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RESISTANCE DES FLUIDES
.YOL DES AVIONS ET DES OISEAUX. — HELICES ET
MOULINS A VENT. — MANQ@UVRE DES NAVIRESNOTE DE VEDITEUR
Les theses scientifiques et la méthode pédagogique qut font Vorigi=
nalité de ce Cours sont exposdes, tant dans la préface que parfois aussi
dans le corps du volume, avec une précision et une vigueur dont la
vivacité de la forme et Uénergie d’affirmation peuvent heurter certains
points de vue et certains modes d’enseigner habituellement admis, Mais
wd doit étre compris des le principe que ces discussions et ces critiques,
4 Pégard desquelles Céditeur ne saurait prendre parti, ne visent en rien
les personnes nile principe des Institutions.
‘Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation
réservés pour tous pay,
Copyright by Librairie Delagrave, 1928.L’ESPRIT TAUPIN’*
Tis evoient que c'est arvivé!
La Science éducatrice' est la marotte de nos modernes politi-
ciens et pédagogues. Educatrice de quoi, ils seraient bien en
peine de le dire; certainement pas de la volonté ni de la moralité,
qui.n’ont rien de commun avec la Joi de Mariotte ou la résolution
de l’équation du second degré.
La Science peut éduquer Uintelligence et développer le bon sens,
mais & la condition quon dépouille Vesprit taupin, scolaire, pri-
maire qui est la méme tare avec des différences tenant 4la nature
des matiéres enseignées.
A force de le répéter, je voudrais inculquer dans ’esprit de mes
contemporains que la Science n’est ni une religion ni par essence
une matiére A exemen; si par la force des choses elle devient
substance & concours, c'est toujours au détriment de l'intelligence
ét du bon sens, par l’intrusion de Vesprit taupin, scolaire, pri-
maire. Le mal est, si l’on veut, nécessaire; encore faut-il le rendre
le moins nuisible, au lieu d’exagérer ses effets comme on semble
y prendre plaisir.
1. Au soir tombant, dans un jardin de Tlemcen, je devisais’avec Ahmed ben Ali ben
Mohamed, hedji, tres viewx, sage essex pour ne se piquer d'aucun principe et vivre la
vie comme ello viont, Jo lui racontais ma fagon de tuer le temps, ot comment sans rien
désirer, sons berrer la route & personne, avais obtenn ce résaltat mervaillenx d’étre 1a
bite noire dune foule de gens qu’au surplus je prenais plaisir & exciter par des ksss,
sss... méprisante,
— Tu as tort, me dit I'hadji; serais-tu le seul & ignorer le proverbe :Ies chiens aboient,
Ja caravane passe?
_— Mon cher ami, lui répondis-je, les esravenes ont autant de chiens que de chameaux,
anes, d'bommes, de femmes et d'enfants réunis; les chiens de village sont méchants,
les chiens de caravans sont braves ; Je carevane est bien garde; ce pourquoi peut-eb
elle passe, Du reste le proverbe arabe signifie qu'il faut négliger la clameur des envieax...
ilne defend pas de leur jeter des pierres.
Nous aussi cyons un proverbe : Jes passents ne remarquent Jes chiens que s'ils aboient,
et l'on veut étre remarqué, On aboie pour attester qu'on a charge do garder le trésor qué
personne ne veut ravir; l'aboiement est un guos ego que nulle foudre ne soutient, le qué
vive dane sentinelle démunie de cartouches. Sur le geste de ramasser un caillou, le chien
qui aboie sans conviction, s'onfuit ou, tre humble, remue la queue afin d’ériter Je chati-
ment de son outrecuidence. Mais de rue en rue, de cour en cour, les chiens quiitent los
00 1a charogne : ils absient pour qu'on les remarque. Ne méritent-ils pas qu'on leur
jette des pierres?
Ahmed ben Ali ben Mohamed, hadji, trempa ses levres dens son eafé pour eacher on
sourire, Mais je vis luire ses yous; il m’approuvait,
*6 DESPRIT TAUPIN
Desprit taupin est Vabus du raisonnement deductif; c’est la sur-
vivance de Vesprit scolastique dans un pays ott les raisonneurs
abondent. Cette tare se trouve naturellement chez les mathéma-
ticiens qui se nourrissent de syllogismes; malheureusement elle
est endémique en France, elle devient l'esprit scolaire, primaire
suivant la nature de l’enseignement; or: la retrouve chez les poli-
ticiens; c'est unc forme trés générale de Desprit de sottise.
On la rencontre presque toujours chez les philosophes et socio-
logues de nos facultés, qui remplissent supéricurement la défini-
tion du primaire.
* Sa.cause est qu’il est beaucoup plus facile de raisonner que de
regarder. Comme des prémisses fausses une fois admises con-
duisent a des conséquences d’autant plus erronées qu’on 8’écarte
des postulats, on finit aisément par se vautrer dans l’absurde.
L’esprit taupin vient d’une méconnaissance de la constitution
de la Science, de l’oubli de sa dualité essentielle : la série logique
(la forme, ce qu’on déduit des principes), la série expérimentale
(les faits qui se logent dans la forme quand elle e&t bien choi-
sie}. Et nous retrouvons, sous un autre aspect, ce qu’on doit tou-
jours avoir présent 4 esprit pour que l’enseignement soit raison-
nable, d'une part une construction @ priori toujours vraie en soi,
dautre part l'emploi de .cette construction, de ces casiers, de ce
sovite, pour y loger les phénoménes.
L’esprit taupin est une maladie intellectuelle d’autant plus
grave dans seg conséquences pratiques que les malheureux
atteints par le fléau ont l’apparence de gens trés forts et sont
admirés par les imbéciles. Quand les déductions se vétent d’un
appareil imposant dalgorithmes, se décorent d’une algébre
savante, le gogo est pléin de respect. Il.se garde de tronver stu-
pides des raisonnements dont il ne pénétre pas la vanité; il croit
en or la statue de terre que recouvre une pellicule du précieux
métal.
Alors méme que la forme est exacte Vapproximation consén-
tie), quelle loge convenableriont les fuits (8 la précision des
expériences actuelles), l'esprit taupin, scolaire, primaire se
décéle par la confusion des deux séries logique et expérimentale,
par Pimterversion de leur hiérarchie, par l'importance exagérée
attribuée ala série logique. Le phénoméne que j'analyse est si
connu (bien que confusément) gu’onle stigmatise par cette phrase
méprisante : « Ils croient que c'est arrivé. »
Ce qui n’est qu'une maniére de parler, tne explication verbale,
devient pour le taupin 1a Réarrré. Le taupin vit dans un monde
fictif obtenu par déduction; pour lui le monde réel n’existe pas.
.LESPRIT TAUPIN . 7
Comble @ironie, le taupin accable de son dédain le Moyen Age et
ig Scolastique! Ila pleim la bouche de Bacon, de Descartes, de
Comte qui le refuseraient pour disciple. Co
Jo vais développer quelques exemples que leur simplicité rend
paradoxaux. 7
Raisonnons sur la régle de trois. Elle met en ceuvre une forme
dont la représentation géométrique est la droite, dont l’énonc
algébrique est la proportionnalité de la quantité y @ Ja quantité x
(fonction linéaire prise dans un cas particulier) :
yan.
Pour tracer cette droite, ce qui revient d calculer le paramétre a,
on réduit a Vunité; on pose: «=, dou: ya.
Connaissant a, si l'on donne la valeur x, de #, ou y, de y, on
tire respectivement y, ou x, :la régle de trois est résolue.
Tout cela est archiconnu, plutét devrait l’étre, car c’est un fait
pitoyable quo mes éléves pour le certificat de physique, surtout
gavés de Spéciales, ne sont pas fichus de faire une régle de trois.
On leur'apprend tant et de si belles choses, quils ignorent les
simples et les fondamentales. En tout cas il n’existe pas deux
maniéres de faire une régle de trois; Lagrange ne procédait pas
autrement que Dinstituteur de village.
Bref nous sommes en possession d'une forme logique, que nous
pouvons nommer linéaire pour rappeler que sa représentation
géométrique est une droite.
Passons aux applications, aux faits, 4 la série expérimentale.
Dans un.cours quelconque d’arithmétique vous trouvez I’énoncé
suivant.
Dix ouvriers font 25 métres de toile en un certain temps; com-
bien faut-il d’ouvriers pour en faire 30 dans le méme temps?
Le taupin whésite pas. Appelons x le nombre d’ouvriers, y le
= nombre de métres; réduisons a V'unité ; nous obtenons la droite :
y=2,5.
Faisons y= 30, il vient ~=12. Réponse : il faut 12 ouvriers.
Le premier moutard venu qui'ne soit pas abruti par votre ensei-
“ gnement, dira que le probléme est idiot et la solution stupide. En”
effet, de ce que 10 ouvriers font 25 metres de toile, ne résulte ni
qu'un ouvrier pris au hasard en fait 2,5 métres, ni par conséquent
que 12 ouvriers en font 30 matres. Tous les ouvriers ne travail-
~ lent pas également vite; poser implicitement cette hypothase,
ce que le taupin fait sans hésiter, c'est appliquer une forme (vraie8 LESPRIT TAUPIN
en soi) a un phénoméne complexe & laquelle elle ne correspond
que conventionnellement et pour des nombres assez grands, La
solution peut valoir pour 100 et 120 ouvriers, laisser 4 désirer
pour 10 ct 12, étre grossiérement fausse pour 5 et 6.
Les hypothéses doivent étre, non pas implicitement admises,
mais explicitement énoncées; le taupin, esprit faux, n'y regarde
pas de si prés, parce qu'il est médusé par la forme et que les faits
ne V’intéressent pas. :
Quand un patissier achéte des ceuls au mille, il spécifie qu’en
moyenne il y aura 15 eufs au kilo. Le poids des cufs pouvant
varier de 50 4 75 grammes, on voit ce que lui cotterait I’hypothése
que les wufs sont interchangeables.
Si vous achetez des noix au quarteron, vous aurez le soin de
regarder d’abord si les noix ont un yolume respectable. Si méme
vous les achetez au kilo, il ne va pas de soi que le poids de la
chair soit avec le poids du bois dans un rapport invariable et indé-
pendant de la’grosseur.
Exemple plus complexe. Sur une certaine route, 2 chevaux
tirent avec une vitesse de 5 kilométres & l'heure un camion pesant
2 tonnes; on demande combien de chevaux sont nécessaires pour
tirer, & 10 kilométres a Vheure, un camion pesant 10 tonnes; on
suppose les chevaux interchangeables.
Le premier roulier venu dira que le probléme est idiot, d’abord
parce que 10 chevanx attelés au méme camion (la vitesse restant
la méme) tirent beaucoup moins que cing fois autant que 2 che-
vaux, ensuite parce que des chevaux capables de trainer 1 tonne
ala vitesse de 5 kilométres, sont incapables de tirer 500 kilos A
la vitesse de 10 kilometres, vitesse qui leur est interdite par leur
poids et leur entrainement; haut le pied ils seraient essoufflés au
bout de deux cents metres.
* Autro probléme donné cent fois au bachot: une halle de plomb
animée d'une grande vitesse s’aplatit contre une plaque d’acier;
la température de fusion est T, celle de volatilisation est T’, les
chaleurs de fusion et de volatilisation sont L et 1’; calculer les
vitesses v et o” telles que le plomb fonde ou se volatilise.
Le probléme est.stupide. De ce que la quantité d’énergie ciné-
tique contenue par la balle a Vinstant du choc transformée en
chaleur suffit pour fondre le plomb, ne résulte pas que le plomb
fondra; & preuve qu’il ne fond pas (expériences de Melsens).
Ensuite, méme a supposer qu'il fonde, le phénoméne se transfor-
merait de maniére & rendre impossible la volatilisation.
Tout le monde admet qu’une certaine énergie cinétique vaut
un certain nombre de calories. Mais une équivalence numérique
n'a pas pour conséquence nécessaire un mode de transformation
imposé a l’avance de l'une de ces quantités dans l'autre; l'inven-
tour do ce probléme était sot parce que, sans y aller voir, il posait
que la conséquence nécessaire d’une certaine vitesse est la fusionLESPRIT TAUPIN 9
it plomb; il fallait étre malade pour ajouter A cette hypothese
gratuite la yolatilisation ultérieure.
Le taupin fait de l’aigdbre; tout pour lui se réduit a a+ b=c.
Les ouvriers travaillent également vite; les chevaux tirent éga-
Jement fort; il existe une fonction P==/(e), qui relie le poids du
camion a sa vitesse. Le taupin met en équation la chute des che-
veux et le blanchissement des poils de Ja barbe; il détermine la
probabilité d’avoir des cors aux pieds ou d’attraper le rhume de
cerveau. Il construit des systemes élucidant a la fois I'énigme
de la liberté humaine, le déterminisme de l'univers et la constitu-
tion de Patome. Jl crott gue c’est arrivé.
On voit en quel sens l’esprit taupin, scolaire, primaire consiste
en l'abus du raisonnement déductif, dans la suppression des con-
ditions expérimentales qui limitent Y emploi de ce raisonnement :
le taupin a l’esprit faux.
Tout probleme, pour humble qu'il soit, peut étre éducateur ou
abrutissant ‘suivant la maniére de le résoudre, alors méme que
la mécanique de la solution ne change pas. Une régle de trois
se fait toujours de méme; elle n’est ni primaire, ni secondaire, ni
supérieure; mais elle peut étre appliquéo par un imbécile ou par
un homme intelligent. Il n’existe pas deux sortes d’enseigne~
ments, l'un de culture, l'autre de contremaitre; il existe un ensei-
gnement éducatif que peut donner un instituteur, un enseigne-
ment déformant que peut infliger un agrégé. A priori je ne vois
pas que l’instituteur soit nécessairement stupide, que l'agrégé ait
toujours le sens commun. Les bagages soi-disant scientifiques
qu’on exige de l'un et de Pautre sont différents; mais on peut
savoir bien peu de chose, mal beaucoup de choses. En tout cas la
condition essentielle de formation d’un bon professeur secon-
daire‘n’est pas d’entasser dans sa téte une foule de connaissances
qui n’ont rien de commun avec la matiére de son enseignement
et dont la digestion exige une intelligence qu’on ne peut espérer
chez dix mille individus.
Parlor de 1a mentalité primaire ne veut pas dire que l'enseigne-
ment primaire est nécessairement mauvais; j’emploie le mot dans
son sens usuel péjoratif, malheureusement justifié par trop
d@exemples : vous n’espérez pasrencontrer dans un pays cent
mille hommes ou femmes intelligents.
L’esprit taupin, scolaire, primaire, n’étant qu'une maladie de
Vintelligence, peut appartenir 4 un savant trés fort dans sa spé=
cialité.10 LESPRIT TAUPIN
Dans sa confiance pour le raisonnement déductif, le taupin en
arrive a supprimerla série expérimentale, 4 ne retenir que la série
logique, que la formé. Montrons ce qui résulte de 1a pour l’abru-
tissement des éléves : le bachot, hélas! permet de collectionner
les exemples.
Tout le monde connait les services que. la chimio doit & sa nota-
tion; on s’efforce de représenter les proptiétés générales des
corps par leurs formules, formules évidemment schématiques et
conventionnelles. Un corps agit de telle maniére sur les acides
ou les bases; si les analogies sont exactes, il est vraisemblable,
par exemple, que dans la formule dun corps qui jouit des proprié-
tés générales de l’alcool ordinaire,' une partic dos éléments indi-
qués par analyse pondérale peut se grouper dela miéme maniére
que dans alcool ordinaire (groupe fonctionnel); les formules
seront bien choisies s'il en est ainsi.
Introduisons l'esprit taupin : la glycérine a telle formule, done
elle a telles propriétés : c'est un trialcool. Le reny ersemént des
termes du probléme fait une ineptio de quelque chose de trés
intelligent,
Quand un corps donne des produits d’addition, on's’efforce de
construire sa formule de maniére que des liaisons restent libres,
des bras inoccupés. Introduisons l’esprit taupin : la benzine,
Vacétyléne ont telles formules, donc ils donnent dés produits d’ad-
dition.
Les symboles, représentation conventionnelle et mnémonique
des faits observés (comme toutes les théories du reste), devien-
nent pour le taupin en herbe la cause des phénoménes. D’o une
chimie ob ne subsiste qu’un petit jeu de formules, dod les réac-
tions disparaissent, réactions d’allures cependant trés variables
malgré les analogies que rappelle un symbolisme nécessairement
imparfait.
Autre exemple. La décompositior électrolytique d’un sel con-
siste en une séparation du métal et du reste; conventionnelle-
ment on dit que le métal se déplace dans le sens du-courant, le
reste en sens inverse. Cette notion date de Berzélius.
Pour des raisons indiquées depuis longtemps par Clausius, on
admet que le sel ost décomposé, dissocié dans la solution, des
ayant le passage du courant; les morceaux s’appellent des tons.
Au bachot demandez au candidat la loi de Faraday appliquée &
la.solution de sulfate de cuivre. Il se gardera bien de dire que du
cuivre apparatt sur la plaque de cuivre par od conventionnelle-
ment sort le courant, et que la plaque de cuivre par of conven-
tionnellement il entre, reforme du sulfate de cuivre. Gomme c’estLWESPRIT TAUPIN 1
un taupin avant Ja lettre, il répondra que V'ion cuivre va sur la
catode, Vion’ acide sur Panode. La représentation schématique se
substitue au fait, explication théorique passe avant la descrip-
tion du phénoméne. Ce qui est d’autant plus stupide que nous
admettons l’impossibilité d'isoler ces fameux ions : vous ne trou-
veroz pas d’ions cuivre chez les marchands, méme en les payant
au poids de Vor.
Qu’aprés la description du phénoméng, le candidat dise qu’on
en obtient une représentation facile & retenir et permettant des
rapprochements intéressants, par V'hypothése que dés avant le
passage du courant le sulfate de cuivre est dissocié, que les grou:
pes ainsi oblenus sont appelés fous, etc., ete.; rien de mieux.
Les sels de fer se classent en deux groupes; pour représenter
commodément leur constitution, naturellement hypothétique, au”
méme symbole Fe on donne suivant les cas les noms de ferrosum et
de/erricum. Un professeur d'école primaire supérieure commen-
gait la legon sur le*fer en disant : « Le fer se présente sous deux
états : le ferrosum et le ferricum. »
Bt ca continue en taupe!
Je suis un des rares Francais qui ont lu les mémoires célébres
de Lagrange et de Gauss sur la théorie élémentaire des instru-
ments d’optique; elle revient a l'étude d’une transformation homo-
graphique. Pour nos bons taupins l'Optique Géometrique est,
non plus-l’étude des images données par une lentille ou par un
systéme de lentilles, mais ’étude de la transformation homogra-
phique : les phénoménes disparaissent sous une /orme intéres~
sante en soi, mais de premiére et relativement grossi¢re approxi-
mation physique. L’image d'un point est alors un point, non plus
la portion voisine de la pointe d’une surface caustique pointue;
Ja notion que image ponciuelle est une limite, notion familiére 4
Huyghens (1653), disparait sous Vabstraction d’une correspon-
dance géométrigque point par point.
Pour augmenter le gachis, on expose ensuite & nos bons tau-
pins les propriétés éminentes de la relation des sinus, alors que
la transformation homographique fournit une relation des tan-
gentes! .
Résultat de ces belles méthodes : au mois de juillet 1927 nous
avons refusé au certificat de licence un brave gargon, boursier de
licence, quatre ans de spéciales dans un lycée de Paris, mais
incapable d’obtenir un spectre pur. Or le probléme est résolu et
bien résolu dans ’Optique de Newton (les expériences datent de
1672; 1a premiére édition anglaise est ce 1704).
Tels sont les symptémes de la maladie intellectuelle que nous
Studions, le zaupinisme, abus du raisonnement -déductif. Tantét14 . UESPRIT TAUPIN
Dans lenseignement qui doit former Je futur savant, le futur.
ingénieur, les programmes importent peu: tout dépend de la
manigre de les appliquer. Vous devez seulement exiger d’un pro-
ramme de contenir explicitement tout ce qui est indispensable a
Pétude de ce qu'il vous plait d’y mettre. N’imitez pas celui du
bachot qui donne le droit d’interroger sur les dérivés chlorés de
Ja benzine, mais non sur les propriétés du chlore. Si l'on doit
connaitre le principe de l'équivalence, inserivez dans vos pro-
grammes I’énergie interne, puisque les deux notions sont insépa-
rables. Si l'examinateur peut demander comment se détermine le
moment magnétique d’un aimant, ne supprimez pas ls pendule
de votre programme.
Ce sont la des évidences de sens commun qu'il serait inutile
de vappeler si les programmes du bachot on de I’Ecole Polytech-
. nique ne les oubliaient pas. A la seule condition que le programme
soit cohérent au sens ci-dessus défini, peu importe le choix des
comuaissances exigges: vous éduquerez aussi bien votre éleve
avec la mécanique on Poptique pourvu que vous évities le taupi-
nisme.
Or en vertu du principe du moindre effort, rien n'est plus diffi-
cile quand lavancement oy la notoriété du professeur dépendent
du succés de ses éléves & un oxamon ou A un concours. C'est
pourquoi le taupinisme prend sa forme aigué dans les classes de
Spéciales en raison de la nature de l’examen d’entrée a I’Ecole
Polytechnique. De Ia physique ct dela chimio les phénoménes dis-
paraissent devant les théories, plus faciles a apprendre parce que
plus abstraites, permettant de récolter une bonne note sans avoir
jamais fait une expérience ou regardé le phénoméne. Inutile d’a-
jouter que ces théories ne sont faciles qu’en apparence : si l’exa-
minateur no dort pas, il discerne aisément qu'elles ne reposent
sur rien dans l’esprit du candidat. Ce sont paroles dégelées.
Ce que deviennent les théories de la Chimie pour les candidats
au bachot, un exemple. ]e montrera. En juillet 1927 ai da cor-
riger des copies de chimie; une vingtaine de candidats sur 60
avaient choisi la henzine. Avec une unanimité touchante ils attri-
buaient 4 la benzine liguide la densité 78 : 29; la benzine liguide
pesait 3 fois environ plus que l'eau liguide 4 volume égal! D’oit
sort le nombre 29 (poids moléculaire conventionnel de l'air}, d’ow
sort le rapport 78 : 29, inutile évidernment de le leur demander.
Je dis au professeur de lycée : « Pourquoi tant d'ions dans vos
cours? pourquoi la galvanoplastie réduite au schéme que vous
savez? — Que voulez-vous, Monsieur, les éleyes comprennent
bien mieux! »
Devant les professeurs d’une école primaire supérieure, un
inspecteur faisait une conférence: « La Science démontre que
les électrons ont -pour vitesse limite infériewre celle de la
lumiére. » Evidemment ce brave homme comprenait bien mieux!16 UESPRIT TAUPIN
« Dans les Ecoles d’application certains cours descriptifs pour-
raient étre réduits au profil de projets, de manipulations et d’un
cerlain temps laissé a la réflexion. Beaucoup de volumes qu'on
apprend aujourd’hui devraient servir seulement de dictionnaires
utiles a consulter plus tard ou a l'occasion d’un projet. »
Mon correspondant abonde dans mon sens. Voila vingt ans que
je le répéte :n’entassez pas des connaissances que la capacité
réduite du cerveau refuse de conserver. Limitez ce qu’il faut
retenir a l’essentiel, sachez-le bien: vous trouverez ‘dans les
livres ce qui peut vous étre utile; vous l’'apprendrez aisément
parce que yous n’hésiterez pas sur les phénoménes. Avant de dis-
serter sur les ponts tubulaires, regardez une cisaille et apprenez
ce qu’est un effort tranchant. Un ingénieur des ponts m’avouait
n’avoir compris ce qu’est un effort tranchant qu’aprés sa sortie de
YEcole, la lecture de mon Cours d’Elasticité.
Mais voici ou je cesse d’étre d’accord avec mon honorable cor-
respondant. Il convient qu’on n’est pas ingénieur a 24 ans, tout
frais émoulu d’une école : dans ces conditions le « projet » n’est
qwun ultime exercice de taupin, 4 moins qu’il ne se restreigne &
décrire une installation existante, une machine réalisée.
En effet une machine fonctionne convenablement dans certaines
conditions; si le projet consiste & calculer une machine pour d’au-
tres conditions, il faut admettre certaines lois de similitude. per-
mettant de passer des premiéres aux secondes. Nous revenons au
raisonnement déductif caractéristique du taupin; il conduit aux
pires déboires. Si l’extrapolation joue dans d’étroites limites,
la machine est réalisée; vous en trouverez la description dans la
littérature scientifique. Si l'extrapolation s’écarte beaucoup des
conditions ordinaires, votre projet n'est qu'un jeu de formules, la
machine que vous inventez, n’a pas chance de fonctionner.
Le taupinisme joue les plus mauvais tours au savant de labora-
toire comme a l’ingénieur. Quand on quitte les théories générales
pour étudier les phénoménes, construire des ponts ou fabriquer
de Pacier, la premiére condition de réussite est l‘humilité devant
les faits.
La réalité se moque de nos prévisions; on regarde les phéno-
mines, il est imprudent de les imaginer. Rien de plus légitime
que de prendre les analogies pour guides, 4 la condition d'imiter
les officiers en temps de guerre, de placer le guide entre deux
soldats, armes chargées, qui V'expédient a la premiére tentative
de trahison.UESPRIT TAUPIN uv
‘A YEcole Normale, un professeur eut un jour la fantaisie de
nous proposer comme probléme: étudier un dispositif & votre
choix pour déterminer l’chm en valeur absolue; ce braye homme,
en toute son existence, n'a pas fait une expérience qui edt le sens
commun.
Pendant la Guerre, un de mes éléves était dans une poudrerie
comme physicien. On lui demandait comment il étudierait tel ow
tel phénoméne; il indiquait une méthode. « G’est bien, répondait-
on; faites un croquis, envoyez-le aux dessinateurs, qui l’enyerront
a atelier d’exécution. » Mon éléve en restait interloqué, n’igno-
rant pas qu'il faut essayer d'abord avec des moyens de fortune,
les choses ne se. passant autant dire jamais comme on le prévoit.
uand on a fini de tatonner, généralement on sait ce qu’on veut;
inutile de déranger le dessinateur et le mécanicien. Seul le taupin
peut espérer quo les analogies, c’est-a-dire encore et toujours
le raisonnement déductif, permettront de conclure d’un phéno-
méne 4 un autre, par-suite de disposer les expériences comme il
convient.
Quand on me demande si tel dispositif fonctionnera, comme
grice a Dieu je ne suis pas ingénieur conseil, si le dispositif
ne présente pas quelque vice théorique rédhibitoire, je réponds :
Essayez, vous verrez ce qui arrivera. Par usage, je connais trop
la malice des phénoménes pour prétendre jouer le réle de pro-
phete.
En quoi j’imite tous les bons physiciens depuis que Vespéce
existe,
Cest en un sens trés heureux que le raisonnement soit inca-
pable de tout prévoir, puisque le résultat contraire & ce qu’on
espérait devient pacfois l'origine d’une, découverte intéressante.
Revenons sur les manipulations.
Une erreur commune consiste 4 dire: j'éduque de fulurs ingé-
nieurs, donc ils étudieront des appareils industriels, des ma-
chines usuelles. C’est se méprendre sur ce qu’on peut attendre
des manipulations pour P’éducation scientifique, la méme pour
les futurs professeurs, savants de laboratoire ou techniciens. La
manipulation sera d’autant meilleure qu’elle réalisera un cas plus
aisément calculable, plus voisin des lois fondamentales, de leurs
énoncés les plus simples, parce qu'elle montrera la concordance
de la série logique et de la série expérimentale.
Sur l'axe d'une roue de bicyclette bien mobile, installez un
tambour sur lequel s’enroule une corde qui supporte un poids,
Déterminez la loi du mouvement angulaite de la roue, linéaire du
Poids : votre éléve acquerra la notion de moment d’inertie,
a