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Louis

MASSIGNON

Parole
donnee
Introduction de Vincent Monteil

DOSSIERS DES « LETTRES NOUVELLES ~


30, rue de l'Universite, Paris-7"
JULLIARD
DOSSIERS DES "LETTRES NOUVELLES"
Collgction dirigee par Maurice Nadeau
© 1962 by Rene JULLIARD.

PRI~TED IN FRANCE
TOUTE UNE VIE
AVEC UN FRERE P ARTI AU DESERT
FOUCAULD

M ON collegue E. Gautier, geographe emiuent, saharien pro-


fessionnel, humoriste anticlerical, a dit, it propos de
Foucauld explorant Ie Maroc, qu'il etait posse de de
«la r age laique de com prendre ». En fait, toute la vie de
Foucauld, avant comme apres sa conversion, s'est tendue
comme un arc, vers un absolu, vers la Verite.
Etant de Sorbonne, forme dans cette maison de science
depuis 1901, exerce it tous ses examens, encore en activite
(Hautes Etudes et Institut Iranien), j'apporte l'hommage de
mes pairs it l'omvre scientifique, topographique, demogra-
phi que et linguistique de Foucauld. En topographie ses
leves et dessins etonnants conquerant Ie paysage, en lin-
guistique sa maitrise des dialectes berberes du Sahara, sa
methode un peu gauche, mais puissante d'autodidacte rompu
it une technique d'exhaustion (admiree par Rene et Andre
Basset, maitres en la matiere).
II existe un domaine de l'intelligence plus profond, on Fou-
cauld, devenu croyant, se montra un explorateur et un decou-
vreur hors pair; en psychologie religieuse, en cette veritable
missiologie qu'est la decouverte experiment ale du sacre chez ,
les autres, et, par reaction, de Ja saintete en lui-meme. Un
sociologue tue it l'armee d'ltalie, saharien lui aussi, eh. Le
Creur (ap. Le Rite et l'Outil, these de 1939), a souligne que
c'etait en cela que moi-meme, universitaire, je m'etais senti
devenir disciple de Foucauld. Et c'est exact: Foucauld m'a
fait sortir du prohleme classique des rapports entre la science

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PAROLE DONNEE

et la foi, de la theOloie pure, pal" ce que j'ai observe" veclt


dans la collision opposant Ia foi monotheiste monolithique des
musulmans a la technique perforauoice de penetration colo-
niale de la culture occidentale, dans ce choc qui nous a fait
retronver a l'uB, puis a l'autre, ct a Ernest Psichari, la foi
chretienne, dans la bIessnre d'nne compassion divine, de com-
battants devenus fratel"nelso
Je suis donc tenu de vous expliquelo comment, dans cette
experience vitale du saCloe chez les autres, Foucauld m'a etc
donne comme un frel"e aine, et comment iI m'a fait trollver
dans tOllS les autres humains, en commen~ant par lea pluE
abandonnes, mes ft°ercs. Foucauld comme tous les contempla-
tifs, n'avait pas recherche la formation philosophique et theo-
logique pennettant d'exposer doctrinalement les etapes de
Ia vie interieure (on Huvelin et Crozier qu'il me fit connaitre,
Jui fournissaient Ie vocabulaire correct) Et ce n'est pas ceb
0

qui m'attirait a lui; j'avais besoin qu'il me communique, par


contact spirituel, avec des mots tres simples, entretiens et
lettres, - son initiation experimentale it 1a comprehension
vraie de la condition humaine, sa science experiment ale de la
compassion qui Ie pcnchait, Ie vouait aux humahn Ie" plus
abandonneso Car mon experience personnelle me faisait pres-
sentir que les plus abandonnes des hommes, au sens metaphy-
sique Ie plus symbolique de la voie negative Ia plus Bublime,
ce sont Ies MusuImans : ces mysterieux exclus des preferences
divines dans l'histoire, fils d'Abloaham ponrtant, mats ehasses
au desert avec Israel et Agaro Je pressentais que eet exil tem-
poraire etait la prefigure de Ia vie penitentielle d'Ennites, de
Solitaires qui sanctifierait toutcs les generations musulmanes
realisant pour elles Ie Sacrifice du Courbiin, obtenant par
leur compassion fratelonelle la descente de la Miserieordeo
Foucauld l1'etait pas fait pour annoncer vocalement rEvan-
gile par une predication de propagandiste. 4!tnonciateur de
nos temps de perversion on toute parole est viciee palO la
technocratie, il venait partager l'humhle vie des plus hum~
'a nant avec eux Ie pain quotidien dans Ie ~ saint travail des
:mains », avant e eur aire concevoir, par son exemple
silencieux, Ie vrai Pain spirituel de l'Hospitalite que ces hum-
bles lui avaient offerte, la Parole de Verite, Ie Pain de .. Anges,
dans Ie sacrement de I'instant present. Sons Ie tisom des faits
empiriques, il leur ferait deviner l'action transcendante. Deja

64
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

u sa contemplation voyait Ie temporel dechire par l'irruption


de l'eternel.
) - Cette connaissance experimentale du sacre n'est pas nne
it science toute faite, c'est une comprehension, une interior is a-I
H tion . qui ne se communique pas par des techniques externes,
1- mais .Ear l'accell . on Ie transfert sur n s souff ances
d'autrui. Mais il est possible d'en aborder l'etude, indirecte-
[e ~ par des statistiques de frequences portant sui' ces cas
le de compassion, dont les psychologues et sociologues ne nient
~r pas l'existence s'ils en contestent l'interpretation religieuse.
18 Dans les milieux croyants, les directeurs d'ames savent hien
a- qu'on ne peut hatir la vie administrative d'une communaute
D- sur ces charismes caches, mais ils recommandent aux ames \
Ie qui les ont eprouves d'y honorer une motion spirituelle pure,
e, un appel a sortir d'elles-memes vers autrui, a aimer fraternel-
l:l tement horscteleur milieu et de leur parente du temps et d;;"'
11' l'espace d'ici-bas, dans nne fraternisation ordonnee a l'uni-
~t v~; car ces soufIrances de compaSSIOn sont es signes d-;;-la
11 predestination d'un chacun a une vie superieure, inImortelle.
la «Celui dont Ie coeur vit d'aimer ne peut mourir.»
18 Ce n'est donc pas pour vous parler du contour externe,
s- materiel, des contacts que j'ai eus avec Foucauld, en vue
)"- d'oeuvres organisees on nos vies ont ete apparemment steriles
e, en resultats numeriques, - mais pour les traces spirituelles
lumineuses, divine ran~on de nos echecs, que ma memoire en
a gardees: coincidences inIprevisibles, irreversibles, irrecu-
!l - sables (pour nous deux au moins), qui ont tisse comme une
Ie constellation tenue de fils de la Vierge entre nos deux voca-
tions et nos deux destinees.
n' C'est Ie jour meme on j'allais me fiancer, approuve en cela
e. par Foucauld, qui renonc;ait ainsi a son espoir de me voir
11- vivre a Acekrem, qu'il faUut bien que je me donne incondi-
Ie tionneUement a l'humble sodalite qu'il essayait de fonder
[;" pour survivre apres sa mort. Je devinais que j'etais seul, et
je ne pouvais tout de meme pas laisser ce Pauvre seul, parce
que je fondais un foyer.
C'etait Ie 15 octobre 1913. Comment en etais-je arrive la ?
1- Mon desir de l'Afriquedes l'enfance; it 12 ans abonne au
Bulletin du Comite de 1'Afrique Franc;aise (memb re du Co-
ts mite jusqu'en 1940). Ma famille liee a l'AIgerie par Ie par-
rain de ma mere, Ie docteur Quesnoy, medecin militaire la-bas,

65
3
PAROLE DONNEE
mort inspecteur general aux Invalides; puis, de puis Ie seJour
de mon pere la-bas, aupres de son ami Georges Favereau..1{,
du cabinet de Tirman, a des officiers de l'armee d'Afrique,
colonel Henry de Vialar, colonel Henry de Castries (gendre
de La Moriciere, ami des O. Sidi Cheikh et de de Foucauld),
commandant Alfred Le Chatelier, Ie createur d'Ouargla, qui
fit fonder au College de France la Chaire de sociologie musul-
mane ou je lui Buccedai pendant 30 ans, d'ou il organisait
notre penetration au Maroc par des enquetes auxquelles il
m'associa, style «afIaires Indigenes» ameliorees et durcies,
technocratiques; en rivalite avec l'ecole, qui triompha, de
Lyautey, dont je preferais, avec Castries, Ie style, Ie charme,
la sympathie noble envers l'Islam.
Alger des 1901; Maroc 1904, a 20 ans, pour controler de
visu mon etude sur les corporations de Fes au xvI" siecle;
caravane attaquee, trahi par mon interprete arabe, je me jure
d'apprendre l'arabe (je l'apprends toujours), je cesse de boire
du yin. A la verification de mon itineraire prepare a Paris,
la superiorite eclat ante des releves de Ch. de Foucauld
m'apparait. Je l'ecris; et en 1906, quand mon livre est publie
par la S.H.A. a -Alger, je veux remercier Foucauld. Demandant
a H. de Castries: vivant? - oui, mais il a rate S:1 vie,
retire comme pretre libre du cote de Beni-Abbes - je main-
tiens ma demande - (d'un ton change) Lyautey, nomme a
Ain Sefra, dine ici ce soir; il portera votre livre a Foucauld.
A l'introduction mienne tres annexionniste, Foucauld repond
de meme (style de l'epoque) mais ajoute (premiere fois qu'on

l
lui faisait un cadeau sur son cher Maroc), aux eIoges sur ma
documentation, ceci: «j'ofire a Dieu pour vous, mes pauvres
et indignes prieres, Le suppliant de vous henir, de bemr vos
travaux et toute votre vie. »
J'avais perdu toute foi, mais cette aumi'me de paUVl'e fut
acceptee. Puis oubliee. Deux ans plus tard, elle revient sur moi.
Deux annees de travail linguistique arabe et de crise morale :
en Egypte, travail archeologique avec, en marge, escapades
violentes, deguise en fellah, milieux de hors-Ia-Ioi, rage de com-
prendre et de conquerir a tout prix l'Islam. Le Caire, trop
europe en, quitte pour Bagdad; la, chef de mission archeo-
logique officielle, mais vie ascetique, camoufie, sous protection,
« aman» d'une famille arahe de nohles musulmans; en vague
costume d' officier turc permissionnaire, chevauchoo au desert tion

66
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

~r it Ia recherche d'une ruille entre Kerbela et Nedjef (AI. ;


x, Okheidir); pris au piege (preparatifs Revolution Turque,
e, 1908), arrete comme espion, frappe, menace d'execution, essai
re de suicide par horrenr sacree de moi-meme, recueillement
), soudain, les yeux fermes devant un feu interieur, qui me juge
ui et me briile Ie ereur, certitude d'une Presence pure, ineffable,
11. creatrice, suspendant ma seutence a la priere d'etres invisibles, I
lit \'isiteurs de ma prison, dont les Noms frappent ma pensee : Ie \
il premier Nom, ma Mere (alors priait it Lourdes), Ie cinquieme
~S, Ie Nom de Ch. de Foucauld. Sauve par mes hotes, a leurs ris- I
Ie ques : Dakhiila, Ijara, Diyafa. A travers mille embiiches, retour
.e, en France .
Deuxieme remerciement impose: a Foucauld. Rentrer a
Ie l'ombre de sa priere de frere aine. Lui aussi deguise, pas-
e; sant pour espion (alors que sa seule et dure passion scienti-
re fique etait de remplir un vide dans Ia carte du Moyen Atlas
re marocain), sauve aussi par ses hotes, delL;;: guides, Hadj Bou
is, Rhim, Bel Qasem el Hamouzi (illeur erie, pref. 1888: « VOllS
ld it qui je de is Ia vie, vous reverrai-je jamais? ») Moi aussi,
ie deguise, traite d'espion (observatew' indiscret), sauve par
nt Illes hotes, mais pas seulement par des vivants (un mort,
lC, Hallaj, Ie martyr mystique de l'IsIam, mort crucifie pour Ie
n- pur amour inaccessible de Dieu : j'en ferai ma these de docto-
a rat; entrevue des Ie Caire). Ma premiere et tremblante
d. priere, en arabe, en prison, donnee par vam au salut d'un ami
Id musulman, rene gat desespere, et it travers Hallaj et lui, it
~n tous mes amis musulmans. «Cel . g:ui aime entre dans la
Ila dependance de celui i est aime» (Peguy). Comm~t expli-
les quer tout cela a Foucauld, qui n'avait guere medite Ie Coran
os al'abe, preferait Ie berbere it l'arabe, quoique son dernier mot
ait ete «baghi Dlllut », «je vais (ou veux) mourir », en arabe.
ut Mais il avait droit sur moi, Ie seul vivant lWmme pour m'ex-
!)l. pliciter Ie desir du desert et «nos devoirs speciaux» envers
les Musulmans.
es 29 novembre 1908 : je finis (5 mois de tergiversations) ma
Ill- lettre Ii Foucauld. Sa reponse, 8 fevriel' 1909 (: «cher Frere,
[)p vos Iettres me font benir Dieu, me font rendre graces. Je
~o· prie pour vous l'Amant Eternel... ») m'annonce son premier
In, retour a Paris (aprea 8 ans d'Afrique). Arrive pour 4 joura:
ue il vient de suite chez moi. II m'emmene recevoir Ia benedic-
~rt tion d'Huvelin percIue, puis me plonge, pour toute une nuit,

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GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

general des Peres Blancs, Ie seul qui soutiendra l'Association


il Foucauld apres sa mort, benit notre mariage sous Ie signe de
e- Charles de Foucauld, qui venait de m e prom ettr e son Direc-
Ir toire que je publierai en 1928, ayant attendu 12 ans l'impri- ./
e matur; en ayant publie des extraits au Caire (1917) et en japo-
nais par l'abbe Totsuka a Tokyo (1929, 2" edition a"moi remise
e
a Tokyo en 1958). Ce n'est qu'en 1950 (Tamanrasset) et en
1955 (Beni-Abb es) que je conduirai ma Femme, en execution
de notre engagement de 1914, jusqu'aux ermitages sahariens
de Foucauld.
1915: depart au }"r Zou~ves (16 mars), detache au C.E.D.
(Dardanelles 4 aout) , interprMe a l'aviation (esc. 98 T, per-
sonnel rampant) puis a l'etat-major, qui devient EM. 17" Divi-
:8 sion d'Infanterie Coloniale en Macedoine; la, je me decide a
e passer volontairement dans la troupe (4 et 9 octobre 1916)
n en tranchee de premiere ligne (sous-lieutenant TT, puis TD;
[s chef de bataillon de reserve en 1939), je l'ecris a FoucauId,
d lui demandant si cette decision lui semblait bonne (car, au
u fond de mon creur, c'etait un pauvre essai de lui montrer que
r, je n'avais pas deserte son appel, mais comprendrait-il ?).
(- Troisieme contact spirituel avec Foucallld: sa lettre dll I"
decembre 1916, ecrite quelques heures avant sa mort (apres
§. Mm., de Bondy, de Blic, et general Laperrine) : sa joie que j'aie
e choisi «Ie danger, la peine », - je realisais son desir d'ancien
:t officier «si Dieu vous conserve la vie, ce que je Lui demande
'r de tout mon creur ... »; par un echange etrange, il est tue, et
moi protege. Je ne recevrai cette lettre, precieusement con-
servee par rna Femme, que plus tard. Le 27 janvier 1917 (anni-
versaire de notre mariage), une lettre de ma Femme me donne
une coupure du Temps: FOUCAULD TUE AU SAHARA. Hausse
II au-dessus de moi, je monte, saisi d'une joie sacree, sur Ie
s, parapet de la tranchee enneigee, IL A TROUVE LE PASSAGE,
n IL EST ARRIVE. Quelques jours apres, permission pour Paris;
[t Mgr Le Roy, qui m'a ete indique par Mgr Livinhac, sauve
I'Association; et je pressens, a sa demande, Rene Bazin
pour la biographie de Foucauld. CFoucauld lui avait donne
mon nom dans sa seule lettre ecrite a lui, Bazin).
Depuis 1917, que de fois j'ai ret;;u des visites d'inconnus que
Foucauld m'envoyait.
Que de fois j'ai ete ainsi repris, par-dela la mort par Ie
contact angelique de l'ame de FoucauId, sous Ie choc sourd,

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PAROLE DONNEE
aveugle d'une compassion percutante, route du Bon Sama-
rita in de Jerusalem it Jericho (refaite Ie 31 janvier dernier
pour Ie 30' fois); appel a representer Ia France Ie J eudi-
Saint 1918 au Saint-Sepulcre durant Ie siege de VeTdun;
enquete de rapporteur de Ia Commission Interministerielle
du Centenaire de I'Algerie en 1929; restauration des CIa-
risses de Nazareth dans ce couvent qu'il avait aime (6 fevrier),
defense de la purete de son cher Nazareth ici, en Sorbonne,
Ie 17 juin 1948, reprenant Ie vreu traditionnel des docteurs
Sorhoniens (avant 1789) de de£endre l'Immaculee Conception;
vi sites des prisons. Tout cela sans grands resultats materiels.
Et tant d'autres coincidences de la grace, humainement
desolantes ou Foucauld m'a rejoint pour m'exhorter, eomme
il me l' avait eerit (30 oewbre 1909) a faire, avec Jesus, it son
Pere, «une declaration d'amour, de pur amour, dans la seehe-
resse, la nuit, l'eloignement, l'apparence du delaissement, Ie
doute en soi-meme, dans toutes les amertumes de l'amour,
sans aucune de ses douceurs ».
II avait espere trouver en moi un moyen de faire survivre
ses reuvres sahariennes - , et je n'aurai ete qu'une passerelle
pour Ie reduire a l'abandon et au detachement spirituel. Marie
Moitessier, M"'· Olivier de Bondy, sa cousine, sa grande arnie,
sa Sreur d'election, m'a affirme que Foucauld avait crn
jusqu'au bout que je viendrais prier aupres de lui au desert,
elle me iii l'aider a Ieguer son calice a nne religieuse que je
lui indiquai 1, a placer les ex-voto que Foucauld lui avait
confies, (je rallumai, avec D. Jourdain, sa lampe it la Made-
leine, a Ia Sainte-Baume).
Un des derniers. appels de Foucauld, c'est en 1950 quand il
m'a fallu aUer a Tamanrasset completer, avec ma Femme,
notre voyage de noces interrompu en 1914 a Touggourt. Par
l'avion militaire du ravitai1lement des postes fortifies du
Sahara Oriental, Ie Grand Erg, Fort Flatters, Fort Polignac,
Ghat (ou je parIai avec Madani ag Soda, Ie dernier survivant
des meurtriers de Foucauld), Djanet, Bir el Gharama, Taman-
rasset. La, dans la nuit du 19-20 octobre 1950 de II heures
du soir a 4 heures du matin, j'ai eu ma nuit d'adoration avec
Foucauld, dans son Borj; nuit noire, plus noire que notre

1. R. M. Marie Charles de Jesus, fondatrice des Mazes, morte en exil


Ie 9 novembre 1961 a Bruxelles; dans la «Soledad» ou entraient, ce
meme jour, ses Filles indiennes de Trivandrum.

70
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

a- premiere nuit d'adoration ensemble, au Sacre-Creur en 1909;


encore plus pauvre et calcinee. Mais, dit Ie proverbe arahe
.I- «Dieu sait voir ram per la fourmi noire, sur Ia pierre noire,
I; dans la nuit noire»: daMb al-nimlat al-sawdii, 'alii'alsakhrat
le al-samma, fi 'llaylat al-zulma.
i- POl'tant dans ma priere unie davantage it Ia sienne, dans
), mon sacrifice amalgame davant age it SOlI sacrifice, toute cette
e, masse de croyants musulmans pour qui il est mort, pour qui,
depuis plus de 50 ans, ma vie est fraternellement donnee:
,
I' par qui sa vie a ete violemment prise. Tous deux nous avions
s. pjrletre chez eux proteges par l'aman, l'hospitalite sacree,
It tous deux nous en avions ahuse, no~~onS'Sffvis, deguises,
·e dans notre rage laique de comprendre, de conquerir, de os-:
n seder. Mais notre deguisement meme les avait donnes it nous }
inexprimablement, par ce Droit d'Asile qu'aucun homme
.e d'honneur, surtout un hors-la-Ioi, ne peut trahir; car c'est .
r, son dernier point vierge, son honneur d'homme. On a com-
pare Foucauld au colonel Lawrence d'Arabie, et on a ose
e dire, croyant les louanger, que tous deux avaient abuse de
e l'hospitalite arabe et musulmane. Or, j'ai bien connu Lawrence,
.e Thomas Edward Lawrence, nous avons ete nommes tous les
deux, it egalite, officiers adjoints de rEmir Faysal it Djeddah;
u je sais, par ce qu'il m'a avoU(~, Ie jour de la prise de Jeru-
t, salem ou nous etions dans la meme auto: s'il a rejete ses
e galons, s'il est mort volontairement dans l'ahjection, simple
it soldat aviateur du personnel rampant, c'est de degout d'avoir
ete deIegue chez des Arabes revoltes turcs que nous nous
etions alEes, pour nous en servir, puis les lacher, comme s'il
etait permis it un homme d'honneur de livrer ses hotes.
.II
"
Je pense quelquefois : Foucauld a tellement respecte l'Hote
r et son Droit d'Asile, sacre pour un Pretre, que, s'il a accepte
Ll it la fin un depot d'armes dans son Borj, lui qui s'etait engage
!, par voeu a ne jamais avoir dans sa cellule aucune arme, c'est
.t qu'il donnait ainsi a ses ennemis « digpcnse pleniere de
l- verser son sang », en immolation legale.
IS Foucauld commuait pour eux d'avance la qualification de
C leur acte meurtrier, «soyez combattants de guerre sainte, et
e moi, je mourrai martyr ». II entrait ainsi deja dans leur coenl',
comIlle un yin enivrant. Jesus, deja brise sur la croix, est
il encore plus detruit dans l'offrande de son dernier repas fra-
e
terne!, dans cette pauvre relique fragile, frele merveille,

71
PAROLE DONNEE
I la parole de Dieu sous une forme adequate (Ie Coran est une
recitation «increee », ses consonnes isoIees signifient des idees
,\
divines). Le croyant doit .!Ion£. arriver a ...!. interj oriser », a
realiser sa priere arahe . ... L'Islam est avant tout temoignage -
(s a ada) formulant adoration du Dieu unique d'Ahraham, du
Misericordieux; Hallaj entrevit de honne heure que Ie Tawhid,
la formule de cette adoration n'est reelle que quand c'est celIe
que Dieu prononce Lui-meme ( « Laih min al-azal », d'Ansari),
celIe du Temoin Eternel (shahid al-qidam = I'Esprit). II Ie dira
, hientot: pour Ie croyant, l'invocation « au Nom de Dieu » doit
devenir «fiat» (= kun); «l'amour c'est se tenir dehout tout
pres du Bien-aime, en se renongant en entier et en se transfor-
mant en Sa configuration ». II semhle donc qu'en priant en
arahe, il ait deja ressenti une premiere touche d'unification per-
sonnalisatrice, et ressenti, pour en soufIrir sourdement, la jalou-
sie desirante de Dieu. «?ersonne n'est Ius °aloux que la
Verite Creatrice », dit uU:- hadith (la shakhs aghy ar min aI-
Haqq-Bokharj')':-« C'est l'archer qui, de suite, tend son are,
en vis ant Dieu, sans plus devier qu'il ne L'ait atteint (de ses
r fleches) ». «Celui qui considere ses reuvres perd de vue
Celui-Ia pour qui il les reuvrait; et celui qui considere Celui-
la pour qui il les reuvrait perd de vue ses reuvres ».
Apres avoir hrusquement 'choisi et ecoute, puis quitte Sahl,
de Tustar, son premier maitre en mystique, Halliij, a vingt
ans, e'en vient a Basra, on les Hiirithiya etaient lies avec les
B. Muhallah azdites, pour recevoir l'hahit monastique de sufi,
de la main de 'Amr Makki. La communaute musulmane pri-
mitive a ete fondee a Medine sous forme d'une fraternite spi-
rituelle de croyants supplantant Ie clan et la famille. Etre sufi,
~~ retrouver ceUe vie commune de comeagnonnage dont Ie
hien commun, la riere collective fait acceder ensemhle it
!!ieu, ear Imitation de u ammad, et aussi des autres pro-
phetes (ten dance universaliste). En meme temps qu'il regoit
I'hahit, Halliij contracte mariage avec Umm-al-Husayn, fille
d'Ahu Ya'qiih Aqta' Basri, mariage monogame, foyer uni
jusqu'au hout, d'au moins quatre enfants, trois fils et une fille.
dont Haliaj, durant ses ahsences, assurera la suhsistance grace
a son heau-frere, un Karnaba'i. Ce mariage, dont 'Amr Makki
fut jaloux, etahlit Hallaj it Basra, dans Ie quartier Tamim, clan
B. Mujashi', dont les Karnaba'iya, B. al'Amm, du Nahr Tira,
etaient «clients» (mawali); politiquement rallies a la rehel-

74
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

lion zeidite des Zanj (c'etait Ie temps de la guerre servile),


et partiellement contamines par l'heresie shi'ite extremiste
secrete des Mukhammisa. Son entree dans ce clan parait etre
it l'origine de sa reputation persistante de revolutionnaire
(d'ou sa premiere arrestation it Diri), voire de conspirateur
shi'ite. HalHij gardera, certes, de ces accointances de clan, de
curieux termes d'apparence shi'ite dans son apologetique, mais
il ne cessa de vivre a Basra, dans sa famille, d'une vie asce-
tique fervente et toujours sunnite : il jeunait chaque Ramadan
integralement, et Ie jour de la Fete (de cloture du jeune), il
s'hahillait de noir «car c'est I'habit qui convient it celni dont
les amvres sont reprouvees » (Akhb. 24) : attitude d'ame bien
curieuse, sorte de coquetterie d'humilite, avec Dieu.
Le conflit entre son directeur spirituel (Makki) et son beau-
pere (Aqta') persistant, Hallaj apres avoir patiente un bon
moment sur Ie conseil du celebre sUfi Junayd qu'il etait aIle
consulter it Bagdad, se lasse, et part pour Ia Mekke. Ce depart
parait avoir coincide avec l'ecrasement de la rebellion Zanj,
confirmant Hallaj dans cette certitude que ce n'est pas par
une guerre temporelle qu'on retablit l'unite de Ia Commu-
naute islamique, mais par Ies prieres et sacrifices de Ia vie
ascetique. II arrive a Ia Mekke pour son premier hajj (noter
que Ie pelerinage legal est la seule prescription canonique 1~
effectuable pour autrui); la, il fait vreu de demeurer un an
Cumra) sur Ie parvis du temple, en etat de jeune et de
silence perpetuels, a l'exemple de Maryam qui, selon Ie Coran,
se prepara ainsi a la naissance du «fiat» divin en elle~ Attente.
savouree p ar une sorte de gout interieur, cette khaIwa; soli- •
tude dans Ie silence, aide it la formation d'une parole subs-
tantielle dans Ie creur de l'ascete. «S'il etait jete un atome de
(
ce que j'ai dans Ie creur sur des montagnes, eUes fondraient ».
I « Mon esprit s'est emmeIe a Son Esprit comme Ie musc avec
l'ambre, comme Ie vin avec l'eau pure ». «Tu infonds la cons-
cience personnelle dans mon creur, comme les esprits s'in-
fondent dans les corps.» «Nos consciences sont une seule
Vierge... » «Oil seul l'Esprit- -de verite p enetre-;>. - Paroles
extatiques, locutions theopathiques, dont les -;Ufis recher-
chaient Ia jouissance it part soi, mais dont ils interdisaient la
repetition «it jeun », en public. Car Ie vice des sufis,c'est
de garder close sur eux seuls la chambre de leur intimite avec
Dieu (Hallaj au gibet sera interpelle par Ie sUfi Shibli lui

75
PAROLE DONNEE
criant Ie terrible verset coranique XV, 70, des gens de Sodome
a Lot: «ne t'avions-nous pas interdit d'accueillir aUCUIl
hote ? »); car la Loi islamique maintient que la Deite r este
inaccessible. Des lors, 'AmI' Makki rompt avec son ancien
disciple. De son cote Hallaj s'astreint it une rude discipline
d'observance rituelle, choisissant entre les rites Ie plus dur
(as'ab; par talfiq); des disciples viennent it lui, qu'il designe
en son poeme «ashitbi wakhillani »; c'est peut-etre pour eux
qu'il ecrit ses XXVII Riwiiyat, destinees it un public restreint
d'ascetes, contenant des hadith qudsi.
Revenu de la Mekke en Ahwiiz, il commence sa premiere '
predication publique, au grand scandale des sUfis; il rejette
alors l'habit sufi pour parler librement aux «gens du siecle »,
specialement aux scribes et publicains, public lettre, mais
blase et sceptique. Quelques-uns, des sunnites d'origine ara-
meenne et iranienne, ex-chretiens sortis des ecoles nestoriennes
de DeiI' Qunna, et promus viz irs it Bagdad (Qunna'iya:
B. Wahb et B. J arrith) deviennent et resteront pro-hallagiens;
d'autres, mu'tazilites et shi'ites, ces derniers gros fonction-
naires flscaux (B. aI-Fur itt, B. Nawbakht), ameutent la foulc
contre Hallaj, l'accusent de truquages, de faux miracles (dis-
tributions de vivres, de numeraire aux pauvres). Ce debut
de l'apostolat hallagien auquel il devra son nom (Halla' a1-
a.!iJ;jr = cardeur du plua.. intime secret dans les consciences )
est Jlne methode d'introspection mystigue universaliste; il \
cherche et veut fairc trouver Dieu par chacun au fond de son
arne, entrant en otage dans la necessite confessionnelle d'au- II
trui; il s'abstient de critiquer Ies denominations differen-
ciant les groupes cultuels monotheistes, par anti-qadarisme (ce
serait, dit-il, supposer que l'on se les choisit; Akhb. 45); il
faut remonter it nne Base, source des idees supremes, et de
toute comprehension (preface «sayhilr»); les formes des rites
ne sont qu'intermediaires, il faut passer outre pour en gouter
la realite divine. II use sans hesiter de la terminologie de ses
adversaires, mu' tazilites (shukr, 'adl) comme shi'ites selma-
niyens Cayn, mim, sin), pour la redresser et sublimer.
Rejeter Ie froc, dechirer Ie manteau rapiece, c'est rompre, /
la discipline de l'arcane, c'est se liVl'cr nu en spectacle au
soup~on et aux haines. «Quand Dieu prend un creur, II Ie
vide de ce qui n'cst pas Lui; quand II aime un serviteur, II
incite les autres a Ie persecuter, pour que ce serviteur vienne

76
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

se serrer contre Lui seul» (Akhh. 36). «Pretendre Le con·


naitre, c'est de l'ignorance; persister il Le servir, c'est de
l'irrespect; s'interdire de Le comhattre, c'est folie; se laisser
endormir par Sa paix, c'est sottise» (Akhh. 14). «Puisse mon \
ame T'epargner de passer pour un juge injuste» (Diw. 34) .
« Ne te laisse point surprendre par Dieu, et pourtant ne deses· .
pere pas de Lui; ne convoite pas Son amour, et pourtant ne
te resigne point il ne pas L'aimer; ne cherche point it J.'affir.
ll/
mer, mais ne cede pas it Le nier (quand il disparait) ; et surtout
garde.toi de proclamer (de toi.meme) Son unite» (Akhh. 41).
Comme tant de Basriens, il part en Khurasan, continuer sa
predication dans les colonies arahes de l'lran oriental (Tala.
qiin), prechant dans les cites, sejournant aux frontieres, dans
les couvents fortifies des volontaires pour la guerre sainte.
Au hout de cinq ans, il revint en Ahwaz, et grace it des pro·
tections officielles (Ie secretairc d'etat Hamd Qunna'i) il vient
installer les siens a Bagdad, avec tout un groupe de notahles
d'Ahwaz (transfert de l'atelier de tissage imperial, dar·aI·
tir.a z, tissant les voiles de la Ka'ha, de Tustar a Bagdad) .
Puis c'est un second pelerinage (avec 400 disciples) a la
Mekke; ou d'anciens amis, des sufis, l'accusent, non plus de
charlatanisme, mais de sortileges magiques, de magie blanche,
de pactes avec les djinns.
II repart pour un second grand voyage, encore plus loin,
au dela du domaine de l'intercession de Muhammad (shafa'a),
chez les infideIes de I'Inde, manicheens et houddhistes du Tur·
II kestan; arrive par mer, il remonte I'Indus, va de Muhan en
Qashmir, et monte au N.-E. jusqu'a Turfan (Ma Sin) avec les
caravanes ahwaziennes portant jusque-lil les hrocarts tisses au
Tiraz de Tustar, et rapportant a Bagdad Ie heau papier chine
(dit de ~a-",eou) sur lequel les disciples de Hallaj copieront
ses reuvres. t\u dela de la communaute musulmane, c'est it
toute l'humanite qu'il pense, pour lui communi uer ce curieux
desir de ieu, patIent et e!1 ique, qui des lors Ie caracterise;
entendant a Nehavend les trompettes du Jour de l'An, il
avait dit: «.Ql1and done viendra notre jour de ran? quand,
mis au pilori, je serai proche de Dieu»; et treize ans plus
.. tard, lors d'une mise au pilori qui dura troTs jours, un dis·
ciple lui rappela cette phrase, et ajouta ironiquement: «As·
tu r~u tes etrennes? - Oui, et tant, que j'en suis confns,
car je n'avais pas voulu me hater vel'S ma joie» (Akhh. 22;

77
PAROLE DONNEE

\l-
on lui fera reciter en croix Ie verset coranique XLII, 17:
«lIs crient qu'eUe se hate, ceux qui ne croient pas en l'Heure;
mais ceux qui y croient l'attendent, avec une crainte amou·
reuse, car ils savent qu' eUe est la Verite»).
II revient alors a la Mekke, pour son troisieme et dernier
pelerinage. L'essentiel du hajj, c'est 'Arafat, et, la, l'offrande
du sacrifice d'Abraham. A son pelerinage d'adieu, au moment
de l'ikmal, Ie prophete Muhammad n'a pas epuise en cette
unique fete la signification salvatrice du hajj, qui doit debor-
der de pardon sanctifiant, au dela de l'Islam, sur tous. Les
shi'ites, qui l'ont pressenti, placent apres, au dela de
l'ikmal, Ia ceremonie du Ghadir, OU Muhammad aurait trans-
fere Ie symbole d'intercession de la Ka'ba, cette Pierre Noire
et muette, a une Pierre vivante, l'mam. HaUaj comprend
que notre de sir de Dieu doit detruire mentalement en nous
l'image du Temple, pour trouver Celui qui l'a fonde, et
detruire Ie temple de notre corps, pour rejoindre Celui qui
y est venu parler aux hommes. Durant ce dernier pelerinage,
it 'Arafat (vers l'an 290/ 902), au moment de Ia Waqfa, OU
l'on crie les noms de tous ceux qu'on aime, pour qu'ils soient
pardonnes, HaUaj, reprenant lecri ritue! de la fouIe, «lab-
bayk (a Tes ordres) », demande aDieu qu'II l'appauvrisse
encore davantage, Ie fasse connaitre et exclure; afin que ce
soit Dieu seul qui Se remercie Lui-meme a travers ses levres.
On sait l'importance de la Waqfa, et de ses deux rak'a pour
les pelerins; selon Ie proverbe maghreb in, ces deux breves
oraisons sont «ces deux colombes jumeUes qui hoivent une
fois l'an et restent assoiffees toute l'annee », car eUes sont la
priere d'offrande du sacrifice (ta'rif) pour tous les chers
absents dont on prononce alors Ie nom. «On mene les vic-
times (= les agneaux) au sacrifice, mais moi, j'apporte Ie sacri-
fice de mes veines et de mon sang» (Diw. 51).
Revenu de Ia Mekke a Bagdad, Hallaj va exprimer Ie de sir
etonnant ,.de mourir :matheme, frapl!e par la Loi de I'Islam,
pour tous ( << malamati qui devient «fata»). II instaUe chez
lui une ka'ba en reduction, il prie de nuit pres des tombeaux
(Ibn Hanbal), de jour, il commence, en pleine rue, dans la
capitaIe, une serie de discours inoui's: «0 musulmans, crie- -
toil dans les sonks, durant une sorte d'extase jubilante, mais
\ lucide, sauvez-moi de Dieu... II ne me reprend pas a moi-
meme, et il ne me rend pas non plus mon ame; quelle coquet-

78

- - - - - -- ------ -- - -
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

terie: c'est plus que je n'en puis supporter» (Akhb. 38).


Puis, voulant provoquer les fideles a faire cesser ce scandale
d'un homme qui ose se dire uni a la Deite, en Ie tuant, il leur
erie, dans la mosquee-cathedrale d'al-Mansur: «Dieu vous
a rendu mon sang licite : tuez-moi ... II n'est pas au monde
pour les musulmans de devoir plus urgent que ma mise a
mort ... (on ajoutera : soyez done combattants pour la foi, et
que je meure (de vous) martyr» (Akhb. 50).) «C'est dans la
confession de la Croix que je mourrai... Tuez done cette
maudite (= sa personne).» (Akhb. 52).
L'emotion populaire causee par cette predication ebranle
egalement les milieux lettres, du fait des opuscules a portee
theologique que Halliij devait avoir deja ecrits sur des sujets
brulants, discutes entre shi'ites, comme la predestination de
Muhammad et Ie caractere inacheve de sa mission prophe-
tique. D'autre part, les philosophes discutaient a la Cour sur Ie
Desir divin Cishq) et un juriste sunnite zahirite, Muhammad
Ibn Diiwiid, qui etait aussi un poete, theoricien du pur amour
uraniste, et disait s'interdire toute satisfaction charnelle «afin
de perpetuer Ie desir », ne pouvait tolerer les pretentions de
Halliij a une union mystique consommee avec Dieu; usant
de ses fonctions d'assesseur au tribunal du grand-cadi de-
Bagdad, il denon~a Halliij a la Cour, demandant pour lui
condamnation a mort. Sa proposition, contresignee par d'au-
tres, se heurta a l'opposition de l'autre assesseur, un canoniste \
shiifi'ite, Ibn Surayj, qui soutint qu'une telle inspiration mys-
tique surclassait la juridiction des tribunaux de droit canon,
ce qui sauva Halliij. C'est a cette epoque que l'ecole des
grammaIrlens de Basra (Sirafi, et Fasawi), dans un recit hos-
tile, fait prononcer par Hallaj une replique celebre, qui a
suscite d'innombrables commentaires; arrivant a la mosquee
d'al-Mansur, il fut interpelle par son ami Shibli, mystique et
poete, qui avait son cercle d'auditeurs sous la «coupole des
poetes », et aurait replique, cachant a demi ses yeux sous sa
manche, « Ana'l Haqq» . je suis la Verite Creatrice = « mon
It \
je, c'est Dieu » : declaration frolant Ie blaspheme, et commen-
tee de suite par son beau quatrain 1 : «yii sirra sirri ... 0 secret
1. Fakhs Farisi (ap. dalida, ms. As. 1785, pp. 220·221, chap. 5, nO 26)
conclut par ce vers son commentaire sur la sentence «nos consciences
sont une seule Vierge ... »: «Quand Ie croyant est ...crucifie sur la Porte
de Gloire des Attrihuts ... Quand il est brule dn Fen des Lonanges exaltant
l'Essence, il devient en Lni cendres impalpables ... »

79
PAROLE DONNEE
de mon ame, Toi qui Te fais si tenu que Tu echappes it la
prise de toute imagination pour tout etre... » Et voici un
fragment d'oraison: «Ie parfum de Ton a roche suffit it
l'
me faire mepriser toute a creation, et l'enfer n'est rien au
• 1 e uan Tu me esertes, pardonne aux crea·
tures et non as it moi, je ne conteste Jas avec oi our moi.
meme, et ne Te rec ame pas mon du» (Akhb. 44).
Hallaj, par sa vehemence paradoxale, ravivait en bien des
creurs Ie desir d'une reforme morale de la Communaute
musulmane, dans son chef et dans ses membres; et persuadait
beaucoup de croyants de l'efficacite sociale des prieres et
conseils des saints, des Ahdfll (piliers spirituels du monde) et
de leur chef invisible du moment, Ie Temoin actuel, Ie Pole.
Nombre de hautes personnalites, selon Istakhri, virent alors
en Hallaj ce chef invisible et inspire; des secretaires d'Etat,
parents ou allies de 'Ali Ibn 'Isa et de Hamd Qunna'i (comme
Nu'man, Dawlahi, Ibn Ahi'l Baghl, M. Ibn 'Abdalhamid), des
emirs (Hy. Ibn Hamdan, Nasr Qushuri), des walis, des amsar
(comme AB. Madhara'yi, qui installera une petite Ka'ba au
Qarafa du Caire en 303), Nujh Tuluni; et des samanides,
(Akh Su'luk, Simjur, Hy. Marrudhi, Bal'ami Qaratekin), des
« mulUk » (= dahaqin : Sawi, Mada'ini), et des ashraf hache·
mites (AB. Rab'i, Haykal, Ahmad.b.'Abbas, Zaynabi). lIs
entretenaient avec lui une correspondance de direction spiri.
tuelle lui menageant sur la politi que generale une incidence;
c'est alors que Hallaj dut dedier it Hy. Ibn Hamdan, Nasr,
et Ibn 'Isa ses opuscules sur la politi que et les devoirs des
vizirs. II y avait alors, meme parmi les ulemas, un desir gene·
ral d'assainissement des rouages administratifs; on demandait
un gouvernement sin cerement musulman : un vizirat rendant
la justice, surtout en matiere fisc ale (contre les abus pervers
de fermiers generaux shi'ites, antidynastiques) ; et un khalifat
conscient des responsabilites de sa charge devant Dieu; qui
fasse agreer par Dieu les actes liturgiques de la Communaute
muhmmadiyenne (priere, hajj, jihad). On esperait que Hallaj
s'y emploierait, alors que Hallaj, pressentant une confiscation,
amie ou ennemie, de sa liberte, aspirait it s' aller cacher au
pays natal.
En 296/908, la conspiration reformiste des suunites «bien
pensants» eclate, avec l'essai, pendant un seul jour, du
khalifat «hanbalite barbahflrite » d'Ibn al·Mu'tazz; et echoue,

80

~-~---~ ~- -- -
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

n'ayant pu se faire crediter en numeraire par les banquiers


jUlls de la Cour, complices des fermiers generaux shi'ites anti.
i dynastiques; Muqtadir, Ie khalife enfant, est retabli, avec un
nouveau vizir, un technicien fiscal, un shi'ite, Ibn al·Furat. Les
poursuites contre l'emir Hy. Ibn Hamdan, en fuite, decou·
vrent Hallaj, son conseiller intime : Ie vizir Ie fait surveiller,
puis, a l'avortement d'un projet de vizirat sunnite (parti des
Qunna'iya), lance un mandat d'arret contre les hallagieus;
quatre sont arretes, Hallaj s'echappe, avec Karnaba'i; ils vont
se cacher, en Ahwaz it Suse, cite hanhalite: aupres de· la
tombe du prophete Daniel, Ie supputateur des Derniers
Temps. Au bout de trois ans d'enquetes policieres, dirigees par
un traitre, et soutenues par la haine d'un sunnite, Hamid, fer·
mier general de Wasit, Hallaj est arrete et ramene it Bagdad,
ou son proces final commence, qui durera neuf ans.
Cette periode finale est aussi l'epreuve cruciale de sa voca·
tion. Voici sommairement l'enchainement exterieur des faits;
en 301/913, un nouveau vizir, Ibn 'Isa, un Qunna'i, dont un des
secretaires d'Etat, Hamd Qunna'i, son cousin, est hallagien
declare, fait avorter momentanement Ie proces, et soustrait
Ie cas de Hallaj it la competence du cadi conformement a la
fatwa shafi'ite d'lbn Surayj; ses disciples sont relaches, et
tout ce qu'obtiennent ses ennemis, c'est trois jours d'exposi.
tion au pilori, sous un ecriteau mensonger «agent qar·
mate ~ (imagine par Ie prefet de police, Mu'nis Fahl, pour
faire piece au vizir). Interne au Palais, Hallaj est autorise
it precher aux detenus de droit commun, est introduit aussi
pres du khalife (il Ie guerit, fin 303, d'une crise febrile, et
« ressuscite » en 305 Ie perroquet omanien du prince heritier
Radi) ; jaloux, les mu'tazilites font circuler it la Cour un pam·
phlet d'Awariji decrivant ses trues et son « charlatanisme ».
Mais, durant son second vizirat (304·306) Ie shi'ite Ibn
aI·Furat n'ose pas, it cause de la Reine Mere, rouvrir Ie
proces. Hallaj peut rediger en prison ses derniers ouvrages;
un d'entre eux, sauve en 309 par Ibn 'Ata, Ie TiL Sin AI·Azal,
nous montre en son dernier etat la pensee de Hallaj, reali·
sant petit it petit, son offrande et son sacrifice. Son desir
fondamental d'unifier les modes de l'adoration des hommes,
en esprit et en verite, se heurte, it travers la rivalite de
Shalmaghani it la Cour, it l'obstacle primordial, it l'hypocrite
malice des hommes, dont il sonde l'origine angelique dans

81
PAROLE DONNEE

I eet opuseule dont Ie titre complet est «la purete preeter-


nelle, et la Iegitimite des predications (de l'Unite divine)
quand on les retourne selon leurs significations reelles ».
, Deux etres, dit-il, ont ete predestines it temoigner. que
l'essence du Dieu Unique est inaccessible, Satan (= Iblis)
devant les Anges au ciel, Muhammad devant les Hommes
\ sur terre; herauts, l'un de la pure nature angelique, l'autre
de la pure nature humaine; et, ce faisant, run et I'autre se
sont arretes it mi-chemin: leur attachement jaloux it !'idee
I \ pure d'une Deite simple, leur proclamation de la shadada
n'a pas pu indiquer qu'il fall a it l'outrepasser pour s'unir
\ pleinement a l'unifiante volonte de Dieu. Au Covenant,
'Iblis n'a pas voulu toIerer la pensee qu'un Dieu adorable
assumerait la forme humiliee ~t materielle d'Adam (pre-
\ figure, alors, du Juge). Au Mi'raj, it son ascension nocturne,
\ \ Muhammad s'est arrete au seuil de l'incendie divin sans oser
« devenir» Ie Buisson Ardent de Moise; et Hallaj, qui se
substitue a lui ar amour, l'exhorte it av~'i.cer it enefrer
ans e feu du vouloir divin iusqu'a en mourir. comme Ie
a illon m sti e, et a se «consommer en son Objet »;
Muhammad aceeptera un jour, . a restaure Ie pe erinage,
mais il reste it eonsommer l'Islam, it ramener la qihla vers
Jerusalem, it faire «rentrer la 'umra dans Ie hajj »; ,_si
Muhammad a trouve et laisse la Flamme de l'unite divine
~;- e de ar la haie
interdictive de a

sa lace, osant entrer en contestation lsencor leux


po r 0 tenir enfin que s am s'acheve en un rassemhlement
'1ntegral e 'humanite par,m,nnee. En s'arretant ainsi, Iblis
a provo que les pechrs des hommes, et Muhammad a retarde
\ I'heure de leur Jugement transfigurant qu'il avait mission
d'annoncer. Et pourtant ..!:un, dans son dam de legalisme
irr~issible, nous incite it outre asser ce seull de La supr~
. . 'ction our trouver l'Amou!"" et l'autre Bar son retard
it s'abandonner, mesure Ie tem-.p,.s de formation des saints
'dont il attend qu'ils Ie dep;s~ent. -L'un et I'autre j,alonnent,
, comme deux ornes de la pure nature, Ie seuil que l'Esprit
divin fait survoler aux etres sanctifies qu'D introduitda'iis
-1'Un par une ruse imprevisible et transnaturelle de l'amour.
~--~------------~----------~--------~--------------
82
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

Ce n'est pas que Hallaj compare Ie destin final d'Iblis


avec celui du ProphHe; l'exclusion du heraut de la nature,
angelique (naturellement separee de l'union mystique) doit ·
contraster avec l'election finale du heraut de la nature \
humaine (reservee a cette union). Satan, lui, it l'origine du
monde, a refuse de s'unir it l'ordre divin l'iuvitant it se
prosterner devant la forme de sa pre-figure (Adam); obstine
dans sa voloute ropre d'aimer telle quelle Ia Deite incom-
'municable, dans Ie uietisme e sa contemplation fermee' f
obstine it temoIgner cette eite selon sa nature angelique,
sans oser consentir it la bonne nouvelle, it l'effusion si simple
de l'humilite divine, it cette extase de l'Un, quand elle lui
est prefiguree. «J'ai refuse, c'etait pour Te proclamer saint.
Aiais voici qu'Adam, c'est Toi; et que Ie seul qui vous sep.!!!:f,
c'est Satan ». Separer Dieu de la creature OU II a dessein
d'apparaitre, c'est accepter en Dieu une contradiction; Satan,
qui a preche la Loi aux Allges, prechera Ie peche aux
hommes. Cette passion hautaine pour la splendeur de la Deite
engendre en Satan un orgueil d'amant, jaloux, envieux, lui
fait dualiser l'etre 2, et hair la nature humaine, deven;;tl
our e . e e prmce de ce monde, Ie tentateur, i lui su ere
que e bon et Ie mauvais se valent, dans l'indifference souve-
·'i="J ile de la preSCIence divme, qu'll dlt almer pour sa-damna-
tion. Ce paradoxe ainsi offert it l'Isiam d'un Satan, pur
croyant monotheiste, ange qui se damne par amour pour
l'honneur de la Deite incommunicable, n'etait-ce pas precise-
ment l'exemple que Hallaj avait suivi, homme desirant
mourir sacrifie, anatheme, excommunie? Non, Hallaj, reste
fideIe it l'observance et it la morale, mOUl'ra anatheme, se
,. lfyrant nu it I'Esprit saInt.z..tandis que Satan s' est dupe, drape
Jans une attitude d'"amant dedaigne, par un manque d'adhe-
sion lucide et definitive au precepte divin (BaqIi).
Hallaj semble avoir publie Ie Til Sin al-Azal it l'occasion
d'one propagande qui se faisait depuis 306 it la Cour, ema-
nant d'un shi'ite extremiste, Shalmaghani, arrive it. Bagdad
avec Ie fermiel' general de Wasit, Hamid, qui, quoique sun-
nite, se confiait it lui pour toutes ses affaires importantes,
parce que son gendre A. Hy. Ibn Bistam, shi'ite, etait Ie

2. N'y voulant pas etre Ie troisiimle, alors que rAmour n'est pas deux,
mais trois en un: «je suis l'amou!', j e suis l'amant, je suis l'aime» (Ibn
abi'l KhaYi', quatrain n° 17, ei!. Ethe).

83
'L

GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

Pour lesruiner tous deux et atteindre son but, Hamid


decide de fa ire rouvrir Ie proces de Hallaj, leur protege; il
reussit, grace it un tiers: A.B. Ibn Mujahid, chef respecte
de la corporation des Lecteurs du Coran, ami des sufis Ibn
Salim et Shibli, mais antihallagien: exaspere par Ie «poly-
theisme» de Ia theorie de la deification des saints, il somme
Ibn 'Isa, qu'il «dirige », de ne plus proteger Hallaj. Ibn 'Isa
est dessaisi du proces de Hallaj; et Nasr de Ia garde de sa
personne; tous deux au profit de Hamid.
Imprudemment, les hanbalites manifestent contre Hamid,
« prient contre» ce vizir dans les rues de Bagdad, tant pour
protester contre sa politi que fisc ale que pour sauveI' Hallaj
(it l'instigation d'un des leurs, Ie hallagien Ibn 'Ata) . Puis,
quand Ibn 'Isa, et son ami Ie vieil historien Tabar! desap-
prouvent Ie recours it l'emeute, Ies hanbalites s'en prennent
it Tabari, dont il cernent la maison.
Le vizir Hamid a gagne la partie; prepose au maintien de
l'ordre, il lui' est loisible de faire comparaitre Ibn 'Ata
devant Ie trihunal qui n'arrivait pas it trouver de temoignage
decisif contre HalHlj; Ibn 'Ata denie publiquement au vizir,
vu ses exactions, Ie droit de juger Ia conduite «d'hommes
veneres », dont il approuve d'ailleurs Ia profession de foi;
Ibn 'Ata, malmene, meurt des coups re,<us; Hamid peut [I
comhiner avec Ie cadi malikite, Ahu 'Umar Hammadi, connu
pour ses complaisances envers Ies puissants de l'heure, Ie
scenario de Ia sentence vouant Hallaj it la mort; en tirant
argument des documents livres par les SuI aha, contenant
notamment une «Lettre Ii Shakir» (ou Hallaj lui ecrivait: ,
« detruis Ia Ka'ba a pour la rebatir (spirituellement) vivante
et priante parmi les anges»), et de sa doctrine sur Ie rem-
placement votif du hajj pour l'assimiler aux insurges Qar-
mates qui voulaient detruire Ie Temple de la Mekk.e. Le cadi
hanafite Ibn Buhlul refusant, son adjoint A. Hy. Ushnani,
homme de mmurs decriees, accepte de seconder Ahu 'Umar.
En seance, Ie cadi Abu 'Umar, presse par Ie vizir, prononce
la formule «il est licite de verser ton sang» (aucun shafi'ite
n'etait venu it la seance) ; Ie syndic des temoins professionnels,
'AA. Ihn Mukram, trouve parmi eux un nomhre imp os ant de
cosignatau'es, 84, dit-on, en ajoutant aux memhres du trihunal

3. De ton corps (cf. Matth. 26, 61).

85
PAROLE DONNEE
des canonistes et des qurra; Ibn Mukram y gagnera la riche
judicature in partibus du Caire.
Les deux jours suivants, Ie grand chambellan Nasr et Ia
Reine Mere reagissent aupres du khalife, qui, pris de fievre,
contremande l'execution; Hamid agite alors devant Muqtadir
Ie spectre d'une revolution sociale hallagienne, puis va s'en·
tendre avec Ie generalissime Mu'nis pour perdre Ies deux
proteges de son vieil ami NasI' : Akh Su'luk et Hallaj.
Le Iendemain, au sortir d'un grand festin offert it ses com·
mellsaux en l'honneur de Mu'nis et de NasI', Ie khalife Muq-
tadir signe, it. la fois, la mise it. mort de Hallaj, et la grace de
l'emir Yf. Ibn Abi'l Saj, designe (pour remplacer Akh
Su'luk,revoque) comme wali de Rayy. A la l'equete de Mu'nis,
qui s'acquitte ainsi, envers Ibn Abi'l Saj, de la meme dette
d'honneur militaire qui tenait Nasr engage (depuis 18 ans)
envers Akh Su'luk; envers deux rebelles qui, vainqueurs
magnanimes, les avaient reI aches l'un NasI', l'autre Mu'nis,
apres les avoir captures. Akh Su'luk vaincu et tue en 311,
Ibn Abil Saj enverra sa tete au khalife, par l'intermediaire
de Muflih, et it l'insu de NasI', «pour ne pas contrister NasI' ».
Le 23 dhu'lqa'da, des sonneries de trompettes annoncent que
Ie vizir procede it une execution capitale (dispositif aggrave
sous une influence shi'ite) : . il va remettre la personne de
HalIaj au preret de police 11m 'Abdalsamad; des mesures
policieres sont concertees pour parer it l'emeute. Le soil',
dans sa cellule, Hallaj s'exhorte au martyre, et prevoit sa
resurrection glorieuse (priere notee 4 par Ibr. Ibn Fatik, et
transmise l'annee suivante au cadi Ibn aI-Haddad) ":
Le 24, it. Bab Khurasan, sur Ie seuil de Ia prefecture de
police de la rive ouest, «devant une foule innombrable,»
Hallaj coiffe d'une tiare, est flagelle, intercis, exhibe, encore
vivant, sur un gibet. Amis et ennemis ont Ie temps de l'y
interpeller, tan dis que des emeutiers incendient quelques
boutiques. Ce n'est qu'it la venue de la nuit que l'autorisa-
tion khalifale (de regIe) arriva, pour Ie coup de grace; on
remit Ia decapitation au Iendemain matin afin que Ie VlZll'
assiste de jour it. Ia lecture de la sentence. Hamid, pour

II 4.« Nons voici, nons, Tes temoins, dans Ta splendeur.... (BruHs),


cendres jetees aux vents de sable et aux vagues ... et la moindre etincelle
de cet encens hausse Ie Temple de mes transfigurations plus haut que les
cimes. »

86

-----
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

emporter l'adhesion du khalife a l'execution, avait bien dit a


Muqtadir: «si tu t'en trouves mal, apres, tue-moi »; malS
des recits merveilleux s'etaient deja prop ages durant cette
nuit dramatique; et il se peut tres bien que Hamid ait juge
prudent de degager sa responsabilite (avec celle du khalife)
et ait invite a haute voix les shuhud, temoinscosignataires,
masses devant Ie gibet, autour d'Ibn Mukram, representants
qualifies de la Communaute musulmane, a crier: «c'est
pour Ie salut de l'Islam; que son sang retombe sur nos cous »
(Tuzari) _ Et la tete tomb a, Ie tronc fut arrose de petrole et
incinere, les cendres jetees, du haut d'un minaret, dans
Ie Tigre (27 mars 922) _ Allah akbar, cria la foule, tandis
qu'on suspendait sa tete a un ecriteau.
De suite, des temoins rapporterent avoir entendu du
supplicie des paroles, novissima verba: «0 mon Dieu, si Tu
temoignes Ton amour a ceux qui Te font tort, pourquoi
n'en temoignes-Tu pas a ceux a qui il est fait tort en Toi ? »;
et, consommant Ie rite legal du Tawhld islamique: «e'en
est assez pour l'extatique, quand en lui son Unique est Ie
seul a Se temoigner» (mot a mot: «ce qui compte, pour
1\
l'extatique, c'est que l'Unique Ie reduise a l'unite»). Ces
mots, et d'autres, ressentis par des oreurs amis comme des
reponses explicatrices, sont probablement de la plus stricte
historicite; elle realisent Ie pressentiment de la priere de
la derniere veillee : «nous voici, nous Tes temoins ... »
CeUe execution projette, tout autour de cette flamhee
finale une clarte axiale sur les mobiles veri tables des divers
acteurs du proces, fixes par des incidents, reveIateurs des
mentalites intimes.
Dans Ie groupe des amis, enfin, trois temoins insignes de
la sincerite religieuse de Hallaj dont l'influence historique
sera capitale; d'abord deux amis intimes, Ibn 'Ata et Shihli,
puis un disciple de Ia derniere heure, Ibn Khafif.
D'Ibn 'Ata, dont Ie desir d'etre eprouve, comme Ies pro-
phetes, dans Ie creuset des souffrances, avait ete naguere
exauce, nous savons qu'il s'enhardit pour partager Ie sort
de son ami qui lui avait ecrit deux admirables lettres; Ie
visitant en son cachot clandestinement, acceptant en depot
ses manuscrits (qu'il dut confier a son pro pre legataire 'Ali
'Anmati), s'efforgant d'ameuter en sa faveur Ie petit peuple
hanbalite, temoignant audacieusement devant Ie tribunal de

87
PAROLE DONNEE
leur commune foi en l'union mystique directe avec Dieu,
source de toute charisme; brutalise alors par les gardes du
vizir irrite de ses reproches, Ibn 'Ata meurt des suites des
coups rec<us, quinze jours avant Hallaj, ayant ainsi preci-
pite, et peut-etre aggrave son supplice.
De Shibli, noble turc, ex-chambellan adjoint de Muwaffaq,
nous savons que sa conversion a la regie de vie sufie l' avait
amene (avec une crise politique en Egypte) a renoncer non
- seulement a son fief de Demawend, mais a ses etudes de droit
malikite commencees dans sa jeunesse a Alexandrie; -
Iorsque Hallaj lui apparut, a la grande mosquee d~ Bagdad,
sous la «coupole des poetes» comme Ie heraut de la splen-
cleur divine, qui transfigure Ie visage et la voix. Des lors, il
s'etait attache a lui, non sans s'adonner a des comportements
publics volontairement excentriques (<< folie» clairvoyante,
mais chronique, tan dis que celle d'Ibn 'Ata, momentanee,
avait ete inconsciente) qui lui permirent de ne pas etre
inculpe avec Hallaj; il Ie renia a demi aux deux proci~s,
puis vint, Ie oreur bouleverse, assister a son suplice, entraine
par ceux qui Ie lapidaient (il lui auraii jete une rose en
signe de defi jaloux); cherchant a Ie comprendre au dela de
la mort, OU il n'osait pas Ie rejoindre, il medita Ie mystere
du sacrifice amoureux, et y initia desormais les novices sufis,
a sa maniere : leur confiant Ie martyre de Hallaj comme un
joyau de beaute interdite - a cacher - , noncomme un
viatique d'immortalite a distribuer a tous.
D'Ibn Khafif, encore un converti, d'une famille tres en
vue a Shiraz, on sait qu'il ne vit Hallaj qu'une fois, tout
it Ia fin, dans sa prison, dans un etat d'adhesion si pleniere
a Ia volonte divine qu'il revint, convaincu pour toujours,
en depit des objections theo]ogiques de ses confreres
ash'arites (Bundar), d'avoir vu Ia un «homme de Dieu ».
Au Palais, Ie grand chambellan Nasr Qushuri, Grec converti
devenu hanbalite, loyal et courageux serviteur de la famille
imperiale, etait devenu hallagien avec toute sa maison; il
Ie resta apres la mort, osa prendre Ie deuil de ce supplicie,
ohtint du vizir, contre les consequences legales d'une mise
hors la loi, Ie maintien en lem" qualite de musulmans et la
mise en liberte de ses disciples, de son fils et de sa fille (qui
put se marier). Et au fond du harem imperial, prenant jour
sur les colonnades des dattiers dont elle avait fait incruster

88
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

Ies troncs de teck et de cuivre, autour de l'etang d'etain mas-


sif de son jardin clos, Ie silence on se tut la Reine Mere
Shaghab, d 'origine grecque, elle aussi; c'est elle qui fit
garder, durant toute une annee, la tete de HalHij au «tresor
des tetes» du Palais, avant son envoi en Khurasan; a elle
do it remonter aussi, d'accord avec Ie shahid Da'laj, Ie waqf
permettant les visites pieuses au «maslib al-HaIlaj », tout
proche de la tombe de son frere, remir Gharib al-Khal.
Et au centre, suspendu et hors de soi, Hallaj lui-meme,
manifestant a tous de sur Ie gibet cette nuit-Ia, dans une
extase prolongee de son corps surpassant la mort, l'immor-
telle personnalite du Christ coranique, l'expressive effigie de
«l'Esprit de Dieu », insaisissable «celui-Ia qu'ils n'ont pas
tue, qu'ils n'ont pas crucifie...» (Qur. IV, 156), selon la
riposte qui cingla dans l'obscurite Ie mu'tazilite AH. Balkhi,
et sera reprise, non sans choix, par Abu Hamid Ghazali.
Plusieurs eurent des visions de guerre sainte: entre autres
. Zahir Sarakhsl qui Ie vit passer dans une rue de Bagdad,
a cheval; Ie visage voile; chevalier tenant en main sa lance.
Et Shakir put as sister, a Talaqiin, a une insurrection pour la
Justice; avant de rentrer it Bagdad, pour se faire tuer comme
son ami.
Cette courbe de vie, que nous venons d'esquisser, avec
les nreuds essentiels de ses peripeties dramatiques, jusqu'a
la mort, nous pouvons en dresser un resume schematique en
recourant aux procedes graphiques de Galton et de Poyer.
Deja la vie familiale de Hallaj, au foyer trois fois deplace,
d'Ahwaz, Wasit, Basra, a Bagdad, monte droit, sans incur-
vation, avec la fideIite indementie de sa femme unique et de
ses quatre enfants, Sulayman, Mansur, Hamd, et une fille.
Quant a sa vocation religieuse, ses trois pelerinages, qui en
sont lee points de condensation, forment alignement avec ses
deux grands voyages apostoliques, et preparent Ia grande
predication bagdadienne, sui vie des deux proces (avec Ie
long entre-deux en prison) et du martyre. Des trois de£ail-
lances apparentes, Ie rejet du froc, apres Ie premier peIe-
rinage, et la fuite a Suse (avant Ie premier proci~s) sont
clairement axes sur sa ligne de vie, «ne devient pas» dans
sa passion pour l'unite et pour rUn; quant au cri anticipe
reveIant, bien au-dessus de tous les balbutiements sublimes
de Bayezid Bistami, l'union, «Ana'l Haqq », Suhrawardi

89
PAROLE DONNEE
d'Alep, suivi en cela par Nasir Tnsi, a admirablement
montre qu'en Ie criant, Halliij donnait volontairement 11
autrui «dispense pleniere de verser son sang»; et que ce

~
cri attestait que Dieu avait exauce sa fameuse pnere:
«entre moi et Toi, il traine un «c'est moi» qui me tour-
mente, - ah, enleve, par Ton «c'est Moi », mon «c'est moi »,
(,inniyi) hors d'entre nous deux »_
Nous savons, par Bernni, qu'il y eut des .musulmans pour
qui Ie jour de la mort de HalIiij se projeta de suite en ere
sm Ie cycle liturgique; ils noterent 1a duree de sa prison
(8 ans, 7 mois, 8 joms), la valeur alphabetique (Maryam =
Fiitir) de l'annee 290/ 902 qui marqua sa vocation definitive;
et la valeur (Ta sin) 5 de l'annee 309/ 922 qui marqua sa mort,
et qui est Ie nombre coranique du sommeil extatique des

II Sept Dormants. Mais s'il est vrai qu'un homme saint (<< tel
qu'en lui-meme enfin l'eternite Ie change ») n'acquiert E'on
visage definitif que posthume, nous devons essayer mainte-
nant de resumer les eta pes lentes et difficiles de la reincor-
poration graduelIe, dans la conscience religieuse de la Com:
. munaute musUlmane, de cet homme assionne de l'Unique,
qui ..!l~o u mourir anatheme pour que l'Islam se ~
SO"mme dans 1'Uiiite adoratrice ' de tous les hommes; reincor-
-p~'ation moins avancee que celle de leanne- d'Arc 11 la
France; reincorporation plus avancee que celIe du Fils de
Marie en Israel; dont elle est, toutes proportions gardees, la
prefigure.
Les musulmans n'attribuent de validite qu'au temoignage
oral, et ils se representent precisement l'histoire vraie de leUl'
Communaute commc un tiSflU, ou les chaines par alleles et
separees des generations succedant aux Compagnons du pro-
phete, 60nt traversees par des trames continues et perdurables,
Jes lignes de transmission (isniid) de la Tradition prophe-
tique, dont ses temoins transmetteurs constituent de genera-
tion en generation, les n<puds numerotes (depuis Muham-
mad). En particulier, la vie islamique d'une ville est caracte-
risee par la succession chronologique des temoins de la Tra-
dition qui y enseignerent. Nous pouvons donc figurer la
« reincorporation» graduelle de HalIaj dans la conscience
que les cites de la Communaute islamique ont prise de son
5. Sur eet alphabet «philosophique» (JAFR), cf. IbnSina (nawruziya)
ap. notre «Essai... », 2' ed., 1954, pp. 98 a 101.

90

-~---- - --
PAROLE DONNEE
Dne troisieme ligne, formee a Bagdad, est celle des sufis,
am is secrets de Hallaj; ils n'avouaient Ie venerer qu'a des
inities, car ils Ie consideraient comme un saint damne par
amour (damne sine die, selon les reves d'Abbasa Tusi et
d'Azaz; et dont la damnation durait encore, apres trois cents
ans, quand Ibn Arabi, et Shadhili s'aviseront de prier pour
son pardon), et consideraient que «Ia Loi muhammadiyenne
met it mort les saints », que Ia victime et Ie bourreau sont
musulmans a egalite. Apres Shibli, Nasrabadhi, Ibn Abi-
lkhayr et Shaydhala, AT. Silafi s'enhardit, publie Ia
«Hikaya» de Sharwimi (ou Shihab Tusi relevera Ie miracle
du sang) ; Khaje Abdallah Ansari it Herat, Yf. Hamadhani et
Hakim Sana'i preparent l'eclosion de l'epopee hallagienne du
grand poete iranien 'Attar.
Attar, dans sa grande epopee hallagienne, donne sa forme
definitive a Ia saintete musulmane de Hallaj, consommee dans
un sacrifice guerrier, militant et maJe; Ibn Abi'lkhayr avait
deja dit «mourir sur Ie gibet de Hallaj est Ie privilege des
heros»; Attar montre avec queUe vehemence passionnee cet
amant audacieux a «joue ' sa tete» pour conquerir" Ie joyau
de Ia Beaute divine de haute Iutte; ce combattant herolque
que Dieu finit par tuer en combat singulier, a Ia guerre
sainte, s'enduit Ie visage avec Ie sang qui goutte de ses mem-
hres mutiles, pour ne pas sembler palir. Et Ie cri supreme « je
suis Ia Verite », qu'il avait profere, se repand hors de lui avee
son sang qui couIe, ruisselle sur Ie monde ou tous Ies elements
liheres se dechainent et cntrent en tumulte, dechire Ie voile
I des idees, ressuscite Ies morts, et «carde l'univers » comme a
Ia venue du J ugement dernier (ef. Coran, CI, 4).
Tel est Ie type de saintete qu'exalterent alors, dans Ie
peuple ture nouvellement converti, Ies poemes de Yesewi,
puis de Nesimi, et Ia ritualisation symholique du «gihet de
Mansur Hallaj» dans l'initiation a l'ordre des Bektashis, dif-
fusee chez Ies janissaires ottomans. En poesie turque, Hallaj
reste Ie «saint par excellence », Ie crucifie (ou pendu) au
visage incline «comme Ia rose qui se penche» (qU51da de
Lami'i, dediee a Soliman Ie Grand) . Attar est aussi avec 'AQ
Hamadhani, a l'origine de Ia devotion des poetes de l'lran, et
des mystiques de l'Inde, pour Hallaj; du sultan Hy. Bayqara?
de Herat, qui fit peindre toute sa vie par Ie celehre Behzad,
et du sultan Husayn Shah, du Bengale, qui autorisa Ie culte

92
PAROLE DONNEE
Quelques aunees apres sa mort, des philosophes mU8ulmims
independants, A. Z. Balkhi, A. S. Mantiqi, et Abu . Hayyan
Tawhidi degagerent de la mystique hallagienne des p ercees
metaphysiques val abIes ; et A. H. Daylami publia ses grands

t
textes sur I'Essentiel Desir (qui est Dieu), signala l'originalite
de cette notion d"Isitq, voisine, dit-il, de la philosophie pre-
socratique (Empedocle, Heraclite) , qui «lui valut un grand
nombre de disciples ». Apres Ibn Sina, qui utilisa aussi la
notion d"Ishq, deux autres philosophes mU8ulmans, Suhra·
wardi d'Alep, et Ibn Sab'in de Murcie (suivi par A. H. Shush·
tari) virent dans Hallaj un saint intercesseur, non contradic·
toire, du monotheisme primitif et universel, supra.musulman;
it leur suite, meditant ses prieres d'offrande pour ses ennemis,
pour to us les hommes, plusieurs vi rent en Hallaj un Pole
spirituel attirant I'Islam vel'S l'unite finale: Najm Razi,
N. Kishi (professeur it la Nizamiya), J alaI Rumi, Ie philosophe
Nasir Tusi, Ie vizir Rashid al.Din; tous contemporains de la
desastreuse invasion mongole, et du sac de Bagdad. Le sac
de Bagdad, pressenti par les shi'ites Ismaeliens (cf. Lettre de
Hasan Sabbah) comme une double vengeance divine, contre
les Abbassides, persecuteurs des Alides et bourreaux de Hallaj
(un muqtada, lui, un temoin «donne », predicateur du secret
de l'annee 290, ou les Fatimites avaient fonde leur Refuge it
Ikjan, pres de Setif, sous Ie signe des VII Dormants d'Ephese :
les VII piliers y sont encore en place; - et mis it mort en
l'annee 309, celle de la «sortie de la Caverne d'Ephese pour
Ie Mahdi Fatimite instaure it Mahdiya), amena aussi les
shi'ites Duodecimains it associer Hallaj comme un annoncia·
teur du Mahdi avec leurs Imams, rejoignant ainsi leurs phi.
losophes (Ishkaveri, Beha 'Amili, Nul' Shushtari, Sadr Shi·
razi, Amir Damad); E. Cerulli (avec Arcadi Hannibal) a
recueiUi it Recht un «ta'ziye» moderne sur Hallaj, cet
Husayn substitue it Husayn, it la « grande victime » offerte 'p ar
Abraham sous la figure du belier.
Enfin, il y eut it chaque epoque, de fa<,;on isolee et spora·
dique, des musulmans convaincus que Ie supplice de Hallaj
avait consomme sa saintete par une grace de salut, applicable
it toute la Communaute et qu'il leur fallait la precher aux
autres : Shakir·b·Ahmad, auteur probable des Akhbar al Hal.
laj, Faris, Ibn Aqil, 'AQ. Kilani, Ie saint patron hanbalite de
Bagdad, Ruzbehan Baqli, Ie fervent commentateur de I'reuvre

94
PAROLE DONNEE
la dont Ie emur vit de de sir ». La survie posthume de Hallaj
en Islam temoigne assez que, de fa«on positive, l'amour cru-
cifie est vie et resurrection. HalIaj professait qu'un seul coup
d'.ceil amoureux de Dieu vel'S cette terre, et il en aurait «trois
par vingt minutes », attire plus pres de Lui l'esprit d'un ami
d'entre Ses amis; que par cela meme, II eleve a la place ainsi
devenue vacante, un de Ses intimes, et fait misericorde It
70.000 de ceux qui professent de l'amitie pour l'ami qu'll a
regarde en premier (Riw. 27). Sans insister sur l'aspect «apo-
tropeen» de cet enchainement d'assomptions, redisons-Ie, c'est
par l'amitie sainte nouee entre des personnes determinees,
predestinees, que se construit l'eternelle Communaute: pour
qu'y apparaissent, modalisees en toute beaute et verite, pro-
jetees des lignes de nos vies sur Ie cyle liturgique fonda-
mental, les diverses formes d'intimite divinatrice realisees
dans Ie «grand derangement» de nos souffrances et de nos
reuvres, - en union avec la volonte creatrice.
II y aura une apparition divine axiale autour de laquelle
cliver a l'humanite comme un cristal selon ses axes : celIe du
Guide des croyants militants, celIe du Juge du dernier juge-
ment (en termes d'Islam, du Qayim, du Malik yawm aI-din);
'\ suivant Ie hadith de Basri et Shafi'i ( « pas de Mahdi, si ce n'est
Jesus »), Hallaj professe que Jesus sera aussi ce Juge 8, souve-
rainement, qu'il edictera la Loi definitive en une irradiation
divine, avec double intronisation, terrestre et celeste (Riw. 23).
De telles ames amoureuses, qui ont re«u vocation de prier
et souffrir pour tous (cf. la priere musulmane des Abdal, du'a
bi'l salah, inspiree par Khadir-Elias), continuent de grandir,
et de faire grandiI', en intercedant, apres leur mort. Ni l'echec,
ni la mort ne fletrissent pour toujours Ie bon vouloir inacheve
d'ames immortelles et l'avortement pretendu de leur passe
detleuri ne les prive pas de pouvoir refleurir et fructifier enfin,
chez les autres comme chez nous-memes Notre finalite est
plus que notre origine, Hallaj l'avait deja remarque (Sh. 177 :
«quoi de meilleur, l'origine, ou la fin ? puisqu'elles ne con-
fluent point, comment choisir entre eUes deux? La fin n'est
pas saveur, de preference, mais realisation»; Sh. 175: «0
mon Dieu, s'il me vient de la tristesse It considerer la preeter-
nite, combien me console Ie Temoin de la Fin» =l'Esprit de

3. Mais il parait jumeler avec Jesus un mahdi mystique.

96
'Ir

GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

saintete) ; et Ibn Arabi a constate, so us forme paradoxale, en /'


ses «tajalliyat », que nos prieres ravivees par nos vreux, peu·
vent parfaire les <Euvres abandonnees, l'immortalite inachevee
de nos anciens, tout autant que celle de nos contemporains.
« Hallaj a realise Ie my the du Calvaire », disait a une chre·
tienne, Mil" Mary Kahil, un homme d'etat turc, Mahmoud
Mokhtar Katirjoglu, pour qui, comme pour la majorite de
I'opinion musulmane, Jesus n'a pas pu souffrir, ni mourir en
croix. Mais deja, pour Ie chretien, n'est-ce pas encore un
mythe que Ie Calvaire, tant qu'il n'y devient pas, par la com·
passion, un assistant, un participant, un substitue 9.

9. Ce texte est repris, avec des additions, du texte persan publie a


Kabul a 100 ex. par M. A. R. Ferhadi en 1951; d'apres un texte fran~ais
plus brei paru dans Dieu Vivant a Paris en 1946, cahier IV.
On trouvera la mise a jour de la documentation de Ia Passion d'al.
HaUaj, martyr mystique de l'Islam (1922) dans Ia 2" edition de I'Essai
sur Ie lexique technique (1954) aux pages 1944 et 339449; et dans Ia
3" edition des Akhbar al-HallUj (critique textuelle et analyse semantique;
table des « isnad» ou chaines de temoignages).
L'interpretation qu'Iqbal a donnee de Ia psychologie «prometheenne»
de Hallaj, dana Ie JUwid Name (135-136) est commentee dans sa Recons·
truction ... (pp. 91-92) et dans sea Iettres a Syed Sulayman Nadwi (13 no·
vemhre 1917 : sur notre edition des Tawasin) et a L. Massignon (18 fevrier
1932, 27 decembre 1936).

97
L'EXEMPLARITE SINGULIERE
DE LA VIE DE GANDHI

J 'AI sous les yeux une photo de Gandhi, re~ue de New Delhi
it l'instant; prise les 26-27 janvier 1948, lorsqn'il quittait la
tomhe de Qutbaddin Bakhtyar, it Mehrauli; il y etait venu
en peIerinage d'action de graces it la tete d'un groupe de
femmes musulmanes qui avaient jeuue avec lui son dernier
jeune (12-18 janvier), jeune qui avait obtenu nne treve dans
les sanglantes represailles antimusnlmanes ou cette tombe
musulmane avait ete profanee. Derriere lui, la coupole it
jour; il redresse son grand corps emacie de vieillard de soi-
xante-dix-neuf ans, pieds nus, jambes nues jusqu'au genou,
Ie torse enveloppe avec une grande decence, tete nue; il doit
s'appuyer it gauche contre une Hindoue de son ashram; it sa
droite, tres droit, Ie gardien musnlman de la mosquee-tombe
de Qutbaddin, Hilal Qutbi, dont Ie fils Niyazi me racontera la
scene sur place, Ie 6 janvier 1953. Gandhi vena it de prier
quelques versets coraniques avec ses hotes et de renouveler
avec eux son vreu de non-violence (ahimsa) , it tout prix. II
va etre tue, Ie 30 jan:vier, par un Hindou exaspere par cette
derniere demarche, jugee provocatrice, de Gandhi: pour la
defense de la minorite musulmane de Delhi, capitale de l'lnde
une et indivisible.
Et me voici remontant dans mes souvenirs de Gandhi:
juin 1945, ou je ne pus Ie joindre a New Delhi, quand il par-
tait pour Simla; decembre ]931, quand je pus l'approcher et
recouter, deux fois, it Paris; mai 1921, quand la delegation
musulmane pour Ie Khalifat me remit it Paris Ie texte de son
« engagement» de Satyagraha, ou ,~defense de la verite»
par un vreu, nne parole donnee.
Ce texte, vieux alors de deux ans (28 fevrier 1919) me

130
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

frappa tellement que je Ie publiai avec un commentaire, in


extenso, de Gandhi dans la Revue dll monde muslliman tnO
de juin 1921, pp. 53-64, en anglais). En voici la traduction
fran«;aise: «Estimant en conscience que Ie pro}et connu sous
Ie nom d:amendement N° 1 de 1919 a
la Loi Criminelle
bulie1me, et Ie projet de Loi Criminelle N° II (Emergency
Powers) de 1919 sont injustes, subversifs du principe de
liberte et de justice, destructifs des droits elementcures des
individus sur lesquels reposent la securite de toute la Com-
mllnaute et l' Etat lui-meme, nous afJirmons solennellement
que, au oos OU ces projets deviendraient lois, et tant 'flu'iTs
n'auront pas ete retires, nous nous refuserons civiquement
d'obeir a ces lois et a to utes mttres pouvant paraitTe expe-
dientes a '"n C01nite etabli a cet efJet; et nous afJirmons (en
I
outre que, dans. cette lutte, nOILs slLivrons fididement la verite
et nous a.bstiendrons de violences envers . les vies, les per-

sonnes et les biens. »
s Pas de mot insolite ou obscur dans ce texte destine au
e
grand public, et l'appel au mot «verite» y eclate dans une
it serenite spirituelle si simple que je persuadai Jacques Mari-
i-
tain d'en publier, it l'epoque, un eloge et un commentaire.
i,
Comme historien epris de philosophie historique, et comme
.t sociologue engage dans des enquetes sociales, c'etait une decou- .
a
verte. La pensee de Gandhi m'apparaissait comme une pensee
e
de justice, mais vivante, un desir efficient de se purifier et de
a purifier les autres en entrant en action; sa pensee penetrait,
.r
nue d'une nudite ascetique, dans la boue d'un monde de
,r
peche et d'ordure. Si rectiligne qu'aucun piege ne pourrait la
[I
£ausser. Parce que c'etait un veeu (vrata) , instaurant Ie sacre
e (punya), en maintenant la parole donnee, sans briser Ie lien
,a d'hospitalite communautaire .
.e Gandhi, qui est mort en appelant Dieu «Ram, Ram »,
aimait la Iegende de Sita, il croyait de toutes ses forces que,
lorsque la pieuse epouse de Rama, pure comme une epee de
r-
feu, fut enlevee et enfermee it Lanka par Ie monstrueux Rak-
~t
shasa, ce dernier n'osa jainais porter la main sur eUe; qu'elle
n
n' eut pas it se defendre du viol par la violence, en sa prison,
n car son veeu de fideIite conjugale etait inflexible.
» Cet episode du Ramayana etait si peu de la litterature,
pour Gandhi, qu'it plusieurs reprises, interroge sur Ie danger
e immediat de rapt et de viol encouru par des jeunes filIes

131
PAROLE DONNEE
durant les troubles politiques (et c'est pour cela qu'en 1947
Gandhi alIa jusqu'a Noakhali, en Bengale oriental), il main-
tint intact son appel a l'heroisme et au vreu; il dit, avec sa
foi dure : potillS mori quam foedari; une femme absolument
fidele a sa pm'ete, un homme absolument fideIe a sa parole
ne peuvent etre souilles par un impur assaillant, tant que
J'une et l'autre sont decides a mourir, plutot que de tuer
l'assaillant, ou de renier Ia verite. On insista: il concedait
alors que des volontes de femmes mal affermies pouvaient
. recourir au suicide (langue retournee ou empoisonnement)
au moment on elles se verraient assaillies. Mais Gandhi
\S.l~oyait a l'~nviola~ilite. du point vierg~ qui est au fond de
I'ame humame, DIeu, ou est notre sen ASI e contre Ie peche
et l'ordure : Ie -Feu,
On peut ricaner ' ou hausser les epaules devant Ia «nai-
vete » de Gandhi maintenallt ce cas-limite. On peut parler de
'\ suhjeetivite allorlllale; je vois, la, Ia force spirituelle du vreu,
dont Gandhi a dit magnifiquemellt «Dieu est l'essence du
vreu » ; Dieu, qui est immortel, rend incorruptible Ie corps
hagile, la parole timide de qui croit en Lui seuI.
Pour moi, qui avais deja, en 1921, experimente dans des
negociations confielelltielles, militaires, diplomatiques ou reli-
gieuses, de la part des notres, helas ! des tentatives de con'up-
tion de ma parole envers «nos» adversaires, me val ant de~
epithetes de «Don Quichotte» ou de «traitre », illtraitable
et bon a tuer, j'avais la joie de decouvrir, dans Gandhi, un
homme qui, loin d'etre decourage par ces epithetes, faisait
vreu de verite Ie ..urincipe d'une action sociale de pUl'ifi~~
~ollective autant que personnelle. Certes, l'indifferenciation
hindoue entre les categories spirituelle et temporelle que nous
introduisons, helas! dans Ia vie ascetique, evite a l'ascete
hindou de mener de front, comme certains Occidentaux, un
vreu de pauvrete personne'ile COllcurremment avec un vreu de
rapacite collective. Mais Gandhi audacieusement me prou-
vail, par ses victoires morales deja eclat antes, que Ie v.reu de
Satyagraha ctait viable, et que la non-violence etait Ia vertu
nOll des laches, mais des heros.
La est son exemplarite d'Hilldou, qui a reveIe au monde ce
secret de l'Inde, qui ll'est ni dans les tours des fakirs, ni dans
les rodomontades des yogis ' - cette humilite vierge, incons-
ciente de sa gloire, de la veuve se b1'111ant en «sati », au

132
GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

Manikarnika de Benares, par fidelite absolue it son vreu


conjugal, inconsciente de son Createur, mais innocente comme
reau du Gange, venue des glaciers. L'Amrita, ceUe source de
vie qu'Alexandre, apres Gilgames, est venu y chercher, et que,
grace it Tolstol et it Ruskin, Gandhi identifie avec l'luunble
adoration du Dieu jaloux d'Ahraham, alors que Ie vreu
hindou avait trop souvent e t trop longtemps devie en suicide
orgueilleux et sterile. Colomb, trouvant Ie reste de la Terre
hab itee en cherchant l'Inde, symholisait, disait Schopenhauer
it propos des Upanishads, cette decouverte spirituelle que
l'Europe civilisee attend toujours de la pensee hindoue, ou
mieux de son imagination infrarationnelle, pour qui, avant
toute dialectique et tout droit romain la vie humaine, et
meme la vie cosmigue, est une, et universeUe pitie, tendresse
inaternelle; grace divine, i sacralise toute existence, contre
la violence et Ie mal.
La singularite de Gandhi consiste en ceci : c'est qu'au lieu
d'expliquer ce message mondial de l'Inde par une grande
mythologie (ou metaphysique) demcsuree et immense, it la
maniere de tant de ses compatriotes, il ne nous a livre, dans
sea ecrits, que des cas de conscience vecus, ou ses «inconsis.
tances », comme il dit, ses «repentirs », dirait un typographe,
trahissent sa passion ingenue pour une verite experimentale
~erree de plus en plus pres. Pas trace de casuistique autori·
taire; les aveux, si discrets et si nets, de ses fautes d'enIance,
de ses errems de chef. Depuis son Autobiographie (qui va
jusqu'en 1925), son From Yeravda Mandir (1933), sea edito·
riaux hebdomadaires de Young India (1919·1932) et de Han.
.ian (1933-42, 1946-48) , jusqu' a son commentaire sur la Gita
edite (en 1946) par Mahadev Desai.
La «science ex erimentale de Ia compassion» qu'on p eut
retirer e eur lecture ne fournIt aucune «tec Inique» toute
faite, quoique ingenument Gandhi ait pense qu'il arriverait
it s'en forger une. I! sentait bien, eourtant, que «techniq~e» f
cst contradictoire avec «vom ». Comme la compaSSIOn, Ie
'vreu est essenbellement recherche experimentale, desir de
Dieu, et Dieu pourrait-Il jamais nous en rassasier ? Au-dessus
de Ia Loi (dharma) , il y a la Grace (bakhti), qui seule peut
approfondir Ie retour aux origines jusqu'a l'Un. I

On se rendra compte de ces caracteristiques gandhiennes


en parcourant cette table it double entree ou nous avons mis

133
A LA LIMITE

Noel 1956

A la limite ou notre effort d'intercession suppliante entre


deux terrorismes plie, accable, comme celui de Gandhi
it Noakhali en 1947, sur les genoux, - relevons nos
yeux en haut, vers la vie eternelle, vers Ie «nuage de temoins
qui nous ont precedes»; ils ont ete marques, eux aussi, aban-
donnes, otages et ran~ons de la Justice, avant Ie temps; ils
nous attendent, dans la participation au Calice de la Passion,
dans la Solitude it deux avec Ie Seigneur, dans l'esseulement
de I'Essentiel Desir :
« sharibna'alii dhikri'l Habibi inudamatan.... » «nous avons
bu, en memorial de I'Aime, Ie vin enivrant... » (Ibn al Farid).
II fallait passer, comme eux, comme lui, par la «fouille»
et la torture, la denudation penitentiaire des esclaves, etre
trahis par l'Esperance, abandonnes par Ie Pere, n'ayant plus,
au creur, que la marque creatrice, la fitra, un atome infis-
sible de Foi, dharra min al-'imani, pour calciner nos debris
condamnes; Foi de fils renie, Foi d'orphelin chasse qui ne peut
plus pleurer, ploye sous l'emprise de I'Hote mysterieux qui
l'a berce, pourtant, jadis, dans Ie sein de sa mere, dans les
reves de ses nuits d'errance, et qui l'enterre, maintenant, dans
Ie sein de la terre d'ou II l'a tire.
Enterres vivants, il nous reste, au creur, cette etincelle
ultime de la Foi; rallumee en nous par Ie regard de condam-
nes criminels, bien plus que par Ie regard du bon vivant
bien pens ant. Par Ie regard de Musulmans traques, bien plus
que par Ie regard des «Chretiens» et des «J uifs» qui les
pourchassent, comme boucs emissaires. Meme quand de sin-
guliers theologiens, au service du bras seculier, doutent que

284
LE LINCEUL DE FEU D'ABRAHAM

cette Foi musulmane so it theologale; cette Foi heroique de


notre Pere Abraham somme de sacrifier son fils; cette Foi
du pauvre, de l'arriere, de l'ignorant hai de notre chretiente
sceptique; Foi pour qui il n'y a plus, en Dieu, qu'un seul
mystere, celui de son unite: l'Acte Pur on II s'unifie Lui-
meme: «Tawhiduhu 'iyyahu Tawhiduhu. »
Nous voulons entrer dans cet Acte Pur, par la non-violence
du «fiat» marial; par nos amis musulmans, nos freres; afin
d'etre «Un» ensemble avec eux, nous leurs substitues, comme
Dieu est Un.
Pour ces deIaisses, il n'y a plus qu'une reuvre de miseri-
corde, l'Hospitalite; et c'est par elle seule, non par les
observances legales, qu'on depasse Ie seuiI du Sacre : Abra-
ham nous l' a montre.
Cherchons donc avec Abraham, chez les musulmans que
nous acculons au desespoir Ie plus atroce, dans la Cite Mau-
dite on nous les poussons, - Cite du Refus essen tiel, du Renie-
ment de l'Hospitalite, demande a Lot, - cette u!time etincelle
de Foi.
L'attitude outree du criminel montre du doigt et diffame,
et roue, l'hyperextension de tout son etre herisse so us les
repugnantes precautions du bourreau, nous voulons l'y em-
brasser, quoique notre imparfaite substitution en ait horreur ';
c'est la Verite de notre misere qui nous appelle sur ses
levres, c'est la Justice de notre sentence qui va nous enchainer
a ses bras avec Jesus Sauveur.
«Dis la Verite, dut-elle te bruler du Feu du Dam»
(Hariri) .
Ce n'est pas de notre bonne societe dirigeante, sceptique et
tiede, qui excuse et normalise, parce que «naturelles », les
pires aberrations, - qui legitime, parce que «scientifique»
et « atomique », l'extermination simuItanee des coup abIes et des
innocents, que jaillira la clarte transfiguratrice de l'Univers.
Abraham, l'Ami de Dieu, Lui avait objecte jadis dix etin-
celles de Foi encore brulantes, dix hotes croyants habitant la
So dome jordanienne, pour la sauver du Feu; - c'est sans
doute du fond de la So dome spirituelle, de l'Enfer d' «II
Primo Amore », on Jesus est descendu rallumer Ie feu de
l'hospitalite eteinte que jaillira l'Indignation salva trice du
juge.

285
LE LINCEUL DE FEU D'ABRAHAM

enfants, il faut l'allaitement maternel du respect, de la Vierge


it son Nouveau-Nc.
Tant que nous ne respecterons pas l'honneur des croyants
non-chretiens, dont nous entreprenons, comme disent Ies mis-
j
siologues, Ia «conversion », mecaniquement, nous trahirons
Dieu, et noUB ne trouverons pas Ia verite pour nous-memes.
La « conversion» n'est pas un certiflcat de transit que nous
collons sur la conscience des autres, c'est un approfondisse-
ment de ce qu'il y a de meilleur dans leur loyaute religieuse
actuelle que notre catalyse peut determiner en eux, au cours
du travail commun; pourvu que notre masque de substitucs
nous fa sse devenir reellement «leurs », par Ia compassion,
Ie transfert des soufirances, et ajoutons hardiment, des espe-
ranees. II ne s'agit pas de deserter Ia chretiente pour l'IsIam,
ou Ie camp atlantique pour l'autre. Mais nous devons formam
SaTvi acceptus, leur faire trouver en eux Ia liberation, conce-
vant en eux ce visage duoChrist aux outrages, redempteur, qui
nous a attires ales aimer, it quitter, s'il Ie faut, Ies notres
pour eux.
C'est pourquoi, je l'ai deja ecrit ici-meme \ Ie rep as d'hos-
italite partage entre compagnons de travail, dans l'honneur
~t a pre gure de extenSIOn a toute umanite de la dernie~
Cene, ou certam liors-Ia-Ioi, condamne it notre place, nous
a tendu Ie pain et Ie VlD de I'Hospitabte dIVine .
.------------------------------

1. N° 103. - Cf. l'antique Iegende de Gilgameah, pam a Ia recherche


de Ia source de vie immortelle, de l'ambroisie, qui resausciterait son ami
Enkidu.

295
I~DEX DES PHI~CIPAUX NO:\IS
ET MOIS TYPIQUES

Abderrazik (M.), 24. Ibn Arabi, 279, 597. Pandya (V. H.), 404.
Abu Muslim, 366. Ibn al·Fiirid, 385. Pecaut (E.), 13.
Acadie, 250. Ibn Sina, 339. PeUiot, 423.
Aehad Ha'am, 224. Ibn Surayj, 396. Philby, 289.
Altamura, 131. icone, 38. Pleiades, 414.
Alussy, 22. ikhlas, 30. Pokrov, 16, 41.
Antsirabe. 40, 170. instant, 320. Pordic, 16.
Anwa, 352. Iqbiil 1M.), 97. Pyarelal, 404.
'Ara/at, 45. Ivanow (VI.) , 104.
Arnaldez (R.), 57. qumr, 426.
Attiir (F. D.), 92. Qutbuddin Bakhtyar, 32.
Jiibir, 346.
d'Anbigne Agrippa, 383. jardins, 315.
Roche (Pierre), 13, 413.
Rumi (Jaliil D.) 283.
Baye (eh.), 387. Ka/arbarik, 388.
Berseba, 265. Kalelkar, 408.
Benares, 418. sati, 132.
Kerbela, 128. satyagraha, 130.
Binic,20. Kierkegaard, 50.
Bloy (L.), 257. serment, 199.
Kula, 105. Shiifi'i, 386.
Boris (G.), 57. Kraus (P.), 57. Shushtari, 57.
Snouek.Hurgronje, 397.
calligraphie, 317. Labbeville, 39. Susman (V.), 411.
Canope, 426. Labrousse, 437. Sykes (M.), 286.
Castries (H. de), 372. Le Chatelier, 66. syneisaktisme, 279.
Levi (Sylvain), 408. tadmin, 339.
Deir Qonnii, 362. Levi della Vida, 435. Taha Hussayn, 24.
Desaguliers, 13, 197. Livinhac (L.), 69. Tamim Dan, 33, 435.
Dhulnun, 383. Loke,<vara, 280. Tankalushii, 435.
Deny, 425. Lounis (Mahfoud), 33. topologie, 58.
Djedda,. 287. traduction, 318.
Ma'arri, 335. Trappistes, 257.
Tusi (N), 41.
Emmerick (A. K.), 39. mat;onnerie, 196.
Madawaska, 250.
mahdi, 379. upanishads, 407.
Fakhr Farisi, 79. Magnes (Judah L.), 15. Ur, 50.
Faysal, 288. Mambre, 262. Urfe (d'), 56.
litra, 277. Marco Polo-, 432. usure, 270.
Grethe, 411, 420. Maritain (J.), 131.
Goldziher (I.), 23. Maspero (H.), 58. Vieux Marche, 33
Medine, 379. vocalisation, 336.
Melamiler, 372.
HasanBasri, 361. Mercanton (J.). VOB (Fr.) 420,
Hearn (L.), 420. Mubarae (Y), 55.
Hohenwart (M. de), 215.
Muhammad, 8'! Waarddenburg (J.), 55.
lwspitalite, 263. Muhasibi, 129.
Hourani, 421. waql, 248.
Mukteshwar, 404. Wiet (G.), 386.
Hubble, 60.
Hudhayfa, 31.
Humboldt, 436. Nedjran, 155. Yezidis, 370.

442
TABLE

I. - LA GEOGRAPHIE SPIRITUELLE DES INTERCESSIONS

Toute une vie avec un frere, parti au desert: Foucauld. 63


(Con jerence donnee a la Sorbonne le 18 mars 1959.)
Perspective transhistorique sur la vie de Hallaj. . . . . . . . 73
(E xtrait de «Diwiin» traduit et presente par Louis Massignon
«Cahiers du Sud» Documents spirituels, 10, 1955.)
Salman et les premices spirituelles de l'Islam iranien. . 98
(Extrait de «Salman Piik et les premices spirituelles de l'[slam
iranien» Publication de la Societe des etudes iraniennes et de
l'A rt pers m n" 7, 1934.)
L'exemplarite singuliere de ]a vie de Gandhi .. . . .. .. 130
(Extrait du numero de janvier 1955 d'« Esprit :1>.)

II. - L'HISTOIRE APOTROPEENNE DES COMPASSIONS

Jeanne d'Arc et l'Algerie: priere it Notre-Dame de


Bermont . .... . . . ... .. .. .. ...... .. ... . ............ 143
La Mubiihala de Medine et l'hyperdulie de Fatima. . . . . . 147
(E"tr " d ' «la Mubiihala de Med ine et l'hyperdulie de
Fat ima » Librairie orientale et americaine, Paris, 1955.)
Notre-Dame de La Salette: Ie voile de ses larmes sur
l'Eglise . . ... . .... . ............... . .. . ............ 168
(Extrait de «Dieu vivant », perspectives religieuses et philoso.
phiques n O 7, 1946.)
Un V«l~U et un destin: Marie-Antoinette, reine de
France . . . . . .. . .. ... , . . . ... . .. . . . . . . .. .. . . . . . .. . .. 182
(Extrait des «Lettres N olLvelles », sept.·oct. 1955.)

443
PAROLE DONNEE

III. - RESISTANCE NON-VIOLENTE

La Palestine et la Paix dans la Justice 221


(Extra it de «Dieu vivant» 1948.)
L'Islam et Ie temoignage du croyant .................. 232
(Extra it d'« Esprit », septembre 1953.)
Priere pour une Paix sereine entre Chretiens et Musul-
mans . .... .• .. . ................................... 245
La haute vallee du Saint-Jean en Madawaska acadien
(pr.e£ace aux cartes et tableaux d'Yves Mass~gnon). 250
(Extra it du «Bulletin de la Societe de Geographie» de Lille.
dec. 1935. Reedition Librairie orientale et americaine, Paris,
1943.)

IV. - LE LINCEUL DE FEU D' ABRAHAM


« sur lui la fraicheur et la paix »

Les trois prieres d'Abraham, Pere de tous les croyants. 257


(Extrait de «Dieu vivant », nO XIII, 1949.)
Mystique et continence en Islam... . ................. 273
(Extra it des «Etudes carmelitaines », Mystique et Continence,
1951.)
Visitation de I'Etranger.............................. 281
(Extrait de «L'Age nouveau », nO 90, janvier 1955.)
A la limite ....... , .................. .. .............. 284
L'entree a Jerusalem avec Lawrence en 1917.. . . .. . . ... 286
(Texte redige 1lpecialement it l'inten£ion de Z'oltvrage de Roger
Stephane: «T. E. Lawrence» Bibliotheque ideale, Gallimard
1960.)
L'honneur des camarades de travail et la parole de
verite. . . .. .. .. . . .. . . . . . . .. . . . . . . .. . . .. . ... . . .. . . .. 292
(Extra it de «Jesus Caritas », nO 122, mai 1961.)

V. - LES NUAGES DE MAGELLAN

A. - Arabe
L'arithmologie dans la pensee islamique primitive .... " 299
(Extra it d'« Archeion », Rome, 1932.)

444
PAROLE DONNEE
Comment ramener it une base commune l'etude textuelle
de deux cultures: l'arabe et la greco-Iatine. . . .. . . . .. 301
(Extrait de «Lettres d'humanite» Guillaume Bude, tome II,
1943.)
Le temps dans la pensee islamique. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 319
(Extrait de «Eranos Jahrbuch XX» Rhein-Verlag, Zurich,
1952.)
Refiexions sur la structure primitive de l'analyse gram-
maticale en arabe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 327
(Extrait d' «Arabica », tome 1" , fascicule 1, janvier 1954, Brill
editeurs, Leyde.)
Voyelles semitiques et semantique musicale. . . . . . . . . . .. 342
(Extrait de l'« Encyclopedie de la Musique Fasquelle », publiee
sous la direction de Fran~ois Michel, tome I, 1958.)
L'art de I'Egypte et l'art de l'Irak. .. . . . . . . .. . . . . . . ... 347
(Extra it de la revue «lshtO.r », Paris, 1958.)

B. - H istoire
La «Futuwwa », ou «Pacte d'honneur artisanal» entre
les travailleurs musulmans au Moyen age. . . . . . . . . ... 349
(Extra it de «la Nouvelle Clio », Bruxelles, 1952 nOs 5-8.)
La Cite des Morts au- Caire.......................... 375
(Extrait des Mard,:s de «Dar-el-Salam» 1958.)

C. - «Percees »
Sortes claudelianre 389
(Extra it de «la Nouvelle Revue Fran~aise», dec. 1936.)
Preface aux lettres javanaises de Raden Adjeng Kartini,
«lava en 1900 ».. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 391
(Choisies et traduites par Louis Charles Damais avec une
introduction et des notes de Jeanne Cuisinier (Mouton
and Co, Paris, La Haye, 1960.)
La tentation de l'ascete (.uka par l'apsara Rambha:
sublimation du theme dans la devotion populaire. . .. 403
(Extra it de «Dauer im Wandel », Festschrift zum 70, 1959,
Geburtstag von Carl J. Burckhardt, Verlag Callwey, Munich.)
Meditations d'un passant aux bois sacres d'Ise. . . . . . . . .. 411
(Extra it de «France·Asie », nO 164, nov.-dec. 1960.)
Les nuages de Magellan: remarques sur leur utilisation
par les pilotes arabes dans l'ocean Indien: sous Ie
signe des VII Dormants.......................... 421
(Extrait de la «Revue des Etudes islamiques» 1961.)

445
ACHBVB D'IIIIPRIMBR SUR LBS PRBSSBS

DE L'UNION TYPOGRAPHIQUB

A VILLBNBUVB-SAINT-GBORGBS

POUR RBNB JULLIARD, BDITBUR A PARIS

LB 17 NOVBMBRB 1962

c::

Depot legal : 4- trimestre 1962


N° d'impress;on : 20-62

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