SÉGNOU Étienne. Le Nationalisme Camerounais..

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Le nationalisme camerounais

dans les programmes et


manuels d’histoire : réalités et
enjeux
Étienne Segnou, doctorant en sociologie politique à l’Université de Douala

Résumé

Des pays colonisés du monde ayant connu une guerre d’indépendance, le Cameroun est le seul
dont la guerre reste aujourd’hui cachée méconnue, mal connue et même inconnue. La guerre
d’indépendance du Cameroun a duré seize ans et a causé plusieurs centaines de milliers de morts
chez les populations camerounaises. Elle opposa la France aux nationalistes camerounais sur la
question de l’indépendance du Cameroun. Cette guerre est depuis lors niée par les autorités
françaises et camerounaises. Hors mis la guerre d’indépendance, le Cameroun a connu de
nombreuses autres luttes nationalistes avant la période de son indépendance. Quelle est la place
de ce long passé nationaliste dans les programmes et les manuels d’histoire du système éducatif
camerounais ? Telle est préoccupation centrale de la présente communication. Les résultats
montrent que le nationalisme camerounais est largement dévalorisé dans lesdits programmes
et manuels d’histoire. Les enjeux de cette dévalorisation sont idéologiques, politiques,
économiques et socioculturels.

Mots clés

nationalisme camerounais; histoire; mémoire; programme d’enseignement; école

Introduction

Plus de cinquante ans après l’indépendance et la réunification du Cameroun1, nous avons


voulu savoir la place réservée au nationalisme camerounais dans les programmes et manuels
d’histoire du système éducatif camerounais. Les nationalistes camerounais sont ceux qui se
sont élevés, au Cameroun, contre toutes les formes de domination coloniale, singulièrement
contre les dominations coloniales allemande, puis franco‐britannique. L’UPC2 fut le principal
mouvement politique dans lequel ils s’organisèrent pour revendiquer la réunification et
l’indépendance du Cameroun ; et cela, pacifiquement d’abord, puis par la logique des armes

1 L’indépendance du Cameroun français a eu lieu le 1er janvier 1960 et sa réunification avec le Cameroun
britannique a eu lieu le 1er octobre 1961.
2 Union de Populations du Cameroun. Le plus vieux parti politique du Cameroun créé en 1948 à Douala et qui

existe encore aujourd’hui.


SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

ensuite3. Ce qui enfanta une longue guerre entre la France et les nationalistes de l’UPC. Cette
guerre dura seize ans (1955 – 1971)4 et causa plusieurs centaines de milliers de morts du
côté camerounais. Ce conflit fut l’un des plus importants menés par l’armée française sur le
continent africain, après celui de l’Algérie. Mais à la différence de la guerre d’Algérie, la guerre
d’indépendance du Cameroun est largement méconnue tant par la communauté
internationale que par les Français et même les jeunes Camerounais. Cela parce qu’elle fut
soigneusement cachée durant son déroulement, et évacuée plus tard de la mémoire collective
camerounaise. Comment donc les programmes et manuels d’histoire du Cameroun traitent‐
ils le passé nationaliste de ce pays ? L’hypothèse du présent travail est la suivante : en raison
des enjeux politiques, économiques et socioculturels, le nationalisme camerounais est dévalorisé
dans les programmes et manuels d’histoire. Par conséquent, la place qui lui y est accordée ne
peut permettre à la jeunesse camerounaise de posséder une connaissance suffisante de ce
nationalisme afin d’avoir une plus grande conscience de son identité culturelle. Pour le vérifier,
nous avons mené une étude qualitative et quantitative desdits programmes et manuels afin
d’analyser le traitement qui y est réservé au passé nationaliste du Cameroun. Ensuite, nous
avons étudié l’impact que ce traitement a sur le niveau de connaissance que les jeunes
scolaires ont de ce passé. Enfin, nous avons dégagé les enjeux que cache le type de traitement
alloué à ce passé dans les outils pédagogiques d’histoire du Cameroun.

Brève histoire du nationalisme camerounais

Avant toute chose, il importe d’abord de retracer, ne serait‐ce que brièvement, l’histoire du
nationalisme camerounais ; ce qui permettra de mieux cerner la profondeur de la
problématique de la présente recherche, ainsi que ses enjeux.

Le nationalisme camerounais n’est pas né au moment de la lutte des Camerounais pour


l’indépendance de leur pays. Les luttes nationalistes contre la domination étrangère
débutèrent en effet au Cameroun dès la seconde moitié de XIXe siècle, au moment où les
Camerounais pratiquaient le commerce légal avec les Européens sur la côte camerounaise,
après l’abolition de l’esclavage. Ce commerce reposait sur des échanges de produits (troc)
entre les Européens et les Camerounais de l’hinterland, par le truchement des Camerounais
habitant la côte, ceux‐là servant d’intermédiaires. En fait, les Camerounais de la côte s’étaient
organisés pour combattre les Européens qui voulaient aller traiter directement avec les
habitants de l’hinterland sans passer par eux, alors que ces derniers recevaient des avantages
considérables de leur intermédiation5.

Les secondes luttes des Camerounais contre la domination étrangère furent les résistances
qu’ils menèrent contre la pénétration et la conquête coloniale allemande. Mais ces résistances
furent vaincues et le territoire camerounais conquis par l’Allemagne qui y institua un système

3 Pour plus d’information sur l’histoire des luttes de libération nationale au Cameroun, lire principalement Richard

Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun, Paris, Karthala ; Achille Mbembé, (1996), La naissance du maquis
dans le Sud‐Cameroun, Paris, Karthala, 1984, 414 p. ; Ferdinand Chindji‐Kouleu, Histoire cachée du Cameroun,
Yaoundé, Saagraph, 2006, 352 p. ; Daniel Abwa, Cameroun : histoire d’un nationalisme (1884‐1961), Yaoundé, Clé.
2010, 412 p. ; Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de
la Françafrique 1948‐1971, Paris, La Découverte, 2011, coll. « Cahiers libres ». 744 p.
4 La première guerre d’indépendance est allée de 1955 à 1960 et a opposé la France aux nationalistes tandis que

la seconde est allée de 1960 à 1971 et a opposé l’État camerounais, soutenu par l’État français et l’armée française,
aux nationalistes.
5 Pour plus de détails, lire Verkijika G. Fanso, « Commerce et hégémonie sur la côte du Cameroun (1879‐1887) »,

dans Martin Z. Njeuma, dir., Histoire du Cameroun (XIXe s. – début XXe s.), Paris, L’Harmattan, 1989, p. 99‐133.

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colonial d’une cruauté exceptionnelle et implacable6. Ce système, introduit par le Gouverneur


Von Puttkamer reposait sur une politique d’« exploitation scientifique » du territoire avec la
main‐d’œuvre locale soumise aux travaux forcés (construction des routes, ponts, chemins de
fer…), au portage et aux travaux dans les plantations de banane et de cacao7. Face à ce système
colonial infligeant de terribles souffrances physiques et morales aux populations locales, les
Camerounais s’organisèrent pour y mettre fin. Dès 1913, un mouvement de résistance fut
lancé pour combattre la politique d’expropriation et de ségrégation que les Allemands
voulaient appliquer à Douala au mépris des termes du traité de protectorat qu’ils avaient
conclu avec les chefs douala (traité germano‐douala). À la tête de ce mouvement de
résistance figurait Rudolph Douala Manga Bell. Mais ce dernier fut trahi, jugé et pendu le 8
aout 1914 à Douala.

Après la Première Guerre mondiale et la défaite de l’Allemagne, le Cameroun devint un


territoire sous contrôle international et fut confié à la France et à l’Angleterre par la SDN, puis
par l’ONU après la Seconde Guerre mondiale. Mais ces deux puissances administrèrent le
Cameroun non comme un territoire neutre, mais comme une partie intégrante de leur empire
colonial africain, et cela, au mépris des accords de mandat et de tutelle. En effet, à titre
d’exemple, les directives de la SDN stipulaient que le mandat était provisoire et que,
théoriquement, les mandataires devaient progressivement acheminer les territoires sous
mandat vers la capacité à s’administrer eux‐mêmes8. En ce qui concerne les accords de tutelle
élaborés par l’ONU, ils formulaient pratiquement les mêmes directives que celles de la SDN :
« Favoriser le progrès politique, économique et social des populations des territoires sous tutelle
ainsi que le développement de leur instruction ; favoriser également leur évolution progressive
vers la capacité à s’administrer eux‐mêmes ou l’indépendance9… » Les Camerounais s’étaient
opposés au non‐respect de ces accords par la France et l’Angleterre et avaient commencé à
revendiquer la réunification et l’indépendance de leur pays. C’est ainsi que, dans le Cameroun
français, en 1948, ils créèrent un mouvement politique pour exprimer leur revendication ;
mouvement qui devint très vite populaire, l’UPC.

Au regard de la croissance rapide de la popularité du mouvement nationaliste et de la


multiplication des revendications indépendantistes, les autorités françaises décidèrent de
réprimer et de faire disparaitre l’UPC de la scène politique camerounaise. En mai 1955, elle
réprima dans le sang les manifestations indépendantistes de l’UPC et procéda à l’interdiction
du parti le 13 juillet de la même année10. Finalement, face au refus de la France de répondre
aux revendications des nationalistes camerounais et à sa détermination à résoudre le
problème camerounais par la force, l’UPC n’eut autre choix que celui de prendre les armes
pour mener une lutte armée qu’elle n’avait ni voulue, ni préparée11. Cette situation fit naitre

6 Richard Joseph, Le mouvement nationaliste… p.40.


7 Ibid.
8 Pour plus de détails sur les accords de mandat de la SDN, lire Dieudonné Oyono, Colonie ou mandat international,

la politique française au Cameroun de 1919 à 1946, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 17.


9 Retrouvez l’intégralité des accords de tutelle de l’ONU sur le site Internet de l’organisation,

URL : http://www.un.org/fr/documents/charter/chap12.shtml.
10 Cette répression de mai 1955 est plus connue sous le nom des émeutes de mai 1955. Elle toucha de nombreuses

villes dans le Sud du Cameroun où les Camerounais manifestaient massivement pour revendiquer l’indépendance
de leur pays.
11 En fait, au départ, l’UPC n’avait pas prévu mener ses revendications par la voie des armes, mais pacifiquement.

C’est l’intransigeance et la brutalité de l’administration coloniale française qui l’accula à la guerre. Toutes les
sources le confirment aujourd’hui, dont la plus récente est l’ouvrage de Thomas Deltombe, Manuel Domergue,
Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre… Ces auteurs expliquent en effet que, dans une proclamation commune datée
du 22 avril 1955, l’UPC réaffirmait sa volonté d’acquérir l’indépendance du Cameroun sans qu’une « seule goutte

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une longue guerre entre les deux protagonistes ; guerre qui dura seize ans et causa des
centaines de milliers de morts civiles au Cameroun.

En 1960, année de l’indépendance du Cameroun français, la France confia le pouvoir aux


Camerounais qui n’avaient jamais revendiqué l’indépendance et s’y étaient même opposés ;
cela après avoir décidé d’éliminer politiquement, militairement et physiquement les grands
chefs de l’UPC12 ; avec la collaboration des nouvelles autorités camerounaises (Ruben Um
Nyobé : 1958, Félix Moumié : 1960, Ernest Ouandié : 1971…). Cependant, malgré l’octroi de
l’indépendance en 1960, les Camerounais poursuivirent la lutte contre cette indépendance
qu’ils jugeaient « factice », afin d’obtenir une indépendance « réelle ». L’exécution publique en
janvier 1971 d’Ernest Ouandié, dernier grand chef historique de l’UPC encore vivant, marque
la fin de la guerre d’indépendance au Cameroun ainsi que la défaite de l’UPC dans sa lutte
indépendantiste. Cette guerre avait gravement affecté les populations camerounaises et avait
engendré l’une des dictatures les plus féroces, les plus barbares et les plus sanguinaires du
continent africain. En fait, le tout premier Président de la République du Cameroun, Ahmadou
Ahidjo, avait été repéré, formé et imposé par la force à la tête du pays par l’administration
coloniale française. Lui aussi fut contraint de s’imposer au peuple camerounais par la force
durant la quasi‐totalité des vingt‐deux ans de règne sans partage qu’il passa à la tête du
Cameroun, de 1960 à 198213.

Par ailleurs, la France avait, parallèlement à son projet d’élimination des nationalistes, signé
des accords de coopération et de défense avec les Camerounais qu’elle avait soigneusement
sélectionnés et installés au pouvoir au Cameroun14. Ces accords avaient permis à l’armée
française de poursuivre son intervention militaire au Cameroun contre les combattants de
l’UPC jusqu’en 1964, c’est‐à‐dire quatre ans après l’indépendance15. Et durant ses
interventions militaires au Cameroun, l’armée française a commis de nombreuses atrocités
contre les populations civiles, cela en raison de l’emploi des techniques de guerre employées
en Indochine et en Algérie (regroupement des populations, massacres, propagandes,
bombardements aériens, Napalm16. En outre, ces accords avaient permis à la France de
maintenir son contrôle et sa domination absolue sur le Cameroun malgré l’accession de ce

de sang » ne soit versée (p. 179). Lire aussi Daniel Yagnye Tom, L’UPC face au marasme camerounais, Paris,
L’Harmattan, 2004, p. 39.
12 Pierre Messmer, Les blancs s’en vont. Récit de la décolonisation, Paris, Albin Michel, 2000, p. 115.
13 En ce qui concerne le caractère répressif et dictatorial du régime d’Ahmadou Ahidjo, l’ouvrage de Thomas

Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre… donne assez de détails dans la quatrième
partie de l’ouvrage intitulée « Une dictature françafricaine », principalement dans les chapitres 26 (Le dictateur
s’installe (1961‐1963), p. 481‐501), 29 (Soumission des esprits et « croisades antiterroristes » (1962‐1964)
p. 541‐557) et 30 (À l’ombre du parti unique (1965‐1966) p. 558‐580). Dans ces chapitres, il est fait étalage de
l’existence au Cameroun de « La chasse aux “subversifs” », des « Centres secrets d’“internement administratif” et de
“rééducation civique” », des « camps de regroupement », de politique de terreur : « exécutions publiques, massacres
collectifs, têtes coupées, torture,… », D’encouragement à la « délation », institution des « confessions publiques », de
l’endoctrinement, du « lavage de cerveau » et du « bourrage des crânes »…
14 Ibid., p. 14‐16.
15 Les premiers accords de coopération et de défense entre la France et Cameroun avaient été signés dès le 30

décembre 1958. Accords provisoires au départ, ils sont devenus définitifs par la suite par leur renouvellement en
1959, 1960, 1961 et 1962, et même dans les années 1970.
16 Pour le cas précis de l’emploi du Napalm, la question reste encore objet à polémique. Il existe des témoignages

de Camerounais attestant de leur utilisation (regarder le film documentaire de Gaëlle Le Roy et Valérie Osou,
(2008), Cameroun, autopsie d’une indépendance). Mais les sources scientifiques sont prudentes et n’en parlent
qu’au conditionnel. C’est le cas de l’historien militaire Gabriel Périès, parlant des opérations de bombardements
aériens menés au Cameroun, qui affirme, dans le film documentaire ci‐dessus cité, ceci : « Ces opérations, en ce qui
concerne le Cameroun, auraient impliqué l’emploi du napalm… ». Lire aussi Thomas Deltombe, Manuel Domergue,
Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre…, p. 420‐422.

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pays à l’indépendance. Par la suite, ils ont servi de modèle à la décolonisation des autres
territoires d’Afrique noire francophone ; et par conséquent, ont servi de base à
l’institutionnalisation du néocolonialisme français dans ces territoires.

Cela dit, le Cameroun est détenteur d’une très longue histoire nationaliste. Mais, étonnement,
cette histoire est frappée d’un oubli volontaire et involontaire assez remarquable. Très peu
d’ouvrages en parlent. Même l’ouvrage d’Yves Benot, Massacres coloniaux (2005), consacré
pourtant à l’étude des atrocités humaines commises par la France dans ses anciens territoires
coloniaux, ne cite pas le cas du Cameroun. La plupart des productions (ouvrages,
documentaires…) de chercheurs présentent toujours la décolonisation de l’Afrique noire
francophone comme ayant été pacifique, sans préciser l’exception du Cameroun. Le seul
ouvrage à ce jour qui traite, avec assez de détails, de la grande et longue lutte belliqueuse des
Camerounais pour leur indépendance est l’ouvrage de Thomas Deltombe, Manuel Domergue,
Jacob Tatsitsa, (2011), Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique 1948‐
1971. Alors, quelle est l’incidence de cet oubli dans les enseignements d’histoire au
Cameroun ? Quelle est la place du passé nationaliste du Cameroun dans les programmes et
les manuels d’histoire de ce pays ?

État des lieux

Ainsi, afin de connaitre la place réservée aux nationalistes camerounais dans l’histoire
officielle du Cameroun, ainsi qu’à la lutte qu’ils ont menée pour la libération de leur pays du
joug colonial, nous avons fait une étude quantitative et qualitative des programmes et
manuels d’histoire en vigueur au Cameroun dans l’enseignement primaire, secondaire et
supérieur.

Étude quantitative

Jusqu’ici, le Cameroun n’a connu que deux programmes d’histoire dans l’enseignement
secondaire général. Le premier date de 1963 et a été modifié fondamentalement en 1990
pour laisser la place au second qui est encore en vigueur aujourd’hui. Dans le premier
programme d’histoire, la place du nationalisme camerounais était inexistante. Sur les 249
leçons qu’il comportait, aucune ne portait sur le passé nationaliste du Cameroun, ni même
sur l’histoire du Cameroun. Pour ce qui est du programme de 1990, la situation a un peu
évolué bien que le NC (Nationalisme camerounais) y soit encore assez largement marginalisé.
Toutefois, nous étudierons ici les programmes des trois ordres d’enseignement : primaire,
secondaire et supérieur.

En ce qui concerne les programmes de l’enseignement primaire, ceux étudiés dans le présent
travail datent de 2004. Voici les résultats obtenus :

Tableau 1 : La représentativité du NC dans les programmes d’histoire de l’enseignement primaire


Sujets CE 1 CE 2 CM 1 CM 2 Totaux
Nationalisme camerounais 0 1 2 1 4
Histoire du Cameroun 1 4 12 5 22
Histoire des autres pays 2 0 5 9 16
Totaux 3 5 19 15 42
Source : notre enquête

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On peut voir plus clairement la situation dans le graphique suivant :

Source : notre enquête

Comme le montrent le tableau et le graphique ci‐dessus, au primaire, l’enseignement de


l’histoire est majoritairement centré sur l’histoire du Cameroun avec 26 leçons sur 42 (61 %).
Par contre, pour ce qui est des leçons consacrées explicitement au nationalisme camerounais,
on n’en recense que 4 sur les 42 que comptent les programmes, soit 9,5 % des leçons. Qu’en
est‐il dans les programmes du secondaire ?

Pour ce qui est de l’enseignement secondaire général, les résultats sont les suivants :

Tableau 2 : La représentativité du NC dans les programmes d’histoire de l’enseignement secondaire général


Sujets 6ème 5ème 4ème 3ème 2nde 1ère Tle Totaux
Nationalisme camerounais 0 0 1 1 0 1 0 3
Histoire du Cameroun 1 3 3 5 4 6 7 29
Histoire des autre pays 22 23 18 21 18 15 15 132
Totaux 23 26 22 27 22 22 22 164
Source : notre enquête

On peut voir cela plus clairement dans le graphique suivant :

Source : notre enquête

Il ressort du tableau et du graphique ci‐dessus que sur 164 leçons d’histoire enseignées de la
Sixième en Terminale, 32 sont consacrées à l’histoire du Cameroun (19,5 %). Les 132 autres

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leçons (80,5 %) sont consacrées à l’histoire des autres pays d’Afrique et à celle des pays du
reste du monde. Par contre, sur les 164 leçons, seules 2 sont consacrées explicitement à
l’étude du nationalisme camerounais, soit 1,82 % des leçons. Que dire des programmes de
l’enseignement supérieur ?

Dans l’enseignement supérieur, nous avons étudié, à titre illustratif, le programme d’histoire
en vigueur depuis 2008 au département d’histoire de l’université de Douala ; puisque chaque
université au Cameroun a son programme propre. Le choix porté sur l’université de Douala
est lié au fait que c’est l’université à laquelle nous appartenons, et ce choix n’est qu’à titre
illustratif dans traitement du cas de l’enseignement supérieur. Ici, le nationalisme
camerounais apparait seulement de façon implicite dans les programmes.

Tableau 3 : La représentativité du NC dans les programmes d’histoire de l’enseignement supérieur


(université de Douala)
Sujets Niv. 1 Niv. 2 Niv. 3 Niv. 4 Niv. 5 Niv. 6 Niv. 7 Niv. 8 Totaux
Nationalisme camer. 0 0 1 0 0 0 0 0 1
Histoire du Cameroun 1 1 1 2 0 0 0 5
Histoire des autres pays 10 10 12 11 6 4 4 2 59
Totaux 11 11 14 11 8 4 4 2 65
Source : notre enquête

On peut voir plus clairement la situation dans le graphique suivant :

Source : notre enquête

Ainsi, de la première année à la huitième année, les programmes comportent 65 matières. Sur
ces 65 matières, 6 renvoient à l’étude de l’histoire du Cameroun, soit 9,23 % des matières,
tandis que sur l’ensemble de toutes les 65 matières, une seule leçon se rapporte au NC, soit
un taux de représentativité de 1,5 %. Mais cette leçon unique ne se rapporte au NC que de
façon implicite. Elle est en effet intitulée « La décolonisation du Cameroun ». Ce qui est vague,
car on peut seulement supposer que la lutte des nationalistes pour la décolonisation du
Cameroun et la longue guerre qu’elle a entrainée pourraient être abordées par l’enseignant.
Pour tout dire, sur la base de cette étude quantitative des programmes d’histoire qui vient
d’être opérée dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, trois constats peuvent
être tirés :
1. Les programmes d’histoire au Cameroun sont encore assez extravertis. Autrement
dit, on enseigne plus l’histoire des autres pays que celle du Cameroun.

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2. La place du nationalisme camerounais dans ces programmes est très marginale d’un
point de vue quantitatif.
3. Plus on évolue dans le parcours scolaire (du primaire au supérieur), moins le
nationalisme camerounais est présent dans les programmes.
Étude qualitative

L’étude qualitative des programmes d’histoire a laissé paraitre que ce n’est que de façon
implicite que le NC apparait dans certaines leçons desdits programmes. En d’autres termes,
c’est au regard de l’intitulé de ces leçons que l’on peut s’imaginer que le NC pourrait être
abordé par l’enseignant.

Par exemple, en classe de Terminale, une leçon d’histoire est intitulée « le Cameroun de
l’autonomie interne à l’indépendance (1956‐1960) ». Ce titre est assez vague et par
conséquent, ne contraint pas l’enseignant à aborder la lutte de l’UPC pour l’indépendance. Qui
plus est, le programme n’est pas un programme par objectifs. Le tableau ci‐dessous montre
clairement le caractère vague des programmes dans l’enseignement secondaire par exemple :

Tableau 4 : intitulés des cours consacrés explicitement et implicitement au NC dans les programmes
d’histoire de l’enseignement secondaire général

Classes Intitulés des cours

4ème – La pénétration européenne à l’intérieur du Cameroun et la réaction des populations autochtones

3ème – Les résistances à la pénétration européenne au Cameroun (Les résistances sur la côte ; Les
résistances à l’intérieur)

– Les mouvements nationalistes en Afrique (le cas du Nigéria et du Kenya ; le cas de la Guinée, du
Moyen‐Congo et du Tchad)

1ère – Les conquêtes et les résistances au Cameroun

Tle – L’évolution administrative et politique du Cameroun français (1946‐1956)

– Le Cameroun de l’autonomie interne à l’indépendance (1956‐1960)

– L’évolution administrative et politique du Cameroun français (1946‐1954)

– Le Cameroun du « statut régional » à la réunification (1954‐1961)

Au regard du tableau ci‐dessus, on constate que trois cours sont consacrés explicitement, de
par leurs intitulés, au nationalisme camerounais : « La pénétration européenne à l’intérieur du
Cameroun et la réaction des populations autochtones », « Les résistances à la pénétration
européenne au Cameroun » et « Les conquêtes et les résistances au Cameroun ». À la lecture de
ces titres, on se rend à l’évidence immédiatement qu’il s’agit d’étudier les luttes des
Camerounais contre la domination étrangère. Toutefois, il faut préciser qu’il ne s’agit que des

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luttes s’étant exprimées durant la période coloniale allemande. Celles s’étant déroulées
durant la période coloniale française et britannique sont quasi absentes, remplacées
simplement par des titres vagues. C’est le cas de l’intitulé suivant : Le Cameroun de
l’autonomie interne à l’indépendance (1956‐1960). Le NC apparait dans cet intitulé
uniquement de façon implicite, c’est‐à‐dire que l’on ne peut que supposer que ce nationalisme
pourrait être abordé par l’enseignant pendant le cours. En plus d’être vague, ce cours ne
possède aucun objectif devant préciser l’orientation qu’il doit prendre. L’enseignant peut
donc faire son cours en occultant plus ou moins l’étude de l’UPC et de ses acteurs. Par ailleurs,
le cours consacré à l’étude des mouvements nationalistes en Afrique (Les mouvements
nationalistes en Afrique) indique de prendre pour exemple le cas de quelques pays d’Afrique
noire (Nigéria, Kenya, Guinée, Moyen‐Congo, Tchad), mais le cas du Cameroun avec l’UPC n’est
pas mentionné comme cas de figure à prendre. Il y a donc une volonté d’occulter le NC.

En ce qui concerne l’étude qualitative des manuels d’histoire du primaire (2004) et du


secondaire (1995), il faut dire que l’on a constaté en gros que l’histoire du NC y est occultée
(la guerre d’indépendance par exemple n’est pas évoquée), falsifiée (par exemple, les
manuels attribuent la responsabilité du déclenchement des émeutes de mai 1955 à l’UPC17)
et présentée de façon vague (le processus de décolonisation du Cameroun qui a connu de
nombreuses péripéties par exemple est traité de façon assez brève, sans détails).

Ainsi, tant dans les manuels que dans les programmes d’histoire, le nationalisme
camerounais est largement dévalorisé. Quelle est l’incidence d’une telle situation sur le
niveau de connaissance des jeunes scolaires au sujet de l’histoire du NC ?

Impact

L’impact de cet état de fait sur le niveau de connaissance des jeunes scolaires camerounais
est considérable. Selon l’enquête que nous avons menée auprès des 200 élèves, les élèves
entretiennent une méconnaissance de l’histoire du NC ; et le taux de cette méconnaissance
oscille autour de 70 %. Pour le savoir, nous leur avons posé des questions (un questionnaire
de 64 questions fermées et semi‐fermées) portant sur l’histoire du NC. Il s’agissait des élèves
de quatre établissements scolaires de la ville de Douala (Lycée de Nylon Brazzaville, Lycée
technique de Koumassi, Collège Alfred Saker et le Collège polyvalent Suzanna), âgés entre 15
et 25 ans, des deux sexes (100 filles et 100 garçons). Le tableau ci‐dessous présente, à titre
illustratif, les réponses données à 21 des 64 questions posées aux 200 élèves en ce qui
concerne le nationalisme s’étant exprimé durant la lutte pour l’indépendance.

Tableau 5 : état des connaissances des élèves au sujet de la lutte des Camerounais pour l’indépendance

QUESTIONS REPONSES Totaux

Connaissances Connaissances Connaissances Ignorance


exactes approximatives inexactes totale

17Il est aujourd’hui scientifiquement établi que ce n’est pas l’UPC qui a été à l’origine du déclenchement des
émeutes de mai 1955, mais que c’est bien le Gouverneur français de l’époque, Roland Pré. Ce dernier avait été
envoyé au Cameroun avec pour mission principale d’éradiquer l’UPC. À ce sujet, voir Ibid, p. 149‐177.

9
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

1. Réaction de la 134 (67 %) 0 (0 %) 27 (13,5 %) 39 (19,5 %) 200


France face aux
revendications
indépendantistes
de l’UPC

2. Existence d’une 113 (56,5 %) 0 (0 %) 41 (20,5 %) 46 (23 %) 200


guerre
d’indépendance
au Cameroun

3. Durée de la 0 (0 %) 19 (9,5 %) 12 (6 %) 169 200


guerre (84,5 %)
d’indépendance au
Cameroun

4. Date du 42 (21 %) 0 (0 %) 33 (16,5 %) 125 200


déclenchement des (62,5 %)
massacres contre
les revendications
indépendantistes
des Camerounais

5. Le nom de 8 (4 %) 0 (0 %) 105 (52,5 %) 87 (43,5 %) 200


l’ordonnateur des
massacres contre
les revendications
indépendantistes
des Camerounais

6. Date de la 58 (29 %) 0 (0 %) 40 (20 %) 102 (51 %) 200


dissolution de
l’UPC par
l’administration
française

7. Date de 0 (0 %) 7 (3,5 %) 8 (4 %) 185 200


l’assassinat de (92,5 %)
Ruben Um Nyobé

8. Date de 0 (0 %) 2 (1 %) 7 (3,5 %) 191 200


l’assassinat de (95,5 %)
Félix Moumié

9. Statut d’Ernest 0 (0 %) 3 (1,5 %) 17 (8,5 %) 180 (90 %) 200


Ouandié dans
l’UPC

10
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

10. Statut 0 (0 %) 0 (0 %) 7 (3,5 %) 193 200


d’Ossendé Afana (96,5 %)
dans l’UPC

11. Statut d’Abel 0 (0 %) 0 (0 %) 7 (3,5 %) 193 200


Kinguè dans l’UPC (96,5 %)

12. Signification de 0 (0 %) 1 (0,5 %) 2 (1 %) 197 200


l’ALNK (98,5 %)

13. Date de 191 (95,5 %) 0 (0 %) 5 (2,5 %) 4 (2 %) 200


l’indépendance du
Cameroun

14. L’acceptation 87 (43,5 %) 0 (0 %) 90 (45 %) 23 (11,5 %) 200


par l’UPC de
l’indépendance
accordée au
Cameroun

15. Réaction de 88 (44 %) 0 (0 %) 60 (30 %) 52 (26 %) 200


l’UPC après l’octroi
de l’indépendance
au Cameroun

16. Ce que l’UPC 134 (67 %) 0 (0 %) 30 (15 %) 36 (18 %) 200


pensait de
l’indépendance
accordée au
Cameroun

17. Nom du 162 (81 %) 0 (0 %) 33 (16,5 %) 5 (2,5 %) 200


premier Président
du Cameroun
indépendant

18. Nom du 63 (31,5 %) 0 (0 %) 41 (20,5 %) 96 (48 %) 200


leadeur
nationaliste de
l’UPC assassiné à
Genève

19. Les régions du 53 (26,5 %) 58 (29 %) 7 (3,5 %) 82 (41 %) 200


Cameroun ayant
souffert de la lutte
pour

11
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

l’indépendance du
Cameroun

20. Nom du dernier 49 (24,5 %) 47 (23,5 %) 104 (52 %) 200


leadeur
nationaliste à être
tué

21. Date et lieu où 28 (14 %) 37 (18,5 %) 135 200


le dernier grand (67,5 %)
leadeur
nationaliste de
l’UPC fut tué

Source : notre enquête

Comme on peut le voir dans le tableau ci‐dessus, le niveau de connaissance des élèves au sujet
de la lutte pour l’indépendance au Cameroun est très faible. Sur 21 questions posées, seules
cinq ont obtenu des réponses exactes venant de plus de la moitié des 200 élèves interrogés,
soit 23,8 % des questions posées (questions 1, 2, 13, 16 et 17). Par contre, ceux qui ont un
peu plus de connaissances sur le NC ainsi que sur des faits qui ne sont pas enseignés à l’école
(par exemple la guerre d’indépendance), puisent ces connaissances dans les programmes
télévisés (émissions sur l’histoire du Cameroun), dans les journaux et les documentaires
vendus en bordure des rues, et dans les livres hors du programme officiel. Autrement dit,
dans les sources secondaires d’apprentissage. Le tableau et le graphique ci‐dessous
présentent la représentativité de ces sources secondaires d’apprentissage de l’histoire du NC
chez les 200 jeunes scolaires interrogés :

Tableau 6 : les sources secondaires d’apprentissage de l’histoire du Cameroun chez les jeunes scolaires

Sources complémentaires Effectif valide Effectif non valide Total

Livres hors programme 42 (21 %) 158 (79 %) 200 (100 %)

Télévision 131 (65,5 %) 69 (34,5 %) 200 (100 %)

Documentaires et journaux 105 (52,5 %) 95 (47,5 %) 200 (100 %)

Autre 31 (15,5 %) 169 (84,5 %) 200 (100 %)

Nulle part 13 (6,5 %) 187 (93,5 %) 200 (100 %)

Source : notre enquête

12
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

Source : notre enquête

Du tableau ci‐dessus, il apparait que 187 jeunes sur 200 interrogés, soit 93,5 %, ont des
sources secondaires d’apprentissage de l’histoire du Cameroun. Et du graphique ci‐dessus,
s’observent clairement les deux principales sources secondaires d’apprentissage de l’histoire
du NC : la télévision en premier (en rouge) et les journaux et documentaires en second (en
vers).

À la télévision en effet, il existe des émissions consacrées à l’histoire du Cameroun. La chaine


de télévision camerounaise Canal 2 International a par exemple une émission consacrée à
cela : « La tribune de l’histoire ». Et dans cette émission, est parfois abordée l’histoire de la
décolonisation du Cameroun ainsi que la guerre d’indépendance qu’elle a connue. Dans les
journaux également, principalement de la presse privée camerounaise, les nationalistes et
leurs actions en faveur de la décolonisation du Cameroun sont assez souvent abordés dans
des articles, des dossiers, des hors‐séries et des éditions spéciales. À titre illustratif, le
quotidien privé Le Messager a publié, pour la seule année 1993, 10 éditions comportant des
articles sur l’histoire du NC ; en 1990, 8 éditions dont deux Hors‐séries et un dossier ; en 1992,
6 éditions dont une édition spéciale et deux dossiers. À l’occasion des cinquante ans de
l’indépendance du Cameroun, en janvier 2010, le journal a publié une édition spéciale sur
l’évènement avec pour grand titre « Indépendance : La guerre secrète de la France au
Cameroun ». Enfin, des documentaires sur la décolonisation du Cameroun se vendent en
bordure de route à vil prix (500 FCFA = 0,76 Euro), sur supports DVD piratés.

On comprend donc pourquoi les élèves peuvent avoir des connaissances sur certains points
du NC qui ne sont pas enseignés en milieu scolaire. Cela parce que, d’après la sociologie de
l’éducation, dans les sociétés modernes, « l’école ne détient plus le monopole de la diffusion des
connaissances. La télévision et les journaux s’en sont mêlés » (Quivy R., Campenhoudt L. V.,
1995, P. p. 89‐90).

Par ailleurs, les questions posées aux 200 élèves ont aussi évalué la connaissance visuelle
qu’ils ont des acteurs de l’histoire du NC. Ils devaient identifier sur les photos qui leur ont été
présentées, les visages des personnages historiques qu’ils connaissaient. Voici les résultats :

13
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

Tableau 7 : état des connaissances visuelles des élèves au sujet des acteurs de l’histoire du nationalisme
camerounais

QUESTIONS REPONSES Totaux

Connaissances Connaissances Connaissances Ignorance


exactes approximatives inexactes totale

1. Abel 168 200


0 (0 %) 0 (0 %) 32 (16 %)
KINGUE (84 %)

2. NGOSSO 158 200


2 (1 %) 1 (0,5 %) 39 (19,5 %)
DIN (79 %)

3. Charles 200
65 (32,5 %) 3 (1,5 %) 34 (17 %) 98 (49 %)
ATANGANA

4. Martin 126 200


11 (5,5 %) 0 (0 %) 63 (31,5 %)
Paul SAMBA (63 %)

5. Ahmadou 200
133 (66,5 %) 9 (4,5 %) 12 (6 %) 46 (23 %)
AHIDJO

6. André‐ 200
111
Marie 37 (18,5 %) 2 (1 %) 50 (25 %)
(55,5 %)
MBIDA

7. Félix 165 200


11 (5,5 %) 4 (2 %) 20 (10 %)
MOUMIE (82,5 %)

8. Pierre 135 200


20 (10 %) 9 (4,5 %) 36 (18 %)
MESSMER (67,5 %)

9. Ruben UM 106 200


72 (36 %) 1 (0,5 %) 21 (10,5 %)
NYOBE (53 %)

10. Rudolph 200


DOUALA 169
19 (9,5 %) 1 (0,5 %) 11 (5,5 %)
MANGA (84,5 %)
BELL

11. Ernest 176 200


3 (1,5 %) 2 (1 %) 19 (9,5 %)
OUANDIE (88 %)

14
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

12. Castor 200


159
OSSENDE 1 (0,5 %) 0 (0 %) 40 (20 %)
(79,5 %)
AFANA

Source : notre enquête

On peut observer plus distinctement la situation dans le graphique suivant :

Source : notre enquête

La constatation qui ressort du tableau et du graphique ci‐dessus est qu’au niveau de


l’identification visuelle des acteurs de l’histoire du NC, le niveau de connaissance des jeunes
d’âge scolaires est extrêmement faible. Cela peut se voir à travers la courbe violette
représentant l’ignorance totale dans le graphique. En effet, seule une figure de l’histoire du
NC sur les 12 proposées a été identifiée par plus de la moitié des élèves interrogés à savoir
133/200 élèves. Il s’agit d’Ahmadou Ahidjo. La seconde figure vient avec 72 identifications
exactes. Il s’agit de Ruben Um Nyobé. Il faut dire que les photos de ces deux acteurs figurent
effectivement dans les manuels d’histoire, principalement dans ceux du primaire. Les
réponses exactes apportées seraient donc liées à cela.

Au total, la place du nationalisme camerounais dans les auxiliaires pédagogiques d’histoire


est largement infime ; ce qui induit un très faible niveau de connaissance de ce nationalisme
chez les jeunes scolaires. Qu’est‐ce qui justifie une telle situation ?

Perspective théorique et enjeux

Pourquoi donc n’enseigne‐t‐on pas suffisamment l’histoire du nationalisme camerounais


dans les écoles et les universités alors qu’on sait que ce nationalisme a contribué largement
à l’évolution politique du Cameroun ? Cette question est d’autant plus pertinente que l’on sait
que l’un des objectifs de l’enseignement de l’histoire au Cameroun est de donner aux jeunes
scolaires « une plus grande conscience de leur identité18 » ; cela afin de produire socialement

18 C’est ce qui est écrit dans le préambule des programmes d’histoire de l’enseignement secondaire général.

15
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

des « citoyens patriotes, éclairés, fiers de leur identité19… » Comment peut‐on vouloir faire des
jeunes camerounais des patriotes tout en leur cachant la vie des Camerounais qui ont posé
des actes patriotiques en luttant pour l’indépendance de leur pays ? En fait, les programmes
et manuels d’histoire ne présentent qu’une seule version de l’histoire politique du Cameroun
et cette version occulte la lutte des nationalistes.

Cadre théorique

Pour mieux comprendre cette situation, il importe d’abord d’envisager une explication
théorique qui est la suivante : Au moment des indépendances des pays soumis au joug
colonial des grandes puissances occidentales, ces dernières ont institué un nouveau système
de rapport de domination qui leur permit de continuer à garder la main mise sur les matières
premières de ces pays comme ce fut le cas durant la période coloniale, cela avec la complicité
des dirigeants locaux (théorie du néocolonialisme, Kwamé Nkrumah, 1973). Pour éviter que
les populations autochtones ne se révoltent face à cette reconduction du système colonial, la
violence symbolique est utilisée à travers l’institution dans tous les domaines de la vie
nationale (politique, économique, social, culturel, éducatif, etc.) des mécanismes subtils de
domination. Ces mécanismes visent la réification de la conscience de ces populations, ce qui
permet de mieux les manipuler. L’ensemble de ces mécanismes subtils — pour ce qui est des
rapports postcoloniaux entre la France et ses anciennes colonies africaines dont le Cameroun
— a pour nom « Françafrique » (théorie de la Françafrique, François‐Xavier Verschave, 2004).

Ainsi, le capitalisme occidental, pour atteindre ses objectifs de domination et d’exploitation


dans les ex‐colonies, comme l’explique Jean Ziegler (1980, p. 28), détruit non seulement les
modes de production non capitalistes locaux ; il « liquide aussi l’univers culturel, les structures
motivationnelles autochtones ». Bref, il « détruit l’identité propre, la mémoire et l’histoire des
peuples de la périphérie ». Autrement dit, il réifie la conscience de ces peuples. Par conséquent,
dans ces pays exploités, l’école a fondamentalement pour but, en ce qui concerne
l’enseignement de l’histoire, la reproduction sociale des individus ignorants de leur passé
(théorie de l’école reproductrice Pierre Bourdieu et Jean‐Claude Passeron, 1970). Du coup,
l’histoire est enseignée à l’école non pas dans le but de construire une mémoire collective, et
partant, une véritable conscience et une identité nationale et culturelle, mais dans le but de
légitimer et de maintenir l’ordre de domination et d’exploitation existant. En effet, la mémoire
collective des peuples dominés est un réservoir de significations alternatives appelées « faits
culturels » (Amilcar Cabral)20. Chaque fait culturel comportant des significations pouvant
concourir à la construction nationale, à la construction de l’identité alternative et à la
conscience de résistance est paralysé, étouffé, rendu muet par la violence symbolique des
dominants (Amilcar Cabral, Op. Cit.).

Au Cameroun, l’État s’est même donné pour mission, pendant plus de trente ans, d’être le seul
rédacteur de l’histoire du Cameroun afin que les Camerounais ne sachent de l’histoire de leur
pays que ce que l’État a décidé qu’ils doivent savoir21 (théorie de l’État‐historien, Achille
Mbembé, 1989). À partir du présent cadre théorique, peuvent se dégager les enjeux.

19 Lire les états généraux de l’éducation, établis en 1998, et fixant les objectifs de l’école au Cameroun.
20 Amilcar Cabral, cité par Jean Ziegler, Mains basses sur l’Afrique, Paris, Seuil, 1980, p. 215.
21 Pendant une longue période au Cameroun (des années 1960 jusqu’au début des années1990), il était interdit,

même dans un cadre scientifique et de recherche, de parler de l’histoire du Cameroun et de ses acteurs,
principalement en ce qui concerne la période de la décolonisation. Lire le témoignage d’Achille Mbembé « L’État‐
historien », dabs Ruben Um Nyobé, Écrits sous maquis, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 9‐42.

16
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

Enjeux

Nos recherches — à travers des interviews réalisées auprès des chercheurs, enseignants,
inspecteurs pédagogiques et hommes politiques — nous ont permis d’avoir des éléments de
réponse à la question du pourquoi de l’absence quasi totale de NC dans l’enseignement de
l’histoire au Cameroun. En effet, la mémoire nationaliste du Cameroun renferme des enjeux
non seulement aux yeux de l’État camerounais, mais aussi aux yeux de l’État français. Car ces
deux États ont coopéré à la répression des revendications indépendantistes menées par les
nationalistes camerounais, et coopèrent encore, depuis 196022, à la définition du contenu des
programmes et des manuels d’enseignement du Cameroun. Cela dit, ces enjeux — au regard
de ce qui est ressorti des interviews que nous avons menées sur la question23 — se résument
ainsi : l’histoire du nationalisme camerounais renferme des vérités qui, si elles étaient
révélées à la jeunesse camerounaise, pourraient ébranler les fondements de l’État
camerounais et ceux de la domination française au Cameroun. En d’autres mots, relater cette
histoire serait faire un procès aux États camerounais et français. Pourquoi ?

En fait, il se trouve qu’au moment où le Cameroun francophone devait acquérir son


indépendance deux camps se sont formés parmi les Camerounais. On avait d’une part le camp
de ceux qui voulaient et revendiquaient l’indépendance du Cameroun, représenté par l’UPC
et une large majorité des Camerounais ; et d’autre part, le camp de ceux qui ne voulaient pas
du tout de cette indépendance, représenté par les collaborateurs de l’administration
coloniale française. Mais paradoxalement, c’est à ceux qui refusaient cette indépendance —
et qui combattaient avec acharnement les Camerounais qui la revendiquaient —, que la
France remit le pouvoir en 1960. Autrement dit, comme l’ont montré Achille Mbembé (1984
et 1989) ainsi que Thomas Deltombe et Al. (2011), la France attribua finalement
l’indépendance à ceux qui ne l’avaient jamais revendiquée et qui s’étaient même
farouchement opposés à son principe ; alors que, logiquement, cette indépendance et le
pouvoir qui en découlait devaient revenir aux nationalistes de l’UPC. Ce qui est un cas unique
dans toute l’histoire des décolonisations dans le monde entier.

Si donc les jeunes scolaires sont suffisamment imprégnés de ces faits historiques à l’école, ils
pourraient s’interroger sur la légitimité de ceux qui sont au pouvoir au Cameroun depuis
1960 et qui se disent être les « pères fondateurs » du Cameroun moderne ainsi que les
« artisans » de l’indépendance du Cameroun. En d’autres termes, ils réaliseraient que c’est
ceux qui n’ont pas lutté pour l’indépendance qui sont au pouvoir depuis 1960. Cela pourrait
expliquer les craintes des gouvernants camerounais, et justifier l’occultation et la falsification
du passé nationaliste du Cameroun.

Du côté de l’État français, l’enjeu est lié à l’image de la France dans le monde. Cela à cause de
la façon dont la France réprima les revendications indépendantistes au Cameroun. Elle usa
en effet — selon l’historiographie récente (films documentaires, ouvrages) —, de tous les

22 Le Cameroun acquit son indépendance le 1er janvier 1960 et signa de nombreux accords de coopération avec la
France sur pratiquement tous les plans de la vie nationale, dont sur le plan de l’éducation et celui de la culture.
23 Dans le but de comprendre, entre autres, les enjeux de la dévalorisation du nationalisme camerounais dans les

programmes et manuels d’histoire, nous avons interviewé des responsables et agents du système éducatif
camerounais (Inspecteurs pédagogiques, Inspecteurs généraux d’enseignement, enseignants…) des hommes
politiques, des politologues… À ces interviews, a été ajoutée la recherche documentaire visant à lire ce que les
autres chercheurs ont déjà dit sur la question.

17
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

moyens possibles pour anéantir politiquement et militairement l’UPC et ses partisans. Tandis
que l’armée française disposait des armes de guerre modernes (chars d’assaut, avions,
bombardiers, artillerie…), les combattants camerounais ne disposaient, pour se défendre, que
des machettes, des gourdins, des fusils de chasse… C’est ainsi que plusieurs centaines de
milliers de Camerounais (civils et combattants) furent massacrés par l’armée française24. La
France ne voudrait donc pas que l’on sache qu’elle fit la guerre à un pays africain avec des
armes sophistiquées, mais surtout à des Noirs quasiment désarmés ; et, qui plus est, dans un
territoire qui n’était pas sa colonie. Ainsi, officiellement, pour la France, il ne s’est rien passé
au Cameroun. Cette position de la France a été réitérée en mai 2009 lors de la visite du
Premier ministre français au Cameroun, François Fillon. Il affirmait alors ceci : « Je dénie
absolument que des forces françaises aient participé en quoi que ce soit à des assassinats au
Cameroun. Tout cela c’est de la pure invention25. »

Quoi qu’il en soit, au sujet de cet enjeu lié à l’image de la France, Ferdinant Chindji‐
Kouleu26 donne plus d’explications :

« La France a fait une guerre en cachette. Les Français ont caché ce qui se passait par honte.
Ils étaient gênés que le monde apprenne qu’ils font une guerre contre des Noirs. À l’époque,
on considérait les Noirs comme des sous‐hommes. C’était une guerre inégale et la France qui
venait de perdre en Indochine, a voulu l’étouffer par tous les moyens. Il y a eu des massacres
incroyables. Or, dans beaucoup de documents, on ne parle pas de guerre, mais de
“mouvements”, “d’actions”… Bref, c’est difficile pour la France d’assumer qu’elle a déployé de
l’artillerie lourde contre des gens armés de machette, de gourdin et de pistolets de petit
calibre27 […] »

En outre, en plus de ces enjeux idéologiques, on a pu recenser, pour l’État camerounais et


pour l’État français, des enjeux politiques, économiques et socioculturels28 :
 Au plan politique, les enjeux, pour le Cameroun et pour la France, sont un enjeu de
pouvoir : le maintien au pouvoir de ceux qui dirigent l’État camerounais, et le
maintien de la domination de la France sur le Cameroun.
 Au plan économique, l’enjeu pour l’État camerounais est la conservation des
privilèges et des profits économiques liés à gestion du pays, tandis que l’enjeu pour
l’État français est la conservation de sa main mise sur les richesses du sol et du sous‐
sol camerounais.
 Au plan social, les enjeux sont les mêmes pour l’État camerounais et pour l’État
français : le risque d’une prise de conscience collective au sein des masses

24 Une polémique existe encore sur le nombre de morts que causa la guerre d’indépendance au Cameroun. Lire
pour savoir Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre…, p. 20‐26. Cependant,
il reste que les victimes ont été très nombreuses.
25 Propos de François Fillon, Premier Ministre du gouvernement français, répondant aux questions des

journalistes lors de la conférence de presse donnée à l’IRIC (Institut des Relations Internationales du Cameroun)
à Yaoundé, le jeudi 21 mai 2009. Extrait du site de François Fillon, sur le lien : http://www.blog‐fillon.com/article‐
31879495.html
26 Enseignant‐chercheur aujourd’hui en retraite, Ferdinant Chindji‐Kouleu a le titre Professeur des Universités. Il

beaucoup travaillé sur l’histoire du Cameroun et est l’auteur de l’ouvrage Histoire cachée du Cameroun (2006).
Aussi, il a été un témoin direct de la guerre d’indépendance du Cameroun puisqu’il a été enrôlé de force dans les
rangs de la branche armée de l’UPC, appelée à l’époque ALNK (Armée de Libération Nationale du Kamerun).
27 Extrait d’une interview de Ferdinand Chindji‐Kouleu, dans le quotidien privé camerounais La Nouvelle

Expression, n° 2317 du jeudi 25 septembre 2008.


28 Tous ces enjeux sont issus des recherches que nous avons menées (Interviews, recherche documentaire).

18
SÉGNOU, Étienne. « Le nationalisme camerounais dans le programmes et manuels d’histoire : réalités et enjeux ».
HistoireEngagee.ca (16 avril 2014), [en ligne]. http://histoireengagee.ca/?p=4178.

camerounaises de tout ce qui s’est effectivement passé, ce qui pourrait entrainer des
révoltes, des soulèvements populaires, des insurrections, bref, des révolutions contre
l’ordre de domination existant.
 Au plan culturel, l’enjeu se situe au niveau de la France uniquement : la perpétuation
de la destruction de l’identité historique des Camerounais, ce qui entraine l’aliénation
culturelle et empêche par conséquent l’éclosion d’une conscience alternative au sein
des masses camerounaises.
Comme recommandations, nous avons proposé de revoir le contenu des programmes et des
manuels d’histoire en revalorisant la place du nationalisme camerounais ; c’est‐à‐dire en lui
donnant plus de visibilité quantitativement et qualitativement, et plus de légitimité. Car
vouloir bâtir un pays tout en oubliant ceux qui ont lutté pour sa libération c’est se lancer dans
une entreprise impossible. Et comme le disait Elie Wiesel, « un peuple sans mémoire est un
peuple sans avenir29 ».

Conclusion

Voilà donc la quintessence du travail de recherche que nous avons mené sur la question de la
place du nationalisme camerounais dans les programmes et manuels d’histoire. Jusqu’ici
aucun véritable travail scientifique, du moins à notre connaissance, n’avait encore été mené
sur cette problématique. Des travaux semblables ont été menés, mais en France, sur la place
de la colonisation et de la décolonisation dans les enseignements français. Les résultats ont
abouti à la même conclusion : même en France, il y a une volonté d’occulter les méfaits du
passé colonial français30. En d’autres termes, la France aussi a un problème avec son passé
colonial qui la hante, et qu’elle a par conséquent du mal à assumer31. Car ce passé colonial
renferme de nombreux massacres et atteintes aux droits de l’Homme, principalement pour
ce qui est de ses ex‐colonies d’Afrique32. Donc en définitive, l’intérêt du présent travail est
qu’il pose les premiers jalons scientifiques devant aider et guider les recherches futures sur
la question de l’enseignement de l’histoire du nationalisme camerounais dans les écoles et les
universités du Cameroun.

Pour en savoir plus

ABWA, Daniel. Cameroun : histoire d’un nationalisme (1884‐1961). Yaoundé, Clé, 2010, 412 p.

BENOT, Yves. Massacres coloniaux. 1944‐1950 : la IV République et la mise au pas des colonies
françaises. Paris, La Découverte, 2005, coll. « La Découverte Poche/Sciences Humaines et
Sociales », no 107, 224 p.

29 Citation tirée d’un documentaire télévisé sur la chaine Toute l’histoire.


30 Ces travaux sont disponibles sur le site de l’INRP. Il s’agit des travaux de Anne‐Marie Benhayoun, Gilles Boyer t
Benoit Falaize, « Colonisation et décolonisation dans les Programmes de l’école primaire (1995‐2002) » ; « La
colonisation et la décolonisation dans les manuels de l’École primaire 1996‐2007 » ; « La colonisation et la
décolonisation dans les apprentissages scolaires de l’école primaire », 2010.
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32 Lire Yves Benot, Massacres coloniaux, 1944‐1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises,

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