Sara,+9660 23484 1 CE
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Abdel-Ilah BENTHAMI
Université Abdelmalek Essaadi - Tétouan
Résumé
Le présent article s’inscrit dans le cadre de la sociolinguistique urbaine. C’est le résultat d’une
étude de terrain où il s’agit de décrire, d’interroger et de présenter les pratiques langagières à
Tanger et Tétouan (deux villes au Nord du Maroc). Des pratiques des locuteurs originaires de
Zaër qui se sont installés définitivement au Nord du Maroc. La ville posée comme espace
permet-elle d’identifier les locuteurs natifs qu’ils soient résidents ou émigrés ? Que reste-t-il
de leurs traits linguistiques de souche ? Disparition totale ou partielle ? Quels traits
linguistiques ont émergé ?
Mots clés : Sociolinguistique urbaine - Ville - Enquête - Identité- Parler urbain - Parler rural -
Territoire.
Abstract
This article is part of urban sociolinguistics. This is the result of a field study in which we
describe, interrogate and present language practices in Tangier and Tetouan (two cities in
northern Morocco). Practices of the speakers from Zaër who settled permanently in the North
of Morocco. The city is set as a space for the identification of resident or emigrant native
speakers. What is left of their linguistic traits ? Total or partial disappearance ? What
linguistic features have emerged ?
Keywords: Urban sociolinguistics - City- Inquiry- Identity- urban talk- rural talk - Territory.
1. Introduction
Qui peut nier de nos jours la place qu’occupe la ville ? L’Humanité est désormais plus
urbaine que rurale. Le basculement selon la banque mondiale1, qui s’est fait au milieu des
années 2000, a prévu qu’à l’horizon de 2010, 52% de la population mondiale vivra en ville.
Ce qui est moins connu en revanche, ce sont les conséquences spatiales d’un tel changement.
Le World Developement Report 2009 – rapport annuel de la Banque Mondiale – s’est penché
sur la question et nous propose une réflexion complète sur l’avenir urbain de la planète.
La ville présente généralement un double aspect socio-culturel et civilisationnel. Elle
est une figure d’identité au même titre que la langue et le corps et représente un symbole
d’altérité spatiale.
Le Maroc ne déroge pas à la règle ; des villes ont connu une large extension
(Casablanca, Rabat, Kénitra, Fès, Agadir, Marrakech, Laâyoune, Tanger, Tétouan…)2,
d’autres ont vu le jour (Sala Jadida, Tamsna, Tamnsourt….)3.
Notre travail concerne deux grandes villes du nord du Maroc. Il s’agit de Tanger et de
Tétouan : espace de haute mémoire, longtemps décor d’une histoire dont les acteurs sont
souvent des visiteurs étrangers4. Historiques et mythiques.Côtières et modernes, les deux
villes lient le passé à l’avenir, réconcilient la tradition et la modernité plutôt que de sacrifier
l’une aux dépens de l’autre. Deux villes, deux espaces urbains, deux villes originelles et deux
terres matricielles. Deux villes dépositaires de la mémoire populaire.
1
Banque Mondiale, « Reshaping Economic Geography », World Development Report 2009.Disponible sur
http://econ.worldbank.org/
2
Des villes qui se sont transformées en wilaya, c’est-à-dire une grande ville gouvernée par wali
3
Des villes nouvelles qui ont vu le jour au Maroc ces dernières années
4
Tanger est une ville qui a fasciné pas mal d’écrivains étrangers Paul Bowles, Jean Genet…
45
A Tanger et à Tétouan, les habitants recourent à plusieurs variétés linguistiques arabes,
amazighes et étrangères. Les parlers arabes occupent une place importante. Ils constituent un
va et vient, voire même un continuum entre les parlers ruraux et le parler urbain du Nord. A
ce sujet, Leïla Messaoudi définit le parler urbain de Rabat comme « sorte de koinè dialectale
qui appartient virtuellement à l’espace ville Rabat mais qu’il ne diffère pas beaucoup des
autres parlers des centres urbains, en particulier de celui de Casablanca »5
En ville, la situation des langues au Maroc, notamment dans les grandes villes Rabat,
Meknès, Oujda, Casablanca, Fès, tend vers une unification linguistique dont les variétésrurales
et citadines forment un parler urbain marocain.Dans son travail sur le terrain de Rabat, Leïla
Messaoudi dit : « il semble que le parler urbain de Rabat (PUR) qui est en cours d’émergence,
émane des mélanges entre le parler ancien de Rabat et le parler de Zaër tel qu’il a été décrit
par Aguadé (1998)6 et Benthami (2007)7, avec une tendance d’évolution qui se dégage
ostensiblement en faveur des traits ruraux »8
Notre travail est purement linguistique et sociolinguistique. Le but est de décrire,
d’interroger et de présenter les pratiques langagières dans les deux villes du nord du Maroc
Tanger et Tétouan. Il s’agit de pratiques de locuteurs ruraux qui ne sont pas originaires du
nord et qui se sont installés au nord du Maroc. Des locuteurs qui appartiennent à la même
région et partagent les mêmes traits linguistiques (phonologiques, morphosyntaxiques et
lexicaux) d’un parler qui les identifie par rapport à leur lieu d’origine. La ville est donc un
lieu qui permet de repérer les locuteurs natifs, résidents ou émigrés soient-ils ? Que reste-t-il
de leurs traits linguistiques de souche ? Quels sont les traits qui ont disparu ? Disparition
totale ou partielle ? Quels sont les traits linguistiques nouveaux qui ont émergé ?
2. L’objectif du travail
Ce travail de terrain a concerné27 locuteurs originaires du territoire de Zaër (parmi
eux, il y a trois locuteurs qui faisaient partie du corpus de notre thèse de doctorat).Tous y sont
nés et y ont passé au moins 16 ans avant de s’installer au nord du Maroc (15 personnes à
Tanger et 12 à Tétouan). Tous et toutes ont passé au moins 15 ans au Nord du Maroc. Ce sont
des locuteurs qui, il y a 10 ans, conservaient les traits linguistiques ou les macro-discriminants
qui identifient le locuteur aussi bien que le territoire de Zaër.
L’étude s’inscrit dans une dynamique d’un réel langage, dans une évolution d’un
parler où le locuteur est acteur qui joue un rôle : il agit, interagit, réagit et mène une activité
dynamique.Le locuteur est actif dans le contexte social, spatial et interactionnel.
Dans ce travail, il s’agit :
-d’observer les réalisations langagières de 27 locuteurs originaires d’un même territoire. Que
sont-ils devenus après avoir passé dix ans en dehors de la région de Zaër ?
- de retracer l’évolution du parler Zaëri : vers quelle direction s’oriente-t-elle ?
- de vérifier le devenir en ville.des traits linguistiques et des macro-discriminants9 d’un parler
bédouin et maâqilien
5
MESSAOUDI, Leïla(2003) ; Etudes sociolinguistiques, Editions Okad, Rabat, p.104
6
AGUADE, J. (1998a), « Un dialecte maâqilien : le parler des Zɛir au Maroc », in Peuplement et arabisation au
Maghreb Occidental. Dialectologue et histoire, Madrid-Maragoza, p.141-150.
7
BENTHAMI, A. (2007), Etude de la variation langagière et des technolectes chez les Zaërs (Ouest du Maroc),
thèse de doctorat. Faculté des lettres de Kénitra.
8
Idem, p.114
9
Nous entendons par macro-discriminant, les faits ou les traits linguistiques (segments phoniques,
morphologiques, syntaxiques et lexicaux) qui pourraient identifier l’appartenance géographique d’un locuteur.
C’est un concept qui a été appliqué par Leïla Messaoudi dans ses travaux sur les pratiques langagières dans le
terrain marocain (Etudes sociolinguistiques 2003), mais aussi par Catherine Taine Cheikh (Deux macro-
discriminants en dialectologie arabe (la réalisation du gâf et des interdentales), in Matériaux arabes et sud
arabiques, Paris, CNRS, Publications du Gellas, 11-48, 1999)
46
- d’examiner le comportement des locuteurs : conservent-ils les macro-discriminants ou idéal
types10 linguistiques du parler rural de Zaër ou utilisent-ils le parler urbain du Nord (Tanger et
Tétouan) ?
-Dégager les nouvelles tendances : où va le parler de référence de Zaër, vers la disparition
totale ou partielle ? Vers le maintien ? Vers les mélanges ?
10
Idéal-type ou comment découper la réalité sociale est un concept sociologique propre à Max Weber [Economie
et société, 1922]. Il s’agit d’une représentation simplifiée de la réalité construite en négligeant tout ce qui n’est
caractéristique du phénomène étudié et en accentuant, au contraire, ses traits spécifiques. Il est un modèle
théorique, une référence abstraite, un comportement idéal, auquel doit se référer le sociologue pour appréhender
les conduites humaines. Une tentative d’application de ce concept à la réalité sociolinguistique marocaine est
illustrée dans Messaoudi (Parler citadin, parler urbain. Quelles différences ? 2003), et ce pour détecter et
différencier les divers idéal-types de chacun des locuteurs du citadin, de l’urbain ou du rural.
47
Les 27 locuteurs, objet de notre corpus, quittent rarement le lieu où ils résident
(Tanger et Tétouan). D’origine, ils ne la visitent que dans de rares occasions lors d’un décès
d’un proche ou d’une fête familiale.
Nous précisions également que les 27 locuteurs qui constituent notre échantillon, nous
les avons de près pendant deux mois (du 15 octobre 2015 au 15 décembre 2015). Nous les
avons côtoyés dans des situations formelles et informelles.
Au sujet de la collecte des données, plusieurs enregistrements, sur magnétophone, ont
été effectués au vu et au su des informateurs. Tout dépendait des informateurs, des situations,
des sujets débattus, de l’âge ou du sexe des informateurs, de leur travail, de leurs humeurs,
etc…
Nous avons profité de toutes les situations formelles et informelles (les veillées
religieuses : « Baptême », « funérailles », « fiançailles », « circoncision »), rencontres
conviviales, disputes ; toutes les situations où les locuteurs se laissent aller et où les échanges
verbaux fusent.
Nous avons également eu recours à des enregistrements des contes, des conversations,
des échanges verbaux et des entretiens. Nous avons aussi procédé à plusieurs observations
(anonyme et participante), aux questions ouvertes et libres. Nous avons mis en application les
questionnaires de Peter Behnstedt, de Benhallam Abderrafi et de Leïla Messaoudi.
Il est à préciser que l’enquête du terrain a eu lieu à Tanger et à Tétouan. Elle a duré un
mois et demi (45 jours) (Du 01 Novembre 2015 au 15 Décembre 2015).
Contrairement aux enquêtes11 que nous avons menées sur le parler de Zaër, où les
locuteurs étaient localisés et enquêtés chez eux soit dans un même lieu (le territoire de Zaër),
soit dans le cas de Rabat regroupés dans un village (Ain Aouda, Khmis Sidi Yahya) ou dans
un quartier (Youssoufia, Takaddoum), à Tanger, les locuteurs de Zaër ne sont pas localisés
dans un même lieu ; il y a ceux qui résident dans les quartiers populaires (Bani Makada,
Boukhalef, Drissiya, Gznaya) et ceux qui habitent au centre-ville.
A Tétouan, c’est la même chose, il y a ceux qui résident à Martil, Sannyat Rmel, Bab
Ouqla, et ceux qui résident au centre de Tétouan (Mechouarou Lahmama).
11
- La première a eu lieu en 1999 lors de la préparation du mémoire de DESA sur la parler de Zaër
- la deuxième enquête entre 2000 et 2002 lors de la préparation de la thèse de doctorat sur le parler de Zaër
- la troisième enquête en 2010 lors de la préparation d’un article sur le parler de Zaër en dehors du territoire de
Zaër : « le parler de Zaër, 10 ans après » en hommage à Abderrahim Youssi
48
5. Les pratiques langagières du locuteur de Zaër au nord du Maroc (Tanger et
Tétouan)
Il sera question dans cette étude de mettre l’accent sur quelques aspects
sociolinguistiques dans un espace urbain qui est le nord du Maroc (Tanger et Tétouan). Les
locuteurs ciblés et auprès de qui nous avons collecté toutes les données sont natifs de la même
région de Zaër.
Etant donné qu’il n’est pas possible d’aborder tous les traits linguistiques, nous
prendrons quelques-uns qui sont considérés comme plus identificatoires que d’autres, jugés
comme des idéal-types du parler de Zaër d’un côté, du parler urbain du Nord (Tanger et
Tétouan) de l’autre côté, puis nous corrélerons ensuite avec les variables sociologique telles
que la scolarisation, le niveau d’instruction, le nombre d’années que le locuteur de Zaër a
passé au Nord (Tanger ou Tétouan), le contact qu’il a avec les Tangérois et les Tétouanais.
L’aspect relatif au niveau d’instruction des locuteurs de Zaër
Ce premier aspect vise les personnes scolarisées originaires du territoire de Zaër et qui
résident définitivement au nord du Maroc (15 à Tanger et 12 à Tétouan). L’étude porte
essentiellement sur la réalisation de la palatale occlusive sonore [g] qui est un macro-
discriminant du parler de Zaër et l’occlusive sourde [q] qui est un macro-discriminant non
seulement à Tanger ou à Tétouan mais qui est aussi attesté aussi chez les Jbalas du Nord.
Parmi les 27 locuteurs de Zaër de l’échantillon, il y a 10 illettrés. Les autres (au
nombre de 17), leur niveau scolaire est situé entre le niveau primaire et le supérieur. Donc, la
première enquête a couvert 17 locuteurs de Zaër. Les paramètres pris en considération sont
l’âge [A], le sexe [F : Féminin, M : Masculin], le niveau d’instruction [NI], la profession][P],
le nombre d’années [NA] passées entre Zaër [Z] et le Nord [N].
Nous avons choisi comme variable linguistique le segment de vélarisation [g / q] tout
en les corrélant avec les variables sociologiques susmentionnées.
NA passé Réalisation
L Age Sexe NI [P]
à Zaër au Nord [g] [q]
1 44 ans M Supérieur Médecin au public 26 ans 18 ans + +/-
2 50 ans M Supérieur Inspecteur 30 ans 20 ans + +/-
3 42 ans F Supérieur Institutrice 27 ans 15 ans + +/-
Professeur au collège
4 36 ans F Supérieur 20 ans 16 ans + +/-
(d’Arabe)
5 33 ans F BAC Employée 18 ans 15 ans + +/-
6 31 ans F BAC Employée 16 ans 15 ans + +/-
7 32 ans M BAC Employé 17 ans 15 ans + +/-
8 39 ans M BAC Employé 24 ans 15 ans + +/-
9 44 ans M Col Commerce ambulant 20 ans 24 ans + +/-
10 42 ans M Col Commerce ambulant 19 ans 23 ans + +/-
11 41 ans M Col Commerce ambulant 26 ans 15 ans + +/-
12 45 ans M Col Chauffeur 30 ans 15 ans + +/-
13 31 ans M Primaire Chauffeur 16 ans 15 ans + -
14 33 ans M Primaire Chauffeur 18 ans 15 ans + -
15 28 ans M Primaire Gardien 16 ans 13 ans + -
16 31 ans M Primaire Gardien 16 ans 15 ans + -
17 29 ans M Primaire Gardien 16 ans 13 ans + -
Partant du tableau, les résultats montrent que c’est le niveau d’instruction qui illustre
bel et bien la réalisation de [g]/[q] : la première identifie les locuteurs de Zaër et la deuxième
ceux du Nord.
49
Selon l’échelonnement de l’âge, nous avons 07 locuteurs dont l’âge est entre 40 et 50
ans, 07 locuteurs dont l’âge est entre 30 et 40 ans et 03 locuteurs dont l’âge est entre 25 et 30
ans.
Les locuteurs qui ont un niveau supérieur ont une profession dans la fonction publique
(Médecin, inspecteur des mathématiques, professeur au collège d’Arabe et une institutrice
bilingue), les autres locuteurs (13) exercent dans le secteur libéral (employé, chauffeur de
taxi, gardien et commerce ambulant).
Lors de l’enquête effectuée sur la réalisation du [g] et du [q], que ce soit dans les
conversations spontanées ou les questionnaires que nous avons renseignés, les termes produits
par les 17 locuteurs sont :
[qal]/[gal] : « il a dit »
[lbaqra]/[lbagra] : « la vache »
[lquffa]/[lguffa] : « le panier »
[ɛannaqəni]/[ɛannagəni] : « embrasse-moi »
[ləqməl]/[ləgməl] : « les poux »
[mtalqa]/ [mtalga] : « divorcée »
[dqiq]/[dgig] : « la farine »
[lqanTra]/[lganTra] : « le pont »
[ġarəq]/[ġarəg] : « profond »
[fuqaš]/[fugaš] : « quand »
[lfuq]/[lfug] : « en haut »
[mqad]/[mgad] : « sur mesure »
[qTəɛ]/[gTəɛ] : « couper »
[suq]/[sug] : « conduire »
[lqa]/[lga] : « trouver »
[nəqqi]/[nəggi] : « nettoyer »
Il est à signaler que seuls cinq locuteurs réalisaient le [gaf] d’une manière
systématique. Le [gaf], un macro-discriminant propre à la région de Zaër est maintenu. Le
niveau scolaire des conservateurs de ce trait est le primaire (deux ont abandonné l’école en
2ème année du primaire et les trois autres en 3ème année), les 12 autres réalisant soit le [gaf] soit
le [qaf]. Certains locuteurs alternent entre les deux réalisations. Tout dépend des contextes et
des situations.
[lqa]/[lga] : « trouver »
[qal]/[gal] : « il a dit »
Avant de passer à la deuxième enquête, nous présentons quelques phrases prises dans
le contexte de la réalisation du [qaf] et [gaf] :
[qalli sir nišan] : « il m’a dit d’aller directement »
[ana sakna l fuq] : « moi j’habite en haut »
[qTəɛt Triq] : « j’ai traversé la route »
L’aspect relatif au nombre d’années passées à Zaër et au Nord et le contact avec la
population du Nord
Les 27 locuteurs de Zaër, auprès de qui nous avons enquêté, ont passé au moins 16 ans
à Zaër avant de le quitter définitivement et au moins 10 ans au Nord où ils se sont installés.
Le point commun à tous les locuteurs enquêtés est qu’ils sont tous natifs du territoire
de Zaër. Le point de divergence réside dans le nombre d’années que les 27 locuteurs ont
passées au Nord (Tanger et Tétouan) et le degré de contact qu’ils ont avec la population du
Nord. Certains locuteurs sont des résidents permanents (P) alors que d’autre le sont d’une
façon limitée (L).
La variable linguistique qui sera prise en considération est le lexique ; elle sera
corrélée avec l’âge [A], le sexe [S], le niveau d’instruction [NI], la profession [P], le nombre
d’années passées à Zaër et au Nord [NA], le contact avec la population du Nord [CPN].
50
Tableau 2 récapitulatif de la deuxième enquête
Il est à préciser que certains termes par exemple [?iṣəft] : « envoyer » bien qu’il soit
préhilalien est utilisé massivement d’après les enquêtes qu’on a menées par les locuteurs de
Zaër. Il peut s’expliquer à notre sens, par le contact avec les tribus avoisinantes des amazighs
de Zemmour.
52
De même pour d’autres termes, exemple [?isərrəd] « envoyer » bien qu’il soit bédouin,
l’enquête de terrain nous a montré qu’il est largement attesté dans la réalisation langagière des
locuteurs de Tanger et de Tétouan
Avant de conclure, nous présentons quelques phrases prises dans le contexte de la
réalisation du lexique par les locuteurs de Zaër au nord du Maroc.
[barəħ mziwan] : « hier c’était beau »
[kamariro žib liya qhiwa] : « serviteur apporte moi un café »
[lkampu kan ɛamər] : « le stade était plein »
[sərrədtuləklbarəħmɛastitu] : « je te l’ai envoyé hier avec le petit »
Les locuteurs de Zaër alternent entre les traits du lieu d’origine et ceux du lieu
d’accueil. Ils ont quitté leur territoire. Maintenant, ils ont deux territoires : l’ancien et le
nouveau. Leur émigration vers le Nord montre que l’installation définitive dans le lieu
d’accueil est vécue comme un enrichissement, une intégration, une continuité, une
cohabitation. L’ancien est préservé et le neuf est acquis.
Si leur émigration constitue en général un traumatisme, qui suppose des ruptures
multiples pénibles avec l’environnement affectif, la famille, les amis d’enfance, les amours,
les paysages, les fêtes, les traditions, les saveurs, il n’en est pas de même pour la langue ;
l’enquête de terrain effectuée sur les locuteurs de Zaër au Nord le montre bel et bien.
6. Conclusion
A travers l’enquête menée sur le locuteur de Zaër en dehors de son lieu d’origine ; et
plus précisément au nord du Maroc (Tanger et Tétouan), nous sommes arrivé aux conclusions
suivants :
- Deslocuteurs maintiennent leur propre parler en raison de leur niveau d’instruction, du
nombre d’années passées en dehors de chez eux et surtout ducontact limité avec la population
du Nord.
- Deslocuteurs alternent entre le parler d’origine et le parler de la ville où ils résident.
Le locuteur de Zaër, quelles que soient les variables sociologiques (l’âge, le sexe, le
niveau scolaire et instructif, la profession, le nombre d’années passées à Zaër ou au Nord, le
contact avec la population du Nord), ses traits linguistiques (phonologiques [g/q] et lexicaux
(arabe du nord et l’emprunt à l’espagnol)), qu’il le veuille ou pas l’identifient comme un
locuteur de Zaër. Dans ce sens, nous citons Leïla Messaoudi :
« Tout locuteur qui s’énonce s’annonce. Aussi bien le berbérophone que l’arabophone sont
identifiés comme appartenant à un lieu d’où provient une parole différenciatrice »12
Parmi les 27 locuteurs, 20 recourent aux traits linguistiques propres à l’espace urbain
où ils résident ; cela rejoint l’idée de l’identité développée par Thierry Bulot « l’identité
urbaine ». Pour les locuteurs de Zaër qui réalisent le [qaf] et le lexique arabe du nord et
l’emprunt à l’espagnol propre au Nord, nous constatons que par le biais des pratiques
langagières dans un lieu qui n’est pas le leur, c’est une manière non seulement d’habiter au
Nord mais d’appartenir au Nord. Ainsi, nous clôturons ce travail par une citation de Thierry
Bulot qui résume toute notre étude: « l’identité urbaine permet de rendre compte des pratiques
langagières des locuteurs urbains se représentant la tension ainsi posée entre leur
indispensable identification à une communauté et leur propre différenciation par rapport à
d’autres lieux communautaires de tous ordres, signalant une appartenance groupale ; par la
prise en compte et l’analyse de leur mise en mots de cette tension, il s’agit de dégager la
spécificité identitaire de toute ville, et partant de tout espace urbanisé »13
12
MESSAOUDI Leïla(2003), Etudes sociolinguistiques, Rabat, Impressions Editions Okad, p : 49
13
BULOT Thierry (2006) ; « La production discursive des normes : centralité sociolinguistique et
multipolarisation des espaces de références », dans French Language Studies Vol 16 / 3, Cambridge, Cambridge
UniversityPress, p. 305-333.
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54