Ecofi 118 0093
Ecofi 118 0093
Pierre Metge
Dans Revue d'économie financière 2015/2 (n° 118), pages 93 à 101
Éditions Association Europe Finances Régulations
ISSN 0987-3368
ISBN 9782916920795
DOI 10.3917/ecofi.118.0093
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L
’émergence du big data & analytics est directement liée au
développement du digital et à la multiplication des interactions
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fondées sur l’échange de données : au travers de plus de canaux
de contact, via des messageries électroniques, sur les réseaux sociaux, ou
encore à partir d’objets connectés, etc.
La conséquence de cette évolution est d’abord une explosion des
données, les fameux big data : il se produit en une journée de 2015 dix 93
fois plus de données que sur toute l’année 1997. Ainsi, 90 % des
données actuelles ont été créées ces deux dernières années. Et ce volume
double tous les deux ans1...
Ces données sont de natures de plus en plus diverses : elles peuvent
être structurées (comme des données de profil client ou de transaction)
ou non (la voix, la vidéo, le texte, l’image, etc.).
La richesse d’information sur les comportements des individus dans
les différentes facettes de leur vie n’a jamais été aussi importante, ni
aussi accessible.
En parallèle, une combinaison d’évolutions technologiques impor-
tantes fait tomber les barrières à l’utilisation de ces données grâce à des
capacités d’analyse et de prédiction démultipliées (advanced analytics).
Les champs d’application deviennent beaucoup plus larges, dépassant
le seul cadre des données structurées à l’intérieur de l’entreprise. Les
corrélations sont ainsi détectées sur un panel d’informations beaucoup
plus important. Plus innovant encore, des modèles sont également
capables d’auto-apprentissage statistique (machine learning).
Mais les barrières s’effacent aussi face à des capacités d’accès de
stockage et de traitement quasiment illimitées (grâce en particulier à
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avec parfois pour conséquence l’émergence de modèles économiques
qui percutent les chaînes de valeur traditionnelles. Ces prochaines
années, une entreprise leader tirera probablement sa domination de la
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capacité à exploiter les données dont elle dispose.
Nous voyons sous nos yeux chaque jour un peu plus que le couple
big data et advanced analytics fait émerger de nouvelles opportunités.
L’optimisation des modèles économiques existants concomitamment
sur les leviers coûts et revenus
Il est ici question de perfectionner le mode d’exercice de métiers
traditionnels en étant plus efficaces pour conquérir des clients, les servir
ou encore maîtriser les risques. Ces outils peuvent d’abord nous aider
à améliorer l’expérience client par une hyperpersonnalisation des in-
teractions sur tous les canaux, nourrie par l’enrichissement du CRM
(customer relationship management) avec une vue client à 360°. L’effi-
cacité des ciblages marketing serait ainsi multipliée par sept grâce à
l’utilisation de modèles prédictifs permettant d’anticiper des moments
de vie d’un client, comme le départ à la retraite ou le renouvellement
du véhicule. Autre terrain, celui d’une meilleure efficacité opération-
nelle, en sachant, par exemple, mieux prévoir la demande et les ventes
ou optimiser, comme l’a fait le transporteur UPS, les parcours de ses
véhicules par l’analyse de leurs données en temps réel. En matière de
gestion du risque et de la fraude, la capacité à multiplier les types et les
sources de données et les traiter en peu de temps, voire en temps réel,
constitue un atout en permettant de passer d’un processus a posteriori
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données tendent à se développer. Par exemple, deux acteurs mondiaux
de l’aviation et de l’hôtellerie se sont accordés sur le partage de leurs
données afin d’enrichir leurs offres et de permettre un parcours client
unifié sur l’ensemble de son voyage. Le cloisonnement des chaînes de
valeur tombe et de nouveaux espaces de création de valeur émergent. 95
Les services financiers sont un secteur privilégié d’innovation à partir
du big data & analytics. De nombreuses start-up développent des
modèles originaux sur l’ensemble des métiers et de la chaîne de valeur :
des start-up comme OnDeck, Zest Finance ou KrediTech ont créé des
moteurs de scoring fondés sur des données totalement différentes de
celles utilisées traditionnellement dans les banques (réseau relationnel
sur Facebook, etc.).
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un modèle a d’historique, plus il est performant.
La vitesse d’exécution ensuite : elle s’exprime par la capacité à porter
cette puissance de calcul au service du client, qui ne supporte plus
96 l’attente lors du lancement de son ordinateur personnel, qui ne veut
plus des temps de calcul sur un site d’achat en ligne et à qui l’idée même
d’une réponse différée semble inconcevable.
Elle s’exprime aussi dans la nécessité de revoir les approches projets
plus agiles, privilégiant la multiplicité des expérimentations quitte à
n’en industrialiser qu’une partie, mais à les mettre en œuvre ou les
abandonner rapidement.
La menace que le big data & analytics fait peser sur les modèles
économiques actuels des services financiers est de trois ordres :
– d’abord une menace de contournement des barrières à l’entrée, de
nouveaux acteurs se fondant uniquement sur des maillons spécifiques
de la chaîne de valeur (l’entrée en relation, la comparaison, etc.), sans
avoir à réaliser les investissements nécessaires pour devenir un acteur au
sens propre du secteur (appliquer la réglementation bancaire, concevoir
des produits, construire des usines de production, etc.) ;
– ensuite, une menace liée à la réduction de l’asymétrie d’informa-
tion. La détention et le partage des données, autrefois administrés par
la banque dans des conditions extrêmement restrictives, deviennent
l’apanage du client, qui décide souverainement qui peut avoir accès ou
non à tout ou partie de ses données personnelles. Dans une économie
de la donnée, la fin de cette asymétrie d’information représenterait pour
le secteur bancaire la perte d’un avantage compétitif ;
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QUID DU BIG DATA DANS LA BANQUE DE DÉTAIL ?
Les clients se distancient de plus en plus de l’agence bancaire pour
97
de bonnes raisons (il est plus simple et facile d’effectuer une transaction
comme un virement avec un smartphone ou un ordinateur) ou de
moins bonnes, comme un parcours client encombré d’embûches plus
ou moins saillantes ou encore la perception que l’entretien avec un
conseiller n’a pas su apporter une réponse personnalisée et pertinente
à une difficulté rencontrée ou un projet en construction. La réponse à
proposer doit gérer un paradoxe : des clients voulant plus d’autonomie
tout en attendant de l’expertise, du conseil, de l’accompagnement, de
préférence sur un mode proactif, de la part de leur banque.
Après les années du 100 % physique, puis le développement de
réponses par des 100 % pure players, nous entrons maintenant dans une
phase où le « digital entre dans le physique ». L’enjeu ici est de cons-
truire un modèle relationnel hybride (digital et physique), sans couture,
puissant, où le digital est notamment un moyen de faciliter les usages
et la vie des clients, mais aussi de renforcer l’humain, celui qui, pour
encore quelque temps sur les sujets de finances personnelles et fami-
liales, portera la valeur par le conseil et l’accompagnement.
Une banque doit mieux savoir identifier et connaître à distance le
client et ses besoins pour lui faire, via le conseiller et les canaux à
distance, de façon proactive, une proposition pertinente et vraiment
personnalisée. Face à ce changement de paradigme, l’appui du CRM et
du big data sera capital.
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Dans cette course, une banque ne part pas démunie. Elle dispose
généralement d’actifs propres de grande valeur :
– la richesse et la profondeur des données détenues, et cela est
encore plus vrai dans le cas d’une grande banque de détail couvrant la
palette des métiers et bénéficiant d’une grande part de marché, no-
tamment dans les métiers des services financiers aux particuliers : la
quantité d’information sur ses clients – leurs besoins, leurs habitudes de
consommation, leurs comportements, etc. – est unique et lui permet
même de disposer d’une représentation fidèle et représentative de la
population française ;
– l’historique : les informations dont dispose une banque ont gé-
néralement une profondeur historique rare qui permet de reconstituer
sur un cycle de vie client complet les caractéristiques de leurs besoins
bancaires, d’en mesurer l’évolution dans le temps et, ainsi, de réaliser
des anticipations fiables ;
– la certification : compte tenu des exigences réglementaires et de
leur nature propre, les données disponibles sont fiables et avérées ;
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– la sécurité : les banques bénéficient encore, pour l’ensemble de
la population, d’un capital de confiance fort et d’un a priori de
protection qui leur permet de jouer à plein sur le registre du tiers de
98 confiance.
Ces atouts, certaines entreprises leader du big data & analytics rêve-
raient de pouvoir en disposer. Dans la réalité, si elles brassent un
volume important de données, ce sont rarement des informations aussi
fiables et complètes que celles dont disposent les banques.
Mais le chemin vers l’exploitation performante des données ne se
tracera pas sans embûches. De nombreuses autres questions devront
trouver leur réponse.
D’abord, parce que le niveau d’acculturation est souvent très inégal
au sein des entreprises, tant sur le contenu du sujet (compréhension de
ce qu’est le big data & analytics) que sur celui des menaces et des
opportunités associées. Et cette hétérogénéité peut être perceptible tant
au sein d’un métier qu’au sein de lignes managériales.
Par ailleurs, les compétences clés (data scientists, etc.), lorsqu’elles
existent, sont encore rares, dispersées et pas toujours organisées de
manière optimale. Quels investissements dans les talents nécessaires ?
Quelles filières de recrutement et de gestion ? Qu’en est-il des autres
profils moins pointus, mais tout aussi nécessaires ? Comment insuffler
plus encore la culture de la donnée au sein de l’entreprise ?
De même, la stratégie informatique et la doctrine technologique
peuvent être encore en maturation avec des questions structurantes
restant à traiter. Comment accueillir et traiter des données provenant
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marketing, le tout confrontant ainsi :
– ce que sont les clients, ce qu’ils font avec l’entreprise (données
fichiers clients et open data) ;
– ce qu’ils pensent, comprennent, ressentent et attendent (données
d’études qualitatives et quantitatives). 99
Comment rester à l’affût et gérer les relations avec l’écosystème
innovant : start-up, partenaires technologiques, monde académique ?
Enfin, et c’est même par-là que la réflexion doit commencer, pour
pouvoir aborder efficacement les enjeux liés à l’exploitation massive des
données, il est essentiel d’avoir une vision clairement formulée et des
moyens ordonnés à cette vision. Dans quelle perspective une telle
approche s’inscrit-elle ? Quels objectifs stratégiques et/ou métiers
doivent-ils servir prioritairement ? Quelles sont les possibilités et les
règles à respecter pour la mise en œuvre de ces nouveaux moyens ?
Quelle ambition et quels investissements ? Quels sont les retours
attendus ? Quelles interactions avec les chaînes CRM existantes ?
L’absence de réponses à ces nombreuses questions pourrait générer
des risques majeurs :
– la dispersion des efforts et, in fine, des investissements, sans impact
majeur sur la performance des métiers ;
– le risque de réputation lié à des expérimentations non encadrées
sur des sujets hautement sensibles, et qui le seront de plus en plus, et
à fort impact sur la confiance des clients ;
– la faible lisibilité en interne comme externe des objectifs pour-
suivis, se traduisant par une sensibilisation insuffisante des équipes et
une attractivité réduite pour les talents externes ;
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risque. La question transcende la banque, l’assureur, elle touche à nos
choix et modèles de sociétés.
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servir à les manipuler à leur insu. Le terrain de jeu doit donc être
équitable entre tous les acteurs pour permettre à chacun de fonctionner
selon ses valeurs. In fine, il ne s’agira donc pas de se contenter d’ap-
pliquer la loi, qui de toute façon va devoir évoluer sur la notion même 101
de « données personnelles », leur lien dynamique entre elles et les droits
attachés, mais de savoir se fixer des limites, même si elles réduisent le
champ des applications et donc du business dérivés du big data &
analytics.
NOTES
1. Source : Capgemini.
2. Étude CSA pour Orange 2014.
3. Fondateur et PDG de Skyrock, auteur de nombreux ouvrages et articles sur les développements
technologiques liés au numérique.
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