Descriptif Eaf 2023-2024

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DESCRIPTIF EAF PREMIÈRE GENERALE

OBJET D'ÉTUDE LE THÉÂTRE DU XVII ème AU XXI SIÈCLE

Spectacle et comédie

Oeuvre complète Parcours associé


Le Malade imaginaire Une lecture linéaire
Molière

Trois lectures linéaires Le mariage de Figaro Acte V scène 7


Beaumarchais
Acte II scène 5 La leçon de chant
Acte III scène 10 Toinette en médecin Lecture cursive
Acte III scène 12 Argan en mort
Le Mariage de Figaro
2

OBJET D'ÉTUDE : La littérature d’idées du XVIème au XVIIIème siècle

La comédie sociale

Oeuvre complète Parcours associé

Les Caractères
Une lecture linéaire
La Bruyère 1688
Trois lectures linéaires : Discours sur le bonheur, Extrait
commençant par :” Il faut pour être
Arrias heureux” Madame du Châtelet, 1779

Giton, (VI,83) page 160 Manuel

Phédon (VI,83) Lecture cursive


Candide, Voltaire, 1748
3

OBJET D'ÉTUDE : La poésie du XIXème siècle au XXIème siècle

Emancipations créatrices

Oeuvre complète Parcours associé


Cahiers de Douai

Rimbaud Une lecture linéaire

Trois lectures linéaires : L’amoureuse, Capitale de la douleur,


Eluard, 1926
- Ma bohème
- Les Effarés
- Le Dormeur du val
Lecture cursive

Paroles, Prévert, 1945


4

OBJET D'ÉTUDE : Le roman et le récit du XVIème au XXI ème siècle

Personnages en marge, plaisir du romanesque

Oeuvre complète Parcours associé

Manon Lescault,
Abbé Prévost, Une lecture linéaire
Trois lectures linéaires : L’Incipit

La rencontre Jacques le Fataliste et son maître,


Diderot
la lettre de Manon

La mort

Lecture cursive
Bérézina, Sylvain Tesson
5

TEXTE 1 Malade imaginaire Acte II scène 5

Cléante Belle Philis, c'est trop, c'est trop souffrir ;


Rompons ce dur silence, et m'ouvrez vos pensées
Apprenez−moi ma destinée :
Faut−il vivre ? Faut−il mourir ?

Angélique répond en chantant : Vous me voyez, Tircis, triste et mélancolique,


Aux apprêts de l'hymen dont vous vous alarmez :
Je lève au ciel les yeux, je vous regarde, je soupire,
C'est vous en dire assez.

Argan Ouais ! je ne croyois pas que ma fille fût si habile que de chanter ainsi à
livre ouvert, sans hésiter.

Cléante Hélas ! belle Philis,


Se pourrait−il que l'amoureux Tircis
Eût assez de bonheur,
Pour avoir quelque place dans votre coeur ?

Angélique Je ne m'en défends point dans cette peine extrême :


Oui, Tircis, je vous aime.

Cléante O parole pleine d'appas !


Ai−je bien entendu, hélas !
Redites−la, Philis, que je n'en doute pas.

Angélique Oui, Tircis, je vous aime.

Cléante De grâce, encor, Philis.

Angélique Je vous aime.

Cléante Recommencez cent fois, ne vous en lassez pas.

Angélique Je vous aime, je vous aime, Oui, Tircis, je vous aime.

Cléante (...)Mais, Philis, une pensée vient troubler ce doux transport :Un rival,
un rival...
6

TEXTE 2 Acte II scène 10

Toinette Donnez−moi votre pouls. Allons donc, que l'on


batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme
vous devez. Hoy, ce pouls−là fait
l'impertinent : je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est
votre médecin ?

Argan Monsieur Purgon.

Toinette Cet homme−là n'est point écrit sur mes


tablettes entre les grands médecins. De quoi dit−il que
vous êtes malade ?

Argan Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.

Toinette Ce sont tous des ignorants : c'est du poumon que vous êtes malade.

Argan Du poumon ?

Toinette Oui. Que sentez−vous ?

Argan Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

Toinette Justement, le poumon.

Argan Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux.

Toinette Le poumon.

Argan J'ai quelquefois des maux de coeur.

Toinette Le poumon.

Argan Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.


Toinette Le poumon.
Argan Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'était
des coliques.

Toinette Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?

Argan Oui, Monsieur.


7

Toinette
Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?
TEXTE 3 Le Malade imaginaire Acte III scène 12

Toinette s'écrie. Ah, mon Dieu ! Ah, malheur ! Quel étrange accident !

Béline Qu'est−ce, Toinette ?

Toinette Ah, Madame !

Béline Qu'y a−t−il ?

Toinette Votre mari est mort.

Béline Mon mari est mort ?

Toinette Hélas ! oui. Le pauvre défunt est trépassé.

Béline Assurément ?

Toinette Assurément. Personne ne sait encore cet


accident−là, et je me suis trouvée ici toute seule. Il
vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de
son long dans cette chaise.

Béline Le Ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d'un grand fardeau. Que tu es
sotte, Toinette, de t'affliger de cette mort !

Toinette Je pensois, Madame, qu'il fallût pleurer.

Béline Va, va, cela n'en vaut pas la peine. Quelle perte
est−ce que la sienne ? et de quoi servoit−il sur la terre ?
Un homme incommode à tout le monde,
malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le
ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de
mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit
servantes et valets.

Toinette Voilà une belle oraison funèbre.

Béline Il faut, Toinette, que tu m'aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire
qu'en me servant ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur
8

personne n'est encore averti de la chose, portons−le dans


son lit, et tenons
cette mort cachée, jusqu'à ce que j'aye fait mon affaire. Il y a des papiers(...)
9

TEXTE 4 Le Mariage de Figaro scène 7 Acte V

Le Comte prend la main de sa femme. Mais quelle peau fine et douce, et qu’il
s’en faut que la comtesse ait la main aussi belle !

La Comtesse, à part. Oh ! la prévention !

Le Comte. A-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces jolis doigts pleins de grâce et
d’espièglerie ?

La Comtesse, de la voix de Suzanne. Ainsi l’amour…

Le Comte. L’amour… n’est que le roman du cœur ; c’est le plaisir qui en est
l’histoire : il m’amène à tes genoux.

La Comtesse. Vous ne l’aimez plus ?

Le Comte. Je l’aime beaucoup ; mais trois ans d’union rendent l’hymen si


respectable !
La Comtesse. Que vouliez-vous en elle ?

Le Comte, la caressant Ce que je trouve en toi, ma beauté…

La Comtesse. Mais dites donc.

Le Comte. Je ne sais : moins d’uniformité peut-être, plus de piquant dans les


manières, un je ne sais quoi qui fait le charme ; quelquefois un refus, que sais-je
? Nos femmes croient tout accomplir en nous aimant : cela dit une fois, elles
nous aiment, nous aiment (quand elles nous aiment !), et sont si complaisantes,
et si constamment obligeantes, et toujours, et sans relâche, qu’on est tout surpris
un beau soir de trouver la satiété où l’on recherchait le bonheur.

La Comtesse, à part Ah ! quelle leçon !

Le Comte. En vérité, Suzon, j’ai pensé mille fois que si nous poursuivons
ailleurs ce plaisir qui nous fuit chez elles, c’est qu’elles n’étudient pas assez
l’art de soutenir notre goût, de se renouveler à l’amour, de ranimer, pour ainsi
dire, le charme de leur possession par celui de la variété.

La Comtesse, piquée. Donc elles doivent tout ?…

Le Comte, riant. Et l’homme rien. Changerons-nous la marche de la nature ?


Notre tâche, à nous, fut de les obtenir, la leur…

La Comtesse. La leur ?… Le Comte. Est de nous retenir : on l’oublie trop.


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TEXTE 5 Arrias

Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel,
et il se donne pour tel : Il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître
ignorer quelque chose. On parle, à la table d'un grand, d'une cour du Nord : il
prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente
dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des mœurs
de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes : il récite des
historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier
jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement
qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu
au contraire contre l'interrupteur. « je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien
que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France
dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais
familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance.
» Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait
commencée, lorsque l'un des conviés lui dit : « C'est Sethon à qui vous parlez,
lui-même, et qui arrive de son ambassade. »
Les Caractères, V, Arrias, La Bruyère,1688
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TEXTE 6 Giton

Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l'oeil fixe et assuré,
les épaules larges, l'estomac haut , la démarche ferme et délibérée . Il parle
avec confiance; il fait répéter celui qui l'entretient, et il ne goûte que
médiocrement tout ce qu'il lui dit. Il déploie un ample mouchoir et se mouche
avec grand bruit; il crache fort loin, et il éternue fort haut. Il dort le jour, il
dort la nuit, et profondément; il ronfle en compagnie. Il tient le milieu en se
promenant avec ses égaux; il s'arrête et l'on s'arrête, il continue de marcher et
l'on marche: tous se règlent sur lui. Il interrompt, il redresse3 ceux qui ont la
parole: on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi longtemps qu'il veut parler; on
est de son avis, on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez
s'enfoncer dans un fauteuil, croiser ses jambes l'une sur l'autre, froncer le
sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever
ensuite, et découvrir son front par fierté et par audace. Il est enjoué, grand
rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin4 , politique5 , mystérieux sur les
affaires du temps; il se croit des talents et de l'esprit. Il est riche.
Les Caractères, VI, 83, La Bruyère, 1688
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TEXTE 7 Phédon

Phédon a les yeux creux, le teint échauffé , le corps sec et le visage maigre; il dort peu
et d'un sommeil fort léger; il est abstrait , rêveur, et il a avec de l'esprit l'air d'un
stupide; il oublie de dire ce qu'il sait ou de parler d'événements qui lui sont connus; et,
s'il le fait quelquefois, il s'en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il conte
brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire. Il applaudit,
il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis; il court, il vole pour leur
rendre de petits services. Il est complaisant, flatteur, empressé; il est mystérieux sur ses
affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide. Il marche
doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre; il marche les yeux
baissés, et il n'ose les lever sur ceux qui passent. Il n'est jamais du nombre de ceux qui
forment un cercle pour discourir; il se met derrière celui qui parle, recueille
furtivement ce qui se dit, et il se retire si on le regarde. Il n'occupe point de lieu, il ne
tient point de place; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur les yeux pour
n'être point vu; il se replie et se renferme dans son manteau; il n'y a point de rues ni de
galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans
effort et de se couler sans être aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur le
bord d'un siège; il parle bas dans la conversation, et il articule mal; libre néanmoins
sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres
et du ministère. Il n'ouvre la bouche que pour répondre; il tousse, il se mouche sous
son chapeau; il crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour éternuer, ou, si
cela lui arrive, c'est à l'insu de la compagnie: il n'en coûte à personne ni salut ni
compliment. Il est pauvre.
Les Caractères, VI, 83, La Bruyère, 1688
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TEXTE 8 Discours sur le bonheur Madame du Châtelet

Il faut, pour être heureux, s'être défait des préjugés, être vertueux, se bien
porter, avoir des goûts et des passions, être susceptible d'illusions, car nous
devons la plupart de nos plaisirs à l'illusion, et malheureux est celui qui la
perd. Loin donc de chercher à la faire disparaître par le flambeau de la raison,
tâchons d'épaissir le vernis qu'elle met sur la plupart des objets; il leur est
encore plus nécessaire que ne le sont à nos corps les soins et la parure.

Il faut commencer par se bien dire à soi-même et par se bien convaincre que
nous n'avons rien à faire dans ce monde qu'à nous y procurer des sensations et
des sentiments agréables. Les moralistes qui disent aux hommes : réprimez vos
passions, et maîtrisez vos désirs, si vous voulez être heureux, ne connaissent
pas le chemin du bonheur. On n'est heureux que par des goûts et des passions
satisfaites ; [je dis des goûts], parce qu'on n'est pas toujours assez heureux
pour avoir des passions, et qu'au défaut des passions, il faut bien se contenter
des goûts. Ce serait donc des passions qu'il faudrait demander à Dieu, si on
osait lui demander quelque chose ; et Le Nôtre avait grande raison de
demander au pape des tentations au lieu d'indulgences.
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TEXTE 9 Ma bohème

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;


Mon paletot soudain devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.


Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!
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TEXTE 10 Les effarés

Noirs dans la neige et dans la brume,


Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits, - misère ! -
Regardent le Boulanger faire
Le lourd pain blond.
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils écoutent le bon pain cuire.
Le Boulanger au gras sourire
Grogne un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.
Quand pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche
On sort le pain,
Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,
Que ce trou chaud souffle la vie,
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,
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TEXTE 11 Le dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière


Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil de la montagne fière,
Luit : C'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,


Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme


Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;


Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
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TEXTE 12 L’Amoureuse

Elle est debout sur mes paupières


Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.

Elle a toujours les yeux ouverts


Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire

Capitale de la douleur, Eluard, 1926.


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TEXTE 13 Première rencontre entre Manon et Des Grieux

J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour
plus tôt ! j'aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que
je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge,
nous vîmes arriver le coche d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces
voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit
quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta
seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de
conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si
charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une
fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la
retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. J'avais le défaut
d'être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par
cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu'elle fût encore
moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui
demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de
connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents pour
être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était dans
mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui
parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus
expérimentée que moi. C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans
doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous
ses malheurs et les miens.

La rencontre, Extrait de la première partie de Manon Lescaut - L'abbé Prévost,


1731
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TEXTE 14 la lettre de Manon

Je te jure, mon cher chevalier, que tu es l’idole de mon cœur, et qu’il n’y a que toi
au monde que je puisse aimer de la façon dont je t’aime ; mais ne vois-tu pas, ma
pauvre chère âme, que, dans l’état où nous sommes réduits, c'est une sotte vertu
que la fidélité ? Crois-tu que l’on puisse être bien tendre lorsque l’on manque de
pain ? La faim me causerait quelque méprise fatale ; je rendrais quelque jour le
dernier soupir en croyant en pousser un d’amour. Je t’adore, compte là-dessus ;
mais laisse-moi, pour quelque temps, le ménagement de notre fortune. Malheur à
qui va tomber dans mes filets ! Je travaille pour rendre mon chevalier riche et
heureux. Mon frère t’apprendra des nouvelles de ta Manon, et qu’elle a pleuré de
la nécessité de te quitter. Je demeurai, après cette lecture, dans un état qui me
serait difficile à décrire car j’ignore encore aujourd’hui par quelle espèce de
sentiments je fus alors agité. Ce fut une de ces situations uniques auxquelles on n’a
rien éprouvé qui soit semblable. On ne saurait les expliquer aux autres, parce
qu’ils n’en ont pas l’idée ; et l'on a peine à se les démêler à soi-même, parce
qu'étant seules de leur espèce, cela ne se lie à rien dans la mémoire, et ne peut
même être rapproché d’aucun sentiment connu. Cependant de quelque nature que
fussent les miens, il est certain qu’il devait y entrer de la douleur, du dépit, de la
jalousie et de la honte. Heureux s’il n’y fût pas entré encore plus d'amour ! Elle
m’aime, je veux le croire ; mais ne faudrait-il pas, m’écriai-je, quelle fût un
monstre pour me haïr ? Quels droits eut-on jamais sur un cœur que je n’ai pas sur
le sien ? Que me reste-t-il à faire pour elle, après tout ce que je lui ai sacrifié ?
Cependant elle m’abandonne ! et l’ingrate se croie à couvert de mes reproches en
me disant qu’elle ne cesse pas de m’aimer ! Elle appréhende la faim. Dieu d’amour
! quelle grossièreté de sentiments ! et que c’est répondre mal à ma délicatesse !
« La lettre de Manon » Manon Lescaut, Abbé Prévost (1731)
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TEXTE 15 La mort de Manon, Extrait de la deuxième partie de Manon


Lescaut - Abbé Prévost, 1731

Pardonnez, si j'achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un


malheur qui n'eut jamais d'exemple. Mais, quoique je le porte sans cesse dans ma
mémoire, mon âme semble reculer d'horreur, chaque fois que j'entreprends de
l'exprimer.
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère
maîtresse endormie et je n'osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de
troubler son sommeil. Je m'aperçus dès le point du jour, en touchant ses mains,
qu'elle les avait froides et tremblantes. Je les approchai de mon sein, pour les
échauffer. Elle sentit ce mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle
me dit, d'une voix faible, qu'elle se croyait à sa dernière heure. Je ne pris d'abord ce
discours que pour un langage ordinaire dans l'infortune, et je n'y répondis que par
les tendres consolations de l'amour. Mais, ses soupirs fréquents, son silence à mes
interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les
miennes me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait. N'exigez point de
moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières
expressions. Je la perdis ; je reçus d'elle des marques d'amour, au moment même
qu'elle expirait. C'est tout ce que j'ai la force de vous apprendre de ce fatal et
déplorable événement.
Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point, sans doute, assez
rigoureusement puni. Il a voulu que j'aie traîné, depuis, une vie languissante et
misérable. Je renonce volontairement à la mener jamais plus heureuse.
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TEXTE 16 Jacques le Fataliste Incipit

Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment


s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain.
Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne
disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de
bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.
LE MAÎTRE.
C’est un grand mot que cela.
JACQUES.
Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d’un fusil avait son billet[1].
LE MAÎTRE.
Et il avait raison…
Après une courte pause, Jacques s’écria : Que le diable emporte le cabaretier et
son cabaret !
LE MAÎTRE.
Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n’est pas chrétien.
JACQUES.
C’est que, tandis que je m’enivre de son mauvais vin, j’oublie de mener nos
chevaux à l’abreuvoir. Mon père s’en aperçoit ; il se fâche. Je hoche de la tête ; il
prend un bâton et m’en frotte un peu durement les épaules. Un régiment passait pour
aller au camp devant Fontenoy ; de dépit je m’enrôle. Nous arrivons ; la bataille se
donne.
LE MAÎTRE.
Et tu reçois la balle à ton adresse.
JACQUES.
Vous l’avez deviné ; un coup de feu au genou ; et Dieu sait les bonnes et
mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins
que les chaînons d’une gourmette. Sans ce coup de feu, par exemple, je crois que je
n’aurais été amoureux de ma vie, ni boiteux.
LE MAÎTRE.
Tu as donc été amoureux ?
JACQUES.
Si je l’ai été !
LE MAÎTRE.
Et cela par un coup de feu ?
JACQUES.
Par un coup de feu.

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