2014 - EBP - Fondements Et Réflexions Sur L'apport en Clinique
2014 - EBP - Fondements Et Réflexions Sur L'apport en Clinique
2014 - EBP - Fondements Et Réflexions Sur L'apport en Clinique
L’evidence-based practice (EBP) ou pratique basée sur les preuves est une approche de plus en plus encou-
ragée en logopédie au niveau international. Cet article présente les principaux composants en détaillant
la nature des preuves liées aux trois piliers de l’EBP (preuves externes, preuves internes ou préférences
du patient). La démarche de l’EBP est brièvement discutée ainsi que les freins et les bénéfices attendus
en clinique.
1. Introduction
2. Quelles « preuves » ?
Baser sa pratique clinique sur des données probantes, et non uniquement sur
des intuitions, consiste à intégrer trois sources d’informations pour guider le
choix thérapeutique (Sackett et al., 1996, 2000) :
1) les preuves externes issues de la recherche scientifique ;
2) l’expertise du clinicien qui lui permet de dégager des preuves dans sa pra
tique clinique ;
3) les caractéristiques et préférences d’un patient précis.
3. La procédure
La démarche EBP comporte cinq étapes importantes (Straus et al., 2011) qui
seront rapidement détaillées ci-dessous1.
1 Le lecteur intéressé pourra trouver une description détaillée et appliquée à la logopédie de ces
5 étapes dans le chapitre de l’ouvrage suivant : Maillart, C., & Durieux, N. (2012). Une initiati-
on à la méthodologie « Evidence-Based Practice » : Illustration à partir d’un cas clinique. In C.
Maillart & M.-A. Schelstraete (Eds.), Les dysphasies : De l’évaluation à la rééducation. Issy-les-Mou-
lineaux : Elsevier-Masson.
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compte pour démontrer que l’objectif a été atteint.
Une question générale comme « la méthode Lee Silverman Voice Treatment (LSVT)
est-elle efficace pour rééduquer les troubles phonologiques ? » ne contient en fait que
deux éléments (I = méthode LSVT et O/P = les troubles phonologiques). Dans
cet exemple, il est difficile de déterminer si les troubles phonologiques sont la
cible du traitement, auquel cas, il serait préférable de cibler un objectif plus opé-
rationnalisable (ex. : augmenter l’intelligibilité ou le pourcentage de consonnes
correctes), ou s’il s’agit de la population de patients présentant des troubles
phonologiques. Dans ce cas aussi, il faudrait préciser davantage la question en
fonction des caractéristiques du patient ciblé (ex. : un enfant d’âge préscolaire
présentant des troubles phonologiques, un adulte présentant des troubles pho-
nologiques suite à un AVC). On préférera donc une question plus complète telle
que « La méthode LSVT (I) permet-elle d’améliorer plus rapidement l’intelligi-
bilité (O) de patients adultes présentant des troubles phonologiques (P) qu’une
intervention métaphonologique (C) ? ».
3.4. Prendre une décision: combiner les preuves externes avec les preuves
internes et les préférences du patient
Cette étape intégrative est importante : les différentes preuves, externes et in-
ternes, vont être rassemblées pour guider le choix thérapeutique. A ce stade, le
jugement clinique du logopédiste est important. Il doit déterminer dans quelle
mesure le patient à traiter partage des caractéristiques communes avec les parti-
cipants des recherches issues de la littérature. Plus la proximité sera élevée, plus
1 Lire à ce sujet l’article suivant (disponible à l’adresse http://hdl.handle.net/2268/159899) : Durieux, N.,
Vandenput, S., & Pasleau, F. (2013). Médecine factuelle : La hiérarchisation des preuves par le Centre for
Evidence-Based Medicine d’Oxford. Revue Médicale de Liège, 68(12), 644-649.
2 Lire à ce sujet l’article suivant (disponible à l’adresse http://hdl.handle.net/2268/156998) : Du-
rieux, N., & Vandenput, S. (2013). EBP : Zoom sur MEDLINE. Les Cahiers de l’ASELF, 10(3), 23-31.
3 Lire l’article (disponible à l’adresse http://hdl.handle.net/2268/157012) : Martinez-Perez, T., &
Durieux, N. (2013). EBP : Zoom sur la Cochrane et l’ASHA. Les Cahiers de l’ASELF, 10(2), 14-18.
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les données de la recherche seront utiles pour guider le choix thérapeutique. Le
logopédiste s’aide également de son expertise clinique, en comparant les carac-
téristiques du patient, et ses préférences, à celles des patients qu’il a déjà traités
efficacement pour des plaintes similaires.
Des enquêtes réalisées chez les cliniciens (Durieux et al., 2012 ; O'Connor &
Pettigrew, 2009 ; Vallino-Napoli & Reilly, 2004 ; Zipoli & Kennedy, 2005) ont
permis d’identifier un certain nombre de freins à l’utilisation de l’EBP : certains
sont liés à la démarche elle-même (ex. : démarche chronophage, difficulté pour
évaluer les preuves), d’autres aux conditions d’exercice (ex. : faible accessibilité
aux revues, manque de temps disponible, coût de l’accès à l’information), aux
compétences du clinicien (ex. : faible maitrise de la langue anglaise, manque
de compétence en recherche documentaire) ou à ses valeurs (ex. : peur d’une
uniformisation ou d’une standardisation de la prise de la charge). Dans les pays
francophones, un frein important semble être la méconnaissance de l’EBP. Une
enquête réalisée en Belgique en 2012 (Durieux et al., soumis) montre que seuls
12% des logopédistes francophones belges ont entendu parlé de l’EBP contre
94% des logopédistes australiens en 2004 (Vallino-Napoli, & Reilly, 2004). L’ex-
périence professionnelle n’est pas une variable qui permet de différencier les
logopédistes ayant ou non entendu parlé de l’EBP. En revanche, la formation
initiale a un impact significatif : les logopédistes connaissant l’EBP ont principa-
lement un diplôme universitaire (65% Master versus 35% Bachelor) tandis que
ceux qui ne le connaissent pas ont suivi une formation initiale plus courte (19%
Master versus 81% Bachelor).
Pourtant, l’EBP devrait être vue comme une belle opportunité pour la logo-
pédie. En outillant les cliniciens, elle leur permet de distinguer les interven-
tions efficaces de celles qui ne le sont pas. La prise de décision clinique est un
exercice complexe basé sur de nombreuses sources. Le recours aux collègues,
à internet ou à des textes anciens sont autant de sources très utilisées par les
cliniciens au détriment de preuves externes validées. Cela a parfois pour consé-
quence de continuer à utiliser des interventions peu efficaces et de retarder la
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diffusion de nouvelles techniques pourtant efficaces (pour une analyse récente,
voir : McCurtin & Roddam, 2012). L’approche EBP positionne la responsabilité
du fondement scientifique des pratiques sur le clinicien et non uniquement
chez les chercheurs. Il est intéressant de voir que, globalement, les associations
professionnelles ont bien compris les enjeux et les bénéfices en termes de recon-
naissance de la profession qui y étaient associés. L’engouement dans la diffu-
sion de recommandations de bonnes pratiques (les evidence-based guidelines, voir
Maillart & Durieux, sous presse) permettant de mettre les apports de l’EBP à la
disposition des cliniciens en témoigne.
5. Conclusion
Selon Tonelli (2006), toute décision clinique doit être prise en tenant compte
des facteurs suivants : 1) les données issues de la recherche ; 2) les données issues
de l’expérience clinique ; 3) la compréhension du fonctionnement psychopatho-
logique ; 4) les préférences du patient et de ses valeurs ; 5) les caractéristiques
du système. On y retrouve les piliers de E3BP accompagnés d’un accent mis sur
les connaissances théoriques et le système psycho-social au sens large. Aucun
niveau n’a priorité sur les autres. Chaque décision clinique est un processus per-
sonnel qui peut conduire à des conclusions différentes face à des cas similaires,
selon le poids relatif donné aux différentes sources. Loin d’une standardisation
des prises en charge, cette conception met en évidence la créativité et réflexivité
du logopédiste qui va déterminer le poids relatif à assigner à chaque composant
en fonction de son analyse clinique. Cette prise de conscience et cette explicita-
tion des motivations, les plus objectives possibles, qui basent la décision clinique
nous semblent être des garanties de qualité pour la pratique logopédique.
La logopédie est une discipline jeune. Comme toute nouvelle profession, elle a
d’abord procédé par essais et erreurs en se nourrissant de l’intuition clinique.
Les logopédistes ont fait preuve de créativité et ont mis leur sens de l’observa-
tion au service de leurs patients en développant des prises en charge novatrices
répondant à leurs difficultés. Actuellement, la logopédie éprouve le besoin de
faire reconnaitre l’efficacité de ses pratiques. La démarche EBP est une des ré-
ponses possibles. Pour certains auteurs (Plante, 2004), la tendance à fonder les
pratiques cliniques sur des preuves, plutôt que sur l’intuition, est le signal d’une
maturation disciplinaire.
Christelle Maillart
Logopédiste et professeure à l’Université de Liège (Belgique), elle coordonne l’unité de
logopédie clinique. Comme chercheuse et clinicienne, elle consulte à la CPLU (Consul-
tation Psychologique et Logopédique Universitaire) de l’Université de Liège.
Contact : christelle.maillart@ulg.ac.be ou www.logoclinique.ulg.ac.be
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Nancy Durieux
Psychologue clinicienne de formation, elle travaille pour le Réseau des Bibliothèques de
l’Université de Liège (Belgique), et plus précisément, à la Bibliothèque des Sciences de
la Vie.
Contact : nancy.durieux@ulg.ac.be
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