Géographies de L'amérique Latine
Géographies de L'amérique Latine
Géographies de L'amérique Latine
1 T , t: H , J 1 1
~ .
e grap es
de l' m éri ue latine
GÉOGRAPHIES DE L'AMÉRIQUE LATINE
Collection Espace et Territoires
Dirigée par Rémy ALLAIN, Cuy BAUDELLE, Yves JEAN et René-Paul DESSE
Chiara BARATTUCCI,
Urbanisations dispersées. Interprétations/Actions, France et Italie, 1950-2000, 2006, 320 p.
Pierre-Arnaud BARTHEL,
Tunis en projet(s). La fabrique d'une métropole au bord de l'eau, 2006, 208 p.
Nicolas BERNARD (dir.),
Le nautisme. Acteurs, pratiques et territoires, 2005, 336 p.
Jean-Pierre BEURIER et Yves-François POUCHUS (dir.),
Les conséquences du naufrage de IErika. Risques, environnement, société, réhabilitation, 2005,
288 p.
Samuel ARLAUD, Yves JEAN et Dominique Royoux (dir.),
Rural-Urbain. Nouveaux liens, nouvelles frontières, 2005, 508 p.
Jean OLLIVRO,
Bretagne, 150 ans d'évolution démographique, 2005, 368 p.
Jean RENARD,
La Vendée. Un demi-siècle d'observation d'un géographe, 2005, 312 p.
Rémy LE SAOUT et François MADORÉ (dir.),
Les effets de lïntercommunalité, 2004, 224 p.
Florence COURLAY,
Lorient. Une ville dans la mondialisation, 2004, 294 p.
Guy BAUDELLE et Catherine GUY (diL),
Le projet européen. Histoire, enjeux, prospective, 2004, 176 p.
Renaud LAYADI,
La région stratège. Le développement durable, un projet pour la Bretagne, 2004, 300 p.
Valérie JOUSSEAUME, Nicole CROIX et Denis MERCIER,
La Chapelle-Basse-Mer commune ligérienne, 2003, 96 p.
Maurice LE DÉMÉZET et Bruno MARESCA,
La protection de la nature en Bretagne. La SEPNB (1953-2003), 2003, 240 p.
Sarah RÉAULT-MILLE,
Les marais charentais. Géohistoire des paysages du sel, 2003, 272 p.
Rémy ALLAIN, Guy BAUDELLE et Catherine GUY (dir.),
Le polycentrisme, un projet pour l'Europe, 2003, 308 p.
Maria GRAVARI-BARBAS et Philippe VIOLIER (dir.),
Lieux de culture, culture des lieux, 2003, 306 p.
Loeiz LAURENT,
La fin des départements. Le recours aux pays, 2002, 154 p.
Sébastien FLEURET et Raymonde SÉCHET (diL),
La Stlnté, les soins, les territoires. Penser le bien-être, 2002, 238 p.
Pascal CLERC,
La culture scolaire en géographie. Le monde dans la classe, 2002, 190 p.
Françoise DUREAU, Vincent GOUËSET et Évelyne MESCLIER
GÉOGRAPHIES
DE L'AMÉRIQUE LATINE
Nos remerciements vont à l'ensemble des personnes qui nous ont aidés dans la rédaction
de cet ouvrage, toute erreur éventuelle restant le fait des auteurs. Par ordre alphabétique:
Marguerite BEY, sociologue, chercheuse à l'IEDES (Université de Paris 1 - Panthéon-
Sorbonne) et Jean-Louis CHALÉARD, géographe, professeur à l'Université de Paris 1 -
Panthéon-Sorbonne et directeur du Laboratoire PRODIG, pour leur relecture et leurs
suggestions concernant la troisième partie;
Élisabeth CUNIN, sociologue, chercheuse à l'IRD-UR 107 et Odile HOFFMANN,
géographe, chercheuse à l'IRD-UR 107 et directrice du CEMCA (Mexico), pour leur
relecture de la deuxième partie et leurs conseils;
Daniel DELAUNAY, démographe, chercheur à l'IRD et directeur de l'UR 013 (Migration,
mobilités, dynamique du peuplement et des territoires), pour sa contribution au
chapitre 5 et pour le prêt de ses photographies;
Isabelle LAUSENT-HERRERA, chercheuse au CREDAL (IHEAL-CNRS), pour son apport
à la deuxième partie;
Catherine PAQUETTE, géographe, chercheuse à l'IRD-UR 013, pour sa contribution à la
quatrième partie, ses relectures et le prêt de ses photographies;
Gabriela RAMos, historienne, professeure à l'Université de Cambridge, pour ses sugges-
tions et remarques concernant le chapitre 1.
Nous remercions enfin tous les collègues qui nous ont aidés par l'envoi de photogra-
phies et d'informations diverses: Olivier BARBARY, IRD-UR 013 (figures 6.1 et 6.2) ;
Vîctor BRET6N, Universidad de Lleida (informations pour la partie 3); Florent DEMORAES,
IRD-UR 029 (photo 14.1); Vincent DUBREUIL, Université Rennes 2 (photo 11.5a);
Martine GUIBERT, Université Toulouse-Le Mirail (informations pour la partie 3); Maria-
Cristina Hoyos, Universidad de los Andes (plusieurs photos des chapitres Il, 12 et 13);
Bernard LORTIC, IRD-UR029 (plusieurs photos des chapitres 12, 13 et 14); Vincent
NEDELEC, Université Rennes 2 (photo 11.5b) ; Olivier PISSOAT, CNRS-ADES
(figure 14.7) ; Jorge RODRlGUEZ, CELADE (informations pour la partie 4) ; Hervé THÉRY,
CNRS (figure 3.1); Guy THUILLIER, Université Toulouse - Le Mirail (figure 14.9);
Catherine VALTON, IRD-LCA (informations pour la figure 2.3).
Introduction générale
années 1980, par lequel toute chose est considérée comme une ressource poten-
tielle, une marchandise, permettant de participer au commerce mondial. Par
d'autres côtés et de façon paradoxale, les exigences de participation des associations
entrent en résonance avec la mondialisation économique, qui suppose elle aussi
une ouverture des lieux aux initiatives de tous. Une territorialité locale s'affirme,
qui rend possible le débat et facilite simultanément l'action des acteurs d'échelle
supérieure, libérés des entraves autrefois posées par l'État central.
On mesure encore mal l'impact de tous ces bouleversements. Ils sont pourtant
considérables et nous obligent à revisiter, à l'aide de nos outils de géographes,
certaines images un peu convenues de l'Amérique latine. Ainsi la vision classique
d'une société marquée par la pauvreté et par les inégalités sociales n'a pas perdu sa
validité, mais elle doit être révisée à la lumière des évolutions récentes. Les
campagnes connaissent de profondes mutations, en lien avec des formes renouve-
lées d'intégration dans l'économie mondiale. Lhéritage des réformes agraires, qui
avaient ici ou là limité les inégalités sans supprimer la pauvreté ni les tensions, n'en
sort pas indemne: la grande exploitation fait un retour en force, mais avec des
caractéristiques spatiales et sociales différentes de celles qui dominaient aux XIXe et
xxe siècles. Parallèlement, les mouvements alter-mondialistes et multiculturalistes
apportent un appui inespéré à des catégories de population qui semblaient vouées
à perdre tout contrôle sur leurs ressources. Les villes quant à elles ont passé la
période d'une croissance qu'on jugeait chaotique et incontrôlable, il ya encore une
vingtaine d'années, pour entrer dans une phase de consolidation et de reprise en
main par les acteurs institutionnels, dont l'action planificatrice est parfois origi-
nale; ce qui n'exclut pas le maintien de forts contrastes sociaux et l'apparition de
nouvelles formes de ségrégations.
Les nouvelles tendances sociales, politiques et économiques ont pour effet de
renforcer partout la diversité des situations, de modifier les hiérarchies préalables,
de remettre en jeu les positions et les acquis, de les rendre également moins
lisibles, comme en témoigne la perplexité des politologues devant la « gauche»
latino-américaine du XXI" siècle. Lespace qui correspond à ces changements est-il
lui aussi moins lisible? Nous avons pris le parti de parler de « géographies}) de
l'Amérique latine, non pas tant pour souligner les différences entre les pays, que
pour mettre en exergue la complexité croissante, à toutes les échelles, du rapport
entre les sociétés et les lieux. LAmérique latine continue bel et bien d'exister, tant
les héritages impriment une marque commune aux évolutions actuelles. En même
temps, ses visages sont aujourd'hui de plus en plus variés.
Lobjectif de cet ouvrage est, en s'appuyant sur les expériences de recherche de
ses auteurs et sur une série de travaux récents peu connus en France, de mettre en
lumière certaines des évolutions qui nous semblent être les plus significatives et
les moins diffusées dans la littérature géographique française. En partant de
terrains et de problématiques de recherche qui nous sont familiers, dans les Andes
principalement, mais aussi au Mexique, nous essayons ici d'élargir, chaque fois que
possible, nos observations à un cadre problématique et territorial plus ample.
Nous ne prétendons bien sûr pas tout aborder dans ce travail. Nous avons pris le
parti de nous centrer sur certains domaines qui touchent à des structures spatiales
lNTRODUCTION GÉNÉRALE
12
PREMIÈRE PARTIE
.Évelyne MESCLIER
Telle qu'elle est généralement décrite par les géographes, l'Amérique latine donne
curieusement l'impression d'être à la fois pas assez peuplée, trop peuplée et mal
peuplée. Pas assezpeuplée, car les pays qui la composent ont du mal à contrôler leur
territoire, à utiliser les ressources, à protéger leurs frontières. Trop peuplée, car on
s'inquiète de la disparition des forêts amazonienne ou de l'Amérique centrale,
comme, dans les pays d'Amérique du nord et en Europe, de l'arrivée de millions de
migrants latine-américains. Mal peuplée, car les contrastes sont grands entre d'im-
menses agglomérations, de plus en plus confrontées aux difficultés de transport, à la
pollution et à l'insuffisance de la couverture de services, et des campagnes reculées,
où les densités sont trop faibles pour permettre la généralisation de l'accès aux infra-
structures: c'est l'Amérique des espaces « pleins» et des espaces « vides ».
Ces descriptions font implicitement référence à un modèle de peuplement basé
sur une relative homogénéité de l'espace. Elles donnent en quelque sorte en creux
l'image de ce que n'est pas devenue cette Amérique, un Extrême-Occident non
seulement par ses coutumes mais encore par son territoire. Elles trahissent par là
même l'originalité d'un peuplement qui, cinq siècles après la conquête euro-
péenne, reste avant tout le résultat d'une confrontation et d'une négociation entre
des modèles multiples. Car la période préhispanique montre des situations
diverses et l'histoire qui suit la conquête apportera également des éléments de
différenciation, au-delà d'un discours apparemment homogénéisateur.
Les logiques qui s'expriment à travers le peuplement de l'Amérique latine ont
une de leurs racines dans les phases de peuplement préhispaniques: logiques des
groupes de chasseurs-cueilleurs, logiques des peuples plus sédentaires des pêcheurs
et agriculteurs, logiques des empires, chimu ou inca, aztèque ou maya. Une autre
racine est celle des logiques imposées ou négociées par les Espagnols ou les
Portugais, qui reprennent en partie les précédentes et les accommodent à des objec-
tifs divers, administration, contrôle, exploitation. La diminution catastrophique
de la population après la Conquête échappe largement à leur volonté: elle est à
1. D'une expression péruvienne, « quien no tiene de inga tiene de mandinga »: qui n'a pas quelque l(
chose d'Inca a quelque chose de Mandingue. )
LES ORlGINALITfS DU PEUPLEMENT LATINO-AMfRICAlN
16
Des structures nées d'héritages et de ruptures
Évelyne MESCLlER
Si on retient finalement les chiffres sur lesquels s'accordent des textes récents
émanant de spécialistes du thème (Pérez Brignoli, 1993: 63; Newson, 2006: 148,
qui s'appuient sur les chiffres élaborés par Denevan, 1992), les territoires de l'ac-
tuelle Amérique latine auraient abrité environ 50 millions de personnes à la fin du
xve siècle - un peu moins de 4 millions d'habitants peuplaient par ailleurs
l'Amérique du nord moins le Mexique. Ces 50 millions sur un peu plus de
20,5 millions de km 2 représentent des densités moyennes de presque 2,5 habitants
par km 2 • À la même époque, le royaume de Castille comptait aurour de 5 millions
Amérique du Nord
20
•
Plaines de l'est
, ....
...
\' ....
\ -' .... ...
- J
... --
Population estimée en 1492
17000000 N
1000000
+
limite approxImative des réglons
prises en compte par les auteurs
des données
20
DES STRUCTURES NÉES D'HÉRITAGES ET DE RUPTURES
de mortalité élevés, et des taux de natalité plus faibles que ceux des populations
sédentaires (Newson, 2006 : 151). Ces caractéristiques auraient eu une influence
sur la façon dont la démographie évoluera après la Conquête.
« infériorité fondamentale des Amérindiens» [sic] (ibid.) n'est pas de mise face à
des cultures qui développèrent des structures sociales et spatiales originales, dont
il reste à découvrir bien des aspects 3.
LAmérique d'avant la Conquête était probablement assez densément peuplée
et comportait des réseaux d'échanges, qui n'impliquaient bien sûr pas l'absence de
guerres et de conflits. Les inégalités du peuplement étaient le résultat d'histoires
complexes, où se succédèrent et se juxtaposèrent des cultures diverses mais liées
entre elles. Les populations par ailleurs continuaient à augmenter, certes sans doute
assez lentement: L. A. Newson évoque un taux de croissance annuel de 0,5 à 0,7 %
dans la région de México entre 1250 et 1 500 (Newson, 2006 : 151). La Conquête,
qui n'est pourtant a priori que l'intervention d'un nouveau groupe humain dans
ces évolutions spatiales déjà dynamiques, va introduire une ruptute brutale.
3. Grâce aux travaux des archéologues et anthropologues, ces structures sont cependant de mieux
22 en mieux connues.
DES STRUCTURES NÉES D'HÉRITAGES ET DE RUPTURES
23
LES ORlGINALlTËS DU PEUPLEMENT LAT1NO-AMËRICAlN
-,
~ Hautes
.~terre$
:f
-,
-1. !lU
Tableau 1.1 - Les épidéoùes du XVIe siècle en Mésoamérique et dans les Andes
et XIxe siècles (Jones, 1999 : 138). Les Mapuche capturaient quant à eux des
femmes et des enfants espagnols lors des affrontements, mais cela ne compensait
pas les pertes subies. Les missions religieuses, sur le versant oriental des Andes,
dans le nord du Mexique, dans les basses terres de l'est de l'Amérique centrale,
contribuèrent souvent au déclin démographique, à quelques exceptions près
(Newson, 2006 : 179 et s.), pour les mêmes raisons que celles implantées dans l'est
du Brésil. La baisse de la fécondité y était sauf exception très importante.
importants des siècles suivants. C'était une population surtout masculine, placée
au bas de l'échelle sociale et donc sans accès aux femmes des autres ethnies, qui
aurait diminué sans les apports extérieurs continuels: il pouvait y avoir un peu
plus de 100000 personnes d'origine africaine dans les Amériques en 1650 - envi-
ron 2 % de la population - concentrées dans les deux villes principales de México
et Lima, dans les ports de Veracruz, du Callao, de Carthagène, et dans les Caraïbes
(Manning, 2006 : 58 d'après Curtin, 1969). Les esclaves africains étaient égale-
ment présents dans le nord-est du Brésil. Leur distribution spatiale ressemblait à
celle des Européens. Ces derniers étaient cependant plus présents dans les hautes
terres rurales, alors que les Africains étaient plus nombreux dans les Caraïbes
(Manning, 2006 : 59): environ 70000 d'entre eux avaient remplacé en tant que
main-d'œuvre la population disparue des îles, où seuls 7000 à 8000 Espagnols
maintenaient une présence à la fin du XVIe siècle, autour de quelques lieux peuplés
à Cuba, Hispaniola et Puerto Rico (Chaunu, 1964: 112).
Paraguay** 1792 92
TQ[al Cône sud 972
Brésil
L 1800 3330
* futur pays considéré comme faisant partie de la région « Andes »
** futur pays considéré comme faisant partie de la région « Cône sud»
NB: ces pays n'existeront réellement qu'à partir des Indépendances, voire plus
tardivement compte tenu des modifications ultérieures des frontières, La popula-
tion de leurs futurs territoires a été estimée par les auteurs des sources.
Source: Pérez Brignoli, 1993: 80-82 (à partir de diverses sources).
8. Celle-ci fair à partir des années 1870 partie du front d'expansion de l'Ouest américain, qui
« déverse au Mexique sa technologie et ses capitaux [... ] suivant les nouvelles liaisons ferroviaires 31
nord-sud [... ] » (Bataillon, 1991 : 120).
LES ORIGINALlTt's DU PEUPLEMENT LATINO-AMÉRICAIN
Figure 1.3 - Les territoires conquis et leurs marges dans la deuxième moitié du XVIII< siècle
20
Région conquise
•• Capitale de vice-royauté
Autre viile
32
DES STRUCTURES NÉES D'HÉRITAGES ET DE RUPTURES
de l'élevage, fibres, café; et des densités encore faibles. LArgentine fut de loin le
plus grand pays récepteur: déjà 1,8 million d'immigrants au XIXe siècle, auxquels
viendront s'ajourer plus de 4 millions dans le premier tiers du xxe siècle (Cosio-
Zavala, 1998 : 26). LUruguay reçur 340000 migrants européens entre 1871
et 1900 (ibid.). Le Chili réussit quant à lui à installer des milliers d'agriculteurs
européens au sud du Bio-Bio, mais cette dynamique fur stoppée par la crise
économique et politique en 1891; plus tard, entre 1908 et 1914, il reçut chaque
année environ 10000 migrants (Sanchez-Albornoz, 1973 : 176). Ces chiffres,
malgré l'existence d'institutions nationales chargées des enregistrements, sont des
ordres de grandeur, dam la mesure où des migrants ont pu être comptés plusieurs
fois, après être passés par exemple de l'Argenrine à l'Uruguay ou vice-versa.
Limpact de ces migrations sur la démographie fut très grand dans le cas d'un
pays comme l'Argentine, si on en croit les chiffres élaborés par des auteurs comme
Mortara, cité par N. Sanchez-Albornoz (1973, 189) et H. Pérez Brignoli (1993 :
75) : presque 60 % de l'augmenration de la population entre 1841 et 1940 serait
due à l'arrivée des migrants et à leur croissance naturelle une fois sur place. Par
ailleurs, les taux bruts de natalité de l'ensemble de l'Argentine, évalués par
H. Pérez Brignoli (1993 : 83), étaient plus élevés que ceux du Chili et les taux de
mortalité diminuèrent plus rapidement. Le taux de croissance naturel moyen de
l'Argentine atteignit sans doute presque 2 % par an dans les années 1880, alors
que celui du Chili était plus proche de 1,3 à 1,4 %: à la fin du XIXe siècle, elle était
plus d'une fois et demi plus peuplée que le pays voisin, alors que la situation était
inverse en 1800. La dynamique de colonisation de terres libres, l'abondance des
terres, dans un conrexte économique de demande grandissanre des marchés
mondiaux (Pérez Brignoli, 1993 : 79), furenr à cette époque sans nul doute des
facteurs explicatifs importants, qui favorisèrenr la croissance dans l'ensemble du
cône sud mais surtout en Argentine. Cette croissance s'accompagna cependant
d'une diminution des populations indigènes Mapuche, confronrées aux armées
des jeunes nations chilienne et argentine. Le gouvernement chilien en 1852
réclama aux Mapuche les terres qui ne leur avaient pas été reconnues légalement,
sur lesquelles s'installèrent les premiers colons allemands. Les Mapuche répondi-
rent soit par la violence, soit en négociant, soit en migrant. LArgentine mena dans
les années 1870 la « conquête du Désert» pour résoudre le « problème indien ».
Dans les deux cas, les justifications de dynamiques qui eurent pour origine l'essor
d'économies d'exportation s'organisèrent autour des notions de races « supé-
rieure» et « inférieure », de civilisation et de souveraineté nationale (Jones, 1999 :
175 et s.) Il y avait selon les estimatiom entre 100 000 et un demi million d'indi-
gènes dans le cône sud au À'VIW siècle, selon ce que suggèrenr les documents élabo-
rés par les Européens, soit une part imporrante de la population totale 9. À la fin
du XIXe siècle, il y avait moins de 150 000 Indiens « pacifiés»: dans les 30 000 en
Argentine et dans les 100000 au Chili (Jones, 1999: 138). Au lieu d'augmenter,
même à un rythme modéré, et de participer à l'essor démographique, cette popu-
lation avait en un siècle plutôt diminué et n'était plus qu'une petite minorité dans
des pays ayant atteint 4,7 et 2,9 millions d'habitants respectivement.
9. En ]800, d'après H. Pérez Brignoli (selon Collver) il y avait 550000 personnes au Chili et
300000 en Argcnrine (Pérez Brignoli, 1993: 8]). 33
LES ORJGINALITÉS DU PEUPLEMENT LATINO-AMÉRJCAJN
350
300
~
250
- Destination:
200 - r--
BréSil
Amérique espagnole
150
1- - - - '-- - 1- - f----- - - -
100
1-- - - - - r- r- -~
l t tt
r-
[
/
-
1
50
o , 1 1 -r----> 1 1 1 1 1
1760 1770 [780 1790 1800 1810 1820 1830 1840 1850 1860 1870
Source: Données élaborées par Curtin, 1969, reprises par Sanchez-Albornoz, 1973, 14S.
Pour j'Amérique espagnole, on ne dispose que d'un chiffre global pour les périodes 1761-1770 er
1771-1780 d'une parr, 17S1-1790, 1791-ISOO er 1801-1S10 d'aurre parr. On a donc disrribué de
façon égale ces chiffres enrre ces périodes.
Après IS11, les chiffres pour l'Amérique hispanique ne concernenr plus que Cuba er Puerro Rico.
Avec les Caraïbes, le Brésil est du fait de ces booms l'autre grande région
demandeuse d'esclaves: 3,7 millions de personnes y sont « importées)) entre 1650
et 1820, qui travailleront pour les plantations de Bahia et, à partir des années
1680, dans les mines d'or du Minas Gerais (Manning, 2006 : 60). En 1736 il y
avait dans cette dernière région près de 100000 esclaves (Sânchez-Albornoz, 1973,
118). Entre 1761 et 1810, trois fois plus d'esclaves sont arrivés au Brésil que dans
['Amérique espagnole (figure 1.4), d'après les données de Curtin (1969: 216),
reprises par Sânchez-Albornoz (1973: 148). :Limportance de la migration portu-
gaise augmenta surtout à partir du début du XVlIl e siècle, après la découverte de
[' or du Minas Gerais: 8000 à 10000 Portugais migrent alors chaq ue année au
Brésil (Newson, 2006 : 155-156). Au cours du siècle, ce sont 300000 à
500000 Portugais qui se seront installés. Villa Rica de Ouro Preto, où se concen-
trèrent les mineurs, aurait atteint plus de 100000 habitants et fut pour quelques
années la plus grande ville du Nouveau Monde après México et Lima (Sânchez-
Albornoz, 1973 : 118). « Comme dans n'importe q~e1 campement minier, la
34 distribution par sexe et par âge fut très disproportionnée, la mortalité élevée et les
DES STRUCTURES NÉES D'HÉRITAGES ET DE RUPTURES
forêt, jusqu'à ce qu'au début du XIxe siècle fut entreprise leur extermination,
rendue encore plus nécessaire aux yeux des colons par le boom du cacao. À la fin
du XIxe siècle, il ne restait plus que quelques groupes. La pénétration portugaise
en Amazonie fut de même accompagnée d'affrontements et de guerres d'extermi-
nation. Au XIxe siècle, l'exploitation du caoutchouc intensifia le recrutement de la
main-d'œuvre indigène dans des régions comme celle de Rio Branco (ibid. : 368-
369). Les descendants des cinq à six millions d'indigènes qui peuplaient à l'époque
préhispanique cette partie de l'Amérique avaient donc été remplacés, lentement
mais presque entièrement, par quelque dix-sept millions de Brésiliens d'origine
africaine et européenne essentiellement au tournant du xxe siècle.
Dans les régions anciennement colonisées, Mexique et Andes (à l'exception de
leurs marges), les évolutions postérieures au premier siècle et demi de conquête
furent quasiment inverses: la population indigène commença une lente récupéra-
tion démographique, alors que l'immigration, libre ou forcée, se ralentissait.
Population en 1900
- *
-17 000 000
8 5 000 000
500 000
1000Km
* . Les lemtOires cartographiés sont les rf/mlo,res
actuels des pays
- L'échelle des symboles esr la même que pOUf
la figure 1 1, afm de permettre la comparFliSDn
37
LES ORIGINALITÉS DU PEUPLEMENT LATINO-Al\1ÉRICAlN
naturelle explique que, malgré les faibles migrations vers ces centres anciens au
cours des trois siècles antérieurs, ceux-ci avaient toujours un poids démographique
relatif important au tournant du xxe siècle (figure 1.5). Les différences du début
du XIXe siècle étaient par ailleurs amplifiées par cette croissance déjà relativement
rapide, de telle façon que le centre mexicain accrut son avance sur le centre andin.
Conclusion
Les rattrapages démographiques des régions vidées par la conquête se sont
effectués d'abord en grande partie grâce à un repeuplement, basé sur l'arrivée de
nouvelles vagues européennes et/ou sur l'importation massive d'esclaves. Ces
rattrapages concernent les contrées les plus brutalement vidées par la conquête,
mais aussi certains des territoires qui en avaient été aux marges. La frontière, carac-
téristique de cette « Amérique latine des vides» qui n'aurait pas existé sans la
première phase de disparition des populations locales, est paradoxalement perçue
comme un élément constitutif de la « nature » du continent, au même titre que
pour l'Amérique du nord. C'est là qu'auront lieu les croissances démographiques
les plus spectaculaires, et le Brésil, pays de frontière par excellence, est à la fin du
XIXe siècle le pays le plus peuplé de l'Amérique latine.
Parallèlement, les taux de croissance naturelle des populations latino-américaines
commencèrent à connaître une certaine stabilité dans le temps, tendance qui s'affir-
mera au début du xxe siècle avec en particulier la fin des grandes épidémies. Cette
tendance est vraie également pour les populations indigènes des terres d'ancienne
colonisation, mais pas encore pour celles qui ont survécu aux marges des empires
espagnol et portugais et seront encore confrontées à l'évolution de la « frontière »
interne au cours du xxe siècle. Cependant, alors que les mouvements de peuplement
antérieurs purent modifier considérablement les compositions ethniques, par le biais
des migrations et des affrontements armés, les évolutions postérieures seront moins
sélectives, même si les populations d'origine européenne bénéficient encore souvent
d'une meilleure espérance de vie. La stabilisation des taux de croissance pérennisera
la distribution relative des populations: à la fin du XIxe siècle, les jeux ont l'air prati-
quement faits, les grandes masses de population sont en place et les fronts de colo-
nisation, même lorsqu'ils déplaceront des milliers de personnes, ne modifieront plus
la physionomie globale du peuplement des continents. Les accélérations du
xxe siècle, qui multiplieront par plus de sept ces masses, permettront cependant de
38 nombreux réaménagements à l'échelle continentale, régionale et locale.
Les accélérations du xxe siècle: croissance
démographique et dynamiques de peuplement
moins ponctionnées par les migrations, selon des logiques spatiales complexes, et
sont à des stades de la transition démographique souvent moins avancés que les
villes.
Dans ce chapitre, nous présenterons donc tout d'abord des phénomènes
d'échelle continentale: les croissances, leurs inégalités entre les pays, leurs facteurs.
Dans un deuxième temps, nous aborderons les redistributions à l'intérieur des
pays, à travers deux angles d'approche: celui des transitions urbaines; celui de la
régionalisation des croissances démographiques à l'intérieur des espaces nationaux,
à travers quelques exemples.
Encadré 2.1 - La démographie latina-américaine, une histoire plus ou moins bien connue
1
;:~ En Amérique latine, la rradition statistique est ancienne. Dès le X\iIe siècle, les colonies
-
espapnoles font l'objet de grandes enquêtes régulières et systématiques. A la fin du :::Jxe siècle,
les Etats indépendants ont voulu créer un système moderne de statistique; les Etats-Unis
1
1 soutiennent cet objectif en imposant leurs propres normes, souvent peu adaptées aux réalités
1 latino-américaines. Dans une dizaine de pays, des recensements sont réalisés régulièrement,
selon un rythme décennal; d'aurres sont nettement moins bien dotés (en 1974, la Bolivie
n'avait réalisé qu'un recensement, Haïti et l'Uruguay deux). Dans quelques pays, comme le
Brésil et le Mexique, la statistique est entre les mains d'organismes qui assurent également la
production cartographique, regroupant donc les fonctions assurées en France par l'IGN et
l'INSEE; cette organisation institutionnelle particulière explique pour une large part l'avance
de ces deux pays en matière de production d'information démographique georéférencée.
40
LES ACCÉLÉRATIONS DU XX, SIÈCLE
Taux (%)
3,5 - , - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ,
.- .
...... ..
0.5 ..................
.~ .......
o
42
LES ACCt.LERATIONS DU XX' SIÈCLE
Figure 2.2 - Distribution de la population mondiale selon les régions du monde (l850-2005)
'00%/_ Océanie
80% l~
60%, ././
40% /
20%
2005'
r-I moins de 15
c=::J de 15 à 20
-
de 20 à 25
de 25 à 30
30 et plus
Tableau 2.2 - Effectifs de population par pays (1850-2005)
.
Population (en milliers)
1850 1900 1930 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2005
--
Argenrine 1 100 4743 li 896 17 150 20616 23962 28094 32527 37032 39302
Bolivie 1374 1696 2 153 2714 3351 4212 5355 6669 8428 9427
Brésil 7205 17318 33568 53975 72 757 96 021 121672 149690 174719 187597
Chili 1287 2904 4424 6082 7644 9570 II 174 13 179 15398 16267
Colombie 2243 3825 7350 12568 16857 22561 28447 34970 42321 46039
Cos ra Rica 125 285 499 966 1334 1 821 2347 3076 3925 4322
Cuba 1 186 1 573 3837 5850 6985 8520 97\0 10628 II 199 11369
J:.quareur 816 1400 2 160 3387 4439 5970 7961 10272 12299 13215
El Salvador 394 932 1 443 1951 2578 3598 4586 5 110 6276 6875
Guaremala 850 1425 1771 3146 4140 5419 7013 8908 11 225 12700
Hairi 938 1270 2422 3261 3804 4520 5454 6942 8357 9151
Honduras 350 443 948 1380 1894 2592 3569 4879 6485 7347
Mexique 7662 13607 16589 27737 36945 50596 67570 83226 98881 106147
Nicaragua 300 448 742 1 190 1 617 2228 3067 3960 4957 5483
Panama 502 860 1 126 1506 1949 2411 2948 3228
Paraguay 500 440 880 1488 1842 2350 3114 4219 5496 6216
Pérou 1 888 3791 5651 7632 9931 13 193 17324 21753 25939 27947
Rép. Dominicaine 200 700 1 400 2353 3231 4423 5697 7066 8396 9 100
U[llguay 132 915 1704 2239 2538 2808 2914 3106 3337 3455
Venezuela 1 490 2344 2950 5094 7579 10721 15091 19735 24311 26577
TOTAL 30040 60059 102889 161 023 211 208 276591 352108 432326 511929 551 764
DBrésil
100%
DMexique
90% - o Colombie
Argentine
80% .Pérou
• Venezuela
70%
.Chili
60% o Equateur
o Guatemala
50% .Cuba
• Bolivie
40%
o Haiti
30% • Rep. Dominicaine
DHonduras
20% - • El Salvador
OParaguay
o Nicaragua
.Costa Rica
1900 1930 1950 1970 1990 2005 Uruguay
latine: les deux pays sont alors de taille comparable (7,7 et 7,2 millions d'habi-
tants). La différence de rythme de croissance s'aggrave au début du xx e siècle: la
révolution mexicaine se traduit par une décennie de guerre civile qui freine bruta-
lement la croissance démographique du pays (figure 2.5). Quand les rythmes de
croissance du Mexique et du Brésil se rejoignent, en 1930, le Brésil est deux fois
plus peuplé que le Mexique. Entre 1950 et 1980, l'écart se comble légèrement:
depuis le milieu du xxe siècle, le Brésil est 1,7 fois plus peuplé que le Mexique.
Un deuxième cas de figure intéressant correspond aux évolutions démogra-
phiques originales de l'Argentine et de l'Uruguay (figure 2.6) : après une période
d'accélération à la fin du xrx e et au début du xx e (les taux dépassant largement les
2 % par an), leur rythme de croissance ralentit très nettement à partir de la fin de
la Première guerre mondiale. Entre 1850 et 1930, la population de J'Argentine est
multipliée par 10, celle de l'Uruguay par 13, alors que dans le même temps l'en-
semble de la population latino-américaine est multiplié par 3,5. Même s'il s'agit
de « petits» pays du point de vue de leur population, leur poids relatif dans J'en-
semble démographique latino-américain change donc radicalement au début du
xxe siècle. À partir de 1930, leur différentiel de croissance avec le reste du sous-
continent se réduit progressivement: en 2005, leur participation à l'ensemble
démographique latino-américain retrouve le niveau qu'elle avait en 1850. Le Chili
et le Paraguay se distinguent du modèle qui vient d'être décrit, leur évolution se
rapprochant de celle des pays d'Amérique centrale: la croissance démographique,
modérée pour le premier et plus soutenue pour le second sur l'ensemble du siècle,
s'accélère progressivement au fil des décennies, juste interrompue dans le cas du
Paraguay au moment de la guerre des années 1860. Au fil du xxe siècle la parr rela-
tive de ces deux pays dans l'ensemble de la population latino-américaine décroît
46 progresslvemen t.
LES ACCÉLËRATJONS DU XX, SltCLE
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Quant aux pays représentés dans la figure 2.7, deux modèles se dégagent. Un
premier modèle correspond aux cas de la Colombie et du Venezuela: leur crois-
sance relativement lente jusqu'en 1940, s'accélère ensuite, puis diminue sensible-
ment à partir de 1970, avec une amplitude des mouvements particulièrement
marquée dans le cas de la Colombie. Le deuxième modèle est partagé par la
Bolivie, l'Équateur er le Pérou, aux croissances démographiques plus lentes que
l'ensemble latino-américain du milieu du XJxe jusqu'en 1950: ce n'est qu'à partir
des années 1970 que le mouvement s'inverse, avec une croissance plus rapide dans
ces pays que dans Je reste du sous-continent. Les différentiels de croissance entre
pays andins aboutissent à une redisrribution profonde de la popularion dans cette
région, la Colombie acquérant au cours de la première moitié du )(Xe siècle une
place de premier plan. En 1850, la Colombie hébergeait moitié moins de popu-
lation que les trois autres pays réunis (Bolivie, Équateur et Pérou); un siècle plus
tard, en 1950, elle en héberge autant.
Argentine (*=1872)
Chili
Costa Rica
Cuba
Mexique
Uruguay
Venezuela
Source: Pérez Brignoli, 1993 (1852 à 1942); CEPAL, 2006, site web (1950-1955 à 2000-2005).
2. Taux de natalité: nombre annuel de naissances vivanres, divisé par la popularion moyenne.
Taux de mortaliré: nombre annuel de décès rapporté à la population moyenne.
Taux de migrarion nette: différence enrre nombre annuel d'immigrations er nombre annuel d'émigrarions, divisée par la popularion moyenne.
LES ORlGINALITÉS DU PEUPLEMENT AMÉRlCAIN
1 publics comme l'eau potable, mais aussi les moyens de conttôle de naissance, ~
offrant plus d'opportunités de ttavail, l'urbanisation a eu un impact considérable sur les
niveaux de mortalité et de fécondité du pays;
• avec l'accord tacite du gouvernement, le secteur privé a commencé à offrir à la fin des
années 1960 des services de planification familiale, ce qui a accéléré la baisse de la fécon-
dité amotcée au début de la décennie: en 1990, les deux tiets des femmes mariées ou
vivant maritalement utilisent un moyen de contrôle des naissances;
• l'élévation du niveau d'éducation des femmes a contribué à une participation croissante
de celles-ci au matché du travail, rout particulièrement dans des emplois modernes,
témunérés, ce qui a eu pour effet de retardet la nuptialité et de diminuer la fécondité.
Lensemble de ces changements permet de comprendte comment le processus de modet-
nisation et les politiques d'éducation et de santé publique ont contribué à la réalisation de la
transition démogtaphique en Colombie, et en ont détetminé les modalités dans les diffétents
segments de la population colombienne.
~urce: Dureau et Flôrez, 1996.
1
J
Figure 2.8 - Évolution des taux de natalité, mortalité et accroissement naturel
en Colombie (1938-1990)
--------------------------------------.
Taux (%0)
50 _ ......
45
;"
" "-
40 "..-_/ '- ......
35 "-
"-
30
25 --
20
15
10
0 Année
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Source: Dureau et Flôrez (1996 : 142), à partir de Banguero et al., 1983 et DANE, 1992.
Moins d'un siècle aura été nécessaire pour que se multiplie par huit la population colom-
bienne, qui ne comptait que quatre millions d'habitants au début du xxe siècle. Les recense-
ments permettent d'identifier les changements dans le volume et le rythme de croissance de
la population; trois phases principales se dégagent: i) jusqu'au début du XX" siècle, la popula-
tion n'augmente que faiblement, avec des taux annuels de 0,5 % à 1 %; ii) le rythme de crois-
sance s'accélère, jusqu'au milieu des années 1960 où le taux dépasse 3 % entre 1951 et 1964,
la population se trouvant ainsi multipliée par deux en un quart de siècle, atteignant
18 millions d'habitants en 1964; iii) les taux baissent progressivement, et retrouvent
entre 1973 et 1985 leur niveau des années antérieures à 1938, de l'ordre de 2 % par an. Sur
l'ensemble de cette période, à l'exception des années 1960 et 1970, la migration internatio-
nale n'a joué qu'un rôle négligeable dans la croissance de la population. C'est dans l'évolution
du rythme d'accroissement naturel, et de ses composantes de natalité et mortalité, que réside
quasi intégralement l'explication de la dynamique de la population colombienne.
La Colombie a amorcé sa transition démographique à la fin des années 1930, lorsque
débute une nette réduction de la mortalité: en seulement 20 ans, de 1940 à 1960, le taux brut
de mortalité chute de 25 %0 à 14 %0 (figure 2.8). Camélioration sensible et rapide des condi-
tions sanitaires permet à la population d'atteindre des niveaux d'espérance de vie relativement
élevés par rapport à la moyenne latino-américaine: 44 ans en 1938, 51 ans en 1951, 61 ans
en 1978.68 ans en 1988. Depuis une dizaine d'années, l'allongement de l'espérance de vie,
plus particulièrement dans le cas des hommes, se trouve freiné par la violence qui sévit dans
le pays: on observe actuellement une surmortalité masculine spécialement marquée entre 25
et 45 ans, entraînant une différence de plus en plus nette dans l'espérance de vie à la naissance
des deux sexes, de presque 8 ans en 1990 (Flôrez et Mendez, 1995). La mortalité infantile 3
poursuivrait, à un rythme plus lent, la baisse amorcée à la fin des années trente: de 200 %0 en
1938, le taux de mortalité infantile est passé à 125 %0 en 1953,61 %0 en 1978, et 29 %0 en
1988. Du fait de la baisse de la fécondité, le taux brut de natalité commence à diminuer au
début des années 1960, passant de 45,1 %0 en 1960 à 28,9 %0 en 1980. Le taux global de
fécondité 4 a chuté de 7,04 enfants/femme en 1960-1964, à 4,6 en 1972-1973, et 2,9 en
1989-1990. La rapidité du déclin de la fécondité au cours de cette période - diminution de
près de la moitié en moins de 20 ans -, et notamment avant 1973, a conduit de nombreux
auteurs, à l'instar de Potter (I976), à qualifier l'expérience colombienne de« transition démo-
graphique sans précédent ».
Pendant les décennies durant lesquelles le pays vivait la transition démographique, se sont
produits d'importants changements structurels en relation avec le processus de développement
(Flôrez, 1990). Nous retiendrons ici ceux qui ont eu un impact particulièrement important
sur la dynamique démographique:
• les campagnes de santé préventive, organisées par le gouvernement à partir des années
1950, ont considérablement accéléré la baisse de la mortalité;
• l'augmentation des crédits publics destinés au secteur éducatif, à partir de 1956, a permis
de réduire sensiblement le taux d'analphabétisme;
• l'urbanisation rapide du pays: les programmes de santé publique et d'éducation ont
fàvorisé les villes comparativement aux campagnes. En outre, des politiques de moder-
nisation de l'agriculture et de soutien à l'industrie et à la construction ont été mises en
place pendant les années 1960 et 1970. Les conditions se sont trouvées alors réunies
pour que se développe un exode rural massif durant les années 1960. faisant passer le
taux d'urbanisation de 29 % en 1938 à 59 % en 1973. Rendant plus accessibles à un
grand nombre de personnes concentrées en ville l'éducation, la santé et les services 1
3. làux de mortalité infantile: nombre de décès pendant une année d'enfants de moins d'un an,
rapporté au nombre de naissances vivantes (http://www.inedfiifrllexique!).
4. Nombre moyen d'enfants par femme durant sa période reproductive. )1
LES ACCÉLÉRATIONS DU XX E SIÈCLE
Tableau 2.4- Situation des pays selon la phase de la transition démographique (1955-1985-2000)
au Brésil est de 69,4 ans, soit à peine mieux que la Bolivie, le Guatemala (66,3)
ou le Pérou (68,3). Au total, la baisse de la mortalité a été d'autant plus forte
qu'elle a été tardive et que le niveau de départ était élevé (Cosio-Zavala, 1998 :
33); et, au long du xxe siècle, les différences d'espérance de vie ont eu tendance à
se réduire 5, au fur et à mesure que les pays avançaient dans la transition démo-
graphique. Ces différences demeurent néanmoins importantes et ne semblent plus
diminuer depuis une vingtaine d'années, en raison des grandes inégalités qui
persistent: les taux de mortalité infantile varient de 1 à 4 au Costa Rica selon les
catégories sociales, de 1 à 6 au Pérou.
La fécondité, déjà très élevée avant le début de la transition démographique,
augmente pendant deux ou trois décennies parallèlement à la baisse de la morta-
5. En 1950: 28,7 ans entre les deux pays placés aux extrêmes, l'Uruguay (66,3 ans) et Haïti (37,6) ;
)4 en 1995-2000,20,1 ans entre le Costa Rica (77,3) et Haïti (57,2),
Figure 2.9 - Situation des pays de l'Amérique latine selon la phase de transition démographique (1955-1985-2000)
lité, avant de diminuet: très fortement, et ce dès le début des années 1960 (Chili,
Colombie, Brésil, Costa Rica) ou à partir des années 1970, souvent plus lente-
ment (Mexique, Salvador, Hondutas, Guatemala). Seuls l'Argentine et l'Uruguay,
ainsi que Cuba et le Chili se distinguent de ce modèle général, avec une baisse
progressive et simultanée de la fécondité et de la mortalité. Aujoutd'hui, même si
aucun pays n'a été épargné par la baisse de la fécondité, celle-ci demeure élevée
dans la majeure partie de l'Amérique centrale, en Bolivie, au Paraguay et à Haïti.
Pérez Brignoli (1993 : 79) explique l'évolution de la fécondité par des argu-
ments de nature économique. Alors que l'existence d'un front ouvert de colonisa-
tion, des ressources abondantes, un horizon d'opportunités économiques qui
s'étend sans cesse avec le développement du marché mondial, et un flux de trans-
mission intergénérationnel de biens et de services des enfants vers les parents,
maintenu en dépit de la modernisation de la société, ont dans un premier temps
l'effet d'élever les niveaux de fécondité, lorsque l'expansion territoriale prend fin,
et que la disponibilité des ressources par habitant se réduit, dans un contexte de
modernisation et d'urbanisation avancées, ces niveaux chutent. Cela expliquerait
aussi le caractère précoce de la baisse de la fécondité en Argentine, Uruguay et
Cuba, pays touchés plus tôt par les processus de modernisation et d'urbanisation.
Ces explications économiques ne suffisent pas pour autant à expliquer les
modalités de la baisse de la fécondité. Dans un certain nombre de pays, la baisse
très précoce s'explique par l'arrivée de populations européennes aux comporte-
ments démographiques différents et par la diffusion rapide, parmi les populations
urbaines locales, des moyens de limitation des naissances traditionnels en Europe
du Sud. Dans ces pays, la transition démographique a été l'une des plus rapides
du monde; elle s'est accomplie entre 1870 et 1914, à une époque où la mortalité
venait à peine d'amorcer sa baisse (Cosio Zavala, 1998 : 52). Et, dans l'ensemble
de l'Amérique latine, des politiques de limitation des naissances ou, le plus
souvent, la simple tolérance des gouvernements envers l'activité des ONG en
matière de planification familiale, ont joué un rôle certain dans la diffusion de
l'utilisation de méthodes contraceptives modernes. Il est néanmoins difficile de
déterminer précisément l'influence qu'ont eue ces programmes: des comporte-
ments identiques peuvent être observés dans des pays n'ayant absolument pas fait
l'objet des mêmes programmes de planification (Chackiel, 2004 : 28). Les poli-
tiques de planification des naissances n'ont été mises en place que tardivement,
dans les années 1970: elles n'ont souvent fait qu'accompagner ou accélérer une
baisse de la fécondité déjà effective chez les citadines aisées. Au Chili et au Costa
Rica, le début de la baisse de la fécondité a précédé les programmes de limitation
des naissances implantés respectivement en 1965 et 1967: ceux-ci ont surtout
permis de satisfaire une demande de contraception déjà présente chez une popu-
lation urbaine ayant connu une amélioration sensible de ses conditions de vie
(Cosio Zavala, 1998: 56).
Lors de la Conférence de la population de Bucarest, en 1974, un groupe
important de pays en développement opposa d'ailleurs une certaine résistance au
contrôle de la croissance démographique prôné par les pays développés. Aux côtés
de la Chine et de l'Algérie, de nombreux États latino-américains (en particulier le
Brésil, le Pérou et l'Argentine, selon Festy, 1974: 631) soutiennent alors qu'une
LES ACCÉLÉRATIONS DU XX" SIÈCLE
Comment comparer des statistiques nationales ne reposant pas sur les mêmes définitions
de la ville? La question n'est pas nouvelle, et a fait l'objet de nombreux travaux.
Dans une étude comparative récente portant sur l'Amérique latine, J. Rodriguez (2002 :
27-29) a montré que les définitions varient d'un pays à l'autre, portant parfois sur le nombre
d'habitants des unités définies comme urbaines (se pose alors le problème du seuil retenu), et
parfois sur des critères de type politico-administratif, certains espaces étant qualifiés d'urbains,
indépendamment de leur taillei. Lauteur montre que le seul critère comparable est celui du
chiffre de population. Or, que l'on fixe le seuil de l'urbain à 2000 habitants (seuil retenu dans
plusieurs pays) ou à 20000 (seuil fréquemment utilisé dans les statistiques internationales), la
corrélation entre les valeurs ainsi obtenues et les chiffres de « population urbaine " donnés par
les recensements est très élevée (avec un indice de 0,99 dans les deux cas). Il est donc statisti-
quement pertinent de comparer l'une ou l'autre de ces variables, en sachant toutefois que la
proportion de population considérée comme urbaine varie selon l'indicateur choisi. ~
90%
80%
70%
Cf) Amérique du Nord
60%
® OCéanie
50% @ Europe
40% CS) Amérique latine et Ca""bes
® Monde
30%
®Asie
20% ® Afrique
J
10%
0%
1925 1950 1975 2000
c'est la région, parmi les pays du Sud, où il est le plus intense (le taux de citadins y
est presque le double de la moyenne des pays en développement).
Autre constat: la transition urbaine ne s'est pas effectuée partout au même
rythme. D'après les données de la CEPAL (Simioni et Mac Donald, 2001 : 137-
138), on peut classer les pays selon la phase de transition urbaine dans lesquels ils
se trouvent (figure 2.1l) :
- les pays à transition avancée, où plus de 80 % de la population est urbaine
(Argentine, Bahamas, Chili, Uruguay, Venezuela) ;
-les pays en pleine transition, où le taux d'urbanisation est compris entre 70 et
80 % (Brésil, Colombie, Cuba, Mexique, Pérou, Trinidad et Tobago);
- les pays à transition modérée, où le taux est compris entre 50 et 70 %
(Barbade, Bolivie, Costa Rica, Équateur, El Salvador, Jamaïque, Nicaragua,
Panama, Paraguay, République Dominicaine) ; )9
LES ORIGINALITÉS DU PEUPLEMENT AMÉRICAIN
90 %
80 %
70%
60 % ~ Argentine
40 %
30%
..
-------- ... -
.- .. _.~:~~~•. ~- --.-- _ ...
--~--
~
Bolivie
Honduras
20 %
10 %
oL---~--~---_r_--__._---~---'
1950 1960 1970 1980 1990 2000
D 1950-1955
D 1955-1960
5% 01960-1965
1965·1970
4%,-1-------1
.1970-1975
.1975-1980
3%
.1980-1985
.1985-1990
2%
.1990-1995
.1995-2000
.2000-200S
0 0/0
Argentine Colombie Bolivie Honduras
Source: Pinto da Cunha. 2002: 3 J .
Honduras enfin constitue un cas un peu atypique, avec des taux toujours élevés,
et une amorce de décélération perceptible en fin de période seulement (comme en
Haïti, tandis qu'au Guatemala, aucun ralentissement n'est encore perceptible).
Une question qui se pose ici est de savoir quand et à quel niveau s'achève la tran-
sition urbaine. W Zelinsky évoque l'existence d'un « point de saturation urbaine »,
à partir duquel le taux d'urbanisation n'augmente plus. Ainsi aux États-Unis, le seuil
des 90 % a été atteint dès les années 1980, et il augmente très peu depuis cette date.
En Amérique latine, ce même taux est atteint ou proche de l'être dans quatre pays
(Uruguay, Argentine, Venezuela, Chili), mais seul l'Uruguay offre un recul suffisant
pour confirmer cette stabilisation (le seuil de 90 % y a été franchi dès 1990)
(CELADE, 2005a: 26). Tous les pays situés en dessous de ce seuil voient leur popu-
lation urbaine continuer d'augmenter entre 1990 et 2000, en dehors de Cuba (qui
semble se stabiliser à 75 %), et, plus surprenant, de quelques pays situés autour du
seuil pourtant très bas de 50 % Oamaïque, Honduras, Belize). Lavenir montrera si
un même point de saturation se reproduira dans toute la région et si le seuil est le
même partout. En revanche, l'existence d'un tel point de saturation, qui marque en
quelque sorte la fin de la transition urbaine, ne signifie pas pour autant un arrêt du
processus d'urbanisation dans la région, dans un contexte de croissance démogra-
phique encore soutenue et de redistribution de la population entre petites et
grandes villes. Cette question sera traitée au début de la partie 4.
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LES ACCÉLÉRATIONS DU XXE SIËCLE
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67
LES ORlGI~ALlTÉS DU PEUPLEMENT AMÉRICAIN
Une croissance urbaine accélérée par la migration, puis devenue plus endogène
Dans les années 1950, entre 35 et 60 % (selon les pays) de l'accroissement de
la population urbaine était directement imputable aux migrations d'origine
rurale 9 (Chackiel et Villa, 1993). Au cours des décennies suivantes, le mouvement
naturel prend progressivement le pas sur l'immigration dans l'explication de la
croissance urbaine. D'une part, les flux migratoires des campagnes vers les villes
tendent à diminuer après 1970 et le poids relatif de ces flux, dans des villes de plus
en plus grandes, décline rapidement; et, d'autre part, le rajeunissement de la
population citadine, produit par l'arrivée massive en ville de jeunes adultes, contri-
bue à entretenir des taux de croissance naturelle élevés, en dépit de la diminution
rapide de la fécondité chez les femmes. On passe alors d'une croissance urbaine
rapide, alimentée par la migration, à une croissance urbaine plus lente, alimentée
par la croissance naturelle des populations citadines.
Comme on a pu l'établir dans le cas de la Colombie (Gouëset et Mesclier,
2004: 46; d'après les travaux de Flûrez, 2000), la structure démographique de la
population urbaine, modifiée par l'afflux migratoire, favorise une croissance natu-
relle plus rapide. En effet, les femmes sont plus nombreuses que les hommes en
ville, car elles ont davantage immigré que les hommes (le taux de masculinité était
de 80 à 90 % dans la plupart des grandes villes colombiennes en 1993), et les
migrations ayant surtout concerné de jeunes adultes, la sur-représentation des
femmes en âge de procréer est telle que l'accroissement naturel y est resté élevé
pendant toute la seconde moitié du xxe siècle, prenant rapidement le pas sur l'im-
migration comme facteur de croissance urbaine. Ainsi, en Colombie, si entre 1951
et 1964, le transfert net de population des campagnes vers les villes expliquait
37 % de la croissance de la population urbaine; entre 1973 et 1985, son apport
n'était plus que de 30 % (Chackiel et Villa, 1993).
Aujourd'hui, le rôle direct de la migration ne demeure important que dans des
pays à transition modérée (Panama, Paraguay) ou tardive (Guatemala). Dans les
pays à transition avancée comme le Chili et le Venezuela, la migration nette entre
villes et campagnes ne représente plus qu'un cinquième de la croissance de la
population urbaine (tableau 2.6).
En résumé, et contrairement à une idée répandue, l'apport des migrations à la
croissance des villes n'a été massif que durant la première phase de la transition
urbaine, d'ailleurs autant par effet indirect (la modification de la structure démo-
graphique des villes et des campagnes) que par effet direct (l'arrivée de nouveaux
habitants). Puis, à partir des années 1970, les mécanismes de la croissance urbaine
sont progressivement devenus endogènes. Aujourd'hui, on estime que les trois
quarts de la croissance urbaine en Amérique latine seraient dus à la croissance
naturelle.
Pour diverses raisons, les études qui ont été faites sur la croissance urbaine en
Amérique latine ont surtout mis en avant des mécanismes d'ordre économique
(décollage industriel et difficultés structurelles du monde rural à partir des années
9. Même au moment de la plus fone intensité de la migration rural-urbain, la part de cetre migra-
tion dans la croissance urbaine était donc bien inférieure à ce qui a été observé au XlXe siècle en
68 Europe.
LES ACCÉLÉRATIONS DU XX, SIÈCLE
1930, dépendance internationale et choix d'une voie« endogène}) dans les années
1960; virage néo libéral et globalisation dans les années 1990), ou d'ordre politico-
administratif (centralisation extrême du pouvoir jusqu'aux années 1980, réforme
de l'état et décentralisation après cette date) pour expliquer le processus de transi-
tion urbaine. Les composantes strictement démographiques de l'urbanisation ont
bien été évoquées, notamment les flux migratoires des campagnes vers les villes,
mais comme l'ont signalé certains auteurs 10, on a probablement sous-estimé ou
méconnu le rôle fondamental des facteurs démographiques dans les formes prises
par la transition urbaine en Amérique latine au xxe siècle; des facteurs décisifs et
en partie indépendants des processus économiques ou politiques.
10. Pour une synthèse en français sur les composantes démographiques de la croissance urbaine, voir
Cosio-Zavala, 1994 et 1997. Pour une étude plus approfondie, en espagnol, voir Villa et
Rodriguez, 1998: 24-33. Une analyse détaillée du cas colombien, en français, est accessible dans 69
Gouëset et Mesclier, 2004 : 46 et s.
LES ORlGINALITÉS DU PELPLEMENT M1ÉRICAlè'I
latine est par ailleurs, jusqu'à aujourd'hui, l'existence d'espaces peu densément
peuplés, qui continuent de fonctionner comme des fronts de colonisation. Bien
que la population y soit souvent concentrée, car la pénétration se fait le plus
souvent le long d'axes - routes ou rivières -, ces régions ne sont pas urbanisées
dans le même sens que celles mentionnées précédemment. Ce n'est pas « la ville })
qui y attire les migrants, mais bien les ressources d'un monde rural particulier, où
les terres sont abondantes et bon marché, où il reste du bois à couper, où l'on peut
disparaître de la vue de l'État pour pratiquer des cultures illicites ... Un dernier
aspect de ces redistributions, plus fréquent sans doute en Amérique latine que
dans d'autres régions du monde, est lié à l'existence d'espaces d'affrontements, de
guerre civile, de violence: la ville est alors un refuge, où l'État garde le contrôle de
la situation; mais des campagnes situées en dehors de la zone de conflit peuvent
également attirer les personnes qui fuient le danger.
dans une moindre mesure Cali et Barranquilla, cette dernière étant la seule en
position littorale (Mesclier et al., 1999 : 52 et 66 et s.) Medellin, la deuxième ville
du pays, présente la particularité de n'attirer que la population de son propre
département, ce qui peut d'ailleurs expliquer sa perte de poids relatif par rapport
à la capitale Bogot<i (ibid.: 52-53). Au Mexique, malgré la très grande quantité de
villes, dont six étaient millionnaires en 1995 (Garza, 1999c: 130), une seule
grande région urbanisée semble se dessiner autour de México, ville des hautes
terres dont l'agglomération a rejoint celle de Toluca et est proche de cinq autres
aires métropolitaines (ibid.: 136). Les municipes proches du District Fédéral de
México, comme les États proches de Sao Paulo, reçoivent en particulier les
migrants qui quittent le centre de la conurbation (Partida Bush, 1999c: 150). Les
indicateurs des conditions de vie sont relativement bons dans les États auxquels
appartiennent ces municipes, par rapport à une grande partie du Mexique central
et du sud -le nord constituant on le verra un cas original.
Dans quelles mesures ces dynamiques d'attraction et de plus fort développe-
ment concernent-elles d'autres espaces que les régions situées près des aggloméra-
tions millionnaires? Y-a-t'il des « régions urbanisées» en dehors de ces phéno-
mènes d'expansion des dynamiques des grandes villes, qui ressemblent d'ailleurs à
celles observées sur d'autres continents, Amérique du Nord en tête? Certes, autour
de villes moyennes, le long d'axes de communication, on retrouve à la fois des
croissances plus rapides, des taux de fécondité moins élevés que dans le reste de la
région, la présence de services mieux installés. Ainsi, dans le cas de la région de
Cusco, au Pérou, la vallée interandine reçoit une quantité non négligeable de
migrants, dans la ville principale mais aussi dans les petites villes environnantes.
Urubamba, Calca, Izcuchaca, Urcos ... ont crû à un rythme avoisinant les 2 0/0
annuels entre 1961 et 1993, alors que les bourgs de taille comparable situés sur les
hauteurs stagnaient (Deler et al, 1997: 125). La facilité des déplacements, depuis
le début du siècle avec le chemin de fer et surtout la construction du réseau routier
à partir des années 1920, le raccordement au réseau de distribution d'eau, l'élec-
trification à la fin des années 1980, des niveaux de qualification supérieurs des
personnels enseignants, sont entre autres ce qui attire les habitants des hauteurs
vers la vallée. Cependant, cette croissance a ses limites, dues au rôle d'étape que
jouent ces petites villes, qui ne disposent pas de la gamme de services supérieurs
présente dans les aires urbanisées de premier niveau: l'émigration y est légèrement
supérieure à l'immigration. La croissance naturelle est par ailleurs relativement
faible, si on en juge par les statistiques disponibles au niveau des provinces
auxquelles elles appartiennent. La fécondité reste supérieure à 4 enfants par
femme, mais la mortalité est encore importante, avec des mortalités infantiles qui
dépassent 90 décès pour 1 000: les taux de croissance naturelle sont inférieurs à
2 % par an. Au total, les densités sont relativement élevées - autour de 50 habi-
tants par km 2 en dehors des petites villes elles-mêmes -, mais pas assez pour
donner naissance à des phénomènes de conurbation, et on n'observe pas de forte
croissance. Par contraste, l'agglomération de Cusco croît à un rythme plus
soutenu: la fécondité est inférieure à 3 enfants par femme, mais la mortalité est
considérablement moins élevée et la proportion de jeunes adultes est considéra-
blement plus importante. Lagglomération a par ailleurs un solde migratoire légè- 71
LES ORIGINALITÉS DU PEUPLEMENT AMÉRICAIN
rement négatif: entre 1988 et 1993, la destination principale des émigrants était
Lima (Deler et al., 1997).
Des exemples comparables peuvent être observés dans d'autres régions du
Pérou, sur la côte en particulier, le long de la route panaméricaine. Ils sont
présents aussi dans d'autres pays. Ainsi, en Colombie, la vallée du Cauca, entre
Cali et Pereira, est en dehors des grandes agglomérations pratiquement la seule
région dont plus de la moitié des résidents sont des immigrants (Mesclier et al.,
1999 : 68 et s.) Les conditions de vie y sont incontestablement meilleures que
dans le reste de la Colombie, agglomérations exceptées (ibid.: 126 et s.) La fécon-
dité a diminué de façon également comparable aux grandes villes, elle est infé-
rieure à 3 enfants par femme (ibid.: 64-65) ; de même que la mortalité infantile,
inférieure à 31 pour mille (ibid.: 62-63). Cependant, la croissance démographique
est loin d'être uniformément élevée, à la fois dans l'espace et le temps. Cintensité
des migrations récentes pose la question d'une forte présence de main-d' œuvre
agricole itinérante parmi les migrants, dans les exploitations agro-industrielles de
la vallée ou, au moment des récoltes, dans la ceinture caféière des versants, où se
sont également développées des cultures illicites (Mesclier et al., 1998 : 70; pour
une localisation des activités dans la vallée, Deler, 1991 : 254).
Les cas de l'extrémité de la péninsule du Yucatin, d'une part, de Tijuana à la
frontière entre Mexique et États-Unis, d'autre part, sont dans ce contexte origi-
naux. Loin des régions de plus grande densité et de plus grand développement du
réseau urbain, ces lieux attirent un grand nombre de migrants (Partida Bush,
1999c: 150) et eurent une croissance de plus de 4 o/~ par an entre 1990 et 1995
(ibid.: 155). Tijuana fait par ailleurs partie d'un Mexique du nord excentré, mais
où tous les indicateurs sont très positifs: la mortalité infantile est inférieure à 30
pour mille, comme dans le District Fédéra!, alors qu'elle atteint plus de 100 dans
d'autres régions (ibid.: 143); l'espérance de vie à la naissance est de plus de
73,4 ans, contre moins de 72,3 dans le Mexique méridional et moins de 73,2 dans
le Mexique central (DF exclu) (Lôpez Rîos, 1999: 161); les niveaux d'analphabé-
tisme sont également comparables dans tout le nord à ce qu'ils sont dans le DF,
c'est-à-dire bien plus bas que dans le sud (Carza, 1999b: 181). Cancun et
Cozume!, à la pointe du Yucatin, partagent ces caractéristiques mais dans un envi-
ronnement beaucoup moins homogène: le centre de la péninsule est un des lieux
de plus fort analphabétisme du Mexique, l'espérance de vie est très moyenne, il y
a des poches de mortalité infantile élevée (plus de 48 pour mille). Le taux global
de fécondité est bas dans tout le nord: moins de 2,94, comme à l'extrémité est du
Yucatan, mais reste plus élevé dans le reste de la péninsule. Les migrations vers ces
aires reflètent, comme le souligne Partida Bush (1999c), le développement accé-
léré respectivement des activités économiques et du tourisme. Alors que le nord
est cependant très peu peuplé en dehors des villes frontières et de l'agglomération
de Monterrey, le bien-être qui caractérise Cancun et Cozumel est spatialement
limité: on peut, surtout dans ce dernier cas, parler d'enclaves.
Ces quelques observations, qui ne prétendent pas à l'exhaustivité, mettent en
lumière la persistance de différences accentuées dans les niveaux de vie entre
quelques lieux particuliers, grandes agglomérations et enclaves, et la plus grande
72 partie des territoires latino-américains. Ces différences sont un des moteurs de la
LES ACCÉLÉRATIONS DU XX' SIÈCLE
migration; ces dernières, elles-mêmes sélectives comme il a été montré plus haut,
contribuent à accentuer ces différences et à distinguer un très petit nombre de lieux.
fronts: le Mato Grosso est aussi le lieu de l'avancée de la culture du soja, moderne
et suréquipée.
mais aussi parce qu'un certain nombre d'entre eux revient régulièrement ou entre
deux phases migratoires Il. Cela peut expliquer par exemple pourquoi, au
Mexique les localités de forte population indigène situées dans le Chiapas,
Oaxaca, Veracruz, Chihuahua, Puebla et Guerrero, qui n'ont pas accès à des
services de même qualité que le reste du pays (Rubalcava et Ordaz, 1999: 39 et s.)
et participent aux migrations, y compris internationales, n'ont pas tendance à se
dépeupler, même si les taux de croissance sont assez faibles, alors que la réduction
de la fécondité a été moins rapide (avec des taux parfois supérieurs à 4,55 enfants
par femme, Partida Bush, 1999b: 146) et que la mortalité infantile reste élevée
(parfois plus de 62 pour mille, Partida Bush, 1999d: 143). Cette persistance de
fortes densités avait été soulignée dans le cas de l'État de Oaxaca par Bataillon
(1991 : 101), qui pointait également le poids des politiques d'aide gouvernemen-
tales dans ce maintien. Si la baisse des fécondités se poursuit dans les campagnes,
du Mexique comme des autres pays d'Amérique latine, le bilan actuel qui montre
une stagnation, voire une légère croissance de leurs populations pourrait bien sûr
se modifier.
Conclusion
Quelles auront été les conséquences des accélérations démographiques du
xxe siècle sur les espaces latino-américains? D'une façon à première vue surpre-
nante, les habitants de ces pays, qui disposent de territoires proportionnellement
beaucoup plus étendus que leurs homologues européens, se sont concentrés dans
quelques régions urbanisées. Les fronts de colonisation, en termes de nombre de
personnes concernées, restent quantité négligeable.
Les conséquences pour les campagnes, pour les villes ou pour les sociétés natio-
nales dans leur ensemble sont difficilement calculables. On peut penser que la
plupart des États latino-américains n'ont pas les moyens d'équiper l'ensemble de
leur territoire en infrastructures et services. Cela explique les préférences de la
Banque Mondiale, qui souhaite favoriser la concentration des activités agricoles et
la migration des ruraux vers les villes (World Bank, 2003 : 84). Les transports
restent par ailleurs relativement lents et ne permettent pas des déplacements quoti-
diens aussi longs que dans les pays du Nord. Les habitants des localités de taille
moyenne, voire des localités plus importantes ont pris acte du fait que les possibi-
lités d'amélioration de leur situation sur place sont limitées. Les pays de
l'Amérique latine restent, ainsi, des entités « du Sud », marquées par une hétéro-
généité spatiale qui diminue sans doute pour certains indicateurs (fécondité par
exemple) mais s'accroît en général en ce qui concerne, de façon très générale, le
cadre de vie, avec quelques agglomérations exceptionnellement étendues, quelques
espaces rurbains (villes moyennes entourées d'une campagne proche dont la
« modernisation» trouve son expression dans l'installation des services de base) et
Il. Le thème des migtations internationales, des remises et des circulations migratoires ne sera pas
traité ici en lui-même, au-delà des références faites tout au long de ce chapitre aux effets de ces
phénomènes sur la distribution du peuplement. Nous renvoyons le lecteur aux nombreux
76 ouvrages publiés sur ces questions.
LES ACCÉLÉRATIONS DU XX, SIt:CLE
des espaces ruraux dont les habitants doivent sortir fréquemment pour trouver
emploi, éducation, médecin ou distraction. On est en l'occurrence maintenant
loin de l'univers des plantations, mais aussi de celui, plus utopique, des tentatives
des décennies passées de démocratiser l'accès au théâtre, au cinéma, à l'hôpital ou
aux activités sociales ou politiques dans les campagnes. Ce sont les conditions de
la mondialisation qui s'imposent, avec des effets centripètes malgré la diffusion
d'internet ou les politiques de décentralisation. Dans ce contexte prégnant, ce sont
les contraintes mais aussi les envies des habitants qui s'expriment, à travers les
redistributions du peuplement.
77
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83
DEUXIÈME PARTIE
Le « tournant ethnique»
du XXIe siècle et ses limites
Introduction
Vincent GOUËSET
Lannée 2006 a commencé par une image politique forte, avec la prise de fonc-
tion du nouveau président de la Bolivie, Evo Morales, premier Indien à accéder à
la magistrature suprême, dans une nation dont la population est pourtant
indienne aux deux tiers. Peu importe que le candidat Morales n'ait pas construit
sa carrière politique ni sa campagne sur le thème de l'indigénité (un créneau
occupé par un autre candidat, Felipe Quispe), et peu importe si son investiture a
fait l'objet d'une large mise en scène « médiatico-ethnique », destinée à frapper
l'opinion publique internationale. Cet événement, qui s'inscrit dans un contexte
de forte progression de la gauche démocratique dans toute l'Amérique latine
(Morales étant lui-même candidat pour la gauche) a été présenté, douze ans après
l'épopée zapatiste dans le Chiapas mexicain, comme un nouveau symbole de la
revanche des peuples indigènes d'Amérique latine sur un ordre social et politique
historiquement dominé par les blancs, depuis la Conquête coloniale. Au-delà de
l'aspect symbolique, l'intronisation d'Evo Morales est représentative du « tournant
ethnique» qui affecte tout le Continent depuis une vingtaine d'années, sous l'ef-
fet combiné du basculement démocratique et de la mondialisation; une mondia-
lisation qui ne se réduit pas à sa dimension économique, car elle affecte également
la culture, la communication, ou encore le droit international.
En effet, comme l'ont souligné de nombreux auteurs, les organisations inter-
nationales (ONU, OIT, UNESCO ... ) ont joué un rôle décisif dans l'émergence
des revendications et des mouvements ethniques en Amérique latine. Ainsi la
Convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail (1989), relative aux
peuples indigènes et tribaux, a-t-elle été signée par 13 pays d'Amérique latine sur
un total de 17 dans le monde entier. De même, en 1995 a été lancée par l'ONU
la « Première décennie internationale des peuples autochtones du Monde»; une
expérience reconduite pour dix ans en 2005. Plus récemment, la question
ethnique a été intégrée aux « Objectifs du Millénaire pour le développement» des
Nations Unies, définis par la Conférence du millénaire en septembre 2000. Enfin,
dernier exemple d'une liste qui n'est pas exhaustive, la « Conférence mondiale
contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance », orga-
nisée à Durban par l'ONU du 31 août au 8 septembre 2001, a contribué à l'émer-
gence des populations « afro-descendantes » sur la scène mondiale.
87
LE "TOUR.l\lANT ETHNIQUE" DU XX!' SIÈCLE ET SES LIMITES
1-
Les notions de race et d'ethnie, tout comme les termes d'indien, de noir, ou w
plus récemment d'afro-descendant, ont fait un retour - ou une percée - remar- i2
:>
qué(e) dans le discours public; sans faire toutefois l'objet d'un véritable travail de
o
Cl
1-
déconstruction visant à questionner la pertinence de ces catégories. Dans la mesure Z
w
U
où le mouvement multieulturaliste s'est moins focalisé sur la lutte contre les discri- Z
minations socio-raciales (une réalité pourtant prégnante) que sur une logique, plus ;;:
valorisante, de reconnaissance et de promotion de la différence culturelle, les caté-
gories instituées, tout comme les structures de la domination socio-raciale, ont peu
été remises en cause (Cunin, 2004).
Dans les sciences sociales, pour dépasser les polémiques et les ambiguïtés histo-
riques associées à la race, on a recours le plus souvent à la notion « d'ethnicité »,
appliquée « aux différents groupes de populations qui se différencient au sein de
la société nationale par des caractéristiques culturelles reconnues» (Cunin, in
Dureau et al., 2004 : 339). L'identité « ethnique » se distingue donc des autres
formes d'identité sociale par « le sentiment de partager une origine commune,
réelle ou supposée [... ], préalablement existante ou construction circonstan-
cielle 2,.. » (Ma Mung, 2000: 9-10). Pour autant, le terme de « race», d'usage
courant en Amérique latine, garde une certaine utilité, dès lors qu'on en élimine
tout fondement biologique, et qu'on se réfère à l'apparence physique des indivi-
dus, qui est bien une source de comportements sociaux spécifiques (le racisme
principalement). « Comprise comme une construction sociale [... ], ce n'est pas la
présence de différences physiques objectives qui crée la "race", mais le fait que ces
différences, réelles ou imaginaires, sont socialement significatives et opérantes»
(Schnapper, 1998, cité par Cunin, ibid.: 340). Dans les faits, les deux termes sont
largement employés dans la littérature spécialisée, souvent regroupés sous le quali-
ficatif « ethnico-racial ».
Les deux groupes ethniques qui focalisent aujourd'hui toute l'attention sont
ceux qui ont été victimes des spoliations les plus massives et qu'on considère
aujourd'hui comme tributaires d'une « dette historique », contractée par les états
à leur égard (CELADE, 2006; CEPAL, 2004). Il s'agit des populations indiennes
d'une part, qu'on désigne aussi, suivant le contexte et les registres de langage, sous
les termes de peuples premiers, de peuples autochtones, de peuples originaires, de
populations indigènes, d'amérindiens, etc. 3. Les populations d'origine africaine,
plus ou moins métissées, constituent la seconde catégorie. On les désignait autre-
fois sous les termes de « noirs» et de « mulâtres» (pour les métis). On utilise
aujourd'hui de plus en plus les termes d'afro-américains ou d'afro-descendants,
voire de « diaspora noire d'Amérique 4 » (Chivallon, 2004).
2. Pour une analyse critique des notions de race et d'ethnie en Amérique latine, voir Wade, 1997 ou
Cunin, 2004.
3. Des termes qui ne sont pas neutres, cettes, et qui renvoient à un arrière-plan sémantique complexe,
parfois douloureux. Par commodité, et pour nous conformer aux usages courants dans la littéra-
ture spécialisée, nous les utiliserons indifféremment, comme synonymes (sauf cas contraire expli-
cité dans le texte). Idem pour la catégorie suivante, les populations noires.
4. Pour une mise au point récente des termes utilisés pour désigner les populations d'ascendance
africaine, et sur les enjeux idéologiques et cultUtels qu'ils recouvrent, on peut se référer à plusieurs
synthèses: Cuche (19%), Jolivet (1997), Chival10n (2004), Cunin (2004), Hoffmann (2004), 89
ou Wade (2006).
LE «TOURNANT ETHNIQUE» DU XX!L SIÈCLE ET SES LIMITES
Parmi les autres populations d'origine non européenne qui font aujourd'hui
débat, on trouve celles d'origine chinoise et japonaise, désignées indifféremment
sous le terme de chinos dans toute l'Amérique latine; ainsi que, dans les Antilles
principalement, les populations originaires de l'Inde. Toutes ont joué le même rôle
historique: permettre le maintien de l'économie d'exportation de l'Amérique
latine en fournissant une main-d' œuvre bon marché et docile après la fin de la
traite négrière. Une dernière catégorie, numériquement plus nombreuse, est celle
des populations originaires du Proche-Orient, libanais, palestiniens ou syriens,
désignés familièrement sous le terme de turcos dans toute la région; un qualifica-
tif erroné, qui est dû au fait que les régions concernées étaient encore sous domi-
nation turque lors des flux migratoires (Truzzi, 2002; Cuche, 2005).
Au total, ces catégories de populations, que nous qualifierons de « groupes
ethniques» représentent aujourd'hui des effectifs importants, variables d'un pays
ou d'une région à l'autre. Lordre de grandeur le plus couramment cité pour les
populations indiennes est de 33 à 38 millions d'individus pour toute l'Amérique
latine en 2000 (Quesnel, 2006: 15), soit 8 % environ de la population totale.
Pour les populations afro-descendantes, la fourchette est plus large: entre 36 et
94 millions d'individus (Chivallon, 2004: 66-67), soit 8 à 18 % de la population
totale. Elles sont, en revanche, majoritaires dans l'espace Caraïbe. Les effectifs sont
plus modestes pour les autres catégories, mais tout aussi difficiles à déterminer:
plusieurs millions - voire dizaines de millions - de descendants des turcos du
Proche-Orient; 1,5 million de descendants de Japonais (Masterson et Funada-
Classen, 2004) et un nombre de personnes d'ascendance chinoise impossible à
évaluer, compte tenu de la reprise récente d'une immigration chinoise en grande
partie clandestine 5.
Lobjet de cette partie est de porter un regard géographique sur l'actuel tour-
nant ethnique, un processus qui a fait l'objet de très nombreuses études anthropo-
logiques ou sociologiques, mais qui a été peu étudié, sous un angle socio-spatial,
par les géographes français, en dehors de quelques travaux comme ceux
d'O. Hoffmann, d'L Lausent-Herrera, de C. Chivallon ou encore de F. M. Le
Tourneau... En nous appuyant sur les sources et les recherches les plus récentes
(notamment les campagnes des recensements des années 2000), nous chercherons
tout d'abord à dénombrer ces populations et à caractériser leur évolution démo-
graphique; ce qui nous conduira à poser la question de la définition des catégories
ethniques. Nous verrons ensuite où en est, aujourd'hui, la question des inégalités
et des discriminations socio-raciales, qui justifient les politiques dites « affirma-
tives » à l'égard des groupes ethniques. Nous terminerons par le cas très discuté
aujourd'hui des « territoires ethniques» (les terres des communautés indigènes et
noires), qui constituent un des aspects les plus frappants, sur le plan socio-spatial,
de l'actuel tournant ethnique.
Vincent GOUËSET
Qui est indien? Qui est noir? Qui est china ou turco? Qui ne l'est pas? Qui, si
l'on renverse la perspective, est blanc - ou « d'ascendance européenne >}? Jusqu'où
ces catégories ont-elles un sens?
Il serait vain de chercher une définition stricte de ces catégories, construites
socialement et culturellement, qui ne reposent sur aucune réalité naturelle ou
biologique, et qui n'ont pas pour but d'enfermer les individus dans des cloisons
étanches. Une abondante littérature anthropologique et sociologique existe sur la
question des identités ethniques et « diasporiques }} en Amérique latine, sur la
construction de ces catégories, toujours délicate, ainsi que sur les mouvements
sociaux qui s'en revendiquent. Nous n'entrerons pas dans le détail de ce vaste
questionnement, de nature plus socio-anthropologique que géographique. Nous
avons référencé en bibliographie quelques travaux qui nous semblaient apporter
des éléments de réponse. On considérera, dans le cadre de cette étude, que même
si l'usage des catégories socio-raciales pose question (voir l'encadré 5.1), il est
aujourd'hui acquis, dans la réalité quotidienne comme sur le plan institutionnel,
que certains groupes ethniques se distinguent bien du reste de la population, par
leurs caractéristiques culturelles ou leur position sociale, marquée par une certaine
marginalité. L'appartenance à ces catégories, autrefois subie et vécue comme un
stigmate, est aujourd'hui davantage valorisée socialement, et de plus en plus
appropriée par les populations concernées, notamment par les mouvements
sociaux - et leurs leaders - qui revendiquent en leur nom des politiques publiques
spécifiques. L'existence de groupes de population différenciés selon un critère
« ethnique }} (indiens, noirs, asiatiques...) pose donc un problème à la fois éthique
et méthodologique: comment définir ces groupes ethniques, sans établir des caté-
gories arbitraires?
On est, dans les sciences sociales, confronté à un dilemme qu'A. Quesnel
(2006: 14) résume de la façon suivante. D'un côté, il est nécessaire « d'avoir une
approche taxonomique de la réalité, c'est-à-dire de distinguer les caractéristiques
des individus qui composent une population ... )}, afin d'identifier, de localiser et
quantifier ces populations, à l'échelle de l'Amérique latine, pour pouvoir étudier
au mieux leur évolution démographique, leur condition sociale, etc. Mais de
l'autre, il est indispensable de « questionner la pertinence des catégories
construites >}, en particulier « [leur permanence] dans l'espace et dans le temps )}.
Une précaution qui doit notamment nous conduire à considérer avec prudence les 91
LE «TOURNANT ETHNIQUE" DU XXIE SIÈCLE ET SES LIMITES
chiffres qui abondent dans les rapports internationaux, et dont la validité scienti-
fique pose parfois question. En effet, l'appartenance à une catégorie ethnique est
une notion relative. Ainsi l'estimation des populations noires d'Amérique relatée
par C. Chivallon (2004) oscille+elle selon un rapport de 1 à 2,6, selon qu'on
rattache ou non les populations mulâtres à la catégorie « noir ». Si l'on appliquait
un même critère, essentiellement phénotypique (la couleur de la peau) aux popu-
lations indiennes, on obtiendrait une fluctuation sans doute encore plus grande.
Ce qui nous renvoie à la question de la définition des catégories ethniques, elle-
même liée au choix des critères utilisés pour les identifier et pour les dénombrer.
Chili en 2001), soit par une désignation extérieure (en général pratiquée par
l'enquêteur) ;
• dans ce dernier cas, on s'appuie sur une caractéristique individuelle permet-
tant d'identifier les personnes comme relevant d'une catégorie ethnique. Le
plus souvent, c'est le critère linguistique (l'usage d'une langue autochtone),
qui est utilisé pour les populations indiennes, et celui du phénotype (l'appa-
rence) qui l'est pour les populations noires;
• enfin le critère territorial est aussi d'usage courant, quand les personnes sont
identifiées comme indigènes par exemple dès lors qu'elles résident au sein
d'un territoire identifié comme tel.
Aucune de ces solutions n'apporte de réponse simple pour la définition et le
dénombrement des catégories ethniques. Le choix des critères employés est impor-
tant en revanche: il est susceptible d'introduire des distorsions importantes dans
l'estimation des effectifs de chaque groupe ethnique.
2. La question de l'auto-désignation
L'aptitude des individus à s'auto-désigner comme indiens - ou comme noirs-
est directement liée au contexte socio-culturel. Le degré d'acculturation ou de
conscience ethnique, la réticence à revendiquer une identité perçue comme déva-
lorisante, sont autant d'éléments qui peuvent induire des réponses très variables
de la part des individus recensés. De même, l'expérience des recensements récents
a montré que selon la façon dont la question était posée (question trop compli-
quée, trop directe, trop orientée, etc.), la nature des réponses subissait également
d'importantes variations (CELADE, 2006). Les cas des populations noires est
encore plus édifiant que celui des populations indigènes: les enquêtes par auto-
désignation, surtout quand la question est posée de façon ambiguë, peuvent
donner des estimations beaucoup plus faibles que les désignations faites par un
enquêteur extérieur, comme on le verra plus loin avec l'exemple de la Colombie.
L'expérience du Brésil est de ce point de vue très instructive. En effet, à l'occa-
sion du dernier recensement, en 2000, l'Institut brésilien de statistique, 1'IBGE, a
estimé à 734000 individus (0,4 % de la population nationale) l'effectif de la popu-
lation indienne, alors qu'à la même date, les chiffres fournis par les administrations
en charge des questions indiennes 2 oscillaient entre 345000 et 400000 individus,
soit 0,2 % de la population totale (Albert, 2004 : 64). L'IBGE lui-même n'avait
recensé que 294000 indiens au recensement précédant (1991). Démographi-
quement parlant, une multiplication par 2,5 du nombre d'indiens en seulement
neuf ans est une aberration. Elle s'explique par le changement du mode de dési-
gnation des indiens entre les deux dates: le recensement de 2000 a procédé par
auto-désignation (on a demandé à tous les Brésiliens, sans distinction de lieu de
résidence ou de phénotype, à quel groupe ethnique ils estimaient appartenir), alors
que celui de 1991 a considéré comme indiennes les personnes habitant au sein de
territoires définis comme indigènes, ou originaires de ces territoires.
Figure 3.1 - La localisation des populations indiennes recensées au Brésil en 1991 et 2000
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96
COMMENT DÉFINIR LES CATÉGORIES ETHNIQUES'
population n'est plus recensée selon son appartenance ethnique depuis des décen-
nies. Pourtant, les statistiques des Nations Unies attribuent au Pérou la deuxième
communauté indienne d'Amérique latine, après le Mexique: si l'on se réfère au
dernier Rapport Amérique latine (Zagefka, 2006: 192), et si l'on applique un taux
de 47 % de population indienne (calculé par le PNUD pour 2003) aux
27,9 millions d'habitants estimés en 2005, on aurait un total de 13 millions
d'indiens au Pérou. De son côté, le recensement de 1993 a comptabilisé les indi-
vidus selon la langue maternelle, ce qui permet de connaître la proportion de
Péruviens ayant pour langue maternelle le quechua, l'aymara, ou une autre langue
« native ». Ils représentaient 19 % des Péruviens de cinq ans et plus, ce qui, ramené
à l'ensemble de la population, équivaudrait à près de 4,9 millions d'individus. Rien
qu'à Lima, les locuteurs d'une langue native âgés de cinq ans et plus étaient un
demi-million (un habitant sur dix), alors qu'aucun indien n'y était recensé officiel-
lement (figure 3.2 - Gouëset et Mesclier, 2004: 185). De telles différences posent
bien sûr question, notamment sur la pertinence de la langue comme critère de
définition de la population indienne. Nous y reviendrons.
Autre problème: le déclin des langues autochtones. La moitié des langues
autochtones d'Amérique latine auraient déjà disparu; et sur les 700 encore parlées,
seules 540 sont considérées comme « viables» (Grinevald, 2006: 175-195). Toutes
sont en perte d'influence, au sein des jeunes générations notamment, même les
plus parlées d'entre elles (langues mayas au Mexique, familles quechua et aymara
dans les Andes). Les données des derniers recensements, fondées sur le critère de la
langue, ont d'ailleurs donné des résultats parfois surprenants (tableau 3.1), infé-
rieurs aux estimations les plus courantes: le taux de 66 % pour la Bolivie est proche
voire supérieur aux estimations des Nations Unies, dans un rapport récent sur l'eth-
nicité (Busso, Cicowiez et Gasparini, 2005), en revanche les taux de 8 % pour
l'Équateur, ou même 39,5 % pour le Guatemala, sont surprenants, quand on
connaît la réalité sociologique de ces pays, et qu'on observe leur histoire récente (le
4. Le critère territorial
Une définition territorialisée des populations indiennes pose également ques-
tion. On a déjà vu qu'au Brésil, suivant le mode de décompte employé (auto-dési-
gnation ou territoire d'origine), les effectifs de population indigène pouvaient
varier du simple au double. L'exemple de la Colombie illustre également ce
problème. Dans ce pays, l'essentiel des individus considérés comme indiens dans
le recensement de 1993 étaient ceux qui vivaient dans des {( aires à prédominance
indigène ». Dans ces zones, des formulaires spécifiques de recensement ont été
appliqués. En dehors de ces aires strictement délimitées, les populations indiennes
ont été notoirement sous-évaluées, à travers le formulaire général du recensement.
Ainsi, le chiffre de 610000 indiens officiellement recensés en 1993 - près de 2 %
de la population nationale - pose-t-il problème, car il correspond pour l'essentiel
aux {( aires à prédominance indigène» (figure 3.3) et sous-estime la population
vivant à l'extérieur, en particulier dans les grandes villes, qui avaient pourtant reçu,
parmi les migrants d'origine rurale, une importante population indienne. Le
recensement de 2005 a abandonné cette distinction entre {( aires indigènes» et
territoires non indigènes. Il a procédé, par auto-désignation, à un recensement de
la population indienne sur l'ensemble du territoire national. On obtient ainsi un
effectif total beaucoup plus élevé: 1380000 indiens, soit 3,4 % de la population
nationale, avec une présence importante en ville notamment. Cette évolution est
largement comparable à celle déjà observée au Brésil entre 1991 et 2000.
Au Mexique, où il existe pourtant des terres appartenant collectivement aux
communautés indigènes, il n'y a pas de territoires indiens reconnus légalement
comme tels. Il est d'usage en revanche de répertorier comme « indiens» les terri-
toires où réside une proportion significative d'habitants parlant une langue
autochtone: moins de 40 % de locuteurs, de 40 à 69 %, 70 % et plus ... Cela
introduit une marge d'incertitude relativement importante dans l'estimation des
effectifs de population indigène, certains observateurs déduisant des effectifs de
« population indienne» à partir de ces chiffres, qui ne sont pourtant que des
ordres de grandeur (Quesnel, op. cit.: 16-17).
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Figure 3.3 - La distribution de la population recensée dans les « aires indigènes »
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en Colombie en 1993 f-o
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99
LE «TOURNANT ETHNIQUE" DU XXI' SIÈCLE ET SES LIMITES
4. Sans parler des problèmes éthiques et scientifiques que peut poser un mode de classification aussi
large; parfois qualifié « d'hypo-filiation ».
5. La différence enrre les deux derniers chiffres érant essemiellement impurable à la catégorie
100 « mulârre », dom la frontière avec la catégorie « métis» est fluctuame.
COMMENT DÉFINIR LES CATÉGORIES ETHNIQUES'
Pour conclure, les deux principaux groupes ethniques que sont les indiens et
les noirs représenteraient, selon une estimation récente des Nations Unies (Eusso,
Cicowiez et Gasparini, 2005 : 40-41), une personne sur trois dans la zone
Amérique latine et Caràibe (soit 172 millions d'individus), et trois sur quatre pour
la seule zone Caraïbe (soit 26 millions). Il s'agit donc d'effectifs considérables.
Mais la situation est très variable d'un pays à l'autre. On peut, grossièrement,
distinguer:
• des nations à majorité noire, sans population autochtone (la zone Caraïbe) ;
• des nations à forte minorité - ou majorité - noire, comptant également des
minorités indiennes (Panama, Colombie, Guyanes, Brésil) ;
• des nations en majorité - ou à forte minorité - indiennes, qui comportent
également des minorités noires (Bolivie, Pérou, Équateur et Guatemala) ;
• des nations à minorités noires ou indiennes (Chili, Honduras, Mexique,
Nicaragua, Venezuela) ;
• des nations ({ blanches », où les minorités ethniques sont peu représentées,
dans le cône sud (Argentine, Chili, Paraguay, Utuguay), ainsi qu'au Costa Rica.
6. La catégorie« noir» regroupant les individus s'étant auto-désignés comme noirs, mulâtres, afro-
colombiens, afro-descendants, raizales (natifs des îles San Andrés et Providencia) ou palenqueros 101
(les descendants de communautés d'esclaves fugitifs de la Côte Caraïbe).
Des populations en déclin?
Vincent GOUËSET
Figure 4.1 - Évolution des effectifs de population indigène au Brésil depuis la Conquête
Nb", d'habitants
6 000 000
5 000 000
4 000 000
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1500 1600 1700 1817 1900 1955 1979 1986 1995 2000 2005
103
LE" TOURNANT ETHNIQUE» DU XXI' SIÈCLE ET SES LlM1TES
Dans le cas des populations noires, l'arrivée d'esclaves africains s'étant achevée
au milieu du XlXe siècle 1, avec les abolitions de la traite négrière, leur poids démo-
graphique a également décliné, en raison d'une mortalité plus élevée, du métissage,
et de l'arrivée de nouveaux flux migratoires à partir du milieu du XlXe siècle (prin-
cipalement européens, mais également asiatiques et proche-orientaux). Au Brésil,
un des rares pays à disposer de statistiques suivies sur le long terme, on observe que
le déclin relatif des populations noires stricto sensu (à l'exclusion des mulâtres)
perdure jusqu'à une date très récente; leur pourcemage se divise par trois encre 1940
(14,6 %) et 1991 (4,9 %), avant d'augmenter en 2000 (6,2 %) (Théry, 2005: 63).
Ces éléments accréditent l'idée d'une poursuite du « déclin}) des populations
indiennes et noires au sein des nations d'Amérique latine; une idée parfois reprise
par les organisations ethniques elles-mêmes, en appui de leurs revendications collec-
tives. Dans le détail, la situation est plus complexe qu'il n'y paraît. D'abord parce
que les effectifs de chaque catégorie varient selon la définition qu'on en donne.
Rappelons qu'à la faveur du tournant ethnique des vingt dernières années, on a
assisté à un processus de « ré-ethnicisation » de nombreuses populations: des
communautés paysannes qui avaient cessé d'être considérées comme indiennes se
redéfinissent comme telles; des populations noires ou mulâtres sortenc de leur « invi-
sibilité historique}) et revendiquent leur appartenance ethnique. Ensuite parce que
les effectifs des populations indiennes, noires ou asiatiques ont tous augmenté depuis
le milieu du xx e siècle, sous le coup de la transition démographique, qui a vu la
population latino-américaine dans son ensemble se multiplier par huit en un siècle.
Figure 4.2 - L'évolution des populations de cinq ans et plus parlant Wle langue indigène
au Mexique au xx e siècle (1895-2000)
20 % .
15%
. 2
o
1895 1900 1910 1921 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 1995 2000
1. Et essoufflée parfois beaucoup plus tôt, comme au Mexique, où la rraite négrière a décliné dès la
104 moirié du xvue siècle (chapitre 1) et où s'est produit un inrense métissage avec les populations
DES POPULATIONS EN DÉCLIN?
Il est très difficile, pour des raisons méthodologiques vues dans le chapitre
précédent, de suivre avec précision l'évolution de chacune de ces populations à
l'échelle de toute l'Amérique latine. I..:exemple des populations indigènes du
Mexique (figure 4.2), étudié par E. Serrano (2006 : 387 et s.), constitue de ce
point de vue un cas intéressant. En considérant le nombre de locuteurs d'une
langue indigène âgés de cinq ans et plus (seul indicateur possible à suivre sur le
long terme), on observe qu'après un déclin important entre 1895 et 1950 (qui
voit l'effectif total se diviser par 3,4), la courbe s'inverse, pour arriver en 2000 à
un effectif 2,2 fois supérieur à celui de 1895, et 7,6 fois supérieur à celui de 1950.
Po"urtant, cette progression spectaculaire de la population indigène au cours de la
seconde moitié du xxe siècle ne permet pas de faire progresser de façon importante
son poids démographique dans la population totale: il double entre 1950 et 1980
(passant de 4 à 9 %), avant de diminuer à nouveau. En 2000, il était revenu au
niveau de 1940 (7 %).
Au Guatemala, sur une période plus récente, on observe un phénomène
analogue: la population indienne passe de 2,5 millions d'individus en 1981 à
4,6 millions en 2002, mais son poids démographique dans la population totale
stagne autour de 41 % (Salcalxot, 2006 : 97).
indiennes, ce qui explique l'apparente disparition d'un groupe identifié comme noir au Mexique,
pratiquement invisible sur la scène narionale jusqu'à une date très récente (Gonzalez de la Parra 10 C
etaI., 2004: 31). )
LE« TOURNANT ETHNIQUE» DU XXJE SIECLE ET SES LIMITES
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_ Population indi!/èr1e o Population non indigène
pour compenser une mortalité infantile qui est très supérieure aux moyennes
nationales (figure 4.5), et du fait du recul récent de la mortalité générale, la crois-
sance démographique de la population indigène est actuellement élevée. Ainsi,
selon A. Quesnel (ibid.: 16), le processus de transition démographique qui affecte
aujourd'hui les populations indigènes d'Amérique latine devrait voir leur effectif
se multiplier par 5 ou 6; une évolution comparable à celle qui a affecté les popu-
lations non indigènes, mais concentrée sur une période plus courte.
Mais cette relative « embellie démographique» est contrebalancée par le second
facteur: la poursuite du processus d'acculturation, avec une proportion croissante
des individus, au sein des jeunes générations essentiellement, qui déclarent ne plus
parler leur langue d'origine. Ce recul de la pratique linguistique se répercute sur
l'évolution générale des populations indiennes, puisque la langue est aujourd'hui
l'indicateur le plus systématiquement utilisé pour les recenser. L exemple de la
Bolivie (figure 4.6) l'illustre clairement (Molina, Albo et Figueiroa, 2006 : 457) : la
maîtrise d'une langue « native» est fortement corrélée à l'âge, ce qui se répercute
sur la conscience ethnique, qu'on voit diminuer en passant des classes d'âge élevées
vers les plus jeunes; même si, manifestement, la conscience ethnique résiste mieux
que la transmission des langues indigènes. En effet, chez les personnes âgées de 65
et plus, le pourcentage de locuteurs d'une langue native et celui des individus se
déclarant indigènes sont assez proches (61 % dans un cas, 69,5 % dans l'autre),
alors que chez les plus jeunes (15 à 19 ans), 55,6 % se déclarent encore indigènes,
mais seulement 27,8 % ont fait l'apprentissage d'une langue « native».
D'où l'enjeu crucial aujourd'hui des politiques éducatives - et notamment les
politiques « d'ethno-éducation » menées en faveur des populations indigènes. Ces
politiques répondent à un double objectif: celui, social, d'offrir aux jeunes indiens
un capital humain susceptible d'améliorer leur condition sociale, et celui, culturel,
de transmettre la culture et la langue indienne, pour enrayer le processus d'accultu-
ration, ainsi que le déclin des populations considérées comme indiennes. Ces deux
objectifs ne sont pas faciles à concilier. Néanmoins, la question des programmes
ethno-éducatifs bilingues, est aujourd'hui au cœur des débats sur les politiques à
mener en faveur des populations indiennes en Amérique latine.
Enfin, un troisième facteur vient limiter lui aussi les effets de l'accroissement
naturel des populations indigènes. Il s'agit de l'émigration. La pauvreté relative
des campagnes indigènes s'est accrue au cours de la période récente, pour diverses
raisons: mutations économiques défavorables à l'agriculture et aux modes de
subsistance traditionnels, pression démographique accrue, compte tenu des moda-
lités tardives de la transition démographique dans ces espaces, etc. On reviendra
sur ce point (encadré 5.1). Cette pauvreté persistante est un facteur important
d'émigration. On constate ainsi que les flux d'émigration au départ des territoires
indigènes demeurent aujourd'hui importants (Quesnel, op. cit.), alors qu'ils ont
décliné dans la plupart des campagnes d'Amérique latine; l'apogée de l'émigra-
tion rurale étant relativement ancienne, comme on l'a vu au Chapitre 2 2.
2. Sauf dans certaines régions où, en raison du choc provoqué par l'ouverture économique et la libé-
ralisation des marchés, )'émigration rurale progresse de façon significative depuis une dizaine d'an-
nées (phénomène particulièrement net au Mexique). 107
LE" TOURNANT ETHNIQUE» DU XXJE SI~CLE ET SES LIMITES
~I
Figures 4.6 - Pratique des langues « natives» er appartenance erhnique en Bolivie (2001)
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Classe d'âge
L:impact de l'émigration sur les espaces de départ doit être nuancé. Comme
l'ont montré plusieurs études, l'émigration au départ des zones indigènes revêt un
caractère moins radical que « l'exode rural» qu'ont connu autrefois les campagnes
européennes, ou, plus proches, les campagnes argentines ou brésiliennes, qui ont
vu leur population décroître. Les territoires indigènes, loin de se vider, voient au
contraire leur population se maintenir ou augmenter. En effet, en raison du carac-
tère plus tardif de la transition démographique, et du déséquilibre par sex ratio de
l'émigration dans la plupart des cas (l'émigration étant davantage masculine, les
femmes demeurent en plus grand nombre sur place, ce qui diffère de la situation
la plus courante décrite au chapitre 2), la natalité et l'accroissement naturel se
maintiennent à des niveaux élevés. D'autre part, l'émigration n'a souvent pas le
caractère d'une rupture définitive, car les individus qui émigrent s'inscrivent dans
des stratégies familiales de subsistance, et maintiennent des liens importants avec
leur communauté d'origine, qu'ils soutiennent financièrement (par l'envoi de
« remises» régulières) et dans laquelle ils sont susceptibles de revenir, de façon
cyclique ou permanente, en fin de vie par exemple. Ce « fonctionnement en archi-
pel» (Quesnel, 2006: 20) n'est pas une spécificité indigène: il est connu depuis
longtemps et a été étudié dans de nombreuses campagnes d'Amérique latine. On
l'observe également sur la Côte pacifique de Colombie, une zone essentiellement
habitée par des populations afro-descendantes (Barbary, Dureau et Hoffmann,
2004: 69-122; Hoffmann, 2004).
Autrement dit, l'émigration ne« dévitalise» pas de façon brutale les zones de
peuplement indigène, mais elle contribue à l'affaiblissement du poids relatif des
Indiens dans la population totale, pour des raisons qu'on a déjà évoquées. En effet,
dans la mesure où les critères de recensement de ces populations portent en géné-
ral soit sur la résidence dans un « territoire ethnique », soit sur l'usage de la langue,
qui décline plus rapidement quand les individus (et leurs enfants) sont éloignés de
leur communauté d'origine, l'émigration a pour effet de faire baisser, sur le plan
statistique, la population indigène. De même, l'émigration étant sélective démo-
graphiquement (elle affecte en priorité les jeunes ménages, et les hommes plus que
les femmes), contribue à fragiliser les territoires indigènes, en provoquant leur
vieillissement, un abaissement du niveau d'instruction de sa population active (les
jeunes ménages qui partent bénéficiant d'un bagage scolaire plus important 3),
ainsi qu'une reconfiguration des arrangements familiaux, avec une main-d'œuvre
de plus en plus féminine, moins éduquée, et souvent chargée de famille, ce qui
limite l'accès à l'emploi, et pose des problèmes d'existence au quotidien pour les
familles, dont les conditions de reproduction sociale se trouvent affectées (Quesnel,
2006: 17).
3. Un phénomène d'ailleurs amplifié par un effet de genre. En effet, si le niveau d'instruction est iden-
tique entre filles et garçons de 6 à II ans, il est sensiblement différencié chez les jeunes de 12 à
17 ans. Selon les résultats des derniers recensements (2000 à 2002) dans un échantillon de neuf
pays d'Amérique latine, le taux de scolarisation des jeunes indiennes est toujours inférieur à celui
des garçons (sauf au Honduras), dans des proportions allant de 2,5 à 12,9 % (Del Popolo et
Oyarce, 2006 : 60). 109
LE" TOURNANT ETHNIQUE" DU XXIr SIÈCLE ET SES LIMITES
4. Le taux des 60 ans et plus était, en 2000, à peu près le même au sein des populations indiennes
110 et non indiennes dans l'échantillon de six pays étudié par Huenchan (2006 : 534).
1 ...
Vincent GOUËSET
Reste donc à vérifier en quoi les conditions de vie des groupes ethniques diffè-
rent des autres catégories de populations, et comment évoluent ces différences.
Lessentiel des données existantes porte sur les deux principaux groupes, les
b
indiens et les noirs. Elles montrent, à grands traits, que dans tous les contextes Z
nationaux et territoriaux (ville ou campagne), la pauvreté et la grande pauvreté "'z
U
frappent plus durement ces deux groupes que les populations blanches. :>
En s'appuyant sur les recensements les plus récents (1999 à 2002) et sur
15 pays d'Amérique latine et des Caraïbes, une étude des Nations Unies (Busso,
Cicowiez et Gasparini, 2005 : 85) montre que la proportion des pauvres (c'est-à-
dire les personnes disposant de moins de 2 US $ par jour) est 2,3 fois plus impor-
tante chez les « non blancs» (noirs et indiens) que dans le reste de la population,
et que la pauvreté extrême (c'est-à-dire les personnes disposant de moins de 1 US $
par jour) est 2,8 fois plus importante. Elle montre également que ces écarts subsis-
tent voire s'amplifient au cours de la période récente (sauf en Bolivie), en dépit des
politiques nationales et internationales de lutte contre la pauvreté (figures 5.1).
2. Les informations qui suivent sont titées de l'étude du CELADE 2006, et plus précisément, de
Guerrero (p. 155-166) pour les deux catégories de population, de Sânchez (p. 427-445) pour les
afro-équatoriens, et de Condor (p. 411-425) pour les indigènes. La majorité des chiffres indiqués
dans le texte se réfèrent au recensement de 2001. Les données socio-ethniques proviennent égale-
ment de deux organismes spécialisés: le SIDENPE (Système d'indicateurs sur les nationalités et 113
peuples de l'Équateur) et le SISPAE (Système d'indicateurs sociaux sur le peuple afro-équatorien).
LE« TOURNANT ETHNIQUE" DU XXJ' SIÈCLE ET SES LIMITES
Figures 5.1 - Évolution de la pauvreté par groupe ethnique dans cinq pays d'Amédque latine,
au seuil des années 2000
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40
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70
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40 t - - - - - - "........-
30+-.:------
NB: Le raux de pauvreré correspond à la pan de la popu!arion adulre disposanr d'un revenu
moyen inférieur à 2 US $ par jour.
Le raux de pauvreré exrrême correspond à la parr de la popularion adulre disposanr d'un revenu
moyen inférieur à 1 US $ par jour.
Source: Busso, Cicowiez er Gasparini, 2005 : 88.
lités se creusent. Toutefois, ces chiffres ne disent rien sur les conditions comparées
d'étude primaire, ni sur la durée de ces études pour chaque groupe ethnique. Or,
selon le recensement de 200 1, la population indienne âgée de 24 ans et plus avait
suivi une scolarité moyenne de 3,3 ans (2,6 pour les femmes), c'est-à-dire que la
majorité n'a pas fini le cycle d'études primaires. De fait, l'analphabétisme est de
28 % chez les indigènes (36 % chez les femmes, et 20 % chez les hommes), alors
qu'i! est de 10,3 % chez les noirs, mais seulement de 4,7 % chez les blancs.
Les inégalités éducatives sont plus marquées pour les études secondaires, avec
un taux de scolarisation chez les indiens qui est de moitié inférieur à celui des
blancs, et plus encore pour les études supérieures, où Je rapport est cette fois de
1 à 7. Des chiffres lourds de conséquences en termes de formation professionnelle,
114 et plus largement, de capital social et de reproduction des inégalités.
DES POPULATIONS MARGINALISÉES ~ PAUVRETÉ ET INÉGAlJTË SOCIAlE
Figure 5.2 - Taux net de scolarisation par groupe ethnique et par niveau en Équateur, 2001
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Indigène afro-descendante métisse blanche national
des populations indiennes et noires, dirigé principalement vers les deux métro-
poles, Quito et Guayaquil 3.
Peu ou prou, les mêmes tendances se retrouvent dans tous les pays d'Amérique
latine, et confirment la persistance de fortes inégalités socio-raciales dans les socié-
tés latino-américaines contemporaines, qui fonctionnent de façon cumulative.
Toutefois, ces observations posent un problème méthodologique: elles sont
sensibles à un effet de structure, lié à la composition des populations considérées.
Dans la mesure où les populations indiennes et noires sont plus modestes au
départ (et davantage rurales, surtout les indigènes), il est logique qu'on les retrouve
ensuite défavorisées par rapport au reste de la population, sur tous les indicateurs.
11 faudrait pouvoir comparer ces indicateurs sociaux toutes choses égales par aiLLeurs,
c'est-à-dire en éliminant les effets de structure. C'est le travail auquel s'est livré
D. Delaunay dans l'encart ci-dessous.
Encadré 5.1 - La pauvreté des indiens: réalité ou artefact statistique? (Daniel Delaunay)
Depuis la conquête, les indigènes du continent renvoient l'image d'un peuple exclu du
progrès économique, subissant une pauvreté séculaire que confirment les statistiques contem-
poraines (Pérez et Maya, 1993; Psacharopoulos et Patrinos, 1994; Florez, Medina et al.,
2001). Cette discrimination paraît si justement condamnable - c'est un des fléaux de
l'Amérique latine - que l'évidence des chiffres est peu questionnée. Pourtant, la construction
statistique de l'identité indigène fait que la pauvreté raciale ou ethnique est aussi un artéfacr.
Le montrer, ici pour le cas mexicain, est un exercice tout aussi nécessaire aux politiques de lutte
contre l'exclusion que de dénoncer celle-ci. Déconstruire la variable ethnique peut également
amener à s'interroger sur les implications dé mo-économiques de son usage, et sur certaines
revendications qu'elle inspire.
Un moindre revenu individuel résulte en théorie d'une plus faible dotation en capital
humain, qui implique une moindre productivité, sanctionnée sur le marché du travail.
Cependant, les populations d'origine amérindienne vivent une exclusion sociale à plusieurs
composantes, dont le déficir en capital humain est aussi une des conséquences. Le dernier
recensement mexicain de 2000 nous apprend qu'être locuteur d'une langue indigène multi-
plie par 5,5 les chances de gagner moins d'un salaire minimum, ou que le revenu moyen n'at-
teint que 38 % de celui des autres Mexicains. À éducation et alphabétisation égales, l'écart se
réduit à 3,6 pour le risque de pauvreté et à 46 % pour le revenu. Cette discrimination dimi-
nue jusqu'à pratiquement s'estomper à secteur d'activité identique, après avoir contrôlé l'im-
pact de la migration et surtout de l'effet contextuel du lieu de résidence des personnes
(Delaunay, 2006). 11 est communément admis que la preuve de la discrimination ne serait faite
que si la variable ethnique ou raciale maintient une influence négative « toutes choses égales
par ailleurs ». Mais l'existence d'une pauvreté proprement indigène dépend alors de la
construction du modèle. Pourquoi s'arrêter au capital humain quand le secteur d'activité, la
localisation, la sédentarité... contribuent aussi à appauvrir les indiens? D'autre part, parmi les
caractéristiques individuelles ou contextuelles qui expliquent les différences économiques,
certaines ne sont pas soupçonnées ou mesurables, telles les importantes activités non rémuné-
rées de l'économie domestique. Leur non prise en compte fait douter de l'incidence des expli-
3. Le recensement ne permet qu'une approximation assez grossière des flux migratoires (le solde
migratoire entre deux espaces à deux dates précises), er ne permet pas de capter les migrations
internationales; or il existe une importante émigration équatorienne vers le reste de l'Amérique
116 latine, l'Espagne, et d'autres destinations.
DES POPULATIONS MARGINALISÉES? PAUVRETÉ ET INÉGALITÉ SOCIALE
cations observées. Dès lors le choix des facteurs discriminants constitue moins un exercice
technique que l'expression de choix identitaires. La tradirion orale, parfois revendiquée comme
préférable à la scolarisation, rout comme un mode de vie rural, pénalisent la producrivité
mesurée en termes monétaires? Estimer la pauvreté des indiens supposerait donc une décision
politique ou une concertation éthique pour décider des composantes qui distinguent les popu-
lations indiennes. Mais ce choix peut-il être collectif?
Il ne l'est pas, bien qu'en Amérique larine aujourd'hui, le décompte des minorités est
devenu un enjeu politique: vouloir être reconnus en grand nombre amène parfois les organi-
sations indigènes à revendiquer les moyens de la production sraristique, et conduir à une
surenchère démographique, complaisamment soutenue par les foncrionnaires de l'indigénisme
(Lavaud et Lesrage, 2002). Y contribue aussi une conception naruralisre des critères retenus,
comme la langue maternelle ou le lieu de naissance qui, à l'instar des phénotypes, sont des
rraits hérirés à la naissance er donc définitifs. Il faudrait au contraire admettre et s'atrendre à
ce que ce sentiment d'appartenance, qui obéit à une graduation complexe de statuts sociaux
et de phénotypes, change avec le remps et selon les contextes. Or, au cours du temps, une
proportion considérable d'individus oublie sa condition indienne; entre 1990 et 2000 pour
toutes les générations, ce renoncement touche près d'un locuteur indigène sur dix. Qu'est ce
qui distingue ces « indiens >l qui deviennent « Mexicains >l? Plusieurs indices suggèrent que ce
serait la scolarisation, la réussite sociale ou économique, l'adoption d'un mode de vie urbain.
Or, cette sélectivité du renoncement identitaire biaise la sociométrie de la population indi-
gène, dans la mesure où les recensements ne saisissent pas - ou mal- sa promotion sociale. La
pauvreté ethnique apparaît alors comme une construction de l'appareil statistique, elle traduit
la position du curseur de l'appartenance, une mesure que l'on impose binaire, alors que la
majorité des Mexicains se considèrent métis. Se penser indien exprime avant tout un statut
social, c'est aussi se savoir pauvre. Un critère phénotypique saisirait mieux la promotion écono-
mique des indigènes, qui est réelle.
Une autre confusion statistique qui brouille la perception économique de ce statut
complexe et fluctuant est que, depuis des décennies, l'analyse démo-économique privilégie le
peuplement de terriroires supposés indiens, et donc pas le peuple indien défini selon des
critères individuels. Communément, la description porte sur les habitants (la population de
droit) des communes considérées comme indiennes. Les raisons en étaient techniques au
départ, car avanr 1990, la variable ethnique des recensements, au Mexique comme ailleurs,
n'était pas restituée individuellement; on ne connaissait que sa mesure municipale. Cette assi-
milation entre peuple et peuplement était acceptée; elle se maintient roujours car elle sert les
revendications territoriales des communautés indigènes. Mais ce référent est spécieux pour les
mesures économiques. En premier lieu, il fait dépendre l'appartenance ethnique individuelle
d'un seuil municipal de concentration indigène plus ou moins arbirraire. Est souvent retenue
la moyenne nationale des municipalirés (de l'ordre de 25-30 %) qui ne correspond pas à la
présence indienne dans la popularion nationale (7 %), et qui n'assure pas une majorité abso-
lue d'indiens dans tous les municipes concernés. En second lieu, l'infortune locale dépend de
la polarisation de l'espace économique, de l'allocation territoriale des Ùcteurs, elle n'apporte
pas la preuve d'une pauvreté raciale ou erhnique individuelle. En effet, en analysant la seule
mesure agrégée de la pauvreté, il esr impossible de conduire une approche contextuelle de la
discrimination, savoir si l'écart de revenu des non indiens augmente en fonction des concen-
trarions indigènes, comme cela semble être le cas pour de nombreuses minorités (Mc Cali,
2001). Finalement, par cette définition territoriale de l'identité ethnique, on ignore les indiens
qui ont quitté leurs terres pour rechercher un mieux-être matériel et/ou un soulagement des
discriminations ressenties. De fait, l'analyse conjointe des données individuelles et contex-
tuelles de 1990 à 2000 montre que les zones de peuplement indigène sont moins bien dotées
et économiquement moins prospères, en même temps que plus discriminantes pour les
indiens qui y résident. Entre les deux dares, en dépir de progrès réels de l'éducation, de l'em-
ploi et des programmes de développement localisé comme Progresa, les facteurs qui pénali-
saient les indigènes en 1990 font plus encore la différence en 2000, en particularité la polarité
117
LE" TOURNANT ETHNIQUE" DU XXIe SIÈCLE ET SES LIMITES
118
Discrimination et ségrégation socio-raciales
L'exemple de Cali (Colombie)
Vincent GOUËSET
Les inégalités sociales fondées sur le critère ethnico-racial sont une chose. Elles
sont nombreuses en Amérique latine, on vient de le voir, et reposent en grande
partie sur l'effet de la position sociale des populations considérées. La question des
discriminations raciales, c'est-à-dire l'existence de traitements différentiés et péna-
lisants appliqués à certains groupes de population, ethniquement différentiés, en
est une autre. Plus largement, la question du racisme, centrale dans le débat
ethnique au États-Unis l, depuis l'émergence du mouvement sur les droits
civiques dans les années cinquante, n'occupe pas une place aussi importante en
Amérique latine dans les débats sur l'ethnicité. Sans doute l'Amérique latine n'a-
t-elle pas connu, dans un passé récent, un ordre politique et social reposant sur
une logique aussi ouvertement discriminatoire que les États-Unis. Pourtant, le
racisme à l'encontre des populations indiennes, noires, asiatiques, syro-libanaises,
voire à l'encontre de certaines catégories de populations européennes arrivées à la
fin du XIxe et au début du xxe siècle, constitue un thème omniprésent dans l'his-
toire récente de l'Amérique latine. Le succès du tournant ethnique de la fin du
xxe siècle, qui s'inscrit dans un processus plus large de démocratisation, en est la
meilleure preuve: il répond à un réel problème de société.
Pour autant, les formes et les processus de discrimination sont difficiles à
étudier. La plupart des études sur le sujet mettent en avant soit l'existence d'in-
égalités socio-raciales, sur la base des indicateurs que nous venons d'étudier dans
le chapitre 5, soit les enjeux poliriques de la revendication ethnique (réformes
constitutionnelles, légales et juridiques; application de politiques ethniques, terri-
toriales, sociales ou culturelles; avec aujourd'hui un débat important sur les poli-
tiques de discrimination positive), soit les deux 2.
]. Même si le système colonial était ouvertement discriminatoire, et si on trouve, dans les lois et les
règlements adoptés par les Républiques issues de l'indépendance, de nombreux exemples de
pratiques discriminatoires, parfois jusqu'à une date récente. Un des exemples les plus connus est
le Statut de l'indien au Brésil, adopté au début des années] 970 par le gouvernement militaire,
qui faisait des indiens des sujets mineurs en droit, certes placés sous la protection de \' état, mais
dépourvus par exemple du droit de vote. Ce régime discriminatoire n'a été aboli qu'en] 988, par
la nouvelle Constitution.
2. Cétude récente du CELADE sur les Droits Humains des populations afro-descendantes en 119
Amérique latine (Rangel, 2005), développe largement la question des discriminations raciales,
LE" TOURNANT ETHNIQUE» DU XXI' SIÈCLE ET SES LIMITES
La discrimination existe, mais elle est, d'un point de vue méthodologique, diffi-
cile à étudier. En effet, les sources statistiques classiques (recensements, enquêtes
ménages et enquêtes qualité de vie, données sociales diverses...) ne permettent pas
de la caractériser directement. Seules des études spécifiques, qualitatives et quanti-
tatives, permettent de l'étudier. De telles études existent, elles sont même
nombreuses (au Brésil notamment), mais elles sont éparses, difficiles à comparer,
et impossibles à systématiser. On se contentera ici, à titre d'exemple, de reprendre
les résultats d'une étude publiée en 2004 (Hoffmann, Barbary et Cunin: 188-200)
sur les discriminations raciales dans trois villes de Colombie: Cali, Tumaco et
Carthagène.
I..:exemple de Cali a déjà été évoqué. Cette ville de deux millions d'habitants est
la métropole du Sud-ouest colombien. Elle compte une forte minorité afro-descen-
dante, qui représente entre un quart et un tiers de la population totale. Le
tableau 6.1 montre que la discrimination raciale est considérée comme un
problème réel par une frange importante de la population calefza, même si près de
la moitié de la population interrogée (y compris au sein des ménages afro-colom-
biens) réfute son existence, dans tous les contextes envisagés. Il est d'ailleurs signi-
ficatif de constater que le racisme est plus perçu comme un problème généra!, exté-
rieur aux personnes interrogées, que comme un problème susceptible de les affecter
personnellement. À peine 19 % de la population envisage la discrimination comme
un problème de voisinage (<< dans le quartier »), et 14 % seulement déclarent en
avoir été victime au quotidien. En revanche, plus de 53 % des personnes interro-
gées pensent qu'elle est présente au travail ou dans le contact avec la police. Les
différences de perception entre noirs et non noirs sont intéressantes: la perception
est toujours plus forte chez les ménages afro-colombiens, qui sont les premiers
concernés, mais la différence est souvent assez faible (de l'ordre de 1 à 5 %), ce qui
montre un certain consensus sur le sujet. Elle n'est importante que sur la question
des discriminations dans les transports et au travail (les populations non noires,
« victimaires» potentielles, ayant tendance à sous-estimer le problème?), et surtout,
à la question « vous-mêmes, avez-vous déjà été victime de discrimination» : le taux
de réponse positive est trois fois plus élevé chez les noirs que les non noirs. La diffé-
rence est donc bien fondée racialement. CQFD.
mais ne fournit aucune mesure de ces discriminations. Elle ne contient que des indicateurs clas-
120 siques (et pertinents bien sûr) sur les inégalités socio-raciales.
DISCRIMINATION ET SÉGRÉGATION SOCIO-RAClALES - CEXEMPLE DE CALI
Tableau 6.1 - Niveaux de réponse aux questions d'opinion sur la discrimination à Cali
en 1998, selon la caractérisation ethnique et le sexe des enquêtés
a: Réponses affirmatives aux questions sur la discrimination des noirs dans différents contextes
N N
+ +
Proportion de ménages du premier Proportion des ménages du quatrième
quartile de l'Indicateur de Condition Sociale quartile de l'Indicateur de CondItion Sociale
• dcJ6à67% • de61àB8%
.de20~J6~ .OOJH6'"
_deIO.'O'" • de19à13'%
3. Cindice de condirion sociale (lCS) esr un indicareur synrhérique du niveau de pauvreré des
ménages. Le premier quarrile correspond au quarr le plus pauvre de la ville, le quarrième quarrile
122 à celui le plus aisé.
DISCRIMINATION ET SËGRÉGATION SOCIO·RAClALES L:EXEMPLE DE CJVJ
Figure 6.2 - rinégale distribution dans la ville des ménages par groupe ethnique à Cali en 1998
de4Sd64.6%
de40a45%
dl' 35.'J 40111;
de 13 tl3S",
LE «10URNANT ETHNIQUE" DU XXI' SIt:CLE ET SES UMITES
Cali (% population totale)' N~ire (11 %) !Mulâtre (18 %)1 Métisse (20 %)
Cali ." 0,29 0,22 0,25
1 1
ÉTATS-UNIS ..... Noire Hispanique
Chicago 0,88 0,63
- -
Los Angeles - Long Beach 0,81 0,57
Miami 0,78 0,52
New York 0,82 0,66
San Francisco - Oakland 0,72 0,40
- -
New Orleans 0,68 0,25
Minimum 0,35 0,21
Maximum 0,91 0,72
Moyenne 1980 0,69 0,44
-
Source: Oureau, Barbary et LuIJe, 2004: 174.
• Enquête ClOSE-Banque Mondiale 1999. *' Enquêtes ClDSE-IRD 1998 et
CIDSE-Banque Mondiale 1999.... Massey et Demon (I989 : 378-379; 384-385).
Pour les États-Unis, la catégorie" noire" inclut les populations mulâtres.
1. Les terres des « communautés rémanentes des Qui/ombos », les anciennes communautés des esclaves
fugitifs, qui font aujourd'hui l'objet d'une reconnaissance sous forme de propriété collective.
2. Albert B. (1997, cité par Hoffmann, 2004 : 27) parle « d'ethnicité écologiste ". Dans un autre
texte, avec F.-M. Le Tourneau (2004), ils évoquent la figure d'un « cheval de Troie environnemen-
tal ». Sur cette convergence entre ethnicité et « écologisme ", on se reportera utilement à deux
126 articles récents de F. Verdeaux & B. Roussel (2006 : 15-37) et G. Fontaine (2006: 63-80).
ETHNIClTÉ ET TERRITOIRE
ments eux-mêmes n'hésitent pas à jouer de cetre corde, en assignant aux popula-
tions qui bénéficient de la création de nouveaux territoires ethniques une mission
de protection de l'environnement, comme c'est clairement les cas pour les terres
indiennes du Brésil ou pour les terres des communautés noires de Colombie. Peu
importe si dans les faits, sur le terrain, cette mission place les communautés face à
une responsabilité écrasante et difficilement tenable, notamment face à la défores-
tation et à la puissance des enjeux économiques que celle-ci représente.
+
Cordilt~re andine
PÉROU
• Ville
Frontière
- - Limite départementale
~\/
collectifs des communautés noires ", conçus comme un outil de régularisation des
-titres de propriété sur les terres occu pées {( ancestralement )} - mais sans ti tre de
propriété - par des populations paysannes noires installées depuis souvent plus
d'un siècle dans ces régions de forêts tropicales humides. Descendants d'esclaves
affranchis, d'esclaves marrons ou d'individ us libres, les habitants avaient trouvé
dans ces régions marginales et délaissées par les pouvoirs publics comme par les
planteurs (seules y avaient cours des activités d'extraction forestière ou aurifère)
une opportunité de vivre {( Libres ". C'est d'ailleurs sous cet ethnonyme qu'on les
désigne aujourd'hui le plus couramment.
La région du Pacifique est aujourd'hui habitée par un million de personnes,
128 dont la moitié en milieu rural. En 2003, le processus couvrait déjà 80 % des terres
ETH NICITÉ ET TERRITOIRE
3. Ala même date, les rerres indigènes (resguardos) représentaient 310 millions d'hecrares environ,
soit 27 % du territoire colombien. Au total, près d'un tiers du territoire national- en majorité
des espaces périphériques il est vrai - a donc été concédé aux communautés noires et indiennes
dans ce pays. De son côté le Brésil comptait en juillet 2006, d'après les données de l'Instituto
Socioambiental, 580 terres indigènes (dont 413 officiellement homologuées, et le reste en cours
d'identification ou d'homologation), tecouvrant près d'!,1 million de km 2 , soit 12,7 % du terri- 129
toire national et l'équivalent de deux fois la Ftance.
Conclusion
Vincent GOUËSET
132
BIBLIOGRAPHIE
136
TROISIÈME PARTIE
Évelyne MESCLIER
Les espaces ruraux de l'Amérique latine, après avoir été au centre des préoccu-
pations des intellectuels, des chercheurs et des hommes et femmes politiques
pendant une grande partie du xxe siècle, étaient passés à un second plan au fur et
à mesure que l'urbanisation se poursuivait. Alors considérés comme des espaces
de faible modernisation, censés approvisionner à bas prix les villes en cours de
croissance, ils constituent de nouveau aujourd'hui un centre d'intérêt pour les
investisseurs. La mondialisation des marchés alimentaires en est en grande partie
la cause. La libéralisation des échanges, l'amélioration des technologies de condi-
tionnement et de transport, les avancées scientifiques en matière de biotechnolo-
gie, de contrôle des maladies, de croissance des rendements en font un domaine
de plus en plus intéressant pour les grandes multinationales mais également pour
les investisseurs nationaux et locaux. Les espaces ruraux de l'Amérique latine sont
très directement concernés par ces évolutions, à un degré plus ou moins impor-
tant selon leur localisation.
Ces espaces sont très divers. Entre le nord du Mexique à plus de 30° degré de
latitude nord et le sud du Chili et de l'Argentine à plus de 50° de latitude sud, ou
entre les côtes du Pacifique et celles de l'Atlantique, des cordillères aux plaines, on
passe par des contextes écologiques très différents les uns des autres: on peut
qualifier certains climats de tempérés, d'autres de tropicaux, d'autres de tropicaux
de montagne, d'autres encore de désertiques ou semi-désertiques, Or ces contextes
ont une importance particulière lorsque l'on parle d'espaces ruraux, puisqu'ils
déterminent en partie les possibilités de l'agriculture. L'histoire du peuplement,
de l'aménagement du territoire et celle des politiques sont également essentielles
pour comprendre la diversité actuelle des structures agraires: La plus ou moins
grande importance dans les campagnes de populations d'origines variées
(chapitre 1) a joué un rôle, parce que toutes n'ont pas été traitées de la même
façon par les autorités successives, à l'époque coloniale mais aussi républicaine, et
parce que toutes n'ont pas apporté les mêmes héritages en termes d'organisation
sociale et spatiale. Les politiques dans des pays indépendants depuis le début du
XIXe siècle, c'est-à-dire depuis deux siècles,ont été suffisamment différenciées pour
contribuer à cette diversité. Ainsi, dans certains pays, les grands domaines fonciers
ont pratiquement disparu, dans d'autres ils sont demeurés très présents, et il existe 139
LES ESPACES RURAUX DE I:AMÉRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISTATION
1. Cette « économie mondiale » n'est en fait pas encore une réalité, d'après certains économisres:
G. Kébabdjian estime au terme de son analyse que l'économie-monde actuelle est « à mi-chemin
entre deux modèles ou deux ordres: l'ordre international et l'ordre mondial », les États-nations
conservant « une latitude considérable dans la conduite de leurs politiques économiques »
140 (Kébabdjian, 1999 : 56).
INTRODUCTIO\l: DES ESPACES DE NOUVEAU AU CENTRE DE L'ATTENTION
141
L inégalité foncière et sociale en héritage
Évelyne MESCLIER
1. Cf. chapitre 1.
2. La définition du latiftndio (ou latifundium er latiftndia au pluriel, si on choisit de conserver le
mot latin) combine le critère de la taille, importante, de la propriété er du caractère peu intensif 143
de l'exploitation agricole.
LES ESPACES RURAUX DE LAMÉRIQUE LATINE DANS LA MOI\DIALISATlüN
3. "Lhacendado est le propriétaire de l'hacienda, mot qui désigne la grande propriété agricole, quelle
144 que soit l'intensité de son exploitation.
CINÉGALITÉ FONCItèRE ET SOCIALE EN HÉRITAGE
4. Des évolutions et statuts similaires existent dans les autres pays andins, par exemple en Équateur
avec les huasipungos. 145
LES ESPACES RURAUX DE I.:AMÉRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
Cerre vallée très proche de Cusco er si ruée à seulement 2800 mèrres d'alrirude,
ce qui la met à t'abri du gel, a éré le lieu d'aménagemenrs agricoles imporranrs
à l'époque préhispanique: sysrème d'irrigarion. rerrasses avec apporrs de rerre
prélevée dans d'auues locaJirés. Vers la fin du XVIe siècle, alors que la popularion
indigène locale avait déjà considérablemenr diminué, les Espagnols commencè-
renr à y acquérir des fonds en propriété (voir figure 8.1).
146
LINÉGALITt fONClt:RE ET SOCiALE EN HÉRlTAGE
Figure 8.1 - I;organisation spatiale des haciendas à OUantaytamho (Pérou) à l'époque coloniale
+
fIv{V7
2,5Km
~7::J
Limatambo, 3 km
Cuzco, 25 km
Expansion de l'hacienda sur les hauteurs. Cultures vivrières en faire- ~oooll Courbe de niveau
valoir indirect, pâturages naturels pour le bétail de l'hadenda et
fourniture de main-d'Œwre temporaire indigène à la partie centrale.
Sources: G/ave er Remy, J 983; lGN, carte nat/onale dU 1: 100 000, feuille Urubamba
ConcePt/on: MéSCLléR f. - R~.'~" : MfSCUfR f. et RESO - UMR CNRS 6590 ESO
147
LES ESPACES RURAUX DE I.:AMÉRlQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
terres du domaine public à des grands exploitants, même lorsqu'elles étaient déjà
occupées par ce qu'on appelle des posseiros, des familles qui s'étaient déjà installées
et les avaient défrichées. Par ailleurs, à partir de la seconde moitié des années 1950,
la mécanisation permit aux propriétaires de chasser leurs fermiers (ibid.: 341).
Cela créa de plus en plus de familles « sans terre ». On a là, du fait de la mécani-
sation et du développement des cultures d'exportation très rentables, une rupture
des éventuelles solidarités entre les grands propriétaires et les petits exploitants qui
jusque-là pouvaient louer des terres.
Le Paraguay constitue un cas original: le latifùndio sera démantelé après
l'Indépendance (1810), les terres nationalisées et confiées à de petits agriculteurs
familiaux. La désorganisation liée à la guerre du Chaco contre la Bolivie (1932-
1935) ouvrit cependant le pays aux compagnies étrangères, qui s'emparèrent de
vastes territoires, utilisés de manière extensive pour l'élevage et le maté d'exporta-
tion, sans grands besoins de main-d'œuvre (Souchaud, 2002: 46 et s.) Le Paraguay
rejoignit ainsi le modèle des pays voisins.
2004: 70). Au XIXe siècle, l'expansion du café dans le Sud-Est du Brésil s'effectua
de la même façon dans de vastes domaines, propriété de grandes familles brési-
liennes, sur lesquels travaillaient des milliers d'esclaves importés d'Afrique et du
nord du pays: ce n'est qu'au moment de l'abolition (en 1888) qu'on les remplaça
par des immigrants européens, travailleurs salariés endettés et d'ailleurs parfois
réduits à un presque servage (Enders, 1997 : 41 et s.)
Les capitaux étrangers furent dans certains cas très présents. C. D. Brockett
(1991 : 28 et s.) décrit l'apparition en Amérique centrale des grandes compagnies
nord-américaines exportatrices de bananes, l'United Fruit Company et la Standard
Fruit Company. Leur mainmise sur des centaines de milliers d'hectares est liée à
l'apparition du chemin de fer. Le Costa Rica en 1871 avait engagé un célèbre
constructeur, Henry Meiggs, puis ses neveux, dont le plus jeune fonda une entre-
prise bananière; en échange de ses services, le pays lui attribua 800000 acres de
terre (environ 320000 hectares), une concession de 99 ans sur le chemin de fer et
vingt ans d'exemption d'impôts sur la terre. Au Honduras ce furent 400 000 acres
(environ 160000 hectares), à l'origine dispersés mais la compagnie réussit à acca-
parer les terres intercalaires. Au Guatemala, 168000 acres (environ 67000 hectares)
et le même type d'avantages: contrôle du chemin de fer pour 99 ans, en particu-
lier. En Colombie, la United Fruit Company organisa la Zone bananière de Santa
Marta, dans le nord du pays, autour du chemin de fer également: celui-ci devait
relier Santa Marta au fleuve Magdalena mais s'arrêta à Fundaciôn, à la limite de la
zone bananière (Gilard, 2004 : 37).
La formation de très grands domaines à partir de propriétés plus petites carac-
térisa des régions beaucoup plus anciennement mises en valeur. Ce fut le cas sur le
littoral du Pérou: la chute des prix mondiaux du sucre au début du xxe siècle et des
erreurs de gestion amenèrent les anciennes familles propriétaires terriennes à
vendre. Les grandes plantations de canne à sucre devinrent prédominantes; elles se
modernisèrent et bénéficièrent d'investissements nord-américains, anglais et alle-
mands (Macera, 1977: 372). La main-d'œuvre d'abord engagée par des intermé-
diaires pour des périodes de temps déterminées, selon le système de l'enganche,
devint peu à peu permanente. À Cuba, il existait une petite et moyenne propriété
d'origine européenne, née du métayage sur les concessions. La prise de l'île par les
Anglais en 1762 et le développement du marché sucrier des Etats-Unis devenus
indépendants, avec un fort mouvement d'introduction d'esclaves, n'entraînèrent
pas leur disparition dans un premier temps, ni celle du café. La concentration de
l'activité sucrière se produisit à partir de la fin du XIXe siècle, grâce en particulier au
chemin de fer qui permet d'acheminer rapidement la canne depuis plus loin
qu'avec la charrette -la transformation devant être rapide pour éviter les pertes en
sucre (Bret, 1996 : 142) - et grâce à l'intervention de capitaux étrangers également.
En 1927, selon les statistiques fournies par un texte classique, publié en espagnol
à cette époque, la Cuban American Sugar Company possédait 6 usines de transfor-
mation et presque 200000 hectares, la Cuba Cane Sugar Company 12 usines et
146000 hectares, la General Sugar Company 9 usines et 120000 hectares et on
retrouve la United Fruit Company avec 2 usines et 115000 hectares (Guerra,
1990: 87). 1)1
LES ESPACES RURAUX DE rAMÉRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
Dans le cas des grandes firmes, les travailleurs étaient des salariés, venus parfois
des pays voisins, attirés par les bons salaires et les services: éducation, services
médicaux, distractions (Brockett, 1991 : 31). Cependant les prix payés aux maga-
sins des compagnies, qui les fournissaient en nourriture, étaient très élevés et les
conditions de travail, très dures; ce fut aussi dans ces « enclaves» que surgirent les
syndicats de travailleurs les plus puissants. En Colombie, une grève, organisée
pour obtenir de meilleures conditions de travail, une hausse des salaires, la
suppression des magasins de la compagnie et un service de santé, donna lieu le
6 décembre 1928 à une répression incroyablement violente de la part de l'armée
qui mitrailla les manifestants, faisant des centaines de morts (entre 900 et 1 500
selon les sources 9).
Ce dernier exemple n'est qu'un cas extrême dans la violence des rapports
sociaux qui découlent de cette histoire de conquête, de spoliations, d'esclavage et
de servage: la terre reste dans tous les cas un moyen de domination des êtres
humains. Au xxe siècle, la « situation très inégalitaire des structures agraires a été
aggravée par la croissance de la population qui a multiplié le nombre de ruraux en
quête d'un moyen d'existence» (Bret, 1996: 143). Par ailleurs, la modernisation
technologique, les variations des marchés, rendent moins nécessaire la présence de
réserves de main-d'œuvre sur les domaines. Le miniJùndio 10, résultat d'un partage
des terres inégal, devient d'autant moins viable que les ressources complémentaires
(emplois de journalier, contrats agraires) se font rares.
9. :Lévénement est retracé dans Cien afios de soledad, de Gabriel Garcia Marquez, de façon roman-
cée comme le montre J. Gilard, 2004.
10. D'après la définition que donne J. Chonchol, qui se réfère à une étude du Comité Interaméricain
de développement agricole (CIDA), cela revient à parler d'exploitations dont la taille est insuffi-
sante pour occuper à temps complet la force de travail de la famille et qui sont incapables de lui
1,2 procurer un revenu pouvant couvrir ses besoins essentiels (1995 : 271).
Des réformes redistributrices
aux actuelles réformes libérales
Évelyne MESCUER
1. l'.ejido contemporain est une institution créée par la réforme agraire mexicaine, qui est associée à
un territoire soumis à une législation foncière particulière. l~~
2. Gômez Rodriguez, 1977. ))
LES ESPACES RURAUX DE CAMÉRlQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
On peut ajouter que la réforme agraire avait dans les Andes limité l'accès des
paysans à certains étages écologiques, les privant du double avantage de couvrir les
besoins alimentaires de leur famille et d'être occupés de façon productive toute
l'année. En effet, les accords qui les liaient auparavant aux haciendas leur permet-
taient de conserver des parcelles dans les vallées. Les travailleurs permanents, deve-
nus les membres des coopératives, ne leur laissaient plus cette possibilité et ne leur
fournissaient que des emplois durs et mal payés (Brisseau-Loaiza, 1985: 125-126).
Les modifications effectuées à l'époque dans le statut des communautés paysannes,
qui lient résidence et accès à la terre, ont en outre rendu plus difficiles les straté-
gies basées sur les alliances matrimoniales. La réforme agraire a également divisé
les terres des grands domaines que l'on considérait comme le modèle même de la
réussite du capitalisme moderne, sur la côte péruvienne. Ainsi, Pomalca, société
contrôlée par une famille et qui exploitait plusieurs milliers d'hectares de canne à
sucre sur le piémont, un millier d'hectares de riz, confiés à des métayers, dans la
vallée moyenne autour de 300 mètres d'altitude, un millier d'hectares de café vers
1200 mètres (Collin Delavaud, 1968: 365 et s.) et un domaine consacré à l'éle-
vage à 2400 mètres d'altitude 3 fut partagée entre plusieurs coopératives, spéciali-
sées l'une dans la production de sucre, l'autre dans celle du café, la troisième dans
la production de fromage. Cette spécialisation, sans doute jugée la plus rationnelle,
soumit ces coopératives aux risques inhérents au fait de dépendre d'un seul produit
et des variations d'un seul marché (Mesciier, 2003: 109-110). Au tota!, le déman-
tèlement spontané d'un grand nombre de ces structures d'économie sociale, dès la
fin des années 1970, n'est pas surprenant.
Les ambiguïtés caractérisèrent également la réforme agraire menée en Bolivie
à partir de 1953. Théoriquement, celle-ci devait permettre une redistribution
équitable des terres et abolir la grande propriété. Cependant, la limite supérieure
qui fut fixée à la superficie des exploitations agricoles restait très élevée dans les
plaines orientales en particulier, où les propriétés pouvaient atteindre jusqu'à
50000 hectares lorsqu'il s'agissait d'élevage; sur les hautes plaines très peuplées,
les propriétés pouvaient conserver jusqu'à 400 hectares sur les rives du lac Titicaca
et jusqu'à 800 hectares dans le sud du pays (Franqueville, 2000 : 173). Comme
dans le cas péruvien, l'intention des réformateurs fut de favoriser l'organisation
des paysans en coopératives, mais comme au Pérou, ceux-ci préférèrent se répar-
tir les terres (ibid.: 177).
Malgré les tentatives de collectivisation ou étatisation de la production dans les
autres pays d'Amérique latine, le cas de Cuba reste unique. En l'absence d'une
paysannerie importante, c'est à l'État que va revenir l'essentiel des terres expro-
priées. À partir de la révolution de 1959, les plantations sucrières (la canne occu-
pait alors plus de la moitié de la surface totale cultivée) et de façon générale les
grands domaines furent nationalisés en un temps très court. Les fermes d'État
réembauchèrent les travailleurs agricoles. En 1963, devant la résistance des moyens
propriétaires, furent expropriés les domaines de plus de 65 hectares. Subsista
cependant un secteur privé composé d'anciens fermiers, métayers et paysans, dont
une partie vendit progressivement ses terres à l'État. Ces petits paysans privés
1)6 3. Comme le montrent les archives du jùero agrario entreposées à Lima.
DES RÉFORMES DISTRIBUTRICES AUX ACTUELLES RÉFORMES LIBÉRALES
furent incités à partir du milieu des années 1970 à former des coopératives de
production agricole. Dans la deuxième moitié des années 1980, ce secteur privé
ne regroupait cependant plus que 20 % des terres; environ la moitié étaient inté-
grées dans des coopératives (Do uzant-Rosenfeld, 1991 : 19-20).
d'attribuer des terres réputées vides aux familles en manquant. Cette solution a
peu de conséquences sur les espaces anciens, si elle est appliquée seule - dans
d'autres cas elle est complémentaire à des mesures d'expropriation et de redistri-
bution -, mais elle transforme les espaces d'accueil.
Au Brésil, à plusieurs reprises, furent promulgués des textes permettant l'expro-
priation des grands domaines. En 1964, un régime militaire, arrivé au pouvoir suite
à un coup d'État précipité par les revendications paysannes, publia un statut de la
terre prévoyant de repérer les zones de tension: Pernambuco, Paraiba, Ceara, Rio
Grande do Sul, Distrito Federal (Théry, 2005 : 207). Les mesures consistant à
exproprier les exploitations sous-utilisées et à installer des petits exploitants ne furent
cependant jamais appliquées. Le choix finalement fait de privilégier la colonisation
de l'Amazonie se concrétisa avec la succession de l'Institut National de Colonisation
et de Réforme Agraire (INCRA) à l'Institut Brésilien de Réforme Agraire (IBRA).
Le retour à la démocratie ne changea rien à ce choix: une réforme agraire ambitieuse
avait été annoncée par le gouvernement Sarney en 1985, qui prévoyait l'installation
de sept millions de familles sur 480 millions d'hectares, la majorité sur les terres
inurilisées des latifimdios. LINCRA devait procéder aux expropriations. Les grands
propriétaires se défendirent, par la violence et par des actions de lobbying politique.
Finalement, seules un peu plus d'une centaine de milliers de familles reçurent des
terres, de propriété publique (Enders, 1997: 222-223). Elles furent la plupart du
temps installées en Amazonie, dans des régions mal dotées et mal desservies (Théry,
2005 : 207). Les mouvements des sans-terre se poursuivent, les occupants illégaux
sont parfois assassinés par les forces de l'ordre. La violence est particulièrement
importante sur les fronts pionniers (Enders, 1997,222-223).
1 En Équateur, en Bolivie, c'est également essentiellement l'Amazonie qui sert
d'exutoire aux tensions agraires. En Équateur, la plupart des terres attribuées à de
petits agriculteurs par l'Institut Équatorien de Réforme Agraire et Colonisation
(IERAC) le sont dans des régions de colonisation, dans les forêts tropicales
humides du piémont côtier et du bassin amazonien (Breton, 1997: 58 et s.). En
Bolivie, entre 1953 et 1992, des titres de propriété sont distribuées dans les plaines
orientales, dans lesquelles se développent parallèlement, dans la région de Santa
Cruz, de grandes propriétés à vocation exportatrice qui ne sont pas affectées par
les expropriations (Roux, 2006 : 16-17), voire reçoivent des terres de l'Institut
National de Colonisation (ibid.: 157).
C'est ainsi l'Amazonie et ses populations qui supportent les conséquences de
ces « fausses )l réformes agraires: au Brésil, « [ •.. ] les fronts de colonisation consti-
tuent le réceptacle des tensions sociales existant dans les autres régions du pays et
deviennent par là même de nouvelles zones de conflits, à l'échelle amazonienne
cette fois)l (Droulers, 2004 : 69). Dans d'autres régions d'Amérique latine, ce sont
également les forêts tropicales qui serviront de terres de colonisation pour les
paysanneries, comme par exemple dans le cas du Honduras (Merlet, 2003 : 195).
1.4 Le maintien d'un contrôle de l'espace par les populations d'origine indigène
Au Mexique et dans les pays andins le problème de la distribution de la terre
158 était lié à la protection des terres indigènes, puisque c'est sur celles-ci que les
DES RÉFORMES DISTRIBUTRICES AUX ACTUELLES RÉFORMES LIBÉRALES
4. La différenciation interne aux communautés a été largement démontrée, mais n'équivaut pas à
celle qui sépare les membres les plus pauvres et les plus riches des sociétés nationales. 159
LES ESPACES RURAUX DE LAMÉRlQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
144180 423132
0-1 0,8 0,5
1780054 (27,9) (24,2)
--- 1,0
(36,S) 200580 805210
1-5 6,0 5,3
(38,8) (46,1)
622320 55020 246183
5-10 1,2 4,8 4,6
(12,9) (10,6) (14,1)
41320 135684
10-20 7,0 5,0
1516112 (8,0) (7,7)
--- 10,0
(31,3) 42620 83916
20-50 16,5 6,8
(8,2) (4,8)
400375 --22220 -25841
50-100 7,8 17,0 4,8
(8,3) (4,3) (1,5)
----mS57 -9530 19103
100-500 23,6 21,1 10,4
(8,5) (1,9) (1,1)
107765 1440 6704
Plus de 500 56,4 26,8 62,5
(2,2) (0,3) (0,3)
-- --
Source: J'our le Brésil, Segrelles Serrano, 2003 : 210 d'après IBGE, Censo Agropecuario 1995-1996;
pour l'Equateur, Bretôn, 1997 : 55 d'après le recensement national agricole de 1974; pour le Pérou,
160 INEI, recensement agricole de 1994.
DES RÉFORMES DISTRIBUTRICES AUX ACTUELLES RÉFORMES LIBÉRALES
5. On peur se référer pour le comprendre aux essais d'A. Memmi sur la colonisation er sur la dépen-
dance, en gardant à l'esprir que c'esr la colonisarion qui crée le colonisé, et non l'inverse (Memmi,
2002). 161
LES ESPACES RURAUX DE LAMÉRJQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
prouvée très facilement par la signature des voisins ou d'une organisation locale
ou de l'association des irriguants. Les institutions chargées de la sécurisation des
titres de propriété privilégient la rapidité, avec cependant des nuances d'un pays à
l'autre. Au Mexique, dès 1999 les droits collectifs et individuels avaient été certi-
fiés dans 70 % de tous les ejidos et communautés du pays et 54 millions d'hectares
avaient été cartographiés précisément (Robles Berlanga, 2003: 132). Au Pérou,
où les bénéficiaires de la réforme agraire ne disposaient pas de titres en bonne et
due forme, mais aussi où les terres collectives non cultivées représentent de grandes
extensions, en particulier sur le littoral, qui ont fait l'objet d'attributions à des
exploitants individuels, plus d'un million de titres ont été distribués entre 19%
et 2001 selon les informations données par le PETT (Projet Spécial de Titrage des
Terres). Par contraste, l'Équateur en est à une phase expérimentale, dans quelques
cantons. En Bolivie, de même, les moyens sont réduits; l'assainissement a été
confié à des entreprises privées, censées échapper aux défauts de l'institution
publique (corruption, politisation et lenteur), mais fin 2004, après 8 ans d'appli-
cation, 15 % de l'objectif seulement avait été atteint (Urioste, 2004 : 177).
Le caractère récent de ces réformes ne permet pas d'avoir le recul nécessaire à
une évaluation d'ensemble. On peut néanmoins, au vu des résultats d'une
première décennie d'application, formuler quelques hypothèses.
jusqu'à présent n'avaient pas protégé les terres indigènes comme le Brésil, mais
aussi dans des pays où la protection des terres collectives avait été sélective. Ainsi,
au Pérou, les territoires des populations indigènes de l'Amazonie sont aujourd'hui
reconnus, au moment même où la loi permet théoriquement la dissolution des
communautés paysannes « indigènes» de la côte et de la montagne. Au Brésil, la
reconnaissance des droits territoriaux des peuples indigènes a progressé de manière
spectaculaire dans les années 1990: aujourd'hui environ 25 % de l'Amazonie
brésilienne est classée comme « terres indigènes » (Mello et al., 2006).
En Colombie, la loi 70, votée en 1993, prévoit l'attribution de titres collectifs de
propriété aux communautés rurales de peuplement afro-colombien installées dans
les terres basses du Pacifique (Agier et Hoffmann, 1999: 18). Ces populations,
souvent descendantes d'esclaves en fuite, ont colonisé la forêt tropicale entre le
piémont et le littoral et leurs terres, en l'absence de titres, continuaient à apparte-
nir à la Nation. On retrouve cependant les mêmes tensions que dans les terres plus
anciennement reconnues comme collectives: des paysans sont soucieux de conser-
ver les droits qu'ils considèrent comme individuels, sur les parcelles qu'ils cultivent
ou exploitent, mais d'autres opposent de façon absolue ces droits aux droits collec-
tifs et exigent qu'ils renoncent à tout titre individuel. Or la loi en l'occurrence ne
précise pas si les personnes disposant d'un titre individuel doivent y renoncer pour
appartenir à la communauté, ce qui laisse la porte ouverte aux conflits (Agier et
Hoffmann, 1999 : 40).
structurés à l'échelle mondiale a effectivement fait croître la pression sur les terres,
mais cette pression est limitée à certaines régions et le développement de cultures
rentables peu exigeantes en espace, comme les fleurs, contribue à la relativiser.
Le fait de disposer de terres collectives officiellement reconnues n'empêche
souvent pas les alliances avec des investisseurs. En Colombie, sur les terres basses
de la côte Pacifique, la loi 70 oblige maintenant les entreprises privées à obtenir
l'accord des représentants de la communauté pour exploiter des ressources sur son
territoire: cela a amené une entreprise qui exporte des cœurs de palmier à financer
l'installation d'un conseil communautaire pour pouvoir signer le plus rapidement
possible les accords d'exploitation! (Agier et Hoffmann, 1999 : 34). D'autres entre-
prises, forestières ou minières, ont échoué à signer des accords, considérés trop peu
équitables par la population (ibid.). Dans les ejidos mexicains, la possibilité de louer
des terres à des personnes ou sociétés extérieures existait dans les faits. La réforme
a aidé les entrepreneurs à formaliser leur contrôle sur les terres (Bustamante, 1998 :
203). Les ventes de terre en revanche semblent être assez rares.
Dans d'autres cas, les entreprises se retrouvent en situation d'acheter des
parcelles sur les territoires collectifs. O. VeLisquez (2001 : 231) attribue le titrage
individuel des terres de la communauté paysanne de Virû, sur le littoral péruvien,
à l'intervention d'un consortium agro-industriel, Campo Sol: celui-ci aurait géré
en sous-main la création d'une commission de liquidation qui s'est chargé de déci-
der de l'attribution de titres individuels dans la communauté, vendus ensuite à bas
prix à l'entreprise. Dans la montagne, à Ancash, c'est l'espoir d'une négociation
des terres avec une compagnie minière qui entraînerait le choix exprimé par
certains d'un titrage individuel (ibid., 222). J. L. Chaléard et É. Mesclier (2006)
montrent, pour le nord du Pérou, que les entreprises d'exportation de la mangue
s'installent dans les aires anciennement irriguées mais aussi sur des terres arides
qui ont été des pâturages appartenant à des communautés paysannes, cultivés
seulement lors des années les plus humides; elles y installent leurs plantations
grâce à des puits tubulaires. Elles achètent ces terres à des membres des commu-
nautés ayant obtenu des titres individuels. ~installation de ces firmes est considé-
rée de façon positive par les autorités nationales, régionales et bien souvent locales.
Ces entreprises sont jugées aptes à prendre en compte les nouvelles conditions de
l'activité agricole dans les pays d'Amérique latine, telles que décrites dans le
chapitre suivant.
169
Agribusiness et paysanneries
dans la nouvelle donne mondiale
Évelyne MESCLIER
aux producteurs - on le voit dans le cas du Brésil, qui a fait des efforts importants
pour améliorer les technologies et les infrastructures (Bertrand et Théry, 2006) -;
et les investissements d'entreprises multinationales dans des secteurs comme le
soja. Parallèlement, la capacité de stabilisation des marchés des pays leaders sur
certains produits diminue et les prix deviennent instables. C'est aussi à partir des
années 1970, mais beaucoup plus nettement à partir des années 1980, que les
politiques mondiales s'orientent de nouveau vers une division internationale du
travail: les négociations du Cycle de l'Uruguay, puis la conférence de Marrakech
tendent à pousser les pays à rompre avec la protection de leur marché domestique
(Daviron, 1999: 14).
Il ne s'agit pourtant pas d'un retour à la situation du XIxe siècle. Du fait des
héritages de leurs politiques protectionnistes du xxe siècle, les pays industrialisés
conservent une place importante dans la production alimentaire. Leurs agricul-
teurs continuent à recevoir des subventions, même si les négociations internatio-
nales ont amené le démantèlement d'un certain nombre d'entre elles. À la fin des
années 1990, parmi les 15 premiers pays exportateurs de produits agricoles du
monde, figuraient les États-Unis, le Canada, l'Australie et huit pays de l'Union
Européenne. Les États-Unis sont toujours de loin le premier exportateur de
céréales en volume. Une des conséquences est que le type de produits que les pays
d'Amérique latine peuvent vendre sur les marchés mondiaux s'est modifié. Puisque
les pays occidentaux produisent et exportent des aliments de base (céréales, viande,
produits laitiers), les pays « en développement li doivent chercher d'autres spécia-
lisations. Durant les années de protectionnisme, ils s'étaient retrouvés cantonnés
aux produits dits « exotiques li, « boissons tropicales li en particulier (café, cacao,
thé) et sucre. LAmérique latine se spécialise aujourd'hui également dans des
produits de complément à la consommation des pays riches, qui peuvent être
conditionnés et transportés plus facilement grâce au progrès technologique: fruits,
légumes - tropicaux ou tempérés -, fleurs, ensemble de produits qui correspon-
dent à l'appellation d' « exportations non traditionnelles li; et dans les matières
premières, soja en premier lieu. Les « avantages comparatifs 2 li auxquels il est fait
souvent référence sont en particulier liés aux conditions géographiques (chaleur,
ensoleillement, etc.) mais on a également un effet des constructions politiques et
économiques. Les pays « en développement li doivent s'adapter aux marchés des
pays riches et éviter d'entrer en concurrence avec les productions d'agricultures
subventionnées, soit en produisant d'autres produits, soit en les produisant à des
époques différentes de l'année: fruits de contre-saison, par exemple.
Ainsi, des pays comme la Colombie ou plus récemment l'Équateur se sont mis
à produire et exporter des fleurs coupées (figure 10.1). Ils ont participé à l'expan-
sion mondiale de cette activité au cours des trois dernières décennies. Les fleurs
sont typiquement un produit « de complément li, dont la production est moins
2. La théorie des avantages comparatifs, élaborée par D. Ricardo en 1821, stipule que, dans un
contexte de libre-commerce, si chaque pays se consacre à ce qu'il peut produire au meilleur coût,
pour lequel il a donc un avantage relatif (non nécessairement absolu: un autre pays pourrait éven-
tuellement produire ce produit moins cher, mais il se consacrera lui-même à produire ce pour
quoi il a le plus d'avantage), tous les pays seront gagnants (Ricardo, 1993). 173
LES ESPACES RURAUX DE CAMÉRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
chère dans les vallées andines de Colombie et d'Équateur (autour de 2500 m d'al-
titude) qu'en Europe, grâce aux températures tempérées toute l'année et à l'enso-
leillement naturel. Le développement des technologies de conservation et de trans-
port permet de les exporter « en frais ». Un autre pays du Sud, le Kenya, s'est aussi
lancé dans la production. La Hollande est cependant toujours le premier expor-
tateur, grâce à la proximité géographique des consommateurs, à sa productivité,
sa capacité d'innovation et à l'efficacité des structures de commercialisation et
distribution (Gasselin, 2000 : 250). Dans le cas du Pérou, les exportations agri-
coles, basées dans les années 1970 sur trois produits anciens du commerce inter-
national, le café, le coton et le sucre, se sont diversifiées à partir de la fin des
années 1980 (fIgure 10.2). Les asperges ont participé de façon notable et précoce
à cette diversifIcation. D'abord exportées en conserves, elles peuvent maintenant
être transportées fraîches jusqu'aux marchés de consommation. D'autres
« nouveaux produits d'exportation ", qui peuvent correspondre à des productions
anciennes jusqu'alors destinées aux marchés locaux ou nationaux, comme les
mangues, acquièrent de l'importance. Les prix au producteur des produits d'ex-
portation non traditionnels ont tendu à être plus stables pendant la décennie 1990
que ceux des denrées échangées de plus longue date sur les marchés internatio-
naux (fIgure 10.3). En raison des surproductions sur des marchés évoluant main-
tenant peu, les variations de prix ont été fortes pour ces dernières; les cafés de
qualité (cafés colombien et péruvien) sont tout aussi sujets à des diminutions
brutales des prix de vente que le café brésilien, en moyenne plus médiocre. Les
marchés des exportations non traditionnelles ont été plus stables, malgré la
concurrence entre les pays: dans le cas des produits frais, chacun peut occuper un
créneau particulier dans l'année, ce qui évite la surproduction.
Ces évolutions pourraient paraître de prime abord favorables aux pays latino-
américains. Les exportations agricoles contribuent au retour à la croissance écono-
mique et participent au développement des autres secteurs en générant des devises.
Les marchés protégés sont remis en question par des pays producteurs du Sud,
comme par exemple dans le cas du Protocole sucre: avec l'Australie, le Brésil a ainsi
déposé une plainte devant rüMC, contre l'Europe qui non seulement garantissait
les prix d'achat du sucre de ses betteraviers et sucriers et de ceux des pays ACP et
des îles à sucre du Commonwealth, mais encore en réexportait une partie. Il a
gagné son procès (Grégoire, 2006). Les anciens produits d'exportation peuvent
éventuellement devenir plus rentables au fur et à mesure que les protections
spéciales accordées par les pays européens à leurs anciennes colonies sont remises
en cause par les négociations internationales. Ce mode d'insertion dans la mondia-
lisation suscite cependant un certain nombre de critiques, liées à ses résultats
économiques et sociaux et parce qu'il ne s'inscrit pas dans le cadre d'un dévelop-
pement « durable ».
174
AGRIBUSINESS ET PAYSANNERIES DANS LA NOUVELLE DONNE MONDW-E
Figure 10.1 - Les exportations de fleurs coupées, en milliers de $, entre 1970 et 1998
En milliers de $
4500 0 0 0 . , - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - , .
1 500 OOO+---------,.!--C'"-- - - - - - - - - - - - - - -
"
500 OOOt----...,..,.:...,-"-'------
~ ~ .....
1970 1980 1990 1995 1998
Source: D'après Kouzmine, 2000, cité par Segrelles Serrano, 2003. Données de la
CEPAL
En pourcentage de la
valeur totale
100
90
80
70 _ AUlres'
r=I Sucre
_ Asperges fraiches
60
_ COlon
_ Cochenille
50
I:=J Asperges en conserve
_ C.ré
40
30
20
10
17)
LES ESPACES RURAUX DE CAMËRJQUE LATINE DANS LA MONDlALlSATION
En USS/tonne
3000
2500
2000
1500
1000
500
.......
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
Source: fAOSTAT.
1.3 Les limites des avantages de la nouvelle situation pour l'Amérique latine
La spécialisation des pays du Sud dans la production de matières premières
suscite les critiques depuis bien avant la phase actuelle de la mondialisation. Cene
spécialisation est en fait obtenue anificiellement: les droits de douane e[ les
subventions qu'appliquent les pays du Nord limitent la possibilité des pays du Sud
de s'engager dans des productions à plus fone valeur ajoutée, qui créeraient des
emplois e[ augmenteraient leurs ressources. Le prix Nobel d'économie 2001
]. Stigli[z donne l'exemple de l'é[hanol: les Éta[s-Unis taxent les importations de
0,54 $ par gallon e[ subventionnent leurs producteurs à hauteur de 0,51 $ par
gallon. Le Brésil, qui produit de l'é[hanol à partir de la canne à sucre à un coût
beaucoup moins cher que les producteurs américains à panir du maïs, ne peur
donc pas exporter ce produit transformé (Stigli[z, 2006).
Par ailleurs, l'actuelle mondialisation a ses propres caractéristiques. Les pays du
Nord tiennent aujourd'hui à rester de gros producteurs de produits a1imen[aires.
La concurrence entre eux e[ les pays du Sud est largement inégale. La deuxième
« révolution agricole », qui a eu lieu après la Seconde Guerre mondiale, avantage
les premiers: le rappon entre la productivité du [ravail de l'agricul[ure la moins
productive e[ la plus productive est aujourd'hui de 1 à 500, alors qu'il était de 1 à
10 au débur du xx e siècle (Mazoyer e[ Roudan, 1997, 594). La hausse de la
productivité, les politiques d'aide au développement agricole dans les pays occi-
dentaux, ont abouri à déséquilibrer les marchés en raison de la production d'excé-
dents. Ces excédents, dans un contexte de libre commerce, auquel s'ajoure l'aide
176 alimentaire fournie par les pays du Nord au pays du Sud, ont provoqué une chute
AGRIBUSINESS ET PAYSANNERIES DANS LA NOUVELLE DONNE MONDIALE
des prix des céréales et des denrées vivrières qui leur sont substituables dans les
pays du Sud (Mazoyer et Roudart, 1997, 596). Ainsi, les pays d'Amérique latine
importent des céréales pour une valeur toujours croissante - même si ces échanges
se réalisent pour une bonne part (l 900 millions de dollars sur 5 100 millions en
1997) entre pays latino-américains. (Segrelles Serrano, 2003: 78-79).
La tendance des États-Unis et aujourd'hui de l'Europe à signer des accords bila-
téraux avec les pays du Sud est récente et remet en cause le multilatéralisme des
années antérieures. Laccord signé entre les États-Unis, le Canada et le Mexique en
1992 (traité de libre commerce de l'Amérique du nord) semble avoir eu plus d'in-
convénients que d'avantages pour le pays latino-américain. En raison de la plus
grande productivité des agriculteurs des voisins du Nord, le Mexique a augmenté
ses importations en grains (maïs, blé, sorgho) et oléagineux; l'effet sur sa balance
commerciale n'a pas été compensé par les exportations de fruits et légumes
(Marafi6n et Fritscher, 2004 : 205). Les pays andins producteurs de drogue
(Bolivie, Colombie, Équateur et Pérou) qui bénéficiaient d'un accord favorisant
leurs exportations légales vers les États-Unis depuis 1991 avec l'ATPA (Andean
Trade Preferences Act), puis avec sa prolongation, l'ATPDEA (Andean Trade
Promotion and Deug Eradication Act), signée en 2002, perdront cet avantage le
31 décembre 2006, alors que la signature de traités de libre commerce bilatéraux
est en cours. Lopinion de J. Stiglitz: « Les pays en développement ont peu à
gagner et beaucoup à perdre à signer ces accords [... ] » (Stiglitz, 2006) semble vali-
dée par les faits. Les pays d'Amérique latine, comme le Mexique, le Pérou ou la
Colombie, qui ont signé des accords avec les États-Unis ou sont sur le point de le
faire, n'ont pas les moyens économiques de subventionner leurs agriculteurs au
même niveau, d'autant que ceux-ci sont encore très nombreux. Ainsi, au Pérou,
on dénombrait 1,7 million d'exploitations individuelles lors du recensement
agraire de 1994, sur lesquelles vivent 8,5 millions de personnes, soit un tiers de la
population du pays 3. Par comparaison, en France, plus de deux fois plus peuplée,
on ne compte qu'un peu plus de 700000 exploitations et la population des
ménages agricoles ne représente guère plus de 5 % de la population (Colombel,
2000 : 52). Laccord en cours de signature entre le Pérou et les États-Unis, qui
devrait être ratifié par ces derniers en 2006, prévoit que seront versées des compen-
sations aux agriculteurs péruviens pendant cinq ans, alors que les États-Unis
auraient dû réduire leurs subventions en fonction du Cycle de Doha de
l'Organisation Mondiale du Commerce. Léchec de ce dernier, suspendu en
juillet 2006, fait craindre une entrée massive de produits nord-américains subven-
tionnés sur les marchés péruviens: blé, maïs, orge, coton (La Republica, 20 août
2006: 15), pendant une période probablement plus longue. Parallèlement, dans
la mesure où tous les pays du Sud sont encouragés à produire le même genre de
produits alors que le marché des consommateurs est déjà saturé, ils entrent rapi-
dement en concurrence les uns avec les autres: de nouveaux exportateurs apparais-
sent, comme le Viet-Nam pour le café, la Chine pour les asperges, etc.
Linfluence des entreprises multinationales agroalimentaires sur l'activité
productive, dans le cadre de ce qu'on appelle l'agribusiness, est également une des
2. Révolutions technologiques
et transformation de l'utilisation des milieux
Les stratégies d'autosuffisance, tout autant et sans doute plus que la croissance
accélérée de la population mondiale, ont conduit, surtout à partir de la Seconde
Guerre mondiale, à privilégier l'intensification de l'agriculture. Cette intensifica-
tion amena à des changements de paysages radicaux dans les pays occidentaux: le
désenclavement des régions agricoles, la motorisation, l'emploi d'intrants indus-
triels libérèrent les exploitations « [ ... ] de la nécessité de se fournir elles-mêmes en
biens de consommation variés et en biens de production essentiels (force de trac-
tion, fourrages, fumure, semences, animaux reproducteurs, outils, etc.) [...] »
(Mazoyer et Roudart, 1997 : 494), de telle sorte qu'elles se spécialisèrent dans
quelques productions.
Lagriculture latino-américaine, très ancienne, avait de son côté évolué à partir
de la Conquête sans que soient gommés complètement ses caractères originaux,
surtout dans les foyers de son développement. Les révolutions agricoles modernes
eurent des effets limités spatialement et se concentrèrent dans les grandes exploi-
tations.
sés au Brésil et le reste, essentiellement dans les pays du cône sud et au Mexique.
Laugmentation de l'utilisation des fertilisants chimiques dans les années 1970 fut
très rapide au Venezuela et au Brésil et également importante en Équateur, au
Mexique, en Colombie et au Nicaragua (Chonchol, 1995 : 282).
grandes superficies. Ces techniques, qui font appel à un matériel souvent trop
coûteux pour les petits producteurs, n'évitent pas les problèmes de remontée de la
nappe phréatique dans les vallées anciennes, en contrebas des nouveaux périmètres,
ni les phénomènes de salinisation. Une autre technique, employée depuis le milieu
du xxe siècle mais devenue plus répandue, est le creusement de puits tubulaires
atteignant plusieurs dizaines de mètres et dont l'installation puis le maintien en
fonctionnement, grâce à des moteurs à essence, sont presque inaccessibles pour les
petits exploitants, surtout depuis la hausse du prix du carburant (Chaléard et
Mesclier, 2006). Dans d'autres régions d'Amérique latine, l'irrigation permet de
prolonger la saison de production de telle ou telle culture, ce 9ui permet de jouer
sur les variations des prix annuelles. Ainsi, dans le sud de l'Etat du Veracruz au
Mexique, les producteurs d'ananas capables d'installer un système d'irrigation
peuvent-ils mieux maîtriser les variations des prix en modifiant les périodes de
production (Duhalt et al, 2006).
299). Il étaye ce diagnostic par la faible évolution des rendements agricoles à l'hec-
tare. Il faut cependant rappeler que le calcul des rendements est souvent peu précis.
Malgré ces résultats qui peuvent paraître décevants, il y a eu de toute évidence
des changements techniques dans les campagnes latino-américaines au cours des
dernières décennies. Les quelques pays qui ont modifié leurs structures agraires au
point de rendre nettement majoritaires les petites exploitations ont été amenés à
développer l'assistance technique et le crédit agricole dirigés à celles-ci, pour tenter
de maintenir la productivité de leur agriculture. La présence des techniciens de
l'État, dans le cadre des expériences coopérativistes ou de soutien aux dynamiques
des communautés paysannes, les subventions accordées aux producteurs pour
l'achat des intrants, les banques spécialisées accordant des prêts à taux réduit, les
efforts des Organisations Non Gouvernementales et de la coopération internatio-
nale, ont contribué à la diffusion du « paquet» de la révolution verte: semences
améliorées, engrais chimiques, pesticides. On a pu ainsi parler, dans le cas du
Mexique, d'un véritable « miracle» au vu de l'augmentation accélérée de la
productivité et de la production entre 1950 et 1965 - ces résultats n'ont cepen-
dant eu qu'une portée limitée dans le temps (Diego, 1998 : 23).
[hétérogénéité de l'adoption des éléments de la révolution verte a été souli-
gnée par plusieurs auteurs. La croissance démographique, qui génère une intensi-
fication de l'usage des ressources, et la possibilité de vendre une partie de la
production, sont des facteurs prépondérants de cette adoption, ce qui explique
également la différenciation entre les lieux. Dans le cas de la cordillère péruvienne,
E. Gonzales de Olarte et B. Kervyn démontrèrent que le changement est continu,
mais lent, parce que les nouvelles technologies, développées pour les agriculteurs
d'autres parties du monde, ne sont pas divisibles et pas adaptées au milieu local;
et parce que les paysans préfèrent adopter des stratégies plus rentables ou moins
risquées, comme la diversification de leurs activités et la migration (Gonza1es de
Olarte et Kervyn, 1987: 164 et s.). [adoption plus rapide de nouvelles techno-
logies par certains exploitants est souvent liée à un ensemble de caractéristiques,
dont les réseaux de relations qui permettent d'accéder à l'information, au crédit,
aux marchés (Mesclier, 1991).
Même dans des pays où les résultats apparaissent mitigés, les recensements
agricoles montrent que certains éléments de la révolution verte se sont cependant
assez amplement diffusés. Au Pérou, lors du dernier recensement agricole en
1994, un quart seulement des exploitations n'utilisaient aucun des principaux
intrants agricoles. [usage des engrais organiques était amplement diffusé (55 %
des exploitations), comme celui des insecticides (40 % des exploitations), suivis
par les fertilisants chimiques et les fongicides. En revanche les semences et plants
améliorés n'étaient utilisés que par 16 % des exploitations (INEI, 1994). On
retrouve en partie les caractéristiques de la diffusion de la révolution verte obser-
vées par E. Gonzales de Olarte et B. Kervyn sur un échantillon d'exploitations
proches de Cusco au tout début des années 1980, du moins dans le plus grand
usage des pesticides qui permettent de diminuer le risque de perte de la récolte;
les mêmes auteurs observaient que la diffusion des semences améliorées avait
commencé dans la vallée et commençait à s'étendre sur les hauteurs (Gonzales de
182 Olarte et Kervyn, 1987: 145), dynamique qui ne semble pas s'être poursuivie à
AGRIBUSINESS ET PAYSANNERIES DANS LA NOUVELLE DONNE MONDIALE
l'échelle du pays. En Colombie, dans le cas des régions de minifundio, entre les
années 1940 et 1970, il n'y a pas eu de changement technologique; mais avec la
mise en place de programmes d'aide de l'État (crédit et assistance technique), une
rupture est évidente à la fin des années 1980 (Forero Alvarez, 1999: 212). Dans
les autres régions de Colombie, le changement est encore plus généralisé (ibid. :
198). Au Chili, au Honduras, on retrouve une grande hétérogénéité de l'adoption
de la « modernisation» en fonction des types d'exploitations et de leurs objectifs:
les paysans de Chiloë qui ont des exploitations trop petites pour générer l'en-
semble de leurs revenus et doivent travailler à l'extérieur n'ont pas comme préoc-
cupation principale d'accroître la productivité mais plutôt d'accumuler du bétail
et finalement des terres, pour augmenter leurs marges de sécurité; de même dans
le cas des exploitations familiales pratiquant l'élevage dans la région de La Ceiba
au Honduras (Durand, 1993, 27 et s.). Cependant, de façon globale, les agricul-
teurs chiliens utilisent une quantité de fertilisants bien plus grande que ceux des
pays voisins et de la moyenne des pays latino-américains (tableau 1O.I). Les agri-
culteurs argentins semblent avoir compté longtemps sur la fertilité naturelle de
leurs terres, mais sont entrés dans une dynamique différente avec l'accroissement
des exportations de grains; les agriculteurs brésiliens, chiliens, uruguayens prati-
quent eux aussi une agriculture très différente de celle de la Bolivie, ce qu'on
retrouve dans les chiffres de leur consommation respective de fertilisants par
hectare cultivé.
Tableau 10.1 - 1: intensité de l'utilisation des fertilisants dans les pays du Mercosur
Argentine 6 30,3
Bolivie 2 0,9
Brésil 67,8 89,8
Chili 88,5 206,8
Paraguay 3,9 28,6
Uruguay 52,9 103,5
Amérique latine et Caraïbes 59,2 71,9
limite de la rentabilité en leur offrant des taux d'intérêt très bas, a rompu cette
dynamique. Au Pérou, la Banque Agraire avait après la réforme agraire financée
principalement les unités associatives, qui reçurent jusqu'à 87 % de la valeur du
crédit distribué, pendant la campagne agricole 1975-1976. Mais la part des agri-
culteurs individuels, essentiellement de petits exploitants, remonra à partir de la fin
des années 1970. Dans la deuxième moitié des années 1980, un programme de
financement avec des taux réduits (jusqu'à zéro pour cent d'intérêt dans les
provinces les plus pauvres) devait tout particulièrement favoriser les producteurs les
moins aisés. Ceux-ci n'acceptèrenr cependant pas nécessairemenr de prendre le
risque d'intensifier leur production - donr les prix de venre restaienr bas - et s'abs-
tinrenr d'emprunrer ou encore utilisèrent l'argenr dans des activités plus promet-
teuses ou pour faire face à une nécessité d'argenr, quitte à susciter le méconrente-
ment et les commenraires teinrés de racisme des ingénieurs de la banque (Mesc1ier,
1986: 93 et s.). La disparition de la Banque Agraire a mis en difficulté des agricul-
teurs un peu plus aisés, anciens travailleurs d'haciendas s'étant réparti des quanti-
tés de terres assez importanres dans les campagnes les plus fertiles et les mieux
reliées au marché, qui avaienr pris l'habitude d'investir des sommes importanres
dans leur campagne annuelle pour acheter une diversité de produits phytosani-
taires. Ces agriculteurs se débattenr pour refinancer leur dette, choisissenr éventuel-
lemenr de vendre ou de louer des parcelles pour la rembourser. De même, en
Argenrine, la fin de l'octroi de crédits de campagne par la banque d'État et les taux
d'intérêt pratiqués par les banques privées onr provoqué un endettemenr des petites
et moyennes exploitations, accompagné de l'hypothèque des terres ou de leur
venre, ce, malgré les mesures de refinancemenr (Albaladejo et Tulet, 2001: 28-29).
La rupture n'est cependant pas toujours considérée comme catastrophique. Au
Nicaragua, les analyses s'accordent pour estimer que le crédit bon marché et les
subventions ont abouti à un gaspillage de moyens: investissements peu rentables
dans l'achat de camions plus que dans l'agriculture elle-même, utilisation massive
mais peu efficace d'intrants et de machines, sans augmentation des rendements
(Groot, 1993). Larrêt de ces politiques ne représente donc pas nécessairement un
changement important. Dans le cas de pays comme la Colombie, où le contraste
était resté vif entre grands producteurs et paysans, ces derniers ne recevaient qu'une
faible partie des prêts: en dehors du cas spécifique des caféiculteurs, ils ne culti-
vaient que 28 % de leurs superficies avec un financement de ce type et recevaient
moins de 40 % du total des prêts destinés au secteur, alors qu'ils représentaient
65 % de la production agricole (Forero Âlvarez, 1999 : 225). Selon A. Baldzar
(2001 : 244), l'impact de la réduction de ces aides fut limité pour les petits
producteurs, qui n'y avaient qu'un accès limité.
Parallèlement, on assiste également à la disparition ou la marginalisation des
institutions d'État chargées de la recherche agronomique, mais celles-ci n'avaient
souvent qu'un rôle modeste (voir par exemple dans le cas péruvien, Eguren, 2004 :
39). Les institutions spécialisées dans le financement, l'assistance technique et la
commercialisation de produits spécifiques, disparaissent également, comme au
Mexique Inmecafé et Tabamex (Diego, 1998 : 33) ou encore l'organisme d'inter-
vention de l'État sur le marché interne des céréales en Argentine, la Junta Nacianal
184 de Cranas (Albaladejo et Tulet, 2001 : 23).
AGRJBUSINESS ET PAYSANNERJES DANS LA NOUVELLE DONNE MONDIALE
Dans la mondialisation libérale, force est de constater qu'il existe une grande
diversité de situations. Au tout début des années 1990, T. Linck affirmait: « Le
choc libéral est très dur; seules peuvent s'en prémunir les exploitations les plus
ouvertes au changement et les sociétés rurales les plus aptes à favoriser la coordi-
nation des efforts productifs de ses membres et à stimuler leur adhésion à des
réseaux de commercialisation ou d'encadrement technique et financier. » (Linck,
1993 : 18). J. Bourliaud (2001) en a comparé les effets à ceux d'une guerre.
J.-c. Tulet, C. Albaladejo et R. Bustos Cara (2001) ont quant à eux montré la
diversité des réponses locales face aux changements macro-économiques, en s'in-
téressant tout spécialement à l'effet des identités culturelles. De façon générale, les
situations locales, nées des conditions physiques, des histoires culturelles et
sociales, des structures agraires et de leurs évolutions, multiplient les différences,
malgré la force des tendances mondiales. La géographie est donc essentielle pour
analyser ces changements qui, tout en allant grossièrement dans une même direc-
tion, sont dans le détail d'une grande complexité, à tel point que des inflexions
semblent toujours possibles.
188
Territoires et sociétés:
des évolutions spatialement très différenciées
Évelyne MESCLIER
189
LES ESPACES RURAUX DE I:AMÉRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
de 3000 hectares au total cependant à la fin des années 1990, d'après Gasselin,
2000: 239). En 1998, près de 70 % des surfaces étaient situées près de Quito, qui
dispose d'un aéroport international (ibid. : 249).
La culture des Heurs ne nécessite pas de grandes superficies, mais en revanche
elle suppose de disposer de capitaux importants: de 50000 à 350000 dollars
américains par hectare selon P Gasselin (ibid.: 269). Les capitaux étrangers se
mêlent aux capitaux nationaux, qui dans le cas de Bogota sont en général ceux de
grandes familles terriennes, propriétaires des terres du haut bassin: en 1996, les
parcelles de plus de 100 hectares occupaient 28 % des superficies de la région, ce
qui est un indicateur indirect de l'importance de la grande propriété. Les serres
sont souvent installées sur des haciendas d'élevage (Mesciier, 2005 : 304 et s.).
Dans le cas de Quito, les exploitations qui se consacrent à la floriculture profitent
de la persistance de la grande propriété foncière dans le fond de la vallée interan-
dine, lorsqu'elles n'en sont pas directement issues: certaines plantations font plus
de 20 hectares. Outre les propriétaires terriens, des entrepreneurs, des fonction-
naires et des investisseurs étrangers, souvent colombiens, ont apporté des capitaux
(Gasselin, 2000 : 263 et 264).
Cagriculture de commodities nécessite beaucoup plus d'espace que les cultures
de niche pour être rentable: les économies d'échelle sont importantes pour obte-
nir les coûts les plus bas possible, sur des produits par ailleurs indifférenciés, pour
lesquels la qualité n'entre pas en ligne de compte. Si cela peut pousser les entre-
preneurs à chercher des terres libres, des espaces tout à fait centraux et très fertiles,
comme la pampa argentine proche de Buenos Aires, sont aussi entrés dans la
dynamique de la production de soja (Guibert, 2005). Les structures agraires héri-
tées sont une des raisons de la facilité avec laquelle on a pu avoir ce phénomène:
les exploitations étaient de grande taille. Par ailleurs, des exploitations plus petites
peuvent participer à ces dynamiques, dans la mesure où certains des facteurs de
production, peu divisibles, sont fournis par d'autres entrepreneurs: c'est le cas des
machines agricoles, qui appartiennent à des entreprises spécialisées, vendant leurs
services aux exploitations de taille moyenne (ibid.).
191
LES ESPACES RURAUX DE L'AMËRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
Photo Il.1 - Des cultures dans le désert: Chavimochic sur la côte nord du Pérou
territoire, et tout particulièrement pour construire les routes qui leur permettront
d'éviter des coûts de transport trop élevés: le principal port d'embarquement se
trouve aujourd'hui à plus de deux mille kilomètres de la principale région de
production! (Bertrand et Théry, 2006).
Si les terres basses paraissent plus favorables à ces dynamiques, les hautes terres
sont parfois également le lieu d'une expansion de la frontière agricole, sous l'effet
du développement d'une culture d'exportation. Ainsi, le quinoa de plus grand
intérêt commercial, car le plus demandé sur les marchés nord-américain et euro-
péen, mais aussi péruvien et équatorien, dit quinoa « royal », ne peut être cultivé
dans l'état actuel du développement des variétés que sur les rives des lacs salés des
hautes plaines du sud de la Bolivie. Cela a entraîné depuis les années 1980 une
intégration massive des pâturages d'altitude, composés d'espèces natives, aux terres
agricoles, avec l'utilisation du tracteur pour les labours (Laguna, 2002 : 106 et s.).
En 1980, les superficies cultivées en quinoa étaient dans cette région d'environ
10 500 hectares, elles étaient en 1999 de presque 20700 hectares (ibid.: 109).
Dans la région d'Ayacucho, au Pérou, l'achèvement du canal Cachi, récemment
terminé et conçu pour irriguer 14500 hectares, entre 3000 et 4000 mètres d'al-
titude, a déjà attiré des investisseurs, qui louent des pâturages aux communautés
pour cultiver des pommes de terre ou, plus bas, des culrures maraîchères d'expor-
tation, sur des terres d'autant plus fertiles qu'elles n'avaient encore jamais été culti-
vées 1. LUSAID met par ailleurs en contact paysans er exportateurs, afin de
permettre l'accès des premiers à des filières rentables, avec un succès il est vrai
encore limité. Sous l'impulsion de l'État qui prévoit d'exempter d'impôt les entre-
prises s'installant en altirude (plan « Sierra Exportadora » qui a été mis en marche
en 2006 par le président récemment élu A. Garda), ces dynamiques ont de fortes
chances de se consolider.
1. Entrevue et visite de terrain avec des responsables du Projet Spécial d'Irrigation Cachi, PERC,
novembre 2005, en compagnie de A. Huamantinco, dans le cadre de la recherche commune 193
Université Nationale de San Marcos-IRD.
LES ESPACES RURAUX DE CAMÉRJQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
Figure Il.1 - Les évolutions des superficies plantées en coca en Bolivie, en Colombie
et au Pérou entre 1995 et 2005
En hectares
250000
200000 Colombie
• Pérou
150000
Bolivie
'00000
50000 /
2005
Une partie seulement des hectares cultivés au Pérou correspond à la coca auto-
tisée, qui n'est pas destinée à la production de cocaïne: la mastication de la feuille
et sa consommation sous forme d'infusion ne sont pas considérées comme nocifs
et répondent à des usages rituels, sociaux et alimentaires anciens 2. [État commer-
cialise une partie de cette coca et une autre partie est vendue de façon informelle,
en contrebande - en Bolivie, de même, 12000 hectares sont autorisés (UNOOC,
2006 : 7). Le reste de la demande vient des trafiquants de drogue, qui élaborent
ou font élaborer la cocaïne à partir des feuilles et d'ingrédients chimiques. Au
Pérou, la région de Tingo Maria, dans le Haut Huallaga, qui est reliée par la route
à Lima, a cessé d'être le principal centre de production. La coca y était cultivée sur
de grandes superficies, sous la protection du mouvement maoïste Sentier
Lumineux. La défaite de ce dernier, la destruction des infrastructures de transfor-
mation et de transport par avionnettes, les opérations d'éradication sur le terrain
ont peu à peu forcé les producteurs à abandonner la culture et les narcotrafiquants
à abandonner la région. La présence de grandes superficies de coca avait par
ailleurs favorisé la diffusion d'une maladie, un champignon, jùsarium oxysporum
(Bourliaud et al.: 1998). Aujourd'hui, les stratégies sont comparables à celles des
entreprises du soja: la recherche de terres neuves et peu occupées, mais on cherche
qui plus est à être en dehors des aires où intervient l'État. La pénétration de la forêt
s'effectue en général le long des cours d'eau (figure II.2). La mise au point de
nouvelles variétés de coca, qui s'adaptent à des altitudes inférieures à 300 mètres,
a permis l'expansion des cultures depuis les versants vers le bas des vallées et vers
les plaines. À la différence du cas du soja, la production reste aux mains de petits
producteurs, même si certains d'entre eux ont sans doute quelques dizaines d'hec-
tares de coca.
2. Le Cenere Péruvien d't.rudes Sociales (CEPES) a proposé en 2005 un numéro spécial sur la coca,
194 dans lequel ces aspects sone développés (CEPES, 2005).
TERJUTOIRES ET SOClËTËS: DES ËVOLUTIONS SPATlALEMENT TR.ËS DIFFËRENCIËE5
+
200Km
•o
Zones de production
Source: O'.;tjJl/:-; lifte f:llftf!! (lutJ~;u.,. ·G9I<.!tIJS·, 2 mlJr:; 1006, su,- la billoe de-> InformiJtlons de
I~ O/Il:Ctlon Antld~es de .'.1 PoJk:e NiJUonalCJ 01/ Hrou (Dlr:lIluro)
Concept/on: MEKLIER E. - RéafJs.atlon: LtPffiT A., RESO - UMR CNRS 6590 ESO
19)
LES ESPACES RURAUX DE CAMÉRlQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
Photo 11.2 - La parcelle d'un petit producteur de mangues à Motupe, dans le nord du Pérou
Le capital investi justifie alors des mesures de protection renforcées des parcelles
et des infrastructures, non seulement contre les dégâts que pourraient provoquer les
animaux des voisins, mais également contre le vol, voire contre les attentats et les
enlèvements. Ces mesures, particulièrement visibles dans un pays aux indices de
violence élevés comme la Colombie (photo Il.4), sont assez généralement obser-
vables dans d'autres pays, surtout dans le cas des parcelles proches des axes routiers
et exposées aux regards. Par opposition à l'exemple des fleurs, les paysages créés par
le développement des commodities sont extrêmement ouverts: ainsi, les éleveurs
qui reconvertissent leurs exploitations dans le soja éliminent les clôtutes qui
rompaient la monotonie de la pampa argentine (Guibert, 2005). Limmensité des
parcelles est une autre caractéristique (photos 11.5a et b), qui cependant ne s'op-
pose pas nécessairement aux champs souvent vastes de certaines cultures de niche,
comme les asperges ou l'artichaut. Lordre et l'homogénéité sont des caractéris-
tiques communes à l'ensemble de l'agro-industrie; ainsi, pour le soja, les rangs
semés sont très réguliers, ce qui facilitera, le cas échéant, l'entrée de tout un pool
de tracteurs au moment de la récolte, qui travailleront de façon simultanée sur la
parcelle. S'il y a association de cultures, celle-ci n'altère en rien cet ordre: pour que
la récolte puisse s'effectuer, il est au contraire très important que les espacements
entre les sillons, les plants ou les rangs semés soient très précisément calculés.
Photo 11.4 - Des seeres de fleues à El Sosiego. dans les environs de Bogoci, en Colombie
Les serres situées dans l'agglomération de Bogota et dans ses environs occupent des
milliers d'hectares et sont très vjsibles depuis les airs. Elles SOnt en revanche souvent peu
visibles depuis le so/' car dissimulées derrière des murs ou des arbres. Celles-ci, qui longent
une rue d'un quartier de la localité de Madrid, sont protégées par un grillage surmonté de
198 fils barbelés.
TERRlTOlRES ET SOCIÉTÉS: DES ÉVOLUTIONS SPATIAlEMENT TRÈS DIFFÉRENCIÉES
Photos 11.5 - Les paysages du développement des commodities dans le Mato Grosso au Brésil:
openfield, grandes parcelles régulières, mécanisation
V. Nedelec, 2004.
Les paysages du développemenr des commodities sonr rrès différenrs de ceux de l'agri-
culrure paysanne. À Sorriso, le soja esr la culrure principale, il esr suivi d'une culrure
secondaire (maïs ou miller). Les parceJles sonr grandes er de forme régulière (phoro a).
Les enrrepreneurs agricoles, venus principalemenr des Érars du sud du Brésil, se sonr
insrallés sur des rerres de savane ou de forêr, peu ou pas exploirées, aisées à acquérir.
Lopenfield facilire l'urilisarion de machines agricoles (phoro b), qui va de pair avec la
recrirude des rangs semés er en général avec l'absence de culrures associées sur la
parcelle. 199
LES ESPACES RURAUX DE CAMÉRlQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
M. C. Hoyos, 1995.
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Ë. Mesclier, 2002.
La floriculture crée un grand nombre d'emplois, sur[Out si on rappone ce nombre à
la surface relarivemenr réduire sur laquelle se développe l'acriviré. Ces emplois sonr le
plus souvenr occupés par des femmes, que ce soir dans les serres ou dans les usines de
conditionnement, la main-d'œuvre masculine assurant surtout la manutention. Le
danger sanitaire que représente le maniement des insecticides et pesticides dans le
milieu confiné des serres a donné lieu à des dénonciations, qui a amené les enrreprises
à mieux protéger les travailleuts. 201
LES ESPACES RURAUX DE l:AMt:RIQUE LATINE DANS LA MOt\D1ALISATION
couverts par des entreprises sous-traitantes (Mesclier, 2005 : 320). Les trois quarts
des employés avaient moins de 35 ans en 1995, selon Asocolflores. Tant en
Colombie qu'en Équateur, l'emploi intense de produits chimiques dans des serres
fermées représente un danger pour la santé des travailleurs, qui a été pointé par les
consommateurs des pays du Nord, obligeant les grandes entreprises à prendre des
mesures pour améliorer leur image. Dans la fruticulture argentine, les travailleurs
sont amenés par des recruteurs, ils sont souvent employés au noir, viennent de
provinces lointaines ou des pays limitrophes - Bolivie en particulier -, sont logés
en campements. La présence des travailleurs locaux, qui résident dans des aires
périurbaines, est aujourd'hui également importante. Dans le cas du citron, qui est
presque entièrement exporté et ce, principalement vers l'Europe, il y a eu des chan-
gemcnts considérables dans le statut des travailleurs à partir du milieu des années
1990: les « coopératives de travail ", qui ne versaient pas leurs impôts ni les contri-
butions sociales, payaient les travailleurs à la tâche et les encadraient de façon très
hiérarchisée, ont été remplacées par des entreprises plus formelles. La nécessité de
respecter des normes et les inspections des acheteurs européens semblent avoir fait
évoluer les formes d'organisation des récoltes (Aparicio, 2005 : 214). Au Chili, on
observe aussi une précarisation du travail avec le développement de l'agriculture
de niche: au début des années 1970, deux tiers des emplois agricoles rémunérés
étaient permanents et un tiers temporaire; c'était l'inverse à la fin des années 1980.
60 % des travailleurs éventuels sont employés dans la fruticulture d'exportation.
La main-d'œuvre féminine a considérablement augmenté, entre 52 et 70 % des
emplois tcmporaires de la fruticulture seraient occupés par des femmes. De plus
en plus d'entre elles résident en ville, comme d'ailleurs de plus en plus de
travailleurs agricoles en général (Kay, 1998: 94 et s.). Au Mexique, la fruticulture
et l'horticulture d'exportation génèrent également des emplois nombreux mais
précaires: mal payés, et en l'absence de protection légale, ils sont souvent occupés
par les femmes et par les populations reconnues comme indigènes (Marafion et
Fritscher, 2004 : 201). Les Mixtèques du Guerrero, au sud-ouest du Mexique, se
déplacent ainsi vers le nord du pays par dizaines de milliers pour participer à la
récolte des productions de fruits et légumes qui se sont développées depuis les
années 1970, en particulier les tomates d'exportation du Sinaloa. Ils emmènent
avec eux leurs enfants, qui travaillent dès l'âge de 8 ans -le problème étant de leur
point de vue leurs conditions de travail en général, plus que cette participation,
aux effets encore mal connus sur le développement des jeunes (Bey, 2003).
Les vallées productrices de coca donnent du travail à des dizaines de milliers 4
de familles et de journaliers agricoles qui viennent parfois d'autres régions, de la
côte ou de la montagne. Certes, la richesse produite n'assure pas forcément la pros-
périté des localités et le délabrement peut succéder à la période de bonanza
(Bourliaud et al., 1998). Cependant, on constate dans les vallées productrices et
leurs environs une amélioration considérable des habitats, l'abondance des véhi-
4. Les chiffres diffèrent d'une source à l'autre: 60 000 cultivateurs, dont 29 000 sont inscrits auprès
de l'Entreprise Nationale de Commercialisation de la coca (ENACO), et presque deux cent mille
journaliers paraissent des chiffres plausibles pour le Pérou. Voir Cabieses, 2005; Castro de la Mata,
202 2005.
TERRITOIRES ET SOCIËTÉS: DES ËVOLUTIONS SPATlALEMENTTRÈS OIFFËRENCIÉES
cules double traction, une circulation accrue de biens et les travailleurs saisonniers
investissent souvent dans leur région d'origine l'argent gagné en A1p.azonie: achat
de terres, financement de leur campagne agricole, etc. A première vue, la coca est
une chance pour les populations, mais elle augmente considérablement les niveaux
d'insécurité, en ville comme dans les campagnes et sur les axes de communication.
Aux simples conséquences de la circulation accrue d'argent liquide, qui crée de
l'inflation localement et attise la délinquance commune, se superposent les actions
des narcotrafiquants, des groupes terroristes et des militaires, ce qui multiplie
affrontements et assassinats. À long terme, si la coca rend possible une certaine
capitalisation pour les familles, elle les amène aussi à retarder l'éducation des
enfants et adolescents, qui participent souvent à la récolte - on constate par
exemple de forts taux d'activité de la classe d'âge 6-14 ans dans les régions proches
des aires de production péruviennes (figure 11.3).
Les effets sur l'environnement de l'actuelle forme de développement des
cultures d'exportation sont aussi avérés. Autant dans le cas du soja brésilien que
de la production de coca péruvienne, l'expansion de la production s'accompagne
d'une déforestation rapide. Les activités de sciage progressent au rythme de l'avan-
cée des cultures. Au Brésil, le mitage de la forêt par de petites exploitations qui ne
défrichent pas toute la superficie dont elles disposent, en avant de l'avancée du
soja, est remplacé par la disparition presque totale de la végétation arborée sur les
grandes exploitations, qui associent soja, maïs, millet, coton éventuellement. Au
Pérou, la densité des cultures de coca est le plus souvent de moins de 8 hectares
par kilomètre carré, mais celle-ci est intégrée à tout un système de production. Les
exploitations combinent culture du café, à l'ombre d'arbres fruitiers, prairies, coca.
Les scieries sont là encore bien présentes. La contamination de l'environnement
par des produits toxiques est importante tant dans le cas des fleurs: déchets plas-
tiques des serres, pollution des sols, des cours d'eau, des nappes phréatiques par les
substances chimiques, tout cela à proximité de villes de plmieurs millions d'habi-
tants; que dans celui de la coca, pour sa culture mais aussi pour sa transformation
en pâte base. Quant aux grands ouvrages d'irrigation sur les déserts côtiers du
Pacifique, ils génèrent remontée de la nappe phréatique et salinisation des terres
(Marshall,2006).
5. Ils n'abandonnent pas pour autant les cultures vivrières, pour des raisons qu'on explicitera plus loin. 203
LES ESPACES RURAUX DE CAMËRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
En pourcentage
14,06
9,97
25%
6,13
4,48
3,03
0 1,84
D 1,10
...........,
........ *
Région de production
de la coca
204
TERRITOIRES ET SOCIÉTÉS: DES ÉVOLUTIONS SPATIALEMENT TRÈS DIFFÉRENCIÉES
récentes ou peu connues, exigences des consommateurs étrangers, etc. Par ailleurs,
l'existence d'un marché national ne peut pas toujours limiter les fluctuations des
prix, qui mettent les producteurs économiquement les plus fragiles en danger.
Au Mexique, l'ananas est cultivé depuis le début du xxe siècle essentiellement
dans le bassin de la rivière Papaloapan, où il a été introduit par un Nord-Américain.
Il fut cultivé pour l'exportation tout particulièrement pendant la Seconde Guerre
mondiale, alors que les importations nord-américaines depuis les Philippines et
Hawaï étaient bloquées. Cette « fenêtre» se referme cependant après la guerre,
même si les exportations continuent à représenter en 1979 plus de 13 % de la
production; une initiative des États-Unis en faveur des pays d'Amérique centrale
et des Caraïbes, en 1984, diminuera encore les possibilités d'exportation, alors que
le marché intérieur au contraire augmente. En 1990, le marché national des fruits
frais représente un peu plus de 80 % de la production, mais en 2000 cette place est
redescendue à environ 70 %. Tous les producteurs cependant n'accèdent pas aux
marchés d'exportation. D'une part, tous ne sont pas en capacité d'adopter les
variétés les plus demandées à l'exportation, dont la MD2, une variété hybride déve-
loppée par la société nord-américaine Del Monte, qui se conserve mieux et dont la
saveur est jugée supérieure. Par ailleurs la plupart des producteurs, limités en
premier lieu par la modeste quantité de leur production, pratiquent la vente sur
pied à des intermédiaires. Seuls quelques gros producteurs ont des options de vente
variées: contrats avec des centres commerciaux, location d'entrepôts sur les marchés
de gros, expédition à l'exportation. Capables de mieux résister à une mévente, ces
producteurs obtiennent donc qui plus est de meilleurs prix de vente, même lors des
crises de surproduction (Duhalt et al., 2006).
Dans quelques cas, ce sont les producteurs paysans eux-mêmes qui ont établi
les premiers circuits d'exportation, avec l'aide de la coopération internationale ou
d'ONG. C'est le cas de l'association nationale de producteurs de quinoa de
Bolivie, ANAPQUI, créée en 1983, qui regroupe près de 1 100 agriculteurs.
ANAPQUI depuis fin 1986 vendait directement du quinoa à une entreprise nord-
américaine, Quinua Corporation; depuis 1987 elle en vend aussi dans le cadre du
commerce équitable à une ONG suisse; elle s'est également lancée sur le marché
du bio, vers l'Europe. Cependant, les entreprises et ONG européennes avec
lesquelles elle travaillait ont finalement formé leurs propres entreprises privées en
Bolivie, l'excluant ainsi de ce marché. À partir de 2000, les entreprises privées
prirent le contrôle de la plus grande partie des exportations boliviennes, alors que
les producteurs de ANAPQUI fournissaient un quinoa contenant trop d'impure-
tés, mal emballé et fourni après les dates convenues à son acheteur nord-américain,
perdant ainsi ce client. ANAPQUI n'a pas su non plus anticiper sur les évolutions
du marché, s'est positionné sur des circuits aux capacités d'expansion limitées, n'a
pas pris les précautions suffisantes dans ses relations commerciales avec des ache-
teurs japonais qui se sont rétractés au dernier moment, alors que le quinoa était
déjà centralisé. Les producteurs associés finirent par vendre une partie de leur
production aux entreprises privées. Finalement, ANAPQUI qui jusqu'en 1999
avait imposé sur le marché du quinoa un prix d'achat élevé, que les entreprises
privées se retrouvaient obligées à suivre, n'eut pas cette capacité en 2000, et les
producteurs paysans durent vendre à un prix inférieur (Laguna, 2002 : 155 et s.) 205
LES ESPACES RURAUX DE LAMÉRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
On voit donc là encore toutes les difficultés qu'ont les petits producteurs à garder
une certaine maîtrise des conditions de commercialisation de leurs produits, même
lorsqu'ils font l'effort de se regrouper et de chercher à entretenir un contact direct
avec les marchés internationaux.
Les solidarités locales ne sont pas toujours faciles à mettre en œuvre. Les
producteurs se distinguent les uns des autres non seulement par la taille de leurs
parcelles, mais encore par leur origine sociale et ethnique. Dans la région de
Motupe, au Pérou, une tentative de créer une association de commercialisation
des mangues a échoué au bout de quelques années. D'une part elle a été, comme
ANAPQUI, confrontée aux stratégies des acheteurs sur les marchés extérieurs, qui
ont mis en cause la qualité du produit à son arrivée. D'autre part, certains agricul-
teurs propriétaires de leurs terres, descendants des élites d'origine européenne, ont
vu d'un mauvais œil la participation de membres de la communauté paysanne à
leur association: ils n'ont pu l'éviter, car elle était imposée par l'ONG qui leur
fournissait un soutien technique, mais ils ont rapidement renoncé à cette action
(Mesclier et Chaléard, 2006). Petits et gros producteurs sont donc de nouveau
soumis au bon vouloir des intermédiaires et des entreprises exportatrices, avec la
différence que ces derniers traitent avec beaucoup plus de considération un exploi-
tant pouvant leur permettre de remplir plusieurs camions qu'un autre ne leur four-
nissant que quelques cageots de mangues. Comme la récolte est délicate et doit
s'effectuer à un moment bien précis, les petits producteurs courent le risque de ne
pas trouver d'intermédiaire disposé à venir récolter leurs parcelles ou bien encore,
que le travail soit vite et mal fait (ibid.). Très logiquement, ils ont presque tous
maintenu une stratégie courante dans le monde paysan: la diversification de leurs
cultures, sinon de leurs activités. Cela contribue à expliquer que leurs parcelles de
manguiers ne ressemblent pas à celles des agro-industriels, car ils profitent de l'es-
pace laissé entre les arbres pour cultiver d'autres produits, comme le maïs ou le
manioc. Par ailleurs l'exploitation est rarement entièrement plantée en manguiers.
Malgré ces bémols, les régions où se sont développées avec succès de nouvelles
cultures d'exportation, surtout lorsqu'elles génèrent de l'emploi, donnent l'impres-
sion d'une véritable success story. Des bourgs entiers s'animent au moment des
récoltes, des ingénieurs fréquentent les exploitations, des propriétaires s'installent
à demeure, permettant à petits commerçants, restaurateurs et hôteliers de tirer
parti du boom. Les contingents de travailleurs spécialisés qui s'occupent des
récoltes les plus délicates sont parfois amenés de régions voisines, mais certains
travaux sont fournis par la population locale; de jeunes ruraux se spécialisent dans
le bouturage, la taille des arbres, etc. Cependant, des pans entiers du territoire et
de la population sont restés largement en dehors de ces dynamiques, ou encore,
pour des raisons variées, n'en tirent que des miettes. Les espaces ruraux sont
encore, très largement, des espaces de pauvreté, en comparaison avec les villes.
qui mettent en jeu de grandes quantités de travailleurs dans les champs et les
usines, en sont un bon exemple. Par ailleurs, si les personnes jeunes ou encore
celles qui font partie d'une communauté organisée peuvent participer aux booms
en se déplaçant, certaines familles sont beaucoup plus limitées dans leurs déplace-
ments et certains individus sont trop âgés pour avoir des chances d'être employés
dans les activités les mieux rémunérées ou pour supporter le rythme de déplace-
ments incessants. Au total, la pauvreté touche toujours de grands pourcentages de
la population rurale.
Figure 11.4 - La diminution des superficies consacrées aux plantations de canne à sucre
et le démantèlement des sucreries à Cuba entre la fin des années 1980 et 2002
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• Sucrerie en fonctionnement
forte diminution relative dans les années 1990, pendant les périodes d'ajustement
structurel, avec la suppression des prix garantis et avec l'ouverture des frontières
aux produits importés ou encore au moment des crises qu'ont connu plusieurs
pays (voir par exemple pour l'Argentine, Albaladejo et Bustos Cara, 2001 : 186;
pour le Pérou, Mesclier, 1991 : 154 et s.) Parmi les reconversions, le passage d'un
système de production basé sur l'agriculture à un système reposant fondamentale-
ment sur l'élevage se retrouve dans plusieurs pays, avec des formes différentes (voir
Hervé, 1992, pour une approche générale de cette reconversion dans les Andes;
Poinsot, 1993, pour une approche du cas de la Colombie; Albaladejo et Bustos
Cara, 2001, pour une étude de cas en Argentine; Brunschwig, 2003, pour une
comparaison de ces évolutions au Guatémala et au Pérou; Chaléard et Mesclier,
2004, pour une étude de cas au Pérou). I..:élevage, pour le lait ou pour la viande,
a le grand avantage de permettre un revenu pratiquement permanent dans l'an-
née. Les producteurs de lait ou de fromages n'en sont pas moins confrontés au
problème des débouchés, dans la mesure où la qualité des produits qu'ils propo-
sent les limitent à certains marchés informels (Aubron, 2006).
Les ceintures maraîchères qui se sont développées à proximité des grandes villes,
il y a trente, quarante ou cinquante ans, au fur et à mesure que le marché des
consommateurs augmentait, sont confrontées de façon moins directe à la concur-
rence des produits importés, encore que la consommation de conserves gagne
apparemment du terrain dans certaines grandes agglomérations latino-américaines.
Les acteurs en sont souvent des petits ou moyens producteurs, comme par exemple
dans les Andes vénézuéliennes, dont le climat tempéré a permis le développement
de cultures maraîchères pour la consommation des villes de la côte (Tulet, 1993);
dans les vallées proches de Cusco au Pérou, où on cultive oignons et carottes
(Mesclier, 1993); dans la province de Buenos Aires en Argentine, avec des exploi-
tations de taille réduite à!' échelle argentine produisant tomates, ail ou courgette
(Tulet et Albaladejo, 2001), autour de Bogod en Colombie, en concurrence avec
l'avancée des quartiers urbanisés (Mesc1ier, 2005). Dans la mondialisation, ces
cultures trouvent des marchés plus importants, comme celui des restaurants touris-
tiques à Cusco, avec l'augmentation de l'afflux de visiteurs étrangers, ou encore l'ar-
rivée de firmes à capitaux européens et brésiliens qui se chargent d'exporter les
oignons argentins - cultivés entre autres par des immigrants boliviens - vers le
Brésil et l'Europe (Tulet et Albaladejo, 2001 : 241 et s.)
De larges pans de l'agriculture paysanne latino-américaine, loin des agglomé-
rations, ne produisent que des revenus limités. La question de la rationalité des
paysans, celle de leur efficacité, celle de leur capacité d'initiative ont été largement
débattues par sociologues et économistes au cours de la deuxième moitié du
)(Xe siècle. I..:accumulation de données empiriques a permis de montrer les logiques
qui guident les exploitants dans leurs choix. Ainsi, dans le cas des Andes, l'étude
des fonctionnements collectifs, au sein des communautés paysannes, a conduit à
montrer que ces institutions favorisent le changement technique, grâce à!' organi-
sation de l'espace en terroirs, qui agilise les pratiques culturales et est évolutive, et
grâce aux possibilités de coopération (Mayer, 1979 et 2004; Kervyn, 1988). La
210 question de la pauvreté des paysans a également fait l'objet de débats. Deux posi-
TERRITOIRES ET SOCIÉTÉS: DES ÉVOLUTIONS SPATIALEMENT TRÈS DIFFÉRENCIÉES
6. Pour une analyse des positions en présence à la fin des années 1990 au Pérou, trente ans après la
réforme agraire, voir Mesclier, 2000. 211
LES ESPACES RURAUX DE LAMÉRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
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33000000
5000000
- - 290000
+
aires rurales
o De 23 à 25 %
••
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0.,
De46à63%
De 64 à 87 %
absence d'informations
o 1000Km
213
LES ESPACES RURAUX DE I.:AMÉRIQUE LATINE DANS LA MONDIALISATION
7. Entrevue réalisée le 19 mars 2002 à Chillasque, en compagnie de J. L. Chaléard et G. Taylor, auprès 21(
de M. Teôfilo H. R., dans le cadre du programme de recherche de l'UMR Temps ENS-IRD. )
LES ESPACES RURAUX DE CAMËRlQUE LATINE DANS LA MüNDlALlSATlüN
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• De50à 77 %
N
+
De20à50%
Cl De4 à 20%
Cl absence d'informations
1000Km
pays non pris en compte
par la CEPAL
Source: CEPAL, données 2004 (sauf Venezuela et Rép. DominIcaine, données 1995)
Conception: MfSCLIER E. - Réalisation: RESO - UMR CNRS 6590 ESO
216
Conclusion:
la géographie pour comprendre la complexité
Évelyne MESCllER
217
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227
QUATRIÈME PARTIE
cipale, la capitale, dont la taille dépasse très largement celle des villes suivantes 1.
Plus rarement, le réseau urbain est dominé par deux villes (Sao Paulo et Rio de
Janeiro au Brésil, Quito et Guayaquil en Equateur, La Paz et Santa Cruz en
Bolivie), et dans le cas colombien, la polarisation urbaine se répartit entre trois,
voire quatre métropoles (Gouëset, 1996).
Désigné communément sous le terme de métropolisation 2 (Deler, 1994: 37-
45), ou sous celui de primauté urbaine, l'hyper-concentration de la population
au sein d'une seule métropole a été considérée dans les années 1970 comme une
anomalie, liée au sous-développement économique de l'Amérique latine. Le terme
de macrocéphalie s'est alors diffusé pour désigner - selon une métaphore médi-
cale qui fait référence à l'hydrocéphalie - une situation considérée comme symp- zw
U
tomatique d'un dysfonctionnement grave 3. Depuis, il a largement été montré que z
>:
cette idée {( d'anomalie» était erronée, puisque la primauté urbaine constitue la
forme la plus courante du processus d'urbanisation en Amérique latine, et donc
un modèle différent de celui qui prévaut dans les pays du Nord; ce dernier consti-
tuant une voie possible parmi d'autres, et non une référence unique, à partir de
laquelle on pourrait qualifier {( d'anormale» toute situation qui s'en écarterait. Le
terme de macrocéphalie est aujourd'hui tombé en désuétude dans la littérature
spécialisée (mais pas dans le langage courant), et l'on est revenu à ceux, plus
neutres, de métropolisation ou de primauté urbaine.
En réalité, des signes d'essoufflement de la primauté urbaine en Amérique
latine sont apparus dès les années 1980 (et un peu plus tôt en Argentine), avec un
infléchissement du rythme de croissance des villes primatiales, qui s'est traduit par
un déclin relatif de leur poids démographique, d'abord dans la population
urbaine, puis dans la population totale (figure 1-4.1).
1. Un indicateur statistique simple met en évidence cette situation: l'indice de primauté urbaine (ou
indice « des quatre villes »). On divise l'eHèctifde population de la première ville par celui des
trois suivantes. Comme le signale J. Rodriguez (2002 : 35), un indice de primauté supérieur à 2
(ce qui signifie que la première ville a deux fois plus d'habitants que les trois suivantes réunies)
est exceptionnel dans le reste du monde (c'est le cas de la France pourtant ... ), alors qu'il est majo-
ritaire en Amérique latine (les records étant atteints au Guatemala et en Uruguay, avec des indices
de primauté respectivement su périeurs à 9 et à 6).
2. Un terme qu'on trouve également employé dans un sens différent, pour désigner non la concen-
tration de la population au sein de la ville principale, mais l'étalement de la population des métro-
poles au sein d'un espace de plus en plus étendu, à l'extérieur des limites administratives de la
ville-centre (le second processus étant en quelque sorte une conséquence du premier) (Gouëset,
2002 : 84).
3. Dans un courant de pensée qu'on désigne habituellement sous le nom « d'école de la dépen-
dance ». Cette théorie de l'urbanisation dépendante est notamment développée par M. Castells
en 1971 (L'urhanisation dépendante en Amérique latine, article paru dans la revue Espaces et socié-
tés), et par M. Steingart en 1973 (Urbanizaciôn y dependencia en América latina). Le concept de
macrocéphalie l'a été dans l'ouvrage de M. Santos paru en 1975, L'espace partagé. Les deux circuits 213
de l'économie urhaine des pays sous-développés. J
LAiVIÉRJQUE I.AT1NE DES VILLES
Pourcentage de la
population nationale
50 0 0 0 0 0 _ 00 • • 0 ••• 0 _ 0 0 •• __
30
20
Pourcentage de la
population urbaine
50 •• •• 0 •• o. . _
40
30
20
10
236
Produire la ville:
des logements en grande partie auto-construits
Françoise DUREAU
avec laparticipation de Catherine PAQUETTE pour les sections 1.1, 2.2 et4
D. Delaunay, 2002.
C. Paquerce, 2006.
239
CAMÉRlQUE LATINE DES VILLES
Photo 12.3 - Bogota : de trop races programmes de logements sociaux dans le sud de la ville
B. Lonie, 1999.
D. Delaunay, 2002.
241
CAMÉRIQUE LATINE DES VILLES
M. C. Hoyos, 1995.
(2003 er 2006) érair considéré en son remps comme le plus grand lorissement
irrégulier d'Amérique larine.
• l'invasion (invasion): ce rerme désigne l'occuparion illégale de rerrains sans
consenrement du propriéraire er sans intervenrion d'un acreur inrermédiaire.
Pour réaliser ces invasions, les familles se regroupent, s' organisenr avec le
sourien d'associarions ou d'ONG. Les rerrains envahis peuvent êrre de
propriéré privée ou publique. Les réacrions des propriéraires privés sont en
général plus rapides: ils n'hésirent pas à avoir recours à la police pour faire
évacuer leurs rerres.
Dans les invasions, les occupants n'ont pas de rirre de propriéré; en revanche,
dans les lorissements clandesrins, les habiranrs onr un rirre de propriéré, obrenu
par le biais de la transacrion commerciale avec le « lorisseur ", l'illégaliré corres-
pondanr dans ce cas à la consrrucrion sur un rerrain non urbanisable. Les cher-
cheurs larino-américains onr courume de bien distinguer ces deux: modalirés de
producrion illégale de logements, qui correspondenr effecrivement à des proces-
sus disrincrs, concernent souvent des localisarions différenres er confèrent des
caracrérisriques particulières aux quartiers produirs. Néanmoins, il convienr de
reconnaîrre l'exisrence de siruarions intermédiaires, où des lorisseurs clandesrins
insrrumentalisenr des invasions. Il ne faur pas oublier non plus la logique parfois
puremenr spécularive: certains individus rirent parti de l'opportuniré que consri-
rue une occuparion illégale pour s'approprier un rerrain à un moindre coûr er
ensuire le louer ou le revendre.
Selon les lieux er les époques, l'importance relarive de ces deux formes de
producrion illégale du logement a varié; mais, de manière générale, les invasions 243
LAMÉRlQUE LATINE DES VILLES
étaient plus fréquentes que les lotissements clandestins dans les villes latino-améri-
caines. Plus récemment, en Amérique latine comme dans d'autres pays en déve-
loppement, on observe une augmentation des lotissements clandestins (Durand-
Lasserve, 2003), en raison de la difficulté de plus en plus grande à réaliser une
invasion. À Bogota, où l'invasion a toujours été minoritaire, cette tendance se véri-
fie également. La ressource foncière traditionnelle des lotissements clandestins a
été pendant longtemps les terrains inondables situés au sud et à l'ouest de la capi-
tale colombienne. Dans le contexte de la ségrégation socio-spatiale qui caractérise
l'agglomération, les « lotisseurs clandestins» propriétaires de terrains situés dans
l'ouest et le sud de la ville ne pouvaient en espérer une rente élevée: ils avaient tout
intérêt à offrir ces terrains à bas prix, non équipés. Ils trouvaient ainsi une façon
de réaliser un profit moyennant un investissement minimum. Intérêts écono-
miques des propriétaires terriens, clientélisme politique, mais aussi soutien des
organisations populaires de logement qui ont vu de plus en plus dans ce système
un moyen de palier les manques de l'Etat et d'améliorer les conditions de loge-
ment des familles démunies: toutes ces raisons ont contribué au succès de ce
système et à la multiplication des lotissements clandestins. En outre, après une
phase de répression, les pouvoirs publics colombiens, à l'image des autres gouver-
nements latino-américains, ont fait preuve d'une certaine permissivité vis-à-vis de
l'urbanisation illégale, tant que celle-ci avait lieu sur des terrains de faible valeur.
Quant aux entreprises de services publics, elles ont souvent accepté de négocier
avec les organisations populaires pour étendre la dotation en services, plutôt que
de voir se multiplier les branchements pirates. Elles ont ainsi étendu leurs réseaux
dans des quartiers non légalisés. Ainsi, toutes les conditions étaient réunies pour
favoriser le développement des lotissements clandestins, qui se sont donc multi-
pliés pendant plusieurs décennies sur les haciendas situées au sud-ouest de Bogota.
Les proportions de citadins vivant dans l'informalité varient sensiblement selon
les villes (tableau 12.2), mais partout l'informalité est bel et bien présente depuis
longtemps. Différentes études ont montré que l'informalité a augmenté dans
quelques villes sud-américaines au cours des dernières décennies: à Lima, le taux
est passé de 15 % dans les années 1950 et au début des années 1960, à 35 % dans
les années 1970 et à 50 % au début des années 1990. À Sao Paulo, les jàvelas abri-
taient 70000 personnes en 1971, elles logeaient plus d'un million et demi d'ha-
bitants à la fin des années 1980 (Roussel, 1988). La diminution de l'offre locative
dans les centres anciens dégradés se répercute mécaniquement sur la production
illégale de logements: à San Salvador, jusque dans les années 1980, prédominaient
les inquilinatos dans les quartiers centraux; suite au tremblement de terre de 1986,
l'offre de logements en mesones ch uta brutalement et le marché illégal de terres
s'activa immédiatement.
publics sont progressivement obtenus. Dans une économie de marché, l'un des
effets de cette évolution est l'élévation des prix et donc souvent l'expulsion des
plus pauvres des quartiers équipés. Parfois, les pouvoirs publics refusent la dota-
tion en services et en équipements, considérant que ce serait là une forme de
reconnaissance et une incitation à l'expansion de ces quartiers: dans ces cas-là, les
habitants sont peu enclins à investir dans leurs logements et donc à les améliorer
(Durand-Lasserve,2003).
Le processus « traditionnel» de consolidation des quartiers illégaux et l'amé-
lioration des conditions d'habitat qui l'accompagne, très répandus, ne SOnt en
effet pas systématiques. Les caractéristiques physiques d'un quartier (pentes parti-
culièrement fortes notamment) ou la faiblesse des investissements d'une popula-
tion à très bas revenus et qui a peu d'espoir de légalisation rapide de son terrain,
peuven t freiner, voir interdire sa consolidation. C'est ainsi que dans les parties les
plus escarpées des invasions de Bogota, situées sur la commune voisine de Soacha,
même plusieurs années après l'occupation des terrains, les quartiers des AltoS de
Cazud (photo 12.8) comptent une proportion importante de maisons en maté-
riaux précaires, et la proportion de locataires demeure ttès faible. Avec le report
de l'urbanisation illégale sur les reliefs accidentés du sud de la ville, au-delà des
limites du District, la règle d'amélioration rapide de l'habitat se trouve donc
remIse en cause.
É. Mesclier, 2004.
246
PRODUIRE LA VILLE: DES LOGEMENTS EN GRANDE PARTIE AUTO-CONSTRUITS
C. Paquwe, 2006.
2. Un parallèle évident peur être fair avec la posirion des organismes internarionaux sur l'emploi
informel: d'abord nié, il lui esr ensuire conféré un rôle de premier plan dans l'économie des pays
248 en développement.
PRODUIRE LA VILLE: DES LOGEMENTS EN GRANDE PARTIE AUTO-CONSTRUITS
2)0
PRODUIRE LA VILLE: DES LOGEMENTS EN GRANDE PARTIE AUTO-CONSTRUITS
tant que ce qu'il était en 1951. Mais, en termes absolus, l'écart se creuse tout au
long de la période entre le nombre de logements et le nombre de ménages: la
production de logements est de plus en plus insuffisante. En 1951, il manquait
environ 75000 logements; en 1993, ce sont plus de 300000 logements qui
manquenr pour loger les ménages de Bogotâ (tableau 12.3).
3. Dans la plupart des pays larino-américains, le ménage est défini comme « une personne ou un
groupe de personnes, avec ou sans lien familial, qui vivent sous le même toir er parragent habi-
ruellemenr les alimenrs ». Avec une relIe définition, on peur donc identifier plusieurs ménages
dans un même logemenr, ce qui n'est pas le cas avec les définitions généralement employées en
2)2 France er <;Ians le reste du monde développé.
PRODUIRE LA VILLE: DES LOGEMENTS EN GRANDE PARTIE AUTO-CONSTRUITS
gales de terres, qui concourent, nous l'avons vu, à remettre en cause la règle tradi-
tionnelle d'amélioration rapide de l'habitat dans les périphéries populaires.
4. Les statistiques de raccordement aux réseaux, issues des recensements, incluent les raccordements
2)4 illégaux, fréquents pour l'électricité.
PRODUIRE LA VlLLE: DES LOGEMENTS EN GRANDE PARTIE AUTO-CONSTRUITS
Tableau 12.6 - Évolution de l'accès aux services urbains au cours des années 1990 dans 8 pays
d'Amérique latine (en % de logements urbains non raccordés aux services)
d'un raccordement aux réseaux. Entre 1973 et 1985, non seulement la proportion
de ménages non connectés aux réseaux diminue, mais aussi leur nombre absolu.
Tableau 12.8 - Précarité de l'habitat des pauvres urbains dans 15 pays d'Amérique latine -
1990 et 2000 (en % des ménages pauvres)
2)6 5. En écho au tirre de ['article publié par F. Thomas en 1995: « México: [Qus propriéraires! »
PRODUIRE LA VILLE: DES LOGEMENTS EN GRANDE PARTIE AUTO-CONSTRUITS
La question de l'identification des statuts d'occupation des logements est assez complexe
dans les villes d'Amérique latine, notamment parce que s'ajoute à la proptiété et à la location
une catégorie très importante qui est celle de l'hébergement gratuit. Recensements et enquêtes
nationales auprès des ménages recueillent de façon régulière des informations sur le statut d'oc-
cupation du logement. Labondance de statistiques sur la question ne doit pas faire illusion:
derrière des vocables standards, se masquent des réalités très diverses, selon les lieux et les
époques.
Se déclarer« propriétaire» n'implique pas qu'on dispose d'un titre officiel de propriété:
les occupants de fait d'un terrain, sans titre de propriété, ni même de droit d'occupation,
s'auto-déclarent généralement « propriétaires ». On considère généralement que dans les recen-
sements et enquêtes statistiques, la location fait l'objet d'une sous-déclaration, notamment
quand il s'agit d'une sous-location.
Les « hébergés» ne sont en général pas exempts de contribution financière, mais il
convient de les distinguer de ce qui serait des « locataires ne payant pas de loyer»: ils sont en
effet dans une très large majorité les enfants du ménage qui les héberge. Parvenus à l'âge
adulte et ayant à leur tour fondé un foyer, ils demeurent chez leurs parents, parfois durable-
ment. Des efforts importants ont été faits pour prendre en compte ces situations d'héberge-
ment, notamment au Chili. Lhébergement y est une catégorie résidentielle pleinement recon-
nue. Il existe une rypologie complexe pour le caractériser, selon que les hébergés occupent le
logement ou la parcelle, mais aussi selon qu'ils partagent ou non l'économie domestique du
chef du ménage qui les héberge. Ces efforts s'expliquent notamment dans le cadre de la poli-
tique du logement.
Entln, dans des circonstances particulières, de nouveaux statuts d'occupation du logement
font leur apparition. Dans les villes pétrolières de l'est de la Colombie, ont ainsi été observées,
avec une fréquence importante, des situations où les ménages louent un terrain sur lesquels ils
construisent leur maison en matériaux précaires. Fréquente dans les villes asiatiques, il s'agit
d'une pratique jusque-là inédite en Colombie, liée aux temporalités particulières de ces villes
pétrolières: les propriétaires fonciers rentabilisent la situation du moment, qu'ils savent éphé-
mère, sans réaliser aucun investissement dans la construction d'un logement: ils louent donc
un terrain nu. Avec les catégories habituellement utilisées dans les recensements et enquêtes,
cette situation échappe complètement à la mesure (Dureau et Flûrez, 2000: 177).
2)7
I:AMÉRlQUE LATINE DES VILLES
* : Population totale.
Source: CEPAL, 1995.
2)8
PRODUIRE LA VILLE: DES LOGEMENTS EN GRANDE PARTIE AUTO-CONSTRUITS
du Chili, entre autres) ont bien montré comment la location s'était assez large-
ment diffusée dans les couronnes d'urbanisation moins anciennes. Ce développe-
ment de l'offre locative dans des quartiers populaires est étroitement lié à leur
consolidation. Les difficultés croissantes pour les ménages modestes d'accéder à la
propriété en périphérie, en raison de politiques de contrôle plus strict des urbani-
sations irrégulières et d'une raréfaction généralisée du foncier, participent égale-
ment à cette évolution (Gilbert, 1993).
De fait, l'habitat locatif joue un rôle important dans la densification et la
consolidation des quartiers populaires, en particulier dès lors que ceux-ci sont
régularisés: il s'y développe de façon rapide, en donnant lieu à l'édification d'étages
supplémentaires sur les maisons existantes, mais aussi à l'installation de nouvelles
constructions sur les terrains. A. L. Vega (2006) l'a montré de façon détaillée
concernant la commune de Nezahualcoyotl, dans l'agglomération de México. Il
constitue une ressource économique pour les ménages, qui est ensuite réinvestie
dans l'amélioration et l'extension des logements.
On distingue deux types de logements locatifs dans les quartiers populaires
périphériques. Dans le cas de l'habitat locatif dit domestique, très répandu, des
propriétaires occupants hébergent des locataires sur leur terrain ou dans leur
maison et cohabitent donc avec eux. Le second visage de la location s'apparente
en revanche beaucoup plus aux formes classiques qui existent dans les centres
villes: on trouve aussi, dans les quartiers populaires, de petits immeubles de
rapport habités seulement par des locataires et dans lesquels les propriétaires ne
résident pas. Ces nouveaux bailleurs de la périphérie ne correspondent pas à l'ar-
chétype du « riche du quartier qui a un grand nombre de propriétés» (Gilbert,
1997 : 120). Des travaux récents montrent qu'ils sont propriétaires d'un petit
nombre de logements et ont rarement plus de dix locataires. Les entretiens réali-
sés mettent aussi en évidence que, dans les quartiers auro-construits, les relations
entre bailleurs et propriétaires sont plutôt bonnes et les expulsions peu fréquentes.
En revanche, dans les secteurs centraux, ces rapports sont souvent plus tendus: la
faiblesse des loyers (souvent contrôlés) conduit les propriétaires à ne pas entrete-
nir des bâtiments pour lesquels ils ne touchent quasiment rien (Gilbert, 1997).
Dans des villes en grande partie auto-construites, les citadins jouent un rôle
majeur dans la production du parc de logements et dans sa transformation, nous
l'avons vu au début de ce chapitre. Les habitants des plus grandes villes bénéficient
aussi, grâce à des investissements plus importants, d'une amélioration des raccor-
dements aux réseaux urbains et aux services publics. Dans un contexte d'aggrava-
tion de la pénurie de logements et d'une raréfaction de la ressource foncière, les
habitants développent des arrangements résidentiels originaux, rapidement
évoqués en fin de chapitre. Il importe donc d'aborder maintenant plus précisément
ces pratiques résidentielles qui contribuent, elles aussi, à la « fabrique » de la ville.
261
113
Habiter la ville:
stratégies et mobilités résidentielles
Françoise DUREAU
avec la participation de Catherine PAQUETTE pour la section 1.1
La propriété est également plébiscitée par les habitants: elle tend à être considé-
rée comme une norme vers laquelle doivent déboucher les carrières résidentielles.
À Santiago du Chili, elle est même érigée en droit: « l'engouement pour la
propriété s'enracine dans l'affirmation, très précoce au Chili, du droit à la
propriété du logement et dans la tradition qui s'est développée d'une forte inter-
vention de l'État dans le champ de l'habitat populaire» (Paquette, 2000a). La
diffusion de ce statut résidentiel dans les différentes couches sociales et le sens que
lui donnent les habitants permettent de comprendre l'attrait qu'il suscite.
Comme le note F. Carri6n (2000 : 609) à propos de Quito, le statut d'occu-
pation du logement n'est pas en rapport direct avec la capacité économique des
ménages: de nombreux pauvres sont propriétaires de leur logement par le biais de
l'auto-construction ou des financements qui étaient jadis accordés par les institu-
tions publiques. Le tableau 13.1 confirme cette observation: dans les quatre pays
considérés, un habitant pauvre sur deux se déclare propriétaire de son logement.
À Santiago, où la propriété a été encouragée et promue par les pouvoirs publics
quasiment sans interruption depuis les années 1950 (Paquette, 2000b), ce statut
d'occupation joue un rôle important dans l'ensemble des groupes sociaux, y
compris chez les plus modestes: parmi les ménages faisant partie des deux
premiers quintiles de revenus, 63 % étaient propriétaires de leur logement en
1992, ce qui n'est que légèrement inférieur aux proportions observées dans les
classes moyennes et aisées. À Bogota, en 1990, 48 % des ménages pauvres de
Bogod sont propriétaires, tandis que 52 % des ménages de classes moyennes et
73 % des ménages aisés sont dans cette situation. Plus fréquente dans les classes
aisées, la propriété du logement est donc aussi largement répandue dans les classes
populaires.
location que l'on quitte pour échapper au terme ou aux conflits de voisinage
fréquemment provoqués par les situations d'entassement dans des logements
exigus. Être propriétaire, c'est en outre avoir la possibilité de disposer d'une source
de revenus complémentaires à travers la mise en location ou l'utilisation d'une
partie du domicile pour exercer une activité commerciale ou artisanale. Enfin,
dans un contexte économique marqué par la précarisation des emplois, la
propriété immobilière offre une sécurité que le travail ne garantit plus. Dans
certaines villes telles que Santiago du Chili, où le coût de l'accession à un logement
social est très faible, la propriété peut aussi être le moyen le plus économique d'ac-
céder à un logement.
On le voit, au-delà du statut social qui lui est attaché, la propriété remplit des
fonctions multiples, en particulier pour les citadins pauvres. Ses multiples signifi-
cations expliquent aisément l'importance de ce statut résidentiel dans les diffé-
rentes couches des sociétés urbaines.
Bien sûr, certains locataires ne disposent pas des ressources nécessaires pour
acquérir un terrain et construire leur logement. Mais au-delà de ces cas de loca-
tion subie, il est manifeste que la location peut aussi résulter d'un choix pleine-
ment assumé (Gilbert, 1997: 121; Bonvalet et Dureau, 2000 : 139) et d'un arbi-
trage en faveur d'un logement en location bien situé, dans des zones bien
desservies et bénéficiant de tous les services publics, plutôt que d'un logement en
propriété, dans un quartier périphérique aux services déficients. Les familles aisées
n'ont pas le monopole de ce comportement. Certains ménages pauvres font aussi
le choix délibéré de continuer à habiter dans le parc locatif des secteurs centraux,
plus proches des emplois, en dépit de l'exiguïté des logements, de la promiscuité
et de l'insécurité liée au statut de locataire.
Dans le contexte latino-américain, la location est souvent interprétée comme
le produit de difficultés d'accès au logement. Cette représentation est contredite
par les données des recensements ou des enquêtes croisant caractéristiques du
logement et statut d'occupation. A Bogota comme dans de nombreuses autres
villes, « la location n'est pas forcément subie, ni pathologique» (Dureau, 2000a:
170). Les enquêtes sur le logement réalisées en Colombie montrent ainsi que si la
précarité affecte plus fortement les locataires que les propriétaires, on observe aussi
que, d'une part, un locataire sur trois jouit de conditions de logement relative-
ment satisfaisantes et que, d'autre part, un nombre également significatif de
propriétaires (un sur trois) occupe des logements caractérisés par tout type de défi-
cience. La location ne résulte donc pas uniquement d'un manque de moyens. On
peut même, dans certaines villes comme Guatemala où la propriété est largement
dominante (90 % des ménages, selon Demyk, 2000 : 492) ou Santiago où la poli-
tique d'accession sociale capte la demande des plus pauvres,« se demander quelle
est la part de liberté dans les choix de [ce] statut résidentiel» (Bonvalet et Dureau,
2000: 139).
pas à cette règle: à Sio Paulo, en 1991, 76 % des ménages habitent des maisons
individuelles (Menna Barreto, 2000: 629). Cette situation s'explique là encore par
les modes de production du logement: la verticalisation de l'habitat demeure rare
dans les villes où la production de logements est dominée par l'auto-construction.
Outre son accessibilité économique, la maison individuelle est dotée d'un statut
social certain dans toutes les classes sociales: pendant des décennies, elle a consti-
tué le modèle d'habitat de référence des classes aisées.
Si la maison individuelle reste encore souvent le type de logement majoritaire,
sa part relative dans le 12arc des villes latina-américaines tend toutefois à diminuer
de façon substantielle. A Santiago du Chili, l'appartement passe devant la maison
individuelle dans les préférences des ménages au milieu des années 1990; dans de
nombreuses communes de l'agglomération, la production d'appartements est
devenue plus importante que celle de maisons individuelles. Linsécurité et l'attrait
pour des zones centrales ont contribué à faire évoluer la situation: à Santiago du
Chili, comme à Bagad, Quito ou Sio Paulo, un nombre croissant de familles
aisées optent pour des appartements de standing situés dans les secteurs centraux
ou péricentraux (Bonvalet et Dureau, 2000: 142).
Ladoption rapide de cette nouvelle façon d'habiter en ville, l'appartement, ne
saurait être comprise sans son complément, la possession d'une résidence secon-
daire à la campagne, répandue chez les classes aisées (photo 13.1): les deux compo-
santes des espaces résidentiels fréquentées au fil de la semaine, appartement et
résidence secondaire, offrent une vie métropolitaine à la fois sûre, non grevée par
des temps de transport importants et de qualité, grâce aux fins de semaine passées
dans des environnements ruraux préservés (Bonvalet et Dureau, 2000 : 142).
Lengouement pour l'appartement parmi les familles aisées des métropoles
latina-américaines constitue aussi une réponse à un sentiment croissant d'insécu-
rité: l'habitat en immeuble constitue l'une des modalités des « conjuntos cerrados »
et autres « condominios» ou « condominios ftchados». Ces résidences fermées pren-
nent une place croissante dans les villes latino-américaines, petites ou grandes: ce
type d'habitat tend à se constituer en un modèle de référence pour l'ensemble des
populations, au-delà des classes dominantes qui l'ont d'abord adopté (Bonvalet et
Dureau, 2000 :143). Il est ainsi décliné pour des strates sociales très diverses, dans
des versions les plus luxueuses ou nettement plus simples (photos 13.2 et 13.3).
Au-delà de leur fonction sécuritaire, évidente dans des villes affectées par l'insécu-
rité, mais non exclusive d'autres explications (encadré 13.1), ces ensembles fermés
ont aussi une fonction sociale: ils confèrent indéniablement un certain statut à
leurs habitants.
La valorisation de cette forme urbaine par les citadins latina-américains n'est
rien à côté de la fascination qu'elle semble susciter dans la communauté des cher-
cheurs, si l'on considère l'accumulation d'écrits sur la question depuis une dizaine
d'années. Le caractère spectaculaire et le rapide développement des quartiers
fermés ne doivent pas pour autant conduire à formuler des conclusions hâtives
concernant ce qui serait un changement radical de modèle d'urbanisation. D'une
part, le phénomène n'est pas nécessairement aussi nouveau qu'il y paraît de prime
abord, même si les formes de fermeture se sont sans aucun doute radicalisées et si
266 l'on observe parfois des types de désolidarisation territoriale dans des ensembles
HABlTER LA V1LLE: STRATËGIFS ET MOBILlTËS RfSIDENTIELLES
B. Lorric, 1999.
Photo 13.3 - Bogod.: un conjunto cerrado construit au milieu des années 1990
dans la partie nord du District
F. Dureau, 2000.
M. Janoschka (2002) observe que l'explication qui est souvent donnée du développement
des ensembles fermés par l'augmentation de la délinquance ne repose le plus souvent sur
aucune démonstration empirique. Pout lui, un autre élément d'explication réside dans l'aban-
don de l'infrastructure publique par l'État. Dans les entretiens biographiques par M. Janoschka
auprès d'habitants pionniers de Nordelta, l'insécurité n'est mentionnée que secondairement
(contrairement à la situation décrite par Caldeira, 2000 au Brésil ou Dammert, 2001 en
Argentine): ce qui semble jouer, c'est l'ensemble des services proposés (les centres fermés à
Buenos Aires sont vendus avec l'argument « d'un authentique style de vie alternatif »), dont la
surveillance n'est qu'une des dimensions.
Un autre résultat intéressant de son enquête réside dans la mise en évidence de l'hétérogé-
néité de la population résidente: en termes de trajectOires migratOires, d'expériences résiden-
tielles, de profil socio-économique et de lieu de travail, les habitants de Norde1ra présentent
des différences rarement mises en évidence dans une littérature qui considère systématique-
ment les habitants de ces résidences comme une catégorie d'évidence. On peut en revanche
regretter que la catégorisation qui en résulte ne soit pas mobilisée pour l'analyse des pratiques
urbaines quotidiennes: celle-ci conclut de manière peu nuancée à la faiblesse des contacts
externes et à la fréquentation d'espaces isolés de l'espace urbain tant pour le travail, ['éduca-
tion, les achats que les loisirs.
268
HABITER LA VlLLE: STRATÉGIES ET MOBILITÉS RÉSIDENTIELLES
résidentiels qui abritent même certains services publics. D'autre part, les pratiques
urbaines des habitants des quartiers fermés ne sont pas forcément nouvelles ni
spécifiques: la recherche de l'entre-soi existait bien avant que ces résidences ne
fassent leur apparition (Capron, 2004). Les habitants de ces quartiers n'auraient
d'ailleurs pas le monopole de ce qui serait un certain usage de la ville. Il n'est pas
non plus prouvé que les pratiques des habitants sont aussi retranchées sur ces
quartiers qu'on ne le dit ou que ne le laisse penser la forme architecturale.
Quelques enquêtes récentes montrent justement que les habitants des ensembles
fermés fréquentent aussi les espaces de proximité (voir par exemple sur México:
Giglia, 2003 et Marcadet, 2006). Dans les villes latino-américaines comme en
France (Authier et al, 2001), certains habitants bénéficiant de ressources impor-
tantes pratiquent à la fois la métropole et le quartier.
ment de retour au centre a souvent été enclenché par des pionniers désireux de
vivre « autrement », aux côtés d'autres couches sociales. Le processus classique de
gentrification 3 se poursuit aujourd'hui, selon un rythme variable, fonction de l'in-
tensité de la production de logements de standing, par destruction et construc-
tion d'immeubles neufs ou par rénovation du bâti ancien. Il suscite désormais un
intérêt croissant de la part des chercheurs qui travaillent sur la ville latina-améri-
caine, comme en témoigne un certain nombre de publications (Bidou et al.,
2003; Rivière d'Arc et Memoli, 2006).
Le choix encore majoritaire reste néanmoins celui de vivre loin du centre. Dans
des villes comme Santiago, México ou Bagad., soumises à des pollutions impor-
tantes, où règne un fort sentiment d'insécurité, de nombreux ménages aisés, moto-
risés et bénéficiant souvent d'une certaine liberté d'horaires de travail, choisissent
d'habiter dans une maison en périphérie, pour bénéficier de la qualité de l'environ-
nement et d'un cadre de vie supposé être le meilleur pour la vie de famille. La
demande de logement de ces ménages trouve maintenant, nous l'avons déjà
évoqué, une offre abondante sous forme d'ensembles résidentiels fermés permet-
tant de vivre « entre-soi» dans des complexes résidentiels offrant, pour les plus
luxueux d'entre eux, des équipements sportifs pour tous les membres de la famille.
Pour ces groupes sociaux favorisés, on le voit, c'est bien en termes de choix de
mode de vie que l'arbitrage est fait entre les périphéries vertes et les localisations
urbaines plus centrales. Les familles les plus aisées ont les moyens de vivre au
quotidien ces localisations périphériques sans être trop pénalisées en termes de
temps de transport (elles sont à la fois les mieux équipées en moyens de transport
et habitent les résidences les mieux desservies en voies rapides); elles ont aussi les
moyens d'envisager un déménagement vers des localisations plus centrales quand
les enfants seront devenus adolescents. Pour les familles de classes moyennes habi-
tant la périphérie, le tableau est bien distinct: au quotidien, les temps de transport
s'allongent sensiblement, ce qui amène souvent les femmes à abandonner leur
emploi, et la perspective d'une mobilité résidentielle reste bien hypothétique.
Dans le contexte latina-américain où les systèmes de transport sont socialement
très différenciés, habiter la périphérie a une signification bien différente selon les
groupes sOCiaux.
HabJkm 2
Max: 4661.16
Min:O
. - ---.
1
1-
1
..1
Pénmètre urbain de Soacha
272
HABITER LA VlLLE: STRATËGIES ET MOBILlTËS RÉSIDENTIELLES
Fig. 13.1 b - Dispersion de la famille (père, mère, enfants) des habitants de Soacha
Père et Mère
Enfants
•
.13
•
r--1
s
Secteur de recensement
L-J en 1993
: _•• - -: Périmètre urbain de
'. - _•• .: Soacha
...... -:_ ..
~
,".--' .
'. ')" 7'.':'·"'·:· ".' '~:ê~~'<.r:::.",\-v:..'P<.~'-i"l{
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o
+
5 Km
Source: éncut'lfllJ MovlTdll1d fSfXlÇ/111 ('IJ i.j;)(lOlb, CEDE-DRSTOM, 199]
ElaboratIon: 08;HJni7Y D., IRD
273
LAMÉRIQUE LATINE DES VILLES
enfants, décès d'un proche sont souvent évoqués dans les enquêtes pour expliquer
les déménagements. De façon générale, les grandes inégalités économiques qui
traversent les populations citadines latino-américaines s'expriment dans des écarts
considérables en matière de fécondité comme de mortalité: tout en résidant dans
la capitale, qui a les meilleurs indicateurs de santé du pays, les familles pauvres de
Bogod. ont ainsi une fécondité comparable à celles observées dans les campagnes
et une très forte surmortalité masculine aux âges adultes, liée aux homicides et aux
morts accidentelles (Dureau et Flarez, 1996). Ces comportements démographiques
très différenciés contribuent à accentuer la diversité des pratiques résidentielles
selon les groupes sociaux. La très forte instabilité familiale des populations pauvres
de Bogota est ainsi un des éléments explicatifs de leur mobilité résidentielle.
Qu'en est-il des relations entre mobilité résidentielle et statut d'occupation du
logement et des variations d'intensité de la mobilité selon les groupes sociaux?
Lanalyse statistique d'une enquête biographique menée à Bogota offre une
première série de réponses (Delaunay et Dureau, 2003) :
• deux fois sur trois, les individus déménagent tout en conservant le même
statut d'occupation du logement, ce qui met en cause l'association trop systé-
matiquement faite entre mobilité résidentielle et accession à la propriété; 275
LAMÉRLQUE LATLNE DES VILLES
4. Ce résultat sur la plus grande mobilité des locataires, comparativement aux propriétaires, converge
avec les observations faites sur les villes européennes (Clark et Dieleman, 1996). En revanche,
certains auteurs affirment une certaine stabilité des locataires dans les zones centrales des villes
latina-américaines, comparativement aux locataires des zones périphériques (Gilbert, 1997): en
l'absence de précision sur la nature des données et les villes sur lesquelles repose cette affirmation,
on peut émettre l'hypothèse qu'il s'agit d'un effet de composition des populations considérées
dans la comparaison, les locataires des zones cen traies constituant une population sensiblement
276 plus vieillie que les locataires de la périphérie.
HABITER LA VILLE: STRATÉGIES ET MOBILITÉS RÉSIDENTIELLES
des déménagements quelle que soit leur portée géographique, la mesure est ici plus
restrictive: ne sont pris en compte que les changements d'unité administrative
(communes ou districts, selon les études), en comparant le lieu de résidence au
moment du recensement et le lieu habité 5 ans auparavant.
Canalyse des matrices d'échanges migratoires entre communes au sein des aires
métropolitaines de México, Rio de Janeiro, Santiago et Sao Paulo, confirme
qu'une part importante de l'expansion périphérique trouve son origine dans l'ex-
pulsion des habitants des zones centtales et que la migration intta-métropolitaine
tend à accentuer les divisions sociales des espaces: ce sont les communes dont la
population a le niveau d'éducation le plus élevé qui bénéficient de la plus force
amélioration de ce niveau grâce à la migration. Limportance des flux centre-péri-
phérie continue d'alimenter l'étalement urbain, mais il ne faut pas pour autant
négliger les mouvements centripètes ou au sein de chaque couronne.
Deux études permettent de préciser le diagnostic sur la ville de Santiago, en
1992 ct en 2002.
À partir du recensement de 1992, J. Ortiz et S. Morales analysent la distribu-
tion spatiale des migrants entre les 364 districts du Gran Santiago, afin de mettre
en évidence l'impact social de la mobilité intra-urbaine, majoritairement dirigée
du centre vers la périphérie. Leurs résultats confirment ce qui a été constaté dans
d'autres contextes: la mobilité est plus fréquente chez les jeunes adultes; les
migrants célibataires ou appartenant à des ménages composés de deux personnes
sont plus fréquents dans le centre, les ménages migrants de grande taille plus
nombreux en périphérie; les locataires migrants relativement plus nombreux dans
les secteurs centraux. Dernière caractéristique mise en évidence: le rôle primordial
du statut social lié à l'activité exercée. Les lieux d'installation des universitaires se
distinguent nettement de ceux des cadres moyens et techniciens; les mobilités
spatiales tendent à reproduire le schéma des divisions sociales existantes, chaque
groupe rejoignant préférentiellement les secteurs habités par ses semblables.
Sur le cas du Gran Santiago, C. Arriagada et J. Rodriguez analysent les redistri-
butions de population qui s'opèrent via des mobilités sélectives entre les
communes, entre 1997 et 2002. Malgré les programmes de redensification du
centre mis en place dès le début des années 1990 et en dépit du dynamisme immo-
bilier à l'origine d'une forte augmentation du nombre de logements, entre 1997
et 2002 les communes centrales continuent de perdre de la population dans leurs
échanges avec les communes périphériques: les ménages de grande taille (quatre
personnes ou plus) y ont été remplacés par des ménages de taille réduite (la propor-
tion de ménages unipersonnels augmentant tout particulièrement). Autre trait
important de l'évolution du peuplement de la zone centrale entre 1997 et 2002:
son gain en capital humain (mesuré par le niveau de scolarité), le centre retenant
plus qu'auparavant sa population qualifiée, et devenant attractif pour les qualifiés
du reste de l'agglomération. Enfin, on observe à partir de 2002 un rajeunissement
de la population du centre, après deux décennies où la tendance était au vieillisse-
ment en raison du départ des jeunes et des familles avec enfants en bas âge.
Canalyse menée par D. Delaunay et C. Paquette sur México établit un diagnos-
tic des migrations entre communes sur l'année 2000, juste avant la mise en place
de la politique de redensification du centre. Comme à Santiago, le centre perd de 277
L:AMÉRlQUE LATINE DES VILLES
Pour comprendre ces dynamiques urbaines, c'est-à-dire saisir les relations réci-
proques entre pratiques résidentielles des citadins et transformations des espaces
urbains, nous nous appuierons sur une étude de cas, la ville de Bogotâ. La capitale
colombienne bénéficie d'un corpus d'information adéquat pour mettre en œuvre
cette approche: données individuelles de trois recensements de la population et de
l'habitat; trajectoires résidentielles, familles et professionnelles complètes recueillies
auprès de 1031 ménages; et entretiens approfondis sur un sous-échantillon 5.
À partir du cas de Bogod, il sera ainsi possible d'évoquer de façon concrète ce jeu
de relations complexe entre les histoires résidentielles individuelles et les histoires
des lieux.
Quatre trajectoires résidentielles typiques, illustrant des processus à l'œuvre
dans de nombreuses autres villes latino-américaines, seront présentées à partir de
ces observations 6:
• une première concerne les itinéraires d'accession à la propriété des familles
démunies, via l'auto-construction en périphérie; itinéraire classique, mais
dont le déroulement spatial a évolué avec le développement de la ville;
• une deuxième rend compte des trajectoires de familles de classes moyennes
s'installant dans des ensembles résidentiels fermés dans des périphéries popu-
laires: le phénomène, nous l'avons vu, prend une ampleur particulière dans
les grandes villes latina-américaines depuis une quinzaine d'années;
• le troisième exemple illustre le desserrement résidentiel des familles aisées à
la recherche d'un environnement de qualité dans des communes périphé-
riques encore peu touchées par l'expansion urbaine, mouvement ancien mais
dont les formes architecturales ont évolué au fil des décennies;
• d'autres familles aisées font un choix différent, celui d'un « retour» vers des
localisations plus centrales: il fait l'objet du quatrième exemple, qui illustre
donc une option résidentielle relativement nouvelle dans des villes marquées
historiquement par l'abandon du centre par la bourgeoisie locale.
Enfin, nous évoquerons dans un dernier point les trajectoires marquées par
l'immobilité résidentielle: dans des villes « en chantier », les habitants sédentaires
connaissent eux aussi des transformations de leur situation résidentielle, parfois
même plus amples que celles vécues par des citadins mobiles, on l'oublie trop
souvent.
5. Cette information a été réunie dans le cadre d'un programme de recherche mené par une équipe
franco-colombienne co-dirigée par F. Dureau (IRD) et C. E. Flôrez (CEDE, Universidad de los
Andes), qui a reçu des financements complémentaires du CNRS - Programme Ville et du CNES.
6. Tous les exemples déclinés ici ont fait l'objet d'une présentation plus complète dans Dureau et al., 279
1998.
CAMÉRIQUE LATINE UES VILLES
gales de terres ne sont généralement pas le fait de migrants récents: elles suppo-
sent l'existence d'un réseau de relations permettant d'avoir accès à l'information,
condition difficilement accessible au migrant récemment arrivé. Citinéraire du
migrant locataire ne se limite plus aux pièces louées dans les grandes maisons des
quartiers centraux, abandonnées par les classes aisées. Avec la saturation du
marché locatif dans les quartiers centraux et le développement de l'offre locative
qui accompagne la consolidation des quartiers périphériques, la proportion des
migrants s'installant en premier lieu dans les quartiers centraux de la capitale
devient minoritaire, au regard de ceux s'installant directement dans les arrondis-
sements périphériques du District de Bogotâ, ou dans les communes voisines 7.
Ainsi, après une phase initiale de peuplement par des familles de Bogotâ, nées
dans la capitale ou migrantes de longue date, qui résolurent leur besoin de loge-
ment par des occupations illégales à Soacha, ces quartiers se trouvent maintenant
au début d'une phase de maturation démographique. Les quartiers les plus conso-
lidés commencent à accueillir dans les logements en location des migrants arri-
vant directement de l'extérieur de l'aire métropolitaine; de jeunes couples pauvres
de Bogod. peuvent aussi y satisfaire leur besoin de logement. Cépuisement des
possibilités de logement en location au sein du District, conjugué à l'apparition
d'une offre dans les parties consolidées des municipalités périphériques, aboutit à
des trajectoires résidentielles plus concentrées en termes spatiaux comme tempo-
rels: passage plus rapide de la location à l'auto-construction, au sein d'un même
espace périphérique. La proximité des zones de location et d'invasion contribue à
raccourcir l'itinéraire locatif, autrefois souvent articulé autour de deux moments:
un moment dans le centre de Bogotâ, suivi d'un autre en périphérie, le temps de
construire sa propre maison sur un terrain acquis dans une urbanisation clandes-
tine voisine. Le processus de consolidation des quartiers illégaux constitue la
donnée centrale de cette évolution, déjà mise en évidence à México (Coulomb,
1988).
La mobilité résidentielle des locataires est encore plus intense en périphérie que
dans les inquilinatos du centre de Bogod.: en 1993, dans le secteur locatif de
Soacha, au sud-ouest de Bogotâ, 12 % des adultes ont occupé au moins 3 loge-
ments différents au cours de l'année. Le changement fréquent de pièce en loca-
tion constitue une pratique très répandue chez les personnes ne pouvant faire face
au paiement du loyer, qu'il s'agisse d'une solution de fuite adoptée volontairement
pour échapper à l'échéance du loyer, ou de l'expulsion du logement par le proprié-
taire en cas de non paiement. Un second facteur de mobilité réside dans les
problèmes de relations de voisinage, qui, dans les conditions de promiscuité des
inquilinatos, font partie de la vie quotidienne: ils constituent une raison fréquente
de déménagement et fondent largement le désir d'accéder à son propre logement.
Enfin, la grande instabilité des unités familiales des populations les plus pauvres
de la capitale colombienne contribue très fortement à leur mobilité résidentielle.
7. Il s'agit là d'un résultat bien établi dans la littérature scientifique, confirmé dans de nombreuses
280 capitales latino-américaines (Gilbert, 1991: 88).
HABITER LA VILLE: STRATËGIES ET MOBlLITËS RfSIDENTIELLES
Jorge a 41 ans. Il esr arrivé à Bogota depuis sa ville narale Moniquid., avec rrois de ses
frères, quand ils étaient jeunes. Dora, son épouse de 38 ans, esr arrivée seule à Bogora à l'âge
de l5 ans, en provenance de sa ville natale Tocaima, pour rravailler dans la maison d'un de ses
frères, qui « a de l'argenr ».
Jorge y Dora se sont connus er mariés à Bogora il ya 20 ans. Ils Ont eu deux enfants qui
vivent avec eux: William er Lady Yohana Marce1a, âgés respectivement de 17 er 14 ans. Depuis
leur mariage, ils Ont habiré des pièces en locarion dans le quarrier 20 de Julio, puis dans Je sud
de la ville. Dans le quanier Olane, à Basa, ils ont habité quatre logements différents.
Ils ont essayé une fois de vivre dans une invasion dans le quarrier Arahualpa, mais sans
succès, « là, ça aéré rerrible, parce qu'ils ne nous ont pas laissé envahir ». Néanmoins, ils ont
connu à cette occasion une femme qu'ils appellent « la grand-mère ». Elle les a informés.
plusieurs années plus rard, de l'invasion des AltOS de Cazuca et de la possibilité d'obrenir un
rerrain là-bas, en s'affiliam à la Central Provivienda. C'est ainsi qu'ils ont ache ré en 1990, pour
la somme de 150000 pesos, le terrain sur lequel ils vivent actuellement. Comme Jorge ne
connaissait rien en construction, ils ont payé pour la fabrication de leur maison en bois, qui
comporre une pièce avec deux lits.
Jorge est photographe depuis 20 ans. Pendant cinq ans, Dora a fait du commerce dans
une rue du quarrier Venecia. Depuis deux ans. elle est employée domestique dans une maison
du nord de Bogota et elle reste patfois dormir dans la maison de ses employeurs, pour garder
leurs enfanrs. À l'avenir, elle pense ouvrir une boutique dans sa maison, pour vendre des four-
nitures scolaires. Tous !es jours, Jorge et Dora panent tôt de leur maison. Les enfants étudient
à des heures différentes. Très mauvais élève, William pense abandonner ses études er travailler
comme il l'a déjà fait à d'autres occasions, comme vendeur ambulant dans le centre. Sa sœur,
très studieuse, fair un long trajer pour étudier dans le collège du quarrier d'Olarte qu'elle
fréquentair déjà quand ils y habitaient.
Source: Dureau et Hoyos. 1994.
Photo 13.4 - Bogota: Villa Mercedes, une ùwasiôrl aux Altos de Cazuci
Photo 13.5 - Bogocl: conjuntos cerrados de Soacha, au pied des Ntos de Cazuca
B. Lortic, 1999.
La famille esr composée des parentS, Raul y FIor (51 y 52 ans), d'un fils de Fior, Antonio
(28 ans) er d'un enfant adopré, âgé de 7 ans. Fior esr née à la campagne, à Vélez (Santander),
où son père vir roujours; elle esr arrivée à Bogod. en 1958: « je suis venue parce que je me suis
rerrouvée enceinte er mon père m'a chassée de la maison ». Elle a d'abord vécu chez sa grand-
mère, où elle a eu sa fille; celle-ci esr mariée er vir dans le Sanrander. FIor a roujours vécu dans
des logemenrs en locarion et avec l'aide de ses amies, elle a rrouvé du travail. Quand elle
rravaillair dans le casino La Fayerre, Antonio esr né.
FIor a connu Raul il y a 20 ans, au moment où il venair de rentrer du Venezuela où il avair
vécu pendant 13 ans. Depuis cerre époque, ils vivent ensemble, même s'ils ne SOnt mariés léga-
lement que depuis sepr ans. Quand ils onr commencé leur vie commune, ils ont habiré Las
Cruces, puis Bonanza er Carvajal, dans des appartements en locarion. Grâce à une annonce
dans le journal Et Espacio, ils Ont éré informés des maisons qui éraienr mises en vente à Soacha;
ils se SOnt décidés à en acheter une, parce ce que la taille leur a plu (4 chambres, deux salles de
bain, salon, salle à manger, pario), ainsi que la proximiré de l'auroroure. lis Ont ache ré leur
maison (classée comme « logemenr social ») avec un crédit de 8 millions sur 15 ans accordé par
un organisme financier. Raul er Antonio payenr les traires mensuelles de 120000 pesos. lis
considèrenr qu'ils onr fair un bon investissemenr er son sarisfaits d'avoir d'un voisinage compo-
sés de « professionnels ».
Depuis seize ans, la famille travaille dans le commerce de fruirs. Au débur, Fior er Raul
travaillaient place de Las Flores, Raul esr ensuire passé à Corabastos (marché de gros situé au
sud-ouesr de Bogoci). Il y a 5 ans, après son rerour du service miliraire, Anronio, qui connais-
sair le négoce. s'esr mis à son compre à Corabasros. Aujourd'hui les deux hommes font du
commerce de gros de fraises dans le même enrrepôr, avec différents locaux en locarion. Leur
rêve à rous les deux esr d'acherer un local dans Corabasros er un camion pour négocier er rrans-
porter les fruits direcrement depuis les lieux de prod ucrion. FIor ne rravaille plus er se consacre
à l'enrrerien de la maison.
Source: Dureau er Hoyos, 1994.
283
L:AMÉRIQUE LATINE DES VILLES
Pour les hommes, résider à Soacha ne se traduit pas par une détérioration sensible
des conditions de transport jusqu'au lieu de travail, au contraire: une proportion
importante exerce leur activité professionnelle dans le centre et le sud de la capi-
tale et un quart d'entre eux utilisent leur propre véhicule pour rejoindre leur lieu
de travail. Ce sont les femmes qui « payent }) le fait de résider à Soacha: outre une
faible insertion professionnelle, on observe que la population féminine qui
travaille le fait au prix d'un coût énorme en termes de temps de déplacement
(49 minutes en moyenne), systématiquement effectué en transport en commun.
Plus de la moitié d'entre elles perdent plus d'une heure pour se rendre sur leur lieu
de travail, alors que seulement un quart des hommes actifs résidant dans les
mêmes quartiers de Soacha sont dans cette situation.
D. Delaunay, 2001.
construits en série autour du centre urbain de ChIa. Les entretiens réalisés auprès
de cadres travaillant hors de la commune permettent d'approfondir la compréhen-
sion des comportements de ces ménages. Outre le fait qu'il s'agit le plus souvent
de familles avec de jeunes enfants, une caractéristique commune est qu'ils exercent
des professions qui leur permettent de jouir d'une certaine souplesse dans la
gestion de leur emploi du temps, ou de travailler éventuellement chez eux.
Comme ils sont motorisés et ne sont pas contraints de circuler aux heures de
pointe, résider en banlieue n'implique pas des temps de transport plus élevés que
ceux des mêmes catégories sociales résidant dans les quartiers nord de Bogod. Au-
delà des faits, la perception qu'ont les habitants des conjuntos cerrados de ChIa des
questions de temps de transport est très significative: même ceux dont les revenus
leur permettraient de vivre dans les nouveaux appartements de standing du péri-
centre nord ne font jamais cette comparaison, ce qui montre bien que le choix de
ces familles est avant tout celui d'un certain mode d'habitat, la maison individuelle
et son jardin: les seules zones de Bogota où ex.iste une offre de ce type pour classes
aisées sont nécessairement dans des situations septentrionales qui impliquent déjà
de longs temps de transport pour rejoindre les zones d'emploi. Pour des familles
aisées avec de jeunes enfants ayant décidé de vivre dans une maison d'un conjunto
cerrado, ChIa est donc une bonne option. l:argument financier est parfois avancé
pour expliquer ce choix, mais il semble relativement secondaire par rapport aux
considérations ayant trait à la qualité de vie. Ce sont les caractéristiques de l'envi-
ronnement qui sans aucun doute motivent le transfert résidentiel de ces popula-
tions, pour qui la ville est affublée de tous les qualificatifs négatifs. 28)
CAVlÉRJQUE LATINE DES VILLES
286 8. Cette section correspond à une recherche menée par F. Dureau, T. Lulle & A. Parias (1998).
HABITER LA VJLLE: STRi\TËGIES ET MOBIUTËS RfSlDENTlELLES
F. Dureau, 2000.
dans d'autres communes (Chfa, Cota), offrant des avantages en termes de qualité
de vie et d'environnement par rapport à Bogod.
F. Dureau, 2004.
tion de l'habitat spontané, décrits par Paquette (2000a: 314-315). Cette politique
mise en œuvre par le gouvernement militaire avait plusieurs objectifs: libérer les
communes aisées des quartiers populaires d'invasion qui s'y étaient développés
pendant les années précédant le coup d'État de 1973, y accroître l'offre foncière et
permettre la constitution de territoires socialement homogènes. Si certains de ces
quartiers d'invasion Ont fait l'objet d'une régularisation, la majorité d'entre eux
Ont été éradiqués, leurs habitants étant relogés grâce à des programmes de loge-
ments économiques ou sur des parcelles urbanisées en accession à la propriété. En
l'espace de seulement six années, 142500 personnes Ont ainsi été déplacées, les
trois quarts des relogements s'effectuant dans la périphérie sud de la capitale
chilienne (figure 13.2). On pourrait également évoquer l'exemple de Buenos Aires
pendant la dictature militaire (1976-1983), qui avait pour objectif d'éliminer les
« poches de pauvreté» incrustées dans les zones centrales; ou celui de Rio de
Janeiro où les fàvelas situées dans le sud de la ville, où résident les familles aisées,
Ont été détruites et leurs populations relogées dans des ensembles résidentiels péri-
phériques, contribuant à accentuer la différence entre un centre moderne et des
périphéries marquées par la misère (Villa et Rodriguez, 1998: 76).
Enfin, doit être mentionnée la présence croissante de populations réfugiées
dans certaines villes latino-américaines, petites ou grandes. Dans les pays dévastés
par la guerre civile, la présence dans la capitale de populations venant y chercher
refuge n'est pas un phénomène nouveau: après San Salvador, Managua ou 2~9
LAlV!ËRJQUE LATINE DES VlLLES
Guatemala dans les années 1980, c'est au tour de Bogod. d'être marquée par l'af-
flux de populations réfugiées depuis l'aggravation brutale du conflit armé à la fin
des années 1990. Les occupations des locaux d'institutions diverses (mairies,
ministères, églises ou organisations internationales) se sont multipliées dans le pays
à partir de 1997, année où fut votée une loi reconnaissant le statut de desplazado:
un millier de déplacés ont ainsi occupé le siège du CICR à Bogod. en 1999 (Agier,
2002). Ces occupations placent régulièrement sous les projecteurs la question des
déplacés, que les ONG et l'église évaluent à 2 ou 3 millions dans l'ensemble du
pays. Selon les sources existantes, on estime actuellement que 500000 à 1 million
de personnes, contraintes à abandonner leurs terres d'origine en raison du conflit
armé, se sont installées dans la capitale. Les rares études scientifiques disponibles
(Bello et Mosquera, 1999; Osorio, 2002) ont montré la faible pertinence analy-
tique des césures opérées entre déplacements « économiques « familiaux et )l, )l
Figure 13.2 - Les déplacements forcés de population à Santiago du Chili dans le cadre
de la politique d'étadication des campamentos par le gouvernement militaire
+o Skm
! !
o 9000
~
Familles relocalisées dans la commune ==.=:==.=:
-
7000
.•. _. . . • . • - SOOO
Déplacement supérieur à 500 familles
... . 3000
Zones urbanisées (1990)
... . 1000
-- ------SOO
- . - ..... - 100
Limite de commune
Route
Source: Carte établie il partir du bilan des déplacements, Bulletin Hechos Urban 05 nO11? 1988
Elaboration: Paquette C. et LCA - Oanard M.
Conclusion
Les pages qui précèdent font voler en éclats l'image courante d'une ville latino-
américaine peuplée par des hordes de migrants directement ({ venus de leurs
campagnes» et habitant des maisons en matériaux de récupération dans des
bidonvilles s'étalant sans fin sur les terres agricoles périphériques. Si cette image
se vérifie parfois, ce n'est que dans des contextes bien précis, dans certains lieux,
à des moments spécifiques. Ce qui marque les dynamiques contemporaines des
espaces urbains latino-américains, c'est à la fois: la banalité de certains processus,
partagés avec les villes du monde développé; la rapidité des changements qui
affectent les espaces et les comportements des habitants; et l'ampleur croissante
des inégalités qui les traversent, entre métropoles, villes moyennes et petites villes
d'un même pays, et entre habitants d'une même ville.
292
Un modèle métropolitain en évolution
Françoise DUREAU
293
LANIÉRlQUE LATINE DES VlLLES
F. Demoraes, 1999.
1. À titre de comparaison, en France, entre 1975 et 1999, J'expansion des agglomérations urbaines
a été deux à trois fois plus rapide en surface qu'en population (Pumain, 200Gb: 112).
2. Selon la définition proposée par (Pumain, 200Gb: 112), J'étalement urbain désigne le « proces-
sus d'accroissement important des zones urbanisées en périphérie des villes, qui s'accompagne
généralement d'un desserrement des activités urbaines. Le processus est apparu en Amérique du
Nord dès les années 1950, il est devenu important en Europe du nord-ouest dans les années 1960
et à partir des années 1970 en Europe du sud. Il atteint désormais aussi les grandes villes du Tiers- 29 C
Monde ». )
LAJvlËRlQUE LATINE DES VlLLES
1952
1962
1972
+
2Dkm
1983
Source: Laboratorio de dados . Facu/dade de Arqultetura e Urbanismo. Umversldade de Sao Paulo - C€SAO-FAUUSP.
Elaboration: LCA -Daoard M.
1918
l.
',,-
'.' '"'1 '.
) 1943
Selon un processus déjà évoqué et vérifié dans de nombreuses villes, les grands
logements délaissés par la bourgeoisie sont subdivisés pour leur mise en location et
commencent à être occupés par les couches populaires. Cette transformation s'ac-
compagne de mutations des activités commerciales et de services: celles-ci s'orien-
tent également désormais vers une clientèle beaucoup plus modeste. Buenos Aires
fait néanmoins figure de contre-exemple: les classes aisées sont toujours restées
présentes dans les secteurs centraux de la capitale argentine Uanoschka, 2002),
même si leur zone d'habitat s'est progressivement étendue, formant un " cône»
d'habitat des élites qui s'étire vers le nord (Sabatini, Ciceres et Cerda, 2001).
Dans le même temps, l'expansion périphérique des quartiers d'habitat popu-
laire s'intensifie avec l'accélération de la croissance démographique des villes. Les
formes de production du logement Ont été décrites dans le chapitre 12, nous n'y
reviendrons pas. Il ne fait aucun doute que le principal facteur de cette expansion
réside dans le système de production du logement populaire, conjugué à celui des
transportS qui, grâce à sa souplesse, permettait une desserre quasi immédiate des
quarriers périphériques, dès leur apparition (Montezuma, 1997; Dureau, 2000c:
91). On était alors face à un mode de développement métropolitain cohérent,
disposant de la ressource nécessaire à sa reproduction: la disponibilité en terres.
C'est ainsi qu'une expansion urbaine sans frein s'est développée sur les périphéries
environnant les plus grandes villes, le plus souvent sans intervention majeure des
autorités publiques pour orienter ou limiter l'urbanisation. 297
L:AMË.RIQUE U\TINE DES VILLES
1900-1935
1945-1960
1970-1980 1980-1993
.+..
N
•
Secteur construit
avant 1970
Secteur construit •
Secteur construit
avant 1980
Secteur construit
entre 1970 et 198Q entre 1980 et 1993
3. Dans le diagnostic de la ville établi dans le document technique du POT (Plan de Ordenamiento
Territorial: Plan d'Aménagement du Territoire) de Bogotâ de 2000, la question des densités et de
3~O la disponibilité en terres occupe ainsi une place centrale; la ségrégation, qui monopolisait l'atren-
UN MODÈLE MfTROrOLITAIN EN ÉVOLUTION
à critiquer les villes peu denses pour leur consommation en espace, le coût de leur
équipement, etc. (Pumain, 2006a : 81), les positions semblent moins unanimes
en Amérique latine. De nombreux facteurs interviennent dans l'appréciation
portée par les citadins, comme par les autorités ou les gestionnaires, sur les niveaux
des densités: bien évidemment, la dimension politique proprement-dite, mais
aussi les solutions techniques disponibles (notamment en matière de construction
et de transport) et le niveau de développement économique. Interviennent aussi
les modalités d'évaluation des densités et de leur perception. Leur mesure est une
question complexe (encadré 14.1): l'information disponible est rare, souvent
contradictoire et rend mal compte de la réalité de l'intensité et de la dynamique
du peuplement.
L:indicateur de densité est un « rapport entre des quantités et la mesure de la surface qui
les porte» (Pumain, 2006a: 81).
Selon le dénominateur, on mesure une densité de popularion « brute » (la population est
rapportée à l'ensemble de la surface totale) ou « nette» si l'on ne retient que la surface bâtie,
voire seulement celle consacrée à l'habitat.
Quel espace ptendte en considération pour le calcul des densités urbaines? Les limites
administratives des villes sont multiples, la reconnaissance du fait métropolitain varie selon les
pays, et délimiter des villes de plus en plus diffuses constitue un exercice d'une complexité
croissante. L:échelle de mesure des densités intervient aussi directement sur l'appréciation et
l'interprétation qui peuvent être faites de la distribution ou de l'évolution des densités. Changer
d'échelle de mesure revient à déduire progressivement les usages non résidentiels de l'espace
urbain: la voirie, les espaces non consacrés à un usage résidentiel, pour ne retenir enfin que les
logements occupés et mesurer une « densité domiciliaire)) à travers un indicateur du type
« nombres de personnes par pièce ou par m 2 de logement )). Densité brute et densité domici-
liaire peuvent diverger fortement: les faibles densités globales des périphéries récentes sont
souvent associées à des densités domiciliaires beaucoup plus élevées que dans des quartiers d'ha-
bitat collectif aux densités globales très élevées (tlgure 14). La proportion d'espace consacré à
la voirie et la distribution de cet espace varient fortement selon les villes. La voirie d'intercon-
nexion entre les quartiers occupe un espace plus important dans les villes au développement
postérieur à la diffusion de l'automobile et faisant l'objet d'une forte planification (certaines
villes brésiliennes comme Curitiba, par exemple) que dans des villes comme Bogod où la
production de ce type de voirie a longtemps éré déficitaire.
Au numérateur, sont pris en compte généralement les seuls « habitants )), c'est-à-dire la
population recensée comme résidente. Or, ne considérer les densités qu'à travers les lieux de
résidence revient de fait à nier l'espace parcouru quotidiennement par les citadins hors des
murs de leur logement, ainsi que les variations de peuplement des lieux de la ville selon les
heures de la journée ou les rythmes de la semaine. Face aux limites d'une telle mesure statique,
l'indicateur de « densité mouvante)) (Mille, 2000) ou celui de « densité humaine nette », qui
somme la population et le nombre d'emplois et les rapporte à la surface urbanisée (Fouchier,
1998), constituent des propositions intéressantes pour mieux rendre compte de l'intensité
d'occupation des lieux de la ville, et de ses temporalités. Utiliser ces indicateurs, considérer à
la fois les densités brutes et les densités domiciliaires, autant de propositions qui permettent
de mieux approcher la densité vécue par les habitants, bien distincte de la simple mesure de
densité calculée sur la base des lieux de résidence ou de la localisation des activités.
Source . Dureau et Lulle, 1998 : 19-21.
tian jusque-là, n'est abordée que dans une seule des soixante-dix pages consacrées à la caractéri-
sarion de la ville actuelle (Dureau et al.. 2004 : 167). 301
CAJvffRlQUF lATINE DES VlLLES
Indice de promiscuité
dans le logement
Nombre moyen de
personnes par pièce
• 2,25;'3,25
1,9 à 2,25
1,45àl,9
o làl,45
o 0,6;'1
Densité démographique
par secteur
Nombre d'habitants
par hectare
• 300à610
• 150à300
70 à 150
o 30à70
N
o Oà30
Limite d'arrondissement
Source: Recensement de la popufation 1985, OANE Elaboration: Pissoat O., Oureau F. et LCA - Danard M.
4. Selon cette même source (Moriconi-Ebrard, 1994: 135): Asie du Sud 887 hab/ha; Asie du sud-
esr 679 ; monde arabo-musulman 688; Afrique noire 369.
5. Selon P. Poncet (2003), qui analyse une cartographie des densités et de la taille des villes de plus
de deux millions d'habitants dans le Monde, « les cas de l'Amérique latine et de l'Afrique subsa-
harienne présentent une hétérogénéité d'une autre nature. Pour tout dire, ces deux ensembles
régionaux n'existent pas sur la carte [des densités et de la taille des grandes villes du monde]. Au
mieux, on voit une Amérjque hispanique, entre México et Buenos Aires, aux villes un peu plus
denses qu'en Europe, de laquelle est distinct un Brésil dont les densités urbaines se confondent
avec celles de l'Amérique du Nord ».
6. Dans les villes du monde développé, le schéma général est à une augmentation des densités
(jusque dans les années 1960 aux États-Unis, et en 1975 en rrance), puis à une diminution liée
à la diffusion de l'usage de l'automobile (Dupunt & Pumain, 2000 : 55).
7. Selun C. Miranda Munoz (1997), la densité du Gran Santiago était de: 86 hab/ha en 1940,
90 en 1950 et 1%0,89 en 1970,93 en 1982, 97 en 1992. Elle serait de 84 hab/ha en 2002
(demographia. corn). 303
I:AMÉRlQUE LATINE DES VILLES
8.127 hab/ha en 1900; 128 en 1950; 126 en 1970; 120 en 1980; 117 en 1990, selon G. Garza
(2000 : 242); 84 en 2000 selon la base demograp!Jia.coltl.
9. Cet afflux de migrants es( très bien décrit dans le film Maria pleine de grâce, réalisé par Joshua
304 Marston, qui a remporté en 2004 le Grand Prix du 300 Festival du Cinéma Américain de Deauvi
UN MODÈLE MÉTROPOLITAIN EN ÉVOLUTION
1 - À poc" d~ ocm'~ 1940 " j""J"'" m'lic" d" ,m,,," 1970, '" cfu',=,œ défuO,"phiq", ,
rrès rapide s'accompagne d'une expansion spatiale encore plus soutenue, provoquant une
baisse régulière de la densité. Celle-ci passe en dessous du seuil des 100 hab/ha au début des ,
années 1970. Depuis, elle augmente régulièrement: 127 hab/ha en 1985, 145 hab/ha en 1993 1
(retrouvant donc le niveau des années 1940), 162 hab/ha en 1995. Pourquoi ce renversement
de tendance et ce mouvement de densification, originaux à l'échelle latino-américaine? 1
Cexpansion spatiale des décennies 1950 et 1960 le long des axes de communication avait
laissé de nombreux espaces interstitiels inoccupés (figure 14.5). À partir des années 1970, alors 1
que la croissance démographique se ralentit et que la ville franchit les limites du Disrrict et
s'étend sur les municipes voisins (en particulier celui de Soacha, au sud), trois phénomènes se
produisent simultanément: 1) une occupation plus généralisée de l'espace du District, remplis- 1
sant les vides laissés par l'urbanisation des décennies antérieures; 2) une densification des
espaces déjà urbanisés (dont ceux des périphéries), associée à une occupation plus intensive
des terrains urbains; 3) une re-densification de certains secteurs péricentraux construits
pendant la première phase de développement de la ville.
Tandis que l'espace urbanisé s'étend et se densifie, certains secteurs de la ville voient leur
parc de logements et leur population diminuer: c'est le cas du centre historique et le long des
axes de développement économique qui partent du centre vers le nord, l'ouest et le nord-ouest.
Trois grandes zones de densité se forment, selon une organisation radiale: deux secteurs très
denses au nord-est et au sud et un moins densément peuplé au nord. Cette évolution du
peuplement est l'expression démographique de deux phénomènes: l'occupation plus générale
de l'espace urbanisé, déjà mentionnée; une spécialisation fonctionnelle des espaces plus
matquée (entre l'usage tésidentiel et les autres) et une différenciation accrue en tetmes de
densité au sein de l'espace résidentiel de la ville. Le phénomène de densification est plus intense
dans les secteurs habités par des familles aisées que dans les quartiers d'habitat populaite: aux
différences entre les segments du parc de logements produits pour les diffétents secteurs de la
population, s'ajoutent celles liées aux comportements démographiques et aux pratiques rési-
dentielles car les ménages populaires sont de plus gtande taille et ils cohabitent plus ftéquem-
ment avec d'autres ménages dans le même logement. Ce qui contribue à créer de profondes
inégalités de peuplement.
Ainsi, sans que ce soit le produit d'une politique volontariste, la ville se densifie, sous l'ef-
fet de la conjonction de différents facteurs: un accès au sol rendu plus difficile par les struc-
tures foncières, par les reliefs qui bordent la ville au sud et la valorisation des terres agricoles
(développement de la floriculture), et des changements importants dans les choix résidentiels
de populations qui doivent affronter des déplacements devenus très longs dans un contexte de
dysfonctionnement du système de transport.
L
1
sein du District fédéral de México, les densités varient aussi fortement selon les
delegaciones: de 42 hab/ha (Milpa Alta, une delegacion encore largement rurale
située au sud-est du District Fédéral) à 183 hab/ha (Gustavo A. Madera, une zone
du OF déjà anciennement urbanisée, essentiellement par de l'habitat populaire
auto-construit). Dans l'État de México, les densités vont de 71 hab/ha (à Acolman,
un secteur d'urbanisation très récente) à 189 (à Nezahualcoyotl, une zone d'habi-
tat populaire urbanisée à partir de la fin des années 1950 et aujourd'hui très conso-
lidée), une densité qui dépasse donc même le maximum observé dans les delega-
ciones du District Fédéral (Garza, 2000: 242) (photos 14.:? et 14.4).
Des densités élevées en périphérie peuvent aussi apparaître autour de grands
centres commerciaux (La Florida à Santiago, par exemple) ou dans le cadre d'opé- 30)
I.:AMÉRlQUE LATINE DES VlLLES
Photo 14.3 - México: les fortes densités dans l'habitat locatif du centre
C. Paquette, 2006.
Photo 14.4 - México: les fortes densités périphériques dans la coionia Gustavo Madera
1973
Nbre d'habitants
par hectare
.359
N
+
350
200
Limite d'arrondissement
100
D Limite du périmétre urbain de Soacha
r- 1 4
0
Limite de secteur de recensement o 2Km
10. Dans la Géographie universelle, C. Bataillon, J.-P. Oeler et H. Théry notent que: « l'extrême
accroissement de ces métropoles, l'extension de ces mégapoles procèdent de logiques d'évolu-
tion où certains traits des dynamiques propres aux grandes cités industrialisées s'ajoutent, en s'y
combinant, aux caractères spécifiques du sous-développement, comme si, en fin de compte,
México c'était à la fois Paris plus Le Caire, et Sâo Paulo, New York en même temps que Calcutta
ou Manille» (Bataillon, Oeler & Théry, 1991 : 68).
A. Vanneph reprend le même raisonnement: « la très grande ville latino-américaine rejoindrait
dès lors plutôt, comme à travers l'aspect historique, la très grande ville européenne? Mais elle
est aussi très américaine (cf. Sâo Paulo ou Caracas) dans les gratte-ciel du centre, et rappelle
encore plus souvent son appartenance au Tiers-Monde, dans ses bidonvilles et ses précarités» et
« il y a dans la très grande ville latino-américaine, y compris par rapport à ses homologues du
Tiers-Monde une avancée particulière, une précocité du phénomène qui différencie trop nette-
ment le sous-continent pour ne pas poser question Il (Vanneph, 2000 : 346-347). On retrouve
308 enfin cette référence au modèle métis sous la plume de V. Baby-Collin (2001).
UN MODÈLE MÉTROPOLITAIN EN ÉVOLUTION
309
LAMÉRIQUE LATINE DES VILLES
gué, cela a été largement démontré (Demélas-Boohy, 1994). Le XIxe siècle voit
quant à lui l'apparition, dans les périphéries urbaines, de cités construites par des
entreprises minières ou industrielles pour loger leurs employés (photo 14.5); dans
les quartiers plus centraux, au Chili, des « cités populaires» voient le jour dans les
années 1920-1930 et, au Mexique, des vecindades (Bordsof, 2003). La ségrégation
n'est donc en aucune façon un processus récent en Amérique latine: l'image idyl-
lique qui est encore trop souvent dressée - pour dénoncer l'intensité du processus
ségrégatif contemporain - d'une ville du passé supposée « intégratrice» est fonda-
mentalement erronée.
Les villes compactes en place au milieu du xxe siècle, avant l'accélération de la
croissance démographique, sont encore organisées autour d'un espace central
entouré de bâtiments concentrant les fonctions politiques et administratives supé-
rieures ainsi que les activités commerciales de prestige (photo 14.6). Lespace rési-
dentiel des classes aisées se confond avec ce noyau central. Activités industrielles
et logements de la majorité des familles pauvres partagent l'espace périphérique
(figure 14.6). Seules exceptions à cette localisation périphérique des classes popu-
laires: les employé(e)s de maison logé(e)s dans les maisons de leurs patrons, ou les
artisans ou autres travailleurs dormant dans leurs locaux professionnels situés au
rez-de-chaussée d'immeubles localisés dans le centre.
Létalement urbain qui accompagne l'accélération de la croissance démogra-
phique se traduit par la mise en place d'une nouvelle organisation spatiale. Le
centre traditionnel est abandonné par les élites et les activités tertiaires supérieures,
qui se déplacent progressivement au fi! des décennies selon une direction préféren-
tielle, aboutissant à la formation d'un axe (ou d'un cône à Santiago) concentrant
immeubles d'activités et logements de standing. Dans le même temps, l'habitat du
plus grand nombre, les quartiers populaires, s'étend en périphérie à une vitesse
accélérée. Quant aux classes moyennes, elles occupent les localisations abandon-
nées par les familles aisées ou s'installent à proximité de celles-ci. Très rapidement,
se met donc en place une division sociale des espaces urbains et une organisation
fonctionnelle articulant axe(s) tertiaire(s) et industriel(s), qui s'accentue au fil des
décennies (figure 14.6).
Dans les années 1980, les grandes villes latina-américaines offrent l'image d'un
modèle d'organisation articulant deux modèles classiques de l'École de Chicago:
une organisation radio-concentrique et une organisation sectorielle (figure 14.7).
Expansion continue des quartiers populaire en périphérie et renforcement des
formes de ségrégation spatiale constituent indéniablement les traits marquants des
grandes villes latina-américaines des années 1950 aux années 1980. Dans un
contexte souvent marqué par la faiblesse de l'intervention publique, les classes
aisées s'agrègent dans des secteurs spécifiques, tandis que les populations modestes
occupent des secteurs non valorisés et souvent inaptes à l'urbanisation. Dans cette
phase d'expansion spatiale rapide, les différentes formes de production du loge-
ment contribuent à la constitution d'un parc de logements aux localisations
spatiales bien définies: chacun des segments du parc est peuplé par des catégories
de population spécifiques. La polarisation sociale de l'espace urbain s'affirme et
s'étend pendant cette période, aboutissant à une organisation en grandes mnes. La
grande visibilité des divisions sociales des espaces urbains a d'ailleurs tendance à
CAMt.RlQUE LATINE DES VlLLES
B. Lorric, 2002.
D. Delaunay, 2006.
312
UN MOOtLE MÉTROPOLITAIN IS ÉVOLUTION
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occulter des situations de mixité sociale pourtant bien réelles, comme celles que
l'on peur observer dans certains quartiers centraux et péricentraux (Sabatini et aL.,
2001 à propos de Santiago).
11. Dans l'ensemble de cerre secrion, saufindicarion conrraire, les résulrars concernanr Samiago,
Lima er México som issus des rravaux de Arriagada er Roddguez (2003), Rodrfguez & Arriagada
(2004), et Rodriguez (2006); ceux relatifs à Bogod et Cali des travaux de Dureau (2000) et
Dureau etaI. (2004).
12. Pour les populations les plus favorisées les indices de dissimilariré som de: 0,38 à México13; 313
0,44 à Lima; 0,46 à Bogora er à Cali; 0,49 à Samiago.
LAMÉRIQUE LATINE DES VlUES
~ Commerces
Zone of
Quartiers résidentiels
maturity
de qualité décroissante
du centre vers
la périphérie
@ Modèle centre-périphérie
+ Modèle de dissymétrie
~ Modèle en bande
Pour une mème catégorie sociale, les quartiers de Bogod: connaissent des différences
considérables quant à leurs caractéristiques démographiques. Lexpansion spatiale se lit dans
la composition par âge de la population des différents quartiers. Alors que la population âgée
se concentre dans les quartiers anciens, les périphéries comptent des proportions importantes
d'enfants (figure 14.8): âge des habitants et âge des quartiers vont souvent de pair. Plusieurs
caractéristiques des pratiques résidentielles expliquent ces configurations. D'une part, avec
l'âge et, surtout, l'accès à la propriété, les changements de logement deviennent moins
fréquents; d'autre part, comme on l'a vu au chapitre 13, les déménagements s'effectuent le
plus souvent sur de très courtes distances, les individus ayant rendance à rester dans le quar-
tier où ils ont débuté leur parcours résidentiel autonome.
Pour les populations les plus démunies, la différenciation démographique des zones d'ha-
bitat populaire traduit directement les modalités de la formation du quartier: sa date de créa-
tion, son mode de production et l'avancement du processus de consolidation. Les quartiers
d'habitat populaire du centre concentrent l'essentiel de la population âgée disposant de bas
revenus. Les adultes accédant à l'autonomie résidentielle dans les années 1960 et 1970 ont dû
partir en périphérie pour accéder à un logement indépendant: cette mobilité centrifuge de
jeunes adultes a accéléré le vieillissement des quartiers centraux. Dans les quartiers périphé-
riques auto-construits de création récente, les irrégularités des structures par âge sont majeures
et on observe une proportion importante de ménages composés d'une ou deux personnes: la
structure démographique y est dominée par des adultes de plus de 40 ans, seuls ou accompa-
gnés d'enfants ou d'adolescents. En revanche, dans les quartiers illégaux ayant connu un
processus de consolidation déjà bien avancé, les structures sont nettement plus régulières et la
proportion d'unités familiales de grande taille plus importante.
La différenciation démographique des quartiers traduit aussi l'évolution des aspirations
résidentielles des ménages ayant les moyens d'ajuster leur logement à leur composition fami-
liale, au cours du cycle de vie: se dessinent très nettement des trajectoires résidentielles internes
à la métropole directement liées à la composition des familles. La forte homogénéiré des loge-
ments des ensembles résidentiels conduit à des populations elles aussi très uniformes.
I..:homogénéité de la population résidant dans les résidences construites au nord de Bogod est
particulièrement accusée. Dans les quartiers fermés, seules quelques familles se singularisent:
il s'agit de couples âgés venus chercher un lieu tranquille pour passer leur retraite. En dehors
de ces quelques rares exceptions, la quasi-totalité des habitants s'alignent sur un même modèle.
Ce sont le plus souvent des familles nucléaires composées des deux parents et de jeunes enfants
(un ou deux, la baisse de la fecondité étant un fait acquis dans cette population), ayant une
situation professionnelle stable et des revenus confortables, et ils sont propriétaires de leur
maison. Au sud, à Soacha, dans les ensembles tésidentiels pour classes moyennes, le processus
est le mème. À l'homogénéité du patc de logements (les deux tiers des logements ont deux
chambres), répond l'uniformité démographique de la population qui y réside: il s'agit essen-
tiellement de ménages nucléaires de deux à quatre personnes, avec à leur tète des hommes
jeunes, de moins de 40 ans. I..:homogénéité démographique des ensembles résidentiels récents
s'oppose à la mixité des grands logements pour classes aisées produits dans les années 1960
et 1970. Encore occupés par leurs propriétaires âgés, ces logements accueillent périodiquement
les enfants et leur propre descendance: en cas de divorce ou de perte d'emploi, le logement des
parents constitue une ressource fréquemment mobilisée.
Source: Dureau, 1998 et Dureau et al., 2004.
316
UN MOD~LE MËTROrOLITAlN EN ËVOLUTION
• De39à62% De9à30%
De3Sà39% De 7,2S à 9%
• De2Sà3S% • De4à7,2S%
D De21à2S% D De2,Sà4%
DDeOà21% o DeOà2,S%
+ lKm
• De 17 à33,S %
• De7à 17%
De4à7%
o Donnée non significative
Source: Documento CEDE 96-05. CEoc·ORsrDM, 1996. Elaboration: Dureau F., Pissoat O.
Type de quartier
• Megaemprendlmiento
Club de chacras
• Country
C Barrio pr;vado
-=.ï dAI~~~~~:tiOn
Effectifs par type
en milliers
'06
[.
Superficie du
quartier (ha)
C
-:~so
22
, , ; Autorou[es
, / Routes
... VOles {~frées
NB les cercles sonl proportionnels a la superficie relarive des quartiers, maiS ne reprc-sentMt pas Jeur SUperfiCII? réelle: Ils som grossis ~n ...lrcn 13 fois..
J2J
CMvlÉRIQUE LATINE DES VILLES
F. Dureau, 2000.
Le nouvel attrait de localisations centrales pour les classes aisées s'est traduit par des chan-
gements très rapides dans l'effectif et la composition démographique de la population dans la
partie nord du péricentre de Bogot<i. l:évolution ascendante du quartier se lit directement dans
la composition socio-professionnelle des ménages en fonction des durées de séjour dans le loge-
ment: les ménages les plus récemment installés sont plus aisés que ceux qui se sont installés
durant les années 1970, à une époque de déclin du quartier lorsque les familles les plus nanties
partaient pour des localisations plus septentrionales. Les habitants les plus anciens, qui sont
donc de condition plus modeste, doivent maintenant affronter simultanément: une forte
augmentation de prix des commerces et des services de proximité, une pression fiscale accrue
et une forte augmentation des tarifs des services publics. Les caractéristiques urbanistiques du
quartier construit dans les années 1950 ont offert aux entrepreneurs un terrain favorisant une
transformation rapide du bâti: les maisons occupant des parcelles relativement grandes aux
mains de propriétaires individuels, ont pu facilement être démolies et remplacées par des
immeubles (photo 14.10). Non régulée, la transformation brutale de cette zone se traduit par
~
un coût social et humain important: pour les anciens habitants, l'évolution ascendante du
quartier correspond en réalité à une dégradation de leurs conditions de vie.
Source: Dureau, 2000a et 2000b: 168-169 et 253-254.
32)
L:AMËRlQUE LATINE DES VlLLES
F. Dureau, 2004.
14. Sur le cas des grands ensembles en France, l'article publié en 1970 par J.-c. Chamboredon et
M. Lemaire en a apporté une démonstration qui a fait date. 327
CAMÉRIQUE LATINE DES VILLES
mobilité, éminemment variables selon les villes et dans le temps comme nous le
rappelle l'exemple du Transmilenio qui a complètement bouleversé les temps de
transport à Bogotâ. La différence d'accès aux ressources urbaines est une des impli-
cations importantes de la ségrégation urbaine: certaines catégories de population
n'ont pas les moyens de « Bouger pour s'en sortir 15 ».
Il ne faut pas omettre une autre conséquence, qui a trait aux effets des formes
ségrégatives sur les comportements sociaux. Comme le rappellent J. Brun et
J.-P. Lévy dans le Dictionnaire de l'habitat et du logement (2002 : 386), on sait peu
de chose sur cette question dans le cas français. Il en est de même dans les villes
latino-américaines. Ici comme là-bas, les processus de marquages sociaux des
espaces urbains ne sont raisonnés qu'à travers le logement; la connaissance des
interactions sociales qui se jouent dans les espaces publics reste à construire. On
peut sans risque formuler l'hypothèse que les changements d'échelle de la ségré-
gation s'accompagnent de modifications des usages et fréquentations des espaces
publics; la proximité spatiale multiplie les occasions de co-présences et d'interac-
tions entre groupes sociaux, provoquant en retour des comportements d'évitement
pour diminuer ces contacts. Mais la réalité des transformations à l'œuvre reste un
pan d'ombre important de la connaissance des villes latino-américaines, qui néces-
siterait des investigations beaucoup plus systématiques que les quelques travaux
existant sur les centres commerciaux ou des espaces centraux disputés (1'espace
public des centres historiques envahis par le commerce de rue, par exemple).
Une nouvelle géographie des divisions sociales des espaces résidentiels métro-
politains se dessine, qui se superpose au modèle de macro-ségrégation qui avait
marqué le développement de ces villes au long du xxe siècle. Comme le note
M. F. Prévôt-Schapira (1996 : 112), les inégalités socio-spatiales se répètent désor-
mais aux différentes échelles de la ville; se côtoient des espaces de pauvreté et des
espaces résidentiels et commerciaux organisés aux normes internationales. La frag-
mentation physique est une réalité indéniable des grandes villes latino-américaines
d'aujourd'hui.
En revanche, la réalité de la fragmentation sociale (et les discours alarmistes
qui l'accompagnent) demeure très discutable et très discutée 16. En Amérique
latine comme ailleurs, l'état actuel des connaissances est insuffisant pour dresser
un constat précis; de nombreux exemples empiriques sont là pour rappeler que
cette fragmentation est loin d'être généralisée (Navez-Bouchanine, 2001 : 116).
Les stratégies résidentielles évoquées au fil de ce chapitre et du précédent montrent
combien les populations mobilisent les « fragments» de la ville, combien les
réseaux sociaux, qu'ils soient familiaux ou d'une autre nature, demeurent actifs
dans les grandes villes latino-américaines. Il convient donc de prendre une certaine
distance face aux discours alarmistes prédisant l'éclatement de celles-ci.
Vincent GOUÉ'sET
avec la participation de Catherine PAQUETTE
1. Voir sur ce point D. Chavez & B. Goldfrank (2004), ainsi que le numéro 55 de la revue
Problèmes d'Amérique latine (2005), qui porte sur le thème « Gauches de gouvernement, gauches
330 de rejet ».
LES DÉFIS DES POLITIQUES URBAINES
2. [exemple le plus connu en Colombie étant celui de l'INSFOPAL (lnstÎtuto de ftmento munici-
pa0, l'administration colombienne créée dans les années 1950 pour aider les petites villes et les
municipalités rurales à mettte en place un réseau d'eau potable. La gestion de l'eau potable - un
service très sensible socialement - pat l'INSFOPAL a été notoirement inefficace, en raison de
coûts de fonctionnement trop élevés, du fait notamment d'une gestion trop centralisée et d'un
appareil administratif surdimensionné. Cette centralisation a d'autre part renforcé le caractère
clicntéliste de la gestion Je l'eau potable, car l'INSFOPAL, éloignée du terrain, s'est appuyée sur
les réseaux politiques locaux, aux pratiques parfois douteuses (MALDüNADü, 2001 : 26-27). La
Banque Mondiale lui ayant refusé un nouveau crédit au début des années 1980, l'Insritut a été
liquidé en 1987, ce qui a constitué un des premiers actes forts de la politique colombienne de
décentralisation (BLANQUER, 1991). Les compétences en matière d'eau potable ont été transfé-
rées aux municipes et/ou aux départements, non sans réticences de leur part, face à l'écrasante
responsabilité que cela représente.
3. Pour un résumé en français des critiques formulées dans le cas colombien, se reporter à Ochoa et
Restrepo,2000.
4. Certains auteurs utilisant le terme, peu amène, de « paresse fiscale» pour qualifier l'incapacité des
pouvoirs publics locaux non seulement à augmenter les impôts, mais tout simplement à les perce-
voir correctement. Cette question, ainsi que la propension des élus locam: à ne pas équilibrer leurs
dépenses et à recourir systématiquement au surendettement, font l'objet d'une importante contro-
332 verse (Gouëset, 2002 : 65).
LES DÉFIS DES POLITIQUES URBAINES
fiscales importantes, qui font d'elles des villes riches, capables de mener des poli-
tiques publiques de grande ampleur. Des correctifs ont bien été imaginés ici ou là:
en Colombie par exemple, un mécanisme de péréquation inversement proportion-
nel à la taille des villes fait que celles de moins de 50000 habitants perçoivent
55 % des transferts de la Nation aux municipalités, alors qu'elles ne représentent
que 38 % de la population nationale. Mais ces mécanismes ne suffisent pas à
compenser les désavantages des villes petites et moyennes. La décentralisation ne
permettrait donc pas, en somme, de corriger les déséquilibres territoriaux et
notamment le contraste entre villes riches et villes pauvres, ainsi que, dans le cas
des plus grandes agglomérations, entre les centres (généralement riches) et leurs
banlieues (parfois riches, mais le plus souvent pauvres, en conséquence des méca-
nismes de ségrégation qui ont été vus dans le chapitre 14). En effet il n'existe
souvent pas en Amérique latine, de mécanisme permettant d'assurer de façon effi-
cace une gestion concertée du développement urbain entres municipalités voisines
au sein d'une même agglomération, ni de mutualiser les ressources financières des
municipalités à une échelle métropolitaine.
5. On pourra utilement se référer à la définition qu'en donne J.-M. STÉBÉ dans le Dictionnaire de
l'habitat et du logement (2002 : 311-313), ainsi qu'à quatre numéros spéciaux de revues de géogra-
phie, de sciences sociales ou d'urbanisme, le numéro 112 de Espaces et sociétés (" Ville et
Démocratie », 2003), le n° 89 des Annales de la recherche urbaine (0< Le foisonnement associatif ",
2001), le nO 76/3 de Géocarrefour (" Les territoires de la participation ", 2001), ou encore le 333
nO 3111 de l'Espace Géographique (dossier sur" Le territoire et la planification ascendante ",2002).
CMiÉRlQUE LATll\E DES VILLES
6. Où, emprunté au vocabulaire de \'administtation des entreprises (la corporate gOllernance) , il dési-
gnait sous le gouvernement Thatcher les réflexions menées sur les réformes du pouvoir local. Les
prérogatives de ce dernier ont été limitées, officiellement pour lutter contre sun inefficacité et ses
coûts élevés de fonctionnement, mais aussi pour limiter j'influence de ce qui apparaissait aux yeux
du gouvernement comme des bastions du travaillisme et pour mettte en œuvre un programme
de privatisation des services publics, sous le contrôle d'agences de régulation centralisées (Holec
et Brunet·Jolivald, 1999).
7. Le néologisme gobernanza, parfois employé dans les milieux spécialisés, ne s'est jamais imposé
dans le langage courant, en dépit des efforts en ce sens d'instimfÎons comme l'Instimto
Internacional de Gobernabilidad de Catalufia (HG) influent dans les milieux de J'acrion publique
et des collectivités locales en Amérique latine. Gobernanza est notammenr le titre de la revue en 33 C
ligne de J' HG: http://www.iigov.org/gobernanza. )
I:AMÉRlQUE LATINE DES VILLES
le concept de gouvernance est lié à ce que les organismes financiers ont fait de lui:
II B) un instrument idéologique pour une politique d'État minimum» (Smouts, 1998).
Il faut bien sûr replacer cette évolution dans le contexte du virage néolibéral
des années 1990, du « consensus de Washington» et des ajustements structurels
qui s'ensuivent, avec la déréglementation des économies nationales, leur ouverture
au marché mondial et le désengagement des États, qui se traduit par une vague de
privatisations sans précédent dans le monde occidental 8. Cette vague, qui touche
tous les secteurs de l'économie (énergie, matières premières, transport, communi-
cations, industrie, services), affecte en particulier les services publics urbains,
notamment les services domestiques (eau potable, assainissement, électricité,
téléphone), mais aussi les autres services (éducation, santé, transports collectifs,
sécurité ... ). D'où un large débat, qui court tout au long des années 1990 en
Amérique latine: en privatisant, les pouvoirs locaux se privent-ils d'un pouvoir
décisif d'intervention sur le développement local, ou améliorent-ils au contraire,
dans le cadre du fameux « partenariat public-privé » (érigé en véritable dogme par
la Banque Mondiale), le fonctionnement des services en transférant au secteur
privé certaines missions qu'ils n'étaient pas capables d'assumer correctement?
Ce débat théorique de fond, qui s'apparente à un véritable choix de société,
s'avère moins manichéen quand on l'aborde sous l'angle concret de la gestion
d'une métropole, y compris d'ailleurs dans les pays qui sont allés le plus loin en
matière de réformes libérales (Argentine ou Chili par exemple). Comme l'a bien
montré H. Coing (2005 : 135-167), qui a analysé en Colombie la loi des services
publics de 1994 et ses conséquences, la volonté du législateur, clairement inspirée
par les principes libéraux de la « bonne gouvernance », était bien d'appliquer les
recettes de la Banque Interaméricaine de Développement pour résoudre les diffi-
cultés de fonctionnement des services publics. Partant du principe que les
dysfonctionnements de ces derniers avaient pour origine principale, dans toute
l'Amérique latine, la « politisation» de leur gestion (au sens péjoratif du terme),
les réformes ont essayé d'appliquer quelques règles simples: rompre les monopoles
en place pour favoriser la concurrence, dans l'intérêt des usagers; rationaliser la
gestion des entreprises de services publics (E5P), en leur imposant notamment
une maîtrise des coûts de production (en diminuant pour cela les effectifs en
personnel, souvent surdimensionnés dans une logique clientéliste), ainsi qu'une
politique de tarifs permettant de couvrir ces coûts de production (en rupture avec
les pratiques habituelles de bas tarifs, rentables électoralement, mais désastreuses
pour l'équilibre financier des ESP) ; faire contrôler enfin la gestion des ESP par
une agence nationale indépendante, chargée de veiller à la bonne application de
ces principes de bonne gouvernance.
Mais dans les faits, l'exemple de la capitale colombienne (qui disposait des plus
grosses ESP du pays) a montré que l'application de ces réformes posait de
nombreux problèmes. En effet, la loi de 1994, conçue dans une logique essentiel-
lement financière, ne tenait pas suffisamment compte de la dimension transversale
des services publics, sur le plan territorial et social; une dimension évidente pour
n'importe quel maire, pour qui les services publics constituent un des principaux
336 R. Sur ce point, se réfcrcr à Musser et al., 1999, chap. 3 er 4, ainsi qu'à Santiso, 2005.
LES DÉFIS DES POLITIQUES URBAlNES
leviers de la gestion urbaine (Coing, 2005: 165). Par ailleurs, et sur l'ensemble des
services étudiés (eau, électricité, gaz, ordures ménagères, télécommunications et
transports urbains), l'ouverture du marché à une libre concurrence n'a jamais été
possible. La privatisation des services existants n'a pas pu se faire dans le cas de
l'eau potable, du fait de la taille des entreprises et de la prise de risque financier que
cela représentait pour les groupes privés, ou a été partielle, dans le meilleur des cas
(électricité, gaz, ordures ménagères).
dans le concept de« ville globale» développée par S. Sassen en 1991. Elle repose
sur l'idée que les capitaux étrangers et la main-d'œuvre hautement qualifiée
seraient aujourd'hui, grâce à la révolution des technologies de communications,
grâce aux progrès des transports et grâce à l'ouverture des économies nationales sur
le marché mondial, de plus en plus affranchis des cadres nationaux dans leurs
choix d'implantation et susceptibles de se déplacer d'une ville à l'autre, au gré de
l'évolution des aménités locales et du ranking des métropoles les plus attractives ...
Cette idée, qui reste largement virtuelle et très difficile, méthodologiquement, à
vérifier, contribue à mercantiliser la ville, ou plutôt son image et obsède aujour-
d'hui un nombre croissant d'élus et de lobbyistes locaux, dans les capitales et les
plus grandes métropoles essentiellement. Cette surenchère se traduit par une poli-
tique de marketing territorial qui tend aujourd'hui à se systématiser (à l'image de
la « marque Chili ", promue depuis quelques années par les représentants de ce
pays dans les forums internationaux - Greene, 2005 : 85) et par le développement
d'un « urbanisme entrepreneurial » qui multiplie les opérations de haut standing,
coûteuses et en décalage avec les besoins prioritaires de l'immense majorité de la
population: parcs technologiques, centres d'affaires internationaux, rénovation et
embourgeoisement des parties les plus prestigieuses des centres historiques, etc. En
somme, et pour reprendre une formule de C. de Manos (cité par Greene, 2005 ;
86), ce ne sont pas les métropoles dans leur ensemble qui participent à cette course
mondiale au prestige, mais seulement certaines portions de la ville et ce sont
certains segments de leur population qui en profitent, au détriment des autres ...
Du reste - est-il besoin de le préciser? -, cette course mondiale ne concerne
qu'une poignée de villes de rang international, les capitales essentiellement (les
exceptions comme Sao Paulo étant rares), au détriment des villes plus petites. Ce
sont pourtant les villes intermédiaires, ainsi que les couronnes suburbaines des
métropoles qui, comme le rappelle J. Borja (2003 : 81), doivent aujourd'hui
affronter les plus fortes croissances démographiques et spatiales (comme nous
l'avons vu dans l'introduction de cette quatrième partie), et assumer la plus forte
progression des besoins en infrastructures et en services publics, avec des moyens
beaucoup plus limités que ceux des capitales. Les inégalités socio-territoriales
semblent donc progresser, au sein des grandes agglomérations et entre villes de
tailles différentes, ce qui est contradictoire avec l'idée même de la décentralisation,
qui avait pourtant constitué la réforme phare de la décennie précédente.
9. Même s'il resre encore du chemin à parcourir er si elles som rrès inégales d'une ville à l'autre, les
avancées locales en marière de gesrion locale du risque sont imporranres (prévision, prévention,
protection des populations et des infrastructures, gestion des situations de crise), comme en
atresre une abondante littétature spécialisée: D'Ercole & Thouret, 1995; Thouret & D'Ercole,
1996; Thouret, 2003, etc.
10. 11 n'est pas anodin que les statistiques internationales sur la pauvteté dans les pays du Sud
(Indices de développement humain, Indices de qualité de vie, Besoins élémentaires non satis-
faits ...) sont construites, pour une bonne part, sur des indicateurs qui catactétisent la condition
de logement des personnes, ou l'accès aux services élémentaires (eau potable, éducation,
santé ... ). En agissant sur ces domaines, on améliore non seulement les conditions de vie des
340 personnes plus modestes, mais aussi les indicateurs de pauvreté.
LES DÉFIS DES POLITIQUES URBAINES
lage qui traduit une certaine inefficacité des politiques publiques, la tentation est
grande, pour le pouvoir central comme pour les collectivités locales, de recourir à
un mode de gouvernance renouvelé: dépolitisation et déréglementation de la
gestion des services publics, ouverture au capital privé, etc. La modification des
modalités d'intervention de l'État dans la production du logement social
(chapitre 12), tout comme celle de la privatisation des entreprises d'eau potable, ont
par exemple constitué un des grands débats transversaux dans les villes d'Amérique
latine depuis le début des années 1990 (Schneier et de Gouvello, 2003).
Parmi les préoccupations qui ont émergé plus récemment, on retrouve la ques-
tion de la maîtrise des densités de peuplement, qui renvoie à celle, plus classique,
de la maîtrise du foncier. Comme on l'a vu au chapitre 14, le gaspillage du sol a
été tel, durant plusieurs décennies, que l'espace vient à manquer aujourd'hui dans
les secteurs centraux et que la croissance de la ville continue souvent de se faire par
expansion dans des périphéries de plus en plus lointaines, alors que la densification
des espaces déjà urbanisés, dans une logique de renouvellement urhain, doit consti-
tuer une priorité pour les pouvoirs locaux. De fait, la maîtrise du foncier urbain par
les pouvoirs publics progresse partout, et l'urbanisation illégale tend à diminuer
(elle n'est plus que résiduelle au Chili par exemple), moyennant un assouplisse-
ment, bien souvent, des règles fixées pour la production du logement populaire.
Cette maîtrise de la densité renvoie à la question plus large des relations entre
espaces centraux et espaces périphériques au sein des métropoles. Dans la ville-
centre, l'essentiel de l'espace potentiellement urbanisable est déjà bâti, ce qui, d'une
part, recentre les opérations d'aménagement vers des opérations de renouvellement
urbain essentiellement, et qui, d'autre part, déplace la production du logement
populaire dans les municipalités périphériques, ou bien dans des secteurs à haut
risque au sein des zones centrales (versants abrupts, zones inondables, friches
industrielles plus ou moins contaminées ...). Dans les municipalités périphériques,
on redoute en général l'arrivée des populations modestes, mais on s'en accommode
bien souvent. On y privilégie l'habitat formel, qu'il soit populaire, destiné aux
classes moyennes, ou de standing élevé. Les programmes résidentiels standardisés
se multiplient aujourd'hui dans les couronnes suburbaines, comme on l'a vu dans
le chapitre 12, à l'image de México, où certaines municipalités comme Ixtapaluca,
sur la route de Puebla, ont multiplié à l'infini les lotissements pour classes
moyennes. Ceci, répété dans toute la périphérie de México, a des répercussions sur
le marché immobilier de l'ensemble de la métropole et donc de la ville-centre, qui
n'a pourtant aucune prise sur les programmes menés en périphérie.
La question des transports urbains, élargie au thème plus large des mobilités
quotidiennes, constitue une autre priorité selon J. Borja (2003). Il s'agit là d'un
élément crucial. Longtemps concentrés sur la production du logement, les
pouvoirs publics n'ont pas pris conscience de l'ampleur que prendrait un jour le
problème des transports. En effet, un modèle de croissance reposant sur de faibles
densités de construction et qui rejette toujours plus loin du centre les populations
et les activités, génère des distances et des temps de transport qui atteignent
aujourd'hui des proportions difficilement supportables pour une grande partie des
citadins, notamment tous ceux qui sont contraints d'emprunter les transports
collectifs, dont les tarifs ont par ailleurs augmenté du fait de la diminution des 341
I:AMÉRlQUE LATINE DES V1LLES
peut pas être traitée efficacement en intervenant juste sur ses manifestations
violentes (et même si on assiste, dans les villes d'Amérique latine, à une proliféra-
tion des emplois - surtout privés -liés au maintien de l'ordre). Ensuite parce que
l'insécurité génère des comportements qui posent à leur tour problème, comme
le repli des populations aisées - et de plus en plus aujourd'hui, des classes
moyennes - dans des quartiers résidentiels fermés (chapitre 14).
Cet inventaire, trop rapide, est loin d'être exhaustif. Pour illustrer de façon plus
précise l'ampleur des changements observés dans les politiques urbaines menées
en Amérique latine, on choisira, pour finir, d'approfondir un exemple embléma-
tique: celui des politiques de récupération des centres historiques.
V. Gouëset, 2005.
Puerta Alameda: un très grand programme de logements neufs de stan-
ding, en cours de construction au cœur de la zone réhabilitée du centre
historique de Mexico. Ce sont avant tout de petits investisseurs particu-
liers qui ont acquis ces logements sur plan, espérant réaliser rapidement
une plus value importante ou les louer moyennant des loyers importants.
C. Paquette, 2006.
Calle Guatemala: derrière la Cathédrale, l'une des rues réhabilitées du
centre historique de Mexico. Les vendeurs ambulants ont été déplacés vers
d'autres secteurs, le pavement refait à neuf, les façades ravalées. C'est aussi
346 là que le Cenere Culturel Espagnol a ouvert ses portes il y a trois ans.
LES N'FIS DES POLITIQUES URBAINES
Photo 15.4 - Dans la partie réhabilitée du centre historique, Wl vieil immeuble restauré,
destiné à être 10 ué à des ménages aisés
V. Gouëser, 2005.
C. Paquene, 2006.
À México, les acrions de réhabilirarion se limirenr à une perire portion du cenrre
historique. Près du marché de la Merced, dans l'esr du centre historique de Mexico,
elles sont toralement absentes er la zone esr laissée à J'abandon. 347
LMvlËRJQUE LATINE DES VILLES
V. Gouëset, 2005.
La sécurité est une composante importante dans
la réhabilitation du centre historique de Mexico.
Ici, dans une rue entièrement réhabilitée, une des
bornes de sécurité installées pour permettre d'en-
trer en contact avec la police en cas de problème.
Lautre exemple est Santiago du Chili, où plus de 32000 logements neufs ont été
construits dans le centre entre 1992 et 2003, en assumant le choix, contestable
pour les puristes du patrimoine, mais intéressant sur le plan social, de construire
des immeubles de grande hauteur (en général plus de 10 étages) et de standing
moyen, destinés en priorité aux jeunes ménages de classe moyenne.
Conclusion
Ce rapide examen du renouveau des politiques urbaines en Amérique latine
nous amène à faire quelques constats sur les défis à relever.
Tout d'abord, l'évolution n'est pas la même dans les grandes villes (les capitales
essentiellement) et dans celles qui sont de taille plus réduite. Les premières dispo-
sent de moyens financiers, matériels et humains que n'ont pas les secondes; elles
bénéficient par ailleurs le plus souvent de l'appui des gouvernements nationaux (et
parfois des bailleurs de fonds internationaux ou des investisseurs privés), sans équi-
valent dans les villes de rang inférieur. Ainsi, ces métropoles qu'on dépeignait
autrefois comme victimes de leur gigantisme se révèlent aujourd'hui relativement
mieux armées pour faire face aux défis de l'urbanisation et ce d'autant plus que
348 l'urgence de l'urbanisation galopante est désormais passée. Cette urgence se reporte
LES OËFIS DES POLITIQUES URBAINES
C. Paquerre, 2006.
Dans le quarrier Guerrero, au cenrre de Mexico, un exemple de logemenrs l'l'ès sociaux
réalisés par ['Insrirur du logemenr du Disrricr Fédéral (INVI). La typologie esr générale-
menr la même pour ces ensembles de logemenrs: des immeubles de six érages, un niveau
de finirion minimal, que ce soir pour les parries communes ou dans les apparremenrs.
C'esr à rravers les organisarions sociales, qui sonr les inrerlocureurs de l'INVI pour ces
projers, que les bénéficia.ires (généralemenr des habiranrs du quarrier), obriennenr ces loge-
menrs, donr ils deviennenr propriéraires grâce à des crédirs que l'INVI leur ocrroie.
à présent sur des viIles de rang intermédiaire ou sur les périphéries des grandes
agglomérations. Le risque est donc grand d'une rupture de la cohésion sociale
entre grandes et petites villes ou entre villes-centres et banlieues. Dans ces
banlieues, la pression de l'urbanisation reste la même: produire des logements,
amener des services et des équipements rapidement et à moindre coût, pour des
populations peu solvables dans l'ensemble. C'est un premier défi, que les politiques
de décentralisation ne permettent pas de relever, voire contribuent à accentuer.
Deuxième problème: les politiques urbaines, appliquées à l'échelle locale par
les pouvoirs municipaux, ne sont pas toujours convergentes avec les politiques
sectorielles menées par le gouvernement central. De nombreux exemples l'illus-
trent: la volonté de privatiser et de déréglementer les services publics, très forte au
niveau central, n'est pas toujours compatible avec l'impératif de solidarité sociale
dès lors qu'il s'agit de l'appliquer à l'échelle d'une ville, ou pire, d'une aggloméra-
tion. Un autre exemple a trait aux politiques du logement. Désormais, l'État
central se limite à un rôle de « facilitateur », la promotion et la construction étant
concédées au secteur privé, à qui l'État garantit une demande stable, en octroyant 349
CAMÉRIQUE LATINE DES VILLES
des crédits aux ménages désireux d'accéder à la propriété. Pour des raisons
évidentes liées au coût du foncier, les programmes de logements sociaux massifs
(750000 par an sous le gouvernement de Vicente Fox au Mexique) sont construits
dans de lointaines périphéries. Les efforts importants qui visent à redensifier et à
repeupler les secteurs centraux entrent en contradiction avec ces politiques du
logement nationales et fédérales, qui sont en grande partie responsables de la
poursuite de l'étalement urbain, alors que les pouvoirs locaux cherchent au
contraire à mettre en place un modèle de développement urbain plus compact.
L'offre de logements bon marché en périphérie a en effet pour conséquence de
drainer bon nombre de ménages vers les marges urbaines, notamment des indivi-
dus qui résident dans les zones centrales (Delaunay et Paquette, 2006).
D'autre part, les pouvoirs publics semblent reprendre l'initiative en matière de
planification, mais dans un contexte où la maîtrise du développement urbain est
loin d'être optimale: les espaces centraux et péricentraux se dévitalisent, sans faire
l'objet de politiques réellement convaincantes; parallèlement, l'expansion des quar-
tiers populaires se poursuit, en grande périphérie désormais, dans une situation de
relégation géographique qui aggrave les effets de la marginalité sociale. De même,
la multiplication des quartiers fermés de haut standing ou des centres d'affaires
High Tèch, en périphérie le plus souvent, renforcent la perte de cohésion de la
grande ville latino-américaine.
Ce qui pose une autre question: celui de la cohérence de l'action publique à
une échelle métropolitaine, quand le pouvoir est éclaté entre plusieurs municipa-
lités et que celles-ci ne sont pas de la même obédience politique. La décentralisa-
tion, qui a sacralisé l'échelon municipal, rend difficile voire impossible une action
concertée entre la ville-centre et sa périphérie. Les exemples abondent, à México,
Buenos Aires, Bogota ou ailleurs. On voit bien, à México par exemple, que toute
initiative d'aménagement urbain ou de remise en ordre de la ville, aussi intéres-
sante soit-elle (sur le logement, le transport, les services sociaux, etc.), est vouée à
l'échec si elle n'intègre pas la dimension métropolitaine et si, appliquée sur une
seule partie de la ville, elle ne fait pas l'objet de contraintes ou de règles similaires
sur le reste du territoire métropolitain. L'exemple de la contradiction évoquée
précédemment entre la politique nationale du logement et la politique urbaine du
District fédéral, qui consiste à redensifier un vaste centre tout en contrôlant l'ex-
pansion périphérique, le montre très clairement.
Enfin, à l'aménagement urbain de type traditionnel, qui reposait essentielle-
ment sur le zonage et les plans d'urbanisme, s'est progressivement substituée une
planification de type « stratégique », à base de grands projets urbains (de type
Santa Fe à México, ou Puerto Madero à Buenos Aires), ou d'opérations de prestige
(sur le modèle des grands centres commerciaux), faisant largement appel à la
négociation et au secteur privé, somptuaires, mais en décalage avec les attentes
d'une population dont les conditions de vie sont souvent précaires; ce qui contri-
bue au discrédit croissant de politiques urbaines perçues comme étant réservées à
une élite sociale. Le modèle de planification stratégique qui tend aujourd'hui à
s'imposer n'a-t-il pas tendance à se limiter à certaines zones très stratégiques de la
ville, sur le modèle de la « bonne partie » du centre historique de México et à
3,0 privilégier les intérêts privés, contre l'intérêt des secteurs les plus modestes?
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361
Tables des illustrations
370
TABLE DES MATIÈRES
Introduction générale (F. Dureau, V. Gouëset, É. Mesclier) 9
PREMIF.RE PARTIE
Les originalités du peuplement latino-américain
Introduction: entre Ingas, Mandingas et Européens, la construction
d'un espace « autre» (É. Mesclier) 15
Bibliographie 79 371
DEUXIÈME PARTIE
Le « tournant ethnique» du XXIe siècle et ses limites
Introduction Cv. Gouëset) 87
3J Comment définir les catégories ethniques? (V Gouëset) 91
1. Quels critères pour définir l'appartenance ethnique? ~exemple des populations
indigènes 92
2. La question de l'auro-désignation 93
3. Les ambiguïtés du critère linguistique 94
4. Le critère territorial 98
5. Le cas des populations afro-descendantes 98
4i Des populations en déclin? (V Gouëset) 103
, Des populations marginalisées? Pauvreté et inégalités socio-raciales
(V. Gouëset) III
1. Une pauvreté persistante 112
2. Une logique cumulative tout au long de la vie 113
r1S Discrimination et ségrégation socio-raciales. eexemple de Cali (Colombie)
(V Gouëset) 119
7 Ethnicité et territoire (O. Hoffmann, V Gouëset, É. Mesdier) 125
Conclusion (V Gouëset) 131
Bibliographie 133
TROISIÈME PARTIE
Les espaces ruraux de l'Amérique latine dans la mondialisation
Introduction: des espaces de nouveau au centre de l'attention
(É. Mesdier) 139
~ e inégalité foncière et sociale en héritage (É. Mesclier) 143
1. Latifundio et populations indigènes 144
2. Latifundio ct main-d'œuvre immigrante 148
3. Les grandes plantations: des enclaves fonctionnant sur la base d'une abondante
main-d'œuvre permanente 150
~ Des réformes redistributrices aux actuelles réformes libérales
(É. Mesdier) 153
1. La question de la réforme agraire au xxe siècle: transformer l'espace pour
transformer le monde 153
1.1 Les réformes radicales et la transformation des espaces 154
1.2 Les réformes basées sur la bonne volonté des propriétaires, limitées aux espaces
marginaux 157
1.3 Les solutions consistant à attribuer des terres « vides ii 157
1.4 Le maintien d'un contrôle de l'espace par les populations d'origine indigène 158
2. Les réformes foncières libérales: du changement de statut des terres
372 à une nouvelle modification de l'espace et de la société 161
2.1 Les modalités des réformes libérales 162
2.2 Les raisons de La préférence pour les titres individuels de propriété 165
2.3 Une menace pour les intérêts paysans et indigènes? " 167
2.4 L'accès à La terre des « étrangers» 168
11 iJ)) A~ribusiness et paysanneries dans la nouvelle donne mondiale
(E. Mesclier) 171
1. La réinsertion de l'Amérique latine dans les marchés agricoles mondiaux 171
1.1 De 14 « première mondialisation» à La « substitution aux importations» 171
1.2 La mondialisation actuelle: des modalités particulières 172
1.3 Les limites des avantages de La nouvelle situation pour l'Amérique Latine 176
2. Révolutions technologiques et transformation de l'utilisation des milieux 178
2.1 Révolutions agricoles et modification des agricultures anciennes 178
2.2 Agribusiness et accélération des changements technologiques 180
3. Les paysanneries et leurs technologies: problème ou perspective
pour l'Amérique latine? 181
3.1 La révolution verte en Amérique ultine? 181
3.2 Les changements de La Libéralisation: rupture ou restructuration? 183
3.3 Stratégies paysannes et technologies de basse intensité 186
Jl li Territoires et sociétés: des évolutions spatialement très différenciées
(É. Mesclier) 189
1. Centres et marges, les espaces privilégiés du développement de l'agriculture
d'exportation 190
1.1 Des « centres" conservés par les élites terriennes 190
1.2 La recherche de terres « libres» 191
1.3 Les cultures iLLicites, aux marges de L'écoumène 193
1.4 L'intensification en capital et les changements des paysages 196
1.5 Des dynamiques régionales qui touchent viLLes et campagnes 200
1.6 Les hétérogénéités au niveau local 203
2. Persistance et diversité des espaces de la pauvreté 206
2.1 Les territoires en crise 207
2.2 Les territoires de l'agriculture vivrière marchande, un bilan complexe 209
2.3 Pauvreté rurale: des évolutiorlJ lentes, non corrélées avec le dynamisme agricole
et difficiles à évaluer 212
Conclusion: la géographie pour comprendre la complexité
(É. Mesclier) 217
Bibliographie 219
QUATRIÈME PARTIE
l?Amérique latine des villes
Introduction Cv. Gouëset, F. Dureau) 231
li oZ Produire la ville: des logements en grande partie auto-construits
(F. Dureau) 237 373
1. La production des logements 238
1.1 Une production légale largement insuffisante 238
1.2 L'auto-construction sur des terrains occupés illégalement 242
2. La transformation des périphéries populaires 245
2.1 Consolidation et densification des quartiers illégaux 245
2.2 La régularisation de l'habitat: un débat important 248
2.3 Une compétition pour l'accès au sol de plus en plus forte 250
3. Quelles conditions d'habitat pour les citadins latino-américains? 251
3.1 Une pénurie de logements qui s'aggrave 251
3.2 La sur-occupation des logements, conséquence directe de la pénurie 252
3.3 Le recul de l'habitat précaire 253
3.4 Une amélioration des raccordements aux réseaux urbains et aux services publics " 254
4. Des villes de propriétaires? 256
4.1 Une offre locative de plus en plus diversifiée 259
4.2 L'hébergement: un statut à la reconnaissance tardive 260
Jl3\ Habiter la ville: stratégies et mobilités résidentielles (F. Dureau) 263
1. Stratégies et choix résidentiels 263
1.1 Le statut d'occupation: la propriété, une norme pas complètementgénéralisée 263
1.2 Le type d'habitat: l'engouement pour les résidences fermées 265
1.3 La localisation, une variable essentielle des stratégies résidentielles 269
2. Les mobilités résidentielles intra-urbaines et leur rôle
dans la dynamique des villes 274
2.1 Des mobilités résidentielles de proximité, liées au cycle de vie 274
2.2 Des migrations intra-urbaines aux effits importants sur le peuplement 276
2.3 Histoires familiales et histoires de la ville: des trajectoires résidentielles
dans des villes en mouvement 278
2. 4 Une réalité aux multiplesfacettes: les mobilités résidentielles sous contrainte 288
Conclusion 292
Jl41 Un modèle métropolitain en évolution (F. Dureau) 293
1. Des métropoles étendues et peu denses 295
1.1 Une expansion spatiale permanente depuis la première moitié du XX' siècle 295
1.2 Les dynamiques récentes ne se limitent pas à l'étalement urbain: d'importantes
recompositions internes sont liées aux mobilités intra-urbaines 299
1.3 Des villes globalement peu denses 300
1.4 D'importantes disparités de peuplement au sein des villes 304
2. Une ségrégation spatiale ancienne, mais aux formes renouvelées 309
2.1 Un processus ancien, très actifpendant la période de croissance rapide
des grandes villes 310
2.2 Des villes « très fortement" ségréguées? 313
2.3 Une complexification des configurations sociales des espaces métropolitains:
des proximités spatiales nouvelles entre groupes sociaux 318
2.4 Quel sens donner aux évolutions récentes? 327
li5 Les défis des politiques urbaines (Y. Gouëset) 329
1. Un contexte institutionnel et une conception de l'action publique en pleine
374 évolution 330
1.1 La décentralisation: un projet ambitieux 331
1.2 La « participation citoyenne»: une utopie? 333
1.3 La nouvelle gouvernance urbaine, concept ou mirage? 334
2. Le renouvellement des politiques urbaines 337
2.1 Une nouvelle manière de planifier le développement des villes? 337
2.2 Quelles priorités pour l'aménagement des villes au xx!' siècle? 339
2.3 L'exemple du réaménagement des centres anciens 343
Conclusion 348
Bibliographie 351
éograph ies
de I'Amértquc latine
L
'A m l~ri q U e lati ne fait incon tes ta b le me n t r êver, Ses pays ages, vastes éten d ues p reSljUC
sa ns h om m e s , villes a ux ex t ens io ns int erm in abl e s, versa nts d en sém ent pe up lés
c o uve rt s d e p a rc ell e s e n da mie r. pa rt ic ip ent de c ette Fa s c ina tio n . Ma i s à quo i
c orres p o nden t-i ls ex act em e n t ) S i le s espaces sont un e de s dim en sion s d e la vie de ln soci été,
q ue nou s di sent ce ux d e l'Am érique latine ; Confirm ent-ils le caract ère except ionne l du SOll S-
co n t ine n t; La vio le nce d e s rappo rts so c ia u x ? La Jomin a ti on reno uve l ée des r~ta t s-L'nis ,
l'influ en c e d e s ins ti t u t ions inte rna t io n a les, celle d es m uluruu ionales ? Lau to no mi c ct le
dYI a rn is m e de sociét és l"o l1 Llé e s sur un e culture prop re?
Le pré sent ouvrage a bo rde ces qu e st io n s 8 tr a vers le s rel ations des L atino-Am éric a ins avec
le s lieu x o ù ils viv e n t. Ces re lat ions so n t le tém oin du p oid s de s ine rties, une fo is q ue des
dyn am ique s o n t étc la n c é e s , m ai s a uss i le ré sultat de c ha n ge me nts ré c e nt s, dans le cadr e de
la m ondi al isati on . El les d oivent éga le m e n t leurs particul arit és (l UX fam illes ct au x s oc iétés
locale s ou nat ion al e s, qui par leu rs prat iqu e s et p ur leurs d é c ision s p ol it iques co n t ribu cnt à
la r éorg ani sat ion p e rm a nent é de s es paces.
Le s a u teu rs part ent J e ces es pa ces pour rem ont e r ve rs le s proc e s su s e t les évo l u ti ons . A
partir d e ces géogra p hies d e plu s e n plus compl ex e s mai s touj ours m arqué e s par le s h éritage s
communs , ils prop osent d e s é lé me n ts d'interprétat ion . Cel> pro pos it io ns doivent hien s ûr
beau c ou p ù d e s expérie nces in d ividu elles, acqui se s s m d e s terra in s particuli er s . E lle s ne
sa u ra ie n t être co ns idé rées co m me définitives, m ai s on t é té conç ues co m me une participation
ù u n d ébat o uve rt c t ac t if.
Françoise DUIlI:.Il! est géogra)Jhe et di HIOMfU phe, directrice de recherche de /'JRD , dét.acl1i e COIIl11l-C pmfe.\.\C:'II1I'
il l'Université de Poitiers et mem bre du luboruusire M Ie R/N'fER ( U/\/H 6588 C J 'BSI.
\·:i/jeent G OUb E, est géographe . professeur à IVllil 'ersité Rennes 2 et directeu r du lu/;orll/oin: HESO.
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Él.:fp ze AJt. ~CI tl: 1l e,t géogr.,p/w. dUl I:~ée de rcclierchc de l'IR/) , meutbtc de l'UR REFO de /'II~D e t {.,s.\/x.;iét:
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