La Civilisation Grecque (VIII Les Racines de La Culture Européenne
La Civilisation Grecque (VIII Les Racines de La Culture Européenne
La Civilisation Grecque (VIII Les Racines de La Culture Européenne
1. Les 2 guerres médiques (490 et 480-78) : les Grecs unis face aux Perses.
2. La Ligue de Délos : la montée de l’impérialisme athénien sous Périclès.
3. La Guerre du Péloponnèse (430-404) : l’affrontement entre Sparte et Athènes.
4. Au IVe siècle : la lutte pour une impossible hégémonie entre Sparte, Athènes et
Thèbes épuise les cités grecques.
5. Philippe II de Macédoine et la bataille de Chéronée (338) : la victoire de la
Macédoine et la fin de l’indépendance des cités.
Les Grecs ont connu deux formes principales d'organisation politique: le peuple
(ethnos) et la cité (polis).
Le peuple (ethnos) : une population dispersée sur un territoire étendu où elle vit
essentiellement dans des villages (komè) est réunie par des liens politiques faibles. Des
régions au nord du monde grec sont organisées de la sorte : Macédoniens, Thessaliens,
Epirotes…
Une cité (polis) est une communauté politique autonome formée d'hommes
habitant sur un territoire qui comprend à la fois des zones rurales avec des villages et
une zone d'habitat plus développé que l'on peut appeler « ville ». Le terme de cité a donc
un sens proche de celui de notre terme moderne d’« Etat ».
des lois, et avaient des cultes réservés aux membres de la communauté. Grâce à sa force
militaire, la cité était indépendante. À partir du VIe siècle, toutes les cités affichèrent leur
identité en frappant leur monnaie. Elles se trouvaient surtout dans le Péloponnèse, dans
les îles de la mer Egée, la région des Détroits, et sur les rivages colonisés de la
Méditerranée et de la mer Noire. Il y en eut plusieurs centaines.
Comme les organes du pouvoir étaient en ville, les hommes libres des villages, à
cause de leur éloignement, pouvaient avoir du mal à y participer. C'est pourquoi les
premières constitutions furent oligarchiques, avec des citoyens de pleins droits qui
habitaient en général la ville.
Pourtant, l’idéologie aristocratique exaltait la défense des terres et non la défense
de la ville. C'est pourquoi, dans la cité idéale de Platon, le meilleur citoyen est le petit
propriétaire foncier, et non l'artisan qui travaille en ville.
cultivables. Cette stenochoria (manque de terre) avait été l'une des causes du mouvement
d'émigration des Grecs, elle demeure la principale source de conflits et de revendications
dans les cités archaïques. Elle provoque une stasis, une situation de crise interne qui met
la cité au bord de la guerre civile.
C’est alors qu’apparaissent deux types de personnages : soit un aisymnète, un
législateur qui, comme Lycurgue à Sparte, va donner à la cité des lois qui rétablissent la
paix civile, soit un tyran (tyrannos) qui va accaparer le pouvoir au sein de sa famille, le
temps d’une à deux générations.
Attention : que ce que nous appelons tyrannie dans notre vocabulaire moderne, le
pouvoir absolu d'un seul, n'a pas grand-chose à voir avec les tyrannies archaïques.
Le tyran est issu d'une famille aristocratique. Il exerce d'abord une magistrature
de façon légale, puis conserve ce pouvoir au-delà du temps permis, cette fois de façon
illégale. Il peut aussi prendre le pouvoir par la force et il le garde de toute manière par la
force. Le tyran met en sommeil la constitution existante et gouverne seul entouré de
quelques familiers; il mène parfois une politique de rabaissement de l'aristocratie, qui peut
aller jusqu'à l'exil des grandes familles, la mort de certains de leurs membres, et s'en prend à
leurs biens. Le tyran, bien que d'origine aristocratique, gouverne sans et contre les siens. Il
peut s’appuyer sur le démos, dont il préserve les intérêts par une politique démagogique.
La tyrannie réussit parfois où l'oligarchie a échoué: éviter ou mettre fin à la guerre civile.
Un trait commun à de nombreuses tyrannies est leur aspect militaire. Le tyran
s'entoure d'une garde et il mène des guerres extérieures. Il est lui-même, ou ses
descendants, souvent assassiné. En effet la parenthèse tyrannique est en général brève,
elle s'insère dans la chaîne des gouvernements aristocratiques pour une ou deux
générations. A la disparition d'une tyrannie, le gouvernement aristocratique retrouve sa
légitimité et ses droits.
Quelques-unes de ces tyrannies sont célèbres, notamment celle des Pisistratides à
Athènes. La tyrannie s'instaure à Athènes alors que les familles aristocratiques sont en conflit
entre elles vers 561. La tyrannie de Pisistrate se déroule de 561 à sa mort en 528-527.
Son œuvre est importante. Pisistrate mène une politique modérée dans tous les
domaines. Il exile temporairement certains de ses adversaires, mais ne touche pas à leurs
biens. Vis-à-vis des paysans, Pisistrate ne procède à aucun partage des terres, mais il prête aux
plus pauvres de quoi cultiver leurs terres. Il fait frapper les premières monnaies athéniennes
(avec une chouette au revers et une tête d’Athéna au droit). Il fait construire des monuments :
sur l'Acropole, un grand temple d'Athéna, aux pieds de celle-ci le temple de Zeus, sur l'agora
l'autel des douze dieux et une fontaine publique, l'Enneacrounos, liée au premier réseau
d'alimentation en eau de la ville. De tels chantiers donnent du travail aux habitants de la ville.
Sur le plan religieux, Pisistrate organise les cultes civiques: le culte d'Athéna, avec la fête des
Grandes Panathénées, caractérisée par une grande procession et un sacrifice ; le culte de
Dionysos avec les Grandes Dionysies caractérisées par les 1 ères représentations théâtrales ;
celui de Déméter avec les Mystères qui ont lieu dans le sanctuaire d'Eleusis.
Après la mort de Pisistrate, ses deux fils Hippias et Hipparque lui succèdent. Mais
Hipparque est assassiné en 514, et Hippias renversé en 510. Là encore, la tentative de
transmission héréditaire du pouvoir au sein de la famille du tyran échoue. La chute de la
tyrannie, ici comme dans d'autres cités, laisse la place libre pour le retour d'un gouvernement
oligarchique. Pourtant 2 ans plus tard, à Athènes, un nouveau régime va se mettre en
place : la démocratie…
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criminelles. Son prestige et son pouvoir sont donc grands. Son mode d'élection est
qualifié par Aristote de « puéril » . Si un géronte venait à mourir, les candidats à sa
succession se présentaient devant le peuple assemblé, dans un ordre déterminé par le sort. Le
volume des applaudissements qui saluaient l'apparition de chaque candidat était évalué par
des juges enfermés dans une maison voisine, et celui qui avait recueilli le plus
d'applaudissements était déclaré élu. On était géronte à vie.
intervenir dans la discussion. Les séances de la Boulé étaient présidées par les prytanes,
c'est-à-dire les 50 bouleutes de la tribu qui pendant 1/10 e de l'année exerce la prytanie.
L’année était divisée en 10 prytanies de 36 ou 35 jours.
c. Le rôle et l’importance des prytanes.
Ce sont les prytanes qui convoquent la Boulé, lui indiquent son ordre du jour et le
lieu où se tiendrait la séance.
Théoriquement les prytanes étaient astreints à garder la cité de nuit et de jour. Ils
devaient donc pendant le temps de leur prytanie loger dans un édifice qui leur était
spécialement affecté, la Tholos ou Skias.
L’épistate qui commandait les prytanes était tiré au sort chaque jour parmi les
cinquante prytanes en exercice et ne pouvait exercer sa fonction qu'une fois. Il présidait
une séance de la Boulé ou de l'Ecclésia, détenait le sceau de l'État, les clés des temples où
se trouvaient enfermées les archives et le trésor de la cité.
Les prytanes convoquent en cas d'urgence l'assemblée et le conseil. Ce sont eux
qui reçoivent les ambassadeurs étrangers et les hérauts, à eux que sont remises les lettres
et missives officielles. Ce sont eux qui veillent à la restitution des sommes empruntées
par l'État au trésor de la déesse. ils ont donc de très grandes responsabilités.
devant le conseil. En outre, la Boulé pouvait rayer des listes civiques tous ceux qui y
étaient indûment inscrits. Elle avait enfin jusqu'en 403 au moins le droit de procéder à la
prise de corps.
c. …mais des pouvoirs déclinants au IVe siècle.
Aristote remarque que ses pouvoirs ont diminué au IVe siècle. En réalité, le conseil
ne pouvait plus prononcer la peine de mort ou d'emprisonnement, ni infliger une
amende supérieure à 500 drachmes, sans en référer à un tribunal. D'autre part, tout
jugement de la Boulé pouvait être appelé par l'accusé devant un autre tribunal. Même la
procédure de dokimasie, c'est-à-dire l'examen des magistrats à leur entrée en charge pouvait
faire l'objet d'une telle procédure d'appel.
Pourquoi toutes ces restrictions ? Elles sont à mettre en relation avec la crise que
subit la démocratie athénienne à la fin du Ve siècle. Les deux révolutions oligarchiques
de 411 et de 404 ont montré qu'une partie des Athéniens aspire à la paix, et pour cela est
prête à accepter un régime d'oligarchie modérée. Or c'est parmi ceux qui sont les
principales victimes de la guerre, petits propriétaires moyens ou artisans aisés, que se
recrutaient les bouleutes.
1. La Ligue péloponnésienne.
Mise en place dès la seconde moitié du VIe siècle, elle a regroupé autour de Sparte,
jusqu’au IVe siècle, un certain nombre de cités du Péloponnèse (Élis, Tégée, Orchomène,
Mantinée, Phlionte, Corinthe, Sicyone, Mégare). Les membres de cette alliance jouissent de
leur entière indépendance, mais sont liés entre eux par un accord qui leur fait obligation de
participer à la guerre déclarée par la Ligue et d'observer la paix décidée par elle. Les décisions
sont prises au cours d'un congrès où sont envoyés les représentants des différentes cités
membres de la Ligue. Des avis divergents peuvent s'exprimer mais, une fois le vote final
intervenu, chacun a le devoir de respecter la ligne arrêtée. L'hégémôn de la symmachie est
alors chargé de lever les contingents nécessaires : au début, Sparte fournissait le tiers des
forces totales et les alliés les deux autres tiers.
La Ligue ne possède pas de structures permanentes et n'entre en vigueur que pour
mener une guerre; en dehors de ce cas, les cités membres sont parfaitement libres de mener la
politique qui leur plaît, de nouer les alliances qu'elles souhaitent et même de se faire la guerre
entre elles, sous réserve d'y mettre fin quand une action commune est décidée contre un
ennemi commun.
Au lendemain de la guerre du Péloponnèse, Sparte, à l'apogée de sa puissance, exige
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de ses alliés une fidélité absolue. Mais il faut bien admettre que la symmachie
péloponnésienne a fonctionné avec une certaine souplesse. Dans le cadre de cette symmachie,
la plupart des cités du Péloponnèse, à l'exception d'Argos, ont partagé pendant près d'un siècle
et demi une certaine communauté de vues en politique extérieure.
son importance. Le trésor de la symmachie est alimenté non plus par un phoros (tribut), mais
par des syntaxeis (contributions) dont le montant est fixé par le Conseil.
b. L'échec de cette symmachie.
Des révoltes et des défections se sont produites assez tôt dans cette organisation. Dès
371, Thèbes quitte l'alliance, car elle veut faire reconnaître la Confédération béotienne
qu'Athènes ne soutient pas. En 364, Rhodes et Byzance font défection une première fois avant
de réintégrer l'alliance. En 362, c'est le tour de plusieurs cités de l'île de Kéos. Puis, en 357,
c'est un soulèvement général qui se prolonge jusqu'en 356, prenant l'aspect d'une véritable
guerre que nous appelons la « guerre des alliés » et qui s'achève par la défaite des Athéniens.
Seules quelques cités demeurent encore fidèles à Athènes, mais c'est bien la fin de la Ligue.
L'échec de cette seconde symmachie athénienne est généralement imputé aux
exactions et aux abus d'autorité qu'Athènes aurait à nouveau commis, sans tirer les leçons de
sa première expérience. En réalité, pas plus qu'au Ve siècle, les alliés n'ont supporté les
garnisons, les gouverneurs, les clérouques et les contributions qu'Athènes leur a à nouveau
imposés. Pourtant, il semble que ces garnisons n'auraient été placées que dans les cités
menacées par la subversion; les clérouquies ne sont attestées au IVe siècle qu'à Samos,
Potidée et dans des cités de Chersonèse de Thrace qui ne font pas partie de la Ligue ou encore
dans des cités comme Lemnos, Imbros et Skyros qui sont possessions athéniennes. De plus,
les syntaxeis étaient, à l'origine, des contributions irrégulières levées en cas de besoin et qui
ne sont devenues régulières qu'à une date assez tardive. Quant aux défections massives de
357, elles seraient dues moins au mécontentement des alliés qu'aux intrigues du satrape de
Carie, Mausole, qui cherche à déstabiliser Athènes. Néanmoins, on ne peut manquer d'être
frappé par la précocité des premières manifestations de rejet (les défections de Chios, Rhodes
et Byzance dès 364) et par la brutalité de certaines réactions athéniennes, notamment à l'égard
de Kéos en 362. Si les révoltes du IVe siècle n'ont pas eu très précisément les mêmes causes
que celle du Ve siècle, l'attitude générale d' Athènes à l'égard de ses alliés a dû rester
sensiblement la même.
l'un des documents. Mais chaque ville conserve sa monnaie. On peut penser d'ailleurs que
l'unité de l'île remonte au-delà du IVe siècle, car des textes littéraires aussi bien
qu'épigraphiques utilisent fréquemment l'expression globale « les Kéiens », mais il n'est pas
assuré que cette unité ait pris dès cette époque la forme d'un État commun. Le cas de Kéos est
donc assez représentatif de la tendance qu'ont certaines cités, surtout lorsqu'elles sont
voisines, à se regrouper pour former un État commun.
Ce type de regroupement peut prendre une ampleur beaucoup plus considérable quand
il met en jeu un grand nombre de cités, comme nous allons le voir avec le Koinon.
Alexandre en 335, la communauté béotienne revit au début du III° siècle et tient son rang sur
la scène internationale.
Ce qui caractérise ce troisième Koinon, c'est: a) qu'une plus grande égalité existe entre
les cités qui le composent; il est remarquable, par exemple que l'Assemblée fédérale ne se
réunit plus à Thèbes, mais à Onchestos, au voisinage d'un sanctuaire de Poséidon; b) que
l'identité des différentes cités n'est pas absorbée par l'organisation fédérale. Sans doute est-ce
cet équilibre qui a assuré la longévité de cette troisième communauté formée par les cités de
Béotie.
b. Le Koinon des Thessaliens
Il s’oppose au précédent par son caractère tribal, qui subsiste encore au IV° siècle.
Dans ce koinon, à côté de cités de type classique, les poleis, on trouvait de nombreux
peuples dont l'organisation politique était très primitive. Il semble que ces peuples se
trouvaient placés par rapport aux Thessaliens dans un état de dépendance qu'on a pu comparer
à celui des périèques lacédémoniens. Xénophon d'ailleurs emploie ce terme (Helléniques, VI,
I, Il) pour désigner les peuples qui vivaient sur les confins de la Thessalie dans la région du
Pinde et la vallée du Spercheios. Mais ils sont parfois dans les textes désignés comme alliés
des Thessaliens, ou encore comme « soumis » (hypekooi). Ils paient tribut et envoient des
contingents à l'armée fédérale, mais ils frappent leurs propres monnaies et ont des
représentants distincts de ceux du Koinon thessalien au sein de l'amphictyonie delphique.
L'organisation même du Koinon thessalien pose de nombreux problèmes. On a
longtemps pensé que la cité au sens juridique du terme n'aurait fait son apparition que
tardivement en Thessalie. On admet au contraire aujourd'hui l'origine assez ancienne de cités
comme Phères, Pharsale, Larissa ou Crannon. Par ailleurs on sait que ces cités ont été
longtemps dominées par une aristocratie de grands seigneurs éleveurs de chevaux qui se
disaient descendants des Héraclides. Le chef du Koinon thessalien portait alors le titre de roi
et était pris parmi les membres de ces clans aristocratiques.
Une première transformation du Koinon aurait eu lieu à la fin du VIe siècle sous le
règne d'Aleuas. Celui-ci aurait groupé les cités thessaliennes en quatre tétrades ayant à leur
tête un tétrarque, et cette division subsistera dans ses grandes lignes jusqu'à l'époque romaine.
Le tétrarque placé à la tête de chaque tétrade était le représentant de l'autorité fédérale. Mais
vers le milieu du Ve siècle, se serait produit en Thessalie un changement assez profond: le
pouvoir de l'aristocratie des Héraclides aurait été contesté par les cavaliers qui constituaient
l'essentiel de la force militaire des cités, et qui, prenant appui sur les Pénestes dont la
condition était voisine de celle des hilotes spartiates, auraient réussi à imposer l'établissement
dans les cités thessaliennes d'un régime oligarchique modéré, en même temps qu'une
transformation des institutions fédérales. Les tétrades auraient alors eu à leur tête non plus des
tétrarques émanant du pouvoir fédéral, c'est-à-dire du roi et de l'aristocratie, mais des
polémarques, magistrats élus pour un an par les cités membres de la tétrade. En même temps
la royauté aurait fait place à la tageia, élective comme elle, mais qui n'était plus désormais
réservée à la seule aristocratie des Héraclides.
A la fin du Ve siècle cependant, certaines cités thessaliennes, Phères en particulier,
connaissent une nouvelle évolution: la tyrannie s'y établit contre la vieille aristocratie et la
nouvelle oligarchie des cavaliers. C'est peut-être alors que les Pénestes cessent d'être asservis
pour devenir des hommes libres et servir dans l'infanterie dont les effectifs deviennent de plus
en plus importants, diminuant par là même la place de la cavalerie dans l'armée thessalienne.
En même temps les tyrans de Phères, et le plus brillant d'entre eux, Jason, réussissent à mettre
la main sur la tageia, faisant jouer un rôle important à la Thessalie dans les affaires grecques.
Mais les excès du successeur de Jason, Alexandros, puis les manœuvres de Philippe entraînent
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une rapide évolution. En 346, Philippe réorganise la ligue thessalienne, rétablit les tétrarques
et devient lui-même l'hégémon de la ligue cependant que le titre de tagos disparaît. Jusqu'à la
conquête romaine, la Thessalie allait demeurer sous le joug macédonien.
Ce bref résumé dit assez combien il est difficile d'étudier le Koinon thessalien en tant
qu'État fédéral. Nous pouvons cependant affirmer que l'intégration y était assez sensiblement
poussée. Un passage des Helléniques de Xénophon confirme qu'à côté de la citoyenneté locale
il y avait une citoyenneté commune (Helléniques , IV, 3,3). Cette citoyenneté commune
impliquait l'existence d'une politeia des Thessaliens et de lois communes.
En revanche, nous savons très peu de choses sur l'organisation de l'assemblée
fédérale thessalienne. En effet dans les textes nous trouvons indifféremment les expressions,
hoi Thessaloi ou to koinon Thessalôn. Il est donc presque impossible de savoir s'il s'agissait
d'une assemblée primaire ou d'une assemblée composée de délégués des cités. Le caractère
vague de la formule ferait plutôt pencher en faveur de la première hypothèse, mais on peut
penser que les cités avaient conservé au sein du koinon une certaine indépendance et que par
là même l'assemblée fédérale devait être composée de délégués. On ignore également quelle
était la fréquence de ses réunions et le lieu de celles-ci. Ces assemblées se réunissaient-elles
daris une des grandes cités thessaliennes, Pharsale, Larissa ou Crannon. Autant de questions
auxquelles il est presque impossible de répondre. En revanche, les attributions de l'assemblée
fédérale sont bien connues par divers textes: c'est l'assemblée fédérale qui élit le tagos, et qui
contrôle son activité; c'est elle qui mobilise l'armée fédérale, qui conclut les alliances et les
traités de paix, qui dispose des ressources communes. Elle est donc l'autorité suprême.
Y avait-il, à côté de cette assemblée fédérale, un conseil plus restreint qui aurait eu
des fonctions probouleutiques ? Là encore la question est controversée. On a imaginé qu'il y
aurait eu un conseil d'anciens, sorte de Gérousia dont l'existence reste problématique. Aucune
Boulè n’est mentionnée dans le traité qui en 361/0 fut conclu entre la ligue thessalienne et les
Athéniens.
Les obscurités sont nombreuses également en ce qui concerne les magistratures
fédérales, et d'abord la plus importante d'entre elles, la tageia. L e tagos, nous l'avons vu,
apparaît comme le chef du Koinon thessalien à partir du milieu du V° siècle et le titre subsiste
jusqu'à la chute d'Alexandre de Phères en 369. Ensuite le chef du Koinon thessalien porte le
titre d'archonte et à partir de Philippe d'hégémon. Ses pouvoirs sont extrêmement étendus: il
est le chef suprême de l'armée et c'est lui qui ordonne la mobilisation de toutes les forces
militaires. Il dispose des ressources fédérales. Il jouit d'une autorité particulière sur les
peuples périèques. Cette autorité n'est pas limitée dans le temps. La tageia n'est pas une
magistrature annuelle mais, semble-t-il, viagère. Les autres magistrats fédéraux étaient les
polémarques, élus annuellement et éponymes, les hipparques sans doute également au nombre
de 4 qui commandaient la cavalerie thessalienne, et les pézarques au nombre de 16.
Le nom même de ces magistrats dit assez leur caractère militaire. Mais sur l'armée
fédérale aussi nous sommes assez mal renseignés.
Le premier problème est celui des cléroi. Il semble en effet que le cléros était une
circonscription territoriale à caractère militaire, chaque cléros fournissant 40 cavaliers et 80
hoplites. Cela évidemment est en contradiction avec ce que l'on sait par ailleurs de
l'autonomie des cités au sein du Koinon. Mais on peut penser que le territoire de chaque cité
comprenait un certain nombre de cléroi, et que de ce fait la contribution militaire de chacune
était proportionnelle à son importance.
Le second problème est celui de l'importance de la cavalerie thessalienne. Alors que
dans les armées grecques le rapport entre cavalerie et infanterie des hoplites est de l'ordre de 1
à 8, en Thessalie la cavalerie représente au moins la moitié des effectifs de l'infanterie. Encore
au IV° siècle, au temps de Jason, celui-ci se vante de pouvoir rassembler 6000 cavaliers et
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10000 hoplites (Helléniques, VI, I, 8). A ces 10 000 hoplites, on peut ajouter l'infanterie légère
des peltastes. En réalité lorsque, ayant convaincu Pharsale d'accepter sa domination, il est élu
tagos, c'est 20000 hoplites et 8000 cavaliers, sans compter un grand nombre de peltastes, qu'il
peut rassembler, ce qui traduit une transformation de la société thessalienne et l'importance
affaiblie de la cavalerie aristocratique. Cependant, si une partie des peltastes étaient les
contingents fournis par les cités thessaliennes, d 'autres étaient des mercenaires à sa solde,
environ 6 000 hommes qui lui étaient entièrement dévoués. Mais c'est là un trait propre au IVe
siècle, et Jason, s'il était tagos de Thessalie, était aussi tyran de Phères, il ne faut pas l' oublier.
Quant aux finances fédérales, nous ignorons tout de leur organisation. On peut
admettre que chaque cité entretenait à ses frais le contingent qu'elle envoyait à l' armée
fédérale. Sur le plan financier par conséquent, l'intégration n'était pas aussi poussée que sur le
plan militaire, chaque cité conservant sa propre monnaie et son autonomie financière. Il n'en
existait pas moins un trésor fédéral et par ailleurs un passage de Xénophon montre que le
tagos pouvait prélever sur les cités membres du Koinon un impôt en nature destiné à assurer
la préparation des grandes fêtes religieuses: ainsi lorsque Jason revint de la campagne de
Béotie en 370, il fit contribuer chaque cité à la préparation des Pythies, chacune devant
fournir un certain nombre de bœufs, de moutons, de chèvres et de porcs pour les sacrifices.
La ligue thessalienne apparaît donc comme un État fédéral plus unitaire que les
symmachies athéniennes ou péloponnésiennes, mais moins fortement structuré que la
confédération béotienne ou que la ligue chalcidienne. Cela tient assurément au caractère
relativement tardif de son évolution sociale et politique, aux traits particuliers que lui donne
au IVe siècle l'autorité exercée par les tyrans de Phères, puis après 346, celle de Philippe de
Macédoine.
Chapitre 3
Leçon 1 :
Les citoyens dans le monde grec.
vendus comme esclaves, qu'ils fussent en Attique ou à l'étranger" (Plutarque, Vie de Solon,
15,6). On imagine la difficulté que Solon a dû rencontrer pour obtenir la libération des
Athéniens vendus en esclavage à l'étranger. Le statut d'hectémore disparaît totalement,
tout comme la servitude pour ces paysans endettés.
Des réformes politiques vont enfin définir le cadre de la vie civique athénienne.
Plutarque, Vie de Solon, 18, 1-3, attribue à Solon la répartition des citoyens, Eupatrides
comme artisans et paysans, en quatre classes censitaires. Aristote, Constitution d'Athènes, VII,
3 pense plutôt que Solon reprend une division en quatre classes qui existait déjà:
- Pentacosiomédimnes, qui récoltaient 500 mesures de grains ;
- Hippeis ou chevaliers, qui récoltaient plus de 300 mesures de grains ;
- Zeugites, qui récoltaient plus de 200 mesures de grains ;
- Thètes, qui réunissent tous les autres.
C’est à partir de cette classification que sont réparties les charges, les arkhai, sur une
base censitaire, timocratique, alors qu’auparavant c’était par la naissance.
En résumé, les réformes de Solon marquent un tournant capital dans la définition du
corps civique athénien : par le « rejet du fardeau », il fait disparaître une catégorie de
dépendants, les pélatai et les hectémores, de façon définitive, pour les réintroduire dans la
communauté des citoyens; l'esclavage pour dettes, la contrainte par corps est désormais
interdite. Le corps civique est formé durablement, avec sa hiérarchie fondée sur les revenus
fonciers: les magistratures restent du domaine des grands propriétaires, les petits paysans et
les artisans ne participent à la vie politique que par l'assemblée et les tribunaux.
Il semble bien que la disparition de la catégorie des dépendants s’accompagne, par
compensation, d’un accroissement du nombre des étrangers et des esclaves importés de
l’extérieur; Plutarque, Vie de Solon, 22, 1, le souligne bien: "La ville se remplissait
d'étrangers qui ne cessaient d'affluer de toutes parts en Attique pour y jouir de la sécurité";
ils se livrent aux activités commerciales et artisanales. Solon élargit, en outre, le corps
civique en accordant la politeia à des étrangers comme le précise Plutarque, Vie de Solon,
24, 4 : "Sa loi sur les naturalisations est difficile à comprendre: il ne permet d'accorder le
droit de cité qu'à des gens bannis à perpétuité de leur pays ou qui viennent s'établir à Athènes
avec toute leur famille en vue d'y exercer une techné, un métier". Il y a donc élargissement du
corps civique par naturalisation et notamment en faveur des gens spécialisés dans un métier,
ce qui rejoint le souci de favoriser le développement de ces activités artisanales.
beaucoup d'entre eux vivent sur les ressources de l'Etat ou grâce à sa politique impérialiste.
L'empire nourrit la cité et Périclès institue l'indemnité des juges, le misthos héliasticos.
Numériquement, le corps civique a augmenté, simplement par accroissement naturel, puisque
depuis Clisthène, on ne voit plus de naturalisations collectives notables: à la veille de la
guerre du Péloponnèse, en 431 , on compte plus de 40 000 citoyens contre 30 000, cinquante
ans plus tôt ; d’autre part, sa composition s'est modifiée: si, en 480 les deux tiers des citoyens
étaient des thètes, en 431, cette proportion est tombée à la moitié: il y a toujours 20000 thètes,
mais les classes supérieures, sans doute surtout celle des zeugites, ont doublé leurs effectifs.
La pauvreté a reculé.
Cette grande richesse, surtout terrienne au début du siècle, tend à se diversifier ; la
terre est une valeur sûre mais de faible rapport. Le grand commerce, la production tournée
vers l’exportation assurent de plus gros bénéfices. L'attraction de la ville provoque l’exode de
la population des campagnes vers la ville. Le paysan citoyen, qui était la force d'Athènes à la
génération des Marathonomaques, parait une survivance inutile, 50 ans plus tard. C'est un
bouleversement considérable au sein de la communauté des citoyens entre 480 et 431.
de 411, qui est rapportée par Thucydide, VIII et Aristote, Constitution d'Athènes, XXIX-
XXXIII.C'est le courant oligarchique qui réapparaît dans la cité aux prises avec des difficultés
de plus en plus grandes après le désastre de Sicile qui a coûté la perte de 12000 citoyens, dont
3000 hoplites; il veut restreindre le corps civique aux 5000 citoyens les plus capables de
servir par leurs biens et leurs personnes. En attendant, une Boulè de Quatre Cents membres
cooptés remplace le Conseil des Cinq Cents, tirés au sort. On a déjà signalé la réaction des
marins athéniens embarqués sur la flotte qui est à Samos, leur constitution en une Ecclésia qui
est l'assemblée des Athéniens, puisqu'ils sont la majorité. A Athènes même, les excès des
Quatre Cents poussent Théramène et ses amis à souhaiter la mise en place des Cinq Mille; la
liste en est dressée et le Pseudo-Lysias, Pour Polystratos, 13, précise qu'elle comptait, en
réalité, 9000 noms, ce qui fait retrouver le nombre des hoplites athéniens à Marathon, et tout
au long du Ve siècle, c'est-à-dire des membres des trois premières classes censitaires.
Thucydide, VIII, 97, 1, confirme cette interprétation de la liste des Cinq Mille, lorsqu'il
rapporte que les Quatre Cents sont chassés après l'échec d'Érétrie et qu'une Ecclésia, réunie à
nouveau à la Pnyx, confie le pouvoir aux Cinq Mille dont "feraient partie tous ceux qui
pouvaient s'armer eux-mêmes en hoplites". Dans l'été 410, la démocratie est restaurée, mais la
crise a montré le risque grave de guerre civile parmi les citoyens athéniens, dont les uns n'ont
rien à perdre que leur politeia, tandis que les autres jugent trop coûteux l'entretien des
premiers et préfèreraient les rejeter hors de la communauté civique.
C’est ainsi qu’en 404, après le désastre d'Aigos Potamos, Athènes capitule et les
tenants de l'oligarchie reprennent le dessus. La tyrannie des Trente limite à 3 000 le nombre
des citoyens, désignés par Critias, tous les autres, désarmés, n'ont plus aucun droit. La victoire
de Thrasybule et des émigrés de Phylé et du Pirée restaure la démocratie.
siècle: en 322, seulement 9 000 athéniens gardent le droit de cité parce qu'ils ont une fortune
supérieure à 2000 drachmes, 12000 sont exclus du corps civique, sans parler de ceux qui ont
accepté de s'expatrier en Thrace, 10000 dit-on qui étaient des thètes. La terre a été achetée par
les citoyens les plus riches.
oppositions entraînent aussi la désaffection des riches pour le régime démocratique et leur
volonté de changement en faveur de l’oligarchie. Des rapprochements s'opèrent plus
facilement entre riches de statuts différents: citoyens, métèques, affranchis ou étrangers.
Enfin, le déplacement de la population pauvre vers la ville accroît les inquiétudes des riches.
On constate, d'autre part, dans la première moitié du IVe siècle, une désaffection des
citoyens pour leur devoir militaire. La longueur de la guerre du Péloponnèse, la défaite
d'Athènes contribuent à ce refus du métier des armes. Les Athéniens cherchent à échapper à
toute participation personnelle aux opérations militaires et préfèrent confier le sort de la cité à
des mercenaires, pourtant peu sûrs et très coûteux. La génération de Chéronée marque un
changement. Sans doute contraints par l’appauvrissement de l’Etat qui ne peut plus faire face
aux frais de l'entretien d'une armée de mercenaires, et peut-être aussi en raison d’un sursaut
d'esprit civique, les Athéniens reprennent en mains leur propre défense; les discours
enflammés de Démosthène contre les dangers de la politique expansionniste de la Macédoine
contribuent à ce renouveau patriotique. L’armée athénienne qui est défaite à Chéronée, en
338, est une armée de citoyens et non de mercenaires : les morts de Chéronée sont dignes de
ceux de Marathon et de Salamine.
(xénoi) :" Mais voici ce que la bande a fait de plus fort ...: des étrangers, Anaximénès et
Nicostratos, voulaient devenir citoyens (politès); ils les ont admis, moyennant une somme
qu’ils se sont partagée à raison de cinq drachmes par tête", Contre Euboulidès,59. Isée, La
défense d'Euphilétos, 2, souligne l'intérêt que présentent les privilèges attachés à la politeia
athénienne, puisque, pour l'obtenir, des étrangers acceptent d'entretenir un père adoptif. On
imagine toutes les intrigues et toutes les jalousies de village que peuvent entraîner ces débats!
Cet examen des candidats (la docimasie) précédait l'inscription sur le registre du dème
(lexiarchicon grammateion) gardé par le démarque. Si les démotes estiment que le candidat
n'est pas libre et de naissance légitime, il peut faire appel au tribunal (dicastérion):
"Le dème de son côté élit cinq de ses membres pour soutenir l'accusation. Si le
tribunal décide qu'en effet il n'a pas le droit de se faire inscrire, la polis le fait vendre;
si, au contraire, il gagne son procès, les démotes sont tenus de l'inscrire" dit Aristote,
Constitution d'Athènes, XLII, 1.
Le risque est donc gros pour le candidat non inscrit dans son dème qui fait appel: il
peut devenir esclave, s’il perd en appel. Dans un deuxième temps, le Conseil (la
Boulè)soumet les inscrits à un examen (docimasie), uniquement pour vérifier que les
candidats ont bien l'âge requis. Si le Conseil juge que les démotes les ont inscrits avant l'âge
de dix-huit ans, ceux-ci sont frappés d'une amende. Au terme de cet examen, les éphèbes
entrent dans les deux années de service militaire et c’est seulement après cette période qu'ils
deviennent pleinement citoyens.
et judiciaires, on lui confisque généralement ses biens. Et lorsqu'on le réintègre, on les lui
rend. C'est le cas lorsqu'un citoyen est frappé d'atimie, c'est-à-dire de dégradation civique.
Très souvent la sanction s'accompagne d'une confiscation de ses biens, en lui ôtant le
privilège de l’enktésis.
Aucun étranger ne peut posséder de biens fonciers sur le territoire de la cité, sauf
privilège spécial. Une série de décrets athéniens, à partir de la fin du V e siècle, accordent à
certains étrangers l'enktésis, à titre exceptionnel.
Le fait de posséder de la terre est un des signes les plus visibles de la distance qui
sépare le citoyen du non-citoyen. À Athènes, on estime qu'à la fin du V e siècle, un 5e ou un
6e seulement des citoyens n'étaient pas propriétaires de terres. En effet la proposition de
Phormisios, en 403, visant à enlever la politeia à ceux qui ne possédaient pas de la terre aurait
abouti à n'écarter que 5 000 citoyens, soit 15 à 20 % du corps civique, selon que le chiffre
global des citoyens est estimé à 30 000 ou à 25 000.
L’importance attachée à la propriété foncière est si grande que, dans le serment prêté par les
héliastes athéniens, au IVe siècle, figure la formule suivante: « Je ne voterai ni l'abolition des
dettes privées, ni le partage des terres et des maisons des citoyens ».
b. L'accès aux tribunaux et les garanties judiciaires
Sa qualité de citoyen autorise un homme à introduire directement une action comme
demandeur ou à répondre comme défendeur devant les tribunaux ordinaires, sans
intermédiaire ni garant, ni caution. Le citoyen n'est en effet justiciable ni d'une juridiction
spéciale ni de magistrats spéciaux, comme l'est l'étranger. Il n'est pas non plus tenu, comme
l'est le métèque athénien, d'invoquer le témoignage d'un patron pour attester, avant toute action
en justice, de sa qualité d'homme libre ou pour lui servir de garant. Il n'est pas davantage
soumis à l'obligation de cautionnement lorsqu'il est défendeur. Il n'est pas non plus emprisonné
préventivement, même s'il est inculpé de meurtre.
a. L’eisphora n'est pas un impôt régulier, mais un impôt extraordinaire levé en cas
de besoin pour faire face à des dépenses exceptionnelles, par exemple pour la guerre.
À l'origine, l'eisphora était basée sur la seule propriété foncière et répartie entre
les trois premières classes censitaires, les thètes en étant dispensés. En 378/77 on procède
à une importante réforme: les citoyens sont répartis en symmories ou groupes de
contribuables. Chaque symmorie contribue, pour une part égale, au montant total de
l'impôt; à l'intérieur de chaque symmorie, la répartition est faite au prorata de la
fortune de chacun.
b. Le principe de la liturgie consiste à faire prendre en charge par les citoyens les
plus riches des dépenses d'utilité publique. À Athènes, on connaît plusieurs liturgies: la
chorégie, organisation de chœurs pour les représentations (dithyrambes, comédies,
tragédies) données dans les grandes fêtes religieuses; la gymnasiarchie, prise en charge par
un citoyen des frais entraînés par la participation de sa tribu à certaines épreuves sportives;
l’hestiasis , organisation d'un repas public offert aux membres de la tribu; l'archithéorie,
responsabilité de la délégation religieuse qui va annoncer à l'étranger les grandes fêtes
de la cité ou représenter celle-ci aux fêtes organisées par d'autres cités; la triérarchie,
équipement et commandement d'un navire de guerre.
Seuls les citoyens les plus riches peuvent assumer cette charge. En principe, on
n'est pas assujetti à une liturgie deux années consécutives. Certains citoyens essayent de
s'y soustraire par l'étonnante procédure appelée antidosis : elle consistait à faire désigner à
sa place un autre citoyen que l'on jugeait plus riche, à la suite d'un inventaire détaillé des
ressources de chacune des parties.
qu'il faut décrire, dans un premier temps, en précisant que la traduction du terme grec qui
les désigne est plutôt "Semblables", "Pareils" que "Egaux" car l'égalité est loin de
régner entre eux. Ces vrais Spartiates, dont la fonction essentielle est la guerre, sont en
nombre restreint:
- Aristote, Politique, II, 1270 a, parlant de la Laconie et de la Messénie, avant la bataille de
Leuctres (371), évoque "ce pays capable de nourrir 1 500 cavaliers et 30 000 hoplites",
ces nombres s'appliquant à la fois aux périèques et aux Homoioi;
- Plutarque, Vie de Lycurgue, VIII, donne les chiffres suivants: 30 000 lots pour les
périèques, 9 000 lots pour les Spartiates; il ne s'agit pas de la seule Laconie, comme
l'auteur le dit, mais de l'ensemble Laconie-Messénie, à une époque où, cependant, la
Messénie n'est pas encore tombée dans le domaine spartiate; c'est là une des nombreuses
confusions chronologiques de Plutarque; on peut retenir, comme point de départ, cette
évaluation du corps civique spartiate formé de 9000 citoyens;
- Hérodote, VII, 234, après la bataille des Thermopyles qui vit la mort de 300
Spartiates, rapporte le dialogue entre Xerxès et Démarate qui explique: « Il y a en
Lacédémone, une polis, Sparte, qui fournit environ 8 000 hommes; tous ceux-là sont
homoioi (semblables) à ceux qui ont combattu (à Marathon); les autres
Lacédémoniens ne leur sont pas homoioi (semblables) mais sont braves cependant »; il
s'agit des périèques, qui sont lacédémoniens, mais pas spartiates. Le chiffre de 8000
cité ici correspond déjà à une relative baisse des effectifs du corps civique qui n'atteint
plus le chiffre original de 9000;
- Hérodote, IX, 28, l'année suivante, à Platées, décrit aussi le contingent lacédémonien: « A
l'aile droite étaient dix mille Lacédémoniens; dans le nombre, 5000 Spartiates, ayant une
garde de 35000 hilotes armés à la légère, à raison de sept attachés à chacun d'eux »;
l'infanterie lourde lacédémonienne compte donc une moitié de Spartiates et l’autre moitié
de périèques, sans parler des très nombreux hilotes armés légèrement; on peut sans doute
admettre que les 5000 Spartiates représentent 60 % des 8000 cités ci-dessus, les autres,
plus âgés étant en réserve en Laconie;
- Thucydide, V, 68, décrit l’armée lacédémonienne à la bataille de Mantinée en 418; au
§64, il a indiqué que Sparte a fait une levée en masse (pandémos) , puis a renvoyé un
sixième des effectifs, comprenant les plus jeunes et les plus âgés, à la garde du
territoire; les autres sont engagés dans la bataille: « Furent engagés sept lochoi, outre
les Skirites qui étaient 600; chaque lochos comprenait quatre pentécostyes; chaque
pentécostye quatre énomoties; au premier rang de l'énomotie, il y avait quatre hommes;
en profondeur, bien que chaque formation dépendit des décisions du lochage, ils
formaient en principe huit rangées. La première ligne était formée par 448 hommes, en
dehors des Skirites ». On a, donc, à la base :
- l’énomotie ou section de 32 hommes (=deux syssities),
- puis la pentécostye = 4 énomoties = 128 hommes,
- le lochos = 4 pentécostyes = 512 hommes,
soit pour 7 lochoi = 3 584 hommes (le premier rang compte 448 hommes et il y en a 8 = 3
584 hommes). Sur ce nombre, la moitié, est formée de périèques, c'est dire que les Spartiates
fournissent une armée inférieure à 2000 combattants; même en y ajoutant ceux qui ont
été laissés ou renvoyés en Laconie, on reste en dessous de 3000 hommes, ce qui parait
correspondre à une diminution considérable du corps civique entre 479 et 418.
Cette diminution du nombre de citoyens, cette oliganthropie est un trait majeur
de l'évolution de la communauté des citoyens durant le Ve siècle. Un épisode de la guerre
du Péloponnèse illustre bien le souci de la cité spartiate devant cette baisse d'effectifs:
alors qu'aux Thermopyles 300 Spartiates sont tombés au côté de Léonidas, l'inquiétude est
42
vive à Sparte, lorsque, en 424, les Athéniens réussissent à encercler dans l'îlot de Sphactérie
un contingent lacédémonien. Tout de suite, les Spartiates envoient une ambassade auprès
des Athéniens pour négocier l'arrêt des combats et la restitution des soldats encerclés
(Thucydide, IV, 19, 1). Finalement, les opérations militaires se poursuivent jusqu'à la
reddition des Lacédémoniens, ainsi présentée par Thucydide, IV, 38 : « Le chiffre des hommes
tués dans l’île ou faits prisonniers fut le suivant : il était passé 420 hoplites en tout; sur ce
nombre, on en ramena vivants 292: le reste avait été tué; quelque 120 d’entre ces survivants
étaient des Spartiates ». C'est pour ces 120 citoyens que Sparte est prête à beaucoup de
concessions. Il est vrai que Thucydide, V, 15, 1 ajoute: « Les Spartiates, parmi eux, étaient
des hommes de premier rang », ce qui est confirmé par Plutarque, Vie de Nicias, disant que
les prisonniers de Pylos étaient des premières familles de Sparte « ayant des parents parmi les
plus puissants ».
Le sort de ces 120 spartiates parait tout à coup de première importance: leurs
liens familiaux peuvent expliquer cette préoccupation de la cité, mais on peut y voir aussi la
volonté de ne pas amputer encore le corps civique d'un pourcentage non négligeable de ses
membres (de 3 à 5%). C'est si vrai que ces citoyens, qui auraient dû, en vertu de la
tradition spartiate, périr au combat ou être exclus définitivement de la cité, car aucun
combattant spartiate ne pouvait rendre ses armes, la cité va progressivement les
réintégrer pleinement dans leurs droits: « Pour ceux des leurs qui avaient été faits
prisonniers dans l'île et s'étaient rendus, ils (les Lacédémoniens) craignirent de les voir, à
cause de leur malheur, s'attendre à un traitement de défaveur et, s'ils avaient tous leurs droits,
faire de l'agitation: par suite, alors qu'ils occupaient déjà certaines fonctions publiques
(archè) ils les privèrent de leurs droits, atimie telle qu'ils ne pouvaient exercer d'archè ni
vendre quoi que ce fût. Plus tard, ils redevinrent complètement citoyens (epitimioi = avec tous
leurs droits) », Thucydide, V, 34, 2. C'est là une grave entorse au droit lacédémonien, mais
l’oliganthropie est trop grave pour que la cité puisse perdre encore 120 parmi les
meilleurs des citoyens.
début du IVe siècle. On peut admettre que certains citoyens, au IV e siècle, ont pu être exclus
de la communauté des Homoioi, lorsqu'ils n'ont plus la jouissance de leur kléros. Simplement,
il faut souligner que la loi d'Épitadeus n'est pas la cause de l’oliganthropie qui mine la cité
spartiate.
illégitime, entre hommes et femmes spartiates; en revanche, qu'en est-il des enfants nés
de l'union de Spartiates avec des hilotes ou des périèques ? Il semble bien que le droit de
cité leur soit refusé et qu’ils entrent dans la catégorie des Hypomeiones, des Inférieurs.
Plutarque ajoute: « L'enfant qui venait de naître, le père n’était pas libre de l'élever; il allait
le porter dans un endroit nommé Lesché, où les plus anciens de la tribu siégeaient. Ils
examinaient l’enfant, et, s'il était bien constitué et vigoureux, ils ordonnaient de le nourrir en
lui assignant un des 9000 kléroi » (Plutarque, Vie de Lycurgue, 16). S’il était mal conformé,
l'enfant était exposé sur les flancs du Taygète; l'oliganthropie a cependant dû faire
baisser sensiblement le nombre de garçons ainsi abandonnés à la mort dès leur
naissance; en revanche, la diminution des effectifs d'hommes peut avoir abouti à augmenter
le nombre de petites filles abandonnées, pour éviter un déséquilibre trop marqué entre les
deux sexes, mais ce n'est là qu'une hypothèse.
2. Avoir reçu l’éducation spartiate, l’agogè, avec ses rites d'initiation, ses épreuves
et sa sélection des meilleurs, la cryptie permettant le recrutement de l'élite des jeunes
guerriers, intégrés dès lors dans le corps des 300 Hippeis, chargés plus particulièrement de la
surveillance des hilotes et constituant vraisemblablement la petite ecclésia que Xénophon est
le seul auteur ancien à nous faire connaître, à l'occasion de la conspiration de Cinadon
(Helléniques, III, 3,8). Les exigences de cet entraînement physique devaient laisser
quelques jeunes garçons dans l'incapacité d'y faire face; un développement physique
insuffisant, un accident aux conséquences durables devaient conduire ces garçons au statut
d'Inférieurs. En revanche, cette éducation ne suffisait pas : les fils d’hilotes, frères de lait
des Spartiates, dont certains recevaient l'agogè, n'étaient pas pour autant citoyens mais
formaient une catégorie à part, les Mothaces.
3 . Participer régulièrement au repas en commun, le soir , aux syssities : c’est
l’obligation pour le Spartiate de payer l’écot, la part de chacun pour permettre
l'organisation de ce repas; cet aspect financier mérite d'être souligné au IVe siècle, mais
n’a pas la même importance aux VIe et Ve siècles, où chaque guerrier reçoit son kléros,
travaillé par les hilotes, et qui lui procure de quoi nourrir sa famille et de quoi verser ce
qui lui est demandé pour le syssition (selon Plutarque , Vie de Lycurgue, 12, "chaque mois
un médimne de farine, huit conges de vin, cinq livres de fromage, deux livres et demie de
figues et une petite somme de monnaie"). Hérodote, I, 65, considère les syssities comme les
unités de base de l'armée lacédémonienne, en dessous de l'énomotie; ainsi on comprend
mieux leur intérêt; comme le dit H. Jeanmaire, Couroi et Courètes, p.483: « le
compagnonnage de table correspondait certainement à un compagnonnage de guerre » . Ce
sont ceux qui combattent régulièrement côte à côte, qui se rassemblent chaque soir. Ils
ont besoin d'être sûrs de leurs compagnons de rang dans la phalange, car c'est pour eux
une question de vie ou de mort; un soldat peureux, indiscipliné désorganise la phalange. C'est
pourquoi l'admission d'un nouveau membre au syssition, ce n’est pas le recrutement d’un
agréable compagnon de table ; c’est beaucoup plus sérieux : c'est un compagnon de combat
que la tablée, que le groupe de combat engage durablement. Dans ces conditions, Plutarque,
Vie de Lycurgue, 12, présente comme une décision importante le vote pour l'admission,
ou non, de nouveaux guerriers: "Chacun des convives ayant pris une boulette dans sa main,
le serveur passait avec un vase sur la tête et on y jetait silencieusement la boulette en guise
de bulletin de vote, celui qui votait oui la laissant telle quelle, celui qui votait non l'écrasant
dans sa main...; si on trouvait une seule boulette aplatie de la sorte, on rejetait le candidat".
Le vote négatif témoigne d'un manque de confiance à l'égard du jeune guerrier, que
chacun connaît, car toute la communauté des guerriers a suivi régulièrement les étapes
de l'éducation des jeunes, leur progression. Il n'est pas douteux que le jeune garçon, ainsi
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écarté de plusieurs syssities, est ipso facto, mis en dehors de la communauté des
guerriers, des citoyens, il est un inférieur. Ainsi interprété, le syssition retrouve toute son
importance : c’est le groupe de combat formé de quinze guerriers qui s'auto recrute par
cooptation. Ce n’est qu’à la fin du Ve siècle, que certains guerriers vont se révéler
incapables de payer leur écot aux repas en commun, et peuvent ainsi être exclus de la
politeia. Cette incapacité financière n'est qu'un aspect tardif de cette obligation de participer
au syssition.
potentiels. C’est en fait, au moment où l’oliganthropie est la plus grave, que les cas de
lâcheté deviennent plus fréquents ; la cité doit alors faire des entorses à ses lois, si elle
veut garder encore quelques guerriers et ne pas courir le risque d'une révolution
sociale .
- inégalité d’éducation ;
Une autre source d'inégalité, sans doute bien plus ancienne, résulte des épreuves
subies par les jeunes garçons durant l’agôgè. Elle est la conséquence logique de la
compétition permanente qui opère une sélection des meilleurs parmi les jeunes garçons
dans leur préparation au service de la cité. Xénophon, Constitution des Lacédémoniens, 4,
expose ces joutes: "C'est à la formation de la jeunesse (hèbôntes) que (Lycurgue) se
consacra surtout […] il crut que faire en sorte que les jeunes hommes se disputent le prix de
la vertu était le moyen de les conduire à la perfection. […] chacun ne cesse de s'entraîner en
particulier, pour se montrer le plus fort; et, quand l’heure viendra, toutes ces énergies
particulières se mettront au service de la cité". La récompense, recherchée par tous dans
ces concours permanents, serait, d’après Xénophon, l’admission dans le corps des 300
hippeis. Cette troupe d’élite est déjà mentionnée par Hérodote, I, 67 et VIII, 124; elle n’est
plus, à l’époque classique, une cavalerie, mais la garde royale – qui combat à pied comme les
autres hoplites. H. Jeanmaire pense que ces hippeis sont uniquement des jeunes: « il semble
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qu'au rebours du reste de la phalange où toutes les classes pouvaient être représentées, elle
n'admettait que des éléments relativement jeunes. » (Couroi et Courètes, p.542-543). H.
Jeanmaire émet l'hypothèse « que les Trois Cents ne jouaient pas seulement un rôle dans
l'armée, mais encore dans la cité, et qu’ils étaient, en même temps qu’un corps de
troupe, une sorte de corps politique.... […] L'appartenance à ce corps n’était donc pas
seulement un honneur, timè, mais une fonction publique, archè ». Nous avons déjà évoqué
précédemment la petite assemblée, mentionnée par Xénophon lors de la conspiration de
Cinadon: elle peut correspondre à la réunion de ce corps spécial. La répression policière
fait partie des attributions des Hippeis; enfin, parmi les hippeis atteints par la limite d'âge,
cinq sont désignés, chaque année, pour des missions particulières au dehors.
Ces quelques témoignages sur le rôle des hippeis, ce corps d’élite, sont suffisants pour
démontrer l’inégalité profonde qui existe à l'intérieur des Homoioi; le régime égalitaire de
ceux-ci n'est qu'une apparence qui cache une réalité très différente, où une aristocratie
subsiste, comme le montre l'inscription de Damonon, tandis que les épreuves de l'éducation
spartiate permettent de dégager une élite plus directement chargée de missions de police au
service de l'Etat spartiate.
- inégalités liées à la loi d’Épitadeus.
Ces inégalités fort anciennes, ont été considérablement aggravées à partir de la fin
du Ve siècle; Plutarque déclare, Vie d'Agis et Cléomène, 3: "Le début de la corruption et du
malaise de l’Etat lacédémonien coïncide à peu près avec le moment où il brisa l’hégémonie
d’Athènes et se gorgea d’or et d’argent." En effet, après la capitulation d’Athènes en 404,
un véritable empire lacédémonien s'est substitué à l'empire athénien, harmostes et
garnisons lacédémoniennes ont remplacé les Athéniens dans la majeure partie des îles de la
mer Egée, en Ionie et dans les cités du continent alliées d'Athènes. Il semble que, pour
beaucoup de Spartiates, ces séjours à l’étranger aient constitué l’occasion d’une
découverte d’un monde différent du leur, où le luxe, le beau mobilier, les bijoux sont à
portée de la main des vainqueurs qui les rapportent dans leurs familles. La cité spartiate
est transformée par cet afflux de richesses, certes interdit. Xénophon a bien noté ces
bouleversements: "Je sais qu'auparavant, ils craignaient d'être surpris à posséder de l'or;
maintenant il en est qui se font gloire d'en amasser.... Je sais qu'aujourd'hui l'ambition de
ceux qui passent pour les premiers, c'est d'être toute leur vie harmoste à l'étranger"
(Constitution des Lacédémoniens, XIV, 3-4).
Mais toutes les familles spartiates n'ont pas bénéficié également de cette manne;
certains soldats sont restés en Laconie, en raison de leur âge, d’autres familles dont le père
avait péri durant la guerre n’ont pas de membres à l’étranger. A l'intérieur des Homoioi, le
fossé se creuse entre "nouveaux riches" et citoyens dont la seule richesse est le kléros.
L’endettement doit être fréquent. C’est dans ce contexte qu’il faut placer la loi
d’Épitadeus entre 404 et 371; pour Plutarque, Vie d'Agis et Cléomène, V,3: "Épitadeus
introduisit une rhétra permettant à un homme, de son vivant, de donner à qui il veut sa
maison et son kléros et de le laisser par testament", tandis qu'Aristote, Politique, II, 270a,
précise: "Le législateur a désapprouvé qu'on achète ou vende sa terre, et il a eu raison; mais
il a permis à qui le veut de la donner ou de la léguer; or, d'une manière ou de l'autre, le
résultat est nécessairement le même" . En quelques décennies, cette loi a eu des effets
néfastes pour la communauté des Spartiates: certains ont tout perdu de leurs biens, tandis
qu’un petit nombre concentrait des terres. C'est durant ce second tiers du IVe siècle que
certains Spartiates ne peuvent plus payer leur écot pour le syssition et se trouvent exclus
pratiquement de la politeia spartiate. La loi d'Épitadeus n'a pas fait naître l'inégalité à
Sparte, mais survenant après la brutale ouverture de Sparte sur les richesses des cités de
l'Empire athénien, elle a contribué à accélérer la destruction du corps civique, déjà très
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1) – Les Périèques .
On pourrait les considérer à Sparte comme des étrangers, mais ils font partie des
Lacédémoniens, et ils sont citoyens dans leurs cités de la Perioikis, c'est-à-dire des
régions périphériques qui entourent la terre civique, lotie entre les Homoioi. L’origine
des Périèques pose problème, aujourd’hui encore. Ils sont certainement plus nombreux que
les citoyens spartiates : Plutarque, Vie de Lycurgue, 8, attribue à son héros la division de la
Laconie en 30 000 lots pour les Périèques, face aux 9000 lots réservés aux Spartiates.
Leurs cités bénéficient de l'autonomie interne, mais il existe des harmostes spartiates
dans la Périoikis, qui veillent à empêcher toute coalition des périèques contre Sparte. Mais
Sparte fait appel à eux pour participer à la guerre. Cependant, celle-ci pèse, semble-t-il,
moins lourdement sur les périèques que sur les Spartiates, dont c’est la raison d’être. A
Platées, en 479, citoyens et périèques ont fourni, pour chaque groupe, 5000 hoplites.
Cette présence des périèques est confirmée dans toutes les autres batailles décrites par
nos sources anciennes, au Ve comme au IVe siècle. Alors que les hoplites spartiates ont,
chacun, sept valets d'armes, (hilotes), les périèques n’en ont qu’un seul (Hérodote, IX, 28-
29).
Ceux-ci peuvent posséder la terre périèque, mais n’ont pas la possibilité
d’acquérir un lopin de terre civique, alors qu’il semble bien que les riches spartiates
puissent ajouter à leur kléros des possessions personnelles dans la Périoikis. De même le
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mariage de périèques avec des femmes spartiates est interdit et, inversement, l’union d'un
citoyen spartiate avec une femme périèque devait être sévèrement jugé.
Outre la mise en valeur de la terre périèque, par la culture et l’élevage, les
Périèques assuraient, dans l’Etat lacédémonien, les fonctions commerciales et
artisanales. On a déjà évoqué, en parlant du VIe siècle, la prospérité de la céramique
laconienne jusque vers 530-520, comme la production de vases de bronze; le travail des
périèques qui doivent être les artisans de ces succès, dont une part notable est exportée, est
sans aucun doute vital pour la cité spartiate ; il est vrai qu'à la fin du VI e siècle, les
exportations s'arrêtent, mais les Spartiates, eux-mêmes, ont besoin de tissus, de vêtements,
d'armes fabriquées dans les ateliers des périèques; d’autres exploitent les mines du
Taygète et du Parnon, pratiquent la pêche et la navigation. Il résulte de cette activité
économique des différences de fortune entre périèques, ce qui explique sans doute que
Plutarque puisse parler de "l'élite des périèques" que Cléomène veut faire entrer dans le corps
civique (Vie d'Agis et de Cléomène, 32) .
Sparte paraît avoir confiance dans la fidélité des périèques, qui ne représentent, en
aucun cas, un danger comparable à celui des hilotes; on voit même les Spartiates confier à
un périèque de très hautes responsabilités militaires: selon Thucydide, VIII, 22, 1, dans
l'été 412, à Lesbos l'armée "était commandée par le Spartiate Eualas, la flotte par le
périèque Deiniadas" . Au moment de la conspiration de Cinadon, les conjurés semblent
compter les périèques parmi leurs alliés potentiels: selon Xénophon, Helléniques, III, 3, 6:
"les vrais meneurs ne s'étaient mis d'accord qu'avec peu d'hommes, mais sûrs, et ceux-là
avaient alors déclaré que toute la masse des Hilotes, des Néodamodes, des Inférieurs et des
Périèques étaient de cœur avec eux". Mais, encore en 399, nous n'avons pas la preuve d'une
opposition active et organisée des périèques contre la minorité spartiate ; lors du
tremblement de terre de 464, qui a été le signal du soulèvement des hilotes de Messénie,
seuls "les périèques de Thouria et d'Aithaia se révoltèrent" (Thucydide, I, 101, 2); il s'agit
de deux localités périèques de la vallée du Pamisos en Messénie; durant la guerre du
Péloponnèse, seule l'île de Cythère, "dont les habitants sont des Lacédémoniens de la classe
des périèques", finit par se soumettre aux Athéniens en 424/3 (Thucydide, IV, 53, 57) . Le
danger d'un retournement des périèques contre la cité spartiate ne devient sérieux
qu'après la bataille de Leuctres, lorsque les Thébains pénètrent dans le Péloponnèse et,
bientôt, en Laconie, tandis que la Messénie reçoit son indépendance. Mais, même dans
cette période où l'indépendance spartiate parait sur le point de succomber, on n'observe
pas un soulèvement massif des périèques ; il y a des défections ici ou là, mais beaucoup
restent fidèles et en souffrent cruellement, comme on doit le remarquer lorsque Xénophon
raconte que les Thébains "incendiaient celles des poleis qui étaient sans remparts"
(Helléniques, VI, 5,32); il s'agit des cités périèques, qui ne se sont pas ralliées à l'envahisseur.
Cette attitude des périèques au cours d'une des phases les plus dramatiques de
l’histoire spartiate doit être prise en compte, lorsqu’on veut définir la nature des relations
entre Spartiates et périèques; si ces derniers avaient été traités très durement par les
Spartiates, ils auraient , sans aucun doute, profité de l’occasion pour en finir avec cette
tutelle insupportable. Il semble que les périèques avaient trouvé une place qui leur
convenait, avec une marge d'autonomie locale satisfaisante, équilibre fragile sans doute,
mais qui a tout de même duré tout au long des trois siècles qui nous intéressent.
qui ont été exclus de la communauté des citoyens. En dehors des récits légendaires
concernant les Parthéniens, les historiens se sont souvent opposés sur l'origine de ces
Inférieurs. Il s’agit en fait de tous les laissés pour compte, tout au long de la longue
période de formation du citoyen-guerrier: jeunes garçons malingres, postérieurement à la
naissance, victimes d'un accident, enfants éliminés au cours des épreuves de l’agogè pour
manque de discipline, faiblesse physique ou inadaptation morale, adolescents écartés de
tout syssition lors du vote des compagnons de table et de combat; doivent s’y ajouter les
adultes "tressantes" les trembleurs, frappés d’atimie, les criminels qui subissent la
même peine. Au IVe siècle, cependant, la cité, inquiète de l'oliganthropie croissante, favorise
la réinsertion des citoyens temporairement exclus. Mais d'autres citoyens peuvent venir
grossir les rangs des Hypomeiones : ce sont ceux qui n'ont plus de kléros, et ne peuvent
donc plus participer au syssition faute de revenus suffisants.
La cité spartiate a du certainement veiller de près pour éviter que cette catégorie
d'aigris ne devienne trop nombreuse et dangereuse; le meilleur exemple en est naturellement
Cinadon qui n'accepte pas cette situation d'inférieur (Xénophon, Helléniques, III, 3, 11) . Ce
que nous ignorons complètement c'est la place des enfants illégitimes, nés par exemple de
l'union d'un citoyen et d'une femme hilote ? Faut-il les assimiler à ces citoyens déchus ?
Qu’en est-il des affranchis, des hilotes récompensés pour service rendu à la cité ? Il nous
parait plus logique de réserver ce nom d'Inférieurs à des anciens citoyens ou à des jeunes qui
auraient pu devenir citoyens et qui n’ont pas rempli toutes les conditions pour accéder à cette
caste. L'émulation permanente qui marque cette éducation aboutit à sélectionner une élite, les
Hippeis parmi les Homoioi; parallèlement, elle écarte un petit nombre de candidats.
armes. Les deux partis vécurent pendant un temps en bonne intelligence ; vint ensuite chez les
esclaves un devin, Cléandros, originaire de Phigalie d'Arcadie; cet homme leur persuada
d'attaquer leurs maîtres. De là naquit une guerre qui fut de longue durée; finalement, les
Argiens, non sans peine, eurent le dessus". Faut-il voir dans ces périèques des "gymnètes",
sorte de dépendants argiens, ou bien de véritables esclaves ou, plus simplement, des
périèques, comme il en existe à Sparte ? La dernière solution ne paraît pas à écarter, mais il
faut la concilier avec la thèse d'Hérodote qui note une telle oliganthropie à Argos, après
Sépeia, que les affaires publiques deviennent du domaine des douloi.
Un siècle plus tard, en 417, Thucydide, V, 82, 2 raconte que "le démos, à Argos, se
regroupant peu ,à peu et ayant repris confiance, s'attaqua aux oligarques ; il avait guetté
pour cela le moment même des gymnopédies à Sparte. On se battit dans la ville et le démos
l'emporta: il tua ou exila ses adversaires". La menace spartiate pousse le démos argien à
rechercher l'alliance athénienne. La poursuite de ces luttes pour le pouvoir entraîne finalement
la ruine d'Argos.
pour plus de la moitié des habitants de Géla ; des Mégariens de Sicile qui, assiégés, avaient
été réduits à se rendre, il amena à Syracuse les "gros " , qui avaient été les instigateurs de la
guerre contre lui et qui, pour cette raison, s'attendaient à périr, et il en fit des citoyens; quant
aux gens du peuple (le démos) , qui n'avaient aucune part de responsabilité dans cette guerre
et ne s'attendaient pas à avoir à souffrir rien de mal, il les amena aussi à Syracuse et les
vendit pour être exportés hors de Sicile ; et il pratiqua la même discrimination pour les
Eubéens de Sicile. Il agit de la sorte dans l'un et l'autre cas parce qu’il pensait que la plèbe
était une partie de la population tout à fait déplaisante". Le corps civique de Syracuse a été,
par ces opérations de Gélon, profondément modifié ; il s’est élargi de citoyens de Mégara
Hyblaia et d'Euboia fondée par Léontinoi, mais pas n’importe lesquels ; Gélon a oublié les
querelles récentes qu’il avait eues avec ces cités, il ne retient que les "gros", c’est-à-dire
certainement les riches et le démos, le petit peuple, est réduit à l'état d'esclave et vendu au
loin; c'est bien ce qui a failli arriver, un siècle plus tard, à Platon. Le démos de Syracuse n’est
pas exclu de la cité, mais il voit son poids diminuer dans l’ensemble du corps civique, par
l’arrivée des "meilleurs" des Mégariens et des Eubéens et par la venue de plus de la moitié des
habitants de Géla ; Hérodote ne précise pas si la population de Géla a fait l'objet d'une
discrimination semblable, mais ce n'est pas invraisemblable; au fond, Gélon a renforcé les
"bons" citoyens et réduit l’importance de la partie "déplaisante" du corps civique.
à une vive opposition qui est le fait des riches, mais aussi des jeunes, ou d'une partie de la
jeunesse qui soutient un changement constitutionnel dans un sens oligarchique ; c'est là une
allusion très nette à un conflit de générations dans cette grande cité marchande; mais n'est-ce
pas un mouvement assez semblable qui pousse certains Athéniens au coup de force de 411 ?
Toute une jeunesse dorée conteste cette démocratie qu'elle juge trop égalitaire et veut un
régime privilégiant les compétences, c'est-à-dire, dans le cas présent, la fortune foncière et
marchande.
lui, elle s'abaisse à son niveau et les enfants naissent esclaves: ces derniers n'héritent pas à la
mort de la mère, en cas de présence de demi-frères libres.
l'assemblée du peuple et le banquet, il est vraisemblable que pour le fils par le sang, la
présentation aux seuls membres de l'hétairie suffisait, comme pour la phratrie athénienne.
Comme l'écrit D. Roussel: « l’hétairie fonctionnait comme une sorte de gardienne de l’état-
civil, à laquelle étaient présentés les enfants de ces citoyens et qui admettait ensuite, au sortir
de l'adolescence, parmi ses membres, les jeunes gens qui en avaient fini avec la formation
exigée de tous ceux de leur classe, dans les agélai, et avec diverses épreuves initiatiques ou
rites d'adolescence ». Les hommes de chacune de ces hétairies se retrouvaient dans les repas
pris en commun, les andreia, comparables aux syssities spartiates, le terme servant à désigner
à la fois ces sociétés d'hommes et les locaux où ils se réunissaient. Aristote, dans la Politique,
II, 1272a ajoute:" Le régime des Syssities est meilleur chez les Crétois que chez les
Laconiens: A Lacédémone, chacun fournit la quote-part imposée par tête, sinon une loi le
prive de toute participation à la vie politique...; en Crète, ils ont un caractère plus
communautaire: sur l'ensemble des produits de la terre et du cheptel appartenant à l'Etat et
sur les redevances payées par les périèques, la loi fixe une part pour le culte des dieux et les
services publics et l'autre pour les syssities, de sorte que tous, femmes, enfants et hommes
sont entretenus aux frais de la communauté". Il ressort de ce tableau de la société des citoyens
crétois un ensemble de traits correspondant à une caste aristocratique vivant largement du
travail de catégories sociales inférieures, périèques, dépendants ou esclaves, sans doute plus
diversifiées qu'à Lacédémone.
Le code de Gortyne parle aussi, à propos de la fille épiclère, d'une autre structure que
l'hétairie, c'est la tribu; il semble qu'à Gortyne, la fille légitime soit présentée à la tribu, alors
qu'à Athènes elle est présentée par son père à la phratrie. C'est d'autant plus important en
Crète que la fille a des droits sur la succession paternelle.
Conclusion
Ces exemples de citoyens observés dans des cités moins connues qu'Athènes et Sparte
permettent de constater l’extrême diversité des situations, tant pour la constitution adoptée
que pour le statut des personnes ; ici, la politeia est largement accordée, ailleurs elle est
réservée à une caste étroite d'aristocrates repliée sur ses propres structures. Il y a donc un
manque d'homogénéité évident.
Leçon 2
La cité et les étrangers :
Xénos et métoikos.
Aucune cité ne vit en vase clos. À toutes les époques, des Grecs se sont déplacés,
appelés par leurs affaires, sollicités pour accomplir une tâche particulière, venus pour
honorer un dieu dans son sanctuaire, chassés de leur patrie par l'adversité politique,
envoyés en mission diplomatique ou tout simplement entraînés par leur curiosité. Il n'est
donc pas de cité, si petite soit-elle ou si enclavée qu'elle puisse être, qui n'ait été un jour
visitée, pour un temps plus ou moins long, par des étrangers. Certains d'entre eux
prolongent même leur séjour jusqu'à choisir de résider à demeure dans la cité d'accueil.
Nous nous intéresserons d’abord à ces commerçants, artistes ou artisans, pèlerins, réfugiés
57
politiques, ambassadeurs, et aussi simples voyageurs qui sont présents dans la cité pour un
temps limité.
La venue d'un étranger provoque d'ordinaire une double réaction: il suscite une
méfiance instinctive qui incite au rejet, mais il est en même temps perçu comme un hôte
envers lequel on se sent des obligations. Le premier sentiment s'explique par la frilosité dont
témoignent ces petites communautés à l'égard de tout ce qui leur paraît, souvent à tort,
menacer leur fragile équilibre. La seconde réaction est dictée par la plus impérieuse des
prescriptions, la prescription religieuse qui impose d'accueillir celui qu'envoient les dieux.
Mais il serait insuffisant de s'en tenir à cette approche globale car l'attitude à l'égard des
étrangers et l'accueil qu'ils reçoivent diffèrent selon les catégories.
a. Certains ne jouissent d'aucune protection légale, mais bénéficient :
- soit de la simple hospitalité privée traditionnelle pratiquée par toute maison grecque,
- soit d'une forme d'hospitalité publique mise en place par leur cité d'origine dans la cité de
passage et qu'on appelle proxénie.
b. D'autres en revanche sont protégés :
- soit par une qualité qui leur confère provisoirement un statut particulier (ambassadeurs,
pèlerins, bienfaiteurs),
- soit par des mesures individuelles qui leur accordent des privilèges (privilèges honorifiques
ou privilèges de sauvegarde) dont ils usent à l'occasion de leur passage dans la cité,
- soit par des conventions passées entre leur cité et la cité d'accueil (convention d'asylie ou
convention judiciaire),
- soit par le bénéfice de l'asile politique qui les met pour un temps à l'abri du rejet.
maison noble, constitue la cellule sociale principale. Mais elle se maintient après
l'émergence de la polis, principalement dans les grandes familles aristocratiques qui en
font l'instrument de relations privilégiées avec d'autres familles par-delà les frontières. On
peut d'ailleurs se demander jusqu'à quel point cette hospitalité, que la tradition nous présente
comme une règle générale s'imposant à tous, n'était pas surtout pratiquée par ceux qui en
avaient les moyens et qui pouvaient, en même temps qu'ils accomplissaient un devoir, en
tirer vanité et avantages. Mais on devait la rencontrer sans doute aussi, bien que les
témoignages en soient moins nombreux, chez des particuliers plus modestes, sensibles à
l'obligation religieuse qu'elle implique. L a xénia est donc un instrument d'accueil et
d'assistance qui permet déjà, en l'absence de convention entre cités ou d'un statut particulier
protégeant cet étranger , de suspendre pour un temps la menace qui pèse naturellement sur
lui. Conçue à l'origine comme un devoir religieux qui s'impose à tout individu qui tient à ne
pas offenser les dieux, elle finit par apparaître comme une véritable institution sociale.
Il pouvait se faire toutefois que cette xénia privée entrât en conflit avec les intérêts de
la cité. C'est ce qu'il advint par exemple à l' Athénien Ctésiphon qui fit arrêter à Athènes un de
ses hôtes et ami, Araxinos d'Oréos, qu'il soupçonnait d'espionner pour le compte de la
Macédoine et qu'il soumit à la torture de sa propre main. Ce geste lui fut vivement reproché
par son adversaire, l'orateur Eschine, qui l'accusa d'avoir manqué à ses devoirs d'hôte et
surtout d'avoir trahi les engagements de réciprocité qui lient entre eux les hôtes: « Cet homme
chez qui tu logeais à Oréos, à la table de qui tu avais bu, tu avais répandu des libations, celui
dans la main de qui tu avais mis ta main droite, faisant ainsi de lui ton ami et ton hôte, tu l'as
tué. » À quoi Ctésiphon aurait répondu pour sa défense qu'il faisait « plus de cas du sel de la
cité que de celui qu'on prend à la table d'un hôte ». Les réactions indignées de l'auditoire à
cette réponse brutale montrent que l'hospitalité au IVe siècle a encore beaucoup de prix, et
qu'on pouvait hésiter à la sacrifier à la raison d'État. Au reste, Alexandre le Grand en était
conscient, lui qui, décidant de faire raser la ville de Thèbes et de réduire la population en
esclavage, donna l' ordre d'épargner, outre les prêtres, ceux qui avaient été ses hôtes et
les hôtes de son père Philippe.
la cité qu'il sert et lui-même. Il n'est jugé sur son activité de proxène que par celle-ci et c'est
d'elle qu'il reçoit éventuellement des récompenses et des privilèges.
Sur quels critères est-il choisi ? Il faut qu'il soit citoyen de la cité où il réside afin
de pouvoir agir sans entraves juridiques dans tous les domaines où il est appelé à
intervenir. Il vaut mieux qu'il possède des revenus importants, car ses devoirs d'hôte
peuvent entraîner des frais considérables. Il doit être notoirement bien disposé à l'égard de
la cité qui le choisit, lui avoir éventuellement rendu de grands services ou être susceptible de
lui en rendre. Il peut s'agir de quelqu'un dont un membre de la famille a été dans le passé
proxène de la même cité; ainsi le grand-père d' Alcibiade fut proxène de Sparte à
Athènes et c'est tout naturellement que le célèbre homme d'État athénien le fut à son
tour. Parfois, le choix est guidé par le rapport d'ambassadeurs qui donnent des renseignements
élogieux sur un citoyen. Il arrive que ce citoyen soit recommandé par un groupe de
marchands qui ont apprécié son aide au cours de leur passage. Enfin, l'initiative peut
venir du particulier lui-même qui fait valoir ses titres et mérites, et sollicite auprès de la cité
concernée l'honneur et la charge d'accueillir ses ressortissants dans sa cité.
Quelle est la mission du proxène ? Elle est d'abord de faciliter le séjour des
étrangers originaires de la cité qui l'a nommé: il loge ceux qui n'ont pas d'hôte privé et
qui viennent frapper à sa porte; il sollicite pour eux des audiences et les présente aux
magistrats à qui ils peuvent avoir affaire; il se porte caution pour ceux qui empruntent
de l'argent, leur sert d'intermédiaire dans des contrats entre particuliers. Toutefois, en aucun
cas il n'intervient à leur place et ne répond d'eux devant les tribunaux. Ses interventions se
situent dans un domaine extrajudiciaire; son rôle est essentiellement de leur rendre les
choses plus aisées. Mais ce n'est pas seulement en faveur des particuliers étrangers que le
proxène intervient. Sa mission peut aussi comporter des obligations à l'égard de l'État
étranger qu'il représente: par exemple, accueillir les ambassadeurs que celui-ci envoie
dans sa cité, négocier une rançon ou faire libérer des prisonniers. La tâche pouvait être
assez lourde et on s'explique pourquoi certaines cités désignaient plusieurs proxènes dans
une même cité. Il y avait dans les années 460 au moins deux proxènes de Sparte à
Athènes : Cimon, fils de Miltiade, et Alcibiade II, le grand-père du célèbre Alcibiade ;
Corcyre avait vers 431 plusieurs proxènes à Corinthe.
risques que pouvait comporter la mission de proxène n'ont pas empêché le développement de
cette institution qui est restée longtemps vivace et ne s'est pas vidée de sa signification à
l'époque hellénistique, comme on l'a parfois cru.
Naturellement, le proxène est récompensé en retour par divers honneurs et
avantages dont il peut jouir pleinement quand il séjourne dans la cité qu'il a ainsi servie.
Le mot de proxène prend alors tout son sens, car si dans sa cité il est celui qui agissait en
faveur de l'étranger (pro: pour), il est, lorsqu'il se rend dans la cité qu'il a servie, un
étranger qui a préséance (pro: avant) sur d'autres étrangers. Les deux aspects de la
proxénie coexistent, comme l'ont bien montré des recherches récentes; l'aspect « utile » de la
fonction de proxène n'a pas cédé la place au fil du temps à l'aspect « honorifique » ;
l'institution a gardé jusqu'au bout ce double aspect.
Les privilèges des proxènes sont connus par les nombreux décrets qui accordent à
tel personnage le titre de proxène ou celui de proxène et bienfaiteur. Ils sont importants et
font du proxène un étranger privilégié. Le proxène est en effet protégé contre les
dommages causés à ses biens et contre les injures qu'il peut personnellement subir. D'une
manière générale, les magistrats sont invités à accorder le plus grand soin (épiméleia) aux
intérêts du proxène. Celui-ci peut saisir directement certains magistrats et avoir accès aux
tribunaux civiques pour obtenir réparation d'un préjudice subi et même avoir priorité pour
faire juger son affaire (prodikia). Il a accès à la Boulè et à l'Ecclésia sans intermédiaires
(prosodos) ; les décrets stipulent souvent que la Boulè et les prytanes sont passibles d'une
amende s'ils tardent à instruire une affaire qui leur est soumise par un proxène. Le proxène
peut bénéficier également de l'exemption de taxes (atéleia), soit partiellement, soit
totalement. Il peut même se voir accorder le privilège de l'enktésis, c'est-à-dire le droit de
posséder des biens-fonds sur le territoire de la cité.
Ces divers privilèges dont le proxène jouit lors de son séjour dans la cité ne sont pas
de simples honneurs sans conséquences auxquels la cité n'attacherait pas grand prix et qu'elle
distribuerait avec une généreuse légèreté. Il s'agit bien de privilèges réels qui récompensent
des services rendus ou qui anticipent sur des services attendus, privilèges dont on sait bien
qu'ils peuvent être un jour ou l'autre effectivement utilisés. La cité entend bien marquer que,
pour ces étrangers-là qui ont droit à sa reconnaissance, elle est prête à faire une place à part
pendant le temps qu'ils auront à séjourner chez elle.
Il reste que le titre de proxène, et donc les avantages qu'il entraîne, a été conféré dans
certains cas à des hommes qui ont certes été des bienfaiteurs de la cité mais ne sont pas ou ne
sont plus en situation de rendre les services qu'on peut attendre d'un proxène, ne fût-ce que
parce qu'ils ont été chassés de chez eux, ou encore à certains étrangers de marque. Dès lors on
peut se demander si ce titre n'a pas servi aussi à « aligner » sur un modèle connu, celui de la
proxénie, les privilèges que la cité veut conférer à tel ou tel de ses bienfaiteurs ou à tel
étranger qu'elle veut avantager. Le contenu des privilèges afférant au titre de proxène
constitue en effet un ensemble pratique auquel on peut se référer et qui peut donc être utilisé
de façon commode. Mais pour autant, le titre de proxène n'est pas devenu un simple titre
honorifique, car il continue dans le même temps à s'appliquer à des gens qui font
effectivement office de proxènes et qui sont récompensés par la cité pour ce type de services.
être victime d'un droit de représailles qui se traduit par la saisie de sa personne ou de ses
biens, parfois même de l'une et de l'autre. Ce droit de saisie s'exerce en vertu d'un droit
coutumier qui autorise un particulier, sur la base d'un grief précis, à procéder à la saisie de
biens ou de personnes, sans avoir recours aux tribunaux. C'est donc un acte extrajudiciaire,
mais il ne s'agit pas pour autant d'un acte de violence arbitraire ni aveugle puisqu'il
s'exerce selon des règles de droit coutumier, notamment en présence de témoins, et qu'il
ne vise que le coupable. Du reste, la cité elle-même, quand elle est lésée en tant que
communauté, peut exercer ce droit à l'encontre d'un étranger nommément désigné, sur la
base d'un grief public, en autorisant ses membres à soumettre l'étranger coupable à la prise
de corps ou à la saisie des biens, sans passer par les tribunaux. Cette pratique du droit de
saisie reflète assurément un développement insuffisant du droit international. Sans doute à
l'origine était-elle d'usage courant, aussi bien à l'intérieur d'une même communauté que dans
les rapports avec les étrangers. Mais si elle a disparu assez tôt dans les différends entre
citoyens, elle s'est perpétuée plus longtemps dans les relations avec les étrangers, puisqu'on en
trouve encore des exemples à l'époque hellénistique.
Il peut donc être risqué pour un étranger de passage, qui aurait lésé les intérêts
d'un citoyen sans lui avoir procuré réparation, de se trouver dans les murs ou sur le
territoire de la cité. Il n'y a pour lui que deux façons d'échapper au droit de saisie:
l'asylie ou l'existence d'une convention judiciaire entre sa cité et celle où il s'est rendu.
2. L'asylie et l’asulon.
L'un des mots grecs le plus communément employés pour exprimer la saisie est le
verbe grec sylan qui signifie: enlever, saisir, dépouiller. L’asylia , dont nous avons fait en
français l'asylie, est donc, à proprement parler, l'absence de saisie. Assurer à un étranger
l'asylie, c'est lui garantir une protection contre la saisie. Elle peut lui être procurée soit par
un décret pris par une cité en faveur d'un étranger à titre individuel, soit par un décret
d'une cité qui étend le bénéfice de l'asylie à tous les ressortissants d'une autre cité, soit
même par une convention d'asylie conclue entre deux cités et qui garantit l'asylie par
réciprocité aux habitants de l'une ou de l'autre. Dans tous les cas de figure, cette asylie ne
peut être assurée par la cité qui l'accorde que dans les limites du territoire qu'elle
contrôle. Elle fait obligation à tout citoyen de s'abstenir de procéder lui-même, sur la
personne ou les biens du bénéficiaire, à toute réparation de préjudice subi, faute de quoi les
autorités de la cité le contraindront à restitution. L'étranger qui bénéficie de l'asylie est donc
sous la protection de la cité qui veille à ce qu'il ne soit pas victime d'un acte de saisie
extrajudiciaire. Toutefois, il ne peut encore avoir affaire qu'à certains magistrats, sans pouvoir
plaider devant des tribunaux ordinaires. Les bénéficiaires de l'asylie furent dans la grande
majorité des cas des étrangers que la cité voulait récompenser ou honorer (proxènes,
bienfaiteurs, hommes d'État), mais il pouvait s'agir aussi de professionnels (artisans,
spécialistes divers, artistes) dont on pouvait avoir besoin pour assurer le bon achèvement
d'un chantier public ou d'un spectacle.
À partir de l'époque hellénistique, les étrangers qui se rendent dans certaines villes,
sur le territoire desquelles se trouvent des sanctuaires fréquentés, bénéficient d'une
asylie qui est reconnue et garantie non seulement pour le sanctuaire lui-même, mais aussi
pour la cité et son territoire. Il s'agit là d'un phénomène intéressant où se mêlent à la fois des
préoccupations religieuses et des intérêts économiques, un souci de protection des pèlerins en
même temps que de sécurité pour les citoyens, et dans lequel la pratique juridique vient au
secours des interdits religieux. Le besoin se fait en effet sentir de renforcer l'inviolabilité
naturelle qui s'attache à un sanctuaire en lui reconnaissant expressément, en vertu d'un décret
pris par une cité, une confédération ou un royaume, une asylie garantie par tous les États qui
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ont accepté d'assister aux manifestations religieuses qui s'y déroulent. Nous possédons de très
nombreux exemples de ces reconnaissances d'asylie dont le plus ancien remonte au milieu du
IIIe siècle.
En réalité, il faut bien voir que les sanctuaires, notamment les sanctuaires à
rayonnement régional ou panhellénique, sont plus que jamais, à l'époque hellénistique, de
véritables lieux de vie, non seulement religieuse, mais aussi culturelle, voire économique.
Ces grands rassemblements ont besoin, pour être réussis, que la sécurité des hommes et des
biens y soit assurée, au moins dans les limites du sanctuaire. Il faut que les manifestations
organisées en l'honneur du dieu puissent se dérouler paisiblement et c'est le motif
invoqué officiellement dans toutes les demandes d'asylie. Mais en même temps, il
convient d'assurer aux nombreux commerçants et visiteurs qu'attirent ces
manifestations un séjour sans embûches dans la cité. Aussi la ville qui administre le
sanctuaire et qui est souvent située dans son voisinage immédiat entend bien profiter de
l'occurrence en faisant étendre à tout le territoire de la cité cette asylie reconnue et garantie
par certaines grandes puissances du moment. Pour cela, après avoir fait reconnaître les jeux et
concours qui font du sanctuaire le lieu d'un grand rassemblement, elle demande la
consécration (kathiérôsis) de la cité et de son territoire à la divinité honorée dans le
sanctuaire. C'est cette consécration qui lui permet d'être déclarée, au même titre que le
sanctuaire, « sacrée et inviolable » (hiéra kai asylos). Les étrangers qui se trouvent sur le
territoire de cette cité sont donc protégés par une asylie qui dure aussi longtemps que
durent les jeux et qui les met à l'abri de toute saisie de leur personne ou de leurs biens.
L'indication est précieuse: ce n'est qu'au bout d'un certain temps de séjour dans la
cité que l'étranger de passage devient métèque. Mais nous ne pouvons guère en dire plus
sur le délai qui lui est imparti. On a parfois invoqué le texte d'une convention judiciaire
entre deux petites cités de Locride, Oiantheia et Chaleion, pour estimer que ce délai était
d'un mois, mais ce n'est pas du tout certain. Tout ce qu'on peut dire, c'est que, passé un
certain temps de séjour qui pouvait être considéré comme l'indice d'une volonté de l'étranger
de s'attarder dans la cité, il était rangé dans la catégorie des métèques.
Bien entendu, ce statut n'était pas acquis du seul fait que l'étranger prolongeait son
séjour. Il était tenu de se faire inscrire comme métèque sur le registre d'un dème, tout
comme devait le faire un citoyen à sa majorité, à la différence qu'il ne pouvait comme le
citoyen faire partie de l'assemblée du dème. Au reste, sur bien des points son statut le
distingue du citoyen.
d'ailleurs associés à plusieurs expéditions menées hors du territoire athénien. Sur la foi
d'une indication donnée par Thucydide (II, 13, 6- 7), on estime le nombre des métèques
utilisés comme hoplites à plus du tiers des hoplites mis sur pied par Athènes pour l'année
431. Chiffre important qui s'explique par le niveau des ressources de la catégorie des
métèques. Ajoutons que les métèques étaient enrôlés à partir de listes distinctes de celles
des citoyens et servaient donc très probablement dans des unités séparées.
Ils servent également dans la marine comme rameurs à côté des moins fortunés
des citoyens, les thètes. L 'habitude de recourir régulièrement aux métèques pour constituer
les équipages des trières date au moins de la guerre du Péloponnèse, comme l'indiquent un
discours de Périclès qui se plaît à rendre hommage à leur fidélité (Thucydide, I, 143, 1) et un
appel émouvant du stratège Nicias aux métèques qui figurent dans l'expédition navale
athénienne de Sicile en 413 (Thucydide, VIII, 63, 3-4).
f. Le métèque a accès aux tribunaux ordinaires de la cité. Sa seule qualité de
métèque lui ouvre cet accès, ce qui n'est pas le cas des étrangers de passage qui relèvent
de tribunaux spéciaux, sauf si leur cité a conclu avec Athènes une convention judiciaire.
Mais il ne jouit pas pour autant du même traitement que le citoyen. Les affaires dans
lesquelles il est impliqué sont instruites par le polémarque, magistrat compétent pour
tout ce qui concerne les étrangers. Le polémarque peut même dans certains cas présider le
tribunal qui juge de l'affaire qu'il a instruite, en lieu et place de l'archonte compétent. Le
métèque est également tenu de déposer une caution devant le magistrat instructeur
lorsqu'il est inculpé; quand il n'a pas de garanties suffisantes, il peut être emprisonné, ce
qui n'est pas le cas pour un citoyen. Quand le métèque est victime d'un meurtre commis
par un citoyen, sa famille peut intenter un procès au meurtrier, mais l' affaire est jugée
par un tribunal appelé Palladion qui ne peut infliger comme peine maximale que l'exil;
de plus, le citoyen meurtrier du métèque n'est pas emprisonné en attendant le procès, comme
c'est le cas quand le meurtrier est un métèque; il suffit qu'il soit présent le jour du jugement.
D'autres disparités peuvent être encore constatées, notamment dans les actions publiques où
l'intérêt de l'État est en jeu et où le pouvoir de coercition de la Boulè peut s'exercer
directement à l'encontre du métèque sans qu'un tribunal ne soit saisi. Si donc le métèque peut
comparaître devant les tribunaux de la cité pour que justice lui soit rendue selon les lois de la
cité, la procédure suivie fait bien souvent de lui un justiciable particulier.
g. Peut-il prendre part à la religion civique ? Si les étrangers en sont normalement
exclus, les métèques y participent, mais dans certaines limites. Dans le domaine
religieux, comme en d'autres domaines, leur situation est faite d'un mélange d'intégration et
d'exclusion.
Ils ne peuvent exercer de sacerdoces, ce qui n'a rien pour surprendre puisque même
les naturalisés de fraîche date ne pouvaient y accéder. Mais ils peuvent prendre part à
certains sacrifices publics. C'est ce que prouve un décret du dème de Scambonide, daté du
Ve siècle, qui réglemente la distribution de viande après le sacrifice. Ce décret fixe la part de
chaque démote à une valeur de trois oboles, puis ajoute: «Les métèques la recevront aussi».
Nous ne savons malheureusement pas si tous les dèmes procédaient ainsi. En tout cas, on peut
noter qu'ici la part des métèques est identique à celle des citoyens.
Un autre texte atteste la distribution de viande aux métèques. Il s'agit d'une
inscription concernant la fête des Hephaistia, en l'honneur du dieu Héphaïstos et d'Athéna
Erganè. En 421/20, année de notre décret, cette fête revêt une solennité particulière, car une
commission extraordinaire est créée pour la préparer; c'est dire que la participation des
métèques à cette cérémonie est un fait important. Or, après d'autres dispositions, le décret
ajoute :« On donnera aussi aux métèques trois bœufs dont les hiéropes leur distribueront
66
les chairs crues ». Ce texte comporte deux précisions intéressantes: ces trois bœufs sont
destinés à l'ensemble des métèques, mais dans le même texte les citoyens s'en voyaient
attribuer cent; la part des métèques est donc prévue mais elle est bien moindre que celle des
citoyens. Autre précision: les viandes leur sont attribuées crues, ce qui veut dire que les
métèques les mangeront chez eux et ne sont donc pas admis au repas qui suit le sacrifice,
au cours duquel on consommait cuites les chairs des victimes. Le métèque reste donc étranger
au cercle de ceux qui participent à cet acte essentiel pour la cohésion civique qu'est le repas
sacrificiel. Si l'on en juge donc d'après ce document, les métèques ne sont pas écartés des
sacrifices publics, comme le sont les étrangers ordinaires, mais ils ne sont pas traités sur
un pied d'égalité avec les citoyens. Il reste que nous ne savons pas s'il en était ainsi dans
toutes les fêtes. Celle des Hephaistia avait peut-être un caractère particulier dans la mesure
où elle apparaît comme la fête des forgerons et, d'une manière plus générale, celle des
artisans. On peut penser que c'est la raison pour laquelle les métèques, qui sont nombreux
dans la catégorie des artisans, y recevaient un traitement particulier .
Les métèques athéniens participaient aussi à la grande fête des Panathénées. Leur
présence dans la procession est attestée par plusieurs textes qui signalent qu'ils y portaient
des bassins (skaphai) chargés de miel et de gâteaux. Ces « skaphéphores » semblent avoir
été choisis parmi les jeunes garçons métèques qui défilaient ainsi, vêtus de tuniques pourpres.
De leur côté, des jeunes filles métèques participaient à la procession, en portant des
parasols et des hydries, d'où leur nom de « skiadophores » et d'« hydriaphores ». On peut
sans doute reconnaître les jeunes garçons métèques dans les porteurs de bassins qui figurent
sur le côté nord de la frise du Parthénon et peut-être les jeunes filles métèques dans les
porteuses d'hydries de la frise est.
On ne sait si les métèques pouvaient participer aux concours dramatiques qui se
déroulaient pendant les grandes fêtes religieuses mais ce qui est certain, c'est qu'ils
pouvaient être chorèges puisqu'ils assumaient cette liturgie et qu'en cette qualité ils étaient
chargés de mettre en place les chœurs de tragédies, de comédies ou de dithyrambes. Des
chorèges métèques sont expressément mentionnés pour la fête des Lénéennes en l'honneur de
Dionysos.
Quant aux Mystères d'Éleusis, il est certain qu'ils pouvaient y être initiés, tout comme
les étrangers non résidents, pourvu qu'ils fussent grecs et qu'ils fussent introduits par un
mystagogue athénien. Certains métèques pouvaient même être mystagogues, comme ce
fut le cas de l'orateur Lysias.
De quelles régions provenaient-ils ? C'est bien difficile à dire. Pour le milieu du IVe
siècle, Xénophon relève qu'il y a beaucoup de non-Grecs : Syriens, Lydiens, Phrygiens « et
autres Barbares », ajoute-t-il (Revenus, 2, 5). Mais les textes et les documents épigraphiques
permettent de relever également de nombreux métèques originaires de cités grecques, sans
qu'on puisse dire toutefois dans quelle proportion. Il est possible néanmoins que, parmi les
métèques d'origine servile, le nombre des non-Grecs ait été plus important, compte tenu des
régions où l'on s'approvisionnait en esclaves à cette époque.
Mais le nombre des métèques est moins important que la place qu'ils occupent
dans la société et tout particulièrement dans certains secteurs de l'activité économique.
de deux chevaux blancs, et ne se déplaçait qu'avec une escorte personnelle de trois ou quatre
hommes. Désigné comme triérarque, il se servit des navires dont il avait la charge pour
charger pour son propre compte du bois, du bétail et du matériel qu'il revendait à Athènes.
Si l'on devait, pour achever l'examen de leur statut, le caractériser en quelques mots,
on pourrait dire qu'il est marqué du sceau d'une certaine ambiguïté. Les métèques font
partie, d'une certaine manière, de la communauté athénienne: ils sont inscrits sur le
registre des dèmes, ils obéissent aux lois de la cité et s'y engagent, ils assument des
liturgies et sont assujettis à l'eisphora, ils sont enrôlés dans l'armée et dans la marine, ils
participent à un certain nombre de manifestations du culte public. De même, leur origine
n'est prise en compte que dans les situations où leurs adversaires essaient d' en tirer argument
pour les attaquer . Mais d'un autre côté, ils sont totalement dépourvus de droits politiques,
ils n'ont pas accès à la propriété foncière, ils sont assujettis à des taxes particulières, et
sont tenus d'avoir un patron qui puisse répondre d'eux. La communauté civique a donc
accepté ces étrangers résidents mais en leur assignant une place dont elle ne souhaite pas
qu'ils s'écartent sans son autorisation.
Leçon 3
Les femmes et leur place dans
la cité classique
Selon ARISTOTE, Politique, II, 1269 b, "l'état doit être considéré comme partagé
presque également entre la masse des femmes et celle des hommes, si bien que dans toutes les
constitutions où la condition des femmes est mal définie, la moitié de la cité doit être
considérée sans lois"… Préambule révélateur de la faible part qui est celle de la femme en
Grèce aux Ve - IVe siècles. Elle qui assure le renouvellement des générations, peut connaître
des statuts très variables en étant soit femme de Citoyen athénien ou spartiate, soit courtisane,
soit riche métèque, soit esclave.
La bibliographie sur ce sujet est vaste; je me bornerai à indiquer ici les ouvrages
fondamentaux:
- C. MOSSE, La femme dans la Grèce antique, Paris 1983; de lecture agréable, il servira de
support à mon propos. A noter qu’il contient une bonne bibliographie.
- W.K. LACEY, The Family in Classical Greece, Ithaca-New-York, 1968;
- U.E. PAOLI, La donna greca nell’Antichita, Florence 1953;
- Ch. SELTMAK, Women in Antiquity, Londres 1956;
- P. HERFST, Le travail de la femme dans la Grèce ancienne, Utrecht 1922;
- D.M. SCHAPS, Economic Rights of Women in Ancient Greece, Edimbourg 1979;
- A.W. GOMME, The position of Women in Athens in the Fifth and Fourth century B.C; in
revue Classical Philology, 20, 1925, pp.1-25;
- N. LORAUX, Les enfants d’Athéna, Paris 1982;
- M. DETIENNE, Les jardins d' Adonis, Paris 1972;
- P. VIDAL-NAQUET, M. ROSELLINI, S. SAID et D. AUGER, Aristophane, les femmes et
69
dont le travail est au dehors; il faudra surveiller ceux qui doivent travailler à la maison,
recevoir ce que l'on apportera, distribuer ce que l'on devra dépenser, penser d'avance à ce
qui devra être mis de côté, et veiller à ne pas faire pour un mois la dépense prévue pour une
année. Quand on t'apportera de la laine, il faudra veiller à ce qu'on en fasse des vêtements
pour ceux qui en ont besoin, veiller aussi à ce que le grain de la provision reste bon à
manger. Parmi les tâches qui t'incombent , dis-je, il en est toutefois une qui te paraîtra peut-
être assez désagréable: lorsqu’un serviteur est malade, il te faut veiller toujours à ce qu'il
reçoive les soins nécessaires. » Lourde tâche, donc, qui attend l’épouse. Et encore, ce n'est
pas tout: la femme doit encore former les esclaves au travail de la laine, apprendre son
métier à l'intendante, récompenser et châtier les esclaves; elle est gardienne des lois
domestiques, (nomophylax, dans l'oikos) et elle veille sur tous les biens de la maison. De
plus, Ischomaque déconseille à sa femme de se farder, car pour avoir une véritable beauté,
il vaut mieux prendre de l'exercice: « s'approcher du métier à tisser pour enseigner ce qu'elle
savait mieux que les autres et apprendre de son côté ce qu'elle savait moins bien, surveiller
aussi la boulangère, se tenir auprès de l'intendante pendant les distributions et faire sa
tournée pour veiller à ce que chaque chose soit à sa place. »
Ce tableau idéal de la vie conjugale fait étrangement penser au portrait de
Pénélope, la femme d'Ulysse, telle qu'elle apparaît dans l'Odyssée. Là aussi la femme vit à
la maison, dans le gynécée d'où elle dirige à la fois l'atelier textile où travaillent les
servantes, la cuisine et tous les services utiles à l'entretien et à la conservation des provisions.
Mais cette femme qui vit au milieu de ses servantes, des esclaves et des enfants de la
famille, est certainement issue de la catégorie la plus aisée de la population. C'est là le
portrait d'une aristocrate privilégiée. La femme du peuple, décrite dans les comédies
d'Aristophane, ne se présente pas sous un jour aussi favorable: vivant dans un logis beaucoup
plus modeste, elle n'est pas aussi entourée; elle va aux champs avec son mari ou son père; elle
fait preuve de ruse, de fourberie, de sensualité, de coquetterie et l'homme doit s'en méfier. La
vérité est sans doute entre ces deux extrêmes...
par la transhumance des troupeaux vers les alpages en été. Le soin du troupeau, c'est
l'activité noble réservée aux hommes, comme chez les guerriers massai aujourd’hui.
Gratter la terre à la houe revient aux femmes vieillies très tôt. On retrouve cette
répartition des tâches parmi certaines tribus africaines, notamment chez les Massaïs ou les
Peuls, les hommes se réservant la chasse et la conduite des troupeaux. La mortalité des
femmes en couche devait très forte, ce qui entraînait des remariages fréquents des
hommes. La vie de la femme d'Ischomaque est celle d'une privilégiée; celle de la majorité des
femmes grecques des Ve et IVe siècles est une vie dure et épuisante.
1°) Les termes qui définissent les actes essentiels de la vie d'une femme.
- l'enguè c'est l'acte par lequel un homme et une femme s'unissent légitimement.
C’est un contrat verbal entre le père de la jeune fille et le futur époux, entre 2 maisons,
deux génè, dans lequel la cité n’intervient pas (le registre des dèmes note les naissances,
mais pas les mariages);
- la gamétè gunè est l'épouse légitime, qui vit avec son. mari après l'enguè;
- la politis est la citoyenne, selon un terme employé par ARISTOTE, Politique, III, 2,
3. Mais il n'implique pas l'attribution d'une politeia à une femme, même si un exemple montre
une évolution, vers le milieu du IVe siècle. DEMOSTHENE, Contre Spoudias, 9 donne le cas
d'une Athénienne qui prête de l'argent sans l'intervention de son. mari; peut-on voir là le cas
d'une plus grande indépendance de la femme, ou un simple cas isolé ?
- la fille épiclère est l'héritière du bien paternel en l'absence de tout descendant
mâle; à Athènes, elle doit épouser son plus proche parent dans la lignée paternelle
(problème si elle est déjà mariée...);
- le kyrios est le tuteur d'une femme: il peut s’agir de son père jusqu'à son mariage,
puis de son mari et, après la mort de celui-ci, le fils ou, à défaut, le plus proche parent. Le
kyrios est important, car c'est lui qui agit pour la femme en justice et pour tout acte
public; la femme est donc juridiquement mineure toute sa vie.
- la proïx c'est la dot; elle est remise par le père de la jeune fille au mari qui n'en a
que l'usufruit. Si la femme est répudiée, elle récupère sa proïx; si elle meurt en laissant des
fils, sa dot leur revient. Si elle meurt sans enfants, la dot revient à sa famille d'origine: la dot
n'appartient pas au mari ni à la femme: elle est transmise seulement aux fils. A noter que la
rupture d'un mariage était le plus souvent le fait du mari qui devait alors restituer la dot.
PLUTARQUE, Vie de Lycurgue, 14, 3 abonde en ce sens: « Par son ordre, les jeunes
filles s'exercèrent à la course, à la lutte, au lancement du disque et du javelot. Il voulait que
la semence de l'homme fortement enracinée dans des corps robustes poussât de plus beaux
germes et qu'elles mêmes fussent assez fortes pour supporter l'enfantement et lutter avec
aisance et succès contre les douleurs de l'accouchement. » Rappelons que de très
nombreuses jeunes femmes grecques mourraient en couches à cette époque.
l'on veut maintenir au troupeau toute son excellence ». A retenir donc, que la femme est
avant tout, à Sparte, l'instrument de la procréation, "le ventre fécond", pour reprendre
l'expression de C. Mossé.
polis.
précise que la loi n'a pas d'effet rétroactif. Avec cet exemple, on comprend mieux ce qui a dû
se passer à Sparte où, dit Aristote, les femmes possédaient les 2/5 e de la terre; on peut penser
que là aussi, les femmes ont pu hériter et recevoir des dots sans limitation, d’un montant
parfois considérable, alors qu'à Gortyne, la loi impose une limite.
épouses accompagnant le guerrier appelé au combat. Il en est de même pour le théâtre qui
donne assurément une image déformée de la femme grecque.
Leçon 4
Les dépendants et les esclaves dans les
cités grecques à l’époque classique.
En grec, l'esclave c'est le doulos, mot qui apparaît déjà sur les tablettes mycéniennes
(sous la forme doero). Mais la servitude revêt bien des aspects sous un vocable unique. En
effet, un même mot , douleia, "les catégories serviles", désigne les esclaves athéniens achetés
individuellement par un maître pour son service, les hilotes spartiates membres d'une
collectivité dépendant de la cité et affectée à l'exploitation d'un cléros et enfin les dépendants
qui sont des catégories sociales intermédiaires entre les hommes libres et les esclaves. (cf.
THUCYDIDE,V,23)
La bibliographie sur ce sujet est très abondante. Nous ne rappellerons ici que quelques
ouvrages essentiels. En premier lieu, il convient de citer un livre fondamental: celui de Y.
GARLAN, Les esclaves en Grèce ancienne, Paris, 1982. Ensuite sont utiles les actes des
colloques de Besançon sur l'esclavage, qui se sont tenus de 1970 à 1973 et le colloque « Terre
et paysans dépendants dans les sociétés antiques », tenu à Besançon en 1974 et publié en
1979. A lire également, l'article de P. VIDAL-NAQUET, "Les esclaves grecs étaient-ils une
classe?" dans Le Chasseur Noir, Paris, 1983.
créancier; elle reste indépendante, mais limitée par des horoi (un horos: sorte de borne de
pierre posée aux angles du lopin de terre).
Vers 600, juste avant notre période, il y a eu une brusque dégradation de l'économie de
l'Attique qui a entraîné le gonflement de la catégorie des hectémores: d'où une situation de
déséquilibre prononcé à laquelle la réforme de Solon mettra fin.. En effet, Solon a procédé à
la seisachteia, « l'arrachage des bornes ». ARISTOTE Constitution d'Athènes, XII, met ces
mots dans la bouche de Solon: "oui, le but que je me suis fixé est de procéder à la seisachtéia
pour venir à bout de l'augmentation du nombre des hectémores". Mais cette mesure ne
supprime pas pour autant les problèmes de subsistance, puisqu'il n'y a pas partage des
terres. Donc un certain nombre d'anciens hectémores vont se tourner vers des activités
artisanales urbaines (c'est vers 580-560 que s'accroît considérablement la production de
céramique..., d'où un futur développement du grand commerce à Athènes). Ainsi, le règlement
de ce statut de dépendance est très différent de celui que connaîtra Sparte, que nous étudierons
plus loin.
fait le résultat de l'asservissement d'une partie du corps civique pour des raisons
inconnues) et les nouveaux hilotes de Messénie, une région conquise par Sparte à la fin
du VIIe siècle (et dominée jusqu'en 371, car après la victoire béotienne de Leuctres, la
Messénie devient indépendante).
d'assassiner!
1° ) Les hypomeiones.
Evoqués précédemment, ce sont des Spartiates de naissance, déchus de leurs droits
civiques à l'intérieur de la cité pour n'avoir pas pu suivre l'agogé (l' éducation du jeune
Spartiate) ou ne pas être parvenu à payer leur écot au banquet communautaire, le
syssition. Ils sont donc ravalés à une condition inférieure; leurs enfants et descendants
restent également déchus.
2° ) Les néodamodes.
Ce sont des hilotes hoplites qui, admis sur le champ de bataille auprès de leur
maître, sont libérés en récompense de leur loyauté ou des services rendus. Ils forment une
catégorie intermédiaire qui, comme les hypomeiones, peut exercer des activités interdites aux
Spartiates. Leur nom ne signifie pas qu'ils sont de nouveaux citoyens (des néopolitai), mais
simplement qu'ils prennent la place de citoyens pendant les combats: ils servent dans les
garnisons exposées. Il est probable qu’après la perte de la Messénie, Sparte n'a plus
besoin de cette catégorie, ce qui limite son existence aux années 421-369.
3°) Les Mothaces.
Ce terme désigne à la fois des enfants nés de père spartiate et de mères hilotes et,
en majorité, des enfants d'hilotes ou d'hilotes affranchis qui participent à l'agogé auprès
de leur jeune maître spartiate, sortes de frères de lait. Ces mothaces étaient libres mais
ne pouvaient accéder qu'exceptionnellement aux droits civiques. Leur situation s'apparente
à celle des Spartiates appauvris qui ont perdu leur kléros et leurs droits civiques, les
hypomeiones.
4° ) Les parthenoi.
Cette dernière catégorie est très originale. Leur nom vient de parthenos, la jeune
femme qui bien qu'ayant des enfants, ne possède pas le statut de femme mariée. Une
tradition veut qu'à la fin de la première guerre de Messénie (720-710), il y ait eu à Sparte un
groupe de jeunes gens nés hors mariage légitime qui, non reconnus comme des homoioi,
auraient été expulsés de la cité de Sparte et seraient partis fonder la colonie de Tarente, en
Grande Grèce. En conséquence, ces parthenoi représentent un groupe qui par le sang se
82
rapproche au groupe des homoioi sans entrer dans leur statut social. Nous voyons bien ici que
le principe de naissance ne suffit pas pour qualifier un citoyen; il lui faut, en plus, une
reconnaissance officielle. Ceci nous amène à parler des dépendants en pays colonial.
esclaves, en effet, étaient nombreux à Chios; ils y avaient même atteint un nombre sans égal
pour une seule cité, à l'exception de Lacédémone; et en même temps, à cause de ce nombre,
on châtiait leurs fautes plus durement". Comme une inscription du milieu du VIe siècle
montre que Chios a aussi montré la voie vers la démocratie, on est tenté de rapprocher
ce développement de la démocratie et celui de l'esclavage, comme si la démocratie avait
besoin de l'esclavage pour pouvoir s'organiser, en libérant les citoyens de travaux qui les
empêchaient de prendre part à la vie civique. Sans trancher sur ce problème, il faut
cependant retenir que le développement de l'esclavage est plus précoce et plus important
dans les zones d'activité économique et, en revanche, tardif et lent dans les régions de
l'intérieur qui restent, jusqu'au IVe siècle, essentiellement rurales.
Donc l'esclavage-marchandise est surtout connu, à la fin du VI e siècle, dans les
cités de l'Isthme de Corinthe, dans les îles et les cités d'Asie Mineure, en particulier
celles d'Ionie, à Athènes et dans les cités coloniales (Syracuse...). Ces esclaves, depuis le
début du VIe siècle, sont achetés sur des marchés lointains ; ce sont surtout des barbares
venus de Thrace, de la côte septentrionale de la mer Egée et des bords du Pont-Euxin. Donc
dans la cité, l'esclave qui a été acheté est l'étranger absolu: il est objet de propriété et peut
être cédé au gré de ses maîtres successifs. Le plus souvent le propriétaire est une
personne privée, mais l'état peut vendre et acheter des esclaves et en utiliser, par
exemple pour la police des marchés, mais éventuellement pour les louer. Les esclaves ne
peuvent fonder de familles bénéficiant d'un statut légal: s'il a des enfants, l'esclave n'est
pas sûr que sa famille reste unie jusqu'à l'arrivée à l'âge adulte des enfants. Aucun registre ne
vient officialiser l'existence juridique de ces esclaves qui sont, selon ARISTOTE (cf. texte
distribué) des outils animés, de simples corps (sôma) pour reprendre l'un des termes qu'il
utilise pour les désigner.
comme à Delphes) et plus rare pour la période classique. Non pas que les affranchissements
soient plus rares, mais parce que les décisions accordant la liberté à un esclave ne
faisaient pas l'objet d'une publication officielle.
Suivant les régions, la décision d'affranchissement est prise par l'homme seul, ou
par la femme dans les régions du nord-ouest, ou par un groupe familial large (droit de
propriété collectif?). Au départ, l'affranchissement est fait par consécration de l’esclave à
une divinité, à Zeus d'Olympie au Ve siècle, à Poséidon du Cap Ténare aux Ve – IVe
siècles. L'affranchissement civil se répand plus tard. Il semble que dans tous les cas,
l'affranchissement donne lieu au versement d'une somme d'argent destinée à indemniser
le propriétaire. Le dieu sert d'intermédiaire entre l'esclave et son maître et la somme
vient du pécule du premier ou d'un prêt du maître. Après l'affranchissement, les anciens
esclaves paraissent assimilés aux étrangers et aux métèques. Ils atteignent rarement le
statut de citoyens, sauf quelques grands banquiers du IVe siècle (cf. texte extrait d'Y. Garlan).
A défaut d'affranchissement, des esclaves prennent la fuite pour échapper aux
mauvais traitements, à la cruauté d'un maître ou à une punition pour crime ou délit. Ces
fuites sont particulièrement fréquentes pendant les périodes troublées qui sont mises à
profit par les esclaves pour tenter leur chance. Ainsi, 20 000 esclaves athéniens de Décélie
s'enfuient en 413. Mais on relève dans une inscription de la même époque qu'au même
moment, les Thébains ont pu acheter à bon compte des esclaves: il s'agit sans doute des
mêmes qui n'ont fait que changer de maîtres, finalement. A peu prés au même moment, les
esclaves de Chios se sont enfuis auprès des Athéniens établis à proximité de la ville: "quand
donc l' expédition athénienne sembla installée d'une façon solide avec des fortifications,
aussitôt la plupart (des esclaves) désertèrent pour la rejoindre et ces esclaves, qui
connaissaient le pays, y causèrent les pires dommages" (THUCYDIDE, VIII, 40, 2). Mais les
esclaves qui réussissent à retrouver une vie libre par ce moyen sont très peu nombreux,
sauf dans le cas d'un retour dans leur pays d'origine pour les prisonniers ou ceux qui
avaient été victimes de raids de pillards qui les avaient vendu. La plupart du temps,
l'esclave fugitif retombe sous l'autorité d'un nouveau maître ou regagne son ancien
maître qui le marque alors au fer rouge.
Nombre
Pièce Date Maître Classe sociale Hommes Femmes
d'esclaves
Acharniens 427 Dicéopolis paysan moyen 4-5 3 2
Cavaliers 426 Démos Paysan moyen 4-5 4? ?
85
Il ressort de ce tableau - qui correspond à une période de crise, pourtant - que les
paysans possèdent en moyenne trois esclaves chacun. Ce chiffre augmente dés que l'on se
trouve dans les classes censitaires plus élevées. Mais avoir des esclaves, surtout à la
campagne, semble être un fait culturel établi.
d’Olbia, accordant l'atélie (exemption de taxes) à tel étranger, à sa famille et à ses esclaves...
- la banque, enfin, est un domaine où les esclaves sont peu nombreux et où
certains réussissent excellemment, au point de franchir tous les échelons de la société. Ainsi
DEMOSTHENE, Pour Phomion, 28-32, décrit l’ascension extraordinaire de Pasion puis de
son esclave Phormion. A mettre en parallèle le cas de la femme esclave qui connaît la
prostitution et qui, comme la fameuse Nééra, réussit, après une vie mouvementée, à gravir
bien des échelons de la société athénienne. Mais rares sont les esclaves qui atteignent un sort
si enviable.
recruter des mercenaires pour l'armée de terre et embarquer les citoyens comme rameurs.
(Hors d'Athènes, l'utilisation de rameurs esclaves parait assez courante, comme à Corcyre: cf.
THUCYDIDE, I, 55, 1). Dans l'armée de terre, l'emploi des esclaves est moins fréquent;
citons pourtant l'affirmation de PAUSANIAS, I, 32, 3, sur la présence d'esclaves enterrés à
Marathon aux côtés des Platéens. Enfin, je ne parlerai pas ici des esclaves secrétaires
chargés de la gestion des affaires publiques ou de l'entretient de la voirie qui appartiennent
à la cité athénienne. Il en a été question dans le chapitre précédent.
En conclusion, il nous faut évoquer le problème des liens entre esclavage et progrès
technique. Selon A. AYMARD, Histoire Générale du Travail, Paris 1959, "l'esclavage ne doit
pas être tenu pour une conséquence de l'absence des machines, c'est au contraire celle-ci qui
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Religion en Grèce
La religion grecque diffère à bien des égards des religions de nos sociétés
contemporaines, d'abord par la place qu'elle occupe dans la société. Elle n'est pas confinée
dans un secteur à part, mais présente à toutes les étapes de la vie humaine, elle est impliquée
dans tous les domaines de l'activité politique, sociale, familiale.
Il n'y a donc pas d'oppositions tranchées entre des zones que nous sommes habitués à
séparer: ainsi la participation à la vie religieuse de la cité d'où sont exclus étrangers et
esclaves, est-elle la marque par excellence du citoyen. De même la conception que se font les
Grecs de la divinité est différente.
(stupeur mêlée d'effroi). Ils sont enfin qualifiés de makarès, bienheureux, d'akèdéès, exempts
de soucis, à l'opposé des mortels en proie aux misères et au chagrin .
A côté de ces traits communs, les dieux ont chacun des traits distinctifs et
individualisés qui permettent leur reconnaissance. Ils ont un nom propre, que connaissent tous
les Grecs - Athéna, Poséidon ... - des attributs propres - l'égide d'Athéna , le trident de
Poséidon, le caducée d'Hermès -, une apparence physique et des attitudes caractéristiques
(Artémidore, La Clef des Songes), une histoire personnelle avec un état civil et des aventures.
Ils ont reçu en outre une multitude d'épithètes cultuelles qu'on appelle épiclèses, variant selon
le lieu du culte et l'aspect particulier du dieu qui est invoqué. Ainsi connaît-on toute une série
de Zeus : Zeus Polieus (protecteur de la cité), Zeus Sôter (sauveur), Herkeios (de la clôture),
Xénios (des suppliants), Meilichios (bienveillant), Ombrios (pluvieux), il existe même un
Zeus Apomyos (qui détourne les mouches) à Olympie . On rend hommage à Athéna Polias
(protectrice de la cité), Nikè (garante de victoire), Erganè (industrieuse), Hygeia (protectrice
de la santé), Phratria (protectrice de la phratrie), Héphaïstia (associée à ), Hippia (protectrice
des chevaux), la liste est loin d'être close. Pour le seul Apollon, on connaît près d'une centaine
d'épiclèses. Ces épiclèses renseignent donc sur les fonctions très diverses que peut assumer
une divinité .
Mais cette multiplicité d'aspects n'exclut pas un principe d'unité ; chaque dieu a en
effet, son mode d'action spécifique, son type de pouvoir, ses domaines réservés, dans les
grandes sphères d'activité où les hommes sollicitent leur aide ; si différents dieux
interviennent dans un même secteur, leurs actions ne se confondent pas mais se complètent.
Ainsi Athéna et Poséidon sont-ils invoqués tous deux lors d'une course de chevaux, la
première pour sa maîtrise reconnue sur le mors, le second pour son pouvoir souverain sur la
panique des chevaux qu'il peut provoquer ou supprimer (Pindare, 0lympique); Hestia et
Hermès sont protecteurs de l'espace, celui-ci de l'espace ouvert, celle-là de l'espace clos du
foyer.
A partir de cette multiplicité de pouvoirs divins délimités, chaque cité a réalisé une
combinaison, un groupement de puissances qui la protège plus spécialement et qu'on appelle
panthéon ; il n'y a donc pas un panthéon valable pour toute la Grèce mais des panthéons
locaux, constitués différemment selon les lieux ; une seule chose ne varie pas, le chiffre, les
dieux olympiens sont toujours douze.
La liste canonique qui sera retenue par les Romains est celle de la frise du Parthénon:
Zeus, Poséidon, Déméter, Héra, Arès, Aphrodite, Artémis, Apollon, Athéna, Hermès,
Dionysos, Héphaïstos. Mais ces Douze, pour une partie d'entre eux, sont autres à Sparte, à
Olympie, à Délos, petite île située au centre des Cyclades tout près de Mykonos, à Cos, île du
Dodécanèse, patrie d'Hippocrate ...
Ils reçoivent un culte sur un seul autel à Athènes, l'autel des Douze situé sur l'Agora,
sur six autels à Olympie , où ils sont regroupés deux par deux, sur quatre autels et groupés par
trois à Cos. Le panthéon d'une cité, loin d'être figé, peut varier et s'enrichir de nouveaux
dieux, voire comporter le même dieu sous un double aspect, ainsi un Zeus ouranien, céleste,
et un Zeus chthonien, souterrain, figurent dans le panthéon de Cos.
Cette variété se retrouve dans la façon dont les Grecs ont représenté leurs dieux. Ils ont
connu toutes les formes de figuration : pierre brute, pilier _ ces hermès placés aux carrefours
(Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse) -, masque - particulièrement pour
Dionysos -, figure animale, représentation humaine, et ce, dans des matériaux fort divers :
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bois, terre cuite, marbre, bronze , métaux précieux. Ces formes ne marquent pas une évolution
chronologique mais ont coexisté et sont traitées avec les mêmes égards.
On distingue divers types de figures anthropomorphes (avec une forme humaine), trait
si caractéristique de la religion grecque : la petite idole archaïque en bois, mal façonnée, bras
et jambes soudés au corps, appelée brétas ou xoanon ; elle est le plus souvent masquée aux
regards et n'est dévoilée que lors de certaines fêtes. Visibles, en revanche sont les statues
masculines et féminines, les Kouroi et les Korai, dans lesquelles les Grecs ont cherché à
traduire les qualités supérieures du corps des dieux : éclat, jeunesse, lignes parfaites. Reste à
mentionner la grande statue cultuelle dont la ressemblance avec l'homme était corrigée par sa
dimension bien supérieure à la taille humaine, de trois à dix mètres. La statue d'Athéna
Parthénos en or et en ivoire sculptée par Phidias pour le Parthénon, mesurait environ onze
mètres soixante-dix et la Victoire d'or qu'elle tendait en avant sur sa main, un mètre quatre-
vingts (Pausanias, Périégèse). Ces statues cultuelles étaient placées en général à l'intérieur du
temple, souvent accompagnées d'autres statues, offrandes et dédicaces. Toute une série de
techniques diverses, ornementation, parure, polissage, couleurs, pierres précieuses, permettait
de souligner le caractère divin de ces effigies . Certaines de ces statues étaient promenées,
baignées dans la mer, ointes d'huile, vêtues solennellement .
A côté des dieux placés au sommet de la hiérarchie, les Grecs vénéraient deux autres
catégories d'êtres surnaturels : les démons et les héros. Les daimones (démons), ne sont pas
précisément distingués, dans Homère, des dieux, et ils interviennent de façon similaire auprès
des hommes. Hésiode, poète épique postérieur à Homère, en évoque deux sortes : les
Epichthoniens, démons justes, vivant sur terre, sont issus des hommes de la race d'or;
auxiliaires de Zeus, ils sont les gardiens des hommes ; les Hypochthoniens, démons injustes,
relégués sous terre comme le furent les Titans, sont, eux, issus des hommes de la race
d'argent, livrés à la démesure. (Hésiode, Les Travaux et les Jours) Ces démons, au contour très
imprécis - ils sont anonymes et sans représentation -, bienveillants ou malveillants, ont été
importants dans les croyances populaires. Le mot démon apparaît aussi comme l'équivalent du
destin, du lot réparti à chaque homme, notion conforme à la racine de daimôn qui signifie
"partager, répartir ". Il est alors très voisin du "Genius" latin, s'attachant à un individu donné
dès sa naissance et déterminant sa destinée. Il peut désigner encore une faculté divine
intériorisée dans un homme ; Socrate évoquait en ce sens son démon intérieur qui se
manifestait à lui sous la forme d'une voix pour le détourner de ce qu'il allait faire. (Platon,
Apologie de Socrate) Dans cette optique pour des philosophes tel Platon et Plutarque par
exemple, les démons servent d'intermédiaires entre les dieux et les hommes, aidant ceux-ci à
se rapprocher du monde divin. (Plutarque, Sur la Disparition des oracles)
Les héros sont une espèce à part, qui vient après les démons, dont les origines sont
diverses : demi-dieux issus des amours d'un dieu et d'une mortelle, dieux déchus, héros des
légendes épiques, héros ancestraux, héros historiques (Thucydide, Histoire de la guerre du
Péloponnèse). Ils sont distincts des hommes et par les actions extraordinaires de leur vie et par
le pouvoir qu'ils peuvent exercer après leur mort.
Beaucoup d'entre eux ont une légende, plus ou moins riche, où sont contés leurs
exploits (Héraklès, Thésée) . Pour la plupart héros fondateurs et civilisateurs, ils sont
essentiellement protecteurs de la cité ; ils ont comme les dieux, des sphères d'action
privilégiées - combat, jeux, divination, médecine, végétation, formation des jeunes et rites de
passage - où ils exercent leur pouvoir, positif le plus souvent.
Ils possèdent un tombeau, l'hérôon, autour duquel se développe leur culte . Le culte
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héroïque aussi important que le culte rendu aux dieux, a un caractère tout à fait local : chaque
cité a ses héros qui restent inconnus ailleurs, sauf de rares exceptions, dont Héraklès, connu
de toute la Grèce.
d'éliminer sa souillure et de retrouver un état normal, en règle avec le divin, état qualifié de
hosion. (Eschyle, Les Euménides) D'autres règlements particuliers cette fois à tel ou tel
sanctuaire, pouvaient mentionner d'autres espèces d'interdits relatifs aux vêtements, au port
d'armes, de bijoux, à l'introduction de certains animaux. (LSG)
Le caractère sacré du sanctuaire se communique à tout ce qui s'y trouve ( eau, arbres,
bosquets, objets consacrés) et à quiconque y pénètre : il est asylon, lieu d'asile, ce qui signifie
que nul n'a le droit de prise (sylè) à l'intérieur de son enceinte. Aussi offre-t-il un refuge sûr à
ceux qui viennent s'y installer en suppliants dans la posture rituelle, qui consiste à s'asseoir
près de l'autel du dieu ou à côté de sa statue avec le rameau d'olivier orné de bandelettes.
(Eschyle, Les Suppliantes) Le non respect de l'asylie est considéré comme sacrilège entraînant
souillure et malédiction divine, et puni sévèrement par les lois humaines. (Plutarque, Solon)
Si modeste soit-il, un téménos destiné au culte, renferme au moins un autel qui est le
seul monument cultuel vraiment indispensable. L'autel, généralement situé en plein air, est de
deux sortes selon la nature des sacrifices qu'on effectue : pour les sacrifices de type sanglant,
destinés aux dieux, avec partage et consommation des victimes, l'autel, bômos, comprend un
foyer surélevé sur un socle où l'on brûle les parts des dieux et où l'on rôtit les parts des
hommes.
Il est de taille variable selon l'importance du sanctuaire et le plus souvent en pierre ou
en marbre ; on connaît grâce à Pausanias, un autel de Zeus à Olympie formé uniquement de
l'accumulation des cendres de sacrifice, ou encore un autel d'Apollon à Délos composé
entièrement de cornes de chèvres. Pour les sacrifices dits chthoniens destinés aux divinités
infernales et aux héros, l'autel bas, désigné du nom du foyer, eschara, est déposé à même le
sol ; les victimes y sont entièrement brûlés (holocauste) et le sang est versé dans un trou qu'on
appelle bothros.
En plus de l'autel, un téménos quelque peu important possède une statue de culte et
reçoit des offrandes qu'il faut abriter sous des édifices typiques du sanctuaire grec classique :
le temple, les trésors, les portiques. Le temple, naos, de la racine du verbe naiein "habiter", est
la demeure du dieu, non celle des fidèles. Il a une fonction utilitaire, dans la plupart des cas,
celle de renfermer la grande statue du dieu et les offrandes qui lui sont faites. (Pausanias,
Périégèse) On peut aussi y conserver le trésor de la cité ; les richesses d'Athènes sont
conservées dans le Parthénon , les archives de l'Etat dans le temple de la Mère des dieux, le
Mètrôon.
Certains temples toutefois ont une fonction cultuelle, avec des autels à l'intérieur où se
déroulent les rituels, ainsi le temple d'Apollon à Delphes ou les temples d'initiation aux
mystères, comme celui d'Eleusis.
Temples-trésors ou temples-sanctuaires, ils sont de plan rectangulaire - les temples
ronds, tholos, sont plus rares- et comportent trois pièces, le naos, pièce centrale où se dresse la
statue, un vestibule, le pronaos et symétrique à lui, séparée du naos par un mur, une pièce
arrière, l'opisthodome.
Ces temples sont peints de couleur vive et comportent des parties sculptées (les
frontons, les métopes, la frise), illustrant les grands moments de l'histoire des dieux et des
hommes. Les trésors, eux, sont plus petits que le temple ; ils sont construits et consacrés par
les cités pour conserver les offrandes de leurs concitoyens. Des portiques enfin où les fidèles
peuvent se reposer et converser, servent également à abriter les offrandes ; ils sont ornés
souvent de peintures représentant d'illustres scènes de combat mythologique ou historique .
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Dans la maison, les dieux ont aussi leurs emplacements réservés. A la porte, est placé
un pilier surmonté du buste d' Apollon Agyieus " de la rue" ou d'hermès Propylaios " qui est
devant la porte "; chargé de détourner le mal de la maison, il est oint d'huile et couronné de
fleurs les jours de fête.
Dans la cour, se trouve l'autel de Zeus Herkéios, "de la clôture", où le maître de maison fait
sacrifices et libations. C'est à l'intérieur cependant que se déroulent les actes rituels essentiels,
autour de l'autel d'Hestia, le foyer, qui est le vrai centre religieux de la maison. Il en est de
même de la cité : le Foyer commun, la Hestia Koinè, dont la flamme est alimentée aux autels
les plus purs, autel d'Apollon à Delphes ou à Délos, en est le centre religieux et politique.
A – Le sacrifice.
Le sacrifice aux modalités très complexes, est l'acte central du culte religieux ; s'il est
différents types de sacrifice distingués par la nature animale ou végétale de l'élément sacrifié,
le rituel, le destinataire, le sacrifice sanglant avec partage de la victime est le grand sacrifice
de la Grèce classique, qui précède obligatoirement toute action humaine importante. C'est le
sacrifice dit thusia, du verbe thuô dont le sens premier est "faire brûler" (latin fumare et fr.
fumer).
officiants la portent en entamant une marche circulaire autour de l'autel et ce dans un silence
général ; puis avec un tison enflammé et plongé dans l'eau lustrale - le feu comme l'eau a un
pouvoir purificateur - ils aspergent l'autel et l'assistance et jettent devant eux les grains d'orge,
une prière est alors prononcée. (Aristophane, La Paix) Reste enfin à solliciter le consentement
de la victime : aspergée d'eau lustrale à son tour, la bête donne son accord par un
frémissement. (Plutarque, Sur la disparition des oracles) Le prêtre peut à ce moment la
consacrer en coupant sur son front quelques poils jetés comme prémices dans la flamme.
(Euripide, Electre)
La seconde phase, celle de la mise à mort commence : un assommeur de bœuf (le
boutypos) énuque la bête avec une hache puis le sacrificateur (le mageiros, mot qui désigne
aussi de façon significative le boucher et le cuisinier) l'égorge avec le couteau pris dans la
corbeille, en lui relevant la tête vers le ciel . Au moment de l'égorgement, est poussé le cri
rituel des femmes, l'ololugmos, (Eschyle, Les Sept contre Thèbes) et le sang recueilli est
ensuite versé sur l'autel.
Après cette mise à mort spectaculaire intervient la troisième phase du sacrifice, celle
du partage de la victime : le mageiros retire les entrailles de l'animal, les splankhna (poumons,
cœur, rate et foie) qui sont observés et dont on tire des présages, (Euripide, Electre) puis
découpe la bête en suivant les articulations ; les os des cuisses, les méria, sont la part réservée
aux dieux qui brûlés et arrosés de libations, montent en fumée jusqu'à eux. Les splankhna,
considérés comme les parties vitales de l'animal, embrochés et rôtis sont consommés sur place
par un cercle restreint de participants - c'est une marque d'honneur -, ces parts ne sont pas
salées, souvenir d'une époque primitive où les hommes s'étaient différenciés des animaux en
ne mangeant plus cru mais n'étaient pas encore parvenus aux raffinements de la civilisation,
en l'occurrence ici aux assaisonnements culinaires. Le reste de la viande est l'objet d'un
partage égal entre les assistants ; elle est soit bouillie dans des chaudrons et mangée lors d'un
repas commun (Homère, Iliade) qui achève la cérémonie, soit emportée et consommée chez
soi.
Si l'aspect alimentaire de ce type de sacrifice est important puisque les Grecs ne
mangent de viande qu'issue de bêtes sacrifiées, sa dimension symbolique ne l'est pas moins.
Le sacrifice en effet permet aux hommes de communiquer avec les dieux tout en soulignant,
avec les parts différentes des victimes réservées aux uns et aux autres, la différence de leur
condition : aux hommes, le besoin de se nourrir et la mort, aux dieux, l'ignorance de la faim et
l'immortalité.
Cette dimension religieuse se double d'autre part d'une dimension sociale (Thucydide,
Histoire de la guerre du Péloponnèse) : le sacrifice, associé à des réjouissances collectives,
renforce le sentiment d'appartenance à la communauté et exprime concrètement le principe
d'égalité qui la caractérise : chaque citoyen qui a, selon le principe de l'isonomia, droit égal à
la parole et à l'exercice du pouvoir, reçoit part égale de viande lors du repas sacrificiel.
Les occasions de sacrifier sont nombreuses : engagement militaire, , conclusion d'un
traité, ouverture de l'assemblée, entrée en charge des magistrats, introduction d'un nouveau
membre dans un dème, dans une phratrie, fêtes religieuses ou familiales, départ en voyage,
succès d'une entreprise... et relèvent aussi bien du domaine public que du domaine privé. La
fonction du sacrifice varie selon les circonstances: s'il peut avoir une fonction cathartique,
(pour purifier), mantique (pour s'informer de la volonté des dieux), d'action de grâce, il a le
plus souvent un rôle propitiatoire, visant à se concilier la bienveillance des dieux. Les
sacrifices juratoires destinés à renforcer l'efficacité d'un serment, sont bien attestés dès la
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période homérique ; on prête alors serment en touchant des morceaux de la victime, les tomia.
(Xénophon, Anabase)
B – La prière.
Les sacrifices sont toujours accompagnés de prières et de libations qui peuvent bien
sûr être faites en dehors d'eux. La prière (eukhè) reste la façon la plus simple de manifester sa
piété envers les dieux : tenue pour efficace en raison de la vertu de la parole prononcée,
censée agir comme une puissance, elle renforce d'autres rituels.
Elle est adressée aux dieux en de multiples circonstances (Platon, Timée) et de
préférence près d'un lieu sacré. (Homère, Odyssée) La même exigence de pureté est requise:
les héros homériques revêtent des vêtements sans souillure (Homère, Odyssée) ou se lavent
les mains avant de prier, on fait chez soi ou dans les sanctuaires des ablutions.
Les Grecs prient debout, les bras tendus vers la statue du dieu ou vers le ciel. (Homère,
Iliade) Sans formule fixe sauf dans les rituels initiatiques, la prière commence par une
invocation, appel à la divinité dont on veut attirer l'attention, puis vient la demande qui peut
être soit très précise soit formulée de façon vague quand elle n'est pas inspirée par une
circonstance particulière.
Une prière de sollicitation devient souvent votive lorsqu'à l'invocation et à la demande
s'ajoute la promesse d'une offrande si la faveur demandée est accordée ; il existe aussi des
prières consultatives comportant une question à laquelle on demande aux dieux de répondre
par un signe. Les prières qui contiennent malédictions et imprécations, notamment à la fin des
serments contre le parjure, sont le plus souvent désignés par le mot arai (au pluriel) : l'homme
s'engage lui-même devant les dieux et la communauté et se voue lui et ses descendants à la
vengeance des dieux s'il faillit à ses engagements. (Lysias, Contre Conon)
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C – Les libations.
Les libations, spondè au singulier et spondai au pluriel, sont un autre rite
caractéristique des pratiques religieuses consistant à verser sur un autel ou sur le sol une partie
d'un liquide, vin mêlé d'eau le plus souvent, en offrande aux dieux.
Associées avec les prières aux sacrifices, elles constituent aussi un rite autonome
accompli quotidiennement au lever, avant de s'endormir et toujours au moment du dîner.
(Homère, Odyssée) La libation comporte alors comme lors du sacrifice thusia, un aspect
religieux et un aspect festif : le début et la fin du repas sont accompagnés de libations ; le
banquet, symposion, qui suit le dîner et qui se passe à boire et à converser, est toujours
précédé de libations. (Platon, Le Banquet)
Elles marquent aussi un départ ou une arrivée qu'elles placent sous la protection des
dieux et elles sont enfin si bien de règle pour sceller alliances, trêves et traités, que le mot
spondai est devenu le terme usuel pour désigner le traité, développement sémantique qui
marque une fois de plus la liaison si caractéristique en Grèce du politique et du religieux.
(Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse)
Un autre type de libations est destiné aux puissances chthoniennes et aux morts ce sont
les khoai, du verbe khéô " répandre en quantité", étroitement liées aux sacrifices désignés
comme énagismata. Elle consiste aussi en liquide versé mais on n'en boit aucune part, le
liquide consacré est en effet entièrement répandu sur le sol ou sur le tertre funéraire. Alors que
l'on peut, selon le rituel des spondai, faire une libation de n'importe quelle boisson, les règles
semblent plus précises dans le cas des khoai : elles excluent très souvent le vin, sauf dans le
rite d'évocation des morts et se composent d'eau, de miel, de lait au pouvoir apaisant et par là
apotropaïque. (Eschyle, Les Perses)
D – Les offrandes.
Tous ces différents rites, sacrifices, prières, libations qui se complètent et se renforcent
sont souvent accompagnés d'offrandes d'objets de nature diverse. L'objet qui est posé, dressé
ou suspendu dans un lieu sacré constitue un anathèma, dérivé du verbe anatithénai qui désigne
ces gestes. Une fois consacré, l'anathèma ne doit plus quitter le sanctuaire ; des inventaires
très précis en sont conservés.
Le choix de l'objet est fonction des circonstances qui motivent l'offrande : un artiste,
un athlète vainqueurs consacrent le trépied ou la couronne qu'ils ont gagnés ; c'est après une
victoire militaire, une part des dépouilles conquises, un des bateaux pris à l'ennemi qui sont
consacrés aux dieux. (Hérodote, Histoires)
Certaines offrandes sont d'usage lors des étapes importantes de la vie : un nouveau
myste consacre aux Deux Déesses les vêtements qu'il portait au moment de son initiation, une
nouvelle mère ses jouets à Artémis, les jeunes Athéniens leurs cheveux pendant la fête des
Apatouries. Des objets personnels, des outils de métier, de modestes figurines en terre cuite
sont des anathèmata fréquents pour remercier les dieux et leur manifester sa piété.
Ces offrandes simples peuvent côtoyer des offrandes beaucoup plus somptueuses,
œuvres d'art, monuments qui contribuent à la richesse et à la beauté du sanctuaire. L'offrande
est un hommage rendu aux dieux et un titre de gloire pour qui l'a consacrée, homme ou cité :
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elle conserve le souvenir des hauts faits accomplis par les hommes, portant le nom du
donateur, celui de la tribu ou de la cité à laquelle il appartient ainsi que les circonstances de la
consécration ; aucune cité ne manque de célébrer ses succès par des statues et des monuments
dignes de sa puissance, déposés dans ses propres sanctuaires ou mieux encore dans les grands
sanctuaires panhelléniques. (Eschine, Contre Ctésiphon) A ces offrandes mises en dépôt dans
les lieux sacrés pour y être conservées, il faut joindre les offrandes des prémices, les
aparkhai ; aux dieux en effet sont attribués tous les commencements et c'est les honorer que
de les leur consacrer.
L'usage le mieux attesté concerne les produits agricoles, notamment des moissons en
Attique. Les prémices des récoltes de céréales sont consacrées aux Deux Déesses
éleusiniennes, liées à la culture du blé : une quantité réglementée de grains est remise aux
hiéropes d'Eleusis, elle est entreposée dans de vastes silos, puis vendue par leurs soins.
Avec le revenu qui en est tiré sont faits des anathèmata précieux déposés dans le
temple et sont achetés des animaux qui sont sacrifiés aux déesses d'Eleusis. Athéna Parthénos
reçoit aussi une part des prémices des moissons. L'habitude de consacrer aux dieux une part
du butin, un peu de nourriture et de boisson avant de commencer son repas, témoigne de la
vitalité de ces pratiques et de la place donnée aux dieux dans la vie quotidienne et dans la vie
publique.
trésoriers des autres dieux qui tient la comptabilité de chaque trésor et rédige l'inventaire des
offrandes. Toujours à Athènes, est crée au Vème siècle un collège de intendants, nommés pour
un an et chargés des finances du culte d'Eleusis.
En outre, trois des neuf archontes ont des fonctions religieuses spécifiques :
L'archonte-roi, héritier des fonctions religieuses du roi, est responsable des sacrifices
et des cultes anciens. Il est chargé avec quatre commissaires de la célébration des Mystères
d'Eleusis ; il organise les Lénéennes en l'honneur de Dionysos et toutes les courses aux
flambeaux, les Lampadédromies, attestées dans de nombreuses fêtes. Il désigne les deux
jeunes filles qui dirigent le tissage du péplos d'Athéna, exécuté par les ergastines. Il est aussi
compétent dans les procès d'impiété et a en charge les jugements portant sur les meurtres et
les sacrilèges. (Aristote, Constitution d'Athènes)
L'archonte éponyme, qui donne son nom à l'année, est chargé, lui, des fêtes plus
récentes, ainsi des Grandes Dionysies, des Délia, fête de Délos qui a lieu tous les quatre ans et
à laquelle les Athéniens envoient une délégation sacrée composée de théores (députés) et de
choeurs. Il s'occupe aussi de la procession des Epidauria en l'honneur d'Asklépios et de celle
qui se déroule au Pirée en l'honneur de Zeus Sôter. Il a en outre la charge de collecter l'huile
des oliviers sacrés pour les Panathénées. (Aristote, Constitution d'Athènes)
L'archonte polémarque a des fonctions religieuses adaptées à ses compétences dans
le domaine de la guerre ; il est responsable du sacrifice promis pendant la bataille de
Marathon à Artémis. (Xénophon, Anabase) Il organise aussi les jeux funéraires et les
sacrifices célébrés pour les morts à la guerre et ceux instituées en l'honneur des deux
tyrannoctones, Harmodios et Aristogiton. (Démosthène, Contre Leptine,)
B – Les prêtres.
1. Leur fonction.
Les prêtres, les hiereis, chargés des choses sacrées (les hiéra), sont eux, attachés à un
sanctuaire précis, au service d'un dieu précis. Leur fonction essentielle est de veiller sur le bon
déroulement des rites à accomplir, rites dont ils connaissent parfaitement tous les aspects et
toutes les particularités.
Dans les sacrifices auxquels ils président vêtus de blanc et la tête couronnée, ce sont
eux qui consacrent la victime et prononcent la prière.
Les prêtres doivent veiller de plus à la bonne tenue du sanctuaire et à sa propreté :
balayage, nettoyage du temple, ornement des autels, entretien de la statue cultuelle sont les
tâches du prêtre qu'il accomplit assisté le plus souvent d'aides, les néocores. (Euripide, Ion)
Le prêtre enfin chargé du bon fonctionnement du sanctuaire, doit en assurer la police
et faire respecter les lois sacrées qui régissent le sanctuaire. (Lois Sacrées Grecques)
2. Recrutement.
En règle générale, les prêtres des cités grecques sont élus ou tirés au sort pour une
période déterminée, le plus souvent un an et sont soumis à la fin de leur prêtrise à la reddition
de comptes comme les magistrats.
Il est possible aussi d'accéder à la prêtrise en achetant à la cité le sacerdoce d'une
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divinité ; cette pratique est bien attestée et est courante à partir du IIIème siècle en Asie
Mineure, la vente des prêtrises apportant des sommes importantes aux cités et le coût pour
l'acheteur vite compensé par les revenus qu'il tirait de sa fonction. A côté de ces prêtrises
temporaires, des prêtrises à vie appartiennent à de vieilles familles (genè) qui détiennent le
monopole de certains cultes.
A Eleusis, deux familles aristocratiques se partagent les sacerdoces des Mystères. Les
Eumolpides fournissent le grand prêtre, l'hiérophante, "qui révèle les objets sacrés", les
Kérykès, le kéryx ou héraut (Pausanias, Description de la Grèce) ainsi que le dadouque ou
porteur de torche. Hiérophante et dadouque ont un vêtement pourpre et portent une couronne
de myrte. La prêtresse des Deux Déesses est choisie dans une autre famille d'Eleusis et joue
un rôle essentiel dans les sacrifices. A Athènes de même, la prêtresse d'Athéna polias et le
prêtre de Poséidon- Eréchthée sont recrutés dans la famille des Etéoboutades.
A – La naissance.
La famille et la maison sont le premier milieu sacré de l'individu. A chaque naissance,
un rituel vise à rattacher l'enfant au foyer dont il est issu ; ce rituel est celui de la fête familiale
des Amphidromies qui consacre la reconnaissance officielle du nouveau-né par son père.
Cette fête qui a lieu selon les endroits le cinquième, le septième ou le dixième jour
après la naissance, consiste, comme son nom l'indique (amphi : autour, dromos : course), à
porter le nouveau-né en courant en cercle autour du foyer de la maison, sous la protection
d'Hestia, la déesse de l'espace familial, puis à déposer l'enfant directement sur le sol, symbole
de son intégration au foyer paternel et au monde humain. (Platon, Théétète)
La cérémonie comporte aussi pour la mère et les femmes qui l'ont assistée, des
lustrations pour les débarrasser des impuretés consécutives à la naissance.
Le dixième jour, à Athènes, on donne un nom à l'enfant et les membres de la famille se
réunissent à nouveau pour un sacrifice suivi d'un banquet. (Aristophane, Les Oiseaux) Le
dernier jour de la fête des Apatouries, les enfants nés dans l'année, sont présentés à la phratrie
par leur père.
Quand l'enfant n'est pas reconnu par son père, il est alors exposé loin de la maison, à
l'écart de toute habitation et de tout lieu cultivé. Cette coutume est donc l'inverse du rite
d'intégration au foyer des Amphidromies. (Sophocle, Oedipe Roi)
l'état et dure deux ans de dix-huit à vingt ans. Si cette institution a un caractère militaire
dominant, préparant l'éphèbe à servir comme hoplite, elle conserve des traits propres aux rites
de passage . Ainsi les éphèbes restent-ils pendant cette période en marge de la cité - ils sont
péripoles "qui se trouvent autour (de la cité)"- stationnés dans des forts frontaliers.
Leur vêtement est particulier, ils portent une chlamyde noire, souvenir dit-on de la
voile noire qui provoqua la mort d'Égée au retour de son fils Thésée, l'éphèbe par excellence.
Pendant cette période, les jeunes gens sont admis pour la première fois aux cultes civiques :
ils participent aux processions solennelles des Mystères d'Éleusis et jouent un rôle important
dans la fête athénienne des Oschophories fondée par Thésée à son retour de Crète, en
l'honneur des dieux qui l'ont aidé.
L'aspect religieux de la formation éphèbique est souligné de plus par le serment
(Inscription) que les éphèbes prêtent dans le sanctuaire d'Aglaure, en invoquant les divinités
protectrices de la cité et par la tournée qu'ils font ensuite des sanctuaires de l'Acropole, de
l'Agora et du héros éponyme de leur tribu. Ce n'est qu'après avoir prêté serment que l'éphèbe
reçoit de la cité sa tenue d'hoplite.
C – La Mort.
Reste à envisager l'ultime étape qu'est la mort.
La croyance en la vie dans l'au-delà, comme la représentation du royaume des morts, a
évolué depuis Homère, devenant plus précise et donnant lieu à partir des mythes existants, à
des spéculations philosophiques plus complexes. Mais quelles que soient ces conceptions et
leur portée, la mort est ressentie comme un passage, comme une transformation et
s'accompagne comme les étapes précédentes de rituels spécifiques.
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Ensuite se déroule la procession funèbre au son des hautbois, jusqu'au cimetière situé
hors des murs de la ville puis la mise au tombeau. L'inhumation et l'incinération sont
également pratiquées ; la dernière se présente comme l'inverse du sacrifice : tout ce qui est
corruptible est brûlé et seuls les os sont conservés et déposés dans le tombeau.
Les rites sont identiques dans les deux cas : des offrandes, aliments ou ornements, des
objets familiers du défunt, sont placées dans le tombeau qui est, après, recouvert de terre et
surmonté d'une stèle ou d'un grand vase, un lécythe. Sur place, sont offertes des libations, les
choai, (Euripide, Oreste) et dans la maison où le feu du foyer a été éteint puis rallumé à un
autre foyer, un sacrifice suivi d'un banquet a lieu le troisième, le neuvième et le trentième
jours après les funérailles. (Isée, Sur la succession de Ménéklès)
Les morts sont honorés chaque année par la cité à la fête des Génésia et au dernier jour
des Anthestéries.
Les funérailles publiques
Aux soldats morts au combat, la cité organise à ses frais des funérailles collectives qui
diffèrent des funérailles individuelles par leur solennité et par leur dimension politique et
civique. Les restes des morts au combat sont rapatriés à Athènes et non ensevelis sur le champ
de bataille comme c'est l'usage ailleurs en Grèce ; cette pratique est une règle qui ne connaît
qu'une exception, les morts de Marathon ensevelis sur place. Ces restes sont recueillis dans
des cercueils en cyprès, dont le bois est considéré comme inaltérable, imputrescible et est
associé à l'immortalité de la mémoire ; il y a dix cercueils, un par tribu ; la prothésis, peut-être
sur l'Agora, plus longue que les funérailles privées, dure deux jours. Les cercueils sont ensuite
portés sur des chars en un cortège solennel jusqu'au cimetière du Céramique. (Pausanias,
Description de la Grèce) Les monuments sont constitués pour l'essentiel de stèles sur
lesquelles sont gravés les noms des morts. (Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse)
A la tribune du Céramique est prononcé alors l'oraison funèbre, particularité
d'Athènes. (Démosthène, Contre Leptine) Un orateur dont la qualité doit répondre à
l'héroïsme des morts, est désigné officiellement (Démosthène, Sur la Couronne) par la cité :
ce discours est un éloge collectif -aucun homme n'est cité individuellement pour un acte
particulier de bravoure- qui sert à consoler les parents endeuillés comme à exhorter la
jeunesse à faire montre du même courage ; il est en même temps exaltation et célébration des
valeurs de la cité que ces soldats ont servies . La mort, ici, par les honneurs éminents qu'elle
entraîne, acquiert un statut pleinement glorieux, reconnu comme tel par tous les membres de
la cité. (Lysias, Oraison funèbre)
Outre les honneurs conférés par les funérailles publiques au Céramique et par le
discours funèbre, les morts sont l'objet d'un culte annuel célébré lors des Epitaphia.
Chapitre 6
La guerre en Grèce,
d’Homère à Alexandre
cités (les poleis) dont le corps politique a été élargi au-delà des héros de l'aristocratie. Mieux,
les cités devinrent aux yeux des Grecs le principe de la vie en civilisation. Même si le
gouvernement est souvent resté aristocratique, la naissance de l'assemblée des politai a
marqué une évolution majeure. Du point de vue militaire, la guerre est devenue l'affaire de la
collectivité civique tout entière. La collectivité des hoplites qui représente la cité est
symbolisée par l'élément nouveau de la tactique: ce n'est plus le héros qui se bat seul, mais
l'ensemble de la ligne de front où chacun se trouve solidaire de ses voisins, au sein de cette
armée qui prend désormais le nom de phalange.
Constitution d'Athènes (ch. 42), et Chr. Pélékidis a procuré une étude détaillée de cette
institution (Histoire de l'éphébie attique, Paris, 1962). Si la description d'Aristote vaut pour
son époque, cette éphébie n'est certainement pas une nouveauté, elle n'est visiblement que
l'aménagement, voire la régénération , d'une procédure traditionnelle nettement antérieure. L'
éphébie, qui durait deux ans, peut nous paraître à première vue analogue au classique service
militaire de la conscription. Certes, cette période comprenait bien une instruction militaire et
une vie en caserne, régies par dix censeurs (sophroniste) et deux instructeurs (pédotribe) , que
suivait une année de garnison sur les forts de la frontière. Pourtant, le caractère le plus
important est en fait le «noviciat civique» que représentait cette période, sens qu'avait
d'ailleurs pour beaucoup, et qu'aurait dû conserver notre service militaire obligatoire: le jeune
éphèbe (à l'origine, ce mot signifie seulement jeune homme) subissait en fait un avatar de ces
« rites de passage » que les ethnologues ont beaucoup étudiés chez les peuples primitifs
d'Afrique ou d'Océanie, mais dont la signification ancestrale ne devait plus être comprise par
beaucoup. Ainsi leur faisait-on accomplir la tournée des sanctuaires pour les sensibiliser à la
défense du territoire en les inscrivant dans la tradition sacrée et sur la terre des ancêtres. Et
dès le début on leur avait fait prêter un serment solennel par lequel ils promettaient de
défendre leur patrie, ses sanctuaires et ses arbres, de sauvegarder ses frontières sacrées et de
transmettre à leurs descendants la cité plus grande qu'ils ne l'avaient reçue (Lycurgue, Contre
Léocrate, 76-77). A l'issue des deux années, ils étaient reçus comme citoyens de plein droit,
voyaient leur nom transcrit sur le catalogue des hommes mobilisables.
Cet aspect symbolique de noviciat civique était même encore plus net lors de la
cryptie de Sparte (Plutarque, Lycurgue, 28), qui a été analysée successivement par H.
Jeanmaire et P. Vidal-Naquet. Durant cette période, le jeune homme devait rester seul dans la
montagne sans se faire voir (d'où le nom de cryptie), il vivait de rapines, et il pouvait, voire il
devait, répandre le sang en tuant un esclave (hilote) s'il le surprenait au-dehors après la
tombée de la nuit. La cryptie se révèle ainsi plus proche encore de l'épreuve primitive que
l'éphébie. L'étonnant est en effet qu'elle ne comportait en réalité ni entraÎnement militaire ni
pratique de la vie collective alors que c'était là le rôle éminent auquel le citoyen de Sparte
était spécifiquement destiné depuis son plus jeune âge: cet idéal hoplitique collectif
d'obéissance soumise ignore complètement l'esprit d'initiative et la figure du soldat éclaireur
de brousse que paraît incarner le crypte. Avant de pouvoir devenir un citoyen membre de la
phalange spartiate collective, le crypte devait d'abord vivre seul, à l'écart. Plus qu'un
entraînement physique, ou même moral, en vue de l'âge adulte, la cryptie doit être comprise
surtout comme un symbole: l'individu est mis temporairement en dehors du corps social avant
d'y être ensuite réintégré solennellement. Le rôle de cette épreuve n'était en fait militaire que
par antiphrase, comme pour d'autres cérémonies primitives. La cryptie exprime, par polarité
inverse, une volonté symbolique d'inversion: on ne devient membre à part entière de la
phalange collective qu'après une mise à l'écart temporaire, dramatique et solitaire.
A l'origine, une telle épreuve n'a sans doute pas été spécifiquement spartiate, mais c'est
par la volonté de conservatisme, voire de réaction, qui lui était propre que cette cité a pu
maintenir, ou bien retrouver cette cérémonie d'intégration archaïque.
précieux sur le travail des métaux et la qualité des techniques. Chaque soldat devait se
procurer lui-même ses armes. Si ce choix dépendait bien sûr de l'efficacité, il était une
question de prestige militaire et, de façon inséparable, de prestige social: la beauté et la
visibilité de son équipement étaient pour chaque soldat un motif de fierté. Pourtant cette
panoplie présentait des inconvénients très importants sur lesquels nous reviendrons,
essentiellement le poids, que l'on peut évaluer, pour l'ensemble, entre 20 et 30 kg, et le
manque de confort: on est en droit de se demander si c'était là l'équipement le mieux adapté
aux chaleurs parfois torrides des étés méditerranéens.
Passons en revue les principaux éléments de cette panoplie, les armes défensives, puis
les armes offensives. V D. Hanson a repris précisément l'étude des différentes pièces de
l'armement dans son ouvrage Le Modèle occidental de la guerre.
La cuirasse-cloche en bronze.
Elle est un élément essentiel de la protection du fantassin grec. Cette cuirasse était
formée de deux feuilles de bronze martelé, reliées entre elles aux épaules. Elle s'évasait un
peu au-dessus des hanches, pour rendre plus facile le mouvement des hanches quand le soldat
marchait ou courait. Cependant, la cuirasse ne pouvait couvrir ni l'aine ni le cou, qui, l'une et
l'autre, restaient sans protection. On rencontre bien quelquefois des sortes d'ailettes pendant
vers le bas à la façon de lambrequins. En tout cas, la cuirasse était l'élément le plus lourd de
l'équipement, et son seul poids devait suffire à épuiser en quelques minutes celui qui le
portait, ainsi que l'ont confirmé, dans les années récentes, quelques expériences pratiques
conduites sous le soleil méditerranéen de la Californie à l'instigation de l'historien américain
Victor Davis Hanson.
Pour être efficace sans gêner, la cuirasse devait être ajustée à la mesure de celui qui
devait la porter: « il faut que la cuirasse soit faite à la mesure du corps; car si elle est bien
adaptée, c'est le corps entier qui la porte; tandis que, trop large, ce sont les épaules seules; trop
étroite, ce n'est plus une protection, c'est une entrave» (Xénophon, De l'équitation, XII, 1).
Seul un commerçant hâbleur comme celui de La Paix d'Aristophane peut prétendre d'emblée
que la cuirasse ira exactement à son client (v. 1225). Socrate en visite chez l'armurier Pistias,
discute de l'adaptation d'une cuirasse, et parvient à lui faire dire que la bonne proportion est
un élément non pas absolu, mais relatif à chaque client (Xénophon, Mémorables, III, 10, 9-
15).
Les textes précisent souvent que cette cuirasse n'était pas facile à enfiler: pour
s'équiper, l'hoplite était obligé de se faire aider, par des serviteurs ou bien par des compagnons
d'armes.
A côté du poids, l'inconvénient le plus important était le manque d'aération: quand le
soleil frappait le métal, l'hoplite devait transpirer et tremper ses vêtements. Et le bronze, en
accumulant la chaleur solaire des étés méditerranéens, pouvait même devenir brûlant au
toucher. il était donc indispensable pour l'isolation de porter dessous des vêtements, mais cela
empêchait la transpiration et ajoutait encore à la chaleur intérieure.
Ces cuirasses si incommodes étaient-elles pour autant efficaces ? Sans doute les textes
et les images nous montrent des hoplites dont l'armure est transpercée, mais elles devaient en
général apporter une bonne protection contre les coups de lance et d'épée, s'ils n'étaient pas
trop violents, ainsi que contre les javelots, les flèches, les pierres et les balles de fronde. Si la
cuirasse a résisté au choc initial de la charge, elle protège longtemps son porteur, et ce n'est
qu'une fois cabossée par des coups répétés qu'elle peut laisser succomber l'hoplite.
114
adversaire d'un tel abandon infamant, une manœuvre commode qui vise à mieux le
disqualifier dans l'esprit des juges. Démosthène lui-même a été accusé de s'être débarrassé de
son équipement pendant une bataille.
La lance
La lance est longue de 1,80 à 2,50 m. Elle comprend un long fût en bois de cornouiller
ou de frêne, muni d'une pointe. Mince, elle pèse seulement entre un et deux kilos. La lance
servait à transpercer. L'hoplite avait sa lance en main, et quand il chargeait, il la tenait d'abord
en l'air. C'est seulement quand il approchait de la phalange adverse qu'il la faisait descendre
afin de se mettre en position de lancier, pour être en mesure d'enfoncer sa lance dans l'aine ou
sous le bouclier de l'hoplite ennemi. Une fois les deux camps en contact, il avait avantage à
remettre sa lance en position haute, si du moins elle n'était pas encore brisée.
La lance comportait à l'extrémité une pointe de fer. Et la plupart du temps, elle avait
aussi une pointe de bronze à la base, le saurôter, pointe qui tout en faisant contrepoids au
moment de la charge, protégeait le pied de la lance de la détérioration par l'usure ou l'humidité
du sol. En outre, elle permettait éventuellement à l'hoplite de se protéger par-derrière, si
nécessaire.
La longueur des lances à l'horizontale faisait que les trois premiers rangs seuls
118
L'épée
L'hoplite portait son épée rangée dans le fourreau, et il ne pouvait en faire usage que
lorsque sa main droite devenait libre, quand sa lance était brisée. C'était une petite lame
d'environ 80 cm de long. Plus tard elle fut recourbée, et l'on l'appela machaira. Bien sûr, dans
la presse des hommes qui poussaient, on peut se demander quel espace il restait pour manier
cette épée avec efficacité : sans doute dans le corps à corps qui succédait au choc initial…
Cette épée courte était portée dans un fourreau placé haut sur la poitrine. Ainsi, l’hoplite
pouvait, tout en tenant son bouclier, coincer le fourreau sous l’aisselle gauche et tirer l’épée
de la main droite.
des marmites. Quand ils furent montés [...] et qu'on eut allumé plusieurs grands feux - car il y
avait là du bois en quantité - tous les soldats se frottèrent d'huile et beaucoup même se
remirent à manger» (Xénophon, Helléniques, IV, 5,4).
Enfin le vent est à craindre, car un bouclier tenu à la main peut lui donner prise, tout
comme de nos jours un parapluie. La marche est alors lourdement handicapée et si l'hoplite
est surpris, son bouclier peut même lui échapper des mains et être emporté au loin.
■ 2. Nous avons vu quels étaient le poids et l'inconfort de ces armes. Cela faisait que les
hoplites attendaient pour s'équiper le dernier moment avant le combat: tant que le danger
n'était pas visible, on répugnait à s'encombrer et donc à se protéger. C'était la cuirasse, surtout,
qui demandait du temps et de l'aide. il n'est donc pas étonnant que des troupes se soient fait
surprendre avant de s'être entièrement équipées.
■ 3. L'hoplite avait besoin de serviteurs personnels pour transporter son équipement tant
qu'il ne le revêtait pas. Outre les armes, ils portaient les ustensiles et les provisions. Ces
«valets», des hommes libres pauvres ou bien des esclaves, aidaient l'hoplite à s'équiper le
moment venu, mais ne prenaient pas part à la bataille elle-même: un ordre final des chefs les
invitait alors à se retirer en laissant le champ libre aux seuls combattants.
■ 4. Même si, à Athènes, le Vieil Oligarque déplore que le vêtement ne distingue pas le
citoyen du métèque et de l'esclave (I, 10), c'est dans le domaine religieux, voire social, qu'il
existait, en certaines cités de Grèce, un uniforme, ou quelque chose qui y ressemblait. Il
s'agissait alors d'une manifestation extérieure, par la tenue, de l'appartenance à une
communauté. Mais curieusement cela n'existait pas dans le domaine militaire. Les panoplies
des hoplites n'étaient en effet pas toutes identiques, loin de là. La plupart des combattants
devaient choisir tel ou tel modèle pour des raisons personnelles. Un ambitieux savait se faire
remarquer par ses armes, tel Xénophon lui-même, qui se met en scène dans son récit, non sans
quelque vanité: «Xénophon s'était habillé pour la guerre du plus beau vêtement qu'il avait pu.
Car il pensait que, si les dieux lui accordaient de vaincre, le plus bel équipement convenait à
la victoire; et s'il lui fallait mourir, il était bien qu'il trouvât sa fin dans ces beaux habits, lui
qui s'était jugé digne de les porter» (Anabase, III, 2,7). Et Plutarque raconte que lors d'un
siège les soldats coiffèrent leurs captives chacune de son propre casque, afin de pouvoir les
identifier: si l'on pouvait les reconnaître, cela signifie clairement que ces casques étaient tous
différents (Aratos, 31,4).
Sans doute la révolution hoplitique du VIIe siècle reposait-elle sur l'idée d'une ligne de
front égalitaire, mais cela n'a jamais imposé pour autant l'uniformité des tenues. Sur ce point,
comme sur d'autres, les hoplites semblent donc avoir repris à leur compte la conception du
prestige des armes qui avait cours à l'époque de la guerre aristocratique.
C'est dire que l'aspect esthétique des armes n'était jamais négligé, en particulier pour le
bouclier et le casque. De même que leurs constructions utilitaires, enceintes de ville ou bien
arsenaux, montraient toujours un certain goût pour soigner l'apparence extérieure, les hoplites
cherchaient souvent à se distinguer par leur équipement et à se faire remarquer.
■ 5. Enfin on observe comme une contradiction entre deux éléments:
. d'une part, la volonté affirmée depuis le VIIe siècle de la phalange collective au
service de la cité, symbolisée par la ligne des boucliers jointifs et la protection mutuelle de
chacun ;
. d'autre part, l'isolement incoercible de l'hoplite qui résulte des caractéristiques
matérielles de son équipement et des conditions du combat: au milieu de la foule et du
vacarme, il ne peut rien entendre, et son angle de vision est strictement limité: il est
momentanément mais profondément seul.
120
Tel était donc l'armement des hoplites grecs, qui n'a évolué que lentement, et dont
certains éléments sont restés identiques jusqu'à Alexandre et au-delà. Mais la guerre
hoplitique se caractérise tout autant par les tactiques de guerre mises en œuvre.
Xénophon (5,7) à Sparte les règlements exigeaient des hoplites qui sortaient de leurs repas
militaires en commun (sissyties ou phidities) de rentrer chez eux sans lumière: c'était pour les
obliger à marcher droit, et ainsi décourager toute velléité d'ivrognerie. . .
Quand commençait le combat proprement dit, les armées chargeaient en même temps,
en direction l'une de l'autre. Pourquoi attaquaient-elles ? D'une part, le consensus ambiant
valorisait toujours l’attaque aux dépens de la guerre défensive de position ; d'autre part, l'élan
de la course donnait plus de force aux lances pour attaquer les boucliers et les cuirasses; enfin
ils s'élançaient parce que leurs compagnons attaquaient: ils ne pouvaient pas se désolidariser
d'eux, rompre le front de la phalange, et manquer ainsi à leur devoir collectif.
La cohésion de ce front, si importante, devait être difficile à maintenir dès que la
troupe accélérait la marche, même avec le rythme des flûtes: d'ailleurs, les soldats les
entendaient difficilement, avec leurs casques et au milieu du fracas des armes qui se
heurtaient ? Or les armées pressaient nettement le pas sur la fin, même si l'on a montré
aujourd'hui que le récit d'Hérodote racontant comment les hoplites avaient traversé la plaine
de Marathon (1,5 km) au pas de course relève de la légende (Hérodote, VI, 112): avec
l'armement lourd qui était le leur, les hoplites ne pouvaient pas raisonnablement courir plus de
200 m, s'ils voulaient garder assez d'énergie pour ne pas aborder la bataille hors de souffle,
dans un état d'infériorité qui les aurait livrés à la merci de l'ennemi.
Dès que la rencontre se produisait, les lignes de fantassins tendaient à se disloquer. Les
hommes piétinaient en cherchant à avancer, et aussitôt, les rangs arrière rejoignaient les
premiers et commençaient à les pousser en avant. Le but recherché était d'obtenir, dès que
possible, la rupture du front adverse, et chacun cherchait à s'ouvrir un chemin à travers les
rangs d'en face. La bataille se transformait en une mêlée générale, où il était parfois difficile
de distinguer un ami d'un ennemi. Chacun combattait par tous les moyens, férocement, mais il
n'y avait aucune tactique précise.
Les exigences du combat apparaissent contradictoires: d'une part dans la mêlée, les
qualités individuelles, tant de force que d'intelligence, qui étaient celles des lutteurs étaient
appréciées dans le corps à corps. D’autre part, dans le même temps, on attendait de tous des
qualités de cohésion collective qui s'opposaient plus ou moins à tout acte de bravoure
individuel: celui qui s'élançait trop vite risquait à sa façon d'ouvrir une brèche dans sa propre
ligne, la valeur suprême restant la sauvegarde collective, ainsi que l'affirme clairement le
serment que prêtaient chaque année les jeunes éphèbes: «Je n'abandonnerai pas mon camarade
où que je me trouve sur le champ de bataille. » Mais il n'était sans doute pas facile, tout en
luttant, de surveiller à la fois ses voisins et l'ensemble de la ligne, pour éviter de se laisser
encercler.
Le combat direct était le fait des premiers rangs. Par-derrière, les autres rangs
poussaient, chacun s'arc-boutant de l'épaule gauche contre le rebord du bouclier, et cette
poussée (ôthismos aspidôn) peut résumer le principe de la bataille d'hoplites. Pour V. D.
Hanson, cette concavité a peut-être été la plus grande révolution du bouclier hoplitique, plus
importante finalement que la présence des deux prises pour le bras et pour la main comme on
le dit quelquefois. Lorsque ceux du premier rang tombent, les suivants viennent aussitôt les
remplacer, mais la belle ordonnance du départ ne doit plus être qu'un souvenir, d'autant que
pour avancer, ceux de derrière doivent passer par-dessus les morts et les blessés qui se sont
effondrés, et même piétiner sans égard ces malheureux, sans pouvoir leur porter secours dans
le feu de l'action.
Une fois que la rupture du front se dessinait, la décision s'accélérait. C'était la déroute
(tropè), le moment où l'une des troupes se retournait (telle est l'étymologie du mot) et
amorçait la fuite, chacun pour soi: il fallait choisir alors entre l'honneur (rester sans reculer,
jusqu'à mourir sur place, comme le firent Léonidas et ses compagnons au défilé des
122
Thermopyles) et la fuite, fuite qui pouvait être pourtant l'occasion de quelques dévouements
individuels, comme celui de Socrate à Dèlion (424 avant J.-C.), que raconte Platon: Alcibiade
se rappelle Socrate « jetant tranquillement des regards de tous côtés, sur les amis comme sur
les ennemis, laissant à l'évidence voir à chacun, et de très loin, que si quelqu'un venait s'en
prendre à lui, il était homme à se défendre avec la plus grande vigueur. Et c'est pour cela qu'ils
faisaient retraite en sécurité, lui comme l'autre» (Banquet, 221b).
De collectif qu'il était à l'origine pour attaquer, pour résister, et pour appuyer contre
l'ennemi, le combat dès lors devenait mobile et personnel: les vainqueurs s'attachaient à
poursuivre les ennemis. Les soldats de l'arrière, qui poussaient et ne pouvaient rien voir du
combat, sentaient que la chance tournait lorsque devant eux des camarades tentaient de se
retourner pour fuir. S'ils restaient, ils risquaient d'être attaqués, voire piétinés par leurs propres
compagnons de l'avant qui se retournaient pour chercher à fuir.
Une bataille hoplitique ne durait jamais très longtemps : tout était terminé en l’'espace
de quelques heures au plus, mais l'engagement était total durant ce laps de temps, et les
combattants s'épuisaient rapidement. On l'a vu, l'armement pesait lourd, et chaque coup devait
frapper fort.
Dès le contact, les hommes étaient au corps à corps, le sang coulait, et tous étaient
rapidement couverts de sang, le leur et celui des ennemis. Les textes nous parlent souvent du
sang répandu, des rivières qui rougissent : ce ne sont pas seulement des images mais bien la
réalité. Les mourants devaient bien souvent se vider de tout leur sang sur place, et même après
la victoire on les voyait mourir sans pouvoir les sauver ni arrêter les hémorragies. «On
pouvait voir, à l'endroit où ils étaient tombés les uns sur les autres, la terre rougie par le sang,
des cadavres d'amis et d'ennemis gisant pêle-mêle, des boucliers écrasés, des lances brisées,
des épées sans leur fourreau, les unes à terre, d'autres enfoncées dans des corps, d'autres que
des mains tenaient encore» (Xénophon, Agésilas, II, 14-15).
Cependant lorsque les textes évoquent les « monceaux de cadavres », il n'est pas facile
de faire la part de l'exagération héroïque. Certes, les morts étaient entassés en particulier au
niveau du choc initial. . . Si des morts se produisaient dans les deux camps dès la première
rencontre et dans le corps à corps qui faisait suite, la majorité tombaient à partir du moment
où la déroute se dessinait, et dès lors ils appartenaient essentiellement au côté des vaincus. Ce
qui explique, de façon assez attendue, que les vaincus comptaient plus de morts que les
vainqueurs. Si les premiers étaient en général atteints par-devant, les autres avaient été frappés
dans le dos.
On rencontrait ainsi des cadavres de vaincus sur des centaines de mètres, voire sur
plusieurs kilomètres. Ce que nous retrace Xénophon, au cours d'un épisode de la retraite des
Dix-Mille : «Avant même d'avoir parcouru quinze stades [environ 2500 m] ils rencontraient
déjà des morts. Mais ce n'est que lorsque la queue de la colonne parvint au niveau des
cadavres apparus les premiers que la colonne se mit à enterrer tous ceux qu'elle avait devant
elle. » Et la colonne avança encore et répéta la même sinistre opération. Et quand les corps
furent encore plus nombreux, ils les réunirent en une sépulture commune (Anabase, VI, 5,5-
6).
Même les survivants éprouvaient la fatigue de la bataille. Cette tension pouvait
déboucher, pendant ou après la bataille, sur la folie, l'hébétude, ou les hallucinations. C'est
dans cet état d'esprit très particulier qu'il convient de replacer les récits d' épiphanies
(apparitions) que les textes historiques nous ont transmis à l'occasion de nombre de batailles
célèbres. On nous raconte ainsi que des dieux, ou bien des héros, sont apparus pour
encourager, ou même pour intervenir personnellement aux côtés de telle ou telle des parties en
présence, avant ou pendant la bataille. Certes il peut s'agir souvent d'un stratagème, d'une
invention visant à raffermir le moral de la troupe, ou bien d'une reconstruction postérieure
destinée à glorifier une cité, ou à expliquer un événement étonnant. Mais d'autres cas
paraissent relever plutôt d'un type hallucinatoire: des hommes ont bien pu croire voir de leurs
yeux la confirmation de leurs craintes ou de leurs espérances dans une intervention divine.
L'exemple le plus connu est celui de la vision d'Épizélos à la bataille de Marathon: «Il s'y
produisit l'événement étonnant que voici: Épizélos, fils de Couphagoras, un Athénien, fut
privé de la vue pendant qu'il combattait avec courage au milieu de la mêlée, et ce sans avoir
été blessé de près, ni atteint de loin en aucun endroit de son corps; et dès lors il demeura
aveugle pendant tout le reste de sa vie. On m'a dit que lorsqu'il évoquait ce malheur, il
racontait ceci: il lui avait semblé voir devant lui un homme de grande taille, armé en hoplite,
et dont la barbe recouvrait tout le bouclier; l'apparition était passée à côté de lui, et avait tué
son voisin dans le rang. Tel était, à ce que j'ai entendu dire, le récit d'Épizélos» (Hérodote, VI,
117).
124
A côté des morts, dont nous tenterons d'évaluer le nombre, il y avait les blessés.
Avaient-ils une chance de survivre ? Le manque de documents gêne bien sûr l'historien. On a
voulu s'en faire une idée à partir des œuvres d'Hippocrate, mais le soin du médecin n'empêche
pas que ces textes ne sauraient suffire, car seuls les blessés graves et riches consultaient un
médecin. Les médecins étaient rares et, à part quelques traitements comme les réductions de
fracture ou les extractions de projectiles, les moyens médicaux de l'époque étaient dans
l'enfance, on ne savait pas arrêter les hémorragies artérielles: c'est ce qui causa à Marathon la
mort de Kynégeiros, le frère du poète Eschyle (Hérodote, VI, 114). il fallait compter avec les
infections qui gagnaient les blessures ouvertes, même à l'occasion de plaies apparemment
bénignes. Ainsi certains pouvaient quitter le terrain sur leurs pieds, mais succombaient à une
infection dans les semaines qui suivaient, comme ce fut le cas de Miltiade (Hérodote, VI,
136).
Enfin le champ de bataille, une fois le calme revenu, était l'objet de visites. D'abord
celles du chef victorieux, mais aussi d'une foule de curieux. Nous n'oserions qualifier de telles
visites de « touristiques », mais nous n'en sommes pas loin. Après le combat de Marathon, le
site de la plaine attira les soldats péloponnésiens : arrivés trop tard pour la bataille, ils tinrent à
venir pour voir l'accoutrement exotique des envahisseurs perses (Hérodote, VI, 120). Plus
encore, la foule des non-combattants venait prendre sa revanche à bon compte, une fois le
danger passé. Xerxès organisa même les visites au défilé des Thermopyles, en offrant des
bateaux pour transporter les curieux, mais il avait pris soin, au préalable, d'enterrer en hâte les
cadavres perses pour mieux affirmer son triomphe en cachant l'étendue de ses propres pertes
(Hérodote, VIII, 24-25).
Une fois le combat terminé, l'après -bataille était également très important, en
particulier du point de vue symbolique. Les vainqueurs, maîtres du terrain, dépouillaient les
corps de ce qu'ils pouvaient prendre, que ce fût pour bâtir le trophée dont nous allons parler,
ou pour une simple récupération utilitaire. On trouvait plus d'armes que de corps, puisque des
fuyards s'étaient souvent débarrassés de ce qui les encombrait. On ramassait tout cela afin de
remplacer les équipements brisés ou abîmés, ou bien pour les vendre s'il y avait du surplus.
Mais il n'était pas facile de retirer les armures des corps, et il fallait faire vite, avant
l'apparition de la rigidité cadavérique.
On récupérait aussi les armes ennemies pour les déposer ultérieurement en guise
d'offrandes dans les temples de la cité ou les sanctuaires panhelléniques, ou bien même sur le
champ pour l'érection du trophée.
Le trophée, inventé par les Grecs, a connu jusqu'à l'époque moderne une longue
postérité sociale et symbolique. C'était une sorte de mannequin, un poteau de bois supportant
une cuirasse et un casque, des lances et des épées accrochées sur les côtés. Le trophée
(tropaion) , qui rappelle le masque de Dionysos suspendu à un tronc muni de feuillage, revêt
en particulier une signification symbolique: il est dressé à l'endroit même où la tropè de
l'ennemi s'est dessinée, laissant le vainqueur maître du terrain, d'où son nom. En général cette
maîtrise n'est pas contestable, et c'est cette décision tranchée que permettait rapidement le
mode de combat hoplitique.
C'est même cette règle coutumière qui fit tourner en victoire symbolique la défaite des
Corinthiens face aux Athéniens à la bataille de Solygéia en 425. Les Athéniens, vainqueurs,
avaient ramassé leurs cadavres et s'étaient ensuite retirés. Quand on s'aperçut après coup qu'il
manquait deux corps, le stratège Nicias refusa de passer outre à ses scrupules religieux. il
préféra revenir et envoyer un héraut pour demander à aller les chercher, ce qui lui fit renoncer
du même coup à la victoire et au droit au trophée (Thucydide, IV, 44,5-6 et Plutarque, Nicias,
VI, 5-7). Sans doute cela n'a-t-il en rien changé la réalité stratégique de la victoire athénienne,
mais seulement l'appréhension mentale de l'issue. Le trophée était un symbole religieux
125
considéré comme sacré, qui devait être sauvegardé par les vaincus même s'il constituait le
mémorial douloureux de leur défaite et de leur humiliation.
mouraient pour elle. Mais les femmes étaient exclues du cortège car on tenait à éviter les
débordements de chagrin intempestifs dont les hommes les accusaient d'ordinaire. Le tombeau
public (dèmosion sèma) où on les conduisait était situé dans le faubourg du Céramique
extérieur, et les femmes pouvaient s'y rendre de leur côté.
On a retrouvé à Thassos une loi sur les funérailles publiques, qui date du IVe siècle
avant J.-C. L'inspiration en paraît cependant tout à fait conforme à la tradition, et cela permet
de comparer avec le texte de Thucydide: la cité accorde des compensations aux orphelins, des
privilèges honorifiques, parfois étendus aux père et mère du défunt, ou à ses filles, mais rien
aux veuves de guerre, ce qui peut nous paraître curieux. D'autre part, ici aussi la cité entend
cantonner de façon stricte les manifestations de deuil : on honore, mais on sent en même
temps dans la communauté civique une volonté délibérée d'enrayer tout effet qui pourrait
provoquer la démoralisation ou menacer l'unité nécessaire de la cité.
Le discours ou oraison funèbre que mentionne Thucydide mérite un commentaire
particulier. A côté du discours que l'historien a mis dans la bouche de Périclès lui-même à la
suite du passage cité, nous en avons plusieurs exemples, du sophiste Gorgias, des orateurs
Lysias, Démosthène, Hypéride, sans compter une parodie instructive que Platon prête, dans le
Ménexène, à Aspasie, la compagne de Périclès. Les thèmes et l'inspiration de ces discours ont
été analysés de façon lumineuse par Nicole Loraux dans sa thèse intitulée L'Invention
d'Athènes.
L'oraison funèbre athénienne est un exemple particulièrement représentatif de
consensus social et de pression de la mentalité collective. Ces discours parallèles suivent un
schéma presque immuable, et ne s'intéressent guère aux opérations militaires, qui sont à
chaque fois rapidement expédiées. L'éloge des défunts se confond en fait avec l'éloge de la
cité unie dans la commémoration, et s'élargit progressivement en un panégyrique de la cité
comme abstraction: on doit vite oublier les individus et le chagrin. Louer la cité, c'est
reprendre le catalogue des hauts faits des ancêtres, au premier rang desquels figure la
résistance aux Perses lors des Guerres Médiques. Les défunts, élevés par la parole au même
rang que les héros (au sens antique du mot), ont fait preuve du courage des hommes bien nés,
ces andrès agathoï de l'ancienne aristocratie. On peut voir là un indice pour mieux
comprendre cette curieuse démocratie athénienne qui, non contente d'élire de préférence
comme stratèges des aristocrates comme Périclès, a assimilé beaucoup de valeurs de cette
aristocratie antérieure à l'époque de Solon. Indépendamment d'un culte proprement dit, un tel
cérémonial tend bien à faire des morts pour la patrie des sortes de figures tutélaires de la cité:
on s'approche ainsi d'une forme d'héroïsation, même si aucun témoignage remontant aux
Anciens n'emploie, comme nous le faisons, le terme de héros pour parler des morts à la
guerre. N. Loraux suggère que c'est peut-être parce que les Grecs de l'époque classique ont eu
tendance à subordonner toujours le religieux au politique.
il n'existait pas, par ailleurs, d'état civil digne de ce nom. De ce fait, les estimations de
population concernant l'Antiquité restent toujours hypothétiques, et c'est encore pour Athènes
que nous avons, relativement, le moins de lacunes. Il est assez rare en effet que nous
connaissions, à la fois et pour un même épisode, les effectifs engagés et le nombre des morts.
D'autre part, les textes ne s'intéressent qu'aux hoplites, en négligeant les cavaliers, et plus
encore les fantassins légers et les auxiliaires. Si bien que les renseignements qui nous sont
parvenus sont de moins en moins précis quand on descend dans l'échelle sociale. Enfin, pour
la même raison, les textes donnent toujours plus de chiffres pour les combats sur terre (les
hoplites) que pour les combats sur mer (les thètes), ce qui est gênant pour une cité aussi
maritime que le fut Athènes durant le Ve siècle.
Quelques inscriptions nous ont transmis de façon fragmentaire des listes
annuelles de défunts, rangées dans l'ordre des tribus (les obituaires). Mais nous avons vu
que les circonstances du combat font qu'il est dangereux de partir du chiffre d'une tribu
pour extrapoler au total de toute la cité. Ces listes retrouvées à Athènes séparent
rarement les officiers des soldats, et préfèrent la stricte égalité démocratique. En outre,
nous sommes la plupart du temps dans l'incapacité de déterminer la date exacte de ces
fragments, et par là les conflits qui marquèrent l'année en question. Des listes rapportées
probablement à l'année 447 font supposer pour l'ensemble de la cité athénienne un
chiffre de l'ordre de 1500 morts, chiffre élevé, et précisément pour une année où les
sources littéraires ne font état d'aucun conflit majeur. . .
Les morts étaient évidemment plus nombreux chez les vaincus que chez les
vainqueurs. En analysant les chiffres transmis par les sources littéraires, P. Krentz a
calculé que sur un combat les pertes se montaient, en moyenne, à 5% pour les
vainqueurs, et 14% pour les vaincus, la surmortalité des vaincus représentant la déroute et
la poursuite.
Il est évidemment plus difficile encore d'évaluer la mortalité indirecte due à la
guerre: massacres éventuels des civils, mort de prisonniers mal traités, famines,
épidémies, et plus encore dénatalité (les « classes creuses » ) . Ed. Will a suggéré que
dans les années 390 avant J.-C. un tel déficit (correspondant aux naissances antérieures
de dix-huit ans) avait pu compter dans le recrutement de mercenaires par les Athéniens.
L'idée est intéressante, mais les incertitudes sont immenses. . . On a pu évaluer l'effectif
d'une classe annuelle à Athènes entre 700 et 1000 jeunes gens, mais les conditions
sanitaires de l'époque pouvaient introduire de fortes variations d'une année sur l'autre.
A partir des textes, P. Brulé a calculé, toujours pour Athènes, une mortalité de guerre de
75000 morts sur une durée de cent soixante-huit ans, à l'occasion de 133 combats. Ce
chiffre représente évidemment un minimum, puisque certains combats échappent à nos
sources, et que les décès à la suite des blessures n'ont pas pu être tous recensés par les
historiens. Si l'on envisage pour cela une correction moyenne, et si l'on admet que la
population civique (les citoyens, leurs épouses, et leurs enfants) se montait à environ
200000 personnes, la mortalité directe par faits de guerre atteindrait 3,5 %o à Athènes.
La ponction démographique de la guerre est donc certaine, mais elle est apparemment
moins importante qu'on ne l'a cru quelquefois.
C'est en ce sens qu'on a pu dire que la guerre était pour eux une forme de jeu
agonistique, cruel certes, mais qui prolongeait cet esprit de compétition qui mettait les athlètes
aux prises sur le stade. Un exemple extrême de «combat rituel» nous est donné par la bataille
formalisée qui mit aux prises 300 Argiens et 300 Spartiates en champ clos (Hérodote, I, 82).
Comment les Grecs ont-ils «moralisé» la conduite de la guerre? On peut d' abord mentionner
deux lois: celle qui, à l'occasion de la guerre lélantine (autour de 700 avantJ.-C.), a interdit le
recours aux projectiles (pour préserver la supériorité des guerriers hoplitiques ?) (Strabon,
Géographie, 10,448), et le règlement de l'amphictyonie delphique qui interdisait de réduire
une ville par la famine ou la privation d'eau (Eschine, Sur fAmbassade, 115).
Mais plus encore que de lois, il s'agissait de coutumes, peut-être plus contraignantes
encore que des textes juridiques. Voici les principales :
◙. Une guerre doit être déclarée, ce qui exclut à peu près tout effet de surprise.
◙. Il ne doit pas y avoir d'hostilités durant les trêves sacrées, en particulier la célébration des
concours olympiques. Les prêtres et certaines personnes comme les hérauts et les suppliants
sont protégés en toutes circonstances, tout comme les sanctuaires.
◙. Après une bataille, le vainqueur doit rendre ses morts à l' ennemi quand il le demande.
◙. Les prisonniers ne doivent pas être massacrés ni mutilés, mais rendus contre rançon ou bien
vendus.
◙. Il faut limiter la poursuite de l'armée vaincue à la maîtrise du terrain et à l'affirmation de la
victoire.
◙. On ne doit pas s'en prendre aux non-combattants.
◙. Les combats n'ont lieu que durant la belle saison, en été, et chacun rentre chez soi pendant
l'hiver.
◙. Il ne faut pas s'en prendre au système social de l'adversaire, c'est-à-dire tenter de soulever
les esclaves ou bien accueillir les esclaves fugitifs.
◙. Il n'est pas honorable de faire usage des armes non hoplitiques (flèches, frondes...).
De même, le recours à la ruse est regardé avec désapprobation, malgré tous les
exemples recueillis au fil de l'histoire par Polyen. A l' époque de l'affrontement avec les
Romains, Polybe raconte que pour les anciens Grecs, c'est-à-dire ceux de l'époque classique,
le seul type de bataille conférant un succès honorable aurait été le combat en terrain dégagé,
sans armes secrètes ni projectiles ; jamais ils n'auraient utilisé la ruse ou l'artifice, et «c'est
pourquoi ils faisaient précéder la guerre d'une déclaration mutuelle et, quand ils avaient
l'intention de livrer une bataille, ils annonçaient la chose à l'adversaire, ainsi que le terrain où
ils iraient déployer leur armée» (XIll, 3,2-6). Certains ont vu dans le propos de Polybe un lieu
commun qui cherche à critiquer les contemporains en idéalisant le passé. Quoi qu'il en soit,
les exceptions, bien sûr, n'ont pas été rares, mais précisément ces transgressions faisaient
scandale (c'était une adikia, c'est-à-dire une injustice), comme les vieilles histoires dont
Athéniens et Spartiates s'accusaient mutuellement pour justifier leur position dans les mois
qui précédèrent la guerre de 431 (Thucydide, I, 126-134). Mais de telles «règles» n'avaient
jamais cours qu'entre les Grecs.
A quand remontent ces coutumes de la guerre ? Si les héros homériques respectaient
les serments ainsi que les prêtres et suppliants, les autres règles n'avaient pas cours. Ces
limitations semblent avoir été concomitantes de la révolution hoplitique du VIIe siècle.
Comment expliquer les raisons de telles limitations. Bien que la religion soit à
l'occasion garante de leur observance, il est difficile de prétendre qu'elle les a inspirées. Elle
est faite de rites plus que de croyances et de morale, et ce n'est pas la mythologie qui pouvait
donner des leçons pour la morale de la guerre: les dieux et les héros, eux, ne pratiquaient pas
la guerre hoplitique, ils ne reculaient pas devant la ruse ou la cruauté quand elle leur
130
Telle était donc l'organisation guerrière du monde grec à l'époque archaïque et aux
débuts de l'époque classique. Mais dès le début du Ve siècle, des ferments d'évolution
apparurent, notamment à Athènes. Si l'idéal hoplitique a pu paraître, on l'a vu, lié à la
naissance de la polis au VIIe siècle, avec la démocratie athénienne vont apparaître des
éléments nouveaux, comme le pouvoir maritime et la tentation thalassocratique et impériale.
A – La marine de guerre
1 – La guerre sur mer : la supériorité maritime d’Athènes.
a - Les origines de la marine de guerre.
Les premiers vaisseaux de guerre, reconnaissables à leurs rames et à leur forme effilée,
apparaissent en incision sur une plaque d'argile du IIIe millénaire découverte à Syros, île de la
mer Egée, et en peinture sur un vase du XVIIe siècle trouvé à Volo en Thessalie. De nouveaux
détails se remarquent ensuite sur les représentations, un peu moins schématiques, de l'époque
mycénienne: voiles et mâts, plates-formes de proue et de poupe. Pour le début du Ier
millénaire, nous disposons des descriptions homériques, souvent conventionnelles et
stéréotypées, mais parfois aussi riches en termes de métier et en notations vivantes, quand
elles évoquent les « noirs » vaisseaux ou les vaisseaux « creux », « bien planchéiés », « bien
travaillés », à la proue bleue ou rouge, si légers qu'on pouvait les tirer chaque soir sur le
rivage et si bas qu'on pouvait sans danger sauter de leur plat-bord sur la terre ferme. Mais il
131
est un détail essentiel, qui reste ignoré d'Homère, bien qu'il fût déjà en usage de son temps:
l'éperon de proue, qui est clairement attesté dès le début du VIIIe siècle, sur des vases de style
géométrique. Les plus courants de ces navires étaient propulsés par 20, 30 (triakontores) ou
50 rameurs (pentékontores), répartis en deux files de babord et de tribord. Parfois cependant,
et cela dès la fin du VIIIe siècle, chacune de ces deux files se dédouble en deux rangées
superposées pour donner naissance à des birèmes (dikrotoi) . Le mérite de cette invention
revient soit aux Phéniciens, partout présents à cette époque en Méditerranée, soit aux Grecs
eux-mêmes : peut-être au Corinthien Ameïnoklès qui, selon Thucydide (1, 13), se serait
illustré à Samos aux environs de 704 en créant le type de la samaïna.
conflits avec Corcyre. D'autres historiens, il est vrai, se prononcent pour une datation
différente: soit plus haute, (fin du VIIIe siècle), pour ceux d'entre eux qui, à la suite de
Thucydide, tiennent Ameïnoklès pour l'inventeur de la trière; soit plus basse (fin du VIe
siècle), en arguant du fait que Polycrate de Samos, vers 535, devait sa puissance à une flotte
encore formée de pentékontores.
Dès la fin du VIe siècle, en tout cas, les trières étaient largement répandues en
Méditerranée orientale. Polycrate lui-même en envoya 40 au secours du roi de Perse Cambyse
en 525; en 494, au cours de la révolte de l'Ionie contre les Perses, Chios put en aligner 100,
Milet 80, Lesbos 70 et Samos 60; la flotte envoyée contre les Grecs par Darius en 490 en
aurait compris 600, tandis que Gélon de Syracuse, dix ans plus tard, en proposait 200 aux
Grecs en échange du commandement général sur mer; sans compter les Athéniens qui, grâce
aux efforts de Thémistocle, purent disposer de plus de 200 trières durant la seconde guerre
médique. Depuis l'époque de Guillaume Budé (De asse et partibus eius, Paris, 1514), les
érudits se sont efforcés de résoudre le difficile problème de la disposition des rameurs à bord
des trières, en s'aidant de quelques représentations figurées, qui sont d'interprétation délicate,
et de rares textes, non moins énigmatiques dans le détail. Les indications fondamentales que
l'on peut en retenir, c'est que les sabords de nage n'étaient pas tous situés à la même hauteur et
que l'on distinguait toujours, dans l'équipage d'une trière, trois catégories de rameurs, les
thranites, les zygites et les thalamites, dont l'effectif total se montait à 170 hommes environ.
Or il n'existe que trois façons de distinguer des catégories de rameurs selon leur position à
l'intérieur du bateau: en les répartissant dans le sens soit de la longueur, soit de la largeur, soit
de la hauteur. Les deux premières solutions, qui consistent à répartir de la proue à la poupe
trois équipes de nage ou à confier la manœuvre de chaque aviron à trois hommes, n'ont certes
pas, dans le passé, manqué de défenseurs, qui répugnaient à envisager la superposition de
trois files de rameurs. Mais le problème a été définitivement tranché, depuis une trentaine
d'années, en faveur de la troisième solution - avec quelques variantes, bien compréhensibles,
dans le détail.
Les rameurs du banc inférieur, appelés thalamites, actionnaient leurs avirons à travers
des sabords situés à une cinquantaine de centimètres au-dessus de la ligne de flottaison et
munis pour cette raison de mantelets en cuir; les rameurs du banc moyen, appelés zygites, les
actionnaient sans doute sur le plat-bord; tandis que, pour soutenir les tolets des rameurs du
banc supérieur qui étaient appelés thranites, avaient été mises en place, comme dans nos
outriggers, des montures de charpente dépassant des bordages, que l'on appelait parexeiresia,
c'est-à-dire « dispositif auxiliaire pour les rames »(apostis dans les galères françaises).
Les emplacements de nage se superposaient donc, mais ils s'imbriquaient aussi, de
telle sorte que les sabords se présentaient en quinconce sur les flancs du navire : on parvenait
ainsi à ne pas exagérer, pour des raisons de sécurité, la hauteur des bordages (2,20m environ),
et à égaliser la longueur des rames (elle était de 4,17m, sauf au centre de la trière où elle
atteignait 4,40 m environ). L'unité tripartite de nage, qui donnait son nom à ce type de bateau,
était par conséquent disposée en oblique.
De chaque côte de la trière prenaient place 27 de ces unités, auxquelles s’ajoutaient, à
cause du profil de la coque, deux thranites ramant seuls à l'avant et à l'arrière, chaque homme
étant situé à une distance de 90 cm environ de ses voisins : ce qui veut dire que la longueur de
l'ancienne pentékontore, où s'alignaient 25 rameurs, ne s'en trouvait pas sensiblement
outrepassée (elle devait atteindre environ 36 m), alors que la trière bénéficiait d'un surcroît
appréciable de puissance, qui lui permettait de filer sans voile un peu plus de 5 nœuds. En
contrepartie, elle exigeait des rameurs parfaitement entraînés, suffisamment coordonnés dans
leur nage pour ne pas entrechoquer leurs avirons. Cette « reine des mers » n'admettait à son
service que des marins accomplis.
133
a – La tactique de l’éperonnage.
De quand date l'apparition de la tactique de l'éperonnage? Il est difficile de le préciser.
Est-elle contemporaine de l'invention de l'éperon? A partir du moment où, à l'époque
archaïque, cet appendice frontal apparaît pourvu d'une armature de métal, on ne saurait en tout
cas douter de son utilisation dans les combats. Par la suite, il ne cessa de se perfectionner: les
trières étaient munies d'un éperon en bronze surmonté d'un certain nombre de pointes
complémentaires.
L'objectif recherché était de mettre hors de combat, et si possible de couler, le navire
ennemi en l'éventrant un peu au-dessous de la ligne de flottaison. Pour y parvenir, l'agresseur
devait remplir deux conditions: se placer dans une position telle qu'il pût porter son attaque de
flanc; lancer d'autre part son attaque à une vitesse optimale, ni trop forte ni trop faible, ,telle
qu'il réussît à enfoncer la carène de l'adversaire sans y rester fiché. Dans ces conditions, le
succès allait à ceux qui étaient capables de porter leurs coups avec rapidité et précision, grâce
aux qualités manœuvrières de leurs vaisseaux, qui dépendaient elles-mêmes en grande partie
de l'excellence des équipages.
Cette ultime attaque demandait cependant à être précédée de manœuvres d'approche
destinées à placer l'ennemi en mauvaise posture: tantôt improvisées et originales comme des
stratagèmes (quand on s'arrangeait, par exemple, pour pousser à la côte la flotte adverse),
tantôt codifiées et aisément reconnaissables comme des figures de ballet.
◙ Le périplous était réalisé par des navires en ligne entreprenant de tourner autour de
l'adversaire de façon à réduire progressivement son champ d'action et à introduire le désordre
dans ses rangs, avant de l'attaquer à l'éperon. Mais cette manœuvre comportait un certain
danger: car ses exécutants s'offraient de flanc aux coups ennemis.
◙ Le diekplous consistait à se présenter en rang, les proues face aux navires ennemis, à
se glisser entre eux en s'efforçant de les raser d'assez près pour briser leurs avirons, puis à
opérer une volte-face de manière à se jeter par derrière ou de flanc sur l'adversaire désemparé.
Connu dès le VIe siècle, le diekplous était toujours tenu, au temps de Polybe (I, 51, 9),
comme « la manœuvre la plus efficace dans une bataille navale ». II existait cependant trois
135
façons d'y faire échec: en se rangeant sur deux lignes, en adoptant une disposition en
quinconce ou en formant le cercle.
b – La tactique de l’abordage.
Rares furent cependant les moments où les procédés tactiques fondés sur le principe de
l'éperonnage jouèrent un rôle déterminant, voire quasi exclusif, dans les combats sur mer:
car il fallait pour cela atteindre à une parfaite maîtrise des techniques navales, obtenir une
totale adaptation de l'instrument guerrier aux conditions spécifiques du milieu, et prendre
pleinement conscience de l'originalité des méthodes à employer. Faute de quoi s'imposaient
naturellement les schémas coutumiers inspirés des manœuvres terrestres.
L'abordage témoigne de préoccupations tactiques diamétralement opposées à celles de
l'éperonnage: ici les vaisseaux, là les combattants se trouvent directement concernés. Aussi
est-il possible, en l'absence de tout autre renseignement, de juger des procédés utilisés par les
Grecs avant l'époque classique d'après le nombre des fantassins de marine embarqués à bord
de chaque navire et d'après l'importance des installations qui leur étaient destinées.
La pratique de l'abordage est au moins aussi ancienne que celle de l'éperonnage. Elle
semble avoir eu la préférence des héros homériques. A la fin de l'époque géométrique, sur les
vases du Dipylon, on voit souvent des soldats munis d'arcs et de piques marines prendre une
part active aux batailles navales, postés sur les plates-formes de proue et de poupe. Celles-ci
apparaissent bientôt liées entre elles, soit par une passerelle axiale, soit par des passavants -
avant de se transformer, au plus tard vers la fin de l'époque archaïque, en un pont plus ou
moins continu. Ainsi s'explique que 40 fantassins de marine aient pu être embarqués sur
chaque trière chiote en 494, pour la bataille de Ladè (près de Milet, sur la côte d' Asie
Mineure).
En 480, les trières athéniennes affirmèrent cependant, dans le détroit de Salamine, la
supériorité de la pratique de l'éperonnage sur celle de l'abordage. Cette supériorité ne fut
guère, dans l'ensemble, remise en cause durant l'époque classique, avant l'essor du gigantisme
naval qui permit aux souverains hellénistiques de dominer les mers du haut de leurs
forteresses flottantes. Le nouveau mode de combat ressort clairement de la description par
Diodore de Sicile (XX, 51, 2-4) de la bataille que se livrèrent Ptolémée Sôter et Démétrios
Poliorcète en 307 dans les eaux de Salamine de Chypre :
« Quand les trompettes donnèrent le signal du combat et que les deux forces armées
poussèrent leurs cris de guerre, tous les navires portèrent une terrible attaque; en usant d'abord
des arcs et des pétroboles, puis en lançant des volées de javelots, on blessait ceux qui se
trouvaient à portée; ensuite, lorsque les vaisseaux se rapprochèrent et furent sur le point de se
heurter avec violence, les combattants du pont se baissèrent, tandis que les rameurs, stimulés
par les maîtres de nage, mettaient plus de cœur à l'ouvrage. Avançant avec force et violence,
tantôt les navires s'arrachèrent leurs avirons - ce qui leur interdit la fuite et la poursuite, et
empêcha leurs équipages, malgré leur désir d'en venir aux mains, de s'élancer au combat;
tantôt, après s'être heurtés frontalement de leurs éperons, ils se dégagèrent pour porter un
autre coup, tandis que les hommes du bord se blessaient les uns les autres, tant les cibles
étaient proches. Certains, une fois que les triérarques avaient frappé de flanc et solidement
fiché leurs éperons, sautèrent sur les navires ennemis, où ils reçurent et portèrent de nombreux
coups terribles: tantôt en effet, après s'être accrochés au bateau voisin, perdant l'équilibre, ils
tombaient dans la mer et mouraient immédiatement sous les coups de lance des hommes du
bord; tantôt, réussissant dans leur entreprise, ils tuaient leurs adversaires ou les contraignaient,
en raison de l'exiguïté du terrain, à se précipiter dans l'eau ».
136
Pour parer aux attaques frontales des vaisseaux macédoniens, qui étaient dotés de
solides bossoirs, les Rhodiens, continuant à se fier à leurs qualités manœuvrières, "avaient mis
au point" en 201, nous dit Polybe (XVI, 4, 12), "un procédé ingénieux. Ils faisaient piquer de
l'avant leurs navires, en sorte qu'ils recevaient les coups au-dessus de la ligne de flottaison,
tandis qu'ils touchaient leurs adversaires au-dessous, ouvrant ainsi dans leurs coques des
brèches irréparables".
1 - Le système du mercenariat.
Le mercenaire est un soldat professionnel dont la conduite est avant tout dictée, non
pas par son appartenance à une communauté politique, mais par l'appât du gain: c'est la
conjonction de ces trois aspects, de spécialiste, d'apatride et de stipendié, qui fait l'originalité
de ce type humain dans le monde antique; comme dans le monde moderne.
Il est rare que le mercenaire ait été totalement absent des armées antiques : parce que
toute société comporte normalement un certain pourcentage de baroudeurs et d'aventuriers
prédisposés à ce genre de métier, et surtout parce qu'à cette époque on assurait volontiers de
cette manière le service de telle ou telle arme qui exigeait un long entraînement. C'est ainsi
que les Grecs recrutèrent de tout temps leurs meilleurs archers de préférence en Crète, à
défaut en Perse et chez les Scythes, tandis que les archers romains, sous l'Empire proviendront
fréquemment de Numidie ou d'Arabie. Quant aux frondeurs, ils venaient surtout des îles
Baléares, dont la réputation en la matière l'emportait sans conteste sur d'autres régions telles
que Rhodes, l'Acarnanie, l'Achaïe, la Sicile, l'Espagne ou l'Afrique du Nord. Sans compter les
généraux spartiates qui ne cessèrent de primer sur le marché méditerranéen.
L'usage de mercenaires est donc une constante du monde grec antique, mais non le
recours au mercenariat, - mot construit sur le modèle de « salariat », - qui implique que les
mercenaires sont devenus proportionnellement assez nombreux pour influer de façon sensible,
voire de façon déterminante, sur la vie militaire et, parfois, sur la société.
A l'époque archaïque, le nombre des mercenaires opérant en Grèce paraît peu élevé:
quelques centaines dans l'entourage de certains tyrans, dont ils assuraient la garde personnelle.
Mais il s'en rencontre davantage dans les royaumes orientaux: en Egypte surtout, où ils
représentèrent, au VIIe et au VIe siècle, la base militaire essentielle de la dynastie saïte; à un
moindre degré en Mésopotamie, d'où Antiménès, le frère du poète Alcée, ramena pour prix de
ses services une épée à pommeau d'ivoire et attaches d'or, ainsi qu'en Lydie, où ils répondaient
à l'appel de la dynastie des Mermnades aux fabuleuses richesses. De leur passage en Orient,
les archéologues ont retrouvé quelques traces: leurs graffiti sur les jambes des colosses de
Ramsès II à Abou-Simbel en Nubie; leur campement à Daphnae (Tel Defenneh) en bordure du
delta du Nil; leurs poteries dans les forteresses du Negev, etc... Ce développement du
mercenariat traduit la reconnaissance, par les souverains orientaux, de la supériorité technique
de l'armement hoplitique. Mais, du point de vue grec, ce n'est là, fondamentalement, qu'un
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aspect de la vaste migration qui assura, dans la première moitié du Ier millénaire, la diffusion
de l'hellénisme sur les rivages de la Méditerranée.
Après 525 environ, et pendant près d'un siècle, tandis que prend fin le mouvement de
colonisation, il n'est pratiquement plus question de mercenaires grecs en Méditerranée
orientale - sauf, pendant un certain temps, en Sicile où se maintinrent plus longtemps
qu'ailleurs des régimes tyranniques soumis à la menace carthaginoise, et, plus tard encore,
dans les satrapies perses d'Asie Mineure. C'est pendant la guerre du Péloponnèse que l'on
observe à nouveau un essor du mercenariat, qui se poursuit cette fois jusqu'à la fin de l'époque
hellénistique. Aux environs de l'an 400, l'Anabase de Xénophon nous met en présence de plus
de 10000 mercenaires au service de Cyrus, prétendant au trône de Perse. Séquelle du long
conflit qui venait de déchirer le monde grec ? Sans doute, mais il y a plus, car le mercenariat,
bien loin de se résorber, commença alors à faire tache d'huile, ainsi que le prouve l'importance
des effectifs signalés par la suite dans les États grecs et barbares de Méditerranée orientale (20
000 environ au milieu du IVe siècle, dont la moitié en Grèce; 50000 en 329 dans les armées
d'Alexandre), avant qu'ils n'en viennent, dans les monarchies hellénistiques, à constituer, sous
des formes variées, l'essentiel des forces armées: au point que l'on se mit à assimiler les mots
de mercenaire (misthophoros), d'étranger (xénos) et de soldat (stratiôtès).
Avec l'accroissement de l'offre et de la demande, le recrutement des mercenaires tendit
à s'organiser, à se structurer: les États l'assurèrent de leur mieux; soit en concluant entre eux
des contrats d'exclusivité ou de préemption, soit en, prenant à leur service des chefs de bande,
soit en dépêchant des émissaires sur les « marchés » (tel le cap Ténare au sud du Péloponnèse)
où se concentraient les soldats en chômage. Peu à peu se dessinèrent de la sorte des voies
privilégiées de migration militaire : c'est ainsi que dans les armées lagides du IIIe siècle - à un
moment où l'Égypte affirmait son hégémonie en mer Egée - on a pu noter l'importance du
recrutement insulaire et anatolien. Ces voies de migration étaient cependant soumises à de
nombreuses fluctuations, fluctuations de courte durée suscitées par le déplacement
conjoncturel des besoins, et fluctuations de longue durée déterminées par l'épuisement graduel
des disponibilités humaines: c'est pour cette dernière raison que le degré d'hellénisation des
mercenaires se mit rapidement à baisser au cours du IIIe siècle, quand, à défaut de Grecs et de
Macédoniens trop longtemps sollicités, il fallut se rabattre sur les peuples à demi barbares des
Balkans et d'Asie (exception faite des Crétois et des Lacédémoniens, dont la réputation
militaire était solidement assise).
C'était là, avec les conditions de service, une source permanente de difficultés entre
employés et employeurs: les uns toujours acharnés à défendre et à augmenter leurs gains; les
autres toujours réticents, et souvent aussi impuissants, à s'acquitter en fin de campagne des
arriérés de solde. Cette opposition fondamentale d'intérêts dégénéra parfois en révoltes
ouvertes, qui ébranlaient périodiquement l'autorité et pouvaient même entraîner la ruine de
cités: une telle rébellion plaça Carthage, peu après la première guerre punique, à deux doigts
de sa perte.
de forcer les prix pour susciter des vocations, et qu'en définitive ce fut la pression de l'offre
plutôt que celle de la demande qui gonfla les effectifs des armées mercenaires.
A cette conclusion on oppose parfois un passage de l'Anabase de Xénophon (IV, 4, 8),
où il est précisé que « de ces soldats la plupart ne s'étaient pas embarqués par insuffisance de
ressources, pour avoir une solde, mais, entendant parler du mérite de Cyrus, ils étaient venus
les uns lui amenant des recrues, les autres les ayant payés même avec leurs propres deniers ».
Mais cette remarque, outre qu'elle ne doit s'appliquer qu'à une minorité venue spécialement de
Grèce, paraît plutôt s'expliquer par la volonté de l'auteur de rehausser le standing social de
ceux qui deviendront ses subordonnés.
Le mercenariat ne fut donc pas essentiellement en Grèce un facteur externe de
désintégration sociale et politique: bien plutôt le résultat d'une crise de naissance ou de
dégénérescence de la cité, dont le cadre étroit ne pouvait résister à la poussée des
antagonismes internes.
également une invention de la fin de l'époque paléolithique: son usage dans le monde égéen se
trouve en tout cas attesté dès le IIIe millénaire. Outre les frondes à main, il est fait mention à
certaines époques de frondes à bâton, c'est-à-dire de frondes dont l'extrémité inférieure des
courroies, au lieu d'être tenue à la main, était fixée au bout d'un bâton - ce qui accroissait
d'autant la force centrifuge communiquée au projectile. Ce type particulier portera au Bas-
Empire le nom de fustibale, mais il est possible que les Grecs l'aient occasionnellement utilisé
dès l'époque archaïque. A partir de 170 environ, on connaissait également un autre genre de
fronde, décrit par Polybe (XXVII, 11 ), sous le nom de kestrosphendonè .
« Voici en quoi, explique-t-il, consistait cette arme de jet: elle mesurait environ deux
palmes (15 cm), avec une douille de longueur égale à la pointe, Dans la douille était ajusté un
bâton long d'un spithame (22 cm) et qui avait un diamètre d'un doigt (18 mm); au milieu de ce
bâton étaient insérées trois ailettes en bois, très courtes. Les cordes de la fronde étant de
longueur inégale, ce projectile était placé entre les cordes de façon qu'il pût se dégager
facilement. Quand on faisait tourner la fronde, les cordes tendues, il restait donc en place;
mais, quand on lâchait l'une ou l'autre des cordes au moment du tir, quittant la poche, il était
propulsé par la fronde à la manière d'un plomb, et s'abattant avec une grande force, il mettait à
mal ceux qu'il atteignait. »
La troisième arme de jet, sans doute la plus utilisée par les fantassins légers, était
celle que l'on peut désigner du nom générique de javelot, bien qu'elle ait revêtu, selon les
lieux et les époques, des formes et des appellations variées. En Grèce, les javelots
ressemblaient beaucoup aux lances tenues par les hoplites et, primitivement, devaient même
leur être identiques: ils commencèrent cependant à s'en distinguer plus nettement à partir de
l'époque archaïque par la longueur de leur fût et par les dimensions de la pointe et du talon
métalliques qu'ils portaient à leurs extrémités. Ils se lançaient soit à la main, - et les Grecs s'y
entraînaient activement dans les gymnases, - soit à l'aide d'une courroie de propulsion fixée au
milieu de la hampe: dans ce dernier cas, ils avaient une portée de près de 100 mètres. Ces
divers types de lanceurs possédaient tous une courte épée, dont ils se servaient éventuellement
dans le corps à corps. Mais ils se différenciaient par la nature et l'importance de leur
armement défensif, c'est-à-dire surtout de leur bouclier, puisqu'ils étaient normalement
dépourvus de cuirasses.
dans l' Héraclès d'Euripide (v. 162-164), comme thème d'un débat contradictoire qui lui reste
défavorable: « Pour un guerrier, l'épreuve de la bravoure n'est pas le tir de l'arc; elle consiste à
rester à son poste, et à voir, sans baisser ni. détourner le regard, accourir devant soi tout un
champ de lances dressées, toujours ferme à son rang. » Mais le simple fait d'en débattre
prouve que cette condamnation n'était plus sans appel.
On observe en effet, pendant la guerre du Péloponnèse, une certaine tendance à la
revalorisation des troupes légères, au fur et à mesure que la bataille rangée perdit de son
importance par rapport au coup de main et que progressa en poliorcétique la tactique de
l'assaut. C'est alors précisément que fit son apparition dans les armées grecques un type de
combattant intermédiaire entre l'hoplite et le fantassin léger: le peltaste, qui devait son nom au
bouclier thrace, la peltè, plus petit et plus léger que l'aspis, à armature de bois ou d'osier
revêtue de peaux de mouton ou de chèvre, et souvent en forme de croissant; équipé également
d'une cuirasse de toile et d'un bonnet de cuir, il usait comme armes offensives de javelots ou
d'une lance plus légère que celle de l'hoplite.
dans un corps civique élargi, n'aurait guère été en mesure de la maintenir sur le terrain
militaire face à la muraille de bronze des hoplites. Ainsi se serait progressivement rompu le
lien effectif, et développée en contrepartie la relation symbolique et honorifique, entre
cavalerie et aristocratie dans la plupart des cités grecques, qui auraient, au dire d'Aristote
(Politique, IV, 3, 2) commencé par être des républiques de cavaliers.
Du point de vue technique, le déclin de cette aristocratie équestre primitive aurait
signifié la faillite des lanciers, dont les charges de rupture se brisaient désormais sur le front
rigide de la phalange. Pour remédier à cette situation, on chercha peut-être à associer des
fantassins légers aux cavaliers ou à transformer ceux-ci en fantassins montés. Mais c'est de
toute autre façon que la cavalerie émergea finalement de cette crise qui avait consacré le
déclin de l'aristocratie : par l'adoption de techniques nouvelles, fondées sur la pratique du
harcèlement.
l'aide des dieux, de pénétrer secrètement sur son territoire, après s'être assuré
de ses forces en chaque point et de la place des avant-postes qui gardent le
pays; car il n'y a pas de prise plus honorable que celle des sentinelles. Elles
sont d'ailleurs faciles à tromper, parce qu'elles poursuivent tout ce qui leur
paraît en petit nombre, croyant en cela faire leur devoir. Mais, dans les
retraites, il faut prendre garde de rencontrer l'ennemi se portant au secours des
siens. »
Et pourtant, cette tactique était d'une efficacité limitée, comme le souligne Xénophon
lui-même dans un discours adressé à ses compagnons de l'armée des Dix-mille pour les
rassurer sur les capacités de l'adversaire (Anabase, III, 2, 18) :
« S'il y en a parmi vous qui se découragent parce que nous n'avons pas
de cavalerie tandis que l'ennemi en a une nombreuse, réfléchissez que 10000
cavaliers ne sont que 10000 hommes: jamais personne, en effet, n'a péri dans
une bataille ni d'une morsure, ni d'un coup de pied de cheval; ce sont les
hommes qui font les blessures. Suspendus sur leurs chevaux, eux, ils ont peur,
non seulement de nous, mais aussi de tomber; nous au contraire, solidement
campés à terre, nous pouvons frapper plus fortement qui nous approche et
viser plus sûrement où nous voulons. Sur un point seul, les cavaliers ont
l'avantage: la fuite a pour eux moins de dangers que pour nous ».
Le nombre et la variété de ces cavaliers se trouvèrent ensuite considérablement accrus
dans l'armée d'Alexandre de Macédoine, qui fit pour cela appel soit à ses compatriotes, soit à
ses alliés grecs ou barbares. Les nobles macédoniens furent regroupés, au nombre de 2000,
dans la cavalerie des Compagnons (hétaires), qui fut d'abord divisée en escadrons (îles), dont
l'un assurait la garde royale, puis en hipparchies; la qualité de leur armement leur permit
même éventuellement de charger l'infanterie ennemie sur ses flancs et sur ses arrières (casque
à large champ de vision, cuirasse métallique souple ou modelée sur la musculature, lance plus
petite que celles des phalangites, épée courte en forme de cimeterre, et parfois, au IIIe siècle,
bouclier circulaire à revêtement de bronze). Parmi le reste de la population macédonienne et
chez les alliés se recrutait un supplément de cavaliers, dont l'armement était généralement
plus léger que celui des Compagnons: sarissophores ou porteurs de lances, éclaireurs à cheval
(prodromoï) d'origine macédonienne ou thrace; autres cavaliers d'origine thrace, thessalienne,
grecque ou orientale armés à la macédonienne; archers à cheval et lanceurs de javelots
d'origine orientale. Autant de variantes, suscitées par le développement de l'art militaire, mais
conformes aussi au tempérament et aux usages nationaux. Cet effort d'Alexandre ne fut pas
poursuivi par les souverains hellénistiques : le rapport numérique entre la phalange et la
cavalerie, qui était fréquemment à son époque de 2 à 1, sera de 5 à 1 dans les armées
séleucides au temps de Raphia (218), et de 8 à 1 dans les armées macédoniennes sous le règne
de Philippe V (fin du IIIe siècle).
Péloponnèse, le procédé de siège le plus répandu et le plus efficace: une fois achevée la
construction d'un mur de contrevallation en briques crues ou en pierres sèches, parfois doublé,
en direction de l'extérieur, par un mur identique de circonvallation, il ne restait aux agresseurs
qu'à en assurer la garde, en puisant dans leurs réserves financières et en s'armant de patience.
Par là- même, ils reconnaissaient leur incapacité à forcer l'entrée de la ville - incapacité qui
traduisait avant tout leur répugnance à courir un tel risque: parce que c'était le contrôle du
territoire qui restait, à leurs yeux, l'objet essentiel du conflit.
Durant la guerre du Péloponnèse, les Athéniens furent les seuls à avoir les moyens
économiques et le courage politique de sacrifier de sang froid, comme le leur avait conseillé
Périclès, la défense du territoire à la sauvegarde de la ville car c'était pour eux la seule façon
de maintenir leur empire maritime pourvoyeur de tributs, qui se trouvait menacé par la
supériorité terrestre des Spartiates. Mais leur stratégie, toute conjoncturelle et circonstancielle
qu'elle fût, et en dépit de son échec final, n'en préfigurait pas moins, dans une certaine mesure,
la stratégie nouvelle adoptée par la plupart des cités grecques à partir du IVe siècle.
valût la peine d'être tenté. Ce n'est donc pas un hasard, ni le simple effet d'une cause
particulière de caractères technique, sociale ou politique, si la poliorcétique grecque atteignit
son apogée au temps d'Alexandre et des diadoques, au cours des conflits acharnés qui
accompagnèrent la naissance des empires: ce fut le résultat d'une conjonction de forces et
d'appétits nouveaux libérés par l'éclatement de la cité, l'effacement du soldat-citoyen et la
faillite du mode de combat hoplitique.
(3e quart du IVe siècle). C'est au début du IIIe siècle qu'aurait pris place, en arrière du bastion
E, un puissant bastion (29) formé de cinq tours juxtaposées, tandis que la protection de la
porte était progressivement renforcée par trois avant-murs. Le dernier programme de
construction, comprenant essentiellement le fossé extérieur A, le fossé intermédiaire B et sa
galerie, l'ouvrage extérieur C, ainsi que le tunnel mettant en relation la galerie du fossé D et
l'avant-cour de la porte, est resté inachevé et, pour cette raison, est certainement antérieur de
peu à la prise de Syracuse par Marcellus en 211.
L'art grec des fortifications culmine donc à Syracuse au temps d'Archimède, au terme
d'une longue évolution. Sélinonte présente, dans la première moitié du IIIe siècle, une version
simplifiée des fossés et des bastions syracusains. Le remplacement du couronnement crénelé
par un haut parapet percé de fenêtres et même la transformation du chemin de ronde en une
galerie partiellement ou totalement couverte sont attestés à Héraclée du Latmos et à Athènes
dès les dernières années du IVe siècle (fig. 15), et se retrouvent, sous une forme plus élaborée,
à Sidè en Pamphylie (sud de l'Asie Mineure) dans la première moitié du IIe siècle avant notre
ère (fig. 16). A la même époque, le secteur méridional de l'enceinte de Milet reproduit un tracé
à crémaillères renforcé par des tours largement saillantes (fig. 17), tandis que l'on met en
place à Marseille, en bordure du port antique, une ligne fortifiée finement articulée. Les
capacités de flanquement des tours, surtout au voisinage des portes (fig. 18) se trouvent
simultanément accrues par le développement de leur puissance architecturale, ainsi que par
l'adoption de plans variés: pentagonal (fig. 19), hexagonal, heptagonal (fig. 18), en fer à
cheval (fig. 20), ou de conception encore plus savante (fig. 21). Autant d'exemples, parmi bien
d'autres, d'innovations techniques qui s'avèrent, pour l'essentiel, conformes aux enseignements
de Philon de Byzance-, et dont l'importance se mesure au fait qu'elles resteront valables, au
prix de quelques perfectionnements, jusqu'à la fin du Moyen Age.
Après l'époque hellénistique, l'art des fortifications ne progressa plus, en effet, de
façon sensible jusqu'à la fin de l'Antiquité, même si l'ampleur des moyens mis en œuvre par
les Romains, ainsi que l'invention de techniques nouvelles de construction comme celle du
mortier à base de chaux, permirent d'accroître la puissance des ouvrages défensifs. Jusqu'au
Ve siècle, les fortifications de la partie de l'Italie dominée par les Etrusques restèrent assez
rudimentaires. Mais, dès le milieu du IVe siècle, la pénétration des influences grecques était
déjà visible dans le Latium: à Rome même, où des marques de tâcherons, sur le mur dit
«servien», trahissent l'origine hellénique des ouvriers. Au Ier siècle, des fortifications comme
celles de Pompéï prouvent que les ingénieurs militaires romains se sont enfin hissés au niveau
de leurs maîtres hellénistiques.
Après une phase de dégénérescence correspondant à la paix romaine du Haut Empire -
durant laquelle ou se soucia surtout d'embellir les portes urbaines - l'architecture militaire ne
devait recouvrer de son importance qu'avec les invasions barbares du IIIe siècle de notre ère.
Les fortifications de cette époque furent édifiées à la hâte, et sont encore d'une technique
rudimentaire. Puis l'on commença de nouveau à recourir aux procédés de l'époque
hellénistique. Le mur d'Aurélien à Rome, avec ses modernisations du début du IVe siècle, et
l'enceinte théodosienne de Constantinople annoncent le nouvel apogée atteint par l'art des
fortifications au temps de Justinien ,- quand furent pleinement remis en application les
principes édictés plusieurs siècles auparavant, au temps de Philon, de Byzance, par les
architectes grecs.