Série de Textes Sur Langage Et Communication - Sunudaara
Série de Textes Sur Langage Et Communication - Sunudaara
Série de Textes Sur Langage Et Communication - Sunudaara
Pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire
des étiquettes collées sur elles. Cette tendance issue du besoin, s’est encore accentuée sous
l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent tous les genres. Le
mot qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre
elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les
besoins qui ont créé le mot lui-même
Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se
dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous
éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien
notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience, avec les mille nuances fugitives et les
mille résonnances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors
tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre
état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect
impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu prés le
même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre
individu, l’individualité nous échappe.
Nous nous mouvons parmi les généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre
force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle pour notre
plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les
choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.
Bergson, le Rire P.U.F.1995, PP.156
Texte 7
La parole joue toujours sur le fond de parole, elle n’est jamais qu’un pli dans l’immense tissu du
parler. Nous n’avons pas, pour la comprendre, à consulter quelque lexique intérieur qui nous
donnât, en regard des mots ou des formes, de pures pensées qu’ils recouvriraient : il suffit que
nous nous prêtions à sa vie, à son mouvement de différenciation et d’articulation, à sa
gesticulation éloquente.
Il y a donc une opacité du langage : nulle part il ne cesse pour laisser place à du sens pur, il n’est
jamais limité que par du langage encore et le sens ne paraît en lui que serti dans les mots.
Comme la charade, il ne se comprend que par l’interaction des signes, dont chacun pris à part est
équivoque ou banal, et dont la réunion seule fait sens. […]
Nos analyses de la pensée font comme si, avant d’avoir trouvé ses mots, elle était déjà une sorte
de texte idéal que nos phrases chercheraient à traduire. Mais l’auteur lui-même n’a aucun texte
qu’il puisse confronter avec son écrit, aucun langage avant le langage. Si la parole le satisfait, c’est
par un équilibre dont elle définit elle-même les conditions, par une perfection sans modèle.
Beaucoup plus qu’un moyen, le langage est quelque chose comme un être et c’est pourquoi il
peut si bien nous rendre présent quelqu’un : la parole d’un ami au téléphone nous le donne lui-
même, comme s’il était tout dans cette manière d’interpeller et de prendre congé, de commencer
et de finir ses phrases, de cheminer à travers les choses non dites. Le sens est le mouvement total
de la parole et c’est pourquoi notre pensée traîne dans le langage. C’est pourquoi aussi elle
traverse le comme le geste dépasse ses points de passage.
Maurice Merleau-Ponty, Signes, Ed Gallimard, 1960
Texte 8
Une des conquêtes de la linguistique actuelle est d’avoir aperçu et soigneusement distingué,
différentes fonctions du langage : sa fonction de communication interhumaine immédiate,
d’abord. Puis une fonction expressive (ou émotive chez quelques auteurs, celle par laquelle le
locuteur manifeste son affectivité, volontairement, à travers ce qu’il dit-grâce au débit, à
l’intonation, au rythme de ce qu’il dit. Puis encore, selon certains, une fonction appellative (ou
conative), distincte de la précédente, celle par laquelle le locuteur cherche à provoquer chez son
auditeur certaines tonalités affectives sans les partager lui-même (cas du menteur, de l’hypocrite,
de l’acteur ou de l’orateur qui jouent ou parlent « à froid », du cas du « chef », etc). Puis encore
une fonction (c’était la première aperçue depuis les Grecs, mais elle n’est première ni
historiquement, sans doute, ni fonctionnement) d’élaboration de la pensée ; puis enfin une
fonction esthétique (ou poétique). Jakobson attribue même au langage une fonction
métalinguistique, celle par où le langage sert à parler du langage lui-même (quand nous disons :
« Napoléon est nom propre » »rouge est un adjectif qualificatif », ou bien : le « barracuda est un
poisson » etc.). Et finalement, une fonction phatique, celle grâce à laquelle le langage semble ne
servir qu’à maintenir entre les interlocuteurs une sensation de contact acoustique (« Allô !... ») ou
de contact psychologique de proximité agréable dans le bavardage social à vide ou la
conversation d’amoureux, diseurs de riens, par exemple.
Quoi qu’il en soit de la réalité linguistique ou psychologique de certaines au moins de ces
différentes fonctions, tout le monde est d’accord sur ce point : la fonction communicative est la
fonction première, originelle et fondamentale du langage, dont toutes les autres ne sont des
aspects ou des modalités non nécessaires.
Georges Mounin, Clefs pour la linguistique, Seghers, 1968, Pp. 79 – 80.
Texte 9
Considérons un arc en ciel ou le spectre d’un prisme. Sur la bande colorée, le passage d’une
couleur à l’autre est progressif, c’est-à-dire qu’en chaque point il n’y a qu’une toute petite
différence de couleur avec les points immédiatement voisins. Et cependant en français qui décrit
l’arc-en- ciel parle de teintes telles que le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le bleu, l’indigo : la
langue découpe la gradation continue de couleur en une série de catégories discrètes. C’est un
exemple de structuration du continu. Rien dans le spectre ou dans la perception qu’en a l’homme
n’oblige à le diviser ainsi. Cette méthode spécifique de division fait partie de la structure du
français, le chona( langue de Zambie), le bassa( langue du Libéria), divisent le spectre.
Le sujet qui parle le chona divise le spectre en trois grandes catégories (terme cipswuka revient
deux fois, mais c’est seulement parce que les extrémités rouge et indigo, qu’il range dans la même
catégorie, sont distinctes sur le digramme). Il est intéressant de remarquer que « citema »
correspond aussi à « noir » et « cicena » à « blanc ». En plus de ces trois mots, il y a, bien entendu,
un grand nombre de termes pour les couleurs plus spécifiques, comme en français on a
« écarlate », « vermillon », « pourpre », qui sont des variétés de « rouge ». La convention qui
consiste à diviser le spectre en trois parties au lieu de six ne provient pas d’une différence dans la
perception visuelle des couleurs, mais représente seulement une différence dans la manière dont
la langue classe ou structure les couleurs.
Le sujet qui parle le bassa divise le spectre de façon radicalement différente : en deux catégories
seulement.il y a beaucoup de mots pour désigner les couleurs spécifiques, mais il n’existe que ces
deux termes pour les classes générales de couleurs. Un français en conclura aisément que sa
propre division en six couleurs fondamentales est meilleure. Dans certains cas c’est sans doute
vrai. Mais dans d’autres cas, cette divisions a des inconvénients : les botanistes par exemple se
sont aperçus qu’elle ne donne pas de généralisation suffisante en ce qui concerne les couleurs
des fleurs : ils constatent que les jaunes, les oranges, les rouges constituent une série et que les
bleus, les violets et les rouges violacés en forment une autre. Ces deux séries présentent des
différences fondamentales qui doivent être considérées comme essentielles à toute description
botanique. Pour pouvoir décrire les faits de façon économique, on a dû forger deux néologismes
génériques : « xanthique » et « cyanique » qui correspond à ces deux séries. Le botaniste parlant
le bassa n’aurait pas à le faire, car il dispose des termes « hui » et « ziza qui divisent le spectre à
peu prés selon ces deux catégories.
H.-A. GLEASON, Introduction à la linguistique, trad. F. Dubois-Charlier, Larousse, 1969, pp.9-10.
Texte 10
Parmi les peuples, comme parmi les souverains, il n’en est aucun que l’abus des mots n’ait
précipité dans quelque erreur grossière. Pour échapper à ce piège, il faudrait, suivant le conseil de
Leibnitz, composer une langue philosophique, dans laquelle on déterminerait la signification
précise de chaque mot. Les hommes alors pourraient s’entendre, se transmettre exactement
leurs idées : les disputes, qu’éternise l’abus des mots, se termineraient : et les hommes, dans
toutes les sciences, seraient bientôt forcés d’adopter les mêmes principes.
Mais l’exécution d’un projet si utile et si désirable est impossible. Ce n’est point aux philosophes,
c’est au besoin qu’on doit l’invention des langues : et le besoin, en ce genre, n’est pas difficile à
satisfaire. En conséquence, on a d’abord attaché quelques fausses idées à certains mots ; ensuite
on a combiné, comparé ces idées et ces mots entre eux : chaque nouvelle combinaison a produit
une nouvelle erreur : ces erreurs se sont multipliées, en se multipliant, se sont tellement
compliquées, qu’il serait maintenant impossible, sans une peine et un travail infinis, d’en suivre et
d’en découvrir la source. Il en est des langues comme d’un calcul algébrique : il s’y glisse d’abord
quelques erreurs : ces erreurs ne sont pas aperçues : on calcule d’après ses premiers calculs : de
proposition en proposition, l’on arrive à des conséquences entièrement ridicules. On en sent
l’absurdité : mais retrouver l’endroit où s’est glissée la première erreur ? Pour cet effet, il faudrait
refaire et vérifier un grand nombre de calculs : malheureusement il est peu de gens qui puissent
l’entreprendre, encore moins qui le veuillent, surtout lorsque l’intérêt des hommes puissants
s’oppose à cette vérification.
HELVETIUS, De l’esprit, 1758, Discours 1, chap. IV.
Texte 11
(E. a) « Oui [je le veux] (c’est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime) »- ce « oui »
étant prononcé au cours de la cérémonie du mariage.
(E. b) « je baptise ce bateau le Queen Elisabeth » - comme on dit lorsqu’on brise une bouteille
contre la coque.
(E. c) «je donne et lègue ma montre à mon frère » - comme on peut lire dans un testament.
(E. d) « je vous parie six pence qu’il pleuvra demain ».
Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées,
évidemment), ce n’est ni décrire, ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en
parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. Aucune des énonciations citées n’est vraie ou
fausse : j’affirme la chose comme allant de soi et ne la discute pas. On n’a plus besoin de
démontrer cette assertion qu’il n’y a à prouver que « Damnation !» n’est ni vrai ni faux : il se peut
que l’énonciation « serve à mettre au courant » - mais c’est là tout autre chose. Baptiser un
bateau, c’est dire dans les circonstances appropriées) les mots « Je baptise… » etc. Quand je dis, à
la mairie ou à l’autel, etc., « Oui [je le veux] », je ne fais pas le reportage d’un mariage : je me
marie.
Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose de l’appeler
une phrase performative ou une énonciation performative ou - par souci de brièveté – un
« performatif ». Le terme« performatif » sera utilisé dans une grande variété de cas et de
constructions (tous apparentés), à peu prés comme l’est le terme « impératif ». Ce nom dérive,
bien sûr, du verbe [anglais] perfom, verbe qu’on emploie d’ordinaire avec le substantif « action » :
il indique que produire l’énonciation est exécuter une action (on ne considère pas,
habituellement, cette production-là comme ne faisant que dire quelque chose)
J.L. Austin, Quand dire, c’est faire, pp 40 Ed du seuil, 1970.
Texte 12
Je conviens que si l'étude des langues n'était que celle des mots, c'est-à-dire des figures ou des
sons qui les expriment, cette étude pourrait convenir aux enfants : mais les langues, en changeant
les signes, modifient aussi les idées qu'ils représentent. Les têtes se forment sur les langages, les
pensées prennent la teinte des idiomes. La raison seule est commune, l'esprit en chaque langue a
sa forme particulière ; différence qui pourrait bien être en partie la cause ou l'effet des caractères
nationaux ; et, ce qui paraît confirmer cette conjecture est que, chez toutes les nations du monde,
la langue suit les vicissitudes des mœurs, et se conserve ou s'altère comme elles.
De ces formes diverses l'usage en donne une à l'enfant, et c'est la seule qu'il garde jusqu'à l'âge de
raison. Pour en avoir deux, il faudrait qu'il sût comparer des idées ; et comment les comparerait-il,
quand il est à peine en état de les concevoir ? Chaque chose peut avoir pour lui mille signes
différents; mais chaque idée ne peut avoir qu'une forme : il ne peut donc apprendre à parler
qu'une langue. Il en apprend cependant plusieurs, me dit-on : je le nie. J'ai vu de ces petits
prodiges, qui croyaient parler cinq ou six langues. Je les ai entendus successivement parler
allemand, en termes latins, en termes français, en termes italiens ; ils se servaient à la vérité de
cinq ou six dictionnaires, mais ils ne parlaient toujours qu'allemand. En un mot, donnez aux
enfants tant de synonymes qu'il vous plaira : vous changerez les mots, non la langue ; ils n'en
sauront jamais qu'une.
C'est pour cacher en ceci leur inaptitude qu'on les exerce par préférence sur les langues mortes,
dont il n'y a plus de juges qu'on ne puisse récuser. L'usage familier de ces langues étant perdu
depuis longtemps, on se contente d'imiter ce qu'on en trouve écrit dans les livres ; et l'on appelle
cela les parler. Si tel est le grec et le latin des maîtres, qu'on juge de celui des enfants! A peine ont-
ils appris par cœur leur rudiment, auquel ils n'entendent absolument rien, qu'on leur apprend
d'abord à rendre un discours français en mots latins ; puis, quand ils sont plus avancés, à coudre
en prose des phrases de Cicéron, et en vers des centons de Virgile. Alors ils croient parler latin:
qui est-ce qui viendra les contredire ?
En quelque étude que ce puisse être, sans l'idée des choses représentées, les signes
représentants ne sont rien. On borne pourtant toujours l'enfant à ces signes, sans jamais pouvoir
lui faire comprendre aucune des choses qu'ils représentent. En pensant lui apprendre la
description de la terre, on ne lui apprend qu'à connaître des cartes ; on lui apprend des noms de
villes, de pays, de rivières, qu'il ne conçoit pas exister ailleurs que sur le papier où on les lui
montre. Je me souviens d'avoir vu quelque part une géographie qui commençait ainsi : Qu'est-ce
que le monde ? C'est un globe de carton. Telle est précisément la géographie des enfants. Je pose
en fait qu'après deux ans de sphère et de cosmographie, il n'y a pas un seul enfant de dix ans qui,
sur les règles qu'on lui a données, sût se conduire de Paris à Saint-Denis. Je pose en fait qu'il n'y
en a pas un qui, sur un plan du jardin de son père, fût en état d'en suivre les détours sans
s'égarer. Voilà ces docteurs qui savent à point nommé où sont Pékin, Ispahan, le Mexique, et tous
les pays de la terre.
Rousseau J.J., Emile Une édition électronique
Texte 13
La crainte de parler pour ne rien dire est ou devrait être l’obsession du philosophe. Cependant, la
difficulté commence dés qu’on veut préciser cette notion de verbalisme et la rendre vraiment
utilisable.
Ce qui embarrasse d’abord est la diversité des cas où on l’invoque.
On ne taxe guère de verbalisme une pure formalité, par exemple la manipulation des signes de
l’algèbre ou de la logistique. Le formel ne devient verbal que lorsqu’il prétend maîtriser un
contenu trop riche. Alors surgit l’opposition de persuader à convaincre. Les déductions sévères de
Socrate ne persuadent point Calliclès : Socrate demeure, à ses yeux, une grenouille coassante.
Pour beaucoup, les arguments en forme de Leibniz verbalisent la liberté. Traiter more geometrico
la morale, c’est s’exposer à compromettre à la fois logique et morale. Trop de logique rend la
logique suspecte, parce que nous sentons que les définitions ont été choisies pour les preuves
qu’elles préparent, et résulte d’un découpage, sinon tout à fait arbitraire, du moins, en grande
partie, conventionnel : par suite, tout est démontrable. Mais si tout est démontrable, tout est
verbal : le réel est ce qui résiste, n’obéit qu’à ses propres lois. D’où notre défiance à l’égard des
systèmes trop bien construits : nous cherchons les fausses fenêtres. Cependant, à l’inverse, une
formalité trop lâche, des idées mal liées, ou même, simplement, l’absence de système font
accuser de verbalisme : que de philosophes renverraient volontiers Pascal ou Nietzsche à la
littérature ! Ainsi situons-nous le vrai, le réel, entre le trop formel qui appelle la convention, et
l’insuffisance formelle qui nous fait retomber à un impressionnisme subjectif.
Yvon BELAVAL, Les Philosophes et leur langage, Gallimard, 1952, pp163-164
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Commentaires
Mouhamed Ndao (non vérifié) Comprendre
dim, 01/10/2021 - 16:39 Savoir
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