Prospective Épigénétique Web
Prospective Épigénétique Web
Prospective Épigénétique Web
épigénétique
écologie &évolution
IV - ÉPIGÉNÉTIQUE ET DÉVELOPPEMENT P 45
VI - INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT
SUR LES MARQUES ÉPIGÉNÉTIQUES
ET LE FONCTIONNEMENT DES ORGANISMES P 57
IX - BILANS ET RECOMMANDATIONS P 73
X - CONCLUSIONS P 77
Glossaire P 80
écologie &évolution
pigénétiqu Coordination :
• Dominique Joly (CNRS)
Paris - Gif-sur-Yvette
• Christoph Grunau (Université
Perpignan via Domitia) - Perpignan
Avec la collaboration de :
• Frédéric Bantignies (CNRS)
Montpellier
• Moussa Benhamed (MdC,
Université Paris-Sud) - Orsay
• Natacha Bies Etheve (Université
Perpignan via Domitia) - Perpignan
• Raphaëlle Chaix (CNRS)
Paris
• Séverine Chambeyron (CNRS)
Montpellier
• Etienne Danchin (CNRS)
Toulouse
• Sarah Fneich (INRA)
Jouy-en-Josas
• Anne Gabory (INRA)
Jouy-en-Josas
• Delphine Gourcilleau (CNRS)
Toulouse
• Estelle Jaligot (CIRAD)
Prospective
Montpellier
• Claudine Junien (INRA)
Jouy-en-Josas
• David Latrasse (INRA)
Orsay
• Francesca Merlin (CNRS)
Paris
• Antonine Nicoglou (Labex « Who
am I » - HPST) - Paris
• Benoit Pujol (CNRS)
Toulouse
• Arnaud Pocheville (Université
Sydney) Sydney - Australie
• Ana Rivero (CNRS)
Montpellier
• Irène Till-Bottraud (CNRS)
Clermont-Ferrand
• Fabrice Vavre (CNRS)
Villeurbanne
• Xavier Vekemans (Université de
Lille - Sciences et Technologies)
Villeneuve d’Ascq
Prospective
épigénétiqu
AVANT-PROPOS
3
PROSPECTIVE ÉPIGÉNÉTIQUE
vivant. Elle correspond à un point d’étape de l’état de l’art dans ce domaine et focalise le
propos sur le rôle de l’environnement, pris dans son acceptation la plus large – y compris
les aspects socio-culturels, sur les changements de l’expression des gènes. Au-delà de la
compréhension moléculaire et mécanistique de l’information épigénétique, cette prospec-
tive plaide pour une plus grande prise en compte de la diversité des champs disciplinaires
qui sous-tendent une meilleure compréhension des processus observés. A la croisée de la
biologie, de l’écologie, du développement, du comportement, des interactions sociales, les
avancées, enjeux et verrous du domaine sont également présentés au cours des chapitres
et synthétisés dans une réflexion plus large à la fin du document.
En effet, aux questions terminologiques et conceptuelles soulevées par l’impact théorique
de l’épigénétique dans différentes branches de la biologie s’ajoutent des enjeux médicaux,
éthiques et sociétaux liés au fait que l’environnement (précoce et tardif, naturel mais aussi
social, culturel et émotionnel) et le style de vie des personnes peuvent avoir un impact
important sur les individus et sur leurs descendants via des mécanismes épigénétiques.
Ainsi, l’INEE dans sa mission de répondre aux défis planétaires posés par le changement
global et de promouvoir une recherche aux interfaces entre les grands champs discipli-
naires, Sciences de la Terre, de la Vie, de l’Homme et de la Société, a une position privilé-
giée pour accompagner cette démarche et offrir les conditions d’une recherche originale de
pointe, avec notamment ses dispositifs expérimentaux d’envergure internationale et ses
séries à long terme de populations ou d’organismes. Pour ces raisons, l’objectif de cette
action épigénétique de l’INEE est de rassembler l’expertise existant en France afin de créer
des interactions fortes entre les équipes issues de tous ces champs disciplinaires et de
construire une démarche globale intégrant l’épigénétique.
L’ensemble de ces travaux sera dorénavant porté par le groupement de recherche épigéné-
tique en écologie et évolution (GDR-3E) qui fait suite au RTP-3E avec la constitution de six
groupes thématiques et deux groupes transversaux. Une attention particulière sera portée
aux actions d’animations scientifiques, de formations et d’information vis-à-vis du secteur
académique, mais aussi des scolaires, du grand public et des décideurs.
Au-delà de cette action nationale, la communauté a également pour ambition de posi-
tionner la recherche française au niveau international afin de soutenir et promouvoir de
nouvelles dynamiques scientifiques et être force d’actions dans la caractérisation des
déterminants de la variation épigénétique.
4
Prospective
épigénétiqu
I ÉPIGÉNÉTIQUE EN
ÉCOLOGIE ET ÉVOLUTION
Christoph Grunau et Dominique Joly
Les termes suivis d’une * sont définis dans le glossaire à la fin de ce document. 7
Parmi les faits marquants de la recherche en typique* ainsi que la vitesse de l’adaptation
biologie ces dernières années, les résultats ou de l’acclimatation sur un nombre réduit de
expérimentaux soutiennent l’existence d’une générations. Pour cela, la quantification de
part d’hérédité non liée à la séquence de l’ADN l’importance de la composante épigénétique
(Danchin et al., 2011 ; Laland et al., 2015 ; de l’hérédité et son maintien dans le temps
Charlesworth et al., 2017). Cette information doivent être déterminées.
non-génétique, en particulier l’information épi-
génétique, est véhiculée par des mécanismes Les modifications épigénétiques sont analy-
induisant des changements dans la fonction des sées en utilisant à la fois des techniques de
gènes et n’impliquant pas de modification de la biologie moléculaire focalisées sur des sé-
séquence d’ADN proprement dite (figure 1.1). quences génétiques candidates restreintes et
Une fois acquis, ces changements peuvent être des approches à l’échelle du génome entier.
transmis au travers des divisions cellulaires et Des méthodes telles que le traitement au
au travers des générations d’organismes pluri- bisulfite* permettent d’étudier la méthylation
cellulaires. L’un des facteurs majeurs pouvant de l’ADN et l’immunoprécipitation de la chro-
influencer l’expression des gènes est l’environ- matine (ChIP)* donne accès aux modifications
nement. Des données récentes suggèrent que des histones* et aux interactions protéine-
des changements environnementaux comme la chromatine. Ces méthodes sont extrêmement
présence de toxines ou l’application de stress puissantes pour caractériser les mécanismes
variés changent l’expression des gènes en de régulation épigénétique et l’importance de
provoquant des modifications des marques l’épigénétique sur l’expression génique et la
épigénétiques qui peuvent se transmettre à biologie cellulaire. Cependant, ces techniques
travers les générations (Klosin et al., 2017). nécessitent aujourd’hui des compétences par-
Ces résultats proviennent de domaines très ticulières en biologie moléculaire et en analyse
divers des sciences biologiques et humaines de données. Elles nécessitent également de
et concernent tous les groupes taxinomiques. bien appréhender la nature des mécanismes
L’environnement devient donc un acteur qui moléculaires en jeu. L’émergence de techno-
influence la trajectoire développementale et logies novatrices devrait permettre d’automa-
micro-évolutive des espèces, entre autres via tiser et de standardiser les analyses, ce qui
des modifications épigénétiques. Cependant, facilitera les recherches sur l’importance des
les mécanismes qui sous-tendent cette héré- facteurs environnementaux, et plus généra-
dité non-génétique restent encore peu connus. lement de l’écologie dans ces processus. En
Un des défis actuels des sciences de l’écolo- collaboration avec leurs collègues biologistes
gie et de l’évolution est d’étudier si et com- moléculaires chargés d’analyser le fonctionne-
ment l’hérédité épigénétique influence les ment des modifications épigénétiques, les éco-
dynamiques écologiques et évolutives des logues et les évolutionnistes auront une place
organismes et des espèces. Il est également importante à jouer dans l’analyse des consé-
essentiel d’étudier quels mécanismes molécu- quences de ces modifications au travers des
laires pourraient permettre à l’environnement générations et aux échelles supra-individuelles
de modifier l’épigénome pour conduire à des que sont celles des espèces.
changements d’expression génique transmis-
sibles et adaptatifs. Un autre défi consiste à Deux éléments marquants ont encouragé la
relier les approches infra-individuelles (physio- communauté française à se structurer pour
logie, neurologie, développement, génétique, répondre aux enjeux scientifiques dans ce do-
etc.) et les approches supra-individuelles (dé- maine. Le premier concerne les prospectives
mographie, écologie, écologie évolutive, écolo- d’Avignon, organisées en octobre 2012 par
gie comportementale, etc.). Dans le contexte l’Institut écologie et environnement du CNRS
du changement global, la composante épigé- (INEE), au cours desquelles de nombreux ate-
nétique pourrait augmenter la plasticité phéno- liers de réflexion ont souligné la nécessité de
8
Groupe méthyle
ADN
Chromatine
Marque
épigénétique
Histone
Chaînes latérales
Figure 1.1 : Différents
facteurs induisant une
Chromosome
variation de l’expression
des gènes sans variation
de la séquence ADN.
9
veaux concepts de ce type ont déjà été propo- vaillant pas nécessairement sur des espèces
sés, comme par exemple la notion d’hérédité modèles mais ayant un intérêt écologique plus
inclusive* intégrant toutes les composantes avéré. C’est le cas de recherches dont les thé-
de l’hérédité afin de mieux estimer le véritable matiques sont éloignées de la génétique molé-
potentiel évolutif des populations (Danchin et culaire pure et dont le niveau d’appréhension
Wagner, 2010 ; Danchin et al., 2011). du vivant se situe au-delà de l’individu dans
son fonctionnement propre. Cette ouverture
La prise en compte de nouvelles formes d’héré- implique le développement de deux approches
dité non génétique a aussi fait émerger un vif complémentaires : (1) le transfert de savoirs
débat au sein de la communauté des philo- acquis sur les espèces modèles vers les es-
sophes de la biologie. C’est dans ce cadre que pèces non modèles, tout en estimant les limites
plusieurs conceptions de l’hérédité inclusive* d’un tel parallèle, (2) le transfert des connais-
ont été proposées (Pigliucci et Muller, 2010 ; sances obtenues en matière d’omiques* sur
Helanterä et Uller, 2010), toutes visant à re- les systèmes modèles vers le monde com-
mettre en cause la vision d’une hérédité sur de plexe de l’écologie, et ceci tant au niveau des
seules bases génétiques et à inclure au sein techniques moléculaires (par exemple pour la
du concept d’hérédité les mécanismes de trans- préparation des échantillons, l’extraction de la
mission non génétiques pouvant avoir un impact chromatine, etc.) que du stockage et de l’ana-
important sur le processus évolutif. lyse des données (pérennisation des données
de séquences et outils bioinformatiques).
Les enjeux technologiques concernent essen-
tiellement l’acquisition de données géno- Dans ce contexte, il est crucial de continuer à
miques, épigénomiques et phénotypiques pour documenter des études de cas montrant l’im-
un grand nombre d’individus. Ceci implique le portance de l’hérédité non-génétique afin de
décryptage de l’encodage des marques épi- pouvoir répondre à des questions telles que :
génomiques par des analyses moléculaires « De quelle manière et avec quelle ampleur les
et traitements bioinformatiques spécifiques. parts de l’hérédité génétique et non-génétique
Les technologies de séquençage à haut débit varient-elles selon les traits, les populations ou
ont rendu possible l’analyse de très grands les espèces ? » ; « Si le poids relatif de l’héri-
volumes d’échantillons simultanément et tabilité génétique et non-génétique varie entre
ceci aux niveaux génomique, épigénomique et les populations au sein d’une même espèce ou
transcriptomique globaux. Ces techniques sont entre espèces, quelles sont les pressions sélec-
devenues accessibles à des équipes ne tra- tives liées à cette variation et quelles sont les
10
Figure 1.3 : Fruit du palmier
à huile : la quantité d’huile
est fonction des marques
épigénétiques.
conséquences sur la vitesse d’adaptation face liens entre cette communauté et celles des
à des changements de l’environnement ? ». chercheurs des domaines de la biologie molé-
Bien que la communauté des chercheurs en culaire, du développement et de la reproduc-
épigénétique partage les concepts, les tech- tion, devront également être renforcés afin de
nologies et les questions fondamentales, faciliter les transferts de savoir et de savoir-
elle est confrontée aux difficultés liées à la faire.
multiplicité des modèles biologiques dont les
connaissances scientifiques sont souvent
très sommaires. Ceci nécessite la mise au
point d’approches expérimentales spécifiques
et différentes les unes des autres. La maîtrise
et la standardisation d’un éventail de tech-
niques expérimentales sont par conséquent
un des enjeux majeurs de ce domaine. Des
RÉFÉRENCES
Charlesworth D, Barton NH, Charlesworth B. 2017. The sources Laland KN, Uller T, Feldman MW, Sterelny K, Muller GB, Moczek
of adaptive variation. Proc Biol Sci 284. A, Jablonka E, Odling-Smee J. 2015. The extended evolutionary
synthesis: its structure, assumptions and predictions. Proc Biol
Cosseau C, Wolkenhauer O, Padalino G, Geyer KK, Hoffmann Sci 282:2015-1019.
KF, Grunau C. 2017. (Epi)genetic Inheritance in Schistosoma
mansoni: A Systems Approach. Trends Parasitol 33:285-294. Pigliucci M, Müller GB. 2010. Evolution - The Extended
Synthesis. The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, London,
Danchin E, Wagner RH. 2010. Inclusive heritability: combining England.
genetic and nongenetic information to study animal culture.
Oikos 119:210-218.
11
PROSPECTIVE ÉPIGÉNÉTIQUE
Le RTP-3E est animé par un comité de pilogage gie et en évolution ? ». Cette école s’est déroulée
composé de Dominique Joly (CNRS, coordina- au centre du CAES de Saint-Pierre d’Oléron sur 5
trice du RTP-3E auprès de l’INEE), Christoph jours (du 18 au 22 mai 2015) et a reçu un appui
Grunau (responsable scientifique, Univ. Per- financier complémentaire de diverses structures
pignan, IHPE, Perpignan), Pierre Capy (Univer- (Labex TULIP, Labex BASC, Labex ECOFECT, INRA
sité Paris-Sud, EGCE, Gif-sur-Yvette), Etienne et sponsors). Plus de 40 personnes (du CNRS
Danchin (CNRS, EDB, Toulouse), Antony Herrel et de ses partenaires, universités, CIRAD, IRD
(CNRS, MECADEV, Brunoy), Lluis Quintana-Mur- et autres) ont participé à l’école. Les question-
ci (CNRS, Institut Pasteur, Paris), Fabrice Roux naires d’évaluation en ligne et anonymes distri-
(CNRS, LIPM, Toulouse), Cristina Vieira (Univer- bués en fin d’école nous ont permis de confirmer
sité UCBL, LBBE, Lyon), Clémentine Vitte (CNRS, la large satisfaction des participants, et d’être
GQE, Gif-sur-Yvette), Maud Tenaillon (CNRS, confortés dans l’adéquation de la démarche par
GQE, Gif-sur-Yvette), Stéphane Maury (Univer- rapport aux attentes.
sité d’Orléans, LBLGC, Orléans), Francesca Mer- Après avoir sollicité l’ensemble des membres
lin (CNRS, IHPST, Paris). Le comité de pilotage du RTP-3E, le comité de pilotage a identifié un
a permis d’associer des expertises couvrant un besoin important pour soutenir la formation
large spectre de champs thématiques, de mo- mutuelle des personnels ainsi que l’échange
dèles biologiques et de savoir-faire. de savoirs et savoir-faire concernant les dif-
Avec le soutien du CNRS et de ses partenaires férentes techniques employées pour les ana-
académiques et privés, les principales actions lyses en épigénétique. Le comité a donc décidé
du RTP-3E ont permis (1) de structurer la com- de lancer un programme de mobilité RTP-3E.
munauté, (2) de créer des liens forts entre labo- Dix bourses de mobilité ont été décernées en
ratoires, (3) d’identifier des noyaux de compé- moins de deux semaines après publications
tences pour assurer les besoins en formations, de l’appel d’offre. Ces bourses permettent à
(4) de promouvoir des collaborations actives, toutes catégories de personnels membres du
et (5) d’être présent sur la scène nationale et RTP-3E (chercheur/enseignants-chercheur, in-
internationale, y compris dans ses interactions génieur et technicien, doctorant ou post-docto-
avec la société civile. Ces interactions ont béné- rant) d’être accueillies au sein d’un laboratoire
ficié de financements locaux pour accompagner partenaire du RTP-3E pour bénéficier d’une pé-
les projets dans l’esprit du développement de riode de formation et d’échanges techniques et
l’interdisciplinarité, de déposer des projets de méthodologiques. Renouvelées annuellement,
recherche aux niveaux national et européen et ces bourses ont permis de consolider l’appren-
de créer des ouvertures pour des recrutements tissage en interne dans ce domaine et de facili-
au niveau post-doc et thèse. ter l’élaboration de programmes de recherches
Au-delà de colloques scientifiques, le RTP-3E a or- et de dépôts de projets scientifiques auprès
ganisé au printemps 2015, une école thématique des agences de financement avec des consor-
intitulée « Quel rôle pour l’épigénétique en écolo- tiums experts.
12
Très rapidement et pour augmenter la visibilité des publications mondiales dans le domaine 3E
du RTP, une identité graphique a été créée (logo) (hors cancérologie) proviennent de la recherche
ainsi qu’un site web (http://rtp-3e.wix.com/rt3e) en France et 18 % de ces publications françaises
et une liste de diffusion (3e@univ-perp.fr) ras- sont issues de membres du RTP-3E. Ce dernier
semblant les participants aux différentes évène- a donc joué sans conteste un rôle d’incubateur
ments organisés par le RTP. Toutes les actions du dépassant largement le niveau national. À noter
RTP y sont recensées ainsi que des informations qu’actuellement environ trois quart des membres
spécifiques à destination des membres du RTP CNRS appartiennent à l’INEE et un quart à l’INSB
mais également des informations plus générales (Institut des sciences biologiques du CNRS).
sur l’épigénétique à destination d’une plus large En se basant sur cette analyse bibliographique
communauté. Une analyse rapide des données simple, il semble réaliste d’estimer à environ 500
sur PubMed montre que l’activité de publication le nombre de membres potentiels actifs dans ce
augmente de façon exponentielle depuis les domaine en France.
années 2000 (figure 1.4). Actuellement, 8 %
450
nombre de publications
300
150
0
1979
1981
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1997
1999
2001
2003
2005
2007
2009
2011
2013
2015
2017
année
13
pertise ont permis d’identifier un besoin impor- la droite ligne de l’esprit et des activités du RTP-
tant de mise en relation d’épigénéticiens et de 3E. Le projet de GDR-3E n’est pas simplement de
mathématiciens/statisticiens pour favoriser les poursuivre les actions du RTP-3E, mais a comme
échanges entre théoriciens et empiristes afin de ambition de renforcer l’intégration des domaines
formaliser les théories en épigénétique et évolu- scientifiques concernés (biologie moléculaire,
tion. Trois workshops consacrés à ce sujet ont physiologie, écologie, évolution, statistiques,
été organisés durant la période de décembre bioinformatique, sciences humaines), sur divers
2015 au printemps 2016. De plus, le RTP-3E par- organismes (animaux, humains, plantes…), et à
tage avec le groupement de recherche plasticité différentes échelles biologiques (organisme, po-
phénotypique (GDR Plas-Phen) un certain nombre pulation, communauté). L’objectif est d’élargir et
de thématiques communes concernant la plasti- de consolider la communauté dans ce domaine
cité phénotypique, ses mécanismes moléculaires en forte évolution, de rassembler des expertises
et son rôle pour l’adaptation et l’évolution des complémentaires indispensables pour appréhen-
espèces. Ainsi, la collaboration entre le RTP-3E et der les nouveaux développements conceptuels et
le GDR Plas-Phen a permis d’organiser un sympo- théoriques, ainsi que de renouveler l’offre de for-
sium intitulé « Evolutionary ecology of non gene- mation et d’animation scientifique, et finalement
tic inheritance and epigenetics » à la conférence de donner à la communauté 3E française une
internationale d’écologie organisée par la Société meilleure visibilité sur la scène internationale.
Française d’Ecologie (SFE) à Marseille du 24 au Ainsi, les moyens d’information et de communica-
28 Octobre 2016. Cet évènement a permis de tion mis en œuvre jusqu’à présent sont appelés
rassembler des personnalités de renommée in- à être diversifiés, et seront renforcés prochaine-
ternationale (Kevin Laland, University St Andrew ment par un groupe de travail dédié à la commu-
UK, Frank Johannes, Munich et d’autres) et de nication, dont la première action sera d’obtenir
stimuler un débat et des échanges autour de un nom de domaine dédié. Le groupe alimentera
l’hérédité non-génétique. de façon régulière une chronique scientifique
À l’issue de la période de fonctionnement du « grand public », sous la forme d’un blog ainsi
RTP-3E, réseau émergent volontairement limité que d’un compte Twitter, grâce aux travaux de
dans le temps, le comité de pilotage a décidé de la communauté 3E ; il assurera également une
Figure 1.5 : Calendriers déposer une demande de création de GDR dans veille scientifique issue de la communauté inter-
des principales activités et
manifestations scientifiques
du RTP-3E.
CONGRES FONDATEUR DU RTP-3E LA TÊTE AU CARRÉ - FRANCE INTER ECOLE THÉMATIQUE « ECO-EVO-EPIGEN »
• 3 & 4 décembre 2013, Gif-sur-Yvette • 1 octobre 2014, Paris • 12-22 mai 2015, Saint-Pierre Oléron
• 80 participants • Disponible en podcast • 40 participants
• Keynote : Dr. Eva Jablonka (Tel Aviv)
WORKSHOP « HOW CAN WE AUDITION PUBLIQUE
REDEFINE INHERITANCE BEYOND DE L’OFFICE PARLEMENTAIRE
THE GENE-CENTERED APPROACH? » • 16 juin 2015 : Vidéo disponible.
• 2 & 3 octobre 2014, Paris Audition publique d’évaluation des choix
• 40 participants scientifiques et technologiques sur
« Épigénétique : une nouvelle logique
FORUM CNRS « LES FONDAMENTALES » du vivant ? » suite à la saisine sur « Les
• 11 octobre 2014, Grenoble enjeux et perspectives de l’épigénétique »
• À écouter sur la Wikiradio du CNRS
14
nationale, dans tous les champs scientifiques l’échelle physique et chimique à l’échelle sociale
concernés par le domaine. en passant par le moléculaire et le cellulaire.
À l’avenir, la communauté 3E souhaite créer et L’épigénétique n’est donc qu’un des nombreux
renforcer les interfaces entre les communau- domaines dans lesquels la question de l’iden-
tés de chercheurs relevant des laboratoires tité est étudiée, alors que l’épigénétique est
de l’INEE et celles de l’INSB dans le domaine au cœur même des actions de la communauté
3E. L’objectif est de conforter les approches, 3E. De plus, l’ouverture aux sciences humaines
méthodes et expertises entre instituts du CNRS et sociales au sein du LabEx n’a pas la même
mais également entre les différentes structures ampleur que celle présente ici. Si le LabEx « Who
et réseaux du monde académique et des ac- Am I? » inclut une équipe de recherche com-
teurs sociaux au-delà des différentes initiatives prenant quelques chercheurs en psychanalyse,
déjà soutenues par le CNRS. Par exemple, un en éthique et en philosophie des sciences qui
domaine de recherche que la communauté 3E sont surtout occupés par le projet de publication
compte développer est l’épigénétique des popu- d’une Encyclopédie de l’identité, la communauté
lations humaines naturelles ou exposées à des 3E inclut en son sein un éventail plus large de
contraintes environnementales, sans aborder les collègues de ce domaine comprenant l’histoire
thématiques d’intérêt médical, déjà traitées dans et la philosophie des sciences, la sociologie
les labex « Epigen Med » et l’Institut thématique des sciences, le droit et l’éthique appliquée. En
multi-organismes « épigénétique et cancer » particulier, la communauté 3E souhaite renfor-
pour donner quelques exemples. La commu- cer les approches concernant « Epigénétique et
nauté 3E créera également des liens entre les Société », en analysant les conséquences socié-
mondes des sciences humaines et sociales et tales des recherches récentes en épigénétique
des sciences de la vie. Cependant, cette commu- (plus particulièrement, dans les domaines de la
nauté 3E se distingue notamment, et de manière santé humaine, et donc en termes de respon-
nette, d’autres groupes de recherche à cette in- sabilité collective et de politiques publiques). Il
terface tels que le LabEx « Who Am I? ». En effet, s’agit d’une question qui a aussi comme objectif
comme le nom de ce LabEx l’indique, ce dernier de réfléchir à la nécessité d’une approche inter-
s’est structuré autour d’une question centrale disciplinaire en épigénétique et aux conditions
qui est celle des déterminants de l’identité de mêmes de cette interdisciplinarité.
15
PROSPECTIVE ÉPIGÉNÉTIQUE
16
17
Prospective
épigénétiqu
II QU’EST-CE QUE
L’ÉPIGÉNÉTIQUE ?
Francesca Merlin, Antonine Nicoglou, Christoph Grunau et Etienne Danchin
L’épigénétique fait l’objet de nombreuses dis- Le terme « épigénétique » (en anglais epigene-
cussions à la fois chez les biologistes mais tics), avec d’autres termes apparentés (dont
aussi chez les théoriciens et historiens de epigenotype et epigenetic landscape), furent
la discipline (Morange 2002 et 2013, Haigh introduits pour la première fois en biologie à
2004, Felsenfeld 2014, Noble 2015, Deich- la fin des années 1930 par Conrad Wadding-
mann 2016, Nicoglou et Merlin 2017). Une ton (1939). Il désignait alors l’ensemble des
analyse historique souligne l’évolution des processus causaux qui, au cours du développe-
concepts et les implications en termes d’ap- ment, participent à la construction progressive
proche scientifique. du phénotype à partir du génotype. Le terme
19
20
darwinisme, en proposant l’idée d’une Synthèse qués par des changements de la séquence
étendue qui prendrait en compte les mécanismes d’ADN. Mais on y trouve aussi une autre défini-
de variation et d’hérédité non génétiques. C’est tion, assez semblable, mais qui fait référence
dans ce cadre que se sont développées les re- aux changements héritables de l’expression
cherches sur l’hérédité épigénétique transgéné- des gènes, et non pas à leur fonction. Bien que
rationnelle (Tableau 2.1). très proches, ces deux définitions de l’épigé-
nétique diffèrent, et cela non seulement d’un
Tous ces programmes de recherches et les point de vue verbal mais aussi et surtout quant
nombreuses conceptions de l’épigénétique qui aux pratiques théoriques et expérimentales
leurs sont associées continuent de coexister qu’elles impliquent respectivement. Parler de
aujourd’hui. Dès lors, la notion d’épigénétique la fonction des gènes amène plutôt les cher-
est désormais à la source de confusions, d’au- cheurs à focaliser leur attention sur les change-
tant plus que sont apparus tout un ensemble ments au niveau des protéines produites, alors
de termes dérivés comme « épigénome », qu’un intérêt pour l’expression des gènes les
« épiallèle », « épimutation », etc. qui peuvent, là conduit à prendre en compte et à observer ce
encore, prendre différentes acceptations selon qui se passe au niveau des transcrits d’ARN.
les domaines où ils sont employés ou le type
de question posée. Il va sans dire que l’enjeu Une telle hétérogénéité de l’épigénétique et
de ces différences n’est pas un simple débat des termes qui lui sont associés peut poser
sémantique. La façon de définir les termes d’un problème. En effet, lorsque les biologistes
problème peut avoir un impact significatif, et ont l’impression d’avoir un vocabulaire com-
même décisif, sur les modèles théoriques et les mun car ils utilisent les mêmes mots, leurs
pratiques expérimentales mis en œuvre pour le définitions diffèrent souvent. Cela représente
résoudre, voire tout simplement sur la capacité une difficulté majeure dans une perspective
d’échanger entre chercheurs de la communauté d’échange et d’intégration des connaissances
des biologistes (écologues, biologistes molé- entre biologistes, car certains peuvent vouloir
culaires et du développement, évolutionnistes, tenter de faire des rapprochements en vue
neurologues) voulant travailler ensemble sur d’établir des programmes de recherche com-
des phénomènes épigénétiques. muns autour de l’épigénétique (par exemple
impliquant écologie et biologie du développe-
Qui plus est, au sein d’un même champ de ment ou encore biologie moléculaire et biologie
recherche peuvent coexister des façons diffé- de l’évolution). Néanmoins, faut-il pour autant
rentes, non équivalentes, de concevoir l’épigé- souhaiter parvenir à une définition unique et
nétique. Par exemple, en épigénétique molé- unifiée de l’épigénétique ? L’apport d’une telle
culaire, on retrouve la définition de Riggs et définition n’est pas évident si l’on considère,
de Holliday selon laquelle l’épigénétique est comme ce fut le cas avec le « gène », que sous
l’étude des changements héritables de la fonc- le terme « épigénétique » se trouvent en fait
tion des gènes qui ne peuvent pas être expli- des réalités biologiques bien différentes.
21
II.2 Héritabilité inclusive et héritabilité des systèmes
22
moléculaire ainsi que la séquence ADN, comme héritable et être importante pour les questions
support d’informations génétiques et épigéné- d’adaptation.
tiques, telles les marques chromatiniennes qui Pour comprendre comment les espèces peuvent
modifient l’accès à l’ADN. Cependant, ce n’est parfois s’adapter rapidement à des environne-
pas le système lui-même qui génère le phéno- ments changeants, il suffit de définir (1) les
type, mais le processus développemental qui unités ou les éléments qui sont en interaction, Figure 2.2 : Résultats
produit un trait phénotypique particulier, en et (2) les types d’interactions qui les lient. Les d’une étude sur l’effet
transgénérationnel d’un
fonction du temps et en interaction avec l’envi- conséquences majeures de cette approche sys- pesticide sur l’huitre
ronnement. Dans chacun de ces processus, les témique de l’héritabilité sont que si l’on veut creuse Crassostrea gigas
qui ont montré que ce
variations génétiques et épigénétiques peuvent comprendre l’héritabilité d’un caractère particu-
polluant avait un impact sur
changer et entraîner des variations éphémères, lier, tous les éléments de ce système doivent l’information épigénétique
fluctuantes ou stables. Dans ce dernier cas, être analysés de manière exhaustive, à la même (la méthylation de l’ADN)
de la descendance des
la variation phénotypique peut alors devenir échelle et idéalement sur la durée. individus exposés.
RÉFÉRENCES
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23
Prospective
épigénétiqu
III LES ACTEURS DE
L’INFORMATION ÉPIGÉNÉTIQUE :
MÉTHODES ET VERROUS
Christoph Grunau, Natacha Bies Ethève, Frédéric Bantignies, Severine Chambeyron, David Latrasse
et Moussa Benhamed
L’information épigénétique est stockée dans au moins quatre porteurs d’information : la méthy-
lation et l’hydroxy-méthylation de l’ADN, les protéines associées à la structure chromatinienne
et les modifications post-traductionnelles des histones, les ARNs non codants, et la localisation
de l’ADN dans le noyau interphasique. Pour chacune de ces composantes, sont passées en revue
les données les plus récentes dans le domaine et les enjeux principaux qu’il reste à développer.
La méthylation de l’ADN est une caractéristique Hotchkiss, le 5-méthyl-cytosine (5mC) est une
fondamentale et commune à la plupart des gé- des marques épigénétiques les plus étudiées.
nomes. Parce qu’elle reste neutre vis-à-vis de la En règle générale, on trouve le 5mC dans le dinu-
traduction du code génétique, les organismes cléotide CpG (’p’ pour la fonction phosphodies-
« l’utilisent » pour apporter une information addi- ter qui lie la cytosine (C) et la guanine (G)). Chez
tionnelle, l’information épigénétique. l’Homme, environ 70 % des CpG sont méthylés et
le taux global de la méthylation est de l’ordre de
Chez les eucaryotes, la méthylation a lieu princi- 1 % (% 5mC dans l’ADN total). Cependant ce taux
palement en position 5 de l’anneau pyrimidique de méthylation peut être supérieur ou inférieur,
des cytosines. Découverte en 1948 par Rollin voire absent dans d’autres espèces (figure 3.1).
25
14 Figure 3.1 :
% cytosines méthylées
Pourcentage global de
cytosines méthylées
dans les génomes de
différents organismes.
8
4
2,3
0,03
Au niveau des cellules embryonnaires, la mé- en réprimant l’expression des éléments transpo-
thylation des cytosines peut aussi se faire dans sables. Elle pourrait aussi participer à la stabili-
d’autres contextes, tels que CHG ou CHH (avec sation de l’expression des gènes et favoriser la
H pour tout désoxyribonucléotide sauf le G). variabilité par un contrôle des processus d’épis-
Ces derniers types de méthylations sont très sage alternatif*. La méthylation pourrait aussi
présents chez les végétaux. En plus des cyto- réduire le bruit transcriptionnel, à savoir une
sines, les adénines peuvent également être transcription aberrante en dehors des gènes. À
des supports de méthylation. Cette marque noter que même chez les vertébrés, les effets de
épigénétique initialement observée chez les la méthylation sur l’expression des gènes ne sont
bactéries, est aussi présente en faible propor- pas forcément liés directement à la présence ou
tion chez les eucaryotes (Iyer et al., 2016). à l’absence de 5mC sur le promoteur du gène,
Chez les vertébrés, la méthylation de l’ADN est mais peuvent avoir un effet à une distance de
présente dans les corps des gènes et les élé- quelques 10 à 100 kilobases. Enfin, la méthyla-
ments transposables*. Les régions promotrices tion de l’ADN joue aussi un rôle important dans
des gènes, généralement riches en CpG (« îlots le mécanisme d’empreinte parentale qui permet
CpG ») sont dépourvues de méthylation et leur une expression différentielle de certains gènes,
hyper-méthylation provoque un arrêt de la trans- en fonction du parent transmetteur. Une centaine
cription. Cependant, la fonction de la 5mC n’a de gènes humains seraient soumise à cette régu-
pas encore été très bien définie pour beaucoup lation. Enfin, chez les mammifères placentaires
d’espèces et joue certainement des rôles diffé- (dont l’embryon se développe dans un placenta),
rents selon les clades phylogénétiques (figures la méthylation de l’ADN joue également un rôle
3.2 et 3.3). La méthylation de l’ADN des trans- déterminant dans le phénomène d’inactivation
posons a un rôle dans la défense du génome d’un chromosome X chez la femelle (figure 3.3).
Les mécanismes de méthylation de novo sont un cas particulier de régulation des marques
assez peu connus chez les mammifères, mais épigénétiques de l’ADN par des ARNs.
de nombreux travaux réalisés chez les plantes La méthylation de l’ADN est réversible et peut
ont permis de mettre en évidence un méca- être éliminée par l’intervention d’enzymes de la
nisme spécifique impliquant des ARNs guides famille TET, qui hydroxylent les méthylcytosines,
(hcsiARN). Deux complexes polymérases par- ou par l’action d’enzymes de la famille TDG qui
ticuliers (POL IV et POL V), qui possèdent des enlèvent la cytosine méthylée et la remplacent
sous unités uniques aux plantes, sont impliqués par une cytosine non méthylée.
dans ce mécanisme baptisé RdDM (RNA direc- De nombreux mécanismes liés à la méthylation
ted DNA Méthylation) (Onodera et al., 20015 ; restent à être identifiés et l’analyse des effets
Herr et al., 2005 ; Pontier et al., 2005). Le pre- des méthylations représente aussi un enjeu
mier de ces complexes POL IV permet la pro- scientifique d’importance. Au cours des der-
duction de longs ARNs non codants (lncARN), nières années, des méthodes basées sur le sé-
molécules clés qui permettent de guider par quençage génomique permettent de connaître
l’intermédiaire du complexe POL V la méthyla- la méthylation de chaque cytosine dans une sé-
tion séquence spécifique de l’ADN (Pontier et al., quence donnée. La mise au point de la méthode
2005 ; Li et al., 2006). Ce mécanisme montre au bisulfite a permis d’obtenir les profils de mé-
27
thylation d’une molécule d’ADN unique à la réso- compréhension de la variabilité épigénétique au
lution d’un nucléotide. En l’associant aux tech- sein des populations naturelles. Le défi pour la
niques de séquençage massive (Whole Genome communauté est de développer des méthodes
Bisulfite Sequencing - WGBS), on obtient des pro- robustes, potentiellement automatisables et
fils de méthylation sur l’ensemble du génome bon marché, permettant l’épiséquençage et
d’un individu, ou même dans des populations l’épigénotypage afin de pouvoir analyser les
entières (epiGBS). Les coûts associés représen- patrons de méthylation dans un grand nombre
tent, cependant, un verrou pour avancer dans la d’échantillons.
Dans les cellules eucaryotes, le matériel géné- fragment d’ADN, de 146 paires de bases chez
tique est organisé en une structure complexe les eucaryotes, s’enroule environ deux fois au-
constituée d’ADN et de protéines qui sont tour d’un octamer d’histones (composés de 4
empaquetés et compactés dans un comparti- histones cores H2A, H2B, H3 et H4 s’associant
ment spécialisé dont le volume est restreint : en deux dimères H2A-H2B et H3-H4) pour for-
le noyau. Cette structure a été baptisée chro- mer le nucléosome. Le nucléosome est consi-
matine par W. Flemming en 1882, en raison de déré comme l’unité de base de la chromatine.
son affinité pour les colorants. Dans chaque Chez l’homme, la chromatine permet ainsi l’en-
cellule environ deux mètres d’ADN se logent roulement de deux mètres de molécules d’ADN
dans un noyau de quelques micromètres de dia- dans un noyau d’environ 10 micromètres de dia-
mètre. Malgré cet énorme degré de compaction, mètre. Les chromosomes se trouvent donc sous
l’ADN doit être rapidement accessible afin de la forme d’une fibre de chromatine, et la den-
permettre son interaction avec les machineries sité en nucléosomes, leur positionnement, leurs
protéiques régulant les fonctions de la chroma- modifications, ainsi que les repliements spéci-
tine et l’expression des gènes. Chez tous les fiques de la fibre jouent un rôle important dans
eucaryotes, l’ADN n’est pas nu dans le noyau les différents processus moléculaires associés
des cellules, mais enroulé autour de protéines à l’ADN, comme la transcription, la réplication, la
basiques très conservées, appelées histones*, réparation, ou encore la condensation des chro-
pour former la chromatine. Plus précisément, un mosomes lors de la mitose.
28
A N-ter N-ter
Figure 3.5 :
Le nucléosome est l’unité
fondamentale de la chromatine.
A. Illustration adaptée de la
structure cristallographique (Luger
et al., 1997). Les flèches indiquent
36
H3 H3 les lysines cibles pour les marques
principales de l’hétérochromatine
(H3K9me3), de l’euchromatine
active (H3K4me3, H3K36me3) et
l’euchromatine réprimée par le
système Polycomb (H3K27me3).
H2B
H2B
H2A H2A
B
Lysine (K) e-N-trimethyl-Lysine (Kme3) e-N-Acetyl-Lysine (Kac)
charge positive conserve la charge positive charge neutralisée
N N C N
C C g C e
N+
C C C C e
N+ C
C C C e
N
C
O C a b C d C O C C C O C C C C
C
O
Ces queues d’histones sont très peu organi- de la triméthylation ; un bromodomaine pour
sées, mais elles sont riches en acides aminés
basiques, notamment des lysines. Exposées
les lysines acétylées). En outre, ces acteurs
chromatiniens agissent rarement seuls mais
C
à l’extérieur des nucléosomes, ces résidus sous forme de complexes multiprotéiques, ce
qui contribue à la très grande spécificité de
Figure 1: Le nucléosome est l’unité fondamentale
lysines sont la cible de nombreuses modifica- de la chromatine.
tions épigénétiques, comme des acétylations ces réactions. Cette notion de writers, readers,
A. Illustration adaptée de la structure
et des méthylations (mono, di ou tri). Ces
crystallographique (Luger et al, Nature 1997.
erasers caractérise la plupart des mécanismes
Les flèches indiquent
modifications les lysines
sont déposées cibles
par des pour trouvés
enzymes les marques
au niveauprincipales
des nucléosomesde pour per-
l’hétérochromatine
spécialisées (les(H3K9me3), de l’euchromatine
writers) puis reconnues par active une
mettre d’établir (H3K4me3, H3K36me3)
fonction épigénétique par-
et l’euchromatine réprimée par le système Polycomb (H3K27me3). B. Lysine
d’autres facteurs chromatiniens (les readers). ticulière (figure 3.6 - Gardner et al., 2011).
portant En
la fonction du contexte cellulaire ou de l’induc-
tri-méthylation (Kme3) ou l’acétylation (Kac).
tion d’une voie de signalisation particulière, les
marques épigénétiques déposées peuvent être
retirées par d’autres enzymes (les erasers) et
remplacées ou non par d’autres writers. Les
writers et les erasers d’acétylations sont appe-
lés respectivement histone acétyle transférase
(abrégé HAT) et histone désacétylase (HDAC),
ceux des méthylations sont nommés respec-
tivement lysine méthyltransférase (KMT) et Figure 1
lysine déméthylase (KDM). Quant aux readers,
ils lisent une marque spécifique grâce à des
domaines protéiques particuliers (par exemple,
un chromodomaine pour la reconnaissance
29
PROSPECTIVE ÉPIGÉNÉTIQUE
Figure 3.6 :
Notion de writer, eraser
and reader.
Ces facteurs agissent
sous forme de complexe
multiprotéique engendrant
une très grande spécificité des
mécanismes épigénitiques. Les
readers permettent d’interpréter
les marques et apportent des
fonctions particulières à la Histone acetyl-transferases (HAT) Specific factors
chromatine, par exemple, le
remodelage de la chromatine Lysine methyl-transferases (KMT) in macromolecular complexes
et la phosphorylation de l’ARN
polymérase II pour l’activation
de la transcription, ou bien la Histone deacetylases (HDAC)
compaction et l’inhibition de
l’ARN polymérase II pour la
Lysine demethylases (KDM)
répression.
Au sein des noyaux eucaryotes, on distingue deux autres domaines d’hétérochromatine, d’autres
grands types de chromatine : l’euchromatine et KMTs telles que G9a et SETDB1 peuvent réa-
l’hétérochromatine. Au départ considérés selon liser cette fonction. La marque H3K9me3 est
Figure
un critère de 2: Notion
densité endemicroscopie
“Writer, eraser
électro-and spécifiquement
reader”. reconnue par le facteur HP1
Ces facteurs agissent sous forme de complexe multiprotéique engendrant une
nique (zones claires pour l’euchromatine et fon- (Heterochromatin Protein 1), une protéine très
très grande spécificité des mécanismes épigénitiques. Les readers permettent
cées pour l’hétérochromatine), ces deux types conservée chez les eucaryotes excepté chez la
d’interpréter les marques et apportent des fonctions particulières à la chromatine,
de chromatine possèdent des propriétés géno- levure du boulanger. Du fait de ses propriétés
par exemple, le remodelage de la chromatine et la phosphorylation de l’ARN
miquespolymerase
particulières, ainsi que des marques et d’oligomérisation
II pour l’activation de la transcription, ou bien laetcompaction
d’association
et avec diffé-
des mécanismes épigénétiques qui les caracté- rents
l’inhibition de l’ARN polymerase II pour la répression. facteurs cellulaires, HP-1 contribue à la
risent (Ho et al., 2014). L’hétérochromatine, qui structure compacte de l’hétérochromatine et
représente plus de 50 % du génome humain, est coordonne les activités multiples au niveau de
la forme la plus compacte de la chromatine dans celle-ci, comme la répression transcriptionnelle,
les noyaux. Pauvre en gènes et très peu active la réplication et la cohésion des centromères
d’un point de vue transcriptionnel, elle renferme au moment de la mitose. Au niveau de l’hété-
de larges portions de séquences répétées si- rochromatine, on trouve également la marque
tuées à proximité des centromères et télomères. H4K20me3 déposée par la KMT SUV4-20H1/2
Eparpillées le long des chromosomes, on trouve (Saksouk et al., 2015).
également des zones un peu plus petites d’hété-
rochromatine (de l’ordre de 1 Mb mais pouvant
aller jusqu’à 5 Mb) renfermant des séquences La chromatine active
répétées. Ces portions d’hétérochromatine sont de l’euchromatine
souvent retrouvées à la périphérie du noyau, et
elles correspondent à des Lamina-Associated L’euchromatine, qui renferme la plupart de nos
Domains (LADs). Par rapport à l’euchromatine, gènes, est, elle, beaucoup moins compacte
les histones de l’hétérochromatine sont hypoa- que l’hétérochromatine. On dit qu’elle est plus
cétylées. La marque épigénétique très caracté- ouverte, induisant un état de la chromatine plus
ristique de l’hétérochromatine est la di- ou tri-mé- compatible aux mécanismes moléculaires de la
thylation de la lysine 9 sur l’histone H3, notée transcription ou de la réplication. Au niveau de
H3K9me2 ou H3K9me3. Chez les mammifères, l’euchromatine, on trouve un large ensemble de
l’enzyme responsable du dépôt de cette marque, marques chromatiniennes. Certaines seront as-
au moins au niveau de l’hétérochromatine péri- sociées à l’état actif des gènes, d’autres à l’état
centromérique, est la KMT SUV39H1/2. Sur les réprimé ou silencieux, d’autres encore à un état
30
de pause, c’est-à-dire des gènes qui se préparent permettent la lecture fonctionnelle du génome.
à une activation future. Ainsi, suivant les besoins Le long du génome, on trouve donc de petits do-
en gènes actifs dans les différentes cellules ou maines de chromatine active, représentant sou-
tissus d’un organisme, les marques épigéné- vent des clusters de gènes actifs, une organi-
tiques représentent de véritables étiquettes et sation qui facilite leur co-régulation (figure 3.7).
ChIP-seq
H3K4me3
0
H3K36me3
0
H3K27me3
0
PC
BX-C vv v
31
Les marques actives de méthylation sont dé- de Trithorax, dépose la marque H3K4me3 pour
posées par les protéines à domaine SET du l’activation d’un sous-groupe de gènes, incluant
groupe Trithorax. Initialement découvertes chez les gènes HOX qui sont également cibles de
la drosophile, les protéines MLL (Mixed-Lineage Polycomb. Enfin, SET1-COMPASS assure cette
Leukemia) des complexes COMPASS sont leurs fonction au niveau des autres gènes actifs,
homologues chez les mammifères. On trouve notamment les gènes de ménage (figure 3.8 -
les complexes MLL3/4-COMPASS pour la dépo- Schuettengruber et al., 2017).
sition d’H3K4me1 au niveau des enhancers,
facilitant le recrutement d’autres activateurs Ces marques épigénétiques peuvent entraîner
comme les HATs CBP/p300 pour l’acétylation le recrutement de protéines de remodelage de
H3K27ac de ces éléments. MLL2-COMPASS la chromatine pour permettre des déplacements
assure le dépôt de la marque H3K4me3 au de nucléosomes et rendre la chromatine encore
niveau des gènes bivalents, qui sont des cibles plus accessible aux facteurs de transcription
des facteurs Polycomb (voir ci-dessous), tandis et favoriser la processivité de la machinerie de
que MLL1-COMPASS, l’homologue mammifère transcription (Hu et Tee, 2017).
B PRC2
RBBP
EZH2
4/7 H3K27me3
EED SUZ12
CBX
PHC 2/4/6-8
1-3
H2AK119ub
PCGF
RING1A/B Répression des gènes
2/4 via
PRC1 la compaction de la chromatine
32
La chromatine réprimée
de l’euchromatine
On distingue deux types de chromatine répri- Void ou Null, possède des gènes importants
mée le long du génome, formant le plus souvent qui sont exprimés de manière très spécifique
d’assez larges domaines, isolés des domaines dans les tissus au cours du développement.
actifs de l’euchromatine (Ho et al., 2014). Le Les mécanismes épigénétiques sous-jacents à
premier fait intervenir la marque de répression cette chromatine réprimée sont cependant peu
H3K27me3, caractéristique du système des connus. Elle apparaît enrichie en histone linker
protéines du groupe Polycomb. Ce système H1, impliquée dans la compaction de la chro-
est composé de deux complexes majeurs, Po- matine. Elle est également enrichie en LADs et
lycomb Repressive Complex 1 et 2, respective- possède la marque H3K27me2. Bien que PRC2
ment PRC1 et PRC2. PRC2 est le complexe qui ne soit pas retrouvé dans ces régions, il est pro-
contient la KMT Enhancer of Zeste (E(Z) chez posé qu’H3K27me2 soit produit par des asso-
la drosophile et EZH2 chez l’homme). Ce wri- ciations labiles de PRC2/E(Z) et du complexe
ter à domaine SET est l’unique dépositaire de contenant UTX, l’eraser spécifique de la méthy-
la marque H3K27me3 dans le génome. PRC1 lation sur H3K27 (Lee et al., 2015).
contient la protéine éponyme Polycomb chez la En conclusion, les mécanismes épigénétiques
drosophile (CBX chez les mammifères), qui pos- sont au cœur de la fonction du génome au
sède un chromodomaine capable de reconnaître cours du développement de n’importe quel or-
spécifiquement cette marque répressive (figure ganisme vivant. Dans ce contexte, H3K4me3 et
3.8). La répression dépendante de Polycomb H3K27me3 apparaissent comme deux marques
est un processus complexe, conduisant à l’inhi- chromatiniennes majeures, qui expliquent un
bition de la machinerie transcriptionnelle et la grand nombre d’états transcriptionnels des
compaction de la chromatine (Bantignies et Ca- gènes, à savoir actifs, réprimés ou en pause
valli, 2011). Les protéines du groupe Polycomb dans l’attente d’une activation future. Associées
régulent des gènes spécifiques de voies de dif- à des données transcriptomiques, la connais-
férenciation et de développement. En général, sance de leur distribution génomique représente
ces gènes sont maintenus stablement répri- une piste importante pour la compréhension de
més par le système Polycomb dans les cellules variations épigénétiques au sein de larges popu-
où ils n’ont pas de fonction (par exemple, un lations d’individus d’une même espèce, ou en-
gène homéotique postérieur dans des tissus/ core contribuer à l’annotation des génomes de
organes antérieurs ; un gène de différenciation nouvelles espèces. Enfin, la marque H3K27me3
neuronale dans des cellules musculaires ou semble également importante pour le maintien
fibroblastes…). des états géniques à travers la méiose et sur
Les domaines bivalents liés à l’activité des plusieurs générations, pouvant potentiellement
groupes Polycomb et Trithorax représentent jouer un rôle dans l’hérédité et du coup dans
un cas particulier de la régulation épigéné- l’évolution des espèces (Ciabrelli et al., 2017 ;
tique. En effet, ces domaines possèdent à la Zenk et al., 2017).
fois la marque active H3K4me3 et la marque
répressive H3K27me3, indiquant une co-exis-
tence des deux systèmes à certains endroits
du génome. On retrouve notamment ces deux
marques au niveau des gènes de différencia-
tion et de développement dans les cellules plu-
ripotentes et les cellules progénitrices. Dans
ce cas, les gènes sont mis en pause pour être
activés ou réprimés ultérieurement suivant les
signaux de différenciation.
Le deuxième type de chromatine réprimée est
moins bien caractérisé que la chromatine du sys-
tème Polycomb, mais représente jusqu’à 50 %
du génome (en considérant les séquences non-
répétées) (Filion et al., 2010 ; Ho et al., 2014).
Cette chromatine, également appelée Black,
33
PROSPECTIVE ÉPIGÉNÉTIQUE
Il existe un ensemble d’éléments régulateurs Les petits ARNs agissent notamment en contrô-
des processus épigénétiques dont la décou- lant la méthylation de l’ADN et l’assemblage de
verte a profondément modifié notre vision sur la chromatine. Ces voies de régulation, bien que
le contrôle de l’expression des gènes. Ces élé- différentes, impliquent toutes des petits ARNs
ments sont soit des séquences d’ADN régula- de 20 à 30 nucléotides chargés par des pro-
trices localisées parfois à grande distance des téines effectrices de la famille Argonaute. Le
gènes, soit des petites molécules d’ARNs régu- complexe petit ARN/protéine Argonaute cible
lateurs. Ces petits ARNs sont impliqués dans l’ARN messager ou l’ADN complémentaire à la
des mécanismes réprimant l’expression des séquence du petit ARN et la protéine effectrice
gènes et constituent des voies de régulation uni- induira soit le clivage de l’ARN, soit la répres-
verselles chez les eucaryotes. Ces voies jouent sion de sa traduction ou celle de la transcription
un rôle majeur dans un grand nombre de pro- du gène correspondant.
cessus biologiques tels que le développement, En fonction des organismes, différents méca-
la réponse aux stress, le maintien de la stabilité nismes d’action ont pour le moment été décrits.
des génomes, l’architecture des chromosomes Deux cas particuliers observés chez la droso-
et la répression des virus. phile et chez les végétaux sont présentés ici.
Chez la drosophile il existe trois classes de pe- matiques sont riches en séquences d’ETs.
tits ARNs régulateurs : Dans ces régions, les séquences d’ETs ont ac-
• Les miARNs (microARNs), cumulé de nombreuses mutations les rendant
• Les siARNs (small interfering ARNs), incapables de transposer et donc de se dépla-
• Les piARNs (Piwi-interacting ARNs). cer dans le génome. L’analyse des données
Alors que les voies des miARNs et des siARNs de séquençage des piARNs présents dans les
sont maintenant bien documentées, le mode ovaires de drosophile a révélé que les piARNs
d’action des piARNs découverts plus récem- pouvaient présenter des séquences complé-
ment, en 2001, reste encore largement inconnu. mentaires deux à deux sur leurs 10 premiers
Ce chapitre résume les connaissances acquises nucléotides. Cette caractéristique permet la
sur le rôle des piARNs dans la répression trans- production de piARNs appelés boucle « ping-
criptionnelle et le dépôt de marques épigéné- pong ». Dans cette boucle, un piARN induit la
tiques répressives sur les séquences répétées coupure d’un transcrit précurseur de piARNs,
que sont les éléments transposables (ETs). contribuant ainsi à la production d’un autre
Pour rappel, les éléments transposables sont piARN (figure 3.9).
présents dans tous les génomes (ils représen-
tent 45 % du génome humain) et peuvent être Les protéines effectrices de la sous-famille
à l’origine de dérégulation des cellules, comme Argonaute appelées PIWI, présentes dans les
dans les cas de cancer, si leur activité n’est pas tissus reproducteurs, chargent les piARNs.
contrôlée. Chez les drosophiles, ils peuvent être Chez la drosophile il existe trois protéines Argo-
aussi des vecteurs extra chromosomiques de naute de la sous-famille PIWI : Aubergine (Aub),
l’hérédité épigénétique transgénérationnelle. Argonaute 3 (Ago3) et Piwi. Aub et Ago3 sont
L’étude des relations entre les piARNs et les des protéines cytoplasmiques exprimées dans
ETs est donc très importante à documenter. les cellules germinales et qui participent à la
Les piARNs, longs de 23 à 30 nucléotides, déri- production des piARNs via la boucle d’amplifi-
vent de la dégradation de transcrits produits cation ping-pong. Plus précisément, les piARNs
par des régions hétérochromatiques appelées chargés par la protéine Ago3 ciblent le transcrit
« clusters de piARNs ». Ces régions hétérochro- long des clusters de piARNs principalement
34
composé de séquences complémentaires des logie de séquence avec le piARN, puis une
éléments transposables et induisent la coupure histone méthyl-transférase (Egg/SetDB1) est
et le chargement par Aub des piARNs antisens recrutée afin de triméthyler la lysine 9 de l’his-
des ETs. Dans le cytoplasme des cellules ger- tone H3 (H3K9me3) et former une chromatine
minales, la coupure du précurseur de piARN par répressive. Enfin, la protéine hétérochromati-
une endonucléase appelée Zucchini (Zuc) induit nienne 1A (HP1a), qui reconnaît les marques
la formation de nouveaux piARNs qui vont être de méthylation de l’histone H3 va consolider
chargés par la protéine Piwi. Cette protéine, une et induire l’hétérochromatinisation des sé-
fois chargée, va se localiser dans le noyau. quences d’ETs. Cependant, les mécanismes
Le complexe Aub/piARN réprime les ETs au par lesquels ces complexes peuvent induire
niveau post-transcriptionnel par clivage, alors des modifications épigénétiques sont encore
que le complexe Piwi-piARN, localisé dans le énigmatiques. Il est important de noter que le
noyau, réprime les ETs au niveau transcription- dépôt de ces marques épigénétiques, médié
nel via la méthylation sur la lysine 9 de l’his- par des petits ARNs régulateurs, peut affecter
tone H3 (H3K9me3). l’expression des gènes qui flanquent les sé-
Le modèle actuel pour le dépôt de marques quences des ETs. Ces données suggèrent que,
épigénétiques sur les séquences des ETs est via le dépôt de marques épigénétiques, les
le suivant : le complexe Piwi/piARN identifie petits ARNs régulateurs jouent un rôle majeur
les transcrits naissants des ETs par homo- dans l’expression des gènes.
Noyau Pi Cytoplasme
HP1 wi
piRNA cluster H3K9me3
transcription TE
Nuage
export
import
piRNA cluster
ping-pong
u Aub
ET ARNm
La biogénèse des hcsiARNs est initiée par la production de lnc (long ARN non codant)
Les longsparduplex d’ARNs sont
la polymérase alors
IV, RDR2 pris ensuite
permet en ticuliers, permettent
la synthèse des brinsentre autres de réprimer
complémentaires, DCL3
charge par fragmente
DCL3, uneles enzyme
doublesde brins
la famille
d’ARNdes la transcription
qui seront ensuite prisdes ETs et par
en charge donc, de limiter
AGO4. L’un desles
Dicer, qui coupe
deux brinsetest
libère des duplex
dégradé de petits
et l’association transpositions
AGO4/hcsiARN de ces par
est recrutée éléments. Cela assure
les plateformes à AGO
ARNs de 20 à 25 nucléotides. Ces petits frag- ainsi une certaine
présentes au niveau du complexe polymérase V. stabilité et donc une certaine
ments d’ARN double Cette interaction
brin permet
interagissent le recrutement
ensuite dedu
intégrité DRM2 qui vaUne
génome. méthyler l’ADN. dans le
participation
avec la protéine ARGONAUTE 4 (AGO 4), l’une contrôle de gènes impliqués dans le dévelop-
des 10 protéines Argonautes présentes chez pement ou dans la réponse à des stress envi-
Arabidopsis thaliana. Cette association s’accom- ronnementaux a aussi été démontrée. Enfin ce
pagne par la dégradation de l’un des brins du mécanisme peut aussi être activé, après inté-
duplex. Les hcsiARN ainsi associés à AGO4 sont gration dans le génome de fragments d’ADN
ensuite recrutés avec le complexe POL V, via la exogènes ou après des infections virales afin, là
plateforme AGO hook des protéines NRPE1 et encore, de protéger l’intégrité du génome.
SPT5like, qui est un facteur d’élongation de la
transcription, et permet le recrutement d’ADN
méthylases qui méthylent de manière très spé-
cifique les cytosines de l’ADN (Lahmy et al.,
2016). Les effets de ces méthylations ciblées,
contrôlées par la production de petits ARNs par-
36
Les petits ARNs et l’hérédité épigénétique
transgénérationnelle
Certaines marques épigénétiques sont suscep- appariement entre les loci paramutateur et para-
tibles d’être transmises à la descendance. La muté, mais seulement le transfert des piARNs
transmission transgénérationnelle de marques maternels via le cytoplasme de l’ovocyte.
matérialisées par la méthylation de l’ADN est
très documentée chez les plantes. Chez les Une autre étude a montré que la quantité de
mammifères, l’étude du phénomène est beau- piARNs produits lors de l’ovogenèse augmente
coup plus complexe et fait encore l’objet de avec l’âge de la mouche (Grentzinger et al., 2012).
controverses, même si de nombreuses études Plus une drosophile est âgée, plus la quantité de
rapportent que des modifications épigéné- piARNs accumulée dans le cytoplasme de l’ovo-
tiques, influencées par l’environnement (stress, cyte augmente. Cette augmentation permet d’ac-
alimentation), affectent l’expression des gènes croître le pool de piARNs déposé dans l’embryon.
au travers des générations. Cette augmentation se traduit par une meilleure
Par exemple, il a été montré que la malnutrition capacité à réprimer un élément transposable, ap-
constituait un stress important pour notre orga- pelé élément I, dans la lignée germinale femelle
nisme. Ce dernier répond en élevant le niveau cir- de la descendance. Une fois acquise, cette capa-
culant d’hormones de stress. Des études épidé- cité à réprimer se transmet au travers des géné-
miologiques réalisées dans une petite ville située rations. Elle ne dépend que de la quantité des
au-delà du cercle polaire en Suède, montrent que piARNs présents dans l’embryon qui seront sus-
les habitants sont plus susceptibles de déve- ceptibles d’amorcer la boucle ping-pong essen-
lopper un diabète ou des maladies cardiovas- tielle à la production de nouveaux piARNs dans la
culaires si leurs ancêtres ont subi des déséqui- lignée germinale.
libres nutritionnels. De nombreux exemples de ce Chez les plantes, il a été montré que la méthyla-
type existent, mais les mécanismes moléculaires tion de l’ADN est majoritairement maintenue au
de cette transmission restent à élucider. cours de la reproduction, en partie par les méca-
nismes dits de maintenance, mais aussi par la
Deux exemples pris chez la drosophile illustrent voie RdDM. Cette caractéristique permet, entre
la façon dont les petits ARNs régulateurs in- autres, la transmission éventuelle de marques
fluencent la régulation épigénétique à travers épigénétiques mises en place au cours de la vie
les générations. de la plante.
Le premier cas rapporté en 2012 correspond Il a, par exemple, été montré l’acquisition d’une
à un phénomène de paramutation (de Vans- tolérance aux pathogènes associée à une cer-
say et al., 2012). La paramutation correspond taine dé-méthylation de l’ADN. La dé-méthylation
à une interaction entre deux allèles conduisant et la résistance ainsi acquises, peuvent ensuite,
à la modification héritable d’un des allèles dans de nombreux exemples, être transmises à
par l’autre, sans modification de la séquence la descendance (Baulcombe et Dean, 2014). De
nucléique de l’allèle modifié. L’allèle paramuté même, il a été observé que des plantes mutées
conserve ensuite les propriétés épigénétiques dans des gènes codant des protéines impliquées
ainsi acquises au travers des générations et dans la voie RdDM qui assure la méthylation de
devient à son tour paramutateur. Ainsi, il a été novo de l’ADN, sont souvent altérées dans leur
montré, chez la drosophile, qu’un locus A est ca- capacité à transmettre à leur descendance une
pable d’induire la répression en trans d’un locus résistance acquise à différents stress environne-
B inséré ailleurs dans le génome. Le locus A est mentaux, tels que la sécheresse, la chaleur ou le
capable de conférer, par simple transmission cy- froid (Rasmann et al., 2012). Un exemple précis
toplasmique, ses capacités répressives à un lo- est celui de plantes d’Arabidopsis déficientes en
cus homologue A’ qui était précédemment inca- protéines NRPE1 (la grande sous unité du com-
pable d’établir la répression en trans du locus B. plexe de la polymérase V) qui est impliquée dans
La paramutation du locus A’ est corrélée avec la la voie RdDM. Ces plantes ont un ADN hypo-mé-
capacité de cet « allèle » à produire des piARNs. thylé et présentent une plus grande résistance à
Cette capacité nouvelle à produire des piARNs différents pathogènes. Cependant, contrairement
est stable au travers des générations (n > 30) et à des plantes sauvages, ces plantes sont inca-
l’« allèle » paramuté devient à son tour paramu- pables de transmettre la résistance acquise à
tateur. Cette paramutation ne nécessite pas un leur descendance (Lopez Sanchez et al., 2016).
37
PROSPECTIVE ÉPIGÉNÉTIQUE
Piwi Ago3
Piwi
Piwi Ago3
Aub
Aub
Ago3
Aub
Peu de piARNs produits par le locus A BBeaucoup de piARNs produits par le locus A
Figure 3.11 : Les piARNs déposés dans l’embryon ddéposés dans l’embryon
et l’hérédité épigénétique Piwi
Piwi Ago3
Piwi
Piwi Ago3
Aub Aub
Ago3
Aub
X locus A’ : locus A’ :
peu de production de piARNs production de piARNs Piw
i
piRNA cluster- piRNA cluster- maternel
séquence élément I séquence élément I
Piw
Aub i
Ago3
Ago3 Aub boucle Ago3
Aub boucle
Aub ping-pong
ping-pong
Aub Ago3
maternel
Aub Aub
Faible initiation de la boucle ping-pong peu de piARNs Forte initiation de la boucle ping-pong induisant une forte
produits: pas d’accumulation des piARNs cytoplasmiques. production des piARNs.
Pas de marques épigénétiques induites sur la chromatine Marques épigénétiques induites sur la chromatine
du locus A’. du locus A’.
Récemment enfin, il a aussi été mis en évi- mises à la descendance. Un certain nombre
dence que le degré de méthylation d’un trans- d’observations indiquent que ces différentes
poson NMR19 (Naturally occurring DNA Methy- marques peuvent être, au cours du temps, ren-
lation variation Region 19) varie en fonction forcées par la mise en place de méthylations de
de l’environnement et que cette variation est type CpG, qui seront ensuite conservées par les
héritable et agit sur l’expression du gène PPH mécanismes de maintenance.
codant une Pheophytin Pheophorbide Hydrolase Une exception à la maintenance de la méthyla-
(Hell et al., 2018). Cette observation corres- tion de l’ADN chez les végétaux est cependant
pond à un exemple d’épi-allèle naturel lié à observée dans les noyaux végétatifs des grains
l’environnement. de pollen, pour lesquels la méthylation de l’ADN
Ces exemples montrent que les marques épi- est diminuée principalement au niveau des ETs
génétiques mises en place au cours de la vie (Bond et Baulcombe, 2014). Dans ce cas il est
des plantes, principalement par la voie RdDM suggéré que la déméthylation observée permet la
(contextes CHH et CHG) peuvent être trans- transcription des ETs, ce qui a, entre autres, pour
38
effet de générer la production de petits ARNs qui En conclusion si l’importance des ARNs régula-
seraient capables de transiter vers les cellules teurs dans l’hérédité épigénétique est clairement
reproductrices et permettraient de renforcer la démontrée dans un certain nombre d’études, la
méthylation des ETs. Un autre exemple de la compréhension fine des processus en jeu est
présence d’une certaine voie de reprogramma- loin d’être résolue. Il est essentiel de mieux com-
tion est celle observée dans des lignées affec- prendre comment ces petits ARNs affectent l’ex-
tées dans les gènes MET1 ou DDM1, dont les pression des gènes et comment l’environnement
produits sont impliqués dans la maintenance affecte leur production. L’interrogation ultime est
de la méthylation de l’ADN principalement dans de reconstituer les mécanismes par lesquels ces
les contextes CpG. Ces lignées présentent une molécules véhiculent des informations permet-
forte dé-méthylation de leur ADN sur au moins 5 tant de modifier l’épigénome sur plusieurs géné-
générations, puis les méthylations de l’ADN se rations et, si ces modifications sont transmises
remettent progressivement en place (Youngson sur un nombre suffisant de générations, pour
et al., 2014). donner prise à la sélection naturelle.
Contact
inter-domaine
39
que chaque chromosome occupe son propre ter- territoires chromosomiques peuvent rester très
ritoire à l’intérieur du noyau, suivant une distri- stables au cours de l’évolution. Par exemple
bution leur permettant d’interagir avec d’autres chez les primates, il a été montré que les chro-
régions génomiques présentant des similarités mosomes humains et les chromosomes corres-
dans leurs états transcriptionnel et épigéné- pondants du gibbon, du chimpanzé et du gorille
tique. Cette organisation chromosomique faci- sont situés à la même position dans les noyaux
lite le regroupement spatial de régions chroma- (Tanabe et al., 2002). L’impact physiologique de
tiniennes en super-domaines qui s’assemblent telles organisations tridimensionnelles suggère
pour donner ce que l’on appelle les territoires qu’il correspond à un évènement biologique sé-
chromosomiques (Cremer et Cremer, 2001). Les lectionné au cours de l’évolution.
La microscopie a été la première approche utilisée miques interagissant les unes avec les autres
pour étudier la conformation des chromosomes chez la levure, les animaux et les plantes. Le
dans différents organismes et types cellulaires principe commun à ce groupe de techniques est
mais cette approche ne permet pas de déter- l’identification de deux ou plusieurs régions géno-
miner l’impact de l’architecture chromosomique miques qui sont suffisamment proches pour être
sur la physiologie cellulaire puisque les données liées de façon croisée à l’aide d’un agent fixateur
produites ne peuvent pas être interprétées au et donc susceptible d’interagir ou par exemple
niveau génomique et transcriptionnel. Pour sur- d’être régulées in vivo par la même protéine.
monter une telle limitation, les techniques déri- L’ensemble de l’ADN génomique ainsi « piégé »
vées du Chromosome Conformation Capture (3C) est fragmenté et séquencé par des approches
ont émergé (figure 3.13), contribuant de façon de séquençage massif. Un traitement bio-infor-
significative à l’identification de régions géno- matique permet de reconstruire les interactions.
A Architecture Traitement chimique pour lier Digestion enzymatique Ligation Purification de l’ADN
chromatinienne les régions d’interactions ou sonication
B C 4C D 5C E ChIA-PET F Hi-C
PCR et Reverse LMA multiplexe Coupure de IP Ajout des adaptateurs Digestion - Digestion Séquençage
séquençage PCR et séquençage l’ADN Ligation PCR - Coupure de l’ADN
Séquençage
Figure 3.13 : Description générale des techniques dérivées du 3C. D. Le 5C permet l’identification simultanée des interactions
A. Initialement, toutes les techniques basées sur le 3C ont pour entre plusieurs régions génomiques.
point commun le principe d’isoler des régions génomiques E. Le ChiA-PET combine l’immunoprécipitation de la chromatine
qui interagissent à l’aide d’un agent fixateur tel que le et des analyses de type 3C pour déterminer des interactions
formaldehyde (points jaunes). Plusieurs interactions spécifiques entre fragments d’ADN reconnus par une protéine d’intérêt qui
et non spécifiques sont obtenues, digérées avec une enzyme est précipitée à l’aide d’un anticorps spécifique. Les fragments
ou soniquées, et finalement liguées et purifiées. Les étapes obtenus sont ensuite purifiés et séquencés.
suivantes diffèrent selon la technique utilisée. F. Le Hi-C est une technique de 3C à l’échelle du génome qui
B. Le 3C utilise les produits de ligation obtenus pour réaliser une permet d’obtenir une information concernant les interactions
PCR et identifier les interactions entre deux fragments d’intérêt. chromosomiques. Des oligonucléotides biotinylés sont incor-
C. Le 4C combine le 3C et le séquençage haut débit pour porés pour la purification des fragments interagissant et sont
identifier les contacts entre un locus défini et les régions ensuite amplifiés et séquencés par séquençage haut débit.
interagissant avec lui.
40
Les déterminants conformationnels diffèrent
entre les animaux et les plantes
Chez les animaux, ces approches ont été menées cellulaire invariante qui facilite la formation de
récemment et ont révélé l’existence d’un parti- boucles fonctionnelles cellules-spécifiques, limi-
tionnement des chromosomes en domaines ap- tant ainsi les interactions fonctionnelles pos-
pelés TADs ou Topologically Associated Domains sibles qui pourraient être engagées.
(Sexton et al., 2012). Ces domaines d’environ
1 Mb présentent des fréquences d’interactions L’architecture chromosomique chez la plante
chromatiniennes élevées entre les régions in- Arabidopsis diffère de celle des animaux en par-
ternes au domaine, comparées à des régions ex- ticulier par l’absence de TADs. Cependant, des
ternes au domaine. Les domaines sont séparés régions génomiques similaires ont été trouvées
par des zones frontières caractérisées par un en- chez Arabidopsis telles que les régions frontières
richissement en protéines structurales, tels que délimitant les TADs et caractérisées par la pré-
le répresseur transcriptionnel CTCF (pour CCCTC- sence de gènes fortement exprimés. Il a été pro-
binding factor) et les cohésines, et en gènes for- posé que cette différence d’organisation entre
tement transcrits. Les TADs apparaissent comme Arabidopsis et les génomes animaux soit due à
des organisateurs fonctionnels du génome. Par l’absence prédite de la protéine CTCF et d’autres
exemple, ils correspondent à des sous-unités protéines de même fonction. Ces différences
de réplication avec des cinétiques de réplication d’organisation pourraient également s’expliquer
différentes entre TADs. Ils présentent également par les particularités structurales du génome
des états chromatiniens homogènes enrichis en d’Arabidopsis tels que sa petite taille, son faible
marques répressives, telles que H3K27me3 ou espacement entre les gènes, et la faible pro-
H3K9me3, ou en marques activatrices, telles que portion de régions péricentromériques riches
H3K36me3. Cette signature épigénétique à l’in- en séquences répétées comparées aux régions
térieur des TADs diffère entre les types cellulaires plus distales et plus riches en gènes. Chez Ara-
suggérant un rôle de ces structures dans l’éta- bidopsis, les études récentes indiquent que les
blissement des profils chromatiniens spécifiques interactions chromatiniennes ont lieu à la fois à
à chaque type cellulaire. longue et à courte distances. Les interactions à
longue distance sont importantes pour détermi-
Des mécanismes cellules spécifiques supplé- ner la conformation chromosomique générale et
mentaires permettent également d’établir les ces structures peuvent atteindre 5 Mb en taille.
profils d’expression des gènes à l’intérieur de Cependant, la majorité des interactions longue
chaque TAD : la formation de boucles chromati- distance chez Arabidopsis impliquent des régions
niennes peut exclure des gènes ou des groupes hétérochromatiniennes et peuvent être intra- ou
de gènes de l’influence générale du TAD et/ interchromosomiques. Récemment, des études
ou leur attribuer des séquences régulatrices cytologiques ont montré que ces régions d’hété-
spécifiques, subdivisant ainsi le TAD en sous- rochromatine fortement condensées, appelées
domaines et boucles. De façon intéressante, chromocentres, sont mises en place pendant la
les frontières secondaires de ces sous-struc- photomorphogenèse de la plantule, suggérant
tures sont plus dynamiques et diffèrent entre une dynamique et un rôle fonctionnel pour les
les types cellulaires. Il a ainsi été proposé que interactions chromatiniennes dans ces régions
les TADs fonctionnent comme une structure au cours du développement.
L’étude des interactions chromatiniennes a ré- les sépare. Ce mécanisme permet aux génomes
vélé que les interactions locales, telles que les complexes de créer des réseaux de régulation,
bouches chromatiniennes, sont l’une des straté- basés sur la proximité spatiale, fonctionnant
gies les plus utilisées par les éléments régula- comme un système intégrateur dynamique et
teurs pour communiquer avec leurs séquences modulable capable d’exprimer plusieurs gènes
cibles quelle que soit la distance génomique qui de façon sélective et coordonnée. Les boucles
41
PROSPECTIVE ÉPIGÉNÉTIQUE
42
RÉFÉRENCES
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43
Prospective
épigénétiqu
IV Estelle Jaligot
ÉPIGÉNÉTIQUE
ET DÉVELOPPEMENT
Le patrimoine génétique est essentiellement identique dans chacune des cellules constituant un
organisme pluricellulaire. Cependant, chaque type cellulaire l’exprime différemment en fonction
de son stade de différenciation et de son degré de spécialisation acquis au cours du développe-
ment. Les caractéristiques et les modalités de cette expression différentielle, associées pour
partie à des régulations épigénétiques, distinguent le règne animal du règne végétal. De plus,
elles sont susceptibles de fluctuer en fonction de l’environnement et notamment des situations
de contraintes, générant une variabilité inter-individuelle parfois héritable.
Figure 4.1 :
Représentation
schématique des
correspondances entre
stade de différenciation,
propriétés cellulaires et
niveau de modification
épigénétique d’un
génome.
45
Régulations épigénétiques,
différenciation et développement
46
d’ailleurs contre cet impératif de remise à zéro tentes, tout au long de leur vie. L’ensemble de
complète que buttent les tentatives de clonage ces éléments pourrait également expliquer pour-
reproductif appliquées aux organismes animaux, quoi il est relativement aisé de cloner la plupart
car les conditions artificielles ne permettent que des espèces végétales en induisant in vitro la
très difficilement la réinitialisation épigénétique dé-différenciation de cellules somatiques pro-
totale et les anomalies développementales qui venant de fragments de tissus plus ou moins
en découlent sont souvent létales. La transfor- différenciés (Etienne et al., 2016).
mation en cellule tumorale, quant à elle, permet
une dé-différenciation partielle et le retour à une Les populations clonales, qu’elles soient ani-
division cellulaire active. males ou végétales, constituent un outil d’inté-
rêt majeur pour l’étude des régulations épigé-
En revanche, il semblerait que chez les plantes nétiques puisqu’elles permettent de s’affranchir
l’effacement post-fécondation des épigénomes de la variabilité génétique présente dans les
parentaux soit beaucoup moins exhaustif, ce qui descendances sexuées. Elles constituent égale-
laisse à penser qu’il existe chez ces organismes ment un système expérimental idéal pour mani-
une plus grande tolérance à la rémanence des puler la plasticité phénotypique, notamment par
marques épigénétiques lors des étapes de re- l’imposition de stress (voir paragraphe suivant).
programmation. Il est probable que cette carac- Réciproquement, l’utilisation de marqueurs épi-
téristique soit liée à l’absence chez les plantes génétiques comme outils de la conformité phé-
d’une séparation nette entre lignée germinale et notypique des individus issus de clonage est un
lignée somatique, et à leur capacité à générer de enjeu important dans une optique de conserva-
manière continue des cellules méristématiques, tion ex situ des ressources végétales au moyen
au comportement de cellules souches pluripo- de la culture in vitro et de la cryoconservation.
47
mettre de trancher entre ces options. Pour ces dispositifs expérimentaux plus informatifs in-
cas de figure (qui représentent la majorité : les cluant à la fois une gradation ou une cinétique
organismes modèles n’étant le plus souvent dans l’établissement du stress, et le suivi de
pas des espèces exploitées par l’homme), il la phase de retour aux conditions normales
est donc a minima nécessaire de définir des (figure 4.2).
48
gouvernant cette héritabilité inductible et sélec- en sélection animale comme végétale, afin de
tive sont encore largement à élucider. La maî- garantir la sécurité alimentaire future (Mirouze
trise de l’induction et de la stabilisation de cette et Paszkowski, 2011).
composante épigénétique de la plasticité phé-
notypique en réponse aux stress environnemen-
taux constitue bien entendu un enjeu majeur
RÉFÉRENCES
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49
Prospective
épigénétiqu
V HÉRÉDITÉ ÉPIGÉNÉTIQUE
EN ÉVOLUTION
Arnaud Pocheville
La théorie actuelle de l’évolution par sélection naturelle est basée sur le postulat que la transmis-
sion de l’information est réalisée par voie génétique via les informations portées par la molécule
d’ADN. Il est maintenant clair que l’hérédité épigénétique invite à réviser ce postulat. Ce constat
pose une double question : quelles sont les modalités précises de l’hérédité des caractères non
déterminés par un changement de séquence de l’ADN et quels sont les aménagements théoriques
à proposer pour tenir compte de ces nouveaux mécanismes ?
A
Génération n gènes environnement
caractères
caractères
caractères
Pour comprendre certains défis actuels – qu’ils idée qui bouleverse la conception classique
soient institutionnels, sociologiques, ou théo- de la transmission de l’information au cours
riques – il est bon d’examiner d’abord com- des générations, et au travers d’exemples d’en
ment, d’un point de vue historique, l’hérédité comprendre les enjeux évolutifs.
épigénétique en est venue à représenter une
51
Darwin, quand il propose la théorie de l’évolution des populations. Pratiquement dans le même
par la sélection naturelle, a pour but d’expliquer temps, le support de l’information génétique
l’adaptation des organismes à leur milieu de est lui-même identifié à l’ADN, et en particulier,
façon matérialiste, c’est-à-dire sans faire appel à sa séquence.
à des forces surnaturelles ou divines (Darwin L’idée de l’impossibilité de l’hérédité des carac-
1859). Il propose un mécanisme désormais bien tères acquis trouve alors un renfort inattendu,
connu : l’évolution procède par sélection de carac- provenant de la biologie moléculaire. Francis
tères héréditaires qui varient de façon aléatoire. Crick (1958), qui étudie la synthèse des pro-
L’aléat de la variation permet de s’affranchir de téines, fait l’hypothèse que l’information séquen-
l’idée que le vivant est organisé autour d’une fin tielle peut être transmise des acides nucléiques
surnaturelle : c’est la sélection naturelle, et elle (ADN, ARN) vers d’autres acides nucléides et vers
seule, qui modèle les organismes. les protéines, mais pas l’inverse : les protéines
Darwin, comme la plupart de ses contemporains, représentent un point terminal des transferts
n’écarte pas l’idée que des caractères acquis – d’information. Cette hypothèse, bien connue
éventuellement adaptatifs – puissent être trans- sous le nom de « Dogme Central de la biolo-
mis à la descendance. Cependant, cette possibi- gie moléculaire », figure encore en bonne place
lité affaiblit considérablement la prééminence de dans les manuels. De nombreux évolutionnistes
la sélection naturelle pour expliquer l’adaptation modernes identifient, à tort, le Dogme Central à
(Pocheville et Danchin 2017). Weismann (1891), un principe – voire une preuve – de la non-héré-
grand défenseur du Darwinisme, se convainc dité des caractères acquis. Pourtant, le Dogme
quant à lui que l’hérédité des caractères acquis Central concerne uniquement le fonctionnement
est impossible. Pour lui, les déterminants des cellulaire, il est silencieux quant à l’hérédité.
caractères (qui seront appelés quelques années Rien n’empêche que des caractères acquis sous
plus tard les gènes) sont d’une autre nature que forme d’acides nucléiques (ou protéines) soient
les caractères eux-mêmes : les déterminants transmis à la descendance, comme nous l’obser-
peuvent être traduits en caractères, mais pas l’in- vons justement empiriquement.
verse. Il est impossible de traduire un caractère L’hérédité épigénétique, comme nous allons le
acquis en un déterminant (ou gène) pour ensuite voir, complète la vision classique de la théorie de
le transmettre. l’evolution à deux titres : d’abord parce que, d’un
Cette idée de Weismann percole comme pos- point de vue théorique, elle permet de s’interro-
tulat de base de la Synthèse Moderne. Ce ger sur la variation aveugle des caractères en
mouvement théorique fonde, dans la première préalable à leur transmission, ensuite parce que,
moitié du XXe siècle, les éléments de la théo- d’un point de vue empirique, elle remet en ques-
rie de l’évolution telle que nous la connaissons tion l’hégémonie du substrat génétique comme
aujourd’hui. La Synthèse Moderne restreint la seul support de l’information transmise (Jablon-
notion d’hérédité à la génétique mendélienne et ka et Lamb 1995).
52
régime gras régime sain
ARN
Figure 5.2 : Expérience de Chen
♂ régime gras et al. (2016). Des souris nourries
œuf fécondé avec un régime riche en lipides
développent une obésité et des
parents sains troubles métaboliques. Les troubles
métaboliques sont transmissibles par
la voie mâle, et une fraction des ARNs
de tête de spermatozoïdes d’un mâle
nourri avec un régime riche en lipides
suffit à provoquer une partie des
troubles chez le descendant.
L’injection dans un embryon de parents sains et al. (2006) ont nourri des vers avec une bac-
d’une fraction des ARNs (ARNt de 30 à 34 nu- térie exprimant un ARN interférant double-brin
cléotides de longueur) provenant de têtes de qui silence l’expression d’un gène de la protéine
spermatozoïdes d’un mâle atteint de diabète ac- fluorescente verte (présent chez cette souche
quis suffit à transmettre une partie des troubles de vers). Une fraction significative des descen-
métaboliques (Chen et al., 2016). Ces ARNs dants montre des niveaux d’expressions réduits
pourraient être injectés dans la tête du sperma- de ce gène, et ce, jusqu’à 80 générations. Si la
tozoïdes au cours du transfert du sperme dans réponse physiologique initiale est bien provoquée
l’épididyme (Sharma et al., 2016). Il n’est pas par l’ARN interférant, la transmission transgéné-
clair si cette hérédité épigénétique augmente rationnelle pourrait en revanche être due en par-
l’adaptation des descendants. tie à des modifications de la chromatine (Vasten-
1
houw et al., 2006 ; Gu et al., 2012). Les ARNs
Chez la souris encore, des comportements interférants font partie de l’arsenal de réponse
acquis peuvent être transmis de façon épigéné- de C. elegans aux virus et cette expérience peut
tique. Dias et Ressler (2014) ont conditionné des être interprétée comme illustrant l’hérédité d’une
souris à craindre une odeur (l’acétophénone) en réponse immunitaire.
y associant un choc électrique. Les descendants
de souris conditionnées craignent spontané- Il n’est pas clair, enfin, que toute réponse épigé-
ment cette odeur, sur deux générations. L’infor- nétique adaptative appartienne à un répertoire
mation est transmise par les spermatozoïdes et pré-défini de réponses. Chez la drosophile, Stern
les ovules, et les auteurs montrent que le gène et al. (2012) ont soumis des larves à un stress
codant pour le récepteur à l’acétophénone est en les nourrissant avec un toxique à des concen-
hypométhylé dans les spermatozoïdes des mâles trations normalement léthales, et en plaçant un
conditionnés. L’odorat étant un sens important gène de résistance à ce toxique sous le contrôle
chez la souris, cette expérience illustre un méca- d’un promoteur impliqué dans le développement.
nisme potentiel d’apprentissage d’un danger à Le stress est sévère, car le promoteur n’est pas
l’échelle de la lignée. normalement un régulateur de ce gène de résis-
tance, et son expression – donc aussi la concen-
Un autre exemple, spectaculaire du point de tration du toxique – varie suivant les tissus. Ce-
vue du nombre de générations concernées, est pendant, la survie des larves possédant le gène
trouvé chez Caenorhabditis elegans. Vastenhouw est significativement augmentée (jusqu’à 100 %).
53
Elle s’accompagne de la suppression du groupe fications développementales sont transmises, de
Polycomb, qui à son tour conduit à la dérépres- façon vraisemblablement épigénétique, sur 1 à
sion des régulateurs du développement et à de 24 générations (voir Braun, 2015, pour des expé-
nouveaux patrons d’expression. Enfin, des modi- riences similaires chez la levure).
Les biologistes, aujourd’hui, qu’ils soient molé- l’hérédité épigénétique s’avère adaptative, c’est
cularistes ou évolutionnistes, ne doutent plus de vraisemblablement parce que les gènes qui la
l’hérédité épigénétique. Cette vision contraste permettent, variant de manière aléatoire, ont été
fortement avec celle qui a dominé le siècle der- sélectionnés (Merlin, 2010).
nier. Ce dont nombre de biologistes doutent en- D’autres biologistes, en revanche, considèrent
core, en revanche, c’est si ce type d’hérédité joue que l’hérédité épigénétique (mais aussi les hé-
un réel rôle évolutif. C’est bien légitime : la théo- rédités culturelle, environnementale, etc.) doit
rie de l’évolution actuelle s’est construite, parfois conduire à profondément réformer la théorie
avec douleur, sur un rejet progressif puis total de de l’évolution (Jablonka et Lamb ,2005). Pour
l’hérédité des caractères acquis (Mayr, 1982). eux, des effets transitoires tels qu’un change-
Pour les biologistes évolutionnistes classiques, ment de marques épigénétiques transmissibles
ce sont, in fine, des gènes qui permettent provoqué par un changement environnemental,
l’existence de l’hérédité épigénétique. Ces bio- peuvent malgré tout durablement infléchir la
logistes insistent sur le fait que l’hérédité épi- course évolutive. Certaines marques épigéné-
génétique est labile, et disparaît généralement tiques pourraient aussi être assez stables pour
en quelques générations. Son rôle pourrait être modifier les réponses écologiques et donner
la transmission à la descendance d’informa- prise à la sélection naturelle (Bossdorf et al.,
tion sur les défis sélectifs rencontrés par les 2008), ou encore, inscrire des traces à long
parents (état actuel d’un environnement chan- terme dans le génome en augmentant la muta-
geant, réponse à des parasites, etc). Si, parfois, bilité locale (Jablonka et Lamb, 1995).
54
RÉFÉRENCES
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55
Prospective
épigénétiqu
VI INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT
SUR LES MARQUES ÉPIGÉNÉTIQUES
ET LE FONCTIONNEMENT
DES ORGANISMES
Sara Fneich, Anne Gabory, Claudine Junien
Le phénotype d’un individu est le résultat d’interactions complexes entre son génotype et son
environnement présent et passé. Dans le domaine de la santé, la détermination des facteurs
concernant les pathologies métaboliques et cardiovasculaires dépendent en partie de la mémo-
risation de l’environnement précoce pouvant induire à long terme une susceptibilité plus grande.
Les maladies non transmissibles telles que le la période de 1000 jours, ont un impact à long
diabète, l’obésité, les maladies cardiovascu- terme sur la santé de l’individu. La période de
laires et les affections respiratoires chroniques, neuf mois de conception et les deux ans qui
sont responsables de 70 % de décès à l’échelle suivent est une période cruciale parce qu’elle
mondiale selon l’Organisation mondiale de la implique la création d’un individu à partir d’une
santé (2015). L’obésité et le diabète consti- cellule fécondée, le zygote. Le zygote se divise
tuent les plus importants facteurs de risque. pour donner des cellules qui se différencient en
Ces maladies résultent d’une association de organes aux fonctions différentes, qui seront
plusieurs facteurs, génétiques, physiologiques, entièrement fonctionnels et qui vont permettre
comportementaux et environnementaux. Les au bébé d’acquérir son autonomie. Toutes ces
études épidémiologiques et les modèles ani- étapes sont gérées par des mécanismes épigé-
maux mettent en évidence la notion des ori- nétiques (figure 6.1). L’épigénétique est l’une
gines développementales de la santé et des des plus importantes découvertes en biologie
maladies (DOHaD pour Developmental Origins of des trente dernières années. Les mécanismes
Health and Disease). Cette hypothèse a été pro- épigénétiques modulent, activent ou inhibent
posée par l’épidémiologiste David Barker après l’expression des gènes à travers des protéines
ses études effectuées sur des cohortes britan- qui structurent l’ADN, sans modifier sa sé-
niques dans les années 1980. Une corrélation quence nucléotidique. Ils regroupent la méthy-
a été mise en évidence entre le poids de nais- lation de l’ADN, les modifications post-traduc-
sance, la pression artérielle à l’âge adulte et la tionnelles des histones, les ARNs non-codant
mortalité due aux maladies cardiovasculaires et la topologie du noyau (voir chapitre 3). Ces
(Barker et al., 1989). marques épigénétiques sont stables, héritables
Des expositions environnementales précoces au cours des divisions cellulaires et sensibles à
lors de la période prénatale et de l’enfance, ou l’environnement (Gabory et al., 2011).
57
Figure 6.1 : Implications des mécanismes épigénétiques dans le contexte de la théorie « DOHaD ». Le développement
peut être découpé en quatre fenêtres critiques : la gamétogenèse, le développement préimplantatoire précoce où
se mettent en place les premiers lignages embryonnaires et extra-embryonnaires, la phase de croissance fœtale
et d’organogenèse et la période postnatale où les soins parentaux sont cruciaux et où se font les changements
environnementaux. Au cours de la gamétogenèse, les marques épigénétiques sont effacées dans les cellules
germinales primordiales, puis un épigénome spécifique des gamètes est apposé. L’identité gamétique doit être
effacée au cours du développement précoce. Dans la masse cellulaire interne du blastocyste, qui donnera l’embryon
proprement dit, l’épigénome permet la totipotence. Au cours de la différenciation cellulaire, pendant les phases
d’organogenèse et de croissance fœtale et post-natale, un épigénome spécifique de chaque type cellulaire est apposé,
permettant le patron d’expression et le fonctionnement spécialisé de chaque cellule. L’environnement paternel et/ou
maternel, en fonction de la fenêtre impliquée, peut affecter l’effaçage ou l’apposition de l’épigénome, et influencer la
mise en place des marques spécifiques à chaque type cellulaire. Cela peut modifier le profil d’expression à long terme
et influencer le développement de pathologies (Adaptée de Panchenko et al., 2015).
Le cas de l’obésité
58
Le cas des maladies psychosociales
En plus du stress nutritionnel prénatal, d’autres systèmes tels que le système cognitif seront
facteurs comme l’environnement psychosocial et perturbées ce qui entraînera, par conséquent,
l’adversité précoce pourraient être des facteurs des modifications dans le fonctionnement des
déterminants pour l’état de santé psychique et organes. Cependant le lien de causalité directe
physique de l’enfant à un âge adulte. L’adversité entre une marque épigénétique et une pathologie
précoce est généralement définie par l’exposition associée reste encore méconnu. Les recherches
à des maltraitances au cours de l’enfance. Chez sur des cohortes humaines et des modèles ani-
le rat, la mère materne soigneusement ses petits maux actuellement en cours devraient apporter
(préparation du nid, allaitement actif en position des connaissances très importantes pour adap-
arc-boutée, léchage ano-génital… - figure 6.2). Ce ter la réponse thérapeutique à mettre en œuvre
soin est crucial pour la maturité des fonctions pour le traitement de ces maladies.
cérébrales et l’adaptation comportementale vis-
à-vis d’un stress chez les descendants (Hackman
et al., 2010). L’implication de mécanismes épi-
génétiques dans la réponse à ce stress précoce
chez les rats n’a été montrée qu’en 2004 (Weaver Figure 6.2 :
Soins maternels
et al., 2004). Le faible maternage conduit à une chez les rats.
augmentation de la méthylation de l’ADN dans le
promoteur des récepteurs aux glucocorticoïdes
entraînant une diminution de l’expression de ces
gènes dans l’hippocampe. Ces modifications
sont corrélées à des troubles comportementaux
et des altérations endocriniennes en réponse au
stress chez la descendance.
Les études effectuées jusqu’à présent montrent
que les apports nutritionnels, le mode de vie
et l’environnement psychosocial parentaux
semblent affecter l’expression des gènes de la
machinerie épigénétique au cours de la gaméto-
genèse et du développement embryonnaire. Les
marques qui se situent au niveau des gènes clés
du développement, du métabolisme, et d’autres
RÉFÉRENCES
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59
Prospective
épigénétiqu
VII ÉPIGÉNÉTIQUE
QUANTITATIVE
Delphine Gourcilleau et Benoit Pujol
Une partie du monde de la recherche est scep- tion d’une population ou d’une espèce est basée
tique sur le rôle que pourrait jouer la variation épi- sur la variation épigénétique. Pour démontrer un
génétique dans l’écologie et l’adaptation à l’envi- tel phénomène, il faut dans un premier temps
ronnement des populations et des espèces. Ce pouvoir quantifier la variation des caractères
scepticisme s’explique facilement par le fait qu’il adaptatifs qui est associée à la variation épigé-
n’existe aucune preuve empirique quantitative at- nétique en la dissociant de celle causée par la
testant qu’une part non négligeable de l’adapta- variation de l’ADN. Dans un second temps, il faut
61
prouver que cette variation épigénétique des ca- d’informations sur un phénomène doit motiver
ractères est associée à un changement de valeur sa recherche et non son ignorance. A ce jour, les
sélective (fitness). Ne pas dissocier la variation preuves expérimentales que l’épigénétique peut
épigénétique de la variation de l’ADN revient à potentiellement être impliquée dans l’adaptation
ne pas tester si les caractères sont déterminés existent. Il ne reste qu’à évaluer ce potentiel et
épigénétiquement. Ne pas conduire ces évalua- quantifier le plus finement possible et dans les
tions de manière quantifiée dans le milieu naturel conditions les plus réalistes possibles, si l’épi-
où les contraintes sont réalistes revient à ne pas génétique joue un rôle significatif. Comme dis-
prendre la mesure du phénomène et à ne pas le cuté dans l’ensemble des chapitres de cette
tester s’il n’est pas négligeable. Il reste donc à prospective, le cadre conceptuel pour de telles
tester si l’épigénétique joue un rôle significatif qui études existe. De plus, fait peu pris en compte,
influence concrètement l’écologie et l’adaptation de nombreuses études de génétique quantitative
à l’environnement des espèces. Il est surprenant montrent que lorsque l’on observe l’adaptation
de s’apercevoir que certains scientifiques assi- d’une population naturelle, cette adaptation n’est
milent le fait de ne pas avoir testé la significa- que très peu souvent, dans un tiers des cas seu-
tivité de l’épigénétique pour l’adaptation avec lement (Gienapp et al., 2007), basée sur la sélec-
le fait qu’elle puisse être négligée. L’absence tion de variation génétique.
62
Solutions envisagées
Des tentatives ont été faites pour permettre effets de matrices multiples et ainsi de démê-
de quantifier simultanément la variation géné- ler les causes génétiques et non génétiques de
tique et épigénétique des caractères (Otto et la variabilité des caractères. De la même façon
al., 1994, Day et Bonduriansk, 2011, Townley et que l’on utilise l’apparentement génétique pour
Ezard, 2013). Cependant, ces méthodes ne sont estimer l’héritabilité des caractères, ce modèle
pas utilisées. C’est très probablement car elles ajoute une matrice de distance épigénétique, qui
ne sont pas forcément adaptées aux données accommode l’instabilité intergénérationnelle des
empiriques existantes, ou qui peuvent être pro- méthylations de l’ADN, pour estimer la similarité
duites en quantité suffisante. Récemment, des entre individus qui est causée par le fait qu’ils
approches de génétique quantitative ont com- partagent les mêmes marques épigénétiques
mencé à inclure de multiples matrices d’effets (qu’il s’agisse de méthylations ou autres). Dans
dans des modèles d’analyses plus fréquemment les années à venir, l’intérêt pour lever ou confir-
utilisés et exploitant des données existantes mer le doute associé à la valeur écologique et
(Stopher et al., 2012, Germain et al., 2016, adaptive de l’épigénétique dans la nature sera
Regan et al., 2017). Ces approches incluent au centre des préoccupations de nombreux
des gammes d’habitats pour tenir compte de la scientifiques. Il l’est déjà dans le cadre du dé-
complexité de l’environnement et du fait que sa bat international sur le besoin de faire évoluer
similarité entre générations peut, pour certains la théorie de l’évolution. Cependant, si la mobi-
groupes d’individus, être confondue avec l’héri- lisation scientifique est au rendez-vous, c’est
tabilité génétique des caractères. Sur la base de certainement en France que l’on trouvera les
ces approches, le modèle d’analyse de génétique compétences en écologie, en épigénétique et en
quantitative a été étendu au traitement de don- génétique quantitative pour mener à bien cette
nées épigénétiques (Thomson et al., 2018). Ce avancée d’« écologie épigénétique » capables
modèle permet de dissocier simultanément des d’engendrer une rupture scientifique majeure.
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63
Prospective
épigénétiqu
VIII
Raphaëlle Chaix
ENJEUX SOCIÉTAUX
DE L’ÉPIGÉNÉTIQUE
« L’homme ne se résume pas à son ADN », « l’épigénétique va changer votre vie », « votre esprit
peut reprogrammer vos gènes » : voici certaines des promesses de l’épigénétique telles qu’on
peut les lire de plus en plus souvent dans les médias. Ce mot est ainsi utilisé de façon croissante
pour vendre cosmétiques, vitamines, ou ouvrages exposant les conduites à tenir pour influer posi-
tivement sur l’expression des gènes. Les comportements alimentaires, le niveau d’exercice phy-
sique, la gestion des émotions, permettraient de reprendre sa vie en main et d’échapper au triste
déterminisme des gènes, voire même transmettre à sa descendance les bénéfices d’une bonne
hygiène de vie.
Ces promesses sont-elles fondées ? L’épigéné- par des idéologies fortes, héritières du débat
tique est-elle synonyme d’une liberté retrouvée entre inné et acquis, entre part des gènes et
allant à l’encontre du « dogme » de la biologie part de l’environnement, qui a traversé tout le XXe
moléculaire selon lequel l’information circule de siècle (Gouyon, 2017). Cerner le rôle exact joué
l’ADN vers les protéines et non l’inverse ? Le par l’épigénome dans la plasticité phénotypique
potentiel exact de ces recherches est incertain. et l’hérédité, et la marge de liberté pour le façon-
Certains chercheurs parlent de révolution, voire ner, sera donc, dans les années à venir, un des
même invoquent un changement de paradigme grands défis des sciences du vivant. Du fait des
(Julien et al., 2016), pendant que d’autres qua- nombreux enjeux sociétaux et environnementaux
lifient ces découvertes de novatrices, en appe- qu’elles soulèvent, ces recherches devront au-
lant à la mesure (Merlin 2016), ou que d’autres tant que possible associer des chercheurs issus
encore soulignent les effets de « mode » dans des sciences humaines, depuis la collecte des
lequel on retrouve « tout et n’importe quoi ». En données jusqu’à la diffusion des connaissances
outre, le champ de l’épigénétique est sous-tendu auprès du grand public.
65
interactions sociales
dulation
mo
odulation
m
agent infectieux
thérapie alternative
gé
nétique substances toxiques
thérapie classique pi
gén tiqu
e
é
drogues
exercise
66
L’épigénétique et ses enjeux médicaux
67
Figure 8.4 :
L’horloge épigénétique.
A) L’épigénome évolue
tout au long de la vie
de l’individu, selon des
dynamiques complexes.
Certains sites se
Âge épigénétique
méthylent de plus en
plus avec les années,
d’autres se déméthylent
de plus en plus. À
partir des profils de
méthylation, il est ainsi
possible de prédire l’âge
de l’individu à environ
4 ans près. Cet âge
prédit est appelé âge
épigénétique.
Âge chronologique
CpG méthylé CpG déméthylé
B) Le rythme de cette horloge épigénétique est variable
selon les individus. Chez certains, l’âge épigénétique
est plus élevé que leur âge chronologique, leur horloge
épigénétique est donc accélérée : ces individus ont un
à un stress de début de vie ou durant leur vie risque accru de maladies chroniques et de mortalité.
pré-natale auraient en niveau de l’hippocampe Une horloge ralentie est associée à une longévité accrue.
des marques épigénétiques spécifiques qui li-
miteraient le rétrocontrôle négatif de l’axe HPA,
un des régulateurs principaux de la réponse au épigénétiques, entraînant des impacts sur
stress (chapitre 6). la cognition mais aussi sur la différentiation
En outre, des travaux récents soulignent les sexuelle et sur la reproduction (Fini et al.,
risques sanitaires liés à l’exposition du fœtus 2017). Cette pollution pourrait donc avoir un
à de nombreux perturbateurs endocriniens coût sociétal très élevé, d’autant plus que
d’origine industrielle, incluant le bisphénol A certains effets délétères pourraient se trans-
(Woodruff et al., 2011). Ces molécules inter- mettre de manière intergénérationnelle via des
fèrent au moment du développement avec marques épigénétiques. Pour autant, la légis-
l’action des hormones, et notamment de lation européenne reste à l’heure actuelle très
l’hormone thyroïdienne, cruciale pour le déve- permissive concernant l’usage de nombreux
loppement du cerveau, via des mécanismes perturbateurs endocriniens.
Un des enjeux sera donc d’établir s’il est possible plus en plus, d’autres se déméthylent de plus
(par quels moyens et dans quelles fenêtres tem- en plus avec les années. L’horloge épigénétique
porelles) de réguler, voire d’effacer, les marques de certains individus est accélérée en comparai-
épigénétiques potentiellement délétères pour la son aux autres, ce qui est associé à un risque
santé de l’individu, notamment dans les cas où accru de maladies chroniques et de mortalité
le fœtus est à risque, par exemple en cas d’expo- (Horvath et Raj, 2018). On ne sait pas encore
sition précoce à une sous nutrition, à l’alcool ou à si cette horloge épigénétique est une cause ou
un stress psychologique sévère (Sittig et Reider, une conséquence du vieillissement. En revanche,
2014). Il sera crucial également de déterminer sa précision et son pouvoir prédictif de l’état de
si ces marques épigénétiques délétères peuvent santé de l’individu offrent la possibilité d’évaluer
être effacées une fois l’individu devenu adulte précisément l’efficacité d’interventions de mode
(Meaney et Szyf, 2005). de vie. Il a ainsi été montré que l’alimentation et
De plus, l’épigénome n’est pas seulement une l’exercice physique pouvaient ralentir cette hor-
cause potentielle de l’état de santé de l’individu ; loge épigénétique (Quach et al., 2017). L’exposi-
il fournit également une mesure particulièrement tion au stress psychologique chronique accélère
prédictive de son état de santé actuel et futur cette horloge (Gassen et al., 2017), tandis qu’une
(figure 8.4). En effet, il évolue au cours de la vie étude préliminaire suggère que la pratique quoti-
de l’individu, c’est ce que l’on appelle l’horloge dienne de techniques de gestion du stress pour-
épigénétique : certains sites se méthylent de rait la ralentir (Chaix et al., 2017).
68
Epigénétique et responsabilités
Les voies thérapeutiques évoquées ci-dessus Des réflexions interdisciplinaires seront néces-
soulignent la potentielle réversibilité de l’épi- saires pour re-contextualiser ces discours.
génome via des approches pharmacologiques D’une part, les facteurs de risque épigéné-
ou des interventions de mode de vie. Cepen- tiques, mis en exergue à l’heure actuelle dans
dant, malgré l’emballement médiatique, ces les médias, tendent à occulter la complexité
études sont encore préliminaires et la part de des mécanismes biologiques réellement impli-
l’épigénome qui peut en effet répondre à ces qués dans le déterminisme du phénotype.
interventions reste à déterminer. Certaines D’autre part, les individus ne sont souvent pas
marques épigénétiques, induites par l’environ- pleinement acteurs de leur alimentation ou de
nement précoce (par exemple par l’alimenta- leur stress et de ce qu’ils transmettent à leurs
tion des parents) semblent être verrouillées enfants : il sera crucial ici de prendre en compte
tout au long de la vie de l’individu. Ainsi de les facteurs socio-économiques, notamment en
nouvelles questions sociétales émergent- lien avec les discriminations socio-économiques
elles, avec un risque de culpabilisation, voire ou raciales. Ainsi, des préconisations simplistes
de stigmatisation des mères et des grand- sur la nécessaire gestion du stress ou de l’ali-
mères qui n’auront pas su optimiser la santé mentation chez les femmes enceintes risquent
de leurs enfants (Richardson et al., 2014). de se révéler stériles si la chaîne de causalité
Les pères commencent également à être vi- n’est pas prise en compte dans son ensemble,
sés par ces discours néolibéraux sur la santé et que les responsabilités, au niveau de la so-
(Hughes, 2014). ciété, ne sont pas identifiées.
Figure 8.5 : de
l’épigénétique sociale à
l’embodiement (figure
modifiée à partir de
https://epi.grants.cancer.
gov/epigen.html).
Il apparaît donc que les facteurs écologiques et tielle aux molécules toxiques, en lien avec des
socio-culturels peuvent s’inscrire via ces méca- lieux d’habitation des populations défavorisées
nismes épigénétiques, dans le biologique, un souvent plus à proximité des zones industrielles
processus que les anglo-saxons dénomment (Olden et al., 2014).
embodiement (figure 8.5). Comme nous l’avons
dit, les discriminations raciales font potentielle- Il y a là un renversement de paradigme pos-
ment partie de ces facteurs : ainsi la susceptibi- sible : au lieu d’une vision des populations
lité plus élevée aux maladies cardio-vasculaires humaines selon laquelle leurs différences biolo-
des Afro-Américains aux Etats-Unis a été mise giques sont déterminées par leur ADN, il appa-
en lien avec une exposition pré-natale accrue au raît que les facteurs écologiques, sociaux, éco-
stress maternel dans cette population compara- nomiques, culturels pourraient, en s’inscrivant
tivement aux autres (Kuzawa et Sweet, 2009). dans le biologique via des mécanismes épigé-
Les disparités en termes de santé pourraient nétiques, être à l’origine de ces différences.
également résulter d’une exposition différen- Ces réflexions s’inscrivent plus généralement
69
PROSPECTIVE ÉPIGÉNÉTIQUE
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70
71
Prospective
épigénétiqu
IX BILANS ET
RECOMMANDATIONS
Fabrice Vavre, Ana Rivero, Irène Till-Bottraud et Xavier Vekemans (CoNRS section 29)
Les riches contributions réunies dans ce cahier de prospectives indiquent clairement que l’épigé-
nétique joue un rôle important dans des processus biologiques extrêmement divers et dont les
conséquences (développementales, phénotypiques, écologiques ou évolutives) sont également
très variées, et parfois sujettes à controverse. Les réflexions présentées ci-après identifient les
points sensibles et proposent quelques pistes pour l’avenir.
73
résumé, nous savons aujourd’hui que (1) les épigénétiques et pour différents niveaux de
épimutations peuvent modifier le phénotype, transmission intergénérationnelle.
(2) l’environnement peut modifier l’épigénotype 3 - Déterminer le degré de contrôle géné-
(3) génotype et épigénotype sont mutuellement tique des épimutations en approfondissant
dépendants (ils forment un système), et (4) les nos connaissances sur le rôle joué par les
épimutations sont en partie héritables. gènes dans l’établissement (et l’efface-
ment) des marques épigénétiques et établir
Cette mise en évidence de la transmission si les marques épigénétiques sont trans-
transgénérationnelle de marques épigéné- mises entre générations indépendamment
tiques a conduit à des propositions fortes et des différences de séquence d’ADN.
controversées. A l’extrême, la possibilité que 4 - Déterminer le caractère adaptatif des
certains traits acquis par modification épigé- épimutations. Il est nécessaire de faire une
nétique puissent être héritables bouleverserait connexion explicite non seulement entre
la science de l’héritabilité telle qu’elle est per- environnement et « épimutation » (c’est là
çue aujourd’hui par la communauté, dans un que l’effort est surtout concentré actuelle-
contexte de génétique classique où la trans- ment) mais aussi entre épimutation et phé-
mission des caractères dépend de la séquence notype, et phénotype et fitness.
ADN. Certaines théories « neo-Lamarkiennes »
ont donc trouvé leur place dans la première Les trois premiers points peuvent s’appuyer
page des journaux et capturé l’imagination du sur les avancées technologiques actuelles en
public car elles ouvriraient la porte à une vision termes de séquençage, et, si le travail est colos-
moins « génocentrique » de l’humain (nos gènes sal, sa faisabilité est plutôt bonne. Il nécessite
ne guideraient pas notre destin, ni celui de nos toutefois de développer de fortes collaborations
descendants). Toutefois, dans la très grande entre biologistes moléculaires et écologues. La
majorité des cas de transmission transgéné- difficulté la plus importante est certainement
rationnelle, le lien direct entre environnement, pour le quatrième point. Il revient à établir des
épimutation et modification adaptative du phé- relations causales entre marques épigénétiques
notype n’a pas encore été démontré. Plus géné- et traits phénotypiques par des études d’asso-
ralement, l’existence de cette hérédité épigé- ciation ou en introduisant des épimutations
nétique (étendue à l’hérédité non-génétique) a ciblées dans un fond génétique stable chez dif-
conduit à des appels à une nouvelle synthèse férents organismes (modèles et non-modèles).
évolutive. Il ne s’agit pas ici de prendre parti, Effectivement, une des difficultés majeures sera
mais de déterminer quels sont les éléments qui de valider de manière fonctionnelle le lien entre
doivent maintenant nous permettre d’avancer marque épigénétique et phénotype. Le déve-
sur la contribution relative de l’héritabilité des loppement d’outils de manipulation ciblée des
marques épigénétiques à l’écologie et l’évolu- marques épigénétiques est probablement cen-
tion des organismes. Plusieurs appels au déve- tral pour y parvenir afin de pouvoir bien séparer
loppement de modèles théoriques ont été lan- les effets génétiques et épigénétiques. L’évolu-
cés dans cette prospective, nous proposons ici tion expérimentale est également une voie pro-
quelques pistes empiriques pour venir enrichir metteuse pour analyser les effets de l’épigéné-
et surtout paramétrer ces développements : tique (et de ses interactions avec les réponses
génétiques) sur la réponse des individus aux
1 - Quantifier pour chaque porteur d’infor- changements environnementaux.
mation épigénétique (cf. chapitre 3) le taux
d’épimutation ainsi que le taux de réversion à Enfin, beaucoup reste à faire pour (1) quantifier
l’échelle individuelle et transgénérationnelle. l’importance de la transmission des marques
Il sera nécessaire de le réaliser sur différents épigénétiques en populations naturelles d’es-
organismes (modèles et non-modèles), mais pèces non-modèles et ses conséquences phéno-
aussi dans différents environnements, stable typiques et adaptatives, (2) trouver le lien causal
ou fluctuant (influence du stress). (et son sens) entre marque épigénétique, phé-
2 - Caractériser le patron d’épimutation notype et caractère adaptatif, (3) déveloper des
(aléatoire, dirigé (comme pour la plasticité outils concernant l’épigénétique quantitative (cf.
par exemple), dépendant ou non de l’environ- chapitre 7) à associer à la génétique quantitative
nement). Là encore, ce travail de fond doit pour démêler les liens forts entre variabilité géné-
être réalisé pour les différents mécanismes tique, épigénétique et environnement.
74
En conclusion, la génétique du début du XXe siècle a montré que des différences phénotypiques
héritables chez les animaux, les plantes et les champignons sont associées à des variants
génétiques, hérités de façon stable et biparentale par héritage mendélien. Le domaine naissant
de l’épigénétique est en train de jouer un rôle clé dans notre compréhension des mécanismes
moléculaires reliant génotype et phénotype, en particulier en ce qui concerne la biologie du
développement et la relation environnement-phénotype. Le transfert transgénérationnel des
modifications épigénétiques et son importance pour l’adaptation des populations reste à éva-
luer tant d’un point de vue théorique qu’empirique. C’est un phénomène intrigant qui fournira
sans aucun doute un terrain fertile de recherche et de discussion scientifique dans les années
à venir.
75
Prospective
épigénétiqu
X CONCLUSIONS
Dominique Joly et Christoph Grunau
Le système d’héritabilité qui a été décrit dans principalement sur une vision très moléculaire
ces pages souligne à quel point les effets de de ces mécanismes. Ceci est d’autant plus
l’environnement sont déterminants. Ceux-ci important que les mécanismes épigénétiques
ont été le principal focus de cette prospective dans toute leur diversité peuvent avoir des im-
comme le montre le nuage de mots établi à pacts environnementaux, sociaux, sociétaux et
partir du présent texte (figure 10.1). On y voit économiques importants.
en effet combien les termes « hérédité », « envi-
ronnement », « modifications », « expression » Une grande partie de la diversité des questions
ressortent, au-delà des termes plus descriptifs scientifiques qui sous-tendent les mécanismes
et moléculaires, comme « ADN », « chroma- de l’hérédité épigénétique ont été abordées
tine » ou « méthylation » qui décrivent les as- dans cette prospective, en synthétisant les re-
pects mécanistiques de l’épigénétique. Dans cherches les plus récentes sur les mécanismes
un contexte où l’environnement est souvent moléculaires identifiés ainsi que les processus
instable, et de plus en plus changeant, il est développementaux impliqués. Aujourd’hui, la
crucial de prendre réellement en compte cette recherche doit aussi faire face à des enjeux
approche systémique, et ce d’autant que la ma- sociétaux, en termes environnementaux, de
jorité des chercheurs en épigénétique travaille médecine personnalisée, de santé publique et
77
78
GLOSSAIRE
Histones Transcriptome
Protéines basiques très conservées et étroitement associées à Ensemble des ARNs transcrits à partir de la séquence ADN d’un
l’ADN. Huit protéines histones forment le nucléosome, qui avec individu ou d’une population.
l’ADN associé, constituent l’unité de base d’organisation de la
chromatine. Les histones peuvent montrer des modifications
chimiques qui sont un des porteurs de l’information épigénétique.
On parle également des « isoformes » d’histones.
80
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