Descriptif Eaf 2023-2024
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Spectacle et comédie
La comédie sociale
Les Caractères
Une lecture linéaire
La Bruyère 1688
Trois lectures linéaires : Discours sur le bonheur, Extrait
commençant par :” Il faut pour être
Arrias heureux” Madame du Châtelet, 1779
Emancipations créatrices
Manon Lescault,
Abbé Prévost, Une lecture linéaire
Trois lectures linéaires : L’Incipit
La mort
Lecture cursive
Bérézina, Sylvain Tesson
5
Argan Ouais ! je ne croyois pas que ma fille fût si habile que de chanter ainsi à
livre ouvert, sans hésiter.
Cléante (...)Mais, Philis, une pensée vient troubler ce doux transport :Un rival,
un rival...
6
Argan Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.
Toinette Ce sont tous des ignorants : c'est du poumon que vous êtes malade.
Argan Du poumon ?
Toinette Le poumon.
Toinette Le poumon.
Toinette
Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?
TEXTE 3 Le Malade imaginaire Acte III scène 12
Toinette s'écrie. Ah, mon Dieu ! Ah, malheur ! Quel étrange accident !
Béline Assurément ?
Béline Le Ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d'un grand fardeau. Que tu es
sotte, Toinette, de t'affliger de cette mort !
Béline Va, va, cela n'en vaut pas la peine. Quelle perte
est−ce que la sienne ? et de quoi servoit−il sur la terre ?
Un homme incommode à tout le monde,
malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le
ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de
mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit
servantes et valets.
Béline Il faut, Toinette, que tu m'aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire
qu'en me servant ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur
8
Le Comte prend la main de sa femme. Mais quelle peau fine et douce, et qu’il
s’en faut que la comtesse ait la main aussi belle !
Le Comte. A-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces jolis doigts pleins de grâce et
d’espièglerie ?
Le Comte. L’amour… n’est que le roman du cœur ; c’est le plaisir qui en est
l’histoire : il m’amène à tes genoux.
Le Comte. En vérité, Suzon, j’ai pensé mille fois que si nous poursuivons
ailleurs ce plaisir qui nous fuit chez elles, c’est qu’elles n’étudient pas assez
l’art de soutenir notre goût, de se renouveler à l’amour, de ranimer, pour ainsi
dire, le charme de leur possession par celui de la variété.
TEXTE 5 Arrias
Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel,
et il se donne pour tel : Il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître
ignorer quelque chose. On parle, à la table d'un grand, d'une cour du Nord : il
prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente
dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des mœurs
de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes : il récite des
historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier
jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement
qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu
au contraire contre l'interrupteur. « je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien
que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France
dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais
familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance.
» Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait
commencée, lorsque l'un des conviés lui dit : « C'est Sethon à qui vous parlez,
lui-même, et qui arrive de son ambassade. »
Les Caractères, V, Arrias, La Bruyère,1688
11
TEXTE 6 Giton
Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l'oeil fixe et assuré,
les épaules larges, l'estomac haut , la démarche ferme et délibérée . Il parle
avec confiance; il fait répéter celui qui l'entretient, et il ne goûte que
médiocrement tout ce qu'il lui dit. Il déploie un ample mouchoir et se mouche
avec grand bruit; il crache fort loin, et il éternue fort haut. Il dort le jour, il
dort la nuit, et profondément; il ronfle en compagnie. Il tient le milieu en se
promenant avec ses égaux; il s'arrête et l'on s'arrête, il continue de marcher et
l'on marche: tous se règlent sur lui. Il interrompt, il redresse3 ceux qui ont la
parole: on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi longtemps qu'il veut parler; on
est de son avis, on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez
s'enfoncer dans un fauteuil, croiser ses jambes l'une sur l'autre, froncer le
sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever
ensuite, et découvrir son front par fierté et par audace. Il est enjoué, grand
rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin4 , politique5 , mystérieux sur les
affaires du temps; il se croit des talents et de l'esprit. Il est riche.
Les Caractères, VI, 83, La Bruyère, 1688
12
TEXTE 7 Phédon
Phédon a les yeux creux, le teint échauffé , le corps sec et le visage maigre; il dort peu
et d'un sommeil fort léger; il est abstrait , rêveur, et il a avec de l'esprit l'air d'un
stupide; il oublie de dire ce qu'il sait ou de parler d'événements qui lui sont connus; et,
s'il le fait quelquefois, il s'en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il conte
brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire. Il applaudit,
il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis; il court, il vole pour leur
rendre de petits services. Il est complaisant, flatteur, empressé; il est mystérieux sur ses
affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide. Il marche
doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre; il marche les yeux
baissés, et il n'ose les lever sur ceux qui passent. Il n'est jamais du nombre de ceux qui
forment un cercle pour discourir; il se met derrière celui qui parle, recueille
furtivement ce qui se dit, et il se retire si on le regarde. Il n'occupe point de lieu, il ne
tient point de place; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur les yeux pour
n'être point vu; il se replie et se renferme dans son manteau; il n'y a point de rues ni de
galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans
effort et de se couler sans être aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur le
bord d'un siège; il parle bas dans la conversation, et il articule mal; libre néanmoins
sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres
et du ministère. Il n'ouvre la bouche que pour répondre; il tousse, il se mouche sous
son chapeau; il crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour éternuer, ou, si
cela lui arrive, c'est à l'insu de la compagnie: il n'en coûte à personne ni salut ni
compliment. Il est pauvre.
Les Caractères, VI, 83, La Bruyère, 1688
13
Il faut, pour être heureux, s'être défait des préjugés, être vertueux, se bien
porter, avoir des goûts et des passions, être susceptible d'illusions, car nous
devons la plupart de nos plaisirs à l'illusion, et malheureux est celui qui la
perd. Loin donc de chercher à la faire disparaître par le flambeau de la raison,
tâchons d'épaissir le vernis qu'elle met sur la plupart des objets; il leur est
encore plus nécessaire que ne le sont à nos corps les soins et la parure.
Il faut commencer par se bien dire à soi-même et par se bien convaincre que
nous n'avons rien à faire dans ce monde qu'à nous y procurer des sensations et
des sentiments agréables. Les moralistes qui disent aux hommes : réprimez vos
passions, et maîtrisez vos désirs, si vous voulez être heureux, ne connaissent
pas le chemin du bonheur. On n'est heureux que par des goûts et des passions
satisfaites ; [je dis des goûts], parce qu'on n'est pas toujours assez heureux
pour avoir des passions, et qu'au défaut des passions, il faut bien se contenter
des goûts. Ce serait donc des passions qu'il faudrait demander à Dieu, si on
osait lui demander quelque chose ; et Le Nôtre avait grande raison de
demander au pape des tentations au lieu d'indulgences.
14
TEXTE 9 Ma bohème
TEXTE 12 L’Amoureuse
J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour
plus tôt ! j'aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que
je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge,
nous vîmes arriver le coche d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces
voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit
quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta
seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de
conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si
charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une
fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la
retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. J'avais le défaut
d'être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par
cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu'elle fût encore
moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui
demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de
connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents pour
être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était dans
mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui
parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus
expérimentée que moi. C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans
doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous
ses malheurs et les miens.
Je te jure, mon cher chevalier, que tu es l’idole de mon cœur, et qu’il n’y a que toi
au monde que je puisse aimer de la façon dont je t’aime ; mais ne vois-tu pas, ma
pauvre chère âme, que, dans l’état où nous sommes réduits, c'est une sotte vertu
que la fidélité ? Crois-tu que l’on puisse être bien tendre lorsque l’on manque de
pain ? La faim me causerait quelque méprise fatale ; je rendrais quelque jour le
dernier soupir en croyant en pousser un d’amour. Je t’adore, compte là-dessus ;
mais laisse-moi, pour quelque temps, le ménagement de notre fortune. Malheur à
qui va tomber dans mes filets ! Je travaille pour rendre mon chevalier riche et
heureux. Mon frère t’apprendra des nouvelles de ta Manon, et qu’elle a pleuré de
la nécessité de te quitter. Je demeurai, après cette lecture, dans un état qui me
serait difficile à décrire car j’ignore encore aujourd’hui par quelle espèce de
sentiments je fus alors agité. Ce fut une de ces situations uniques auxquelles on n’a
rien éprouvé qui soit semblable. On ne saurait les expliquer aux autres, parce
qu’ils n’en ont pas l’idée ; et l'on a peine à se les démêler à soi-même, parce
qu'étant seules de leur espèce, cela ne se lie à rien dans la mémoire, et ne peut
même être rapproché d’aucun sentiment connu. Cependant de quelque nature que
fussent les miens, il est certain qu’il devait y entrer de la douleur, du dépit, de la
jalousie et de la honte. Heureux s’il n’y fût pas entré encore plus d'amour ! Elle
m’aime, je veux le croire ; mais ne faudrait-il pas, m’écriai-je, quelle fût un
monstre pour me haïr ? Quels droits eut-on jamais sur un cœur que je n’ai pas sur
le sien ? Que me reste-t-il à faire pour elle, après tout ce que je lui ai sacrifié ?
Cependant elle m’abandonne ! et l’ingrate se croie à couvert de mes reproches en
me disant qu’elle ne cesse pas de m’aimer ! Elle appréhende la faim. Dieu d’amour
! quelle grossièreté de sentiments ! et que c’est répondre mal à ma délicatesse !
« La lettre de Manon » Manon Lescaut, Abbé Prévost (1731)
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