Jules Verne de La Terre A La Lune
Jules Verne de La Terre A La Lune
Jules Verne de La Terre A La Lune
DE LA TERRE À LA LUNE
Trajet Direct en 97 Heures 20 Minutes
(1865)
Table des matières
I LE GUN-CLUB....................................................................... 4
II COMMUNICATION DU PRÉSIDENT BARBICANE .........13
III EFFET DE LA COMMUNICATION BARBICANE ........... 22
IV RÉPONSE DE L’OBSERVATOIRE DE CAMBRIDGE.......27
V LE ROMAN DE LA LUNE .................................................. 33
VI CE QU’IL N’EST PAS POSSIBLE D’IGNORER ET CE
QU’IL N’EST PLUS PERMIS DE CROIRE DANS LES ÉTATS-
UNIS ....................................................................................... 40
VII L’HYMNE DU BOULET................................................... 46
VIII L’HISTOIRE DU CANON............................................... 58
IX LA QUESTION DES POUDRES ....................................... 66
X UN ENNEMI SUR VINGT-CINQ MILLIONS D’AMIS.......75
XI FLORIDE ET TEXAS ........................................................ 82
XII URBI ET ORBI................................................................. 90
XIII STONE’S-HILL............................................................... 98
XIV PIOCHE ET TRUELLE ..................................................106
XV LA FÊTE DE LA FONTE ................................................. 113
XVI LA COLUMBIAD ........................................................... 118
XVII UNE DÉPÊCHE TÉLÉGRAPHIQUE...........................125
XVIII LE PASSAGER DE L’« ATLANTA » ........................... 127
XIX UN MEETING ...............................................................138
XX ATTAQUE ET RIPOSTE ................................................. 147
XXI COMMENT UN FRANÇAIS ARRANGE UNE AFFAIRE159
XXII LE NOUVEAU CITOYEN DES ÉTATS-UNIS ............. 171
XXIII LE WAGON-PROJECTILE.........................................178
XXIV LE TÉLESCOPE DES MONTAGNES ROCHEUSES ..186
XXV DERNIERS DÉTAILS...................................................193
XXVI FEU ! ..........................................................................200
XXVII TEMPS COUVERT.................................................... 206
XXVIII UN NOUVEL ASTRE ............................................... 211
À propos de cette édition électronique .................................214
-3-
I
LE GUN-CLUB
Pendant la guerre fédérale des États-Unis, un nouveau club
très influent s’établit dans la ville de Baltimore, en plein
Maryland. On sait avec quelle énergie l’instinct militaire se
développa chez ce peuple d’armateurs, de marchands et de
mécaniciens. De simples négociants enjambèrent leur comptoir
pour s’improviser capitaines, colonels, généraux, sans avoir passé
par les écoles d’application de West-Point1 ; ils égalèrent bientôt
dans « L’art de la guerre » leurs collègues du vieux continent, et
comme eux ils remportèrent des victoires à force de prodiguer les
boulets, les millions et les hommes.
1
École militaire des Etats-Unis.
-4-
Donc, pendant cette terrible lutte des Nordistes et des
Sudistes, les artilleurs tinrent le haut du pavé ; les journaux de
l’Union célébraient leurs inventions avec enthousiasme, et il
n’était si mince marchand, si naïf « booby »2, qui ne se cassât jour
et nuit la tête à calculer des trajectoires insensées.
2
Badaud.
3
Littéralement « Club-Canon ».
-5-
Le Gun-Club fondé, on se figure aisément ce que produisit en
ce genre le génie inventif des Américains. Les engins de guerre
prirent des proportions colossales, et les projectiles allèrent, au-
delà des limites permises, couper en deux les promeneurs
inoffensifs. Toutes ces inventions laissèrent loin derrière elles les
timides instruments de l’artillerie européenne. Qu’on en juge par
les chiffres suivants.
4
Le mille vaut 1609 mètres 31 centimètres. Cela fait donc près de
trois lieues.
5
Cinq cents kilogrammes.
-6-
d’essai, il tua trois cent trente-sept personnes,—en éclatant, il est
vrai !
-7-
relevait un nombre de victimes décuple de la quantité de
projectiles dépensés.
-8-
balles de coton ! Ah ! par sainte Barbe ! l’avenir de l’artillerie est
perdu en Amérique !
Quoi qu’il pût dire, le vaillant colonel eût été fort empêché de
donner une pareille marque de son désœuvrement, et cependant,
ce n’étaient pas les poches qui lui manquaient.
6
Le plus fougueux journal abolitionniste de l’Union.
-9-
– Eh bien ?
7
Couteau à large lame.
- 10 -
déclarer la guerre à quelque puissance transatlantique ! Les
Français ne couleront pas un seul de nos steamers, et les Anglais
ne pendront pas, au mépris du droit des gens, trois ou quatre de
nos nationaux !
– Tout cela n’est que trop vrai, répliqua J.-T. Maston avec
une nouvelle véhémence. Il y a dans l’air mille raisons de se battre
et l’on ne se bat pas ! On économise des bras et des jambes, et cela
au profit de gens qui n’en savent que faire ! Et tenez, sans
chercher si loin un motif de guerre, l’Amérique du Nord n’a-t-elle
pas appartenu autrefois aux Anglais ?
- 11 -
– Par ma foi, s’écria J.-T. Maston, aux prochaines élections il
n’a que faire de compter sur ma voix !
—Baltimore, 3 octobre.—
- 12 -
II
COMMUNICATION DU PRÉSIDENT
BARBICANE
Le 5 octobre, à huit heures du soir, une foule compacte se
pressait dans les salons du Gun-Club, 21 Union-Square. Tous les
membres du cercle résidant à Baltimore s’étaient rendus à
l’invitation de leur président. Quant aux membres
correspondants, les express les débarquaient par centaines dans
les rues de la ville, et si grand que fût le « hall » des séances, ce
monde de savants n’avait pu y trouver place ; aussi refluait-il
dans les salles voisines, au fond des couloirs et jusqu’au milieu
des cours extérieures ; là, il rencontrait le simple populaire qui se
pressait aux portes, chacun cherchant gagner les premiers rangs,
tous avides de connaître l’importante communication du
président Barbicane, se poussant, se bousculant, s’écrasant avec
cette liberté d’action particulière aux masses élevées dans les
idées du « self government »8.
8
Gouvernement personnel.
9
Administrateurs de la ville élus par la population.
- 13 -
ou modernes s’écartelaient sur les murs dans un entrelacement
pittoresque. Le gaz sortait pleine flamme d’un millier de revolvers
groupés en forme de lustres, tandis que des girandoles de
pistolets et des candélabres faits de fusils réunis en faisceaux,
complétaient ce splendide éclairage. Les modèles de canons, les
échantillons de bronze, les mires criblées de coups, les plaques
brisées au choc des boulets du Gun-Club, les assortiments de
refouloirs et d’écouvillons, les chapelets de bombes, les colliers de
projectiles, les guirlandes d’obus, en un mot, tous les outils de
l’artilleur surprenaient l’œil par leur étonnante disposition et
laissaient à penser que leur véritable destination était plus
décorative que meurtrière.
10
Chaises à bascule en usage aux États-Unis.
- 14 -
monde sur les remparts ». On connaissait assez le président pour
savoir qu’il n’eût pas dérangé ses collègues sans un motif de la
plus haute gravité.
- 15 -
Lorsque huit heures sonnèrent à l’horloge fulminante de la
grande salle, Barbicane, comme s’il eût été mû par un ressort, se
redressa subitement ; il se fit un silence général, et l’orateur, d’un
ton un peu emphatique, prit la parole en ces termes :
- 16 -
vous, digne du passé du Gun-Club, et il ne pourra manquer de
faire du bruit dans le monde !
- 17 -
de notre satellite des épreuves d’une incomparable beauté11. En
un mot, on sait de la Lune tout ce que les sciences
mathématiques, l’astronomie, la géologie, l’optique peuvent en
apprendre ; mais jusqu’ici il n’a jamais été établi de
communication directe avec elle.
11
Voir les magnifiques clichés de la Lune, obtenus par M. Waren
de la Rue.
12
Le yard vaut un peu moins que le mètre, soit 91 cm.
13
Cette brochure fut publiée en France par le républicain Laviron,
qui fut tué au siège de Rome en 1840.
- 18 -
c’était une mystification scientifique, et les Français furent les
premiers à en rire.
14
Habitants de la Lune.
- 19 -
géomètre allemand, mais son projet ne fut pas mis à exécution, et
jusqu’ici aucun lien direct n’a existé entre la Terre et son satellite.
Mais il est réservé au génie pratique des Américains de se mettre
en rapport avec le monde sidéral. Le moyen d’y parvenir est
simple, facile, certain, immanquable, et il va faire l’objet de ma
proposition.
- 20 -
mes calculs indiscutables il résulte que tout projectile doué d’une
vitesse initiale de douze mille yards15 par seconde, et dirigé vers la
Lune, arrivera nécessairement jusqu’à elle. J’ai donc l’honneur de
vous proposer, mes braves collègues, de tenter cette petite
expérience !
15
Environ 11 000 mètres.
- 21 -
III
EFFET DE LA COMMUNICATION BARBICANE
Il est impossible de peindre l’effet produit par les dernières
paroles de l’honorable président. Quels cris ! quelles
vociférations ! quelle succession de grognements, de hurrahs, de
« hip ! hip ! hip ! » et de toutes ces onomatopées qui foisonnent
dans la langue américaine ! C’était un désordre, un brouhaha
indescriptible ! Les bouches criaient, les mains battaient, les
pieds ébranlaient le plancher des salles. Toutes les armes de ce
musée d’artillerie, partant à la fois, n’auraient pas agité plus
violemment les ondes sonores. Cela ne peut surprendre. Il y a des
canonniers presque aussi bruyants que leurs canons.
- 22 -
Précisément, comme si elle eût compris qu’il s’agissait d’elle,
la Lune brillait alors avec une sereine magnificence, éclipsant de
son intense irradiation les feux environnants. Tous les Yankees
dirigeaient leurs yeux vers son disque étincelant ; les uns la
saluaient de la main, les autres l’appelaient des plus doux noms ;
ceux-ci la mesuraient du regard, ceux-là la menaçaient du poing ;
de huit heures à minuit, un opticien de Jone’s-Fall-Street fit sa
fortune à vendre des lunettes. L’astre des nuits était lorgné
comme une lady de haute volée. Les Américains en agissaient
avec un sans-façon de propriétaires. Il semblait que la blonde
Phoebé appartînt à ces audacieux conquérants et fît déjà partie du
territoire de l’Union. Et pourtant il n’était question que de lui
envoyer un projectile, façon assez brutale d’entrer en relation,
même avec un satellite, mais fort en usage parmi les nations
civilisées.
16
Expression tout fait américaine pour désigner des gens naïfs.
17
Mélange de rhum, de jus d’orange, de sucre, de cannelle et de
muscade. Cette boisson de couleur jaunâtre s’aspire dans des chopes
au moyen d’un chalumeau de verre. Les bar-rooms sont des espèces
de cafés.
18
Boisson effrayante du bas peuple. Littéralement, en anglais :—
thorough knock me down—.
- 23 -
Cependant, vers deux heures, l’émotion se calma. Le
président Barbicane parvint à rentrer chez lui, brisé, écrasé,
moulu. Un hercule n’eût pas résisté à un enthousiasme pareil. La
foule abandonna peu à peu les places et les rues. Les quatre rails-
roads de l’Ohio, de Susquehanna, de Philadelphie et de
Washington, qui convergent à Baltimore, jetèrent le public
hexogène aux quatre coins des États-Unis, et la ville se reposa
dans une tranquillité relative.
19
Surnom de La Nouvelle-Orléans.
20
Cent mille lieues. C’est la vitesse de l’électricité.
- 24 -
l’atmosphère n’existait pas encore ? Quel spectacle présentait
cette face invisible au sphéroïde terrestre ? Bien qu’il ne s’agît
encore que d’envoyer un boulet l’astre des nuits, tous voyaient là
le point de départ d’une série d’expériences ; tous espéraient
qu’un jour l’Amérique pénétrerait les derniers secrets de ce
disque mystérieux, et quelques-uns même semblèrent craindre
que sa conquête ne dérangeât sensiblement l’équilibre européen.
21
Arme de poche faite en baleine flexible et d’une boule de métal.
- 25 -
la représentation de—Much ado about nothing22—. Mais la
population de la ville, voyant dans ce titre une allusion blessante
aux projets du président Barbicane, envahit la salle, brisa les
banquettes et obligea le malheureux directeur à changer son
affiche. Celui-ci, en homme d’esprit, s’inclinant devant la volonté
publique, remplaça la malencontreuse comédie par—As you like
it23—, et, pendant plusieurs semaines, il fit des recettes
phénoménales.
22
—Beaucoup de bruit pour rien—, une des comédies de
Shakespeare.
23
—Comme il vous plaira—, de Shakespeare.
- 26 -
IV
RÉPONSE DE L’OBSERVATOIRE DE
CAMBRIDGE
Cependant Barbicane ne perdit pas un instant au milieu des
ovations dont il était l’objet. Son premier soin fut de réunir ses
collègues dans les bureaux du Gun-Club. Là, après discussion, on
convint de consulter les astronomes sur la partie astronomique de
l’entreprise ; leur réponse une fois connue, on discuterait alors les
moyens mécaniques, et rien ne serait négligé pour assurer le
succès de cette grande expérience.
« Cambridge, 7 octobre.
- 27 -
de Baltimore, notre bureau s’est immédiatement réuni, et il a jugé
à propos24 de répondre comme suit :
24
Il y a dans le texte le mot—expedient—, qui est absolument
intraduisible en français.
- 28 -
est neuf fois moins forte. En conséquence, la pesanteur du boulet
décroîtra rapidement, et finira par s’annuler complètement au
moment où l’attraction de la Lune fera équilibre à celle de la
Terre, c’est-à-dire aux quarante-sept cinquante-deuxièmes du
trajet. En ce moment, le projectile ne pèsera plus, et, s’il franchit
ce point, il tombera sur la Lune par l’effet seul de l’attraction
lunaire. La possibilité théorique de l’expérience est donc
absolument démontrée ; quant à sa réussite, elle dépend
uniquement de la puissance de l’engin employé.
- 29 -
destination ; mais comme cette vitesse initiale ira
continuellement en décroissant, il se trouve, tout calcul fait, que
le projectile emploiera trois cent mille secondes, soit quatre-
vingt-trois heures et vingt minutes, pour atteindre le point où les
attractions terrestre et lunaire se font équilibre, et de ce point il
tombera sur la Lune en cinquante mille secondes, ou treize
heures cinquante-trois minutes et vingt secondes. Il conviendra
donc de le lancer quatre-vingt-dix-sept heures treize minutes et
vingt secondes avant l’arrivée de la Lune au point visé.
25
Le zénith est le point du ciel situ verticalement au-dessus de la
tête d’un observateur.
- 30 -
perpendiculaire au plan de l’horizon, et le projectile se dérobera
plus rapidement aux effets de l’attraction terrestre. Mais, pour
que la Lune monte au zénith d’un lieu, il faut que ce lieu ne soit
pas plus haut en latitude que la déclinaison de cet astre,
autrement dit, qu’il soit compris entre 0° et 28° de latitude nord
ou sud26. En tout autre endroit, le tir devrait être nécessairement
oblique, ce qui nuirait à la réussite de l’expérience.
« En résumé :
26
Il n’y a en effet que les régions du globe comprises entre
l’équateur et le vingt-huitième parallèle, dans lesquels la culmination
de la Lune l’amène au zénith ; au-delà du 28e degré, la Lune
s’approche d’autant moins du zénith que l’on s’avance vers les pôles.
- 31 -
« 1° Le canon devra être établi dans un pays situé entre 0° et
28° de latitude nord ou sud.
« Pour le bureau :
- 32 -
V
LE ROMAN DE LA LUNE
Un observateur doué d’une vue infiniment pénétrante, et
placé à ce centre inconnu autour duquel gravite le monde, aurait
vu des myriades d’atomes remplir l’espace à l’époque chaotique
de l’univers. Mais peu à peu, avec les siècles, un changement se
produisit ; une loi d’attraction se manifesta, à laquelle obéirent
les atomes errants jusqu’alors ; ces atomes se combinèrent
chimiquement suivant leurs affinités, se firent molécules et
formèrent ces amas nébuleux dont sont parsemées les
profondeurs du ciel.
Parmi ces cinq mille nébuleuses, il en est une que les hommes
ont nommée la Voie lactée, et qui renferme dix-huit millions
d’étoiles, dont chacune est devenue le centre d’un monde solaire.
- 33 -
brillants27, une étoile de quatrième ordre, celle qui s’appelle
orgueilleusement le Soleil, tous les phénomènes auxquels est due
la formation de l’univers se seraient successivement accomplis à
ses yeux.
27
Le diamètre de Sirius, suivant Wollaston, doit égaler douze fois
celui du Soleil, soit 4 300 000 lieues.
- 34 -
Le Soleil semble perdu dans les immensités du monde
stellaire, et cependant il est rattaché, par les théories actuelles de
la science, la nébuleuse de la Voie lactée. Centre d’un monde, et si
petit qu’il paraisse au milieu des régions éthérées, il est
cependant énorme, car sa grosseur est quatorze cent mille fois
celle de la Terre. Autour de lui gravitent huit planètes, sorties de
ses entrailles mêmes aux premiers temps de la Création. Ce sont,
en allant du plus proche de ces astres au plus éloigné, Mercure,
Vénus, la Terre, Mars Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. De
plus entre Mars et Jupiter circulent régulièrement d’autres corps
moins considérables, peut-être les débris errants d’un astre brisé
en plusieurs milliers de morceaux, dont le télescope a reconnu
quatre-vingt-dix-sept jusqu’à ce jour.28
28
Quelques-uns de ces astéroïdes sont assez petits pour qu’on
puisse en faire le tour dans l’espace d’une seule journée en marchant
au pas gymnastique.
- 35 -
devaient à cette fidèle amie de la Terre, et ils ont réglé leur mois
sur sa révolution29.
29
Vingt-neuf jours et demi environ.
- 36 -
qu’elle brillait d’une lumière réfléchie. Le Chaldéen Bérose
découvrit que la durée de son mouvement de rotation était égale à
celle de son mouvement de révolution, et il expliqua de la sorte le
fait que la Lune présente toujours la même face. Enfin
Hipparque, deux siècles avant l’ère chrétienne, reconnut quelques
inégalités dans les mouvements apparents du satellite de la Terre.
30
Voir—Les Fondateurs de l’Astronomie moderne—, un livre
admirable de M. J. Bertrand, de l’Institut.
- 37 -
MM. Beer et Mœdeler, pour résoudre définitivement la question.
Grâce à ces savants, l’élévation des montagnes de la Lune est
parfaitement connue aujourd’hui. MM. Beer et Mœdeler ont
mesuré dix-neuf cent cinq hauteurs, dont six sont au-dessus de
deux mille six cents toises, et vingt-deux au-dessus de deux mille
quatre cents31. Leur plus haut sommet domine de trois mille huit
cent et une toises la surface du disque lunaire.
31
La hauteur du mont Blanc au-dessus de la mer est de 4813
mètres.
32
Huit cent soixante-neuf lieues, c’est-à-dire un peu plus du
quart du rayon terrestre.
33
Trente-huit millions de kilomètres carrés.
- 38 -
plus grande précision, ils parvinrent à se rendre un compte exact
de la nature de ces lignes. C’étaient des sillons longs et étroits,
creusés entre des bords parallèles, aboutissant généralement aux
contours des cratères ; ils avaient une longueur comprise entre
dix et cent milles et une largeur de huit cents toises. Les
astronomes les appelèrent des rainures, mais tout ce qu’ils surent
faire, ce fut de les nommer ainsi. Quant à la question de savoir si
ces rainures étaient des lits desséchés d’anciennes rivières ou
non, ils ne purent la résoudre d’une manière complète. Aussi les
Américains espéraient bien déterminer, un jour ou l’autre, ce fait
géologique. Ils se réservaient également de reconnaître cette série
de remparts parallèles découverts à la surface de la Lune par
Gruithuysen, savant professeur de Munich, qui les considéra
comme un système de fortifications élevées par les ingénieurs
sélénites. Ces deux points, encore obscurs, et bien d’autres sans
doute, ne pouvaient être définitivement réglés qu’après une
communication directe avec la Lune.
- 39 -
VI
CE QU’IL N’EST PAS POSSIBLE D’IGNORER ET
CE QU’IL N’EST PLUS PERMIS DE CROIRE
DANS LES ÉTATS-UNIS
La proposition Barbicane avait eu pour résultat immédiat de
remettre l’ordre du jour tous les faits astronomiques relatifs à
l’astre des nuits. Chacun se mit à l’étudier assidûment. Il semblait
que la Lune apparût pour la première fois sur l’horizon et que
personne ne l’eût encore entrevue dans les cieux. Elle devint à la
mode ; elle fut la lionne du jour sans en paraître moins modeste,
et prit rang parmi les « étoiles » sans en montrer plus de fierté.
Les journaux ravivèrent les vieilles anecdotes dans lesquelles ce
« Soleil des loups » jouait un rôle ; ils rappelèrent les influences
que lui prêtait l’ignorance des premiers âges ; ils le chantèrent sur
tous les tons ; un peu plus, ils eussent cité de ses bons mots ;
l’Amérique entière fut prise de sélénomanie.
- 40 -
méthode, on leur prouvait immédiatement que, non seulement
cette distance moyenne était bien de deux cent trente-quatre
mille trois cent quarante-sept milles (— 94 330 lieues), mais
encore que les astronomes ne se trompaient pas de soixante-dix
milles (— 30 lieues).
34
C’est la durée de la révolution sidérale, c’est-à-dire le temps que
la Lune met revenir à une même étoile.
- 41 -
centre ; quand votre promenade circulaire sera achevée, vous
aurez fait un tour sur vous-même, puisque votre œil aura
parcouru successivement tous les points de la salle. Eh bien ! la
salle, c’est le Ciel, la table, c’est la Terre, et la Lune, c’est vous ! »
Et ils s’en allaient enchantés de la comparaison.
- 42 -
Quant à la hauteur que l’astre des nuits peut atteindre au-
dessus de l’horizon, la lettre de l’Observatoire de Cambridge avait
tout dit cet égard. Chacun savait que cette hauteur varie suivant la
latitude du lieu où on l’observe. Mais les seules zones du globe
pour lesquelles la Lune passe au zénith, c’est-à-dire vient se
placer directement au-dessus de la tête de ses contemplateurs,
sont nécessairement comprises entre les vingt-huitièmes
parallèles et l’équateur. De là cette recommandation importante
de tenter l’expérience sur un point quelconque de cette partie du
globe, afin que le projectile pût être lancé perpendiculairement et
échapper ainsi plus vite à l’action de la pesanteur. C’était une
condition essentielle pour le succès de l’entreprise, et elle ne
laissait pas de préoccuper vivement l’opinion publique.
Voilà donc ce que tout Américain savait bon gré mal gré, ce
que personne ne pouvait décemment ignorer. Mais si ces vrais
principes se vulgarisèrent rapidement, beaucoup d’erreurs,
certaines craintes illusoires, furent moins faciles à déraciner.
- 43 -
une atmosphère et que la Lune n’en a que peu ou pas, ils restaient
fort empêchés de répondre.
- 44 -
tournés, l’immense majorité se prononça pour elle. Quant aux
Yankees, ils n’eurent plus d’autre ambition que de prendre
possession de ce nouveau continent des airs et d’arborer à son
plus haut sommet le pavillon étoilé des États-Unis d’Amérique.
- 45 -
VII
L’HYMNE DU BOULET
L’Observatoire de Cambridge avait, dans sa mémorable lettre
du 7 octobre, traité la question au point de vue astronomique ; il
s’agissait désormais de la résoudre mécaniquement. C’est alors
que les difficultés pratiques eussent paru insurmontables en tout
autre pays que l’Amérique. Ici ce ne fut qu’un jeu.
- 46 -
– Peut-être eût-il paru plus logique, reprit Barbicane, de
consacrer cette première séance à la discussion de l’engin...
- 47 -
– En effet, s’écria l’orateur, si Dieu a fait les étoiles et les
planètes, l’homme a fait le boulet, ce critérium des vitesses
terrestres, cette réduction des astres errant dans l’espace, et qui
ne sont, à vrai dire, que des projectiles ! A Dieu la vitesse de
l’électricité, la vitesse de la lumière, la vitesse des étoiles, la
vitesse des comètes, la vitesse des planètes, la vitesse des
satellites, la vitesse du son, la vitesse du vent ! Mais à nous la
vitesse du boulet, cent fois supérieure à la vitesse des trains et des
chevaux les plus rapides !
35
C’est-à-dire pesant vingt-quatre livres.
36
Ainsi, quand on a entendu la détonation de la bouche à feu on
ne peut plus être frappé par le boulet.
- 48 -
Des hurrahs accueillirent cette ronflante péroraison, et J.-T.
Maston, tout ému, s’assit au milieu des félicitations de ses
collègues.
37
Les Américains donnaient le nom de Columbiad à ces énormes
engins de destruction.
- 49 -
– Ainsi donc, reprit Barbicane, ces huit cents yards seraient la
vitesse maximum atteinte jusqu’ici ?
- 50 -
– Sans doute, reprit Barbicane en homme sûr de lui, sans
doute, ou notre expérience ne produira aucun résultat.
– Non pas !
– Parfaitement.
– Évidemment.
- 51 -
– Eh bien ! pour obtenir ce résultat, il me suffira d’établir un
télescope sur quelque montagne élevée. Ce que nous ferons.
– Précisément.
- 52 -
– Oh ! oh ! fit le major, dix-neuf cents livres, c’est un gros
chiffre !
– Pas possible !
- 53 -
– Eh bien ! alors, reprit le major Elphiston, puisque la
pesanteur est proportionnelle à son volume, un boulet de fonte,
mesurant neuf pieds de diamètre, sera encore d’un poids
épouvantable !
– Oui, s’il est plein ; non, s’il est creux, dit Barbicane.
- 54 -
Et ce disant, il traça quelques formules algébriques sur le
papier ; on vit apparaître sous la plume des \(\pi\) et des \(x\)
élevés à la deuxième puissance. Il eut même l’air d’extraire, sans y
toucher, une certaine racine cubique, et dit :
– Non, c’est encore trop lourd ; et j’ai mieux que cela à vous
proposer.
- 55 -
plus léger que le fer, et il semble avoir été créé tout exprès pour
nous fournir la matière de notre projectile !
38
Trente centimètres ; le pouce américain vaut 25 millimètres.
- 56 -
– Cent soixante-treize mille deux cent cinquante dollars (—
928 437. 50 F), je le sais parfaitement ; mais ne craignez rien,
mes amis, l’argent ne fera pas défaut à notre entreprise, je vous
en réponds.
- 57 -
VIII
L’HISTOIRE DU CANON
Les résolutions prises dans cette séance produisirent un
grand effet au-dehors. Quelques gens timorés s’effrayaient un peu
à l’idée d’un boulet, pesant vingt mille livres, lancé à travers
l’espace. On se demandait quel canon pourrait jamais transmettre
une vitesse initiale suffisante à une pareille masse. Le procès
verbal de la seconde séance du Comité devait répondre
victorieusement à ces questions.
- 58 -
indépendantes, la résistance du milieu, l’attraction de la Terre et
la force d’impulsion dont il est animé. Examinons ces trois forces.
La résistance du milieu, c’est-à-dire la résistance de l’air, sera peu
importante. En effet, l’atmosphère terrestre n’a que quarante
milles (— 16 lieues environ). Or, avec une rapidité de douze mille
yards, le projectile l’aura traversée en cinq secondes, et ce temps
est assez court pour que la résistance du milieu soit regardée
comme insignifiante. Passons alors à l’attraction de la Terre,
c’est-à-dire à la pesanteur de l’obus. Nous savons que cette
pesanteur diminuera en raison inverse du carré des distances ; en
effet, voici ce que la physique nous apprend : quand un corps
abandonné à lui-même tombe à la surface de la Terre, sa chute est
de quinze pieds39 dans la première seconde, et si ce même corps
était transport à deux cent cinquante-sept mille cent quarante-
deux milles, autrement dit, à la distance où se trouve la Lune, sa
chute serait réduite à une demi-ligne environ dans la première
seconde. C’est presque l’immobilité. Il s’agit donc de vaincre
progressivement cette action de la pesanteur. Comment y
parviendrons-nous ? Par la force d’impulsion.
39
Soit 4 mètres 90 centimètres dans la première seconde ; à la
distance où se trouve la Lune, la chute ne serait plus que de 1 mm
1/3 ou 590 millièmes de ligne.
- 59 -
– Jusqu’ici, dit Barbicane, les canons les plus longs, nos
énormes Columbiads, n’ont pas dépassé vingt-cinq pieds en
longueur ; nous allons donc étonner bien des gens par les
dimensions que nous serons forcés d’adopter.
- 60 -
boulet, et il pèse deux cent trente-cinq à deux cent quarante fois
son poids.
- 61 -
soigneusement alésée et calibrée, de manière à empêcher le
vent40 du boulet ; ainsi il n’y aura aucune déperdition de gaz, et
toute la force expansive de la poudre sera employée à l’impulsion.
– Et pourquoi ?
40
C’est l’espace qui existe quelquefois entre le projectile et l’âme
de la pièce.
- 62 -
– Adopté, adopté, répondirent les membres du Comité.
– C’est juste.
– Et pourquoi ?
- 63 -
– Eh bien ! alors, dit Morgan, je propose pour la fabrication
de la Columbiad le meilleur alliage connu jusqu’ici, c’est-à-dire
cent parties de cuivre, douze parties d’étain et six parties de
laiton.
- 64 -
Et, ainsi qu’il avait fait la veille, il aligna ses formules avec
une merveilleuse facilité, et dit au bout d’une minute :
- 65 -
IX
LA QUESTION DES POUDRES
Restait à traiter la question des poudres. Le public attendait
avec anxiété cette dernière décision. La grosseur du projectile, la
longueur du canon étant données, quelle serait la quantité de
poudre nécessaire pour produire l’impulsion ? Cet agent terrible,
dont l’homme a cependant maîtrisé les effets, allait être appelé à
jouer son rôle dans des proportions inaccoutumées.
41
La livre américaine est de 453 g.
- 66 -
Voilà ce que savaient parfaitement les membres du Comité
quand le lendemain ils entrèrent en séance. Barbicane donna la
parole au major Elphiston, qui avait été directeur des poudres
pendant la guerre.
- 67 -
– Si vous poussez votre théorie à l’extrême, mon cher major,
dit J.-T. Maston, vous arriverez à ceci, que, lorsque votre boulet
sera suffisamment lourd, vous ne mettrez plus de poudre du tout.
- 68 -
– Pour charger sa Columbiad, reprit le major, Rodman
employait une poudre à grains gros comme des châtaignes, faite
avec du charbon de saule simplement torréfié dans des
chaudières de fonte. Cette poudre était dure et luisante, ne laissait
aucune trace sur la main, renfermait dans une grande proportion
de l’hydrogène et de l’oxygène, déflagrait instantanément, et,
quoique très brisante, ne détériorait pas sensiblement les bouches
à feu.
- 69 -
Il fut enfin rompu par le président Barbicane.
– Tout autant.
42
Un peu moins de 800 mètres cubes.
43
Deux mille mètres cubes.
- 70 -
naissance à six milliards de litres de gaz. Six milliards ! Vous
entendez bien ?
- 71 -
– Ou fulmi-coton, répliqua Morgan.
44
Ainsi nommé, parce que, au contact de l’air humide, il répand
d’épaisses fumées blanchâtres.
- 72 -
– Parfait, répondit le major.
- 73 -
[NOTA— Dans cette discussion le président Barbicane
revendique pour l’un de ses compatriotes l’invention du
collodion. C’est une erreur, n’en déplaise au brave J.-T. Maston,
et elle vient de la similitude de deux noms.
- 74 -
X
UN ENNEMI SUR VINGT-CINQ MILLIONS
D’AMIS
Le public américain trouvait un puissant intérêt dans les
moindres détails de l’entreprise du Gun-Club. Il suivait jour par
jour les discussions du Comité. Les plus simples préparatifs de
cette grande expérience, les questions de chiffres qu’elle
soulevait, les difficultés mécaniques à résoudre, en un mot, « sa
mise en train », voilà ce qui le passionnait au plus haut degré.
- 75 -
Cependant, il savait bien le motif de cette antipathie, d’où
venait cette inimitié solitaire, pourquoi elle était personnelle et
d’ancienne date, enfin dans quelle rivalité d’amour-propre elle
avait pris naissance.
45
Navires de la marine américaine.
- 76 -
apparaissait dans les rêves de Barbicane sous la forme d’une
cuirasse impénétrable contre laquelle il venait se briser, et
Barbicane, dans les songes de Nicholl, comme un projectile qui le
perçait de part en part.
46
Le poids de la poudre employée n’était que l/12 du poids de
l’obus.
- 77 -
Washington, en provoquant le président du Gun-Club à la briser.
Barbicane, la paix étant faite, ne voulut pas tenter l’expérience.
- 78 -
cette Columbiad de neuf cents pieds ! Quelle cuirasse résisterait
jamais à un projectile de vingt mille livres ! Nicholl demeura
d’abord atterré, anéanti, brisé sous ce « coup de canon » puis il se
releva, et résolut d’écraser la proposition du poids de ses
arguments.
- 79 -
voisines de ce déplorable canon ; il fit également remarquer que
si le projectile n’atteignait pas son but, résultat absolument
impossible, il retomberait évidemment sur la Terre, et que la
chute d’une pareille masse, multipliée par le carré de sa vitesse,
compromettrait singulièrement quelque point du globe. Donc, en
pareille circonstance, et sans porter atteinte aux droits de
citoyens libres, il était des cas où l’intervention du gouvernement
devenait nécessaire, et il ne fallait pas engager la sûreté de tous
pour le bon plaisir d’un seul.
Il paria :
- 80 -
4° Que la Columbiad éclaterait au premier coup, ci ......4000—
—Baltimore, 18 octobre—.
—Tenu—.
BARBICANE.
47
Quatre-vingt-un mille trois cents francs.
- 81 -
XI
FLORIDE ET TEXAS
Cependant, une question restait encore à décider : il fallait
choisir un endroit favorable à l’expérience. Suivant la
recommandation de l’Observatoire de Cambridge, le tir devait
être dirigé perpendiculairement au plan de l’horizon, c’est-à-dire
vers le zénith ; or, la Lune ne monte au zénith que dans les lieux
situés entre 0° et 28° de latitude, en d’autres termes, sa
déclinaison n’est que de 2848. Il s’agissait donc de déterminer
exactement le point du globe où serait fondue l’immense
Columbiad.
48
La déclinaison d’un astre est sa latitude dans la sphère céleste ;
l’ascension droite en est la longitude.
- 82 -
– Permettez-moi de développer ma pensée, reprit l’orateur.
Dans les circonstances actuelles, nous sommes forcés de choisir
un lieu assez rapproché de l’équateur, pour que l’expérience se
fasse dans de bonnes conditions...
- 83 -
« Je conviens, dit Barbicane, que l’expérience ne peut et ne
doit être tentée que sur le sol de l’Union, mais si mon impatient
ami m’eût laissé parler, s’il eût jeté les yeux sur une carte, il
saurait qu’il est parfaitement inutile de déclarer la guerre à nos
voisins, car certaines frontières des États-Unis s’étendent au-delà
du vingt-huitième parallèle. Voyez, nous avons à notre
disposition toute la partie méridionale du Texas et des Florides.
- 84 -
Caméron, formèrent une ligue imposante contre les prétentions
de la Floride.
- 85 -
traiter les autres de pays malsains, quand on avait l’honneur de
posséder le « vómito negro » à l’état chronique. Et il avait raison.
- 86 -
La guerre se soutenait ainsi depuis quelques jours, quand la
Floride essaya d’entraîner son adversaire sur un autre terrain, et
un matin le—Times—insinua que, l’entreprise étant
« essentiellement américaine », elle ne pouvait être tentée que
sur un territoire « essentiellement américain » !
49
Quatre-vingt-deux millions de francs.
- 87 -
Peur ! Du jour où ce mot, vraiment trop vif, fut prononcé, la
position devint intolérable. On s’attendit à un égorgement des
deux partis dans les rues de Baltimore. On fut obligé de garder les
députés vue.
- 88 -
Faisant allusion au peu de largeur de la Floride, simple
presqu’île resserrée entre deux mers, ils prétendirent qu’elle ne
résisterait pas à la secousse du tir et qu’elle sauterait au premier
coup de canon.
- 89 -
XII
URBI ET ORBI
Les difficultés astronomiques, mécaniques, topographiques
une fois résolues, vint la question d’argent. Il s’agissait de se
procurer une somme énorme pour l’exécution du projet. Nul
particulier, nul État même n’aurait pu disposer des millions
nécessaires.
- 90 -
diverses sociétés savantes promettaient d’envoyer des délégués à
Tampa-Town, le bureau de Greenwich, réuni en séance, passa
brutalement à l’ordre du jour sur la proposition Barbicane. C’était
là de la belle et bonne jalousie anglaise. Pas autre chose.
- 91 -
A Constantinople, à la Banque Ottomane ;
50
Vingt et un millions de francs (21 680 000).
- 92 -
véritable empressement. Certains pays se distinguaient par leur
générosité ; d’autres se desserraient moins facilement. Affaire de
tempérament.
51
Un million quatre cent soixante-quinze mille francs.
52
Cinq cent vingt mille francs.
53
Deux cent quatre-vingt-quatorze mille trois cent vingt francs.
- 93 -
une raison ou pour une autre, les Norvégiens n’aiment pas à
envoyer leur argent en Suède.
54
Neuf cent trente-sept mille cinq cents francs.
55
Trois cent quarante-trois mille cent soixante francs.
56
Deux cent trente-cinq mille quatre cents francs.
57
Cent dix-sept mille quatre cent quatorze francs.
- 94 -
La Confédération germanique s’engagea pour trente-quatre
mille deux cent quatre-vingt-cinq florins58 ; on ne pouvait rien lui
demander de plus ; d’ailleurs, elle n’eût pas donné davantage.
Quoique très gênée, l’Italie trouva deux cent mille lires dans
les poches de ses enfants, mais en les retournant bien. Si elle avait
eu la Vénétie, elle aurait fait mieux ; mais enfin elle n’avait pas la
Vénétie.
58
Soixante-douze mille francs.
59
Trente-huit mille seize francs.
60
Cent treize mille deux cents francs.
61
Mille sept cent vingt-sept francs.
62
Cinquante-neuf francs quarante-huit centimes.
- 95 -
Espagnols, non des moins instruits, ne se rendaient pas un
compte exact de la masse du projectile comparée à celle de la
Lune ; ils craignaient qu’il ne vînt à déranger son orbite, à la
troubler dans son rôle de satellite et provoquer sa chute à la
surface du globe terrestre. Dans ce cas-là, il valait mieux
s’abstenir. Ce qu’ils firent, à quelques réaux près.
63
Un million six cent vingt-six mille francs.
64
Vingt-neuf millions cinq cent vingt mille neuf cent quatre-
vingt-trois francs quarante centimes.
- 96 -
constructions de fours et de bâtiments, l’outillage des usines, la
poudre, le projectile, les faux frais, devaient, suivant les devis,
l’absorber peu près tout entière. Certains coups de canon de la
guerre fédérale sont revenus à mille dollars ; celui du président
Barbicane, unique dans les fastes de l’artillerie, pouvait bien
coûter cinq mille fois plus.
65
Cinq cent quarante-deux francs.
- 97 -
XIII
STONE’S-HILL
Depuis le choix fait par les membres du Gun-Club au
détriment du Texas, chacun en Amérique, où tout le monde sait
lire, se fit un devoir d’étudier la géographie de la Floride. Jamais
les libraires ne vendirent tant de—Bartram’s travel in Florida—,
de—Roman’s natural history of East and West Florida—, de—
William’s territory of Florida—, de—Cleland on the culture of the
Sugar-Cane in East Florida—. Il fallut imprimer de nouvelles
éditions. C’était une fureur.
66
Environ deux cents lieues.
- 98 -
Cette baie se divise en deux rades allongées, la rade de Tampa
et la rade d’Hillisboro, dont le steamer franchit bientôt le goulet.
Peu de temps après, le fort Brooke dessina ses batteries rasantes
au-dessus des flots, et la ville de Tampa apparut, négligemment
couchée au fond du petit port naturel formé par l’embouchure de
la rivière Hillisboro.
- 99 -
« Monsieur, il y a les Séminoles.
– Quels Séminoles ?
67
Du thermomètre Fahrenheit. Cela fait 28 degrés centigrades.
68
Petit cours d’eau.
- 100 -
rongée par le courant du Gulf-Stream, pointe de terre perdue au
milieu d’un petit archipel, et que doublent incessamment les
nombreux navires du canal de Bahama. C’est la sentinelle
avancée du golfe des grandes tempêtes. La superficie de cet État
est de trente-huit millions trente-trois mille deux cent soixante-
sept acres69, parmi lesquels il fallait en choisir un situé en deçà du
vingt-huitième parallèle et convenable l’entreprise ; aussi
Barbicane, en chevauchant, examinait attentivement la
configuration du sol et sa distribution particulière.
69
Quinze millions trois cent soixante-cinq mille quatre cent
quarante hectares.
- 101 -
– Pour être plus près de la Lune ? s’écria le secrétaire du Gun-
Club.
70
On a mis neuf ans à forer le puits de Grenelle ; il a cinq cent
quarante-sept mètres de profondeur.
- 102 -
– Nous y arriverons, messieurs, répondit l’ingénieur, et,
croyez-moi, la compagnie du Goldspring n’aura pas à vous payer
d’indemnité de retard.
71
Trois millions cinq cent soixante-six mille neuf cent deux
francs.
- 103 -
Cependant on avançait ; il fallut passer à gué plusieurs
rivières, et non sans quelque danger, car elles étaient infestées de
caïmans longs de quinze à dix-huit pieds. J.-T. Maston les
menaça hardiment de son redoutable crochet, mais il ne parvint à
effrayer que les pélicans, les sarcelles, les phaétons, sauvages
habitants de ces rives, tandis que de grands flamants rouges le
regardaient d’un air stupide.
Enfin ces hôtes des pays humides disparurent à leur tour ; les
arbres moins gros s’éparpillèrent dans les bois moins épais ;
quelques groupes isolés se détachèrent au milieu de plaines
infinies où passaient des troupeaux de daims effarouchés.
- 104 -
– Il s’appelle Stone’s-Hill72 », répondit un des Floridiens.
72
Colline de pierres.
73
Au méridien de Washington. La différence avec le méridien de
Paris est de 79°22’. Cette longitude est donc en mesure française
83°25’.
- 105 -
XIV
PIOCHE ET TRUELLE
Le soir même, Barbicane et ses compagnons rentraient à
Tampa-Town, et l’ingénieur Murchison se réembarquait sur le—
Tampico—pour La Nouvelle-Orléans. Il devait embaucher une
armée d’ouvriers et ramener la plus grande partie du matériel.
Les membres du Gun-Club demeurèrent à Tampa-Town, afin
d’organiser les premiers travaux en s’aidant des gens du pays.
Puis le fer des pics étincela sur la couche dure du sol, sur une
espèce de roche formée de coquillages pétrifiés, très sèche, très
- 109 -
solide, et que les outils ne devaient plus quitter. A ce point, le trou
présentait une profondeur de six pieds et demi, et les travaux de
maçonnerie furent commencés.
74
Sorte de chevalets.
75
Quarante degrés centigrades.
- 110 -
tourbillon des fumées éparses dans les airs tracèrent autour de
Stone’s-Hill un cercle d’épouvante que les troupeaux de bisons ou
les détachements de Séminoles n’osaient plus franchir.
- 111 -
Le président Barbicane et les membres du Gun-Club
félicitèrent chaudement l’ingénieur Murchison ; son travail
cyclopéen s’était accompli dans des conditions extraordinaires de
rapidité.
- 112 -
XV
LA FÊTE DE LA FONTE
Pendant les huit mois qui furent employés à l’opération du
forage, les travaux préparatoires de la fonte avaient été conduits
simultanément avec une extrême rapidité ; un étranger, arrivant à
Stone’s-Hill, eût été fort surpris du spectacle offert à ses regards.
Mais la fonte, si elle n’a subi qu’une seule fusion, est rarement
assez homogène, et c’est au moyen d’une deuxième fusion qu’on
l’épure, qu’on la raffine, en la débarrassant de ses derniers dépôts
terreux.
76
Trois mille six cents mètres environ.
- 113 -
Aussi, avant d’être expédié à Tampa-Town, le minerai de fer,
trait dans les hauts fourneaux de Goldspring et mis en contact
avec du charbon et du silicium chauffé à une forte température,
s’était carburé et transformé en fonte77. Après cette première
opération, le métal fut dirigé vers Stone’s-Hill. Mais il s’agissait
de cent trente-six millions de livres de fonte, masse trop coûteuse
expédier par les railways ; le prix du transport eût doublé le prix
de la matière. Il parut préférable d’affréter des navires à New
York et de les charger de la fonte en barres ; il ne fallut pas moins
de soixante-huit bâtiments de mille tonneaux, une véritable
flotte, qui, le 3 mai, sortit des passes de New York, prit la route de
l’Océan, prolongea les côtes américaines, embouqua le canal de
Bahama, doubla la pointe floridienne, et, le 10 du même mois,
remontant la baie d’Espiritu-Santo, vint mouiller sans avaries
dans le port de Tampa-Town.
77
C’est en enlevant ce carbone et ce silicium par l’opération de
l’affinage dans les fours à puddler que l’on transforme la fonte en fer
ductile.
- 114 -
Le lendemain du jour où les travaux de maçonnerie et de
forage furent terminés, Barbicane fit procéder à la confection du
moule intérieur ; il s’agissait d’élever au centre du puits, et
suivant son axe, un cylindre haut de neuf cents pieds et large de
neuf, qui remplissait exactement l’espace réservé à l’âme de la
Columbiad. Ce cylindre fut composé d’un mélange de terre
argileuse et de sable, additionné de foin et de paille. L’intervalle
laissé entre le moule et la maçonnerie devait être comblé par le
métal en fusion, qui formerait ainsi des parois de six pieds
d’épaisseur.
« Ce sera une belle cérémonie que cette fête de la fonte, dit J.-
T. Maston à son ami Barbicane.
- 115 -
eût empêché de parer. Il fallait conserver la liberté de ses
mouvements. Personne ne fut donc admis dans l’enceinte, à
l’exception d’une délégation des membres du Gun-Club, qui fit le
voyage de Tampa-Town. On vit là le fringant Bilsby, Tom Hunter,
le colonel Blomsberry, le major Elphiston, le général Morgan, et—
tutti quanti—, pour lesquels la fonte de la Columbiad devenait
une affaire personnelle. J.-T. Maston s’était constitué leur
cicérone ; il ne leur fit grâce d’aucun détail ; il les conduisit
partout, aux magasins, aux ateliers, au milieu des machines, et il
les força de visiter les douze cents fourneaux les uns après les
autres. A la douze-centième visite, ils étaient un peu écœurés.
- 116 -
Barbicane et ses collègues, installés sur une éminence voisine,
assistaient à l’opération. Devant eux, une pièce de canon était là,
prête à faire feu sur un signe de l’ingénieur.
- 117 -
XVI
LA COLUMBIAD
L’opération de la fonte avait-elle réussi ? On en était réduit à
de simples conjectures. Cependant tout portait à croire au succès,
puisque le moule avait absorbé la masse entière du métal liquéfié
dans les fours. Quoi qu’il en soit, il devait être longtemps
impossible de s’en assurer directement.
- 118 -
irritation. Se voir absolument arrêté par un obstacle dont le
temps seul pouvait avoir raison,— le temps, un ennemi
redoutable dans les circonstances,— et être à la discrétion d’un
ennemi, c’était dur pour des gens de guerre.
- 119 -
rapidement de puissants alésoirs dont le tranchant vint mordre
les rugosités de la fonte. Quelques semaines plus tard, la surface
intérieure de l’immense tube était parfaitement cylindrique, et
l’âme de la pièce avait acquis un poli parfait.
- 120 -
tout entière aux travaux du Gun-Club, et elle comptait alors une
population de cent cinquante mille âmes. Après avoir englobé le
fort Brooke dans un réseau de rues, elle s’allongeait maintenant
sur cette langue de terre qui sépare les deux rades de la baie
d’Espiritu-Santo ; des quartiers neufs, des places nouvelles, toute
une forêt de maisons, avaient poussé sur ces grèves naguère
désertes, à la chaleur du soleil américain. Des compagnies
s’étaient fondées pour l’érection d’églises, d’écoles, d’habitations
particulières, et en moins d’un an l’étendue de la ville fut
décuplée.
78
—Gazette maritime—.
- 121 -
Aussi Tampa, grâce à ces merveilles de l’industrie dues à l’idée
éclose un beau jour dans le cerveau d’un homme, put prendre à
bon droit les airs d’une grande ville. On l’avait surnommée
« Moon-City79 » et la capitale des Florides subissait une éclipse
totale, visible de tous les points du monde.
79
Cité de la Lune.
- 122 -
fumées. C’était peu pour des yeux avides ; mais Barbicane ne
voulut admettre personne à cette opération. De là, maugréement,
mécontentement, murmures ; on blâma le président ; on le taxa
d’absolutisme ; son procédé fut déclaré « peu américain ». Il y eut
presque une émeute autour des palissades de Stone’s-Hill.
Barbicane, on le sait, resta inébranlable dans sa décision.
80
Deux millions sept cent dix mille francs.
- 123 -
ce long tube de métal. On y étouffait un peu ! Mais quelle joie !
quel ravissement ! Une table de dix couverts avait été dressée sur
le massif de pierre qui supportait la Columbiad éclairée—a
giorno—par un jet de lumière électrique. Des plats exquis et
nombreux, qui semblaient descendre du ciel, vinrent se placer
successivement devant les convives, et les meilleurs vins de
France coulèrent à profusion pendant ce repas splendide servi à
neuf cents pieds sous terre.
- 124 -
XVII
UNE DÉPÊCHE TÉLÉGRAPHIQUE
Les grands travaux entrepris par le Gun-Club étaient, pour
ainsi dire, terminés, et cependant, deux mois allaient encore
s’écouler avant le jour où le projectile s’élancerait vers la Lune.
Deux mois qui devaient paraître longs comme des années à
l’impatience universelle ! Jusqu’alors les moindres détails de
l’opération avaient été chaque jour reproduits par les journaux,
que l’on dévorait d’un œil avide et passionné ; mais il était à
craindre que désormais, ce « dividende d’intérêt » distribué au
public ne fût fort diminué, et chacun s’effrayait de n’avoir plus à
toucher sa part d’émotions quotidiennes.
- 125 -
MICHEL ARDAN.
- 126 -
XVIII
LE PASSAGER DE L’« ATLANTA »
Si cette foudroyante nouvelle, au lieu de voler sur les fils
électriques, fût arrivée simplement par la poste et sous enveloppe
cachetée, si les employés français, irlandais, terre-neuviens,
américains n’eussent pas été nécessairement dans la confidence
du télégraphe, Barbicane n’aurait pas hésité un seul instant. Il se
serait tu par mesure de prudence et pour ne pas déconsidérer son
œuvre. Ce télégramme pouvait cacher une mystification, venant
d’un Français surtout. Quelle apparence qu’un homme
quelconque fût assez audacieux pour concevoir seulement l’idée
d’un pareil voyage ? Et si cet homme existait, n’était-ce pas un fou
qu’il fallait enfermer dans un cabanon et non dans un boulet ?
- 127 -
– Et pourquoi pas ? » répliqua vivement le secrétaire du Gun-
Club, prêt à discuter. Mais on ne voulut pas le pousser davantage.
81
Mystification.
- 128 -
Mais, d’abord, ce personnage existait-il réellement ? Grande
question ! Ce nom, « Michel Ardan », n’était pas inconnu à
l’Amérique ! Il appartenait à un Européen fort cité pour ses
entreprises audacieuses. Puis, ce télégramme lancé à travers les
profondeurs de l’Atlantique, cette désignation du navire sur
lequel le Français disait avoir pris passage, la date assignée à sa
prochaine arrivée, toutes ces circonstances donnaient à la
proposition un certain caractère de vraisemblance. Il fallait en
avoir le cœur net. Bientôt les individus isolés se formèrent en
groupes, les groupes se condensèrent sous l’action de la curiosité
comme des atomes en vertu de l’attraction moléculaire, et,
finalement, il en résulta une foule compacte, qui se dirigea vers la
demeure du président Barbicane.
- 129 -
– Le temps n’a pas le droit de tenir en suspens un pays tout
entier, reprit l’orateur. Avez-vous modifié les plans du projectile,
ainsi que le demande le télégramme ?
- 130 -
Et cependant, le soir même, il écrivit à la maison Breadwill
and Co. , en la priant de suspendre jusqu’à nouvel ordre la fonte
du projectile.
- 131 -
pris d’assaut. Barbicane, le premier, franchit les bastingages, et
d’une voix dont il voulait en vain contenir l’émotion :
- 132 -
Pour achever le type physique du passager de l’—Atlanta—, il
convient de signaler ses vêtements larges de forme, faciles
d’entournures, son pantalon et son paletot d’une ampleur d’étoffe
telle que Michel Ardan se surnommait lui-même « la mort au
drap », sa cravate lâche, son col de chemise libéralement ouvert,
d’où sortait un cou robuste, et ses manchettes invariablement
déboutonnées, à travers lesquelles s’échappaient des mains
fébriles. On sentait que, même au plus fort des hivers et des
dangers, cet homme-là n’avait jamais froid,— pas même aux yeux.
- 133 -
quand nous jouons la partie ». C’était, en somme, un bohémien
du pays des monts et merveilles, aventureux, mais non pas
aventurier, un casse-cou, un Phaéton menant à fond de train le
char du Soleil, un Icare avec des ailes de rechange. Du reste, il
payait de sa personne et payait bien, il se jetait tête levée dans les
entreprises folles, il brûlait ses vaisseaux avec plus d’entrain
qu’Agathoclès, et, prêt à se faire casser les reins à toute heure, il
finissait invariablement par retomber sur ses pieds, comme ces
petits cabotins en moelle de sureau dont les enfants s’amusent.
82
Sa maîtresse passion.
- 134 -
hardies entreprises et le suivait d’un regard inquiet. On le savait
si imprudemment audacieux ! Lorsque quelque ami voulait
l’arrêter en lui prédisant une catastrophe prochaine : « La forêt
n’est brûlée que par ses propres arbres », répondait-il avec un
aimable sourire, et sans se douter qu’il citait le plus joli de tous
les proverbes arabes.
– Absolument décidé.
- 135 -
– Rien ne vous arrêtera ?
- 136 -
à son aise le héros européen. Cependant certains spectateurs des
plus entêtés ne voulurent pas quitter le pont de l’—Atlanta—; ils
passèrent la nuit bord. Entre autres, J.-T. Maston avait vissé son
crochet dans la lisse de la dunette, et il aurait fallu un cabestan
pour l’en arracher.
- 137 -
XIX
UN MEETING
Le lendemain, l’astre du jour se leva bien tard au gré de
l’impatience publique. On le trouva paresseux, pour un Soleil qui
devait éclairer une semblable fête. Barbicane, craignant les
questions indiscrètes pour Michel Ardan, aurait voulu réduire ses
auditeurs à un petit nombre d’adeptes, à ses collègues, par
exemple. Mais autant essayer d’endiguer le Niagara. Il dut donc
renoncer à ses projets et laisser son nouvel ami courir les chances
d’une conférence publique. La nouvelle salle de la Bourse de
Tampa-Town, malgré ses dimensions colossales, fut jugée
insuffisante pour la cérémonie, car la réunion projetée prenait les
proportions d’un véritable meeting.
- 139 -
La demande parut toute simple et ne souffrit aucune
difficulté. L’orateur reprit son discours :
- 140 -
« Vous ne semblez pas convaincus, mes braves hôtes, reprit-il
avec un aimable sourire. Eh bien ! raisonnons un peu. Savez-vous
quel temps il faudrait à un train express pour atteindre la Lune ?
Trois cents jours. Pas davantage. Un trajet de quatre-vingt-six
mille quatre cent dix lieues, mais qu’est-ce que cela ? Pas même
neuf fois le tour de la Terre, et il n’est point de marins ni de
voyageurs un peu dégourdis qui n’aient fait plus de chemin
pendant leur existence. Songez donc que je ne serai que quatre-
vingt-dix-sept heures en route ! Ah ! vous vous figurez que la
Lune est éloignée de la Terre et qu’il faut y regarder à deux fois
avant de tenter l’aventure ! Mais que diriez-vous donc s’il
s’agissait d’aller à Neptune, qui gravite à onze cent quarante-sept
millions de lieues du Soleil ! Voilà un voyage que peu de gens
pourraient faire, s’il coûtait seulement cinq sols par kilomètre ! Le
baron de Rothschild lui-même, avec son milliard, n’aurait pas de
quoi payer sa place, et faute de cent quarante-sept millions, il
resterait en route !
- 141 -
Savez-vous ce que je pense de ce monde qui commence à l’astre
radieux et finit Neptune ? Voulez-vous connaître ma théorie ? Elle
est bien simple ! Pour moi, le monde solaire est un corps solide,
homogène ; les planètes qui le composent se pressent, se
touchent, adhèrent, et l’espace existant entre elles n’est que
l’espace qui sépare les molécules du métal le plus compacte,
argent ou fer, or ou platine ! J’ai donc le droit d’affirmer, et je
répète avec une conviction qui vous pénétrera tous : « La distance
est un vain mot, la distance n’existe pas !
« Mes amis, dit Michel Ardan, je pense que cette question est
maintenant résolue. Si je ne vous ai pas convaincus tous, c’est que
j’ai été timide dans mes démonstrations, faible dans mes
arguments, et il faut en accuser l’insuffisance de mes études
théoriques. Quoi qu’il en soit, je vous le répète, la distance de la
Terre à son satellite est réellement peu importante et indigne de
préoccuper un esprit sérieux. Je ne crois donc pas trop m’avancer
en disant qu’on établira prochainement des trains de projectiles,
dans lesquels se fera commodément le voyage de la Terre à la
Lune. Il n’y aura ni choc, ni secousse, ni déraillement à craindre,
et l’on atteindra le but rapidement, sans fatigue, en ligne droite,
« à vol d’abeille », pour parler le langage de vos trappeurs. Avant
vingt ans, la moitié de la Terre aura visité la Lune !
- 142 -
– Hurrah ! hurrah pour Michel Ardan ! s’écrièrent les
assistants, même les moins convaincus.
- 143 -
– On ne peut répondre avec plus de logique et de justesse, dit
le président du Gun-Club. La question revient donc à celle-ci : Les
mondes sont-ils habitables ? Je le crois, pour ma part.
- 144 -
l’analyse des traces indiscutables de carbone ; que cette substance
ne doit son origine qu’à des êtres organisés, et que, d’après les
expériences de Reichenbach, elle a dû être nécessairement
« animalisée ». Enfin, si j’étais théologien, je lui dirais que la
Rédemption divine semble, suivant saint Paul, s’être appliquée
non seulement à la Terre, mais à tous les mondes célestes. Mais je
ne suis ni théologien, ni chimiste, ni naturaliste, ni physicien.
Aussi, dans ma parfaite ignorance des grandes lois qui régissent
l’univers, je me borne à répondre : Je ne sais pas si les mondes
sont habités, et, comme je ne le sais pas, je vais y voir !
83
L’inclinaison de l’axe de Jupiter sur son orbite n’est que de 3 5’.
- 145 -
jouir de températures invariables ; il y a la zone des printemps, la
zone des étés, la zone des automnes et la zone des hivers
perpétuels ; chaque Jovien peut choisir le climat qui lui plaît et se
mettre pour toute sa vie à l’abri des variations de la température.
Vous conviendrez sans peine de cette supériorité de Jupiter sur
notre planète, sans parler de ses années, qui durent douze ans
chacune ! De plus, il est évident pour moi que, sous ces auspices
et dans ces conditions merveilleuses d’existence, les habitants de
ce monde fortuné sont des êtres supérieurs, que les savants y sont
plus savants, que les artistes y sont plus artistes, que les méchants
y sont moins méchants, et que les bons y sont meilleurs. Hélas !
que manque-t-il à notre sphéroïde pour atteindre cette
perfection ? Peu de chose ! Un axe de rotation moins incliné sur le
plan de son orbite.
- 146 -
XX
ATTAQUE ET RIPOSTE
Cet incident semblait devoir terminer la discussion. C’était le
« mot de la fin », et l’on n’eût pas trouvé mieux. Cependant,
quand l’agitation se fut calmée, on entendit ces paroles
prononcées d’une voix forte et sévère :
- 147 -
A cette affirmation, Ardan redressa sa fauve crinière ; il
comprit que la lutte allait s’engager avec cet homme sur le vif de
la question. Il le regarda fixement à son tour, et dit :
– Les savants.
– Vraiment ?
– Vraiment.
- 148 -
– Pourquoi ! répondit Ardan. Par la raison que celui-là est
toujours brave qui ne soupçonne pas le danger ! Je ne sais rien,
c’est vrai, mais c’est précisément ma faiblesse qui fait ma force.
- 149 -
On regarda le Français, car, l’observation une fois admise, les
conséquences en étaient rigoureuses.
– Mettez.
- 150 -
produisaient dans notre atmosphère. Voilà ce qu’ont répondu les
savants à l’énoncé de ces faits, et ce que je réponds avec eux.
– Absolument certain !
- 151 -
sans tirer vanité de son dernier avantage, il dit simplement :
« Vous voyez donc bien, mon cher monsieur, qu’il ne faut pas se
prononcer d’une façon absolue contre l’existence d’une
atmosphère à la surface de la Lune ; cette atmosphère est
probablement peu dense, assez subtile, mais aujourd’hui la
science admet généralement qu’elle existe.
- 152 -
– Parce que la Lune, sous l’action de l’attraction terrestre, a
pris la forme d’un œuf que nous apercevons par le petit bout. De
là cette conséquence due aux calculs de Hansen, que son centre
de gravité est situé dans l’autre hémisphère. De là cette
conclusion que toutes les masses d’air et d’eau ont dû être
entraînées sur l’autre face de notre satellite aux premiers jours de
sa création.
- 153 -
– Oui ! cent, mille, répondit l’inconnu avec emportement. Ou
plutôt, non, un seul ! Pour persévérer dans votre entreprise, il
faut que vous soyez...
– Elle sera six fois moins rapide qu’une chute sur la Terre,
puisque la pesanteur est six fois moindre à la surface de la Lune.
- 154 -
– Mais elle sera encore suffisante pour vous briser comme du
verre !
– Je ne reviendrai pas !
- 155 -
– Et qui donc, s’il vous plaît ? demanda Michel Ardan d’une
voix impérieuse.
L’estrade fut enlevée tout d’un coup par cent bras vigoureux,
et le président du Gun-Club dut partager avec Michel Ardan les
honneurs du triomphe. Le pavois était lourd, mais les porteurs se
relayaient sans cesse, et chacun se disputait, luttait, combattait
pour prêter à cette manifestation l’appui de ses épaules.
- 156 -
tandis qu’une armée de cent mille hommes veillait sous ses
fenêtres.
– Le capitaine Nicholl.
– Publiquement.
– A l’instant.
- 157 -
– Non. Je désire que tout se passe secrètement entre nous. Il
y a un bois situé à trois milles de Tampa, le bois de Skersnaw.
Vous le connaissez ?
– Je le connais.
- 158 -
XXI
COMMENT UN FRANÇAIS ARRANGE UNE
AFFAIRE
Pendant que les conventions de ce duel étaient discutées
entre le président et le capitaine, duel terrible et sauvage, dans
lequel chaque adversaire devient chasseur d’homme, Michel
Ardan se reposait des fatigues du triomphe. Se reposer n’est
évidemment pas une expression juste, car les lits américains
peuvent rivaliser pour la dureté avec des tables de marbre ou de
granit.
- 159 -
Pendant que J.-T. Maston parlait ainsi, Michel Ardan,
renonçant l’interrompre, s’était précipité dans son vaste pantalon,
et, moins de deux minutes après, les deux amis gagnaient à toutes
jambes les faubourgs de Tampa-Town.
- 160 -
heures et demie le bois de Skersnaw. Barbicane devait avoir passé
sa lisière depuis une demi-heure.
– Il y a longtemps ?
– Non.
– Pas un seul ?
- 161 -
– Entrer dans le bois, au risque d’attraper une balle qui ne
nous est pas destinée.
- 162 -
– Mais nous ! nous ! répondit Michel Ardan, depuis notre
entrée sous bois, nous aurions entendu ! ...
– Et c’est ? ...
– Le capitaine Nicholl !
- 163 -
– Nicholl ! » s’écria Michel Ardan, qui ressentit un violent
serrement de cœur.
- 164 -
Il se retourna. Michel Ardan était devant lui, répétant sur
tous les tons :
« Et un aimable homme !
Nicholl, dit Michel Ardan, ceci n’est pas poli ! il faut toujours
respecter son adversaire ; soyez tranquille, si Barbicane est
vivant, nous le trouverons, et d’autant plus facilement que, s’il ne
s’est pas amusé comme vous à secourir des oiseaux opprimés, il
doit vous chercher aussi. Mais quand nous l’aurons trouvé, c’est
Michel Ardan qui vous le dit, il ne sera plus question de duel
entre vous.
– Je me battrai, monsieur !
– Point.
- 165 -
vous voulez absolument tuer quelqu’un, tirez sur moi, ce sera
exactement la même chose.
- 166 -
« C’est lui ! » fit Maston.
« Barbicane ! Barbicane !
– Quoi ?
– Mon moyen !
– Quel moyen ?
- 167 -
– Oui ! de l’eau ! de l’eau simple qui fera ressort... Ah !
Maston ! s’écria Barbicane, vous aussi !
- 168 -
fini entre vous, et puisque vous êtes gens à risquer votre peau,
acceptez franchement la proposition que je vais vous faire.
- 169 -
l’affaire est arrangée, mes amis, permettez-moi de vous traiter à
la française. Allons déjeuner.
- 170 -
XXII
LE NOUVEAU CITOYEN DES ÉTATS-UNIS
Ce jour-là toute l’Amérique apprit en même temps l’affaire du
capitaine Nicholl et du président Barbicane, ainsi que son
singulier dénouement. Le rôle joué dans cette rencontre par le
chevaleresque Européen, sa proposition inattendue qui tranchait
la difficulté, l’acceptation simultanée des deux rivaux, cette
conquête du continent lunaire à laquelle la France et les États-
Unis allaient marcher d’accord, tout se réunit pour accroître
encore la popularité de Michel Ardan.
- 171 -
d’entre eux prétendaient parler « le sélénite » et voulurent
l’apprendre à Michel Ardan. Celui-ci se prêta de bon cœur à leur
innocente manie et se chargea de commissions pour leurs amis de
la Lune.
- 172 -
– Pourquoi ? répondit Ardan. Ma foi, je te ferai la même
réponse qu’Arago répétait dix-neuf siècles après Plutarque :
« C’est peut-être parce que ça n’est pas vrai !
Non seulement il eut pour lui les hommes, mais aussi les
femmes. Quel nombre infini de « beaux mariages » il aurait faits,
pour peu que la fantaisie l’eût pris de « se fixer » ! Les vieilles
misses surtout, celles qui depuis quarante ans séchaient sur pied,
rêvaient nuit et jour devant ses photographies.
- 173 -
Les femmes sont intrépides quand elles n’ont pas peur de tout.
Mais son intention n’était pas de faire souche sur le continent
lunaire, et d’y transplanter une race croisée de Français et
d’Américains. Il refusa donc.
- 174 -
« Vois-tu, mon vieux Maston, lui dit-il, il ne faut pas prendre
mes paroles en mauvaise part ; mais vraiment là, entre nous, tu es
trop incomplet pour te présenter dans la Lune !
- 175 -
« Quel dommage de ne pouvoir y prendre place ! » disait J.-T.
Maston en regrettant que sa taille ne lui permît pas de tenter
l’aventure.
- 176 -
Quoi qu’il en soit, après cette expérience, toute hésitation,
toute crainte disparurent ; d’ailleurs les plans de Barbicane
devaient encore perfectionner le projectile et anéantir presque
entièrement les effets de contrecoup. Il n’y avait donc plus qu’à
partir.
- 177 -
XXIII
LE WAGON-PROJECTILE
Après l’achèvement de la célèbre Columbiad, l’intérêt public
se rejeta immédiatement sur le projectile, ce nouveau véhicule
destin transporter à travers l’espace les trois hardis aventuriers.
Personne n’avait oublié que, par sa dépêche du 30 septembre,
Michel Ardan demandait une modification aux plans arrêtés par
les membres du Comité.
- 178 -
imposantes et coiffé de son chapeau conique, on l’eût pris
volontiers pour une de ces épaisses tourelles en façon de
poivrières, que les architectes du Moyen Age suspendaient à
l’angle des châteaux forts. Il ne lui manquait que des meurtrières
et une girouette.
- 179 -
– Cela ne m’étonne pas, reprit Michel Ardan. Apprends donc
que, dans cette pièce, il y a un voleur qui, au moment de percer le
mur d’une maison, se demande s’il donnera à son trou la forme
d’une lyre, d’une fleur, d’un oiseau ou d’une amphore. Eh bien !
dis-moi, ami Barbicane, si à cette époque tu avais été membre du
jury, est-ce que tu aurais condamné ce voleur-là ?
- 180 -
parfaitement étanche, qui glissait à frottement sur les parois
intérieures du projectile. C’est sur ce véritable radeau que les
voyageurs prenaient place. Quant à la masse liquide, elle était
divisée par des cloisons horizontales que le choc au départ devait
briser successivement. Alors chaque nappe d’eau, de la plus basse
à la plus haute, s’échappant par des tuyaux de dégagement vers la
partie supérieure du projectile, arrivait ainsi à faire ressort, et le
disque, muni lui-même de tampons extrêmement puissants, ne
pouvait heurter le culot inférieur qu’après l’écrasement successif
des diverses cloisons. Sans doute les voyageurs éprouveraient
encore un contrecoup violent après le complet échappement de la
masse liquide, mais le premier choc devait être presque
entièrement amorti par ce ressort d’une grande puissance.
Il est vrai que trois pieds d’eau sur une surface de cinquante-
quatre pieds carrés devaient peser près de onze mille cinq cents
livres ; mais la détente des gaz accumulés dans la Columbiad
suffirait, suivant Barbicane, à vaincre cet accroissement de poids ;
d’ailleurs le choc devait chasser toute cette eau en moins d’une
seconde, et le projectile reprendrait promptement sa pesanteur
normale.
- 181 -
Ainsi donc toutes les précautions imaginables pour amortir le
premier choc avaient été prises, et pour se laisser écraser, disait
Michel Ardan, il faudrait être « de bien mauvaise composition ».
- 182 -
montrés moins intelligents dans les aménagements du wagon-
projectile.
- 183 -
près de cinq pour cent de son oxygène et contient alors un volume
à peu près égal d’acide carbonique, produit définitif de la
combustion des éléments du sang par l’oxygène inspiré. Il arrive
donc que dans un milieu clos, et après un certain temps, tout
l’oxygène de l’air est remplacé par l’acide carbonique, gaz
essentiellement délétère.
- 184 -
« Puisque je ne pars pas, dit ce brave artilleur, c’est bien le
moins que j’habite le projectile pendant une huitaine de jours.
- 185 -
XXIV
LE TÉLESCOPE DES MONTAGNES
ROCHEUSES
Le 20 octobre de l’année précédente, après la souscription
close, le président du Gun-Club avait crédité l’Observatoire de
Cambridge des sommes nécessaires à la construction d’un vaste
instrument d’optique. Cet appareil, lunette ou télescope, devait
être assez puissant pour rendre visible à la surface. de la Lune un
objet ayant au plus neuf pieds de largeur.
84
C’est le point o les rayons lumineux se réunissent après avoir
été réfractés.
- 186 -
la confection des objectifs, qu’ils soient faits de lentilles ou de
miroirs métalliques.
85
Elle a coûté 80 000 roubles (320 000 Francs).
86
On entend souvent parler de lunettes ayant une longueur bien
plus considérable ; une, entre autres, de 300 pieds de foyer, fut établie
par les soins de Dominique Cassini à l’Observatoire de Paris ; mais il
faut savoir que ces lunettes n’avaient pas de tube. L’objectif était
suspendu en l’air au moyen de mâts, et l’observateur, tenant son
oculaire à la main, venait se placer au foyer de l’objectif le plus
exactement possible. On comprend combien ces instruments étaient
d’un emploi peu aisé et la difficulté qu’il y avait de centrer deux
lentilles placées dans ces conditions.
- 187 -
construction en maçonnerie pour disposer les appareils
nécessaires la manœuvre de l’instrument, qui pesait vingt-huit
mille livres.
Donc, bien que les images fussent mieux éclairées dans les
lunettes, avantage inappréciable quand il s’agit d’observer la
Lune, dont la lumière est simplement réfléchie, on se décida à
employer le télescope, qui est d’une exécution plus prompte et
permet d’obtenir de plus forts grossissements. Seulement, comme
les rayons lumineux perdent une grande partie de leur intensité
- 188 -
en traversant l’atmosphère, le Gun-Club résolut d’établir
l’instrument sur l’une des plus hautes montagnes de l’Union, ce
qui diminuerait l’épaisseur des couches aériennes.
87
Ces réflecteurs sont nommés « front view telescope ».
- 189 -
Ces résolutions prises, les travaux commencèrent. D’après les
calculs du bureau de l’Observatoire de Cambridge, le tube du
nouveau réflecteur devait avoir deux cent quatre-vingts pieds de
longueur, et son miroir seize pieds de diamètre. Quelque colossal
que fût un pareil instrument, il n’était pas comparable à ce
télescope long de dix mille pieds (— 3 kilomètres et demi) que
l’astronome Hooke proposait de construire il y a quelques années.
Néanmoins l’établissement d’un semblable appareil présentait de
grandes difficultés.
- 190 -
mille quatre cent trente-neuf, et le Kintschindjinga88 vingt-six
mille sept cent soixante-seize au-dessus du niveau de la mer.
88
La plus haute cime de l’Himalaya.
89
Un million six cent mille francs.
- 191 -
fois les objets observés ? Des populations, des troupeaux
d’animaux lunaires, des villes, des lacs, des océans ? Non, rien
que la science ne connût déjà, et sur tous les points de son disque
la nature volcanique de la Lune put être déterminée avec une
précision absolue.
90
Nébuleuse qui apparaît sous la forme d’une écrevisse.
- 192 -
XXV
DERNIERS DÉTAILS
On était au 22 novembre. Le départ suprême devait avoir lieu
dix jours plus tard. Une seule opération restait encore à mener à
bonne fin, opération délicate, périlleuse, exigeant des précautions
infinies, et contre le succès de laquelle le capitaine Nicholl avait
engagé son troisième pari. Il s’agissait, en effet, de charger la
Columbiad et d’y introduire les quatre cent mille livres de fulmi-
coton. Nicholl avait pensé, non sans raison peut-être, que la
manipulation d’une aussi formidable quantité de pyroxyle
entraînerait de graves catastrophes, et qu’en tout cas cette masse
éminemment explosive s’enflammerait d’elle-même sous la
pression du projectile.
- 194 -
bouche, tandis qu’il pourchassait les imprudents auxquels il
donnait ce funeste exemple, le président du Gun-Club vit bien
qu’il ne pouvait pas compter sur cet intrépide fumeur, et il fut
réduit à le faire surveiller tout spécialement.
- 195 -
C’était donc un précieux document pour les voyageurs, car ils
pouvaient déjà étudier le pays avant d’y mettre le pied.
- 196 -
sacs de terre pour les y semer. En tout cas, il prit une douzaine
d’arbustes qui furent soigneusement enveloppés d’un étui de
paille et placés dans un coin du projectile.
91
Environ 200 litres.
- 197 -
pourra-t-on pas nous envoyer des obus chargés de vivres, que
nous attendrons à jour fixe ?
- 198 -
Ce fut un moment palpitant. Que les chaînes vinssent à casser
sous ce poids énorme, et la chute d’une pareille masse eût
certainement déterminé l’inflammation du fulmi-coton.
- 199 -
XXVI
FEU !
Le premier jour de décembre était arrivé, jour fatal, car si le
départ du projectile ne s’effectuait pas le soir même, à dix heures
quarante-six minutes et quarante secondes du soir, plus de dix-
huit ans s’écouleraient avant que la Lune se représentât dans ces
mêmes conditions simultanées de zénith et de périgée.
- 200 -
Tous les peuples de la terre y avaient des représentants ; tous
les dialectes du monde s’y parlaient à la fois. On eût dit la
confusion des langues, comme aux temps bibliques de la tour de
Babel. Là, les diverses classes de la société américaine se
confondaient dans une égalité absolue. Banquiers, cultivateurs,
marins, commissionnaires, courtiers, planteurs de coton,
négociants, bateliers, magistrats, s’y coudoyaient avec un sans-
gêne primitif. Les créoles de la Louisiane fraternisaient avec les
fermiers de l’Indiana ; les gentlemen du Kentucky et du
Tennessee, les Virginiens élégants et hautains donnaient la
réplique aux trappeurs à demi sauvages des Lacs et aux
marchands de bœufs de Cincinnati. Coiffés du chapeau de castor
blanc à larges bord, ou du panama classique, vêtus de pantalons
en cotonnade bleue des fabriques d’Opelousas, drapés dans leurs
blouses élégantes de toile écrue, chaussés de bottines aux
couleurs éclatantes, ils exhibaient d’extravagants jabots de batiste
et faisaient étinceler leur chemise, à leurs manchettes, à leurs
cravates, à leurs dix doigts, voire même à leurs oreilles, tout un
assortiment de bagues, d’épingles, de brillants, de chaînes, de
boucles, de breloques, dont le haut prix égalait le mauvais goût.
Femmes, enfants, serviteurs, dans des toilettes non moins
opulentes, accompagnaient, suivaient, précédaient, entouraient
ces maris, ces pères, ces maîtres, qui ressemblaient à des chefs de
tribu au milieu de leurs familles innombrables.
92
Mets composé de poissons divers.
- 201 -
quelles vociférations engageantes retentissaient dans les bar-
rooms ou les tavernes ornées de verres, de chopes, de flacons, de
carafes, de bouteilles aux formes invraisemblables, de mortiers
pour piler le sucre et de paquets de paille !
- 202 -
Jusqu’au soir, une agitation sourde, sans clameur, comme
celle qui précède les grandes catastrophes, courut parmi cette
foule anxieuse. Un indescriptible malaise régnait dans les esprits,
une torpeur pénible, un sentiment indéfinissable qui serrait le
cœur. Chacun aurait voulu « que ce fût fini ».
- 204 -
La lune s’avançait sur un firmament d’une pureté limpide,
éteignant sur son passage les feux scintillants des étoiles ; elle
parcourait alors la constellation des Gémeaux et se trouvait
presque à mi-chemin de l’horizon et du zénith. Chacun devait
donc facilement comprendre que l’on visait en avant du but,
comme le chasseur vise en avant du lièvre qu’il veut atteindre.
- 205 -
XXVII
TEMPS COUVERT
Au moment où la gerbe incandescente s’éleva vers le ciel à
une prodigieuse hauteur, cet épanouissement de flammes éclaira
la Floride entière, et, pendant un instant incalculable, le jour se
substitua la nuit sur une étendue considérable de pays. Cet
immense panache de feu fut aperçu de cent milles en mer du golfe
comme de l’Atlantique, et plus d’un capitaine de navire nota sur
son livre de bord l’apparition de ce météore gigantesque.
- 206 -
rade, vinrent à la côte, après avoir cassé leurs chaînes comme des
fils de coton.
Enfin, et pour tout dire, bien que le fait n’ait d’autre garantie
que l’affirmation de quelques indigènes, une demi-heure après le
départ du projectile, des habitants de Gorée et de Sierra Leone
prétendirent avoir entendu une commotion sourde, dernier
déplacement des ondes sonores, qui, après avoir traversé
l’Atlantique, venait mourir sur la côte africaine.
93
M. Belfast.
- 207 -
Mais un phénomène imprévu, quoique facile à prévoir, et
contre lequel on ne pouvait rien, vint bientôt mettre l’impatience
publique à une rude épreuve.
- 208 -
secondes du soir, devaient arriver le 4 à minuit. Donc, jusqu’à
cette époque, et comme après tout il eût été bien difficile
d’observer dans ces conditions un corps aussi petit que l’obus, on
prit patience sans trop crier.
- 209 -
ciel serait rasséréné, les chances de l’observation seraient
singulièrement amoindries ; en effet, la Lune ne montrerait plus
alors qu’une portion toujours décroissante de son disque et
finirait par devenir nouvelle, c’est-à-dire qu’elle se coucherait et
se lèverait avec le soleil, dont les rayons la rendraient absolument
invisible. Il faudrait donc attendre jusqu’au 3 janvier, à midi
quarante-quatre minutes, pour la retrouver pleine et commencer
les observations.
- 210 -
XXVIII
UN NOUVEL ASTRE
Cette nuit même, la palpitante nouvelle si impatiemment
attendue éclata comme un coup de foudre dans les États de
l’Union, et, de là, s’élançant à travers l’Océan, elle courut sur tous
les fils télégraphiques du globe. Le projectile avait été aperçu,
grâce au gigantesque réflecteur de Long’s-Peak.
—Longs’s-Peak, 12 décembre.—
- 211 -
Lune peut être évaluée deux mille huit cent trente-trois milles
environ (— 4 500 lieues).
J. -M. BELFAST.
- 212 -
Terre ? Non, sans doute, car ils s’étaient mis en dehors de
l’humanité en franchissant les limites imposées par Dieu aux
créatures terrestres. Ils pouvaient se procurer de l’air pendant
deux mois. Ils avaient des vivres pour un an. Mais après ? ... Les
cœurs les plus insensibles palpitaient à cette terrible question.
- 213 -
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20 août 2003
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