La Bataille
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01 Revue de
2019
tactique générale
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La bataille
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Éditorial
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roduite par le centre de doctrine et d’enseignement du comman
dement (CDEC), nourrie nous l’espérons par de nombreux contri
buteurs, cette nouvelle revue de tactique illustre à sa manière un
aspect du renouveau de la pensée militaire au sein de notre armée de
terre. Elle répond par ailleurs à trois principales exigences.
fortement marqué par des opérations de contre insurrection qui ont consti
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-
tué progressivement le cadre normatif d’emploi et le champ d’application,
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dans sa complexité.
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ésigné pour être le premier rédacteur en chef de cette nouvelle
revue générale de tactique, je mesure déjà l’importance de l’enjeu
et l’exigence de qualité qui s’impose à nous. Le général CEMAT et le
directeur du CDEC souhaitent revitaliser la réflexion tactique, réinvestir le
champ de la pensée militaire que nous avons trop longtemps abandonné
à des experts et à des passionnés civils pour nous concentrer sur des
questions plus immédiatement vitales pour l’avenir de nos armées et leurs
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ÉDITORIAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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5
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LA BATAILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
.
Sujet essentiel de la tactique et moyen essentiel
de la politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
.
L’ordre de bataille, métier du chef d’armée
et sujet de la tactique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Drame ou tragédie : pérennité d’une fonction sacrée . . . . . . . 14
.
Hier, aujourd’hui et demain : persistance du mythe
et évolutions des formes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
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du commandant Brossollet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
M .
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.
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
.
Histoire-bataille… Histoire-globale . . . . . . . . . . . . . . . . 43
.
L’accusation : la vision du monde académique . . . . . . . . . . . . . 44
La parole est à la défense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
L’ « histoire-bataille » devenue histoire globale ? . . . . . . . . . . 49
.
LA TACTIQUE PAR LE 7e ART . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
.
Quelques réflexions autour de Gladiator . . . . . . . . . . . . 53
« Roma victor ! » La relation entre la tactique, la stratégie
et la victoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
« À mon signal, déchaîne les enfers ! »
La manœuvre : la relation entre le choc et le feu . . . . . . . . . . . 57
« Les hommes devraient savoir lorsqu’ils sont vaincus
.
La saurais-tu Quintus ? Le saurais-je ? » . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
.
1/2019 – Revue de tactique générale 9
LA TACTIQUE AU RISQUE DES CLICHÉS . . . . . . . . . . . . . . . 63
L’arc anglais face à l’arbalète et face à la chevalerie :
vraies fausses leçons de tactique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
L’épreuve des guerres de Galles et d’Écosse . . . . . . . . . . . . . .
. 63
Les armées au XIV siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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65
Les gens de trait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
67
« Leçons » et adaptations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
1re leçon : attaquer à pied . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. 69
2 e leçon : se débarrasser d’abord des archers : facile à dire… 70
3 e leçon : les faire sortir de leur trou… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4 e leçon : l’invention de la contre-batterie . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. 75
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. .
. . .
La bataille napoléonienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
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à la bataille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. 85
II-2 Verdun, bataille de corps d’armée, conduite
.
Battre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
I
l peut sembler curieux de consacrer une livraison de cette nouvelle
revue de tactique à un sujet aussi usé, rebattu, éculé, et apparemment
obsolète, que la bataille. Par ce choix, nous souhaiterions recentrer la
tactique sur son champ d’étude spécifique, celui de la mise en œuvre des
forces dans le combat et la bataille, au détriment assumé des considéra
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tions de haute tenue sur les grandes idées et les grands principes, gloses
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C’est qu’en effet, un usage général tant civil que militaire a peu à peu
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Tactique vient de τακτικός, relatif à l’ordre, qui lui même dérive de τάξις,
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-
taxis, qui désigne en Grec l’ordre simple 2 ordonné à un but concret, par
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exemple l’ordre dans lequel l’artisan range ses outils sur l’établi. Les
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auteurs du XVIIIe siècle, s’inspirant des Grecs, ont retenu ce mot pour dési
gner l’art de déployer l’armée et de combiner l’action des trois armes 3
dans la bataille. Comme tout vocable, son sens résulte d’un usage, lequel
résulte lui même d’une convention. Discuter cette convention est de peu
-
d’intérêt. Le sujet de notre revue sera la tactique telle qu’elle est comprise
ici, en dépit de toutes les contradictions théoriques qu’on pourrait nous
opposer.
1
Le XVIIIe siècle déjà, notamment par la plume de Pierre de Bourcet, introduisit une matière
intermédiaire, la logistique, ou la partie de l’art consistant à déplacer et nourrir l’armée
avant et après les batailles, partie qu’on tendra à compter alternativement dans la tactique
(les parties supérieures de la tactique ou la grande tactique de Bonaparte) ou dans la straté
gie et dont la pratique contemporaine pourrait logiquement faire l’essentiel de l’opératique.
2
Par distinction avec κόσμος, kosmos, l’ordre complexe, opposé directement au Χάος, le
chaos, qui désigne l’absence d’ordre, le désordre originel du monde.
3
On ne connaît alors que trois armes, l’infanterie, la cavalerie et l’artillerie. Et seule les deux
premières disposent d’un état major à l’armée.
-
12 Revue de tactique générale – 1/2019
Sujet essentiel de la tactique et moyen essentiel de la politique LA BATAILLE
La tactique range et met en œuvre dans la bataille les outils dont elle
dispose. Par l’action d’une multitude de facteurs, ces outils ont énormé
ment évolué au cours des siècles, et la manière de les ranger et de les
employer a changé de même. Comprendre quelles conséquences aurait
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sur le champ de bataille l’apparition de tel type d’armement ou de telle
-
-
unité, imaginer par quel usage nouveau on pourrait s’opposer à la tactique
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pour y parvenir, fut le casse tête de tous les stratèges à toutes les époques.
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-
Référence garder envers le Chevalier de Folard, nous ne croyons pas
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4
Dans cette acception, stratégie et tactique ne représentent pas deux niveaux de comman
dement mais deux activités essentielles et complémentaires de tout chef de guerre.
5
Jean Flori (La chevalerie, Gisserot, Paris, 1998, p. 54) observe que, statistiquement, peu
de chevaliers aux XI e et XII e siècles ont pu prendre part à une grande bataille et qu’aucun
n’aurait pu en vivre deux. Et on parle d’une période que nous imaginons comme extrême
ment belliqueuse…
-
pratiquaient encore indifféremment trois escrimes de la lance6 : quelques
-
uns l’employaient encore comme un javelot, la lançant sur l’ennemi à la
manière antique, la plupart la brandissaient comme le javelot mais pour
porter le coup d’estoc à main ferme de haut en bas, et seule une infime
minorité chargeait déjà la lance en arrêt à hauteur de la ceinture, manière
qui s’imposera bientôt, semble t il par la rançon de l’expérience et sans
-
-
qu’aucun écrit spéculatif ne l’ait préalablement imaginé.
s’agisse des deux armées déployées l’une face à l’autre sur un théâtre
/C
ment qui est l’action de guerre la plus élémentaire par laquelle deux petites
C/
6
Jean Flori, ibid. pp. 47 50.
-
7
La campagne est le niveau de ce que Guibert et Bonaparte appellent la grande tactique et
que Bourcet puis Jomini appellent logistique, le deuxième n’y incluant d’ailleurs pas les
ravitaillements. Il est évidemment tentant de mettre ce « niveau » en regard des fonctions
de notre niveau opératif.
-
L’échelle modeste, aussi bien en termes d’effectifs que de durée, des
batailles antiques et médiévales, rendait aisée l’identification du champ
de bataille aussi bien que du jour de bataille. La croissance continue des
effectifs et l’augmentation subséquente de la durée des batailles entre le
XVIII e et le XX e siècles altérèrent cette évidence : ainsi, si nul ne doute que
l’affaire du 18 juin 1815 fut bien une bataille, où s’affrontèrent d’ailleurs
deux armées contre une, où était situé le champ de bataille ? À Waterloo ?
À la Belle Alliance ? Entre Hougoumont et la Haie Sainte ? Et que dire de la
bataille de la Marne de 1914, où s’affrontèrent plusieurs armées de part
et d’autre, où les divisions tenaient, sur une ligne de bataille très approxi
mative, le rôle des bataillons de jadis, et où presque personne ne com
battit sur les berges de la rivière éponyme ? Aussi bien cet affrontement,
S
comme bien d’autres avant lui, dut être en quelque sorte inventé et ne fut
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en scène, il est rare qu’on les oublie. Elle a aussi son titre. Lorsqu’il manque
il faut l’inventer et il arrive que son titre naturel ne soit pas bon et qu’il
C/
travers et de nuit par l’attaque d’une redoute sise près d’un village nommé
Chevardino, livrée par deux armées russes sur une position près d’un
autre village nommé Borodino, resta chez nous sous le nom d’une rivière
sans rapport aucun avec le champ de bataille, sinon qu’elle permettait
d’appuyer, comme en sous titre, l’idée d’une grande bataille sous les murs
-
de Moscou, murs distants en réalité de plus de 100 kilomètres.
d’ailleurs souvent pas plus loin : dans cet art dramatique, un bon metteur
en scène est un bon improvisateur. Le drame se joue dans une succession
d’actes et de scènes, entrées en scène, exposition, péripéties, dénoue
ment, comme le note Napoléon lui même : « Une bataille est une action
-
arias qui ponctuent la pièce de péripéties héroïques souvent sur jouées (le
CE
8
Pendant tout l’Empire, l’usage fut que la bataille fut déclenchée par trois coups tirés par
biniers à Waterloo) ; et, pour attester qu’on livre bien une tragédie, la mort
du héros et son inhumation dans le crépuscule, comme celles du jeune duc
de Longueville au Passage du Rhin, du Chevalier d’Assas à Klosterkamp, ou
de Caulaincourt à la Grande Redoute de la Moskova.
-
Adolphe à Lützen ou Turenne à Salzbach. Le souverain lorsqu’il commande
en personne, tient spécialement ce rôle sacrificiel, soit qu’il meure ou qu’il
tente de mourir (comme Napoléon à Waterloo ou Guillaume II en octobre
1918, empêchés de se lancer dans la bataille pour y mourir au milieu de
leur armée), soit qu’il accepte d’être pris : notre époque juge sévèrement
Jean II le Bon et François Ier pour s’être laissés prendre12, mais tout ce
que nous savons de l’opinion publique de leur temps donne tort à nos
commentateurs. Charles V se verra justement reprocher d’avoir obéi à
l’ordre de son père de quitter la bataille tandis que Philippe fondera sur
sa désobéissance et sur son surnom de hardi la puissance de la maison
S
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décisive ou pas, est livrée pour entrer dans le Livre d’Or. Si on ne peut
/C
la gagner, au moins faut il lui mériter d’être citée dans la Légende des
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-
Siècles ou être racontée à une heure de grande écoute. « Il faut être beau »
CE
vote pour le beau geste quand ce n’est pas pour le joli garçon.
La bataille est le cadre espace temps dans lequel l’action tactique produit
/C
sont que les scènes d’un drame et ce que nous appelons phases ou temps
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en sont évidemment les actes. C’est pourquoi on les conçoit autant dans
CP
14
On les appelait chroniqueurs. On les nomme aujourd’hui communicants…
car « les gens d’armes batailleront, [mais seul] Dieu donnera la victoire15 ».
/C
ainsi dans les guerres de l’avenir, quelles que soient leurs formes techno
logiques et le mode d’organisation des nations en cause.
15
D’après la réplique de Jeanne d’Arc aux prélats de Chinon qui lui demandaient pourquoi
Dieu aurait eu besoin de gens d’armes s’il voulait libérer la France.
formes
La puissance rituelle, religieuse, et politique de la bataille a eu pour corol
laire l’érection de mythes comme celui de la « bataille décisive ». Le plus
fort fut toujours tenté de s’en remettre au Jugement de Dieu pour s’épar
gner les longs désagréments d’une guerre. Mais si on excepte le règlement
de « la crise » des Cimbres et des Teutons par Caïus Marius16, on trouve
fort peu de bataille qui ait été réellement « décisive » à l’échelle d’un
conflit. La Turbie, Trasimène et Cannes, aussi « décisives » qu’elles aient
été, n’ont pas permis à Hannibal de vaincre Rome. Qu’est il resté aux rois -
n’aient été « décisives » qu’en tant qu’elles ont duré dans les mémoires,
/C
Parce qu’on a pris l’habitude de n’imaginer la bataille que sous ses formes
anciennes, on peine à comprendre ce que seraient des batailles aujourd’hui
et ce qu’elles pourraient être demain. Or, de la plus haute antiquité à nos
jours, les batailles ont souvent changé de forme et surtout d’échelle. Si
elles en sont devenues plus difficiles à « isoler », leur nature est demeurée.
À l’origine, et jusqu’au milieu du XVIII e siècle, on eut des batailles d’armées
opposant des armées groupées aux effectifs modestes (entre quelques
milliers et une trentaine de milliers d’hommes) sur des champs de
bataille n’excédant pas un compartiment de terrain, et des durées allant
16
Aix (– 102) et Verceil (– 101). Peut être le seul exemple de « solution militaire » à un conflit
-
que l’histoire nous ait légué puisque les sources disent que même les femmes se suici
dèrent après avoir tué leurs enfants.
-
on eut des batailles de divisions, livrées par des armées nettement plus
nombreuses (jusqu’à 100 000 hommes), divisées c’est à dire articulées
-
-
en corps relativement autonomes18, sur des fronts n’excédant guère la
dizaine de kilomètres, et avec des durées encore limitées à une journée
dans la plupart des cas : il est alors encore très facile d’identifier des
batailles, avec leur général en chef, leur champ de bataille, leur jour de
bataille. L’avènement de la guerre industrielle et des systèmes de mobi
lisation générale bouleversa complètement cette vision. L’affrontement
général et apparemment permanent de groupes d’armées comprenant
des millions d’hommes, alignés au coude à coude sur un front continu de
plusieurs centaines de kilomètres, les pertes effroyables engendrées par
l’échec répété et coûteux de grandes offensives dont on espérait toujours
qu’elles mettraient fin à la guerre, tout cela remit en cause l’idée qu’une
bataille – telle qu’on l’imaginait jusque là, assez étroitement circonscrite
-
dans ses effectifs, dans l’espace et dans le temps – puisse être décisive,
voire qu’on puisse encore en livrer19. S
On a pris l’habitude de théoriser les solutions adoptées alors par les
EM
la méthode élaborée par Pétain en 1917 et 1918 pour épuiser les réserves
CP
17
Les batailles ayant duré plus d’une journée sont exceptionnelles et bien connues : Marignan
(1515), Fribourg en Brisgau (3, 5 et 9 août 1644) et quelques autres.
-
-
18
Initialement les divisions du système de Guibert puis les corps d’armées. Le facteur
essentiel à l’origine de la division de l’armée réside dans la capacité nouvelle qu’a un déta
chement de combattre en retraite parce que, notamment, la portée et la mobilité de son
artillerie lui permet désormais d’engager l’ennemi à une distance suffisante pour éviter
un abordage. Jusqu’au milieu du XVIII e siècle, deux troupes ne pouvaient se combattre
qu’en étant à quelques mètres l’une de l’autre donc à la merci d’un abordage, incapables
de reculer sans risquer de recevoir un assaut dans une formation défavorable. Un déta
chement ne pouvant combattre en reculant ne pouvait permettre de gagner du temps et
courait le risque d’être perdu pour rien.
19
Cela commence peut être en Sibérie en 1905.
-
1/2019 – Revue de tactique générale 21
menées par des fronts 20, ce qui les conduira à imaginer un niveau particulier
et un art opératif. Ce qui demeure dans les deux cas, c’est la distinction de
batailles et le changement d’échelles de celles ci par rapport à celles de la
-
l’on en croit les analystes, les témoins, les communiqués, et les modernes
R
20
Dans les immensités russes, le front n’a jamais été continu, même pendant la Seconde
Guerre mondiale. D’où la dénomination de front donnée au groupe d’armées : le front n’a
de réel équivalent chez nous que le groupe d’armées attaché à un théâtre particulier, consi
déré comme isolé (comme le commandement des armées alliées d’Orient par exemple).
-
tout cela pourrait au contraire produire un blocage tactique comparable à
celui des années 1914 191721, et obliger à enterrer les troupes, à disperser
-
les modules, à en réduire les volumes, à cloisonner les réseaux comme
les dispositifs. Face à cette hypothèse, un courant de pensée constant
depuis bientôt 50 ans, partant du maillage du commandant Brossolet, se
continuant par le général de Giuli et sa manœuvre vectorielle, jusqu’aux
dispositifs zonaux du général Hubin, préconise l’adoption d’une tactique
que nous dirons atactique 22. Parce que tactique signifie organiser et ranger
l’armée, alors que ce courant se propose de ne plus ranger ni organiser
du tout l’armée (c’est la proposition extrême de la manœuvre vectorielle)
ou au moins de ne la ranger et organiser que partiellement. Ce n’est pas
faire injure à ces innovateurs que de dire qu’eux mêmes ou leurs disciples
-
n’ont pas apporté encore de réponses détaillées et convaincantes aux
questions redoutables posées par leurs propositions en termes de soutien,
S
de commandement, de coordination, de moral, d’adaptation aux nécessités
EM
21
C’est en tout cas ce qu’on observe dans le conflit ukrainien.
22
Néologisme formé par référence à la musique atonale.
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naître que la manœuvre tactique pensée et conduite par ces grands chefs
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militaires atteint une forme de perfection dans les liens entre bataille,
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1
Clausewitz, contemporain des « petites guerres » du Tyrol ou d’Espagne, est assez bon
légié pour imposer sa volonté sans passer par le choc des armées. En
témoignent par exemple les effets de l’emploi de l’arme nucléaire contre
le Japon en 1945 qui n’est que la suite paroxystique de la campagne de
frappes aériennes alliées sur le Japon et l’Allemagne et qui seront reprises
contre le Viet Nam ou encore l’opération conduite par l’OTAN au Kosovo en
1999 qui ne visent pas les armées, mais les populations ou des cibles à
haute visibilité ou emblématiques.
.
Les notions de zone de contact ou zone de front sont plus complexes à
M
3
Les batailles de Léningrad ou Stalingrad constituent d’autres illustrations.
4
Le conflit qui se déroule actuellement en Syrie en témoigne tout particulièrement.
5
Ce qui doit amener à relativiser les notions de victoire et de défaite à ce niveau.
***
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une analyse plus complète pour en définir les ressorts et les expressions
CE
***
CP
D’un point de vue strictement pratique, il apparaît que cette notion a sans
doute été pervertie par une lecture partielle ou orientée de Clausewitz. En
effet, « la bataille décisive » s’inscrit dans un double contexte de « guerre
illimitée », mais aussi de « guerre limitée ». Et le rapport de deux belligérants
à l’affrontement ultime reste toujours au cœur des affrontements militaires,
même si la forme de la bataille prend des aspects assurément nouveaux.
6
Liée, dans cette extension qui dépasse la lecture originelle de Clausewitz, à la certitude de
la suprématie du militaire sur le politique une fois que la guerre est engagée…
7
Une lecture exclusive de la pensée clausewitzienne a parfois amené à justifier des excès
dans la préparation des forces et la conduite de la guerre, jusqu’à donner un socle concep
tuel à la stratégie nucléaire de représailles massives.
8
Ce qui ouvre à un autre débat.
qu’il soit total ou maîtrisé. La « bataille décisive » n’est donc pas une fin en
CE
• l’acteur qui pense être le plus fort cherche à pousser son adver
saire à la bataille alors que ce dernier cherche à l’éviter à tout prix.
9
« À la lumière de toutes ces caractéristiques intrinsèques de la stratégie, nous estimons qu’il
n’y a qu’un seul résultat qui compte : la victoire finale. En ce qui a trait à la guerre illimitée, nous
ne devons jamais perdre de vue que la fin couronne l’œuvre. » Clausewitz.
10
Et au coût relatif à l’entretien d’une armée professionnelle dont les hommes sont difficiles
à remplacer en cas de fortes pertes.
soit jusqu’à créer les conditions d’une supériorité ponctuelle afin d’amener
R
donc qu’une approche tactique des fins politiques. Si l’expression des deux
M
équipée, l’insurgé n’a d’autre option, à moins de prendre le risque d’être défi
CP
11
La guerre civile chinoise entre 1934 et 1949 ou encore la bataille de Dien Bien Phu
-
à l’occasion de l’opération de Suez. Mais l’idée propre aux théoriciens de
la « révolution dans les affaires militaires » selon laquelle la supériorité
technologique tuerait l’idée même de bataille grâce aux frappes de préci
sion et à la « quasi transparence » de la zone d’opérations offerte par les
-
radars et les drones, montre ses limites : outre le fait que « brouillard » et
« friction » constituent des facteurs non réductibles, la guerre au milieu
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***
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elire Brossollet, plus de quatre décennies après la parution de son
Essai sur la non-bataille peut relever de la « madeleine de Proust »
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-
Terre vient de voir sa durée de scolarité rétablie à une année pleine dans
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le but d’affirmer encore plus les capacités tactiques des futurs breve
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Gaulle avec son Vers l’armée de métier de 1934 et David Galula avec son
étude de Contre-Insurrection, publiée par la RAND Corporation en 1968. Ce
refus « d’écouter les voix qui dérangent » a d’ailleurs été finement analysé
par Pierre Servent dans Le complexe de l’autruche, pour en finir avec les
défaites françaises 1870-1914-1940, paru en 2011.
Pluton…
1
Cote P 0975 du Centre de documentation de l’école militaire.
2
Auteur en 2012 de De l’autre côté de l’eau, réflexion sur la liberté et la guerre, issue de son
expérience d’Indochine.
-
l’unité d’action dans l’expression publique. En effet, lors de chaque Loi de
Programmation Militaire, dans un contexte budgétaire rarement favorable,
le CEMA doit inlassablement convaincre de la nécessité de sauvegarde
d’un modèle d’armée complet, meilleure garantie de la capacité future de
réponse à toute surprise stratégique, le fameux cygne noir de Juvénal.
Dès lors, si les propositions alternatives sont évidemment constructives
en phase d’élaboration et offrent l’incomparable mérite de stimuler la
réflexion d’état major, les voix divergentes postérieures, prônant un
-
modèle toujours soi disant plus économique, risquent clairement de deve
-
nir contre productives en affaiblissant l’outil. Il n’est que de se souvenir
-
des propositions budgétaires apocalyptiques (modèles « Y » et « Z ») lors
des travaux préparatoires à la Loi de programmation militaire 2014 19 3,
-
faisant porter l’effort sur les forces spéciales, en arguant de la supériorité
de la « qualité » sur la « quantité »… De même, à l’époque de Brossollet
comme aujourd’hui, la réalité du recours à une défense européenne reste
loin d’être acquise, même si la politique des petits pas produit peu à peu
S
ses effets en ce domaine.
EM
3
Jean Guisnel, Vers une apocalypse budgétaire pour les armées, Le Point, 13 et 26/03/2013.
1/2019 – Revue de tactique générale 35
• Frappe nucléaire massive ;
Dans cette approche destinée à rester sous le seuil nucléaire, les forces
nucléaires tactiques conservent un rôle de signification de la volonté poli
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l’emploi futur des munitions guidées laser, telles qu’elles ont été populari
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sées par les forces américaines lors des deux guerres du Golfe, puis adop
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4
Entrée en service du Mirage IV en 1964, du SNLE le Redoutable le 1er décembre 1971.
5
Mis en service dans l’armée de terre en 1973.
6
Outil informatique IRIS 35 M développé à la fin des années 60, dans le cadre du « Plan
calcul militaire ».
7
Rapport du lieutenant colonel Langlais, commandant le Groupement aéroporté, à propos
-
de la bataille de Dien Bien Phu, paru le 4 mai 1963 dans le Figaro Littéraire.
8
Catalogue de l’Exposition des Armements terrestres de Satory 1973..
être compris comme un clin d’œil pacifiste dans l’air du temps, alors que
l’auteur n’hésite pas une seconde à l’emploi cinétique des moyens, la
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non-bataille de Brossollet est en fait une manœuvre défensive décentra
lisée, à l’image « des mailles d’un vaste filet » (p. 67), basée sur l’emploi
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Conclusion
Certes Brossollet n’a pas été forcément prophète en son pays, brutalisant
sans doute par trop une armée de terre à l’époque en plein bouleverse
ment : accession à la capacité nucléaire tactique, entraînement focalisé
en vue d’un engagement massif du corps de bataille blindé mécanisé -
9
Penguin, mai 2015.
10
Appel des 100, revendication de soldats appelés aux candidats de l’élection présidentielle
de 1974.
11
Concept développé dans les années 80 par un auteur allemand Horst Afheldt (Vertiedigung
und Frieden, traduit en français par Pour une défense non suicidaire en Europe).
Revue de littérature
S
• Compte-rendu sur « Essai de la non-bataille », Jean KLEIN, Politique
EM
Étrangère, 40 5, pp. 560 563, 1975.
-
-
https://www.persee.fr/doc/polit_0032 342x_1975_num_40_5_1757_
R -
/C
t1_0560_0000_2
M
• Des théories françaises reprises par les stratèges de Daesh, Jean GUISNEL,
Le Point, 29 septembre 2015 (entretien avec Joseph HENROTIN).
https://www.lepoint.fr/editos du point/jean guisnel/des theories fran
-
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caises reprises par les strateges de daesh 29 09 2015 1968913_53.
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-
php
• L
es adaptations de la guerre irrégulière aux nouvelles conditions tech-
nologiques : vers la techno-guérilla, Joseph HENROTIN, Stratégique,
vol. 93 94 95 96, n° 1, pp. 533 566, 2009.
- - - -
• L
’héritage de la pensée militaire française, Hervé COUTEAU BÉGARIE, -
• G
uy Brossollet’s « Non-Battle », Alexander R. GALLOWAY, Culture and
Communication, 10 décembre 2014.
http://cultureandcommunication.org/galloway/guy brossol -
its=4218+4217+3408+3407+905+904+128+127
Histoire-bataille… Histoire-globale
L’
« histoire bataille », c’est à dire la narration d’« événements guer
-
-
-
riers », parfois fastidieuse, dans un ordre chronologique, avec plus
ou moins force détails, a subi par le passé1 une sorte de disqua
lification de la part des milieux académiques2. Elle a pourtant, avec ses
faits simples, clairs et émouvants, facilité l’enseignement de l’histoire à
« nos têtes blondes ». En effet, il est plus aisé d’intéresser à Godefroy de
Bouillon, Jeanne d’Arc et Bonaparte qu’à Étienne Marcel, Colbert ou Turgot.
S
De même, il a toujours été plus facile de captiver l’attention d’un auditoire
EM
en narrant les faits d’armes d’un général se ruant à la tête de ses troupes
R
ministère Sarraut3.
M
annales (1929), puis celui de la nouvelle histoire des années soixante dix4.
CP
-
On en est alors pratiquement arrivé à nier tout intérêt pour l’« événe
ment » de façon générale et même à la chose militaire, a fortiori lorsqu’il
s’agissait de batailles.
1
Aujourd’hui, l’« histoire bataille » semble connaître un regain d’intérêt.
-
2
Mignet (François Auguste), par exemple, dans son « Histoire de la Révolution française »,
-
qui va de 1789 à 1814, évoque « en passant » les campagnes de Bonaparte Napoléon,
-
parfois sans nommer les batailles, dont les succès seraient surtout attribués à son armée
de citoyens, plutôt qu’à son génie.
3
Sarraut remplace Daladier le 4 novembre 1933 et chute le 24 du même mois.
4
Sous l’influence des travaux de John Keegan, « Anatomie de la bataille », de Georges Duby,
« Le dimanche de Bouvines ».
cile de savoir comment se déroulaient les batailles. Les récits sont très
littéraires. Ils sont écrits pour séduire un auditoire qui écoute la lecture
de ces textes. En fait, ils apparaissent plutôt comme une propagande qui
vante les exploits d’un chef militaire. La guerre des Gaules est connue
de manière largement unilatérale grâce au récit de César, qui en a très
S
certainement occulté des pans entiers5. Nous n’avons pas de chiffres, peu
EM
53 av. J. C. par les Romains contre les Parthes ; on ne sait pas exactement
CE
le site d’Alésia (52 av. J. C.) : en Bourgogne ou dans le Jura ? Par ailleurs,
CP
5
Ce problème touche l’histoire dans son ensemble. Combien de dossiers ont ils été
-
« épouillés », arrangés… dans certains cas, il ne fait aucun doute que l’on se trouve devant
une documentation officielle. La bataille du pont d’Arcole (15 septembre 1796) en est un
exemple. Loin de l’image d’Épinal, la réalité est la suivante : Bonaparte qui s’est élancé un
drapeau à la main, est bousculé et tombe dans un marais d’où il est retiré avec difficulté. Sa
colonne recule… La véritable bataille d’Arcole se déroule le lendemain et le surlendemain
de l’affaire du pont, à dire vrai, marginale. « Dictionnaire Napoléon », sous la direction de
Jean Tulard, Aubin, Poitiers, 1987.
6
En outre, son récit date de plusieurs siècles après l’événement ! Mais, rien n’est rédhibi
toire. L’archéologie militaire est un moyen de combler les « vides historiques ». Ainsi, on
a dernièrement découvert à Pompéi une inscription datant de deux mois après la date
communément retenue de la destruction de la ville.
sur Marne. Par ailleurs, si les chevaliers témoignent, on n’a aucun récit
-
des « manants » (archers, piquiers et autres piétons). Ainsi, l’absence de
sources fait de la bataille d’Azincourt (1415) un récit peu fiable. Les plans
étudiés sont donc, là encore, plus ou moins faux, puisque l’on n’a pas une
connaissance précise de la plupart des champs de batailles. Ces différents
événements sont donc traités et analysés selon des procédés non scienti
fiques. Les exemples pourraient être répétés à l’envie.
que, tout comme dans le domaine judiciaire, une preuve est fragile, contes
/C
il est confronté à des sources qui vont servir « d’architecture » à son pro
CE
7
Dossier individuel Série 2YE.
-
1/2019 – Revue de tactique générale 45
« … on nous dirigea sur Trêves. C’était presque retourner sur nos pas.
Je le dis en passant, il nous a souvent paru extraordinaire que l’on nous
fit faire autant de marches et contremarches… peut être était ce néces
- -
revers sur revers et son moral est au plus bas. On est alors avide de
M
(sabres et baïonnettes) !
biaisée dès le départ. C’est ce qui permet à Paul Valéry de signaler après
le second conflit mondial que « l’histoire est maîtresse d’erreurs10 » et à un
auteur américain cité par le colonel Fox : « Dieu ne peut changer le passé,
8
Garceau (E.M.), « Le carnet de route d’un garde d’honneur », aux carrefours de l’histoire,
N° 44, sd.
9
Archives nationales AFIV 1667.
10
Valéry (Paul), « Regards sur le monde actuel », Paris, Stock, 1931.
les historiens le peuvent11 ». Marc Bloch dans ses notes relatives à son
Apologie pour l’histoire, métier de l’historien prétend : « tout livre d’histoire
digne de ce nom devrait comporter un chapitre… qui s’intitulerait à peu
près : comment puis je savoir ce que je vais écrire ?12 ». Pour ces derniers,
-
les conditions dans lesquelles la guerre se fait sont toujours nouvelles.
Il semble donc qu’en parlant de guerre, on se meuve dans un élément
tout à fait fugace, toujours variables. En conséquence, pourquoi perdre son
temps à étudier des choses qui ne se reproduiront plus ?
-
été traitée d’un air dédaigneux par l’institution militaire. Au contraire
même, l’étude des opérations passées a toujours été d’un vif intérêt pour
les grands capitaines qui l’ont, pour la plupart, passionnément étudiée.
Gustave Adolphe, Turenne, Condé et Napoléon en sont des exemples.
S
EM
11
Fox (colonel), « Introduction à l’étude de l’histoire militaire », École d’État major, années
-
1952 1953, XIV e promotion, Cours d’Histoire militaire.
-
12
Marc Bloch, mobilisé en 1939 1940, entreprend de tromper l’oisiveté pendant « la drôle »
-
de guerre en rédigeant l’ouvrage sus cité. Fusillé en 1944, on ne retrouve dans ses papiers
-
que quelques notes, notamment son introduction à son ouvrage à peine ébauché.
13
Gustave II Adolphe (1594 1632), roi de Suède, décédé dans une bataille à Lützen.
-
14
Jacques Antoine Hippolyte, comte de Guibert (1743 1790).
-
-
-
1/2019 – Revue de tactique générale 47
En étudiant une bataille, on s’aperçoit, comme dans tous les faits sociaux,
qu’il existe certaines lois. Certains rapports entre les actes et leurs effets
restent souvent constants, tandis que certaines circonstances et certaines
causes ont toujours un caractère décisif. En revanche, d’autres éléments
constitutifs de la bataille portent les germes du changement ou du fortuit.
L’objectif est de discerner ces deux groupes de lois. Le premier sous en -
un soutien passif ;
• la guérilla doit avoir des qualités fondamentales d’endurance, la
Giap reconnaîtra avoir été influencé par les principes sur la guerre
insurrectionnelle, évoqués par Lawrence d’Arabie.
15
Déjà dans l’Antiquité, Caton prônait « l’économie des moyens », de Guibert défend la
nécessité pour le chef de préserver « sa liberté d’action », Napoléon s’en tient à « l’initia
tive, la concentration des forces et la surprise ».
16
Cité par Gérard Chaliand, « Anthologie mondiale de la stratégie », Robert Laffont, 1990 ;
-
EM
jor d’Hitler, regrettera qu’en dépit de ses immenses lectures, le Führer n’ait
pas pris en considération la victoire de Staline sur Denikine à Tsaritsyne
R
ans de distance18. Dans les années 80, les troupes tchadiennes d’Hissène
M
17
Dans le même registre, l’équipement des forces de l’ordre (casques à visière, boucliers et
gilets pare balles), n’est il pas une résurrection de l’armement défensif du Moyen Âge ?
-
-
18
Lieutenant colonel de Cossé Brissac, « Conférence inaugurale au cours d’histoire militaire
-
-
», 1947 1948.
-
19
Wanty (Emile), « L’art de la guerre de l’Antiquité chinoise aux guerres napoléoniennes »,
Gérard & Co, Verviers, 1967. (Bataille de Dorylée en 1097).
20
Il suffit pour s’en convaincre de considérer les excellents retours suscités par les récents
écrits du PEP sur « L’armée des dunes ».
-
complète ce qu’il appelle « l’histoire bataille, celle des faits de guerre et
-
des actions des rois, racontés par les autres historiens », en écrivant l’his
toire des peuples, c’est à dire de toutes les classes de la société. Dans ce
-
-
dessein, il étudie chaque état en particulier, dans son « éducation », ses
mœurs, ses travaux et ce qu’il appelle son « génie spécial ». Les hommes
de tout rang, de toutes professions viennent successivement se montrer
au lecteur, accompagnant les changements de conditions qui ont marqué
leur existence aux différents siècles.
décision des officiers. Foch, qui lui succède, s’adressant à des officiers, se
CE
plaisait à souligner : « mes amis, étudiez, non pas l’histoire des faits, mais
C/
21
Monteil (Amans Alexis), Histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles,
-
Paris, 1827 1844.
-
22
Guillaume Auguste Balthazar Eugène Henri Bonnal (1844 1917).
-
-
-
-
-
50 Revue de tactique générale – 1/2019
Histoire-bataille… Histoire-globale LA BATAILLE
La bataille est nécessaire, peut être violente, mais elle doit être brève. D’une
S
EM
finalité, elle est devenue une condition du succès stratégique qui se décline
en une phase de stabilisation, la nouvelle phase décisive. Enfin, une phase
R
au sein des peuples, il est d’une importance capitale de bien les connaître.
M
des populations locales. Cette vision des choses, qui minimise l’événement,
C/
sans pour autant l’occulter, débouche sur des disciplines nouvelles intro
CP
23
Camon (général), « L’étude des campagnes napoléoniennes est elle encore de quelque
-
utilité », Revue militaire française, volume 2, avril/juin 1924.
24
Lyautey (colonel), « Du rôle colonial de l’armée », Paris, Armand Colin & Cie, 1900.
1/2019 – Revue de tactique générale 51
XIXe siècle : XXe siècle : XXIe siècle :
les batailles successives la bataille décisive l’après bataille
Guerre
ffroide
fr
roi
oide
de
1re Guerre
Guerr
rre
e
mondiale
technologies technologies
• Connaître les peuples
CE
• Connaissances juridiques
• Composer avec le monde
C/
tions : l’adversaire, les alliés, l’opinion politique, celle des populations, des
médias… enjeux et acteurs des crises et des guerres. La bataille classique
cède désormais le pas à une « nouvelle intervention armée ». Si son étude
reste nécessaire pour en dégager des principes, son enseignement doit
englober, plus que jamais, toute une série de paramètres périphériques.
L
a scène de bataille
ouvrant l’excellent peplum
S
EM
du réalisateur américain
Ridley Scott se déroule vers
R
1
Film américano britannique de Ridley Scott, sorti en 2000. L’intrigue raconte la chute du
-
général romain Maximus Decimus, destiné à succéder à l’empereur Marc Aurèle, avant que
-
celui ci ne soit assassiné par son fils Commode. Trahi et laissé pour mort, Maximus, dont
-
la famille a été massacrée, devient alors gladiateur et gagne par ses talents de combattant
une grande popularité à Rome. Il affronte finalement Commode dans un ultime combat
dans l’arène.
2
Citation de Publius Syrus (vers 85 av. J. C. vers 43 av. J. C.) : il faut longtemps préparer la
-
-
-
guerre pour vaincre plus vite.
L’objet du propos suivant n’est donc pas de relever dans le détail toutes ces
S
EM
son Histoire des guerres romaines4. Cette scène constitue en revanche une
M
3
Widemann, Thierry, Quid de la célèbre première scène du film Gladiator, paru dans Guerres
6
Centre de doctrine et d’emploi des forces, FT-02 - Tactique générale, 2009, https://www.
cdec.terre.defense.gouv.fr/layout/set/print/publications/doctrine des forces terrestres
- - - -
7
Géré, François, Dictionnaire de la pensée stratégique, Larousse, 1999. Cet ouvrage n’est plus
disponible en librairie classique, mais peut encore être acquis en version électronique.
-
d’imposer la Pax romana sur ses frontières orientales. Au cours de l’histoire,
on a effectivement pu compter un certain nombre d’affrontements majeurs
de ce type, limités dans l’espace et dans le temps, ayant permis à un
S
EM
belligérant de contraindre son adversaire à suspendre les hostilités
pour une durée plus ou moins longue. Gaugamèles, Azincourt, Waterloo,
R
Le mot tactique, qui vient du grec Ταϰτιϰὴ (de τάσσειν, ranger), désigne
CE
8
Muraise, Éric (de son vrai nom Maurice Suire, 1908 1980), Introduction à l’histoire militaire,
-
Lavauzelle, 1964, rééd., 2008.
9
Ardant du Picq, Charles, Études sur le combat : combat antique et combat moderne,
Hachette & Dumaine, 1880, rééd. Economica, 2004. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/
bpt6k750536/f1.image.
10
Drévillon, Hervé, Batailles. Scènes de guerre de la Table Ronde aux tranchées, Seuil, 2007.
11
La citation est reprise du dialogue du film. Il serait néanmoins grammaticalement plus
correct de dire « Roma vicit » ou « Roma victrix (est) ».
au bon endroit. Elle met ainsi en œuvre à travers la bataille des décisions
CE
planifiées à l’avance.
C/
12
Keegan, John, The Face of Battle: A study of Agincourt, Waterloo, and the Somme, London,
1976. (Anatomie de la bataille, Robert Laffont, 1993 rééd. Perrin, 2013).
-
13
von Clausewitz, Carl, Vom Krieg (De la guerre), 1832, rééd. Tempus, 2014.
-
-
à adapter les objectifs stratégiques aux aboutissements tactiques. Pour
Moltke l’Ancien, qui a profondément marqué la pensée militaire allemande
d’avant guerre, « devant la tactique se taisent les prétentions de la stratégie,
-
qui doit savoir s’adapter à la situation nouvellement créée ». Foch estimait
pour sa part que « la stratégie n’existe pas par elle-même, elle ne vaut que
par la tactique puisque les résultats tactiques sont tout »14. Cette inversion
de subordination a ainsi caractérisé les opérations du Premier conflit mon
dial, qu’il s’agisse de l’attaque de Verdun par les Allemands en 1916, ou
de la désastreuse offensive du Chemin des Dames en 1917. Cette contro
verse, au cœur de laquelle se retrouvent des conflits de compétence entre
militaires et politiques, a également pu caractériser à certaines périodes
les engagements occidentaux après la Deuxième Guerre mondiale. Les
opérations en Algérie pour l’armée française ou la guerre du Viêt Nam
-
pour les Américains constituent à ce titre de bonnes illustrations.
S
EM
choc et le feu sont les deux moyens principaux dont dispose le tacticien
pour protéger ses troupes et pour attaquer celles de l’adversaire. Le terme
feu recouvre en fait tous les procédés de combat à distance. Le terme de
choc concerne, quant à lui, le combat de contact sous toutes ses formes.
La mobilité, l’organisation du terrain et la protection démultiplient la puis
sance du choc et permettent d’atténuer à la fois les effets du choc adverse
et ceux de ses feux. Les effets matériels du feu et du choc sont indisso
ciables de leurs effets psychologiques, dont l’atteinte conditionne princi
palement le succès ou la défaite tactique. L’ensemble des actions visant
à réaliser ces effets se retrouve donc dans la bataille. Celle ci recouvre
-
théoriquement une phase préparatoire, destinée à modeler le milieu et
l’adversaire ; une phase d’atteinte d’objectifs décisifs ; et enfin une phase
d’exploitation. L’assaut, qui s’accompagne parfois d’un corps à corps, ne
-
-
14
Foch, Ferdinand, Des principes de la guerre. Conférences faites à l’École supérieure de guerre,
Berger Levrault, 1903, (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86515g), rééd. Économica,
-
2007.
Scorpion.
C/
15
Colin, Jean, Les transformations de la guerre, Flammarion, 1911, rééd. Economica (avec une
postface de Lucien Poirier), 1989.
-
puis optimisé par l’Empereur avec la création du niveau du corps d’armée,
permettait effectivement une évolution profonde de l’art de conduire les
opérations. La nature de la bataille s’est ainsi transformée en l’espace d’un
siècle, moins en raison de l’évolution des armements, que des réponses
apportées aux difficultés logistiques de l’époque, des progrès des moyens
de communication et de l’accroissement des effectifs à partir du Premier
conflit mondial.
16
de Bourcet, Pierre Joseph, Principes de la guerre de montagnes, Imprimerie Nationale,
-
1888, rééd. Economica, 2008. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86486q
17
Brossollet, Guy, Essai sur la non-bataille, Belin, Paris, 1975.
1/2019 – Revue de tactique générale 59
Mais le fait fondamental ayant réellement transformé la nature de la
bataille, relève de la porosité aujourd’hui permanente entre les sphères
civiles et militaires dans la guerre. La guerre étant devenue totale, la
bataille implique une mobilisation complète de toutes les ressources dis
ponibles pour combattre. L’anéantissement définitif ou l’épuisement com
plet des ressources de l’un des belligérants, constituent donc désormais
la seule limite à la bataille, hormis lorsque l’un des adversaires estime que
le coût à consentir pour la victoire est devenu exorbitant. Ce fut le cas avec
le Second conflit mondial, sans qu’aucune bataille réellement décisive ne
puisse réellement être observée. C’est ce même constat que fait l’historien
britannique Hew Strachan. « Parce que la bataille départage un vainqueur
et un vaincu, elle représenterait une fin en soi. Mais, avec la capacité pour les
nations de rééquiper leurs armées, s’ouvre la perspective de batailles sans
limites dans le temps et l’espace. L’époque de la bataille décisive semble bel
et bien terminée »18. Cette redécouverte de la guerre illimitée et au sein des
peuples, systématisée à partir des conflits de décolonisation, rend donc
incontournable une approche globale, civile et militaire, des opérations.
S
La victoire militaire à elle seule restant certes indispensable, mais insuffi
EM
Quintus ? Le saurais-je ? »
CE
C/
Pour conclure ce bref propos, rien dans une bataille entre des légions
romaines et des tribus germaniques n’aurait vraisemblablement ressem
CP
blé à la scène imaginée et filmée par Ridley Scott. L’auteur de ces lignes en
recommande toutefois le visionnage, car la qualité générale du film et celle
du jeu des acteurs compensent très largement, pour l’amateur de 7e art
peu exigeant qu’il est, l’absence flagrante de réalisme historique. Au delà -
18
Strachan, Hew, sous la direction de Cabanes, Bruno, Une histoire de la guerre, du XIX e siècle
-
des effets tout autres que ceux prévus. L’histoire démontre par ailleurs, et
nos récents engagements le prouvent, que la technologie et la puissance
de feu ne garantissent ni la victoire, ni la paix, si l’usage de cette supério
rité n’est pas guidé par des ambitions et une volonté politique clairement
établies avant même l’engagement au combat. L’absence de définition
d’objectifs politico militaires et stratégiques est en soi un gage d’échec.
-
La résurgence de la prééminence du facteur moral, entendu de manière
collective, sur le fait technologique, donne ainsi une toute autre résonance
S
à cette célèbre citation du maréchal Foch : « Accepter l’idée d’une défaite,
EM
19
Freedman, Lawrence, The future of war, a history, Public Affairs, 2018.
1/2019 – Revue de tactique générale 61
CP
C/
CE
M
/C
REM
S
La tactique au risque des clichés
O
n peut lire sur une page « histoire » d’un site régional1 le jugement
suivant : « La victoire des Anglais à Crécy fut une victoire de l’obéissance
sur l’indiscipline, de l’organisation sur l’imprévoyance, de l’arc anglais
sur l’arbalète génoise… La bataille de Crécy constitue pour l’histoire un événe-
S
ment considérable dans la mesure où pour la première fois la chevalerie sera
EM
-
reposant au moins en partie sur l’idée que les nouveautés techniques
CP
Nous focaliserons ici notre propos sur l’arc et l’arbalète et sur la cavalerie
face à l’infanterie, deux questions dont les vraies et les fausses leçons
tactiques, fondées sur une « histoire bataille » très superficielle assaison
née de fausses vérités serinées depuis l’école primaire, hantent toujours
aujourd’hui le prétoire de l’histoire et les coursives des centres de doctrine.
1
Site Nordmag : http://www.nordmag.fr/patrimoine/histoire_regionale/Crecy/bataille_
crecy.htm
ger une charge qu’attaquer si l’occasion s’en présentait. Instruits par leurs
désastres à Falkirk (1298) et Bannockburn (1314), les Anglais combinèrent
M
et permettre leur abordage par les gens d’armes à cheval ou à pied. Leurs
CP
ses gendarmes démontés au centre et ses archers aux ailes : les piétons
écossais, mal protégés et attaquant en montée, sont accablés et décimés
par les archers puis chargés dans la pente par les gens d’armes démon
tés et les piétons. À Hallidon Hill (1333), le jeune Édouard III applique la
« recette » de Beaumont pour arrêter l’armée écossaise du comte de
Douglas qui tente de lui faire lever le siège de Berwick. Il retranche ses
hommes en trois batailles, chacune encadrée d’archers, au sommet d’une
colline escarpée précédée de terres basses inondables : ralentis et épuisés
par la traversée du bourbier puis par la pente, les Écossais, plus nombreux
d’un tiers, sont de nouveau désunis et décimés par le tir des archers avant
d’être chargés.
Donc dès leur première chevauchée de 1339, le Roi Édouard et ses capi
taines disposent d’une tactique éprouvée pour affronter en défensive une
armée supérieure en nombre et forcée à l’offensive mais sensiblement
inférieure aux plans de l’organisation, de l’équipement et de la tactique.
Mais cette tactique surtout défensive sera t elle adaptée aux conditions
-
-
de la campagne offensive dans laquelle ils s’engagent ? Nul ne peut le dire
S
EM
encore.
R
/C
Quelles que soient les prétentions qu’ils agitent pour justifier leur guerre,
Édouard III et ses successeurs n’essayent pas de conquérir le trône de
C/
France, royaume cinq fois plus peuplé et beaucoup plus riche et développé
CP
que le leur, un objectif totalement hors de portée. Leur but, limité, est d’ob
tenir la souveraineté sur la Guyenne, et éventuellement de l’agrandir, avec
la complicité des nobles et des bourgeois aquitains, notamment bordelais
et gascons, qui préféreraient évidemment l’autorité d’un roi faible et loin
tain à celle d’un souverain proche et puissant. Pour cela ils vont multiplier
les chevauchées, expéditions de pillage qui ont un multiple avantage. Elles
ruinent l’ennemi, directement par les dommages causés et indirectement
par les dépenses occasionnées pour le maintien d’une défense quasi per
manente de tout le territoire. Elles nécessitent une armée réduite, mobile
et légèrement équipée. Leur durée n’excède que rarement la durée du ser
vice militaire dû au souverain par ses vassaux. Et le butin, de toute façon,
paie l’armée. La guerre se caractérisera donc par une dissymétrie abso
lue, aussi bien des buts de guerre que des moyens nécessaires à la mener.
permanence (les gens ainsi payés sont appelés soldoyers) ; imposer par
la loi un nouveau service à certaines catégories sociales (ce que font les
rois anglais en imposant aux collectivités rurales de fournir des archers
entraînés) ; recruter des mercenaires en passant contrat avec des entre
preneurs de guerre (Arnaud de Cervoles dit « l’archiprêtre », les frères
Bureau, etc.) ; trouver des alliés (les Génois à l’Écluse et à Crécy).
Le cœur de la puissance militaire est fourni par les gens d’armes, la cava
lerie lourde regroupant les chevaliers et tout ce qui y ressemble par son
équipement (sergents, bacheliers, écuyers, etc.). Ils s’arment et se montent
à leurs frais, ou aux frais de leur maître, d’où d’importantes disparités
dans leur capacité tactique. Quels que soient leur origine et leur statut2,
S
EM
puis à combattre à l’épée dans la mêlée, aussi bien à pied qu’à cheval. En
M
dédaignent pas d’user d’arcs et d’arbalètes, armes dont l’emploi fait partie
C/
Les gens de pied sont pour une bonne part des intermittents mal armés,
mal protégés et pas entraînés. L’inefficacité des levées de l’arrière ban a -
d’ailleurs conduit les rois, d’un côté à renoncer à convoquer les milices
et de l’autre côté à multiplier le recours aux soldoyers et aux Grandes
2
On distingue parmi les milites ou chevaliers : barons, chevaliers chasés (pourvus d’un fief),
Enfin il faut noter que la dissymétrie des buts et des moyens de guerre que
nous avons déjà signalée se traduit au plan tactique par une dissymétrie
très importante dans la composition des armées et dans les contraintes
qui s’imposent à leurs chefs. Les batailles de la Guerre de Cent ans ne
sont pas livrées entre une armée française et une armée anglaise. Elles
sont presque toujours livrées entre une armée royale française obéissant
à toutes les contraintes politiques, sociales et économiques de l’époque,
et une chevauchée « anglo française », expédition de brigandage très
-
inférieure en nombre et en armement, reposant sur l’intérêt immédiat et
l’instinct de survie des parties, donc déliée de toutes les contraintes en
usage.
S
Les gens de trait
EM
inférieur. L’arc est nettement moins cher et présente une nette supériorité
CP
3
Alors que la force de traction exigée par les arcs de compétition contemporains ne dépasse
pas 30 kg !
Si le grand arc perce à 60 mètres en tir tendu, avec des flèches à empen
nage long et pointes perforantes carrées, un haubert ou les défenses
secondaires d’une armure de plates (les flancs ou le dos, moins épais
et non profilés), ses performances dans cet emploi restent inférieures à
celles des arbalètes à cranequin et diminueront à mesure que progressera
S
la technologie des forgerons d’armures.
EM
Mais dans son emploi privilégié, un archer envoie entre 200 et 300 mètres
R
/C
« Leçons » et adaptations
À Crécy en Ponthieu (1346), le tir des archers anglais retranchés sur une
-
-
éminence commandant une prairie basse et détrempée met en grand
désarroi les arbalétriers génois, statiques et incapables de s’en protéger
comme de les contrebattre 4. La charge désordonnée des gens d’armes, à
cheval, ralentie par le bourbier, offre une cible quasi fixe idéale aux tirs de
-
saturation.
Parce que les Anglais, acculés dans une position strictement défensive,
avaient aussi démonté leurs gens d’armes, les contemporains semblent en
avoir tiré l’idée que ces derniers ne pouvaient pas charger sous le tir des
archers et seraient plus efficaces dans l’attaque à pied. Le diagnostic étant
faussé, le résultat se révéla décevant : si ce mode d’action évitait de faire
inutilement massacrer les chevaux qui, à l’époque étaient encore très peu
protégés, il faisait des gens d’armes, lourdement équipés pour combattre
à cheval, un objectif plus statique et donc beaucoup plus facile à battre
encore que lorsqu’ils chevauchaient.
S
EM
À Poitiers (ou Nouaillé Maupertuis, 1356), les anglo gascons ayant disposé
-
-
CE
Villeneuve aux abords des gués du Miosson, leurs archers peuvent facile
CP
4
Ils perdaient de la portée en raison de la différence d’élévation, leurs arbalètes, employables
en tir tendu, avaient de toute façon une portée moindre, et leur cadence de tir n’excédait
pas 4 viretons par minutes quand les archers en envoyaient trois fois plus. De plus la pluie
avait détendu leurs cordes en nerfs quand elle tendait au contraire les cordes en chanvre
des arcs.
fois à un bourbier encadré par deux bois. Les Français se sont déployés
/C
en trois batailles, les deux premières à pied, encadrées par deux ailes à
M
cheval dont la mission semble avoir été de neutraliser les archers dès le
CE
et la petite chevalerie. La charge initiale des deux ailes contre les archers
CP
échoue. Avançant lentement à pied sur un terrain gras, les gens d’armes
français sont pris de flanc par les traits des archers qui les mettent en
grand désordre malgré leurs excellentes armures. Les deux premières
batailles tentent d’avancer pour se soustraire au tir, s’imbriquent dans
une cohue indescriptible. Le désordre est tel que les archers anglais eux -
5
Les défections en pleine bataille sont alors monnaie courante, elles sont juridiquement
autorisées, comme résultant du droit de guerre privée, et elles sont rarement considérées
comme une trahison : Arnaud de Cervoles quitte l’armée juste avant Cocherel avec sa com
pagnie, le comte de Tello, frère du roi Henri de Trastamare, fait défection dès le début de la
bataille à Najera (1367). Les règles du temps autorisent même à se départir d’une bataille
ordonnée. Et l’usage place les fidélités familiales au dessus des fidélités vassaliques.
-
6
Où il n’y avait pas d’archers anglais, le Roi d’Angleterre n’ayant pas répondu à la demande
d’assistance de Jan Van Artevelde. On peut penser que le choix d’attaquer à pied était
surtout lié ici au souvenir cuisant de la Bataille des Éperons d’Or (Courtrai, 1302).
cavalerie ne semble pas absurde par elle même, d’autant qu’en ce début
-
de bataille le terrain, certes détrempé, ne devait pas encore être un bour
bier. Cette manœuvre, partant d’un ordre de bataille qu’on voit déjà en
d’autres circonstances (par exemple face aux Flamands à Roosebeke)
réussit et faillit décider de la victoire à Verneuil (1424), le terrain trop sec
ayant interdit aux archers anglais de planter leurs pieux, les livrant à la
charge des ailes de cavalerie. Mais c’est à Patay (1429), que les Français
réussissent enfin à prendre une armée anglaise en flagrant délit de mou
vement et à la charger « bille en tête » avant que ses archers aient pu se
retrancher : le succès de cette charge dans la foulée lancée par une avant
-
garde dément évidemment toutes les explications caricaturales mettant
systématiquement les désastres précédents sur le compte exclusif de
l’indiscipline et de la fureur offensive des chevaliers français opposée à
une prétendue sagesse et discipline anglaise.
les Gascons, etc. Le butin était alors un des buts mais aussi le moyen
essentiel de la guerre7, les armées étaient fort mal nourries et n’étaient
payées qu’exceptionnellement : les bagages de l’ennemi exerçaient un
attrait irrésistible.
7
C’est lui qui perd les Franco écossais à Verneuil.
-
1/2019 – Revue de tactique générale 71
4 e leçon : l’invention de la contre-batterie
Que conclure au terme de ce survol rapide d’une période de plus de 175 ans
R
phrases lapidaires ?
M
CE
nation, est un combattant individuel qui tire sur des cibles individuelles.
Les archers anglais de la Guerre de Cent ans et de la Guerre des deux
Roses, bien qu’ils servent une arme évidemment individuelle, constituent
un système d’arme collectif d’appui à ce qui va bientôt s’appeler l’infante
rie (gens de hast et gens d’armes démontés) et la cavalerie (gens d’armes
à cheval). Ils ne visent pas une cible mais battent collectivement un objec
tif : ils tiennent donc avant l’heure le rôle tactique de l’artillerie.
rapport au canon. Si les archers sont peu à peu remplacés homme pour
homme par les arquebusiers puis les mousquetaires, ils sont remplacés
dans leur emploi tactique par l’artillerie et c’est celle ci et non l’arme à feu
-
-
dans la mêlée une fois leur tir terminé. Ils seraient donc tactiquement un
hybride tactique entre artillerie et infanterie, comme les dragons entre
cavalerie et infanterie.
-
d’une étude fouillée sur le corps d’armée, rédigée par le colonel (R)
Claude FRANC.
Avant-propos S
D
EM
Le second constat qui saute aux yeux, est que le Corps d’Armée a toujours
constitué un échelon de manœuvre « complet », en ce sens qu’il a toujours
regroupé en son sein et mis en œuvre l’ensemble des fonctions opération
nelles, dont l’emploi a toujours été préparé par des cellules spécialisées
de son état major.
-
Troisième constante enfin, certes à éclipses et totalement obsolète de nos
jours, pendant longtemps, l’organisation territoriale à base des régions
militaires, s’est trouvée associée et même jumelée avec le stationnement
des corps d’armée, dans le cadre de ce qui fut dénommé par le général
Lagarde, le « commandement fusionné », et codifié par le plus haut niveau
qui soit, la loi, celle de 1882, en l’occurrence. En Algérie, entre 1956 et 1962,
-
taire, puisque correspondant à la portion de territoire et aux attributions
d’un préfet IGAME (Inspecteur général en mission extraordinaire).
tient une grande place dans les manuels de tactique générale d’avant
-
guerre, notamment celui du général Altmayer, publié en 1937. Après la
R
guerre, le rôle du corps d’armée était esquissé, mais jamais détaillé dans
/C
publiées par l’EMAT, toujours très générales quant à la mise en œuvre des
CE
moyens.
C/
1
En fait, Entre 1947 et 1992, la « Seconde année » se scindait en cinq mois de C.S.I. et
quatre mois d’études portant sur le fonctionnement organique de l’armée de Terre.
PLAN
Chapitre I. De la création à la consécration. 1804-1914
I 1. Boulogne 1804. Napoléon crée le corps d’armée.
-
La bataille napoléonienne
I 2. Le cas particulier de la réserve de Cavalerie
-
I 3. Le réveil militaire après 1870. Les lois d’organisation de 1872 et
-
1882
Annexe 1. Les généraux titulaires d’un commandement de corps
d’armée en 1872
napoléonienne
Chaque corps d’armée est doté d’un état major (Jomini sera chef d’état
- -
M
major de Ney lors de la campagne de 1813, après avoir servi à l’état major
CE
Quant aux états majors, même si les premiers précis quant à leur fonction
-
nement n’ont été rédigés que sous la Restauration, ils comportaient déjà
des avancées très modernes en termes de fonctionnement et même de
méthode :
• les effectifs ainsi que les remontes sont suivis journellement par
sionnement et les gîtes d’étape de chacun des corps d’armée. Les étapes
C/
gée face à un ennemi non déjà pris à partie et « façonné » par les corps
R
pouvait pas être engagée face à un ennemi frais a été perdue de vue par
CP
Ney à Waterloo, lors de ses charges, aussi furieuses que désespérées, face
aux carrés anglais retranchés. Mais surtout, en 1870, alors que la place
de la cavalerie sur le champ de bataille commençait déjà à être forte
ment remise en question par les enseignements (non lus en France) de la
Guerre de Sécession, l’armée française ignorait superbement cette réalité.
Ces dispositions d’esprit amenèrent les funestes charges de Woerth lors
de la bataille de Frœschwiller : pour soutenir une de ses corps d’aile, Mac
Mahon demanda à Bonnemains, commandant une division de cavalerie,
de charger le dispositif lui faisant face. Connaissant les règles d’emploi de
ses régiments, Bonnemains demanda à Mac Mahon si l’ennemi qui lui avait
été désigné pouvait être soumis au préalable à une préparation d’artillerie.
Il s’attira cette réponse dédaigneuse de Mac Mahon : « Depuis quand, mes
généraux de cavalerie ont ils peur ? », ce qui illustre l’incurie totale de Mac
-
2
Dont le commandement est confié initialement à Murat.
et 1882
-
constitué une structure permanente du temps de paix, sauf sous l’Empire,
mais ce n’était pas le temps de paix. Napoléon III avait bien esquissé une
structure territoriale à peu près équivalente, sous l’appellation de « grand
commandement », mais sans que le projet n’aboutisse. Aussi, une des
premières mesures de réorganisation prise dès 1872 par voie législative
consista à copier le modèle d’organisation territoriale allemande, une région
militaire correspondant à la mise sur pied d’un corps d’armée du temps de
paix, raison pour laquelle les termes de « région » et de « corps d’armée »
sont souvent employés indifféremment pour les désigner. Le territoire fut
divisé en 18 régions et une dix neuvième fut instituée à Alger 3.
-
À ce titre, le corps d’armée est le seul élément complet et homogène,
l’armée n’étant pas un échelon constitué en temps de paix4, car il dispose
en permanence :
S
EM
• de troupes ;
/C
• de services.
M
CE
3
L’Annexe 1 indique l’implantation des régions/corps d’armée, ainsi que les noms des
premiers titulaires de leur commandement.
4
À compter de 1890, par la création du Conseil Supérieur de la Guerre, les généraux com
mandants désignés des armées y siégeront et disposeront de leur chef d’état major, mais
-
d’aucun autre officier. Ils exercent un pouvoir d’inspection sur les corps d’armée désignés
pour entrer dans la composition de leur armée, selon la planification alors en vigueur.
CE
5
Il était prévu que les commandants de région puissent tenir leur rang, qu’ils disposent d’un
Annexe 1
Titulaires des commandements de corps d’armée en 1872 7
Paris en 1881.
R
6
Néanmoins, le commandement d’une division s’avère une tâche d’autant plus complexe
que son état major est très réduit. Pour illustrer ce fait, il suffit de se rapporter au chapitre
-
des Carnets de Fayolle, publiés en 1964, dans lequel il relate son commandement de la
70 e D.I. sous les ordres de Pétain d’octobre 1914 à juin 1915, date à laquelle il lui succède à
celui du 33 e C.A. On est frappé par la différence du niveau de préoccupations de Fayolle qui
note ses impressions au jour le jour, sans intention de les voir publiées un jour, ce qui leur
donne tout leur intérêt. Cette différence de niveau de préoccupations apparaît d’emblée,
dès les premiers jours. Le même constat de complexité du commandement d’une division
et de différentiel de niveau entre celui de la division et du corps d’armée apparaît égale
ment de façon tout à fait claire dans la Correspondance du général Guillaumat, publiée en
2004.
7
Lachouque commandant, Revue Historique de l’Armée 1964/3, pp. 26 et 27.
/C
d’armées
M
CE
est apparue dès qu’il s’est agi de conduire des actions offensives. Les
deux divisions organiques étaient en effet insuffisantes pour mener des
attaques sur un front et une profondeur suffisante : 3, 4, parfois 5 divisions
ont été estimées nécessaires pour un corps d’armée.
De plus, pour ces opérations, le corps d’armée dut être renforcé par un
grand nombre d’unités non endivisionnées, appartenant à différentes
armes et lui permettant de disposer de moyens suffisants. Dès 1915,
la composition du corps d’armée s’est donc assouplie. Elle est devenue
variable et il a été nécessaire de mettre en cohérence les moyens de
commandement et de soutien avec l’apparition des besoins nouveaux qui
venaient de se révéler.
C’est dans la foulée des enseignements tirés des offensives de 1915 que
le G.Q.G. diffuse deux documents qui vont modifier le rôle et la composition
du corps d’armée, tout en confortant ce niveau comme l’unité chargée de
la conduite de la bataille.
actives, même si de grandes offensives n’y ont pas lieu ; ces corps
d’armée sont alors articulés autour de quatre divisions (cette
structure quaternaire permettant au commandant de corps de
manœuvrer, tout en disposant de réserves constituées à son éche
lon). C’est cette structure qui prévaudra à Verdun lorsque Pétain y
prendra le commandement.
blement liés.
C/
Fin 1915 :
• 12 Corps d’armée à 3 D.I. ;
• 15 Corps d’armée à 2 D.I. ;
• 23 divisions indépendantes.
8
En raison également de la crise des effectifs de l’année suivante, les divisions passant de
ce fait de quatre à trois régiments, soit 9 bataillons, cette organisation « ternaire » permet
tant de conserver le même nombre de grandes unités, et même de les augmenter.
• 20 D.I. indépendantes.
Milieu 1917 :
• 16 Corps d’armée à 4 D.I. ;
• 14 D.I. isolées.
Le mouvement des idées sur cette question ne prit pas fin avec l’armistice.
S
EM
Dans cette étude, rédigée par le 3e Bureau du G.Q.G. et qui vise à engranger
C/
et de la « noria ».
9
Les missions de ces GTIA pourraient être les suivantes :
• GTIA Rive gauche : Interdire la ligne de mouvements de terrain Cote 304 – Mort Homme
– Cumières.
• GTIA Rive droite : User l’ennemi entre la ligne Louvemont – Bois des Caures, inclus et
Côte de Froideterre – Fort de Vaux inclus.
• GTIA Fort de Chaume : EMD contre attaquer au profit de l’un ou l’autre des GTIA de
-
premier échelon. Priorité GTIA rive droite.
de travail, debout tous trois devant une grande carte murale que
je venais de faire assembler, et sur laquelle j’avais esquissé le
tracé probable, mais bien incertain, du front que nos troupes défen
daient. Prenant sur ma table un morceau de fusain et résumant ses
intentions « Cinq secteurs, disait il. Dans chacun une voie d’accès… ».
-
10
Pétain a pris son commandement le 26 à 0 heure.
11
Général Léon Zeller, Souvenirs sur Foch et Pétain, présentés et annotés par le colonel
14
Lieutenant colonel Zeller, sous chef d’état major.
- - -
-
S
me proposer ensuite toute mesure pour remettre de l’ordre en réta
EM
b) La noria
M
CE
Ainsi, le corps d’armée qui était devenu précédemment une grande unité
extensible, c’est à dire susceptible d’engerber un nombre variable de
-
-
divisions et d’éléments en renforcement, devient alors, théoriquement
tout au moins, un Groupement de divisions interchangeables et un organe
permanent chargé d’assurer la continuité des opérations dans un secteur
du front.
II-3. L’entre-deux-guerres
S
La conception arrêtée en 1919 a été rapidement modifiée pour aboutir au
EM
Annexe 2
Commandants de corps d’armée en 1914
• 1er Corps d’armée : Général Franchet d’Espèrey. Saint cyrien. 58
-
des armes de mêlée par rapport à ceux issus des armes d’appui.
Quant à la suite de leur carrière, si quatre d’entre eux, ce qui est faible,
seront très rapidement promus au commandement d’une armée, en
revanche, neuf seront limogés pour insuffisance. Il convient de noter que
parmi ces limogés, figurent tous les commandants de corps recrutés dans
le Sud de la France, ce qui n’a pas contribué à asseoir la réputation de
valeur opérationnelle de ces personnels.
certains d’entre eux, on peut observer une très grande stabilité dans leur
commandement : le général Maistre a exercé celui du 21e C.A. depuis sep
R
tembre 1914 (lorsqu’il a relevé Legrand Girarde) jusqu’à mai 1917 (lorsqu’il
/C
de deux corps d’armée (le 1er C.A.C., puis le 20 e C.A.) sans discontinuer
C/
d’août 1915 à février 1919, avant d’être nommé GMP. Mais le commandant
CP
Annexe 3
Commandants de corps d’armée en 1918
• 1er Corps d’armée : Général Lacapelle. Saint cyrien. 49 ans. Admis
-
en 2e section en 1931.
en 2e section en 1927.
d’âge).
en 2e section en 1923.
2e section en 1929.
en 2e section en 1925.
en activité en 1919.
en 2e section en 1923.
S
EM
en 2e section en 1924.
/C
-
C/
en 2e section en 1924.
en 2e section en 1927.
en moyenne, encore six ans et demi après l’Armistice. Par le même effet,
la moyenne d’âge des généraux commandants les armées était tombée de
62 ans en 1914 à 54 ans et demi en 1918, soit un an de moins que leurs
subordonnés directs. Ceci veut dire que la perspective d’avancement des
généraux de corps d’armée pour accéder à une cinquième étoile est, sauf
exception, nulle ! Des exceptions, il n’y en aura que deux : Naulin et Nollet.
Le premier sera commandant supérieur des troupes au Maroc durant la
guerre du Rif, ce qui explique sa promotion. Le second avait des affinités
politiques nettement marquées. Proche des radicaux socialistes, il sera
-
ministre de la Guerre d’Herriot au moment du Cartel des Gauches. Ce qui
est vrai vers le haut, le sera également à l’encontre de leurs subordonnés
immédiats : les divisionnaires de 1918, à quelques exceptions près, la plus
emblématique étant Gamelin, verront également leur avenir bouché. En
fait, conséquence du rajeunissement général qui a marqué tous les grades
d’officiers généraux durant la guerre, le système est bloqué et il faudra
attendre la fin des années vingt et le début des années trente pour voir
une relève générationnelle des généraux. Cet état de fait aura deux consé
S
quences !
EM
-
/C
zon » sur l’armée française jusqu’au début des années trente (Pétain sera
vice président du Conseil jusqu’en 1931 et Gouraud, par exemple, indé
M
-
CE
front continu, avatar de la tyrannie exercée par le feu durant les années de
CP
Le corps d’armée américain (et donc les corps d’armée français de 1943 -
1945, totalement identiques) est une structure très forte, afin de pouvoir
engager les moyens de combat et d’appui qui renforcent les divisions ou
renforcent les situations. Premier échelon logistique complet, c’est aussi le
niveau d’un volume de soutiens et de services qui dépasse largement tout
ce qui était alors réalisé en Europe.
La logistique est conçue à la fois pour faire face aux consommations les
S
plus élevées selon les normes retenues et en fonction de critères qui font
EM
appel à la puissance pour écraser l’ennemi. Elle doit aussi assurer tout ce
R
qui est nécessaire aux unités américaines qui vont se battre, par définition
/C
sur un sol étranger. Aucune rupture de stocks ne peut être envisagée et,
M
Sur le front occidental, pour les armées alliées, si la bataille était conçue au
niveau de l’Armée, comme au cours du conflit précédent, elle était conduite
à celui du corps d’armée. C’est ainsi que dans l’armée américaine, après
la percée d’Avranches, Patton a scindé son armée en lançant un corps
d’armée en Bretagne jusqu’à Brest, un corps d’armée vers la Loire, jusqu’à
Orléans, puis en direction de Troyes, et un corps d’armée pour bifurquer
après Le Mans vers le Nord pour – mal – fermer la poche de Falaise ;
dans l’armée britannique, c’est le 30 e d’Horrocks (qui y a laissé sa carrière)
qui a échoué à atteindre Arnhem par la voie terrestre ; de Lattre avec la
Première Armée n’est pas en reste : chacun de ses deux corps d’armées
ont participé à la poursuite de la XIXe armée allemande, de part et d’autre
du Rhône depuis la Provence jusqu’au seuil des Vosges. Puis, la bataille
des Vosges a été celle de Monsabert, tandis que celle de Haute Alsace a
été celle de Béthouart.
S
EM
en avril prochain.
M
CE
C/
CP
BATTRE
O
n avait initialement envisagé de deviser ici sur le mot « bataille »
et ses dérivés mais il nous est apparu que « battre », d’où est issu
« bataille », avait rang de préséance. C’est pourquoi on reparlera de
bataille, de combat, et de bataillon, dans une prochaine livraison de votre
revue.
S
EM
Battre nous vient du latin battuere qui signifie frapper, et le plus souvent
de façon répétée, comme fait le maréchal qui bat le fer tant qu’il est chaud
R
mais le bat froid à qui ne lui revient pas. C’est le principe même de la
/C
donne la préséance.
CE
C/
CP
Battre, dans un sens second, désigne aussi l’objectif poursuivi par chaque
belligérant et l’acte ultime par lequel toujours se conclut l’affrontement,
quand un des protagonistes doit reconnaître qu’ayant reçu plus de coups
qu’il n’a pu en férir, il est indiscutablement battu, c’est à dire vaincu.
- -
Les Anciens n’avaient pas plus que nous une haute considération pour
la violence, même s’ils la rangeaient au chapitre des maux nécessaires,
ce qu’indiquent les mots batterie (comme chamaillerie, rouerie, fâche
rie, coucherie, etc.) qui signifie originellement le fait, voire la manie, de
se battre, ou bataille, qui vient de l’italien battaglia mais dont la terminai
son prend en français une coloration légèrement péjorative (comme dans
valetaille, marmaille, piétaille, boustifaille, etc.)
la lisière (et comme on prit l’habitude de recruter ces hommes parmi les
braconniers, on les appela chasseurs). La cavalerie légère reçut mission
R
/C
de battre l’estrade c’est à dire courir les routes (de l’italien strada) ou de
-
-
battre la campagne, afin de découvrir l’ennemi et d’intercepter ses cou
M
Le sens du terme évolua encore avec le progrès des armes de jet puis des
armes à feu. Puisque battre un adversaire signifiait lui porter des coups,
ce qui revient à dire que les coups doivent atteindre un but déterminé,
on en vint à dire d’une arme dont les projectiles – qu’on finit par appeler
eux mêmes coups – atteignaient effectivement un but ou un objectif, qu’elle
-
battait l’objectif. Puis par une nouvelle extension, la possibilité même de
toucher l’objectif détermina le sens du terme et un terrain fut considéré
comme battu dès lors que des armes étaient positivement en mesure de le
battre. C’est ainsi qu’un terrain, un passage, un obstacle, furent dits battus
alors qu’aucun coureur ne les parcourait et qu’aucune arme n’y tirait, par
la seule magie de la volonté du chef qui avait adroitement placé des tireurs
susceptibles de battre effectivement tout ennemi qui s’y présenterait.
désignées par leur mission : on eut donc des batteries à ricochet, de revers,
R
battre en brèche une courtine ou plus souvent encore la face d’un bastion,
M
Abattre, qui signifiait d’abord frapper jusqu’à terre ou à mort, finit par signi
fier simplement tuer ou faire tomber, d’où le verbe dériva vers le prono
minal dans le sens d’une chute volontaire et nettement agressive : ainsi
le faucon s’abattit sur sa proie et les cosaques sur les traînards de la
Grande Armée (au sens figuré parce que les cosaques sortent des bois et
ne tombent pas du ciel), avant que, dans le ciel moderne, les bombardiers
en piqués ne s’abattent sirènes hurlantes sur les défenseurs des ponts de
la Meuse.
-
-
pour annoncer l’intention de rendre la place ou d’amener son pavillon et,
soit que la rapidité de la mesure évoquât les battements du cœur amou
reux, soit que la reddition de la place évoquât la fin de la résistance de
la personne aimée, l’expression passa dans le registre de la séduction.
On battait la diane à l’aube pour éveiller le bivouac et la retraite le soir
pour rappeler les patrouilles et les corvées envoyées en dehors du camp.
On battait en retraite durant le combat pour ordonner à l’armée d’aban
donner le champ de bataille et, contrairement à Larousse, nous ne
pensons pas que l’expression signifiait « combattre en retraite » parce qu’il
fallut attendre la fin du XVIII e siècle pour qu’on puisse effectivement livrer
combat tout en reculant. Batterie signifiant le fait même de battre, on
appela bientôt batteries les morceaux et signaux exécutés par les tam
bours et de là le mot finit par désigner ceux là même qui battaient, et le
-
corps des tambours devint la batterie. Et comme on battait les œufs très
vivement pour faire une omelette et qu’il y fallait une certaine dextérité,
les soldats baptisèrent « omelette » une batterie très rapide et d’exécution
S
difficile et le surnom resta au célèbre Rigaudon d’honneur, batterie pour
EM
donne le nom de l’instrument à celui qui en joue. C’est ainsi qu’on dit que les
CE
seuls.
CP
Nous clorons cette rubrique avec le battage et le verbe rabattre qui, comme
les tambours, ramènent aux considérations sur le bruit et la transmission
des ordres. Le battage désigne toujours l’action de battre les épis mais
faire du battage revient à faire de la publicité ou de la réclame. Or, le battage
a aussi désigné autrefois la capacité d’un canon à tirer sans obstacle,
donnant le secteur de battage, angle à l’intérieur duquel aucun obstacle
n’empêche de pointer ou de tirer. On ne manque pas de s’interroger sur
le rapport qu’il peut y avoir entre le tir du canon et la publicité. Rabattre
pourrait nous fournir un indice. Après avoir été employé dans le sens de
parer un coup, rabattre en vint à signifier pousser ou repousser dans une
autre direction. Et comme les rabatteurs battent à grand bruit les taillis
afin de pousser le gibier vers la ligne de battue, il arrive qu’une troupe se
fasse voir ou entendre dans le seul but d’attirer l’attention de l’ennemi ou
de le pousser dans une direction opposée. Il arrivait souvent au XVII e et
au XVIII e siècle que la cavalerie reçoive mission d’aller faire du bruit. Et
une frégate envoyée en reconnaissance devait virer de bord à la vue de
-
les guerres du XIX e siècle n’avaient peut être pas pour fonction essen
-
tielle de ralentir l’ennemi ou de le tenir à distance mais bien d’informer le
commandement sur la position de l’ennemi bien mieux et plus vite que
n’aurait pu faire un agent de liaison. En ce temps là, marcher au canon
-
n’était pas seulement une façon de parler mais un acte élémentaire,
et faire du battage revenait peut être à donner l’alerte à coup de canon.
-
Où l’on voit que le fracas des armes est non seulement l’effet du combat et
de la bataille mais bien souvent un de ses buts essentiels quand il n’en est
pas le but unique, ce qui nous renvoie à la question de la publicité d’une
part, de la nature de la bataille d’autre part.
S
EM
R
/C
M
CE
C/
CP
Directeur de la publication
Général de division Pascal FACON
Rédacteur en chef
Colonel Christophe de LAJUDIE. Tél. 01 44 42 52 63
S
Éditeur rédactionnel
EM
Couverture :
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Conception graphique
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