Les Crapauds Brousse Thierno Monenembo Diallo
Les Crapauds Brousse Thierno Monenembo Diallo
Les Crapauds Brousse Thierno Monenembo Diallo
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 3
Une fête avait été organisée en l'honneur des jeunes époux dans la
maison même où ils s'étaient connus, la Providence ayant voulu
que Soriba en soit le nouvel occupant après la chute du ministre
… Celui-ci avait été emporté par une pluie de complots, une pluie
où, disait-on, il avait trempé jusqu'aux os. Le sinistre conspirateur
avait à peine fini de donner ses mains aux menottes de ceux qui
étaient venus se saisir de sa personne que Soriba enjambait le
seuil, secouant ses frusques d'étudiant. Ce serait là le QG des
copains ! Un QG fonctionnant tous les soirs et il s'y donnait les
bals que l'on sait. Il y avait aussi ces longs abandons à la
discussion, ces fiévreux moments où ils laissaient s'éteindre la
voix de l'électrophone pour écouter la leur, lâchée pour vider de
soi la lourde lie d'idées pétillantes dont on a pressuré, écoulé le
jus, mais dont il reste la masse fibrailleuse de la décoction qui
enserre les tripes, démange l'esprit et crispe les consciences. Entre
les verres bavant la mousse que les lèvres happent, gourmandes et
insatiables, et la main qui bat l'air pour mimer ces choses qui ne se
font pas dire aisément — ces choses qui restent dans la gorge
comme un os fourchu —, il y a les épaules qui s'affaissent, comme
chargées d'un remords imprécis. Au bout du compte, l'alcool
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre03.html 1/10
4/20/24, 1:58 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 3
n'aura rien donné que son farceur goût de mystère et son parcours
de lave qui n'a pas fini d'envahir les palais et les langues qu'il a
déjà franchi les gosiers ; votre interlocuteur vous oppose un
regard sombre, rien que son regard sombre, accroché comme une
nuit à son visage. Chacun cherche en l'autre l'issue qu'il devine,
mais ne sait pas …
Diouldé débouche une bouteille de champagne, il ne voit pas qu'il
y en a bien d'autres de déjà ouvertes, à peine entamées Il tire
goulûment sur sa cigarette avant de tomber comme un baluchon
de coton sur le canapé et de soupirer :
— Eeeeeh ouais …
— Eeeeeh ouais quoi? intervient du tac au tac Kerfala.
— Nous sommes bien drôles.
— Qui est drôle ? fait Bôri avec un peu de rage.
— Peut-être que nous ne sommes même pas drôles, miaule
Diouldé. Il y a des fois où le ministre m'énerve à un tel point…
— Qui, qui t'énerve ? dit quelqu'un.
— Ça dépend du jour, je crois même que cela dépend de
l'habillement du jour. Je jure que si c'est ce catafane 1 multicolore
qui lui multiplie la bedaine, je me porte mal, très mal. Là, je
m'enferme dans mon bureau, je mords des crayons, je déchire des
papiers et je regarde ma secrétaire avec un oeil méchant.
— Le ministre …
— Il y a longtemps qu'on aurait dû l'enterrer, celui-là. Vous avez
vu sa masse ? La graisse doit lui écraser le coeur comme un poids-
lourd sur un moineau. Il n'y a plus qu'à attendre pour le cueillir
un de ces quatre, froid comme le premier mort.
— Moi, ma grand-mère aimait à me dire : « Il y a trois choses que
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre03.html 2/10
4/20/24, 1:58 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 3
nez et, même, cela s'était fait selon tout un processus avec une
phase centrale ou l'insupportable régnait sans partage. Puis il y
eut le canon, qui déploya leurs rires sauvages et les affala pêle-
mêle sur la moquette, les faisant tenir leur ventre comme s'ils
avaient la colique. Dans cette grande mêlée, personne ne sut
jamais lequel d'entre eux laissa sur la moquette une nappe de
vomissure que le boy se mit aussitôt à nettoyer sans quitter son
sourire figé.
Notes
1.
2.
3.
4.
5.
6.
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre03.html 10/10
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 4
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 4
flammes.” Ce n'est pas tout : c'est celui qui la première fois a dit :
“Tiens, je te prête, c'est celui-là qui a donné au monde sa cohorte
de malentendus, de discordes et de haines.” Tout le sachet, frère,
tout le sachet, mais le testament d'un père, Kôoooooh, le
testament d'un père ! »
D'où son surnom de Nyawlata. Personne ne s'étonna qu'il
abandonnât les études deux années après et se fît petit marchand :
il vendait quelques biscuits et cigarettes. Il disparut un jour. Et
c'est seulement quinze années plus tard que Diouldé le rencontra
… dans le bureau du ministre. Tout avait changé chez le présumé
commerçant, tout, sauf le nez : un véritable appareil à flairer les
sous. Il n'y avait qu'à voir la descente brusque de l'arête qui
finissait à la base par un bourrelet massif où s'ouvraient des
narines surcreuses logeant des poils drus et touffus. Ce nez, pris
de bougeotte, éternel renifleur, Diouldé le reconnut l'instant
même où il vit Nyawlata :
— Héeeeh Nyawlata !
— Lui-même en effet, répondit l'interpellé en se levant
péniblement de son siège et en tendant une main à peine ouverte.
Diouldé se souvint que cette main n'était pas bien normale : il
s'était toujours abstenu de demander à Nyawlata si c'était par tic
ou par maladie que ses doigts restaient crochus et empêchaient
une complète ouverture de la main.
— Je t'ai reconnu aussi, vieux frère, continua Nyawlata d'une voix
cavemeuse.
A partir de là, Diouldé cessa d'écouter, il se contenta de regarder
l'homme. Une chose sauta à ses yeux qui le convainquit
définitivement du changement qui s'était opéré chez son vieux
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre04.html 2/14
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 4
volonté divine, qui pour nous destiner ne daigne même pas faire
signe ? Mon frère, je ne te dirai rien. Je vous quittai donc …
Nyawlata prit une bonne demi-heure pour parler de sa vie.
Pourquoi avait-il quitté le village ? Son père était mort peu après
sa sortie de l'école. Diouldé le savait. Il savait aussi que Nyawlata
n'avait pas connu sa mère puisqu'elle était morte à sa naissance.
— Vivre chez sa marâtre avec des demi-frères plus âgés que vous
n'est pas une chose marrante, frère.
Très tôt, il fut poussé à croire aux vertus du tout pour soi et par
soi. Il fallait affûter ses ongles pour s'attaquer à la latérite de la vie.
Pour dire vrai, il n'avait pas eu le temps de songer à la richesse,
pas même celui de penser à l'avenir. Il s'agissait de réunir
quelques francs susceptibles de rajouter aux maigres repas d'une
marâtre, qui, avant de l'être, était d'abord une femme à la main
peu large. Les bonbons ? Woï, les bonbons, pour les francs, il
n'avait pas dit non, mais, frère, c'était aussi pour échapper un peu
aux corvées pénibles que ses demi-frères lui imposaient. Il fallait
se lever avec le jour, cultiver jusqu'à ce que ce dernier daignât se
coucher et, le soir, le sommeil l'emportait vite sur la faim tant il
était harassé. C'était donc pour fuir qu'il avait quitté le village, pas
vraiment pour chercher fortune. La fortune ? Non, ça ne se
cherche pas. Ça se rencontre.
— A chacun son hasard !
Après le village, il avait été à la ville petite : toujours des bonbons
et quelques cigarettes. Il faillit vite revenir au village : la faim y
était plus aiguë, en effet. Un sursaut d'homme l'en avait empêché
en dernière minute : revenir au village plus misérable qu'avant,
lui qui avait défié ses même-père. Etait-il donc une croûte de
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre04.html 4/14
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 4
chiotte laissée au secret d'un bosquet par une fille de mauvaise vie
? Ah non, frère, héhéhéhé, ah non : aller plutôt à la ville grande.
Ce qu'il fit.
Là aussi, la faim n'était pas absente, mais il commençait à s'en
habituer. Oui, son moral se gelait, goutte à goutte, non pas à
l'assaut de grandes épreuves, mais à la guise d'une expérience
quotidienne faite de rasades d'eau tirées à la pompe publique, de
quelques biscuits subtilisés sur son propre étalage et de fréquents
séjours en taule pour de misérables larcins. Moralement et
physiquement, il portait ses treize ans comme une poignée de
coton sur le dos d'un mulet.
Et puis, quelqu'un lui parla de Pelle Ngayu 2, le pays aux pierres
lumineuses :
— Tu te baisses en pleine nuit, tu pioches une première fois : si la
brousse ne s'illumine pas, pioche encore un peu plus : la pierre est
là, le jour avec elle.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre04.html 5/14
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 4
n'était pas pour se vanter, mais c'est la baraka même qui l'avait
marié. Dieu lui a confié treize âmes, frère, oui, treize gosses …
— Treize gosses, frère. Oui, la famille va bien. Je ne te dirai rien,
frère … Mais tu ne me parles pas de tes études. Avec la tête que je
te connais, tu as dû ravir le Blanc de son couteau : avoue, coquin,
et montre les diplômes …
Ce qui préoccupait Diouldé était ailleurs. Comment Nyawlata
avait-il connu le ministre ? Comment tous les deux en étaient-ils
arrivés à nouer des relations qui semblaient si sérieuses ?
Ce jour même, Diouldé dut rendre visite à la famille de Nyawlata.
Nyawlata n'avait pas menti : ses treizes gosses, il les avait. Il avait
quatre femmes aussi, un merveilleux quartette.
Lorsqu'il fut présenté aux épouses, Diouldé ne put retenir son
admiration. Elles étaient belles, les compagnes de son ami
d'enfance ! Il ne put s'empêcher de ressentir de la jalousie. Il
n'arrivait pas à admettre cette preuve vivante de ce qu'il prenait
pour l'absurdité du destin : que Nyawlata, qui avait été un élève
médiocre, que cet homme fermé aux choses de bien, borné dans sa
vue à la hauteur de son étalage de pacotille, qu'on pouvait tout
juste imaginer couvant avec la passion et la tendresse d'une mère-
poule les sachets poussiéreux de ses bonbons, que cet individu
fût, au comble de la providence, devenu diamantaire comme
d'autres se ruinent, passe ; mais que le même Nyawlata, avec son
visage inexpressif, son front bas, son corps bedonnant, fût le mari
légitime de ces quatre lunes, la chose était pénible à avaler !
A la jalousie se mêlait aussi l'idée, qu'il avait fini par faire sienne,
selon laquelle chacun devrait bien se contenter d'une femme, cela,
sans savoir s'il y croyait vraiment où si, comme beaucoup de gens
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre04.html 8/14
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 4
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre04.html 13/14
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 4
Quelques jours plus tard, sa seule absence aurait crié comme celle
d'un membre manquant à un corps.
Notes
1. Pas-de-crédit.
2. Montagnes aux lions.
3. Tue-et-paie.
4. Libano-Syrien.
5. Sauce à base de feuilles de manioc généralement
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre04.html 14/14
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 5
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 5
roi. Mais ce sont ses demi-frères qui l'ont travaillé pour arracher le
royaume.
— Moi j'ai appris, et je le tiens d'une personne qui mérite la
confiance de Dieu lui-même, moi, j'ai donc appris que cet homme
était un marabout fort instruit. Mais, héeeeeh malédiction, il fut
pris en train de coucher avec la femme de son karamoko 1. Ce
dernier mit trois semaines de prières pour que Dieu le maudisse.
Voilà le résultat.
— Marabout ? Je ne contredis pas. C'est un vrai plaisir de
l'entendre le soir chanter les louanges de Dieu. Marabout ! Cet
homme était marabout. Il connaît bien les Ecritures.
C'est vrai : le fou connaissait les Ecritures. Le soir, quand il avait
fini son repas, il reprenait son chapelet, remettait son bonnet et
chantait de longs psaumes. Les gens sortaient l'entendre. Un
moment, toute la vie du quartier se suspendait à son souffie
élastique. Toutes les oreilles se dressaient pour capter son miel
vocal. Tous les esprits buvaient le fluide divin de ses belles
paroles. Il communiquait au quartier un flux de profonde
sensation qui progressait au fil de ses notes improvisées, au
rythme de ses versets scandés, immatérialisant les hommes et les
choses, plongeant le quartier dans un lac d'éther. A cet instant, les
mouches elles-mêmes semblaient retenir le bruit de leurs ailes.
Le silence était total.
Mais un autre aspect de son personnage se manifestait bientôt.
C'était, en général, aux moments où, le sommeil pesant sur les
paupières, les gens se laissaient aller au lit. Ses sens prenaient vie
de façon fougueuse. Ses nerfs se tendaient comme un arc. Son
corps brûlait d'un désir insupportable. N'y tenant plus, il quittait
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre05.html 6/8
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 5
croyez ? …
Lui, au moins, ne s'effrayait pas devant la vérité ! Il appelait un
chat un chat. Ignorant hypocrisie et flagornerie, il suivait irascible
l'élan impétueux de son propre jugement. Il ignorait les marches
abruptes de l'escalier social, il ne se prêtait jamais à la lourde
comédie qui s'y déroule.
Les autres, avec leurs regards sans raison admiratifs, leurs fronts
éduqués pour prier, leurs genoux cornés de s'être si souvent
prosternés dans la fosse de leur soumission commune, il s'en
distinguait par ses éternelles hauteurs, son orgueil invétéré. C'est
lui qui déclara un jour à Diouldé :
— Le succès te grise, petit. Tu es gourmand de toi-même, tu ne te
rassasies plus de ta propre vanité ni de tes petits privilèges. Mais
tu as peur, comme un gosse qui a un jouet trop voyant.
Diouldé avait remonté les vitres de sa voiture. Le fou ne lui
adressa plus jamais la parole.
Note
1. Maître de Coran, marabout.
[Pour l'étymologie du mot marabout, lire Yves Saint-Martin in L'Empire toucouleur
et François Dumont in L'anti-Sultan … — Tierno S. Bah]
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre05.html 8/8
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 6
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 6
même de Paris. Ils étaient bien mari et femme. Lui s'appelait Sadio
et venait de finir ses études d'économie. Elle, c'était Josiane, un
médecin. Alors, Nyawlata avait dominé sa petite émotion pour
demander à l'étrangère peu commune si elle comptait bien
s'établir ici ; si elle n'avait pas peur du soleil, des moustiques, des
Noirs. Il ne comprenait pas pourquoi la femme blanche était
devenue rouge comme une tomate et pourquoi les autres
baissaient la tête ou se grattaient les oreilles. Puis il lui avait
demandé ce qu'elle pensait de la nourriture du pays. Presque
agressive, Josiane avait répondu :
— Ce n'est pas la première fois que je mange du riz. Dis-leur,
Sadio, dis-leur ma performance en riz-mafè !
Vers la fin du repas, une discussion prit forme, un de ces éternels
débats que Nyawlata avait encore peine à supporter, desquels il
ne tirait jamais le moindre brin de compréhension. Cela avait
commencé lorsque Kerfala, ayant roté pour amuser, s'était affalé
sur le canapé et s'était plaint de la nourriture « si lourde » :
— Ah, l'Afrique et son éternel riz !
Josiane avait brusquement réagi comme si elle avait reçu un coup
d'épingle dans la moelle épinière :
— Ce n'est pas plus lourd que la pomme de terre.
— C'est lourd quand même, avait répliqué Kerfala.
— Non, on ne sait jamais, reprit Josiane, en tâchant de se calmer. Il
peut y avoir danger à vouloir par exemple rabaisser la valeur du
riz au profit de la pomme de terre, ce qui serait, avouons-le,
condamnable.
Dès son arrivée, Josiane avait montré ce côté de son personnage
qui laissait deviner une tendance à suspecter ici et là des relents
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre06.html 3/7
4/20/24, 1:59 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 6
la contradiction …
Un petit effluve de pitié parcourut Josiane. La jeune femme
s'agrippa violemment au bras de son mari.
Note
1. Instruits, intellectuels, en langue Pular/Fulfulde.
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre06.html 7/7
4/20/24, 2:00 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 7
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 7
Une goutte de sang perlait dans une narine du vieux Alkali ; avec
des yeux d'enfant, il regardait les quatre hommes silencieux
devant lui.
— Peut-être que l'on pourra mieux discuter maintenant, vieux, lui
dit Daouda. Te décides-tu enfin à accepter les douze millions ?
— Je ne prendrai rien. J'ai bien dit qu'il te faudra m'y enterrer
avant. Ton argent, donne-le aux termites.
— Tu es têtu, mon vieux père, ce sera fait comme tu l'auras voulu.
Un autre clin d'oeil de Daouda. Abou prit le vieillard par le collet ;
ils sortirent tous et gagnèrent le pied de la colline. Comme s'il
savait où il allait, le vieux Alkali se laissa aller au camp de la
résignation ; ce camp au-delà de la peur, et qui vous donne une
sorte de sur-assurance ; c'est tout serein qu'il arriva au pied de la
colline. Un instant seulement, il s'était arrêté pour regarder Abou
et lui dire :
— Héee, tu es une mauvaise graine. J'ai eu raison de croire que tu
ne portais pas la bénédiction. C'est ta bouche qui me l'a toujours
fait croire ; jamais, dans le village, quelqu'un n'avait eu une
bouche aussi large.
Alors, Daouda lui avait dit de la boucler :
— Puisque tu ne veux pas de millions, Abou, lui, les prendra. Je
sais qu'après toi, c'est lui qui aura le pouvoir moral dans le village
: je suis informé, donc.
Le vieux Alkali n'eut pas le temps de dire le mot de surprise et de
dégoût qu'il s'apprêtait à dire ; une fois de plus, le bois d'Abou
s'abattit sur sa nuque, avec plus de force et de précision cette fois.
Là où il tomba, les quatre hommes firent un trou et l'enterrèrent.
Personne ne dit mot, ils regagnèrent la ferme.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre07.html 9/11
4/20/24, 2:00 PM webGuinée / Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 7
Note
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre07.html 11/11
4/20/24, 2:00 PM webGuinée/Bibliothèque.Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 8
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 8
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre08.html 1/5
4/20/24, 2:00 PM webGuinée/Bibliothèque.Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 8
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre08.html 2/5
4/20/24, 2:00 PM webGuinée/Bibliothèque.Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 8
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre08.html 5/5
4/20/24, 2:00 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 9
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 9
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre09.html 1/10
4/20/24, 2:00 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 9
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre09.html 3/10
4/20/24, 2:00 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 9
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre09.html 5/10
4/20/24, 2:00 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 9
Josiane apparut, son bébé de dix-huit mois dans les bras, suivie de
près par deux gorilles armés. Sa peau était si blanche qu'on l'eût
cru vidée de son sang. Elle avançait comme une somnambule,
sans vie, sans volonté, sans rythme propre, au rythme ordonné
des gendarmes.
La scène arracha Diouldé de son siège, et il se mit à suivre de loin
cette femme, répétant comme un mauvais élève ses pas
d'automate.
A travers l'épais brouillard qui avait couvert sa vue, il entrevit
cette scène : un gendarme arrachant l'enfant des mains de
Josiane. Il ne comprit ce qui arrivait que lorsque le gendarme,
tenant tant bien que mal l'enfant, tentant d'étouffer ses pleurs et
d'arrêter ses violentes gesticulations, se mit à se diriger à grands
pas vers une ambulance garée au-dehors. Une nurse ou une
infirmière, en tout cas une femme portant une blouse blanche, prit
le marmot des mains du gendarme et s'engouffra avec dans le
véhicule. La silhouette de Josiane se figea, tel un fantôme.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre09.html 7/10
4/20/24, 2:00 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 9
Par une nuit sans lune, ce ne fut pas Daouda qui vint, mais trois
hommes. Là aussi, sa présence se manifestait, dans le plein calme
de la nuit, comme lui inerte et sombre, ainsi que sur les visages
porteurs de mort des visiteurs. Diouldé dormait lorsqu'on tapa à
la porte avec quelque chose de dur : sûrement des crosses de fusil.
On venait pour lui… Ses réactions furent calmes et même
empreintes de quelque intelligence : il s'habilla doucement,
doucement réveilla Râhi et Mère. Les coups redoublaient, la porte
geignait sous ses malheurs. Lui, réunit son petit conseil de famille
:
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre09.html 9/10
4/20/24, 2:00 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 9
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre09.html 10/10
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 10
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 10
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre10.html 2/18
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 10
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre10.html 3/18
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 10
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre10.html 8/18
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 10
des…
— Des Laxaprines…
— C'est ça, des Laxaprines. Et puis, pour changer un peu de la
nourriture de là-bas, qui est riche mais qui manque un peu de
goût, il tient à ce que tu lui prépares quelque chose de temps en
temps. Alors tu vas préparer ce paquet de linge que je lui porterai
demain. Et, pour mardi prochain, tu prévois un repas, du bon riz
du pays avec une sauce d'arachide pas trop huileuse …
— Bien sûr, il supporte mal l'huile, son foie…
— Pas trop huileuse et bien garnie de viande de boeuf…
— Il déteste le poulet.
— Il parle souvent de toi, ainsi que de sa mère. Il se fait un grand
souci pour vous.
Il se faisait tard. Râhi bayait aux corneilles, histoire d'évoquer un
signe de départ chez son interlocuteur. Mais Daouda restait à sa
place. Râhi décida d'en finir avec cette situation embarrassante.
Elle se leva et annonça son intention d'aller se coucher. Daouda se
leva après elle, fit quelques pas dans sa direction et dit :
— Si ça ne te gêne pas, je dormirai là.
En même temps, il mit un doigt sur la bouche de Râhi pour
l'empêcher de dire un mot qui se dessinait sur ses lèvres et lui prit
les épaules pour l'empêcher de choir. Sa main ne quitta pas ses
épaules, jusqu'au lit. Sans un mot, il se déshabilla ; il intima à Râhi
l'ordre de faire de même. Elle ne répondit pas ; elle pleurait. Il lui
enleva lui-même la camisole et le pagne, la poussa dans le lit et
s'allongea à côté d'elle. Il éteignit la lumière et murmura presque
avec gentillesse :
— Enlève ton slip.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre10.html 13/18
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 10
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre10.html 14/18
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 10
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre10.html 17/18
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 10
grave.
Le lendemain, à la radio, il y eut un éditorial :
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre10.html 18/18
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 11
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 11
Une idée obsédait Râhi : venue comme ça, sans taper à la tête. Et
c'est bien après qu'elle s'annonça vraiment. Maintenant, elle la
tenait et l'excitait; sous son effet, elle trépignait comme sous l'effet
d'une folle envie d'uriner.
Fouiner vers le Tombeau ! C'était l'idée qui la hantait.
Le Tombeau, c'est ce morceau de la ville ceinturé par une épaisse
muraille, longeant la corniche. Là, il n'y avait pas de sonnerie de
bicyclette, pas de cri d'enfant, ni de pleur de femme.
On pouvait y deviner la muraille continuant son tour du côté de la
mer, entendre la mer traîner ses eaux épaisses et clapoteuses, les
casser contre la muraille, contre les rochers environnants.
Peut-être que le Tombeau n'existe pas. On ne peut que le deviner,
l'entr'apercevoir. Jamais personne qui y soit allé.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre11.html 1/10
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 11
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre11.html 2/10
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 11
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre11.html 8/10
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 11
Notes
1. Mère en langue sosokui (ou soussou).
2. Tord-boyaux (alcool).
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre11.html 9/10
4/20/24, 2:01 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 11
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre11.html 10/10
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 12
un fait que la vie n'a pas donné son prix à la bonne intention : il y
a des hommes, petit frère, qui haïssent ceux qui leur veulent du
bien, mais c'est de plus d'idiotie que de mal. Comment veux-tu
qu'un homme qui n'a jamais vu le bien puisse le reconnaître par
son odeur ? Kâaaaaaaye ! Nous connais-tu, nous, les nés-ombres,
les fouettés-sans-répit, les têtes brûlées, les gueules béantes ? Pour
nous aider, singa, quel malheur héeeeeh ! pour nous aider à
comprendre, il faut un couteau avec une grande lame de patience
pour nous ouvrir la tête !
N'dourou appuya les paroles de Farba :
— Ne serions-nous que deux ou trois aujourd'hui, cela ne change
rien si nous faisons ce qu'il faut. Si nous travaillons sérieusement
aujourd'hui, demain, nous serons des milliers.
Quand, plus tard, Râhi l'interrogea, Kandia ne répondit pas et
l'amena dans sa cabane manger du couscous de maïs.
C'est bien plus tard qu'il sortit de son mutisme : un matin, il
l'invita à flâner au bord de la mer en disant :
— J'aime la mer avec son odeur qui chatouille le nez.
Ils gagnèrent le haut d'un rocher face à une horde de bambins
ventrus et bruyants. Kandia scruta l'horizon avec son regard
vague dans le lointain, puis dit :
— Ce que tu as vu chez N'gâ Bountou est le fruit d'une lubie qui
m'habite. Quand je me suis retrouvé sans Sori et sans Nabi, je me
suis résolument tourné vers le Paradis. Ce lieu était devenu sacré
pour moi, et les hommes perdus qui venaient y buter comme des
éléphants blessés vont au lieu de mort me ressemblaient. J'ai alors
voulu sceller notre destin, et tout ce que j'ai trouvé c'est de
rassembler ces gens devant un tableau noir pour enseigner je ne
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 4/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 9/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
restons ici plus longtemps, Dieu qui nous a faits et qui me préfère
sait que c'en sera fini de nos beautés. Moi, je connais quelqu'un
qui peut peut-être nous aider, quelqu'un qui a une camionnette,
quelqu'un qui n'est pas gentil, qui est affairiste, et qui conduit son
animal plus que mal, mais avons-nous seulement une couverture
pour rechercher l'oreiller ?
Voyez-vous, ne me serais-je pas conduit comme me le disait ma
mère, il ne m'aurait pas ce soir été possible de m'adresser à cette
personne, car un délicat problème aurait pu un jour nous brouiller
: sa femme, un jour, m'a montré la cuisse. Elle devait en avoir bien
besoin pour penser à une hideur comme moi. Mon courage et la
leçon de ma mère retinrent ma ceinture: “Toi dont la force aide à
peine à la marche, ne t'énerve jamais contre quelqu'un et n'énerve
personne… Et retiens bien : pour transformer le plus coulant des
hommes en bête féroce, il suffit de flairer le bas-ventre de sa
femme”, disait ma mère.
Sur ce, il s'enfonça dans l'obscurité du dehors pendant que tout le
monde riait. Il revint une heure plus tard :
— J'ai vu l'homme. Il est d'accord. Mais l'argent qu'il demande me
vaut cinq fois dans ma pleine jeunesse. Je n'ai pas voulu discuter
de la somme à payer, il vaut toujours mieux discuter de telles
choses après. Il passe nous prendre à l'aube à une condition : que
nous ayons de fausses pièces d'identité.
— Nous ne nous en sortirons jamais, alors, dit N'dourou.
— Si, répondit Farba, à condition d'avoir assez d'argent ou de bien
marchander. Cette souris a pensé à tout, il vend des cartes
d'identité comme du takoulata 3.
Il fallut que tout le monde se secoue pour donner jusqu'à son
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 10/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
[Note. — Lire également dans La vérité du ministre. Dix ans dans les
geôles de Sékou Touré le récit par A-A. Portos de sa fuite sous
déguisement et de son exil de Guinée après sa libé;ration. — T.S. Bah ]
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 11/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 12/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 13/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 14/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 15/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 19/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
à brûle-pourpoint.
— A Konda ? fit Zaoro, franchement gêné de troubler l'assemblée.
— Je te reconnais. Oui, il n'y a pas de doute (l'accent de Kandia
devint plus sincère, plus enflammé).
— Nous en reparlerons tout à l'heure, veux-tu ? (Zaoro ne lui dit
plus mot et se replongea dans la palabre.)
Kandia rejoignit Râhi sans avoir perdu son échauffement.
— Je l'ai tout de suite reconnu. Il a été notre Mawɓo 8 au lycée de
Konda. C'est lui qui s'occupait de notre dortoir. Tout le lycée le
connaissait. Il était notre chef de scoutisme. Un vrai phénomène !
C'est lui qui nous avait organisés, c'est lui qui nous avait exhortés,
c'est lui qui avait pris le front de la marche lors de la grande grève.
En pleine échauffourée, il s'était pris au corps à corps avec un
gradé qu'il avait assommé d'un seul coup de tête. Alors, nous
l'avons surnommé N'gaari 9. Après la grève, il a été emprisonné,
puis contraint à l'enseignement. C'est bien lui !
Puisque c'est lui qui avait attaqué le premier, l'assemblée reconnut
Sarsan Yéro coupable ; il lui fut demandé de se coucher sous les
pieds du passeur, de mettre ses mains sur le dos pour demander
pardon et de donner à l'assistance, en guise d'amende, un sachet
de soixante-dix-sept colas.
Kandia et Zaoro n'attendirent pas la répartition du cola. Ils se
retrouvèrent sous la feuillée des manguiers de l'école comme deux
petits collégiens.
— Comme ça, tu es passé par Konda ? commença Zaoro.
— Oui, oui, répondit Kandia, légèrement intimidé par la carrure
et la personnalité de Zaoro, qui ressemblait décidément bien à un
taureau.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 22/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
— Je ne connais pas vos hommes, mais il leur faut des armes. Eux
sont armés jusqu'aux dents. Ils pourraient détruire le village avant
que l'enfant ait pu appeler sa mère.
— Tu as raison. Sache pourtant que notre plan est plus vaste. Dès
la tombée de la nuit, nous faisons passer la frontière aux enfants et
aux invalides. Les hommes et les femmes valides restent. Peut-être
que, pour cinq des nôtres, il y en aura un des leurs. Et si nous
jugeons tout perdu, nous brûlons les cases, nous bouchons les
puits, nous dévastons les récoltes et nous passons la frontière avec
le bétail. Ils restèrent un moment silencieux.
— Je te rappelle que c'est parce que vous nous deviez une réponse
qu'il y a eu tout ce tohu-bohu.
Kandia sourit, prit fortement la main de Zaoro et dit :
— Moi, je reste, je reste avec les miens.
— Les tiens ?
— J'ai mon petit monde. Allons, que je te les présente.
Notes
1. Parasite, punaise, en langue soso.
2. Frangin, en langue pular.
3. Gateaux de petites boules de manioc, en langue maninka.
4. Baluchon
5. Petite plaine-arène de lutte sportive.
6. Sac en peau de chèvre, servant de fourre-tout.
7. Titre musulman, prononciation de l'arabe cheikh en langue pular. [Consulter, entre
autres, Chroniques et récits du Fuuta-Jalon édité par Alfâ Ibrâhîm Sow, L'anti-
Sultan. Al-Hajj Omar Tal du Fouta, combattant de la Foi , par F. Dumont. — T.S.
Bah]
8. Aîné, patriarche.
9. Taureau.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 24/25
4/20/24, 2:03 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 12
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre12.html 25/25
4/20/24, 2:04 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 13
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 13
Ce que tout le monde finit par appeler la lutte, fut organisée avec
maints jasements, maintes hésitations, maintes drôleries.
Il y eut l'assentiment de la quasi-totalité. Le passeur resta pour
offrir sa parfaite connaissance de la brousse et son flair de chien
de piste.
Mais quelques-uns des traficoteurs, parmi lesquels l'armoire à
glace, préférèrent passer la
frontière sans tambour ni trompette. Chaïkou ne voulait pas
laisser les villageois s'armer : il s'y opposa même avec violence.
Voyant que ses protestations ne pouvaient être que vaines, il
maudit les lieux et les hommes, cracha dans l'air, mordit son
chapelet et passa aussi la frontière.
On sortit des flèches, des fusils rustiques et ridicules, des couteaux
grossiers et rébarbatifs. Quelques-uns prirent des frondes et des
pilons.
Singulières scènes où Râhi, à côté de N'gâ Bountou, Kandia à côté
de Farba, le fou à côté de Salè, N'dourou, Kougouri, le passeur,
Sarsan Yéro, Zaoro, les autres et d'autres encore, tous, comme des
enfants enchantés, se piquaient au jeu de la guerre, roulant sur
une pente comme boule de chiffon, tenant fusil comme manioc, se
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre13.html 1/4
4/20/24, 2:04 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 13
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre13.html 4/4
4/20/24, 2:05 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 14
webGuinée / Bibliothèque
Littérature
Tierno Monenembo
Les crapauds-brousse
Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Chapitre 14
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre14.html 1/2
4/20/24, 2:05 PM webGuinée/Bibliothèque/Littérature/Tierno Monenembo/Les Crapauds-brousse/Chapitre 14
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S.
Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer.
Smithsonian Research Associate.
https://www.webguine.site/bibliotheque/literature/monenembo/crapauds-brousse/chapitre14.html 2/2