction identitaire de Ia Sénégambie voir Mark et Barry, Boubacar. 1988. La Sénégambie du XT au XIX' Siècle. Traite Négrière.
/e

Horta à paraitre. íslam et Conquête Coloniale. Paris, L'Harmattan.


Barry, Boubacar. 2001. Sénégambie: plaidoyer pour une histoire regionale.
7 Le role des communautés juives avant 1'arrivée des Européens par FAtlantique, soit
venant du Maroc en vagues mues par les expulsions ibériques de la fm du XV siècle, soit 1
Amsterdam, SEPHIS.
issues d'une kmgue histotre de présence et migrations juives en Afrique du nord et au Belcher, Stephen. 1999. "Sinimogo - Man for Tomorrow: Sunjata on the Fringes
Sahel est encore un sujet de discussion pour ('historiographie et 1'anthropologíe. Voir of the Mande World." In Ralph Austen, ed. In Search of Sunjata
pour 1'évidence de Ia culture matérielle, Prussin 2005 et 2006; pour une discussion des (Bloomington: Indiana University Press), pp. 89-110.
sources écrites, Ba 2006; pour 1'évidence genéologique, Freire 2008. Boulègue, Jean. 1987. Le Grand Jolof (XlIIe-XVIe siècle). Blois/Paris, Éditions
8 Voir la synthèse de ces relations dans Brooks 1993. Voir aussi Jalloh et Skinner 1977 Façades, Diffusion Karthala.
et Howard 1999. R. D. Bridges, R. D., ed. 1974. Senegâmbia - Proceedings of a Colloquium at the
University of Aberdeen. Aberdeen, Aberdeen University-African Studies
9 Sur la notion d'espace d'échanges voir Lambert 1998; sur les role des commerçants
jakhanké voir Meillassoux 1971 et surtout Sanneh 1989. Group.
ig EDUARDO COSTA DIAS ET JOSÉ DA SILVA HORTA LA SÉNÉGAMBIE 19

George Brooks, George. 1983. "A Nhara of the Guinea-Bissau Region: Mae Aurélia; estudos em homenagem a A. A. Marques de Almeida (Lisbonne, Colibri), pp.
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