Leprotvangiled 00 Aman

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 404

ΜΉΝ ΝΥ 2.) 4 B.

A
ΜΚ
MUSSMAIS. MM.[n"a
it D [ ΠῚ Eh14 Ie S94 NUNT MO Ma Wis
CES ral pis E gif 4 P A
SUELE T RA Y
Hy
Mw
Tiros ji dons Ton Wh
noon: Ἷ, P ir En HET
DATE
MN ὙΠDIR 3 IU WW EHMieten
TM VE fh : ἵ
ῬΕῚ où “ἐδ HMM 2
οὐ "nld:
* ORNE ΜῊΝ
Wd H Wi ἫΝ A
ΤΗΝ DR I VI)
i ROPA d ᾿ V $ HHORI
DOSE ti get fisur
dlἪ
, H Dre
ΩΡ UNITS Font
d ji TM RED
à NS M
Tots At MONTE IEEE i [ueitn !
IESU
t ὙΜ
; ΉΝ ΤΎΝῚ WR
Ί iy D
An 5 M I
” nte run
hu
MN IM due Ν᾽ Js ΝΥΝ NOE ATIS
ΠΡ tss Hi OE UE HET PERI
LR EDU
Wii
i
VUES
ή
reTN
BED
AE EN
JUAN
CHM MAT
Η ΜΝ í BITE
MM
Tat Wal eb,
patrie el MM
Mise
| TENTI AUTOS, Hii M ᾿
ENS nu
MNT *l Wy DE
HMYU ᾿ HP M ZEE
Aa Nain mU ^ In + Ü ΐ ΔΗ wl a A DOE

n" ἧς m"
rh fiiis
^ ;
: AUTRE
HD " is d^ ἀν ἐν

E PE
iti
TTE detta
SPUR RUNI

PRAGUE DEL
IM ῊΝ
H CAT

NER CNE NE
ἮΝ uni

TAPA
V yiiiAy HE) WW
TRINMONT TN YE
j ἤν τὴν τῷ
ΤΩΝ
di 1
"yr

DUIἣν
"t
i , H
ἮΝ (al
duy hiTI
ἡb

ME EPI, ,i] ! Á Tit, MIRA 504 1») js


HW | he E id, (IM H $ { FOIE
ΜΕΥ xn Ἢ ᾿ "n
io : (52413 M

HT UE ; wit ΠΗ TES
d KA ! PMR LEM ἀπ} PUR j
ὙΜΉΝ, AT tus | Ib | f TAN A E
HP ; ii Hp ; {|| TNAM
1s] T
MCN v
TntΜΉΝ
ik ΠΣ ΓΕῪ
breit

Tho
! HAUT
MENTI
ΒΗ
iw |
PA
(edwsiite ὅλ. D HA ina
"iOPAC
HL yi; i 1
1 NN, TANT
M r
iate
Hr PHMr᾿|
inc tete AA ON
i! DNI
tpe POR
ELEM
1 HIS "s OIM ITEbe M
MeΜΗ D MEAN
HAE | i [ NN CARPE TEE ial
j RER: Meis
; MIT AT Weir JU
[LEERDEDI
in 2010 with funding from
University of Ottawa
27

e M d .

| http://www. arch ive.org/details/ leprotvangiledO0ama


^.
"m

à
LE

PROTÉVANGILE DE JACQUES
DOCUMENTS

POUR SERVIR A L'ÉTUDE DES ORIGINES CHRÉTIENNES

LES

APOCRYPHES
DU

NOUVEAU
| | y ) TESTAMENT
IPTOMI At

PUBLIÉS SOUS LA DIRECTION DE

J-cBOUSOI. B
CE-RECTEUR DE L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS

ET

E. AMANN
UR EN THÉOLOGIE, LICENCIÉ ÈS LETTRES

PARIS
LETOUZEY ET. ANE, ÉDITEUR
76 BIS, RUE DES SAINTS-PÈRES
1910
LES APOCRYPHES DU NOUVEAU TESTAMENT

J. BOUSQUET et E. AMANN

PROTEVANGILE DE JACQUES
SES REMANIEMENTS LATINS

INTRODUCTION

TEXTES, TRADUCTION ET COMMENTAIRE

PAR

ÉMrLE A MANN
DOCTEUR EN THÉOLOGIE, LICENCIÉ ÈS LETTRES

AUMONIER AU COLLÈGE STANISLAS

PARIS
PREOUZEY ET ANE, ÉDIPBEUXKS
76 BIS, RUE DES SAINTS-PÈRES
1910
NIHIL OBSTAT

Parisiis, die 31 januarii 1910

J. LEBRETON

IMPRIMATUR

Parisiis, die 1° februarii 1910

A. BAUDRILLART,
V. G., RECT.

FEB 29 1060
- -< = Ξ ἘΞ © E ΕΞ

PROFESSE UR DE PATROLOGIE

L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS

(1902-1905)
AVANT-PROPOS

Le Protévangile de Jacques occupe une place à part


parmi les Apocryphes du Nouveau Testament. ll est, sans
contredit, l’un des plus anciens; et, grâce à son respect
scrupuleux de l’orthodoxie, il a mérité d'exercer une
grande influence aussi bien dans l’Église latine que dans
les Églises orientales. Les légendes vénérables qu’il a mises
en circulation, et qui forment la source presque unique
de toutes les vies de la Vierge, se sont incorporées, plus
ou moins rapidement suivant les pays, à l’enseignement
ordinaire des docteurs. Il ne peut pas être indifférent à
un théologien d'aujourd'hui de constater la grande place
que la Vierge a tenue dés le r1? siècle dans la piété popu-
laire, de suivre pas à pas dans les textes les transforma-
tions progressives des concepts primitifs, de voir la dévo-
tion à l'endroit de la Mère de Dieu se faire, avec les siècles,
plus délicate et plus tendre. C'est ce que nous avons
essayé de montrer, soit dans l'introduction, soit dans le
commentaire, et nous avons pensé que le meilleur moyen
d'y aboutir était de mettre sous les yeux du lecteur le
plus grand nombre possible de textes.
A défaut des théologiens, nous espérons du moins inté-
resser les exégètes et les liturgistes. Peut-être jugeront-
ils curieuse la maniére dont on a exploité, dans le passé,
les éerits bibliques, et pittoresque la facon dont les textes
apocryphes ont su franchir les portes du sanctuaire, Il
n’est pas jusqu'à l'histoire de l'art, qui ne trouve intérêt
VIII AVANT-PROPOS

à étudier d’un peu près les sources des légendes qui ont,
pendant plusieurs siècles, soit à Byzance, soit en Occident
inspiré les artistes chrétiens. Nous avions songé tout
d'abord à indiquer dans une note l'influence de nos textes
sur liconographie mariale. La complexité du sujet a
fait reculer notre incompétence. Le lecteur qui voudrait
prendre une idée de la question trouverait de nombreux
matériaux dans le volumineux ouvrage de Rohault de
Fleury sur /a Sainte Vierge, et une première orientation
dans les livres de M. Broussolle. Un chapitre de M. Male,
dans L'art religieux du XITIE siècle en France, étudie d'une
manière approfondie un des points particuliers du sujet.
Le texte que nous publions est celui de Tischendorf;
nous avons ajouté en notes les variantes les plus impor-
tantes, négligeant toutes celles qui étaient purement
verbales. Il ne pouvait être question, dans une étude
comme celle-ci, de faire la collation et le classement des
nombreux manuscrits non encore édités. Du reste l'accord
général du texte de Tischendorf avec la version syriaque,
plus ancienne que tous nos manuscrits, est une preuve
que nous lisons le Livre de Jacques à peu prés comme le
faisaient les chrétiens du v? siècle. On en jugera par la
comparaison des variantes du Syriaque avec le texte grec
actuel. Le texte latin des remaniements est beaucoup
moins facile à établir; un travail analogue à celui de
M. Bonnet sur les Actes apocryphes des Apótres s’impose-
rait ici. — Nous avons fait passer dans nos explications
la substance des notes des précédents éditeurs. Le plus
récent des commentaires, celui de Meyer, nous a été
particulièrement utile; si parfois nous avons cru devoir
nous en écarter, ce n'a pas été sans motifs sérieux: lelec-
teur en jugera.
En publiant ce premier volume des Apocryphes du
Nouveau Testament, ce nous est un devoir bien agréable
de remercier tous ceux qui nous ont aidé de leurs conseils
et de leur expérience. MM. Bousquet et Francois Martin,
nous ont été d'un précieux secours. Mais nous avons des
AVANT-PROPOS . —. IX

aître au Séminaire de Nancy et à l’Institut catholique


_ Paris. C'est à lui, à sa connaissance approfondie des
maines les plus divers de la science ecclésiastique, à

atitude. :

| ue, Paris, le 8 février 1910.

Emile AMANN.
ADDENDA ET CORRIGENDA

p. 12, note 1, au lieu de : ὃ οὐχ ἐξ αἱμάτων; lire : ὃς οὐχ ἐξ αἱμάτων.


p. 42, note 3, ligne 3, au lieu de: ἐπονομάσθη; lire : ἐπωνομάσθη.
p. 62, note 1, lire : Geschichte des jüdischen Volkes, t. 11, 2€ édition, 1898,
p. 20.
p. 73, ligne 22. — Grâce à l'extréme obligeance de M. E. Rostagno,
conservateur des mss. à la Bibliothéque Laurentienne, nous sommes
en mesure d'identifier le ms. 5 de Tischendorf.C'est le Codex Lauren-
tianus- Gaddianus 208. (Cf. Bandini, Catalog. suppl., t. 11, p. 203-204.)
Voici le résumé de la description, qu'a bien voulu en faire pour nous
M. Rostagno.—Manuscrit en parchemin, x1v* siècle, 61 folios anciens,
précédés de 4 [05 récents; 16 centimètres sur 12. Du manuscrit pri-
mitif 1] manque le premier f? du premier cahier, et le deuxième ca-
hier tout entier, d’où une différence entre la numérotation ancienne
et la numérotation récente. — Le manuscrit renferme deux écrits,
un premier traité dont le titre a disparu avec le premier f°; et fo 57*
le Transitus beatæ Mariz Virginis. Le titre du premier traité peut
être restitué, au moins par conjecture, grâce à l’eplicit qu'on lit
Io 57* : Explicit summa seu liber de Creatione mundi et Angelorum
et de pueritia Christi et aliorum multorum bonorum. Amen. C'est une
farrago qui commence par l'exposé du dogme de la Trinité, et raconte
l'histoire sommaire de la création, celle des anges, ete. Voici les titres
de quelques chapitres : de principio mundi, de angelis, de ordinatione
mundi,.. de gloria et beatitudine hominum,... de septem vitiis capi-
talibus,... de die judicii... de penis inferni, de gloria paradisi, de divi-
nis officiis,... de officio lamentationum, de ordine missarum et earum
significatione. C'est à ce dernier chapitre que se relie sans aucune
transition, comme un simple chapitre du traité précédent,le texte de
Pseudo-Matthieu, f? 29r, 7n diebus illis erat eir in Jerusalem nomine
Joachim. L'histoire se termine f? 57'. Sanctus apostolus et evangelis-
ta Joannes manu sua scripsit hunc libellum ebraycis litteris consi-
gnatum, quem Jeronimus doctor ille perspicuus hoc opus de ebrayco
in latinum deduxit.
p. 93, ligne 22, au lieu de: rv? siècle; lire: ri? siècle.
p. 113, note 1, dernière ligne, au lieu de : xxrir; lire : 23,
p. 136, note 1, ligne 10, lire : θεουήτορ᾽ ὀγδόη "Avva,
p. 156, ligne 12, ajouter : S. Thomas, Summa theol., ITI, q. xxxv, a. v, 3,
PROTÉVANGILE DE JACQUES

mentionne le Liber de ortu Salvatoris, qu'il déclare d'ailleurs apo- -


cryphe.
p. 234, ligne 7, τὸ γὰρ ἐν αὐτῇ ὄν, c'est la leçon de Fa et H. — A, Cli-
sent: γεννηθέν; B, 1 : τὸ ἐξ αὐτῆς γεννώμενον; L:50 ἐξ αὐτῆς γεγεννημένον.
p. 265, commentaire, ligne 21, et page 266, texte, ligne 3, au lieude:
διάφαυνα: lire : διάφαυμα,
p. 266, ligne 6, au lieu de : 72:52»; lire :ἤδεισαν,
p. 919, commentaire, ligne 10. Le Talmud de Jérusalem, Sota, τ,
4-6; 11 ; rr, 1-5 ; v, 1, décrit minutieusement les cérémonies de l'é-
preuve. On n'y trouve nulle part d'allusion à cette particularité
que l'homme soupconné devait faire sept fois le tour de l'autel. Ce
peut étre une déformation légendaire d'une cérémonie primitive.
ΝΘ

INTRODUCTION
— FQ AS

CHAPITRE PREMIER

ANALYSE DES TEXTES

On trouvera dans le présent volume, édités d’après Tis-


chendorf !, le texte grec du Protévangile de Jacques et les
remaniements latins qui l'ont remplacé en Occident. Une
connaissance sommaire du contenu de ces divers textes est
indispensable pour l'étude des doctrines qui y sont ren-
fermées, Ce sera notre excuse si nous proposons, aussitót
aprés l'analyse du texte primitif, celle des textes latins,
dont l'histoire aurait dû être reportée au chapitre 111 de
cette introduction.

1. Le Protévangile de Jacques.

Le Protévangile de Jacques rentre dans la catégorie des


Évangiles apocryphes de l'enfance qui prétendent combler
à l'aade d'emprunts faits à la tradition ou à la légende, et
même à l'aide de simples fictions, les lacunes des Évangiles
canoniques. On a coutume de désigner sous ce titre, depuis
le xvi? siécle, une histoire sommaire des événements qui
ont précédé, accompagné ou suivi immédiatement la
naissance de Jésus. L'ensemble du texte se laisse en effet
diviser en trois parties d'inégale longueur. La premiére,
de beaucoup la plus longue, comprend les chapitres r-xvz ;

1. Evangelia apocrypha, editio altera, Lipsiæ, 1876.


PROTÉV. — |

Em
2 ANALYSE DES TEXTES

la seconde s'étend de xvir à xxr; la troisième va de xxi


à xxiv. Le chapitre xxv forme un très court épilogue.
La première partie, 1-xv1, raconte l’histoire dela vierge
Marie, Mère de Jésus, jusqu'au moment dela nativité du.
Sauveur.
1-111 nous présentent les parents de Marie, Joachim et
Anne, saints personnages, riches et considérés, mais qui
souffrent cruellement den'avoir point d'enfant. Humihié
pour ce fait lors d'une cérémonie au temple, Joachim s'est
retiré au désert. Anne demeurée seule à la maison se la-
mente et supplie le Seigneur dela prendre en pitié. —
1v, 1. Sa prière est exaucée : un ange lui apparait et lui
annonce qu'elle va devenir mére; 1v, 2-4, Joachim, pré-
venu lui aussi par un ange, s'est décidé en effet à regagner
le domicile conjugal.
v, 1-2. Aussi bien, Joachim est maintenant assuré que le
Seigneur lui sera propice. Dans les délais ordinaires, Anne
met au monde une fille et lui donne le nom de Marie. —
vi. L'enfant grandit, entourée de soins extraordinaires,
destinés à la défendre contre toute impureté; divers pré-
sages montrent à quelle gloire éminente elle doit s'élever
un jour. — vri. Mais quand elle a atteint l’âge de trois ans,
les parents songent à accomplir le vœu qu'ils ont fait, de
consacrer au Seigneur l'enfant qui leur naitrait. Marie est
conduite au temple, et monte toute seule les degrés de
l'autel.
viri, 1, décrit très brièvement son genre de vie dans le
temple. — 2-3. Mais la Vierge a maintenant douze ans
accomplis; 1l est impossible de la conserver plus long-
temps si près du sanctuaire. Sur le conseil de ses collègues
dans le sacerdoce,le grand-prétre Zacharie consulte l' oracle
dans le Saint des Saints. Il faut, répond le Seigneur, ras-
sembler tous les veufs d'Israél; un signe montrera à qui
d'entre eux doit étre confiée la Vierge. — 1x, 1-3. C'est
Joseph le charpentier qui est désigné pour recevoir en sa
garde la Vierge du Seigneur; malgré ses résistances 1] est
PROTÉVANGILE DE JACQUES 3
pod
SRM
obligé d'obéir aux injonctions du grand-prêtre, et il em-
SF
J*Ki
NS
<,

mène Marie dans sa maison, où illa laisse seule, tandis que


lui-même s'en retourne à ses travaux de construction.
x, 1-3. Sur les entrefaites, Marie est chargée par les pré-
tres de filer la pourpre et l'écarlate, destinées au voile du
sanctuaire, — x1, 1-3. C'est au milieu des modestes occupa-
tions du ménage qu'elle recoit, d'abord la salutation, puis
la visite de l'ange qui vient lui annoncer sa divine mater-
nité. La scène de l'annonciation est fort brièvement ra-
contée, comme aussi, x11, 1-3, celle de la visitation.
xii, 1-3. Cependant Joseph, revenu de ses travaux,
découvre la situation de Marie, et se livre au plus violent
désespoir ; la Vierge interrogée par lui ne sait que protester
de son innocence, et se dérobe à toute explication. —
xiv, 1-2. Les perplexités de Joseph en sont augmentées;
mais l'ange du Seigneur lui apparait en songe et l'instruit
du mystére de la conception virginale.
xv-xvi. Une indiscrétion du scribe Annas a fait connai-
tre au sacerdoce officiel l'état de Marie. Les deux fiancés
ont donc, ce semble, manqué gravement à leurs obligations;
ils sont cités devant le tribunal du grand-prétre. Comme
ils protestent tous deux de leur innocence, le pontife les
soumet à l'épreuve des eaux améres qui doit dénoncer le
coupable. Elle tourne à leur avantage ; le grand-prétre,
n'osant les condamner, les renvoie en paix; Joseph et
Marie rentrent dans leur maison.
La deuxième partie, xvii-xx1, est consacrée à décrire la
naissance de Jésus et les circonstances merveilleuses qui
l'aecompagnent.
xvitr, 1-xviir, 1. Au moment où approche le terme de
Marie, parait l'édit d'Auguste ordonnant d’inscrire tous
les habitants de Bethléem. Josephet Marie se mettent en
route; ils ne sont pas à mi-chemin, que la Vierge sentant
sa délivrance imminente demande à Joseph de s'arréter.
L'endroit est désert, une grotte se rencontre à propos oü
Marie peut s'abriter.
4 ANALYSE DES TEXTES

xvii, 2-xix, 1. Joseph est parti à la recherche d'une


sage-femme; mais il est témoin en route d'un prodige sur-
prenant. Tout à coup et durant quelques instants,la vie de
l'univers tout entier se trouve comme suspendue; puis les
choses reprennent leur cours normal. Joseph rencontre
enfin la femme qu'il cherchait, et tout en la conduisant
vers la grotte, il lui dévoile le mystére de la conception de
Marie.
xix, 2-xx, 4. Au moment où ils arrivent à la grotte, c'est
l'heure de l'enfantement divin; la sage-femme n'a pas
besoin d'autres preuves pour croire à la naissance virginale
de l'enfant. Mais une autre femme, Salomé, qu'elle ren-
contre et à qui elle veut faire partager sa conviction, de-
mande pour croire des preuves plus tangibles. Son incré-
dulité et son indiscrétion sont punies; toutefois son repen-
tir, le rappel de ses bonnes ceuvres lui valent presque aussi-
tót sa guérison; elle sort de la grotte de la nativité en
glorifiant le Seigneur.
xxr, 1-4, n'est qu'un abrégé de saint Matthieu, 11,
1-12 : arrivée des mages à Jérusalem, puis à Bethléem;
avertis en songe de ne point retourner vers Hérode, les
mages rentrent dans leur pays par un autre chemin.
La troisième partie, xxi1-xx1v, raconte le massacre des
Innocents et le meurtre par Hérode du grand-prétre Za-
charie.
xxir, 1-3. Hérode, furieux d'avoir été trompé par les
mages, ordonne le massacre des enfants (de Bethléem ?).
Marie prévenue à temps cache Jésus dans la créche des
bœufs. Élisabeth, mère de Jean-Baptiste, connaissant elle
aussi l'approche des meurtriers, s'enfuit dans la montagne
où elle trouve miraculeusement un abri.
xxir1, 1-3. Cependant Hérode fait activement rechercher
Jean-Baptiste et le demande à son pére, le grand-prétre
Zacharie. Celui-ci ne sait pas, ou ne veut pas dire ce qu'est
devenu son fils; il est tué durant la nuit par les sicaires
d' Hérode.
LES REMANIEMENTS LATINS 5

xxiv, 1-4. Le lendemain matin, les prétres sont inquiets


de ne pas voir paraître Zacharie à l'heure accoutumée ;
l'un d'eux s'enhardit jusqu'à pénétrer dans le sanctuaire;
il y découvre le sang coagulé du grand-prétre, et une voix
mystérieuse l’avertit de ce qui s'est passé. Trois jours
aprés, le grand deuil terminé, on élit à la place de Zacharie
le vieillard Siméon.
Le chapitre xxv est un court épilogue où l’auteur du
livre est censé donner son nom et des renseignements sur
les circonstances de la composition de l’ouvrage.

2. Les remaniements latins.

Nous aurons à rechercher plus tard les raisons qui ont


empêché le Protévangile de Jacques de s’acclimater tel
quel dans l'Occident latin. Qu'il nous suffise de dire que
d'assez bonne heure la légende grecque s'est transformée
en un récit latin, que nous désignerons avec Tischendorf
sous le titre d? Éeangile de Pseudo- Matthieu. Un remanie-
ment postérieur de ce texte a donné naissance à une légende
beaucoup plus sommaire, l' Évangile de la nativité de Marie
(De nativitate Mariz). Analysons brièvement ces deux
textes.
1. Évangile de Pseudo- Matthieu. Tel que Tischendorf
l'a restitué, cet écrit se présente comme le résultat de la
fusion de plusieurs textes originaux indépendants. La
première partie, 1-xv11, reproduit dans ses grandes lignes
le Protévangile, avec des additions et des suppressions
caractéristiques; la seconde, xvir-xxiv, consacrée à dé-
crire la fuite en Égypte, est un remaniement d'un texte
original encore inconnu, mais dont l'Évangile arabe de
l'enfance offre une recension célèbre ; la troisième partie,
xxv-xLir, rapporte les miracles accomplis par Jésus ado-
lescent. Elle traite en somme le méme sujet que l' Évan-
gile de Thomas, le philosophe israélite, sur l'enfance du
6 ANALYSE DES TEXTES

Seigneur. Ces deux derniers cycles n'ayant rien à faire


avec le sujet que l'on étudie ici, nous les laisserons doré-
navant complètement de côté,
La première partie de Pseudo-Matthieu reproduit,
disons-nous, les grandes lignes du Protévangile. Dans le
texte rétabli par Tischendorf, elle se donne comme le livre
de la naissance de la bienheureuse Marie et de l'enfance du
Sauveur, écrit en hébreu par le bienheureux évangéliste
Matthieu, et traduit en latin par le bienheureux Jéróme
prétre. De quoi témoignent d'ailleurs deux lettres con-
servées en téte de la légende.
1-v rapportent les circonstances qui précèdent et accom-
pagnent la naissance de Marie, C'est le théme du Proté-
sangile, à cette différence près que le séjour de Joachim
au désert dure beaucoup plus longtemps, que l'appari-
tion de l’ange à Joachim, simplement indiquée dans l'ori-
ginal, est développée en un long chapitre, et qu'une atten-
tion plus particulière est accordée à la rencontre d'Anne
et de Joachim, rencontre toujours rattachée désormais
à la Porte d'Or.
vi-vir. Le séjour de Marie dans le temple et ses occu-
pations sont décrits avec une complaisance toute parti-
culière. Par une anecdote qui lui est propre, et qui
cadre d'ailleurs assez mal avec le théme général de son
modèle, l'auteur met en évidence le vœu de virginité de
Marie, et lui fait plaider avec éloquence la cause de la
chasteté perpétuelle.
vin, Cette détermination de la Vierge cause aux pré-
tres un grand embarras. L'oracle divin leur indique à
quel signe on reconnaítra celui qui doit recevoir en sa
garde cette vierge trés pure. Une épreuve analogue à celle
du Protéeangile est instituée ; mais une première fois
elle ne réussit pas, Joseph, l’élu de Dieu, ayant négligé de
s’y soumettre complètement. Il est finalement désigné
par le miracle attendu et accepte d'emmener la Vierge
en sa maison, à une condition toutefois, c'est qu'on lui
LES REMANIEMENTS LATINS 7

adjoindra des jeunes filles de son âge et de son rang


qui pourront lui tenir compagnie.
ix-x11. La scène de la double annonciation à la Vierge
est brièvement rapportée, Joseph de retour au logis cons-
tate l’état de Marie, mais n’ose interroger la Vierge elle-
même. Les explications des compagnes de Marie sont loin
de le rassurer, et 1] se décide, non plus comme dans saint
Matthieu (τ, 19) ou dans le Protévangile à renvoyer la
Vierge, dans le plus grand secret, mais à fuir lui-méme en
un lieu retiré. L'ange le rassure ; Joseph fait part à Marie
et à ses compagnes de la vision qu'il a eue et implore son
pardon. Cependant les deux fiancés sont convoqués de-
vant le grand-prétre, qui a entendu parler dela situation
de Marie. L'épreuve des eaux amères, décrite assez
longuement, tourne à leur justification, et donne à Marie
une occasion nouvelle de parler de son vœu de virginité.
xir-xvir rapportent les circonstances de l'enfante-
ment virginal. Comme dans le Protévangile, Marie trouve
abri dans une grotte, est visitée par deux sages-femmes,
dont l'une a de suite la foi, tandis que l'autre reste incré-
dule. Mais, dans son désir de concilier les données du
Protévangile avec celles de saint Luc (11, 1-20), l'auteur
fait changer de place à Marie le troisième jour après la
naissance du Sauveur. Elle quitte la grotte dela nativité
pour entrer dans une étable, et dépose dans la créche le
saint enfant, Suit la narration sommaire de la circoncision,
de la purification et de la présentation de Jésus au temple,
Les mages n'arrivent que postérieurement (le texte est
incertain et difficile à établir). Joseph, informé en songe
des projets homicides d'Hérode, part pour l'Égypte par
la route du désert, C'est la transition toute naturelle à
l'histoire des prodiges qui marquent le voyage et le séjour
de la Sainte Famille sur une terre paienne, :
2. L' Évangile de la Nativité de Marie a un caractère
très différent. Tandis que Pseudo-Matthieu se plaisait à
amplifier les légendes du texte original, on sent chez l’au-
4>

8 ANALYSE DES TEXTES

teur de ce très court récit une sobriété voulue, qui lui fait
élaguer des textes antérieurs tout ce qui ne va pas à son
but, tout ce qui dans les récits précédents peut choquer la
bienséance, telle, du moins, que lui-même la comprend.
En dix chapitres assez courts 1] esquisse une biographie
de la Vierge jusqu'au moment de l'annonciation, aprés
quoi il juge sa tâche terminée ; les évangiles canoni-
ques sont suffisants pour nous apprendre les circons-
tances de la nativité du Sauveur. Le titre De nativi-
tate Mariz, proposé par Tischendorf, convient donc trés
bien à cet opuscule.
1-11 présentent les parents de la Vierge, décrivent leur
tristesse de ne point avoir d'enfant, la retraite de Joachim
au désert.— 111-1V. Un ange appparaît à Joachim d'abord,
à Anne ensuite pour leur annoncer la naissance d'une fille,
qu'ils devront appeler Marie. Dès son Jeune âge elle devra
être consacrée au Seigneur, car elle est réservée dés main-
tenant à l'honneur d'enfanter le Sauveur du monde. —
v. La rencontre des deux époux a lieu, à la Porte d'Or,
c'est le signe auquel ils reconnaissent que la parole de
l'ange s'accomplira. — vi-viri. À l’âge de trois ans la Vierge
est présentée au temple; deux lignes suffisent pour y
caractériser sa conduite. À quatorze ans, quand les prêtres
veulent la marier, elle répond simplement qu'elle ἃ voué
sa virginité au Seigneur. Les prétres sont tirés d'embarras
par l'oracle divin, qui, finalement, désigne Joseph, comme
celui qui doit épouser la Vierge. Les fiancailles célébrées,
Joseph retourne à Bethléem sa ville natale, tandis que
Marie, accompagnée de sept Jeunes filles, rentre en Galilée
dans la maison de ses parents. — 1x. C'est là qu'elle recoit la
visite de l'ange Gabriel. L'auteur rejoint ici l'Évangile de
saint Luc (1, 26-38) qu'il se borne à commenter. Le chapi-
tre x rapporte briévement, et en suivant de trés prés
saint Matthieu (1, 18-24), les troubles de Joseph et la com-
munication qui lui est faite par l'ange. Le livre se clôt par
une trés bréve mention de la naissance de Jésus à Bethléem.
CHAPITRE II

LES DOCTRINES

Il ne saurait être question de traiter à part la théologie


des trois apoeryphes que nous éditons ici. Outre les inévi-
tables répétitions qu'entrainerait cette maniére de faire,
elle aurait le désavantage de masquer le développement
de la pensée théologique qui est assez sensible sur plusieurs
points. On étudiera done dans le texte original les diverses
doctrines que l'on se propose de considérer, et l'on mar-
quera, quand cela sera nécessaire, les modifications ou
les perfectionnements qu'ont apportés les textes subsé-
quents. Aprés avoir essayé de déterminer le but des
auteurs, on analysera leurs idées sur la conception de
Marie; sa chasteté parfaite avant son mariage; l'enfan-
tement virginal ; la virginité perpétuelle. Un dernier
paragraphe traitera des questions théologiques diverses,
qui sont seulement effleurées dans les récits ; enfin l'on
se demandera quelle est la valeur historique des textes
étudiés.

1. But des auteurs.

Il n'est pas indispensable pour s'en rendre compte


d’avoir complètement élucidé les questions littéraires
relatives à la composition de ces écrits, à leurs dates, à leurs
sources, à leurs rapports avec les Évangiles canoniques.
Quand 1l s'agit de livres dont nous ignorons tout, dont il
est impossible de déterminer avec quelque précision l'au-
teur, la patrie et la date, le mieux, semble-t-il, est de
les étudier en eux-mémes et de faire rendre à la critique
interne tout ce qu'elle peut donner,

\
10 LES DOCTRINES

Or, à premiére lecture, il est évident que l'auteur du


Protévangile n'avait pas pour but de faire œuvre exclusi-
vement historique; son intention n'est pas seulement de .
percer l'obscurité que les Évangiles canoniques ont laissé
planer sur les origines de Jésus-Christ. Ce dessein existe
sans doute, et il a entraîné l’auteur à consigner en son «
ouvrage les traditions plus ou moins légendaires qui circu-
laient dans son milieu. Mais il n'est pas le seul, il n'est
méme pas le principal. C'est avant tout une doctrine que
l'auteur veut faire passer sous le couvert de son histoire,
doctrine qu'il n'a pas inventée sans doute, et dont il est
simplement le témoin, mais qu'il désire mettre en un jour
nouveau, pour la soustraire, semble-t-il, aux attaques
dont elle a été l'objet. L'auteur a pour but la glorification
de Marie, vierge et mère, On peut dire que c'est le pre-
mier de tous les ouvrages qu'a inspirés à la foi catholique
la dévotion à la vierge Marie. Malgré les différences consi-
dérables qui le séparent des productions postérieures,
il est la manifestation de la foi populaire en la sainte
Vierge, et les artistes des époques suivantes ne s'y trom-
peront pas, quand ils iront y puiser leur inspirations.
Sans doute Marie n'est point complétement absente
de la pensée des évangélistes canoniques. Saint Matthieu
et saint Marc sont trés brefs, il est vrai, sur son compte,
mais il subsiste dans le 11° et le 1v? Évangile assez de traits
relatifs à la sainte Vierge pour qu'il soit possible d'en
tirer les éléments d'un portrait. Il n'en reste pas moins
que dans les Évangiles canoniques la figure de Marie
n'est pas au premier plan; les préoccupations des évangé-
listes vont tout d'abord au Christ, comme 1] est natu-
rel, et c'est uniquement à cause de ses rapports avec
Jésus que Marie est citée. Saint Luc dans les récits de l'en-
fance a surtout pour but de faire ressortir l'origine céleste
du Christ; et la place que saint Jean fait à Marie au pied de
la croix (Joa., xix, 25-28) est encore fort restreinte. On
remarquera enfin que les divers récits de la résurrection
BUT DES AUTEURS 11

du Seigneur semblent ne point connaître Marie !, que la


τ
prédication de saint Paulla passe entiérement sous silence,
que les premiers écrivains chrétiens n'en font mention
que trés rarement.
Ce silence relatif n'a rien qui doive surprendre; écrits
de circonstance, destinés à combattre une erreur, à éclair-
cir une obscurité, à répondre à telle question précise, les
premiéres productions de la littérature chrétienne ne peu-
vent suffire à nous rendre compte de toutesles pensées
qui s’agitaient dans les communautés primitives, de tous
les sentiments qu'excitaient dans les àmes les objets de
la prédication apostolique. Cette prédication apostoli-
que elle-même allait droit aux événements qu’elle consi-
dérait comme les plus importants pour le salut. C’est
plus tard seulement, et lorsque l’esprit chrétien eut le
loisir de méditer davantage, que les préoccupations se
portèrent sur des points jusque-là laissés dans l’ombre,
Or, pour ce qui concerne Marie, la prédication évangé-
lique s’était contentée de mettre en lumière son rôle dans
la naissance du Christ; elle ne s'était point occupée de
définir d'une maniére rigoureuse la condition de Marie
avant ou aprés le grand événement de la conception vir-
ginale. Elle avait parlé sans doute de la eierge Marie en
des termes qui pouvaient s'interpréter de la virginité
absolue et perpétuelle, et dés les épitres de saint Ignace
et les premiers linéaments du symbole apostolique le
nom de vierge est appliqué tout naturellement à Marie ?,
Cependant 1] flottait autour de la signification de ce nom,
bien des obscurités, que les Évangiles eux-mémes ne

1. Il convient de remarquer cependant que Marie apparait au début


du livre des Actes, r, 1^.
2. Ignace, Ad Smyrn., 1, 1, γεγεννημένον ἀληθῶς £x παρθένου. — Cf.
Ad Ephes., xix, 1. — Sur l'expression du symbole : τὸν γεννηθέντα ἐκ πνεύ-
ματος ἁγίου καὶ Μαρίας τῆς παρθένου, cf. Harnack dans Hahn, Bibliothek
der Symbole, 3° édition, Breslau, 1897, p. 374.
"3

[Ὁ LES DOCTRINES ME

suffisaient pas à dissiper. Sans doute trois Évangiles 1


affirmaient d’une manière précise que Marie avait conçu
le Sauveur en dehors des règles ordinaires de la nature,
mais ils n'indiquaient pas si l’épithète de Vierge con-
venait encore à la mère de Jésus après le divin enfan-
tement ; surtout ils ne disaient pas si l'épouse de Joseph
avait conservé jusqu'au bout sa virginité intacte. Il ne
manquait méme pas dans l'Évangile de passages qui pou-
vaient amener à des conclusions différentes de celles que
suggérait le nom de vierge simplement appliqué à Marie.
La manière dont saint Luc parlait de la purification de la
mère de Jésus (Luc., 11, 22-24) pouvait laisser croire que
Marie en mettant son fils au monde avait perdu le signe
matériel de sa virginité; et d'autre part l'expression de
frères de Jésus qui revient à plusieurs reprises dans le
Nouveau Testament (Matth., xir,46 sq.; xui, 55; Marc.,
H1, 91 sq.; Joa., 11, 12; vus, 25; Act., 1, 14; 1 Gore
5; Gal.,:, 19) pouvait donner à penser qu'aprés la nais-
sance de Jésus, Marie avait eu de Joseph un certain nom-
bre d'enfants. Cf. Matth., τ, 25.
Il faudra longtemps encore avant que ces difficultés
créent dans l'Église des préoccupations sérieuses et
générales. Pendant trois siécles l'ensemble des chrétiens
répétera dans le symbole le nom de la vierge Marie, sans
demander à ce mot de précisions inopportunes. Il pou-
vait n'en étre pas de méme dans des cercles restreints,
surtout si des calomnies cherchaient à jeter le soupçon sur
la pureté de la Vierge. Or nous savons que de bonne heure
la malignité juive avait donné des récits relatifs à la con-
ception virginale de Jésus l'interprétation la plus défavo-
rable. Cette calomnie dont on retrouve la trace dans les
Acta Pilati ?, avait été largement exploitée par Celse dans
1. Matth., 1, 18-24; Luc,, 1, 26-38; et Joa., τ, 13 en lisant comme l'ont
fait Justin, Irénée, Tertullien : ὃ οὐχ ἐξ αἱμάτων, οὐδὲ ἐκ θελήματος cap-
20ç, οὐδὲ ἐχ θελήματος ἀνδρὸς, ἀλλ᾽ &x θεοῦ ἐγεννήθη.
2. Tischendorf, Evangelia apocrypha, p. 224. Acta Pilati, r1, 38 : au
BÜT DES AUTEURS T OT

le « Discours véritable». Le Juif à qui ce polémiste em-


prunte ses arguments contre les chrétiens est renseigné
à sa maniére sur les origines du Christ : « Jésus, dit-il,
a inventé de toutes piéces sa naissance d'une vierge. En
vérité 1] est issu d'un village juif, et 1] est le fils d'une pau-
vre paysanne qui filait pour gagner sa vie. Renvoyée par
son époux qui exercait la profession de charpentier, pour
avoir été convaincue d'adultére, elle erra: à l'aventure,
et finalement mit au monde en secret Jésus, qui est le
fils d'un soldat nommé Panthére!, » Le « Discours vé-
ritable » est des environs de 178, mais la légende calom-
nieuse qu'il rapporte peutavoir circulé beaucoup plus tót
dans le monde juif?. On concoit aisément qu'il se soit trouvé
dans des milieux chrétiens en contact fréquent avec les
juifs, des hommes. pour s'en indigner et pour y répondre,
Le Protévangile semble le fruit naturel de cette indigna-
tion; on prétendait faire naitre des doutes sur les origines
immaculées de Jésus, on croyait le déshonorer en faisant
de sa mére une pauvre paysanne d'un obscur village pa-
lestinien, réduite à filer pour gagner sa vie, on la mon-
trait finalement chassée du domicile conjugal pour avoir
manqué de fidélité à son époux. Le Protévangile va pren-
dre le contre-pied de toutes ces aflirmations. Non seule-
ment avec la tradition évangélique que défendent dés
lors les écrivains ecclésiastiques Justin, Irénée, Origene 5,

tribunal de Pilate les anciens des Juifs rapportent de Jésus qu'il est né
de la fornication.
1. Origene, Contra Celsum, 1, 32, P. G., t. x1, col. 720-721.
2. Il convient de rapprocher de la fable rapportée par Celse, les accu-
sations contre Marie dont on trouve quelques traces dans le Talmud.
Herford, Christianity in Talmud and Midrasch(Londres, 1903), rapporte
à la mère de Jésus les passages suivants: Talmud de Babylone, traité
Shabbath, 104^; traité Hagigag ^": Marie aurait fait le métier de coif-
feuse. — Traité Sanhédrin, 106* : elle descendait des princes et des
rois, et elle se conduisit mal avec des charpentiers.
3. Justin, Apol., 1, 22, 31, 32, 33 ; Dial., 67, 84, 43; — lrénée,
14 LES DOCTRINES

il affirmera d'une maniére énergique la conception vir-


ginale du Christ; non seulement il insistera avec complai-
sance sur la facon miraculeuse dont la Vierge a mis au
monde le Sauveur, mais encore il se plaira à relever trés
haut au simple point de vue humain celle que la ca-
lomnie juive prétendait abaisser; il en fera l'enfant du
miracle, issue de parents honorables et généreux, consa-
crée dés son enfance au Seigneur, grandissant dans le
temple sous la surveillance du sacerdoce officiel, finale-
ment confiée par lui, avec toutes les précautions possi-
bles pour que sa pureté soit garantie, au charpentier
Joseph, spécialement désigné par Dieu pour remplir cette
délicate fonction. Ainsi, dans les Évangiles canoniques
l'intérêt que l'on portait à Jésus rejaillissait sur Marie,
ici, au contraire, c'est l'intérét porté à la mère qui va re-
jaillir sur le Fils.
Quand, en Occident, les auteurs des remaniements
latins entreprendront de remettre en honneur les vieil-
les légendes du Protévangile, la situation générale aura
singuliérement changé. Les violentes polémiques de saint
Jéróme contre Helvidius et contre Jovinien ont fait en-
trer dans le domaine général de la croyance catholique
les vérités que dans un cercle restreint le Protévangile
avait proclamées. Ce qui a intéressé les latins à ces lé-
gendes, c'est moins leur aspect dogmatique que leur as-
pect historique. Il y ont vu surtout une histoire, et une
histoire édifiante. Depuis les traités de saint Ambroise
sur la virginité, depuis les commentaires de saint Jé-
róme sur le récit de l'incarnation, on s'est accoutumé à
voir dans Marie le modèle de la vie religieuse, dela vie mo-
nastique. C'est l'aspect qu'ont voulu mettre en relief les
remanienrents latins; c'est à quoi visent, et le récit dé-
taillé des occupations de la vierge au temple, et surtout

Hzres., III, xix, 1 ; xx1,6, P. G., t. vir, col. 938 ; — Origéne, Con-
tra Celsum, 1, 28-39, P. G., t. xx, col. 713-734.
x

;
CONCEPTION DE MARIE 15

l'attention apportée au vœu de virginité de Marie.


Aussi bien est-elle la premiére, entre les femmes, qui
ait compris l'excellence de cette vertu, la première
qui ait voulu la pratiquer.

2. La conception et la naissance de Marie.

La naissance des personnages que Dieu destine à


quelque mission extraordinaire ne peut ressembler de
tous points à celle des autres hommes. Dans les récits
bibliques, des circonstances plus ou moins merveilleuses
environnent fréquemment le berceau des futurs grands
hommes. Leur naissance est annoncée à l'avance à des
parents déjà avancés en âge et qui ne conservent plus
d'espoir d'avoir une postérité. C'est le cas, pour l'Ancien
Testament, d'Isaac (Gen., xvir, 1-20; xvi1,9-15; xx1, 1-2),
de Samson (Jud., xiu, 2-24), de Samuel(I Sam., r, 1-20).
Dans le Nouveau Testament, saint Luc rapporte avec
détails l'annonce faite au prétre Zacharie de la naissance
du futur précurseur; et la nativité de Jean-Baptiste a
presque la méme solennité que celle de Jésus. Luc., r,
5-25, 57-80. Rappelons enfin que saint Paul déclare que
« Dieu l'a mis à part dés le sein de sa mère. » Gal., 1, 15.
— La vierge qui devait mettre au monde Jésus, devait-
elle étre moins favorisée que le précurseur du Christ?
On ne le pensait pas dans les milieux chrétiens oü fut
composé le Protévangile, et instinctivement la piété po-
pulaire y faisait le raisonnement, qui revient à chaque pa-
ge des traités modernes de Mariologie : il faut admettre
que la vierge Marie non seulement a recu les mémes fa-
"veurs que les saints les plus éminents; mais qu'elle les
a eues d'une maniére plus excellente. Et comme l'on ne
savait point discuter alors sur la grâce ou le péché originel,
comme l'on ne pouvait point dire si Jérémie (Jerem., 1, 5)
ou Jean-Baptiste avaient été sanctifiés dés le sein de leur
mère, l'on ne pouvait pas affirmer non plus que la Vierge
16 LES DOCTRINES

avait été conçue sans la souillure originelle 1, mais l'on pou-


vait assurer que sa naissance avait surpassé en sainteté
et en miracle celle des plus saints personnages. C'est
justement le récit de saint Luc relatif à Jean-Baptiste
qui a inspiré et soutenu l'auteur du Protévangile, mais
accessoirement il a pris des traits et peut-étre le nom
méme de la mére de la Vierge à lhistoire d'Anne et de
Samuel.
La stérilité chez les Juifs était considérée comme un
opprobre; l'auteur prend soin de souligner les reproches
adressés à chacun des époux; c'est dans le temple lui-
méme que Joachim est outragé; et c'est par une servante
qu'Annes'entend reprocher la stérilité dont elle est frap-
pée. La gravité de ces offenses nefait que mieux ressor-
tir la douceur, la résignation, la piété des deux saints per-
sonnages ; l'auteur qui a présente à la pensée la phrase
du Magnificat: «il a regardé la bassesse de sa servante, »
n'est pas fâché de faire ressortir le contraste entre l'hu-
milité des parents de Marie et l'orgueil de ceux qui les
accusent.
Riches et saints, Joachim et Anne ont à ses yeux
toutes les qualités nécessaires à l'honneur que Dieu leur
destine; la stérilité méme de leur union est voulue par
la Providence. L'enfant qui doit un Jour donner naissance
au Christ, ne peut pas étre l'enfant de la passion, elle
ne peut étre que l'enfant du miracle. Les Péres de l'Église
grecque commentant ce passage du Protévangile se sont
plu à faire ressortir les raisons de convenance de cette
naissance inespérée. Il était bon, disent-ils, que le grand
miracle de la conception virginale de Jésus füt préparé
par un miracle, de moindre 1mportance sans doute, mais

À. Il suffit de parcourir Suarez pour voir quel rôle a joué dans la .


théologie systématique cet argument a fortiori. Cela ne veut pas dire,
cependant, que l'on soit parvenu à l'idée de l’Immaculée Conception de
Marie par cet unique argument. )
FR
CONCEPTION DE MARIE 17

pourtant du même ordre. La naissance de Marie d’une


femme longtemps stérile est le prélude de la naissance de
Jésus d’une vierge. Ce commentaire est tout à fait dans
le sens de l’auteur primitif. En rapportant la stérilité
d'Anne, il ne songeait pas seulement à la stérilité d'Éli-
sabeth, il songeait encore et surtout à la virginité de Marie,
Est-1l allé plus loin? a-t-il pensé que la conception de
Marie ressemblât de tous points à celle de Jésus ? La ques-
tion mérite d'étre posée. Une des raisons pour lesquelles
la théologie s'est opposée longtemps au privilège de l'Im-
maculée Conception de la Vierge c'est que, congue à la
maniére de tous les autres hommes, fille de la concupis-
cence charnelle, Marie avait dà contracter la souillure
que transmet depuis Adam la génération humaine 1, Si l’au-
teur du Protévangilea cru à la conception virginale de
sainte Anne, si en la rapportant 1] s'est fait sur ce point
l'écho de la tradition et de la piété populaire, il faut le
ranger parmi les tout premiers défenseurs de l'Imma-
culée Conception; il faut reconnaitre de plus que cette
idée a dans la tradition catholique des racines beaucoup
plus profondes qu'on ne le suppose ordinairement.
La question est une question de texte et de grammaire.
On lit, 1v, 2:«L'ange du Seigneur descendit vers lui (Joa-
chim), disant: « Joachim, Joachim, le Seigneur Dieu a
«exaucé ta priére, descends d'ici, car voici que ta femme
«Anne concevra dans son sein (ἐν γαστρὶ λήψεται). » Telle
est du moins la leçon adoptée par Tischendorf comme
texte recu : c'est celle que donnent en effet tous les
manuscrits grecs consultés par lui, sauf un seul, mais
trés ancien qui porte : « Anne ta femme a conçu » (εἴληφε).

1. Il va sans dire que depuis longtemps nul théologien ne considére


plus la eonception virginale de sainte Anne comme une condition
nécessaire de l'Immaculée Conception de Marie. Tout le monde au con-
traire s'accorde pour dire que Marie, conçue d’après les lois ordi-
naires dela nature, a été, par la grâce divine, préservée de la souillure
originelle.
rFROTÉV.— 2 —
18 LES DOCTRINES

Fidèle à lui-même, ce manuscrit donne une leçon cor-


respondante au verset 4. — Anne exprime sa joie de revoir
son mari: « J'étais veuve et je ne le suis plus, j'étais
sans enfant et voici que je concevrai » (λήψομαι, d’après
le texte recu) ; « voici que.j'ai concu » (εἴληφα d’après le
ms. désigné plus haut). Un autre ms. du xvi? siècle qui a
beaucoup moins d'autorité que le précédent connait lvi
aussi la leçon εἴληφα, qu'il a combinée fort maladroite-
ment d’ailleurs à la leçon courante en lisant : συλλή-
ψομαι xai εἴληφα.
Mais pour la connaissance du texte grec primitif, nous
pouvons remonter beaucoup plus haut que les mss., Saint
Épiphane, à la fin du 1v? siècle, est témoin d'une leçon
analogue à la lecon aberrante que nous venons de signa-
ler. Dans le Panarium (Hær., 79), 11 décrit et condamne
lerreur de ceux qu'il appelle les collyridiens. Il leur re-
proche en somme d'adresser à la vierge Marie des sacri-
fices, qui, soit dit en passant, ressemblent fort à des sa-
crifices paiens. Ce culte rendu à Marie, dit-il, n'a pas
de base dans l'Écriture. « S'il n'est pas permis d'adorer
les anges, combien moins encore celle qui est née d'Anne,
celle qui a été donnée à Anne du fait de Joachim !, celle
qui a été obtenue par les prières et les supplications enfin
exaucées de son pére et de sa mére. Elle n'est point née
en dehors des régles ordinaires de la nature, mais comme
toute créature humaine de la semence d'un homme et
du sein d'une femme. $1 en effet l'histoire de Marie et
les traditions portent qu'il a été dit à son pére Joachim
dans le désert, ta femme a concu, cela ne signifie pas que
la chose est arrivée sans le commerce habituel, ni sans la
semence de l'homme. Mais l'ange envoyé vers lui, lui a
prédit ce qui devait arriver, afin qu'il n’y eût pas d'in-
certitude sur le compte de celle qui était déjà produite
1. Ei γὰρ ἀγγέλους Apu cs οὐ θέλει, πόσῳ μᾶλλον τὴν ἀπὸ "Αννης
γεγεννημένην, τὴν £x. τοῦ ᾿Ιωαχεὶμ τῇ "Αννη δεδωρημένην» Hæres., Lxx1x, 5,
DAG. t. XxLi, Col. 748:
P CONCEPTION DE MARIE 19

en toute vérité, étant déjà prévue par Dieu, et déjà née


pour cet homme juste !. » Ainsi à l'époque d'Épiphane
on lisait dans l'histoire de Marie, c'est-à-dire dans le Pro-
tévangile de Jacques, le même texte dont témoigne le
ms. B. Et ce n'était pas une lecon extraordinaire. L'évé-
que de Salamine, préoccupé de réfuter des opinions
qu'il juge indéfendables et qui s'appuient sur ce texte,
ne propose pas une lecon différente. Il s’ingénie à mon-
trer que ce parfait peut être interprété comme un futur,
il cherche dans l’Écriture des exemples de parfaits pro-
phétiques? : « ta femme a concu », cela veut dire « conce-
vra»; il ne lui vient pas à la pensée d'invoquer une autre
leçon plus facile à interpréter. Le texte dont témoigne
Épiphane et linterprétation que plusieurs en avaient
donnée, ont dû circuler longtemps dans l’Église byzan-
tine. Au viri? siècle, André de Crète, dans le canon pour la
i
fête de la conception d'Anne (9 décembre), signale comme
une erreur l’idée que Marie a pu naître d'une manière
aussi miraculeuse ?; au x? siécle, le Ménologe exécuté
par les soins de l'empereur Basile II combat encore l'i-
. dée que Marie a été engendrée χωρὶς ἀνδρός 4.
Les versions et les remaniements du Protévangile per-
mettent aussi de conclure que la lecon « ta femme a con-
qu » a été d'assez bonne heure répandue en des régions

1. Ei γὰρ ἡ τῆς Μαρίας ἱστορία xai παραδόσεις ἔχουσιν ὅτι ἐρρήθη τῷ πατρὶ
αὐτῆς ᾿Ιωαχεὶμ ἐν τῇ ἐρήμῳ ὅτι ἣγυνή σου συ ειληφυῖα, οὐχ ὅτι ἄνευ av ζυγίας
τοῦτο ἐγένετο, οὐδὲ ὅτι ἄνευ σπέρματος ἀνδρὸς, ἀλλὰ τὸ μέλλον ἔσεσθαι προεθέσ-
πιζεν ὁ ἄγγελος ἀποσταλεὶς, ἵνα μή τις γένηται δισταγμὸς διὰ τὸ ἐν ἀλ)ηθεία
γεγεννημένον, χαὶ τὸ £x θεοῦ ἤδη τεταγμένον, καὶ τῷ δικαίῳ ἐπιγεγεννημένον.
Hæres., ibid.
2. ll en trouve un curieux dans Isaïe, vri, 3, qu'il lit : zai εἰσῆ)θε
πρὸς τὴν προφῆτιν, leçon analogue à celle de l’Alexandrinus et du Sinaiti-
cus, et qu'il entend de l'annonciation, en comprenant: « Et l'ange Ga-
briel entra chez la prophétesse (Marie), et elle conçut et enfanta un
fils. »
SP ἀπ τὸ xcvit, col. 1313.
&. P. G., t, cxvir, col. 136.
,
20 LES DOCTRINES

très différentes. Le texte syriaque suit, sur les deux points


signalés plus haut, la leçon du ms. B. Le texte éthiopien
lit comme le texte syriaque « ta femme a concu. » Pour-
tant le remaniement arménien, qui dérive vraisemblable-
ment d'un texte syriaque du rv? siècle, donne la leçon:
« Voici que ta femme concevra et t'enfantera une se-
mence de bénédiction. » Les fragments coptes publiés
jusqu'à présent ne contiennent pas cet épisode. —
L'Évangile latin de Pseudo- Matthieu. a une lecon curieuse
et qui témoigne qu'il a lu, lui aussi, la leçon la plus diffi-
cile: quam scias ex seminetuo concepisse filiam. C’estla le-
con de quatre manuscrits; et 115 ajoutent quelques lignes
plus loin: excitavit enim Deus semen in ea, unde gratias
referas Deo, et semen ejus erit benedictum.
Un seul manuscrit,
parmi ceux qu'a collationnés Tischendorf, a lu pour le
premier point : concipere et pour le second : excitabit enim
Deus semen in ea, et faciet eam matrem benedictionis æter-
na. Je ne vois guère qu'une explication qui rende compte
de la lecon étrange ev semine tuo concepisse, surtout
si l'on remarque que dans le remaniement latin. l'absence
de Joachim dure beaucoup plus longtemps que dans
le Protévangile (cinq mois au lieu de quarante jours)
L'auteur a dû lire dans le texte grec qui lui a servi de
théme (ou dans le texte latin dérivé lui-méme du texte
grec) une lecon analogue à celle du ms. P. Il l'a comprise
comme les collyridiens d'Épiphane, mais elle l'a choqué,
et il a pensé la corriger en insérant fort maladroiteme n
ex semine tuo qui rappelle loùdè ἄνευ σπέρματος ἀνδρὸς
d'Épiphane. Il a cru expliquer cette incohérence même
en ajoutant : ezcitaeit. enim Deus semen in ea; mais cet
essai d'explication est immédiatement compromis par
les mots qui suivent : et semen ejus erit benedictum. Il y
a là un jeu de mots sur lequel il convient de ne pas in -
sister, mais qui ne contribue pas à la clarté du texte.
Enfin, pour ce qui concerne la rencontre d'Anne et de
Joachim, le texte latin attesté par quatre manuscr its
CONCEPTION DE MARIE DE

(Gil y a une petite divergence entre leurs attitudes res-


pectives dans ce passage et dans le précédent) donne
la lecon : Vidua eram et ecce jam non sum, sterilis eram
et ecce jam concept. Il est évident d’après cette discus-
sion que c'est la lecon du ms. B qui a donné nais-
sance à celle de Pseudo-Matthieu. Si cet écrit, comme
nous l’établirons plus tard, remonte à la fin du
v? siècle ou au commencement du vit, nous avons là
une nouvelle preuve de la diffusion de la leçon εἴληφα.
— VL! Évangile de la Natieité de Marie Va rejetée sans
rien dire, il a lu tout simplement : Anna uxor tua
pariet tibi filiam.
Il semble done, d'aprés tout ce que nous venons de dire,
que la lecon en question ait été fort répandue au moins dés
la fin du 1v? siècle; dans l'état actuel de nos connaissances
il est impossible de remonter plus haut, et de dire d'une
manière absolue si elle est la lecon primitive. Je crois
le contraire, pour la raison suivante. L'auteur du Proté-
eangtile, trés discret sur ce point délicat, comme sur plu-
sieurs autres, semble avoir suffisamment indiqué que la
conception de Marie reconnaissait les mêmes causes
que celle des autres hommes. Entre l'arrivée de Joachim
au domicile conjugal et son sacrifice au temple il ἃ mé-
nagé l'espace suffisant : xai ἀνεπαύσατο leoxxsip τὴν πρώτην
ἡμέραν εἰς τὸν οἶχον αὐτοῦ (1v, 4). Du moins était-il intéres-
sant de signaler que de bonne heure on ἃ cru pour
Marie à une origine plus miraculeuse.
Sur l’ensemble des points que nous venons d’étudier
les remaniements latins n’ont pas ajouté grand'chose
à la doctrine du Protéeangile. À sa manière habituelle
Pseudo-Matthieu ἃ amplifié le thème qu'il avait sous les
yeux, et a calqué l'apparition de l'ange à Joachim, sur
celle qui est rapportée, Jud., xir, 1-26. L'auteur de la
Nativité de Marie, plus sobre de détails historiques, fait
déclarer par l'ange que la stérilité n'est pas un opprobre !.
der.

+
Cr;
22 LES DOCTRINES

Tous deux font dévoiler par le messager céleste la gloire


future de Marie; enfin la Nativité de Marie trouve plus
convenable que le futur nom de la vierge soit apporté
du ciel comme celui de Jean-Baptiste et celui de Jésus :
vocabis nomen ejus Mariam.

3. La pureté de Marie, son vœu de chasteté,


son mariage.

Annoncée et préparée comme devant être une créature


exceptionnellement grande, exceptionnellement sainte,
Marie a dû être durant tout le cours de sa jeunesse préser-
vée de toute souillure. Mais c’est tout d'abord de souillure
physique qu'il s'agit, car, fidèle aux idées qui avaient cours
dans l'Ancien Testament, l’auteur prend soin de mettre
Marie à couvert de toute impureté légale. C'est à quoi
tendent toutes les précautions dont sa mére l'entoure
dans son jeune áge. Quand l'enfant a neuf mois, sa mére
la pose à terre pour voir si elle peut déjà se tenir debout;
l'enfant (chose remarquable à cet âge si tendre) fait sept
pas, mais tout aussitót retourne vers le giron maternel,
et dés lors, Marie ne touchera plus le sol, qui pourrait
être impur; dans sa chambre, sa mère construit une sorte
de sanctuaire et c'est là, à l'abri de tout ce qui est souillé
et impur, que l'enfant grandira. Seules les plus pures d’en-
tre les filles des Hébreux sont admises auprès d'elle
pour la divertir 1, C'est un cortège de vierges qui l'accom-
pagne, quand elle est présentée au temple de Jérusalem ?.
Élevée dans le sanctuaire, elle semble à l'abri de tout ce
qui est impur, ceci pourtant ne suffit pas encore, et ce
n’est point de la main des hommes, mais de celle d’un
ange qu'elle reçoit sa nourriture?. Plus tard, quand elle

AVE, IC
2. ivit, 2.
DUE III d,
VŒU DE VIRGINITÉ 23

a quitté le temple pour la maison de Joseph, elle reste la


vierge sans souillure, et c'est en cette qualité que, sous
l'inspiration divine, le grand-prétre lui confie la pourpre
et l'écarlate qui doivent servir au voile du temple !.
En insistant avec complaisance sur la pureté légale,
physique de Marie, l'auteur du Protéeangile semble fort
loin des idées auxquelles nous sommes accoutumés au-
jourd’hui. C'est avant tout dans la volonté que réside
pour nous la sainteté. Il est remarquable que le Proté-
eangile n'ait souligné nulle part l'intervention volontaire
de Marie dans la garde de sa pureté. Nulle part l'auteur
n'exprime l'idée que la future mére du Sauveur aurait
voué elle-méme sa virginité à Dieu. Il semble qu'en tout
ceci elle joue un rôle purement passif, et c'est ce qui a
scandalisé les auteurs des remaniements latins, et les a
portés à retoucher profondément sur ce point le thème
qu'ils avaient sous les yeux. Il ne faudrait pas croire
cependant que l’idée si importante de la virginité pro-
fessée soit absente du Protévangile. Elle n’y est formelle-
ment exprimée nulle part, mais elle est supposée partout,
et de la manière la plus évidente. Seulement ce n’est pas
la Vierge elle-même qui a prononcé le vœu, c’est Anne.
Quand elle a reçu de l'ange l'annonce qu'elle allait conce-
cevoir, Anne s'est écriée : « Vive le Seigneur mon Dieu,
si Je mets au monde un garcon ou une fille, je l'appor-
terai en don au Seigneur mon Dieu, et l'enfant sera à son
service tous les jours de sa vie ?. » Les commentateurs
grecs ont reconnu dans le vœu de sainte Anne une ins-
piration divine. Autrement, comment la mére aurait-elle
eu l'idée de vouer au service divin, pour tous les jours de
sa vie, l'enfant qui lui naîtrait, soit fille, soit garçon ?
Seul un enfant mále pouvait étre consacré au service
de Dieu, et la première Anne, la mère de Samuel, avait

1:531, 2.
DONIV, i.

—"—
24 LES DOCTRINES

dit à Jahveh : « 8i vous n'oubliez point votre servante


et si vous lui donnez un enfant mâle, je le consacrerai
à Jahveh pour tous les jours de sa vie !.» Les commenta-
teurs grecs ont fort bien compris sur ce point la pensée
du Protévangile ; ils ont bien vu que le vœu prononcé
par la mére de Marie avait une portée considérable.
Il exclut en effet la pensée d'un mariage réel de sa fille;
carc'est pour tous les jours de sa vie qu'Anne la con-
sacre au service de Dieu?. Marie sera donc présentée au
temple dés l’âge de trois ans, et elle appartiendra en
quelque sorte à son service jusqu'à la fin de ses jours. Or
il est bien évident qu'une vierge ne peut servir au temple
sans conserver une pureté absolue. Aussi bien, quand la
Vierge a atteint l’âge de douze ans, ce n'est pas à la
marier que songent les prétres. lls veulent seulement
la confier à Joseph, et cela pour la période seulement
où son état aurait souillé le temple du Seigneur ?. Il est
sous-entendu en effet que, passé cette époque, Marie
doit revenir au temple et remplir jusqu'au dernier de
ses jours la promesse faite par sa mère 4
C'est une question compliquée dans la théologie classi-
que que celle du mariage de la Vierge avec Joseph. Elle
a préoccupé les docteurs du moyen âge et de la Renais-
sance 5. Pour des raisons du méme genre elle n'a pas laissé
que de troubler le naïf auteur du Protévangile. Forcé
par les récits évangéliques de reconnaître entre Joseph
et Marie l’existence d’un lien conjugal, préoccupé d’au-

APS arm, τ 11.


2, Ce point a été bien mis en lumière par Lucius, Les origines du
culte des saints dans l’Église chrétienne, trad. française, Paris, 1908,
p. 974.
D SVIIL 2.
^. Telle est du moins l'interprétation de Lucius, loc. cit.
5. Cf. S. Thomas, Summa theologica, I1I2, q. xxx, art. 2: Utrum inter
Mariam et Joseph fuerit verum matrimonium, et Suarez, Disputationes
in III partem, a questione XXVII, disp. VII, Paris, Vivès, t. XIX.
VŒU DE VIRGINITÉ 25

tre part d'éviter tout ce qui pouvait porter atteinte à


la virginité de Marie, géné enfin par la pauvreté de son
vocabulaire, il est péniblement sorti de cette difficile
question. La situation respective de Joseph et de Marie
d’après les Évangiles canoniques est extrémement
simple; légalement ils sont considérés comme mari et
femme. Non moins simple, mais toute différente, est la
situation légale de Marie dans la maison de Joseph, d'a-
prés le Protéeangile. Marie est le premier exemple des
virgines subintroductæ telles que les a connues, et peut-
être acceptées en certains cas, l’Église chrétienne primi-
tive 1, Avant l'institution du monachisme, la vierge qui
avait fait profession de continence et qui ne pouvait
demeurer dans la maison de ses parents, demandait
protection et hospitalité à un continent de l'autre sexe ?.
C'est exactement la position de Marie dans la maison
de Joseph, à cette différence prés que c'est le sacerdoce
officiel qui a confié la Vierge à la protection du char-
pentier. Aussi ne cesse-t-il pas de se considérer comme
responsable de la garde de Marie. Α ses yeux la grossesse
de Marie est un crime et les deux coupables sont man-
dés à sa barre. Ce que l’on reproche à Marie, ce n'est
point une atteinte à la fidélité conjugale, c'est de s'étre
déshonorée par l'acte du mariage, elle qui devait rester
pure d’après le vœu de sa mère ?. Ce que l'on reproche
à Joseph, ce n'est point d'avoir laissé Marie exposée au
péril d'adultére, c'est d'avoir usé de droits conjugaux
qui, en réalité, ne lui appartenaient pas 4. Marie est une
vierge consacrée à Dieu par le vœu de chasteté, confiée

1. C£. Duchesne, Histoire ancienne de l’Église, t. τ, p. 517. Des abus


se sont montrés plus tard contre lesquels l’Église s'est élevée.
2. H. Achelis, Virgines subintroductæ, ein Beitrag zu I Corinth., VII,
Leipzig, 1903, a voulu expliquer dans ce sens I Corinth., vir, 36-38.
Son interprétation d'ailleurs n'a pas eu de succès.
ον, E
4, xv, ^, voyez le commentaire,
26 LES DOCTRINES

à la protection d'un homme en état, par son âge et sa


situation, de la garder intacte ; elle n’est pas la femme de
Joseph. Il reste pourtant quelque flottement dans la
pensée et surtout dans les expressions de l’auteur. Quand
les prêtres se décident à faire sortir Marie du temple,
l'oracle divin, consulté, déclare que Marie sera la femme
de celui qu'un miracle désignera !. Joseph plus tard
déclare à la sage-femme que c'est le sort qui lui a donné
Marie pour épouse ?, Mais l'auteur a eu soin chaque fois
de corriger ces expressions qui le choquaient. Quand les
prêtres remettent la Vierge à Joseph, ils lui font remar-
quer qu'ils la lui confient en dépôt 8, et c'est bien dans
ces conditions que Joseph l'emméne chez lui. À la pre-
mière question de la sage-femme, Joseph répond tout
d'abord : « Marie est ma fiancée ; » et l'accoucheuse lui
ayant demandé : « Ce n'est donc point ta femme ὃ »
Joseph finit par répondre qu'elle l'est et ne l'est pas 3.
En d'autres termes,la situation légale de Joseph et de
Marie ne comporte point de définition. On pourrait ob-
jecter peut-être que l'auteur les considère comme fiancés.
Dans son dialogue avec la sage-femme, Joseph se sert de
ce mot, et l'on pourrait interpréter dans un sens ana-
logue les mots qui terminent le chapitre xv. Joseph serait
accusé par le grand-prétre d’avoir anticipé le mariage
et de ne pas avoir attendu la bénédiction nuptiale
pour exercer ses droits d'époux. — ll ne me semble pour-
tant pas que l'auteur du Protévangile connaisse la distinc-
tion qui nous est familiére entre les fiancailles et le ma-
riage. Les Évangiles canoniques eux-mémes ne sont pas
très précis sur ce point, et il est bien difficile de dire si,
pour eux, la conception de Jésus a eu lieu avant ou aprés
la solennité nuptiale. L'expression de fiancée, qu'emploie
1. vin, 3, τούτου ἔσται γυνή-
2. xix, 1, ἐχληρωσάμην αὐτὴν γυναῖχα.
3. 1x, 1, εἰς τήρησιν.
ἄς x1x, 1, voyez le commentaire.
VŒU DE VIRGINITÉ 27

Joseph dans notre texte, est un mot ambigu par lequel


il veut exprimer son idée que Marie lui est unie par un lien,
mais qui n'est pas celui du mariage ; et d'autre part
laecusation portée par le grand-prétre contre Joseph
peut être interprétée d'une manière légèrement différente
de celle qu’on lui a donnée plus haut. En résumé, la situa-
tion effective de Marie par rapport à Joseph est très
claire, les mots manquent à l’auteur pour l'expliquer
d’une manière précise. Mais, quoi qu'il en soit, Marie est
pour lui la vierge toute pure, consacrée à Dieu depuis
sa conception par le vceu de sa mére, et devant garder
sa virginité Jusqu'au terme de sa vie.
Dans l'intervalle de temps qui s'écoule entre la
rédaction du Protévangile et celle des remaniements
latins, il s'est produit dans la manière d'envisager le
rôle de Marie une sensible transformation, et il est
facile de s'en rendre compte dans les textes latins qui
nous sont conservés. Aux premiers siècles, Marie est con-
sidérée avant tout comme un agent physique de l'Incarna-
tion et de la Rédemption. Son rôle est essentiellement de
fournir un corps au Verbe qui s'incarne, et comme ce
corps doit étre sans souillure, l'on attribuera à Marie
une pureté surtout extérieure, Je dirais presque physique,
oü les dispositions morales ne semblent pas avoir grande
part. Jusqu'à quel point cette conception a pu conduire
la logique intransigeante d'un Tertullien, c'est ce qu'il
est inutile d'étudier 1c1 !, Mais il est bien certain qu'avec
les progrés de la spéculation théologique, on en viendra
facilement à considérer Marie comme agent moral dans
les grands mystéres oü elle a été mélée. Ce n'est plus seu-
lement d'une maniére passive qu'elle coopére àla rédem-
ption; c'est librsment et volontairement qu'elle préte à
Dieu son concours pour la grande œuvre du salut. Il

1. Cf. E. Neubert, Marie dans l'Église anténicéenne, Paris, 1908,


p. 181 sq.
28 LES DOCTRINES

fallait dès lors que Marie fût sainte non plus seulement
d'une sainteté extérieure et toute légale ; 1] fallait
qu'elle füt sainte par sa libre volonté. De plus, Marie
devient dés le ru? siècle, avec Origéne, le modèle de
l'ascétisme chrétien, l’initiatrice et la protectrice de la
virginité. Plus que tout autre en Occident, saint Ambroise
a contribué à mettre Marie trés haut dans l'estime des
vierges chrétiennes !. On comprend dés lors que les re-
maniements latins aient profondément modifié dans ce
sens les données du Protévangile. Dans la profession de
virginité de Marie, ce n'est plus Anne qui ala part princi-
pale, c'est la Vierge elle-méme, qui sciemment et volon-
tairement se consacre au Seigneur. Méme dans Pseudo-
Matthieu, le vœu fait par Anne a complètement dis-
paru, et l'on n'explique pas à quel titre la sainte enfant re
De
MN
At
uL
t
aet
al
di
2d
est présentée au temple. Cette consécration semble aller
de soi ?. C'est dans un monastère de vierges, concu à la -ser
t

maniére des couvents chrétiens qu'on introduit Marie,


et c'est l'exemple de toutes les vertus monastiques qu'elle
donne durant son séjour au temple. Seulement, respec-
tueux de la tradition qui fait de la profession de virgi-
nité l'apanage exclusif du christianisme, l'auteur a fait
remarquer qu'à l’âge nubile les vierges juives ne
reculent pas devant le mariage. C'est une manière déli-
cate de faire ressortir l'exception que constitue Marie,
laquelle a résolu dans son cœur de garder toujours sa
virginité. Le petit épisode imaginé par Pseudo-Matthieu,
et où l’on voit le grand-prétre Abiathar demander pour
son fils la main de la Vierge ?, est ménagé pour per-
mettre à Marie d'exprimer sur la virginité ses sen-
timents intimes, pour montrer aussi que, loin de favo-

1. De virginibus libri tres. — De virginitate. — De institutione Vir-


ginis et S. Mariz virginitate perpetua. — Exhortatio virginitatis, liber
unus. Tous ces traités dans P. L., t. xvi.
2. Ps.-Matth., 1v.
3. Ps.-Matth., vi.
VŒU DE VIRGINITÉ 29

riser, comme dans le Protévangile, les désirs de la Vierge,


le sacerdoce juif ne comprend rien à sa conduite et veut,
malgré la sainte enfant, observer à son égard les coutu-
mes de la nation. L'on voit très bien d’où procède l'atti-
tude prise par l'auteur. Depuis Origène, tous les com-
mentateurs grecs ou latins ont fait remarquer à propos
du : ezrum non cognosco de saint Luc ! que, la première
entre toutes les femmes, Marie a consacré au Seigneur
sa virginité. — L' Évangile de la Nativité aprétendu con-
cilier les deux traditions; il connaît la promesse de sainte
Anne, et le vœu de virginité de Marie, c’est à ce double
titre que la Vierge refuse d’imiter ses compagnes du tem-
ple, quand elles reçoivent du grand-prétre l'autorisation
de convoler en justes noces ?,
Quant à la question du mariage de la Vierge, elle est
complètement résolue pour l'auteur de la Nativité. Il a
appris des deux grands docteurs de l'Église latine, saint
Ambroise et saint. Augustin, que c'est le consentement
mutuel des deux époux qui constitue le mariage ?, et dés
lors 1] n'hésite pas à admettre entre Joseph et Marie
l'existence d'un véritable contrat. Méme il va plus loin,
et à la suite de plusieurs commentateurs il distingue entre
les fiançailles et le mariage lui-même. Aussitôt après le
prodige qui a désigné Joseph comme le futur époux de
Marie, l’on célèbre les fiançailles à la manière accoutu-

1. Luc, x, 34.
Ὁ Ναας Πα γι, vtt; 2.
3. Cf. entre autres témoignages : S. Ambroise, De institutione
Virginis et S. Mariæ virginitate perpetua.—C. vx : Nec illud moveat quod
ait quia Joseph accepit conjugem suam et profectus est in Ægyptum, des-
ponsata enim viro conjugis nomen accepit. Cum enim initiatur conjugium
tunc conjugii nomen adsciscitur ;non enim defloratio virginitatis facit con-
jugium, sed pactio conjugalis. Denique cum jungitur puella, conjugium
est, non cum eirili admixtione cognoscitur. P. L., t. xvr, col. 316.
S. Augustin, Serm., 11, n. 21, P. L., t. xxxvii, col. 344; — De nup-
tiis et concupiscentia, 1. I, c. xz, P. L., t. xzxv, col. 420, 421.
30 LES DOCTRINES

mée, puis Joseph retourne à Bethléem tout préparer


pour Ja solennité même du mariage, tandis que Marie se
rend à Nazareth dans la maison de ses parents. C’est à ce
moment que se place l'annonciation de l’ange !. Quand
Joseph revient pour chercher sa fiancée et célébrer dé-
finitivement le mariage, il est instruit par l’ange de la
conception virginale. Cela ne l'empéche pas de célébrer
le mariage?, mais il est bien entendu que c'est un mariage
trés spécial, celui que les canonistes du moyen áge appel-
leront le matrimonium ratum non consummatum, et qu'ici
l'on pourrait nommer ratum non consummandum. D'ail-
leurs, avec un sens fort juste des conditions historiques,
RU
nd
pw
Qo
SCl
ixdpa
l'auteur a supprimé l'épreuve des eaux améres dont on
ne voit plus en effet la signification, si un véritable
mariage est intervenu entre Marie et Joseph.
Cette précision, cette clarté sont inconnues à Pseudo-
Matthieu; étant donné d'ailleurs son désir de conserver
dans les grandes lignes les récits du Protéeangile, il ne
pouvait guére supprimer l'épreuve dont on vient de par-
ler, et qui répondait si bien à son intention de faire
reconnaître officiellement la chasteté de Marie. Il n'a pas
été assez habile pour débrouiler la situation de fait
qu'avait signalée le Protévangile. Et comme, à son épo-
que l'institution des eirgines subintroductz était condam-
née ou disparue, la confusion n'a fait que croître. Il est
bien difficile de savoir ce que pensait notre auteur du
mariage de la Vierge, car vraisemblablement il n'en pen-
sait rien.

1. Nat. Mar., vii, 2; 1x, 1.


2. x, 3. Igitur Joseph uxorem duxit.
VIRGINITÉ (ΙΝ PARTU » 31

4. La virginité « in partu ».

Vierge en concevant le Sauveur, Marie n’a point perdu


en le mettant au monde le glorieux privilège de la virgi-
nité, telle est l’idée capitale du Protévangile de Jacques,
idée que selon toute vraisemblance, il n’a pas créée, mais
idée sur le développement de laquelle il a exercé une in-
fluence qu'il serait difficile d'exagérer. Et loin de passer
rapidement sur ce sujet, qui nous semble délicat, il s'y
est attardé avec complaisance, il a voulu donner de l'en-
fantement miraculeux des preuves véritablement tangi-
bles. Nous ne le suivrons pas sur ce terrain, où l' Évan-
gile de la Natieité n'a pas voulu lui non plus s'aventurer,
mais que Pseudo-Matthieu n'a pas craint d'aborder.
Toutefois cette question de l'enfantement virginal en
souléve immédiatement une autre, bien plus importante
au point de vue théologique, celle du docétisme. Suivant
les protestants libéraux, en effet, la doctrine catholique
de la naissance 1mmaculée n'est pas autre chose qu'un
vestige des conceptions docètes. Victorieusement re-
poussé sur tous les autres points, le docétisme a triom-
phé sur celui-ci et a fini par s'introduire sous cette for-
me dans l’enseignement officiel de l'Église !.
Le docétisme est l'erreur qui préte au Christ l'appa-
rence seulement d'un corps humain. Pour éviter à l'élé-
ment divin que l'on reconnait en Jésus le contact humi-
liant avec la chair, on supprime en lui l'élément charnel.
Le Christ n’a eu de l'humanité que les apparences, c’est
une sorte de fantóme qui semble se soumettre aux con-
1. Concile de Latran en 649 sous Martin Ier, can. 3 : Si quis secundum
sanctos Patres non confitetur proprie et secundum veritatem Dei genitricem
sanctam semperque virginem immaculatam: Mariam, utpote ipsum Deum
Verbum specialiter et veraciter, qui a Deo Patre ante omnia sæcula natus
est, in ultimis seculorum absque semine concepisse ez Spiritu Sancto, et
incorruptibiliter eam genuisse, indissolubili permanente et post partum
ejusdem virginitate, condemnatus sit. Denzinger, Enchiridion, n. 204,
32 LES DOCTRINES

ditions générales de notre vie terrestre, mais qui peut s'y


soustraire quand ces conditions deviennent par trop hu-
miliantes. C'est le cas particuliérement au moment de la
passion, le Christ s'échappe des mains de ses bourreaux,
c'est un autre personnage qui est crucifié à sa place.
Ce peut étre aussi le cas pour la naissance. Raisonnable-
ment on ne saurait astreindre un Dieu aux humiliations
qui marquent l'entrée en ce monde de tous les fils d'Adam.
Dés lors si le corps du Sauveur n'eut de l'humanité que
l'apparence, s'il est un corps d'origine céleste, « 11 est né
par la Vierge et non dela Vierge. Descendu dans la Vierge,
il est venu en ce monde par manière de passage plutôt
que de génération, par elle, et non pas d'elle; elle fut pour
lui non une mère, mais une vote !. » Tel est l'enseignement
que Tertullien préte aux valentiniens; il n'est pas dou-
teux que sur ce point les valentiniens n'aient fait que re-
prendre les erreurs de docétes plus anciens, et qu'Ignace
avait déjà combattus ?. Pour tous les docétes, le Christ n'a
fait que passer à travers Marie comme l'eau passe à tra-
vers un canal. L'on ne voit pas qu'ils aient eu des vues
particuliéres sur l'enfantement virginal, un corps fantóme
ne saurait éprouver de difficultés à quitter le sein. d'une
vierge, 1l est bien clair en tout cas que la naissance im-
maculée était pour eux la conséquence de leurs théories
générales.
On a voulu retrouver des conceptions du méme genre
dans le Protéeangile, et ce n'est pas seulement la nais-
sance miraculeuse de Jésus que l'on en prend à témoin.
M. Conrady, dans un ouvrage curieux, sur lequel nous
aurons l'occasion de revenir ?, a rassemblé les expressions
qui témoignent à son avis du docétisme de l'auteur. Péné-

1. Tertullien, De carne Christi, 27, édition CEhler, t. 11, p. 411.


2. Insistance d'Ignace à affirmer la vérité de la naissance de Jésus.
Les textes dans Neubert, L. c., p. 7-9.
3. L. Conrady, Die Quelle der kanonischen Kindheitsgeschichte Jesus,
Góttingen, 1900, p. 71.
ἊΝ

VIRGINITÉ & IN PARTU D 33

tré de l'idée (inadmissible d'ailleurs), que le Protévangile


de Jacques est la source commune des récits cano-
niques de l'enfance,il cherche à montrer par la compa-
raison entre Pseudo-Jacques et saint Matthieu que ce
dernier a corrigé les expressions trop nettement docètes
de son prédécesseur. Dans la communication de l'ange
à Joseph, saint Matthieu ! écrit : τὸ γὰρ ἐν αὐτῇ γεννηθὲν Ex
πνεύματός ἐστιν ἁγίου, là où le Protévangile avait dit : τὸ
Map ἐν αὐτῇ ὃν x πνεύματός ἐστιν ἁγίου. C'est toute la diffé-
rence, dit Conrady, entre la conception catholique et
la conception docète. Suivant cette dernière, le Christ
ne peut pas être dit né, formé dans le sein dela Vierge,
il y est simplement, ayant apporté du ciel son corps
fantastique. Conrady oppose de méme εὑρέθη iv γαστρὶ
ἔχουσα de Matth., 1, 18, à l'expression par laquelle le
Protévangile désigne la grossesse de Marie : £4 γαστὴρ αὐτῆς
WyxoUTO, XII, ὃ; ὠγχωμένη, xiu, 1; xv, 1, 2. Il insiste
enfin sur la maniére dont on parle du fruit. de Marie:
τὸ Ey τῇ γαστρί σου, XIII, 9, τὸ ἐν αὐτῇ ὄν, τὸ ἐν αὐτῇ, τὸ ἐν
xvii, 2, 3. Ces manières de parler seraient nettement
docètes, elles tendraient à montrer que Jésus est sim-
plement dans le sein de Marie, elles prétendraient ex-
clure l'union intime qui devrait exister entre lui et sa
mère. Ayant ainsi montré l'existence de conceptions
docètes dans les récits antérieurs à celui de la nais-
sance on est à l'aise pour affirmer que l'enfantement
virginal est influencé par le docétisme.
Cependant nous ne croyons pas cette argumenta-
tion convaincante. Bien fugitives sont les traces du
docétisme que l'on cherche à nous montrer, et l'opposi-
tion qu'on prétend établir entre saint Matthieu et le
Protévangile nous semble bien exagérée. Il n'y a de bien
sérieux que la substitution dans Pseudo-Jacques de
l'expression : τὸ ἐν αὐτὴ ὄν à τὸ iv αὐτῇ γεννηθέν de saint

1. Matth., 1, 20.
PROTÉV. — 3
34 LES DOCTRINES

Matthieu !. Mais d'abord cette leçon du Protévangile n'est.


pas absolument certaine ?, On peut dire, il est vrai, que
les leçons divergentes s'efforcent de rapprocher le texte |
du Protévangile de celui de saint Matthieu, et témoignent |
donc en faveur de la leçon la plus difficile. Quoi
qu'il en soit d'ailleurs du texte lui-même, les mots du
texte reçu peuvent admettre une explication ortho- |
doxe. Les autres expressions qu'apportent Conrady en
sont tout naturellement susceptibles. Quelle différence
considérable au point de vue de la pensée peut-il y avoir.
entre ἐν γαστρὶ ἔχουσα de saint Matthieu et les mots τὸ iy |
αὐτῇ ὄν, τὸ ἐν γαστρί σου ? Sans doute le Protévangile n'em- |
ploie pas pour désigner l'état de Marie les mots expres-
sifs ἔγχυος, ἐγχύμων, χύουσα; saint Matthieu neles a pas
employés davantage. Le terme ὠγχωμένη aux divers
endroits où il est employé a une signification fort na-
turelle, 11 attire l'attention sur les signes extérieurs de
la situation de Marie.
$1 le docétisme n'éclate pas dans les récits antérieurs
à celui de la naissance, il n'apparait guére dans ce dernier.
La description trés sobre et trés discréte de l'enfantement
virginal peut fort bien s’accommoder d'une interpré-
tation orthodoxe; en tout cas,le docétisme y est si peu
apparent que les hérétiques pour s'en servir ont dû la
modifier profondément. On lit dans l’Ascension d'Isaie,
apocryphe juif remanié par des mains chrétiennes,
un récit de la naissance de Jésus qui a des points de con-
tact évidents avec le Protévangile 8. « Et moi, je vis encore

1. Nous admettons en effet à l'inverse de Conrady la dépendance du


Protévangile par rapport à saint Matthieu. Cf. plus loin, c. riz, p. 92 sq.
2. Voir dans le commentaire les diverses variantes.
3. Cf. E. Tisserant, L' Ascension d' Isaie, Paris, 1909. — La dépendance
nous semble bien établie par Zahn, Forschungen zur Geschichte des
N. T. Kanons, t. vi, p. 312, note. « Cette dépendance est évidente. La
descendance davidique de Marie : Ascens., x1, 2 — Protev., x,1. L'attri-
bution de Marie à Joseph par le sort : Ascens., xz, 3, 5, 10 = Protev.,
virr-1x. De plus, la vision de Marie quise reflète sur son visage, Ascens. ,
VIRGINITÉ «IN PARTU » 9b

une femme de la famille du prophéte David, dont le nom


était Marie; et elle était vierge, et elle était fiancée à un
homme du nom de Joseph, un artisan, lui aussi de
Bethléem de Juda, et 1l entra en possession de son lot,
et lorsqu'elle fut fiancée, elle se trouva enceinte et Jo-
seph l'artisan voulut la renvoyer. Et l'ange de l’Esprit
apparut en ce monde, et aprés cela Joseph ne la renvoya
pas,et il garda Marie, mais il n'y eut personne à qui il
révéla cette affaire. Et il n'approcha pas de Marie, et il
la garda comme une vierge sainte, bien qu'un enfant fût
dans son sein. Et1l ne demeura pas avec elle pendant deux
mois. Et aprés deux mois de jours, Joseph se trouvait
dans sa maison, ainsi que Marie son épouse, mais tous les
deux seuls; et il arriva, comme ils étaient seuls, que Marie
regarda alors de ses yeux et vit un petit enfant et elle fut
effrayée. Et après qu’elle fut effrayée, son sein se trouva
comme précédemment avant qu’elle ait conçu. Et lorsque
son époux Joseph lui dit : « Qu’est-ce qui t’a effrayée ? »
ses yeux s’ouvrirent et 1l vit l'enfant, et il loua le Seigneur,
car le Seigneur était venu dans son lot. Et une voix
s’adressa à eux : « Ne dites cette vision à personne. »
Et une rumeur courut dans Bethléem au sujet de l’en-
fant; il y en eut qui dirent : « La vierge Marie a en-
«fanté avant qu'il y eüt deux mois qu'elle füt mariée. »
Et beaucoup dirent : « Elle n'a pas enfanté, et il n'est
«pas monté de sage-femme et nous n'avons pas entendu
«les cris de douleur. » Et tous furent aveuglés au sujet
de l'enfant, et tous le connaissaient, mais ils ne sa-
vaient pas d’où il était. » xr, 2-14 1. — Le docétis-
me de cette narration semble évident, surtout quand
on la compare à celle qui lui a donné naissance. Au mo-

xi, 8-11, n'est certainement pas indépendante de Protee., xvi, 2. »


Nous ne croyons pas pouvoir accepter l'opinion de Charles, adoptée par
Tisserant, qui établit entre l’Ascension et le Protévangile la relation in-
verse. Tisserant, L. c., p. 58-60.
(1) Tisserant, L. c., p. 203-205.
36 LES DOCTRINES

ment décisif l'enfant apparait dans les bras de Marie, et.


Joseph qui est présent n'a rien vu. L'auteur a donné au.
Christ naissant les qualités que les Évangiles canoniques |
attribuent au Christ glorieux et ressuscité, il est visible|
ou invisible à son gré. On a pris soin de supprimer tous :
les petits traits qui dans le Protévangile font voir que law
naissance de Jésus ressemble en plusieurs points à celle
de tous les hommes, la sensation qu'a Marie, par exemple,
de sa prochaine délivrance (Protee., xvii, 3), l’idée qu'une
sage-femme pourrait être nécessaire (xvin, 1), lin-
tervention de la sage-femme pour constater l’état de
Marie. L'ensemble de la scène se passe d’une manière
tout à fait mystérieuse, si bien que ni Marie ni Joseph ne «
se rendent un compte exact de ce qui est arrivé. — L'op-
position entre les deux récits est manifeste, et puisque
d'autre part la dépendance de l' Ascension par rapport au
Protévangile peut être considérée comme établie, il reste
donc que l'auteur du second récit a trouvé le docétisme
du premier si peu évident, qu'il s'est cru obligé de lui don-
ner un relief plus accentué.
Concluons : Rien de moins certain que le docétisme
du Protévangile ; rien de moins certain non plus que l'ori-
gine docéte de la doctrine catholique sur l'enfantement
virginal.

5. La virginité « post partum ».

Vierge dans la conception, vierge dans l'enfantement,


Marie a-t-elle gardé jusqu’à la fin de sa vie une virginité
intacte ? Avec beaucoup de ses contemporains l'auteur
du Protévangile le croyait. Mais il lui fallait dés lors ré-
soudre plusieurs difficultés tirées des Évangiles canoni-
ques, qui ne laissaient pas que d’être embarrassantes.
Ceux-ci, comme d'ailleurs toute l’antiquité chrétienne,
connaissaient des personnages appelés fréres de Jésus;
le plus illustre d'entre eux, Jacques, avait été le premier
VIRGINITÉ «POST PARTUM D 27,

évêque de Jérusalem. Sa sainteté personnelle, aussi bien


que ses relations de parenté avec le Christ, lui avaient valu
une haute considération, non seulement parmi les chré-
tiens convertis du judaisme, mais encore parmi les juifs
eux-mémes. On savait qu'il avait été favorisé d'une
apparition spéciale du Christ ressuscité !. Bref, c'était
un personnage qu'il n'était pas facile de passer sous si-
lence. Mais s'il portait légitimement le titre de frére du
Seigneur, la premiére idée qui venait sur son compte,
c'était d'en faire un fils de Joseph et de Marie, et la ma-
nière dont parlaient saint Matthieu ? et saint Marc? n'était
pas faite pour ruiner cette conjecture. Le plus simple,
» pour couper court à cette interprétation, fâcheuse pour
la virginité perpétuelle de Marie, était d'expliquer d'une
autre manière la parenté entre le Seigneur et son frère.
Il est bien difficile de savoir si quelque tradition per-
mettait à l’auteur du Protévangile de résoudre ce pro-
bléme 4 I] semblerait plutôt qu'il ait pris le parti d'in-
venter de toutes pièces une solution. Jacques, Simon,
José et Jude seront des frères de Jésus, parce qu'ils ont,
devant la loi des hommes, le méme pére Joseph. Joseph
en effet, avant de recevoir Marie sous sa protection, a été
marié, et de sa première femme il a eu des enfants 5, ceux
que l’on appellera plus tard les frères du Seigneur. Un
de ces fils (plusieurs peut-être) accompagne Joseph
et Marie dans le voyage de Bethléem 8, c'est lui que Joseph

1. I Cor., xv, 7; lÉvangile des Hébreux connaissait les détails de cette


apparition. Cf. Preuschen, Antilegomena, p. 8.
2. Matth., xin, 55-56.
SEUMATLC., VL. 2-9.
^. Ce n'est point ici le lieu de discuterla solution qu' Hégésippe vers la
fin du ni? siècle donne du méme probléme. Si l'auteur du Protévangile a
connu la tradition qui considére Jacques et les autres comme des cou-
sins de Jésus, il ne l'a pas admise. — Pour la discussion de la pensée
d'Hégésippe, cf. Neubert, L. r., p. 198-202.
Do 1X. 2.
GER, 2.
38 LES DOCTRINES

laisse auprès de la Vierge quand, l'heure de la délivrance


approchant, il s’en va à la recherche d’une sage-femme 1
Et c’est peut-être ce fils, témoin de ces événements mi“
raculeux, qui se donne comme l’auteur du récit actuel.
Si cette hypothèse est exacte, si le Jacques qui met sa
signature à la fin du Protévangile, se donne bien comme
le fils de Joseph, il faut féliciter l’auteur de sa hardiesse,
puisqu'il trouve le moyen de faire de Jacques le frère
du Seigneur, un témoin autorisé de la perpétuelle virginité
de Marie. ame
Pre!
afe

Quoi qu'il en soit, l'idée du premier mariage de Joseph


permet au Protévangile d'affirmer avec vraisemblance la 3
vieillesse de Joseph. Cette affirmation qui trouvera tant
de crédit dans l’imagination populaire, n'avait aucun“
fondement dans les Évangiles.Mais elle servait merveilleu-
sement la thése de l'auteur; elle permettait de rendre
aussi vraisemblable que possible le séjour de Marie dans
la maison de Joseph; celui-ci pouvait passer aussi bien
pour son père que pour son époux 3. Jamais virgo
subintroducta ne s'était trouvée dans des conditions plus
favorables.
L’explication donnée par le Protévangile concernant les
frères du Seigneur rencontra immédiatement un immense
succès. Clément d'Alexandrie et Origène s'y rangèrent
les premiers 3; elle devint l'explication classique dans
tout l'Orient. L'Occident lui fit d'abord bon accueil,
saint Hilaire, saint Ambroise, saint Augustin semblèrent
s'y rallier; mais la brusque intervention de saint Jéró-
me vint arrêter sa fortune, au moins dans l’Église latine.
Sans doute, elle ne disparaîtra pas complètement, et
l’on en retrouve la trace jusque dans la Somme de saint
Thomas, mais si elle est encore mentionnée, c’est bien

XVIII, 1.
xvir, 1.
"Ὁ
r0
© Voir les références plus loin, dans l'histoire du livre.
VIRGINITÉ ( POST PARTUM » 39

plutót comme une curiosité exégétique que comme une


explication scientifique, digne de rallier les suffrages des
doctes; on l'abandonne au populaire; on lui préfére l'exé-
gése de saint Jérôme qui considère les frères du Seigneur
comme des cousins de Jésus, on oublie donc et la première
femme de Joseph et les enfants qu'il eut de son pre-
mier mariage.
Ainsi a fait l’Évangile de la Nativité. J'ai déjà fait re-
marquer plusieurs fois qu'il est un écrit de haute tenue
exégétique repoussant avec quelque mépris les légendes
populaires. Quand le grand-prêtre rassemble les préten-
dants au mariage de la Vierge, il fait appel non point
aux veufs, comme dans le Protévangile ou dans Pseudo-
Matthieu, mais simplement à tous ceux qui étant à l’âge
nubile ne sont point encore mariés !. Cela n'exclut pas
les veufs, il est vrai; mais nulle part Joseph n'indique qu'il
ait été marié, et qu'il ait des enfants. Il est vieux ?, c'est
la seule raison qu'il puisse apporter pour essayer de se
'soustraire à l'honneur qu'il redoute. — Pseudo-Matthieu
n'a pas connu ces scrupules; il n'insiste pas, reconnais-
sons-le, sur la nécessité qu'il y a d'étre veuf pour pouvoir
prétendre à la main de la Vierge ?; mais Joseph parle
nettement de ses fils, et il exprime méme l'idée qu'il
pourra donner à l’un d'eux la Vierge en mariage 4. Cette
pensée saugrenue aurait fort scandalisé saint Jéróme et
ceux qui en Occident s'inspiraient de son exégése; on
est méme étonné qu'elle ait pu trouver place dans
une légende populaire. Il faut bien qu'à cette époque
Joseph n'ait pas joui de la considération singuliére qu'on
lui attribuera plus tard.

1. viz, 4 : nuptui habiles non conjugatos.


εν τὴν, 1. |
3. Ps.-Matth., virx, 2 : Quicumque sine uxore est.
ἄς vII, 4.

LE
PU
AQ LES DOCTRINES

6. Questions théologiques diverses.

En dehors des diverses questions que nous venons


de traiter, et auxquelles l'auteur du Protévangile se pro-
posait de donner une réponse précise, on peut relever
cà et là quelques allusions à des doctrines théologiques
de son temps. Elles sont assez rares. On peut se deman- ςGANT
fier
der. par exemple, si l'auteur connaissait l’intercession des
saints et particulièrement de la Vierge. Or 1] est remar-
quable que dans un écrit qui roule tout entier surla vierge
Marie il ne soit fait nulle part allusion à son pouvoir d'in-
tercession. La piété des áges suivants serait heureuse
de voir Marie intervenir en faveur de Salomé si dure-
ETA
TE
PART
ment punie de son incrédulité !. Il n'en est rien; c'est un
ange du ciel qui vient annoncer à la coupable le moyen
d'étre guérie, et c'est en touchant le divin enfant qu'elle
retrouve l'usage de son bras paralysé. Pseudo-Matthieu
au contraire nous transporte à une époque oü Marie
est devenue la dispensatrice de toutes les” grâces, l'es-
poir des malades, le secours des affligés, le refuge des cou-
pables. Quelques traits assez sobres l'indiquent. Quand
elle est au temple, elle guérit par son seul contact les ma-
lades qu'on lui présente ?. Quand ses compagnes, un peu
jalouses de sa supériorité, l'ont offensée, et qu'un ange
est venu leur reprocher leur conduite, elles supplient
Marie de leur pardonner et de prier pour elles?. Quand le
peuple a exprimé sur sa grossesse de fâcheux soupçons
et que Marie a été justifiée par l'épreuve des eaux
amères, tous la supplient d'avoir compassion d'eux et de
leur pardonner 4 L'auteur a cependant conservé sans y
rien changer l'épisode de la sage-femme incrédule.

. Protev., xx, 1-3.


=
D . Ps.-Matth., v; 3 (fin).
. .Ps.-Matth., vrrx, 5.
m
o
QUESTIONS DIVERSES 41

Le sujet du Protévangile ne donnait guère d'occasion à


l’auteur d'exprimer ses idées sur Dieu, sur les relations
entre le Pére et le Fils, sur le Saint-Esprit. La Bible a fourni
les expressions générales, et, sauf en un cas particulier,il
n'y a rien à signaler. Dieu est appelé généralement le
Seigneur !, ou le Seigneur Dieu ?; quelquefois aussi le
Maitre ?, le Dieu de nos pères 4 On trouve une fois
lexpression Dieu des Hauteurs 5, et celle de Très-
Haut 6. Nulle part on ne rencontre l'expression de Père.
Dans lensemble, on le voit, la terminologie est celle
de l'Ancien Testament plutót que celle du Nouveau. Il
n'est parlé du Christ qu'au chapitre relatif. à l'annoncia-
tion; dans ce chapitre l'auteur du Protéeangile a fait
subir au récit de saint Lue des modifications qui doi-
vent étre relevées. L'ange avait dit dans Saint Lue:
« Ne crains point, ὃ Marie, car tu as trouvé grâce près
de Dieu, et voici que tu concevras et que tu met-
tras au monde un fils, et tu l'appelleras Jésus ?. » On
lit dans le Protévangile : « Ne crains point, ὃ Marie, car
tu as trouvé gráce devant le Maitre de l'univers, et tu
concevras de son Verbe » (xai συλλήψῃ ἐχ λόγου αὐτοῦ) À
Le sens de ces derniers mots est éclairé par le pas-
sage suivant. La Vierge ayant demandé si elle enfan-
terait comme les autres femmes, lange lui répond :
« Non pas, ó Marie, car la puissance du Seigneur te cou-
vrira de son ombre; c’est pourquoi le fruit saint, qui
naîtra de toi, sera appelé le fils du Trés-Haut ?. » Dans

ΕἸ τ Ὁ 11741. 3:111, 1,2, etc:


9
nv. lr Ex ——etc.
CRE
ὁεν»δεσπότης;
,
11, ^;
Lie
vit,
xr
1;. vint,
+
1;QUAE!6 πάντων
"
δεσπότης;
5 ^
XI,
δ
2.
y

Xu vI. 2.
ὁ θεὸς τῶν ὑψωμάτων; VI, D
ὁ ὕψιστος; XI, ὃ.
Buc.,:1, 90"-91.
Protev., xx, 2.
δι EIS.
δ5
-ἰ
oo
f$
-—

|
1
42 LES DOCTRINES

le passage paralléle de saint Luc, il était fait mention


,

2
del'Esprit-Saint, πνεῦμα ἅγιον ἐπελεύσεται ἐπὶ δέ !, à côté
de la δύναμις ὑψίστου. ll semble au contraire, en rappro-
chant les deux textes du Protévangile que nous venons de
citer, que pour l'auteur la δύναμις χυρίου (verset 3) ne
soit pas différente du λόγος xupiou (verset 2). Gest
au Verbe divin, en d'autres termes, qu'est attribuée la
formation au sein de Marie de Celui qui sera le fils du
Trés-Haut. Cette idée, qui va à l'encontre de la vieille
formule ecclésiastique « né du Saint-Esprit et dela vierge
Marie » (τὸν γεννηθέντα Ex πνεύματος ἁγίου nai Μαρίας τῆς
παρθένου) *, n’est pas inouie dans l’ancienne litté-
rature chrétienne. On lui trouve des parallèles dans
Justin 3, Par l'effet des spéculations théologiques sur le
Verbe divin, l'Esprit-Saint a reculé à l’arrière-plan. On
sait la place très subordonnée que lui donne Justin 4, Il
est remarquable que dans ce passage du Protévangile
il ait disparu complètement. On le trouve cependant
mentionné un peu plus loin; l'ange qui vient rassurer
Joseph lui fait remarquer que «l'enfant qui est au sein
de Marie est du Saint-Esprit 5.» C'est la formule méme
de saint Matthieu : τὸ γὰρ ἐν αὐτῇ γεννηθὲν ἐχ πνεύματός
ἔστιν ἁγίου 6, » — L'enfant qui naîtra de cette mystérieuse
conception sera appelé le fils du Très-Haut?, on lui donnera
le nom de Jésus, car il sauvera son peuple de ses pé-

Tue; 92-
2. Cf. A. Harnack dans Hahn, Bibliothek der Symbole, 3° édit., p. 374-
375.
3. Justin, Apol., 1, 46, διὰ δυνάμεως τοῦ λόγου κατὰ τὴν τοῦ πατρὸς mÀ ν-
τῶν χαὶ δεσπότου θεοῦ βουλὴν διὰ παρθένου ἄνθρωπος ἀπεχυήθη x«i Ἴησο Uc
ἐπονομάσθη...; 66 : διὰ λόγου θεοῦ σαρχοποιηθεὶς ᾿Ιησοῦς Χριστὸς ὁ σωτὴρ
ἡμῶν Lai σάρχα xal αἷμα ὑπὲρ σωτηρίας ἡμῶν ἔσχεν.
4. Apol., 1, 6, le Saint-Esprit est mentionné après les anges.
5. Protev., x1v, 2.
6. Matth., 1, 20.
7. Protev., x1, 8.
QUESTIONS DIVERSES 43

chés !, Cette étymologie qui provient de saint Matthieu ?,


n’est mentionnée dans les Évangiles canoniques qu’à
propos de l'avertissement donné par l'ange à Joseph.
Le Protévangile la mentionne de plus dans l’annoncia-
tion de l’ange à Marie. On remarquera que dans ce der-
nier cas Pseudo-Matthieu a négligé de mentionner les ti-
tres complets du fils qui naitra de Marie? : Ecce conci-
pies et paries regem, qui imperet non solum in terra sed
et in celis, et regnabit in sæcula seculorum.
$i nos Évangiles apocryphes n'ont que rarement l'occa-
sion de parler des trois personnes de la sainte Trinité, ils
mentionnent fréquemment au contraire les anges qui
semblent, dés cette époque, avoir une part importante
dans les spéculations théologiques 4 Leur rôle est essen-
tiellement celui de messagers célestes, et comme les héros
des Évangiles apocryphes ont de multiples relations avec
le ciel, on ne devra pas s’étonner de voir se multiplier les
apparitions angéliques. Ce ne sont même plus des évé-
nements extraordinaires, tant ils interviennent fréquem-
ment dans la trame des récits. Marie, par exemple, reçoit
tous les jours sa nourriture de la main d'un ange 5. Ce
fait, sur lequel le Protévangile avait glissé discrètement,
Pseudo-Matthieuy appuie avec une gaucherie charmante,
Non seulement le repas servi par l’ange du Seigneur fait
partie du règlement journalier de la Vierge 6, mais on
voit fréquemment les anges converser avec Marie et lui
obéir avec amour ?. Le Protévangile est généralement très
sobre dans la description des apparitions angéliques,

TO EU Qu xtv, 2.
24 Mattha 1.24.
3. Ps.-Matth., 1x, 2.
4. Cf. le rôle trés important des anges, dans le Pasteur d'Hermas, et
déjà auparavant dans l'Apocalypse.
5. Prolev., vri, 1.
6. Ps.-Matth., νι, 2.
7. Ps.-Matth., v1, 3.

ND
44 LES DOCTRINES

employant d'ordinaire la tournure hébraique:« et voici


qu'un ange se tint 1.» Pseudo-Matthieu reste sensible-
ment dans la méme ligne. L'auteur de la Natieité de Marie
sait au contraire que les anges ont coutume d'apparai-
tre dans une brillante lumière 2. — Les anges dans les deux
remaniementslatins ne sont pas seulement des messa-
gers célestes, ils sont encore les protecteurs des hommes.
Et c'est en cette qualité qu'ils sont chargés de porter à
Dieu les prières et les bonnes œuvres de leurs clients. Cette
idée qui a des attaches dans la Bible 3, s'est singulière-
ment développée dans les milieux juifs et chrétiens à
l'époque de nos apocryphes* Un trait commun à ces
anges et à ceux qui paraissent dans toute la littérature
apocalyptique de l'époque, c'est qu'ils se dérobent à l'ado-
ration des hommes 5; ils ne sont que les compagnons
de ceux-ci dans le service de Dieu. Le Protévangile
ne sait pas les noms des anges qui sans cesse apparaissent
dans son histoire; il a méme laissé de cóté celui de
Gabriel que saint Luc connaissait. Pseudo-Matthieu l'a
imité sur ce point encore. L'auteur de la Nativité est
rentré dans la tradition exégétique et a rendu son nom

1. Protev., 1v, 1.
2. Nat. Mar., xxx, 1.
3.Cf. Tobie, xir, 12 : l'ange Raphaël porte vers le trône de Dieu les
prières et les bonnes œuvres de Tobie. Au contraire, dans Act., x, 4,
les priéres et les bonnes ceuvres du centurion Corneille montent d'elles-
mémes vers Dieu.
^. Cf. Testament des XII patriarches, 111 (Lévi), 3. Au cinquième ciel
Se trouvent oi ἄγγελοι τοῦ προσώπου xupíou, oi λειτουργοῦντες xai ἐξιλασ-
"
*6 μενοι πρὸς χύριον ἐπὶ πάσαις ταῖς ἀγνοία:ις τῶν διχαίων. Προσφέρουσι δὲ χυ-
,
pio ὀσμὴν εὐωδίας λογιχὴν, χαὶ ἀναίμαχτον προσφοράν. — Livre d'Hénoch,
passim ; voir les références dans F. Martin, Le Livre d'Hénoch, Paris,
1906, p. xxvi, xxvir. — On retrouverait la méme idée exprimée pres-
que dans les mémes termes chez les écrivains paiens de la méme
époque. Porphyre, De abstin., 11, 38, parlant des bons génies : τὰς μὲν
παρ᾽ ἡμῶν εὐχὰς ὡς πρὸς δικαστὰς ἀναφέροντες τοὺς θεούς. Apulée, De Deo
Socratis, etc.
5. Ps.-Matth., 111, 3.
ue.
fl

VALEUR HISTORIQUE 45

à l'ange de l'annonciation. Tous les autres anges qui pa-


raissent chez lui restent anonymes. — Le démon n'apparaît
pas dans nos textes; il est fait mention une fois du ser-
pent tentateur, i| est vraisemblable que l'auteur l'assi-
milait à Satan 1.

7. Valeur historique.

Le Protévangile de Jacques se donne comme un récit


historique, et les remaniements du haut moyen âge
latin n'ont fait que reprendre les traits principaux de
sa narration. Ce récit est destiné à combler les lacunes
des Évangiles canoniques relativement à Marie et à Jo-
seph. Que faut-il penser de ces additions tardives ? La
question ne se poserait pas si l'ensemble des écrivains
ecclésiastiques avait gardé à leur égard l'attitude de saint
Jéróme et de saint Augustin. Le premier a repoussé avec
mépris ce qu'il appelle les deliramenta apocryphorum ?;
le second, sans être aussi catégorique, a déclaré que des
écrits non canoniques étaient pourlui de nulle autorité 3,
Mais il se trouve qu'en fait un certain nombre de
données provenant des Évangiles apocryphes se sont in-
corporées au cours des àges à l'enseignement théologi-
que. À force de redire certaines légendes, on a fini, aussi
bien dans l'Église grecque que dans l’Église latine, par
les considérer comme de l'histoire authentique. En Orient,
c'est un fait accompli dés le vi? siècle; l'Occident sera
plus long à convaincre, mais finalement vers le xir
siècle 1] acceptera comme une histoire vraie les grandes
lignes du récit apocryphe: la nativité miraculeuse de
Marie, la présentation de la Vierge et son séjour dans le
temple jusqu'à l’âge de la puberté, la désignation miracu-

4. Protev., x11, 1.
9. Ade. Helvidium, vir, P. L., t. xxii, col. 192.
3. Contra Faustum, l. X XIII, c. ix, P. L., t. xxx, col. 471,

Ψ
10
46 LES DOCTRINES

leuse de Joseph comme l’époux et le gardien de Marie, enfin


la naissance de Jésus dans une grotte des alentours de
Bethléem. Ces diverses cironstances font pour ainsi dire
partie intégrante des Vies de Notre-Seigneur. Il y a plus.
La théologie s’est occupée plus particulièrement du vœu
de virginité qu'aurait prononcé de très bonne heure la
Vierge Marie et presque fatalement elle en vint à re-
garder comme historiques les narrations du Protévan-
gile sur la présentation et le séjour au temple de la
Vierge trés pure 1. Rien d’étonnant dès lors que la fête
de la Présentation de Marie, dont on retrouve des traces
en Orient dès le viri? siècle ?, et peut-être beaucoup plus
tôt, n'ait fini par s'imposer aussi à l'Occident,
Cependant le renouveau des études de critique et d'his-
toire inauguré par la Renaissance devait amener les éru-
dits à examiner d'un peu plus prés la valeur de ces tra-
ditions. Ce furent les protestants qui les premiers com-
mencérent à les suspecter. Les Centuriateurs de Mag-
debourg en particulier se livrérent à une critique
fort perspicace des données traditionnelles ; leur ton est
en général modéré, mais ils ont bien compris que la plus
grande partie de la légende mariale dérivait du Protévan-
gile de Jacques, apocryphe sans valeur ?. Baronius re-

1. Nous nous contentons de renvoyer à Suarez. Paris, Vivés, t. x1x,


disput. VII, De Virginis matrimonio cum sponso suo Joseph.
2. Sermon de Germain I®7, patriarche de Constantinople vers 715,
εἰς τὴν εἴσοδον τῆς ὑπεραγίας Ücoróxou, P. G., t. xcviu, col. 292 sq.
3. Voici leurs appréciations sur les divers événements : Ecclesiastica
historia, Bâle, 1562, t. 1, col. 366 sq. Parents de la Vierge : Qui fuerint
autem ejus parentes certum non est, quia diserte in sacris litteris expres-
sum non legimus. Quidam autumant a Luca genealogiam Mariz texi,
verum id non est omnino clarum, et juxta eam rationem, Eli, quem et Joa-
chim dici volunt, constituunt patrem Mariz et Annam ejus conjugem
matrem. Videmus Protevangelion Jacobi propemodum hanc unam ob
causam constructum esse,ut orium Mariz indicet et summis vehat laudibus,
quomodo nimirum a sterili matre nata sit, angelo ejus natieitatem prædi-
cente, quomodo Deo consecrata, quomodo triennis (non aliter quam monia-
VALEUR HISTORIQUE 47

présente au mieux la position qu’en face de ces atta-


ques adoptèrent dès lors les écrivains ecclésiastiques.
D'une part 1] rejette comme apocryphes les livres qui nous
ont transmis ces légendes, aussi bien qu’un certain nom-
bre de traits qu'avait déjà repoussés la tradition exégé-
tique ( le premier mariage de Joseph, par exemple). Il
n’en est que plus fort pour défendre l’historicité des points
qui de son temps s'étaient si fortement incorporés à
l’enseignement des théologiens !, En particulier il s’est
cru obligé d’établir la possibilité du séjour de Marie
dans le temple. L’attitude de Baronius se comprend sans
peine. Préoccupé de répondre aux attaques protestan-
tes, pénétré de l’idée que la tradition ecclésiastique
peut nous instruire sur certains points que l'Écriture a
passés sous silence, il a rassemblé avec patience bon nom-
bre de textes où les anciens Pères, surtout parmi les Grecs,
exposent d’une manière oratoire les divers événements

les jam sub Papatu) in templum introducta et ibi enutrita fuerit. Verum
ista non conveniunt cum historiis veleris Testamenti, et alioqui hic liber jure
apocryphi titulum habet.— Mariage de la Vierge : Verum istas lusiones de
conjugio, monachatum resipientes, Evangelistae ignorant. — Épreuve
des eaux amères : In Protevangelio Jacobi recitatur utrosque juxta legem
aqua redargutionis polatos et innocentis testimonium accepisse; id non
absimile vero videtur. Sed quia in Evangelistis non exstat affirmari non
potest. À un autre endroit, col. 277, les Centuriateurs se montrent
plus sévères. In Protevangelio Jacobi narratur etiam sacerdotes comperisse
Mariam esse gravidam ac, juxta legem Numerorum, tam Mariæ quam Jo-
sepho aquam redargulionis pra buisse ac misisse ad montana, verum utrum-
que rediisse mundum. Verum cum ibi non pauca recitentur valde suspecta et
ab aliis evangelistis aliena, non putaeimus huc copiosius inserenda esse.
— Sur la nativité du Christ, col. 368 : Jacobi commenta, tanquam
non convenientia historie quam Lucas nobis reliquit, omittimus.
1. Baronius, Apparatus ad Annales ecclesiasticos, Lucques, 1740,
p. 451 : n. xxxix : Refelluntur commentitia de genere S. Mariæ : rejette
comme apocryphes le Protévangile de Jacques et le De Nativitate
Mariz ; mais au n. xr, il établit que la nativité de Marie a dû être pré-
cédée de signes ; — xrrx sq. (p. 454-455) il étudie la question du sé-
jour de Marie dans le Temple.
48 LES DOCTRINES

de la vie de Marie. Il ne s’est pas aperçu que tous les


documents dérivaient en dernière analyse d’une source
unique, le Protévangile. ll a rejeté le vase, il en a gardé
le contenu.
Les conclusions de Baronius furent soumises à une
critique pénétrante par l'érudit Casaubon 4 Il n'eut pas
de peine à démontrer que ces prétendues traditions ne
reposaient en définitive que sur l'autorité d'un ouvrage At
wg
Lats

apocryphe. C'est ce qu'ont bien compris les historiens


et les critiques ecclésiastiques du xvri® siècle. Combefis
dans ses notes sur les sermons d'André de Créte et de
Georges de Nicomédie a bien montré la dépendance de
ces auteurs à l'égard du Protévangile ?. Bolland 3 a criti-
M
DE
a
Cada
qué d'une manière fort sagace les données traditionnelles
relatives aux parents de la Vierge. Il consent volontiers
qu'on regarde tout cela comme des choses sans autorité,
à la réserve des noms de Joachim et d'Anne que l'on peut
croire s'étre conservés dans la tradition ecclésiastique.
Encore n'est-il pas bien sür que ces noms n'aient pas été
fabriqués de toutes pièces, Anne voulant dire : «la grâce »
et Joachim « la préparation du Seigneur ». Tillemont 4
est du méme sentiment : « Tout ce qu'on a Jamais dit sur
la famille de la Vierge n'est fondé que sur des écrits entiè-
rement apocryphes et pleins de fable. Ainsiil semble qu'il
faut se contenter de savoir que l'Église honore aujour-
d'hui Joachim comme le père, et sainte Anne comme la

1. Exercitationes criticæ in Apparatum card. Baronii. L'ouvrage est de


1614; nous n'avons pu consulter que les extraits qui en sont donnés dans
l Antibaronius Magenelis seu animadversiones in Annales card. Baronii
cum epitome lucubrationum criticarum Casaubonii, Amsterdam, 1675, t. τ.
2. Les notes de l'Auctarium sont reproduites dans P. G.,t. xcvnu
et c.
3. Acta sanctorum, 20 mars, Paris, Palmé, t. ix, p. 77 sq.; cf. au 19
mars, saint Joseph, tbid., p. 6 sq.
^. Mémoires pour servir à l'Histoire ecclésiästique, t. 1, ch. 11, « De la
sainte Vierge », p. 60-77, et surtout les notes, p. 482 sq.
VALEUR HISTORIQUE 49

mère de la Vierge ; ce qui a commencé depuis près de deux


cents ans parmi les latins et assez longtemps auparavant
parmi les grecs. » Un peu plus réservé que Bolland pour
ce qui concerne le nom des parents de Marie, 1] « aimerait
mieux dire que les imposteurs (qui ont fabriqué les apo-
cryphes) étaient assez anciens pour avoir su les vérita-
bles noms du père et de la mère de la sainte Vierge. Il
est à présumer qu'ils n'en ont pas inventé de faux,n'ayant
point de raison de lefaire. Car pour l'Église il est visi-
ble par saint Augustin et saint Jérôme qu'elle n'avait
aucune tradition que le pére de la Vierge füt un Joa-
ehim !. »
Pourtant les érudits, dont nous venons de citer les
noms, conservaient encore quelque respect pour les tra-
ditions vénérables qui, depuis de longues années, se trans-
mettaient sur la vierge Marie. Mais elles ne trouveront pas
gráce devant l'impitoyable critique du célébre hagiogra-
phe Adrien Baillet 2 « L'Église, dit-il à propos de la
féte du 8 septembre, fait profession de ne savoir aucune
des eirconstances qui l'ont accompagnée (la naissance
de Marie) et de ne nous en rien apprendre, puisque ni
lÉcriture, ni la tradition apostolique ne lui en apprend
rien ». Quant au mystére qui est honoré le 21 novembre,
il règne sur son compte une grande incertitude. « Depuis
Jean Damascéne on a produit une espéce de tradition qui
insinuait que la sainte Vierge, vouée à Dieu avant sa nais-
sance, lui avait été offerte dés son enfance, qu'elle avait
été recue dés lors comme destinée au ministére du tem-
ple parmi les veuves et les vierges qui y servaient sous
leslévites etles prêtres, qu'elle y avait fait vœu de virgi-
nité, quoique cela füt sans exemple, et qu'elle ne sortit

1. Il ne faudrait pas oublier non plus Noël Alexandre, cf. Hist. eccl.,
17 siècle, c. 1, art. 3.
2. Dans Les vies des saints, composées sur ce qui nous est resté de plus
authentique et de plus assuré de leur histoire, Paris, 1701, t. 111, au 8 sep-
tembre, col. 67; au 21 novembre, col. 349 sq.
FROTÉV. — Á
50 LES DOCTRINES

du lieu qu’au temps de ses fiançailles. » On voit que


Baillet n’a guère de confiance en la tradition qui a été
produite à partir de saint Jean Damascéne. Trente ans
plus tard, Prosper Lambertini,le futur Benoit XIV, avec
plus de réserve dans l'expression, dira sensiblement les
mêmes choses 7.
Dans sa remarquable dissertation : De eeangeliorum
apocryphorum origine et usu ?, qui a attiré sur les apocry-«
phes un regain d'attention, Tischendorf a adopté sensi-
blement la méme attitude que les critiques ecclésiasti- |
ques dont nous venons de rappeler les noms. Il étudie |
rapidement les divers pointssuivants?. D'abord, les parents |
de la sainte Vierge. Je n'hésite pas, dit-il,à regarder ces|
noms comme authentiques. On pouvait les connaitre
en effet au milieu du n° siècle ; quelle nécessité y avait- |

1. Benedicti XIV Opera, Rome, 1747-1751, t. x, De festis, 1. II, c. 1, 2


fête de la Desponsatio B. M. V. p. 432 ; — c. 1x, fête de la Nativité, '
p.515: Fortasse non nemo mirabitur nos de nativitate B. Mariz Virginis -
nil offerre; sed cum de ea sacer textus omnino sileat, optimum putavimus
et nos de re prorsus incerta tacere, de qua cum plures scribere eoluerint, ex
turbidis fontibus, qua tradiderint hausisse videntur, puta ex Proto-Evan-
- gelio, quod sancto Jacobo falso lribuitur, ex libro de Ortu Virginis, qui
perperam Sancto Jacobo fratri D. N. J..C. et a quibusdam Cyrillo Alexan-
drino tribuitur, ex libro de Ortu Virginis, cujus auctorem Seleucus falso
affirmavit fuisse Evangelistam Matthæum, ex commentitia sancti Evodii
epistola (c'est un texte dérivé du Protévangile, et cité comme preuve
par Nicéphore, H. E..1:, 3, P. G., t. cxrv, col. 760) et ex opusculo de
nativitate S. Mariz, quod monachi Sancti Mauri in editione δ. Hierony-
mi, L. v, ad scripta sancli Doctoris spuria rejecerunt;— c. x1v, p.534, pour
la Présentation, il rejette l'explication dela féte que veut donner Baillet,
et tout en avouant ne pas bien savoir ce que fut la Présentation,ilajoute:
Nos vero qui ne tantillum quidem a communi Ecclesiz sententia recedere
volumus, dicimus B. Virginem in templo prasentatam esse ut ibi bene
educaretur. Il y a parfois chez Benoit XIV un mélange charmant d'es-
prit critique et de timidité conservatrice. Cf. l. I, e. xwu, De Natali
D. N. J. C, p. 406-407. La tradition du bœuf et de l’âne présents à la
créche est vigoureusement défendue.
2. Hagæ Comitum, 1851.
3. Op. cit., p. 165-181. Y VEG NK
VALEUR HISTORIQUE 51

il d'en forger de nouveaux ? La tradition sur ce point


semble bien avoir été ferme de trés bonne heure, puis-
que Fauste le manichéen, tout en faisant du pére de la
Vierge un prétre de la tribu de Lévi, conservait néanmoins
le nom traditionnel. D'autre part, il est remarquable que
dans les légendes juives Marie est dite fille d'Éli ou Jeho-
jakim 1, Or Éli, dans sa forme complète Éliakim, et Jeho-
jakim sont le méme nom. On remarquera que dans la
généalogie de saint Luc, le pére de Joseph est appelé
Héli ?; or déjà avant saint Augustin il y avait des gens
pour penser que Luc avait donné la généalogie, non point
de Joseph, mais de Marie; généalogie dans laquelle Héli
était non le pére, mais le beau-pére légal de Joseph. En défi-
nitive, il semble que de bonne heure ait existé une tradition
qui nommait Héli ou Joachim le pére dela Vierge. — Quant
au métier de pasteur que le Protévangile donne à Joachim,
il est plus douteux. La tradition sur ce point n'était pas
ferme, puisque Fauste le manichéen pouvait faire de Joa-
chim un prétre. Il ne faut pas perdre de vue que la vie
de pasteur se prétait mieux que d'autres aux narrations
imaginées par l'auteur. D'ailleurs, toute l'histoire de Joa-
chim et d'Anne reçoit bien peud'autorité du fait qu'y
manque absolument toute mention de lieux. L'auteur
de la Nativité de Marie a bien senti cette difficulté et
a tâché de mettre un peu d'ordre dans les données assez
incohérentes du Protévangile.
Pour ce qui concerne la naissance de la Vierge, et les
circonstances qui la précédent, ce ne peut être, continue
Tischendorf, qu'un récit fabuleux composé en rappro-
- chant les récits des naissances de Samuel et de Jean-Bap-
tiste. Autant faut-il en dire de la présentation de Ma-
rieau temple, construite surle modéle de la présentation

1. Talmud de Babylone, traité Sanhédrin, fo 67 ; Talmud de Jérusa-


lem, fo 77.
ἔπιον, III, 29.
52 LES DOCTRINES

de Jésus; et du séjour de Marie dans le temple qui est


contraire à la loi juive. D'ailleurs, dans les Évangiles
canoniques,il n'est pas dit un seul mot qui fasse soup- |
conner que de semblables choses se soient passées pour
Marie durant son enfance.
L'auteur du Proiévangile tenait à affirmer l'ongine |
davidique de la Vierge, il y revient à plusieurs reprises. |
Les Évangiles canoniques n'ont rien qui semble con- |
tredire directement cette assertion; saint Luc lui se- |
rait plutôt favorable. La manière dont l’ange Gabriel |
dans la scéne de l'annonciation parle du « trône de Da- -
vid ! »réservé au fils de Marie, comme au descendant
légitime du grand roi, semble indiquer que l’idée de
l’origine davidique de Marie n'était pas étrangère aux
premières générations chrétiennes. Le Protévangile en y
insistant n'aurait fait que la préciser davantage.
L'àge qu'il donne à Marie au moment de son mariage
(douze ans, ou quatorze ans, le texte est difficile à éta-
blir) n’a rien de bien choquant si l'on tient compte des”
coutumes de l'Orient. L'ensemble des documents évan-
géliques donne l'impression que Marie était Jeune encore
quand était commencé le ministère publie de Jésus. Il
y a pourtant un rapprochement à établir entre l’âge que
les apoeryphes donnent à Marie au moment de son ma-
riage et celui que saint Luc attribue à Jésus enseignant
dans le temple au milieu des docteurs?; ce rapprochement
est de nature à éveiller quelques soupçons. — Il est bien
évident que toute la narration relative à Joseph, à son
premier mariage, à ses fils, à sa vieillesse, à sa miracu-
leuse désignation pour le róle de gardien de la vierge |
Marie, est uniquement inspirée par le désir de mettre en.
pleine lumiere la virginité absolue de Marie. Les Évangiles ||
canoniques qui n'avaient pas les mêmes préoccupations, 7
|
1» 715062 3:592;
2. Lue., xr, 42-91,

|
L
Fr
VALEUR HISTORIQUE 53

avaient parlé nettement des fiançailles et du mariage


de Marie avec Joseph 1. Saint Matthieu s'était contenté
de montrer le changement de disposition qu'améne chez
Joseph le message de l'ange. Le Protévangile n'ayant
pas eu le soin de désigner clairement le domicile de Joseph,
ilest impossible de savoir s'il est d'accord avec les ré-
cits canoniques qui s'accordent pour fixer à Nazareth
l'habitation de l'époux de Marie.
Jusqu'ici le Protévangile ne prenait que fort rarement
contact avec les récits évangéliques. Quelle peut étre
la valeur historique des données qu'il y ajoute, des mo-
difications qu'il leur fait subir à partir du moment où
il les rejoint, c'est-à-dire à partir de la naissance de Jésus ἢ
Pour les circonstances de temps, il semble qu'il n'ait pas
cherché à préciser les données assez confuses de saint
Matthieu et de saint Luc. C'est d'une maniére fort inexacte
qu'il parle du recensement ordonné par Auguste de
tous les habitants de Bethléem (!). D'autre part, il situe
l’arrivée des mages trés peu de temps aprèsla naissance
du Sauveur. Mais le fait, qu'Hérode ordonne de massa-
erer à Bethléem tous les enfants de deuxans et au-des-
sous, se comprend assez mal, dans lhypothése oü la
visite des mages aurait suivi de prés la nativité de Jésus.
La fuite en Égypte semble avoir disparu de la perspective
de notre auteur. Aussi bien toutes ces gaucheries tien-
nent à l'embarras qu'a éprouvé Pseudo-Jacques pour
concilier les données chronologiques des deux récits cano-
niques de l'enfance. N'ayant point à sa disposition de
renseignements nouveaux, il a fait œuvre sur ce point
beaucoup plus d'exégéte que d’historien indépendant.
Ne lui reprochons pas l'échec de sa tentative, c'est le
premier dans l'histoire exégétique de ces deux chapitres,
ce ne sera pas le dernier. En toute hypothèse, il ne faut
pas compter sur les données historiques du Protévan-

qMatths 18.19.24: TLuc., τ, 27;15:9.

"n
54 LES DOCTRINES

gile pour apporter une solution à ce difficile problème:


Pour ce qui concerne le lieu de la naissance du Sauveur,
Pseudo-Jacques semble au premier abord s’être fait
l'écho d'une tradition qui a par la suite conquis droit de
cité dans l'Église. Saint Luc avait placé dans une éta-
ble la naissance de Jésus, et, à lire son texte sans idée pré-«
conçue, il semblerait que l'étable en question fût dans les.
dépendances du caravansérail (χατάλυμα) où Marie et
Joseph n'avaient pu trouver place !. Le Protévangile
parle d’une grotte où Joseph fait entrer la Vierge. Y a-
t-il identité entre l'étable de Bethléem et la grotte de la”
nativité ἢ L'Église grecque qui de bonne heure alu et
commenté le Protévangile n'a pas hésité un instant T
identifier ces deux endroits. L'étable dont parle saint .
Luc était située dans la grotte que décrit le Protévangile. i
L'Église latine a été plus longue à accepter cette identi- «
fication ?, elle a fini pourtant par s'y rallier. La naissance Ι
f
de Jésus dans une grotte a été une de ces données que nul
ne faisait difficulté d’admettre, sans que jamais personne
en eût fait la critique. Aujourd'hui cependant les exé-
gètes semblent céder à une tendance contraire. Ils veu-
lent faire de la grotte de la nativité une invention du Pro-
tévangile, sans racine dans la réalité. Saint Luc, dit-on,
n'aurait pas manqué d'indiquer cette particularité de
la naissance dans une grotte; or 1l ne parle que d'une éta-
ble. On peut expliquer d'ailleurs d'une manière fort vrai-

1. Luc., 11, 6, 7. Je dis « semblerait»; en fait saint Luc ne parle pas


d'étable, mais simplement d'une crèche, φάτνη.
2. Au xii? siècle, Pierre Comestor dans son Histoire scolastique ne
connait pas la grotte de la Nativité : Historia evangelica : De nativitate
Saleatoris : Difficile erat pauperibus prz frequentia multorum qui ob
idipsum convenerant vacuas invenire domos, et in communi transitu, qui
erat inter duas domos, operimentuni habens, quod diversorium dicitur,se |
receperunt, sub quo cives ad colloquendum vel ad convisendum in diebus
olii vel pro aeris intemperie divertebant.Forte ibi Joseph præsepium fecerat
bovi et asino quos secum. adduxerat in quo repositus est Jesus. P. L.,
t. cxcvirrt, col. 1539-1540.
VALEUR HISTORIQUE 55

ΡΤ la naissance de la légende rapportée dans le


Protévangile. On n’ignore pas le culte dont les anciens
entouraient nombre de grottes; Hermés est mis au monde
par Maia dans un antre de la montagne de Cylléné en
Arcadie; Ion est engendré par Apollon dans une caverne,
et c'est là aussi que sa mère le cache. Enfin, il convient
de ne pas oublier la grande place que tenaient les grottes
dans le culte mithriaque, si développé dans l'empire ro-
main au r1? siècle !. En voulant opposer la naissance de
Jésus à celle de tous ces personnages mythologiques, on
pouvait étre amené à l'entourer de circonstances sem-
blables. On pouvait y étre autorisé d'ailleurs par une pro-
phétie d'Isaie. On lisait dans le texte des Septante : que
le Juste « habiterait dans une caverne élevée, dans des
rochers solides » (οὗτος οἰχήσει ἐν ὑψηλῷ σπηλαίῳ πέτρας
ἰσχυρᾶς) ?. En considérant ce passage comme mes-
sianique (et 1] avait autant de droits à cet honneur
que nombre d'autres allécués par Justin), on était heu-
reux d'en voir l'accomplissement dans le cas de la nati-
vité du Sauveur. Ici, comme en bien d'autres endroits,
c'est la prophétie qui aurait créé l'histoire.
Tels sont les arguments apportés par les critiques ac-
tuels pour montrer que le Protévangile a imaginé de toutes
pièces l’histoire de la grotte. Ils n'ont pas beaucoup chan-
gé depuis l'époque où Tischendorf les exposait et les
réfutait. Les réponses que faisait ce dernier peuvent étre
reprises aujourd'hui encore. Le silence de saint Luc ne

1. Le rapprochement entre les grottes mithriaques et la grotte de la na-


tivité du Sauveur n'a pas échappé à Justin. C'est, dit-il, pour singer les
mystéres chrétiens que le diable a poussé les sectateurs de Mithra à prati-
quer les initiations dans une grotte :xxi ἀνιστόρησα ἣν καὶ προέγραψα
ἀπὸ τοῦ Ἡσαΐου περιχοπὴν, εἰπὼν διὰ τοὺς λόγους ἐχείνους τοὺς τὰ Μίθρα μυ-
στήρια παραδιδόντας, ἐν τόπῳ ἐπιχαλουμένῳ παρ᾽ αὐτοῖς σπηλαίῳ μυεῖσθαι ὑπ᾽
αὐτῶν, ὑπὸ τοῦ διαδόλου ἐνεργηθῆναι εἰπεῖν, Dial., 78. Il n'est pas inter-
dit de penser que le rapport entre ces deux faits est inverse de ce-
Jui qu'imagine Justin.
DIS χα κεῖτ, 16.
56 LES DOCTRINES

va point à l'encontre de la donnée du Protévangile. Dans


un pays comme l'Orient, où très fréquemment des grottes
naturelles ou artificielles, laissées telles quelles ou défen-
dues par un léger bátiment, servent non seulement d'éta-
bles aux animaux, mais d'habitations aux hommes, il
n'était pas indispensable de mentionner la particularité
de l'étable située dans une grotte. De plus, saint Luc ne
parle pas expressément d’étable, il dit seulement que le
nouveau-né fut déposé dans une créche. Finalement, on
n'est donc pas forcé de choisir entre une grotte et une éta-
ble !. Le fait que nombre de personnages mythologiques
sont nés dans des cavernes pouvait être un obstacle à la
création et à la diffusion de la prétendue légende. Peut-
être n’était-ce pas une heureuse invention que d’établir un
parallélisme entre la nativité du Christ et celle des divi-
nités païennes. Enfin, l’on ne voit pas trop comment le
texte obscur d'Isaie aurait pu suffireà créer la légende,
tandis que l'on comprend fort bien qu'il ait servi à justi-
fier une tradition déjà existante.
Or il existe une tradition fort ancienne, indépendante,
en apparence du moins, du Protévangile, et qui place
dans une grotte voisine de Bethléem le lieu de la naissance
de Jésus. Saint Justin en est le premier témoin ?.

1. Tout récemment M. Fórster a repris la méme idée dans :


Zeitschritf fur die N. T. Wissenschaft, 1902, t. 11, p. 186-187. « Il est
tout naturel, dit-il, de faire servir à une habitation une grotte, soit
naturelle, soit artificielle, en particulier des cavités que l'on protege
par unelégére toiture. Cette habitude qui remonteaux temps préhis-
toriques a pu se conserver longtemps surtout pour les étables; l'éty-
mologie comparée montre la parenté des racines qui désignent l'éta-
bleoula caverne. Cf. Halle et Hóhle; le sanscrit salà (maison, étable), et
χαλία, cella, Keller. — Un texte curieux de Xénophon décrit des mai-
sons souterraines en Arménie (Anab., IV, v, 25).»
— D'ailleurs, ce me
semble, il n'est pas nécessaire de remonter si haut ni d'aller si loin. Les
vallées de la Loire et du Cher offrent encore aujourd'hui de nombreux
types d'habitation creusées à méme la roche et simplement fermées
par un mur.

2. Justin, Dial., 78. Justin est amené à ce récit par l'histoire des
\ VALEUR HISTORIQUE 57

\Origène, bien placé pour être renseigné, rapporte que de


son temps on montrait aux voyageurs chrétiens ou païens
la grotte où Jésus était né 1. Eusèbe qui connait admira-
blement la Palestine et son histoire antérieure, fait men-
tion à plusieurs reprises de la caverne où est né le Sau-
veur 2, Elle était dès lors un but de pèlerinage, et, quand
l'impératrice Hélène entreprit de mettre en honneur les
lieux saints de la Palestine, elle construisit entre autres
une splendide église à Bethléem auprès de la grotte de
la nativité (πρὸς τῷ τῆς γεννήσεως ἄντρῳ) 3. Les grandes li-
»

ones de la construction constantinienne sont encore con-


servées aujourd’hui par l’église de la Nativité.
D’Origène à Eusèbe, l’intervalle n’est pas long; on
ne saurait guère douter que la grotte mentionnée par

mages qui sont venus à Bethléem adorer l'enfant. Suit l'explica-


tion du séjour à Bethléem. Joseph y était venu avec Marie pour le re-
censement, il est obligé de quitter cette ville pour aller en Égypte.
C'est aprés toutes ces données confuses qu'on lit la notice sui-
vante : γεννηθέντος δὲ τότε τοῦ παιδίου ἐν Βηθλεὲμ, ἐπειδὴ ᾿Ιωσὴφ οὐχ εἶχεν ἐν
τῇ κώμη ἐχείνη που καταλῦσαι, ἐν σπηλαίῳ τινὶ σύνεγγυς τῆς χώυνης κατέλυσε
χαὶ τότε, αὐτῶν ὄντων ἐχεῖ, ἐτετόχει ἡ Μαρία τὸν Χριστὸν xal ἐν φάτνη αὐτὸν
ἐτεθείχει, ὅπου ἐλθόντες οἱ ἀπὸ ᾿Αρραδίας μάγοι εὗρον αὐτόν. Le texte fait
quelque difficulté, en particulier on ne comprend pas bien la première
proposition; mais la naissance du Christ dans la grotte est claire-
ment rapportée.
1. Contra Celsum, 1. I, 51. «Jésus est né à Bethléem. Si quelqu'un, après
la prophétie de Michée, aprés l'histoire racontée dans l'Évangile, en
désire d'autres preuves, qu'il sache que l'on montre encore à Beth-
léem la grotte dans laquelle il est né. C'est un fait, bien connu dans
le pays de ceux-là mémes qui sont d'une autre religion; et l'on raconte
partout que dans cette grotte est né un certain Jésus, que les
chrétiens adorent.» P. G., t. xr, col. 756.
2. Demonstr. evang., 1. VIT, c. r1: « Aujourd'hui encore les habitants
de ce lieu montrent l'endroit que la tradition désigne, à ceux qui vien-
nent visiter Bethléem. Et ils appuient leurs dires en montrant l'endroit,
dans la campagne où la Vierge avait déposé l'enfant: τῶν λόγων πιστού-
μενοι τὴν ἀλήθειαν διὰ τῆς τοῦ ἀγροῦ δείξεως ἐν ᾧ τεκοῦσα f, παρθένος κατα-
τέθειται τὸ βρέφος. P. G., t. χχτι, col. 540.
3. Vit. Constant., 1. IIT, c. xxi et xzur, P. G., t. xx, col. 1101-1102.
58 LES DOCTRINES

l’évêque de Césarée ne soit la même dont parle le savant |


alexandrin. Il est peu vraisemblable d'autre part que la
tradition locale relative à la grotte de la nativité ait eu
le temps de changer entre Justin et Origène. Si la grotte
dont parle ce dernier est identique à celle auprès de la-
quelle Hélène fit construire l'église de la nativité, la
description que fait Justin, originaire de Palestine, lui con-
vient parfaitement. Elle est bien, en effet, proche du bourg,
σύνεγγυς τῆς χώμης, mais déjà en dehors de l'enceinte,
dans la campagne, comme dit Eusèbe. Ainsi donc l’on
peut considérer comme certain qu'avant le milieu du
19 siècle !, il existait à Bethléem une tradition ferme
sur le lieu de la naissance du Sauveur ?. Il ne nous
appartient pas de rechercher si cette tradition a quel-
que fondement dans la réalité, tout ce qui nous voulons
retenir de cette discussion, c'est que, en situant dans cette
grotte l'enfantement de Marie,le Protévangile n'accom- -
plissait pas une révolution exégétique. Il a simplement
rapporté une donnée populaire qui avait cours de son
temps, en lui faisant subir toutefois une modification
importante et qu'il convient maintenant de signaler.

1. Si la donnée de Justin est une donnée traditionnelle, qu'il a re-


cueillie durant son enfance en Palestine, on peut dire que cette identi-
fication se poursuit jusqu'aux premières années du mf siècle, Justin
étant né vers l'an 100.
2. Cette certitude serait encore accrue,si l'on pouvait accepter comme
authentique l'histoire d'aprés laquelle Hadrien (117-138) ,pourfaire dispa-
raître le culte rendu par les chrétiens à la grotte dela Nativité, y aurait
consacré un sanctuaire à Adonis et à Vénus. Cf. S. Jérôme, Epist.,
Lvir, à Paulin, P.L., t. xxi1, col. 581 : Ab Hadriani temporibus usque ad
imperium Constantini per annos circiter CLX X X in loco Resurrectionis
simulacrum Jovis, in Crucis rupe statua ez marmore Veneris a gentibus
posita colebatur... Bethleem nunc nostram, et augustissimum orbis lo-
cum, de quo Psalmista canit: Veritas de terra orta est, lucus inumbrabat
Thamus, i. e. Adonidis, el in specu, ubi quondam Christus pareulus vagiit,
Veneris amasius plangebatur. Il est remarquable qu'Eusébe ne men-
tionne pas cette profanation dans les passages cités plus haut. Origéne,
cent ans aprés Hadrien, n'en sait pas le premier mot.
VALEUR HISTORIQUE 59

Autant il semble clair, en effet, que la tradition relative


à la grotte de la nativité existait avant le Protévangile,
autant il me paraît évident qu'il est impossible d'identifier
le site de la naissance de Jésus, dans notre apocryphe, avec
la grotte vénérée aux environs de Bethléem. Ce n'est done
pas le Protévangile qui a créé la tradition actuellement
régnante ; loin de là,il aurait plutót contribué à la dé-
truire et à la déformer. En combinant, en effet, les données
de saint Luc avec les indications fournies par l’état ac-
tuel des lieux, on peut se représenter Marie et Joseph ne
trouvant point de place dans le caravansérail lui-même
et se retirant dans quelque dépendance. Ce pouvait être,
* comme le veut la tradition, un abri creusé dans la roche
et qui servait de refuge aux animaux. Mais en toute hypo-
thèse ce refuge ne pouvait être très loin du caravansérail
lui-même; et il était impossible de dire de ce lieu qu'il
était entiérement désert. Quand les bergers qui veillent
dans les champs sont prévenus par l'ange de la naissance
du Sauveur, c'est dans la ville de Bethléem qu'on les
envoie, ce n'est point dans la campagne !. Malgré l'im-
précision des données géographiques du Protévangile, il
est visible au contraire que, pour lui, la naissance du
Christ a eu lieu en pleine campagne, dans un endroit ab-
solument désert ?. C'est une bonne fortune qu'il s'y ren-
contre une grotte oü Marie puisse s'abriter, mais cette
grotte n'a rien d'une étable. L'auteur du remaniement
latin est resté tout à fait dans la tradition du théme qu'il
exploitait, quand il a fait de cette caverne un endroit
entiérement obscur oü jamais la lumiére n'avait péné-
tré ?, et il a bien compris qu'il ne pouvait étre question

1. Luc., τι, 11. «Aujourd'hui vous est né un Sauveur qui est le Christ
Seigneur, dans la ville de David ;»15. « les bergers se disaient entre
eux :Allons jusqu'à Bethléem et voyons cet événement que le Seigneur
nous a fait savoir. »
2. Voyez le commentaire.
ops. Mallh., Ἀττι, 2.
60 LES DOCTRINES

d'installer une étable dans un réduit aussi ténébreux. |


Mais comme 1l tient d'autre part à conserver la donnée
méme de la crèche où fut déposé l'enfant divin, 1] trouve
moyen de tout concilier. Au bout de trois jours, Marie
sort de la grotte, et entre dans une étable, dépose son
fils dans la crèche où viennent l'adorer les deux animaux
que depuis longtemps déjà la tradition populaire pla-
cait au côté de Jésus naissant !. — Je suis loin de prétendre
que toutes ces précisions se retrouvent dans le Proté-
eangile, mais Je crois qu'en les exprimant l'auteur latin
n'a pas été un traducteur infidèle. La grotte de la nativité
est pour Pseudo-Jacques un mystérieux sanctuaire éloi-
gné de tous les bruits humains, où peut s'accomplir dans
le silence complet de la nature le grand événement de la Nas
0c
ePOSE
i
Dtm 7
À
naissance virginale 2.
En définitive, loin d'ajouter un renseignement his-
torique nouveau aux données canoniques, le Protévangile
a exploité à sa manière les diverses traditions écrites
ou orales dont il pouvait disposer. De méme qu'il a
composé de toutes piéces l'histoire, ou plutót la légende
de Marie, i1 a modifié à son gré les données existantes
que lui fournissaient les Évangiles ou les traditions locales.
Sa fantaisie historique n'a pas toujours été heureuse
dans ses créations. Il a fallu que le travail des siècles
dépouillât ses apportsde tout ce qu'ils avaient de per-
sonnel et de caractéristique pour leur permettre de s'in-
corporer peu à peu aux données généralement admises.
Le Protévangile est une légende qui sert à un but théolo-
gique; laissons-lui ce caractére.
1. Ps.-Matth., x1v.
2. Cf. Protev., xvin, 2.
CHAPITRE III

HISTOIRE DU LIVRE

I. TEXTE, VERSIONS ET REMANIEMENTS

Le Protévangile de Jacques a joui pendant fort long-


temps d'un immense crédit dans les diverses chrétientés
orientales et occidentales. On comprend dès lors la quan-
tité considérable de documents qui se rapportent à la
tradition du texte. Il est impossible en cette matière
d’être complet; on ne devra donc chercher ici que les ren-
seignements les plus importants.

1. Le texte grec.

Selon toute vraisemblance, le grec est la langue origi-


nale du Protévangile. On ἃ prétendu, 1] est vrai, que le
texte actuel a pour base un original hébreu. Cette thèse
que pour des raisons fort différentes ont soutenue Resch !
et Conrady ?, qui ne déplait pas à Berendts?, n'a pas recu
pourtant l'approbation du plus récent commentateur du
Protévangile 4 Aussi bien les preuves accumulées par
Conrady sont loin d’entraîner la conviction. Les obscu-
rités du texte qu'il prétend expliquer par une traduction

1. A. Resch, Das Kindheitsevangelium nach Lucas und Matthaeus, un-


ter Herbeiziehung der aussercanonischen Paralleltexte, — Texte und
Untersuchungen, 1897, t. x, fasc. 3, p. 29-69.
2. Conrady, Die Quelle der kanonischen Kindheitsgeschwhte Jesus’,
1900, p. 232-250 ; le méme auteuravait déjà exposé des idées analogues
dans T'heologische Studien und Kritiken (1889), t. rxx, p. 728-784.
3. Berendts, Studien über Zacharias-Apokryphen, 1895, p. 51-52.
4. Meyer dans Hennecke, Neutestamentliche Apokryphen, p. 53.
62 HISTOIRE DU LIVRE

d'un original hébreu, s’expliquent tout naturellement et.


par l’incohérence même de la composition, et par l’état.
assez défectueux du texte grec actuel. Sans doute 1] est
possible, comme le fait Conrady, de retrouver sous nom-
bre des expressions du Protévangile des locutions hébrai-
ques, il n'est méme pas nécessaire d'étre extrémement
fort en hébreu pour exécuter ce petit thème d'imitation. «
Cette facilité tient uniquement à ce que Pseudo-Jacques,
tout pénétré dela lecture de la Bible grecque, a fait passer
dans son œuvre nombre d'expressions des Septante. Il
n'est pas difficile dés lors de retrouver un texte hébreu
qui leur corresponde. Resch, qui a essayé lui aussi de ré-
tablir un évangile hébreu de l'enfance, source commune
des récits canoniques et des traditions apocryphes, n'a
pas été suivi par les critiques. On peut admirer sa recons-
titution; on ne la prendra jamais pour une restitution
méme conjecturale du texte primitif. — Une raison géné-
rale milite. d'ailleurs contre l'opinion de Conrady. Si,
comme il est vraisemblable, et comme nous le montre-
rons plus tard, le Protévangile est issu de cercles chrétiens
vers la fin du r1? siècle, on ne voit pas à quel public se serait
adressé l'auteur, s'il avait rédigé son œuvre en hébreu.
Peut-étre la connaissance de l'hébreu littéraire était-elle
plus répandue à cette époque qu'on ne l’imagine parfois !,
mais c'était exclusivement dans les milieux juifs. Et nous
montrerons que ce n'est méme pas dans des cercles judéo-
chrétiens qu'il faut rechercher l’origine du Protéeangile.
Il est donc infiniment vraisemblable que Pseudo-Jacques
a rédigé son ceuvre en grec.
Ce texte grec nous est connu par un trés grand nombre
de manuscrits; Tischendorf, pour établir son texte, en a
utilisé directement ou indirectement 17, sans compter
1Conrady, Studien und Kritiken, loc. cit., p. 755, renvoie sur ce
point à F.Delitzsch ; cf. Schürer, Lehrbuch der N-Tlichen Zeitgeschichte,
Leipzig, 1871, p. 372; Geschichte des jüdischen Volkes, Leipzig, 1898,
26 6d,, p. 29.
TEXTE ET VERSIONS 63

la première édition du texte grec faite d’après un manus-


crit différent des précédents. Voici, par ordre de biblio-
thèques, la liste des manuscrits signalés jusqu'aujour-
d’hui 1 ; on a noté entre parenthèses le sigle attribué
. par Tischendorf aux mss. collationnés par lui.
Paris : Bibliothèque nationale : 897, 979, 987, 1179,
1174 (Tischendorf, M), 1176 (Ti: N), 1190 (Ti: L), 1215
(Ti : D), 1454 (Ti : C), 1468, (Ti : E), 1586 ; Coislin 721;
"99. (Tr: K).
Vatican : 455 (Ti : Fb), 654 (Ti : G), 859, 1572, 1681,
2048.
Venise, Saint-Marc : πὶ cl. 42 (Ti: A), 363 (T1: B);
Eu 200-CD :-- ΠῚ; vu: el. 40 (T1: Q).
Milan, Ambrosienne : À 63 (T1: O); C 92 (Ti: P).
ilum 75, D. I. 21.
Vienne : theol. 123 (Ti : 7); hist. 61, 126.
Dresde : À, 187 (Ti: À).
Lesbos : 13.
Oxford, Bodléienne : μρα, th. g. 1; Laud. 68.
Londres ?, British. Museum, Ld 10 078, {9 16 : Joan-
nis D nep. C. Pol. Chrysost., λόγος εἰς τὸ γενέσιον τῆς
ὑπεραγίας θεοτόχου᾽ ἐν ταῖς ἱστορίαις τῶν ιβ΄ φυλῶν... le
texte s'arréte à la fuite en Égypte; la mort de Zacharie
n'est point racontée, — [9 62-67 ἱστορία ᾿Ιαχώθου εἰς τὴν
γένεσιν τοῦ xupíou ἡμῶν Ἰησοῦ Χριστοῦ — le Protévangile,
depuis la nativité de Jésus jusqu’à la mort de Zacharie.

Voici d’après Tischendorf? la description des plus im-


portants.
A (Venet. Marcianus, 11 cl. 42) serait peut-être du
4. Meyer, dans Handbuch zu den N-Tlichen Apokryphen, p. 106-107.
— Les mss. non utilisés par Tischendorf avaient été signalés par
A. Ehrbard, Die altchristliche Litteratur, Fribourg-en-Brisgau, 1900,
p. 143.
2.Signalé par James, Apocrypha anecdota, dans Texts and Studies,
Iv p.d.
3. Evangelia apocrypha, p. xviii sq.
64 HISTOIRE DU LIVRE

x9? siècle. Le ms. est formé par neuf feuillets de par-.


chemin arrachés à un ancien volume; le Protévangile est.
encadré entre la fin d’un sermon et le commencement
d'un récit de l'invention de la sainte Croix.
B (Venet. Marc., τι cl. 263) un peu plus récent que le
précédent.
C (Paris, 1454) x° siècle : manuscrit employé par Thilo,
l'éditeur précédent; un des meilleurs.
D (Paris, 1215) de l'an 1068; collationné par Thilo. ila
fac
chica
,

E (Paris, 1468) x1? siécle; collationné par Thilo.


H (Venet. Marc., x1cl. 200), papier, xv? siècle. Le
texte est précédé d'un prologue, qui témoigne qu'il a
servi à un usage liturgique. Ce prologue est dans le style
des Ménées grecs aux différentes fétes dela Vierge; il s'agit
ici de la fête de l'annonciation. Ce prologue se Joint sans
iransition au ch. xi du Protéeangile. EC
Nn
ER
loca
8qc
1 (Vienne, theol. gr. 123) papier, x1v9 siècle.
K (Paris, Coislin 152) très ancien; peut-être du 1x? siè-
cle; mais incomplet; donne seulement vr, 9 - xir, 2.
L (Paris, 1190) écrit en 1567; collationné autrefois
par Thilo.
R (Dresde, A, 187) assez récent, mais écrit vraisembla-
blement au Sinai; doit faire partie d’un ménologe. On
y lit en effet, p. 126 :« le 8 septembre : histoire de Jacques
pour la nativité de notre trés sainte souveraine, la mère
de Dieu. »
Comme on le voit, les plus anciens de ces mss. ne re-
montent pas au-delà du x? siècle, sauf K qui n'est d'ailleurs
que fragmentaire. M. Grenfell a fait connaitre en 1896
un ms.découvert parlui au Faioum et de beaucoup plus
ancien !. C'est celui qui est désigné dans la liste précé-
dente sous le sigle : Oxford, mp6, th. g.r. C'est un ms.

1 B. Grenfell, An Alexandrian erotic fragment, Oxford, 1896,


p. 13-19. Le titre du volume ne convient qu'au premier morceau édité;
aprés quoi suivent des fragments de mss. desSeptante et du Proté-
vangile.

4
Bn - à : .

TEXTE ET VERSIONS 65

en parchemin, de trés petites dimensions (9 centimétres


sur 6,25). Chaque page contient une colonne de 14 à
16 lignes, chaque ligne contenant de 7 à 13 lettres.
Le manuscrit doit remonter au v-vi? siècle. Le copiste
qui l'a écrit devait être négligent, mais les différences
.entre ce texte et celui des mss. collationnés par Tis-
chendorf ne peuvent s'expliquer toutes par des fautes
du seribe. Le texte se rapprocherait de K et de L de Tis-
chendorf. Malheureusement ce texte précieux est fort
court, il s'étend seulement de vir, 2- x, 1.
En définitive, pour l'établissement du texte grec, on
est à peu prés réduit aux mss. de Tischendorf. Les va-
riantes sont fort nombreuses, la plupart insignifiantes,
quelques-unes de grande importance. Il est difficile à
l'heure présente d'en donner un classement satisfaisant,
Tout ce qu'on peut dire, c'est que deux groupes de mss.
se détachent de l'ensemble: A, H, E, d'une part; B,I, L,R,
d'autre part. Thilo s'était contenté de publier un manus-
erit (C) qu'il avait adopté comme Vulgate, en colla-
tionnant avec lui les autres manuscrits signalés. Tischen-
dorf a donné un texte éclectique. La maniére assez
heureuse dont il rencontre le fragment d'Oxford et la
version syriaque donne une grande valeur à ses con-
jectures.

2. Les versions.

1. Version syriaque. — W. Wright a publié en 1865 un


fragment du Protéeangile syriaque !',comprenant de xvii, 1,
à la fin. Le texte était assez étroitement apparenté au
grec; cependant comme la prière de Salomé (xx,2) était
écourtée, sans que d'ailleurs le texte présentât de lacunes,
on pouvait conjecturer que c'était le texte grec qui avait
été amplifié postérieurement à la traduction.
1.W. Wright, Contributions to the apocryphal literature of the N. T.,
Londres, 1865, et Journal of sacred literature, 1865, janvier, avril,
PROTÉV. — ὅ
66 HISTOIRE DU LIVRE

Sachau!, dans l'inventaire des manuscrits syriaque


de Berlin, a signalé l'existence de deux fragments du Prot
évangile. 1€* fragment : 11, 2- riz, 3; 28 fragment: xi, 2
xig, 1. Les variantes assez nombreuses ne témoignent
pas cependant d'un texte grec fort différent du texte ac-
tuel.
Enfin tout récemment Mrs Lewis a publié, dans le
Studia Sinaitica ?, un texte syriaque provenant d'un
palimpseste acheté par elle à Suez en 1895, L'écriture ré-
cente de ce palimpseste donne des textes arabes de Pères de
l'Église (Athanase, Chrysostome). L'écriture ancienne est
pour la plus grande partie du syriaque, elle donne un frag=
ment important du Protévangile et le texte complet du
Transitus Mariz. Elle semble remonter à la fin du ve siècle,
ou au commencement du vit. Ce texte est donc très 1m-
portant; 1] est malheureusement incomplet et ne com-
mence qu'au ch. 1x (ad fin.). Mais on peut le compléter.
par un ms. récemment apporté de Tur Abdin (Mésopo“
tamie) par Rendel Harris. Ce ms., qui donne le texte com
plet du Protéeangile, est fort récent, 1] est vrai, ayant été
copié en 1857; mais c'est une copie d'un texte excellent, -
puisque dans les passages communs, il donne le rnéme texte ;
que Mrs Lewis et que Wright. — Mrs Lewis n'a donc
pas hésité à reconstituer à l'aide de la copie de Rendel
Harris le texte syriaque complet du Protévangile, en don-
nant à l’occasion les variantes de Wright. Nous avons |
soigneusement collationné ce texte avec celui de Tischen- |
dorf. De cette comparaison il résulte pour nous comme 1
pour Meyer ὃ : 1) que la tradition syriaque a conservé |
un texte uniforme; 2) qu'elle est une traduction directe «
du grec. Elle ne reproduit d'une maniére précise au-

1. Signalé par Nestle, Zeitschrift fur die N. T. Wissenschaft, 1902,


Y, p. 86-87.
2. A. Smith Lewis, Studia Sinaitica, n. xr, Apocrypha syriaca,
Londres et Cambdrige 1902.
3. Handbuch, p. 108.
TEXTE ET VERSIONS 67

“cun de nos textes grecs; les variantes sont fort nom-


breuses, mais la plupart sans grande importance. Quel-
ques-unes des plus graves s'expliquent par de fausses
lectures du texte grec. — Le texte syriaque est donc un
témoin précieux; il nous montre l’antiquité relative du
texte actuel du Protévangile.
La version syriaque de Mrs Lewis ne fait pas double
emploi avec celle qu'a publiée Budge quelque temps
“auparavant !. Cette dernière dérive en effet d'une copie
faite par un syrien moderne sur un ms. du xrr1 siècle, Ce
texte, dit Mrs Lewis ?, est toujours intéressant à consulter
pour montrer le développement du texte primitif,— Nous
ne l'avons pas eu entre les mains.
2. Version éthiopienne. — M. Chaine a publié dans le Cor-
pus Scriptorum christianorum orientalium,—Script. Æthio-
pici, ser. I, t. vir, la traduction latine de la version
éthiopienne. Cette traduction latine a été faite d'aprés
les mss. éthiopiens 83 et 131 de la Bibliothèque natio-
nale de Paris?. La version éthiopienne présente un texte
assez différent de celui que nous font connaitre les tra-
ditions grecque et syriaque. L'économie générale du
Protévangile est conservée jusqu'à l'arrivée des mages :
à partir de ce moment il y a d'assez grandes divergen-
ces, Entre xxi, 2, et xxi, 3, le traducteur intercale un
discours adressé aux mages par les anges, emprunté
à Luc, τι, 9-14. Plus loin l'on raconte ce que firent les ma-
ges de retour dans leur pays. Enfin l'auteur a intercalé

1. E. A. W. Budge, The history of the blessed virgin Mary, and the


history of the likeness of Christ which the Jews of Tiberias made to
mock at, Londres, 1899. L'auteur a incorporé et adapté des parties
du Protévangile, de l' Évangile de Thomas, et des deux Assomptions de
la Vierge, mais tirées d'une forme syriaque antérieure à celle dont
témoigne l'édition de Wright.
2. Stud. Sinait., n. xi, p. x1.
3. On trouvera la description de ces deux mss. dans Zotenberg:
Catalogue des mss. éthiopiens de la Bibliothèque nationale, p. 57, 196,
68 HISTOIRE DU LIVRE

dans l’histoire du massacre des Innocents, de la fuit


d'Élisabeth avec Jean-Baptiste, et du meurtre de Za”
charie, les passages de saint Matthieu relatifs à a
fuite en Égypte et au retour de ce pays. Dans les endroits
où il suit d'assez près la narration du Protévangile, ce«
n'est point une traduction textuelle que donne l’auteur
Il ajoute à son texte ou 1] en retranche d'une manière
arbitraire.
3. Version arabe. — Il existe à la Bibliothèque natio- |
nale deux mss. complets de la version arabe, en carschou- |
ni (arabe écrit en caractères syriaques). Zotenberg en donne |
une description dans le Catalogue des mss. syriaques et.
sabéens, p. 180. Le n. 232, fo 304-324, contient la « narration
de saint Jacques frère du Seigneur sur la naissance et |
l'enfance de la sainte Vierge et sur la naissance de Jésus--
Christ. A la marge il est dit que cette homélie se récite«
le dimanche qui précède la fête de la Nativité, ou le jour
de la Nativité et aux fétes de la Vierge. La rédaction À
diffère souvent des textes grecs, latins ou syriaques qui
ont été publiés ou traduits. Le récit débute par la généa- |
logie de Jésus, telle que la donne l'Évangile de saint
Matthieu. L'histoire de Joachim ne commence qu'à la
page suivante. La suite du récit jusques et y compris
l'épisode de Salomé s'accorde généralement avec le texte
grec. Vient ensuite le récit de la circoncision, de la pré-
sentation au temple et un très long récit sur la prophé-
tie de Siméon qui avait été l'un des soixante-dix inter-
prétes de la Bible; puis l’histoire des rois mages, de la
fuite en Égypte, de la mort de Zacharie; les miracles de
l'enfance de Jésus et la mort de saint Joseph. » La fin de
cette histoire de la Vierge n'est donc qu'une compilation
des récits apocryphes et des Évangiles canoniques. Le
contenu du texte conservé dans le ms. 238 est sensible-
ment le méme. Signalons aussi les mss. arabes 747
et 262. Cestextes n'ont pas été étudiés.
4. Version copte. — On ne connait pas jusqu'à pré-
TEXTE ET VERSIONS 69

sent de version copte tant soit peu complète du Proté-


vangile. Leipoldt ! a signalé l'existence dans le volume
1305 de la Bibliothèque nationale d'un feuillet (89), très
abîmé d’ailleurs, qui donne un fragment du texte le plus
ancien du Protévangile sahidique. Le recto reproduit
xxiv, 1, depuis : « Mais au temps de la salutation les
prétres... » jusqu'à : « il vit prés de l'autel (?). » Le
verso donne la finale (mutilée), xxv, 1 :«... en un lieu
désert jusqu'à ce qu'Hérode mourüt et que le tumulte
cessát à Jérusalem. Mais (2:) je bénis le Seigneur qui
m'a donné cette sagesse pour écrire cette histoire. —
Pour nous, mes fréres, nous célébrons la mémoire du
bienheureux Zacharias et de sa déposition (?) (αναπαυσις)
le huitième jour du mois de Toth [...] le Seigneur
[| υμνος- » Ces derniers mots devaient terminer le
texte. — Ces fragments serrent d'assez près le Protévan-
gile grec, dont ils reproduisent exactement plusieurs
mots. Cela peut faire conjecturer qu'ils proviennent d'un
volume contenant le Protévangile au complet. Toutefois
la mention liturgique finale semblerait indiquer que nous
avons affaire à une lecon historique récitée au Jour de la
fête de saint Zacharie et qui pouvait ne comprendre que
la légende de ce martyr.
51 l'on ne connait pas actuellement de texte copte com-
plet du Protévangile, on possède par contre d'assez nom-
breux fragments qui en utilisent la légende. F. Robinson en
a publié un certain nombre?, Ce sont des fragments d'ho-
mélies ; en les mettant bout à bout on peut reconstituer
une histoire qui suit d'assez loin le texte grec. On a ainsi
le correspondant de Protec., τ, 1- v1, 3: vir, 3- vir, 1; xr, 1-
xiv, 3; l'épisode des eaux améres est complétement omis;
aussitôt aprés l'avertissement de l'ange à Joseph nous
1. Zeitschrijt fur die neutestamentliche Wissenschaft, 1905, fase. 1,
p.106.
2. Coptic apocryphal gospels, dans Texts and. Studies, Cambridge,
1896, t. rv, fasc. 2, p. 2 sq.
70 HISTOIRE DU LIVRE

avons la description de la naissance de Jésus correspondant.


à xvrr, 1-x vit, 1. À partir du moment où Joseph est parti à.
la recherche d'une sage-femme, le texte est mutilé. Comme
il arrive généralement dans les homélies coptes, l’orateur
ne se croit pas lié par son texte, il le développe, l'amplifie et.
le raccourcit à son gré. Il y a donc peu de choses à tirer de
ces fragments au point de vue dela critique textuelle. On
signalera au passage quelques leçons curieuses qu'ils ren-
ferment.
5. Version arménienne. — F. Conybeare a publié dans
l'American Journal of theology 1 la traduction anglaise
des premiers chapitres d'un ms. arménien de la bibhothé-
que des Méchitaristes de Venise:« Histoire de la vierge
Marie, qui était dans la maison de son père, racontée par.
saint Jacques, le frère du Seigneur. » D’après Conybeare.
cette version arménienne semble avoir été faite d’après un
vieux texte syriaque qui était aux mains de saint Éphrem?,
Il est bien difficile de s’en rendre compte en comparant le |
texte syriaque que nous possédons en entier et la légende
arménienne. Celle-ci n'est pas autre chose qu'une compi- -
lation des récits relatifs à la Vierge, de l' Évangile de “
l'enfance, avec la fuite en Égypte, et les miracles qui s'y
rattachent, d'une part, et l'Évangile de Thomas le philo-
sophe, de l’autre. On est très loin de la sobriété de narra-
tion qui caractérise le Protévangile. Conybeare n’a pas
eu le courage de pousser sa traduction au delà du cha-
pitre vi (Protés., c. xim), il se contente de donner le «
titre des chapitres suivants. Ce remaniement ne peut être |
d'aucun secours pour la critique du texte. Tout au plus

1. 1897, t. x, p. 424-542.
2. Conybeare en voit une preuve dans le fait que la version armé-
nienne et saint Éphrem parlent également dela Conceptio per aurem,
cf. Éphrem dans Assémani, Bibliotheca orientalis, t. 1, p. 91.— Cette
preuve nous semble trés faible, car l’idée de la conception par
loreile se retrouve fréquemment dans la littérature ecclésiastique
orientale et occidentale.
TEXTE ET VERSIONS 74

Y montre-t-il la manière dont les légendes du Protévangile


86 sont amplifiées 1,

1. Nous donnons ici une partie du ch. rv. On pourra ainsi juger du
caractère de l'œuvre. Ch. 1v. « Sur la sainte vierge Marie, comment elle
est donnée en mariage à Joseph, selon la règle de leur tradition pour
qu'il garde avec soin sa pureté; et sur sa confiance et sa dévotion
auSeigneur: — Quand les jours de la sainte vierge Marie dans le
temple furent accomplis et qu'elle eut quinze ans, les prétres tinrent
conseil entre eux et dirent : « Que ferons-nous de Marie ἢ car ses pa-
«rents sont morts, et ils nous ont confié sa pureté ici dans le temple, et
celle est presque arrivée à la taille de femme.Nous ne pouvons la garder
«au milieu de nous,de peur que, sans y penser, elle ne ruine le temple. »
— Les prétres se dirent entre eux : « Qu'en ferons-nous donc?» Et l'un
d'eux, dont le nom était Behezi, dit: « Il y a aussi beaucoup de filles
«des Hébreux, ici dans le temple en méme temps qu'elle. Interro-
«geons le grand-prétre Zacharie, et quoi qu'il désire, faisons-le. » Ils
lui répondirent d'un commun accord : « Bien parlé. » Alors le prêtre
Behezi s'en alla, et dit à Zacharie: « Tu es le grand-prétre pleinement
«ordonné pour le service du saint autel; et il y a ici des femmes d'en-
«tre les Hébreux qui se sont consacrées à Dieu. Entre dans le Saint
«des Saints et prie pour elles, et, quoi que le Seigneur te révéle,
«suivant son bon plaisir, cela faisons-le.» Et aussitót le grand-prétre
Zacharie se leva et prit les douze pierres et il entra dans le Saint des
Saints et pria pour elles. Et au moment oü il mettait l'encens devant le
Seigneur, voici qu'un ange de Dieu vint et se tint prés de l'autel du ta-
bernacle et dit à Zacharie : « Sors de la porte du temple et fais appeler
- «les onze filles des Hébreux, et emméne Marie avec elles, Marie qui est de
«la tribu de Juda et de la souche de David. Et fais convoquer tous les
«hommes non mariés de la ville, et fais-leur apporterà chacun une ta-
«blette, et tu les placeras dans le tabernacle du témoignage; tu mettras
«leurs noms sur les tablettes et tu prieras. Et de celui quele Seigneur
«indiquera, Marie deviendra la femme.» Et le grand-prétre Zacharie
- sortit du temple et fit faire la proclamation... Et le vieillard Joseph
ayant entendu cela laissa là sa hachette, et prit une tablette dans sa
main, se hàta et vint. Et le grand-prétre prit les tablettes dans ses
mains, et entrant dans le temple, il pria sur elles. Car c'était la régle des
tribus d'Israël que ceux de la tribu de Juda et de la famille de David
devraient continuellement donner leurs filles pour étre gardées dans le
. temple en pureté et justice durant douze ans pour attendre la venue du
commandement de Dieu : que le Verbe se fasse chair d'une vierge sainte
et pure et non souillée ct apparaisse dans la chair comme quelqu'un de
-]b2 HISTOIRE DU LIVRE

3. Les remaniements latins.

Le Protévangile a dû circuler d'assez bonne heure en


Occident. Toutefois on n'en a pas retrouvé jusqu'à présent
de version latine. Les légendes qu'il a mises en circu-
lation ont été vulgarisées en Occident par des remanie-
ments qui dérivent plus ou moins directement de l'original
grec.
Le texte, qu'à la suite de Tischendorf nous désignons:
sous le titre d' Éveangile de Pseudo Matthieu, a été édité
pour la première fois par Thilo en 1832 ! d’après le ms. de

l'humanité, descende et séjourne sur terre... Mais s'il ne venait pas sur.
ces filles quelque signe, quelque ordre du Saint-Esprit, ils les prenaient
et les donnaient en mariage. De méme pour celles-ci, qui étaient douze
filles de la tribu de Juda et de la famille de David, et la vierge Marie en
était, elle qui est bien au-dessus de toutes les vierges. — Elles étaient !
donc rassemblées et se trouvaient toutes ensemble et le sort fut jeté sur
les jeunes gens pour savoir à qui d'entre eux une femme serait donnée. -
—Or quand le grand-prétre Zacharie eut pris dans le temple les diverses
tablettes, il les donna aux jeunes gens et ils virent chacun sur la tablette
le nom de la femme qu'ils devaient prendre. Et quand le grand-prétre
leur donna les tablettes, il n'y eut pas d'autre signe si ce n'est que les
noms étaient écrits. Mais la derniére tablette, il la donna à Joseph, et il
y avaitécrit sur elle lenom dela vierge Marie. Mais voici qu'une co-
lombe sortit de la tablette et se posa sur la tête de Joseph.» —Le grand-
prétre remet la Vierge à Joseph; celui-ci refuse de l'accepter; dans un
long dialogue avec le grand-prétre il lui expose ses raisons pour se déro-
ber à cet honneur. Finalement le grand-prétre lui demande : « Mais qui
donc te contraignait de venir avec les jeunes gens ?» Joseph répond :
« Je n'ai pas réfléchi, je ne comprends méme pas comment cette chose a
pu m'arriver. » Joseph a donc cédé à un mouvement irréfléchi, ou plutót
à une inspiration divine. Enfin il se laisse convaincre par les menaces
du grand-prétre :« il prit Marie hors du temple, s'en alla et la conduisit
dans sa maison. »
1. Codex apocryphus Novi Testamenti, Lipsiæ, 1832, p. 337-400.
Thilo mentionne, loc. cit., p. cvir, des indications données par Hain,
Repertorium bibliographicum, qui pourraient faire croire à l'existence
d'éditions du xv? siècle, sous ces titres : /nfantia Saleatoris ; Libellus de
infantia Salvatoris a beato Hieronymo translatus ; Infantia Salvatoris
i REMANIEMENTS LATINS 73

l Paris 4859 A (xiv? s.). Ce ms. donne l’histoire de Marie et


\ celle de Jésus enfant, y compris la fuite en Égypte et
l’arrivée dans ce pays. Il s'arréte sur une brève mention
de l'avertissement donné par l'ange à Joseph de rentrer
dans la terre de Juda. Revertere in terram Juda, mortut
enim sunt qui quzrebant animam pueri. Thilo avait décou-
vert dans la méme bibliothèque un ms. du xv siècle, le
n. 1652 qui donnait un texte sensiblement analogue au
précédent, mais allongé de vingt-trois chapitres où sont
racontés les miracles accomplis par Jésus durant son
enfance à Nazareth (remaniement latin de | Évangile de
Thomas). Thilo ne publia que le texte du premier ms. en
indiquant les variantes tirées du second, dont i| laissa
complètement de côté toute la dernière partie.
Tischendorf a trouvé au Vatican un ms. latin (n. 4257)
qui reproduit sensiblement le texte du Parisinus 1652,
c'est-à-dire l'histoire compléte de la Vierge et del'enfant
Jésus jusqu'à l’âge de douze ans. C'est ce texte qu'il a
édité sous le titre d' Évangile de Pseudo-Matthieu, en
y ajoutant les variantes tirées de Thilo, et d'un manuscrit
de la bibliothéque Laurentienne qu'il n'a pas autrement
désigné. Cela donne les quatre sigles suivants : À — Va-
hic. 0297 ; B — Laurentianus; C — Paris. 6069; D — Paris.
1652. — ll y a d'autres manuscrits : Paris, 4560; 614;
1772; 6041, A; — Cambridge, F. f. 6. 54 ; — Bodléienne,
1053, n. 5 ; — Florence. Medic. plut. XIX, n. 10; Sainte-
Croix, plut. XV, n. 12. Ces derniers mss. n'ont pas été
étudiés. Méme entre ceux qui ont été collationnés on est
loin de pouvoir établir un classement; les variantes sont
nombreuses et importantes. On voit done qu'il est
difficile de restituer le texte latin, d'une manière aussi
satisfaisante que le grec.
Tischendorf a donné au remaniement latin qu'il a

in lingua thoscana. Thilo n'a pas pu savoir sile texte qu'elles donnaient
avait quelque rapport avec celui qu'il a édité.
74 HISTOIRE DU LIVRE

publié intégralement pour la première fois le titre


d' Évangile de Pseudo- Matthieu. Ilest allé en cela contre
l'exemple de Thilo, lequel avait attribué ce nom au second
des remaniements latins, celui que nous appellerons l É--
eangile de la Nativité. Les raisons de ce changement
d'appellation semblent acceptables. Non pas qu'il faille
faire grand fonds sur le titre qui est donné par A. Zncipit
liber de ortu beat: Mariæ et infantia Saleatoris à beato
Matthaeo evangelista hebraice scriptus et a beato Hiero- |
nymo presbytero in latinum translatus. En effet les mss. -
C et D et celui de Cambridge attribuent le livre à Jac-
ques !. Mais dans un certain nombre de mss. (A, les deux |
mss. de Florence désignés plus haut), cette histoire est pré- -
cédée d’une lettre adressée par saint Jérôme aux deux évé-
ques Chromatius et Héliodore. Jéróme y déclare que, sur
leur demande, il a traduit en latin un évangile concernant
l'enfance du Christ écrit autrefois en hébreu par saint
Matthieu et tenu secret jusqu'à ce Jour. Une notice du
méme genre, mais en style impersonnel, se trouve à la
fin du Paris. 5560.
Il est vrai que cette méme lettre de saint Jéróme se
trouve également en tête de l'Éeangile de la Nativité
que l'on peut lire dans les œuvres de ce docteur?. Fulbert
de Chartres (fin du x? siècle), qui connaît et citel" Évangile
de la Nativité, semble dire que cette histoire se donne
comme une œuvre de saint Matthieu traduite par saint
Jéróme 3. Vincent de Beauvais qui donne de longs ex-

1. C'est également le nom de Jacques que lisait en téte de cette his-


toire l'abbesse Hrotswitha au x? siècle, Historia nativitatis laudabilisque
conversationis intactæ Dei Genitricis quam scriptam reperi sub nomine
sancti Jacobi fratris Domini. P. L., t. cxxxvri, col. 1065. Sur l’œuvre de
Hrotswitha, cf. plus loin p. 150.
9. Cf. Vallarsi, t. x1, pars 28, col. 380 ; P. L., t. xxx;.eol. 297-305.
3. Je dis« semble», voici pourquoi. Dans le deuxiéme sermon sur la
nativité de la Vierge, Fulbert cite un assez long fragment del'Évangile de
la Nativité, P. L., t. cxrr, col. 324-325. C'est dans le troisième sermon
REMANIEMENTS LATINS 75

- traits de cet apocryphe les met sous le nom de « saint


Jérôme dans son histoire de Joachim et d'Anne 1, » tan-
- dis qu'au contraire 1] attribue à «Jacques fils de Joseph,
en son livre de l'enfance du Sauveur? y les extraits assez
considérables qu'il donne du livre que Tischendorf
appelle Pseudo-Matthieu. La Légende dorée, attribuée
à Jacques de Voragine, parlant de la nativité de la Vierge,
s'exprime ainsi : « Saint Jéróme dit dans son prologue
l'avoir lue dans un opuscule, alors qu'il était assez jeune,
mais que ce fut seulement de longues années aprés que,
sur la prière qui lui en fut faite, il la/coucha par écrit de
la maniére qu'il se rappelait l'avoir lue. » Suit l'histoire
de Joachim et d'Anne rapportée exactement dans les
termes de l' Zeangile de la Nativité 3.
. On voit, par ces divers exemples, que la lettre de saint
Jéróme, présentant sa traduction d'un Évangile de saint
Matthieu, se trouve aussi bienen tête du Liber de ortu
b. Mariz et infantia Salvatoris (Ps.- Matthieu de Tischen-
dorf) que du Liber de nativitate Mariæ (Ps.- Matthieu de
Thilo). Il semble assez difficile de trancher la question
par l'examen des manuscrits et des citations, et il est
bien certain que le moyen âge a connu sous le nom de

sur cette méme féte qu'il parle de l'histoire quz clarissimi interpretis
Hieronymi prænotatur nomine, referens beatum Matthæum ortum b. Vir-
ginis atque initiamenta puerilia J.-C. obsignasse litteris hebraicis. Ibid.,
col. 327. On peut penser au premier abord que cette histoire écrite par
saint Matthieu n'est pas autre chose que la légende de Marie citée dans
le sermon précédent. Il semblerait assez bizarre que Fulbert ait eu en
main les deux remaniements latins, ait eu une certaine confiance dans
l'un (£v. de la Nativité) tandis qu'il aurait rejeté l'autre. En y réflé-
chissant on trouve que cette hypothése est moins bizarre qu'il. ne
paraît d'abord. Dans ce cas les mots que nous venons de rapporter, et le
blâme discret qui les suit, viseraient non pas l' Évangile de la Nativité,
mais celui que nous appelons Ps.-Matthieu avec Tischendorf.
1. Speculum historiale, Venise, 1591, fo 6623.
2. Ibid., fo 66b.
3. Legenda aurea, éd. Grasse, 1846, p. 585 sq.
76 HISTOIRE DU LIVRE

saint Jérôme, traducteur de saint Matthieu, nos deux.


remainements latins. L'examen toutefois de la préface
hiéronymienne permet de savoir auquel des deux textes
elle a été d'abord appliquée. Il est facile de s'expliquer -
comment elle est ensuite passée à l’autre. Cette pré-
face s'applique évidemment au texte le plus long, au
Liber de ortu beatæ Marise et infantia Saleatoris. Cela
est clair surtout, quand on compare la lettre de saint
Jéróme à celle des évéques Chromatius et Héliodore à la-
quelle elle doit servir de réponse. Ces deux personnages se
plaignent de ne connaitre l'origine de Marie, la nativité
et l'enfance du Sauveur que par des livres apocryphes.
Mais ils ont appris que Jérôme avait eu en main un
livre : in quo et ipsius virginis ortus et Saleatoris no-
stri infantia esset scripta. Ce livre hébreu, 115 supplient
Jéróme de le traduire en latin. Le savant exégéte satis-
fait à leurs désirs, et en leur envoyant sa traduction,
demande pieusement les prières de ceux qui, grâce à son
travail, pourront maintenant connaître la sainte enfance
de notre Sauveur.
Ces lettres, destinées à abriter l'auteur de l'apocryphe
et à lui concilier la bienveillance de l'opinion, ne peu-
vent pas s'appliquer au très court opuscule sur la Nativité
de la Vierge où 1] n'est pas question un seul instant de
l'enfance du Sauveur. Le récit s'arréte en effet juste au
moment de la naissance de Jésus. Ce n'est pas cette his-
toire qui pouvait faire connaitre aux lecteurs du prétendu
Jérôme la sainte enfance du Sauveur. Ces lettres ne peu-
vent viser par conséquent que cette compilation légen-
daire qui embrasse à la fois, comme le disent les deux
évéques Chromatius et Héliodore, la naissance de la Vierge,
la nativité du Sauveur et son enfance. Cette démons-
tration de Tischendorf nous parait convaincante, et
comme lui nous mettrons la correspondance entre Jé-
rome et les deux évêques en tête du Liber de ortu beatæ
Mariæ et infantia Saleatoris. Mais nous croyons éga-
REMANIEMENTS LATINS pu

lement que le petit opuscule De nativitate Mariz portait


en téte une lettre-préface de saint Jéróme. Il n'est pas
certain que cette lettre füt de tous points identique à
la précédente ; la maniére dont en parlent la Légende
dorée et Vincent de Beauvais ne laisse pas soupconner
que saint Matthieu y ait été nommé, et le signalement
qu'en donne Jaeques de Voragine ne convient pas bien
à la lettre que nous ont conservée les manuscrits. Nous
montrerons plus loin que le De natieitate Mari: ax été
composé postérieurement à l'autre remaniement latin
dans le but de faire disparaitre de ce dernier ce qui pou-
vait choquer les idées du temps. Il n'est pas invraisem-
blable que l'auteur de cette édition revue et corrigée,
ait en méme temps revisé la lettre de saint Jérôme. En fait
il existe au moins trois recensions différentes de cette
préface et c'est à l'une d'entre elles (cf. p. 340) que
s'appliquent le mieux les expressions de la Légende dorée.
Le texte de l' Évangile de la Nativité de Marie est celui
que l'on trouve dans toutes les éditions de saint Jérôme.
Il est passé de là dans toutes les collections d'apocry-
phes, Fabricius, Jones, Schmudt, Thilo. — Tischendorf
la reproduit en y ajoutant quelques variantes tirées
d'un des manuscrits de Pseudo-Matthieu, B. Ce ms. re-
présente en effet à divers endroits une fusion des deux
remaniements latins.

IL. LE PROBLEME LITTÉRAIRE, DATES ET AUTEURS

1. Le Protévangile de Jacques.

Les premiers auteurs qui ont étudié le Protéeangile


de Jacques ne se sont pas posé la question de l'unité du
livre. Cette unitéleur paraissait évidente. Une fois qu'on
l'avait admise,ilne restait plus qu'à rechercher l'auteur
78 HISTOIRE DU LIVRE

et à déterminer la date probable de la composition du


livre. La dissertation de Tischendorf dont nous avons déjà
parlé représente au mieux l'état dela question en 1851 !,
Ce critique commence par une revue des opinions ancien-
nes. Pour quelques-uns (Arens, Borberg ?), l'écrit est l’œu-
vre d'un gnostique. Beausobre l'attribuerait volontiers au
célèbre manichéen Leucius. D'autres enfin, dans le même
ordre d'idées, y voient l’œuvre d'un docéte, — Au con-
trarre Calmet et Kleuker en font une production ébio-
nite. — Enfin plusieurs critiques, Postel (le premier édi-
teur) Combefis, Róssler, pensent tout simplement que
lauteur est un chrétien de la grande Église, mais dont
l’œuvre aurait été dans la suite interpolée par un gnos-
tique (Mill. Gnostique, ébionite ou catholique? Telle
est la question qui se pose.
Tischendorf écarte d'un seul mot la troisième hypo: |
thèse; elle méconnait, dit-il, l'état des questions dogmati-
ques à làge apostolique. Mill l'a bien senti, puisqu'il
admet des interpolations gnostiques. — Reste donc seu-
lement l'alternative : gnostique ou ébionite. Or Épiphane
nous apprend que les ébionites avaient composé des li-
vres qu'ils avaient mis sous le couvert de Jacques, de
Matthieu, de Jean l'apótre et d'autres disciples de Jésus 3.
Comme on ne connait point d'autre livre qui porte le
nom de Jacques, 11 faut bien que ce soit le Protéeangie
qui ait été visé par Épiphane. L'auteur serait donc un
ébionite. Seulement, il faut critiquer d'un peu plus prés
cette donnée. Les ébionites en effet considéraient Jésus
comme un homme ordinaire, né de l'union de Joseph et

1. De evangeliorum apocryphorum origine et usu, p. 27-34.


2. Pour ces divers auteurs voir la Bibliographie, p. 173 sq.
3. Hazres., xxx, 23, P. G., t. x11, col. 444 : τῶν δὲ ἀποστόλων τὰ 0vó-
ματα εἰς τὴν τῶν ἠπατημένων ὑπ᾽ αὐτῶν πειθὼ προσποιητῶς δέχονται, BíGAouc
τε ἐξ ὀνόματος αὐτῶν πλασάμενοι ἀνεγράψαντο, δῆθεν ἀπὸ προσώπου ᾿Ιακώδον,
χαὶ Ματθαίου χαὶ ἄλλων μαθητῶν, ἐν οἷς ὀνόμασι χαὶ τὸ ὄνομα ᾿Ιωάννου τοῦ
ἀποστόλου ἐγχαταλέγουσιν...
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 79

. de Marie, et le Protévangile est d'un tout autre sentiment.


Cela est vrai, mais il convient également de remarquer
qu'au témoignage d'Épiphane lui-même, les ébionites
n'ont pas persévéré dans leurs idées primitives, et que
de bonne heure ils se sont ralliés à la doctrine d'Helxai
qui est loin de faire du Christ un homme ordinaire. Eu-
sébe nous apprend d'autre part! que, parmi les ébionites,
plusieurs ne niaient point que le Christ füt né de la Vierge
et du Saint-Esprit. Enfin la remarque de Beausobre que
la virginité, si estimée par l'auteur du Protéeangile,
n'était point chez eux en honneur, nesaurait tenir devant
le renseignement formel d' Épiphane : « jadis ils exaltaient
la virginité, sans doute à cause de Jacques, frére du Sei-
gneur, et ils dédient (encore?) leurs livres aux anciens
et aux vierges ?. »
— Il est vrai que l'ignorance des choses juives qui se ma-
nifeste à plusieurs endroits dans le Protévangile sem-
blerait témoigner contre l'origine ébionite de l'auteur,
éomme l'ont fait observer Arens et Borberg. L'exclusion
de Joachim du temple à cause de la stérilité de son épou-
se, l'éducation de Marie dans le sanctuaire sont des traits
qu'un Juif averti n'aurait pas insérés dans son œuvre.
L'objection est pourtant moins forte qu'il ne paraît.
Le texte grec ne parle pas de l'exclusion de Joachim par
les autorités officielles, 1] s’agit simplement d'une ques-
tion de préséance entre deux particuliers au moment
de l'offrande. Quant à la légende de Marie élevée dans le
temple, elle témoigne seulement qu'aprés un siècle, les
chrétiens d'origine juive avaient perdu le souvenir des
conditions exactes de la vie dans le sanctuaire, — Nom-
bre de traits, au contraire, semblent témoigner de l'ori-
gine judéo-chrétienne du Protévangile: le jeûne de Joa-

1. Hist. eccl., uix, 27, P. G., t. xx, col. 273. Eusébe y distingue nette-
ment deux catégories d'ébionites.
2. Hæres., xxx, 2, P. G., t. xr1, col. 840.
80 HISTOIRE DU LIVRE

chim dure quarante jours et quarante nuits à l'exemple


de celui de Moise, d'Élie, ou du Christ; la tristesse d
Joachim et d'Anne arrivés à la vieillesse sans avoir eu
d'enfants rappelle la désolation d'Anne mère de Samuel;
le trait de la lame d'or du grand-prétre, qui sert pour ainsi
dire de miroir à l’âme, est également caractéristique, aussi
bien que les paroles adressées à Joseph pour l’engager à
accepter la garde de Marie, et l'histoire des eaux améres,.
Si quelques traits semblent déceler un gnostique, rien
n'empéche de penser à un ébionite ayant des tendances.
gnostiques; les cadres des hérésies du second siècle ne
sont pas tellement rigides qu'il faille toujours et partout
les appliquer à la rigueur. L'histoire de Marie élevée
dans le temple, nourrie par un ange, éloignée de tout
commerce masculin, finalement mettant au monde en
dehors de toutes les règles naturelles, cette histoire
cadre bien avec le souci de la virginité qu'Épiphane |
atteste chez les premiers ébionites. Le róle de la colombe
est en rapport avec le symbolisme que les Juifs attri-
buaient à cet oiseau. La remarque finale de l'auteur,
ses remerciements à Dieu, qui lui a permis de trans-
mettre cette histoire (on sous-entend aux spirituels), ne
dénotent pas nécessairement un gnostique düment cata-
logué.
Sil'on réfléchit d'autre part que l'idée essentielle du livre
est d'enseigner, d'une manière explicite, l'origine surna-
turelle du Christ, sa conception et sa naissance virginales,
on arrive à cette conclusion que l'auteur voulait mettre
en évidence, devant ses compatriotes et peut-étre ses
coreligionnaires, cette vérité qui lui tenait à cœur. On
sait en effet par Épiphane, Eusébe et Justin, qu'il y avait,
sur cette importante question de l'origine du Christ, des
divergences considérables parmi les ébionites. L'auteur
qui appartenait à la fraction la plus rapprochée de la
grande Église, qui admettait dés lors la conception sur-
naturelle de Jésus, s'est fait par son livre l’apôtre de cette
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 81

| vérité. On a parlé du docétisme de l’auteur, et on en a


pris prétexte pour le rapprocher des gnostiques, très favo-
rables comme on sait à la doctrine du corps apparent
de Jésus. Ce docétisme n'est pas démontrable, il y a
même des expressions qui l’excluent formellement. Au
dernier chapitre on annonce que Zacharie fut remplacé
par Siméon. Celui-ci, ajoute l’auteur, avait reçu du
Saint-Esprit la promesse qu'il ne mourrait pas avant
de voir le Christ dans la chair: Χριστὸν ἐν σαρχὶ ἐληλυθότα,
Ce sont les expressions employées par Ignace pour com-
battre le docétisme. Ainsi la vénération des ébionites
pour Jacques frère du Seigneur, le grand nombre d'idées
juives qui se rencontrent dans le livre, l'absence d'idées
gnostiques nettement caractérisées, l'insistance de l'au-
teur sur certaines idées admises seulement par une par-
tie de ses coreligionnaires et qu'il veut faire pénétrer
chez les autres, autant de raisons, selon Tischendorf, pour
lesquelles i1 faut chercher dans les cercles ébionites à
tendances nettement catholiques l’origine du Protévan-
gile.
Quantà sa date, elle peut être déterminée de la manié-
re suivante : ll n'est pas certain que Justin ! (Dial., 78)
dépende directement du Protéeangile, 11 est pourtant vrai-
semblable qu'il a trouvé dans un écrit la tradition rela-
tive à la grotte de la nativité. Le témoignage de Clé-
ment d'Alexandrie est plus certain ? ;la manière dont il
parle de la constatation de la virginité de Marie aprés

1. Voir le texte plus haut, p. 56.


2. Stromates, v11, 16, P.G., t.1x, col. 529. Comparaison entre Marie et
les Saintes Écritures. Celles-ci enfantent la vérité, et pourtant demeu-
rent vierges; Marie est dans la méme situation. « Beaucoup de gens (ou
la plupart des gens) s'imaginent, il est vrai, que Marie est une femme
accouchée, puisqu'elle a mis au monde un fils, mais elle ne l'est pas. Et
en effet, au dire de quelques-uns, elle a été trouvée vierge parla sage-
femme qui venait l'assister. » ᾽᾿Αλλ᾽, ὡς ἔοιχεν τοῖς πολλοῖς xxl μέχρι νῦν,
δοχεῖ à Μαριὰμ. λεχὼ εἶναι διὰ τὴν τοῦ παιδίου γένησιν, οὐχ οὖσα λεχώ᾽ xal γὰρ
μετὰ τὸ τεχεῖν αὐτὴν μαιωθεῖσαν φασίτινες παρθένον εὑρεθῆναι,
FAOTÉV. — 6
82 HISTOIRE DU LIVRE

l’enfantement dépend du Protévangile. Enfin Origene


cite nettement ce livre en faveur de l'opinion qui voit dans
les frères de Jésus des fils de Joseph issus d'un premier
mariage 1. D’après ces témoignages il semble qu'il faille
reporter au milieu du second siécle la composition du
Protévangile. On peut tirer un confirmatur du style,
très voisin de celui des Évangiles canoniques, et surtout.
de la thése développée et soutenue parle livre. C'est vers”
le milieu du ri? siècle qu'il y avait urgence à défendre la
virginité absolue de la Vierge, et la naissance miraculeuse -
du Sauveur contre une fraction des ébionites, les na- i
zaréens, contre les cérinthiens et les marcionites, con-«
tre les calomnies des Juifs enfin, qui, à cette époques
méme, trouvaient un écho dans le livre de Celse.

Pourtant, à la méme date oü Tischendorf faisait pa-


raitre sa dissertation, Hilgenfeld ? émettait des doutes |
sur l'unité du Protévangile. Son argumentation, au moins
dans ses grandes lignes, a été reprise par Lipsius 3. Law
simple inspection du texte montre d'aprés ce dernier,
que l'on n'a pas affaire à une œuvre homogène. Le ch. xvii, -
par exemple, qui décrit le brusque arrêt de la nature dans
le temps qui précéde la naissance de Jésus, présente un
coloris gnostique nettement accusé, D'autre part, il y a
à cet endroit méme un remarquable changement de per- .
sonne. Jusqu'à présent la narration était impersonnelle;

1. Origène, Comment. in Matth., t. x, 17, P. G., t. xin, col. 876-877. 3


« Pour ce qui est des fréres de Jésus, certains disent, en s'appuyant sur
une tradition du soi-disant Évangile de Pierre, ou du livre de Jacques,
que c'étaient des fils de Joseph nés d'une première femme que Joseph
avait eue avant Marie.
2. Hilgenfeld, Kritische Untersuchungen über die Evangelien Justins,
Halle, 1850, p. 153 sq.; et dans Zeitschrift für wissenschaftliche '"Theolo-
gie, 1865, Heft 111, p. 339 sq.: 1867, Heft τ, p. 87 sq. ; enfin dans son
livre, Historische kritische Einleitung im N. T., Leipzig, 1875, p. 152.
3. Dans Smith et Wace, Dictionary of Christian Biography, t. τι,
p. 702 sq., article sur les Évangiles apocryphes.
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 83

à ce moment Joseph prend lui-même la parole pour rap-


porter les miracles qui annoncent la venue du Sauveur.
On serait donc tenté de rejeter tout ce chapitre comme une
interpolation !. Mais cela est impossible, car il faudrait
en méme temps exclure une partie du chapitre suivant
où Joseph raconte, également à la première personne, son
entretien avec la sage-femme. Il faut donc bien recon-
naître 101 une tentative malheureuse de soudure entre
deux documents d'origine différente. — D’autres obser-
vations d’ailleurs mènent à une conclusion du méme
genre. Le fil de la narration est rompu en plusieurs en-
droits ?; fréquemment le récit se refére à des faits qui
auraient dü étre précédemment racontés, et qui ne se
retrouvent pas dans le contexte; l'histoire se termine
d'une maniére tout à fait singuliére; enfin dans plusieurs
eas les récits conservés par Pseudo-Matthieu présentent
un texte plus original.
La même conclusion défavorable à l'unité du livre res-
sort de l'examen des témoignages. Origéne qui emprunte
au livre de Jacques la tradition relative aux frères du
Seigneur, connaît sur le meurtre de Zacharie un récit tout
différent de celui que rapporte le Protévangile ?. En réa-

1. Ainsi fait Hofmann, Das Leben Jesu nach den Apokryphen, p. 110.
2. Lipsius ne donne pasd'exemples; on peut donner celui-ci: A partir
de xxr, 3, il n'est plus une seule fois question de Marie ni de Jésus; c'est
Élisabeth, saint Jean et Zacharie qui occupent la scène.
3. In Matthzum, tract. xxv et xxvi, P. G., t. xir, col. 1629-1633.
Quel est le Zacharie dont parle Jésus (Matth., xxr11, 35), et quia été tué
par les Juifs entre le sanctuaire et l'autel ? Origéne ne pense pas que ce
soit l'ancien prophète de ce nom; ce ne peut être que Zacharie, père de
Jean-Baptiste. Sans doute l’Écriture ne nous ditrien des conditions de
sa mort; mais la tradition peut suppléer à ce silence. Or il y a une tradi.
tion (ἀλλ᾽ ἦλθεν eic ἡμᾶς τοιαύτη τις παράδοσις), d’après laquelle Zacharie
aurait permis à Marie, même après la naissance de Jésus, de se tenir
dans le parvis du temple réservé aux vierges, assurant qu’elle était
digne de cette place. Irrités de cette transgression apparente de la loi,
ses compatriotes le tuèrent.

ὍΝ.
84 HISTOIRE DU LIVRE

lité, il n’y a donc point de témoignage pour l'existence du


texte, dans son état actuel, avant l'époque de Pierre d'A-
lexandrie (f 311). L'examen du témoignage de Justin:
amène à conclure que cet auteur a connu un écrit appa- |
renté au Protévangile, bien qu'en différant sur plusieurs
points. Il n'y a pas grand fonds à faire sur la mention de
la grotte de Bethléem ; ce peut étre chez Justin le.
résultat d’une simple tradition locale. Il ne faut pas in--
sister davantage sur le fait, mis en évidence par Hil-
genfeld, que Justin rapporte les paroles de l'angeà Marie,
au moment de l’annonciation, de la méme manière
quele Protévangile, c'est-à-dire en combinant Luc., r, 308
δοὺ συλλήψῃ ἐν γαστρὶ xai τέξῃ see Lai χαλέσεις τὸ ὄνομα αὐτοῦ
Ἰησοῦν, avec Matth., 1, 215, αὐτὸς γὰρ σώσει τὸν λαὸν αὐτοῦ ἀπὸ
τῶν ἁμαρτιῶν αὐτῶν i. Mais 1l est un autre passage de Jus-
tin étroitement apparenté au texte du Protévangile ?.- POP
GU
EP
To
gi
OR
Seulement la relation établie par Justin entre la joie |
conçue par Marie et le message angélique est beau-
coup plus naturelle que dans le Protévangile, où cette |
méme joie conçue par la Vierge est attribuée aux pa-
roles que le grand-prétre adresse à Marie dans le tem- ;
ple. Il est donc vraisemblable qu'en reproduisant les.
paroles πίστιν xai χαρὰν λαθοῦσα Μαρία, Justin utilise

1. Le Protévangile donne la combinaison suivante: διὸ χαὶτὸ γεννώ-


μενον ἐκ σοῦ ἅγιον x) ηθήσετα: υἱὸς ὑψίστου, xal χαλέσεις τὸ ὄνομα αὐτοῦ 'Im-
σοῦν" αὐτὸς γὰρ σώσει: τὸν λαὸν αὐτοῦ ἀπὸ τῶν ἁμαρτιῶν αὐτῶν.--- Justin,
Apol., 1,33, ἰδοὺ συλλήψη ἐν γαστρὶ ἐχ πνεύματος ἁγίου xai τέξῃ υἱὸν, χαὶ
υἱὸς ὑψίστου χληθήσεται, χαὶ χαλέσεις τὸ ὄνομα αὐτοῦ ᾿Ιησοῦν, αὐτὸς γὰρ σώσει:
τον λᾶον ŒUTOU XTO τῶν αμαρτιων αυτων.

2. Justin, Dial., 100, oppose Marie à Eve. Celle-ci étant encore vierge,
ayant écouté la parole du serpent (le grec est plus fort τὸν λόγον τὸν
ἀπὸ τοῦ ὄφεως συλλαδοῦσα), enfanta la désobéissance et la mort, la
Vierge Marie, au contraire, ayant concu foi et joie du message angélique
répondit : « Qu'il me soit fait selon ta parole » (πίστιν δὲ xxi χαρὰν λα-
ὀοῖσα Magiy. à παρθένος). — On rapproche ces mots de Protév., xn,2:
χαρὰν δὲ λαδοῦσα Maprau ἀπίει πρὸς 'EA:056:-.— Pour notre compte, nous
croyons ce rapprochement purement fortuit.
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 85

un document original dont le Protévangile actuel s’est


également servi. C’est probablement aussi à ce docu-
ment original que se réfèrent Clément d'Alexandrie
et Origène dans les textes déjà cités. Ce document a dû
être dans la suite exploité par les gnostiques. Nous sa-
vons en effet par Épiphane qu'il existait, à la fin du
1v? siècle, dans les milieux gnostiques, des livres relatifs
à la nativité de la Vierge 1. L'Évangile de Peudo-
Matthieu pourrait provenir de ces remaniements. En par-
ticulier les narrations contenues dans les derniers chapi-
tres, et qui manquent dans le Protévangile, rapportent
des miracles de Jésus enfant, d'un caractère incontesta-
blement gnostique.
Mais le gnosticisme ne peut pas à lui tout seul expli-
quer le Protévangile. À côté des traits certainement gnos-
tiques on rencontre en effet de nombreuses indications
qui témoignent d'un auteur judéo-chrétien, ou tout au
moins ayant des coutumes juives une connaissance exac-
te. Expliquer ce double caractère par lexistence d'un
seul auteur, ébionite à tendances gnostiques, est inad mis-
sible, surtout quand l'on songe à certaines ignorances gros-
sières du Protévangile à l'endroit du judaïsme. Ce curieux
mélange de connaissance précise et de grossiére ignorance
de la pensée et des coutumes juives nous force donc à dis-
tinguer entre un original judéo-chrétien et un remanie-
ment gnostique. Le premier de ces écrits est conservé
pour une grande part dans le Protévangile de Jacques,
plus complétement et plus fidélement encore dans Pseudo-
Matthieu. À en croire Lipsius, il faudrait donc distin-
guer dans la formation du Protévangile actuel les
étapes suivantes : 1) L’œuvre judéo-chrétienne attribuée

1. Épiphane, Hæres., xxvi, parle d'une secte avec quiila eu des rap-
ports personnels ; ces sectaires faisaient usage d'un grand nombre de
livres apocryphes, 12, γένναν μὲν γὰρ Μαρίας βιδλίον τί φασιν εἶναι, ἐν ᾧ δει-
νά τε xai ὀλέθρια ὑποδάλλοντές τινα ἐχεῖσε λέγουσιν, P. G., t. και, col. 349,
2

86 HISTOIRE DU LIVRE $

à Jacques et qui existait déjà à l'époque de Justin.


2) Une recension gnostique de cet écrit qui portait usuel
lement le nom de Joseph, mais qui était mise aussi
sous le nom de Jacques, et qu'on a pu également attri-
buer à Leucius Charinus. Cette recension daterait du mi-
lieu du iri? siècle. — 3) Enfin divers remaniements catho-
liques obtenus en combinant de différentes manières les
deux textes anciens. Notre Protévangile actuel serait le
plus vieux de ces remaniements, ayant paru dans la
seconde moitié du in? siècle. Pseudo-Matthieu est une
œuvre du méme genre, dérivée des mêmes sources, mais
postérieurement.

Zahn, en 1892, a repris l'examen de la question !,


mais sans doute les preuves données par Lipsius ne l'ont
point satisfait, car il regarde comme incontestable
l'unité du livre. La date peut étre fixée par les témoigna-
ges des auteurs ecclésiastiques. Le terminus ad quem est
donné par Origéne dans le Commentaire sur saint Mat- |
thieu, x,17, où cet écrivain mentionne le livre de Jac-
ques à côté de l' Évangile de Pierre à l'appui del'idée que
les frères de Jésus sont les fils de Joseph issus d'un pre- |
mier mariage. Les autres rapprochements que lon a es-
sayé de faire entre Origéne et le Protévangile ne sont
pas concluants, il peut s'agir tout simplement de tradi-
tions apparentées, mises en circulation à cette époque, peut-
être par des écrits apocryphes. Mais en toute hypothèse |
le Protévangile a été connu d'Origéne. — Il l'a été vrai-
semblablement aussi de Clément d'Alexandrie. Il ne s'a-
git pas seulement du texte cité plus haut (Strom., var,
16). Dans le fragement des /Typotyposes conservé dans les
Adumbrationes in Judz epistolam, Clément fait allusion
à un premier mariage de Joseph. Il est manifeste, ajoute
Zahn, que l'auteur en cet endroit se rallie à l'opinion ex- '

1. Geschichte des neutestamentlichen Kanons, t. 11, p. 774-780.


LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 87

primée pour la première fois par le Protévangile touchant


les frères du Seigneur !. — Enfin de Clément on peut re-
monter à Justin. Selon toute vraisemblance c'est sous
l'influence du Protévangile que cet écrivain a combiné
dans le récit de l'annonciation les paroles qu'on lit dans
saint Luc avec celles qui se trouvent en saint Matthieu 3,
C'est au Protévangile également qu'il a emprunté la notice
concernant la grotte de Bethléem 3.
On peut donc considérer comme à peu prés certain que
Justin a connu le Protévangile, et qu'il l'utilisait sensible-
ment de la méme manière que les Évangiles canoniques.
Cela donnerait à cet apocryphe une assez haute antiquité.
Mais on peut remonter plus haut encore que Justin.
L’ Évangile de Thomas en effet, qui a dû être composé
avant 150 4 semble être une continuation du Protévangile
deJacques. S'il en est ainsi, ce dernier apocryphe a dû être
écrit au plus tard dans les premières décades du rn? siè-
cle; et au milieu de ce même siècle, c'était un livre qui
avait déjà une certaine diffusion et une grande influence.
Enfin l'antiquité de l'ouvrage est également prouvée par
la hberté avec laquelle l'auteur traite les sources cano-
niques qu'il utilise. Sans doute 1l n'y a nulle part de con-
tradiction entre son texte ou son esprit et celui des Évan-
giles canoniques, mais ces écrits ne constituent pas pour
lui une règle inviolable. Il n'est pas gêné pour mettre
la naissance de Jésus à une certaine distance de Beth-
léem; il n’a pas de place pour la fuite en Égypte ; il rat-

1. Zahn, Forschungen zur Geschichte des N. T. Kanons, III Teil,


Erlangen, 1884. Voicile texte tel que le restitue Zahn, p. 83: Judas,
qui catholicam scripsit epistolam, frater filiorum Joseph exstans, valde
religiosus et cum sciret propinquitatem domini, non tamen dicit seipsum
fratrem ejus esse; sed quid dixit : Judas sereus Jesu Christi, utpote do-
mini, frater autem Jacobi, hoc enim verum est, frater ejus erat ex Joseph.
2. Geschichte des N. T. Kanons, t. 1, p. 485, 499, n. 3.
3. Ibid., p. 502.
4. Ibid., p. 771.
e8 HISTOIRE DU LIVRE

tache à un contre-sens sur Matth., xxrim, 35, l'histoire d


meurtre de Zacharie.— L'auteur doit être Juif de nais
sance; la langue du livre, trés voisine de celle de l’An
cien Testament, et très différente de celle de l Évangi
de Thomas (1ssu de cercles gnostiques), en est une preuv
manifeste. Mais les erreurs géographiques importante
qui se rencontrent dans l'ouvrage montrent bien qu'il
ne faut pas en chercher l'auteur en Palestine. On peut
conjecturer avec quelque vraisemblance que l'on a
affaire à un judéo-chrétien hellénistique, originaire
d'Égypte ou d’Asie-Mineure, et qui a écrit dans les
premières années du r1? siècle.

La thése de Zahn sur l'unité et la haute antiquité du


Protévangile actuel ne saurait plus être soutenue depuis
les travaux de Berendts !, dont voici les conclusions. —
Divers catalogues de livres apocryphes signalent une apo- -
calypse de Zacharie ?, dont 1l faut rechercher les traces dans
l'ancienne littérature chrétienne. De cette étude il ressort
que l'auteur supposé de cette apocalypse ne saurait étre
ni Zacharie fils de Joiada tué par ordre du roi Joas
(II Chron., xxiv, 20-22), n le prophète post-exilien du RE C
ue
PT
méme nom. Il n'y a pas de preuves suffisantes, en effet,
pour admettre l'existence d'une apocalypse apocryphe
mise sous le nom de l'un ou l'autre de ces personnages.
Au contraire 1] n'est pas douteux qu'il ait existé un livre
apocryphe qui aurait eu pour auteur prétendu ou pour
objet Zacharie père du Baptiste. En étudiant les di-
verses traditions qui se retrouvent dans les auteurs ecclé-

1. A. Berendts, Studien über Zacharias-Apokryphen und Zacharias-


legenden, Leipzig, 1895 ; et Die handschriftliche Ueberlieferung der Za-
charias und Joannes Apokryphen. Texte und Untersuchungen, t. xxvi
(INF... x1, fase 8}.
2. 1) Description des soixante livres canoniques : dans Preuschen,
Analecta, p. 159. — 2) Stichométrie de Nicéphore, ibid., p. 157 ; et
les textes apparentés,
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 89

ue sur la mort de Zacharie on arrive à la con-


elusion suivante 1 : ces différentes traditions ont toutes une
racine commune, étant sorties de l’interprétation donnée
par les chrétiens hellénisants du passage évangélique,
BLUE xxm, 35; Luc., xr, 51. On s'est. imaginé que le
Zacharie tué par les Juifs entre le sanctuaire et l'autel
n'était autre que le pére du Baptiste. Seulement 1l existe
sur les circonstances de sa mort des traditions diffé-
rentes. La plus ancienne est celle des gnostiques, qu' Épi-
phane nous a conservée ?; elle est originaire de Syrie et a
dû prendre corps avant le dernier quart du second siè-
cle, peut-étre méme beaucoup plus tót. Il s'est formé
d'autre part, en connexion plus ou moins étroite avec
des traditions locales, une légende de la mort de Zacharie,
qui a emprunté des traits à des histoires rabbiniques,
peut-être méme à quelque ancien apocryphe juif. Elle a
pu naitre vers l'an 135 de l'ére chrétienne, mais elle n'ap-
parait d'une manière précise qu'à la fin du rn? siècle,
et en Égypte. Débarrassée d'un grand nombre de ses élé-
ments, elle s'est finalement incorporée au Protéeangile,
mais ce ne doit pas être avant la fin du 1v? ou le commen-
cement du v? siécle. Les premiers témoins de sa pré-

1. Berendts, Studien, p. 66.


2. Hzres., xxvi, 12, P. G., t. xur, col. 349-352. C'est dans le livre
intitulé γέννα Μαρίας que se trouvait cette tradition. Cf. p. 85, n. 1.
«D’après ce livre, disent ces gnostiques, Zacharie aurait été tué dans le
temple parce qu'il y eut une vision; et comme plein de crainte il voulait
révéler sa vision, on lui ferma la bouche. En effet, à l'heure de l'encense-
ment, alors qu'il encensait, il vit devant lui un homme ayant la forme
d'un àne. Il sortit aussitót et voulut dire à la foule : « Malheur! qui
donc adorez-vous? » Mais celui qui lui était apparu au-dedans du temple
lui ferma la bouche afin qu'il ne püt parler. Mais quand sa bouche se
rouvrit pour parler, alors il leur révéla (sa vision) et ils le tuérent. C'est
ainsi, disent-ils, que mourut Zacharie. C'est pour cela aussi que le prétre
(juif) a recu du législateur l'ordre d'avoir des sonnettes à ses vétements,
afin que, au moment où il entre pour officier, celui que l'on adore se
cache et que son ignoble visage ne soit pas surpris. »
90 HISTOIRE DU LIVRE

sence dansle Protévangile sont Pseudo-Eustathe dans so


commentaire sur l'Hexaméron !,et le chroniqueur ano
nyme désigné sous le nom de Barbarus Scaligeri? (vers
470). Une autre forme de la légende de Zacharie est
celle dont Origene s'est fait l'écho?, et qui grâce à lui
a été acceptée par de nombreux écrivains grecs.
L'existence d'unelégende de Zacharie, incorporée dans
la suite au Protévangile, n'est pas une simple hypo-
thése imaginée pour les besoins de la cause. Berendts a
découvert dans la grande collection hagiographique russe, -
mise sous le nom du métropolite Makarius de Moscou, une.

1. Cf. plus loin, p. 116.


2. Dans H. Gelzer, S. Julius Africanus und die byzantinische Chrono- :
graphie, Leipzig, 1885, t. 11, 1, p. 326-328. — Le texte aussi dans les Mo-
numenta Germaniz historica, Auctor. antiquiss., t. 1x, p. 278-279.
In his diebus sub Augusto, Kalendas Januarias, magi obtulerunt ei
(Christo) munera et adoraverunt eum; magi autem vocabantur Bithisarea,
Melichior, Gathaspa. Audiens autem Herodes a magis quoniam rex natus
essel, conturbatus est et omnes (sic) Hierusolima cum eo, et videns, quia
inlusus esset a magis, misit homicidas suos dicens : interficite omnes pueros
a bimatuet infra. Herodes autem querebat Johannem et misit ministros
ante altarem ad Zachariam dicens illi : ubi abscondisti filium tuum? an
ignoras quia potestatem te habeo occidendi et sangui tuus in manibus meis
est? et dixit Zaxarias ; ego testes sum Dei viventis : tu effundis sanguinem «
meum, spiritum autem meum dominus recipiet, et sub aurora occisus est
Zacharias.
Elisabeth autem cognoscens quia querebatur (sic) Iohannes, adprehendens
eum ascendit in montana et aspiciebat ubi eum absconderet. tunc suspirans
Elisabeth exclamavit dicens : mons dei, suscipe me matrem cum filio.et
statim scissus est mons et recepit eos. E
In his diebus planzerunt Zachariam et fleverunt eum tribus diebus et
tribus noctibus, et suscitavit eis dominus deus in loco Zachariæ Symeonem.
iste acceperat responsum ab angelo non visurum se mortem, nisi videret
Christum Domini incarne. et videns eum dizit: nunc dimittis servum
tuum, domine, in pace, quia viderunt oculi mei salutarem tuum, quod
parasti ante faciem populorum lumen ad revelationem gentium et gloria
plebis tuz Israhel.
La Chronique du Barbarus Scaligeri est certainement une traduction
d'un original grec; cf. Monumenta, ibid., p. 83-84.
3. Cf .plus haut, p. 83 n. 3.
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 91

histoire intitulée : « Narration de la naissance de Jean


E Lm

le Précurseur et du meurtre de son pére Zacharie !. »


C’est un récit trés bref, qui raconte d'une manière assez
semblable à celle du Protévangile actuel la mort de Za-
charie père du Baptiste. La grande brièveté du morceau
empéche d'y voir un apocryphe complet;ce peut étre
un abrégé d'une histoire plus considérable. Mais, en tout
état de cause, il est difficile de considérer ce morceau com-
me un remaniement des chapitres xxii à xxiv. du Pro-
tévangile. Sans doute, l'économie générale des deux récits
est la méme, mais 1l y a dans le détail des différences trop
importantes pour que l'on puisse admettre cette hypo-
thése. On se trouve bien en présence de deux récits diffé-
rents et indépendants l'un de l'autre. Le fait que c'est
tantót l'une, tantót l'autre des deux légendes qui se mon-
tre le plus compléte, en est une bonne preuve. Méme, à
quelques endroits, les deux narrations sont compléte-
ment divergentes et ne peuvent plus se recouvrir. Tout
ce que l'on peut admettre, c'est donc l'existence d'un
récit primitif dont le Protévangile, dans les ch. xxu à xxiv,
et la légende slave seraient deux recensions abrégées.
Cette hypothése de Berendts, qui retranche du texte ac-
tuel les chapitres relatifs à la mort de Zacharie, a géné-
ralement rencontré bon accueil parmi les critiques; 1]
ne sera plus désormais possible d'en faire abstraction
dans l'étude du Protévangile.

Conrady a cru devoir le faire cependant dans la volu-


mineuse étude qu'il a consacrée aux sources des récits
canoniques de l'enfance ?. Mais son attitude dépend de
la maniére toute spéciale dont il envisageles rapports du

1. Berendts, Die handschriftliche Ueberlieferung, a fait connaitre un


certain nombre de textes grecs inédits, étroitement apparentés avec le
texte slave dont il avait publié la traduction.
2. Conrady, Die Quelle der kanonischen Kindheitsgeschichte Jesus
Góttingen, 1900.
92 HISTOIRE DU LIVRE

Protévangile avec saint Matthieu et saint Luc. La pre


mière impression que l’on éprouve à la lecture de notr
apocryphe, c’est que, dans les passages parallèles au
récits canoniques, l'auteur ne fait qu'arranger à sa ma-
nière les données fournies par ces derniers. Tous les cri
tiques sont de cet avis, et considèrent le Ier et le IIIe Évan
gile comme les sources de Pseudo-Jacques. Resch !, il
est vrai, avait expliqué d'une manière différente, l'incon-
testable parenté du Protévangile et des récits canoniques.
Il n'y aurait pas dépendance du premier à l'égard des
seconds, mais dépendance commune de tous ces écrits
à l'égard d'un récit primitif. Cet ouvrage, selon toute
vraisemblance composé en hébreu, devait porter un {1-
tre comme : tóledót Yé3à'a,ou Liber generationis Jesu. Tel
que Resch avait cru pouvoir le reconstituer, il compre- -
Lr
nait l'ensemble des récits relatifs à l'enfance de Jésus Be

qui se retrouvent dans saint Matthieu, saint Luc et le


Protévangile. Avec une hardiesse qui ne laisse pas que de
surprendre, Conrady, poussant à bout l’idée de Resch, a FA
Dt

fait de notre Protévangile dans son état actuel la source «Ὁ

hébraïque d’où sont dérivés postérieurement les récits


canoniques de l’enfance. C’est dire qu’il renverse du tout
au tout les rapports jusqu'à présent admis entre ces deux
catégories de récits. C’est dire également qu'il accepte
comme démontrée l'unité du Protévangile actuel, et qu'il
déclare de nulle valeur les observations proposées par
Berendts sur la légende de Zacharie.
Ce sont des pages curieuses que celles où Conrady étu-
die la source découverte par lui à nos Évangiles canoni-
ques. En un long chapitre il analyse l'esprit de cet ou-
vrage. Il estle fruit, dit-il, non de la recherche historique;
mais de l'imagination. Tout, à l'exception des noms histo-

1. Resch, Das Kindheïtsevangelium nach Lukas und Matthäus unter


Herbeiziehung der aussercanonischen Paralleltexte. Texte und Untersu-
chungen, 1897, t. x, fasc. 3.
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 93

riques et de la grotte de la nativité, y est l’œuvre de l’ima-


gination créatrice d'un poète qui a voulu demeurer in-
connu. Si libre pourtant que paraisse l'évangéliste dans
la composition de son histoire, il n'est pas indépendant
des écrits de l'Ancien Testament ; c'est à eux qu’il
emprunte nombre des motifs qui lui servent à illustrer
son thème. Il ne faudrait pas cependant en conclure
trop vite que c'est dans les milieux juifs qu'il faut chercher
l'auteur du Protévangile; sous un vêtement hébreu se cache
un esprit profondément imprégné de paganisme. En par-
ticulier, la manière dont l’auteur fait de Marie le centre
de son œuvre,la manière dont il conçoit le Messie, détonent
singulièrement aussi bien avec les idées juives qu'avec les
idées chrétiennes. Cette préférence accordée à la mère
au détriment du Sauveur est en contradiction avec l’es-
prit de l'Évangile authentique ; c’est le premier symp-
tôme de l'invasion de l'esprit païen dans le christianisme :
le Protévangile est la première légende qui s’élève du sol
paien, ce ne sera pas la dernière.
Ces remarques sur le paganisme de l'auteur nous font
découvrir aisément son lieu d'origine. C'est en Égypte
qu'au début du 1v? siècle se trouvent développées les idées
de pureté et d'ümpassibilité, qui ont servi à faire le portrait
de Marie; c'est aux alentours d'Alexandrie, terre classi-
que du syncrétisme religieux, qu'il faut chercher un ter-
ram favorable à l'éclosion de ces légendes paiennes re-
latives à des mystéres juifs ou chrétiens. Car, il ne faut
pas se le dissimuler, ce n'est pas une histoire ordinaire
que veut raconter l'auteur; 1l faut avoir l'esprit singulié-
rement obnubilé, pour ne pas découvrir, sous l'histoire
de Joachim, d'Anne, de Marie et de Jésus enfant, un vieux
mythe égyptien. Le Protévangile de Jacques n'est pas
autre chose que la légende d'Isis, mais dans son dernier
état, alors que cette divinité était considérée comme un
numen virginale. Nous ne suivrons pas Conrady dans les
preuves qu'il donne de cette singulière théorie, ce serait
94 HISTOIRE DU LIVRE

entrer dans le domaine de la haute fantaisie. Qu'il nous


suffise d'indiquer sommairement que Joachim n’est autre
que Qeb le dieu de la terre, le Kronos des Grecs, qu' Anne
est identifiée à la déesse du ciel, Nut, la Rhéa dela mytho-
logie grecque. Naturellement Marie n'est pas différente
d'Isis, Jésus enfin n'est pas autre qu'Osiris; il parait en
effet que dans le dernier état de la légende i1siaque les
rapports entre Isis et Osiris étaient ceux de la mère et
du fils. Notons de plus que tous ces acteurs ne sont autres
que des personnifications de la terre, du ciel, de la lune
et du soleil, et nous aurons quelque idée de l'imbroglio
que devient l'histoire assez simple qu'avait imaginée ^
Pseudo-Jacques. Α lire ces pages, on se demande parfois
avec quelque inquiétude si l'on n'a pas affaire à une mys-
tification.
Quant au but de l'auteur du Protévangile, qui l'eüt —
pensé? c'était de donner au culte d'Isis un regain de^
jeunesse et d'actualité par l'infusion d'idées nouvelles.
Nombreux étaient en Palestine à la fin du 1*T siècle les
lieux du culte consacrés à Isis ou à Sérapis; il faut citer «
en particulier la grotte de Bethléem qui devait être
consacrée aux initiations isiaques. L'auteur du Protévan-«
gile, plus ou moins conscient des progrès du christia-«
nisme à l'époque, plus ou moins de connivence avec
les prétres égyptiens installés à Bethléem ou à Jérusalem,
a cru bien faire en présentant la légende d'Isis sous des
traits reconnaissables pour les chrétiens, en attirant ceux-
ci vers la grotte de Bethléem. Sans aucun doute 1l serait 1
contraire à toute vraisemblance historique de considérer «
cette tentative hardie comme le produit d'un effort
individuel. A la racine de tout cela 1] faut bien ima-
giner un développement religieux qui est resté in-
connu aux écrivains ecclésiastiques. Mais les historiens |
ecclésiatiques n'ont pas connu l'Égypte, et c'est dem
ce côté-là seulement qu'on peut trouver des documents «
sur le mystérieux travail qui a fait passer dans le domaine |

ko
Bin
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 95

de la tradition chrétienne les éléments des cultes my-


thologiques et naturalistes de l'ancienne Égypte. Le
Protévangile est à cet égard un monument unique dans
l'ancienne littérature chrétienne. Résumons la thèse de
Conrady : « Le Protévangile de Jacques est une œuvre
d'une remarquable unité; il a été composé en hébreu
dans les toutes premières années du m siècle, par un
alexandrin dévot à Isis, qui a caché sous les traits
d'une légende chrétienne, l'histoire de la divinité qu'il
servalt. »

On ne s'étonnera pas que cette thése hardie n'ait pas


ralhé les adhésions de la critique. Harnack ! qui ne con-
naissait encore que les premières études de Conrady
rejette d'une manière formelle l'unité du livre. Les traces
d'une compilation sont évidentes pour lui. Le morceau,
xvin-xx, dans lequel Joseph raconte à la première per-
sonne les miracles qui précédent la naissance du Christ,
la rencontre avec la sage-femme et l'arrivée à la grotte,
tranche nettement sur tout le reste. C'est ce morceau
qui renferme le récit de la nativité de Jésus-Christ. Les:
chapitres xxr-xxiv forment une histoire particulière.
Enfin les chapitres 1-xvii présentent un tout complet,
mais là encore i1 y a quelques inconsistances dans la
narration (ex.: au ch. viri, Marie a douze ans; au ch. xir,
elle en a seize). On devrait donc dans le Protévangile ac-
tuel distinguer trois parties :1) 1-xvir, l'histoire de la con-
ception, de la naissance, et de la vie de Marie, jusqu'au
moment oü le récit rejoint les Évangiles canoniques.
2) L'histoire de la naissance de Jésus racontée par
Joseph; on pourrait appeler ce morceau l' Apocryphum
Josephi ?. 3) La légende de Zacharie : Apocryphum Zacha-
1. Die altchristliche Litteratur, Chronologie, t. 1, p. 598-603.
2. Harnack ne donne pas les chapitres qui y correspondraient, on
peut y rapporter les c. xviu-xxi, ce dernier chapitre mentionne en
en effet Joseph dés le début.

Li
96 HISTOIRE DU LIVRE

riæ. — Le plus récent de tous ces morceaux est indubi


tablement le premier. Le second, qui débute par le récit
de la vision de Joseph et qui par le style se distingue du
premier, a été écrit pour affirmer la virginité de Mari
in partu et post partum. Bien que, selon toute vraisem-
blance, il utilise l'Évangile de Jean, il peut étre relative-
ment ancien, et originairement gnostique, quoique €
dernier point ne soit pas démontré. Quant à la troisié-
me partie, encore que l'on puisse retrouver des traces de
la légende de Zacharie assez avant dans le 11° siècle, il est:
impossible de fixer la date, même approximative, de la
rédaction actuellement insérée dans le Protéeangile. — 88
l’on cherche à déterminer la date de la rédaction finale,|
voici d'abord les renseignements que fournit Léa
du livre lui-même: L'auteur utilise non seulement les
Évangiles canoniques de l'enfance qu'il cite parfois tex=«
tuellement, mais encore le IVe Évangile. Salomé en.
effet exige du miracle de l'enfantement virginal une |
preuve tangible, comme Thomas dans l'Évangile de saint
Jean en demande une de la résurrection du Christ 15
la parole adressée par le grand-prétre à Joseph et à Marie«
après l'épreuve des eaux améres rappelle le mot que dit.
Jésus à la femme adultère ?. En dehors des Évangiles
canoniques, Pseudo-Jacques n'a visiblement utilisé au-|
cune autre source, il a de toutes pièces fabriqué un roman.
L'attitude qu'il adopte à l'égard du judaïsme pourrait
faire croire de prime abord que l'on a affaire à un judéo- |
chrétien; mais ce qu'il rapporte des coutumes juives
témoigne, chez l'auteur et chez le publie auquel il.
s'adresse, d'une trop grande ignorance des conditions
réelles de la vie Juive, pour que l'on puisse accepter cette
E WA E fe ΕΝ. E
1. Comparer Joa., xx, 25 : 'E&v μὴ βάλω τὸν δάχτυλόν uou εἰς τὸν τόπον.
HS , \ , ΄ Y ^ , « ΄ FAT
τῶν ἥλων... οὐ μὴ πιστεύσω, et Protév., x1x, 3 : ἐὰν μὴ βάλω τὸν δάχτυλόν μου
χαὶ ἐρευνήσω τὴν φύσιν αὐτῆς, οὐ μὴ πιστεύσω.
MS
2. Comparer Joa., viu 11: Εἰπεν δὲ ὁ ᾿Ιησούς" οὐδὲ ἐγώ σε διαχρίνω;
εἰ Prolév., XVI, 3: οὐδὲ ἐγὼ χρίνω ὑμᾶς.
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 97

| hypothèse. Pourtant cette attitude même à l'égard du


| judaïsme peut nous renseigner sur l’époque dela compo-
|sition ; car on ne voit pas que dans l’antiquité chré-
tienne on en ait pris de semblable avant l’époque de saint
| Irénée. C’est seulement après que les gnostiques hellé-
nisants auront cherché à discréditer la religion de Moïse
let tout l'Ancien Testament, qu'on éprouvera le besoin
de renouer le lien entre l’Église et la Synagogue. Dans ces
conditions, et tout bien considéré, on ne voit pas de raison
pour situer la composition du livre à la fin du n? siècle
et méme il est difficile d'accepter qu'il ait pris naissance
au 111 siècle.
C'est ce que confirme l'étude des témoignages. Si les
auteurs du rv? siècle, en effet, semblent avoir connu le
Protévangile dans son état actuel, le silence d'Eusébe à
son égard ne laisse pas que d’être singulier; on pourrait
en conclure que le livre n'était pas en circulation au dé-
but du 1v? siècle. Cette conclusion devrait être admise
s'il n'y avait la référence que fait Origène, dans le
Commentaire sur saint Matthieu, à certain Livre de Jac-
ques, Qí6Xoc ᾿Ιαχώθου, qui parlait du premier mariage de
| Joseph. Cette mention se trouve dans la première partie
de notre Protévangile, il est donc indubitable qu'Ori-
gène l'a connue ; mais 1] ne connaît certainement pas
la dernière partie, puisqu'il donne de la mort de Za-
charie une version toute différente de celle du Protévan-
gile. En résumé, Origène est le plus ancien témoin pour la
γέννησις Μαρίας qui forme la partie principale de notre
livre. Cette première partie a donc pu paraître quelque
temps auparavant, peut-étre en Égypte. En tout cas,
il n'est pas prudent de s'éloigner beaucoup de l'époque
d'Origéne. La seconde partie du Protéeangile actuel que
lon peut désigner sous le titre d'Apocryphum Joseph
de nativitate Jesu et de virginitate Mariz in partu et post
parium (xvin-xx1) a quelques parallèles dans l'ancienne
littérature chrétienne, dans Clément d'Alexandrie (Stro-
PROTEY, — 7
98 HISTOIRE DU LIVRE

mates, vii, 16), dans l’Ascension d'Isaie et dans Justi


(passages mentionnés plus haut). Mais la question es
de savoir s'il s'agit d'emprunts faits directement au Proté
vangile, ou simplement d'échos d'une tradition légendai
où aurait aussi puisé notre apocryphe. Il n'est done pas
possible d'affirmer que le morceau, xvir1-xx1, existait déji
au cours du ri? siècle. — En résumé donc : 1) La légende de
Zacharie n'existait pas au second siécle dans l'état oü
la donne notre Protévangile. 2) Il n’est pas certain non
plus que la légende de Jésus existât à la méme époques
3) La légende de la nativité de Marie n'est pas de beau-
coup antérieure à Origène. 4) La compilation de ces di-
vers morceaux a dû se faire avant le milieu du 1v? siècles

D'une manière générale les critiques semblent se ranger


à ces opinions, Ehrhard ! accepte dans les grandes lignes!
l'hypothése de Harnack; pour lui, la rédaction définitives
doit se placer avant le milieu du rv? siècle, mais posté:
rieurement au concile de Nicée. On sait, en effet, que les
ouvrages antérieurs à ce concile ont été peu copiés dans;
les siècles suivants, et ce n'est pas le cas du Protévangile.
dont 1l existe un trés grand nombre de manuscrits. — Bar-
denhewer ? admet lui aussi le caractére composite de
l'écrit; le fait pourtant que Justin semble dépendre du
Protévangile, lui ferait placer dans les premières décades
du 118 siècle la rédaction de l'écrit fondamental. L'auteur, |
en toute hypothèse, ne peut être qu'un judéo-chrétien; |
mais son ignorance grossière de la géographie palesti-
nienne exclut l'hypothése qui en ferait un habitant de
la Terre Sainte; ce devait être un Égyptien ou un Asiate.M

1. Die altchristliche Litteratur und ihre Erforschung von 1884-1900,


p. 142-153.
2. Geschichte der altkirchlichen Litteratur, V. 1, p. 403-406. — Neubert, «
Marie dans l' Église anténicéenne, Paris, 1908, p. 160, note, a discuté M
sommairement l'opinion de Harnack, il tendrait à placer beaucoup —
plus haut la composition de l'écrit fondamental. 3
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 99

Les renseignements qu'il fournit sur la vie de la Vierge


| avant l'annonciation sont dépourvus de toute valeur his-
torique; son but évident était la glorification de la mére
| du Sauveur. — Meyer enfin ! considére lui aussi la légende
| de Zacharie comme une addition postérieure; le Proté-
| eangile n'aurait acquis sa forme actuelle qu'au début
du v? siécle. Mais l'écrit fondamental remonte beaucoup
| plus haut; il est l'eeuvre, non pas comme l'ont pensé
quelques-uns, d'un judéo-chrétien, mais d'un chrétien or-
| dinaire. Puisque (Clément) et Origéne sont les premiers
à le citer, cet auteur a vraisemblablement écrit en
| Égypte.

De la revue des opinions à laquelle nous nous sommes


| livrés, plusieurs conclusions semblent se dégager. 1) Il
| est impossible de soutenir l'unité fondamentale du Pro-
téeangile actuel; la légende de Zacharie est certainement
un appendice qui n'a été ajouté à l'ouvrage qu'à une
date assez récente (fin du rv? ou commencement du v*
siècle). Mais d'autre part la distinction que fait Harnack
| entre l'Apocryphum Mariæ et l'Apocryphum Josephi est
| d'un ordre tout à fait différent. Il s'agit moins ici de
deux documents juxtaposés à une date tardive, que de
deux sources utilisées simultanément, par un auteur qui
écrivait vers le milieu ou vers la fin du ri? siècle, et qu'on
peut appeler en toute vérité l'auteur du Protévangile de
Jacques.
:2) Cet auteur n'est pas à rechercher en dehors de la
grande Église. Il faut renoncer à en faire, comme Tis-
chendorf le voulait, un ébionite, füt-ce un ébionite or-
thodoxe. Ce n'est pas davantage un gnostique. Les tra-
ces de docétisme qu'on a voulu relever dans son œuvre
sont insignifiantes;il n'y a pas de vestiges non plus de
spéculations gnostiques. On a voulu en trouver dans le

1. Dans Hennecke, Neutestamentliche Apokryphen, p. 48-52.


100 HISTOIRE DU LIVRE

silence complet de la nature qui précède la naissance


du Sauveur. Mais cet épisode est susceptible d'une e
plication orthodoxe; les autres vestiges signalés ne sont
pas plus certains. L'attitude favorable du Protévangile ἃ
l'égard du judaïsme n'est pas une preuve de l'origine.
juive de l'auteur. Ce n'est pas une preuve non plus de
l'apparition tardive de cet écrit; il n'était pas besoin des-
e
attaques du gnosticisme pour que l'on réfléchit au hen.
qui unissait le Nouveau Testament à l'Ancien; il pouvait.
méme sembler piquant à un auteur chrétien de mettre
les louanges de Marie et la prédiction inconsciente de
sa grandeur future dans la bouche du sacerdoce juif

E
Le fait que l'auteur est un chrétien hellénisant n'empé-
che donc nullement de faire remonter le ProtévangileἃŸ
1
la seconde moitié du n? siècle ou même un peu plus
tót. |
3) Pour ce qui est des témoignages, rien ne prouve que
Justin ait connu le Protévangile. L'allusion à la grotte |
de Bethléem s'explique tout aussi bien parune tradition.
locale, assez différente d'ailleurs de celle qu'a retenue le
Protévangile. Le fait que Justin et le Protévangile fondent.
à peu près de la même manière le texte de saint Luc et.
celui de saint Matthieu, n'implique pas nécessairement"
une dépendance. Cette fusion s’est produite par ailleurs|
et on en trouve la trace dans plusieurs manuscrits.
des Évangiles. Au contraire, la manière dont Clément |
d'Alexandrie parle de la naissance virginale suppose se-.
lon toute vraisemblance qu'il connaissait notre Proté-
vangile. Origene enfin l’a certainement utilisé. Pour toutes |
ces raisons, si l'on n’est pas absolument forcé d'ad mettre
l'existence de cet apocryphe en 150, on ne voit pas non
plus pourquoi on se refuserait à l'accepter quelque trente
ans plus tard, vers l'an 180.

|
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 101

2. Les remaniements latins.

L'étude des remaniements latins a été beaucoup moins


poussée que celle du Protévangile lui-méme. Tischen-
dorf leur avait consacré quelques pages seulement dans
la dissertation que nous avons plusieurs fois citée !. Dans
cet ouvrage, antérieur à son édition des Évangiles apocry-
phes, il croyait encore avec Thilo que le titre de Pseudo-
Matthieu et la correspondance apocryphe de saint Jéró-
me avec les évêques Chromatius et Héliodore se rappor-
taient à la recension la plus brève, celle que nous appe-
lons désormais 1᾿ Éeangile de la Nativité. Il considérait
donc ce remaniement comme le plus ancien des deux. À
son avis, c'était une production catholique de date assez
ancienne, postérieure sans aucun doute à la mort de saint
Jéróme, mais parue cependant assez peu de temps aprés
cet événement. La fin du v? siècle semblait la date la
plus vraisemblable. L'auteur, en effet, s'était proposé
de combattre les manichéens et les montanistes, qui,
sur la foi de livres apocryphes fort en honneur parmi
eux, croyaient à la descendance lévitique de Marie
et rejetaient son origine davidique. D'oü avaient-ils ces
renseignements, c'est ce qu'il est assez difficile de dire.
Les manichéens (et les priscillianistes qui s'y ratta-
chent sur tant de points) ont eu entre les mains une riche
littérature d’apocryphes. ll est vraisemblable qu'il cir-
culait parmi eux quelque remaniement latin du Proté-
vangile de Jacques où l'on faisait de Joachim un prêtre.
L'auteur de la Nativité de Marie voulant conserver les
légendes gracieuses qui avaient cours sur la naissance
de la Vierge, voulant rejeter d'autre part les confusions
entretenues par les hérétiques sur les origines de la mére
du Sauveur, a composé cet opuscule en remaniant
dans un sens orthodoxe les écrits qui circulaient. dans les
1, De evangeliorum apocryphorum origine et usu, p. 43-48,

"XX
402 HISTOIRE DU LIVRE

milieux manichéens. Il a insisté avec force sur l'origin


davidique de Marie, il a même négligé de parler de kk
race de Joseph, afin que l'on vit bien que le Christ, fil:
de David, devait à sa mére seule ce titre glorieux. Ce
ensemble de circonstances indique une époque où les
manichéens pouvaient encore avoir du crédit. Cela con
vient parfaitement à la fin du ve siècle. C'est à la
méme date que nous reportent les préoccupations de r au-
teur touchant le vœu de virginité de Marie, et la vénéra
tion toute particulière à l'endroit de la mère de Dieu don
son livre est le témoin.
I? Évangile de la nativité de Marie et de l'enfance d
Sauveur, c'est-à-dire la recension la plus longue, serai
une compilation postérieure de l'ouvrage précédent e
des autres légendes relatives à l'enfance de Jésus. Quel
ques renseignements sur l'auteur et la date de cette com
pilation peuvent se tirer de l'examen du livre. L'auteur
en effet considère Marie comme le modèle des vertu
monastiques, d'autre part il se montre trés respectueux à
l'endroit du sacerdoce. La dévotion singuliére qu'il mar
que à la sainte Vierge, la manière dont 1l fait d'Abel et
d'Élie les premiers fondateurs de la virginité, tout cela
témoigne que le livre a pris naissance dans quelque mo
nastére, vers l'époque de Charlemagne.
Dans son édition des Évangiles canoniques, Tischen-
dorf a modifié profondément les conclusions précéden-
tes. Non seulement il joint à la plus longue recension la
correspondance hiéronymienne, et attribue au Liber de
ortu beatæ Mariz et Infantia Saleatorisle titre de Pseudo
Matthieu, mais il intervertit complétement les rapports
entre les deux remaniements latins. C'est la recension.
la plus longue qui est aussi la plus ancienne,le Liber de.
nativitate Mariæ n'en est qu'une édition soigneusement
revue et corrigée. Le second auteur,en effet,s'est préoccupé
de retrancher de son théme tout ce qui, sans étre for-
mellement hérétique, froissait à son époque le sentiment:
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 103

des doctes, tel le premier mariage de Joseph,telle l'épreuve


des eaux améres, ou la constatation de la virginité de Marie
aprés l'enfantement du Sauveur.

Il nous semble que l'on peut donner aux idées de Tis-


chendorf une précision plus grande. A défaut de réfé-
rences précises à nos remaniements latins dans la litté-
rature du haut moyen âge, nous pourrons trouver dans
l'histoire générale des doctrines et des idées quelques in-
dications. Les premiéres citations littéraires de nos tex-
tes latins, en effet, remontent juste à la fin du x? siècle.
C'est à cette époque que Hrotswitha, abbesse de Ganders-
heim (née en 932, morte en 1002), met en vers les narra-
tions de Pseudo-Matthieu, et que Fulbert, évêque de
Chartres (né en 952, mort en 1028),cite textuellement
dans un des sermons de la Nativité les premiéres pages
de l’ Éeangile de la Nativité. Mais bien longtemps aupa-
ravant les légendes qui se trouvent rapportées dans
ces ouvrages étaient en circulation dans l'Occident la-
tin. Nous aurons à revenir plus loin sur cette histoire,
qu'il nous suffise ici de marquer les points suivants.
À l'époque de saint Augustin et de saint Jérôme, les
narrations du Protévangile circulaient depuis un certain
temps dans les milieux chrétiens. Considérées d'abord
comme fort innocentes, elles n'avaient attiré l'atten-
tion ni des docteurs, ni de l'autorité ecclésiastique.
Pourtant on commengait à se rendre compte que l'ensem-
ble des légendes apocryphes, aussi bien celles qui avaient
rapport à l'histoire de l'enfance du Sauveur, que celles
relatives aux apótres, avait cours particuliérement chez
les sectes hérétiques, manichéennes ou priscillianistes, On
savait qu'un certain Leucius, personnage de mauvais
renom, avait, pour abriter ses hérésies, composé des
actes apocryphes des apótres, et volontiers l'on mettait
sur le méme pied toute la littérature non canonique si
soûtée des manichéens, C'est ce qui résulte nettement
104 HISTOIRE DU LIVRE

de la lettre du pape Innocent Ier à l’évêque de Toulouse


Exupère en l'an 405. Répondant aux questions que lui
avait posées ce prélat, le pape lui rappelle la liste des
livres canoniques, puis 1] ajoute « Quant aux autres li-
vres qui portent le nom de Matthias ou de Jacques le
Mineur, ou bien le nom de Pierre et de Jean (ceux-ci
ont été écrits par un certain Leucius), le nom d’André.
(ceux-ci proviennent des philosophes Nexocharide et Léo
nidas), le nom de Thomas, et tous autres livres de ce
genre, sache bien qu'il faut non seulement les répudier, -
mais les condamner !. » i
Un siècle après, des livres du même genre sont insérés |
dans le catalogue De libris non recipiendis attribué au
pape Gélase (492-496). Parmi les évangiles considérés.
comme apocryphes sont signalés : « n. ὃ, Evangelia no-
mine Jacobi minoris;n. 14, Liber de infantia Salvatoris;
n. 15, Liber de infantia Salvatoris et de Maria vel obste-«
trice ?.» Il n'est pas téméraire d'identifier les Eeangelia —
nomine Jacobi minoris avec le Protévangile de Jacques,
de voir dans le Liber de infantia Salvatoris quelque chose -

le Liber de infantia Salvatoris et de Maria vel obstetrice un«


texte d’où serait dérivé notre Pseudo-Matthieu actuel. |
Ce livre en tout cas contenait l'épisode des sages-femmes, «
une histoire dela Vierge, des renseignements sur l'en- |
fance du Sauveur, bref, une bonne partie de ce que
nous lisons dans le texte actuel.
Malgré ces condamnations plus ou moins solennelles,

1. Cetera autem quz sub nomine Matthiæ, sive Jacobi Minoris, vel sub
nomine Petri et Joannis, quæ a quodam Leucio scripta sunt (vel sub —
nomine Andrez quz a Nexocharide et Leonida philosophis), vel sub nomine «
Thomæ, et si qua sunt talia, non solum repudianda, verum etiam noveris —
esse damnanda. Texte d’après Zahn, Geschichte des N. T. Kanons, t. τι,
p- 2165. ΟΓ ΡΣ D, 1. xx ΘΟ 901: *
2. Texte dans Preuschen, Analecta, p. 153; pour la distinction des «
diverses parties du Decretum Gelasii, cf. Zahn, loc. cit., p. 259-267.
LE PROBLEME LITTÉRAIRE 105

les livres proscrits continuaient à faire leur chemin, et


finissaient par se répandre de plus en plus dans les mi-
lieux catholiques. On adoptait d'ailleurs à leur endroit
une attitude assez différente. Jadis ils étaient considé-
rés comme des écrits d’origine hérétique, on en arrivait
à les considérer maintenant comme des livres composés
primitivement. par des catholiques, mais falsifiés dans
la suite par les manichéens. C'est ce que montre déjà la
lettre de Turibius, évéque d'Astorga (vers 450), à ses
collégues Idacius et Creponius. Turibius qui rejette en
effet toute cette littérature apocryphe, croit que de
tels livres ont été composés ou falsifiés par les mani-
chéens; sans doute, ce qu'il dit s'applique plus spéciale-
ment aux actes de Jean et d'André, mais les Évangiles
ne sont pas exclus!. Pour Turibius, les récits que donnent
ces apocryphes peuvent être exacts; ce sont leurs doctrines
qui sont dangereuses. Cette opinion, d'abord timidement
énoncée, va prendre consistance; elle doit être deve-
nue courante dès le début du vi? siècle. C'est elle que
reflète le Prologue mis par Pseudo-Méliton au livre rap-
portant la passion de saint Jean l'évangéliste?; elle qui
1. Texte dans C. Schmidt, Die alten Petrusakten, dans Texte und
Untersuchungen, t. xxiv (N. F., t. 1x) fasc. 1, p. 57-58. Quæ heresis
(celle des manichéens) quz eisdem libris utitur et eadem dogmata et his
deteriora, sectatur, ita exsecrabilis universis per omnes terras ad primam
professionis suae confessionem nec discussa damnetur oportet, per cujus
auctores vel per maximum principem Manemac discipulos ejus libros
omnes apocryphos vel compositos, vel injectos esse manifestum est, specta-
liter autem actus illos qui vocantur. Andreæ...et his similia ex quibus
Manichæi et Priscillianisize vel quæcumque illis est secta germana, omnem
heresim suam confirmare nituntur.
2. Dans Fabricius, Codicis apocryphi Novi Testamenti, pars tertia,
2e édition, Hambourg, 1743, p. 604. Mellitus, servus Christi, episcopus
Laudociæ (Laodiceæ) universis episcopis et ecclesiis catholicorum in
Domino salutem. Volo sollicitam esse fraternitatem vestram de Leucio
quodam, qui scripsit Apostolorum Acta Joannis Evangelistæ et Sancti
Andrez, vel Thomæ apostoli. Quædam de virtutibus quidem quæ per eos
Dominus fecit, vera dixit; de doctrina vero multa mentitus est,
106 HISTOIRE DU LIVRE

s'étale dans la correspondance de Jérôme avec Chroma-


tius et Héliodore, mise en tête de Pseudo-Matthieu. Il
était tout naturel, par conséquent, de donner de ces
textes apocryphes exploités par les manichéens des
éditions catholiques, où l'on respecterait les faits
historiques, d’où l’on éliminerait tout ce qui sentait l'hé- |
résie, Notre Pseudo-Matthieu est le fruit d'une sembla-'
ble préoccupation.
L'auteur a vraisemblablement écrit vers le milieu ou
la fin du vi? siècle, Son œuvre ne peut pas être anté-
rieure à 530; l'idée qu'il se fait de Marie dans le temple,“
le règlement de vie qu'il lui trace indiquent que nous -
avons affaire à un moine, qui a transporté dans le tem“
ple de Jérusalem la règle bénédictine, à laquelle il est^
méme fait allusion formellement. Cette règle a été rédi-«
gée aux environs de 529. Or l'institution monastique
s'est répandue trés rapidement dans tout l'Occident, et 5
le vi? siècle peut en être considéré comme l’âge d'or. Il n’est"
donc pas nécessaire de faire descendre notre apocryphe jus=
qu'ausiécle suivant. D'ailleurs la naïveté avec laquelle il 80-
cepte les légendes du premier mariage de Joseph, de
l'épreuve des eaux amères, la simplicité qu'il met à racon- ^
terl'épisode des sages-femmes, le style enfin passablement «
barbare témoignent bien que nous sommes tout à fait au |
début du moyen âge. Notre auteur n'éprouve pas devant
toutes ces traditions légendaires les mêmes scrupules«
qui donneront naissance au Liber de Nativitate Mariæ. «
En définitive, l'état d'esprit est bien celui qu'on peut
imaginer chez un moine des temps mérovingiens. Quel
texte lui a servi de point de départ, c'est ce qu'il est diffi-
cile de dire ὃ L'Évangile de Pseudo-Matthieu témoigne |
d'une trés grande liberté à l'endroit de Pseudo-Jacques. «
Très rares sont les passages où se remarque une dépen- z
dance rigoureuse ! ; il serait vraiment étonnant qu'ils

1. Protev., 111,1, x«i ἀτενίσασα sic τὸν οὐρανὸν εἰδε xaAíav στρουθίων ἐν
LE PROBLÈME LITTÉRAIRE 407

fussent si peu nombreux, si l’auteur du remaniement


avait eu sous les yeux le Protévangile lui-même. Je croirais
volontiers qu'il s'est servi du Liber de infantia Salvatoris
_ et de Maria vel obstetrice, condamné un siècle auparavant
par Gélase, en le débarrassant de ce qui pouvait sentir
l'hérésie.Et l'Évangile de Pseudo-Matthieu, tel que Tis-
chendorf l'a restitué, serait le résultat de la combinaison
de ce premier écrit avec le Liber de infantia Salvatoris et
les Evangelia nomine Thomz quibus Manichæi utuntur
également proscrits par le méme décret. —
Il ne saurait faire de doute que l'Évangile de la nati-
vité de Marie soit postérieur à Pseudo-Matthieu, dont
il dérive. Malgré la liberté dont a usé l'auteur à l'égard
de son thème, la dépendance est évidente 1, Mais à l'épo-
que oü il écrivait, un certain nombre des légendes dont
Pseudo-Matthieu s'était fait l'écho pouvaient sembler

τῇ δαφνηδαία, καὶ ἐποίησε θρῆνον ἐν ἑαυτῇ λέγουσα — Ps.-Matth., 11, 2, in


oratione elevans oculos suos ad dominum vidit nidum passerum in arbore
lauri, et emisit vocem cum gemitu ad dominum dicens. — Prolev., 1v, 3,
καὶ δραμοῦσα ("Avva) ἐκρεμάσθη εἰς τὸν τράχηλον αὐτοῦ λέγουσα ἰδοὺ γὰρ à
χήρα οὐχέτι χήρα, καὶ ἡ ἄτεχνος ἐν γαστρὶ λήψομαι (εἴληφα) — Ps.-Matth.,
111, 5, occurrensque Anna suspendit se in collo ejus... dicens: « Vidua
eram et ecce jam non sum; sterilis eram et ecce jam concept. » — Protev.,
1x, 2, Joseph déclare υἱοὺς ἔχω xai πρεσδύτης εἰμὶ, αὕτη δὲ νεᾶνις — Ps.-
Matth., vix, ^, Senex sum ego et filios habeo, ut quid mihi infantulam
istam traditis. — La ressemblance entre Protev., x1v, 2, et Ps.-Matth., x1,
1, est attribuable à la dépendance commune de Matth., 1, 20, 21; —
PProtev., xv, 4, ἔχλεψας τοὺς γάμους αὐτῆς — Ps.-Matth., xxr, 1, ut quid
[raudatus es nuptias tantæ ac talis virginis. — Protev., xvii, 2 : δύο λαοὺς
βλέπω τοῖς ὀφθαλμοῖς μου, $a χλαίοντα καὶ κοπτόμενον, xai ἕνα χαίροντα χαὶ
ἀγαλλιώμενον — Ps.-Matth., xiii, 1, Duos populos video ante me, unum
flentem et alium gaudentem. — Protév., xx,3, xposévevae τὴν χεῖρά cou có
παιδίῳ — Ps.-Matth., xui, 5, Accede ad infantem et continge de manu tua.
1. Comparer Ps.-Matth., 1, 1, tertiam partem sibi et omnidomui suæ reser-
vgabat— Nat. Mar., τ, 2, tertiam suc familiz usibus et sibi reservabant. —
Ps.-Matth., 1v, 1, post hæc autem expletis mensibus novem peperit Anna
filiam et vocavit nomen ejus Mariam — Nat. Mar., v,2, concepit ergo
Anna et peperit filiam et juxta mandatum angelicum parentes vocabant
nomen ejus Mariam.
108 HISTOIRE DU LIVRE

incompatibles avec une exégèse plus raffinée. En parti--


culier, le premier mariage de Joseph n'était pas accepté
couramment ; l'attitude plus ou moins violente du vieillard
au moment où il découvre la situation de Marie pouvait sem-
bler choquante, l'épreuve des eaux amères imposée aux
deux époux était incompatible avec ce que l'Écriture |
enseignait touchant leur mariage; l'épreuve enfin à la-
quelle Salomé voulait soumettre la Vierge était de nature
à révolter les consciences délicates. On voit trés bien les
raisons pour lesquelles ces divers épisodes ont disparu
du second remaniement latin. On se rend trés bien compte
aussi que, depuis l'époque encore barbare oü Pseudo-
Matthieu rédigeait sa compilation, la dévotion à Marie M
a augmenté, s'est faite plus délicate et plus tendre. Le 1
style enfin est beaucoup plus soigné que celui de Pseudo-
Matthieu, il y a par endroits une recherche véritable
de la latinité et de l'élégance, telles du moins qu'on les
comprenait à l'époque; en particulier la régle du cursus est
habituellement observée. Tout ceci convient au mieux
aux temps de la renaissance carolingienne. L'exégése
de Bède (t 733), d'Alcuin peut-être (735-804),a porté ses
fruits, et l'on ne se tromperait guére en attribuant à un
contemporain de Charlemagne le petit livre, si discret
d'allure et si délicat dans l'expression, quia remplacé la
composition informe de Pseudo-Matthieu.

III. HISTOIRE DU PROTÉVANGILE ET DES REMANIEMENTS

LATINS DANS LA LITTÉRATURE CHRÉTIENNE

S'il est assez difficile de trouver dans l’ancienne litté-


rature chrétienne des références directes au Protévangile,
il est bien certain qu'à partir du concile de Nicée, ce livre
a joui dans tout l'Órient d'une vogue incroyable. Ils sont
innombrables les écrivains ecclésiastiques de langue
grecque, qui ont lu, exposé, commenté cet apocryphe,
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 109

jusqu'au jour où un grand nombre de traits qui lui


avalent été empruntés passérent directement dans les
livres hturgiques. En Occident, il en fut tout différem-
ment; le Protévangile, s’il y a eu cours, a été bientôt dé-
considéré, et les remaniements latins qui lui ont succédé
ont eu beaucoup de mal à se faire admettre des écrivains
ecclésiastiques, bien que de trés bonne heure ils aient
trouvé grand accueil dans le populaire. Nous distingue-
rons donc soigneusement dans cette brève histoire lit-
téraire ce qui concerne le Protévangile d'une part, et
d'autre part ce qui a rapport aux remaniements latins.

1. Le Protévangile chez les écrivains


de langue grecque.

En étudiant la date du Protévangile, nous avons déjà


eu l’occasion d'indiquer les premiers témoignages qui
s’y rapportent. Rappelons seulement que,s'il n'est pas
certain du tout que Jusrin ait connu notre apocryphe,
il est infiniment vraisemblable que CLÉMENT D’ALEXAN-
DRIE lui ἃ emprunté la tradition relative à l’enfante-
ment virginal de Marie. OriGÈNE enfin sait quele Livre
de Jacques, aussi bien que l' Évangile de Pierre, avait sur
les frères de Jésus des opinions particulières et les con-
sidérait comme des fils de Joseph, issus d’un premier
mariage. Origéne n'accepte ni ne rejette cette explica-
tion; il fait simplement remarquer que « ceux qui disent
cela veulent sauvegarder la dignité et la virginité per-
pétuelle de Marie. » C'est une opinion qu'il trouve par-
faitement raisonnable, « car, s’il est juste de dire que
Jésus a offert au Seigneur les prémices de la virginité
masculine, il faut bien reconnaitre que Marie a consacré
ceux de la virginité féminine |. »
On possède sous le nom de GRÉGOIRE LE THAUMA-

1. Origène, Comment. in Matth., x, 17, P. G., t. xr, col. 876-877.


110 HISTOIRE DU LIVRE

TURGE, évêque de Néo-Césarée vers 250, un certain nom-


bre d'homélies relatives à l’annonciation de la sainte
Vierge et à la nativité du Christ. Les trois homélies con-
servées en grec et publiées dans la Patrologie de Migne!
présentent plusieurs allusions qui font songer au Proté-
eangile. Sans parler de la mention de la grotte de la nati-
vité, il est rappelé que les prétres donnérent Marie au
chaste Joseph, ὡς σώφρονι τῷ Ιωσὴφ ἡρμόσαντο τὴν Μαρίαν,
(col. 1173), non point comme une épouse ordinaire, mais
comme un dépôt: μεμνηστευμένην. οὐ συνημμιένην, μεμνηστευ-.
μένην. ἀλλὰ τηρουμιένην. Des réminiscences du même genre -
se retrouvent dans le sermon sur la nativité du Christ.
publié en arménien par Paulin Martin. Mais il est certain.
que les trois homélies grecques ne sont pas authentiques:
elles parlent en effet des deux natures en Jésus-Christ,
d’une manière qui suppose les définitions de Chalcédoine,
Quelques critiques se sont montrés plus favorables à
lauthenticité de la dernière; elle nous semble aussi diffi- /
cile à admettre; le témoignage de Grégoire le Thaumaturge
en faveur du Protévangile reste donc incertain 2.
Avec PIERRE D’ALEXANDRIE (f 311) nous avons enfin
une référence certaine au Protévangile tel qu'il existe
actuellement. Dans le 139 des canons pénitentiels an-«
nexés à son écrit περὶ μετανοίας, le président de l'é- E
cole catéchétique veut montrer, par des exemples tirés de
l'Écriture, que la fuite en temps de persécution n'est pas.

1. P. G., t. x, col. 1146-1176. Paulin Martin en a publié une recension


syriaque et une recension arménienne dans Pitra, Analecta sacra, t. 1v,
ila édité de plus un sermon sur la nativité du Christ en arménien; la
traduction dans ce méme volume, p. 386 sq. 1
2. Harnack, Chronol., t. 11, p. 101, se prononce contre l'authenticité «
de toutes les piéces éditées par Paulin Martin. Loofs, au contraire,
Theologische Litteraturzeitung, 1884, col. 551, avait admis l'authenti-
cité du sermon sur la nativité du Christ.— Neubert, Maríe..., p. 186,
s’est rangé à l'avis de Loofs. La position d'Harnack me semble plus »
fondée. L'allure de cette homélie soi-disant du 111? siécle rappelle tout
à fait celle d'une foule de sermons du v* et du νι siècle.
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 111

nécessairement une faute. Aprés avoir rappelé le mas-


sacre des Innocents à Bethléem et la fuite de la sainte
Famille en Égypte, il ajoute un dernier exemple : « En
méme temps (que les Innocents), Hérode faisait chercher,
pour le tuer, l'enfant né avant Jésus. Ne l'ayant pas trou-
vé, il fit tuer son pére Zacharie entre le sanctuaire et
l'autel, alors que l'enfant fuyait avec sa mére Élisabeth,
de quoi ils ne méritent aucunreproche. Μεθ’ ὧν τὸ πρὸ αὐτοῦ
γεννηθὲν ἕτερον παιδίον ζητήσας ἀ ποχτεῖναι xot μιὴ εὑρὼν, τὸν πα-
τἐρααὐτοῦ Ζαχαρίαν ἐφόνευσε μεταξὺτοῦ ναοῦ xal τοῦ θυσιαστη-
ρίου, ἐκφυγόντος τοῦ παιδὸς μετὰ τῆς μητρὸς ᾿Ελισάῤετ, ἀφ᾽ ὧν
οὐδεμίαν μέμψιν ἔχουσιν!. » C'est l'histoire rapportée par le
Protévangile aux ch. xxi-xxin.. La manière dont Pierre
d'Alexandrie la met en relation avec le massacre des Inno-
cents et la fuite en Égypte, fait songer tout naturelle-
ment à la narration de notre apocryphe. Sans doute,
Pierre ne mentionne pas ses sources, mais il me semble
impossible que la liaison entre l’histoire de Jésus et celle
de Jean-Baptiste soit due simplement au hasard ?,
Parmi les sermons attribués à GnÉcoiRE DE Nysse, se
trouve un discours sur la nativité du Christ et le mas-
sacre des Innocents 3, Tillemont * a noté que cette « orai-
son a beaucoup de choses prises à la grande Catéchése. »
Toutefois l'incontestable parenté entre ce discours et la
compilation attribuée à saint Cyrille et qui porte le titre
Adversus Anthropomorphitas 9, peut faire douter de l'au-
thenticité ; d'autant « qu'il y a quelques histoires qui
tout au moins sont fort incertaines, tant sur la mort

1. P. G., t. xvii, col. 504.


2. Berendts, Studien über Zacharias Apokryphen, p. 39, ne veut pas
affirmer formellement cette dépendance.
3. P. G., t. xrvi, col. 1127-1150.
h. Mémoires, X. 1x, p. 612.
9. P. G., t. zxxvi, col. 1124 sq., — il y a identité d'expression
entre les développements de la premiere partie de Grégoire et les c. xxiv
et xxv de Cyrille.
112 HISTOIRE DU LIVRE

de Zacharie pére de Jean-Baptiste, que sur la naissance


et le mariage de la Vierge. » En effet, aprés avoir en un
exorde solennel exalté la grandeur de ce jour et célébré
la virginité de Marie dans son enfantement, l'auteur
s'avise d'appeler comme témoin de ce miracle le grand
prêtre Zacharie : « Guidé par l'Esprit prophétique vers
la connaissance des choses cachées, il connut le mystère
de la virginité de Marie demeurée intacte dans son en-
fantement. Π ne refusa donc pas d'admettre dans le -
iuge à la place réservée par la loi aux vierges, la mère” H
qui n'avait pas connu d'époux... Ainsi il ne l'écarte point
de la place réservée aux vierges, et c'était l'espace com- -
pris entre le sanctuaire et l'autel. Or quand les Juifs en-x
tendirent parler du roi de la création entré de cette ma-«
nière dans la vie humaine, ils craignirent d’être soumis |
à ce roi, et ils tuèrent prés de l'autel même, alors qu'il
sacrifiait, le prêtre qui avait rendu ce témoignage sur
l'enfantement. » On le voit, l'auteur du Sermon connait, «
sur la mort de Zacharie pére du Baptiste, une version toute
différente de celle que donne le Protévangile; la- méme
qu'Origéne rapporte /n Matth, num. xxv et xxvi.
Toutefois Grégoire connaissait notre apocryphe. Aprés
la digression dont nous venons de parler, il prétend ra-
mener ses auditeurs à Bethléem, « pour y contempler
ce spectacle nouveau, la Vierge qui exulte dans son en-
fantement, la femme qui n'a point connu le mariage et
qui pourtant allaite un nouveau-né. Mais d'abord écou-
tons son histoire, qui elle est, d’où elle vient, d’après ceux
qui ont raconté sa vie. Or j'ai lu certaine histoire apo-
cryphe qui sur elle faisait le récit qui va suivre (ἤχουσα
τοίνυν ἀποχρύφου τινὸς ἱστορίας, τοιαῦτα παρατιθεμένης τὰ
περὶ αὐτῆς διηγήματα), » col. 1137. Ici commence un ré-
sumé assez exact du Protévangile, entrecoupé çà et là
de gloses, d'explications, de développements oratoires
qui respectent assez bien le sens général du texte. Plu-
sieurs épisodes sont néanmoins passés sous silence :
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 113

l'épreuve des eaux amères et l’histoire de Salomé. La


grotte de Bethléem qui est mentionnée se trouve néan-
moins être une étable; c’est-à-dire que l’orateur accom-
plit déjà la fusion entre les données du Protévangile et
celles de saint Luc. Le fait d’ailleurs que le Sauveur
naît entre deux animaux, prête à des développements
oratoires, qui se retrouveront dans toute la littérature
postérieure. C’est alors, en effet, « que le bœuf reconnaît
son maître et l’âne la crèche de son Seigneur » (Isaïe,
1, 3). Le sermon se termine par des considérations sur
l'arrivée des mages, leurs présents, enfin par des apos-
trophes fort oratoires et quelque peu ampoulées sur le
massacre des Innocents. C'est tout le sujet de notre Pro-
tévangile jusqu'à la légende de Zacharie.
ÉPrPnANE est bien renseigné sur le compte de notre apo-
cryphe, et le considère comme un récit digne de con-
fiance. Il ne le confond pas en effet avec cette γέννα Μαρίας
dont se servent les gnostiques qu'il a connus en Égypte
(Hares., xxvi, 12), et qui racontait d'une manière si
étrange la mort de Zacharie; ni avec les livres mis par
les ébionites sous le nom de Jacques frére du Seigneur !,
Ce n'est point à des livres composés ou utilisés par des
hérétiques que l'auteur du Panarion accorderait sa con-
fiance, et sa confiance dans le Protévangile est fort grande,
puisqu'il lui emprunte des arguments pour réfuter les
hérétiques qu'il appelle antidicomarianites 2 Comme
leur nom l'indique, ces derniers en voulaient à l'honneur
1. Hzres., xxx, 23, P. G., t. x11, col. 444. Il n'est pas vraisemblable
qu'ils'agisse ici du Protévangile de Jacques. Dans la méme hérésie,
(col. 432), il est question d'Actes apocryphes des apôtres possédés
parles Ebionites : πράξεις δὲ ἄλλας χαλοῦσιν ἀποστόλων εἶναι, ἐν αἷς πολλὰ
τῆς ἀσεδείας αὐτῶν ἔμπλεα ἔνθεν οὐ παρέργως χατὰ τῆς ἀληθείας ἑαυτοὺς ὧπ-
λισαν. ᾿Αναδαθμοὺς γάρ τινας xal ὑφηγήσεις δῆθεν ἐν τοῖς ἀναδαθμοῖς ᾿Ιαχώ-
θου ὑποτίθενται, ὡς ἐξηγουμένου κατά τε τοῦ ναοῦ xai τῶν θυσιῶν, χατά τε τοῦ
πυρὸς τοῦ ἐν τῷ θυσιαστηρίῳ. Y aurait-il identité entre ces écrits et ceux
qui sont mentionnés au c. XXIII ?
2. Hzres., xxxvii, P. G., t. xvni, col. 700 sq.
EROTÉV. — 8
114 HISTOIRE DU LIVRE

de Marie, et niaient sa virginité perpétuelle. À en croire


ces gens «qui ignorent | Éeriture aussi bien que l'his
toire!, » Marie, après avoir mis au monde le Sauveur
aurait eu avec Joseph des relations conjugales. C'est s
méprendre grossièrement sur la nature de l'union qu
existe entre Joseph et la Vierge. Quand elle fut confié
à Joseph, parce que le sort l'ordonnait (χλήρων ek
τοῦτο ἀνα χασάντων, col. 708, cf. Protev., 1x), elle ne lui fut
pas donnée pour l'union charnelle, s'il faut dire la véri-
té. Joseph était veuf en effet. Sans doute, légalement
il s'appelle l'époux de Marie ; mais en fait la tradition
juive montre (ix τῆς τῶν ᾿Ιουδαίων παραδόσεως δείχνυται),
que ce n'était pas du tout pour lui être unie que la
Vierge lui fut donnée, mais bien pour étre gardée par
lui... Comment en effet un vieillard si àgé aurait-il p
avoir la Vierge pour femme, lui veuf depuis tant d'an-
nées ? Suit l'énumération des enfants que Joseph avait eus
deson premier mariage, quatre garcons, ceux qui son à
mentionnés parsaint Matthieu comme les fréres de Jésus;
deux filles dont Épiphane n'ignore pas les noms : Salomé
et Marie. Tous ces renseignements à l'exception du der
nier sont tirés du Protévangile.
S'il convient done de rendre à Marie les hommages
qui sont dus à sa virginité perpétuelle, il faudrait se gar--
der toutefois d'avoir sur son compte les opinions que»
professent les collyridiens ?. Épiphane désigne sous ce nom |
bizarre des sectaires qui prétendaient rendreà la Vierge.
un culte superstitieux. C’étaient des femmes surtout qui.
propageaient ces pratiques, restes évidents des religions"
naturalistes. Ce culte excessif rendu à Marie, dit Épi-
phane, n'a point de base dans l'Écriture, car Mari

1. Col. 705, à ἀγνοία τῶν μὴ τὰ ἀχριδὴ ἐγνωχότων τῶν θείων γραφῶν,


μηδὲ ἱστορίαις προσξγγισάντων. Par ces histoires Épiphane entend, selon
toute vraisemblance, les traditions dont il va parler plus loin et qui
ne sont autres que les récits du Protévangile.
2. Hzres., Cxxix, PNG, 6, ὁδὶ. 140 51:
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 115

est, sans doute, fort élevée en grâce, mais elle reste fem-
me. — Nous avons expliqué plus haut !le passage cu-
rieux où Épiphane discute le texte du Protéeangile que
plusieurs voulaient alléguer en faveur de la conception
|virginale de Marie. L'attitude d'Épiphane à l'égard de
ce texte est assez remarquable. Il lui eût été facile de
rejeter cette autorité, en montrant qu'elle était sans
valeur. Ainsi agit saint Augustin quand 1] discute con-
tre Fauste le manichéen. Épiphane garde à l'endroit du
Protévangile une réserve plus grande ; sans doute, il ne
|le met pas sur le méme pied que les Écritures canoni-
ques, mais il faut bien qu'il reconnaisse à ces tradi-
|tions une certaine valeur, pour qu'il consente ainsi à
en discuter la signification précise. Le passage que nous
avons signalé plus haut n'est pas le seul d'ailleurs oü
| Pévéque de Salamine fasse observer que la naissance de
Marie n'a pas eu lieu en. dehors des régles naturelles. Il
y insiste à plusieurs reprises?, preuve évidente que l'idée
| de la conception virginale de sainte Anne commencait
| dès lors à se répandre en divers points de l'Orient.
Petau a inséré à la fin des œuvres d' Épiphane un éloge
de la sainte Mère de Dieu (ἐγχώμιον ε '& τὴν ἁγίαν τὴν 0so-
,
!

τόχον)ὴ, qu'il est impossible, au dire même du premier


| éditeur, de rapporter à l’évêque de Salamine. Il y a eu
d'autres Épiphane évêques de Chypre. Ce nom se retrouve
dans les souscriptions du VI? concile œcuménique (680)
et dans les fastes du VIIIe. Est-ce à l’un ou à l’autre de
ces deux évêques qu'il faut rapporter la pièce éditée par
Petau ? La chose est incertaine. $1 nous en parlons, c’est
peur montrer la distance entre les conceptions de l'au-
teur du Panarion et celles qui furent courantes plusieurs
siécles aprés lui. Ce sermon, qui semble se rapporter à la

ΠΡ: 18.
ECOL Heres, zxxvinr, 23, P. G., t. xr, col. 737. Οὔτε". γὰρ. θεὸς ἡ
Mapía, οὔτε ἀπ᾽ οὐρανοῦ ἔχουσα τὸ σῶμα, ἀλλ᾽ ix συλλήψεως ἀνδρὸς χαὶ
υγαιχὸς, κατ᾽ ἐπαγγελίαν δὲ, wonep ὁ Ισαὰκ οἰχονομιηθεῖσα.
116 HISTOIRE DU LIVRE

les louanges de la Théotokos. Saint Épiphane mettait la


Vierge au-dessous des anges, notre auteur
n'hésite pas à
dire qu'aprés Dieu elle est la plus élevée (χωρὶς θεοῦ μόνοι
πάντων ἀνωτέρα ὑπάρχει); elle est plus belle que les chéru$
bins, que les séraphins, que toute l'armée angélique ;
pour la louer la langue méme des anges ne suflirait pas
(P. G., t. xvm, col. 492). Bref, c'est l'expression la plus?

Il existe sous le nom d’Eusrarue, archevêque d'An- |


tioche et martyr (t 260), un commentaire sur l’œuvre de
six jours, publié pour la première fois par Allatius en 16291
C'est un livre des plus étranges. Il s'annonce comme
une explication de l' Hezameron, tourne ensuite à un
histoire générale du monde, s'attarde sur la vie de
Moise, reprend les généalogies des patriarches, y rattach I
finalement les ancêtres de Joseph selon saint Matthieu, 1,
2 sq. C’est une compilation où lon trouve de tout
de l'exégése biblique, de l’histoire naturelle plus ou.
moins fantaisiste, des légendes relatives à l’ethnogra
phie ; la description de l’œuvre des six jours est em”
pruntée à saint Basile; les descriptions d'animaux qui.
tiennent une grande place dans l’œuvre des 59 et 69.
jours, sont prises d'Aristote ; il se trouve de nombreux.
parallèles avec le Physiologus d'Épiphane. Il est bien.
difficile de fixer une date précise à cette compilation in--
forme; l'attribution à Eustathe d'Antioche est inadmis--
sible. C’est au milieu de ce fouillis que se trouve, ratta-.
chée par un lien très lâche à la généalogie de Joseph, la |
narration du Protévangile. Aprés avoir expliqué l'accord.
entre les deux généalogies de saint Matthieu et de saint.
Luc, l’auteur poursuit en ces termes : « Or 1] vaut la.

1. P. G., t. xvii, eol. 707-794.


ν

DANS L'ÉGLISE GRECQUE 117

peine de rapporter l’histoire que raconte sur Marie un


|eertain Jacques. Il dit, en effet, que dans les tribus
d'Israel 11 existait un homme riche appelé Joachim. »
| Suit le récit qui se retrouve dans le Protévangile. Seule-
ment tout ce qui faisait le pittoresque de la légende pri-
mitive a disparu, en particulier les dialogues, les parties
vivantes et anciennes ; l'ensemble dela narration est uni-
formisé en un style facile et plat. L'économie générale
est sensiblement la méme que celle du Protévangile, puis-
qu'on y retrouve le massacre des Innocents, la fuite
d'Élisabeth dans la montagne, le meurtre de Zacharie
et l'élection de Siméon. L'auteur connait de plus une au-
tre version sur la mort de Zacharie; 1] l'ajoute à la suite
de la légende du Protévangile. Bien que Pseudo-Eustathe
ne suive pas de très prés le texte de notre apocryphe, on
peut en tirer cependant quelques lecons intéressantes;
aussi Tischendorf l’a-t-1l publié dans les notes de son
édition critique.
Le sermon attribué à MÉrnopios p'Orvwrzr (f 311 ?)
sur Siméon, Anne et la sainte mère de Dieu (P. G.,
t. xvni, col. 347 sq.), utilise quelques données du Pro-
tévangile. Mais on ne saurait le considérer comme
authentique. En dehors done du témoignage d'Épiphane
il ne reste pas de références certaines au Protévangile
dans la littérature du 1v? siècle. Les écrits qui le citent
d'une manière plus ou moins copieuses sont des compi-
lations assez tardives. Du moins, l'autorité de l'évé-
que de Salamine nous garantit qu'à la fin du rv? siècle
on n'hésitait pas dans certains milieux à voir dans
notre apocryphe une relation véridique de la nativité
de Marie.
A partir du v? siècle au contraire, les témoignages au-
thentiques vont se multiplier, qui montrent la diffusion
1. "A£tov δὲ xal τὴν ἱστορίαν, ἣν διέξεισι περὶ τῆς ἁγίας Μαρίας ᾿Ιάχωδός cic
ἐπελθεῖν. Φάσχει γὰρ εν ἐν ταῖς φυλαῖς τοῦ ᾿Ισραὴλ ἄνδρα πλούσιον γεγενῆσθαι, x.
Π loccit., col. 772.
118 HISTOIRE DU LIVRE

de plus en plus grande des légendes du Protévangile,e


l'autorité qu'on attribue à ce livre. Il serait fastidieu:
de les énumérer tous. On se contentera donc désormais
de classer les références et de donner un exemple des
témoignages les plus remarquables. |
Ce sont les orateurs qui, les premiers, ont exploité avec
complaisance les relations légendaires de Pseudo-Jacques
Certaines fétes du Seigneur (la Nativité d'abord,la Pré-
sentation au temple, finalement au vi? siècle la fête de
l’Incarnation), puis lés fêtes spécialement réservées à
Marie (Nativité, Assomption, postérieurement la Pré
sentation) leur donnent l'occasion de célébrer Marie. Et.
comme les Évangiles sont muets sur nombre de circons-
tances de sa vie, les orateurs byzantins n’hésiteront pas
à demander les renseignements dont ils ornent leurs pané
gyriques à la littérature apocryphe. Au début, les allu
sions sont asssez fugitives, mais bientôt on s’enhardiræ
jusqu'à expliquer et commenter en chaire le texte du Pro--
tévangile, comme on pouvait le faire pour les récits cano-
niques. Dans les sermons de Pnocrvs, patriache de Cons
tantinople entre 434 et 447 (P. G., t. .xv), nombre de
morceaux sont consacrés aux louanges de la Vierge. Le
sixième discours, ἐγχώμιον εἰς: τὴν θεοτόχον Μαριάμ, veus
défendre la virginité perpétuelle de Marie. Il s'y inter”
cale un dialogue en prose rimée entre Joseph et Marie
qui rappelle par plusieurs traits les paroles échangées
entre les deux époux. Prot., xi11 1. — AwpRÉ DE CRÈTE, né |
1. Voici le début, qui donnera quelque idée de cette prose rimée: -
ὠγχώθη τῆς Παρθένου ἡ κοιλία, xai ἐτρώθη τοῦ ᾿Ιωσὴφ f, καρδία" εἶδε τὴν Étapes
σιν τῆς γαστρὸς, Lai ἀπέγνω τῆς ἁγνείας τὸ μυστήριον παντελῶς" ἐθεώρησεν ἐγ
i L

χύμονα, χαὶ εἰς μέγιστον χατέπεσε χλύδωνα᾽ προσέσχε πεφορτωμένην xal ÜTEVOEN
σε πεφθαρμένην (col. 735). Aprés quoi l'auteur remonte à la scène de
l'Annonciation et avec les mêmes procédés de style raconte le dialow
gue entre l'ange et Marie. — On retrouverait le même genre de style
dans une homélie faussement attribuée à saint Jean Chrysostome ^
εἰς τὸν εὐαγγελισμόν, P. G., t. Lx, col. 757 sq., et dans Germain de Cons à
tantinople, voir plus loin. -
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 119

à Damas dans la seconde moitié du vr® siècle, évêque


de Crète en 711, mort vers 720, est célèbre par les nom-
breux sermons qu’il a consacrés à la très sainte Théoto-
kos (P. G., t. xcvir, col. 809 sq.). Quatre d’entre eux
sont relatifs à la Nativité de la Vierge 1, qui depuis un siè-
cle au moins se célébrait en Orient. Les allüsions au Pro-
tévangile de Jacques y sont nombreuses, quoique discrétes,
et le texte n'est pas encore cité d'une maniére précise.
L'orateur est plus préoccupé des considérations dogma-
tiques et recherche dans l'Ancien Testament les figures
prophétiques de Marie. L'homélie sur la féte de l'Annon-
p1iablon : εἰςE τὸν εὐαγγελισμὸν τῆς ὑπεραγίας.
y: δεσποίνης ἡμῶν
θεοτόχου s'inspire également du Protévangile. Les ré-
flexions que se fait Marie en entendant les paroles de
lange sont un commentaire intéressant de Protes., xi, 2.
Germain IT, patriarche de Constantinople en 715, a
laissé plusieurs sermons relatifs aux fétes de la Vierge.
C'est chez lui qu'on voit apparaitre pour la première
fois la fête de la Présentation de Marie au temple (εἰς
πὴν εἴσοδον τῆς ὑπεραγίας θεοτόχου, D. G., t. xcvi, col.
292 sq., 309), qui est dés lors une des principales
solennités consacrées à la Vierge par la piété byzan-
tine. Germain la célébrée dans deux homélies qui
proposent un gracieux commentaire du Protévangile.
Aprés avoir montré le cortége qui, tout resplendissant
de lumière, accompagne Marie au temple, l'orateur décrit
l'entrée de Marie dans le sanctuaire. Elle s'approche des
cornes de l'autel, pendant que ses parents prient, et que
le prétre la bénit. Et voici que s'adressant au prétre les

1. "Eyxogtov εἰς τὸ γενέθλιον τῆς ὑπεραγίας θεοτόχου (col. 809) . εἰς τὸ


ets

yevéatov τῆς ὑπεραγίας δεσποίνης ἡμῶν θεοτόχου,μετὰ ἀποδείξεως ὅτι ἐχ σπέρματος


χατάγεται τοῦ Δαυίδ (col. 821). --- εἰς τὴν γενέθλιον ἡμέραν τῆς παναμώμου
δεσποίνης ἡμῶν θεοτόχου xal ἀειπαρθένου Μαρίας, καὶ ἀπόδειξις £x παλαιᾶς loco-
ρίας καὶ διαφόρων μαρτυριῶν ὅτι ἐκ σπέρματος χατάγεται τοῦ Δαυίδ (col.
844). — εἰς nv ἁγίαν γέννησιν τῆς ὑπεραγίας δεσποίνης fuv θεοτόχου xal ἄει-
παρθένον Μαρίας (coi. 861).
120 HISTOIRE DU LIVRE 1

parents lui disent : « Recois celle qui à son tour recevre


(concevra) le feu immatériel et incompréhensible, recoi
celle qui donnera l'hospitalité à celui qui est le Fils et 1
Verbe du Père, du Dieu unique, prends celle qui nous 8
lavés du reproche de stérilité, introduis auprès de l'aute
celle qui nous introduira un jour dans la demeure du pa
radis, garde bien celle qui par son enfantement dé
chirera la sentence de mort portée contre nous, et com-
battra la tyrannie de l'enfer » (col. 300). Et le grand-
prêtre Zacharie répond en faisant l’éloge des parents de la
Vierge : « Auteurs de notre salut (ὦ τῆς ἡμετέρας σωτηρίας
αἴτιοι), de quels noms vous appellerai-je ἢ Je suis stu-
péfait en voyant la grandeur du don que vous nous faites...
Heureuses les entrailles qui l'ont portée (Marie), heureu-.
ses les mamelles qui l’ont allaitée » (col. 301). On voit
comment la gloire de Marie commencait dés lors à re-
jailhr sur ses parents,et comment l'on ne craint point
d'adresser à ceux-ci la louange, qui dans l'Évangile avait
été faite à la mère du Sauveur.
Le discours de Germain surl'Annonciation de la Vierge
est fort différent des deux sermons qui précédent,
mais plus curieux encore. Aprés l'exorde pompeux, obli- |
gatoire pour les fétes solennelles, l'orateur imagine le
dialogue entre Marie et l'ange. Toute troublée, la Vierge
voudrait écarter le mystérieux visiteur: « Je crains et
je tremble, dit-elle, devant de tels discours, et Je pense
que tu viens me tenter comme une seconde Éve. » Et
l'ange lui répond : « Je t'annonce une grande joie, je t'an-
nonce un enfantement incompréhensible, je t'annonce
l'ineffable venue du roi Trés-Haut. Et sans doute la pour-
pre que tu tiens signifie la dignité royale... car tu es reine
et souveraine et tu es-la fille d'un roi terrestre et tu as
le caractère royal » (cf. Protee., 11, 2). Et pourtant Marie
n'a point confiance encore aux paroles de l'ange, il faut
que celui-ci lui rappelle ses visites passées : « Ne m'as-
tu pas vu, Ô bénie, quand tu étais dans le Saint des
DANS
A L
UEMEGLISENES
GRECQUE
421
A

Saints ? Oui, tu m'as vu, et c'est de ma main de feu que


tu recevais la nourriture. Car Je suis Gabriel, c'est moi
qui me tiens constamment en présence de la gloire de
Dieu. » Marie cependant ne veut pas le reconnaitre « J'ai
un fiancé, dit-elle, sage, juste et saint;il est exercé dans
le métier de charpentier, et je crains fort qu'il ne me
trouve conversant avec toi qui es un étranger, et surtout
sans témoins. » La Vierge finit toutefois par se rendre
aux paroles de l'ange. Elle craint encore cependant. Jo-
seph ne la livrera-t-il pas aux mains des juges ? L'ange
ne répond pas à la question, 1l semble méme s'impatienter
des retards de Marie : « Voici, dit-il, qu'au moment où
je te parle,le roi de gloire vient d'habiter en toi » (col,
324-328). Mais Joseph est maintenant de retour, il cons-
tate l'état de Marie; l'orateur développe, en un trés long
dialogue, l'échange de paroles qu'avait. sobrement noté
le Protévangile. Ce dialogue a bien des longueurs, et ré-
pugnerait sans doute à notre goüt actuel, on trouverait
aujourd'hui dans l'attitude de Joseph, dans ses propos,
beaucoup de banalité et d'indélicatesse. Tel qu'il est, il
est caractéristique de l'époque; on croirait entendre les
répliques de quelque mystère du moyen âge latin (cf.
col. 332-336).
Saint JEAN DawascENE est presque le contemporain
de Germain de Constantinople. Ses deux homélies sur la
nativité de la Vierge (P. G., t. xcvi, col. 661, 680)
fournissent le type de tous les discours postérieurs qui
nous ont été conservés. L'orateur débute en général par un
exorde fort solennel, où il exalte par-dessus toutes les
autres la fête où 1] prend la parole. Suit un hymne de
louange en l'honneur de Marie, car la naissance de la
bienheureuse Vierge est le prélude du salut; aprés quoi
une transition, qui va devenir tout à fait classique,
amène la narration du Protévangile. « Mais 1] convient,
dit l'orateur, de rappeler de qui elle était fille, de faire
mention de la souche qui a donné ce rejeton toujours ver-
122 HISTOIRE DU LIVRE Dp

doyant de la virginité. » Les textes de notre apocryphe étant


ainsi rejoints, on en commence l'explication, que l'on ar-
réte, en général, au chapitre relatif à laprésentation. Puis.
vient inévitablement la longue suite des salutations
adressées par l'orateur à la sainte Théotokos, où s'accu-
mulent à plaisir toutes les métaphores seripturaires qui
peuvent se tourner à la gloire de Marie!. —C'est le plan
que l’on retrouvera avec plus ou moins de modifica-
tions dans le sermon de JrAw Dp’Eusée (vers 750) sur
la conception de la sainte Théotokos ?, féte qui, d'aprés
l'orateur, devrait être la première des solennités maria- |
les, bien qu'elle ne soit pas célébrée par tous. « C'est celle
en effet où les bienheureux parents, Joachim et Anne
recurent l'annonce de la naissance de Marie, la mére de
Dieu, toujours vierge ?. » De méme dans le sermon de
Paorius (f à la fin du rx? siècle) sur la nativité de la
très sainte Théotokos (P.G., t. cri, col. 548 sq.); dans celui
de Nicéras Davip,évéque de Dadybia en Paphlagonie -
(f 890), sur, le méme sujet (P. G., t. cv, col. 16 sq
dans les nombreux discours de GEORGES DE NICOMÉDIE 4
ami de Photius (+ fin du ix? siècle) (P, Gg eco
1336 sq.). Dans la seconde moitié du x* siècle, le sermon
1. Saint Jean Damascéne mentionne également les légendes du
Protévangile dans le De fide orthodoxa, 1. IV, c. xiv: De genere Domini, M
deque sancta Dei Genitrice, P. G., t. xciv, col. 1156-1157.
2. Εἰς τὴν σύλληψιν τῆς ἁγίας θεοτόκου. P. G., t. xcvr, col. 1460 sq.
3. Ibid., col. 1500. C’est la première référence que j'aie trouvée, dans «
les orateurs grecs, à la fête de la conception de Marie.
4. Les premiers sermons sont relatifs à la fête de la Conception :
εἰς τὸν χρηματισμὸν τῆς συλλήψεως τῆς ἁγίας θεοτόχου (col. 1336)*— ἐγκώμιον
εἰς τὴν σύλληψιν τῆς ἁγίας Ἄννης τῆς μητρὸς τῆς ὑπεραγίας Beorézov(col.1353). ν᾽
— λόγος εἰς τὴν σύλληψιν xai ἀπότεξιν τῆς ὑπεραγίας δεσποίνης ἡμῶν x- τ.
(col. 1376). Il y en a d’autres qui se rapportent à la fête de la Présen-
tation de la Vierge : Γεωργίου μονάχου xxi χαρτοφύλαχος τῆς μεγάλης 1
ἐχχλησίας, ἐγχώμιον εἰς τὴν ἀπόδοσιν τῆς ὑπεραγίας θεοτόχου ἐν τῷ ναῷ χαὶ
ἀφιέρωσιν τῷ θεῷ χατὰ τὴν ἱστορίαν (col. 1401). On remarquera les deux
derniers mots qui visent le Protévangile. — Γεωργίου μητροπολίτου
Νιχομηδίας λόγος εἰς τὰ εἰσόδια τῆς ὑπεραγίας θεοτόχου (col. 1420).
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 123

de JEAN LE GÉOMÈTRE sur l'annonciation (P. G., t. cvi,


col. 821) s'inspire également des données du Protévan-
gile, comme aussi les discours de l'empereur LÉON LE
PaizosoPpne (886-911) (P. G., t. cvu) !.
Il reste sous le nom de Jacques LE Moine (P. G.,
t. cxxvir), qui vivait au x1? siècle, un bon nombre de dis-
cours sur les fétes de la Vierge apparentés de trés prés
à ceux de Jean de Nicomédie et de Nicétas le Rhéteur.
A les lire, on s'explique comment les légendes du Proté-
eangile ont eu un pareil développement. Les orateurs
du xi? siècle et des époques suivantes, en effet, ne se font
point scrupule de piller leurs devanciers et répètent sans
hésitation ce qu'ils trouvent chez ceux-ci. Toutefois les
titres que portent dans les manuscrits les sermons de
Jaeques le Moine présentent une particularité qu'il con-
vient de signaler. Les trois premiers qui se rapportent
à la Conception, à la Présentation et à l'Annonciation
de la Vierge semblent mettre sur le méme pied l'histoire
de Pseudo-Jacques et les Écritures divines ?. Il y a méme
dans le sermon sur l'annonciation une remarque fort cu-
rieuse: « Considérez, dit l’auteur, comme la narration
évangélique concorde bien avec l’histoire (c'est-à-dire
avec le Protévangile). Cela montre bien que celle-ci pro-
vient elle aussi du même esprit. L’histoire, en effet, fait
mention d’abord de la mutité de Zacharie, puis raconte

1. Sermons sur la nativité de la Vierge; — Sur l’annonciation; —


Sur la nativité du Christ (n. 28, allusion à la lumière qui éclaire la
grotte de Bethléem au moment de la nativité de Jésus). Cf. dans l'ho-
mélie v1?, col. 49.
2. Εἰς τὴν σύλληψιν τῆς ὑπεραγίας θεοτόχου &xXevelc ἀπὸ τῶν θείων γραφῶν xa
περὶ ro’ ἐν ἱστορίαις τῶν ιβ᾽ φυλῶν τοῦ ᾿Ισραήλ (col. 544).— 2. εἰς τὴν γέννησιν
τῆς ὑπεραγίας δεσποίνης ἡμῶν θεοτόκου (col. 568) — 3. ἐχλεγεὶς ἀπὸ τῶν
θείων γραφῶν εἰς τό" ἐγένετο τριέτης ἡ παὶς, καὶ εἰς τὴν ἀπόδοσιν τοῦ ναοῦ εἰς τὰ
ἅγια τῶν ἁγίων τῆς ὑπ. θεοτόχου, χαὶ εἰς có' ἐδέξατο αὐτὴν ὁ ἱερεὺς xai ἐφίλησεν
αὐτὴν, καὶ εἰς τὸ ἑξῆς (col. 600).— 4. εἰς τὸν -εὐαγγελισμὸν τῆς ὑπ. θεοτόχου
ἀπὸ τῶν θείων γραφῶν (col. 632). —5. Λόγος εἰς τό᾽ ἀναστᾶσα δὲ Μαριὰμ, ἐν
ταῖς ἡμέραις ἐκείναις ἐπορεύθη εἰς τὴν ὀρεινήν, x. τ. À.
124 HISTOIRE DU LIVRE ME

ensuite les merveilles de la grâce (c'est-à-dire l'incarna-


tion). Et l'Évangile d'autre part, aprésavoir longuement.
parlé de l'accident de Zacharie, met aussitôt après le ré--
cit de l'annonciation » (col. 633). Et plus loin faisant
remarquer l'existence dans le Protéeangile d'une double
salutation de l'ange, l'orateur continue :« C'est l’histoire.
qui semble avoir raison, en placant prés de la fontaine
la première salutation de l'ange à Marie. Si l'évangé-
liste a passé cette scéne sous silence, c'est pour abréger,
comme il a accoutumé. Le récit de l'histoire au contraire 1 |
est beaucoup plus naturel » (col. 640). Il ne foudre
sans doute pas conclure de là que Jacques le Moine comp- |
tait le Protévangile parmi les livres canoniques; jamais
chez les Grecs les légendes racontés par Pseudo-Jacques *
n'ont eu le titre d'Évangile, et jamais personne n'a songé
à les introduire dans le canon !. Du moins la manière dont
parle cet auteur montre bien quelle estime on faisait de
ces récits, et combien peu l'on était en défiance contre de
semblables traditions.
Quelques orateurs grecs, cependant, semblent avoir
eu plus de réserve. Dans l’œuvre importante de Tnu£Éo-
PHANE KÉnawEvus, ; archevêque de Taormina en Sicile
(xri siècle), on chercherait vainement des traces du Pro-
sévangile. Mais on retrouve le fil de la tradition dans les
sermons d'Isipong ΡῈ TnuessarowiQug,l'un des derniers
orateurs byzantins, à la fin du xiv? siècle (P. G.,
t. cxxxix, col. 11-165). On rencontrera chez lui tous les
procédés classiques que nous avons déjà maintes fois
rapportés. Signalons seulement le joli tableau où il décrit
l'entrée de Marie dans le temple. La Vierge ayant entendu
les paroles du grand-prétre se détache lentement du

1. Le Protévangile n'est mentionné comme apocryphe que dans le


Catalogue des 60 livres, περὶ τῶν ξ΄ βιδλίων xal ὅσα τούτων ἐχτός. — ὅσα
ἀπόχρυφα.... ιε΄ ᾿Ιακώδου ἱστορία. — La date de ce catalogue, qui n'a
d’ailleurs nul caractère officiel, est difficile à préciser. Cf. Zahn, Ges-
chichte des N. T. Kanons, t. 11, p. 289-293.
Tm

DANS L'ÉGLISE GRECQUE 125

groupe
des jeunes filles qui l'ont accompagnée en tenant des
flambeaux; toute gracieuse, en méme temps que pleine
de gravité, elle aborde le grand-prêtre et lui fait com-
prendre par ses paroles et sesgestes enfantins que c'est
Dieu désormais qu'elle accepte pour son partage (col. 61).

Les hagiographes et les historiens byzantins n'ont pas


moins contribué que les orateurs à populariser les lé-
gendes du Protévangile. Il ne saurait être question de
mentionner 101 les trés nombreuses productions de lha-
giographie byzantine. Signalons seulement la plus im-
portante au point de vue qui nous occupe : la vie de la
très sainte Mère de Dieu d'ÉrienawE LE Moixe !
(vers 780) (P. G., t. cxx, col. 185 sq.). C'est une histoire
critique que prétend nous donner cet auteur, aussi prend-
il grand soin de nous apprendre la méthode qu'il a suivie :
« Beaucoup, dit-il, parmi les anciens docteurs ont disserté
sur le compte de celle qui est proprement et vérita-
blementla Mère de Dieu, Marie, la vierge perpétuelle. Les
uns ont annoncé à l'avance par diverses figures prophé-
tiques les merveilles qu'elle devait opérer... Les saints
apótres d'autre part ont éerit avec zéle sur le Verbe qui
s'est incarné en elle; mais d'elle-méme ils n'ont dit que
peu de choses. Tous affirment cependant qu'elle descen-
dait de David. Quant à ses panégyristes, c'est parmi les
saints Péres qu'on les trouve. Aucun d'eux toutefois n'a
écrit d'une maniére précise et acceptable sur sa vie, ses
jeunes années, son éducation, sa mort. Ceux-là méme
qui ont fait effort pour en donner quelque partie n'ont
pas été jusqu'au boutet ont senti leurs forces les trahir,
tels Jacques l'Hébreu (c'est-à-dire l'auteur du Protévan-
gile) et Aphrodisianos le Perse ?, et d'autres encore, qui

1. 'Extgavíou μονάχου xxi πρεσδυτέρου λόγος περὶ τοὺ βίον τῆς om. θεοτόχου
χαὶ τῶν τῆς αὐτῆς χρόνων.
2.11 s'agit d'un dialogue sur les questions religieuses soi-disant
tenu à la cour des Sassanides. L'ouvrage serait de la fin du v1? siècle. De
126 HISTOIRE DU LIVRE

après avoir uniquement parlé de sa naissance ont


aussitôt coupé court. Sur la dormition, Jean de Thessalo-
nique a fait un discours fort célèbre, mais finalement s’est”
porté ombrage à lui-méme. Un autre Jean qui se pare
du titre de théologien s'est attiré à lui-même le reproche
de mensonge !. André de Jérusalem, évêque de Crète,.
qui a dit quelques bonnes choses et fort justes, s'est arrété
en cours de route et au lieu d'une histoire a donné un
sermon. Pour nous, nous avons procédé avec critique et
avons rassemblé les choses croyables, solides et vraies,
d'abord dans IHistoire ecclésiastique d' Eusébe surnommé
Pamphile, puis dans les ceuvres des autres écrivains et
docteurs, et nous les présentons aux amateurs de style
simple » (col. 185-186). En fait, l'excellent Épiphane est |
loin d'avoir rempli sa promesse. Son œuvre manque
complètement de critique, et Jacques l’Hébreu, qu'il
malméne dans son prologue, lui a fourni l'essentiel de
son récit pour ce qui concerne l’origine, l’annonce et
la naissance de Marie. Il est vrai qu'il s'y ajoute une
généalogie fort compliquée, et qui finit par embrasser
les principaux personnages de l'histoire évangélique. Elle
a d'ailleurs pour but d'établir que Marie est la fois de la
lignée de David par son pére, de celle de Lévi par sa
mére, réunissant ainsi en elle-méme les deux dignités
royale et sacerdotale.
Épiphane ne s'en tient pas là; il modifie selon sa libre
fantaisie qu'il estime de l'esprit critique quelques données
du Protévangile. L’apparition de l'ange à Joachim se
passe non plus dans le désert mais au temple; Marie est
d'abord présentée à Jérusalem à l’âge de trois ans, re-
tourne à Nazareth avec ses parents; est finalement con-
sacrée au Seigneur pour tous les jours de sa vie quand elle

nombreux mss. l'attribuent à Anastase le Sinaite. 17€ édition : Wassiliew


Anecdota græco-byzantina, 1, Moscou, 1873, p. 73-125.
1. I s'agit du récit sur la dormition de la Vierge, qui se donne pour
l'œuvre de Jean le théologien (c'est-à-dire de l'apótre).
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 427

a atteint l’âge de sept ans.« Et peu de temps après, Joa-


chim son père mourut, âgé, dit-on, de quatre-vingts ans.
Pour Marie elle ne s'éloignait du temple, ni jour, ni nuit;
et Anne ayant quitté Nazareth vint à Jérusalem et resta
avec sa fille Marie. Et aprés avoir vécu deux ans encore,
elle mourut à l’âge de soixante-douze ans. Marie, ainsi
devenue complétement orpheline, ne sortait plus du tem-
ple du Seigneur, et si elle avait besoin de quelque chose,
elle allait seulement chez Élisabeth, car celle-ci demeu-
rait tout prés delà. » Épiphane cherche visiblement en
tout ceci à atténuer le caractére extraordinaire du séjour
de Marie dans le temple ; le Protévangile avait admis,
et les orateurs grecs qui s'en servirent n'avaient pas hésité
à croire, que Marie avait son habitation dans le sanctuaire
lui-même. Au courant des récits bibliques, l'hagiogra-
phe ne peut accepter cette violation trop flagrante de
la loi juive; il imagine done une espèce de compromis.
Il avait vu dans saint Luc (11, 37) que la prophétesse Anne
ne s'éloignait jamais du temple, servant Dieu dans le
jeûne et la priére,le Jour comme la nuit. C'est ainsi qu'il
se représente la condition de Marie; il n'est pas loin de la
tradition latine qui imaginera l'existence dans le temple
d'un monastére de vierges juives, de tous points sem-
blable aux couvents chrétiens, — D'ailleurs, une autre pa-
renté se remarque dans l'écrit d'Épiphane avec les récits
de l'Occident. Le portrait moral qu'il trace de la Vierge
lors de son séjour au temple (col. 192-193) est le méme que
lon retrouve au ch. vi de Pseudo-Matthieu, au moins
dans les grandes lignes. On ne saurait expliquer cette pa-
renté parla connaissance qu'aurait eue Épiphane du rema-
niement latin. Mais ce dernier écrit est évidemment inspiré
sur ce point de saint Ambroise ; il est possible que l'au-
teur de la vie de Marie ait eu entre les mains le De eirgi-
nibus del'évéque de Milan. On trouve enfin dans Épiphane
une légende relative au séjour de la Vierge dans le temple,
dont il serait curieux de découvrir l'origine, « Quand la
128 HISTOIRE DU LIVRE

Vierge eut douze ans, dit-il, il arriva qu'une nuit elle


P riait p près des Iportes de l’autel (du sanctuaire). Et vers mi-
nuit une grande lumière brilla, dépassant la clarté du so-
leil, et une voix sortit du propitiatoire et lui dit :« Tu enfan-
teras mon Fils.» Or Marie garda le silence, ne dévoilant ce
secret à personne, jusqu'à l'ascension du Christ» (col. 193).
Nous avons insisté quelque peu sur l’œuvre d'Épi- |.
phane; elle est la source où a puisé toute l'hagiographie |
byzantine; nous serons done dispensés de mentionner |
les nombreux écrivains qui ont parlé de la Vierge. On |
ne saurait pourtant passer complètement sous silence
l’œuvre de SIMÉON MÉTAPHRASTE (seconde moitié du.
x? siècle), puisqu'il s'est attaché, au témoignage de Mi-
chel Psellus, à mettre à la portée de ses contemporains |
les vieilles légendes des saints. Il est remarquable ce-
pendant que les traces du Protévangile ne soient pas plus
nombreuses dans cette œuvre touffue, Dans la vie de
saint Jaeques, Métaphraste note que cet apótre origi- |
naire de la Judée eut pour père Joseph, qui par l'excel- -
lence de ses vertus fut choisi pour étre l'époux de la vierge
|
Marie (P. G., t. cxv, col. 200). Au 15 août, se trouve
un discours qui traite de l’origine vénérable et de l'é-
ducation de notre trés sainte dame, la Théotokos, de la
naissance de Notre-Seigneur, et des choses qui arri-
vèrent à la mort de la vierge Marie. On s'attendrait done SÉ
M
LI

à trouver sous cette rubrique le texte du Protéeangile, —

uni, comme il arrive quelquefois, aux récits de la dormi-


tion et de l'assomption de Marie. En réalité, l'auteur n'uti-
lise pas directement le Protévangile, mais bien le sermon
de Grégoire de Nysse, que nous avons cité plus haut, et
qu'il donne en entier. On remarquera que dans l’œuvre
de Métaphraste il n’y a pas encore de date fixée pour la
mort de sainte Anne (23 juillet dans les calendriers pos-
térieurs); qu'il n'est point fait mention des parents de la
Théotokos au 9 septembre; et que le 8 décembre n'est
pas encore célébré comme la date de la conception de Marie,
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 129

Pour des raisons qu'il serait trop long d'exposer, les


chroniqueurs et les historiographes byzantins ont donné
place dans leurs ceuvres à tout ou partie des légendes du
Protévangile. Ce n'est pas dés les débuts, il est vrai. Les
premiers chroniqueurs, cherchant leurs renseignements
et méme leur plan dans Eusébe, n'ont pas eu l'occasion
d'intercaler dans leurs récits les dates de la naissance
de Marie, de sa présentation au temple, de son annon-
ciation. On ne trouvera pas de références aux faits que
nous étudions dans les chroniqueurs de l'époque justi-
nienne. Mais ces légendes s'épanouissent amplement
dans la chronique de GEorGEes CÉpRÉNos! (xi-xii? siè-
cle), et ceci est une indication importante, car Cédrénos
est le moins indépendant des écrivains, et il ne se
serait pas avisé d'introduire dans son œuvre ces récits
légendaires, s'il n'avait pas trouvé d'exemple de
ce fait dans les écrivains antérieurs. C'est d'ailleurs à la
vie de la Vierge rédigée par Épiphane le Moine qu'il em-
prunte ses renseignements, plus qu'au Protévangile, dont
il maintient cependant quelques traditions qu'avait né-
gligées Épiphane. Ajoutez à cela quelques données fan-
taisistes; en particulier celle qui concerne le vieillard Si-
méon : « Cet homme qui porta Diéu dans ses bras (6
feoddyos) était l'un des Septante qui avaient traduit en
grec l’Ancien Testament sous Ptolémée Philadelphe, roi
d'Égypte. Or Siméon, étant arrivé au passage d'Isaie
« Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, que
«l'on appellera Emmanuel, » fut incrédule à ces paroles.
Il était impossible, disait-il, étant donnée la nature
humaine, qu'une vierge enfantàt. Étant done dans ces
dispositions, il eut une révélation divine, lui annonçant
qu'ilresterait en vie Jusqu'au moment où s'accomplirait
le divin oracle du prophète; c’est ee que dit clairement

1. Σύνοψις ἱστοριῶν, ἀρχομένη ἀπὸ χτίσεως χόσμου, καὶ μεχρὶ τῆς βασιλείας
᾿Ισααχίου τοῦ Κομνήνου, P. G., t. cxxt.
PROTÉV. — 9
ἣν Ἴ - “0710

130 HISTOIRE DU LIVRE E

l'Évangile » (col. 365). On voit comment de Pseudo-


Eustathe au moine Épiphane, et d'Épiphane à Cédré-
nos la tradition va en s'enrichissant. Dans la chroniqu
presque contemporaine de Micngr Grivxas! (vers 1170
1180), les événements rapportés par le Protévangile
sont signalés avec une trés grande discrétion, à pro
pos de lincarnation de Notre-Seigneur. — Enfin les
histoires générales elles-mémes n'ignorent pas ces détails
et les transmettent avec fidélité. NicÉPHonE CarrisTE
a composé au début du xiv? siécle une histoire de
l'Église en dix-huit livres qui va jusqu'à la mort de
Phocas (610). Mais on a de fortes raisons de croire que
Nicéphore n'a fait que mettre sous son nom une compo-
sition anonyme du x? siècle, en sorte que cette histoire
remonterait beaucoup plus haut. P. G., t. cxz v-cxr vi
Elle enregistre avec fidélité les légendes du Proté-
veangile, en les revétant toutefois du grand style clas-
sique qui est resté propre aux historiens de Byzance“
On remarquera cependant, comme dans les chroniques
signalées précédemment, un développement de la légendes
Nicéphore sait par exemple que Joseph était proche
parent de Marie, que sa vieillesse et son genre de vie lui
avaient concilié dès longtemps l'estime de tous; il sait
aussi que le champ oü se trouvait la grotte de la nativité
appartenait à Salomé (t. cxrv, col. 653). Bref, il ajoute
de nombreuses petites circonstances qu'il n'a sans doute
pas inventées, mais qui, du fait de l'imagination popu
laire, avaient pullulé sur la vieille souche du Protévangilem

Si les orateurs, les hagiographes et les historiens de By


zance ne se sont fait nul scrupule de demander aux ||
légendes apocryphes les renseignements, que ne pouvaient.
leur fournir les récits canoniques, sur les parents, la nais-.
sance et la jeunesse de Marie, les exégétes par contre

1. Βίδλος χρονιχή, P. G., t. τινι,


DANS L'ÉGLISE GRECQUE 131

sont montrés à l’égard de ces récits fantaisistes de la


plus extrême prudence. On ne retrouve guère chez eux
qu une seule tradition qui paraisse dériver du Protévangile;
encore n'est-ce pas directement à ce livre qu'elle a été
empruntée. Origène avait cité l'opinion de l'Évangile
de Pierre et de l'histoire de Jacques, qui faisait des
frères de Jésus les enfants de Joseph nés d'un premier
mariage. Cette explication de la difficulté est demeurée
classique chez les exégétes de langue grecque. C'est
elle que l'on retrouve dans Œcuménius. P. G., t. cxviu,
col. 217. « Jacques, que le Seigneur avait à l'avance dé-
signé comme évêque de Jérusalem, était le fils de Joseph
le Charpentier, le pére selon la chair de Notre-Seigneur
Jésus-Christ ; » dans TufÉornHvracrE (évêque d'Acrida
en Bulgarie avant 1078) en de nombreux passages 1,
Il est remarquable qu'Eurnymius ZircaABENUS ne lait
pas mentionnée. — L'absence de toute autre trace du Pro-
tévangile, méme quand il s'agit du récit de la nativité

1. P.G., t. cxxmi, col. 293: «Le Seigneur avait des frères et des sœurs,
enfants de Joseph, qu'il avait eus de la femme de son frére nommé Clo-
pas. Clopas en effet étant mort sans enfant, Joseph selon la loi la prit
pour femme et en eut six enfants, quatre garcons et deux filles, Marie
que l'on appelait la fille de Clopas (Maria Cleophæ) et Salomé » (In
Matth., xxix, 54-57); col. 704 : In Luc., 1, 31-32. — Plus curieuse est l'ex-
plication donnée par Théophylacte sur la Maria Jacobi mentionnée
par saint Luc, xxiv, 10. En rapprochant ce verset de Joa., x1x, 24-27,
cet exégéte conclut que Maria Jacobi n'est autre que la Théotokos.
«On l’appelaitainsi(Marie,mère de Jacques), parce qu'elle passait pour la
mère de Jacques fils de Joseph, celui qui est appelé le Mineur. Μαρίαν
δὲ ᾿Ιαχώδον τὴν θεοτύχον νόει, οὕτως γὰρ αὐτὴν ὠνόμαζον, ὡς μητέρα δοχοῦσαν
Maxw6ou τοῦ υἱοῦ ᾿Ιωσὴφ, 0v xai μιχρὸν ἔλεγον, t. cxxii, col. 1112. — La
même explication est reprise dans le commentaire de saint Jean, xix,
94-97. Quatre Marie paraissent dans l'Évangile; la Théotokos, qu'on
appelle aussi mère de Jacques et de José. Ceux-ci étaient des enfants
‘de Joseph, nés de sa première femme. Et la Théotokos est appe-
-lée leur mère, c'est-à-dire leur belle-mère, parce qu'elle passait pour
| la femme de Joseph, t. cxx1v, col. 280. — In Act. Ap., xv, 13-15,
& cxxv, col. 977. ͵
132 HISTOIRE DU LIVRE "-

curieuse, car ces auteurs n'ignoraient pas les légendes


qui cireulaient sur l'enfance de Marie. Il existe en effet | |
sous le nom de Théophylacte une homélie sur la féte de 4
la Présentation (P. G., t. cxxvi, col. 129); et d'autre |
part, dans ses commentaires mêmes, cet exégéte montre. M
qu'il connaissait les traditions relatives aux origines. E
de Marie. Dans l'explication de Joa., xix, 24-27, il |
se demande comment la personne appelée Marie de Clo- |
pas peut être dite la sœur de Marie, mère de Jésus, alors |
qu'il est bien certam que Joachim n'a pas eu d'autre M
fant que Marie. — « Clopas, répond Théophylacte, était|
frère de Joseph, et Clopas étant mort sans enfant, Joseph, |
au dire de quelques-uns, épousa sa femme et suscita | |
des enfants à son frére. Marie qui est ici mentionnée serait |
l'une de ces enfants; on l'appelle sceur de la Théotokos |
au lieu de l'appeler simplement sa parente !. Car c'est? |
une coutume de l'Écriture d'appeler frères ou sœurs ceux
qui sont proches parents » (t. cxxiv, col. 280). Euthy- |
miusa proposé de cette difficulté que créait le Protévan-
gile, une solution plus élégante. Il n'imagine pas toutes ces.
généalogies compliquées. Cette Marie dont il est question.
n'est pas la fille, mais l'épouse de Clopas. Or Clopas était |
le frère de Joseph; sa femme était donc la belle-sœur de |
la Vierge, et on pouvait sans plus distinguer l'appeler sa |
sceur. En tout cas ce qu'il faut respecter, c'est ce fait que
la vierge Marie était fille unique (P. G., t. cxxix, col.
1469). Quoi qu'il en soit d'ailleurs de ces explications di- |
vergentes, 1] reste que les exégétes byzantins connais-|
saient et acceptaient les données du Protévangile; qu'ils |
ne se croyaient pas autorisés toutefois à les insérer dans M
la trame de leurs commentaires. |

|
1. En fait elle aurait eu droit au titre de belle-fille de Marie, tout |

dente,
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 133

L'Église grecque a eu moins de scrupules. Elle n'a pas


hésité à admettre dans sa liturgie, et cela de trés bonne
heure, non sans doute le Protévangile lui-même, du moins
- les légendes qu'il avait popularisées. Trois fêtes, qui en dé-
rivent, se sont introduites successivement dans l’Église
grecque et se sont répandues de là en Occident. La plus
ancienne est celle de la Nativité de la Vierge, qui exis-
tait déjà, au moins, à Constantinople, au temps du grand
poète Romanos, contemporain, selon toute vraisemblance,
de l'empereur Justinien ! (527-565). Puis vient la fête
de la Présentation de Marie au temple sur laquelle nous
avons des témoignages remontant au vin? siècle, une
homélie de Germain IT, patriarche de Constantinople en
715, un hymne de Georges de Nicomédie ? (rx? siècle).
La fête de la conception de la Vierge (ou pour parler
comme l'Église grecque, la fête dela conception d'Anne,
mère de la Théotokos) a dû suivre de prés, comme en té-
moignent et l'homélie de Jean d'Eubée 3, qui florissait
vers 744, et les poésies de saint Joseph l'hymnographe
(vini? siècle) 4.
Or, depuis le vi? siècle au moins, la poésie ecclésiastique
prend dans le service liturgique une importance crois-
sante, et d'autre part les poétes ne se font pas faute de
puiser leurs inspirations dans les livres extra-canoniques.
“Le cantique de Romanos pour la nativité de ]a
Vierge est une paraphrase du Protéeangile, depuis le
commencement jusqu'au mariage de la Vierge avec
Joseph 5. De nombreuses allusions à notre apocryphe se

1. Les hésitations sur la date de Romanos semblent dissipées par


l'argumentation de Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Littera-
tur, 2€ éd., Munich, 1897, p. 663-668.
t5. Dans Pitra, Analecta sacra, 1876, t. 1, p. 275.
3. Cf. plus haut, p. 122.
^. Dans Pitra, op. cit., p. 596.
5. Le texte dans Pitra op. cit., p. 25 sq. Voici, à titre d'exemple, les
premières strophes : α΄ ᾿Ιωαχεὶμ xai Αννα | ὀνειδισμοῦ ἀτεχνίας | xai ᾿Αδὰμ,
1955s. ; HISTOIRE DU LIVRE

retrouvent dans le cantique du même auteur sur la nati-


vité du Christ 1, Il en est de méme pour les autres hymnes
que nous venons de signaler. ἃ la vérité, ces hymnes pri-
mitives ne pénétrérent pas telles quelles dans la liturgie
postérieure. À partir du vin? siècle, les hymnes isolées
sont remplacées par les canons dont l’inventeur est André
de Crète. On désigne sous ce nom une composition poé-
tique qui prend place à la fin de l'office de la nuit,o - |

orthros. La charpente des canons est formée par les can


tiques de l'Ancien et du Nouveau Testament, mais ces
cantiques ne sont point récités en entier, on se contente
d'en dire les premiers versets, aprés quoi l'on chante des!
tropaires ou pièces poétiques correspondant à la fête du
jour. Bon nombre de ces tropaires proviennent du dé-
membrement des hymnes primitives, d'autres ont été
composés par la suite, mais toujours en respectant les
formes et les idées antérieures. Il s'ensuit donc que les:
pièces fort anciennes se trouvent encore intercalées dans ;
les livres hturgiques actuels.
D'autre part les canons contiennent une partie impor
tante, qui, elle aussi, a persévéré jusqu'à nos jours. Aprés |
le sixième cantique (ou ode), se place une notice histori
que sur la féte du jour, intermédiaire entre notre légende
du 118 nocturne et notre leçon du Martyrologe à prime, |
A l'annonce de la date du mois, et de la fête du saint, fait.
suite une épigramme en vers iambiques relative à la fêtes

xai Εὔα | ix τῆς φθορᾶς τοῦ θανάτου | ἠλευθερώθησαν, ἄχραντε, | Ev τῇ ἁγία []


γεννήσει σου" | αὐτὴν ἐορτάζει | «ai ὁ λαός σου | ἐνοχῆς τῶν πταισμάτων|
λυτρωθεὶς, ἐν τῷ χράζειν cot | h στεῖρα τίχτει τὴν θεοτόχον | καὶ τροφὸν τῆς
ζωῆς ἡμῶν. —8" à προ θεύχη ὁμοῦ χαὶ στεναγμὸς | τῆς στειρώσεως χαὶ ἀτεχνώ-
σεως Ἰωαχεὶμ xoi "Avvns εὐπρόσδεκτος | xai εἰς τὰ ὦτα Κυρίου ἐληλύθεν, ἢ"
x«i ἐδλάστησε xapmow ζωηφόρον τῷ χόσμῳ. | ὁ μὲν γὰρ προσευχὴν | ἐν τῷ
ὄρει ἐτέλει, | ἡ δὲ ἐν παραδείσῳ | ὀνειδος. φέρει" ἀλλὰ μετὰ χαρᾶς | à στεῖρα τίκτε
τὴν θεοτόχον | χαὶ τροφὸν τῆς ζωῆς ἡμῶν.
1. Ibid., p. 1 sq., allusion à la grotte de la Nativit; commentaire+
paroles de la sage-femme : ex. za χαταπλήττομαι [ ὅτι γαλουχῶ | χαὶo
t
νενυμφευμαι.
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 135

célébrée, puis un hexamètre indiquant la date et le nom


- du saint; vient enfin une notice historique en prose suivie
de l'indication du sanctuaire où se célèbre la fête. Le tout
se termine par une commémoraison des autres saints que
l'on célébre ce jour-là. Or les notices historiques des trois
fétes de la Vierge que nous avons signalées ont été de
très bonne heure empruntées au Protéeangile. Il en est
déjà ainsi dans le grand Canon d'André de Créte, à la
date du 8 septembre. P. G., t. xcvir, col. 1325. Le mé-
nologe !, exécuté en 984 par les soins de l'empereur
- Basile II, est un témoin de l'état de ces leçons historiques
au x? siècle. Un ménologe n'est pas autre chose en effet
qu'un recueil contenant lasérie plus ou moins compléte
des notices historiques insérées entre la sixième et la sep-
tiéme ode du Canon. Celui de Basile II place au 8 sep-
tembre la nativité de la Vierge;le 9 septembre est consacré
à l'anniversaire des saints Joachim et Anne, parents de
la Théotokos, on y lit un récit correspondant à Protev.,
r-1v. Le 22 novembre est consacré à la Présentation de
la Vierge — lecture correspondant à Protev., vii. Le 24 juil-
let, on célèbre la mémoire de sainte Anne, mère dela Théo-
tokos;la leçon historique serre de trés près la notice consa-
crée par Épiphane le Moine à la généalogie dela Vierge.
Le ménologe de Basile II n'est pas isolé. Les mss. 2661 et
1589 de la Bibliothéque nationale lui sont étroitement
apparentés. Au contraire les mss. 1590, 1592, 1594 se
rapprocheraient du synaxaire de Sirmond, actuellement à
Berlin (Philipp. 7622, Clarom. 209, Meerman, 372). Ce que
nous en avons pu voir nous a montré que,sans donner
les mêmes notices historiques que le ménologe de Ba-
sile II, ils rapportent cependant les mémes faits, tirés
du Protévangile. La comparaison d'ailleurs entre le méno-
loge de Basile et le synaxaire de Sirmond montre qu'ils

1. Édité dans P. G., t. cxvir. Une étude sommaire lui a été consacrée
dans les Analecta bollandiana (1895), t. x1v, p. 396- 43%.
136 HISTOIRE DU LIVRE SIM

dépendent tous deux de Syméon Métaphraste. — Les livres


liturgiques grecs ont conservé l'ensemble des tropaires
du moyen âge byzantin ; ils se sont montrés plus sé:
vères à l'égard des notices historiques dont plusieurs ont
disparu des Ménées !. Il n'en reste pas moins que le Pro
tévangile de Jacques a exercé une grande influence sur.
l'institution et le mode de célébration des trois fêtes.
mariales que nous avons signalées. Thiloa d'ailleurs fait
remarquer avec beaucoup de justesse que les divers ma-

liturgiques. Notre texte apparait en effet au milieu d'ho- |


mélies, de vies de saints, disposées parfois pour l'usage.
liturgique, c’est-à-dire précédées d'indications relatives
à la fête, Le manuscrit H de Tischendorf, qui ne donne

texte d'un long prélude théologique comme 1l s'en re-.


trouve dans divers ménologes, soit à la féte dela Nativité
de Marie, soit à l'Annonciation. Si donc le Protévangile n’a
jamais été considéré dans la liturgie grecque comme un |
livre canonique, du moins il y a joui d'une grande consi- -

1. On désigne sous le nom de Ménées les livres liturgiques, divisés par


mois, et qui donnent sous chaque date : 1) le nom des saints; 2) les
rubriques pour la célébration de la féte ; 3) le texte des différentes parties
de l'office, en particulier les Canons. Nous avons utilisé l'édition de Ve-
nise, 1628. Voici à titre d'exemple la notice historique du 8 septembre =
τῷ αὐτῷ μηνί η΄. τὸ γεννέσιον τῆς ὑπεραγίας δεσποίνης ἡμῶν θεοτόχου xai dei
παρθένου Μαρίας.
πάσας ἀληθῶς Αννα νιχᾶς μητέρας
μήτηρ ἕως ἂν σὴ γέννηται θυγάτηρ-
ἐξάγαγε πρὸς φῶς θεομήτορ ὀγδόη Αννα
ἧς ὁ πατὴρ ᾿Ιωαχεὶμ, ἐχ βασιλιχῆς φυλῆς εἴλχε τὸ γένος. οὗτος εἰ xal διπλᾶ τὰ
δῶρα αὑτοῦ τῷ θεῷ προσέφερεν ὡς φιλόθεος xai πλούσιος, ἀλλὰ τὴν ἀπαιδίαν.
[LE U - ΄ LI * εὐ [4 * A ^ 3 ,
LA
^
ὠνειδίζετο. ἐπὶ τούτῳ δηχθεὶς τὴν χαρδίαν,
οι αὐτὸς μὲν ἐν τῷ ὄρει, ἣt δὲ: τουτοῦ
σύνευνος Αννα ἐν παραδείσῳ δάχρυσι τὸν θεὸν ἱχέτευον. ὃς xal παρέσχεν αὐτοῖς
καρπὸν χοιλίας ἅγιον τὴν ὑπεραγίαν θεοτόχον. χ. x. À. À
Par contre au 21 novembre, bien que les divers tropaires fassent allu--
sion à l'entrée de Marie dans le Saint des Saints, il n'y a pas de leçon |
historique directement apparentée au Protévangile.
DANS L'ÉGLISE GRECQUE 137
RES D

“ dération, due essentiellement au fait que l'on croyait


y voir un écrit de provenance fort ancienne, donnänt sur
les origines de la vierge Marie les plus authentiques ren-
seignements. N'est-ce pas de lui que dérivent, en dernière
analyse, tout ce que savent sur les premières années
de la Théotokos les orateurs, les hagiographes, les his-
toriens et les poètes byzantins ! ?
1. Nota. 1) Nous avons systématiquement laissé de cóté les textes
orientaux apocryphes qui s’inspirent plus ou moins directement du
Protévangile.
Ces textes seront étudiés dans un volume parallèle à celui-ci. Ce sont :
a. L'histoire de Joseph le charpentier, en arabe,
b. L'Évangile arabe de l'enfance du Sauveur.
2) De méme nous ne pouvions songer à étudier l'influence du Proté-
vangile dans les littératures syriaque, et arménienne, pas plus que chez
les coptes, ou chez les écrivains arabes.
Il est impossible pourtant de ne pas signaler l'importance des légendes
mariales dans l’œuvre de saint Éphrem, et l'on sait combien cet auteur
a exercé d'influence sur toute la littérature orientale.
3) Pour des raisons analogues nous avons laissé de cóté tout le do-
maine de la littérature slave. On trouvera dans Harnack, Geschichte der
altchristlichen Litteratur, t. 1, p. 909, un inventaire des versions, éditions
et manuscrits slaves. J. V. Jagic a publié en 1898 des « Remarques cri-
tiques relativesà la traductionslave de deux narrations apocryphes:
Protévangile, et Lettre de Pilate à Tibére, » en russe. Cf. Krumbacher,
dans la Byzantinische Zeitschrift, 1899, p. 568 sq.
A) La littérature musulmane a emprunté au Protévangile où aux
traditions qui en dérivent un certain nombre de renseignements sur la
sainte Vierge.
Coran, Sourate, 111, 31. « La femme d'Imran (c'est le nom du père de
la Vierge) dit : « Seigneur je t'ai loué; ce qui est dans mon sein, prends-le
«comme chose à toi consacrée : car tu es celui qui écoute, celui qui sait.»
«Quand elle enfanta, elle dit:« Seigneur j'ai mis au monde une fille. ...
«et je l'ai appelée Marie et je cherche auprés detoi pourelle et pour sa
«postérité un refuge contre Satan le maudit.» 32. Alors le Seigneur l'ac-
cepta avec gracieuseté, et la fit croitre d'une belle croissance, et Zacharie
la prit chez lui. Or chaque fois que Zacharie entrait auprès d'elle dans le
sanctuaire, il trouvait près d'elle de la nourriture et il lui dit : «Ὁ Marie,
«d'oü as-tu cela?» Elle dit :« Cela vient de Dieu, car Dieu soigne sans
«caleuler, celui qu'il lui plait. »
La relation du Coran sur l'annonciation de la Vierge, Sourate, 111,
138 HISTOIRE DU LIVRE

2. Le Protévangile et ses remaniements


dans l'Occident latin.

L'histoire du Protévangile est facile à suivre dans


l' Église grecque; dès le rv? siècle on le voit en possession
de la faveur, et il conservera indéfiniment cette situation
au milieu de la ruine d’autres livres apocryphes. Il en est
tout autrement dans l'Église latine. On retrouve, il est
vrai, les traces de ce livre, ou tout au moins des traditions.
qu'il représente, chez plusieurs écrivains du rv? siècle
Mais la faveur que cet apocryphe a rencontrée dans des;
cercles hérétiques, va susciter contre luila méfiance des
docteurs, puis de l'autorité ecclésiastique. Condamné a
ve siècle, 11 ne semble pas avoir survécu à cette inter-
diction. S'il parvient à subsister, c'est dans des rema-.
niements qui en ont changé plus ou moins l'esprit. Encore:
les traditions ainsi conservées ne semblent-elles point.
avoir trouvé grand accueil chez les doctes, si elles ont |
quelque crédit, c’est dans le populaire; il faudra arriver.
jusqu'au xiii? siècle pour les voir s'imposer à l'assentimen
universel. |
Les traces du Protévangile sont assez fugitives, disions- 1|
nous, chez les auteurs latins du 1v* siècle. Saint HiLAIRE
dans son commentaire sur saint Matthieu composé vers
355 (P. L., t. 1x, col. 922) mentionne en passant l’opiniom|
qui voit dans les fréres de Jésus les fils de Joseph, nés d'u
premier mariage. Mais ce peut être Origéne qui lui
fourni ce renseignement, et l'on n'est pas autorisé à con
clure qu'il a connu le Protévangile lui-même. — De Z£Now;
évéque de Vérone entre 362 et 380, ilreste plusieurs ca-

37-43, est apparentée au récit de Luc, 1, 31-37, et à celui du Protévan-.


gile. Quant au récit de la naissance de Jésus, il n'a qu'une paren
très lointaine avec un épisode de l’ Évangile de l'Enfance.
(D'aprés Flemming, dans Hennecke, Handbuch, p. 165-167.)
DANS L'ÉGLISE LATINE 139

nevas de sermons dont un sur la génération temporelle


de Jésus. La maniére dont Zénon parle de l'enfantement
virginal, la mention qui est faite de la sage-femme in-
crédule ! montrent qu'à cette époque les légendes du Proté-
vangile commençaient à circuler en Occident, — Juvencus
les a-t-il connues? c'est ce qu'on peut se demander en
lisant au premier livre de l'histoire évangélique le récit
de l'annonciation de la Vierge. P. L.,t. x1x, col. 70 sq. ;
Corpus de Vienne, t. xxiv, p. 6.

v. 52 (Vienne). Tunc majora dehinc mandata minister (1. e. Gabriel)


Detulit ad Mariæ dimissus virginis aures.
Hzc desponsa suo per tempora certa propinquo
Abdita vinG1NEIS caste pubescere TECTIS,
Et sereare diem jussis permissa parentum,
Ad quam tranquillum sermonem nuntius infit.

Le passage est obscur. Quels sont ces eirginea tecta où


Marie a eu la permission de grandir ? S'agit-il du temple
de Jérusalem ? ou les mots en question désigneraient-ils
la retraite virginale préparée à Marie dans la maison pa-
ternelle ἢ Il est difficile de répondre. En toute hypothèse,
Juvencus considére Marie comme ayant mené dans sa
jeunesse une vie analogue à celle des vierges chrétiennes.
Il est indiscutable au contraire que PRUDENCE (né en
348, mort vers 420) a connu et utilisé les légendes du Pro-
tévangile. Bien que l'hymne x1 du Cathemerinon consacré
par lui à la fête de Noël soit plutôt d'inspiration. théo-
logique, plusieurs traits rappellent évidemment la scéne
de la naissance dans notre apocryphe, en particulier cette
“apostrophe de la sage-femme à la race juive (P. L.,
Prix, col. 896-899) :

1. P. L., t. x1, col. 415 : Obstetricis incredulæ periclitantis enixam in


testimonium reperta ejusdem esse virginitatis incenditur manus, quz (?)
tacto infante statim edax illa flamma sopitur; sicque illa medica feliciter
curiosa, dein admirata mulierem virginem, admirata infantem. Deum,
ingenti gaudio exultans, quæ curatum venerat, curata recessit.
140 ‘HISTOIRE DU LIVRE

hv Quid prona per scelus ruis ? OST T


Agnosce δὲ quidquam tibi
Mentis resedit. integrae
Ducem tuorum principum,
Hunc quem latebræ et obstetrix À
Et virgo feta et cunulæ
Et imbecilla infantia
Hegem dederunt gentibus.

L'hymne xim sur l'Épiphanie témoigne également de


l'influence du Protévangile. La manière dont le poète
présente l'étoile des Mages est en rapport avec ce qu'on
lit Protes., xxx, v.2:« nousavons vu une étoile si brillante
|
qu'elle éclipsait toutes les autres, » et v. 3 : «elle se
tint au-dessus de la grotte. »
Ibid. col. 903. Quod ut refulsit ceteri
Cessere signorum |globi
Nec pulcher est ausus suam
Conferre formam |Lucifer....
— eol. 904. Sed verticem pueri supra
Signum pependit imminens
Pronaque submissum face
Caput sacratum. prodidit.

Ainsi, à la fin du 1v? siècle, les récits du Protévangile —


circulaient en Occident. Mais ils ne devaient point étre|
si répandus qu'on pût dés lors s'en servir d'une maniere |
courante. Dans les nombreux traités où il prône la virgi-
nité, saint AMBROISE a eu maintes fois l’occasion de pré-.
senter comme modèle aux vierges chrétiennes les ver-
tus de Marie. En plusieurs endroits il trace de sa conduite

1. lly a une variante importante; plusieurs manuscrits lisent : Hunc


quem latebra obstetrix, sans faire l'élision. Cela supprimerait en fait la
sage-femme. Latebra obstetrix serait « la caverne qui a été témoin de
I
——P

l'enfantement», l'image est bien étrange! D'autre part le texte classique


semble indiquer une participation de la sage-femme dans l'accouche-
ment, participation qui est contraire à l'esprit et à la lettre du Proté-
vangile.

——
DANS L'ÉGLISE LATINE 141
5 »

et de ses mœurs un tableau charmant. Jamais cependant


il ne lui vient à la pensée que Marie ait pu grandir dans
l'enceinte du temple. C'est au contraire dans la maison
de ses parents qu'elle a donné l'exemple de toutes les
vertus !. Le fait, d'autre part, que saint Ambroise con-
nait de la difficulté classique sur les fréres de Jésus une
explication analogue à celle du Protévangile ?, ne prouve
pas nécessairement qu'il ait connu le livre lui-même; en
tout cas 1] n'y fait pas la moindre allusion.
Aussi bien cet apocryphe devait rencontrer plus de
succès dans les milieux hérétiques que chez les catho-
liques. On sait, en effet, que les priscillianistes avaient ceci
de commun avec les manichéens, qu'ils n'hésitaient pas
à puiser leurs renseignements et leurs doctrines dans les
livres extra-canoniques. Il s'est conservé un curieux traité
de PriscizziEN, De fide et apocryphis?, qui revendique
nettement le droit de faire usage de cette littérature. En
fait, les livres dont Priscillien prend la défense sont sur-
tout des apocryphes de l'Ancien Testament, mais il serait
bien invraisemblable que Pseudo-Jacques n'ait pas trouvé
une place dans une aussi riche collection d’écrits sup-
posés. Quoi qu'il en soit, il est certain que les manichéens
exploitaient en faveur de leurs doctrines un livre apo-

PAGE en-partieulier, De virginibus, 1: II, c. τὰς P. L., t. xvi;


col. 208-210.
2. De institutione Virginis et S. Mariz virginitate perpetua, ibid.,
col. 317. Potuerunt autem (fratres Domini) fratres esse ex Joseph, non
ex Maria. Quod quidem si quis diligentius prosequatur inveniet; nos ea
prosequenda non putavimus, quoniam. fraternum nomen liquet pluribus
esse commune. On pourrait conjecturer que cette explication plus loin-
taine est celle du Protévangile, à laquelle saint Ambroise juge inutile
de s'arréter.
L'explication du Protévangile est acceptée au contraire par l'Ambro-
siaster. In ep. ad Gal., P. L., t. xvir, col. 344. Hic Jacobus fuit filius
Joseph, qui ideo frater Domini appellatus est, quia et Joseph pater ejus
etiam Domini pater nuncupatus est.
3. Priscilliani Opera, ed. Schepss, Corpusde Vienne, t. xvi, p. 44 sq.
142 -_ HISTOIRE DU LIVRE

cryphe, où l’on prétendait montrer que la vierge Marie


n'était point d'origine davidique. Saint AvcusriN nous.
a conservé un passage de Fauste le manichéen, d'aprés
lequel Marie aurait eu pour père, un prêtre nommé Joa-.
chim. Le Protévangile de Jacques ne connait par l'origine |
lévitique du pére de la Vierge, mais il suffisait d'un léger
remaniement dans le premier chapitre de cet écrit pour.
faire de Joachim un sacrificateur. Saint Augustin repousse.
d’ailleurs l’argumentation que les manichéens préten-
dent tirer de ce fait : « Tout cela, dit-il, provient d’un
livre non canonique et ne me touche guère. Et quand mé-
me j'accepterais le nom du père de la Vierge,je croiraisM
que ce Joachim tenait par quelque lien au sang de Da-
vid, plutôt que d'abandonner l'affirmation de l' Écriture où.
il est dit formellement que Jésus est dela race de David !.»
Quand done Augustin rapporte l’explication classique
sur les frères de Jésus, fils de Joseph et d'une première
femme ?, il ne se doute pas que c'est au iivre de Jacques.

1. Hoc ergo potius vel tale aliquid crederem, si illius apocryphæ scripture
ubi Joachim pater Mariz legitur auctoritate detinerer, quam mentiri Evan-
gelium in quo scriptum est, et Jesum Christum filium Dei, salvatorem
nostrum ex semine David secundum carnem, et per virginem Mariam
procreatum. — Ads. Faustum, 1. XXIII, P. L., t. xvi, col. 472.
2. In Galat. : Jacobus Domini jrater vel ex filiis Joseph de alia uxore —
sel ex cognatione Mariz matris ejus debet intelligi. P. L.,t. xxxv, col.
2110. Cf. In Matth., ibid., col. 1374.
Parmi les sermons mis sous le nom de saint Augustin, il y en a trois
sur l'Annonciation de la Vierge. Le troisième qui est conservé dans des
mss. trés anciens rappelle par nombre de traits, aussi bien dans le fond

remarquera en particulier les allitérations. Il s'agit des angoisses de Jo- —


seph. Nescit interea Joseph Maria sponsus quid cum ea egerit angelus.
Subito Joseph intuitu familiari et licentia maritali aspicit Mariam conju-«
gem suam : vidit in ea tumescentes venas in gutture et attenuari faciem,
postremum vidit eam gressibus gravari, intellexit. Mariz uterum gravi-
dari. Turbatur Joseph homo justus, quod Mariam quam de templo Domini .-
acceperat et nondum cognoverat gravidam sentiebat, et quam non meruerat |
in conjugii honore, jam haberet in confusione; secumque diu. æstuans ac
DANS L'ÉGLISE LATINE 143

“qu'est empruntée cette idée. D'ailleurs il y tient assez


“peu et adopterait volontiers l'explication de ceux qui
“voient dans les frères du Seigneur des proches parents à
un degré quelconque.
Saint JÉRÔME d'ailleurs va se charger de rendre cette
derniére explication triomphante au détriment de la
première qu'il écarte avec mépris. Le solitaire de Beth-
léem, en effet, ne se montre pas tendre àl'égard des apo-
eryphes; il ne tient méme pas compte à Pseudo-Jacques
de ses bonnes intentions. Celui-ci n'avait introduit la
sage-femme dans la grotte de la nativité que pour lui
faire constater l'enfantement virginal de Marie. Saint
JÉRÓME traite tout cela d'extravagance et de folie:
« Nulle sage-femme ici ; nul besoin des empressements de
ces femmelettes. C'est Marie elle-móme qui enveloppe
l'enfant de langes, elle est à elle-même sa propre accou-
cheuse : Et elle placa l'enfant dans la crèche, dit l'Évan-
gile, parce qu'il n'y avait point de place pour eux dans
l'hótellerie. Cette parole suffit à repousser les extrava-
gances des apocryphes, puisque c'est Marie elle-même
qui emmaillote le nouveau-né, et d'autre part elle con-
fond Helvidius !.» Pseudo-Jacques avait donné une pre-
miére femme à Joseph pour résoudre l’objection que
l'on pouvait tirer contre la virginité perpétuelle de Marie
de l'existence de fréres du Seigneur. Dans le livre qu'il

disputans dicit : Unde hoc contigit? Quid evenit ? Non cognovi, non tetigi
νον heu ! heu ! quid contigit... Hanc Moysi sententiam præcavebam, ipsam-
que luxuriam in meo corpore refrznabam, maxime quia et David filiam
esse el regali me functum sacerdotio prænoscebam. Le sacerdoce de Joseph
est rappelé ailleurs; l'ange qui vient le rassurer lui dit: Joseph, fili
David, natus ex genere sacerdotali, verum etiam et regali, filius propheta-
rum, socius Scribarum, ille Deus qui scripsit mirabilia in lege sua, ipse
fecit. mirabilia in conjuge tua. P. L., t. xxx1x, col. 2109-2110. Évidem-
ment le sermon n'est pas de saint Augustin; il serait intéressant de pou-
voir le dater.
1. De perpetua virginitate ade. Helvidium, c. var, P. L., t. xxii,
col. 192.
144 HISTOIRE DU LIVRE

consacre à défendre contre Helvidius cette glorieuse


prérogative de Marie, Jérôme repousse brutalement cette
explication, qui pourtant commençait de son temps à * ^x

devenir courante parmi les latins. Helvidius avait vu dans


l'estime que l’on professait pour la virginité absolue la
condamnation du mariage : « Non, répond saint Jérôme,
nous ne condamnons point le mariage ; mais nous ne
pouvons le présumer quand 1l s'agit de ces saints person-
nages. Avec cette manière de raisonner sur des probabi-
lités, nous pourrions tout aussi bien prétendre que Joseph
a eu plusieurs femmes, puisque Abraham et Jacob en eurent
également plusieurs, et ce serait deces épouses que seraient
nés les frères du Sauveur, hypothèse que plusieurs ont.
imaginée avec plus de téméraire audace que de piété L
Tu dis que Marie n'est pas demeurée vierge, eh bien,
moi,je revendique bien davantage. Joseph lui-même est
toujours demeuré vierge à cause de Marie, afin que de
ce mariage virginal naquit un fils vierge ?. » Ainsi se trou-
vait exclue l'opinion du Protévangile sur le premier ma-
riage de Joseph. Nous avons dit plus haut combien l'ex-
clusive de Jéróme avait été efficace; nous avons éga-
lement rappelé, comment le discrédit, dans lequel étaient
tombés les apocryphes par suite de leur emploi chez les
hérétiques, avait amené leur condamnation par l'au-
torité ecclésiastique : rescrit d'Innocent Ier à Exupère de
Toulouse et décret du pape Gélase De libris non reci-
piendis.
En fait c'est seulement dans un écrit hérétique que nous
trouvons au v® ou vi? siècle la trace du Protévangiles
Parmi les œuvres de saint Jean Chrysostome se trouve
incorporé, on nesait trop pourquoi, un commentaire latin
sur le premier Évangile ὃ, qu'à raison de son caractère

1. Quod plerique non tam pia quam audaci temeritate confingunt.


2. Ade. Helvidium, c. xix, P, L., t. xxii, col. 203.
9, Dans P, G., t. vi.
DANS L'ÉGLISE LATINE 145

inachevé l'on désigne sous le nom d'Opus imperfectum


in Matthzum. L'auteur est certainement un latin, entaché
d'arianisme, qui écrit aprés le régne de Théodose, alors
que les ariens sont durement persécutés. Comme il vit
encore dans l'empire romain, il semblerait raisonnable
de le situer dans le v? siècle avant l'établissement en Occi-
dent des divers royaumes barbares. La littérature apo-
eryphe lui est trés familière, il. connaît le Liered' Adam,
le Livre de Seth, les Clémentines et cite d'autre part des
Libri secretiores. Y aurait-il quelque invraisemblance à
le mettre en relation avecles survivants des priscillianis-
tes ? Quoi qu'il en soit, ce commentaire sur saint Matthieu
utilise à diverses reprises les données du Protévangile,
qu'il cite parfois textuellement. Expliquant les mots de
l'Évangile : « Avant qu'ils n’eussent habité ensemble,
Marie fut trouvée enceinte par l'opération du Saint-
Esprit, » l'exégéte s'exprime ainsi : « Par qui fut-elle
trouvée enceinte ? Sans aucun doute par Joseph son époux,
qui surveillait la vie de Marie. Car, ainsi que le raconte
une histoire qui m'est ni incroyable, nt déraisonnable,
Joseph était absent quand se passérent les événements
que Luc a rapportés... Or quand Joseph revint et trouva
Marie manifestement enceinte, sans doute il dut la me-
nacer en sa qualité d'époux, il dut lui représenter le juge-
ment de Dieu en sa qualité d'homme timoré. Marie, elle,
| voyant que malgré son innocence elle était soupconnée
d'un crime, et qu'elle ne pouvait se disculper, s’écriait
avec larmes : « Aussi vrai que le Seigneur est vivant, je
«ne sais point d’où cela m'est arrivé !.» Ces derniers mots
sont une citation textuelle du Protévangile, xin, 3. De
| méme, les paroles que le commentateur prête à Joseph :«Je
erains que ce quiest dans son sein n'ait une origine di-
| vine ? » serrent de trés prés les mots du ch. xtv : φοξοῦμχι

1. Vivit dominus, nescio unde sit hoc, loc. cit., col. 632.
2. Timeo enim ne hoc quod est in utero ejus divinitus sit, col, 633. Ce
EROTÉV. — 10
146 HISTOIRE DU LIVRE

μήπως ἀγγελιχὸν ἐστιν τὸ ἐν αὐτῇ. L'auteur de l'Ópus imperfe:


cium possédait done par devers lui une traduction latine
du Protévangile de Jacques.
Mais dans la littérature catholique toute trace de notre
apocryphe disparaît pour longtemps. Ni les sermons
de saint Léon (f 461) sur la nativité du Sauveur, ni ceux
de saint Pierre Chrysologue (f 450) sur l’incarnation du
Christ, ni les fort nombreuses homélies de Maxime de
Turin (milieu du v? siècle) ne font la moindre allusior
aux circonstances rapportées dans le Protévangile. GmRÉ-
corre DE Tours lui-même (538-594), qui s'est fait un
devoir de rassembler toutes les choses remarquables qui
circulent sur le compte des saints, qui connaît les Acta
Pilati (Hist. Franc., 1, 23), qui sait les légendes relatives
à la dormition et à l’assomption de la Vierge (Miraculon
rum, 1. L c. 1), qui a appris sur l'étoile des Mages une
histoire trés particulière (zbid., c. τὴ, Grégoire ne fait,
mention nulle part des traditions relatives à la nais:
sance et à l'enfance de Marie. Sans doute, il sait de Ja
ques frère du Seigneur, qu'il est tout simplement un fils.
de Joseph né d'une première femme (Hist. Franc.,1, 22);
mais c'est là une simple tradition exégétique qui, malgré
lopposition de saint Jérôme, persévérera longtemps en*
core. —Chose étrange, dans le temps même où le poète by-
zantin Romanos trouve dans le Protévangile quelques-unes
de ses plus gracieuses inspirations, le poète latin For
TUNAT,un contemporain et un ami de Grégoire de Tours,
peut écrire un grand nombre d'hymnes à la Vierge
et de poésies sur la nativité du Christ sans faire la.
moindre allusion aux circonstances de la vie de Marie si
populaires dans l'Église orientale. |
Sans doute cela ne prouve pas que les légendes nées du
Protévangile fussent durant le v? et le vi? siècle entié*
sont les deux seules citations textuelles du Protévangile qui se rencon=
trent dans la littérature latine. Elles ne se trouvent pas dans Ferre 0-
Matthieu.
DANS L'ÉGLISE LATINE 147

Arement inconnues de l'Occident latin, elles circulaient cer-


—tainement parmi le populaire, et, quand les artistes chré-
“tiens voudront plus tard illustrer la vie de la sainte
Vierge, c'est àelles qu'ils demanderont leurs inspirations.
Elles ne semblent pas toutefois devoir entrer dans l'Église
d'une maniére officielle, c'est-à-dire dans les sermons
ou dans les poésies destinées à l'usage liturgique. Cela
tient à une double circonstance: à la suspicion d'abord
quia pesé pendant quelque temps sur les livres apo-
cryphes, et secondement, au caractère très différent del'élo-
quence grecque et de l'éloquence latine. Le panégyrique
grec, qu'il célèbre la Vierge, les saints ou les martyrs,
est essentiellement historique. Ce qu'il veut présenter aux
fidéles, c'est avant tout le récit détaillé des grandes ac-
tions du saint que l'Église célébre. Chaque année, à la
date fixée,le peuple chrétien entend la méme narration,
la passion du martyr, les exploits ascétiques du con-
fesseur, la naissance, la présentation, l'annonciation de la
sainte Théotokos. De là,sans doute, beaucoup d'uniformité
dans les sermonnaires byzantins, mais de là aussi, la grande
mMfamiharité qu'acquiert le peuple avec les vénérables lé-
gendes. Il en va tout autrement en Occident. Les sermons
où domine l'élément historique, y sont rares, qu'il s'a-
gisse des panégyriques célébrantles martyrs, ou des dis-
cours prononcés aux grandes fêtes chrétiennes. C'est tou-
jours pour édifier ou exhorter que l'orateur latin monte
en chaire, non pour raconter la vie des héros chrétiens
ou les circonstances de la nativité du Christ. L’on com-
prend que, dans ces conditions, c’est peine perdue de
chercher dans les sermonnaires latins la trace des lé-
gendes relatives à Marie, d'autant que la Vierge, tout
en occupant dans le culte chrétien une place toujours
‘grandissante, ne verra qu'assez tard ses fêtes se sé-
“parer de celles du Sauveur ‘

1. On trouve cependant parmi les sermons attribués à Hildefonse de


148 HISTOIRE DU LIVRE ;

sion des légendes du Protévangile. L'exégése de ce temps


est dominée par la tradition hiérony mienne. BEpE qui en
»
a été linitiateur, 3
Accuix qui l'a imposée, 3
SEDULIUS

Es
sions aux légendes mariales. L’homélie sur la nativit e
de la Vierge (P. L., t. xcv, col. 1514) ne fait que dévelop
per les figures bibliques relatives à Marie, et une autre

taire de saint Jérôme sur le 1% chapitre de saint Matthieu


Cependant les légendes du Protévangile ne sont pas im

Tolède à propos de l’adoptianisme, parle de Joachim


père de la vierge Marie .P. L., t. xcvr, col. 871. Dans une
homélie sur la nativité de Marie, il décrit méme le con-
tenu du Protévangile ou de l'un des remaniements latins:

Tolède (607-667) un sermon sur la Nativité de Marie qui se réfère au.


Protévangile: P. L., t. xcvr, col. 278. Consideremus in quantum possumu.
quia nec lingua sufficit loqui quod voluntas cupit proferre, quanta fuii
benignitas Dei, ut de tam longinquo inquireret sibi templum ubi habitaret,
Quia Maria virgo non sic est na'a sicut solent pueri vel puellz nasci ;sed de |
Anna sterili et patre jam sene, extra consuetudinem mulierum, post refri-
gescentem calorem et sanguinem jam tepidum in pectore refrigescentem el
omnem amorum libidinis discessum, mundo corde et cerpore ab omn
pollutione carnali orta est. Sic enim voluit Dominus ut de tali vasculo mate
sua nasceretur. Quod nunc scimus, quia per Spiritum sanctum illo ordi- |
nanle et benigniter præcipiente, præparavil sibi matrem quz præcessi
omnibus malribus. Talis enim fuit, qualis nec antea visa est, nec habeb
sequentem. Mais ce sermon ne peut être d'Hildefonse; la fête dela Nat
vité de Marie n'existait pas encore de son temps en Espagne.
DANS ÉGLISE LATINE 149

P. L., t. cr, col. 1301. « Nous n'ignorons pas, dit-il,


que certains lisent, concernant la sainte nativité de la
Vierge, un livre où l'on parle des mérites de son père et
de sa mère, et où l'on donne leurs noms, c'est à savoir
Héli et Anne. C'est un livre apocryphe, aussi bien que
l'autre qui traite du transitus de la Vierge; et 1] ne faut
pas que l'Église catholique recoive le certain avec l'incer-
tain, le douteux avec le vrai. Tout ce que sait l’Église
catholique, c'est que Marie est issue de race royale, puis-
qu'elle descend du grand roi David,et que c'est aujour-
d'hui l'anniversaire de sa naissance 1, » — Hémo p'Har-
BERSTADT (f 853), disciple d'Alcuin, ami de Raban Maur,
dans son Épitome historiæ sacræ, connait également la
famille de la sainte Vierge. ll s’agit d'expliquer. com-
ment Jacques, fils d'Alphée, peut étre appelé le frére du
Seigneur : « On lui donnait ce nom, parce qu'il était le
fils de Marie, sœur de la mère du Seigneur et d'Alphée,
d’où son nom de Jacques, fils d'Alphée... En effet, Marie
mére du Seigneur, Marie mére de Jacques frére du Sei-
gneur, et Marie mère de Jacques frère de Jean l'évangéliste,
étaient trois sœurs, nées de pères différents mais de
la méme mère Anne. Cette dernière, en effet, épousa
d'abord Joachim, dont elle eut Marie, la mère du Sei-
gneur. À la mort de Joachim, elle'épousa Cléophas, dont
elle eut une seconde Marie, qui dans l'Évangile est appelée
Marie de Cléophas: Or Cléophas avait un frére nommé
Joseph, à qui il maria sa belle-fille la bienheureuse Marie;
quant à sa fille propre, il la donna à Alphée, et c'est d'elle
que naquit Jacques le Mineur (qu'on appelle aussi le
Juste et le frère du Seigneur), que naquit aussi un autre
Joseph. Enfin à la mort de Cléophas, Anne épousa un troi-
sième mari, Salomé. Elle eut de lui une troisième Marie,

1. L'authenticité de cette homélie, contenue dans le Reg. 315 sous


le nom d' Alcuin, a été contestée. On prétend qu'Alcuin n'a Jamaiséerit
d'homélies; le style différerait aussi de celui des écrits
,
authentiques.
150 HISTOIRE DU LIVRE

qui, mariée à Zébédée, donna le jour à Jacques le Majeur


et à Jean l'évangéliste. » Cette histoire du triple mariage
d'Anne deviendra classique à la fin du moyen âge, au
moins en Allemagne !.
Cependant, avec la fin du 1x° siècle, c'est déjà le déclin
de la renaissance carolingienne, et l'ignorance va devenir
assez grande, pour que l'on puisse accepter sans protesta-
tions les récits légendaires comme de l’histoire authen-
tique. Déjà dans l’Expositio in Matthzum de Cnunis-
TIAN DruraMar, moine de Corbie (P. L., t. cvi, col. 1287), —
on trouve toutes les légendes de l'Évangile de l'enfance -
sur le séjour en Égypte, et la narration des faits mira
culeux qui se passérent à Rome au moment de la naissance
de Jésus. Une des éditions du Martyrologe d’Usuard
sait de quelle manière a été instituée la fête de la nati-
vité de la Vierge?; enfin au x? siècle l'abbesse HnorswirHA :
de Gandersheim met en vers latins, pour la délectation«
de ses religieuses, l'Évangile de Pseudo-Matthieu. C’est
bien, en effet, l'apocryphe que nous désignons ainsi.
qui est mis en œuvre sous ce titre: Historia nati 4
vitatis laudabilisque conversationis intactæ Dei Genitricis
quam scriptam reperi sub nomine sancri Jacozr fratris.
Domini. P. L. t. cxxxvu, col. 1065 sq. A plus d'une
reprise, les hexamètres de Hrotswitha recouvrent à peu
prés exactement la prose de notre Pseudo-Matthieu, on

1. Voir le commentaire p. 208. :


2. P. L., t. cxx1v, col. 450 : vr idus Sept.: Nativitas beatissima Dei
genitricis Mariz perpetuz virginis. — L' Auctarium Hagenoyense ajoute:
qua inventa est per quemdam heremitam, qui audivit omnianno in ista :
nocte et non in aliis noctibus caelestem et dulcem armoniam ab angelis;
tandem quzsieit a Domino quid hoc significaret. Cui responsum est diei. |
nitus, quod beata virgo Maria mater D. N. J. C. nata est de beata Anna.
matre sua in terris,et propter hoc gauderet totus chorus angelorum et sanc-
torum in celis. Cui præceptum est cælitus ut Roman pergeret, et papæ«
illud indiceret, ut Ecclesia militans in terra gauderet illo die cum ecclesia. |
triumphante in ccelis. Et sic factum est.
D

Pre
DANS L'ÉGLISE LATINE 451

en jugera par lunique exemple que nous en donnons,


Voici la bienfaisance de Joachim:
Quidquid possedit per tres partes resecavit,
Partem dans viduis, peregrinis atque puellis,
Sæpius in templo partem famulantibus ergo,
Particulamque sux domui sereaeerat omni. .
Hoc quoque non raro faciens pietate benigna
Digne mercedem suscepit denique talem,
Ut propria substantiola bene multiplicata
Ipsius gentis proceres præcelleret omnes,
Nec sibi consimilem portaret terra potentem
Quem sic cunctarum fulciret copia rerum.
Le récit de Pseudo-Matthieu est ainsi décalqué presque
littéralement jusqu'au ch. rx. Ce dernier n'est pas repro-
duit en entier, l'épisode de la fontaine en est absent, com-
me aussi tout ce qui concerne l'annonciation, le trouble
de Joseph et les eaux d'épreuve. La poétesse s'ex-
cuse d’ailleurs de passer sous silence ces divers épi-
sodes, les deux premiers parce qu'ils sont rapportés dans
l'Évangile, le dernier parce qu'il est connu de tous. A
partir de là, reprend la suite de notre apocryphe, jusques
et y compris la fuite en Égypte et l'entrée de la sainte
famille dans le temple des idoles à Héliopolis; le tout se
termine par une apostrophe d'une quarantaine de vers
et une invocation finale; le poème comprend environ
850 vers.
Nous avons déjà eu l'occasion de mentionner les ser-
mons de FursERT DE CHARTRES (952-1028) sur la nati-
yité de la Vierge. Ils représentent au mieux l'attitude d'un
esprit cultivé du temps à l'endroit des légendes mariales.
La féte de la nativité de la Vierge vient d'étre instituée
depuis une époque assez récente, puisque Fulbert a été
le premier à la solenniser à Chartres. Plusieurs n'hési-
tent pas, en ce jour-là, à célébrer les louanges de Marie,
-en puisant leurs renseignements sur son origine dans les
livres apocryphes; quelques-uns méme lisent purement
152 HISTOIRE DU LIVRE 73

et simplement le texte de ces narrations. Fulbert est plus


hésitant. Trois de ses sermons sur la nativité de Marie
méritent une attention plus particulière. Voici ce qu’on
lit dans le premier (P. L., t. cxzx, col. 320) : « Entre tou
les saints,il convient de Scie la mémoire de la bien- -
heureuse Vierge, avec d'autant plus de fréquence et de
solennité, qu'elle a trouvé plus grande grâce auprès du.
Seigneur. Aussi, même après les fêtes plus anciennes de |
la Vierge (vraisemblablement l'Annonciation et l’Assomp-«
tion), la dévotion des fidèles n’a point été satisfaite, avant. |
qu'on n'y eût ajouté la fête de la Nativité que nous célé- |
brons aujourd'hui. En ce jour donc il semblerait qu’on
dût particulièrement lire dans l'Église le livre qui existe|
sur la naissance et la vie de la Vierge, si les Pères n'avaient |
pas jugé qu'il faut le reléguer parmi les apocryphes. Mais,
puisque tel a été l'avis des sages, respectons, comme cela
se doit, la coutume ecclésiastique, en lisant des choses |
qui lui soient étrangéres, mais non point des récits qui
lui soient opposés !. » Suit la division du sermon; Marie |
a été annoncée par les prophètes; est née d'une manière
admirable; ἃ mérité par ses vertus l’insigne honneur
d'étre mére du Sauveur. Sur le second point,il semble
bien que l'orateur tire ses renseignements de notre livre“
De natieitate Mariæ : « La bienheureuse vierge Marie est”
donc née, comme nous l'avons lu, d'un pére originaire
de Nazareth et d’une mère issue de Bethléem... Choisie
entre toutes les autres filles des hommes, ce n'est pas du
hasard qu’elle reçut son nom, ni du bon plaisir de ses pa- y
rents, mais bien d'un message divin. » Cf. De Natie., 1,
v. — Le deuxiéme sermon est beaucoup plus exph-
cite. Jbid., col. 324. « En cette fête de la Nativité, dit
Fulbert, il faut bien dire un mot de l’histoire de Marie...

1. Le texte est obseur : At quoniam magnis ac sapientibus viris ita


eisum est, nos alia quzdam sed non aliena legentes, ecclesiasticum morem -
debitis officiis exsequamur.
DANS L'ÉGLISE LATINE 153
JX

Elle est née suivant la relation et les récits des saints Pères
dans la cité de Nazareth, d’un père nommé Joachim, ori-
ginaire de cette ville, et d'Anne, originaire de Bethléem.
Leur vie était simple et droite devant le Seigneur, irré-
prochable et pieuse devant les homumes, etc. » C'est le
texte du Liber de Nativitate qui est cité intégralement pour
le 127 chapitre. Le reste de l'ouvrage est ensuite analysé
à grands traits, et le tout se termine par un bref résu-
mé de la vie de Marie, de sa mort et de sa sépulture. C'est
dire que l'homélie n'est pas autre chose qu'une vie abré-
gée de la sainte Vierge.
Au début du troisième sermon, Fulbert déclare qu'il ne
veut pas faire l'histoire de Marie, mais seulement la célébrer
par des louanges mystiques. Il voudrait bien toutefois
légitimer par des considérations historiques l'existence
de la féte qu'il a lui-méme instituée dans sa cathédrale.
Mais en lisant les anciens auteurs,il a remarqué qu'ils
étaient trés sobres sur le compte de cette admirable nais-
sance; 115 ont pris soin, s'ils en ont dit quelque chose, de
le cacher aux infidéles, afin d'éviter que le bavardage
des perfides n'en prit occasion pour transpercer le sein
maternel de l'Église. Aussi bien, ce que les hérétiques ont
pu connaître soit par des traditions, soit par des écrits
"touchant la nativité de la mére du Seigneur et l'enfance
de Jésus, ils l'ont souillé par d'habiles faussetés, en telle
maniére, que, depuis lors,les docteurs de l'Église n'osent
plus citer ces récits, bien qu'ils ne les répudient pas. Or
il existe une relation assez peu connue, qui porte en tête
le nom de l’illustre traducteur Jérôme. On y lit que le
bienheureux Matthieu, après avoir fait paraître son Évan-
gile, écrivit de sa propre main, en lettres hébraiques, l'his-
toire de la naissance de ladite Vierge et des enfances de
Jésus. Il la cachait ainsi pour que nul infidèle ne pát la
connaitre et l'attaquer de ses rires mordants. C'est cette
histoire que le susdit traducteur a mise en latin, àla de-
mande de certains personnages. Et comme cette relation
154 HISTOIRE DU LIVRE ES
n'est point insérée dans le canon de la sainte Écriture,
l'Église universelle est d'accord pour ne pas en accepter
la lecture publique, sans toutefois la rejeter parmi les
livres à repousser !. Α nous et à tous les fils de l'Église.
qu'il suffise de croire en la virginité perpétuelle de Marie.»
Saint PrerRRE Daurzx (1006-1072) adopta sensiblement
la méme attitude; sermon sur la nativité de Marie. P. L., —
t. cxrLiv, col 754. « Plusieurs, dit-il, en cherchant à
être plus sages qu'il ne convient, recherchent avec une
curiosité superflue quel fut le pére, quelle fut la mére de
la bienheureuse Marie. Mais c'est vraiment peine perdue
pour un lecteur, que de vouloir rechercher ce que l'Évan- -
géliste a estimé superflu de raconter. » Cette protestation
montre bien qu'à l'époque de Pierre Damien on se préoc-
cupait de rechercher sur les origines de Marie des rensei-"
gnements extra-scripturaires, que l'on demandait aux apo-
cryphes. Toutefois les écrivains du xi? et du xn siècle
se montrent encore fort réservés dans leur emploi. Saint
ANSELME (1033-1109), qui est amené dans le Liber de con-
ceptu virginali et originali peccato à parler dela pureté
de Marie, ne mentionne pas les légendes apocryphes, non
plus que Guiserr DE Nocenr (1053-1124) dans son livre
De laude $. Mariæ; Bruno ν᾿ Asmi (1045-1123) dans
son traité De laudibus beatissime virginis Mariz , ou Ho- -
NonRrus n'Auruw (f après 1152) dans son Sigillum.
$. Mariz. 1
Chose remarquable en effet, les traités théologiques 4
ont beau se multiplier sur la vierge Marie (et cette épo- -
que du moyen âge les voit paraître en grande abondance), -
ils se refusent à faire place aux légendes, qui, à la méme -

1. Le texte n'est pas clair, et assez mal établi, nous le lisons : Et quia
hzc relatio inter sacræ Scripturz canones non habetur inserta, ideo unani-
mis Ecclesiæ conventus (consensus?) in recitanda aperte nec omnino elegi,
nec in non recipienda rejecit, cum nonnulla reperiantur dicta. vel facta,
qua in præfala serie impossibilia videantur, qua tamen volentibus e
amantibus legere non denegat fidelium industria (?).
DANS L'ÉGLISE LATINE 455

époque, étaient chez les byzantins devenues de l’histoire


authentique. Α l'occasion on leur fait même leur procès.
Eapmer (f 1124), moine de Cantorbéry, et disciple de saint
-Anselme, a composé un Liber deezxcellentia virginis Ma-
riz; traite au chapitre τι de l’origine dela vierge Marie.
P. L., t. cuix, col. 559. « Aprés avoir parlé, dit-il, des
prophéties qui la concernent, nous pouvons bien affir-
mer que sa naissance a été précédée de quelques signes
merveilleux. Mais quels ils furent, celui-là seul le sait sans
hésitation qui, dés avant sa naissance, l'avait choisie pour
sa mére, et l'on peut bien croire, ce me semble, que ce
secret a été gardé à dessein, afin qu'en füt augmentée
la vénération des fidéles... L' Église de Dieu, en effet, n'ad-
met point comme une incontestable autorité cette his-
toire qui rapporte que la naissance de Marie fut annoncée
. par un ange. Car, bien qu'elle ait été composée par le bien-
heureux Jéróme !, d'aprés une autre histoire qu'il avait
lue dans sa jeunesse,et dont il avoue bien ne pas connaitre
l’auteur, celui-ci affirme qu'il ne l'a point écrite pour
donner la certitude des événements quiy sontrapportés,
mais simplement pour faire plaisir à des amis qui le
priaient. Dés lors, comme je l'ai dit, l'Église n'admet
point l'autorité de cet écrit, elle juge indécent de lire à
la louange de Marie quelque chose de contestable, alors
qu'il reste une si grande abondance de choses certaines. »
Ni saint BERnNAnRD, ni les Vicrorins (Hugues, Richard,
Adam de Saint-Victor), si dévoués pourtant à l'honneur
de Marie, ne se sont départis de cette attitude. Ils se préoc-
eupent d'ailleurs assez peu de fairel'histoire dela Vierge;
ee qui les intéresse, c'est de célébrerses vertus, de décrire
avec minutie les gráces que Dieu lui a faites, de chercher
dans la sainte Écriture les prophéties quis'y rapportent
et les figures qui la signifiaient à l'avance. Il serait pour-

1. Allusion à un prologue différent de la lettre à Chromatius et


Héliodore. Cf. le texte, p. 340.
156 HISTOIRE DU LIVRE

tant bien remarquable, si les apocryphes avaient été.


aussi lus qu’en Orient, si leurs légendes avaient été aussi
familières au peuple, qu'on eût pu les passer aussi complé- -
tement sous silence. Pierre Comesrtor lui-même (7 1178),
qui, dans son Histoire scolastique, entasse sur les faits
de l'Ancien et du Nouveau Testament tous les rensei- |
gnements qu'il peut trouver dans les écrivains profanes
ou sacrés, ne semble pas connaitre le Protévangile ni ses «
remaniements. Il contredit même d'une manière for-
melle la légende relative à la grotte de la nativité 1 Inu-
tile d'ajouter que les grands scolastiques du xin? siècle
n'ont point parlé de ces récits apocryphes.
C'est pourtant un de leurs contemporains qui a le plus.b
fait pour les tirer de l'oubii. VINCENT DE BEAUVAIS, en. |
les insérant dans le Speculum majus, leur a assuré le|
succès. La quatrième partie de son grand ouvrage, le
Speculum historiale?, est une histoire complète du monde, |
mais une histoire théologique, qui commence par la
Trinité, les anges, la création, l’œuvre des six jours. |
C'est au chapitre rxiv du livre VI, qu'entre l’histoire
de
Virgile et celle d'Horace, commence le récit de la nais- |
sance de la bienheureuse vierge Marie. Il est emprun- -
té au De nativitate Mariæ, dont 1] donne les trois pre- |
miers chapitres sous la rubrique Hieronymus in histo- 1
ria Joachim et Annz. Le ch. xv, qui raconte la naissance -
et la présentation de Marie au temple, est emprunté au |
méme opuscule. Par contre, c'est de Pseudo-Matthieu |
qu'est tiré le ch. Lxvi: de bona indole ejusdem Virginis, |
sous cette rubrique: Jacobus, filius Joseph, in libro de
infantia Salvatoris. Après quoi, Vincent de Beauvais re-
vient à Horace. L'histoire dela Vierge reparait au c. xxr:
De conjugio beatæ Mariæ Virginis et Joseph. La matière
en est fournie conjointement par les deux textes latins.

1. Voir le texte plus haut, p. 54.


2. Cité ici d’après l'édition de Venise, 1591. E
5r -
DANS L EGLISE LATINE 157

Le récit de l'annonciation de Marie, c. rxxvi, ne doit


rien à nos apocryphes, ce sont les sermons de saint Ber-
nard sur le Missus est, qui sont exploités. Pseudo-Mat-
thieu se retrouve au c. uxxxvirt, De descriptioneorbis et ortu
Salvatoris, et au c. Lxxxix, De duobus animalibus eum
adorantibus in præsepio. Vincent de Beauvais ne se donne
pas la peine d’accorder les données contradictoires de
notre apocryphe et de Pierre Comestor.
Presque à la méme époque, la Légende dorée de Jacques
de Voragine, archevéque de Génes (1230-1298), va popu-
lariser les mémes récits. La Légende dorée est une expli-
cation des offices ecclésiastiques, qui prétend exposer
aux fidéles les motifs de chaque solennité. Elle suit donc
l'ordre chronologique et commence par le temps de l’A-
vent. Au jour de Noël, l'auteur, aprés des considérations
empruntées à Pierre Comester sur le recensement, men-
tionne le voyage de Joseph et de Marie à Bethléem.
« Comme ils approchaient de cette ville, ainsi l'attes-
tent frére Barthélemi (?) et le récit du Liere de l'en-
[ance, la bienheureuse Marie vit une partie du peuple
dans la joie et une autre dans les gémissements, ce qu'un
ange lui expliqua ainsi : la partie du peuple qui est dans
la joie, c'est le peuple gentil, qui recevra bénédiction
éternelle par le sang d'Abraham, et la partie qui est dans
les gémissements, c’est le peuple juif réprouvé de Dieu
comme 1l l'a mérité. » Sans aucune transition suit immé-
diatement le récit de Pierre Comestor; puis viennent des
considérations d'ordre théologique sur le caractère mira-
culeux de la naissance du Sauveur. Il s’agit en partie
de l’enfantement virginal, et l’auteur en donne comme
preuve, outre les prophéties et les figures de l'Ancien
Testament, la constatation qu’en firent les deux sages-
femmes, Saloméet Zébel, le tout d’après la compilation
de Barthélemi et le livre de l'enfance du Sauveur.
Au jour de l'Annonciation, Jacques de Voragine rappelle,
en un trés bref raccourci,l'enfance et la Jeunesse de Marie:
158 HISTOIRE DU LIVRE [occ

« la bienheureuse Vierge, étant donc restée depuis la troi-


sième année de son âge jusqu'à la quatorziéme, dans le
temple avec les autres vierges, et ayant fait vœu de con-
server la chasteté, à moins que Dieu n'en disposát autre-
ment, Joseph la prit pour épouse, aprés qu'il eüt regu une
révélation divine et que son rameau eût reverdi, ainsi
qu'il est rapporté plus au long dans l'Histoire de la Nati-
veié de la bienheureuse Marie.ll alla à Bethléem d’où il
était originaire, afin de pourvoir à tout ce qui était néces-
aire pour les noces; quant à Marie, elle revint à Nazareth -
dans la maison de ses parents. »
C'est le méme opuscule De Natieitate Marie qui est
mis à contribution pour la féte du 8 septembre; dans
l'exemplaire que Jacques avait sous la main, il devait étre
précédé de la méme lettre de saint Jéróme que connaissait
déjà Fulbert de Chartres. « Pour ce qui est de l’histoire de
la nativité de la Vierge, saint Jérôme dit, dans son pro
logue,l'avoir lue dans un opuscule alors qu'il était assez
jeune, mais que ce fut seulement de longues années après,
que, sur la prière qui lui en avait été faite, illa cou-
cha par écrit de la manière qu'il se rappelait l'avoir
lue. » Suit le texte,jusqu'au moment de la présentation de
Marie au temple. À ce moment l'auteur rejoint le récit de
Pseudo-Matthieu. « Saint Jérôme, dans une épître à
Chromatius et Héliodore, dit que la sainte Vierge s'était |
tracée pour règle de passer en prière le temps depuis le-
matin jusqu'à tierce, etc. » C'est le texte plus ou moins
abrégé de Pseudo-Matthieu, c. vir. Àu contraire, avec le
récit de la consultation des prêtres sur le mariage de la:
Vierge, on voit reparaitre letexte du Liber de Nativitate. ὦ
En définitive l'auteur de la Légende dorée, tout comme Vin- ^
cent de Beauvais, disposait pour sa com les de nos
deux remaniements latins.
L'insertion de ces deux apocryphes dans des ouvrages,
qui eurent duranttoute la suitedu moyen áge uneimmense
diffusion, explique la faveur que vont rencontrer dès lors
DANS L'ÉGLISE LATINE 159

— dans tout l'Occident les légendes de la Vierge dérivées du


- Protévangile. Elles font partie désormais de l’histoire
authentique de Marie. Ce n'est pas seulement pour le
peuple, qui s'habitue de plus en plus à les voir représentées
dans les portails sculptés et les splendides verriéres des
cathédrales gothiques. À partir du x11 siècle en effet, elles
deviennent la source oü vont puiser tous les artistes,
imagiers ou verriers, en attendant que les peintres y trou-
vent les sujets de leurs tableaux. Mais les docteurs eux-
mémes finissent par les considérer comme faisant corps
avec l'histoire évangélique. Quand, au xiv? siècle, Ludol-
phe de Saxe écrira sa grande vie du Christ, il n'hésitera
pas un instant à les incorporer dans son œuvre, et nous
“avons vu comment, à la fin méme du xvi? siècle, après la
Renaissance et la Réforme, Baronius leur a consacré une
“place dans ses Annales ecclésiastiques. Ce serait donc une
tâche énorme que de relever dans la littérature du bas
moyen âge, aussi bien en langue latine qu’en langue vul-
gaire toutes les traces des légendes mariales. Nous arrête-
rons donc à la fin du xin? siècle cette brève histoire litté-
raire; elle nous a permis de constater deux faits. D'abord
que les récits du Protévangile ont eu beaucoup plus de
mal à s'aeclimater en pays latin que dans l'Orient grec.
- À l'époque où elles rencontraient pleine faveur chez les
“orateurs, les poètes et les hagiographes de Byzance, elles
sont encore inconnues, ou peu s'en faut, des écrivains
latins. C'est au xi? siècle seulement que nous trouvons les
| premiers témoignages de confiance qu'on leur accorde, en-
core se mêle-t-il à cette faveur pas mal de restrictions.
Mais brusquement à partir du xiu? siècle finissant, elles
vont conquérir la sympathie des écrivains ecclésiastiques,
et tout doucement vont s'introduire non seulement chez
les historiens et les orateurs, mais encore chez les théolo-
giens. Suarez leur empruntera en effet,au xvi? siècle,
- quelques-uns de ses plus jolis développements sur l'enfance
et la jeunesse de Marie, Est-il besoin d'ajouter que les
160 HISTOIRE DU LIVRE

suivre sur ce point les idées de ce grand maitre?


Aussi bien la liturgie semblait avoir consacré l'autorité.
de la légende. Nous avons vu comment la féte de la Nat--
vité de Marie, célébrée à Constantinople depuis le vi® siè-
cle, avait fini par s'introduire en Occident. Il semble bien
que de bonne heure on lait célébrée à Rome. Le Liber
pontificalis en fait mention dans la vie du pape Serge Ier ‘4
(687-701). Mais elle mit beaucoup plus longtemps à s'in- |
troduire dans les pays de rit gallican, méme après l'adop- |
p

tion de la liturgie romaine; Fulbert de Chartres, au début


BI

du xi? siècle, la Wi gor comme une fête récente, et


elle ne se célébrait pas avant lui dans sa cathédrale. Au | |

laires de la vierge Marie et en plusieurs églises on n'hésite |


pas à incorporer le texte de la légende dela nativité dans |
les Lectionnaires ?.
Nul n'ignore les controverses quise sont élevées autour
de la fête de la Conception de la Vierge quand elle fit son
apparition en France au xii? siècle 3. Nous avons d'au-
tant moins à y insister, que la fête du 8 décembre revêt)
en Occident un caractère tout différent de celui que nous}
avons vu en Orient. À Byzance, c’est une fête historique, ||
1. Édit. Duchesne, t. 1, p. 376 : Constituit autem ut in diebus Adnun-
liationis Domini, Dormitionis et N'ativitatis sanctæ Dei Genitricis semper-
que virginis Mariæ, ac sancli Simeonis, quod Ypapanti (ὑπαπαντή)|
Græci appellant, letania exeat a δ. Hadriaon et ad Sanctam Mariam
populus occurrat. On remarquera que le pape Serge est d'origine -
syrienne, et qu'il est né en Sicile, ibid., p. 371 : Sergius, natione Syrus,
Antiochiæ regionis, ortus in Panorma Siciliæ. -
2. E. Male, L'art religieux au Χ 1118 siècle, Paris, 1898, p. 314, cite
un Lectionnaire de Coutances et un bréviaire de Caen. — Dans le ms:
162, de Chartres, f? 56 sq., l'indication des neuf leçons est donnée en
marge du De Nativitate Mariæ. s
3. On trouvera les indications les plus récentes dans l'article de
M. Boudinhon (d'aprés Thurston) : Les origines irlandaises de la féte de la :
Conception, dans la Rev. du Clergé français, t. χχχιχ, p. 255 54., Θὲ NE Po
MR
P
Dpu

dans Lesétre, L'/mmaculée Conception etl Église de Paris, Paris, 1904


DANS L'ÉGLISE LATINE 161

on y célèbre l'heureux événement de la maternité d'Anne,


c'est la mère de la Vierge qui semble d'abord au premier
plan; le nom méme de la féte est caractéristique, c'est
la conception d'Anne. En Occident, la solennité prend
dés les débuts un caractére plus spécialement théologi-
que; c'est la fête de la sanctification de Marie dés le
premier instant de son existence. Cela explique que
|les légendes mariales n'aient point eu place dans la
liturgie de ce jour.
La féte de la Présentation de Marie, au contraire, veut
étre la commémoraison d'un événement historique.
| Jérusalem la célèbre dés le vi? siècle !, nous avons
| vu que Constantinople la connait certainement au
viru? siècle. Il faudra longtemps encore avant qu'elle
| s'établisse définitivement en Occident. C'est au xiv? siè-
| cle seulement, que Grégoire XI l'établit en Avignon, d'oü
elle se propage assez vite en France. Le 12 juillet 1472,
| Sixte IV lui accorde définitivement droit de cité. Sup-
primée en 1568 par saint Pie V ? elle est rétablie en
1585 par Sixte-Quint ?, sur les instances de nombreuses
églises. Elle faillit bien disparaître une nouvelle fois sous
Benoit XIV, et il est permis de se demander pourquoi
elle échappa alors aux critiques des historiens 4& Quoi

1. Pargoire, L’ Église byzantine de 527 à 847, Paris, 1905, p. 115.


2. P. Batiffol, Histoire du Bréviaire romain, p. 245,
3. Id., ibid., p. 250.
4. On trouvera dans Batiffol, loc. cil., c. vi, les raisons pour lesquelles
la réforme du bréviaire entreprise par Benoit XIV n'a pu aboutir. On
verra, p. 284, que la commission consultative, frappée de la difficulté
qu'il y avait à déterminer exactement, quel mystére est honoré dans la
fête de la Présentation, résolut de s'en tenir à la décision de Pie V qui
avait supprimé la féte. Plus tard elle devait revenir sur sa résolution.
ll semble bien que la commission ait prêté grande attention aux criti-
ques de Baillet, (cf. p. 49). Celui-ci avait fait remarquer dans la Vie
des saints, qu'au début la fête avait dû avoir pour objet d'honorer
la Présentation active de la Vierge, c'est-à-dire l'offrande que Marie
fait de Jésus au jour de la Purification. Aprés que ce mystère eut
PROTÉV. — 11
162 HISTOIRE DU LIVRE o

qu'il en soit, elle s'est conservée, mais sans avoir jamais


en Occident la même popularité dont elle jouit encore
en Orient. Elle est une fête du clergé beaucoup plus que
du peuple; et M. Olier, en en faisant une des grandes fête:
de sa Compagnie, a plus fait pour la sauver que tou
les hagiosraphes qui, jusqu'à nos jours, ont prétendu en
démontrer le caractére historique.
La féte de saint Joachim a subi des vicissitudes du
même genrel L'Église grecque, depuis le x? siècle au
moins, célébre au 9 septembre la mémoire des parents
de la sainte Théotokos. C'est au xvi* siècle seulement
qu'on surprend en Occidentles traces d'un culte rendu
saint Joachim. Un bréviaire romain, imprimé à Paris
en 1528, marque au 17 septembre (xv kal. oct.) le dies?
obitus de saint Joachim. Un bréviaire, édité à Venise
en 1522, sans faire mention de la mort de Joachim ax
calendrier, déclare que les Frères Mineurs fontà cette date:
l’office de saint Joachim. Un autre bréviaire, édité égales

été rattaché à la fête du 2 février, la Présentation du 21 novembre


serait devenue la commémoraison de l'acte par lequel Marie, quatre
vingts jours aprés sa naissance, fut présentée au temple par ses pas
rents lors de la Purification d'Anne. C'est plus tard seulement qu'on
aurait voulu commémorer Je fait que relate le Protévangile. Ces divers
ses interprétations écartées, Daillet concluait : « Quoi qu'il en soit de
la certitude de toute cette histoire, l’Église a consenti à l'établissement
d'une féte du titre de la Présentation de la sainte Vierge, pour
honorer, au moins d'une manière générale, l’innocence de sa vie dans”
l'intervalle d'entre sa première enfance et le temps de son annoncia-
tion. Son intention est de nous faire honorer aussi le temps auquel
Dieu a séparé cette sainte créature du grand commerce du monde
pour la préparer de bonne heure dans le secret d'une vie paisible
presque inconnue au grand ouvrage auquel il la destinait, et pour faire
de sa vertu méme dans un âge si tendre une règle de sainteté et ux
modèle qui doit être un jour imité par tous lesenfants de Jésus
Christ. » Les vies des saints, t. 111, p. 350. Peut-être est-ce cette explis
cation, qui a contribué à faire maintenir la Présentation par les
commissaires de Benoit XIV. |
1. Acta sanctorum, au 20 mars, Paris, Palmé, t. 1x, p. 77 sq.
DANS L'ÉGLISE LATINE 163

ment à Venise en 1522, donne un office propre du saint


avec cette rubrique; Julius papa II instituit. festum san-
elissumi patriarchæ Joachim, patris gloriosæ virginis Ma-
riz et avi Domini nostri J.-C., xx die Martii. deinceps
celebrari sub ritu majoris duplicis. Cet office, aussi bien
pour les lecons que pour les hymnes et les antiennes,
empruntait ses données aux livres apocryphes. Ce fut
“la cause de sa suppression par saint Pie V; dans le bré-
viaire de 1568 l'offüce disparaît, et méme le nom de
Joachim. En 1584, la féte est rétablie par le pape Gré-
goire XIII !.
Il y a des traces plus anciennes de la célébration d'une
fête de sainte Anne en Occident ?. En 1378,le pape Ur-
bain VI, à la requête des Anglais, leur permet de célébrer
solennellement cette fête en leur pays ; un demi-siècle
plus tard, un concile de Copenhague, en 1425, établit que
la fête de sainte Anne sera solennisée chaque année, le
lendemain de la fête de la Conception de ;a bienheureuse
Vierge. Comment et à quelle date la célébration a-t-elle
1| été reportée au 26 juillet, c'est ce qu'il est assez difficile
| de dire. Il est bien certain, en tout cas, que la dévotion
| à sainte Anne a été beaucoup plus populaire en Occident
“| que celle qui s'adressait à saint Joachim. Dès le milieu
du xv? siècle, sainte Anne se trouve être, du moins en cer-
"| tains pays, l'une des plus grandes saintes ; l'ordre des
7| Carmes semble avoir joué un grand rôle dans la propa-
|gation de son culte. Il nous a été impossible de vérifier
1| si les divers offices de la sainte empruntaient peu ou beau-

Ι 1. D'après Benoît XIV, De festis, Rome, 1751, p. 517. Benoit XIV


| renvoie à Thomassin, De dierum festorum celebratione, 1. II, c. xxu,
n. 11; et il ajoute : Reformatum vero et fere ex integro reconcinnatum [uit
| officium, quod eo die recitatur in ejus Sancti honorem, teste Spondano, ad
annum Christi 1662, n. 1.
2. Acta sanctorum,t. v1 de juillet, Paris, Palmé, p. 233 sq.; la notice
| eonsacrée à sainte Anne est extrémement diffuse, beaucoup moins sub-
stantielle que celle de Joachim.
164 HISTOIRE DU LIVRE

Pie V, la fête de sainte Anne reparaitra bientôt sous Gré- —


goire XIII, qui en 1584 l'impose à l'Église universelle 1.

III. Le Protévangile et ses remaniements latins


depuis la Renaissance.

C'est l'humaniste francais Guillaume Posrzr ( 1581),


qui fit connaitre en Occident le livre de Pseudo-Jacques
Il l'avait rapporté d'un de ses voyages en Orient. Ayant vu
cet opuscule en grande vénération dans plusieurs éghses |
grecques, où on le lisait publiquement, il crut à tort qu'i
était considéré comme une écriture canonique. Il lui
donna donc le nom,inconnu jusque-là, de Protévangile,«
et, dans l'enthousiasme de sa découverte, il n’hésita pass
à y voir un complément précieux des récits évangéliques
Sans lui, pensait-il, les narrations de saint Matthieu et.
de saint Luc manquent de base; le Protéeangile n'était
pas autre chose que le prologue de saint Marc. Postel
en avait préparé une version latine; ce ne fut pas lur
pourtant qui la publia, mais bien Théodore BIBLIANDER
L'humaniste francais avait confié ses papiers à unlibraire |
de Bâle, Jean Oporin (1507-1568), mais avait semblé
se désintéresser de la publication. Bibliander fit done pa“
raitrela traduction latine de Postel en 1552 sous ce titre :
Protevangelion seu de natalibus Jesu Christi et ipsius matris
virg. Mariæ sermo historicus diet Jacobi minoris. Evan
gelica historia, quam scripsit b. Marcus. Vita Marci eean-
gelistæ collecta per Theodorum Bibliandrum. Le premier |
éditeur était fidèle aux vues de Postel en joignant au.neo!
Protévangile le récit de saint Marc; il montrait d'ailleurs imer
à l'égard du texte apocryphe le méme enthousiasme que.
l'inventeur. « Si quelqu'un prétend qu'il ne faut pas νὰ ΝΣ
"

1. Benoit XIV, ibid,


imd
We
Lai
DEPUIS LA RENAISSANCE 165

mettre cet opuscule parmi les livres ecclésiastiques (inter


ecclesiastica scripta), parce que ni Jérôme, ni Eusèbe, ni
les autres qui ont traité de la vie et des écrits de Jacques
n'ont fait nulle part mention de cette histoire, il est facile
de répondre par des arguments manifestes. » Le silence,
en effet, des écrivains cités n'est pas une preuve d'inau-
thenticité; le fait, d'autre part, que le Protévangile n'est
jamais cité parmi les livres apocryphes est en sa faveur.
La concordance méme entre cet écrit et les productions
apocryphes, tels que le livre de Joachim ou dela nativité
de Marie, traduit par saint. Jéróme de l'hébreu en latin,
le livre de l'enfance du Sauveur, de la nativité du Sauveur,
etc., n'est pas un argument contre lui. Les Évangiles ne
mériteraient-ils pas croyance parce qu'ils ont été ex-
ploités par les auteurs d'apocryphes ? Rien d'ailleurs
qui dans le Protévangile soit contraire à l'histoire divine,
et l'on ne voit pas les raisons pour lesquelles les chrétiens
d'Orient auraient pu linventer de toutes piéces. Sans
doute, Bibliander ne croit pas qu'il faille ranger le livre
à côté des protocanoniques, mais 1] le mettrait volontiers
dans le nombre de ces hagiographes, où l'on plaçait des
écrits comme Tobie, Judith, la Sagesse de Salomon,
l'Ecclésiastique, les Macchabés, les IIIe et IVe livres d'Es-
dras, tous livres quilui paraissaient moins vénérables que
le Protéeangile !.
Le texte grec, que n'avait pas édité Bibliander, fut im-
primé pour la première fois par NÉANpER en 1563. à la fin
du petit catéchisme gréco-latin de Luther, en méme temps
que d'autres apocryphes de méme nature : Apocrypha;
hoc est narrationes de Christo, Maria, Joseph, cognatione et:
familia Christi extra Biblia : apud veteres tamen græcos
scriptores, Patres, historicos οἱ philologos reperta (inserto
etiam Protevangelie Jacobi graece, in Oriente nuper re-

1. Le texte de Bibliander dans Fabricius, Codex apocryphus N. T.,


2€ édit., Hambourg, 1719, p. 48-53,
166 HISTOIRE DU LIVRE

perto, necdum edito hactenus), ex Oraculorum et Sibylla


rum vocibus, gentium etiam testimoniis, denique multo-
rum veterum auctorum libris descripta, exposita et edita.
græco-latine, a Michaele Neandro Soraviense. Le texte
de Néander est réimprimé en 1567; Grynazus l’édite de.
nouveau en 1569 à Bâle, dans les Monumenta S. Patrum
orthodoxographa. i
Néander était loin de reprendre les théories de Postel”
et de Bibliander sur la valeur du Protévangile, qu'il ren
gardait seulement comme un document curieux, Les cit
ques du xvi®siècle d’ailleurs se montraient nettement défa=
vorables aux idées de Postel. SixrE DE SIENNE, Bibliotheca
sancta, l. 11, p. 86-87 (1566) rappelle que le Protépan gil
a été édité par des hérétiques, et qu'il ne mérite nul eré--
dit: Exstat nunc scriptura quedam ab hzreticis nostrorui |
temporum typis excusa quæ Protevangelium Jacobi, i
sermo historicus de nativitate Deipara inscribitur, conti à
nens historiam Nativitatis Mariæ usque ad adventum Mas
gorum, in quo inter ceteras ambigue fidei narrationes,
illud etiam adjicitur absurdissimum, nempe Josephum et
Mariam stupri et sacrilegii accusatos ex decreto sacerdow
tum simul fuisse adactos ad bibendum poculum redargu=
tionis.— La méme année HENRI EsrrENNE, dans son Traité |
préparatif à l'apologie pour Hérodote, 1566, ne veut voir.
dans le Protévangile qu'un faux issu de la plume méme.
de Postel: « Quant au contenu, il est certain qu'il a été.
forgé par un tel Genre que celui dudit. Postel, si d’ aven-
ture lui-même n'en est l’auteur, en dérision de la rell
gion chrétienne. Mais pour faire la fourbe meilleure, on y
a inséré par forme de rhapsodie quelques propos des évan-
Hat ilem, on y a en mis quelques-uns auxquels on a
vu qu'on pouvait donner couleur par quelques passages
du Vieux Testament, comme ce qui est dit des eaux de
rédargution » (p. 406 sq.). *
La thèse radicale d'Henri Estienne n’était assurément,
pas défendable. On se contenta de voir par la suite dans 1
DEPUIS LA RENAISSANCE 167

livre de Pseudo-Jacques un apocryphe sans signification: il


est mentionné sous cette rubrique par les historiens
ou les critiques bibliques. Nous avons fait remarquer
que Baronius le rejette comme apocryphe, alors qu'il
accepte, sur le témoignage de Pères grecs, nombre
de lé-
gendes qui en dérivent directement. RicHArp Simon au
contraire, sans avoir étudié de très près cette parenté, fait
observer fort judicieusement : « Si Postel s’était contenté
de dire que cet Évangile, tout apocryphe qu'il était, a
quelque autorité dans l'Église orientale, il n'aurait rien
avancé que de véritable ; car quelques grecs semblent
lefairealler de pair avec les sermons de saint Éphrem, de
saint Jean de Damas et de plusieurs autres Péres !, »
En fait, le xvii? siéclea montré peu d'intérét pour cet
apocryphe; on n'en signale aucune édition avant le Codex
apocryphus publié par FaBricrus en 1703, avec une se-
conde édition, Hambourg, 1719. Get ouvrage remarquable
renferme des apocryphes de l’Ancien et du Nouveau Tes-
tament. C'est dans la seconde partie que figure le Proté-
vangile de Jacques, texte grec de Néander et traduction
latine de Postel. Le récit est précédé des principales cita-
tions du livre tant dans la littérature ancienne que dans
les critiques plus récents, il est accompagné de quelques
notes assez sobres, mais instructives, c'est la premiére
édition scientifique de notre apocryphe.
Celle de Jones publiée à Oxford en 1726 et 1798, dans
un corpus analogue à celui de Fabricius, a plutót le carac-
tére apologétique. L'ouvrage, qui ne contient que des
apocryphes du Nouveau Testament, est intitulé :« Métho-
de nouvelle et compléte pour établir l'autorité canonique
du Nouveau Testament ?, » Jones voit dans une comparai-

1. Nouvelles obsereations sur le texte et les versions du N. T., c. 1, p. 4;


cf. Histoire critique du N. T., 1. I, c. 111, p. 32-33.
2. A new and full method of settling the canonical authority of the N. T.
To which is subjoined a vindication of the former part of St. Matthew's
Gospel from Mr. Whiston's charge of dislocations, in three volumes, by
168 HISTOIRE DU LIVRE MUT

son instituée entre les récits canoniques et les productio


apocryphes, un moyen de relever l'autorité des premiers
En 1804, A. Brincn,dans un Auctarium Codicis Ap
cryphi N. T. Fabriciani (Copenhague), donne une nouvell
édition du Protéeangile, en prenant pour base le text
de Fabricius auquelil compare celui de Grynæus, et celu
de deux mss. du Vatican. Mais cette édition est de beau-
coup dépassée par le Codex apocryphus Novi Testamenti,
publié par Tuiro à Leipzig en 1832. C'est tout d'abord
nne excellente édition critique. Faisant abstraction du.
texte publié par ses prédecesseurs, Thilo prend pour.
base de son texte un excellent manuscrit, le Paris.
1454 (C de Tischendorf), en y comparant les variantes.
de huit autres manuscrits, la version latine de Postel.
faite certainement sur un texte grec différent des mss.
connus, enfin la collation faite par Suckow du manus--
crit de Venise (A de Tischendorf). Outre l'appareil.
critique, les notes renferment de trés abondants rensei- -
gnements, et des comparaisons judicieuses avec les diffé-«
rents livres apocryphes ou canoniques : c’est un trésor |
où l'on puisera longtemps encore. —- L'éditionde TiscHEN-
ponr, 1851 et 1876, est exclusivement une édition criti--
que; la dissertation, De eeangeliorum apocryphorum ori-
gine et usu peut, jusqu'à un certain point, être considérée |
comme un essai de commentaire. Nous avons cité en leur.
lieu les différentes versions orientales qui ont paru. :
La traduction francaise de BRUNET a été faite en 1840 —
sur le texte de Thilo, la plupart des notes sont extraites
du méme ouvrage. Cette édition française, publiée de-
puis dans le Dictionnaire des Apocryphes, edit. Migne, est
singulièrement dépassée par l'étudetrés sobre de MEYER
dans les : Neutestamentliche Apokryphen de HENNECKE |
et dans le manuel correspondant qui renferme le com- |
mentaire.
the Rev. Jeremiah Jones, Oxford, at the Clarendon Press. (Titre de la
deuxiéme édition.)
DEPUIS LA RENAISSANCE 169

| Les remaniements latins ont, depuis la Renaissance,


une histoire beaucoup moins mouvementée que le Proté-
vangile. Le De nativitate Mariæ n’a jamais cessé de figu-
rer parmi les ceuvres de saint. Jéróme ; la premiére fois
qu'il paraît dans un corpus d’apocryphes, c'est dans le
Codex de Fabricius, d’où il passe dans celui de Jones, puis
dans un Corpus omnium veterum apocryphorum extra Biblia
publié par Schmidt en 1804. Thilo en donne un excellent
commentaire dans son Codex apocryphus, qui a servi
de base à l'édition française de Brunet. Tischendorf a
publié sans modification le texte latin de Thilo.
Quant au Liber de ortu beatæ Mariæ et infantia Salva-
toris, nous avons eu l'occasion de dire que, publié d'abord
par Thilo, il a été édité ensuite d'une manière trés diffé-
rente par Tischendorf; le commentaire du premier édi-
teur reste toujours à consulter.
BIBLIOGRAPHIE

I. ÉDITIONS

1. PnoTÉvANGILF

a) Texte grec.

M. Néander, Apocrypha..., inserto etiam 'Protegangelio Jacobi


grace, in Oriente nuper reperto, necdum edito hactenus..., Bále,
1564, p. 340-392.
J. J. Grynæus, Monumenta S. Patrum orthodoxographa, Bâle 3
1568.
J. A. Fabricius, Codez apocryphus Novi Testamenti, Hambourg,
1703; 2e édition, 1719.
Jones, A new and full method. of settling the canonical authority
of the N. T., Londres, 1726, t. rr.
Birch, Auctorium Codicis apoeryphi N. T. Fabriciani, Copen-
hague, 1804.
J. C. Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti, Leipzig, 1832.
C. Ad. Suckow, Protevangelium Jacobi ex codice ms. Venetiano
descripsit, prolegomenis, varietate lectionum, notis criticis instru-
ctum edidit, Breslau, 1840. Le ms. de Venise en question n'est
autre que À de Tischendorf.
Tischendorf, Evangelia apocrypha, adhibitis plurimis codicibus
gracis et latinis maximam partem nunc primum consultis atque
ineditorum copia insignibus collegi atque recensuit Constantinus
de Tischendorf, Leipzig, 1852; 2e édition, 1876.
B. Grenfell, An Alexandrian erotic fragment and other greek pa-
pyri, Oxford, 1896.

b) Version syriaque.

W. Wright, Contributions to the apocryphal literature of the N. T.,


Londres, 1865.
A. Smith Lewis, Studia Sinaitica, n. xi, Apocrypha syriaca,

Re
172 BIBLIOGRAPHIE

The Proteeangelium Jacobi and Transitus Marix, Londre


et Cambridge, 1902.
E. A. W. Budge, The history of the blessed Virgin Mary, Lon-«
dres, 1899.
c) Version éthiopienne.

Chaine, Liber nativitatis Mariæ ; interpretatus est Marius C., dans


le Corpus Seriptorum orientalium, Paris, 1909.

d) Version arménienne.

F. Conybeare donne une traduction anglaise des premiers chapi-


tres dans American Journal of Theology (1897), t. 1, p. 424-442, à
Protevangelium Jacobi, from an Armenian Manuscript in the
library of the Mechitarist in Venice 3

e) Fragments sahidiques.

F. Robinson en publie le texte et une traduction anglaise dans ἢ


Coptic apocryphal Gospels, de la collection Texts and Studies, «
Cambridge, 1896, t. 1v, 2. i

2. REMANIEMENTS LATINS

Le Liber de ortu beate Mariæ et infantia Saleatoris, dans Thilo |


et dans Tischendorf, loc. cit. 1
Oscar Schade, Liber de infantia Mariæ et Christi Saleatoris, «
Halle, 1369.
Le Liber de nativitate Marie, dans les différentes éditions de
saint Jéróme, dans Fabricius, Thilo et Tischendorf, loc. cit.

IT. TRADUCTIONS

1. PROTÉVANGILE

a) Postel en donne une version latine dans Protevangelion seu


de natalibus Jesus Christi et ipsius matris virginis Mariz ser-
mo historicus divi Jacobi minoris, publié par Théod. Bibliander,
Bâle, 1552.
Traduction latine dans Néander. Grynæus, Fabricius, Thilo,
reprennent la version de Postel.
BIBLIOGRAPHIE 173

b) Traduction anglaise dans B. Harris Cowper; The apocryphal


Gospels and other documents relating to the history of Christ,
Londres, 1867.

c) Traductions allemandes.

K. F. Borberg, Bibliothek der neutestamentlichen Apokryphen


gesammelt, übersetzt und erlaütert, Stuttgart, 1841.
E. J. Lützelberger, Das Protevangelium Jacobi, zwei Evangelien
der Kindheit Jesu und die Akten des Pilatus, Nuremberg, 1842,
R. Clemens, Die geheimgehaltenen oder sogenannten. apokryphen
Evangelien, Stuttgart, 1850, t. 11, p. 5-88.
A. Meyer, dans Hennecke, Neutestamentliche Apokryphen in
deutscher Uebersetzung und mit Einleitungen, Tubingue et Leip-
zig, 1904.

d) Traduction francaise.
G. Brunet, Les Évangiles apocryphes traduits et annotés d'après
l'édition de Thilo, Paris, 1849 ; rénmprimé dans Migne, Dic-
tionnaire des apocryphes, Paris, 1856, t. 1, p. 961 sq.

2 REMANIEMENTS LATINS

Traduction française dans Brunet.

Ill. TRAVAUX DIVERS

1. OUVRAGES GÉNÉRAUX

a) Les ouvrages généraux consacrés à l'ancienne littérature chré-


tienne ont tous des renseignements plus ou moins complets sur
le Protévangile. Voir en particulier :
A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur bis Eusebius,
{re partie, p. 19-21; 2€ partie, Chronologie, p. 598-603.
Th. Zahn, Geschichte des neutestamentlichen Kanons, 11 Band,
p. 774-780, et passim; Forschungen zur Geschichte des N. T.
Kanons, t. vi.
A. Ehrhard, Die altchristliche Litteratur und ihre. Erforschung
- von 1884-1900, p. 142-144.
174 BIBLIOGRAPHIE

O. Bardenhewer, Geschichte der altkirchlichen Litteratur, t. i


p. 403-407. |
b) Il y a aussi des renseignements importants à puiser dan
les hagiographes; en particulier:
Acta sanctorum, au 19 mars, 20 mars (ancienne fête de saint
Joachim), 26 juillet, 8 septembre.
A. Baillet, Les vies des saints, composées sur ce qui nous est resté:
de plus authentique et de plus assuré de leurs histoires, disposées
selon l'ordre des calendriers et des martyrologes, Paris, 1701, —
3 in-f°; aux mêmes dates que ci-dessus. Ir
Benoît XIV, De festis, dans Opera, Rome, 1751, t. x. i
c) dans les historiens et les critiques ecclésiastiques; en parti- -
culier : 1
Baronius, Apparatus ad Annales ecclesiasticos, n. Xxx-LXIX,
et Annales elles-mêmes, Lucques, 1738, t. 1, p. 1-3.
Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des
sir premiers siècles, t. 1, c. 11, la sainte Vierge; et les notes.
correspondantes. €
d) dans les critiques bibliques, anciens ou récents, en parti- à
culier : 4
Sixte de Sienne, Bibliotheca sancta, |. II, Paris, 1610, p. 86-87. à
Ellies du Pin, Prolégoménes sur la Bible, t. 11, p. 87-126.
Richard Simon, Histoire critique du texte du Nouveau Testament,
c. IH, vit, viii; — et Nouvelles observations sur le texte et les
versions du N. T., c. 1, p. 4. 1
Dom Calmet, Dissertation sur les Evangiles apocryphes en tête
du tome vir du Commentaire, 17€ édition, 1707-1716.
Les différentes introductions au Nouveau Testament.
Les différentes encyclopédies bibliques.

2. OUVRAGES PARTICULIERS

Beausobre, Essai critique de l'histoire de Manichée et du mani- —


chéisme, Amsterdam, 1734, t. 1, p. 335-407. Des apocryphes |
qu'on dit avoir été supposés ou falsifiés par les manichéens, -
J. F, Kleuker, Ueber die Apokryphen des N. T., oder über den
Ursprung, Inhalt und Zweck der mancherlei auf die eeange- |
lische Geschichte und Lehre mehr oder weniger Beziehung has «
benden, theils unzuverlässigen, theils absichtlich erdichteten ὦ
BIBLIOGRAPHIE 475

Schriften, in Vergleichung mit denjenigen Urkunden des Chris-


tenthums, deren apostolischer Ursprung und Zweck aus innern
und aussern Gründen erweislich ist, Hambourg, 1798,
Arens, De evangeliorum apocryphorum in canonicis usu. historico,
critico, exegetico, Góttingen, 1835.
Pons de Négrepelisse, Recherches sur les apocryphes du Ν. T.,
| thése historique et critique, Montauban, 1850.
| Hofmann, Das Leben Jesu nach den Apokryphen im Zusammen-
hange aus den Quellen erzühlt und svissenschaftlich untersucht,
| Leipzig, 1851.
| Hilgenfeld, Kritische Untersuchungen über die Evangelien Jus-
| tins, Halle, 1850.
| Tischendorf, De evangeliorum apocryphorum origine et usu,
|^ La Haye, 1851.
| C. J. Ellicott, Dissertation on apocryphal Gospels, Cambridge, 1856.
| Hilgenfeld, dans Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie, 1865,
| — Heft 3; 1867, Hett 1.
| Nicolas, Etude sur les Évangiles apocryphes, Paris, 1866.
©. Schade, Narrationes de vita et conversatione B. M. V. et de
pueritia et adolescentia Saleatoris, Halle, 1870.
| Variot, Etude sur l'histoire littéraire, la forme primitie et les trans-
| formations des Évangiles apocryphes, Paris, 1878.
Lipsius, article Gospels apocryphal, dans Smith and Wace, Dic-
tionary of christian Biography, 1882, t. 11, p. 702 sq.
F. A. v. Lehner, Die Marienverehrung in den ersten Jahrhunder-
ten, Stuttgart, 1881.
| A. Tappehorn, Ausserbiblische Nachrichten oder die Apokryphen
über die Geburt, Kindheit und das Lebensende Jesu und Marii,
Paderborn et Munster, 1855.
L. Conrady, dans T'heologische Studien und Kritiken, t. rxx
(1889), p. 728-784.
Ch. Bost, Les Évangiles apocryphes de l'enfance de J.-C. avec une in-
troduction sur les récits de Matthieu et de Luc, Montauban, 1894.
A. Berendts, Studien uber Zacharias Apokryphen und Zacharias-
Legenden, Leipzig, 1895, cf. Analecta Bollandiana, t. xv1 (1907),
p. 92-93. "ns
| A. Resch, Das Kindheitseeangelium nach Lucas und Matthüus
unter Herbeiziehung der aussercanonischen Paralleltexte, dans
Texte und Untersuchungen. 1897, t. x, fasc. 3.
176 BIBLIOGRAPHIE

L. Conrady, Die Quelle der kanonischen Kindheitsgeschichte


Jesus, Güttingen, 1900. :
E. Lucius, Les origines du culte des saints dans l'Église chré 4
tienne, (édition allemande, 1904), traduction française, Paris
1908.
Commentaire de Meyer dans E. Hennecke, Handbuch zu den neu-
testamentlichen Apokryphen, Tubingue, 1904.
J.-C. Broussolle, Études sur la sainte Vierge: 1. De la Conceptio
immaculée à l'Annonciation angélique; 2. De la Visitation à la
Passion, Paris, 1908, donne une première orientation a
point de vue de l'iconographie du Protévangile et de ses rema-
niements latins.
E. Neubert, Marie dans l Église anténicéenne, Paris, 1908.
E. Tisserant, Ascension d'[saie, Paris, 1909.

ABRÉVIATIONS ET SIGNES CRITIQUES

Thilo Thilo, Codex apocryphus Novi Testament, |Lipsi


1832.
Fabricius Fabricius, Codex apocryphus Νονὶ Testamenti, edit.
28. Hambourg, 1719.
Meyer Commentaire du Protévangile, dans Hennecke, Hand-
buch zu den N. Testamentlichen Apocryphen, Tubin 1
gue, 1904.
Eth. Version éthiopienne d'aprés la traduction de Chaine.
Sah. Fragment sahidique, cf. Introduction, p. 69 ἢ
Syr. Version syriaque publiée par Mrs. Lewis, Studia Si
naitica, t. XI. 1
A, B,C, Mss. du texte grec, cf. Introduction p. 63; Fa — le
texte grec de Fabricius. F^ — Vaticanus 455. H
Pos. Version latine de Postel; cf. Introduction, p. 164.
(0 Mots ajoutés dans la traduction pour σε du.
texte.
[4 Interpolations. :
H
I
1
:
n
DA
LE PROTÉVANGILE

PRhoTÉv. — 12
lENNHZIZ MAPIAX ΤῊΣ ATIAX @EOTOKO!

KAI YIIEPENAOEOY MHTPOS IHZOY ΧΡΙΣΤΟΥ͂ E

I.4. ' Ev «atc ἱστορίαις τῶν δώδεχα φυλῶν τοῦ ᾿Ισραὴλ ἦν


᾿Ιωακεὶμ πλούσιος σφόδρα. xal προσέφερε τὰ δῶρα αὐτοῦ

1 C’est le titre de E. Tischendorf le donne, comme étant le plus


simple.
Titres des principaux mss. grecs : On peut les grouper de la
maniére suivante:
a) Ceux qui ne mentionnent pas Jacques :E, C : διήγησις xal
ἱστορία πῶς ἐγεννήθη ἡ ὑπεραγία θεοτόχος cic ἡμῶν σωτηπ
ρίαν. — Ο: λόγος ἱστοριχὸς δηλῶν τὴν σύλληψιν xal ἀπότε-
ξιν τῆς ὑπ. θεοτόχου x. τ. À. — 1: λόγος ἱστοριχὸς εἰς τὴν.x
το ἃ:
b) Ceux qu le mentionnent a) sans lui donner aucun titre
distinctif: H : ἱστορία παλαιὰ συ ρθη σα (sic) παρά τινος πα
λαιοῦ ἀνδρὸς ᾿Ιαχώθου εἰς τὸν δίχαιον ᾿Ιωσὴφ xot εἰς τὴ
Μαριὰμ, περὶ τῆς γεννήσεως τοῦ Χριστοῦ. — Fe ἱστορίαι
᾿Ιαχώθου εἰς τὴν γένεσιν τῆς παναγίας θεοτόχου.ι — G : λό:
yog. ἱστοριχὸς τοῦ «ἁγίου ᾿Ιαχώδου x. v. À — b) en lus
donnant le titre d'apótre, et de frère du Seigneur: À, B, D, M, L,
— d'archevéque de Jérusalem : A, P.
Postel semble avoir fabriqué lui-même le titre "— |
πρωτευαγγέλιον ἢ περὶ γεννήσεως Incoù Χριστοῦ xol τῆς
μητρὸς αὐτοῦ τῆς ἀειπαρθένου Μαρίας λόγος ἱστοριχὸς ἁγίου
᾿Ιαχώθου τοῦ μείονος, συγγενοῦς τε xal ἀδελφοῦ τοῦ Κυρίου
Ἰησοῦ, ἀποστόλου πρώτου xal ἐπισχόπου πρώτου χριστιανῶν
τῶν ἐν ᾿Ιερουσαλήμ..
Syr. : Au nom de la Sainte Trinité, une en essence, nous com-
mencons à écrire le livre de l’histoire de la Mère de Dieu, Marie,
depuis le jour de sa naissance jusqu’au jour de sa sortie de ce
monde. Que sa prière soit avec nous. Amen, Amen. — Livre pre
NATIVITÉ DE MARIE, LA SAINTE THÉOTOKOS,

LA TRÈS ILLUSTRE MÈRE DE JÉSUS-CHRIST.

I. 1. (Voici ce qu'on lit) dans les histoires des douze tribus


d'Israél. Il y avait un homme appelé Joachim, riche à
l'excés, et 1l apportait ses offrandes en double, disant : Le
ES

mier : sur ses parents et aussi sur son annonciation par l'ange.
Eth. : Liber natieitatis Mariz. — Incipiamus, cum auailio
domini nostri J. C., conscribere librum nativitatis Mariæ dominæ
nostre, matris Dei sancta.

La division en chapitres est due à Fabricius ; la division en versets


à Tischendorf. — Les titres s1 divers que portent les mss. n'ont au-
eune. garantie d'authenticité. Origène connaît le livre sous le nom de
βίόλος ’Iaxw6ou; cf. p. 82, Le nom qui lui est donné à partir du rv®
siècle, c'est l'Histoire (ï, ἱστορία), quelquefois aussi les orateurs grecs
le désignent par les premiers mots. Nulle part chez les Grecs il n'est
appelé évangile. Ce mot ne se trouve que chez les Latins: décret de
Gélase : Evangelium nomine Jacobi minoris apocryphum.
- I.1. La première phrase grecque n'est pas facile àcomprendre; la le-
con est cependant très ancienne, c'est celle de tous les mss. et de toutes
les citations, particuliérement nombreuses pour les premiers versets.
Seul Ps.-Eustathe supprime ἐν ταῖς ἱστορίαις. C'est ce qu'a fait
également l'éthiopien ; le syriaque plus radical a supprimé tout le
premier membre. On a cherché à expliquer ces ἱστορίαι de différentes
façons. Fabricius conjecture ὑστεραίοις : « parmi les survivants des
douze tribus. » Conjecture arbitraire. Les Péres grecs ont tous lu
ἱστορίαις. Georges de Nicomédie, P. G.,t. c, col. 1384, l'explique par
ἐν ταῖς γενεαλογίαις, ce qui ne donne pas encore un sens très clair, à
moins que l'on n'interpréte le mot au sens matériel, d'un livre contenant
la généalogie des douze tribus. L'auteur voudrait garantir l'authenti-
cité de sa narration, en exprimant qu'il a tiré les noms et qualités de
180 PROTÉVANGILE DE JACQUES
ἔσται τῆς περιουσίας μου παντὶ τῷ λαῷ, xal
ἀ φέσεώς μου κυρίῳ εἰς ἱλασμὸν ἐμοί 2.
ΕΣ ας , , Le * A 2 [4 2

Ἤνγγιχεν δὲ ἡ ἡμέρα χυρίου ἡ μεγάλη, καὶ προσέφερον.

1 Tous les mss. grecs donnent sensiblement de la méme manière!


la première phrase.— Syr. : Il y avait un homme dont le nom était
Yonakir, qui était riche à l'excés dans la crainte de Dieu et il
apportait ses offrandes en double au Seigneur, disant en lui-même :
— Eth.: Erat quidam homo e XII tribubus filiorum Israel, cui.
nomen Joachim, e stirpe David. Valde dives erat et cum sacrificium.
domino offerebat, duplex illud faciebat. Nemo erat qui faceret sicut.
ile ex filiis Israel. Ipse enim secum reputans dicebat.
? Au lieu de περιουσίας, attesté par presque tous les mss. et quel-
ques citations patristiques, E, M et Fa donnent περισσείας.
Syr. : le surplus que j'offre sera pour tout le peuple, et cette por
ton que je dois d’après la loi, je l'offre au Seigneur pour qu'elle me.
serve de propitiation. — Eth. a une leçon trés différente : Hoc -
sacrificium meum si pro omnibus filis Israel, ut eis condonet domi
nus omnia delicta eorum.

Joachim d'un registre public. C'est l'interprétation qu'admet Thilo.


aprés Néander. Fabricius conjecture que l’imparfait 7» vise le fait
qu'au temps de l’auteur supposé, le registre en question n'existait
plus ayant été brûlé par ordre d'Hérode comme en témoigne Jules.
Africain dans la lettre à Aristide conservée par Eusébe, H. E., I, vu
13. Mais toutes les explications précédentes ne rendent pas exactes
ment compte du texte grec. La traduction que nous proposons est celle
de Meyer; on pourrait dire plus simplement : « D’après les histoires |
des douze tribus, Joachim était un homme riche; » que le mot his
toires vise un texte écrit, ou qu'il se réfère simplement à des tradition
orales. On remarquera en toute hypothése le soin que prend l'auteu
de s'abriter derrière un document.
'"Ioxxsíp; les mss. grecs donnent tous cette forme, mais le texte des
Septante connaît aussi les formes ’lwaziu (IV Reg., xxii, 36) et ᾿Ιωαχί
(ibid., xxiv, 8) qui traduisent respectivement Yehóyáqim et Yehó-
yáqin. Ce nom est le méme que celui d'Elachim ; dans Judith zv
ces mots s'interchangent, d'oü le nom d'Héli, que des légendes la-
tines postérieures donneront au père de la Vierge. C'est une maniéreé
I, 1-2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 181

surplus de mon offrande sera pour tout le peuple, et ce que


je dois offrir pour la rémission de mes péchés sera pour le
Seigneur, afin qu'il me soit propice.
2. Or le grand jour du Seigneur était arrivé, et les fils

d'accorder le récit du Protévangile avec celui de Luc, 111, 23, interprété


comme si la généalogie était celle de la Vierge. Le syriaque appelle le
méme personnage Yónakir. D'aprés le fragment sahidique, le nom
de Joachim était autrefois Cléopas. Ce changement de nom doit tenir
à des combinaisons généalogiques analogues à celles que l'on retrou-
vera plus tard chez les Grecs etles Latins. On remarquera que le grec
ne dit pas un mot de la tribu à laquelle appartient Joachim. Les ver-
sions postérieures ont ajouté : eth. : de la race de David ; sah. : dans la
race du roi David, fils d'Isai; de même les remaniements latins. C'est
à une époque où la descendance davidique de Joseph ne suffit plus à
assurer l'origine davidique de Jésus. Joachim est extrémement riche;
c'est une réponse directe aux accusations juives sur la pauvreté de
Marie.
L'imparfait προσέφερε est un imparfait d'habitude : quand Joa-
chim offrait un sacrifice, il donnait le double de ce qui était exigé. Et
cela dans un but de bienfaisance. Ce qui est prescrit par la loi pour
son expiation personnelle, il l'offre au Seigneur afin d’être pardonné,
le surplus est pour le peuple ; non point offert en sacrifice pour lui,
comme le comprend l'éthiopien, mais est donné au peuple. C'est ainsi
qu'a compris Georges de Nicomédie, P. G., t. c, col. 1541. « De méme
qu'il est juste d'offrir à Dieu les offrandes prescrites par la loi, de
méme il est raisonnable de donner au peupleetaux malheureux tout
ce qui est superflu. » C'est ce qu'ont également compris les remanie-
ments latins.
2. Quel est ce grand jour du Seigneur ? Aucune indication ne permet
de le conjecturer. Dans Joa., vir, 37,le dernier jour de la solennité
appelée fête des Tabernacles est désigné sousle nom de ἡ ἡμέρα μεγάλη
τῆς ἑορτῆς. Rien n'indique que cette fête soit visée ici, il s'agit d'une
fête juive quelconque. L'auteur imagine qu'en ce jour tous les Israé-
lites venaient l'un aprés l'autre apporter leurs offrandes. En sa qualité
d'homme riche et bienfaisant, Joachim pouvait avoir des droits à se pré-
senter le premier, il en est empêché par un certain Ruben; s'agit-il
d'un officier du temple préposé au bon ordre de la cérémonie ? cela
n'est pas indiqué. La lecon qui y voit le grand-prétre est tout à fait
isolée. Il peut s'agir tout aussi bien d'un simple particulier, qui, fier
de sa nombreuse postérité, méprise Joachim. Les commentateurs grecs
182 PROTÉVANGILE DE JACQUES 1124
o! υἱοὶ ᾿Ισραὴλ τὰ δῶρα αὐτῶν ᾿. Kal ἔστη χατενώπιον αὐτοῦ
ἱΡουθὶμ 2 λέγων οὐχ ἔξεστίν cot πρῶτον 3 προσενεγχεῖν
τὰA δῶρά
S— _
cou, χαθότι
/
σπέρμα
,
οὐχ, ἐποίησας
: !
ἐν
3
τῷ- , Lot1
ραήλ. 3. Kat ἐλυπήθη ' Ioaxely σφόδρα, xal ἀπίει elc τὴν 50-9
δεχάφυλον τοῦ λαοῦ λέγων θεάσομαι τὴν δωδεχάφυλον τὸ
᾿Ισραὴλ, εἰ ἐγὼ μόνος οὐχ ἐποίησα σπέρμα ἐν τῷ ' Iopafj A53
Καὶ ἠρεύνησε, xal εὗρε πάντας τοὺς διχαίους ὅτι σπέρμα
ἀνέστησαν ἐν τῷ ᾿Ισραήλ % Καὶ ἐμνήσθη τοῦ πατριάρχου
9 , , - I , 6 K M , , - ,

᾿Αθραὰμ, ὅτι ἐν τὴ ἐσχάτῃ ἡμέρᾳ 7 ἔδωκεν αὐτῷ ὁ θεὸς υἱὸν


τὸν Ισαάχ. 4. Καὶ ἐλυπήθη ᾿Ιωαχεὶμ σφόδρα, καὶ οὐκ ἐφάνη

1 Fa, Fh. L'ajoutent : et Joachim apporta aussi ses offrandes —


? Orthographe divergente Ρουδίμ,, ἹΡουδείμ,,, Poubty, Ρουδήν.
— Fa ajoute: le grand-prétre. — Syr. : Rubil. — Eth. : Robel.
3 Au témoignage de Georges de Nicomédie(P. G., t.c, col. 4341,
1384), le texte courant ne portait pas πρῶτον, toutefois quelques
mss. lisaient πρώτῳ Où πρῶτον. Ce sont les leçons des divers mss«
actuels, qui donnent de plus πρότερον, πρώτως, πρῶτος ; le syria=
que a traduit : avant mol. z
4 C, O, et Syr. ajoutent : dans sa maison. — Eth. supprime touts
l'épisode de la consultation des registres. j
? Quelques mss. simplifient et lisent : « je verrai si vraiment,
etc. » D : πῶς ἔσομαι τῶν ιβ΄ φυλῶν τοῦ λαοῦ. — Syr. a une
leçon i : et il dit aux douze tribus : « Est-ce que mom
seul je n'ai pas engendré de postérité en Israél ? » ]
$ C’est la leçon la plus courante :A seul lit :διδόντας io
ἐν τῷ [ηλ. — Syr. : et il regarda et il rechercha, et il fit des recher- —
ches, et il trouva que dans les générations du passé tous les e
tes... Eth.: Et cepit cogitare intra se dicens : « Ecce, omnes filii —
Israel posteritatem habent et liberos, ego vero non habeo.» 4
inde recogitabat de justis et. bonis eiris, quod nempe progeniem ete
liberos habuerunt. |
7 D, Fa, Pos :ἐν ταῖς ἐσχάταις αὐτοῦ ἡμέραις, ---À seul lit: |
ἐπ᾿ ἐσχάτου τῶν χρόνων. — Syr. : et il se souvint du pad
triarche Abraham et de Sarah sa femme. — Eth. : tum Alrolam
proaei nostri meminit. A
yj
a. 2-4 PROTÉVANGILE DE JACQUES 183
d'Israél apportaient leurs offrandes, et Rubim se dressa en
face de lui, disant : « Il ne t'est pas permis d'apporter tout
d'abord tes offrandes, parce que tu n'as pas engendré de
postérité dans Israél.»3. Et Joachim fut vivement con-
tristé, et 1] s'en alla au (registre des) douze tribus du peuple,
se disant: « Je verraile (registre des) douze tribus d'Israél,
(et je saurai) si moi seul je n'ai pas engendré de postérité
en Israël.» Et il chercha, et il trouva que tous les justes
avaient suscité une postérité dans Israël. Et il se souvint
du patriarche Abraham; c’était dans ses derniers jours que
- Dieu lui avait donné un fils, Isaac. 4. Et Joachim fut

y ont vu un représentant de la tribu de Ruben; l’action de ce person-


nage est symbolique; elle représente l'opposition entre la tribu à qui
devait revenir le droit d'ainesse et la tribu de Juda, d’où sort le
Christ. Le reproche qui est fait par Ruben à Joachim est bien confor-
me aux idées juives; la privation d'enfants est considérée comme une
opprobre; des textes postérieurs y verront l'effet d'une malédiction
et invoqueront à l'appuicertains passages de l'Écriture. Cf. De nativit.,
I7. Ὡς
3. Ainsi couvert de confusion, Joachim se demande si vraiment, seul
entre tous les justes, il n'a point eu de postérité. La leçon du Syr.,
d'aprés laquelle il se retire dans sa maison est moins naturelle quel'au-
tre; ce n'est pas chez lui qu'il peut s'informer de ce qui l'intéresse.
On ne comprend guére non plus un discours adressé aux douze tribus.
Au contraire le δωδεχάφυλον s'expliquerait très bien d'un registre, renfer-
mant les généalogies des douze tribus. Sans doute le méme mot désigne
dans le N. T. (Act., xxvr, 7,) et dans Clément Romain, I Cor., rv, 6, l'en-
semble des douze tribus, maisil est au neutre. Ici, c'est un adjectif pré-
cédé de l'article féminin, on pourrait sous-entendre βίδλος, L'auteur
s'imagine qu'il existe quelque livre de ce genre dans un local du temple.
Les recherches de Joachim lui montrent qu'en effet tous les justes ont
- suscité une postérité en Israël, σπέρμα ἀνέστησαν. L'expression est clas-
- sique dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Cf. Gen., xxxvii, 8,
et Matth., xx11, 24. — Toutefois une lueur d'espérance vient traverser
- l'esprit de Joachim, il se rappelle qu'Abraham n'a eu son fils Isaac
que dans son extréme vieillesse; il peut donc espérer, lui aussi, que Dieu
aura pitié de lui.
4. C'est ce qui explique en partie sa résolution de se retirer au désert,
184 PROTÉVANGILE DE JACQUES I, 4 - 1,

τῇ γυναιχὶ αὐτοῦ" ἀλλ᾿ ἔδωχεν ἑαυτὸν εἰς τὴν ἔρημον ! χἀχεῖ


ἔπηξε τὴν σχηνὴν αὐτοῦ, xal ἐνήστευσεν ἡμέρας τεσσαράχοντα
# A -

II, 4. Ἢ δὲ γυνὴ αὐτοῦ "Avva δύο θρήνους ἐθρήνει xat?


δύο χοπετοὺς ἐχόπτετο, λέγουσα᾽ χόψομαι τὴν χηρείαν μου;
χόψομαι xai τὴν ἀτεχνίαν μου 9. 2. Ἤγγισεν δὲ ἡ ἡμέρα κυρίου

ΤΡῸ: εἰς τὴν ὀρεινήν. — Syr.: et il n'alla plus dans sa maison,


mais il se rendit dans le désert.
— Arm. : « Et il passa en prières
trente jours et trente nuits, implorant et ne vivant que de pain et È
d'eau, et il s’assit et supplia Dieu.» Mais un peu plus loin, on voit
que c'est à la fin du jeüne de 40 jours que lui apparait l'ange. d
? D : ἐπιδλέψηται, ait jeté les yeux sur moi. — Syr. lit aussi M
m'ait visité. ?
3 Syr. : Or Anna sa femme était assise, se lamentant, et elle se
lamentait d'une double lamentation, et disait.

. €
S'il agit ainsi, ce n’est pas seulement pour ne plus voir sa femme, ce qui 4,
augmenterait sa peine, c'est encore et surtout pour supplierle Seigneur
et obtenir de lui un signe lui témoignant que sa prière a été exaucée: 4
Le désert, ce n'est point une région aride, c'est la plaine herbeuse, où l'on
mène au loin paître les troupeaux; les remaniements latins mettront
Joachim en relation avec les pasteurs, qui sont ses serviteurs. Le site -
du désert n'est pas indiqué, on ne sait pas davantage où demeurait 2
Joachim, la géographie de l'auteur est tout à fait incertaine. Joa-
chim jeünera quarante jours et quarante nuits comme ont fait autre- M
fois Moïse (Ex., xxrv, 18) et Elie (I Reg., x1x, 8), comme fera plus tard |
le Christ. S'agit-il d'un jeüne absolu ? L'expression de l'auteur, et la
comparaison avec les textes de l'Ancien et du Nouveau Testament sem-
bleraient l'indiquer; la recension arménienne a trouvé ce jeüne trop
austère; elle accorde à Joachim du pain et de l'eau. Dans les autres tex-
tes, c'est la prière qui doit servir à Joachim de nourriture et de breu-
4
EE
- TI.2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 18!

vivement contristé, et il ne parut plus devant sa femme,


mais il se rendit dans le désert, et y planta sa tente, et 1]
jeûna quarante Jours et quarante nuits, se disant en lui-
méme : « Je ne descendrai, ni pour manger, ni pour boire,
à x rco uod hl d DEM :
jusqu'à ce que m'ait visité le Seigneur mon Dieu, et la
prière me sera nourriture et breuvage. »

II. 4. Or Anne sa femme faisait une double lamentation


et exprimait violemment son double chagrin, disant :« Je
pleurerai mon veuvage; je pleurerai ma stérilité. » 2. Or

vage. Cette trés jolie expression est une réminiscence directe de Joa.,
1v, 34. « Ma nourriture, c'est de faire la volonté de mon Père. » Cf.
aussi Jerem., xv, 16. « Dès que tu m'as communiqué tes paroles, je les
ai dévorées; elles sont devenues ma joie et l'allégresse de mon cœur. »
Joachim attend done dans la solitude la visite du Seigneur, c'est-à-
dire un messsage lui annoncant que sa priére a été exaucée.
II. 1. La présentation d'Anne est encore plus sobre que celle de
Joachim; l'auteur, sans nous rien dire de son passé, se contente de nous
montrer son chagrin; et cela avec un art gracieux, en utilisant les peti-
tes cireonstarces de la vie domestique. Le nom d'Anne est emprunté
à I Sam., 1 ; comme la mère de Samuel, la mère de Marie sait exprimer
en vers ses sentiments intimes, et l'auteur nous donne uneidée de la
plainte monotone qui s'échappe de ses lèvres. Les mots θρήνους θρηνεῖν,
χοπέτους χόπτεσθαι sont des expressions hébraiques ; mais elles ne
supposent pas, comme le veut Conrady,un original hébreu; l'auteur
a pu très simplement les emprunter au grec des Septante. (Cf. Gen.,
L, 10; II Sam., τὶ 17; Zach.. xir, 10. D'ailleurs semblable tour-
nure n'est pas inconnue dans le grec classique (Meyer cite lliade,
xxiv, 722: θρηνεῖν ἀοιδήν).
2. Le jour du Seigneur n'est pas désigné: Hofmann, qui rattachait
l'incident de Joachim insulté dans le temple à la fête du grand par-
don, veut voir ici la fête des tabernacles, qui suivait de près; mais
il ne faut pas chercher tant de précision dans notre auteur, et d'ail-
leurs le texte suppose entre les deux solennités
un intervalle plus grand
que celui qui séparait légalement ces deux fétes. Meyer voit dans
le nom de la servante une allusion à la suivante de Judith, l'héroine
^de Béthulie; on ne saisit pas très bien le rapprochement. « Affliger,
abaisser son àme » est encore une expression empruntée aux Septan-
186 PROTÉVANGILE DE JACQUES dLB

ἡ μεγάλη, xol εἶπεν ’Ioudl0


1 ἡ παιδίσχη αὐτῆς ἕως πότε
ταπεινοῖς τὴν ψυχήν σου : ἰδοὺ ἤγγιχεν ἡ ἡμέρα κυρίου
μεγάλη, xal οὐκ ἔξεστίν σοι πενθεῖν᾽ ἀλλὰ λάθε τοῦτο
χεφαλοδέσμιον, ὃ ἔδωχέν μοι ἡ κυρία τοῦ ἔργου, xal οὗ
, ^ ξὲ 14 € , Ce ΑΝ

" , D 4 CS H - ,
ἔξεστίν μοι ἀναδήσασθαι αὐτὸ, χαθότι παιδίσχη εἰμὶ, x0
χαραχτῆρα ἔχει βασιλιχόν ?. 3. Καὶ εἶπεν Αννα΄ ἀπόστηθ
ἀπ᾿ ἐμοῦ, xal ταῦτα οὐχ ἐποίησα, xal κύριος ἐταπείνωσέν

1 Grande diversité dans le nom: 'loó0, ᾿Ιουθί, ᾿Ιουθίνη,


᾿Ιουθήν, etc.— Syr. : Yonathim. |
2 Syr.: prends ce bandeau que ma maîtresse m’a donné pou
ma récompense, et mets-le; à moi il ne m’est pas permis de
ceindre, parce que je suis une servante, moi, et que le signe di
la royauté est sur lui.

ste, (cf. Lev., xvr, 31; xxim, 27-32; Num., xxix, 7), ellesignifie non
seulement l’humilité intérieure imposée au jour de la fête de l'ex
piation, mais encore la mortification extérieure particuliérement la
pratique du jeûne. Or le jeûne est interdit aux jours de fête solem
nelles et le dimanche, dans l’ancienne Église chrétienne, aussi bien que
chez les Juifs. (Cf. Ps. cxvirr, 24; Judith, vru, 6. C'est ce que le
servante fait observer à sa maîtresse, et en méme temps elle lui pros
pose de revétir ses habits de féte et de se ceindre la téte d'un ornement
précieux. Le χεφαλοδέσμιον est, en eflet, le diadéme au sens étymo-
logique du mot, c'est-à-dire le bandeau plus ou moins orné qui sert
à retenir les cheveux, et qui, fixé au bas de la tiare perse, devient um
ornement royal. Ce n'est pas sans intention que l'auteur fait propo
ser cet ornement à la femme de Joachim, il veut faire songer trés dis
crétement à la dignité d'Anne; elle seule peut porter ce bandeau,ca
il ne convient qu'à la fille des rois ; si l'origine davidique de Joachim
et d'Anne n'est indiquée nulle part d'une maniére précise, elle est.
constamment supposée. D'oü la servante tient-elle cet ornement
l'imprécision du texte ne le laisse pas facilement deviner. La maîtresse,
du service est-elle l'intendante préposée dans la maison d'Anne à
surveillance du personnel féminin ? Ou bien s'agit-il d'une ancienne
maîtresse au service de laquelle Judith aurait été antérieurement?
C'est ce dernier sens que semblerait indiquer le syriaque. 1

fx
09.3 PROTÉVANGILE DE JACQUES 187

“(voici qu’) arriva le grand jour du Seigneur, et Judith sa


servante lui dit : « Jusques à quand affligeras-tu ton
âme? Voici qu'est arrivé le grand jour du Seigneur et il ne
t'est point permis de te lamenter. Allons, prends ce ban-
deau que m'a donné la maîtresse du service, et qu'il ne
m'est pas permis de ceindre, parce que je suis une servante,
et qu'il a une allure royale. » 3. Et Anne dit: « Éloigne-toi
de moi; cela je ne le ferai pas, et (pourtant) le Seigneur m'a
humiliée à l'excés; quelque mauvais drôle a bien pu te

3. La douleur d'Anne la rend facilement injuste envers sa servante;


elle repousse avec indignation le présent qu'on veut lui faire. L'en-
“chaînement desidées est assez facile à saisir si l’on donne à l’aoriste
ἐποίησα, dans cette phrase sentencieuse, la signification du présent.
C'est un emploi qui n'est pas inoui dans la langue classique, et il est
inutile comme le fait Conrady de recourir à une faute de traduction
d'un original hébreu. Cf. Joa., xv, 6; Apoc., x, 7. Anne exprime son
intention de ne pas commettre d'action mauvaise ou simplement dou-
teuse, malgré la sévérité dont Dieu use à son égard. Comme Tobie
(Tob., 11, 21), elle craint que le bandeau aux mains de Judith n'ait une
origine suspecte; il a pu étre donné à la jeuneservante, pour prix de
ses complaisances, par quelque mauvais drôle. Anne ne veut point être
complice de ces désordres. Indignée de ce soupçon, Judith exhale sa
colère contre sa maîtresse ; elle lui souhaiterait volontiers tous les
maux possibles; mais cela est bien inutile, puisque Anne est aflligée
du plus grand des malheurs, la stérilité. Cette stérilité ne peut être à
son avis que le résultat d'un châtiment divin. Cf. I Sam., τ, 5-6, pour
la premiére Anne. L'injure, adressée à Anne par sa servante, fait
pendant aux dures paroles que Ruben a dites à Joachim. Les deux époux
“ont maintenant essuyé les mêmes reproches. C'est au Seigneur qu'il
"appartient de les justifier. L'épisode de la servante a pu étre inspiré
par l'aneedote qu'on lit dans Tobie, 11, 9-11.
- La version éthiopienne présente de l'incident une narration un peu
“différente. Ce n'est point une servante, c'est une voisine qui reproche
à Anne sa tristesse et lui propose de revêtir un ornement royal. Anne
lui répond : « Je ne le ferai pas, à cause de mon grand chagrin. » C'est
une des maniéres de comprendre le texte grec en traduisant : « Cela,
je ne le ferai pas, car le Seigneur m'a aflligé grandement .» Nous avons
traduit, en tenant compte de la version syriaque.
* in.

188 PROTÉVANGILE DE JACQUES II, 3 - III,/


ὀδρα
με σφόδρα !: υήπως
μήπως πανού per
πανούργος 2 ἔδωχέν vo; xal X
σοι τοῦτο,
ἦλθες OU CE ue τῇ ἁμαρτίᾳ cou. Καὶ εἶπεν 'lou8t0- «f
ἀράσομιί ce, καθότι κύριος ἀπέχλεισε τὴν μήτραν cou τοῦ μὴ
δοῦναί σοι καρπὸν ἐν τῷ ᾿Ισραήλ ὃ ;
4. Kat ἐλυπήθη Αννα σφόδρα 4, χαὶ περιείλατο τὰ ἱμάτια
αὐτῆς τὰ πενθιχὰ, xal ἀπεσμήξατο τὴν χεφαλὴν αὐτῆς xal
ἐγεδύσατο τὰ ἱμάτια αὐτῆς τὰ νυμφιχὰ 9, καὶ περὶ ὥραν ἐνάτην
χατέθη εἰς τὸν παράδεισον τοῦ περιπατῆσαι. Καὶ εἶδε δαφγηπ
δαίαν. xal ἐχάθισεν ὑποχάτω αὐτῆς, xal ἐλιτάνευσεν TE
δεσπότην λέγουσα᾽ ὁ θεὸς τῶν πατέρων ἡμῶν, εὐλόγησόν με΄
χαὶ ἐπάχουσον τῆς δεήσεώς μου, χαθὼς εὐλόγησας τὴν
μήτραν 9 Σάρρας xal ἔδωχας αὐτὴ υἱὸν τὸν ᾿Ισαάκ.

III. 1. Koi ἀτενίσασα εἰς τὸν οὐρανὸν εἶδε καλίαν στρου

1 Syr. :Va-t-en d'ici, et bien que je n'aie pas commis ces péchés,
voici que le Seigneur m'a humiliée genes
2 A : τοῦτο πανούργως ἔδωχεν col τις ; c'est la méme leço 1
que Syr. : Peut-étre cela t'a-t-il été donné avec fraude.
? Syr. : Yonathim lui dit : « Que te dirai-je sinon du bien
( c-à-d. tout ce que je pourrais te souhaiter serait du bien), car.
voici que Dieu a retiré sa miséricorde de toi, et tu ne portes pas
de fruit en Israël. » 1
^ A ajoute tout seul une longue explication : xai ἐχόπτετο xo-
πετὸν μέγαν ὅτι ὀνειδίσθη éx πασῶν τῶν φυλῶν ᾿Ισραήλ. Καὶ
ἐν αὐτὴ γενομένη elmev: τί ποιήσω ; χλαίουσα προσεύξομαι :
πρὺς χύριον τὸν θεόν uou, ὅπως ἐπισχέψηταί ue. ;
5 Syr.: ses vêtements de royauté. — A ajoute: xai περιείλατο,
πᾶσαν θλίψιν ἀπ᾽ αὐτῆς. ;
6 Syr. a lu τὴν μητέρα : comme tu as béni Sara, ma mère. Le.
sens est moins naturel. :
«-

4. L'auteur note très brièvement le chagrin d'Anne. Le ms. À


méme trouvé le récit trop bref, et s'est cru obligé d'y ajouter quelque
circonstances, il explique en particulier pourquoi Anne vase mettr
en prière au jardin. Quoi qu'ilen soit, Anne reconnait le bier-fondé des
observations de sa servante ; elle quitte les vétements de deuil, peu e
harmonie avec la solennité du jour, et revêt ses plus beaux vêtements,
11,3- II, 4 PROTÉVANGILE DE JACQUES 189

'donner cela, et tu viens me faire complice de ton péché. »


Et Judith répondit : « Quel mal pourrais-je te souhaiter,
puisque le Seigneur t'a frappée de stérilité, pour que tu ne
donnes point de fruit en Israél ? »
4. Et Anne fut vivement contristée; et elle se dépouilla
de ses vêtements de deuil, et se lava la tête, et revêtit ses
habits de noce, et vers la neuviéme heure descendit dans
le Jardin pour se promener. Et elle vit un laurier et s'assit
à son ombre, et supplia le Maitre (tout-puissant), disant :
« Dieu de nos pères, bénis-moi et exauce ma prière, de
méme que tu as béni le sein de Sara et que tu lui as donné
un fils, Isaac. »

III. 1. Et ayant levé les yeux au ciel, elle vit τ ΠΑ ἐς

ceux qu'elle portait au jour de ses noces, ainsi Judith, x, 3, se revé-


tait des ἱμάτια τῆς εὐφροσύνης αὑτῆς. Vers la neuvième heure du jour,
c’est-à-dire au milieu de laprés-midi, elle descend dans le jardin
pour se promener ; la solennité du jour interdisant tout travail, c’est
la seule récréation qu'elle peut s'offrir. C'est dans le calme du jardin,
loin des vaines agitations des hommes, comme le font remarquer les
commentateurs grees, que sa priére monte plus ardente vers celui qui
étant le maitre tout-puissant (ὁ δεσπότης) peut lui venir en aide.
Comme son mari Joachim avait tout naturellement songé dans son
afflietion à Abraham, si longtemps privé du rejeton qu'il attendait,
de méme la pensée d'Anne va tout droit à Sara, qui, dans sa vieillesse,
a connu la miséricorde du Seigneur. Elle trouve dans ce souvenir un
motif d'espérance. Pourtant son chagrin est trop grand pour qu'elle
puisse se laisser tout d'abord aller à cette pensée, et aux paroles d'es-
poir succéde, comme pour Joachim, l'expression de la tristesse.
Le texte éthiopien a modifié le caractére de l'épisode. C'est en se
rendant au temple, à la neuvième heure (cf. Act., rir, 1), qu'Anne ren-
contre sur sa route un nid dans un arbre, ce lui est une occasion de prier
Dieu: «Bénis ces oiseaux, ὃ mon Dieu; multiplie-les, mais écoute aussi
ma prière, et exauce ma supplication. Bénis-moi, comme tu as béni
le sein de Sara, à qui tu as donné un fils dans sa vieillesse. » Une tran-
sition assez maladroite amène ensuite les plaintes du chapitre suivant,
III. {.La vue d'un nid de passereaux suffit pour faire éclater les plaintes
d'Anne. Le spectacle de cette heureuse fécondité accordée par Dieu-

id
190 PROTÉVANGILE DE JACQUES III, 1“

θίων ἐν τὴ δαφνηδαίᾳ, καὶ ἐποίησε θρῆνον ἐν ἑαυτὴ λέγουσα,


οἴ μοι, τίς με ἐγέννησεν ; ποία δὲ μήτρα ἐξέφυσέ με, ὅτι κατάρο
ἐγεννήθην ἐγὼ ἐνώπιον τῶν υἱῶν Ἰσραὴλ, καὶ ὠνειδίσθην, καὶ
ἐξεμυχτήρισάν με ἐχ ναοῦ χυρίου1. 2. Οἵ μοι, τίνι ὡμοιώθη
ἐγώ ; οὐχ ὡμοιώθην ἐγὼ τοῖς πετεινοῖς τοῦ οὐρανοῦ, ὅτι καὶ
τὰ πετεινὰ τοῦ οὐρανοῦ γόνιμά εἰσιν ἐνώπιόν σου ?, κύριε. Οἵ
μοι, τίνι ὡμοιώθην ἐγώ ;οὐχ ὡμοιώθην ἐγὼ τοῖς θηρίοις
τῆς γῆς, ὅτι χαὶ τὰ θηρία τῆς γῆς γόνιμά εἰσὶν ἐνώπιόν
σου, κύριε. Ot μοι, τίνι ὡμοιώθην ἐγώ ; οὐχ ὡμοιώθην τοῖς
ὕδασιν τούτοις, ὅτι xal τὰ ὕδατα ταῦτα γόνιμά εἰσιν vu
πιόν σου, κύριε 3. 8. Ot μοι, τίνι ὡμοιώθην ἐγώ; οὐχ pod
θην ἐγὼ τῇ γῇ ταύτῃ, ὅτι χαί ἡ γῇ αὕτη προσφέρει robe
χαρποὺς αὐτῆς χατὰ χαιρὸν, καὶ σὲ εὐλογεῖ, χύριε.

! Syr. : Pourquoi n'ai-je pas été inengendrée? Ah! pourquoi et


comment un sein a-t-il été formé pour moi, qui maintenant suis
toute seule une malédiction pour les fils d'Israél? on m'a accablée
d'opprobres, on m'a humiliée et chassée de la maison du Seigneur
Dieu.
? D ajoute : xai cà εὐλογοῦσιν. C : ὅτι τὰ ἄλογα ζῶα. Un cer:
tain nombre de mss., aprés la strophe sur les bêtes de la terre, en.
ajoutent une sur les ἄλογα ζῶα. Syr. au contraire n'a que la
strophe sur les bêtes muettes : « Et pourquoi ne suis-je pas!
semblable, ne füt-ce qu'aux bêtes muettes? car elles sont fécondes*
devant toi , ὃ Seigneur, » et la strophe sur la terre féconde. |
3 Les éditions anciennes ajoutent : οὐχ ὡμοιώθην ἐγὼ τοῖς
κύμασι τῆς θαλάσσης, ὅτι xal τὰ κύματα γαληνιῶντα. καὶ σχιρ-
τῶντα, xal οἱ ἐν αὐτοῖς ἰχθύες εὐλογοῦσί σε χύριε. Cette leçon»
est partiellement conforme au texte de plusieurs mss.

à des êtres qui nous semblent si chétifs (cf. Matth., x, 29-31) rappelle”
à la femme de Joachim sa triste condition. La complainte qui
s'échappe de ses lèvres est d'une grande simplicité, mais sa mono-
tonie même en fait le charme. Cinq strophes. Dans la première à l'exem- ^
ple de Job, 111, 2 sq., Anne maudit le jour de sa naissance; dans les qua=w
2M

PROTÉVANGILE DE JACQUES 191

| passereaux dans le laurier, et elle poussa un gémissement,


disant en elle-même : « Malheur à moi, qui done m'a en-
gendrée et quel sein m'a produite? Car je suis née maudite
en présence des fils d'Israél. On m'a outragée, et l'on m'a
chassée avec des railleries du temple du Seigneur. 2. Mal-
«eur à moi, à qui suis-je devenue semblable? Ce n'est point
aux oiseaux du ciel, car les oiseaux du ciel, eux aussi, sont
“éconds devant toi, ὃ Seigneur. — Malheur à moi, à qui
Suis-je devenue semblable? Ce n'est pas aux bêtes de la
"erre. Car les bêtes de la terre sont fécondes, elles aussi,
“devant toi, ὃ Seigneur. — Malheur à moi, à qui suis-je
devenue semblable ? Ce n'est point à ces eaux; car ces
eaux, elles aussi, sont fécondes devant toi, ὃ Seigneur.
3. Malheur à moi, à qui suis-je devenue semblable? Ce
n'est point à cette terre. Car cette terre, elle aussi, porte
ses fruits selon la saison, et te bénit, ó Seigneur. »

ire suivantes, toutes construites sur le même modèle, elle cherche dans la
nature, pour les objecter au Seigneur, des exemples de la fécondité
qui lui a été refusée. Conrady prétend que seul un hébreu pourrait con-
cevoir et exécuter cette complainte; cela n'est pas évident. L'ensemble
"dela pièce est fort simple, et ne témoigne pas d'un art bien raffiné; le
thème une fois trouvé, et il ne semblait pas difficile de l'imaginer, tout
le reste suivait naturellement.— La premiére strophe fait mention
“d'un outrage recu par Anne dans le temple du Seigneur, ce peut être
“simplement l'injure faite à Joachim, et qui rejaillit sur sa compagne.
2, 3. Le parallélisme est strictement gardé dans les quatre strophes
“qui suivent ; les oiseaux du ciel, les bêtes des champs (cf. Genèse, 1)
l'eau et la terre sont tour à tour invoqués comme exemple de fécon-
“dité. Quelques mss. ont cru devoir donner les raisons pour lesquelles
les flots de la mer étaient féconds; l’auteur songeait évidemment à
la parole créatrice de Genèse, 1, 12-20. On remarquera le mot final,
la bénédiction qui de la terre monte vers le créateur. — Grégoire :
de Nysse (In diem natalem Christi, P. G., t. xivi, col. 1137) rapporte
le thème de cette priére; mais il s'écarte de notre texte en faisant
“du Saint des Saints l'endroit où Anne, semblable en cela à la mère de
Samuel, répand sa prière devant Dieu, ἐντὸς τοῦ ἁγίον τῶν ἁγίων
* , € 7 , = -
γενομένη ἱχέτις γίνεται τοῦ θεοῦ,

i
IV. 4. Καὶ ἰδοὺ ἄγγελος xupiou ἐπέστη ! λέγων αὐτῇ
Αννα, Αννα, ἐπήχουσε χύριος τῆς δεήσεώς cou, xal συλλή-
der 2, xal γεννήσεις, καὶ λαληθήσεται τὸ σπέρμα σου ἐν ὅλῃ
τῇ οἰχουμένῃ. Kai εἶπεν ? Αννα ζὴ κύριος ὁ θεός
ES 2 , \ ” : €

μου, ἐὰν γεννήσω εἴτε ἄρρεν εἴτε θῆλυ, προσάξω αὐτὸ


δῶρον χυρίῳ τῷ θεῷ μου, xal ἔσται λειτουργοῦν αὐτῷ 4!
πάσας τὰς ἡμέρας τῆς ζωῆς αὐτοῦ. 2. Καὶ ἰδοὺ ἦλθον ἄγ᾽
yehor δύο λέγοντες αὐτῇ ἰδοὺ 'loaxelp ὁ ἀνήρ cou
$ , LES 2 A ; \ € LEE

LIEU S - ! EN 155 AA 4 ’ 6
ἔρχεται μετὰ τῶν ποιμνίων αὐτοῦ 5. ΓΑγγελος γὰρ xupíou δ΄
χατέθη πρὸς αὐτὸν λέγων᾽ ᾿[ωακχεὶμ, ᾿Ιωαχεὶμ, ἐπήχουσε,
κύριος ὁ θεὸς τῆς δεήσεώς cou’ χατάθηθι ἐντεῦθεν 7: ἰδοὺ γὰρ

1 D et Syr. établissent une transition entre la complainte d' Anne |


et l'apparition de l'ange: Et quand Anna eut dit ces choses, 1
l'ange...— A: 6902; L:épavn; B, D: ἔστη xazevómtoy αὐτῆς
D ajoute ἐν γαστρί. 1
L:xat ἤχουσεν ἡ "Avva ταῦτα, χαρᾶς πλησθεῖσα εἴπει
9&5»
mn
© Syr. : et il servira en sa présence.
e
Ι,: ἔρχεται ἀπὸ τοῦ ὄρους τῆς ἐρήμου μετὰ TOY ποιμένων
αὐτοῦ χαὶ τῶν προδάτων, χαὶ αἰγῶν χαὶ βοῶν αὐτοῦ.
6 Syr. : car l’ange du Seigneur lui a dit.
7 D:«b τάχος ἐντεῦθεν.

IV. 1. Sans aucune transition, l'auteur nous montre la prière d'Anne


exaucée. L'annonciation à la femme de Joachim est concue sur le n
me plan et racontée avec les mêmes expressions que l'annonciation
à Zacharie et à Marie dans saint Luc; quelques traits d'autre part sont»
empruntés à l'Ancien Testament (annonce de Samson, Jud., xu, et
de Samuel, I Sam., 1). Point de description; seules les paroles de l'ange |
intéressent l'auteur, encore sont-elles réduites au strict nécessaire. Le
Seigneur a entendu la prière d'Anne (cf. Luc, 1, 13), Anne concevra
et enfantera. Luc, ibid. Dans l'Évangile la mission de Jean-Baptiste E
|
est retracée en quelques versets; de l'enfant qui naitra d'Anne, l'ange
dit seulement que son nom sera célébré dans toute la terre. CF
Luc, 1, 48. On remarquera que, dans toutes les prophéties du Proté-
vangile relatives à Marie, nulle mention précise n’est faite de sa dignis
té future; les destinées de la Vierge restent pour tous ceux qui l’en<
V, 1-2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 193

IV. 1. Et voici qu'un ange du Seigneur setint devant


elle et lui dit : « Anne, Anne, le Seigneur a exaucé ta
priére : tu concevras et tu enfanteras et on parlera de ta
postérité dans toute la terre. » Et Anne dit : « (Aussi vrai
qu') est vivant le Seigneur mon Dieu, si je mets au monde
un enfant, soit garcon, soit fille, je l'offrirai en présent au
Seigneur mon Dieu, et 1l sera à son service tous les jours de
sa vie. » 2. Et voici que vinrent deux messagers, lui disant :
« Voici que Joachim ton mari vient avec ses troupeaux,
Car un ange du Seigneur est descendu vers lui, disant :
« Joachim, Joachim, le Seigneur Dieu a exaucé ta prière;
descends d'ici, car voici que ta femme Anne concevra en

tourent un mystére impénétrable. Anne répond à l'annonce qui lui est


faite en consacrant à l'avance au Seigneur l'enfant qui lui naitra;
la première Anne, la mère de Samuel, ne fait le même vœu qu'aprés
la naissance de son fils. I Sam., 1r, 22. Les commentateurs grecs ont
insisté sur cette différence, ce nc peut être qu'en vertu d'une ins-
piration divine, qu'Ànne consacre au Seigneur un enfant qui pourra
être du sexe féminin; seuls, en effet, les enfants mâles pouvaient régulié-
rement être affectés au service de l'autel. La formule de serment dont
se sert Anne est classique. Cf. Jud., virr, 19; Rutb, 111, 13; I Sam., xxv,
34, etc.
2. Anne n’a pas terminé sa prière que déjà l’auteur nous montre les
circonstances qui vont permettre la réalisation des promesses divines;
on vient annoncer à la femme de Joachim que son mari s'appréte à
revenir au domicile conjugal. Ce sont deux messagers et non deux an-
ges, comme quelques-uns l'ont cru, qui en apportent la nouvelle; il
n'y a aucune raison, en eflet, de traduire par ange le mot ἄγγελος. L'évé-
nement qu'on vient annoncer à Anne est d'ordre tout humain, et ne
nécessite aucune intervention céleste. Avec habileté l'auteur met dans
la bouche de ces messagers le récit de l'apparition à Joachim, qui, la
premiére dans l'ordre chronologique, se trouve étre la seconde dans la
narration; le récit des messagers va selon toute vraisemblance jusqu'au
verset 4. Nous avons étudié dans l'introduction les questions que
souléve l'annonce faite à Joachim dela naissance de Marie. Quoi qu'il
en soit du texte méme, l'intention del'auteur primitif n'est pas d'ensei-
gner la conception virginale de Marie ; il dispose, en eflet, toutes les
circonstances pour donner l'impression contraire.
PROTÉV. — 13
194 PROTÉVANGILE DE JACQUES IV, 2

ἡ γυνή cou Αννα ἐν γαστρὶ λήψεται 1. 3. Καὶ κατέδη "Ioa:


xelu ? . χαὶ ἐχάλεσεν τοὺς ποιμένας αὐτοῦ λέγων φέρετ
μοι ὧδε δέχα ? ἀμνάδας ἀσπίλους χαὶ ἀμώμους, καὶ ἔσονταϊ
κυρίῳ τῷ θεῷ μου * xai φέρετέ μοι δεχαδύο μόσχους ma
λοὺς 9, καὶ ἔσονται τοῖς ἱερεῦσι xal τὴ γερουσίᾳ 9, xal χα:
τὸν χιμάρους παντὶ τῷ λαῷ. 4. Καὶ ἰδοὺ ’Iwaxelu ἦχε uec
τῶν ποιμνίων 7 αὐτοῦ, καὶ ἔστη Αννα πρὸς τὴν πύλην
καὶ εἶδε τὸν ᾿Ιωαχεὶμ ἐρχόμενον, καὶ δραμοῦσα ἐκρεμάσθη εἰ
τὸν τράχηλον ϑ αὐτοῦ λέγουσα᾽ νῦν οἶδα ὅτι κύριος ὁ θεὸς
εὐλόγησέ με σφόδρα᾽ ἰδοὺ γὰρ ἡ χήρα οὐχέτι χήρα, xol
ἄτεχνος ἐν γαστρὶ λήψομαι 10. Καὶ ἀνεπαύσατο ᾿Ιωαχεὶμ τὴν
πρώτην ἡμέραν εἰς τὸν οἶχον αὐτοῦ.

1 Β εἴληφε; pour la discussion de cette leçon, cf. introduction,


p. 17 sq.
2 D ajoute : &x τοῦ ὄρους δεδιχαιωμένος.
3 B,C, D : δώδεχα. --- Syr.:dix agneaux du troupeau, et ces
dix agneaux gras seront pour le Seigneur mon Dieu.
»

4 C : εἰς θυσίαν.
5 Plusieurs mss. ont passé la seconde catégorie d'offrandes.
$ Syr. : pour les prétres et les anciens du peuple.
7 Fa: ποιμένων.
8 Syr. : Anna se tint sur le bord de la route.
9 D: χαταφιλοῦσα αὐτὸν xal λέγουσα. [|
10 Grande diversité de leçons: E: ἡ ἄτεχνος oüxéct ἄτεχνος"
ν γαστρὶ γὰρ λήψομαι. Α : λήψεται. B, ΕἸ: εἴληφα. L: συλΞ
λήψομαι xal εἴληφα. — Syr.: J'étais stérile et je n'avais pas d'en--
fant, et voici que j'ai engendré. — Eth. : Num nescis misericor-
dem et clementem Dominum mihi se præbuisse; mihi ille benedizit
benedictione magna, nam qua erat sterilis, inde ab hoc tempore non.
erit sterilis, aut talis quz filios non habeat. ;

3. Confiant dans la promesse divine, Joachim veut en effet retrouver


son épouse; mais en méme temps il veut donner à Dieu une preuve de
sa reconnaissance en lui préparant un sacrifice et en faisant trés large.
la part des prétres et des pauvres, comme l'avait recommandé le Deuz
téronome.
4. C'est done un véritable troupeau qu'il emmène avec lui; la leçon i
ποιμένων « avec ses pasteurs » n'est pas la plus autorisée; on peu
PROTÉVANGILE DE JACQUES 195
T

1
son sein. » 3. Et Joachim est descendu, et il a appelé ses
pasteurs, disant :« Amenez-moi ici dix agneaux sans tache
et sans défaut; et 115 seront pour le Seigneur mon Dieu; et
amenez-moi douze veaux gras, et ils seront pour les prêtres
et pour le sanhédrin, et cent chevreaux pour tout le peu-
ple. » 4. Et voici que Joachim arriva avec ses troupeaux
et Anne se tint à la porte, et elle vit Joachim venir et
accourant (vers lui) elle se suspendit à son cou, disant :
« Maintenant je connais que le Seigneur mon Dieu m'a
bénie, à l'excés. Car voici que la veuve n'est plus veuve,
et que moi qui étais sans enfant je concevrai dans mon
sein. » Et Joachim ce premier jour alla se reposer dans
sa maison.

toutefois supposer, que Joachim, homme riche et personnage considéré,


ne conduisait pas lui-même le troupeau, mais avait des bergers avec lui.
Prévenue de son arrivée par les messagers que Joachim a envoyés de-
vant lui, Anne l'attend sur le seuil de sa maison. Les remaniements
latins ont placéla scéne de la rencontre, non pas devant la maison de
Joachim, mais à la Porte dorée, qu'ils imaginent comme une des por-
tes de la ville ou du temple de Jérusalem. Le Protévangile ignore en-
core cette particularité, et n'indique pas,d'une manière précise, que l'ha-
bitation des deux saints époux était à Jérusalem. Les Grecs ont su
plus tard que la maison où naquit Marie était située proche de la pis-
jine probatique, sou vent méme ils la désignent simplement sous le nom
le προθατιχή, Cf. Jean Damascéne, homélies, P. G., t. xcvi, col. 668,
369, 677, et De fid. orth., xv, 14, P.G., t. xciv, col. 1154. D'autres tradi-
ions mettent à Sepphoris le lieu de la conception de la Vierge. Quoi qu'il
on soit de cette question de topographie, le tableau de la rencontre
l'Anne et de Joachim est l'un des plus gracieux de toute la littérature
ipeeryphe. La piété populaire a aimé à le contempler; elle a vu dans le
'haste embrassement des deux époux le prélude de la conception de
Marie, et pendant longtemps il n'y aura pas d'autre représentation
le ce mystère que la scène touchante du Protévangile. Nous n'avons
Das à revenir sur la leçon εἴληφα; on remarquera seulement, qu’elle
St attestée par trois mss. grecs, tandis qu'un seul la donnait au v. 2.
— Avec beaucoup de délicatesse l'auteur insinue que la conception
le Marie a eu lieu selon les régles ordinaires. — Meyer rapproche des
jaroles d'Anne les expressions bibliques. Ose., 1, 10, 1r, 1, 23; Is., τὰν,
ESjud., xvir, 13.
196 PROTÉVANGILE DE JACQUES

V. 4. Τὴ δὲ ἐπαύριον προσέφερε τὰ δῶρα αὐτοῦ λέγων


, , . 3.4 , Li \ LIC, - \ , EM
ἐν ἑαυτῷ᾽ ἐὰν κύριος ὃ θεὸς ἱλασθὴ μοι, τὸ πέταλον τοῦ
ἱερέως φανερόν μοι ποιήσει. Καὶ προσέφερεν τὰ δῶρα αὐτοῦ *
y,

Ἰωακεὶμ, nat προσεῖχεν τῷ πετάλῳ τοῦ ἱερέως, ὡς ἐπέδη


τὸ θυσιαστήριον χυρίου, xai οὐχ εἶδεν ἁμαρτίαν ἐν |
ἑαυτῷ 3. Καὶ εἶπεν ’Iluauneiu νῦν οἶδα ὅτι χύριος ἱλάσθη uot ----

x«i ἀφῆχεν πάντα τὰ ἁμαρτήματά μου. Kai χατέθη ἐκ


\ , - , \ € LA , M , ,

γαοῦ χυρίου δεδιχκαιωμένος, xal ἀπῆλθεν ἐν τῷ οἴχῳ αὐτοῦ.

1 Syr. a mêlé les deux propositions : Si le Seigneur mon Dieu


est réconcilié avec moi, cela se verra sur l'ornement qui est entre
les yeux du prêtre, quand il monte à l'autel du Seigneur, et qu'il
(le Seigneur) ne voit pas de taches sur lui. — Eth. a une glose
curieuse: Érat enim in templo positum. super altare diadema, cum
autem aliquis ex filiis Israël offerebat sacrificium. quod. Deus susci-
piebat, apparebat facies ejus qui sacrificium obtulerat sicut in specus
lo; si vero non acceptum fuerat sacrificium, non apparebat ejus
facies in illo diademate.

V. 4. L'idée de Joachim, en se présentant au temple, est de remercier


le Seigneur et en méme temps de s'assurer que la promesse faite par
l'ange s'accomplira. Puisqu'il regarde la stérilité comme un opprobre
et la conséquence d'une faute, il verra bien, en offrant son sacrifice, si
m
ses péchés lui sont pardonnés et si par conséquent son opprobre va pren-
dre fin. Le πέταλον du grand-prétre, qui doit servir pour ainsi dire
de miroir à l’âme, n'est pas, comme l'a pensé Néander, l'ornement appelé
rational et qui donne par | Urim et le Thumim des réponses aux ques- p—
iss
—Δ

tions posées. C'est la lame d'or attachée à la tiare du grand-prêtre pr

(Ex., xxvinr, 36), et qui porte, d’après les Septante, l'inseription


«Sainteté du Seigneur ». Suivant le texte de l'Exode, «cette lame sera
Cr
Ba
sur le front du prêtre, et le prètre sera chargé des iniquités commises
par les enfants d'Israël en faisant toutes leurs saintes oflrandes; elle
ere
er
sera constamment sur son front devant Yahveh, pour qu'il leur soit “=.
favorable. » Le sens de ce passage n'étant pas trés clair, on a pu ima- zc
giner dans la suite, que le πέταλον, dont la signification primitive était D
purement symbolique, pouvait indiquer la pureté de celui qui faisait
offrir le sacrifice. D'aprés notre texte,si l'on ne voyait nulle souillure
sur la lame d'or, c'était un signe que Dieu acceptait l'offrande qui lui deMab
ce
était faite. C'est de cette manière, que Joachim acquiert le certitude
à—
: A] PROTÉVANGILE DE JACQUES 197

V. 1. Le lendemain 1l apportait ses offrandes, se disant


en lui-même : « Si le Seigneur Dieu m'est propice, c'est ce
que me manifestera la lame (d'or) du (grand-)prétre. » Et
Joachim apporta son offrande, et il fit attention à la
lame (d'or) du (grand-)prétre, quand il monta à l'autel du
Seigneur et il ne vit pas de souillure en lui-même. Et
Joachim dit : « Je connais maintenant que le Seigneur
m'est propice et m'a pardonné tous mes péchés. » Et il
descendit du temple du Seigneur justifié, et 1l retourna
dans sa maison.

que ses péchés lui sont pardonnés et que dés lors la stérilité de son
épouse va cesser. Aussi descend-il du temple justifié comme le pu-
blicain repentant, Luc., xviii, 14, encore qu'il ne faille pas trop insister
sur ce rapprochement. Le Protéeangile ne signale aucun événement
miraculeux dans tout le temps que dure la grossesse d'Anne, Le re-
maniement arménien est moins réservé. Aprés avoir dit comment le
grand-prétre, averti par un ange, accepte l’offrande de Joachim revenu
du désert, aprés avoir rapporté le vœu que fait Joachim de consacrer
au Seigneur l'enfant qui pourra lui naitre, il ajoutele récit des miracles
qui marquent la erossesse d'Anne. Dés le troisiéme mois, l'enfant tres-
saille dans le sein de sa mère (cf. Luc., 1, 41), et Anne fait vœu de don-
ner son enfant au temple pour tous les jours de sa vie. Au sixiéme mois
de la grossesse de sa femme, Joachim retourne au temple oflrir des sa-
erifices sanglants. Et quand Joachim a fini de présenter son offrande,
il égorge lui-méme le dernier agneau; au lieu de sang, c'est du lait
blanc qui jaillit des veines de la victime. C'est, comme l'explique le
grand-prétre Eléazar, un signe de la grande pureté de l'enfant qui va
naître. « Plus tard cette vierge concevra sans le concours d'aucun
homme, donnera naissance à un enfant mâle, qui deviendra un grand
dominateur et roi d'Israël. » Anne metau monde à la fin du septième
mois. Le fragment sahidique s'écarte bien davantage de la narration
du Protévangile. Aprés avoir raconté comment Joachim et Anne ont
été accablés d'outrages, il supprime l'épisode de Joachim au désert.
C'est dans sa maison que Joachim a un songe symbolique lui annon-
cant la naissance d'un enfant. Anne voit, la méme nuit, un songe du
méme genre, c'est aprés cela seulement qu'un ange, sous la forme
humaine, apparaît à Anne, etlui annonce la prochaine naissance d'une
fille appelée Marie.
198 PROTÉVANGILE DE JACQUES V,2-VI
2. ᾿Επληρώθησαν δὲ οἱ μῆνες αὐτῆς 1 ἐν δὲ τῷ ἐνάτῳ
μηνὶ ἐγέννησεν Αννα. Καὶ εἶπεν τῇ μαίᾳ᾽ τί ἐγέννησα; 3
δὲ εἴπεν᾽ θῆλυ, καὶ εἶπεν Αννα 8: ἐμεγαλύνθη ἡ ψυχή μου κα
τὴ ἡμέρᾳ ταύτῃ καὶ &véxAtev αὐτήν. Πληρωθεισῶν δὲ
τῶν ἡμερῶν ἀπεσμήξατο Αννα xal ἔδωχεν μασθὸν τῇ mat?
xal ἐπωνόμασε τὸ ὄνομα αὐτῆς Magtáy.
Δ 3 , \ » 3 - ,

VI. 4. Ἡμέρᾳ δὲ xal ἡμέρᾳ ἐκραταιοῦτο ἡ tai’ γενομένης,


δὲ αὐτῆς ἑξαμηνιαίου 5 ἔστησεν αὐτὴν ἡ μιήτηρ αὐτῆς χαμαὶ;
τοῦ διαπειράσαι εἰ ἵσταται. Καὶ ἑπτὰ βήματα περιπατήσασας
ἦλθεν εἰς τὸν χόλπον αὐτῆς 9. Καὶ ἀνήρπασεν αὐτὴν λέγουσα"
ζῇ χύριος ὁ θεός μου, οὐ μὴ περιπατήσῃς ἐν τὴ γὴ ταύτῃ;
ἕως ἂν ἀπάξω σε ἐν τῷ ναῷ χυρίου. Kai ἐποίησεν ἁγίς

1] RH,Pos.: συνέλαθε δὲ Αννα xol ἐπληρώθησαν. --- Syr.t


Et quand les jours d'Anna furent accomplis. 1
2 C’est la leçon des meilleurs mss. E, L donnent τῷ δὲ 668299.
μηνί; R: ἐν τῷ μηνὶ τῷ ὀγδόῳ. — Arm. donne aussi 7 mois.
3 Syr. omet le dialogue avec la sage-femme.
4 A ajoute : τὴ ἡμέρᾳ τὴ ὀγδόῃ.
δ Fa:éyysaynytatou χρόνου.
6 Syr. : Et elle leva son pied sept fois et revint vers sa mère.

2. Anne met au monde dans les délais ordinaires; quelques copiste


ont imaginé qu'il valait mieux faire naitre Marie avant terme, et onj
substitué le septième ou le huitième mois au neuvième; mais ces chifires
n'ofirent aucune garantie, et on trouve dans la littérature byzantine
des protestations contre l'idée qu'il était plus convenable à la dignité |
de Marie de la faire naître avant terme. L'entretien d'Anne avec la sages
femme rappelle divers épisodes de l'Ancien Testament. Cf. Gen,
xxxviu, 27-30; xxv, 24-26, Le fait qu'Anne est remplie de joie
bien que son enfant soit une fille, est en contradiction avec les habitus
des de l'Ancien Testament, où l'on ne considère pas la naissanct
d'une fille comme un événement particulièrement heureux. Le
remaniement arménien essaie d'atténuer l'impression que pourrai
causer cette nouvelle, la sage-femme dit à Anne :« Tu as mis au monde
une fille, mais trés belle, agréable à contempler, bien faite, pure, san:
aucune tache. » C'est aller contre l'esprit de l'auteur primitif, car c'est
ΟΥ̓

V,2- VL 1 PROTÉVANGILE DE JACQUES 199


L4

2. Or les mois d'Anne passérent,etau neuvième elle


enfanta. Et elle dit à la sage-femme : « Qu'ai-je mis au
monde? » Celle-ci répondit : « Une fille. » Et Anne dit :
« Mon âme a été exaltée en ce Jour. » Et elle la coucha. Or,
quand les jours furent accomplis, Anne se purifia et donna
le sein à l'enfant, et elle lui donna le nom de Marie.

VI. 1. De jour en jour l'enfant se fortifiait. Et quand elle


eut six mois, sa mére la mit par terre pour voir si elle se
tenait debout. Et ayant fait sept pas,elle revint vers le
giron de sa mére, qui la souleva en disant : « Vive le Sei-
gneur mon Dieu, il ne faut pas que tu marches sur cette
terre, jusqu'à ce que Je te conduise au temple du Seigneur. »

à dessein qu'il met dans la bouche d'Anne à la nouvelle,de la naissance


d'une fille, des paroles d'allégresse. Sans être renseignée d'une manière
précise, Anne est persuadée que sa fille est appelée aux plus hautes des-
tinées. L'auteur du Protévangile semble indiquer qu'Anne ne donne
Je sein à Marie qu'aprés les purifications légales. Le Lévitique, xrr, 5,
déclare que, si une femme met au monde une fille, elle sera impure
pendant deux semaines. Comme on doit éviter tout ce qui pourrait
souiller Marie, on ne la mettra en contact avec sa mère qu'aprés
les purifications légales; l'auteur, pas plus ici qu'ailleurs, ne se préoc-
eupe des conditions réelles de l'existence. Il n'y avait pas pour les
filles de délai prescrit pour l'imposition du nom, on peut penser
qu'elle eut lieu aprés la purification d'Anne. Les remaniements latins
et arménien et le fragment sahidique supposent que le nom de Marie
lui vient du ciel comme celui de Jean et celui de Jésus; le Protévan-
gile n'a pas songé à cette maniére de rehausser la dignité de Marie,
et il n'indique pas non plus l'étymologie du vocable imposé à la
Vierge.
VI. 4. De la petite enfance de Marie, l'auteur ne rapporte que quel-
ques épisodes, destinés à manifester, et sa grande précocité, et sa pu-
reté sans tache, et sa gloire future. Le remaniement arménien a ajouté
une premiére présentation au temple quarante jours aprés la naissance,
parallèle à la présentation de Jésus. — A l’âge de six mois (meilleure
fecon que neuf mois), Marie fait ses premiers pas. L'intention de sa
mére n'était pas de lui apprendre à marcher, mais seulement de voir si
elle pouvait déjà se tenir debout. L'enfant, abandonnant sa mère, fait
“toute seule quelques pas (le nombre n'est pas quelconque, trois, sept
200
4 iVAN
PROTEVANGILE DE |
JACQUES VI, x
uacua! iy τῷ χοιτῶνι αὐτῆς, xol πᾶν xotby xol ἀχάθαρτον
οὐχ εἴα διέρχεσθαι Dr αὐτῆς. Καὶ 2 ἐχάλεσε τὰς Üvyus
τέρας τῶν ᾿Εθραίων τὰς ἀμιάντους καὶ διεπλάνων αὐτήν!
||
j γένετο δὲ πρῶτος ἐνιαυτὸς τῇ παιδὶ, xal ἐποίησε
2 'E- P SA - ᾿Ξ 2 =; A \ A , ,

᾿Ιωαχεὶμ. δοχὴν μεγάλην, xai ἐχάλεσε τοὺς ἱερεῖς 3 χαὶ


τοὺς γραμματεῖς xal τὴν γερουσίαν, xal πάντα τὸν λαὸν τοῦ
Ἰσραήλ 4 Καὶ προσήνεγχεν ᾿Ιωαχεὶμ, τὴν παῖδα τοῖς ἱερεῦσι5j
, ^

xai εὐλόγησαν αὐτὴν λέγοντες" ὁ θεὸς τῶν πατέρων ἡμῶν, εὐλό-


γησον τὴν παῖδα ταύτην xai δὸς αὐτὴ ὄνομα ὀνομαστὸν αἰώνιον,
ἐν πάσαις ταῖς γενεαῖς. Καὶ εἶπε πᾶς ὁ λαός “γένοιτο, YÉVOLTOR
2 , - - A - -

ἀμήν.
, ;- K
Kai^ προσήνεγχεν
ΣΌΣ ΣΥΝ
αὐτὴν
5
τοῖς ἀρχιερεῦσι,
E B ^=
xai E εὐλόγη
m. À

σαν αὐτὴν λέγοντες" ὁ θεὸς τῶν ὑψωμάτων 6, ἐπίόλεψον ἐπὶ

1 Ο: ἁγιαστήριον. — Syr.: Et ses parents firent de sa chambre


un sanctuaire (litt. une maison de sainteté). — Eth.: Postea pa
eum habitaculum pro illa exstruxit atque in eo collocagit eam, do
unum annum attingeret. A
? Syr. : Et sa mére disait : « Que nul ne l'approche, qui ne soit
pas pur, mais plutót, appelons les filles des Hébreux qui sont sans
tache, et qu'elles soient avec elle.» Et elles vinrent et s'amusaient |
avec elle.
3 D, I, R, Syr. : τοὺς ἱερεῖς xai τοὺς ἀρχιερεῖς.
4 A et Syr. omettent «tout le peuple d'Israél».
5 Syr. omet ce membre de phrase.
$ Syr.: Dieu de nos péres quies dans les hauteurs. — Eth,
a amplifié cette lecon :Dominus Deus patrum nostrorum, De
Abraham, Isaac et Jacob, qui habitat in calo. :

ou neuf, c'est-à-dire un nombre consacré). Si elle ne va pas plus loin


et retourne immédiatement vers le giron maternel, ce n'est pas que -
les forces lui manquent, c'est quela démonstration est suffisante, et que
dorénavant elle ne doit plus fouler la terre avant d’être présentée au te -
ple du Seigneur: c’est donc volontairement qu’elle revient vers sa mère:
Meyer fait remarquer que les sept pas d'un enfant précoce constituent
un trés vieux thème. Aussitôt après sa naissance, le Bouddha fait sept
pas vers le Nord; on rapporte d'Osiris que, « quand il avait un an
il semblait déjà avoir deux ans passés. » — Marie ayant donné les preu-
ves de sa précocité, sa mère peut craindre de la voir errer cà et là a

|
-
*

-
VI, 1-2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 201

Et elle fit un sanctuaire dans sa chambre à coucher, et


tout ce qui était 1mpur ou souillé, elle ne le lui laissait pas
prendre. Et elle appela celles des filles des Hébreux qui
étaient sans tache, et elles la divertissaient. 2. Orla pre-
miére année de l'enfant se termina, et Joachim fit une
grande réception, et 1] y invita les prêtres et les scribes et
le sanhédrin et tout le peuple d'Israél. Et Joachim pré-
senta l'enfant aux prêtres, et ilsla bénirent, disant :« Dieu
de nos pères, bénis cette enfant et donne-lui un nom illus-
tre à Jamais dans toutes les générations. » Et tout le peu-
ple dit : « Qu'il en soit ainsi, qu'il en soit ainsi, Amen. » Et
il la présenta aux princes des prêtres et ils la bénirent,
disant : « Dieu des hauteurs (célestes), jette un regard sur

détriment de sa pureté; et comme elle a été, dés avant sa naissance,


consacrée au service de Dieu, il faut écarter d'elle tout ce qui pourrait
la souiller. C'està quoi tend la claustration dans une sorte de sanctuaire
Li * E] * . * *

ménagé dans la chambre haute; méme avant de demeurer au temple,


Marie ne peut séjourner que dans un lieu saint, ne peut être entourée
que de personnes pures. On s'est perdu en conjectures sur le sens
de διεπλάνων ; plusieurs copistes n'ayant pas compris le mot lui ont
substitué des lecons arbitraires, D. διηκόνουν ; E. ἐμετεώρησαν ; ce
dernier mot est encore plus difficile à expliquer. Fabricius a conjee-
turé2:éx)uvov qui est ingénieux. La lecon διεπλάνων est attestée par
les meilleurs mss. Il est inutile, pour l'expliquer, de recourir, comme le
fait Conrady, à une faute de traduction de l'original : l'auteur hébreu
aurait écrit eattissáouhá : et elles la portaient; le traducteur grec a lu
vattissi'ouhá: et elles la séduisaient, qu'il a rendu littéralement par
διεπλάνων. Meyer y voit, beaucoup plus simplement, le sens tardif
d'un mot qui correspond trés exactement au latin divertere, au francais
divertir. C'est ainsi d'ailleurs que le Syriaque a compris.
2. Quand Marie est âgée d'un an, Joachim célèbre par un grand ban-
quet l'anniversaire de sa naissance; c'est une occasion pour l'auteur
de mettre la Vierge en contact avec le sacerdoce officiel, et de faire
prédire par celui-ci ses grandeurs futures. Puisque les filles n'étaient
pas présentées au temple aprés leur naissance, Marie n'avait pas encore
été bénie par les prétres. Cette célébration de l'anniversaire de naissance
est une invention de notre auteur; les Juifs ne célébraient pas cette
fête, qu'ils regardaient comme une superstition païenne; l'auteur en a
pris l'idée dans Gen., xxr, 8, où l'on voit Abraham faire un grand festin
202 PROTÉVANGILE DE JACQUES VI, 2-3
τὴν παῖδα ταύτην, xal εὐλόγησον αὐτὴν ἐσχάτην εὐλογίαν,
ἥτις διαδοχὴν οὐκ ἔχει 1. 83. Καὶ ἀνήρπασεν αὐτὴν ἡ μήτηρ
αὐτῆς ἐν τῷ ἁγιάσματι τοῦ χοιτῶνος αὐτῆς, xal ἔδωχεν
αὐτὴ μασθόν. Καὶ ἐποίησεν "Avva ἄσμα κυρίῳ τῷ θεῷ AE
γουσα 2° ἄσω ὠδὴν κυρίῳ τῷ θεῷ μου, ὅτι ἐπεσχέψατό με καὶ
ἀφείλατο ἀπ᾿ ἐμοῦ τὸ ὄνειδος τῶν ἐχθρῶν μου, xal ἔδωκέν
μοι χύριος χαρπὸν διχαιοσύνης [αὐτοῦ], μονοούσιον πολυπλά-
σιον 8 ἐνώπιον αὐτοῦ. Τίς ἀναγγελεῖ τοῖς υἱοῖς ‘Pouélu.
ὅτι Αννα θηλάζει ; ἀχούσατε, ἀκχούσατε, αἱ δώδεχα φυλαὶ
τοῦ ᾿Ισραὴλ, ὅτι Αννα θηλάζει. Καὶ ἀνέπαυσεν αὐτὴν ἐν τῷῃ

1 Syr. et Eth. :d’une bénédiction qui ne passe point. ,


2 Syr.: et elle chanta un hymne saint et elle dit: « Le Seigneur 1
m'a visitée. »
3 Fb, Καὶ, L lisent πολυπλούσιον; les deux épithétes manquent
dans Syr.

le jour où Isaac est sevré. À cette fête sont invitées toutes les autorités
religieuses : princes des prêtres, simples prêtres, scribes, sanhédrites;«
Joachim y a même convoqué toutle peuple d'Israël, car il s'agit de lui
présenter celle qui sera la mère du Sauveur. Les simples prêtres pro=
noncent les premiers une formule de bénédiction à laquelle la foule
s'associe en répondant Amen. « Donne-lui un nom illustre à jamais.
dans toutes les générations » rappelle les mots du Magnificat : « toutes
les générations me proclameront bienheureuse. » La bénédiction donnée:
par les princes des prêtres est naturellement plus solennelle. Ils com=«
mencent par invoquer le Seigneur sous le titre de « Dieu des hauteurs X
Ces « hauteurs » sont vraisemblablement les puissances qui habi- |
tent dans le ciel (cf. Rom., vin, 39, οὔτε δυνάμεις, οὔτε ὕψωμα...) —
en sorte que l'expression grecque correspondrait assez bien à.
lhébreu Yáheeh Seb&’ôt. La bénédiction que Dieu accordera à Ma-
rie est la bénédiction suprême (ἐσχάτη), après laquelle il n'y en a
plus : bénédiction sans seconde, aurait dit le xvr1* siècle. Lesyriaque
et l'éthiopien ont compris un peu différemment:« bénédiction qui ne“
passe point. » Cette bénédiction sans seconde, c’est, dans la pensée
de l'auteur, l'honneur qu'aura Marie d'étre la mére du Sauveur.
3. Aprés cette présentation officielleà tout le peuple d'Israël, Marie
rentre dans sa clôture, qu'elle ne quittera plus que pour le temple de
VI, 2-3 PROTÉVANGILE DE JACQUES 203 |

» cette enfant, et bénis-la d'une bénédiction suprême, au-


- dessus de laquelle il n'y en ait plus. » 3. Et sa mère l’em-
» porta dans le sanctuaire de sa chambre et lui donna le
- sein. Et Anne chanta un cantique au Seigneur Dieu,
disant : « Je chanterai un cantique au Seigneur mon Dieu,
parce qu'il m'a visitée et a enlevé de moi l'opprobre de
mes ennemis. Et le Seigneur m'a donné un fruit de (sa)
justice, fruit simple, (mais) de multiple aspect devant lui. ᾿
Qui (donc) annoncera aux fils de Ruben qu'Anna donne le ΠVA

— sein? Ecoutez, écoutez, ὃ douze tribus d'Israél, oui, Anne


"donne le sein. » Et elle fit reposer l'enfant dans le sanc-

— Jérusalem. Le cantique prononcé par Anne ne rappelle que d'assez


loin celui que chante la mére de Samuel en pareille circonstance. Le pt
- début rappelle les préludes de certains Psaumes (cf. xcvrz, 1; cxr1x, 1). :
m — « Il m'a visité» est le mot du Benedictus (Luc., 1, 68); «il a enlevé
— de moi l'opprobre de mes ennemis » fait penser à la parole d'Elisabeth,
— Lue., 1, 25: « il a jeté les yeux sur moi pour ôter mon opprobre parmi
- les hommes, » et aussi au mot de Rachel mettant au monde son pre-
— mier fils : « Dieu a enlevé mon opprobre. » Gen., xxx, 23. La leçon τς
πῃ fruit de justice » attestée par A, B, C, D, F^, I, R et Syr. est S
plus naturelle que celle qu'a maintenue Tischendorf, « un fruit de sa
justice ». La première expression fait songer à Isaie, xxxi, 17. Du- Ἢ
“rant l'ére messianique, « la droiture habitera dans le désert, etla jus- ET
— tice s'établira dans le verger, le produit de la droiture sera la paix, le 34
— fruit de la justice sera le repos et la sécurité pour jamais. » Cf. Am., ἘΝ
— vi, 12. Ce que le Seigneur a accordé
à Anne, c'est le fruit de la justice, m
- c'est-à-dire le repos et la sécurité. Ce fruit est simple, mais multiple
dans ses effets bienfaisants. — Les derniers mots du cantique rappel-
… lent les paroles de Sara (Gen., xxr, 7) : « qui aurait dit à Abraham, Sara
-allaitera des enfants ἢ » Le Ruben dont il est question n'est pas
— ]e fils aîné de Jacob, mais bien le personnage, si fier de sa nombreuse T
postérité, qui a injurié Joachim; et les douze tribus d'Israél viennent
ci pour rappeler le δωδεχάφυλον vainement consulté par Joachim.
— Anne, aprés avoir couché sa fille, descend vers ses hótes et les sert elle- ns
méme, comme faisait autrefois la femme d'Abraham. Gen., xvrir, pe
— 6 sq.; cf, Marc., 1, 31. La leçon de B, 1, d’après laquelle on impose seu-
e 4 x $a . TR
lement alors un nom à l'enfant, est controuvée ; l'étymologie qu'elle | xg
— donne du nom de Marie est fantaisiste. — Le remaniement arménien j
“n'a pas connu tout cet épisode du festin,
|
POTE. PE ge de à |

204 PROTÉVANGILE DE JACQUES VL3-Y


x.

χοιτῶνι τοῦ ἁγιάσματος αὐτῆς, καὶ ἐξῆλθεν, xol διηκόν εἰ


αὐτοῖς. Τελεσθέντος δὲ τοῦ δείπνου χατέθησαν εὐφραινό-
μενοι 1! xai δοξάζοντες τὸν θεὸν ᾿Ισραήλ.

VII. 1. Τὴ δὲ παιδὶ προσετίθεντο οἱ μῆνες αὐτῆς. Ἔγέ-


vero δὲ διετὴς ἡ παῖς, καὶ εἶπεν ’luaxelu ἀνάξωμεν αὐτὴν
ἐν τῷ ναῷ κυρίου, ὅπως ἀποδῶμεν τὴν ἐπαγγελίαν ἣν
ἐπηγγειλάμεθα μήπως ἀποστείλῃ ὁ δεσπότης ἐφ᾽ ἡμᾶς ? χαὶ
ἀπρόσδεχτον γένηται τὸ δῶρον ἡμῶν. Καὶ εἶπεν "Ayva: ἀνα- ᾿
μείνωμεν τὸ τρίτον ἔτος, ὅπως μὴ ζητήσει ἡ παῖς πατέρα $2:à:
μητέρα. Kat εἶπεν ’luaxeiu' ἀναυμιείνωμεν 3.2. Καὶ ἐγένετο
D t - 4 1 2T [e , 4 A ^
τριετὴς ἡ παῖς, xai εἶπεν Îuaxelu χαλέσατε À τὰς Üuyas
τέρας τῶν ‘Ebpaiwy τὰς ἀμιάντους xol λαθέτωσαν ἀνὰ λαμ-
πάδα 5,χαὶ ἔστωσαν χαιόμεναι, ἵνα μιὴ στραφὴ ἡ παῖς εἰς τὰ
ὀπίσω xai αἰχμαλωτίσθῃ ἡ χαρδία αὐτῆς ἐκ ναοῦ xupiou
2 , M , , e , , - 2 -

1 B, | ajoutent : καὶ ἐπέθηχαν αὐτὴ ὄνομα Μαριὰμ, διότι


τὸ ὄνομα αὐτῆς οὐ μαρανθήσεται εἰς τὸν αἰῶνα. Fb donne une
leçon analogue.
? Syr.: De peur que le Seigneur ne détourne sa face de nous, et.
qu'il n’accepte pas... — Postel avait traduit: ne forsan a nobis
auferat Deus succenseatve in nos. — Eth. : ne forte dominus iras-
catur nobis. ; 3
3 Un certain nombre de mss. lisent : ἀμὴν, γένοιτο. — Syr.:
« Tu as bien parlé. » |
4 C, Fa, K et Syr.: See
5 L:xat ἔστωσαν μετ αὐτῆς πρὸς πλάνην αὐτῆς. — Syr. :et
qu'elles tiennent des flambeaux allumés devant elle.

VII. 4. L'enfant étant arrivée à l’âge de deux ans, le père songe le


premier à remplir la promesse faite jadis de la consacrer au service du.
temple. Joachim craint que, si l'on tarde, le Seigneur ne soit irrité. Le
verbe ἀποστέλλω reste sans complément. Fabricius suppose qu'il faut
sous-entendre : n'exerce sur nous sa colère comme dans Is., x, 6; Judith,
ix, 9. Il est plus simple de ne rien sous-entendre, et de traduire
« ne l'envoie chercher », auquel cas l'offrande qu'en feraient
les paren is
ne lui serait plus agréable. Avec une grande délicatesse l’auteur met
P
d
- VI, 3- VIL, 2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 205

tuaire de sa. chambre, et elle sortit, et les servait. Or, le


festin terminé, ils descendirent joyeux et glorifiant le
Dieu d'Israél.

VII. 1. Or pour l'enfant les mois s'ajoutaient (aux mois).


' Et l'enfant eut deux ans, et Joachim dit : « Conduisons-la
dans le temple du Seigneur, afin d'aecomplir la promesse
que nous avons faite, de peur que le Seigneur ne nous la
réclame, et que notre offrande ne soit plus agréée. » Et
- Anne dit : « Attendons la troisième année, afin que l'en-
fant ne réclame point son pére ou sa mére. » Et Joachim
dit : « Attendons. » 2. Et l'enfant eut trois ans et Joachim
dit : « Appelez d'entre les filles des Hébreux celles qui
sont sans tache, et qu'elles prennent chacune un flambeau,
et que (ces flambeaux) soient allumés, de peur que l'enfant
ne se retourne (pour regarder) derrière elle, et que son
cœur ne soit retenu captif hors du temple du Seigneur. » Et

dans la bouche de la mére les objections que fait naitre l'extréme


jeunesse de l'enfant. Dans un âge si tendre, elle peut encore avoir be-
soin de ses parents. Joachim répond à sa femme comme l'avait fait le
père de Samuel. I Sam., 1, 22-23.
2. C'est donc quand Marie a atteint l’âge de trois ans, que, d'un
commun accord, les parents se décident à accomplir leur vœu. Le
nombre trois a une valeur symbolique, et il ne faut pas l'écar-
ter; c'est d'ailleurs le chiffre auquel s'est rallié et toute la tradition
grecque. Le brillant cortège qui doit accompagner l'enfant jus-
qu'au temple a un double but. L'auteur, moins instruit que ses
successeurs sur les grandes vertus de Marie dans un âge si tendre,
suppose que l'enfant pourrait avoir quelque répugnance à quitter
ses parents pour aller s'enfermer au temple. Mais, toute réjouie par la
vue des lumiéres brillantes, elle suivra sans hésiter et sans détourner
la téte le virginal cortége. Il convient d'autre part qu'une nombreuse
assemblée de vierges pures fasse escorte à la Vierge trés pure, au mo-
ment où eile va définitivement être consacrée au Seigneur. L'expres-
sion ἀνὰ λαμπάδα, « chacune un flambeau », est calquée sur l'ex-
pression néo-testamentaire ἀνὰ δηνάριον (Matth., xx, 9) : on la retrou-
vera.plus loin sous la forme ἀνὰ $266ov (vir, 3). Cet emploi singulier
de ἀνά peut s'expliquer par des expressions comme celles-ci : ἀνὰ
déc ii
e CU or i er
fes: x
2 = . J/ & . “

x 2 r c E
206 PROTÉVANGILE DE JACQUES VI, 2-3

Καὶ ἐποίησαν οὕτως ἕως ἀνέθησαν ἐν τῷ ναῷ κυρίου. Kal


ἐδέξατο αὐτῆν ὁ ἱερεὺς 1, καὶ φιλήσας εὐλόγησεν αὐτὴν καὶ
εἶπεν" ἐμεγάλυνεν χύριος τὸ ὄνομά σου ἐν πάσαις ταῖς γενεαῖς 21
ἐπὶ σοὶ ἐπ᾿ ἐσχάτου 3 τῶν ἡμερῶν φανερώσει κύριος τὸ
λύτρον αὐτοῦ τοῖς υἱοῖς ᾿Ισραήλ 4. 3. Καὶ éxáütcey αὐτὴν
ἐπὶ τρίτου βαθμοῦ τοῦ θυσιαστηρίου 5, xal ἐπέθαλεν κύριος
ὁ θεὸς χάριν ἐπ ‘ar, xal κατεχόρευσεν τοῖς ποσὶν αὖ-
τῆς, xal ἠγάπησεν αὐτὴν πᾶς οἶχος ᾿Ισραήλ 9.

1 Variantes assez nombreuses. 1) ἐδέξατο αὐτὴν Ζαχαρίας


ὁ ἱερεύς. — 2) οἱ ἱερεῖς. —Syr.: Et quand elle arriva à son.
temple, les prétres la recurent et l'embrassérent.
? C ajoute τῆς γῆς; À, E continuent : xal εἶπεν ὁ λαός" γένοι- —
TO, GUY.
3 B, Fa, Καὶ, R etc.: ἐπ’ ἐσχάτων.
4 ( :τὸ λύτρον τῶν υἱῶν ᾿Ισραήλ. --- Syr.
:le Seigneur exal-
tera ton nom, parce qu’en toi notre Seigneura révélé sa rédem-
ption aux hommes. — Eth. : Glorificet nomen tuum Dominus illo
die quo ex te apparebit. 4
5 Syr. et Eth. : du temple.
6 Syr. : et tout le peuple des fils d'Israël l'aima et illui donna le
nom de Marie. — Eth. supprime la danse.

πᾶσαν ἡμέραν, chaque jour, ἀνὰ ziv ἔτος, chaque année (Hérodote)
L'ordre de Joachim s'accomplit et le cortège arrive au temple. Dans
la pensée de l'auteur,ce ne peut être que le grand-prétre qui reçoit Marie
et lui adresse les paroles de bienvenue. On remarquera que les paroles
sont sensiblement les mémes que celles prononcées au festin dont il
a été question plus haut. Ce sur quoi l'auteur veut attirer l'attention, '
c'est la gloire future de Marie, le grand renom qu'elle aura dans toutes
les générations à venir. Le grand-prêtre précise maintenant les raisons
de cette gloire. C'est par Marie qu'au dernier jour, c’est-à-dire àla fin
des temps, quand commencera l'ére messianique, Dieu manifestera
sa rédemption aux fils d'Israél. Sile grand-prétre n'est pas autre que
Zacharie, futur père du Baptiste, il n'est pas étonnant, qu'en sa qualité
de prophète, il ait sur la rédemption prochaine d'Israél des lumières

n
T
ΜΝ
Er
àpren
AE
PROTÉVANGILE DE JACQUES 207
elles firent ainsi jusqu’à ce qu’on fût monté au temple du
. Seigneur. Et le prêtre la reçut, et l'ayant embrassée, il la
— bénit et dit :« Le Seigneur a glorifié ton nom dans toutes
- les générations. Par toi, au dernier des jours, le Seigneur
manifestera sa rédemption aux fils d'Israël. » 3. Et illa fit
“asseoir sur le troisième degré de l'autel, et le Seigneur
ᾧ envoya sa grâce sur elle, et elle dansa sur ses pieds, et toute
- la maison d’Israël l'aima.

toutes spéciales. Mais l'auteur primitif ne semble pasavoir fait cette


— identification ; dès lors il faut penser qu'il attribue au grand-prétre en
fonction une illumination prophétique. Ainsi Caiphe prédit, sans le
savoir, que Jésus devait mourir pour sa nation. Joa., xr. 47-52,
3. C'est également à l'inspiration de l'Esprit-Saint, que les commenta-
teurs grecs attribuent la démarche audacieuse du grand-prétre. L'accés
— de l'autel en effet était sévèrement interdit non seulement aux fem-
mes, mais aux hommes non employés au service du temple. L'auteur
— du Protévangile ne semble pas s'étre douté de cette prohibition, et
“trouve tout naturel que Marie soit placée par le grand-prétre sur le
“troisième degré de l'autel; n'est-elle pas destinée à être la mère du pon-
“tife suprême ἢ Le Protévangile conçoit donc cette oflrande de Marie
'eomme un rite non prévu, qui n'a dû s'accomplir que cette fois, et
qui était légitimé par toutes les merveilleuses circonstances, qui avaient
“entouré la naissance de Marie, par tout ce qu'on savait d'elle, et par tout
“ce qu'on en attendait. Bref, la Présentation de Marie dans le Protévan-
- gile ne ressemble pas le moins du monde à la profession religieuse qu'elle
-est devenue dansles remaniements postérieurs. L'autel auquel il est
fait allusion ne saurait étre celui que décrit l'Exode (xx, 24-25), et qui
n'avait pas de degrés; c'est plutôt celui dont parle Ézéchiel (xri, 13-
B7) et qui devait comporter trois degrés. Ce serait donc sur la plate-
forme méme où s'éléve l'autel qu'aurait été placée Marie. Il n'est pas
“question non plus des quinze degrés qui mènent à l’autel et qui, sans
doute d'aprés la description de Joséphe ( De bell. jud., V,v,3), appa-
raîtront dans les légendes postérieures. Sous l'influence de la grâce
divine, Marie danse en l'honneur de Dieu (cf. Ps. cxrix, 3; Lxvut,
-26), et toute la maison d'Israél fut charmée de sa bonne grâce et l'ai-
“ma, comme autrefois Israël et Juda aimaient David. I Sam., xvii,
“16. De même Samuel, durant sa jeunesse dans le temple, était agréa-
ble à Dieu et aux hommes. I Sam., 11, 26; cf. Luc., 11, 52.
VIII. 4. Καὶ κατέθησαν oi γονεῖς αὐτῆς θαυμάζοντες xat
αἰνοῦντες τὸν δεσπότην θεὸν, ὅτι οὐχ ἐπεστράφῃ ἡ παῖς

1 Plusieurs mss. ajoutent: ἔπ᾽ αὐτούς ou πρὸς αὐτούς, leçon.


qu'adopte aussi Syr.

VIII. 4. Les parents de Marie s'en retournent, pleins d'admiration


pour la sagesse précoce de leur enfant. Aprés quoi le Protévangile les |
perd complétement de vue. Le texte arménien sait qu'ils moururent
tous deux dans la méme année et que Marie ressentit beaucoup de.
chagrin pour son père et sa mère, dont elle prit le deuil pendant trente -
jours. Il est difficile de savoir à quelle date remontent les traditions qui
rapportent le sort ultérieur d'Anne. Nous voulons parler de la légende:
des trois maris d'Anne et des trois Marie ses filles. D’après cette lé--
gende, Anne aurait, aprés la mort de Joachim, épousé un certain Cléo-
phas et, celui-ci étant mort lui aussi, elle aurait été finalement mariée
à un personnage nommé Salomé. C'est de ce triple mariage d'Anne que.
sont nées les trois Marie : la mère de Jésus; Marie, fille de Cléophas,
épouse d'Alphée et mére des « fréres de Jésus », Jacques le Mineur,
José, Simon, Jude; enfin Marie, fille de Salomé, épouse de Zébédée,
mère de Jacquesle Majeuretde Jean. Hémo d'Halberstadt (cf. p. 149).
connait déjà cette tradition qui plus tard s'exprimera dans les vers |
mnémotechniques suivants (Légende dorée) :
Anna solet dici tres concepisse Marias,
Quas genuere viri Joachim, Cleophas, Salomeque.
Has duxere viri Joseph, Alphæus, Zebedæus.
Prima parit Christum; Jacobum secunda minorem,
Et Joseph justum peperit cum Simone, Juda;
Tertia majorem Jacobum, volucremque Johannem.

Des vers analogues se retrouvent dans un sermon de Gerson sur la


Nativité de Marie, éd. Dupin, t. 11, p. 59. La légende est vraisemblable
ment d'origine latine, je n'ai pas souvenance d'en avoir trouvé la trace
dans les nombreux auteurs grecs que j'ai lus. Les Grecs restés fidèles
aux données mêmes du Protévangile n'avaient pas besoin de cette généa=
logie compliquée. I] est facile de voir, en effet, que cette listea pour
but d'expliquer le degré de parenté des « fréres de Jésus » avec le Sau
veur. Depuis que saint Jérôme avait rejeté l'explication du Protévan-
gile qui en faisait des fils de Joseph nés d'un premier mariage, on les.
PROTÉVANGILE ΡῈ JACQUES 209

VIII .1. Et ses parents descendirent pleins d'admiration


et louant le Dieu tout-puissant de ce que l'enfant ne s'était
pas retournée (pour regarder) par derrière. Or Marie était

considérait comme des cousins du Seigneur. Mais à quel degré et de


quel côté, nul ne le savait. La légende des trois Marie en fait des cou-
sins germains du Christ, non seulement au point de vue légal, mais
au point de vue naturel ; c’est le même sang qui coule dans leurs vei-
nes, puisque tous ils sont petits-fils d'Anne. On remarquera qu'une
des données peut se réclamer de l'Évangile ; Joa., xix, 25, appelle Marie
de Cléophas, la sœur de Marie mère de Jésus. En assimilant cette Marie
avec Marie mére de Jacques le Mineur et de José qui parait au pied de
la croix dans Marc., xv, 40, on obtient la première liste des frères de
Jésus. Mais la légende qui fait de Salomé un homme, aieul de Jacques
et de Jean, est absolument fantaisiste. — Cette légende des trois maris
d'Anne a joui, à partir du xv* siècle, d'une vogue extraordinaire; plu-
sieurs y ont vu la seule explication possible de la difficulté tirée de l'exis-
tence de « frères du Seigneur ». Jean Eck, le fougueux adversaire de
Luther, en fait un de ces points de doctrine que l'on ne peut nier sans
renoncerà la foi catholique. Cf. Acta sanctorum, au 26 juillet. Anne
entourée de toute sa famille est un des sujets que traitent avec
bonheur peintres, sculpteurs et graveurs allemands du xv? et du
xvi? siécle.
Pour ce qui concerne le séjour dela Vierge Marie dans le temple, on
remarquera que le Protévangile ne le conçoit pas du tout de la manière
qu'ont rendue populaire les remaniements latins. Ni dans le texte du
Protévangile, ni dans la pensée del'auteur, le séjour de Marie au temple
ne constitue un fait régulier et ordinaire. Il n'est pas question le moins
du monde d'un couvent de vierges israélites, établi dans les dépen-
dances du temple, et où l'on aurait eu coutume de garder pendant leur
jeunesse les filles consacrées au Seigneur par leurs parents. Ceci est
une idée latine, qui s'est développée parallélement à la diffusion du
monachisme en Occident. Le vieil auteur du Protévangile ne supposait
rien de semblable, et il lui fallait toute son ignorance naive des condi-
tions réelles de la vie israélite pour concevoir la situation faite à Marie
dans le temple. Marie est dans le temple, non point comme une reli-
gieuse dans un couvent, mais comme une sainte sur un autel, Ce n'est
pas une femme en chair et en os, c'est déjà une créature spiritualisée
hiératisée. Sa place n'est pas dans la vie ordinaire, elle ne peut étre
que dans le Saint des Saints; et effectivement c’est là qu'elle séjourne,
qu'elle recoit des anges sa nourriture. Les.commentateurs grecs du
PROTÉV. — 14
"

210 PROTÉVANGILE DE JACQUES ὙΠ],1-2 —


στερὰ νεμομένη, καὶ ἐλάμθανεν τροφὴν ἐχ χειρὸς ἀγγέλου
2. Γενομένης δὲ αὐτῆς δωδεχαετοῦς !, συμόούλιον ἐγένετο,
τῶν ἱερέων λεγόντων" ἰδοὺ ἡ Μαρία γέγονεν δωδεχαετὴς ἐντῷ,
yaQ χυρίου᾽ τί οὖν αὐτὴν ποιήσωμεν, μήπως 2 μιάνῃ τὸ ἁγίασ x
κυρίου ; xal εἶπον τῷ ἀρχιερεῖ 9: Σὺ ἕστηχας ἐπὶ τὸ θυσιαστήσ
ρίον κυρίου 4 εἴσελθε xal πρόσευξαι περὶ αὐτῆς καὶ ὃ éày|
φανερώσει cot χύριος, τοῦτο xal ποιήσωμεν. 8. Καὶ ele

1 βμὺυ; τεσσαραχαίδεχα ἐτῶν. --- Syr.:« Quand elle eut grandi », |


mais fait mention des douze ans à la ligne suivante. 3l
2 C: μήπως ἐπέλθῃ αὐτὴ τὰ γυναικῶν xal μιάνῃ. 8 a lu |
μιανθῇ : de peur que le temple ne soit souillé. — Eth. : time- |
mus eero ne hic menstruis laboret. ‘À
? Plusieurs mss. donnent au grand-prétre le nom de Zacharie,
* Syr. et Eth. omettent ce premier membre de la phrase.

Protévangile ne s'y sont point trompés. Seuls, à ma connaissance, sainf |


Épiphane (Ancoratus, 60,P. G.,t. xvii, col. 124) et son homonyme du.
x? siècle ont essayé de donner du séjour de Marie au temple une explica-
tion scientifique. On avait coutume, dit l’évêque de Salamine, de consa-
crer les premiers-nés, aussi bien filles que garçons, au service du temple,
et de les y garder jusqu'à l’âge mür, comme cela se voit par l'exemple de
Samuel et celui de Marie. Les autres écrivains grecs concoivent tous le
séjour de Marie au temple, comme quelque chose d'extraordinaire etd
merveilleux. Germain [67 (P. G., t. xcvi, col. 309) s'exprime ainsi: « Là
où le grand-prétre pénètre seul, et non pas fréquemment, mais um
fois l'année seulement, pour accomplir le culte mystérieux, c'est
que Marie est introduite par ses parents pour y séjourner indéfiniment,
Ceci n'est-il pas un signe des merveilles qui s'opéreront plus tardem|
elle? Qu'ils nous montrent done, les adversaires de Marie, quand s'est |
jamais vue une chose semblable !... Comment, en voyant ces premiers
débuts de la Vierge, ne veulent-ils pas admettre ce qui lui est EU
plus tard. » Jean d'Eubée plus naivement encore (P. G.,t. xcvi, coL, | r
1489) :« Quelle est donc,dit-il, la dureté des Juifs, qu'ils ne croient pas| !
à la divinité de Jésus et à la grandeur de Marie ? Quand done, dans.
tout le cours des générations, ont-ils vu une enfantélevée dans le Saint.
des Saints, ou derechef une femme restée vierge aprés l'enfantement?» | à
Et Théophylacte dans une homélie sur la Présentation (P. G4 |^
f
VIII, 1-2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 211

“dans le temple du Seigneur, comme une colombe privée,


“et elle recevait sa nourriture de la main d’un ange. 2. Or,
quand elle eut douze ans, eut lieu un conseil des prêtres
qui dirent : « Voici que Marie a douze ans, dans le temple
I^
du Seigneur; qu’en ferons-nous, pour qu’elle ne souille
pas le sanctuaire du Seigneur?» Et ils dirent au grand-
prêtre : « Tu te tiens à l’autel du Seigneur. Entre (donc)
et prie à son sujet; et ce quele Seigneur t'aura manifesté,
cela nous le ferons. » 3. Et le grand-prêtre entra avec (le cos-

t. cxxvr, col. 129) :« Le grand-prétre, dit-il, inspiré de Dieu, ose laisser


pénétrer Marie dans le Saint des Saints ; il comprit que la Vierge était
bien réellement l'arche d'alliance, dont la place était dans le sanctu-
aire. Seules pourront s'en scandaliser les tétes dures qui nesavent pas
s'élever au-dessus de la lettre.» Ce sont les Juifs qui sont ici visés; ils de-
"valent trouver singulièrement étrange la fête dela Présentation et ne se
| eachaient pas pour montrer ce qu'avait de contraireà la loi juive l'en-
trée de Marie dans le sanctuaire. On pourrait multiplier ces citations;
elles contribueraient à prouver de quelle maniére, trés différente de
“la nôtre, l'Église grecque concevait le séjour de Marie au temple. Et
“cette interprétation nous semble la seule logique du texte primitif. Il
est donc inutile, croyons-nous, de discuter les preuves que l'on donne
de l'historicité de la Présentation et du séjour de Marie au temple. Ces
“preuves rassemblées jadis par Canisius (De Maria Deipara, 1. I) et par
Baronius (Apparatus ad Annales ecclesiasticos, n. 49 54.) admettent
toutes comme postulat fondamental, que le séjour de la Vierge dans le
temple est assimilable à celui d'une religieuse dans un couvent, quela
vie monastique existait chez les Juifs, et que les parents de Marie, en
“présentant celle-ci au temple,n'ont fait que suivre une coutume assez
répandue chez leurs compatriotes. Nous ne pensons pas qu'il existe
de preuves sérieuses à l'appui de cette hypothèse.
2. D'aprés les idées juives, le séjour de Marie dans le temple ne pou-
yait se prolonger apres l’âge de la puberté. L'auteur,qui, tout à l'heure,
faisait si bon marché des coutumes juives, avait besoin de faire sortir la
.Vierge du sanctuaire, de manière à rejoindre la narration évangélique
“du mariage de Joseph et de Marie. Il est donc heureux de trouver le
“prétexte cherché dans les scrupules des prêtres. Avec beaucoup de
“délicatesse il fait comprendre les raisons pour lesquelles Marie ne peut
rester dans le temple. Quelques mss. ont cru bon d'appuyer plus qu'il
“ne convenait sur ces raisons. Plus rafliné, au contraire, Grégoire de
212 PROTÉVANGILE DE JACQUES VIII, à
ἤλθεν ὁ ἀρχιερεὺς λαδὼν τὸν en Ὁ: 1 εἰς τὰ ἅγια
τῶν ἁγίων, καὶ ηὔξατο περὶ αὐτῆς 5. Καὶ ἰδοὺ ἄγγελος χυρίου
_ RE ,

ἐπέστη λέγων αὐτῷ Ζαχαρία, Δαχαρία, ἔξελθε xal M E


σίασον τοὺς χηρεύοντας τοῦ λαοῦ, Ξχαὶ ἐνεγχάτωσαν ἀνὰ"
t 258 4 1 LE DA 2 , ,
g£a650y *, xal ᾧ ἐὰν ἐπιδείξῃ χύριος σημεῖον, τούτου ἔσται
γυνή ὅ. "E&5A00v δὲ οἱ χήρυχες καθ΄ ὅλης τῆς TT |
τῆς ᾿Ιουδαίας, xal ἤχησεν ἡ σάλπιγξ xupíou, xol ἔδραμον,
πάντες ὅ. *

1 L ajoute la glose:legómoemec ἱμάτιον.


« e

? Eth. donne le texte de la prière :Dominus meus et Deus meus,


adjutor meus, saleatorque meus, te rogo, te obsecro, indica MeE
quid. nobis circa hanc puellam agendum sit.
m
3 Eth. :omnes viros qui uxorem non duzerunt.
* Lajoute:xai Aá6s αὐτὰς καὶ θῦσον αὐτὰς ἐπὶ τὸ uote
τήριον. ]
5 Pos. :γυνὴ εἰς τήρησιν; D: εἰς τήρησιν τῆς παρθένου. +
8 Syr.:et tous vinrent vers le grand-prétre et donnèrent leur
baguettes.

Nysse, dans le sermon déjà cité, fait entendre qu'il n'était pas conve
nable de voir une jeune fille séjourner au milieu des prétres. L' expres
sion : « tu te tiens à l'autel du Seigneur,» que certains mss. n'ont pas
comprise, indique simplement, qu'ensa qualité de souverain sacrifi-
cateur, le grand-prétre est tout désigné pour consulter l'oracle du Sei-.
gneur. ll rentrera donc dans le sanctuaire, revêtu du costume obli- Ἢ
gatoire en pareille circonstance. Le mot δωδεχαχώδων est bien sine
gulier pour désigner ce vêtement. Il fait évidemment allusion aux
clochettes que l'Exode (xxvii, 33-35) prescrit de mettre au bas dela |
robe du grand-prétre, et dont parlent encore Joséphe (Ant. III, vu, 4)
et Philon (Vit. Mos., 1. III). Le nombre des clochettes n'était pas déter=
miné dans l Ancien Testament. D’après le texte de l'Exode il E
étre assez considérable; les rabbins ont parlé de soixante-douze, Clé
ment d'Alexandrie (Strom., v, 241) en met trois cent soixante. Justin
(Dial., 42) connait le chiffre de douze; cette précision doit venir de |
la considération du nombre des tribus. Nous avons signalé plus haut
(Introd., p. 89) la légende que la γέννα Mapias décrite par Épiphan
rattachait à l'institution dece costume.

uc
VIII,3 PROTÉVANGILE DE JACQUES 219

tume aux) douze sonnettes dans le Saint des Saints, et il pria


à son sujet. Et voici qu'un ange du Seigneur se tint devant
lui, disant :« Zacharie, Zacharie, sors et rassemble ceux qui
sont veufs parmi le peuple, et qu'ils apportent chacun une
baguette; et celuià quile Seigneur montrera un signe, de
celui-là elle sera la femme. » Les hérauts sortirent donc,
(et se répandirent) dans tout le pays de Judée, et la trom-
pette du Seigneur retentit, et tous accoururent.

Entré dans le sanctuaire le grand-prétre est interpellé parson nom,


« Zacharie ». C'est la première fois que ce nom est attribué au grand-
prétre par tous les mss. et par toutes les version; (le remaniement ar-
ménien qui avait connu jusque-là le grand-prétre. Éléazar, fait inter-
venir juste à ce moment un changement de personnel ). On peut se
demander si le nom de Zacharie a été inséré ici par l'auteur primitif,
ou seulement par le rédacteur qui a joint la légende de Zacharie au
livre de la nativité de Marie. Dans ce cas, ce serait une trace de la sou-
dure des deux récits. On n'est pas obligé pourtant de faire cette der-
nière hypothèse, il est possible que l'auteur du noyau primitif ait déjà
connu Zacharie comme grand-prétre. Cette idée, qui repose sur une
| fausse interprétation de Luc., r, 8-10, se retrouve dans d’autres légen-
des indépendantes du Protévangile (ex. γέννα Μαρίας) et chez des com-
mentateurs (saint Augustin, saint Ambroise) qui n'ont pas connu
| notre texte. Zacharie doit rassembler tous ceux qui sont veufs parmi
| le peuple. Nous avons indiqué plus haut les raisons de cette désigna-
tion, et les divergences qui s'accusent sur ce point dans les remanie-
ments postérieurs. Il est remarquable que le texte éthiopien qui suit
généralement le Syriaque ait supprimé lui aussi les veufs et écrit
simplement omnes viros qui uxorem non duxerunt. — L'épreuve
indiquée par l'oracle divin est la méme que celle de Num., xvir, avec
quelques modifications; le signe qui doit manifester l'élu n'est point
indiqué à l'avance ; c'est à l'événement méme qu'on le connaîtra. Il
| est bien entendu que l'homme désigné par le miracle ne saurait être
l'époux véritable de Marie. Quelques mss. ont cru bon de mettre tout de
| suite la restriction εἰς τήρησιν, que le texte primitif semble avoir
réservé pour le chapitre sulvant. La trompette du Seigneur, qui doit
| convoquer les prétendants, est évidemment la.trompette qui doit an-
noncer dans tout le pays le commencement de l'année jubilaire, Lev.,
xxv, 9. L'auteur du Protévangile ne veut pas perdre une occasion
de nous montrer sa science, d'ailleurs toute livresque, des coutun.es
juives,
214 PROTÉVANGILE DE JACQUES

IX. 1. ᾿Ιωσὴφ δὲ ῥίψας τὸ σχέπαρνον ἐξῆλθεν εἰς cuv&y


τῆσιν αὐτῶν᾽ χαὶ συναχθέντες ἀπῆλθον πρὸς τὸν ἀρχιερέα,
λαθόντες τὰς δάδδους. Λαθὼν δὲ ἁπάντων τὰς ῥάδδους εἶσε
ἦλθεν εἰς τὸ ἱερὸν xol ηὔξατο. Τελέσας δὲ τὴν εὐχὴ
ἔλαθε τὰς δάδδους xal ἐξῆλθε xal ἀπέδωχεν αὐτοῖς" χαὶ
σημεῖον οὐχ ἦν 1éy αὐταῖς. Τὴν δὲ ἐσχάτην ῥάδδον ? ἔλαθε
᾿Ιωσήφ 9: καὶ ἰδοὺ περιστερὰ ἐξῆλθεν ἐχ τῆς ῥάδδου xal
ἐπετάσθη ἐπὶ τὴν χεφαλὴν ᾿Ιωσήφ. Καὶ εἶπεν ὁ ἱερεὺς τῷ
᾿Ιωσήφ' σὺ χεχλήρωσαι τὴν παρθένον χυρίου παραλαθεῖν

1 Plusieurs mss. grecs et Syr. : ne parut.


? Syr. : or la dernière baguette était à Joseph. — Eth. : ultima
virga qua remansit ad. Josephum pertinebat. a2
3 D arrange autrement ce membre de phrase: τὴ δὲ ἐσχάτῃ
ῥάῤδῳ ἐφάνη περιστερὰ, xal ἐπέδωχε τῷ ᾿Ιωσήφ.
«Ὁ

IX. 1. Joseph est introduit sans aucune préparation, comme un per-


sonnage déjà connu; aussi bien l’auteur du Protévangile suppose les
lecteurs au courant des faits contenus dans les Évangiles canoniques
il juge donc inutile de présenter longuement un homme si célèbre. Jo-
seph nous est montré dans l'exercice de son métier de charpentier, la
hache à la main. La promptitude avec laquelle il abandonne son tra
vail pour obéir aux ordres du grand-prétre est un indice de sa vertu
L'Évangile de saint Matthieu avait appelé Joseph un juste, et avait.
montré son obéissance. L'auteur du remaniement arménien n'a pas.
saisi cette nuance: Joseph en se rendant à la convocation du grand-pré- -
tre n'a pas réfléchi, et a agi instinctivement, en apparence, en réalités
sous l'influence de l'esprit de Dieu (cf. p. 72, n. 3). Joseph se joint donc au
groupe de prétendants, qui tous sont munis d'une baguette. De même
que Moïse avait déposé les douze verges des principaux d'Israél en.
présence de Yahveh dans la tente du témoignage (Num., xvrr, 7), de
méme le grand-prétre, ayant pris les baguettes de tous les veufs rass
semblés par son ordre, les dépose dans le sanctuaire. Il faut penser que
le nom de chaque prétendant est inscrit sur la baguette. Num., ibid., 37
Dans la scéne racontée par les Nombres, c'est le lendemain seulement:
que Moïse vient rechercher les verges; ici, le grand-prétre, aussitót sa.
priére terminée, prend les baguettes et les remet à leurs propriétaires
respectifs, il s'attend qu'au moment oü il remettra à l'élu du Seigneur
la verge quilui appartient, un miraclese produira. En fait, ilse trouve
DIX, 1 PROTÉVANGILE DE JACQUES 215
IX. 1. Or Joseph, ayant jeté sa hache, sortit pour se
joindre à eux. Et s’étant réunis, ils se rendirent vers le
“prand-prêtre aprés avoir pris les baguettes. Or (celui-ci)
ayant pris les baguettes de tous entra dans le sanctuaire
et pria. Puis, ayant terminé sa prière, il prit les baguettes
et sortit, et les (leur) donna. Et il n'y avait point de signe
sur elles. Or la derniére baguette, ce fut Joseph qui la
- reçut. Et voici qu'une colombe sortit de la baguette et vola
sur la téte de Joseph. Et le prétre dit à Joseph : « C'est toi
qui es désigné par le sort, pour prendre sous ta garde la
r

que, Joseph étant resté au dernier rang, le miracle ne se produit qu au


dernier moment. Les remaniements latins rendront la scéne encore
plus dramatique. Joseph resteraà l'écart;la première épreuve ne réussi-
ra pas, et il faudra un second oracle pour trahir Joseph. On s'attendrait,
d'aprés l'exemple des Nombres, à voir fleurir la baguette remise à
Joseph; en réalité, c'est un prodige différent que décrit l'auteur. Il a
visiblement emprunté l'idée de la colombe au récit du baptéme de
Jésus, mais il songeait en méme temps à l'oracle d'Isaie, x1, 1:«Un ra-
meau sortira du tronc de Jessé,et un rejeton naitra de ses racines,
l'esprit, de l'Éternel reposera sur lui. » Il résulte de cette combinaison
des deux données une légére inconsistance; on ne voit pas trés bien
comment une colombe peut sortir d'un rameau ; l'Évangile de la nati-
vité mettra plus d'ordre dans tout ce récit. Meyer conjecture que la
colombe ne représente point ici le Saint-Esprit, comme dans le bapté-
me du Christ, mais bien Marie, qui est la colombe privée, élevée dans le
temple du Seigneur (vrrr, 1). Le prodige ayant été constaté,le grand-
- prêtre veut faire accepter à Joseph le rôle pour lequel l'a désigné le
Seigneur. Le sens général de la phrase est assez clair, et les différentes
versions donnent sensiblement la méme idée:« Joseph sera non pas
l'époux, mais le gardien de la vierge du Seigneur. » L'explication litté-
rale souffre pourtant quelque difficulté, à cause surtout de 1᾿ἑαυτῷ
final. Les copistes l'ont diversement compris. Si on le maintient, et
je erois qu'il faut le maintenir, il faut le faire rapporter directementà
χεχλήρωσαι, on a ainsi le sens ; « Tu as obtenu pour toi, pour ta part. »
Le faire rapporter à τήρησιν, donnerait un sens qui ne cadrerait pas
avec l'idée générale que l'auteur se fait des relations entre Joseph et
Marie. Cf, lintrod., p. 24 sq. Quelques mss. enfin ont lu αὐτῷ, qu'il
faudrait rapporter à χύριος, Joseph doit garder la Vierge au Seigneur.
216 PROTÉVANGILE DE JACQUES IX, 2

sig τήρησιν ἑαυτῷ L 2. Καὶ ἀντεῖπεν Ἰωσὴφ Aé[ov' υἱοὺς


ἔχω 2 xal πρεσθύτης εἰμὶ, αὐτὴ δὲ γεᾶνις 3, μήπως περίγετ,
- ͵
Aoc γένωμαι τοῖς- υἱοῖς
e EDS /
Ἰσραήλ. Kat Voεἶπεν ὁvue ἱερεὺςB τῷz-3 ᾿Ιωσήφ, |
φοδήθητι χύριον τὸν θεόν σου, xal μνήσθητι ὅσα ἐποίησεν à
θεὸς Δαθὰν xai ᾿Αδειρὼν xal Κορὲ, πῶς ἐδιχάσθη ἡ γῆ χαΐ
χατεπόθησαν διὰ τὴν ἀντιλογίαν αὐτῶν *. Kal νῦν φοδήθητι

1 L: σοὶ χεχλήρωται ἡ παρθένος αὔτη, παράλαθε αὐτὴν εἰς


τήρησιν (σεαυτῷ). — A, B, E lisent : col. χεχλήρωται τὴν
παρθένον (κυρίου) παραλαθεῖν εἰς τήρησιν; ce dernier mot est
différemment complété: A, D:eic τήρησιν αὐτῆς; B, E, Fa, 1, 1
Reis τήρησιν ἑαυτῷ (αὐτῷ, σαυτῷ). ---Syr. : Joseph, c'est
toique revient la vierge de la part du Seigneur, dans la part q
est à toi, pour que tu la prennes, et que tu la gardes. — Eth.: Tu
es quem elegit dominus et posuit custodem. super illam sanctam vir
ginem. Accipe eam ex hac hora, et custodi illam.
? D ajoute: νεανίσχους. — Syr. : et ils sont des hommes. —.
Eth.: supprime les fils, tout comme précédemment le veuvage:
ego enim sum senez longævus, ipsa autem puella ad matrimonii &ta-
tem pereenit ;st forte hanc. accepero, opprobrium erit. super me.
inter omnes filios Israël. Y
3 D:xal πῶς ἔσομαι αὐτῆς φύλαξ. — Syr.: il se pourrait |
que quelque accident arrivât et que je devinsse un objet de mo
querie en Israël,
4 D :xóc-
ἀνοίξασα ἡe γῆ= τὸ στόμα αὐτῆς =
καὶ κατέπιεν αὐτούς.ἄν |᾿
Syr. : et les a engloutis parce qu'ils se levèrent pour la lutte.

2. Joseph refuse d'abord l'honneur qui lui est fait. Il allégue son grand
âge et, subsidiairement, la présence dans sa maison de fils déjà grands, 5
qui sont des hommes, dit le Syriaque. Les documents postérieurs sont. M)
bien renseignés sur l’âge exact de Joseph. D'aprés l'Histoire arabe de Jo-
seph le charpentier (ch. 1v, x, xiv, xv), ce patriarche aurait eu quatre- |
vingt-dix ans quand Marie lui fut confiée. Épiphane a des renseigne- À
ments du même genre. Hæres., 11, 10, il était πρεσδύτης ὀγδοήκοντα
ἐτῶν πλείω ἢ £600. —Hæres., Lxxvu1, 8, 10, au retour d'Égypte, ilavait |
quatre-vingt-quatre ans, et vécut encore huit ans. D’après l’histoire
de Joseph de Charpentier, il aurait méme été jusqu'à cent onze ans,
dépassant ainsi d'une année le premier Joseph qui d’après les M
calculs juifs avait vécu cent dix ans. Les apocryphes que nous
AIX, 2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 211

= Vierge du Seigneur.» 2. Et Joseph refusait, disant : « J'ai


- des fils, et Je suis vieux, tandis qu'elle, elle est une enfant.
(Jai bien peur) de paraître ridicule aux fils d' Israel. » Et le
prétre dit à Joseph : « Crains le Seigneur ton Dieu, et sou-
viens-toi de ce que Dieu a fait à Dathan, Abiron et Coré,
comment la terre s'est entr'ouverte, et (comment) ils s'y
engloutirent à cause de leur résistance. Et maintenant, ὃ

possédons ne savent pas le nom de la première femme de Joseph,


mais nous apprenons par Nicéphore, qui tient ce détail d'Hippolyte
de Porto, évêque de Rome (!), H. E., τὶ, 3 (P. G., t. cxrv, col. 760)
. qu'elle s'appelait Salomé, qu'elle était apparentée à la famille de Jean-
Baptiste, étant fille d'Aggée, frére de Zacharie, et par conséquent cou-
sine germaine du Baptiste. Au témoignage de saint Jérôme, /n Matth.,
-x11, 46,les apocryphes lui donnaient le nom d’Escha, Cf. les noms d' Es-
tha, Esther, etc.,qui apparaissent dans les diverses généalogies imaginées
pour concilier les listes de saint Matthieu et de saint Luc. Naturelle-
ment les fils dont parle Joseph ne sont autres que les personnages
mentionnés dans l'Évangile comme les fréres du Seigneur. L'Histoire
de Joseph (c. 11) les appelle Jude, Juste, Jacques et Simon. Ce sont les
noms de Matth., xri, 55, avec le changement de José en Juste. D’après
la méme histoire, Juste et Simon étaient les aînés, Jude et Jacques les
plus jeunes des quatre frères. Les filles se seraient appelées Assia et
Lydia. Beaucoup plus tard, Théophylacte en connait trois : Esther,
Thamar et Salomé; cette derniére épousa Zébédée et lui donna Jacques
et Jean. Épiphane n'en connaissait que deux : Marie et Salomé, Hæres.,
xxvii, 7; LXXVII, 9. On voit que toutes ces relations de parenté
étaient fort imprécises. La version éthiopienne a supprimé les fils de
Joseph.
Le Syriaque a insisté avec quelque lourdeur sur les inconvénients
que pouvait entrainer la présence dans la maison de Joseph de fils
déjà grands. Cette idée n'est pas dans le Protévangile, il ne mentionne
les fils de Joseph, que pour faire ressortir son Âge, le reste du récit
ne les mentionnera plus, sauf à un seul endroit; il ne semble pas que,
dans la pensée de l'auteur, ils aient habité la maison paternelle. Ce qui
ennuie Joseph, c'est l'évidente disproportion entre son âge et celui
de Marie. La manière dont le grand-prêtre répond à cette difficulté est
péremptoire. Joseph n'a qu'à s'exécuter, sous peine d'attirer sur
lui et sur sa maison le chátiment que subirent Coré, Dathan, et
Abiron avec leurs femmes, leurs fils et leurs petits-enfants. Num.,
VI, 27-31,
218 PROTÉVANGILE DE JACQUES IX,2-X

᾿Ιωσὴφ μήπως ἔσται ταῦτα ἐν τῷ οἴχῳ cou 1, 3. Καὶ φοθηθεὶς


᾿Ιωσὴφ παρέλαθεν αὐτὴν εἰς τήρησιν ἑαυτῷ ?. Καὶ εἶπεν
᾿Ιωσὴφ τὴ Μαριάμ᾽ ἰδοὺ παρέλαθόν σε ἐκ ναοῦ κυρίου, καὶ
γῦν καταλείπω σε ἐν τῷ οἴχῳ μου xal ἀπέρχομαι οἰχοδο-
μῆσαι 8 τὰς οἰχοδομάς μου, καὶ ἥξω πρὸς cé' χύριός σε διαφυ-
λάξει.

X. 1. ᾿Εγένετο δὲ συμδούλιον τῶν ἱερέων λεγόντων᾽ ποιή-


σωμεν χαταπέτασμα τῷ ναῷ χυρίου. Καὶ éfmey ὁ ἱερεύς" χκαλέ-
σατέ μοι * παρθένους ἀμιάντους ἀπὸ τῆς φυλῆς Δαυίδ. Καὶ
ἀπῆλθον οἱ ὑπηρέται xai ἐζήτησαν, xat εὗρον ἑπτὰ παρθένους.
Kol ἐμνήσθη 5 ὁ ἱερεὺς τῆς παιδὸς Μαριὰμ, ὅτι ἦν ἐκ τῆς

1 Syr.: et prends-la sous ta garde. Et Joseph craignit et il dit.


à Marie.
2 Κα: εἰς τὸν οἴχον αὐτοῦ. 1
3 Eth.: At vero ego abire debeo in peregrinationem et jam nunc
tempus advenit.
4 Syr. et Eth. : huit vierges. — Plusieurs mss. grecs donnent
également un chiffre :C, D, Fa: ἑπτά; G, K, L: ὀκτώ.
5 ἢ) :χαὶ ἐμνήσθησαν xat τῆς παιδὸς Mani

3. Joseph emméne Marie dans sa maison, En fait, loin de remplir.


son rôle de gardien, il s'éloigne aussitôt pour retourner à ses travaux
Meyer donne fort justement les raisons de cette petite incohérence. -,
Il faut d'abord écarter toute idée de relations conjugales entre Joseph
et Marie. Il convient ensuite de laisser une place pour la seène suivante
et la visite à Élisabeth. Enfin il ne fallait pas, et tous les Pères de l'É
glise sont de cet avis, que Joseph füt présent lors de l'Annonciation, |
Tout ceci explique assez comment Joseph laisse à Dieu le soin de pro-.
téger Marie.
X. 1. Pour bien comprendre la signification de cet épisode, il faut sen
rappeler que le pamphlet juif, auquel Celse a fait quelques emprunts
dans le Discours véritable, représentait Marie comme une pauvre fem
me réduite à filer pour gagner sa vie. Le Protévangile répond directes
ment à cette attaque. Si Marie filait, ce n'était point comme une mer
cenaire; le travail qui lui est confié est un travail honorable, auquel
sont appliquées les jeunes filles les plus pures de la tribu de David. IN
"odo
(Co

1X,2-X,4 | PROTÉVANGILE DE JACQUES 219

Joseph, crains que cela n'arrive dans ta maison. 3. Et


1 Joseph, rempli de crainte, prit Marie sous sa garde. Et il
lui dit :« Voici queje t'ai reçue du temple du Seigneur, et
maintenant je te laisse dans ma maison, et je m'en vais
construire mes bátiments, puis je reviendrai vers toi. Le
Seigneur (entre temps) sera ton protecteur. »

X. 1. Or voici qu'eut lieu un conseil des prêtres; ils di-


- saient : « Faisons un voile pour le temple du Seigneur. »
Et le grand-prétre dit : « Convoquez-moi les vierges sans
souillure de la tribu de David. » Et les serviteurs partirent
et cherchérent, et ils trouvèrent sept vierges. Et le grand-
prêtre se souvint de la jeune Marie : elle était, (elle aussi,)

s'agit, en effet, de tisser le voile précieux qui séparaitlesanctuaire du


Saint des Saints. D’après le Talmud,on confectionnait chaque année
deux voiles (il y avait un second voile à l'entrée du sanctuaire) et trois
cents prétres étaient requis pour ce travail. L'idée de faire tisser ce
voile par des jeunes filles a dû venirà notre auteur du récit del' Exode,
xxxv, 25, oü l'on voit « toutes les femmes qui avaient de l'habileté,
- filer de leurs mains les fils teints en bleu, en pourpre, en écarlate et en
fin lin. » Peut-étre aussil'auteuravait-il entendu parler des jeunes filles
nobles qui, tous les ans, à Athénes, tissaientle peplos destiné à la déesse
protectrice de la ville. Le chiflre sept, nombre des vierges que ramé-
nent les serviteurs, ne doit pas être primitif; il n'y aque sept tâches
à distribuer, et Marie qui arrive la huitiéme en prendra deux pour
elleseule. Le syriaque a été inspiré par une autre pensée. Le grand-
prétre avait réclamé huit vierges de la tribu de Juda, et il ne s'en trou-
ve que sept, Marie est appelée à compléter leur nombre; toutefois il
ne reste toujours que sept tâches à distribuer. L'éthiopien plus avisé
en a supprimé l'énumération, on peut toujours supposer que
chacune des vierges convoquées a trouvé du travail Le fait que
les serviteurs n'ont pas tout d'abord amené Marie, s'explique facile-
ment. Ils la croyaient mariée. Le grand-prêtre au contraire, au
courant de sa situation réelle, doit la considérer comme une vierge de
la tribu de David. L'origine davidique de Marie est indiquée ici pour
la première et dernière fois; l'auteur, qui l'admet, n'éprouve aucun
besoin d'y insister. Parmi les matières emplovées, d’après le Proté-
vangile,à la confection du voile, quatre sont mentionnées dans l'Exo-
2 AL ^ e es

χυρίου !* καὶ εἶπεν ὁ ἱερεύς" λάχετέ uot τίς γήσει ? τὸ χρυσίον E


ΟΝ ὁ
xai τὸ ἀμίαντον xai τὴν βύσσον xat τὸ σηριχὸν xat τὸ ὑαχίνθιΞ
* ^ \ 4 , M A * M \ e »

γον χαὶ τὸ χόχχινον χαὶ τὴν ἀληθινὴν πορφύραν. Καὶ ἔλαχεν


τὴν Μαριὰμ. ἡ ἀληθινὴ πορφύρα 3 xai τὸ χόχχινον, καὶ λα-
δοῦσα ἀπίει εἰς τὸν οἶχον αὐτῆς. [Τῷ δὲ χαιρῷ ἐχείνῳ ἐσί-
ynoev Layapiac, καὶ ἐγένετο ἀντ᾽ αὐτοῦ Σαμουὴλ 4, μέχρις
ὅτου ἐλάλησεν Ζαχαρίας. Μαριὰμ δὲ Aa6oüca τὸ χέχκχινον
ἔχλωθεν.

XI. 1. Καὶ ἔλαθεν τὴν χάλπην xoi ἐξῆλθεν γεμίσαι ὕδωρ 5"

1 Syr. omet ce membre de phrase.


τὸ
Eth. omet l'énumération. D
NET
3 Tous les mss. grecs donnent la pourpre et l'écarlate, mais idi
l'ordre différe beaucoup. — Eth. donne seulement la pourpre, mais
indique postérieurement le byssus.
^ Qq. mss. donnent Siméon.
5 Eth. : Quodam die, cum iret Maria ad hauriendam aquam de
cisterna Nazareth in urbe David,ecce misit Dominus angelum Gabriel.
ad eam.

de, xxxv, 25 : la pourpre violette (ὑάχινθος, couleur de jacinthe), la


pourpre rouge (celle que notre auteur appelle la pourpre véritable, Oise
Je
νέαςdE
e
1
beaucoup plus précieuse que la précédente), l'écarlate (xózxtvoc, de
xóxxoc, cochenille), enfin le byssus, ou lin très fin, originaire de l'In-
steti
4
de. Josèphe (Bell. jud., V, v, ^-5)nomme, en plus, le fil d'or, mentionné
par l'Exode à propos de l'éphod du grand-prétre (xxvi, 5-6). Pour com-
plèter le chiffre de 7, auquel il semble tenir, l'auteur ajoutel'amiante,
ns
EL
minéral souple et soyeux que l'on peut filer et tisser, etla soie, incon-
nue dans les temps plus anciens, mais qui dès le v® siècle avant notre | Mast.
ére, commence à se répandre dans le bassin de la Méditerranée. Entre
toutes ces matiéres précieuses, c'est la pourpre qui échoit à Marie. In-
signe des rois, elle convient bien à Marie, issue de race royale, et destinée
à une royauté plus haute que toutes les dignités dela terre. — Plusieurs
critiques considèrent l'indication relative àZacharie comme une inter- d
polation, Ce rappel trés succinct des événements rapportés, Luc,r, 8-
_X,1-XI,1 PROTÉVANGILE DE JACQUES 221

de la tribu de David et sans souillure devant Dieu. Et les


serviteurs s'en allèrent et l'amenérent. Et ils firent entrer |
les vierges dans le temple du Seigneur. Et le grand-prétre
dit : « Tirez au sort, (pour savoir) qui filera l'or, et l'amian-
te et le lin, et la soie, et la pourpre violette et l'écarlate et
la pourpre véritable. » À Marie échurent la vraie pourpre et
l’écarlate, et les ayant prises, elle s’en alla dans sa mai-
son. [Or en ce temps-là Zacharie devint muet, et ce fut
Samuel qui le remplaça, jusqu’au jour où Zacharie parla
de nouveau.] Or Marie ayant pris l’écarlate se mit à filer.

XI. 1. Et elle prit sa cruche et sortit pour puiser de l’eau.

22,est destiné à mettre d'accord le Protévangile et les récits canoniques.


La conception de Jean-Baptiste, qui suit de prés l'accident survenu à
Zacharie, précède de six mois l'annonciation qui va être rapportée
au chapitre suivant. Peut-étre aussi faut-il voir dans cette phrase
incidente une premiére soudure destinée à rattacher au récit primitif
la légende de Zacharie. Conrady (p.86) n'admet pas ces explications.
Il considére au contraire comme capital, pour la suite du récit, la mention
de cet incident. Sans le silence forcé de Zacharie, la scéne dela compa-
rution de Joseph et de Marie devant les autorités sacerdotales serait
invraisemblable. Comment Zacharie aurait-il pu accuser cette même
Vierge, dont il avait prédit qu'un jour elle apporterait la rédemption
au monde? Tout ingénieuse qu'elle soit, cette explication ne supprime
pas l'impression étrange que fait au milieu du récit la mention de
laecident survenu à Zacharie. Samuel, qui remplace provisoirement
le prêtre Zacharie, devait s'appeler à l'origine Siméon, ce dont témoi-
gnent encore quelques mss. Cf. xxrv, 4.
XI.4. La scène de l'Annonciation dans le Protévangile diffère assez
profondément de celle qu'a racontée saint Luc,:, 26-38. Ellese dédou-
ble en deux parties, la salutation angélique à la fontaine, l'annonce du
divin enfantement à la maison. La description est plus naive, plus po- -
pulaire, moins théologique que celle de l'Évangile. Marie nous est
représentée dans l'accomplissement de ses occupations ordinaires et le
tableau ne manque pas de grâce. Hofmann explique le dédoublement
des récits évangéliques par l'existence de plusieurs traditions locales
relatives à l'endroit où avait eu lieu l'annonciation. Certains la met-
taient auprès de la fontaine, d'autres la situaient dans l'appartement
de Marie. Voulant les accorder toutes, l'auteur du Protévangile a ra-
222 PROTÉVANGILE DE JACQUES

εὐλογημένη σὺ ἐν γυναιξίν 1 Kol meptebhémero δεξιὰ X


ἀριστερὰ, πόθεν αὕτη ἡ φωνή. Καὶ σύντρομος γενομένη ἀπίεϊ
εἰς τὸν οἶχον αὐτῆς χαὶ ἀνέπαυσεν τὴν χάλπην, χαὶ λαθοῦσα
τὴν πορφύραν ἐκάθισεν ἐπὶ τοῦ θρόνου αὐτῆς xal εἶλχεν

λέγων᾽ μὴ co6o00 Μαριὰμ, εὗρες γὰρ χάριν ἐνώπιον τοῦ


πάντων δεσπότου, xai συλλήψῃ ἐκ λόγου αὐτοῦ 3, Ἢ δὲ

1 Syr. : Salut à toi, toute belle. — L ajoute: xai εὐλογημένος


ὁ χαρπὸς τῆς χοιλίας cou. H, K omettent: εὐλογημένη σὺ ἐν
γυναιξίν. — Eth. : Salus sit super te, o.Maria, sancta et pura.
Dominus enim benedixit tibi. Ille est tecum et tu ineenisti. gratiam
apud eum. Exaltaberis magis quam. omnes mulieres qua creata
sunt in mundo.
2 Fh:&yyehos τοῦ θεοῦ [}.αθριήλ.
3 A: ἐχ πνεύματος ἁγίου. — Eth. : tu vero gravida es virtute
Verbi Domini et Spiritus Sancti. E

conté deux apparitions. Mais il est peu vraisemblable qu'il ait existé, dès
le 11* siècle, deux traditions relatives au lieu de l'annonciation.—Meyer,
pour expliquer la salutation à la fontaine, fait appel aux légendes po-
pulaires, qui mettent auprès des sources les rencontres avec les génies
ou les fées. — La voix quise fait entendre est bien celle del'ange, encore
que son nom ne soit pas exprimé; la salutation est celle de Luc.1,28:
mais à laquelle se joint εὐλογημένη συ ἐν γυναιξίν de Luc., 1, 42. Cette +
addition au texte de l'Évangile est très ancienne, elle est attestée
par plusieurs manuscrits onciaux, et se retrouve dans le syria- —
que, la vulgate, le gothique, l'éthiopien, dans Tertullien (De virg.
veland., 6, P. L., t. 11, col. 897) et Eusèbe (Dem. eeang.,l. VIL, e. 1,2
P. G., t. xxu, col. 517). — Marie prise de frayeur rentre à la maison,
et déposant sa cruche se remet au travail. Les représentations.
iconographiques de l'Annonciation. ont longtemps figuré la cru- |
che et la pourpre. Marie, qui tout à l'heure filait l’écarlate, a rep : |
maintenant la pourpre. Si le texte est bien authentique, ce change-
ment ne doit pas étre sans signification. Plusieurs commentateurs
grecs font remarquer, qu'au moment de la conception, Marie doit avoir
sur elle le tissu le plus précieux; ne va-t-elle pas devenir maintenant
le véritable Saint des Saints, où Dieu va séjourner? La visite de l'ange
XI, 1-2 PROTÉVANGILE DE JACQUES P

Et voici qu'une voix (lui) dit : « Salut, pleine de gráces, le


… Seigneur est avec toi; bénie es-tu entre les femmes. » Et
- elle regardait à droite et à gauche, d’où (pouvait bien venir)
cette voix. Et prise de saisissement, elle retourna dans sa
maison, déposa sa cruche, et ayant pris la pourpre s'assit
— sur son siège et se mit à filer. 2. Et voici qu'un ange du
-. Seigneur se tint devant elle, disant : « Ne crains pas, Marie,
- car tu as trouvé grâce devant le Maître de l'univers, et
tu concevras de sa parole. » Elle, ayant entendu (ces mots),

est annoncée à la maniére ordinaire ; l'ange se tient devant Marie,


et commence par la rassurer. Ses premiéres paroles sont directement
empruntées à Luc., 1, 30. Mais elles ne laissent pas que de paraître assez
étranges dans le Protévangile. Pourquoi Marie aurait-elle à craindre ὃ
Elle doit étre habituée àla vue des anges, puisqu'au temple c'étaient
eux qui tous les jours lui apportaient sa nourriture. L'auteur de la
Nativité de Marie sentira cette difficulté et s'eflorcera de la résoudre. —
Du texte de Luc il nereste que les premiers mots: «Tu as trouvé grâce
devantle souverain Seigneur et tu concevras. » Mais dans le Proté-
vangile,l'ange ne laisse pas un seul instant supposer à Marie, qu'elle pour-
rait concevoir selon les régles ordinaires de la nature, il ajoute immédia-
» tement« tu eoncevras de sa parole». Nous avons déjà fait (p. 41) les re-
marques nécessaires sur cette manière de parler.Sans vouloir trop presser
le mot \6y0<,où il serait difficile de voir dans l’état du texte un être person-
nel, il ne faudrait cependant pas y voir exclusivement la parole créa-
trice de Dieu,telle qu'on la voit opérer dansl'Ancien Testament.La con-
ception de l'auteur est encore vague, mais le logos ne saurait étre pour
lui un simple flatus vocis, c'est une réalité mystérieuse, et douée d'un
pouvoir d'opération. C'est à de telles expressions qu'il faut rattacher
l'idée plus tardive, suivant laquelle Marie aurait conçu Jésus par l'o-
reille. C'est une manière réaliste de dire que Marie a concu,
aprés avoir entendu les paroles de l'ange. Hofmann (p. 71) donne une
longue liste des divers témoignages patristiques. Le plus ancien sem-
ble bien être celui de saint Éphrem : Quemadmodum ex parvulo sinu
illius (Evæ) auris ingressa et infusa est mors, üaet per novam Mariæ
aurem. intraeit atque infusa est vita. Assémani, Bibl. orient., t. τ,
ΟΡ. 91). Le sermon de saint Augustin d'oü est tiré le texte Virgo per au-
- rem imprægnabatur (Sermon., cxx1,3, append., éd. Bénédict.) n'est pas
. authentique. Mais au moyen âge, aussi bien chez les latins que chez
“les grecs, l'expression est courante. — A l'annonce d'un événement si
224 PROTÉVANGILE DE JACQUES XI, 28

ἀχούσασα διεχρίθη ἐν ἑαυτῇ λέγουσα᾽ εἰ ἐγὼ συλλήψομαι


ἀπὸ κυρίου θεοῦ ζῶντος, xal γεννήσω ὡς πᾶσα γυνὴ γεννᾷ 13
3. Καὶ εἶπεν ὁ ἄγγελος xupiou 3: οὐχ οὕτως, Μαριάμ. 3: 80ya-
Ute γὰρ χυρίου éxtoxt&cet cot διὸ xal τὸ γεννώμενον *éx σοῦ
ἅγιον 5 χληθήσεται υἱὸς ὑψίστου 6. Καὶ χαλέσεις τὸ ὄνομα,

1 F^ avant cette proposition place un fragment, de Luc, r, 90 :


ποταπός μοι ὁ ἀσπασμὸς οὗτος. xai ὁ ἄγγελος εἶπε πρὸς αὐτὴν |
ὃ κύριος μετὰ σοῦ, xat συλλήψῃ ἐν γαστρί, puis continue : εἰ ἐγὼ
συλλήψομαι. — Eth. modifie plus profondément encore la phy- !
sionomie du dialogue : Respondit Maria dicens : « Quomodo hoc. |
mihi fiet, siquidem virum non cognosco? » Dixitque ei angelus :
« Scito vero, Maria, te non parituram sicut. pariunt. mulieres,
sed Spiritus Sanctus tantum veniet super te, et eirtus Altissimi.
obumbrabit tibi. Ille vero [qui ex te nascetur| sanctus est, eoca-
bitur filius Altissimi et nomen ejus erit Jesus; ille salvabit popu-
lum suum a peccatis. » 10

C'est aussi la leçon de qq. mss. grecs : K, E, Fh : ἰδοὺ ἄγγελος


ἐπέστη λέγων. i
3 E, Fa, K ajoutent: ἀλλὰ πνεῦμα ἅγιον ἐπελεύσεται ἐπὶ σὲ,
xai δύναμις...
4 Beaucoup de mss. grecs donnent γενόμενον.
5 B, R, Syr. : ἐστον
6 Καὶ: ὡς éx πνεύματος ἁγίου τεχθέν. t

extraordinaire la Vierge reste un instant hésitante; il serait exagéré de}


traduire Ôtaxgivechat par douter; le mot veut dire plutôt peser
le pour et le contre. Marie se demande si elle à bien compris. Elle ne
demande même pas, suivant le thème de saint Luc, comment cela est |
possible ;il était inutile de répéter pour le lecteur les mots ἄνδρα οὐ γινώσχω, ὦ
il savait trop bien quelle était à cet égard la situation de Marie. Le.|
sens de ses paroles est donc celui-ci : « Si J'ai bien compris ton mes- |
sage, je dois concevoir par l'opération divine; en est-il bien ainsi ? |
Mais dans ce cas, mettrai-je au monde selon les règles ordinaires de la
PROTÉVANGILE DE JACQUES 225
r4
examunait en elle-même, disant : « Vraiment concevrai-je
“du Seigneur, du Dieu vivant, et mettrai-je au monde
comme toute femme met au monde? » 3. Et l'ange du
Seigneur lui dit : « Non pas, ó Marie; la puissance du Sei-
gneur en effet te couvrira de son ombre. Aussi l'étre saint

L'accent porte essentielllement sur γευννήσω. Dans l'Évangile, c'est


avant tout la conception virginale quiest visée; ici au contraire, c'est
sur l'enfantement virginal que portent les préoccupations de Marie.
Consacrée au Seigneur dés avant sa naissance, elle se demande si sa
virginité sera complètement respectée. C'est une manière pour l'auteur
de nous préparer au grand miracle des couches immaculées de Marie,
qui semble avoir pour lui autant d'importance que celui de la concep-
tion virginale. La réponse de l'ange reste assez vague ; étant calquée
sur les expressions mises dans sa bouche parsaint Lue, elle ne va pas
directementà la question posée par Marie. Carla puissance du Seigneur
qui couvrira la Vierge de son ombre, a plutót pour effet de la féconder
mystérieusement, que de la préserver de toute souillure dans l'enfante-
ment. Mais l'auteur n'avait pas d'autre phrase à sa disposition, et il
s’est servi des expressions toutes faites, qu'il trouvait dans l'Évan-
gile. On remarquera simplement la disparition du Saint-Esprit, et
le changement de δύναμις ὑψίστου en δύναμις χυρίου. Ce change-
ment a pour but d'éviter la répétition du mot ὑψίστου, qui sera
employé à la ligne suivante:« l'étre saint qui naitra de toi sera appelé
fils du Trés-Haut.» La phrase qui suit : « Tu l'appelleras Jésus, c'est
lui qui sauvera son peuple de ses péchés» est formée en réunissant Luc.,
1,31b et Matth., 1, 212. Cette fusion était toute naturelle. Le fait que
Justin cite ces paroles de la méme manière , n'est pas une preuve
de sa dépendance à l'égard du Protévangile. Nous avons égale-
ment fait remarquer en son temps, que les mots γεννώμενον ἐχ σοῦ,
là où saint Luc a écrit seulement τὸ γεννώμενον, sont une preuve
que l'auteur n'était pas un docéte. Marie répond, comme dans saint
Luc : « Je suis la servante du Seigneur; » mais elle ajoute « en sa présen-
Ce. » C'est à l’égard de Dieu seulement que Marie est servante; pour
les hommes elle est une souveraine. Le Syriaque n'a pas compris cette
expression; il a réuni ces deux mots à la proposition suivante.
Le remaniement arménien donne de la scène une narration extréme-
ment diffuse, un dialogue s'établit entre l’ange et Marie, qui rappelle,
par nombre de ses expressions, les dialogues que nous avons signalés
dans les sermons grecs sur l'Annonciation.
PROTÉV. — 15
226 PROTÉVANGILE DE JACQUES XL3 -XII, 2

κατενώπιον αὐτοῦ᾽ γένοιτό μοι κατὰ τὸ ῥῆμά σου 3.

XII. 1. Καὶ ἐποίησεν τὴν πορφύραν χαὶ τὸ χόχκινον, xc


ἀπήγαγεν τῷ ἱερεῖ 3. Kat εὐλόγησεν αὐτὴν ὁ ἱερεὺς xol εἶπεν
Μαριὰμ,, ἐμεγάλυνεν χύριος ὁ θεὸς τὸ ὄνομά cou, xal ἔ
εὐλογημένη ἐν πάσαις γενεαῖς τῆς γῆς + 2. Χαρὰν 5 δὲ Age
θοῦσα Μαριὰμ ἀπίει πρὸς ᾿Β'λισάθετ τὴν συγγενίδα abs
τῆς. Καὶ ἔχρουσεν πρὸς τὴν θύραν. Καὶ ἀκούσασα ἡ Ex |
céber ἔρριψεν τὸ xóxxtwoy 6 καὶ ἔδραμεν πρὸς τὴν θύρα
xal ἤνοιξεν, xal ἰδοῦσα τὴν Μαριὰμ εὐλόγησεν αὐτὴν χα
εἶπεν 7. πόθεν μοι τοῦτο ἵνα ἔλθῃ ἡ μήτηρ τοῦ xuptou μου

1 Fa a ajouté le verset de Luc., 1, 36. L3


2 Syr. : Me voici, je suis la servante de Dieu, qu'il soit avec moi |
de sa présence comme tu l'as dit. — Eth. : Ecce ego ancilla sum.
Domini, spiritus meus est in manibus ejus. Ille faciet de me quid.
voluerit, et fiat sicut miht dixisti. T
3 D ajoute : εἰς τὸν ναὸν xuptou. a!
1

4 N':edAdynoé σε χύριος ὁ θεὸς, καὶ τὸ ὄνομά cou εὐλογήπ!]


OS
μένον ἐστὶν ἐν πάσαις ταῖς γενεαῖς v. v. i
5 Α: χάριν. — Eth. : Recedens à Zacharia sacerdote, abut do- |
mum Elisabeth, sororis patris sut. δ
6 Syr. par suite d'une erreur de lecture : le crible qu'elle tenait, |
7 C, Fa complètent par Luc., 1, 42b.

XII. 4. La visite de Marie au grand-prêtre est mise en parallèle}


avec la visite à Élisabeth. Les mémes paroles sont prononcées dans les
|
deux cas. C'est un abrégé du Magnificat que l'auteur met dans la bou-
che du grand-prétre. La maniére dont le prétre tourne à la louange|
de Marie les mots : « toutes les générations de la terre me proclamé»
ront bienheureuse, » témoigne que l'Evangile de Luc, dont usait notre
auteur, rapportait le Magnificat à la Vierge et non à Élisabeth. Le |
grand-prétre annonce la gloire future de Marie, le culte qui lui sera
rendu. C'est, dit Resch (loc. cit., p. 104), une des premières traces dece
5 £ . 4 . . E.
la « Mariolâtrie », comparable à certaines expressions de la Pisis "
|
PSXII, 2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 227

“qui naîtra de toi sera appelé le fils du Très-Haut. Et tu


“lui donneras le nom de Jésus; car c'est lui qui sauvera son
peuple de ses péchés. » Et Marie dit : « Voicila servante du
Seigneur en sa présence; qu'il me soit fait selon ta parole. »

XII. 1. Et elle acheva la pourpre et l'écarlate, et l'ap-


porta au grand-prétre. Et le grand-prétre la bénit et dit :
« Marie, le Seigneur Dieu a exalté ton nom,et tu seras
bénie dans toutes les générations de la terre. » 2. Or Marie
en ayant concu de la joie s'en alla chez Élisabeth sa cou-
sine. Et elle frappa à la porte. Et Élisabeth ayant entendu
jeta l'écarlate (qu'elle avait en main), courut à la porte et
ouvrit; et ayant vu Marie, elle la bénit et dit : « D’où me
vient que la mére de mon Seigneur entre chez moi? Voici

Sophia (cf. edit. Schwartz et Petermann, p. 20, 39, 75). On a essayé


de donner aux paroles du grand-prétre une signification plus simple.
Elles seraient un remerciement pour le service rendu au temple. Le
voile auquel a travaillé la Vierge perpétuera le souvenir de Marie, et
cest aussi pour elle une bénédiction que d'avoir travaillé pour le Sei-
gneur. Mais cette explication qu'Hofmann
suggére, sans s'y arréter
d'ailleurs, ne semble pas légitime. L'auteur donne évidemment au
grand-prétre une vue prophétique sur les destinées futures de Marie.
2. La visite de Marie à Élisabeth, dans l'Évangile de saint Luc, était
motivée par l'annonce faite à la Vierge par l'ange de la grossesse ines-
pérée de sa cousine. Désireuse de constater la réalisation du message
divin, soucieuse aussi de rendre service à sa parente, Marie se dirige
en toute hâte vers la montagne. — L'auteur du Protévangile n'avait
pas les mémes raisons à donner de cette démarche de Marie ; mais
ayant trouvé dans l'Évangile canonique le récit de la visitation, il
la conservé sans se préoccuper autrement de le justifier. On ne
peut méme pas dire que Marie va faire part à sa cousine du mys-
tére de sa conception; l'auteur remarquera tout à l'heure qu'elle a
oublié les paroles de l'ange. Mais acceptant le fait de la visitation,
il va s'en servir pour faire ressortir une des vertus de Marie dont il
m'avait pas eu l’occasion de parler. L'instant où Marie frappe à la
porte est signalé, c'est celui où Jean-Baptiste tressaille dans le sein de
sa mère. L'écarlate qu'Élisabeth tientà la main n’est pas destiné
au voile du temple, car Élisabeth n'est pas vierge et n'est pas non
m

228 PROTÉVANGILE DE JACQUES XII, 23

600 γὰρ ! τὸ ἐν ἐμοὶ ἐσχίρτησεν xal εὐλόγησέν σε ἢ


*

Μαριὰμ. δὲ ἐπελάθετο τῶν μυστηρίων ὧν ἐλάλησεν αὐτῇ

εἶπεν 4^ τίς εἰμι ἐγὼ κύριε, ὅτι πᾶσαι αἱ γενεαὶ τῆς γῆς εὐλῦν
γοῦσίν ue 5; 3. Καὶ ἐποίησεν τρεῖς μῆνας πρὸς τὴν "EXC
2 ,

σάθετ. ἩΗμέρᾳ δὲ καὶ ἡμέρᾳ ἡ γαστὴρ αὐτῆς ὠγχοῦτο, xat qo

ταῦτα ἐγένετο τὰ μυστήρια.

1 Fa, Fbajoutent: ἰδοὺ γὰρ ὡς ἐγένετο ὁ ἀσπασμιός σου εἰς


τὰ ὦτά μου, τὸ ἐν ἐμοί...
2 Eth. : eumque adoravit qui est in sinu tuo.
3
:ὁ ἀρχιστράτηγος.
T vu 2 - Ae

4 Fb:éy ἑαυτῇ:
5 Syr.: m'appellent bénie. — Eth. supprime la phrase: 2xe-

entier,
6 C’est la leçon de A, B, D, E, I, R, Pos., Syr. — Fa : dexaveos
σάρων. — C: πεντεχαίδεχα. — Pb:8éxa πέντε.
— H : δέχ
ἑπτά. — Eth. pas d'indication, aprés le Magnificat ajoute seu- |
lement : Remansit deinde Maria tres menses apud. Elisabeth, et
abiit in domum suam.

— 4

plus de la tribu de David. (La lecon du syriaque : « le crible qu'el


tenait» s'explique par une faute de lecture; il a lu χόσχινον au lieu |
de xéwx:»ov.) Dans les paroles d'Élisabeth rapportées par Luc.
42-45, le Protévangile a supprimé le début:«tu es bénie entre les fe
mes et le fruit de ton sein est béni,» déjà prononcé, au moins en partit
par l'ange ; 1] ἃ supprimé également la fin: « heureuse celle qui a eru, |
ete. » Ces paroles ressemblent trop à une exhortation dont Marie au- |
rait eu besoin pour accorder une confiance entiére aux paroles de l'an- |
XII, 2-3 PROTÉVANGILE DE JACQUES 229
“en effet que (l'enfant) qui est en moi a tressailli et ta
. bénie. » Or Marie avait oublié les mystères que lui avait
révélés l'archange Gabriel. Elle leva les yeux au cielet dit :
«Οἱ suis-je, Seigneur, pour que toutes les générations de
la terre (un jour) me bénissent ? » 3. Etelle fit (un sé-
jour de) trois mois auprès d'Élisabeth. Or de jour en jour
son sein grossissait, et prise de peur, Marie repartit dans sa
maison, et elle se cachait des fils d'Israél. Or elle avait
seize ans quand ces mystéres s'accomplirent.

Oubli plus que singulier. Marie avait-elle à ce point l'habitude de la


conversation des anges, que le message de Gabriel n'ait point laissé de
traces dans son souvenir ? Une réponse semblable se trouve, ch. xin,
v. 3. Quelques-uns ont pensé à une interpolation; les mots : « l'ar-
change Gabriel », qui sont absents du récit de l'annonciation, trahi-
raient la main d'un glossateur. Mais le fait que la méme idée se trouve
exprimée quelques lignes plus loin, n'est pas favorable à cette hypo-
thèse. D'ailleurs tous les mss. grecs donnent le texte avec des varian-
tes insignifiantes, le Syriaque le donne également. Seul l'éthiopien a
supprimé cet incident, mais ce peut être une suppression intentionnelle.
L'auteur du Protévangile a simplement voulu faire ressortir la grande
“humilité de Marie, mais on peut bien dire que l'exagération a nui au
“succès de son entreprise.
3. Marie fait auprés de sa cousine un séjour de trois mois. L'expres-
Sion ἐποίησε τρεῖς Uzvac est une expression hébraïque; mais il est
inutile pour l'expliquer de recourir à un original hébreu; les Septante
avaient déjà traduit, Eccl., vi, 12, « la vie qu'il passe comme une om-
bre, » χαὶ ἐποίησεν αὐτά. L'auteur a pu copier cette expression. Le
chiffre de trois mois est emprunté à Luc, τ, 56. La constatation des
signes extérieurs de sa grossesse effraie Marie, et la fait retourner chez
elle. Cf. Luc., τ, 24, à propos d'Élisabeth. L'âge qui est attribué à Ma-
“rie (16 ans) au moment de la conception est assez étonnant. Si c’està
l’âge de douze ans qu'elle a été confiée à Joseph, quatre ans se sont
écoulés depuis ce moment, et Joseph est resté bien longtemps absent
- pour un gardien.Les mss. ont essayé de combler cet intervalle trop long.
" Les uns ont donné quatorze ans à la Vierge quand elle sort du temple,
les autres lui donnent quatorze ou quinze ans lors de l'annonciation,
NI ya là une diffieulté textuelle qui n'est pas éclaircie,
230 PROTÉVANGILE DE JACQUES — - XIII, !
᾿ : δ
XIII. 1. ᾿Ε γένετο δὲ αὐτῇ ἕχτος μὴν 1, xoi ἰδοὺ ἤλθει
᾿Ιωσὴφ ἀπὸ τῶν οἰχοδομῶν αὐτοῦ, xci εἰσελθὼν ἐν τῷ ΤῸ

οἴχῳ αὐτοῦ εὗρεν αὐτὴν ὠγκωμένην 3. Kai Étude τὸ πρόσωπον


-

αὐτοῦ xai ἔρριψεν ἑαυτὸν χαμαὶ ἐπὶ τὸν σάχχον 3, xal ἔχλαῦσε,
5, AE A0 1 i4 — * E ^ , A M , 3 Δ» 1

P - ) I 4. I , i , P , P DF 4
πιχρὼς AETOY ποίῳD προσωπῷῳ ATEYIOW προς AUPIOY TOY 025

μου ; τί δὲ εὔξομαι περὶ τῆς κόρης ταύτης ; ὅτι παρθένον παο-


*

£XAa6oy αὐτὴν éx ναοῦ κυρίου τοῦ θεοῦ μου xal οὐχ ἐφύλαξα
Τίς ὁ θηρεύσας με 9; τίς τὸ πονηρὸν τοῦτο ἐποίησεν ἐν τῷ οἴχῷ
μου καὶ ἐμίανεν τὴν παρθένον 9; Μήτι εἰς ἐμὲ ἀναχεφαλαιώθηἡ
ἱστορία τοῦ ᾿Αδάμ ; ὥσπερ γὰρ ἐν τῇ ὥρᾳ τῆς δοξολογίαςἡ

1 Eth. : Postea Joseph ex itinere suo redua.


à D : ἔγκυον.
3 Eth. : et sese prostraeit in puleerem. |
4 Eth. donne un texte tout différent deslamentations de J oseph; |
seul le sens général est conservé.
5 A et Germain Ier :θηρεύσας αὐτήν.
e C, Faet Syr. ::τίς ἠἡχμαλώτευσε τὴν παρθένον ἀπ᾿ ἐμοῦ xal
ἐμίανεν αὐτήν.
7 Syr. :Au moment qu'Adam louait Dieu. — F^ : ἐχεῖνος ἐν τῇ
ὥρᾳ τῆς δοξολογίας τοῦ θεοῦ μετὰ ἀγγέλων συνῆν ὅτε... -1

XIII. 4. Aprés les récits précédents, qui tous avaient tourné à


gloire de Marie, commence la série des épreuves. L'auteur a insisté av
complaisance sur ce point délicat qu'avait seulement effleuré saint Mat-
thieu. Marie aura à souffrir des soupçons non seulement de Joseph,
mais de l'autorité juive; toutefois les scénes pénibles,oü elle va se trouver
mélée, auront pour effet de mettre en plus vive lumière, en méme temps.
que sa pureté, le caractère surnaturel de sa maternité. —Le sixième mois
dont il est question ne saurait étre que le sixiéme mois de la grossesse
de Marie, alors que son état ne peut plus étre caché à personne. Dans.
Ps.-Matthieu, Joseph revient après neuf mois d'absence; dans le Proté-
vangile, il est impossible de préciser les données chronologiques. On |
doit admettre que, dans la pensée de l'auteur, l'Annonciation a eu
lieu aprés le départ de Joseph, quoi qu'il en soit des divers chiffres don-
nés par les mss. pour l’âge dela Vierge (x11, 3). —« Illa trouve enceinte”
est une traduction dans le sens du Protévangile, des. mots de Matth.,.
1, 18, εὑρέθη ἐν γαστρὶ ἔχουσα. Le désespoir de Joseph est décrit d'une |
III, 4 PROTÉVANGILE DE JACQUES 231

- XIII. 1. Or le sixième mois (de sa grossesse) était arrivé,


et voici que Joseph revint de ses travaux de construction
et en entrant dans sa maison il la trouva enceinte. Et il se
frappa le visage, et il se jeta à terre sur un sac, et il pleura
-amérement, disant : « De quel air léverai-je les yeux vers
le Seigneur mon Dieu? et que dirai-je dans ma prière au
sujet de cette jeune fille? Car je l'ai reçue vierge du tem-
ple du Seigneur mon Dieu, et je ne l'ai point gardée. Qui
est celui qui m'a trompé? Qui (donc) a commis ce forfait
dans ma maison et a souillé cette vierge? Est-ce que ne se
répéte pas pour moi l'histoire d'Adam ? De méme en effet
qu'à l'heure où il rendait gloire (à Dieu) le serpent est

maniére pittoresque; plus tard,l'on n'osera plus attribuer à l'époux


de Marie des soupcons injurieux; les latins en particulier verront dans
les troubles de Joseph, rapportés par saint Matthieu, les scrupules d'une
âme, qui, découvrant la divine maternité de Marie, se juge indigne de
la mission qui lui est confiée. Les grecs n'ont pas eu de ces délicatesses,
et longtemps encore au jour de l'annonciation ils décriront la scène
pénible qu'a esquissée le Protévangile. — Joseph se jette à terre sur un
sac. C'est le drap d'étoffe grossière qu'on se metsur le dos en signe de
deuil et de pénitence (cf. Gen., xxxvir, 34), mais on peut aussi
létendre par terre pour s'y coucher. II Sam., xxr, 10. Dans Isaïe,
Lvir, 5, il est question de se coucher sur le sac et la cendre. La douleur
de Joseph ne tient pas à ce qu'il aurait été trompé; c'est une faute
personnelle qu'il se reproche ; il avait été chargé de veiller sur la pu-
reté de Marie, et voici qu'il a failli à sa mission. Comment dés lors
osera-t-il lever les yeux au ciel, et comment pourra-t-il nommer dans
sa prière la vierge qu'il devait recommander à Dieu ? Aprés avoir
exhalé son repentir personnel, il se tourne vers celui qu'il soupconne
l'auteur du crime. Serait-ce le recommencement de lhistoire arri-
vée autrefois à Adam ? Pendant que celui-ci priait seul, à l'heure
déterminée, Eve a été séduite. L'idée que l'homme seul doit louer
Dieu, à certaines heures, est bien juive ; la femme n'a pas le droit
de prendre part à la priére officielle. Le serpent n'a pas seulement
séduit Eve en ce sens qu'il l'a amenée à manger le fruit défendu, il l'a
positivement séduite; cette idée pouvait se réclamer de plusieurs passa-
ges du Nouveau Testament, Cf. 11 Cor., xi, 3; ITim., τι, 14.
232 PROTÉVANGILE DE JACQUES XIII, 4 - XIV, /

αὐτοῦ ἦλθεν ὁ ὄφις xol εὗρε τὴν Εὔαν μόνην xoi ἐξηπάξ
* - Ξ- * p A CA À " , A , ἢ

do NN SONT ΤΕ DCE 2 n f:5. MM


zn6ey 1, οὕτως χἀμοὶ ἐγένετο. 2. Kat ἀνέστη ᾿Ιωσὴφ ἀπὸ τοῦ
σάχχου, xal ἐχάλεσε Μαριὰμ, xoi εἶπεν αὐτῇ μεμελημένη m
τῷ θεῷ, τί τοῦτο ἐποίησας ; ἐπελάθου κυρίου τοῦ θεοῦ σοῦ;
-
( ἐταπείνωσας τὴν ψυχήν σου, ἡ ἀνατραφεῖσα εἰς τὰ ἅγια τῶν! Md

dri xoi τροφὴν λαθοῦσα ἐχ χειρὸς ἀγγέλου 2; 8. Ἢ δὲ


2 - pr 7 3 y 415 $a y A x s |
ἔχλαυσεν πιχρῶς, λέγουσα ὅτι ? χαθαρά εἰμι ἐγὼ καὶ ἄνδρα οὐ
γιγώσχω. Καὶ εἶπεν αὐτῇ ᾿Ιωσήφ΄ πόθεν οὖν ἐστὶ τὸx:
, n 4 SES , ζ΄ CEE 2221
EMEN
τὴ γαστρί cou*; ἡ δὲ ἘΞ ζὴ χύριος ὁ θεός μου χαθότι οὔ
γινώσχω πόθεν ἐστίν μοι

θήθη ᾿Ιωσὴφ σφόδρα, καὶ ἠρέμησεν E


αὐτῆς 9, xol den αὐτὴν ποιήσει. Kai efxews

1 Syr. : et l’a trompée et l’a souillée.


2 D ajoute : καὶ χορεύσασα ἐν αὐτοῖς.
3 Syr. et C, D ajoutent :ζῇ κύριος ὁ θεός.
ZU

4 ἢ) : τοῦτον ἐστιν ὃ ἐν τῇ γαστρί σου FREE


5 D ajoute: ἀλλ᾽ ὅτι χαθαρά εἰμι xai ἄνδρα οὐ γινώσχω.
6 Syr. : et eut grand peine à son sujet.

2. Joseph ne veut pas dire cependant qu'il en aurait été ainsi pou di
Marie; l’idée la plus naturelle est celle d'une séduction ordinaire, c’est
pourquoi il veut interroger Marie etsavoir d'elle le nom du sédueteur. |
Il commence d'abord par lui reprocher sa faute présumée, faute d autant
plus grave, que la pureté de Marie était une chose plus particulière
ment sacrée. Elle qui autrefois a été élevée dans le temple d'une
manière si extraordinaire, comment a-t-elle pu oublier son Dieu à ee -
point? On remarquera l'expression hébraïque ἐταπείνωσας τὴν ψυχήν σου.
3. Marie ne sait que répondre aux accusations et aux reproch
de Joseph. Elle affirme son innocence, en redisant les paroles que Lu
avait mises dans sa bouche au moment de l'Annonciation, 1, 34: ἄνδρα
οὐ γινώσχω. Cependant sa grossesse est évidente et Joseph lui en des
mande une explication. La réponse que suggére à Marie l'auteur du.
Protévangile est aussi invraisemblable que celle de xir, 2; Marie sai
bien en effet de qui elle a concu; l'ange ne lui a-t-il pas révélé qu'elle
concevrait du Dieu vivant, Mais il ne faut pas trop presser le sens de
XIII, 1 - XIV, 1 PROTÉVANGILE DE JACQUES 239

| venu, a trouvé Eve seule et l'a trompée, de méme en est-


il arrivé pour moi. » 2. Et Joseph se leva du sac (où 1]
s'était jeté), et il appela Marie et lui dit : «(Enfant) si chère
à Dieu, pourquoi as-tu fait cela? As-tu (donc) oublié le
Seigneur ton Dieu? Pourquoi as-tu dégradé ton âme, toi
qui as été élevée dans le Saint des Saints, et qui recevais
ta nourriture de la main d’un ange? » Elle pleurait amère-
- ment, disant :« Je suis pure,et ne connais point d'homme. »
Et Joseph lui dit : « D’où vient donc ce (qui est) dans ton
sein ? » Elle dit :« (Aussi vrai que) le Seigneur mon Dieu est
vivant, Je ne sais pas d'oü cela m'est venu. »

XIV. 1. Et Joseph fut saisi d'une grande crainte, et 1]


s'éloigna d'elle, et il réfléchissait à ce qu'il pourrait bien

mots. L'intérét de la narration exigeait que la Vierge ne révélàt pas


elle-méme le secret de sa grossesse; il ne sera découvert à Joseph que
par l'ange; et plus tard, malgré l'épreuve des eaux améres, il échappera
aux autorités. La narration de saint Matthieu ne présentait pas les
mémes inconvénients, elle évitait de mettre en présence Marie et Jo-
seph, elle parlait seulement des angoisses intérieures de ce dernier.
Notre auteur, ayant pris le parti de mettre les deux personnages en
face l'un de l'autre,ne pouvait guére terminer autrement cette péni-
ble scéne que par la réponse évasive de la Vierge : « Je ne sais pas,»
c'est-à-dire « je ne puis pas assigner de causes naturelles à ce qui m'est
arrivé; tout ce que je puis affirmer, c'est que je suis pure, et que je
n'ai eu de relations avec aucun homme. »
XIV. 1. Ce chapitre est le développement des quelques versets de
Matth., 1, 19-22. Seulement l'évangéliste n'avait pas mis autant de
précision dans le dilemme que se posait Joseph. La loi qui est visée est
celle du Deut., xxir, 13-21, qui punit de mort la jeune femme qui se
serait laissé séduire avant son mariage. Cette loine prescrit pas, il
est vrai, que l'époux trompé se fasse l'accusateur de son épouse,
- mais cette dénonciation répond à l'esprit de la loi qui prescrit « d'óter
par là le mal du milieu d'Israél. » Ainsi Joseph irait au moins contre
1 l'esprit de la loi en ne dénoncant pas Marie. Cependant il peut craindre
“d'autre part que la Vierge ne soit innocente, ayant été fécondée par
l'opération d'un ange. C'est une idée courante à l'époque et dont on
- trouve des traces dans l'Ancien et le Nouveau Testament. On interpré-
234 PROTÉVANGILE DE JACQUES XIV,4-XV,1
᾿Ιωσήφ᾽ ἐὰν αὐτῆς χρύψω τὸ ἁμάρτημα, εὑρίσχομαι μαχόμενος
τῷ νόμῳ κυρίου" καὶ ἐὰν αὐτὴν φανερώσω τοῖς υἱοῖς ᾿Ισραὴλ,
φοθοῦμαι μήπως ἀγγελιχόν 1 ἐστιν τὸ ἐν αὐτῇ, xol εὑρεθήσο
μαι παραδιδοὺς αἷμα ἀθῷον εἰς χρίμα θανάτου. Τί οὖν ποιήσω;
λάθρα αὐτὴν ἀπολύσω ἀπ᾿ ἐμοῦ 3. Καὶ χατέλαθεν αὐτὸν
γύξ 8: 2. Καὶ ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου φαίνεται αὐτῷ κατ΄ ὄναρ *
λέγων δ' μὴ φοδηθὴς τὴν παῖδα ταύτην δ᾽ τὸ γὰρ ἐν αὐτῇ ὃν
ix πνεύματός ἐστιν ἁγίου" τέξεται δὲ 7 υἱὸν, xol χαλέσεις
τὸ ὄνομα αὐτοῦ 'lqcoüv: αὐτὸς γὰρ σώσει τὸν λαὸν αὐτοῦ
ἀπὸ τῶν ἁμαρτιῶν αὐτῶν. Καὶ ἀνέστη ᾿Ιωσὴφ ἀπὸ τοῦ ὕπνου
xal ἐδόξασεν τὸν θεὸν ᾿Ισραὴλ τὸν δόντα αὐτῷ τὴν χάριν
ταύτην xal ἐφύλασσεν αὐτήν S.

XV. 1. Ἦλθεν δὲ ΓΑννας ὁ γραμματεὺς 9 πρὸς αὐτὸν καὶ

1 Syr. : que l'esprit d'un ange ne soit en elle. — Eth. : timeo, ne


quod in sinu ejus est de spiritu (sancto?) sit. |
? Fbajoute : αὐτὴ ἡ ἡμερὰ xuplou ποιήσει ὡς βούλεται.
3 Eth. : Deinde surrexit et abit orare in templum et Deum pre
catus est, mentem suam elevans et dicens (suit une priére assez
longue, indépendante de notre texte).
4 Syr. : dans son sommeil.
5 D ajoute : ᾿Ιωσὴφ, ᾿Ιωσὴφ υἱὸς Δαυίδ.
6 D, Fa, Pos.: παραλαθεῖν τὴν γυναῖχά cov.
7 Syr.: elle t'enfantera à toi
8 ΡῈ; τοιαύτην χάριν τηρῆσαι ἀφθάρτην παρθένον. --- Syr. :qui
lui avait fait cette gráce et l'avait protégée (Marie). E
9 Syr. :Ananias. — Eth. :sacerdos quidam cui nomen erat Joan“
nes.

tait en ce sens le passage de Genèse, vi, 2, qui parle de l'union des fils
de Dieu (c'est-à-dire des anges) avec les filles des hommes. Le Livre.
d'Hénoch avait popularisé cette interprétation (cf. Hénoch, cvr, 6) et
saint Paul, quand il recommande aux femmes d'avoir la tête voilée:
dans l'assemblée chrétienne à cause des anges (I Cor.,x1, 10) songe
peut-être au péril qu'elles peuvent courir. La mention que fait l'auteur.
de cette hypothèse, qui sera réfutée tout à l'heure, a vraisemblable- -

CS
cm
Ce
XIV,1-XV,{ PROTÉVANGILE DE JACQUES 235

— en faire, Et Joseph dit : « Si je cache son péché, je me


trouve combattre la loi du Seigneur. Et si je la dénonce
aux fils d'Israël, je crains que ce qui est en elle ne vienne
d'un ange, et (alors) je me trouverai avoir livré le sang
innocent à un jugement de mort. Que ferai-je donc? Je
-.]a renverrai secrètement de chez moi. » Et la nuit le sur-
prit (dans ces pensées). 2. Et voici qu'un ange du Seigneur
lui apparut en songe, disant : « Ne crains pas cette enfant,
car ce qui est en elle est (l’œuvre) du Saint-Esprit : elle
enfantera un fils, et tu le nommeras Jésus, car c'est lui qui
sauvera son peuple de ses péchés. » Et Joseph se réveilla
de son sommeil, et il glorifia le Dieu d'Israél qui lui avait
fait cette grâce, et il continua à garder Marie (sous sa
protection).

XV, 1. Or le scribe Annas vint chez et lui dit : « Pour-

ment pour but de couper court à des interprétations tendancieuses sur


la conception du Christ. — Impuissant à sortir du dilemme où il s'est
enfermé, Joseph prend le parti de renvoyer secrètement Marie ; les
mots sont ceux de saint Matthieu. Conrady a fait l'ingénieuse hypo-
thése que le texte hébreu original portait baséfer avec une lettre de
divorce (cf. Deut., xxiv, 1-3), que le traducteur aura lu baséter,
- secrètement. Saint Matthieu aurait ensuite emprunté λάθρα au Pro-
tévangile. Mais le parti que prend Joseph de renvoyer Marie secré-
tement remédie aux deux difficultés signalées précédemment, etil est
inutile de faire appel à cette hypothèse.
2. L'annonciation à Joseph est calquée de trés prés sur Matth. On
remarquera seulement la suppression des mots: « fils de David » en
tête, et des mots :« ne crains point de prendre Marie pour ton épouse. »
- C'est à dessein que ces mots ont été supprimés. Nulle part la descen-
dance davidique de Joseph n'est indiquée. Si en effet, dans la pen-
.sée du Protévangile, Jésus est de la race de David, ce n'est point,
comme dans saint Matthieu, parce qu'il a légalement pour père
- Joseph descendant du grand roi, c'est parce que Marie, sa mère, est de
la tribu de David. D'autre part, Marie n'est pasl'épouse de Joseph,
celui-ci est seulement chargé officiellement de veiller sur sa pureté.
-— XV. 1. Le chapitre actuel prépare l'épisode qui va suivre : la consta-
tation officielle de la conception virginale de Marie. C'est une idée
236 PROTÉVANGILE DE JACQUES XV, 1

εἶπεν αὐτῷ᾽ τί ὅτι οὐχ ἐφάνης iv τὴ συνόδῳ ἡμῶν; K


1 uU ,

εἶπεν αὐτῷ ᾿Ιωσήφ᾽ ὅτι ἔχαμον ἀπὸ τῆς ὁδοῦ, καὶ ἀνεπαῦτ
σάμην τὴν πρώτην ἡμέραν ? Καὶ ἐστράφη xal εἶδεν τὴν Μαρι
y E ^ , [4 , 2 K AT. , τ ^ 57 M à.

ὠγχωμένην 3. 2. Καὶ ἀπίει δρομαῖος πρὸς τὸν ἱερέα καὶ


εἶπεν αὐτῷ᾽ ᾿Ιωσὴφ, ἐν σὺ μαρτυρεῖς 4 ἠνόμησεν σφόδρο
Καὶ εἶπεν ὁ ἱερεύς" τί τοῦτο ; xal elmey τὴν παρθένον “ἣν
Tapéhabey Ex ναοῦ κυρίου, ἐμίανεν αὐτὴν, xal ἔχλεψεν
, e , - , 2 , ,

τοὺς γάμους αὐτῆς 5, xal οὐχ ἐφανέρωσεν τοῖς υἱοῖς ᾿Ισραήλι


Καὶ A75ἀποκριθεὶς
\
ὁ ἱερεὺςA εἶπεν
e. MR τ RL)
᾿Ιωσὴφ
D
τοῦτο
-
ἐποίησεν
: /
; Καὶ \
εἶπεν ΓΑννας ὁ γραμματεύς ἀπόστειλον ὑπηρέτας, xal eb»
ρήσεις τὴν παρθένον ὠγχωμένην 9. Kai ἀπῆλθον οἱ ὑπηρέται xal.
εὗρον χαθὼς εἶπεν, χαὶ ἀπήγαγον αὐτὴν ἅμα τῷ ᾿Ιωσὴφ εἰς
τὸ χριτήριον.

1C, Fh, Syr.:éy τὴ συναγωγὴ — Eth. : intemplum nobis


cum.
? Eth. : per duos dies.
3 Fb:6yxoboucay (ἐγκύουσαν ?)
4 L'ajoute :περὶ αὐτοῦ ὅτι δίχαιός ἐστι. — Eth.: quem
probum fidelemque dicis.
5 Syr. traduit littéralement le grec : a dinem le mariage.
Eth. :cum virgine fornicatus est. 1
6 Ἀν; ἔγχυον οὖσαν. — Eth. : Mitte nuncium jubens ipsam.
eenire ad te, ut videas et credas eam graeidam esse.

qui était chére à l'auteur, et qui d'ailleurs se retrouve sous une autre -
forme dans les légendes postérieures. D’après Origene, le grand--prétre
Zacharie a laissé pénétrer Marie aprés la naissance de Jésus, dans l'en-
ceinte du temple exclusivement réservée aux vierges. Suidas rapporte
(au mot Ἰησοῦς) que, Jésus ayant été élu comme prêtre par le sanhé-
drin, Marie vint déposer officiellement qu'il avait Dieu pour pére. Cette
mention avait été inscrite sur le registre des prêtres. C'était une mae
nière de répondre directement aux calomnies juives concernant la.
naissance du Sauveur. Ici, la scéne est bien combinée, et d'une manie e
beaucoup moins invraisemblable que dans la légende rapportée par
Suidas. Marie, ayant été consacrée au service du temple, doit gardersa
virginité intacte, et méme après qu elle a été confiée à Joseph, elle reste
L
ML

XV, 1-2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 237

- quoi done n'as-tu pas paru dans notre réunion? » Et Joseph


lui dit : « J'étais fatigué du voyage, et je me suis reposé le
premier jour. » Et (Annas) se retourna et vit que Marie
était enceinte. 2. Et 1] s'en alla tout courant vers le grand-
prétre et lui dit : « Joseph a commis une iniquité grande à
l'excés. » Et le prétre dit : « Quoi donc? » Et il dit : « La
vierge qu'il a recue du temple du Seigneur, il l'a souillée, et
a frauduleusement consommé le mariage avec elle, et il n'a
point prévenu les fils d'Israél. » Le prétre répondit et lui
dit : « Joseph a fait cela ? » Et le scribe Annas dit : « En-
voie des serviteurs, et tu trouveras que la vierge est encein-
te. » Et des serviteurs s'en allérent, et trouvérent (les cho-
ses) comme l'avait dit (Annas), et 115 amenérent Marie en

sous la surveillance du sacerdoce juif. Le seribe Annas, quise montre si


prompt dans ses attaques contre Joseph et Marie, est peut-étre, dans la
pensée de l'auteur, le futur grand-prétre qui condamnera Jésus. Joseph
n'ayant pas paru dans l'assemblée, c'est-à-dire à la réunion de la syna-
gogue (ce pouvait étre un jour de sabbat), Annas qui a appris son arri-
vée de la veille, vient, en bon zélote, s'informer des causes de cette né-
gligence. Le petit dialogue entre les deux hommes est plein de naturel.
La visite d'Annas dans la maison de Joseph iui donne l'occasion de
constater l'état de Marie.
2. Trés empressé le scribe court en référer au grand-prétre. On ne
voit pas trop dans quelle ville habitaient Joseph et Marie;la rapidité
avec laquelle Annas se rend chez le grand-prétre, la promptitude avec
laquelle est menée l'enquéte sembleraient indiquer que toute la scène
se passe à Jérusalem. Cette donnée est en contradiction avec celle de
" saint Luc qui met à Nazareth le domicile de Marie (et donc aussi celui
de Joseph). Mais les questions de topographie ne préoccupent pas notre
auteur. Joseph est accusé d'avoir « dérobé les noces de la vierge. » On
trouve dans Théocrite, xxii, 151, l'expression γάμον δώροις χλέψαι; il
s'agit d'un jeune homme qui par des présents faits au père se substi-
tue au fiancé légal. Ce n'est pas le sens ici. Phocylide, 3, emploie γαμο-
χλοπεῖν dans le sens de « commettre un adultére», et les Oracles sibyl-
lns, 11, 52; v, 429, appellent γαμοχλοπία le crime d'adultére. Le
sens présent se rapproche beaucoup de ce dernier. Par sa consécra-
tion au Seigneur la vierge Marie est comme unie à Dieu par un mariage
mystique; la violation de ce vœu est une espèce d'adultére. Toutefois
^ De UNA VIG TE, an Or US 9 Sa Ru. E. Q2 2
ρος τ YS TE ie Decor RASE LM S
\ -

238 PROTÉVANGILE DE JACQUES XV,

3. Καὶ εἶπεν ὁ ἱερεύς" Μαρία, τίτοῦτο ἐποίησας ; xal ἱνατί


ἐταπείνωσας τὴν ψυχήν σου χαὶ ἐπελάθου χυρίου τοῦ θεοῦ
σου, ἡ ἀνατραφεῖσα εἰς τὰ ἅγια τῶν ἁγίων xal λαθοῦσα τροφὴν
ἐχ χειρὸς ἀγγέλου χαὶ ἀκούσασα τῶν ὕμνων 1 καὶ χορεύσασα
ἐνώπιον αὐτοῦ 3, τί τοῦτο ἐποίησας ; -ὋἪ δὲ ἔχλαυσεν πιχρῶς
λέγουσαζὴ κύριος ὁ θεός μου χαθότι καθαρά εἰμι ἐνώπιδ
αὐτοῦ χαὶ ἄνδρα οὐ γινώσχω. 4. Καὶ εἶπεν ὁ ἱερεὺς πρὸς
᾿Ιωσήφ᾽ τί τοῦτο ἐποίησας ; Καὶ εἶπεν ᾿Ιωσήφ᾽ ζῇ χύριος 62
θεός μου 9 χαθότι χαθαρός εἶμι ἐγὼ ἐξ αὐτῆς. Kai εἶπεν ὁ

1 Syr., D, Fa: et ayant entendu leurs hymnes (des anges) (deux


fois). )
? Syr., E, A, devant eux (les anges). — Eth. : ubi verba laudum |
cantici psalmistz die noctuque audivisti. |
3 E ajoute: xai ὁ Χριστὸς αὐτοῦ xai ὁ τῆς ἀληθείας αὐτοῦ
μάρτυς. --- Eth. a bouleversé toute la suite du dialogue, mais
les idées sont les mêmes.

l'expression qui suit : xai οὐχ ἐφανέρωσεν τοῖς υἱοῖς Ἰσραήλ laisse place
à quelque difficulté. Il semblerait d’après ces mots que Joseph, en
prévenant l'autorité sacerdotale, aurait pu acquérir le droit d’user
du mariage. Le grand-prétre, qui s'est porté garant de la conduite de
Joseph, ne veut pas se rendre immédiatement. C'est seulement aprés
avoir constaté de visu la situation de Marie qu'il admet l'existence du
crime. | *
3. Les reproches qu'il fait à Marie sont les mémes que Joseph lui
avait précédemment adressés. Marie a oublié sa condition privilégiée -
et les devoirs qu'elle lui imposait. Les hymnes que Marie a entendus,
peuvent être les chants du temple, plusieurs mss. grecs et le syriaque —
ont compris, et à juste titre, qu'il s'agissait des hymnes angéliques. Con-
rady veut voir dans ces mots une traduction inexacte des mots hébreux
dibré-Y ahveh avec une allusion à I Sam., 111, 3. Marie aurait reçu dans
le temple les communications divines comme autrefois Samuel. Cette
conjecture est inutile. — Marie ne peut que pleurer en protestant de
son innocence. 1
4. Sans se rendreà cette protestation contre laquelle les apparences
semblent parler si haut, le grand-prétre interroge Joseph. Il nes'arréte
pas un instant à l'idée que Marie aurait pu être la victime d'un sédue- —
teur étranger, car dans ce cas Joseph aurait dû la dénoncer. Lui seul|

PL
ww
SEL
Ey. 2-4 PROTÉVANGILE DE JACQUES 239

méme temps que Joseph au tribunal. 3. Et le grand-prétre


“dit : « Marie pourquoi as-tu fait cela? et dans quelle inten-
tion as-tu ravalé ton àme, et as-tu oublié le Seigneur ton
Dieu? Toi qui as été élevée dans le Saint des Saints et qui
as reçu ta nourriture de la main d'un ange, qui as entendu
“les hymnes et dansé devant (Dieu), pourquoi as-tu fait
“cela? » Elle pleurait amèrement, disant: « (Aussi vrai
“qu'est vivant le Seigneur mon Dieu, je suis pure devant
lui et je ne connais point d'homme. » 4. Et le grand-prêtre
… dit à Joseph : « Pourquoi as-tu fait cela? » Et Joseph dit :
«(Aussi vrai qu')est vivant le Seigneur mon Dieu, je suis
pur en ce qui la concerne. » Et le prêtre dit : « Ne fais pas
de faux témoignage, mais dis la vérité : tu as frauduleuse-

“peut done être responsable de la situation actuelle de Marie. Joseph


affirme son innocence avec serment. On remarquera la variante inté-
ressante du mss. E. « Aussi vrai qu'est vivant le Seigneur mon Dieu,
et son Christ, et le témoin de sa vérité. » C'est en méme temps une for-
“mule trinitaire « le témoin de la vérité » n'est autre que le Saint-
Esprit. On ne peut conjecturer que le scribe byzantin du xi? siècle
ait de lui-méme eu l'idée d'ajouter cette formule d'apparence ar-
chaïque, il a dà la live dans quelque ancien manuscrit. L'expression
« tu n'as point incliné la téte sous la main puissante de Dieu, afin que
ta postérité füt bénie » reste ambigué. Plusieurs, et en particulier
léthiopien, ont compris qu'il s'agissait de la bénédiction nuptiale.
Joseph avant de tranformer les fiancailles en mariage véritable aurait
dû demander le bénédiction solennelle (cf. Ruth, 1v, 11 sq.; Tob., vrr,
15), qui devait assurer le bonheurà sa postérité. C'est donner au texte
plus de précision qu'il n'en comporte. Le Protévangile semble ignorer
la distinction entre les fiancailles et le mariage; et d'autre part l'union
de Joseph et de Marie ne saurait étre assimilée à un mariage ordinaire.
“Si l'on rapproche les mots du grand-prétre de I Petr., v, 6 : ταπεινώ-
ne οὖν ὑπὸ τὴν χραταιὰν χεῖρα τοῦ θεοῦ, ἵνα ὑμᾶς ὑψώσῃ ἐν χαιρῷ, on peut
conjecturer qu'il s'agit simplement de l'obéissance à la volonté di-
vine, obéissance qui doit procurer à la postérité déjà existante de
Joseph la bénédiction du ciel, tout comme son refus d'obéir (rx, 2) au-
rait pu attirer sur sa maison la malédiction divine.
— Le silence de Joseph, qui a paru étrange à plusieurs mss. B, 1, L, R,
ne peut pas surprendre.Joseph, comme Marie, ne pourrait se disculper
240/ PROTÉVANGILE
,
DE JACQUES XV,4-XVI,
.o D
2 |
ir

ἱερεύς" μὴ ψευδομαρτύρει, ἀλλὰ λέγε τὸ ἀληθές: ἔχλεψας


τοὺς γάμους αὐτῆς xal οὐχ ἐφανέρωσας τοῖς υἱοῖς᾿
ραὴλ, xal οὐκ ἔχλινας τὴν χεφαλήν σου ὑπὸ τὴν xoa atom
χεῖρα 1 ὅπως εὐλογηθὴ τὸ σπέρμα cou. Kai ᾿Ιωσὴφ ἐσίγησεν.
- 1 [74 , -- b , AS 4 2 , #

XVI. 1. Καὶ εἶπεν ὁ ἱερεύς" ἀπόδος τὴν παρθένον ἣν παρ- ᾿


éhabes éx ναοῦ χυρίου 2
t) PL Lm
Kal περίδαχρυς ἐγένετο
- ,
᾿Ιωσήφ. 2 K M , E. , , AL ,

Kat εἶπεν ὁ ἱερεύς"LA] ποτιῶ ὑμᾶς τὸ ὕδωρ τῆς ἐλέγξεως κυρίου,


M ri € € , - e - ^ VAN - 2 , ,

εἰ τὰ ἁμαρτήματα ὑμῶν ἐν ὀφθαλμοῖς ὑμῶν EN)


by ὁ ἱερεὺς ἐπότισεν τὸν*
'locio,* xol ἔπεμψεν|
€ e A 2 em M T 4 4 ὶ ” Ν |

αὐτὸν εἰς τὴν ὀρεινήν 9 χαὶ ἦλθεν ὁλόχληρος. ᾿Εἰπότισεν


δὲ xol τὴν Μαριὰμ, καὶ ἔπεμψεν αὐτὴν εἰς τὴν ὀρεινήν᾽ χαὶ

1 Eth.: (non?) ezpectasti donec manus tibi imponeret benediceret-«


que sacerdos, et omet la fin.
? Eth. : Hestitue nobis puellam sicut tu eam accepisti. C'est la
lecon de /7.
3 B, H, E, Lcomprennent que le sujet de φανερώσει est xÜgtog. -
— Eth.: Ecce aqua correctionis qua probantur omnes fornicato-|
res :te potabo, et postquam hanc biberis, actum tuum manifestabit — |
Dominus coram omnibus hominibus. £z
4 Κ: αὐτοὺς xal ἔπεμψεν αὐτοὺς εἰς τὴν ὀρεινήν. xai e
ὁλόχληροι.
5 A, D, Ε: εἰς τὴν ἔρημον. --- Eth. a supprimé les deux oi |
l'envoi em la montagne.

qu'en invoquant une révélation divine, à laquelle, selon toute vrai-|


semblance, personne n'accordera confiance. Il attend donc de la jus--
tice divine la manifestation de son innocence.
XVI. 1. Ce que le grand-prétre demande à Joseph ce n'est pas adi
rendre Marie au service du temple; maintenant que, dans la pensée | ἢ
des prêtres, elle n’est plus vierge, elle ne saurait plus y être admise
Meyer rapproche les mots du grand-prêtre de ceux d'Auguste : |
« Varus, rends-moi mes légions. » C'est l'expression emphatique ne |
regret, auquel Joseph ne peut répondre que par ses larmes.— L'auteur |
a trouvé l'idée de l'eau d'épreuve dans Num., v, 11-31, mais il en a.
modifié assez profondément la signification. D’après le législateur juif,
l'eau amère de malédiction (les Septante ont traduit ὕδωρ ἐλεγμοῦ) est |
destinée à mettre en évidence la culpabilité ou l'innocence de la tend
XV, 4-XVI, 2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 241

ment consommé le mariage avec elle, ct tu n'en as point


prévenu les fils d'Israél; et tu n'as point incliné ta tête
sous la main puissante de Dieu pour que ta postérité soit
- bénie. » Et Joseph garda le silence.

XVI. 1. Et le prêtre dit : « Rends la vierge que tu as


recue du temple du Seigneur. » Et Joseph fondit en larmes.
Et le prétre dit : « Je vous ferai boire l'eau d'épreuve du
Seigneur, et elle fera paraitre vos péchés à vos yeux. »
2. Et le grand-prétre ayant pris (leau), en fit boire à
Joseph, et l'envoya dans la montagne, et il revint sain et
sauf. Il en fit boire aussi à Marie, et l'envoya dans la mon-

me, qu'à tort ou à raison son mari soupçonne d'adultére. Si la femme


est coupable, l'eau sainte, dans laquelle on a mis de la poussière du sol
du temple, doit la rendre stérile ; si elle est innocente, l'eau d'épreuve
ne lui fera aucun mal.Le cas est tout différent ici, puisque les deux époux
sont invités à se soumettre ensemble à l'épreuve. Josèphe (Ant. jud.,
III, x1, 6) et les rabbins (Talmud, Sofa, v, 1) soutiennent, il est vrai,
que les hommes eux aussi peuvent étre soumis à cette dure épreuve ;
mais c'est toujours dans le cas où l'un des conjoints, croyant avoir
à se plaindre de l'autre, veut attirer sur lui, s'il est coupable, la malé-
diction divine, malédiction qui se traduira par la stérilité aussi bien
de la femme que de l'homme. Mais notre auteur n'y a pas regardé de
si prés; ce qu'il lui fallait, c'était l'attestation officielle de la virginité
de Marie, et il a pris dans la législation juive le dispositif qui lui pre-
mettait le mieux d'atteindre ce but. Il a modifié la cérémonie au gré
de sa fantaisie. L'offrande initiale (Num., v, 15) est supprimée, et d'au-
tre part, on a ajouté l'envoi dans la montagne ou dans le désert, qui
ne figure pas dans le texte des Nombres. La montagne, c'est, comme
dans les premiers chapitres de l'écrit, le lieu où Dieu se plait, loin des
hommes, à manifester sa puissance. Toutes cesalléeset venues ont dà
demander un certain temps, mais l'auteur nese préoccupe pas plus du
temps que du lieu; tous les événements sont placés sur le méme plan
comme dans un tableau des primitifs. L'épreuve tourne à la justifica-
tion de Joseph et de Marie; ils reviennent de la montagne sains et saufs
et le peuple est dans l'étonnement. Étonnement bien légitime, puisque
Marie porte extérieurement les signes de son prochain enfantement,
et que d'autre part son innocence est proclamée. Le mot θαυμάζω
pourrait done se traduire par : « étre dans l'admiration, »
PROTÉV. — 16
242 PROTÉVANGILE DE JACQUES XVI, 2.XV n

οὐκ ἐφάνη ἐν αὐτοῖς 1. 3. Καὶ εἶπεν ὁ ἱερεύς"


θεὸς οὐκ ἐφανέρωσε τὰ ἁμαρτήματα ὑμῶν, οὐδὲ
ὑμᾶς. Καὶ ἀπέλυσεν αὐτούς. Kol παρέλαθεν
Μαριὰμ, καὶ ἀπ (et εἰς τὸν οἶκον αὐτοῦ. χαίρων καὶ
, A

τὸν θεὸν τοῦ ᾿ΪΙσραήλ.

XVII. 1. Κέλευσις δὲ ἐγένετο 3 ἀπὸ Αὐγούστου TC


ἀπογράφεσθαι πάντας τοὺς ἐν Βηθλεὲμ, τῆς ᾿Ιουδαίας 4 Καὶ
εἶπεν ᾿Ιωσήφ᾽ ἐγὼ ἀπογράψομαι τοὺς υἱούς μου 5: ταύ- | eb

1. μὰ: ἐπ᾽ αὐτόν. 2 |


2 Qq. mss. : χρινῶ ; E : χαταχρινῶ. --- Eth.: Et cum vidissen
Zacharias sacerdos et omnis populus nihil. mali accidisse. illis
hilque mali esse in eis, omnes mirati sunt. Et dimisit
sacerdos, redieruntque domum in pace.
3 G,H,Q: ἐξῆλθεν. — C se rapproche de Luc: Δόγμα δὲ b
ταῖς ἡμέραις ἐχείναις ἐξῆλθε παρὰ καίσαρος Αὐγούστου. —G,
ajoutent :καὶ βασιλέως Ἡρώδου. C'est aussila leçon de l'E-
thiopien : Præcepit Herodes rex ut adducerent coram se omnes |
qui in locis finitimis Bethleem habitabant. p a omis Auguste
et a lu: «d'inscrire les hommes de Judée.» *
4 Nombreuses variantes : À, C revenant au texte de Luc lisen
πᾶσαν τὴν οἰχουμένην.--- D : πάντας τοὺς ἐν 'IepoucaA
jy. — Fb
πάντας τοὺς ὄντας ἐν τὴ ᾿Ιουδαίᾳ. 2|
5 Eth., con-tant avec lui-mêm , supprime cette mention des fils |
de Joseph.—C se raccorde à Luc :ἠναγχάζετο $8' 19019 Eso
ἐχ Ναζαρὲτ εἰς Βηθλεέῳ.. καὶ εἶπεν.

3. Le grand-prêtre ne semble pas partager cet étonnement, ni ceti |


admiration. Il reconnaît que, pour des raisons inconnues, Dieu ne v L
pas faire apparaitre la faute des deux époux; il ne les condamnera |
donc point, mais il ne semble pas trop convaincu de leur innocence. |
L'emploi qu'il fait des paroles de Joa., vurr, 11 ( épisode de la femn
adultére),en est une preuve. Il est toutefois permis de se demande
comment, dans la pensée de l'auteur, ce reste de soupcon peut s'accor-
der avec la prophétie si glorieuse pour Marie, que le grand-prétre
XT
,

XVI, 2-XVII À PROTÉVANGILE DE JACQUES 243

tagne, et elle revint saine et sauve. Et tout le peuple s’éton-


“ha qu'il n'avait pas paru de péché en eux. 3. Et le prêtre
dit : « Puisque le Seigneur Dieu n'a pas fait paraitre vos
péchés, moi non plus, je ne vous juge pas,» et il les renvoya.
Et Joseph prit avec lui Marie, et il s'en alla dans sa mai-
son joyeux, et glorifiant le Dieu d’Israël.

XVII. 4. Or il arriva un ordre de l'empereur Auguste, de


recenser tous les gens de Bethléem de Judée. Et Joseph
“dit : « Je vais faire inscrire mes fils; mais pour cette enfant

avait prononcée quelques mois auparavant. C'est en de telles circons-


tances que l'on sent tout le flottement de la pensée de l'auteur. Unique-
ment préoccupé de la scéne qu'il raconte pour l'instant, il n'a pas pris
soin d'asssurer à l'ensemble de son œuvre toute la cohésion désirable.
— XVII. 4. Le narrateur, qui avait emprunté à saint Matthieu l'idée de
la justification de Marie, rejoint maintenant le récit de saint Luc, rr, 1-
“7; il n'est done pas étonnant que les mss. empruntent fréquemment
des variantes au 1112 Évangile. On remarquera en particulier la tendance
de C à supprimer les divergences assez considérables entre les deux narra-
tions. Suivant le Protévangile, le recensement ordonné par Auguste se
“limite aux habitants de Bethléem; quelques mss. lisent à la Judée.
Saint Luc semble indiquer au contraire un recensement général de tout
l'empire. Dans l'ancienne littérature chrétienne on trouve une tradi-
tion parallèle à celle du Protévangile ; Resch loc. cit., p. 118) cite Ter-
tullien, Ade. Marcion.. 1v. 19 : sed et census constat actos sub Augusto
nunc in Judæa per Sentium Saturninum; Justin, Dial., 78: ἀπογραφῆς
οὔσης ἐν τῇ ᾿Ιουδαίο.. — Credner (Beitrüge, τ, 23^) suppose que les
mots de saint Luc πᾶσαν τὴν οἰχουμένην proviendraient |d'un
“contre-sens fait par l'auteur du III? Évangile sur le texte hébreu de
sa source. Kol-ha’äres ne signifiait que « toute la région. » Luc 8 tra-
duit toute la terre. Dans cette hypothèse il n'v aurait pas de désac-
“cord sérieux entre la tradition représentée par Justin, Tertullien et le
Protévangile d'une part, et celle dont Lue s'est inspiré. On compren-
- drait dés lors plus facilement comment la confection d'une liste des habi-
tants de Bethléem (ou d'une partie de la Judée) n'a pas été rapportée
“par Joséphe et les autres historiens. Seulement on se demande ce que
“vient faire l'empereur Auguste dans un événement de si maigre impor-
tance. C'est cette difficulté qu'ont sentie plusieurs mss. qui ont substi-
tué Hérode à Auguste. On comprend en effet qu'Hérode, pour des rai-
τὴν δὲ τὴν παῖδα τί ποιήσω ; πῶς αὐτὴν ἀπογράψομαι
γυναῖχα ἐμήν ; αἰσχύνομαι 1. ᾿Αλλὰ θυγατέρα ? ; ἀλλ᾽
4 "
οἴδασιν πάντες οἱ υἱοὶ ᾿Ισραὴλ ὅτι οὐκ ἔστι μου θυγάτηρ il
Αὐτὴ ἡ ἡμέρα κυρίου ποιήσει *ὡς βούλεται κύριος. 2. Kol
ἐπέστρωσεν τὴν ὄνον καὶ ἐπεχάθισεν αὐτὴν, xal siAxey d :
υἱὸς αὐτοῦ xal- ἠχολούθει ᾿Ιωσήφ 5. Καὶ ἤγγισαν ἐπὶ ἢ
μιλίων
[ τριῶν
ret 6 xal
«αἱ ἐστράφη
τράφη "Inc 19, xai t εἶδεν
cio TT
αὐτὴν στυ-
γνὴν 7, xai εἶπεν ἐν ἑαυτῷ" ἴσως τὸ ἐν αὐτῇ χειμάζει αὐτήν.
A ^ 7 2 e "727 , ==

D à
* , A ^ CEN A - P
Kai πάλιν ἐστράφη ᾿Ιωσὴφ xai εἶδεν αὐτὴν γελῶσαν. Καὶ
LEE M , , AN: - 7 D , , 4
εἶπεν αὐτὴ Μαρία, τί σοί ἐστιν τοῦτο, ὅτι τὸ πρόσωπόν
σου βλέπω ποτὲ μὲν γελῶν, ποτὲ δὲ στυγνάζον. Καὶ εἶπε

1 4 omettoutce membre dephrase.— B, 1, L, R : ἀλλ᾽ οὐχ ἔστιν |


μου γυνή. — Eth.: Verumtamen non
est uxor mea. »
2 Eth. : An sicut sororem .
3 Syr, : Je serais menteur et voici que les fils d'Israél savent bien, |
4 Syr. : Le jour du Seigneur fera apparaitre comme 1] voudra. — -
Eth. : De hac filia quam fecit Dominus fiat sicut. illi. placuerit,
5 Plusieurs mss. font mention de deux fils de Joseph, l'un üent
l'àne par la bride, l'autre suit avec Joseph. Les noms ne sont pas
toujours donnés. On voit aussi paraître Jacques : B, Fb, 1: xal
Ἰάχωθος (B. aj.&16) καὶ Σίμων ἐπηχολούθουν( Β-λουθοῦμεν).----
Syr. : et Joseph suivait avec son fils (omis dans Wright).
Eth. : /n via sequebatur eum sacerdos cut nomen Samuel, et ivit.
cum eo simul.
6 B,C, F^: ἀπὸ μιλίων τριῶν. ---- Syr. : Et quand ils atteigni à
rent le troisième mille. — Eth. : cum ad tertium miliarium itineris. |
pervenerunt.
7 Eth. omet jusqu'à γελῶσαν.
ET PR ER DD
sons dynastiques, ait pu se préoccuper de connaitre exactement quels
étaient les Juifs, originaires de Bethléem, c'est-à-dire ayant quelque
relation avec la famille royale de David. On remarquera la grande in-
décision des mss. sur tous ces points.— Les réflexions de Joseph sur la
manière dont il inserira Marie, aident à préciser la nature desrelations |
qui les unissent tous deux. L' Éthiopien, qui n'admet pas que Joseps
*
ait pu avoir des fils ou des filles, remplace fille par sœur.
2. La composition de la petite caravane n'est pas la méme selon les
XVII, 1-2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 245

que ferai-je ? Comment la ferai-je inscrire ? Comme ma


femme ? J’en rougis. Comme ma fille ? Mais tous les fils
d'Israël savent qu'elle n'est pas ma fille. Le jour du Sei-
gneur sera comme voudra le Seigneur. » 2. Et il sella son
ânesse, y fit asseoir Marie, et son fils tenait l’ânesse par la
bride et Joseph marchait à cóté. Et ils étaient arrivés à
trois milles (de Bethléem ?) et Joseph se détourna et il vit
Marie toute triste, et il se dit en lui-même : « Peut-être ce
qui est en elle la fait-il souffrir. » Et de nouveau Joseph se
détourna et la vit qui riait. Et il lui dit : « Marie que
signifie ceci; ton visage, 16 16 vois tantôt souriant et tantôt

divers mss. Il est vraisemblable que l'auteur primitif ne donnait pas


de noms propres; on peut toutefois supposer que, dans sa pensée, le
fils qui tenait l'áne par la bride n'était autre que Jacques, et que les
autres fils de Joseph suivaient; on trouve, en effet, plusieurs fils au
chapitre suivant. Dans l'éthiopien, le fils de Joseph est devenu un pré-
tre du nom de Samuel ! — L'apparente précision des mots : « et ils
étaient arrivés à trois milles» ne doit pas faire illusion sur les connais-
sances géographiques de l'auteur. Veut-il dire quela caravane avait déjà
fait trois milles depuis son départ ? comme il n'est fait aucune mention
de ce dernier, ilest bien impossible de fixer l'endroit où elle se trouve actu-
ellement. L'auteur veut-il affirmer qu'on était arrivé à trois milles de
Bethléem? C'est le sens le plus naturel; mais on ne sait toujours pas d’où
vient Joseph. De méme l'expression: « on était arrivé à moitié du che-
min », doit-elle s'entendre en fonction de la précédente ἢ et faut-il
prendre la moitié du chemin entre le point désigné tout à l'heure et
Bethléem; ou bien est-ce la moitié du parcours total ? Il est diffi-
cile de le dire. Si l'on fait la conjecture que Joseph habitait à Jéru-
salem (conjecture qui n'est pas, invraisemblable), si l'on accepte que
ἀπὸ τριῶν μιλίων doit se compter du point de départ, l’endroit
signalé en premier lieu devrait être cherché à cinq kilomètres au sud
de Jérusalem soit à trois ou quatre kilomètres au nord de Bethléem.
Si l’on admet d'autre part que l'expression « à moitié chemin» doit
s'entendre de l'intervalle entre l'endroit. désigné précédemment et
Bethléem, on arriverait à situer cesecond point à quelque deux kilo-
métres de Bethléem, c'est-à-dire à une distance assez grande encore
- de l'endroit assigné comme le lieu de la naissance du Sauveur, — Les
deux peuples, que Marie voit un peu avant d'enfanter, font songer à ce
246 PROTÉVANGILE DE JACQUES | XVIL 3- XVIII,

Μαριὰμ τῷ ᾿Ιωσήφ᾽ ὅτι δύο λαοὺς βλέπω τοῖς iptahuaig


uou, ἕνα χλαίοντα xal χοπτόμενον, καὶ ἕνα χαίροντα καὶ
ἀγαλλιώμενον 1 8. Καὶ ἦλθον ἐν τῇ μέσῃ ὁδῷ3 καὶ εἶπεν
αὐτῷ Μαριάμ᾽ χατάγαγέ ue ἀπὸ τῆς ὄνου, ὅτι τὸ ἐν ἐμοὶ
ἐπείγει με προελθεῖν 3. Καὶ χατήγαγεν αὐτὴν ἀπὸ τῆς ὄνου
xai εἶπεν αὐτῇ ποῦ σε ἀπάξω χαὶ σχεπάσω σου τὴν ἀσχημο-
güyny^ ; ὅτι ὁ τόπος ἔρημός ἐστιν 5.

XVIII 1. Καὶ εὗρεν σπήλαιον ἐχεῖ χαὶ εἰσήγαγε x


αὐτὴν 9, xal παρέστησεν αὐτὴ τοὺς υἱοὺς αὐτοῦ ?, xal AE
Boy ἐζήτει μαῖαν E6gaíav ἐν χώρᾳ Βηθλεέμ.

1 Eth. supprime tout l’épisode des deux peuples.


? € qui veut se rattacher à la tradition de la grotte de la nativité -
a lu :ὡς ἀνέδησαν ἐν τὴ Βηθλεέμ.. — Eth. supprime toute mentio J d
de lieu. ES ἵν D

3 Eth. : Ecce dolores partus me cruciant, in eo sum ut pariam.


^ B, E lisent αἰσχύνην. C'est aussi le sens du syriaque. — Eth.
simplement :Quomodo te deponam in hoc loco ?
5 C: ὅτι οὐκ ἔστιν ἡμῖν τόπος εἰς χατάλυμα. '
$ Eth. : tunc oculos sustulit et eidit speluncam in quam Mariam
introduxit et deinde obstetricem ad perquirendam exiit.
71, L, Pos. : τὸν υἱὸν a0x00.— F° ajoute : ἔξω τοῦ σπηλαίου.

qui est dit de Rébecca, Gen., xxv, 23: Yahveh lui dit : « Deux natio
sont dans ton sein etsesépareront ausortir de tes entrailles. » Cepen-
dant les deux peuples ne sont point dans le sein de Marie, ils som
devant ses yeux, et c'est l'enfant qui va naitre qui cause la joiede
l'un et la tristesse de l'autre. L'allusion est évidente à la prophéti
de Siméon, Luc, 11, 34: Jésus est destiné à amener la chute ete
relèvement de plusieurs en Israël. Et de même que dans la prophétie
de Siméon, il est dit qu'un glaive de douleur transpercera le cœur
de Marie, de même ici les sentiments des deux peuples se reflétem
sur le visage (et dans l'àme) de la Vierge. L'épisode a d’ailleurs
pour but de montrer que Marie n'est point sujette aux douleu
physiques de l'enfantement et que ses angoisses sont purement. |

D
Je
coort
- XVII,
2- XVIII, 1 PROTÉVANGILE DE JACQUES 247
attristé ?» Et Marie dit à Joseph : « C'est que je vois de
mes yeux deux peuples, l'un qui pleure et s'afflige bruyam-
ment, l'autre qui se réjouit et tressaille d'allégresse. »
3. Ils étaient arrivés à moitié chemin et Marie lui dit:
« Descends-moi de l’ânesse, parce que ce qui est en moi me
presse et (veut) paraitre au Jour.» Et il la fit descendre de
l'ànesse et illui dit : « Où te conduirai-je, et mettrai-je
à l'abri ta pudeur? Car l'endroit est désert. »

XVIII. 1. Et il trouva à l'endroit méme une grotte et


ly fit entrer; et il laissa auprès d'elle ses fils et étant
sorti il cherchait une sage-femme juive dans le pavs de
Bethléem.

morales. Les deux peuples dontil est question, ne sont pas néces-
sairement les Juifs et les paiens, mais plutót les croyants et les
ineroyants.
3. Nous avons déjà expliqué l'expression « au milieu du chemin»,
Les paroles de Marie ne signifient pas qu'elle ressent les douleurs de
l'enfantement, mais simplement que son terme est tout proche; il est
done nécessaire qu'elle descende de sa monture. Un docéte ne se serait
pas exprimé de cette maniére, Nous avons traduit les paroles de
Joseph mo3?.... ἀσχημοσύνην, comme il s'y avait αἰσχύνην que donnent
plusieurs mss.; le sens général reste le méme. Sur les mots « l'endroit
est désert » et sur la mention de la grotte, cf. introduction, p. 54 sq.
Seul le fragment sahidique parle à cet endroit d'une hôtellerie, πανδοχίον»
où Joseph aurait fait descendre Marie. — Il parait qu'au vi? siéele on
vénérait à Jérusalem la pierre que Marie avait sanctifiée en s'asseyant
sur elle à ce moment du voyage. Cette pierre avait été originairement
à trois milles de Jérusalem Cf. Protee., xvii, 2. Après une tentative
qui échoua miraculeusement pour la transporter à Constantinople,
elle avait été dressée en guise d'autel dans l'Éelise du Saint-Sépulcre.
Un pèlerin l'y vit vers 530. Théodosius, De situ terrz sanctæ, dans les
Itinera hierosolymitana, Corpus de Vienne, t. XXXIX, p. 28.
XVIII, 4. Joseph laisse ses fils auprès de Marie. Quelques mss.
ajoutent : « en dehors de la grotte », ce qui est plus convenable; et
part à la recherche d'une sage-femme juive.
248 PROTÉVANGILE DE JACQUES XVIII,2

2. ᾿Εγὼ ! δὲ ᾿Ιωσὴφ περιεπάτουν, xal οὐ περιεπάτουν,


La , D '

xal ἀνέθλεψα εἰς τὸν ἀέρα, xoi εἶδον τὸν ἀέρα ἔχθαμθον᾽ xal

!

avébheba εἰς τὸν πόλον τοῦ οὐρανοῦ, xal εἶδον αὐτὸν ἑστῶτα,
χαὶ τὰ πετεινὰ τοῦ οὐρανοῦ ἠρεμοῦντα 2: xal ἐπέῤλεψαι
ἐπὶ τὴν γῆν, xal εἶδον σχάφην χειμένην xol ἐργάτας ἀναχειμέ-
γους, xai χεῖρες αὐτῶν ἐν τῇ σχάφῃ᾽ xal οἱ μασσώμενοι οὐχ
ἐμασσῶντο, xal οἱ αἴροντες οὐχ ἀνέφερον, xal οἱ προσ-
φέροντες τῷ στόματι αὐτῶν
τὰ πρόσωπα ἄνω βλέποντα a
1 ἢ >=
ἦν ,καὶ οὐ προέδαινον ἀλλ᾽ ἵσταντο, xai ἐπῆρεν
τὴν χεῖρα αὐτοῦ τοῦ πατάξα "e x 6
αὐτοῦ ἔστη ἄνω" xal ἐπέῤλεψα ἐπὶ Toy χείμαρρον τοῦ- ovas
RER S " 5 A Σ 2 ! H A ,

μοῦ, xal εἶδον τὰ στόματα


*
τῶν ἐρίφων ἐπιχείμενα xol μὴ
/

πίνοντα, xoi πάντα ὑπὸ θῆξιν τῷ δρόμῳe αὐτῶν ἀπηλαύνοντο.

1 Le Syriaque de Wright résume tout l'épisode dans les mots sui-


vants : Je vis toutes les choses arrêtées, puis soudain tout reprit
son cours. — Eth. : Dum autem it per viam terram, trementem vidit,
boves quoque pascentes eidit adspicientes in celum, et etiam juazta
magnum flumen ,ubi ad bibendum convenerat, multitudinem ovium
vidit suspicientem in ccelum et stantem. Syr. Lewis. au contraire
suit de trés prés le texte grec. — Pour ce dernier les mss. A, C, D,
E, (Fa), H, R, Syr. mettent la narration à la première personne ;
B, I, L, M, Pos. à la troisième; F*, G omettent tout le chapitre.
? H ajoute : ἐν τῷ τίχτειν τὴν παρθένον.
3 Syr. : et je vis qu'ils appelaient leurs brebis; or leurs brebis res-
taient en place, etc.

2. On a fait dans l'introduction les remarques nécessaires sur le


changement de personne dans la narration. L'épisode lui-même est
assez extraordinaire. Un passage d'Ignace pourrait étre rapproché
de notre texte. Eph., xix, 1,il est dit que les trois mystères les plus reten-
tissants du christianisme se sont accomplis dans la tranquillité deDieu
Kai ἔλαθεν τὸν ἄρχοντα τοῦ αἰῶνος τούτου ἢ παρθενία Μαρίας, xai ὁτοχετὸς αὐτῆς,
ὁμοίως χαὶ ὁ θάνατος τοῦ χυρίου τρία μυστήρια χραυγῆς ἅτινα ἐν ἡσυχία θεοῦ
ἐπράχθη. Peut-être faudrait-il voir dans cette description du silence de la
E XVIII, 2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 249

À 2. Or moi Joseph je marchais et je n'avancais pas, et Je


regardai en l'air, et vis l'air (immobile et comme) saisi
d'étonnement, et Je regardai la voüte du cielet je la vis
arrêtée, et les oiseaux du ciel immobilisés, Et je regardai sur
la terre, et je vis une écuelle mise à terre, et des ouvriers
assis (tout à l’entour) et en train de manger. Et ceux qui
mâchaient ne máchaient plus, et ceux qui prenaient (au
plat) ne prenaient plus, et ceux qui portaient à leur bouche
ne portaient plus, mais tous les visages regardaient en
haut. Et voici que l’on conduisait des brebis (au pâturage)
et elles n'avancaient pas, mais restaient en place; et le
berger levait la main pour les frapper du bâton, et sa
main resta en l'air. Et je regardai le cours dela riviére, et
Je vis les bouches des chevreaux (comme) suspendues au-
dessus de l'eau, et ne buvant pas. Puis d'un seul coup tout
fut rendu à son cours ordinaire.

natureà l'instant qui précède la naissance du Sauveur un commentaire


des mots de l'Écriture : Dum medium silentium tenerent omnia (et nox
in suo cursu medium iter perageret), omnipotens Sermo tuus Domine a
regalibus sedibus venit (Sap., xvii, 14-15), en entendant Sermo du Verbe
lui-même. Seulement l'arrét de la nature qui est ici raconté se place
non au milieu de la nuit, mais selon toute vraisemblance vers le soir.
Divers traits, en effet, montrent qu'on est à la fin dela journée; les ou-
vriers prennent leur repas, les brebis rentrent, les chevreaux vont boire.
Ce serait aussi au moment du coucher du soleil, qu'il serait le plus
facile de s'apercevoir de l'arrét de la voüte céleste. Quelques-unes des
expressions sont bien choisies; £x0au60c appliqué à l'air qui subitement
s'arréte fait image. La description des ouvriers en train de prendre leur
repas est pittoresque et de bon aloi. On remarquera l'expression: «leurs
mains étaient dans le plat, » c'est-à-dire ils étaient occupés à manger.
Cf. Matth., xxvr, 23 : ὁ ἐμδάψας μετ᾽ ἐμοῦ τὴν χεῖρα ἐν τῷ τρυδλίῳ, que Marc
a rendu ὁ ἐσθίων μετ᾽ ἐμοῦ.
3. L'expression ὑπὸ θῆξιν est singulière : quelques mss. ont lu ὑπὸ
θήξει; beaucoup ne l'ont pas comprise et l'ont omise ou remplacée par
autre chose. D'après Hésychius, θῆξις signifie ῥοπὴ, στιγμὴ, τάχος. C'est
bien le sens qu'a eompris le Syriaque : « Et soudain, tout fut délié
et courut dans l'ordre. »
250 vien DE JACQUES XIX,
-A

XIX. 1. Kat ἰδοὺ ! γυνὴ καταθαίνουσα ἀπὸ τῆς ὀρεινῇς


χαὶ εἶπέν μοι ἄνθρωπε, ποῦ πορεύῃ 3: xal e(mov' guaíay
ζητῶ 'E6patav. Kai ἀποκχριθεῖσα εἶπέν gov ἐξ ᾿Ισραὴλ
εἶ; xal εἴπον αὐτῇ" vat. Ἢ δὲ εἶπεν᾽ καὶ τίς ἐστιν ἡ γεννῶσα ὃ
ἐν τῷ σπηλαίῳ ; καὶ εἶπον ἐγὼ" ἡ μεμνηστευμένη μοι 5. Καὶ
εἶπέ pot οὐχ ἔστιν σου γυνή; xai εἶπον αὐτῇ Μαριάμ
ἐστιν ἡ ἀνατραφεῖσα ἐν τῷ ναῷ χυρίου, xal ἐκχληρωσάμην as
τὴν γυναῖχα᾽ xai οὐχ ἔστιν μου Tuy), ἀλλὰ σύλληψιν ἔχει EX
^ - ^j M , » A 2 \ , MN ,

πνεύματος ἁγίου. Καὶ εἶπεν αὐτῷ ἡ uota: τοῦτο ἀληθές Ὁ


Καὶ εἶπεν αὐτῷ [uovpi δεῦρο χαὶ ἴδε 7 Καὶ érten,
ἡ μαῖα μετ᾽ αὐτοῦ 8. 2. Καὶ ἔστησαν ἐν v τόπῳ τοῦ orme

1 4, C, D, Syr. : Kat εἶδον.


RH ἐρήμου: Hit: Eleeaeit deinde Joseph oculos suos i
colles Bethleem, mulieremque adeenientem vidit, et cum prope ean
accessisset. salutavit eam Joseph, Et dixit illa er.
3 G ajoute: καὶ τίνα ζητεῖς.
4 E:'Iegouca fg.
PACE γεννήσασα.
$ Eth. supprime une partie du dialogue ; à la question de la
sage-femme Joseph répond seulement : Maria, qua concepit dd |
Spiritu sancto. H
? Syr. : Viens et tu verras.
8 R: xol ἀπελθόντες ἔστημεν.

XIX. 1. La narration continue un certain temps encere à la pre


:
mière personne, qui se change brusquement et sans qu'on sache trop |
pourquoi en troisième personne. La montagne dont il est question |
peut être la colline assez élevée sur laquelle se trouve situé Deth- -
léem. Le dialogue entre Joseph et la sage-femme est rapide, comme 1
convient en l'occurrence. Le fait que Joseph cherche une sage-femme
juive semblerait indiquer que dans la pensée de l'auteur, il pouvait,
y avoir dans le pays d'autres habitants que les Juifs, supposition assez |
invraisemblable. Meyer pense que cette mention spéciale est destinée |
à attirer l'attention sur les accoucheuses juives dont la gloire était bien
établie depuis les événements racontés, Exode, r, 15-21. A un point
de vue plus élevé,la sage-femme pourrait bien représenter l'humanité |
docile aux enseignements divins, tandis que Salomé représente
XIX, 1-2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 254

— XIX. 1. Et voici qu'une femme descendait de la mon-


-tagne, et elle me dit : « Homme, où vas-tu? » Et je dis :
-. « Je cherche une sage-femme juive. » Et elle me répondit:
Tu es d'Israél ? » Et je lui dis : « Oui. » Elle me dit : « Et qui
est celle qui va mettre au monde dans la grotte ? » Et je
dis : « C'est ma fiancée. » Et elle me dit : « Elle n'est pas
ta femme? » Et je lui dis : « C'est Marie, celle qui a été
“élevée dans le temple du Seigneur, et que le sort m'a donné
comme femme; et ( pourtant) elle n'est point ma femme,
mais, sielle a conçu, c’est du Saint-Esprit. » Et la sage-
femme lui dit:« Cela est-il vrai? » Et Joseph lui dit:
« Viens et vois, » Et la sage-femme partit avec lui, 2. Et

Phumanité sceptique, qui ne veut croire qu'après enquête. La


question de la sage-femme : « Qui est celle qui est sur le point d’enfan-
ter dans la grotte? » ne se comprend pas bien; on ne voit pas que Joseph
ait instruit l'accoucheuse du fait, qu'il a laissé Marie dans une grotte,
Mais cette question se comprend bien sur les lévres de l'humanité,
- qui, connaissant l'histoire de Jésus et celle de Marie s'enquiert des con-
ditions exactes de l'enfantement. C'est une nouvelle occasion pour l'au-
teur de développer son thème préféré: Marie n'est pas l'épouse véri-
table de Joseph. Les expressions embarrassées de Joseph témoignent
aussi de l'embarras de l'auteur pour exprimer ce qu'il concevait bien :
l'union de Marie et de Joseph sans relations intimes possibles. Joseph,
en rappelant l'état antérieur de Marie, semble faire allusion à un fait
connu de tous, en particulier de la sage-femme. Le rappel de la jeunesse
merveilleuse de Marie prépare ainsi à l'annonce du miracle bien plus
grand de la conception virginale. La réponse de Joseph :« Viens et vois»
fait penser naturellement aux deux expressions semblables qui se re-
trouvent, Joa., :, 39 et 46. Joseph veut dire sans doute que les mira-
eles qui entoureront la naissance du Sauveur seront une preuve de
— la conception virginale. Il ne songe pas immédiatement à l’accouche-
ment immaculé; mais il pense que divers prodiges comme ceux dont
il vient d'étre le témoin vont se passer.
2. Quelques mss. reprennent ici le récit à. la première personne :
« Quand nous arrivàmes à la grotte. » La nuée lumineuse qui couvre
la grotte est empruntée au récit de la transfiguration (Matth., xvir,
5) ; elle fait penser aussi aux diverses théophanies de l'Ancien Testa-
ment, Cf. Ex., xvi, 10; I Reg., vir, 10, etc. Dans Daniel, vi, 13, c'est
PEUT M pus Ne s pure.

252 PROTÉVANGILE DE JACQUES XIX,

λαίου, καὶ ἰδοὺ 1 νεφέλη φοτεινὴ ἐπισχιάζουσα τὸ σπήλαιον.


Καὶ εἶπεν ἡ μαῖα᾽ ἐμεγαλύνθη ἡ ψυχή μου σήμερον 3 , ὅδ " J

εἶδον οἱ ὀφθαλμοί μου παράδοξα, ὅτι σωτηρία 3 τῷ σ΄


ραὴλ ἐγεννήθη. Καὶ παραχρῆμα ἡ νεφέλη ὑπεστέλλετο,
ix τοῦ σπηλαίου 4 xal ἐφάνη φῶς μέγα ἐν τῷ σπηλαίων
ὥστε τοὺς ὀφθαλμοὺς ἡμῶν ὅ μὴ φέρειν. Καὶ πρὸς ὀλίγον τὸ
φῶς éxelyo ὑπεστέλλετο, ἕως οὗ ἐφάνη τὸ βρέφος 9 xal nie |
xoi ἔλαθε μασθὸν éx τῆς μητρὸς αὐτοῦ Μαρίας. Καὶ.
ἀνεθόησεν ἡ μαῖα xol sixev: μεγάλη μοι σήμερον ἡ ἡμέρα,
αὕτη, ὅτι εἶδον τὸ χαινὸν θέαμα τοῦτο. 3. Καὶ ἐξῆλθεν ἡ
μαῖα ἐκ τοῦ σπηλαίου ?, xal ὑπήντησεν αὐτὴ Σαλώμη. Καὶ
εἶπεν αὐτὴ ; Σαλώμη, Σαλώμη 8, καινόν σοι θέαμα ἔχω my

1 A ajoute : xai ἐφάνη φῶς μέγα ἐν τῷ σπηλαίῳ.


? Syr. : Mon âme confesse aujourd'hui le Seigneur.
3 Syr. : un rédempteur.
4 Fa: ἡ γεφέλη ἐγένετο φῶς μέγα ἐν τῷ σπηλαίῳ.
P MONI NUM les yeux.
6 Syr. : Et peu à peu cette lumière disparut Jusqu'au moment où
apparut l'enfant, — Eth. s'écarte fortement du texte reçu, et
raconte trés brièvement la chose. A4 ecce nubem lucidam corona
cingentem Mariam, magnumque lumen de spelunca prodiens, et.
omnem regionem collustrans adspexerunt, et infantem in praesepio —
viderunt. Tum statim mulier. illa clamavit voce magna dicens τ
« Magnificavit hodie anima mea Dominum, quoniam noeum lumens
magnamque gloriam vidi. » Et militia celestis adscendebat modo et.
descendebat ad locum in quo erat qui hac die natus erat Deus Israel, |
qui saleabit populum a peccatis ejus.
7 F' ajoute : δεδιχαιωμένη.
8 Syr. ajoute : Dieu soit avec toi.

sur des nuées que parait le Fils de l'homme. Cette nuée est donc le si-
gnal de l'apparition de Dieu parmi les hommes; c'est bien ce qu'ex--
prime la sage-femme qui s'écrie : « Le salut (ou la rédemption) est arrivé
pour Israël, » La scène de la naissance du Christ est représentée commen LT

3
XIX, 2.8 PROTÉVANGILE DE JACQUES 253

ils arrivèrent à l’endroit de la grotte, Et voici qu’une


nuée lumineuse couvrait de son ombre la grotte. Et la
sage-femme dit : « Mon âme a été exaltée aujourd'hui,
parce que mes yeux ont vu des choses étonnantes, car le
salut est né pour Israël.» Et soudain la nuée s’évanouit de
dessus la grotte et une grande lumière parut dans la grotte,
au point que nos yeux ne pouvaient la supporter. Et peu
après cette lumière s'évanouit, juste au moment où l'enfant
apparut, vint et pritle sein desa mère Marie. Et la sage-
femme s'exclama et dit : « Aujourd’hui est un grand jour
pour moi, puisque j'ai vu un spectacle nouveau. » 3. Et la
sage-femme sortit de la grotte et elle rencontra Salomé et
lui dit: « Salomé, Salomé, c'est un spectacle nouveau que

un lever de soleil (Meyer). D'abord un brouillard lumineux, puis une


_Jumière éblouissante, sans que le soleil paraisse encore, enfin l'astre
lui-méme parait, et la lumière qui empourprait tout l'horizon cesse
quand il se montre. On remarquera la discrétion des termes em-
ployés pour indiquer que la naissance de Jésus se fait en dehors des ré-
gles ordinaires. L'enfant est à peine mis au monde que déjà il prend le
sein de sa mère; il n'y a donc point de souillure ni pour la mère,
ni pour l'enfant. C'est donc bien aussi « un spectacle nouveau » que la
- sage-femme est à même de contempler. On remarquera aussi l'oppo-
sition entre la lumière glorieuse qui annonce la naissance d’un Dieu,
et le fait que ce Dieu fait homme prend aussitôt le sein de sa mère.
3. L'épisode de Salomé qui commence ici pour se poursuivre durant
le chapitre xx a été imaginé, pour donner une nouvelle preuve de l'en-
fantement miraculeux, de méme que le IVe Évangile mettait en scène
Thomas surnommé Didyme, pour affirmer avec une nouvelle insistance
la réalité de la résurrection du Christ. Les expressions de Salomé serrent
d'assez prés le texte de Joa., xx, 25, pour que l'on puisse songer à un
emprunt direct. Le nom de Salomé est emprunté aux Synoptiques (cf.
Matth., xx, 20, xxvir, 56; Marc., xv. 40, xvi, 1). L'Évangile des Égyp-
tiens la connait également et la représente comme une infatigable ques-
tionneuse. La conjecture de Meyer qui veut y voir Sémélé, d'aprés cer-
taines traditions, la mére, d'aprés d'autres la nourrice de Dionysos,
né lui aussi dans une grotte, cette conjecture nous semble bien aven-
tureuse. [lest invraisemblable que l’auteur ait fait ce rapprochement
conscient entre la naissance du Christ et celle de Dionysos.
254 PROTÉVANGILE DE JACQUES XIX, 3.

σασθαι" παρθένυ. ἐγέννησεν à οὐ χωρεῖ ἡ φύσις αὐτῆς. Kd


εἶπεν Σαλώμη" ζὴ κύριος ὁ θεός μου, ἐὰν μὴ βαλῶ τὸν Báx-
τυλόν uou ? xal ἐρευνήσω τὴν φύσιν αὐτῆς, οὐ μὴ πιστεύσι
ὅτι παρθένος ἐγέννησεν.

XX. 1. Καὶ εἰσῆλθεν ἡ μαῖα καὶ εἶπε τῇ Μαριάμ᾽ σχημά-


τισον ὃ σεαυτήν᾽ οὐ γὰρ μιχρὸς ἀγὼν περίχειται περὶ σοῦ 5
Καὶ ἔθαλε Σαλώμη τὸν δάκτυλον αὐτῆς εἰς τὴν φύσι!
αὐτῆς 9, xol 9 ἠλάλαξε χαὶ εἶπεν * οὐαὶ τῇ ἀνομίᾳ μοὺ xis
Th ἀπιστίᾳ μου, ὅτι ἐξεπείρασα θεὸν ζῶντα, καὶ ἰδοὺ ἡ χείρ,
μου πυρὶ ἀποπίπτεται ἀπ᾿ ἐμοῦ 9. 2. Καὶ ἔχλινεν τὰ

1 :ἡ φύσις. C: ἡ φύσις ἀνθρωπίνη; plusieurs mss. ajoutent


χαὶ πάλιν παρθένος ἐστίν ou quelque chose d'analogue. --- Eth. :
Sulame, veni et vide rem stupendam qua nunquam fuit a creatione,
mundi nec unquam erit in sæcula seculorum. Virgo etenim Maria
peperit, et post partum eirgo permansit.
? Syr. omet et lit à la place : Si Je ne vois pas de mes yeux ; de
méme Eth.
3 B, H, I, L, RH, Pos. : ἀνάκλινον. — Syr. : montre-toi.
4 Syr. ajoute : mais montre-toisi tu es vierge.— H ajoute: καὶ
ἀχούσασα Μαρία ταῦτα ἐσχημάτισεν ἑαυτήν.
5 C, Fa, I, L, R: καὶ ἐσημειώσατο αὐτήν. C : καὶ κατενόησεν
αὐτήν. — Syr. : et Salomé entra et s'approcha et vit qu'elle était |
viérge.
6 Fa et Καὶ ajoutent d'abord le récit de l'accident; Fa xai ἐξη: |
ράνθη ἡ χεὶρ αὐτῆς. H : xal εὐθέως ἡ χεὶρ αὐτῆς πυρὶ rex,
πτετο ἀπ᾿ αὐτῆς. --- Eth. rapporte l'incident à sa manière: Su
lame autem accedens proxime ad Mariam, extendit manum. suam.
ut eideret, at vero e corpore Mariae ignis ardens ezut et manu
Sulame combusta sunt. 4

7 B, I, L, RH, Pos, :xo ÉEnAGEY ΕΠ pe


8 Syr. : brûle. — G, H : ὡς δαλὸς πυρὸς raletat xal &xoriz-
τεταὶ ἀπ᾽ ἐμοῦ. i

XX. 1. La scène quelque peu réaliste décrite dans ce chapitre a


eflarouché plusieurs copistes : les diverses variantes ont pour eflet
XIX, 3-XX,2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 255

| j'ai à te raconter; une vierge a enfanté, ce que (pourtant)


sa condition ne permet pas. » Et Salomé dit : « (Aussi vrai
que) vit le Seigneur mon Dieu, si je n'y mets pas le doigt et
ne me rends pas compte de son état, certainement je ne
| eroirai pas qu'une vierge a mis au monde. »

XX. 1. Et la sage-femme entra et dit à Marie : « Laisse-


toi faire, car ce n'est point un mince débat qui s'éléve sur
ton compte. » Et Salomé voulut se rendre compte de son
état, mais elle poussa un cri et dit : « Malheur à mon im-
piété, malheur à mon incrédulité, parce que j'ai tenté le
Dieu vivant, et voici que ma main (est consumée) par le
feu et se détache. » 2. Et elle fléchit les genoux devant le

de gazer ce que le texte primitif peut avoir d'un peu cru. D'ailleurs il
faut juger de tout l'épisode non point avec nos idées modernes, mais
d'aprés les idées et les sentiments de l'auteur qui jugeait fort naturel
de faire constater de eisu et de tactu le miracle de l'enfantement. La
premiére sage-femme exprime bien la préoccupation à laquelle veut ré-
pondre l'auteur. Ce combat auquel on se livre de son temps au sujet
de l'enfantement virginal, l’auteur veut qu'il soit définitivement
terminé par le récit de cette constatation. En même temps il veut mon-
trer à son lecteur qu'on n'est pas impunément incrédule à cette vérité,
Le chátiment de Salomé doit servir d'exemple à tous.
2. Salomé châtiée pour son incréduhtá et pour sa curiosité ne perd.
pas confiance, elle fléchit le genou devant le Seigneur. L'auteur ne
pense pas à Jésus enfant : c'est devant le Pére tout-puissant que s'in-
cline Salomé; elle lui dit en effet : « Dieu de nos pères »; elle lui rappelle
qu'elle est de la race d'Abraham (cf. Luc., xii, 16; xix, 9), qu'elle a,
par conséquent, un droit plus spécial à la bénédiction divine. Παραδειγ-
ματίζω a ici son sens étymologique : ne fais pas de moi un exemple.
Meyer suppose que πένησιν est une faute de transcription pour γονεῦσιν
qui est la leçon du syriaque et de Fa, L, Pos. Mais la phrase suivante
montre bien qu'il s'agit des pauvres. Comment, privée de ses mains,
Salomé pourrait-elle secourir les pauvres dont elle a l'habitude de pren-
— dre soin ? Cette incidente montre que Salomé exercait elle-aussi le
᾿ς métier de sage-femme, bien que l'auteur ne parle point de sa profes-
sion. En cette qualité elle était amenée à rendre aux pauvres de menus
— soins médicaux, dont elle ne demandait point le salaire. La manière
un peu dégagée dont elle parle de ses bonnes actions fait songer à la
256 PROTÉVANGILE DE JACQUES XX, 2-XXI,

γόνατα αὐτῆς πρὸς τὸν A


δεσπότην λέγουσα. ὁ θεὸς "ous
πατέρων μου, μνήσθητί μου ὅτι σπέρμα εἰμὶ ᾿Αθραὰμ xol
᾿Ισαὰχ xai' Iaxó5* μὴ παραδειγματίσῃς με τοῖς υἱοῖς ᾿Ισραήλ.
ἀλλὰ ἀπόδος με τοῖς πένησιν ^ σὺ γὰρ οἶδας, δέσποτα, ὅτι »ES4.Tue
τῷ σῷ ὀνόματι τὰς θεραπείας μου ἐπετέλουν xal τὸν μίσθόν
μου παρὰ σοῦ ἐλάμόανον. 3. Καὶ ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου it
nino
ἐπέστη ? λέγων πρὸς αὐτήν Σαλώμη, Σαλώμη, ἐϊπήχουσέν
σου κύριος" προσένεγχε τὴν χεῖρά cou τῷ παιδίῳ xai ? Pacs
ταξον αὐτὸ xal ἔσται cot σωτηρία xal χαρά. 4. Kal προσ-
^

NI
Wire
Aus
ἤλθε Σαλώμη καὶ ÉbdoraËey αὐτό, λέγουσα 4 προσχυνήσω m ne

αὐτῷ, ὅτι βασιλεὺς ἐγεννήθη μέγας τῷ ᾿Ισραήλ. Καὶ ἰδοὺ


D

εὐθέως ἰάθη Σαλώμη, καὶ ἐξῆλθεν ἐκ τοῦ σπηλαίου δεδι-


^

καιωμένη. Καὶ ἰδοὺ φωνὴ λέγουσα᾽ Σαλώμη, Σαλώμη, μὴ


ἀναγγείλῃς ὅσα εἶδες παράδοξα, ἕως οὗ εἰσέλθῃ εἰς.
᾿Ιερουσαλὴμ ὁ παῖς.
ὅκα
MAE
sc
ma
atc
som
XXI. 1. Καὶ ἰδοὺ ᾿Ιωσὴφ ἡτοιμάσθη τοῦ ἐξελθεῖν εἰς
Mp

>

1 Syr. : mais rends-moi à ceux qui m'ont donné le jour. — F2, L,


Pos.: τοῖς γονεῦσιν.
omnes enim qui invocant nomen tuum a malis suis liberantur.
? Syr. : lui répondit.
3 G, H: xai. προσχυνήσασα βάσταξον.
4 Syr.: Je m'approche de lui, car j'ai péché dans mon cœur,
pour adorer l'enfant et elle dit : «Celui-ci est né roi d Israél. »

prière du pharisien dans le temple. Luc., xvrrr, 11-12. Pour l'auteur,


Salomé doit représenter les Juifs, fiers de leurs bonnes actions, en
exigcant la récompense, durs à croire et ne se rendant qu'à bon escient.
3. C'est encore un ange qui avertit Salomé de la manière dont elle
pourra obtenir sa guérison. Il est remarquable que Marie joue en tout
ceci un róle entiérement muet.
4. La guérison de Salomé est le premier miracle de Jésus. Il est ra
conté fort simplement et n'est point en contradiction avec la maniere.
d'agir du Christ dans les Évangiles, Cf. la guérison de l'hémorrhoisse, ;
Matth., 1x, 20 sq. Il est donc bien différent des prodiges rapportés
au compte de Jésus dans les différents évangiles de l'enfance. Salomé ^
He
XX,2-XXL4 PROTÉVANGILE DE JACQUES 257
Maître souverain, disant : « Dieu de mes pères, souviens-
toi de moi, car je suis de la postérité d'Abraham, d'Isaac
et de Jacob ; ne fais pas de moi un exemple pour les fils
d'Israël; mais rends-moi aux pauvres. Car tu sais, ὃ Maitre,
que c'est en ton nom que je donnais mes soins, et que mon
salaire Je le recevais de toi.» 3. Et voici qu'un ange du
Seigneur se tint (devant elle), lui disant : « Salomé,
Salomé, le Seigneur t'a exaucée; approche la main du pe-
tit enfant, porte-le et tu auras salut et joie. » 4. Et Sa-
lomé s'approcha, et le porta en disant : « Je l'adorerai,
parce qu' (en lui) est né un grand roi pour Israél. » Et
voici qu'aussitót Salomé fut guérie, et elle sortit de la
grotte justifiée, Et voici qu'une voix lui dit : « Salomé,
Salomé, n'annonce rien des miracles que tu as vus, jus-
qu'à ce que l'enfant soit entré dans Jérusalem. »

XXI. 1. Et voici que Joseph se prépara à sortir (de là)

avant de s'approcher de l'enfant l'adore; ce n'est pas à dire qu'elle


reconnait en lui le Fils de Dieu; elle lui donne seulement le nom et la
qualité de roi. Cet enfant est né pour étre un grand roi, ou plus exacte-
mentle grand roi d'Israël, c'est-à-dire le Messie. C'est la conception
que les Juifs ne veulent pas dépasser. La premiére sage-femme, au con-
traire, qui représente l'humanité croyante, a vu dés l'abord dans cet
enfantle Sauveur,le Rédempteur. Salomé n'en sort pas moins jus-
tifiée de la grotte, comme plus tard le publicain du temple. La voix qui
se fait entendre est celle de l'ange qui est apparu tout à l'heure. La
défense de publier le miracle est une idée familière aux Synoptiques.
D'autre part, l'auteur a besoin pour expliquer l'euquéte des mages, à
Jérusalem, que les événements miraculeux de la naissance du Christ
soient demeurés inconnus. C'est une des raisons pour lesquelles il sup-
prime également l’adoration des bergers, rapportée dans saint Luc.
La mention de Jérusalem se rapporte à la Présentation que l’auteur
connaît, mais dont le récit ne nous est pas conservé.
XXI. 4. La fin du verset précédent avait annoncé l'intention des pa-
rents de Jésus d'aller à Jérusalem, présenter l'enfant au temple. Joseph
se prépare ici à mettre ce dessein à exécution. L'expression « aller
en Judée » signifie, dans notre auteur, aller à Jérusalem. Pourlui, eu +rmA

PROTÉV. — 17
258 PROTÉVANGILE DE JACQUES - XXI, ΓΝ

τὴν ᾿Ιουδαίαν 1. Καὶ θόρυθος ἐγένετο μέγας ἐν Βηθλεὲμ τῆς


᾿Ιουδαίας ?: ἦλθον γὰρ μάγοι 9 λέγοντες" ποῦ ἐστὶν ὁ vex elo
βασιλεὺς τῶν ᾿Ιουδαίων ; εἴδομεν γὰρ αὐτοῦ τὸν ἀστέρα ἐν
τῇ ἀνατολὴ xal ἤλθομεν προσχυνῆσαι αὐτόν. 2. Καὶ ἀκούσας.

ρῴδης
1S
ἐταράχθη, xal ἔπεμψεν ὑπηρέτας πρὸς τοὺς
, , Y 2 ! - , x A

μάγους. xal μετεπέμψατο τοὺς ἀρχιερεῖς xal ἀνέχρινεν


αὐτοὺς 4 λέγων᾽ πῶς γέγραπται περὶ τοῦ Χριστοῦ, ποῦ
γεννᾶται; Λέγουσιν αὐτῷ" ἐν Βηθλεὲμ τῆς ᾿Ιουδαίας᾽ οὕτως
γὰρ γέγραπται 9. Καὶ ἀπέλυσεν αὐτούς. Καὶ ἀνέχρινε,
τοὺς μάγους λέγων αὐτοῖς 9: τί εἴδετε σημεῖον ἐπὶ τὸν γεντ
γηθέντα βασιλέα 7; Καὶ εἶπον oi μάγοι εἴδομεν ἄστερα.

1 G, Η: ἐξ Ἰουδαίας.
2 D: ἐφ᾽’ ὅλην τὴν Ιου δαίαν. — Syr. : ἃ Bethléem de Juda.
3 F^:éx Περσίδος. Fa, B: ἀπὸ ἀνατολῶν.
4 D, E, F2, G, Syr.: ἐν τῷ πραιτωρίῳ αὐτοῦ. :
5 H ajoute : £y τῷ προφήτῃ. D, F8 ajoutent : Kai σὺ Bq6-
λεὲμ, γῇ ᾿Ιούδα, οὐδαμῶς ἐλαχίστη εἶ ἐν τοῖς ἡγεμόσιν "lou
δά᾽ ἐχ σοῦ γάρ μοι ἐξελεύσεται ἡγούμενος ὅστις ποιμανεῖ τὸν
λαὸν μου τὸν ᾿Ϊσραήλ. — Eth. donne simplement le récit de
saint Matthieu en ajoutant les noms des mages : Tanisuram, Malik
et Sisseba,
6 Fa: Kal ἀπολύσας τοὺς ἀρχιερεῖς ἀνέκρινεν αὐτοὺς ἐν τῷ
πραιτωρίῳ τοὺς μάγους λέγων αὐτοῖς.
7 D: Χριστὸν βασιλέα.

effet, Bethléem n'est pas en Judée; si la petite ville porte le nom de


Behtléem de Judée, c'est vraisemblablement à cause de sa proximité
de Jérusalem. Quelques mss. ont eu des scrupules sur cette explication M
fantaisiste et ils ont lu « sortir de Judée » probablement pour rentrer.
en Galilée. Au moment oü Joseph se prépare à partir, une grande agi- |
tation se produit dans Bethléem, causée par l'arrivée des mages. ἃ
partir de ce point l'auteur se rattache assez étroitement à saint |
Matthieu, τι, 1-12, tout en gardant une certaine indépendance à la- |
quelle plusieurs mss. ont renoncé pour serrer de plus, près le texte
de l'Évangile canonique. L'ensemble du récit depuis ἦλθον γάρ jus- |
XXL 1-2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 259
*
pour aller en Judée. Et une grande agitation eut lieu à
Bethléem de Judée. Car des mages étaient venus, disant τὸ
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Car nous
avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus
l'adorer. » 2. Et Hérode ayant appris cela, fut troublé, et
il envoya des serviteurs vers les mages, et il convoqua les
princes des prétres et les interrogea, disant : « Qu'est-ce
qui est écrit touchant le Christ? où doit-il naître? » Ils lui
dirent : « A Bethléem de Judée, car c'est ainsi qu'il est
écrit. » Et il les renvoya. Et il interrogea les mages, leur
disant : « Quel signe avez-vous vu concernant le roi qui
serait né ? » Et les mages dirent : « Nous avons vu une
étoile extrémement grande, brilant entre ces étoiles-ci,

qu'au v. 3 est destiné à expliquer l'arrivée des mages à Bethléem, et


rapporte leur entrée à Jérusalem, les questions qu'ils font et qu'ils subis-
sent. Il devrait donc être tout entier au plus-que-parfait, mais l'auteur
n'est pas assez maitre desa langue pour indiquer cette nuance dans son
texte; ic1 encore tous les événements sont mis sur le méme plan. Fabri-
cius fait remarquer avec raison que le Protévangile ne connait encore
ni le nombre des mages, ni leurs noms, ni leur qualité de rois. Ce sont
des précisions que ne viendront que plus tard.
2. On remarquera que dans la réponse des prétres le Protévangile
supprime la mention de l'oracle de Michée. C'est une manière d'affir-
mer son indépendance à l'endroit de sa source. De méme la réponse
des mages aux questions d'Hérode est librement imitée de Matth.,
11, 2. L'étoile miraculeuse est décrite comme un astre qui dépasse tou-
tes les étoiles en splendeur, et dont la clarté les éclipse toutes. Nous n'en
sommes point encore aux légendes postérieures qui feront de cette
étoile un ange éblouissant de lumiére qui guide les voyageurs. Cette
“idée, qui est celle de l’Évangile arabe de l'enfance, peut se réclamer
d'illustres patrons : Diodore de Tarse (dans Photius, Biblioth., cod.
223, P. G., t. cir, col. 877), saint Jean Chrysostome (Hom., vi, In
Matth., P. G., t. zvur, col. 64). Les expressions du Protévangile font
songer aux paroles d'Ignace Martyr :« Une étoile brillait dans le ciel, plus
éclatante que toutes les étoiles, sa lumiére était inexprimable, et cette
apparition nouvelle excitait là surprise. Les autres étoiles avec le so-
leil et la lune l'entouraient en chœur; mais elle les dépassait tous par
sa lumière. » Ephes., x1x, 2.
avs HN AEN

260 PROTÉVANGILE DE JACQUES XXL 24


A

παμμεγέθη λάμψαντα ἐν τοῖς ἄστροις τούτοις xal &g6AUs


γοντα αὐτοὺς, ὥστε τοὺς ἀστέρας μὴ φαίνεσθαι l- χαὶ ἡμεῖς
οὕτως ἔγνωμεν ὅτι βασιλεὺς ἐγεννήθη τῷ ᾿Ισραὴλ, xol A Bo
μεν προσχυνῆσαι αὐτόν. Καὶ εἶπεν ᾿Ηρώδης᾽ ὑπάγετε xal
- , , ^ 4 * , ^ ς L

v , 2. «, ES Lo 2 : , , 7 » ὩΝὟ
ζητήσατε xal ἐὰν εὕρητε ἀπαγγείλατέ μοι, ὅπως χἀγὼ
ἐλθὼν προσχυνήσω αὐτόν. 3. Καὶ ἐξῆλθον οἱ μάγοι. Καὶ
ἰδοὺ ὃν εἶδον ἀστέρα ἐν τὴ ἀνατολὴ προῆγεν αὐτοὺς ἕως
εἰσῆλθον εἰς τὸ σπήλαιον, χαὶ ἔστη ἐπὶ τὴν χεφαλὴν τοῦ σπη-
λαίου 3. Καὶ εἶδον οἱ μάγοι τὸ παιδίον μετὰ τῆς μητρὸς
αὐτοῦ Μαρίας 4, καί ἐξέθαλον ἀπὸ τῆς πήρας 5 αὐτῶν
δῶρα, χρυσὸν καὶ λίθανον xal σμύρναν. 4 Kol χρηματισ-
θέντες ὑπὸ τοῦ ἀγγέλου μὴ εἰσελθεῖν εἰς τὴν ᾿Ιουδαίαν 6,
δι᾿ ἄλλης ὁδοῦ ἐπορεύθησαν εἰς τὴν χώραν αὐτῶν.

1B,1,L,R, Pos.: ἀστὴρ αὐτοῦ ἐγεννήθη xol ἔλαμψεν ἐν


τοῖς ἄστροις τοῦ οὐράνου, καὶ ἤμόλυνεν αὐτούς. — D se rattache
au texte de Matth. : εἴδομεν γὰρ αὐτοῦ τὸν ἀστέρα ἐν τὴ ἀνατολὴ
χαὶ ἤλθομεν προσκυνῆσαι αὐτόν. ὁ δὲ ἀστὴρ ὁ προάγων ἡμᾶς
ὑπερφαίνων ἦν τοῖς ἄστροις τούτοις χαὶ οὕτως ἔγνωμεν ὅτι
βασιλεὺς ἐγεννήθη τῷ ᾿Ισραήλ.
2 C : πορευθέντες ἀκριθῶς ἐχζητήσατε περὶ τοῦ παιδίου.
3 Syr. : de l'enfant; leçon que connaissent aussi C, G, H : ἔστη
ἐν τῷ σπηλαίῳ ἐπὶ τὴν χεφαλὴν τοῦ παιδίου.
4 Plusieurs mss. grecs et le syr. ajoutent, quoique de manière
assez différente : « Et l’adorèrent.» L'Eth. a la leçon singulière:
et adoraeerunt eum nutricemque ejus.
5 Fa, [: ἀπὸ τῶν θησαυρῶν. --- C donne simplement le texte de
Matth. — Syr. donne la prière des mages : Et ils dirent : « Gloire à
Dieu dans les hauteurs, et paix sur terre et bonne volonté aux
fils des hommes.» Et ils ouvrirentleurs cassettes et lui présen-
térent des présents. — Eth. sait la signification des présents : au-
rum, quia rez erat; tus quia Deus, et tertio myrrham propter incarna-
tionem corporis ejus ; puis l'Eth. rapporte une apparition de l'ange
aux bergers d’après Luc., 11, 9-13.
6 B, C, D, F*,I, L, R ajoutent : πρὸς Ἡρώδην. — Syr. : Et
des anges leur apparurent et leur dirent qu'ils n'allassent pas en
XXI ,2-4 PROTÉVANGILE DE JACQUES 261

et les éclipsant toutes au point que les autres étoiles ne


paraissaient plus. Et ainsi nous avons connu qu'un roi
était né dans Israél, et nous sommes venus l'adorer. » Et
Hérode leur dit :« Allez, et faites des recherches, et quand
vous l'aurez trouvé, faites-le moi savoir, afin que moi aussi
jaille l'adorer. » 3. Et les mages sortirent. Et voici que
l'étoile qu'ils avaient vue en Orient, les précédait jusqu'à
ce qu'ils arrivassent à la grotte, et elle s’arrêta sur le som-
met de la grotte. Et les mages virent le petit enfant avec
Marie sa mère et ils tirérent de leur sac des présents, de
l'or, del'encens et dela myrrhe. 4. Et ayant été avertis par
l'ange de ne pas aller en Judée, c'est par une autre route
qu'ils rentrérent dans leur pays.

Judée. Ils partirent donc par une autre route. — N ajoute d'a-
prés Matth., 11, 13-15, le récit de la fuite en Égypte.

3. Dans saint Matthieu, l'étoile conduisait les mages à la maison


où demeurait Jésus ; ici c'est à la grotte de la nativité qu'ils sont
amenés. L'étoile s'arréte au-dessus de la caverne; quelques mss. ne
voient pas d'inconvénients à faire entrer l'astre dans la grotte elle-même
et à le faire arrêter sur la tête de l'enfant. La leçon ἀπὸ τῆς πήρας αὐτῶν
ne doit pas surprendre; de nombreux mss. de saint Matthieu lisent
11, 11 : xai ανοίξαντες τὰς πήρας. πήρα, c'est le sac de cuir dans lequel on
serre tous les objets nécessaires au voyage.
4. L'expression μὴ εἰσελθεῖν εἰς τὴν ᾽Ιουδαίαν, qui remplace μὴ ἀναχάμ-
Ψαι πρὸς Ιρώδην de Matth., montre bien que, pour l'auteur, la Judée,
c'est Jérusalem et ses environs immédiats.
Le Protévangile ne s'occupe plus des mages, une fois qu'ils sont rentrés
dans leur pays. Les légendes postérieures n'ont pu se résigner
à les perdre complètement de vue. Voici ce que sait sur leur compte
la relation éthiopienne: Cum pervenissent in regionem suam, iverunt
ad regem suum qui interrogaeit eos dicens : « Quid vidistis? » Et narra-
verunt omnia quz viderant et quomodo munera ipsorum puer accepisset.
Et iterum interrogans eos rex dixit :« Quid autem vobis dedit ? » Et respon-
derunt dicentes : « Dedit nodis paululum panis. benedictionis, quem
nos abscondimus sub terram.» Et ait illis rex: « Ite, afferte eum mihi.»
Et recedentes, abierunt ad illam terram uli panem. abdiderant, et. dum
illam fodiunt, ignis inde exiit, et propterea. Magi usque adhuc igncm
adorant,

P
τὰ
to

262 PROTÉVANGILE DE JACQUES XXII, 1-

XXII. 1. Γνοὺς δὲ ᾿Ηρώδης ὅτι ἐνεπαίχθη ὑπὸ τῶν μάγων!, $


ὀργισθεὶς ἔπεμψεν φονευτὰς λέγων αὐτοῖς᾽ τὰ βρέφη ἀπὸ
διετοῦς χαὶ χατωτέρω ἀποχτείνατε 2. 2. Καὶ ἀχούσασα
Μαριὰμ ὅτι ἀναιροῦνται τὰ βρέφη, φοδηθεῖσα ἔλαθεν τὸ
παιδίον καὶ ἐσπαργάνωσεν αὐτὸ xal ἔθηχεν ἐν φάτνῃ βοῶν 3.
3. Ἢ δὲ ᾿Ελισάθετ, ἀκούσασα ὅτι ᾿Ιωάννης ζητεῖται, λαθοῦσα,
αὐτὸν ἀνέθη εἰς τὴν ὀρεινὴν, xal περιεθλέπετο ποῦ αὐτὸν
χρύψει: xal οὐκ ἦν τόπος &xoxgugtc. Καὶ στενάξασα ἡ
᾿Βλισάθετ φωνὴ μεγάλῃ λέγει ὄρος θεοῦ, δέξαι μητέρα μετὰ
τέχνου. Οὐ γὰρ ἠδύνατο ἀναθῆναι ἡ ᾿Βλισάθετ. Καὶ παρα-
χρῆμα ἐδιχάσθη τὸ ὄρος xal ἐδέξατο αὐτήν. Καὶ ἦν δια-

1 L: ὑπὸ τῶν ἀστρολόγων.


2 Plusieurs mss. se De davantage du texte de Mes
11, 16-18. C'est N qui s'en rapproehe le plus.
3 Fa ajoute διότι οὐχ ἦν αὐτοῖς τόπος ἐν tQ χαταλύματι.
D’autres mss. rapportent la fuite en Égypte. Les uns comme À
omettent l'épisode donné dans le texte et mentionnent simple-
ment la fuite; les autres ^, C, H, après avoir mentionné l’épi-«
sode de l’étable, racontent d’une manière plus ou moins détaillée |
l'avertissement à Joseph et son départ pour l'Égypte. — Eth.
fait de méme, mais il met le récit de la fuite en Égypte aprés
l'épisode d'Élisabeth dans la montagne.

XXII. 4, reproduit d'une maniére indépendante Matth., 11, 16.


2. Mais à partir de 2, l’auteur raconte à sa manière le salut de
Jésus. Il est vraisemblable que, préoccupé de faire présenter Jésus
au temple, comme saint Luc, il n'a pas vu le moyen de concilier les.
narrations du I?! et du IIIe Évangile. Il a donc laissé de côté délibé-
rément lafuiteen Égypteeta imaginé un autre moyen pour sous-
traire Jésus à la fureur d'Hérode. D'autre part, ce moyen a l'avan-
tage de luifaire rejoindre la tradition rapportée par saint Luc,
d'aprés laquelle Jésus serait né dans un étable et aurait été placé dans
une crèche. Il est impossible de se rendre compte, dans l'état actuel.
du texte,de la facon dontl'auteur menait à bonne fin l'histoire de Marie
et celle de Jésus enfant, puisqu'il semble démontré qu'une main pos-
térieure a soudé, plus ou moins adroitement, au récit primitif la légende
de Zacharie et de Jean-Baptiste. Seule une interpolation peut expliquer.
la maniére abrupte dont se termine l'histoire de Marie.
- XXII, 1-3 PROTÉVANGILE DE JACQUES 263

XXII. 1. Hérode ayant donc connu qu'ilavait été joué par


les mages, se mit en fureur et envoya des meurtriers, leur
disant : « Tuez les enfants de deux ans et au-dessous. »
2. Et Marie, ayant appris que l'on tuait les enfants, fut
saisie de frayeur; elle prit l'enfant et l'enveloppa de langes
et le placa dans une crèche à bœufs. 3. Or Élisabeth, ayant
appris (elle aussi) que l’on recherchait Jean,le prit et partit
pour la montagne, et elle cherchait où le cacher, et il n'y
avait pas de cachette. Et ayant poussé un profond soupir,
Élisabeth dit d’une voix forte :« Montagne de Dieu, reçois
une mère avec son enfant. » Car Élisabeth ne pouvait plus
monter. Et soudain la montagne se fendit, et la reçut; et

3. Élisabeth, dont il avait été si peu question dans tout ce qui pré-
cède, apparaît pour quelques instants au premier plan. La montagne
où elle s’enfuit, emmenant son jeune fils, est la région vague et indéter-
minée où nous avons déjà vu s'accomplir plusieurs prodiges. La ma- :
nière dont la mère du Baptiste est sauvée rappelle divers épisodes des
apocryphes de l'Ancien Testament, en particulier le cèdre qui s'ouvre
pour donner asile à Isaie poursuivi. C'est aussi le théme de nombreuses
légendes. Dans cette retraite miraculeuse, la mére et l'enfant ne restent
cependant point dans l'obscurité, puisque la lumière peut leur arriver.
Cette lumiére ne semble pas due à la présence de l'ange, en ce sens que
ce serait l'ange lui-même qui la répandrait autour de lui; il semble
seulement que, grâce aux bons offices de l'ange, la montagne peut laisser
filtrer la lumière nécessaire. Le texte suppose que les fugitifs feront
un séjour de quelque durée dans cette retraite, l'auteurne se préoccupe
pas d'ailleurs de nous dire comment ils y vécurent et quand ils en sor-
tirent. La recension slave, publiée par Berendts, avait des renseigne-
ments sur ces divers points. L'ange fait sortir dela montagne du pain et
de l'eau. A l’âge de neuf mois, Jean est sevré, et reçoit du miel sauvage
d'un palmier du désert. Quand l'enfant a treize mois, Élisabeth recoit
l'ordre de sortir de sa retraite. A l’âge de cinq ans, Jean est confié à
lange Uriel; c'est alors qu'on lui donne le vétement de poils de cha-
meau qu'il portera toute sa vie. Épiphane le Moine dans la vie de la
Vierge (P. G., t. cxx, col. 201) rapporte qu'Élisabeth, qui était à Beth-
léem, prit Jean et se sauva dans le désert. Elle se cacha quarante
jours dans une caverne, Cédrénus a transcrit ces détails dans son his-
toire (P. G., t. cxxr, col. 365).
264 PROTÉVANGILE DE JACQUES XXII, 3 - XXIII, 3

paivoy αὐτοῖς φῶς ἄγγελος γὰρ xuplou ἦν μετ᾽ αὐτῶν


διαφυλάσσων αὐτούς.

XXIII. 1. Ὁ δὲ Ἡρώδης ! ἐζήτει τὸν ᾿Ιωάννην, xai ἀπέ-


στειλεν ὑπηρέτας ? πρὸς Zayaptay λέγων ποῦ ἀπέχρυψας
τὸν υἱόν σου ;Ὃ δὲ ἀπεχρίνατο λέγων αὐτοῖς" ἐγὼ λειτουργὸς
ὑπάρχω τοῦ θεοῦ χαὶ προσεδρεύω τῷ ναῷ χυρίου, οὐχ
οἶδα o0 ἐστὶν ὁ υἱός μου. 2. Καὶ ἀπῆλθον οἱ ὑπηρέται xal
ἀνήγγειλαν
| τῷ ᾿Ηρώδῃ ταῦτα πάντα. Καὶ ὀργισθεὶς ὁ ᾿Πρώδης
eixmev' ὁ υἱός αὐτοῦ μέλλει βασιλεύειν τοῦ ᾿Ισραήλ. Καὶ
ἀπέστειλεν πρὸς αὐτὸν πάλιν λέγων᾽ εἰπὲ τὸ ἀληθές" ποῦ
ἐστὶν ὁ υἱός σου ; οἶδας γὰρ ὅτι τὸ αἷμά σου ὑπὸ τὴν χεῖρά
μου ἐστίν. Καὶ ἀπήλθον οἱ ὑπηρέται xal ἀπήγγειλαν
αὐτῷ ταύτα πάντα 3. 3. Καὶ 4 εἶπεν Ζαχαρίας" μάρτυς εἰμὶ

1 Eth. : Et Herodes ascendit in Bethleem ut puerum Jesum requi-


reret qui natus erat, sed eum non invenit.Cum autem Joannem filium
Zachariæ non invenisset misit ad Zachariam.
2 C: elg τὸ θυσιαστήριον xuptou. — Syr. : dans le temple.
3 Eth. : Respondit Zacharias sacerdos, dixitque eis sicuti antea
dixerat, et juravit se nescire ubi esset filius suus. Et postea, misso
ad eum nuncio, tertio ait illi rez :« Si non adduzeris filium tuum,
scito et considera quia ego ad te veniam et te occidam. » Et Zacharias,
his auditis, dizit :«Vivit Dominus, vel si sanguinem meum fuderitis,
ignoro tamen ubi sit filius meus. »
4 D : xol ἀχούσας ταῦτα Zay. ἀνταπεχρίθη.

XXIII. 1. L'auteur suppose que Jean-Baptiste est né à Bethléem,


Hérode qui sait cela, et qui a pu apprendre d'autre part les merveilles
qui ont entouré ]a naissance de cet enfant, peut, sans invraisemblance,
voir en lui le roi que cherchaient les mages. Il le fait demander à son
père. Comme dans le récit du Protévangile, Zacharie est considéré ici
comme ]le grand-prétre. C'est ce qu'indiquent et sa réponse présente
et le fait qu'au chapitre suivant les prétres viennent de grand matin
pour le saluer. Zacharie, qui séjourne constamment dans le temple du
Seigneur, peut répondre en toute vérité qu'il ne sait pas ou est son fils,
XXII, 3 - XXIII, 3 PROTÉVANGILE DE JACQUES 265

(pourtant) 1] leur arrivait de la lumière, car un ange du


Seigneur était avec eux et les protégeait.

XXIII. 1. Or Hérode recherchait Jean, et il envoya des


serviteurs à Zacharie, disant : « Où as-tu caché ton fils? »
Celui-ci répondit et leur dit : « Je suis le serviteur de Dieu,
et je demeure constamment dans le temple du Seigneur; je
ne sais pas où est mon fils.» 2. Et les serviteurs s'en allérent
et annoncèrent tout cela à Hérode. Et furieux Hérode dit :
« Son fils doit un jour régner sur Israël. » Et il envoya de
nouveau vers lui, disant : « Dis la vérité ;où est ton fils? Tu
dois savoir, en effet, que ta vie est entre mes mains.» Et les
serviteurs s'en allérent et lui rapportérent tout cela. Et
Zacharie dit : 3. « Je suis un martyr de Dieu, si tu répands

2. Cette réponse ne fait que fortifier les soupcons d' Hérode; il envoie
une seconde fois des serviteurs vers Zacharie, et cette fois il fait des
menaces, L'Éthiopien suppose qu'il y eut aprés cela un troisiéme envoi,
et une nouvelle menace. Mais cette répétition est inutile.
3. En effet, la réponse de Zacharieà ceux qui le menacent est tout à
fait adéquate. Le texte, il est vrai, est difficile à établir. On peut répartir
les sens en deux groupes. Dans le premier, l'ordre des idées est celui-
ci: « Dieu m'est témoin queje dis la vérité ; si malgré cette affir-
mation tu prétends me tuer, c'est un sang innocent que tu répandras
et dés lors Dieu recevra mon esprit. » C'est l'ordre le plus naturel. Dans
le second groupe, le sens serait celui-ci : « Je n'ai pas peur de la mort,
car je suis innocent. » D’après la plupart des mss., Zacharie mentionne
lui-méme le vestibule du temple comme le lieu de sa mort. Cela aug-
mente la grandeur du crime d'Hérode et le droit de Zacharie au titre
de martyr. Cette mention d'ailleurs était nécessaire, à un moment ou
à l'autre, puisque la légende de Zacharie se donne comme une explica-
tion des mots de Matth., xxii, 35, où Jésus parle de « Zacharie fils de
Barachie, tué entre le temple et l'autel. » Saint Jéróme nous apprend
dans le commentaire de ce passage, qu'à son époque, les pèlerins chré-
tiens vénéraient encore, dans les ruines du temple,les traces du sang
de Zacharie. Au lieu de διάφαυνα plusieurs mss. lisent διάφραγμα, vou-
lant sans doute désigner par ce mot la séparation existant entre le
vestibule et l'autel, Ce texte a des chances d'étre primitif,
266 PROTÉVANGILE DE JACQUES XXIII, 3 -XXIV,

τοῦ θεοῦ1, εἰ éxyéetg uou τὸ aya τὸ γὰρ πνεῦμά μου 64


δεσπότης δέξεται, ὅτι αἴμα ἀθῶον ἐχχέεις εἰς τὰ πρόθυρ =

τοῦ ναοῦ κυρίου. Καὶ περὶ τὸ διάφαυνα ? ἐφονεύθη Ζαχαρίας.


Καὶ οὐκ ἤδεισαν οἱ υἱοὶ ᾿Ισραὴλ ὅτι ἐφονεύθη. |

XXIV. 4. ᾿Αλλὰ ἀπῆλθον οἱ ἱερεῖς 9 εἰς τὴν ὥραν τοῦ


ἀσπασμοῦ, καὶ οὐκ ἀπήντησεν αὐτοῖς χατὰ τὸ ἔθος ἡ εὐλογία,
τοῦ Zayapiou 4 Καὶ ἔστησαν οἱ ἱερεῖς προσδοχῶντες Ζαχα-
ρίαν τοῦ ἀσπάσασθαι αὐτὸν ἐν τῇ
A 2
εὐχῇ xol δοξάσαι τὸν
ὕψιστον. 2. Χρονίσαντος δὲ αὐτοῦ ἐφοθήθησαν ἅπαντες");
ἀποτολμήσας δὲ εἷς ἐξ αὐτῶν εἰσῆλθεν 9, xal εἶδε παρὰ τὸ

1 B,1, Pos. (cf. Eth.) : Μάρτυς ὁ θεὸς ὅτι οὐ γινώσχω ποῦ


ἐστίν. C : εἴπατε τῷ Ἡρώδῃ εἰ καὶ τὸ αἷμά μου ἐχχεεῖς, τὸ
πνεῦμά μου ὁ θεὸς λήψεται" πλὴν ὅτι ἀθῶον αἷμα ἐχχύνεις,
παρὰ τὰ πρόθυρα τοῦ γαοῦ κυρίου" οὐ γὰρ γινγώσχω ποῦ ἔστιν,
ὁ υἱός μου. — Syr. (Lew.) : Dieu me sera témoin que tu as répandu.
mon sang, mais mon esprit, le Seigneur le recevra, parce que
c’est un sang innocent que tu répands sans (que j'aie commis de)-
crime, au front dela porte du temple du Seigneur. ἰ
? C, Fa, Pos. : διάφραγμα (interseptum). — Syr. omet cette
phrase. — Eth. : Herodes autem surgens per noctem abut in tem
plum domini ubi manebat Zacharias et ibi occidit. eum, et hoc
nemo unquam cognovit inter filios Israël. cle
is
3 Eth. et Slave : les fils d'Israél.
4 D, Fa, K : οὐχ ἀπήντησεν αὐτοῖς Ζαχαρίας xavà τὸ ἔθοςwe^P
xai εὐλόγησεν αὐτούς. — Eth : inventa autem clausa porta templiai d

Domini steterunt foras exspectantes donec aperiret eis Zacharias si


cut cotidie faciebat. 3L
5 Plusieurs mss. grecs et le Syr. ajoutent : εἰς τὸ ἁγίασμα. JR

XXIV. 1. Le début de la scène a été imaginé d’après Luc., 1, 21. De.


méme que, dans 1Évangile,la foule massée dans le parvis attend le prétre |
Zacharie à sa sortie du sanctuaire, de même, ici, les prêtres attendent
le grand pontife afin de recevoir sa bénédiction du matin. Seulemen.
l'auteur de la légende s'est assez mal représenté le lieu de la scéne. n
roit, conformément au texte de Matth., xxrim, 35, que Zacharie 4
été tué non loin de l'autel, et d'autre part il imagine que l'autel doit.
E

XXIII 3-XXIV, 2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 267

mon sang; car mon esprit, le Maître le recevra, c’est un


sang innocent, en effet, que tu répands dans le vestibule du
temple du Seigneur. » Et vers l’aube Zacharie fut tué. Et
les fils d'Israél ne savaient pas qu'il avait été tué.

XXIV. 1. Mais les prêtres allèrent à l'heure de la salu-


tation, et la bénédiction de Zacharie ne les prévint pas
comme de coutume. Et les prêtres restèrent là, attendant
Zacharie pour le saluer d’une prière et célébrer le Très-
Haut. 2. Et comme il tardait, ils furent tous saisis de
crainte; et l'un d'entre eux s'étant enhardi entra, et il vit

se trouver dans le sanctuaire. Selon toute vraisemblance en effet, il se


représente le temple de Jérusalem à rinstar d'une église chrétienne.
Si l'on ne part point de cette idée l'ensemble de la scène demeure inex-
plicable. On remarquera que le texte éthiopien exagére encore les res-
semblances entre le temple et l’église chrétienne. — Malgré son ignorance
des conditions locales, l'auteur a cependant assez bien imaginé la scé-
ne de la découverte du crime. C'était une des fonctions du grand-prétre
d'ofirir tous les matins un sacrifice dans le temple ; c'est vraisembla-
blement à cette oblation que pense l'auteur, à moins que, dominé par
le souvenir de la scéne de Luc, il ne songe à l'encensement qui formait
la partie principale du service du matin. Quoi qu'il en soit, à la sortie
du sanctuaire, le prêtre ofliciant prononçait sur ceux qui étaient mas-
sés dans le parvis une formule de bénédiction.
2. Le retard de Zacharie devenant inexplicable,un des prétres s'en-
hardit jusqu'à pénétrer dans le sanctuaire; bien que le mot ἁγίασμα
ne se trouve que dans quelques mss., il faut cependant le suppléer; c'est
bien dans l'intérieur du temple, et non point dans le parvis où se trou-
vait l'autel, que le prétre constate la présence du sang coagulé. Ce n'est
pas d'une coagulation naturelle qu'il est question; le syr. marque déjà
à cet éndroit que le sang est devenu comme dela pierre; etla voix qui
se fait entendre indique le sens de ce prodige. Ce sang durci restera là
jusqu'au jour où viendra le vengeur de Zacharie. Ce vengeur n'est
autre que l'empereur romain qui détruira le temple. On se rappelle, en
effet, que dans Matth., xxii1, la mention du meurtre de Zacharie précède
immédiatement l'annonce des catastrophes qui doivent fondre sur le
peuple juif. Il est vrai que, dansl'Évangile,le meurtre de Zacharie,
fils de Barachie, est mis au compte du peuple juif, ou plus exactement,
à prendre le texte à la rigueur, à celui des scribes et des pharisiens.
268 PROTÉVANGILE DE JACQUES XXIV, 2-4

θυσιαστήριον aux πεπηγὸς xal φωνὴν Aéyoucay: Zayaü-


ρίας πεφόνευται xal οὐχ ἐξαλειφθήσεται τὸ αἷμα αὐτοῦ,
ἕως ἂν ἔλθῃ ὁ ἔχκδιχος αὐτοῦ. Καὶ ἀχούσας τὸν λόγον
ἐφοθήθη, καὶ ἐξῆλθε xol ἀνήγγειλε τοῖς ἱερεῦσιν 1. 3. Καὶ
τολμήσαντες εἰσῆλθον xal εἶδον τὸ ‘yeyovèc ?, xol τὰ
φατνώματα τοῦ ναοῦ ὠλόλυξαν ὃ χαὶ αὐτοὶ περιεσχίσαντο ἀπὸ
ἄνωθεν ἕως κάτω 4. Καὶ τὸ σῶμα αὐτοῦ οὐχ εὗρον, ἀλλ᾽
εὗρον τὸ αἷμα αὐτοῦ λίθον γεγενημένον. Καὶ φοθηθέντες
ἐξῆλθον xol ἀνήγγειλαν παντὶ τῷ λαῷ ὅτι Ζαχαρίας πεφό-
γευται. Καὶ ἤχουσαν πᾶσαι αἱ φυλαὶ τοῦ λαοῦ, καὶ ἐπέν-
θησαν αὐτὸν xol ἐχόψαντο 5 τρεῖς ἡμέρας xal τρεῖς νύχτας.
4. Μετὰ δὲ τὰς τρεῖς ς ἡμέρας ἐδουλεύσαντο οἱ ἱερεῖς τίνα

1 G, H ajoutent : ἠνέῳξεν δὲ τὰς πύλας τοῦ ναοῦ τοῦ χυρίου.


— Eth. : Cum autem diu exspectavissent, ascendit unus ex illis supra
tectum templi, et ingressus per fenestram intravit in templum.
Tunc audivit eocem |dicentem : « Certissime quidem Zachariam
occidit Herodes. » Et vox tacuit; et postquam vir audiit hanc vo-
cem, aperuit portam templi domini et renunciavit omnia quæ a
eoce audierat.
2 ἢ):ἐν τῷ ναῷ. L : ἔνδον τοῦ θυσιαστηρίου. Syr.: prés du
vestibule.
3 Syr. omet ce membre de phrase.
4 Fa : αὐτὰ δὲ περιεσχίσαντο. Pos : et ipsa fissa erant a summo
usque deorsum. — Syr. : et ils furent consternés et ils déchirèrent,
etc.
5 Eth. simplement : Tunc filii Israël ingressi sunt omnes in
templum ad eidendum, et corpus Zachariæ non invenerunt, sed
tantum coagulatum sanguinem. Magna tristitia propterea afflicti
ploraeerunt et planxerunt super eum per tres dies et tres noctes.

Ici au contraire le meurtre du grand-prêtre est un crime d'Hérode.


Mais notre auteur n'y a pas regardé de si prés; il n'a fait que dévelop-
UNS
er per une tradition locale, qui montrait dans les ruines du temple le
sang de Zacharie, et il n'a pas craint de mettre en relation le meurtre
du grand-prétre par Hérode et la destruction de Jérusalem par les Ro-
mains, La mention quise trouve dans plusieurs mss., que le prêtre ouvrit

yard
wo
Lt
PV.
— XXIV, 2-4 PROTÉVANGILE DE JACQUES 269

prés de l'autel du sang coagulé, et (il entendit) une voix


qui disait : « Zacharie a été tué, et son sang ne disparaîtra
point (d'ici, jusqu'à ce que vienne son vengeur. » Et
ayant entendu ces mots, 1] fut saisi de crainte, et il sortit et
annonça la chose aux prêtres. 3. Et (ceux-ci) s'étant en-
hardis pénétrérent et virent ce qui était arrivé; et les
lambris du temple gémirent, et eux-mêmes ils déchirèrent
leurs vétements. Pour le corps de Zacharie, ils ne le trou-
vérent point, mais seulement son sang devenu comme de
la pierre. Et saisis de crainte, ils sortirent et annoncérent
à tout le peuple que Zacharie avait été tué. Et toutes les
tribus du peuple l'apprirent et le pleurérent, et se lamenté-
rent trois jours et trois nuits. 4. Or aprés ces trois jours les

ensuite les portes du temple est prise à I Sam., 11, 15; elle montre bien,
la conception que l'on se faisait postérieurement du temple de Jérusa-
lem.
3. Lorsque les prétres, à l'appel de leur collégue, pénétrent dans le
sanctuaire, il se passe un prodige analogue à celui de la voix qui s'est
fait entendre tout à l'heure. Cette fois, ce sont les lambris du temple
qui font entendre un long gémissement. C'est un miracle semblable
à celui qui se passe à la mort du Christ, quand le voile du temple se
déchire depuis le haut jusqu'en bas. Matth., xxvii. 51. L'analogie
serait méme plus frappante, si on lisait dans le texte comme ont fait
certains mss.: αὐτὰ δὲ περιεσχίσαντο, « et les lambris se fendirent ».
Meyer fait remarquer toutefois, à l'encontre de cette leçon, que l'emploi
du moyen περιεσχίσαντο, à la place du passif, qui se lit dans Matth.,
ἐσχίσθη, indique plus naturellement une action faite par des person-
nes ; que d'autre part la préposition περὶ convient mieux aussi à l'ac-
tion de déchirer les habits qui entourent le corps. On observera cepen-
dant que περισχίζω s'emploierait difficilement sans complément pour
signifier : « déchirer les vêtements», et que d'autre part ce même verbe
s'emploie au moyen avec un nom de chose comme sujet. Il n'est donc
pas impossible que primitivemnet le sens de la phrase ait été celui
que nous avons signalé d'abord, mais d'assez bonne heure on a dû lire
αὐτοί au lieu de αὐτά, puisque le Syr. a compris : «ils déchirérent leurs
vétements. » Le deuil des tribus d'Israél fait penser au deuil dont
il est question, Zacharie, xir, 11-14.
4. Le prétre Siméon qui est désigné par le sort (!) pour succéder
à Zacharie n'est autre que le vieillard dont saint Luc fait mention,
270 PROTÉVANGILE DE JACQUES XXIV, 4-XXV, 2
ἀντ᾽ αὐτοῦ στήσουσιν, xal 1 ἀνέθη ὁ xAïfooc ἐπὶ e"
οὗτος γὰρ ἦν ὁ χρηματισθεὶς ὑπὸ τοῦ ἁγίου πνεύματος, μὴ i
* M LS L4 M € * - € , , οι:

ἰδεῖν θάνατον ἕως ἂν ἴδῃ τὸν Χριστὸν ἐν σαρκί ?. |


*

|
XXV. 4. ?' Evo
i
82'Iáxo8ogz ὁ γράψας τὴν ἱστορίαν ταύτην y
ἐν ’Iepouoæhtu, θορύθου γενομένου, ὅτε ἐτελεύτησεν
Ἡρώδης 4, συνέστειλα ἐμαυτὸν ἐν τὴ ἐρήμῳ ἕως xat=#
ἔπαυσεν ὁ 0ógu6oc ἐν ᾽᾿Ϊερουσαλήμ, δοξάζων τὸν δεσπότην.
θεὸν τὸν δόντα μοι τὴν δωρεὰν καὶ τὴν σοφίαν τοῦ γράψαι 92
τὴν ἱστορίαν ταύτην 9. 2. [Ἔσται δὲ ἡ χάρις ἴ μετὰ τῶν
φοθουμένων τὸν κύριον ἡμῶν ᾿Ιησοῦν Χριστὸν, o ἡ δόξα,
εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν αἰώνων" ᾿Αμήν.

1 C,Q :καὶ ἔθαλον κλήρους, καὶ ἔπεσεν ὁ χλῆρος...


2 μὰ: τὸν Χριστὸν χυρίου ἐν σαρχὶ ἐληλυθότα. --- Syr. : le Sei
gneur Messie. — Eth., qui s'était rallié à notre texte,ajoute finale
ment : et venit sors super Simeonem sacerdotem ne exiret. ille ab hoc
mundo nisi prius eidisset Messiam Domini, salvatorem totius mundi.
3 Avant cet épilogue N et Eth. ajoutent d’après Matth., rr, 19-
. 23, le récit du retour d'Égypte. Suit dans l'Eth. cette simple prière :
Ei qui librum hunc scripsit et ei qui Jussit illum scribi, ei
qui recitaverit et ei qui hujus lectionem audierit, omnibus pariter
sit misericors Dominus. Amen. C'est évidemment la formule d'un
copiste. — Syr. lit : quand il y eut un tumulte à Jérusalem. — |
4 Syr. ajoute, de même que Get H : d'une mort amère. — P;
ὅτε “ἀπέστειλεν Ἡρώδης στρατιώτας ἀποχτεῖναι τά βρέφη ἐν
Βηθλεέρμ..
5 Fa: τοῦ γράψαι ὑμῖν τοῖς πνευματιχοῖς xat ἀγαπῶσι τὸν θεόν.
6 C au lieu de τὸν δόντα x. τ. À. lit: τὸν ἀποχαλύψαντα ἡμῖν
τὰ μυστήρια ταῦτα. — Syr. simplement : je loue le Seigneur qui
m'a donné la sagesse d'écrire ce livre.
?7 FP. N : ἡ χάρις τοῦ πατρὸς καὶ τοῦ υἱοῦ xal τοῦ ἁγίου πνεύΞ
ματος μετὰ πάντων ὑμῶν. ᾿Αμήν. D’autres mss. donnent les di-
verses formules en usage chez les copistes. — Le Syr. omet le tout.

11, 25-26. L'Évangile ignorait complètement sa qualité de prêtre, mais


les légendes postérieures n'ont pas hésité à la lui attribuer. Ainsi fai
sait déjà l'auteur de la glose insérée dans le Protévangile, x, 2, caril.
MERE Ew Ms SETTE PUn j à C AW M SWEET E

| XXIV, 4- XXV, 2 PROTÉVANGILE DE JACQUES 273

- prêtres tinrent conseil, (pour savoir) qui ils mettraient à la


- place (de Zacharie), et le sort tomba sur Siméon. Or c'était
lui qui avait été averti par le Saint- Esprit qu'il ne verrait
pas la mort, avant d'avoir vu le Christ dans la chair.

XXV. 1. Or, moi Jacques, qui ai écrit cette histoire, com-


me des troubles avaient eu lieu à Jérusalem à la mort
d' Hérode, je me retirai dans le désert jusqu'au moment oü
les troubles furent apaisés à Jérusalem, glorifiant le Sei-
gneur Dieu qui m'a donné la gráce et la sagesse pour écrire
cette histoire. 2. Que la grâce soit avec ceux qui craignent
Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire dans les
siècles des siècles. Amen.

est infiniment vraisemblable qu'à la place de Samuel il faut lire


Siméon. Plus tard encore, on a ajouté à Siméon une autre qualité,
celle de traducteur des Septante. Cf. Introd., p.129. ᾧ
XXV. 1. Comme dans tout livre supposé, l’auteurse nomme, de ma-
nière que nul n’ait de doute sur l’authenticité du livre. Malheureuse-
ment il ne se désigne pas d'une facon très claire; il est vraisemblable
toutefois que l'auteur veut se donner pour Jacques, frère du Seigneur et
premier évéque de Jérusalem. Sans doute cette indication ne se trouve
que dans les titres des mss. et tous ces titres sont suspects, maisla ma-
nière dont l’auteur supposé se présente ici confirme cette hypothèse.
Résidant d'ordinaire à Jérusalem, témoin (oculaire) des faits qu'il
rapporte, il ne saurait étre qu'un des fils de Joseph, un de ceux qui ont
eu quelque part aux événements racontés dans le livre. La formule
que nous lisons ici doit se rapporter à l'écrit fondamental du Protévan-
gile, en en retranchant la légende de Zacharie. Cet écrit devait avoir
une conclusion et décrire rapidement le sort des divers personnages de
la sainte Famille aprés la persécution d'Hérode. Jacques rapporte la
maniére dont il a échappé aux troubles et aux massacres qui eurent
lieu à l'occasion de la mort d'Hérode. Sa retraite dans le désert luia
donné les loisirs nécessaires pour rédiger cette histoire, qu'il livre au
public. Il nous semble que c'est la manière la plus naturelle d'entendre
“ces quelques lignes. Ainsi, comme le fait remarquer Meyer, l'éerit date
de l'enfance de Jésus; c'est donc bien dans toute la force du terme un
- Protévangile.
272 PSEUDO-MATTHIEU à

Incipit liber de ortu beatæ Mariæ et infantia Salvatoris,


a beato Matthæo evangelista hebraice scriptus,
et a beato Hieronymo in latinum translatus !.

Dilectissimo fratri suo Hieronymo presbytero Cromatius


et Eliodorus episcopi in Domino salutem ?.

Ortum Marie Virginis et nativitatem atque infantiam


domini nostri Jesu Christi in apocryphis libris invenimus.
In quibus multa contraria fidei nostra considerantes scrip-
ta, recusanda credimus universa, ne per oceasionem Christi
traderemus laetitiam antichristo. [sta ergo considerantibus
exstiterunt viri sancti Parmenius et Virinus qui dicerent

1 C’est le titre de A, C : incipit historia de Joachim et Anna et


de nativitate beatæ Dei genitricis semperque virginis Mariæ.— D:
incipit libellus de miraculis infantize domini nostri J.-C., et de patre
et matre beatæ Mariz. — E: Incipit de infancia Sancte Mariz et
Christi Saleatoris.
2 Ces lettres sont mises en tête de notre opuscule par À etE ;
dans les éditions de saint Jéróme, elles précédent l'opuscule De
natieitate Mariæ.

Nous avons discuté dans l'introduction (p. 74) la question de


savoir si la correspondance ci-dessus doit étre rattachée au présent
livre, ou bien à l'opuscule De nativitate Mariz.
Le nom des évêques Chromatius et Héliodore se retrouve assez fré-
quemment dans la correspondance authentique de saint Jéróme. Chro-
matius est évéque d'Aquilée de 387-407 ? Pour Héliodore, évéque
d'Altino, nous ne connaissons pas les dates. Jéróme avait dédié aux
évéques Chromatius et Héliodore sa traduction faite sur l'hébreu
des livres de Salomon (P. L., t. xxvii, col. 1241 sq.), sa traduction
des Paralipomènes (ibid., col. 1323), sa traduction du livre de Tobie
(P. L., t. xxix, col. 23sq.). Ce n'était pas d'ailleurs avec Jérôme seu-
lement que Chromatius était en correspondance. Saint Ambroise lui
écrit pour lui dédier sonlivre sur Balaam; Rufin lui envoie sa traduc-
tion de l'Histoire ecclésiastique d'Eusébe, et du Commentaire d'Ori-
gène sur Josué. Voir les textes dans P. L., t. xx, col. 311 sq.
PSEUDO-MATTHIEU 273

Livre de la naissance de la bienheureuse Marie


et delenfance du Sauveur,
écrit en hébreu par le bienheureux évangéliste Matthieu
et traduit en latin par le bienheureux Jéróme.

A leur très cher frère Jérôme, prêtre, Chromatius et Hélio-


dore, évêques, salut dans le Seigneur.

La naissance de la vierge Marie, la nativité et l'enfance


de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est dans des livres apo-
cryphes que nous les avons trouvées. Considérant les
nombreuses choses contraires à notre foi qui s'y trouvent
écrites, nous avons jugé bon de tout rejeter, de peur qu'à
l’occasion du Christ nous ne causions de la joie à l'an-

Ces deux personnages étaient donc tout désignés pour demanderà


Jéróme un travail de traduction. On a déjà fait remarquer la position
adoptée dans l'Église à partir du vi*siécle à l'égard des apocryphes.
On désigne sous ce nom des ouvrages à tendances hérétiques; le mot a
pris un sens défavorable qu'il n'avait pas dans le principe. La lettre
parle de plusieurs livres apocryphes; ils'agit, selon toute vraisem-
blance, des trois livres condamnés dans le décret de Gélase : evangelia no-
mine Jacobi minoris,
— liber de infantia Salvatoris, — liber de infantia
Saleatoris et de Maria vel obstetrice. Quelles sont les choses contraires à la
foi qui s'y trouvaient, il est difficile de le dire. Ce ne sont pas les histoires
plus ou moins paradoxales ou réalistes du Protévangile, puisqu'elles se
retrouvent dans Ps.-Matthieu. On peut songer à des enseignements
encratites qu'y auraient glissés les manichéens. Quoi qu'il en soit,
il est bien évident, que, dans l'idée du faussaire, ce sont ces livres qui
vont servir de point de départ au nouvel éerit. L'histoire de l'évan-
gile hébreu écritpar Matthieu était courante, et il nefallait pas une forte
dose d'imagination pour mettre sur le compte de l'évangéliste, qui avait
commencé son récit par une généalogie du Christ, une préhistoire de
Jésus. Naturellement ce livre écrit en hébreu a été trouvé par saint Jé-
róme: allusion à l'évangile hébreu des Nazaréens dont il est si souvent
question dans les commentaires du grand exégéte. On remarquera aussi
la bonne intention de l'auteur, c'est beaucoup moins pour rassembler
les miracles de Jésus enfant qu'il travaille, que pour couper court aux
mensonges des hérétiques. Dans la réalité, c'est le contraire qui est vrai,
PROTÉV. — [ὃ

"em
274 PSEUDO-MATTHIEU

sanctitatem tuam beatissimi Matthæi evangeliste manu


seriptum volumen hebraicum invenisse, in quo et ipsius -
virginis matris ortus et salvatoris nostri infantia esset
scripta. Et idcirco tuam caritatem per ipsum dominum 1
nostrum Jesum Christum expetentes quesumus ut eum i
ex hebræo latinis auribus tradas, non tam ad percipienda | »

ea quæ sunt Christi insignia quam ad hæreticorumastutiam


excludendam; qui, ut doctrinam malam instituerent,«
bone Christi nativitati sua mendacia miscuerunt, ut per
dulcedinem vitæ mortis amaritudinem occultarent. Erit
ergo purissimæ caritatis, ut vel rogantes fratres tuos
exaudias, vel episcopos exigentes caritatis debitum quod -
idoneum credideris recipere facias. Vale in Domino, et
ora pro nobis. I!

Dominis sanctis ac beatissimis Cromatio et Eliodoro epi- CA

scopis, Hieronymus exiguus Christi sereus in domino salu-«


tem !.
Qui terram auri consciam fodit, non illico arripit quid-

1 À : Responsio epistole per Hieronymum ad ipsos. — E : E pistola.


Hieromyni ad quos supra.

Le sens général de la réponse de Jérôme est assez difficile à saisir


La faute en est à l'image assez peu claire qui ouvre la lettre. Ps.-Jérô=
me veut-il dire que le travail ardu qui lui est imposé ne lui laisse guère
d'espoir ? Veut-il dire au contraire que c'est dans l'espérance d'un pro-
fit considérable qu'il s'attarde à creuser une telle tranchée? Il est difficile:
de choisir, encore que la seconde hypothèse soit la plus vraisemblable:
Jérôme se mettra donc à l'œuvre , et ilcommence par donner quelques
renseignements sur le prétendu livre composé en hébreu par saint Mat-
thieu. Comme tous les livres apocryphes, secretiores libri, cet ouvrage
n'était pas destiné à la publication, il devait rester la propriété d'hommes
très religieux qui se réservaient d'en faire connaitre le contenu comme
bon leur semblait. Delà vient justement que les histoires racontées dans
celivre ont été narrées aliter aliterque. C'est une explication des diver-
gences qui devaient exister à l'époque, entreles diverses narrations po-.
pulaires relatives à la Vierge et à l'enfance du Christ. Sur Leucius qui
PSEUDO-MATTHIEU 275

téchrist. Lors donc que nous considérions cela, survinrent


deux saints hommes Parmenius et Virinus. Ils nous dirent
que votre sainteté avait découvert un volume hébreu
écrit de la main du bienheureux Matthieu évangéliste, où
| seraient écrites et la naissance de la vierge-mére elle-
méme et l'enfance de notre Sauveur. Et c'est pourquoi,
suppliant votre charité par Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-
même, nous lui demandons de rendre accessible cet hé-
breu aux oreilles latines, non pas tant pour recueillir les
faits remarquables du Christ que pour couper court à la
fourberie des hérétiques. Pour établir leurs doctrines
mauvaises, à la salutaire nativité du Christ ils ont mêlé leurs
mensonges, afin de cacher sous la douceur de la vie l'amer-
tume de la mort. Ce sera donc faire œuvre de trés pure
charité que d'exaucer vos fréres qui vous prient, ou de
faire tenir à des évéques qui exigent cette dette de charité,
ce que vous jugerez convenable. Adieu dans le Seigneur, et
priez pour nous.

A nos seigneurs les saints et bienheureux évêques, Chro-


matius et Héliodore, Jérôme, chétif serviteur du Christ,
salut dans le Seigneur.
Celui qui fouille une terre recélant de l’or ne se jette

est donné comme un disciple de Manichée, notre auteur n'avait en


réalité d'autres renseignements que les mots du décret de Gélase :
libros omnes quos falsavit Leucius discipulus diaboli, et les traditions
assez peu précises qui circulaient sur lui. De méme, le synode où au-
raient été condamnées toutesles productions de Leucius et en particu-
lier le livre sur la préhistoire de Jésus qu'il aurait falsifié, n'est autre
que celui où, d’après une des recensions du décret de Gélase, aurait
été promulguée la prohibition des livres hérétiques et apocryphes.
Les mots cesset nunc oblatrantium morsus sont bien dans le style de
saint Jéróme, on sait que le solitaire de Bethléem n'était pas tendre
pour ceux qui contestaient ses travaux exégétiques. Le sens de la
phrase semble étre celui-ci : On va nous accuser, une fois de plus,d'in-
nover en matiére d'Écriture sainte; mais nous ne prétendons pas faire
du livre que nous publions, une Écriture canonique.— La précaution
276 PSEUDO-MATTHIEU

quid fossa profuderit lacerata; sed priusquam fulgendum |


pondus vibrantis jactus ferri suspendat, interim vertendis |
supinandisque cespitibus immoratur, et spe alitur qui
nondum lucris augetur. Arduum opus injungitur, cum
hoc fuerit a vestra mihi beatitudine 1mperatum quod nec
ipse sanctus Matthaeus apostolus et evangelista voluit in
aperto conscribi. Si enim secretius non esset !, evangelio
utique 1psi quod edidit addidisset. Sed fecit hunc libellum:
hebraicis litteris obsignatum, quem usque adeo non edidit,
ut hodie manu ipsius liber scriptus hebraicis litteris a viris
religiosissimis habeatur, quieum a suis prioribus per succes-
sus temporum susceperunt. Hunc autem ipsum hnbrum
cum nunquam alicui transferendum tradiderunt, textum
vero ejus aliter aliterque tradiderunt, sic factum est ut a
Manichæi discipulo nomine Leucio, qui etiam apostolo-
rum gesta falso sermone conscripsit, hic liber editus non
ædificationi sed destructioni materiam exhibuerit, et
quod talis probaretur in synodo, cui merito aures ecclesise
non paterent. Cesset nunc oblatrantium morsus; non enim.
istum libellum canonicis nos superaddimus scripturis, sed
ad detegendam haereseos fallaciam apostoliatque evan-
gelistze scripta transferimus. In quo opere tam jubentibus
piis obtemperamus episcopis, quam impiis haereticis obvia-
mus. Amor ergo Christi est cui satisfacimus, credentes
quod nos suis orationibus adjuvent qui ad Salvatoris nos-
tri sanctam infantiam per nostram potuerint obedientiam
pervenire.

1 A: δὲ hoc secretius non egisset.

est bonne; c’est pour avoir voulu se mettre sur le méme pied que
les récits canoniques, que les récits de l'enfance s'étaient attiré les
condamnations ecclésiastiques. C'est done œuvre salutaire que pré-
tend faire l'auteur en substituant à des livres apocryphes la pure|
vérité, telle qu'elle est sortiede la plume d'un évangéliste.
PSEUDO-MATTHIEU 277

point aussitôt sur les déblais qu'épand la tranchée ouverte.


Mais (pourtant) avant que le coup du fer qu'il brandit ait
soulevé la masse brillante, de temps à autre 1l s'attarde à
remuer et à retourner les mottes, et il se nourrit d'espé-
rances, ne s'étant point encore enrichi. C'est un travail
ardu que m'impose votre béatitude en me commandant
(d'écrire) ce que saint Matthieu lui-méme, apótre et évan-
géliste, n'a pas voulu mettre au jour. Si en effet ce (travail)
n'était point si secret, 1] l'eüt sans doute ajouté à l'évan-
gile méme qu'ila publié. Mais il à composé ce petit livre
et l'a caché sous le voile de l'hébreu : il ne l'a point publié,
en sorte que le livre, écrit de sa main en caractères hébreux,
est conservé aujourd'hui encore par des hommes trés reli-
gieux, qui, dans la suite des temps, l'ont recu de leurs pré-
décesseurs. Le livre lui-même ils ne le confiérent jamais à
personne pour le traduire, mais son contenu ils l'ont expli-
qué de diverses maniéres. Ainsi arriva-t-il qu'un disciple
de Manichée, nommé Leucius, qui composa également de
faux actes des apótres, publia ce livre, qui dés lors devint
prétexte non plus d'édification mais de destruction. Aussi
le livre fut-il condamné par un synode, comme indigne de
se faire écouter des oreilles de l’Église. Mais que cessent
les morsures de ceux qui aboient (contre nous). Nous ne
prétendons point ajouter aux Écritures canoniques ce petit
livre; mais, pour démasquer la fraude de l’hérésie, nous
traduisons les écrits d'un apótre et d'un évangéliste. Et
cela, tout autant pour obéir aux ordres de pieux évêques,
que pourrésister à des hérétiquesimpies.C'est doncl'amour
du Christ que nous voulons satisfaire, pleins de confiance
dans les priéres de ceux qui par notreobéissance auront pu
avoir accés à la sainte enfance de Notre Sauveur.
278 PSEUDO-MATTHIEU

Alia epistola.

Petitis a me ut vobis rescribam quid mihi de quodam


E : zem } , ©
libello videatur qui de nativitate S. Marie a nonnullis.
habetur. Et ideo scire vos volo, multa in eo falsa inveniri,
Quidam namque Seleucus, qui passiones apostolorum |
conscripsit, hunc libellum composuit. Sed sicut de vina
bus eorum et miraculis per eos factis vera dixit, de doctrina
vero eorum plura mentitus est, ita et hic iul non vera de
corde suo confinxit. Proinde ut in hebræo habetur, verbum
ex verbo transferre curabo,siquidem sanctum evangelistam
Mattheum eundem libellum liquet composuisse et in ca

La lettre ci-dessus est donnée dans plusieurs éditions des ceuvres E


saint Jéróme comme une variante de la précédente. Elle ne semble
pas être l'original. Car elle répond moins bien que la précédente aux |
demandes des deux évéques. Ceux-ci avaient parlé de deux catégories.
de livres; d'une part, des livres apocryphes dont les évêques ne vou”
laient rienretenir, d'autre part, d'un livre composé par saint Matthieu
en hébreu, et découvert par saint Jérôme. On ne sait trop quels sont
les livres dont il est ici question. Le début de la lettre semble viser.
une composition hérétique, dont serait responsable un certain Séleucus
(c'est le Leucius de la lettre précédente) ; puis, brusquement, il est parl
d'un livre hébreu dü à saint Matthieu et que l'auteur se propo-
serait de traduire. Il faut penser que ces deux écrits ne sont pas identi-
ques, mais la maniére dont s'exprime l'auteur est extrémement embar-
rassée. La remarque quod an verum sit... non affirmo pourrait bien être
une glose marginale quise serait introduite postérieurement dans le
corps dela lettre. Pourtant dans l'état actuel du texte, elle se relie
. assez bien à ce qui suit. On voit par cette phrase que celui qui a re
manié la lettre primitive de Pseudo-Jérôme ne se porte nullement
garant du récit qu'il a consenti à préfacer; du moins il affirme que
le contenu du livre est sans danger, puisque aussi bien il a dé se
passer de grands miracles autour du berceau de la sainte Vierge. —
La remarque finale sur les procédés de traduction de l'auteur semblé
en contradiction avec ce qui a été dit plus haut, qu'il s'efforcerait de
traduire mot à mot l'hébreu en latin. On semble vouloir dire ici que

NU
POMA
di
s
PSEUDO-MATTHIEU 279

Autre lettre qu'on lit en tête de certaines éditions.

Vous me demandez que je vous écrive mon senti-


ment sur certain petit livre intitulé : « la nativité de Ste Ma-
rie », et que certains possèdent. Je veux donc que vous
sachiez qu'il s'y rencontre bien des faussetés. C'est en effet
un certain Séleucus, auteur des passions des apôtres, qui a
composé cet opuscule.Mais, de méme que sur les prodiges
et les miracles accomplis par ceux-ci il a dit la vérité, alors
que pour ce qui concerne leur doctrine, il a débité bien des
mensonges, de méme 101 a-t-il inventé de son propre chef
bien des choses qui ne sont pas vraies. Je m'efforcerai
donc de traduire le livre mot à mot de l'hébreu, puisqu'il

c'est une œuvre entreprise uniquement avec des souvenirs sans grande
préoccupation de rester fidéle à l'original. Ceci caractérise fort bien
d'ailleurs l'attitude de ce remaniement latin par rapport au livre de
Jacques; Ps,-Matthieu ne se gène pas pour composer à sa fantaisie,
et même inventer des épisodes complets, qua consequenter scribi potue-
runt. L'ensemble de la lettre laisse donc une impression extrémement
trouble, et il se pourrait bien que l'on ait affaireà un texte fabriqué
en prenant cà et là divers morceaux sans relations entre eux.
Le ms. Paris 4560 donne à la fin de la narration (f? 19) une notice
littéraire qui rappelle la lettre précédente : Onesimus et Joannes epan-
gelista hunc libellum scripserunt eundem signantes. Et quod vidit domi-
nus similiter quod sanctus apostolus et evangelista Joannes sua scri-
pserunt manu hunc libellum litteris hebraicis obsignantes qui a viris
religiosis habeatur. Sed quod beatus Leucius beati Matthæi discipulus,
qui apostolorum gesta [also sermone scripserat, quædam in. hoc opere
addidit superflua, Jeronimus ille doctor propitius episcopis Cromatii
(Chromatio) et Leoderii (Heliodoro) de Hebraico sermone in latinum
deduxit. Et per hoc, orta (sc. ortus) simul et nativitas beatæ Mariz vir-
ginis, atque infantia Saleatoris declaratur, et hereticorum astutiæ ob-
viatur, et eorum fallaciæ excluduntur, atque Christi amor fidelibus aug-
mentatur et crescit. »
280 PSEUDO-MATTHIEU

pite evangelii sui hebraicis litteris obsignatum apposuisse;


quod an verum sit, auctori præfationis et fidei scriptoris
committo : ipse enim ut hæc dubia esse pronuncio, ita |
liquido falsa non affirmo. Illud autem libere dico, quod
fidelium neminem negaturum puto, sive hæc vera sint, sive
ab aliquo conficta, sacrosanctam Mari: nativitatem ma-
gna miracula præcessisse, maxima consecuta fuisse; et id- |
circo salva fide ab his qui Deum ista facere posse credunt
sine periculo animæ sux credi et legi posse. Denique in
quantum recordari possum, sensum non verba scriptoris -
sequens, et nune eadem semita non eisdem vestigiis ince- -
dens, nunc quibusdam diverticulis ad eamdem viam
securrens, sic narrationis stylum tentabo (temperabo?), et
non alia dicam quam quæ aut scripta sunt 1b1 aut conse-
quenter scribi potuerunt.

Alius prologus.

Ego Jacobus filius Josephi, conversans in timore Dei,


perscripsi omnia quz oculis meis ipse vidi fieri in tem-
pore nativitatis S. Marice virginis, sive Domini Salvatoris :
gratias agens Deo qui mihi dedit sapientiam in historiis
adventus sui, ostendens plenitudinem duodecim tribubus
Israël.

Le prologue que nous publions à la suite de cette lettre est celui des
mss. C et D. Il est apparenté à l'épilogue qui termine le Protévangile
mais l'auteur s'y donne plus nettement la qualité de fils de Joseph et
de témoin oculaire des événements qu'il relate. La plénitude (des
temps) dont il est question n'est autre chose que l'avénement de l'ére
messianique. Cf. Gal., 1v, 4. L'auteur remercie Dieu de lui avoir donné
la sagesse nécessaire pour écrire cette histoire, qui doit montrer aux
douze tribus d'Israél que les temps messianiques sont enfin arrivés.
4 PSEUDO-MATTHIEU 281

apparaît que c’est le saint évangéliste Matthieu qui a com-


posé ce petit livre, et l’a mis en tête de son Évangile, caché
sous le voile de l'hébreu. Pour l'exactitude de ce détail, je
m'en remets à l'auteur de la préface età la bonne foi de
l'éerivain. Car pour moi, tout en prononçant que c'est
douteux, je n'en affirme pas absolument la fausseté. Mais
voici ce que Je puis dire librement,et nul fidèle, je pense, ne
me contredira : Que ces (récits) soient véridiques ou ima-
ginés de toutes pièces, il (n'en est pas moins vrai) que la
trés sainte Nativité de Marie a été précédée de grands
miracles ; suivie de trés grands. Dés lors en toute bonne
foi, ceci peut étre lu et peut étre cru sans péril pour leurs
âmes, par ceux qui pensent que Dieu peut faire ces choses.
Enfin, autant que mes souvenirs me le permettent, m'atta-
chant à suivre le sens plus que les mots de l'écrivain, tan-
tót m'avancant par la méme route, sans d'ailleurs mettre
mes pieds dans la trace de ses pas, tantôt revenant sur
la méme route par des chemins de traverse, j'essaierai de
rédiger cette histoire, et ne dirai point autre chose que ce
qui y est écrit, ou que ce qu'on aurait pu logiquement y
écrire.

Autre prologue.

Moi Jacques, fils de Joseph, vivant dans la crainte de


Dieu, j'ai écrit tout ce que, de mes yeux, J'ai vu s'accomplir
au temps de la nativité de la sainte Vierge Marie et de
celle de notre Seigneur et Sauveur; rendant gráce à Dieu
qui m'a donné la sagesse (d'écrire) les récits de son avéne-
ment, en manifestant l'accomplissement (des temps)
aux douze tribus d’Israël.
282 PSEUDO-MATTHIEU L 1-2

I. 4. In diebus illis erat vir in Jerusalem ! nomine Joa-


chim ex tribu Juda, Et hic erat pastor ovium suarum,
timens Deum in simplicitate et in bonitate sua, Cui cura
nulla erat alia nisi gregum suorum, de quorum fructu
alebat omnes timentes Deum, duplicia offerens munera, in
timore Dei et doctrina laborantibus, et simplicia offerens
his qui ministrabant eis ?. Ergo sive in agnis, sive in ovibus,
sive in lanis, sive in omnibus rebus suis quascumque possi-
dere videbatur tres partes faciebat ?; unam partem dabat
viduis, orphanis, peregrinis atque pauperibus; alteram.
vero partem colentibus Deum; tertiam partem sibi et.
omni domui suæ reservabat. 2. Hæc autem illo faciente
multiplicabat Deus greges suos, ita ut non esset similis illi
in populo Israel. Hzc autem inchoavit facere a quinta
decimo statis suæ anno. Cum esset annorum viginti4
accepit Ànnam, filiam Ysachar 5 uxorem ex tribu sua, id|
est, ex genere David. Cumque moratus esset cum ea pen
annos viginti, filios aut filias ex ea non accepit 6.

1 C, E : in Israel. 4
2 C’est la leçon de E ; les autres mss. ont des leçons qui dérivent |
de celle-ci mal comprise. 3r
3 B donne une leçon qui se rapproche de Nat. Mar., 1 ,2. ὃ
^ B:XXX annorum. i
5 C : Achar. D : Agar. D : Aquar.
6 B donne le texte de Nat. Mar., 1, 3.

I. 1. La présentation des personnages est plus naturelle que dans


Protévangile, dés le début de la narration on les fait connaitre tous
deux ; leur domicile est également désigné. Tout en laissant incertain
cette donnée, le Protévangile laissait croire que Jérusalem était le
lieu où habitaient Joachim et Anne. Pseudo-Matthieu précise cette
indication; il ajoute aussitót que Joachim et Anne sont de la tribu de
Juda, et pour cette dernière de la famille de David. C'est une maniér
de couper court aux difficultés qu'avaient suscitées les livres apo-
ET 12 PSEUDO-MATTHIEU 283

I. 1. En ces jours-là il y avait à Jérusalem un homme


appelé Joachim, de la tribu de Juda, Et il était pasteur
de ses propres brebis, craignant Dieu dans la simplicité
et la bonté de son (cœur). Il n'avait point d'autre souci
que celui de ses troupeaux; de leurs fruits 1] nourrissait
tous ceux qui craignaient Dieu, offrant de doubles pré-
sents à ceux qui souffraient dans la craintede Dieu et la
sagesse, offrant de simples présents à ceux qui les servaient.
Donc de ses agneaux, de ses brebis, de sa laine, de toutes
les choses qu'il semblait posséder, il faisait trois parts. La
première 1] la donnait aux veuves, aux orphelins, aux
pèlerins et aux pauvres; la seconde à ceux qui célébraient
le culte de Dieu, la troisième 1] la réservait pour lui et pour
toute sa maison.
. 2. Or parce qu'il agissait ainsi Dieu multipliait ses trou-
peaux, en sorte qu'il n’y en avait point pour lui ressem-
bler dans le peuple d'Israél. Or cela il commença de le
faire dés la quinzième année de son âge. Quand 1] eut vingt
ans il prit pour épouse Anne, fille d'Ysachar et de sa
propre tribu, c'est-à-dire de la race de David. Et bien
qu'il füt resté avec elle pendant vingt ans, il n'en eut ni
fils, ni filles.

cryphes en usage chez les hérétiques. Les mots duplicia offerens rap-
pellent les mots du Protévangile:« il offrait en double ses oflrandes au
Seigneur; » mais le sens est différent, il n'est plus question des sacrifices,
mais seulement des aumónes que faisait Joachim. — Possidere eideba-
tur, Joachim est déjà un ascéte chrétien, il est pauvre en esprit. — Pere-
grini ce ne sont pas les étrangers, comme dans Deut., xxrv, 19-21,
mais plutôt les pèlerins ; l'hospitalité accordée au pèlerin est une des
ceuvres de miséricorde.
2. La bénédiction matérielle accordée par Dieu est un trait fréquent
dans l'Ancien Testament. — Filiam Ysachar, c'est le seul endroit où
paraisse cette donnée. Les Grecs, qui connaissent une généalogie
d'Anne, n'ont point connu celle-ci.
284 PSEUDO-MATTHIEU II, 1-2

II. 4. Factum est autem ut in diebus festis inter eos qui


offerebant incensum Domino staret Joachim parans mu-
nera sua in conspectu Domini. Et accedens ad eum
scriba ! templi nomine Ruben ait : « Non licet tibi inter
sacrificia Dei agentes consistere, quia non te benedixit
Deus ut daret tibi germen in Israel. » Passus itaque vere-
cundiam in conspectu populi abscessit de templo Domini
plorans, et non est reversus in domum suam, sed abit ad
pecora sua, et duxit secum pastores inter montes in lon-
ginquam terram, ita ut per quinque menses nullum nun-
tium potuisset audire de eo Anna uxor ejus ?. 2. Quz ? dum
fleret in oratione sua et diceret : Domine Deus Israel
fortissime, jam quia filios non dedisti mihi, virum meum.
quare tulisti a me? Ecce enim quinque menses transeunt
et virum meum non video. Et nescio utrum mortuus sit,
ut vel sepulturam illi fecissem 4 Et dum nimis fleret in
viridario domus sua, in oratione elevans oculos suos ad
Dominum vidit nidum passerum in arbore lauri et emisit
vocem cum gemitu ad Dominum dicens : « Domine Deus
omnipotens, qui omni creature donasti filios, et bestiis et
jumentis et serpentibus et piscibus et volucribus, et omnes
super filios gaudent, me solam a benignitatis tue dono

1 A :sacerdos.
? B pour tout ce paragraphe donne le texte de Nat. Mar., τι.
3 A partir d'ici, C rejoint notre texte, avec quelques variantes.
4 A : Nescio ubi jam moratus sit, eel si mortuum scissem sepultu-
ram ubi (sic) ejus fecissem. — D : Nescio vero si mortuus sit ubi se-
pulcrum ejus inveniam.

lI. 4. Ce chapitre correspond sensiblement aux ch. 1-1v du Proté-


vangile, la méme indécision régne sur le caractére de la féte à laquelle
prend part Joachim. — La présence de Joachim au milieu de ceux qui
oflraient l'encens est singulière, peut-être est-ce une trace d'un des ré-
cits où Joachim avait le caractère sacerdotal. —— Ruben n'est plus un
simple particulier comme dans le Protévangile, e'est un personnage
officiel, seribe ou prêtre.— Per quinque menses, dans le Protévangile

11,142 PSEUDO-MATTHIEU 285

II. 1. Or 1] arriva qu'un jour de fête Joachim se tenait


parmi ceux qui offraient l’encens au Seigneur, préparant
ses offrandes en présence du Seigneur. Et s'approchant de
lui, un scribe du temple nommé Ruben lui dit : « Il ne t'est
pas permis de rester parmi ceux qui accomplissent les
sacrifices de Dieu, car Dieu ne t'a pas béni au point de te
donner un rejeton en Israél. »Ayant donc subi cet affront en
présence du peuple, il se retira en pleurant du temple du
Seigneur, et ne retourna pas à sa maison. Mais il partit
vers son troupeau, emmena ses bergers au milieu des mon-
tagnes dans une terre lointaine, en sorte que, pendant cinq
mois, Anne sa femme ne put apprendre de lui aucune nou-
velle. 2. Et tandis qu'elle pleurait dans sa prière et disait :
«Seigneur, Dieu trés fort d’Israël, tu ne m'as déjà pas donné
de fils, pourquoi m'enlever encore mon mari? Voici qu'en
effet cinq mois sont passés et Je ne le vois point. Et je ne
sais pas s'il est mort, pour lui donner au moins la sépulture. »
Or tandis qu'elle pleurait beaucoup dansle jardin desa mai-
son, élevant dans sa priére les yeux vers le Seigneur, elle
vit un nid de passereaux dans un laurier et laissa échapper
un gémissement vers le Seigneur, disant : « Seigneur, Dieu
tout-puissant, qui donnes des fils à toute créature, aux ani-

l'absence de Joachim ne durait que quarante ]jours ;; cette durée Iplus


longue
^ a une signification
o au point de vue de la conception
Ρ de Marie ,
comme nous le verrons plus loin.
2. L'apparition de l'ange à Anne a lieu la premiére ; dans le Proté-
vangile, bien qu'elle fût racontée en premier lieu, elle était en réalité
la seconde dans l'ordre chronologique.
5 Mais notre auteur a l'idée
qu'Anne a concu d'une maniére virginale au moment méme de l'annon-
ciation, comme plus tard la vierge Marie, il faut donc que l'apparition
à Anne, événement principal, ait lieu la premiére, Joachim sera ensuite
averti de l'heureuse nouvelle. — Vel sepulturam illi fecissem, puisque
Anne ne sait pas où est le corps de son mari, il ne saurait être question
de lui donner la sépulture, il s'agit plutôt de lui élever un mausolée.
La Ρ prière d'Anne est un abrégég incolore de la plaintive mélopée du
Protévangile.
8 Ce n'est pas aprés l'annonce d'une enfant qu'Anne
I fait
vœu de la consacrer au Seigneur, ce vœu elle l'a déjà fait depuis long-
qu 7 FI. -- Aes mr UV. dot DU PE AR " Lade 12
b |

286 PSEUDO-MATTHIEU I1,2-I11,4

excludis 1? Tu nosti Domine ab initio conjugii


me hoe
vovisse, ut si dedisses mihi filium aut filiam, obtulissem
illum tibi in templo sancto tuo. » 3. Et dum ista diceret,
subito ante faciem ejus apparuit angelus Domini dicens:
« Noli timere, Anna, quoniam in consilio Dei est germen
tuum; et quod ex te natum fuerit, erit in admirationem
omnibus seculis usque in finem. » Et cum hsec dixisset, ab bd
e

oculis ejus elapsus est. Illa autem tremens et pavens, quod


vidisset talem visionem et talem audisset sermonem, in-
gressa in cubiculum jactavit se in lecto quasi mortua, et
tota die ac nocte in tremore nimio ac oratione permansit.
4. Post hæc vocavit ad se puellam suam et dixitad eam : Atl ICA
od
uu
RE
« Vides ? me viduitate deceptam et in augustia positam, et ia
tu nec ingredi ad me voluisti? »Tunc illa in murmure sic d
respondit dicens : « Si Deus conclusit uterum tuum et
virum tuum a te abstulit, ego quid tibi factura sum? »
Et hec audiens Anna amplius flebat.

III.1. In ipso ? tempore apparuit quidam juvenis inter

1 C, D ont une prière plus chrétienne : tibi soli gratias ago


quia ut voluisti ita ordinasti ut me solam a benignitatis tuæ munere «
ezcluderes.
Bu DE Visit:
3 A :in eodem.

temps; d’ailleurs il ne présente plus rien d’extraordinaire; elles devaient


être nombreuses au v* ou au vi? siècle les mères chrétiennes qui con-
sacraient par avance leurs enfants au Seigneur.
3. In consilio Dei, Dieu a le dessein de te donner une postérité; mais le
sens est plus fort, peut-étre l'auteur songe-t-il déjà à l'application faite
à la Vierge des mots : Dominus possedit me in initio viarum suarum an-
CO MET

“ IL 2-IHI, 4 . PSEUDO-MATTHIEU 287


1 ^

maux sauvages et aux bêtes de somme, aux serpents, aux


poissons et aux oiseaux, et tous se réjouissent d'avoir des
petits, m'as-tu exclue moi seule du don de ta bonté? Tu
sais, ὃ Seigneur, qu'au début de mon mariage, j'ai fait vœu,
si tu me donnes un fils ou une fille, de te l'offrir dans ton
saint temple. » 3. Et tandis qu'elle parlait, soudain devant
elle parut un ange du Seigneur, lui disant : « Ne crains
point, Anne, car ta postérité est dans le dessein de Dieu, et
ce qui naîtra de toi fera l’admiration de tous les siècles
jusqu'à la fin (du monde?).» Et ayant dit cela, il s'évanouit
de ses yeux. Elle, tremblante et pleine d'effroi d'avoir eu
une telle vision et d'avoir entendu un tel langage, entra
dans sa chambre, et se jeta sur son lit presque morte, et
tout le jour et toute la nuit elle demeura dans une terreur
extrême et en prière. 4. Aprés quoi elle appela sa servante et
lui dit : « Tu me vois désolée de mon veuvage et accablée
d'angoisse, et tu n'as méme pas voulu entrer chez moi ?»
Alors celle-ci dans un murmure lui répondit en disant : « Si
Dieu a fermé ton sein et t'a enlevé ton mari, que pourrais-
je bien te faire, moi? » Entendant cela, Anne pleurait
davantage encore.

III. 1. Dans le méme temps un jeune homme apparut

tequam quidquam faceret, Prov., viry, 22. Les mots : in admirationem...


rappellent les diverses prédictions de la grandeur future de Marie,
faites par le grand-prétre dans le Protévangile. Ici elles sont mises di-
rectement dans la bouche de l'ange. — Quasi mortua. Cf. Jud., xiu, 22.
4. L'ineident de la servante a perdu toute sa saveur primitive et
se réduit à une simple querelle d'intérieur. En particulier le bandeau
royal, que Pseudo-Jacques avait mis en évidence pour faire ressortir
le caractére royal d'Anne, a complétement disparu. D'ailleurs, l'équi-
libre méme de la narration est complétement déplacé. Dans le Proté-
vangile, l'altercation avec la servante précède les lamentations d'Aune,
elle fait pendant à l'altercation de Joachim avec Ruben. Ici elle n'a
plus de raison d’être.
III. 14. Inter montes, cf. τι, 1; cette région montagneuse n'est pas
différente de la région inhabitée où le Protévangile place la même
288 PSEUDO-MATTHIEU III, 1-2 à |

montes ubi Joachim, pascebat greges, et dixit ei:« Quare |


non reverteris ad uxorem tuam ? » Et dixit Joachim : 4

« Per viginti annos habui eam, nunc vero quia noluit. Deus
mihi ex ea dare filios, cum verecundia de templo Dei ex-
probratus exivi !: ut quid revertar ad eam semel abjectus |
atque despectus? Hic ergo cum ovibus meis ero quamdiu
hujus seculi Deus mihi lucem concedere voluerit; per
manus autem puerorum meorum pauperibus et viduis et
orphanis, et colentibus Deum partes suas libenter resti-
tuam ?. » 2. Et cum hzc dixisset, respondit ei juvenis :
«Angelus Dei ego sum, qui apparui hodie uxori tuæ flenti |
et oranti, et consolatus sum eam, quam scias ex semine
tuo concepisse ? filiam. Hac in templo Dei erit 4, et
Spiritus Sanctus requiescet in ea; et erit beatitudo ejus
super omnes sanctas feminas, ita ut nullus possit
dicere quia fuit talis ante eam, sed et post eam nunquam
erit ei similis ventura in hoc seculo. Propter quod des-
cende de montibus et revertere ad conjugem tuam, et
invenies eam habentem in utero?: excitavit enim Deus

1 A ajoute : et semper despectus et valde abjectus hic cum ovibus


meas fui.
? A, B : tribuam.
3 C'est la leçon de A, P, D, E. — ὦ: consolatus sum eam, quia tu
nimis eam reliquisti tristem, quam scias ex semine tuo concipere
filiam.
4 E: Hzc erit templum Da.
5 D ajoute : de Spiritu sancto. — C supprime cette phrase et lit :
ad conjugem tuam, et referatis ambo gratias omnipotenti Deo. Et
adorans Joachim...

scène. — Juvenis, l'ange garde d'abord l'incognito comme dans Tobie,


v, 9 Sq., il parait sous la forme d'un jeune homme ; plusieurs traits
sont également empruntés à l'apparition de lange à la mère de
Samson, Jud., xir. — Ut quid, expression. assez fréquente dans cet
écrit, cl. c. x et x11.— Lucem concedere voluerit, expression touchante
d'une pensée bien chrétienne, Joachim accepte avec résignation, pres-
III, 19 PSEUDO-MATTHIEU 289

au milieu des montagnes où Joachim faisait paitre ses


troupeaux, et lui dit : « Pourquoi ne retournes-tu pas vers
ton épouse? » Et Joachim dit : « Pendant vingt ans je l'ai
gardée; or maintenant parce que Dieu n'a pas voulu par
elle me donner d'enfant, j'ai subi des reproches, et suis
sorti accablé de honte du temple de Dieu. Pourquoi retour-
nerais-Je maintenant que j'ai été avili et méprisé ? Je res-
terai donc 10] avec mes brebis, tant que Dieu voudra bien
m'accorder la lumière du siècle présent; par les mains de
mes serviteurs Je (continuerai) de bon cœur à distribuer
leur part aux pauvres,
aux veuves, aux orphelins,età ceux
qui célèbrent le culte de Dieu.» 2. Et quandil eut ainsi parlé,
le jeune homme lui répondit :« Je suis l'ange de Dieu qui
suis apparu aujourd'hui à ton épouse laquelle priait et
pleurait : je l’ai consolée, sache que [par toi] elle a concu
une fille. Celle-ci vivra dans le temple de Dieu, et l'Esprit-
Saint reposera sur elle, et elle sera bienheureuse par dessus
toutes les femmes; et vraiment nul ne pourra dire qu'il y
eut femme semblable à elle, ni qu'il en viendra de sembla-
ble en ce siécle-ci. Ainsi descends de la montagne, et retour-
ne vers ton épouse, et tu la trouveras enceinte, car Dieu

que avec joie, la vie telle que Dieu la lui a faite; d'autre part les pau-
vres n'auront pas à souflrir de son absence.
2. Angelus Dei ego sum, cf. Tob., xit, 15. — Ex semine tuo concepisse ;
e'est la lecon de quatre mss., confirmée d'ailleurs par ce qui suit : quam
invenies in utero habentem ; ex semine tuo est une addition posté-
rieure, destinée à restreindre le miracle, Mais cette bizarre alliance de
mots donne un sens tout à fait invraisemblable, si l'on songe en parti-
eulier que Joachim est parti depuis cinq mois, — Beatitudo ejus la quali-
té qui la rend beata, bienheureuse, d'un bonheur objectif. On re-
marquera la variante de E : hæc erit templum Dei. — Ut nullus possit di-
cere, l'ensemble de la phrase rappelle les paroles de Sedulius : Nec pri-
mam similem visa est nec habere sequentem. Carm. pasch., 1. ll, vers 68,
P. L., t. xix, col. 600. — 7n utero, l'addition de D «de Spiritu Sancto »
est tout à fait conforme à l'idée du livre, mais elle est contradictoire
^ avec les mots ex semine tuo, — Les mots excitavit Deus semen in ea, sion
les prend à la rigueur, indiqueraient le mode de la conception d'Anne,
PROTÉV.— 19
290 PSEUDO-MATTHIEU

semen in ea, unde gratias referas Deo, et semen ejus eri


benedictum, et ipsa erit benedicta et mater benedictionis
æternæ constituetur. » 3. Et adorans eum Joachim dixit

naculo meo et benedic me servum tuum. » Et dixit ei


angelus :« Noli te dicere servum, sed conservum meum ; |
unius enim Domini servi sumus. Nam cibus meus invisi- -
bilis est, et potus meus ab hominibus mortalibus non videri |
potest. Et ideo non debes me rogare ut intrem in taberna
culo tuo, sed quod mihi eras daturus, tu in holocaustum -
offeras Deo. » Tunc Joachim accepit agnum 1mmaculatu i
et dixit ad angelum : « Ego non ausus essem offerre holo
caustum Deo, nisi jussio tua daret mihi pontificium offe τὴ
rendi. » Et dixit ei angelus : « Nec ego te ad offerendum
invitarem nisi voluntatem Domini cognovissem. » Fa
. . . "n
ctum est autem cum offerret Joachim Deo sacrificium, |
simul cum odore sacrificii quasi cum fumo perrexit ange“
lus ad cælum.
4. Tunc Joachim cecidit in faciem, et ab hora diei sexta
usque ad vesperam jacuit. Venientes ? autem pueri ejus et
mercenarii, nescientes quid causz esset expaverunt, pu“
tantes quod se ipse vellet interficere ?, et accesserunt ad
eum et vix elevaverunt eum de terra. Quibus cum enarras- |
set quid vidisset, stupore nimio et admiratione impulsi. gn

1 B ajoute : et comede.
? A, B : Videntes autem pueri et mercenarü ejus qui eum eo eranl,
? A, B : putabant eum esse mortuum et accedentes vix elevaverunk Í
eum de terra. ll
"
H

3. L'ensemble de l'épisode est emprunté à Jud., xin, 15-22, avec|


des réminiscences de Jud., vr, 19-22. C'est un hors-d'eeuvre qui inter- |
rompt bien inutilement la marche de l'action, —. Noli te dicere ser
vum, expression fréquente dans toute la littérature apocalyptique, M,
cf. Apoc. Joa., xxir, 9; il ne s'agit donc pas, comme le pense Hof-| |
EI: 2-4 PSEUDO-MATTHIEU 291

- lui a donné une postérité dont il faut rendre grâce à Dieu;


et sa postérité sera bénie ; et elle-même sera bénie et
sera établie mère de l'éternelle bénédiction. » 3. Et Joa-
chim l’adorant lui dit : « Si j'ai trouvé grâce devant
toi assieds-toi un instant dans ma tente, et me bénis,
moi ton serviteur. » Et l'ange lui dit : « Ne te nomme
pas mon serviteur, mais mon compagnon de service, car
nous sommes les serviteurs d'un méme maitre, Pour ma
nourriture, elle est invisible, et mon breuvage ne peut étre
νὰ par les hommes mortels. Aussi ne dois-tu pas me
prier d'entrer dans ta tente, mais ce que tu m'aurais donné,
offre-le en holocauste à Dieu. » Alors Joachim prit un
agneau sans tache, et dit à l'ange : « Je n'aurais point
osé offrir un holocauste à Dieu, si ton ordre ne m'eüt donné
le pouvoir sacerdotal de sacrifier. » Et l'ange lui dit : « Moi
non plus je ne t'aurais pas invité à offrir, si je n'eusse
connu la volonté de Dieu. » Or il arriva qu'au moment oü
Joachim offrait le sacrifice à Dieu, en méme temps que
l'odeur du sacrifice et comme dans la fumée l'ange remonta
au ciel.
4. Alors Joachim tomba sur sa face et resta ainsi étendu
. depuis la sixième heure du jour jusqu'au soir. Or ses servi-
teurs et ses mercenaires vinrent, et ignorantla cause (de
cette attitude), ils furent remplis de crainte, pensant qu'il
- voulait se tuer. Ils s'approchérent de lui et avec peine le
soulevérent de terre. Et quand il leur eut raconté sa vision,
frappés d'une stupeur extrême et d'étonnement,ils l'exhor-

mann, p. 28, d'une condamnation du culte des anges. — Cibus meus


invisibilis est, cf. Tob., xix, 19 : Videbar quidem vobiscum mandu-
care et bibere, sed ego cibo invisibili et potu, qui ab hominibus videri
non potest, ulor. — Pontificium, le droit et le pouvoir. Thilo renvoie
à Aulu-Gelle, Noct. Att., τ, 13. L'auteur met quelque insistance à
affirmer que Joachim n'est pas prêtre et n'a pas le droit d'offrir un
sacrifice; dans Jud., xir, 19, Manoah, le père de Samson, n'avait pas
tant de serupules. — Quasi cum fumo, ct. Jud., xin, 20; vi, 21.
4. Cecidit in faciem, à cause de la terreur qu'il avait ressentie d'avoir
292 PSEUDO-MATTHIEU HI, 4-5

hortabantur eum ut sine mora jussum angeli perficeret|


atque velociter ad suam conjugem remearet. Cumque |
Joachim in animo suo discuteret si reverti deberet, factum|
est ut sopore teneretur !, et ecce angelus qui apparuit ei |
vigilanti, apparuit ei in somnis dicens : « Ego sum.
angelus qui a Deo datus sum tibi custos; descende securus |
et revertere ad Annam, quia misericordie quas fecisti tu
et Anna uxor tua in conspectu Altissimi recitatæ sunt, ets
tale datum est vobis germen, quale nunquam ab initio nec |
prophete aut sancti habuerunt neque sunt habituri ?. »
Et factum est cum evigilasset Joachim a somno, vocavit | |
ad se gregarios ? suos et indicavit eis somnium suum. At illi. |
adoraverunt Dominum et dixerunt ei : « Vide ne ultra |
contemnas angelum Dei 4, sed surge, proficiscamur, et.
lento gradu pascentes eamus. » y|
5. Cumque triginta dies ambularent et essent jam propeM
apparuit Annæ in oratione stanti angelus Domini dicens |
1:« Vade ? ad portam qus aurea vocatur et occurre viro
tuo, quoniam veniet ad te hodie.» At illa festinanter per-

1 D : contigit ut soporaretur.
? Leçon de C, D, E. — A, B lisent: vobisque Deus talem dabit
fructum qualem ab initio nunquam habuerunt prophetz nec sanctus
aliquis, nec habituri sunt.
3 C. D : secretarios suos.
4 A : dictum angeli.— Db: angel dicta.
5 A ajoute : et ascende in Jerusalem.

vu l'ange de Dieu, cf. les passages précédemment cités del'Ancien Testa-


ment et Tobie, xir, 22. — Se ipse vellet interficere, peut-être en se lais-
sant mourir de faim; la leconde A, B est plus naturelle. — Discuteret,
On ne comprend pas bien les hésitations de Joachim, elles sont desti-
nées à amener une seconde apparition de l'ange; mais celle-ci n'était |
point nécessaire, elle n'ajoute rien à la précédente. Il semble que l'au-
teur, assez malhabile, n'a pas su fondre dans un seul récit les données.
empruntées à Jud., xiu, et à Tob., xir; il a dà revenir sur la doctrine |
des anges gardiens dans une seconde narration. Cette doctrine est ex--
HL 45 PSEUDO-MATTHIEU 293

taient à accomplir sans retard les ordres de l’ange , et à


retourner en diligence vers son épouse. Et comme Joachim
discutait en son âme si oui ou non il devait retourner, il
arriva que le sommeil l'envahit,et voici que l'ange qui lui
était apparu à l’étatde veille, lui apparut en songe, disant :
« Je suis l’ange que Dieu t'a donné pour gardien, deseends
en toute confiance, et retourne vers Anne, car les œuvres
de miséricorde que vous avez faites, toi et ton épouse Anne,
ont été rappelées en présence du Trés Haut; et 1l vous est
accordé une postérité telle que Jamais, depuis le comment
cement (du monde), ni les prophétes, niles saints n'en ont
eu ni n'enauront de semblable.» Et Joachim, s'étant éveillé
de son sommeil, appela à lui ses bergers et leur indiqua le
songe qu'il avait eu. Eux, adorèrent le Seigneur et
dirent à Joachim : « Prends garde de ne point mépriser
davantage l’ange de Dieu; mais léve-toi, partons et avan-
- cons lentement en faisant paître (les troupeaux). »
5. Ils avaient marché trente jours, et 1ls approchaient,
quand l'ange du Seigneur apparut à Anne qui se tenait en
prières, et lui dit : « Va à la porte qu'on appelle la porte
.d'or, à la rencontre de ton époux, car il te reviendra au-

primée dans les mêmes termes que Tob., xir, 12. — Gregarios suos,
ceux qui gardent les troupeaux, une mauvaise lecture a amené la cu-
rieuse lecon de C, D : secretarios suos.
5. Triginta dies. l'auteur a fait la remarque qu'on s'avancait à toutes
petites journées, en faisant paitre les troupeaux,ilfaut bien en effet
que les étapes aient été fort courtes; mais l'auteur n'a sur la géogra-
phie de la Palestine et particulièrement surles distances que des idées
trés confuses. — Angelus Domini, dans le Protévangile, ce sont les messa-
gers de Joachim qui viennent prévenir Anne;la transformation est inté-
ressante. — Ad portam qua vocatur aurea. La désignation est insuflisante.
Joséphe nous apprend, en eflet, que parmiles portes du temple plusieurs
étaient recouvertes d'or ou d'argent : τῶν δὲ πυλῶν αἱ μὲν ἐννέα χρυσῷ xai
ἀργύρῳ χεχαλυμμέναι: πανταχόθεν ἦσαν, μία δὲ ἡ ἔξωθεν τοῦ νεὼ Κορινθίου χάλχου
De bell. jud., V, v, 3; cf. VI, v, 5. Il n'est pas impossible d'ailleurs que
notre auteur ait pensé, non à une porte du temple, mais à une porte de
-l'eneeinte de Jérusalem, on ne voit pas bien Joachim arriver avec tous
294 PSEUDO-MATTHIEU HLS-I

pecoribus suis,occurrensque Anna suspendit sein collo ejus,


gratias agens Deo et dicens : « Vidua eram et ecce Jam non
sum; sterilis eram, et ecce jam concepi !. » Et factum est. |

universa terra Israel de ista fama gratularetur.

IV. Post haec autem ?, expletis mensibus novem 4


peperit Anna filiam, et vocavit nomen ejus Mariam. Cum.
autem tertio anno perlactasset eam, abierunt simul
Joachim et Anna uxor ejus ad templum Domini, et offe-
rentes hostias Domino tradiderunt infantulam suam Ma-
riam in contubernium virginum, quz die noctuque in Dei
laudibus permanebant. Qua cum posita esset ante tem- 1
=

iy

1 C : Vidua eram et ecce jam non sum, sterilis et ecce concipiam.


? C : Post hzc autem concepit Anna.
3 B: expletis mensibus quatuor.

TS
ur
oct
o
ses troupeaux à la porte du temple. — S/ans orare, l'auteur veut montrer
sa connaissance des usages juifs. Cf. Matth., vi, 5, in angulis platea-«
rum stantes orare. — Et ecce jam concepi. L'art du moyen âge, sur la foi
de ces paroles, a adopté la scène de la porte d'or comme une desrepré-
sensations de l’(Immaculée)-Conception de Marie. — Gratularetur, cf
Luc., r 57-58, à propos de la naissance de Jean-Baptiste; peut-ótre -
faudrait-il traduire:« toute la terre d'Israél se félicitait (se réjouissait) -
de cette bonne nouvelle. » +
IV.1. Mensibus novem, la lecon de B, mensibus IIII, est destinée ἃ |
expliquer les mots ez semine tuo concepisse du chapitre précédent. En ^
ajoutant les cinq mois du séjour de Joachim dans le désert à ces quatre :
mois, on obtient les neuf mois réglementaires. En définitive, Marie au-—
rait été conçue ez semine Joachim avant le départ de ce dernier pour le -
désert. C'est évidemment une correction postérieure,— Pseudo-Matthieu« "v4
BU δ΄. IV PSEUDO-MATTHIEU 295

jourd'hui. » Elle, en toute háte s'y rendit avec ses servan-


tes et se mit, à la porte méme, à prier debout. Elleattendait
depuis longtemps et perdait courage en cette longue atten-
te, quand levant les yeux elle vit Joachim qui arrivait
avec ses troupeaux. Courant à sa rencontre, Anne se sus-
pendit à son cou, rendant grâces à Dieu, et disant : « J'é-
tais veuve, et je ne le suis plus; j'étais stérile et voici que
J'ai conçu. » Et il y eut grande joie chez tous ses voisins
et toutes ses connaissances, en sorte que toute la terre
d'Israél (la) félicitait de cette bonne nouvelle.

IV. 1. Or neuf mois s'étant écoulés après ces événe-


ments, Anne mit au monde une fille et l'appela Marie.
Et quand, à trois ans, ellel'eut sevrée, Joachim et Anne,
son épouse, s'en allérent ensemble au temple du Sei-
gneur et offrant des victimes au Seigneur, ils confiè-
rent Marie leur petite enfant au couvent des vierges,
qui jour et nuit persévéraient dans les louanges de Dieu. Et
quand elle eut été déposée devant le temple du Seigneur,

omet les divers événements de l'enfance de Marie rapportés dans le


Protévangile. Si l’on étudie la composition de Hrostwitha on voit
qu'elle lisait dans son texte un récit qui a disparu de nos mss. C'est
celui de la révélation du nom de Marie.
Post hæe noveno percerte mense peracto :
Venit summa dies in qua prænobilis Anna
Progenuit natam cunctis sæculis venerandam.
Posique dies octo primi venere vocati
Pontifices, tantze solito qui more puella
Nomen et optarent, ipsam quoque sanctificarent.
Queis Joachim preculas fudit prasentibus istas :
« Rex cali, stellis solus qui nomina ponis,
Istius tenere nomen dignare puellæ
Cælitus indiciis per te monstrare coruscis, »
Dixerat et subito sonuit voz fortis ab alto
Mandans egregiam Mariam vocitare puellam.
Stella maris lingua quod. consonat ergo latina,
Hoc nomen merito sortitur sancta puella,
296 PSEUDO-MATTHIEU IV - VL 4

plum Domini !, quindecim gradus ita cursim ascendit ut


penitus non aspiceret retrorsum, neque, ut solitum est |
infantiæ, parentes requireret. In quo facto omnes stupore
attoniti tenebantur ita ut et ipsi pontifices templi mira- |
rentur ?.

V. Tunc Anna repleta Spiritu sancto in conspectu om-


nium dixit: «Dominus Deus exercituum memor factus est
verbi sui et visitavit plebem suam visitatione sancta sua,
ut gentes quz insurgebant in nos humiliet et convertat |
ad se corda eorum : aperuit aures suas precibus nostris,
et exclusit a nobis insultationes inimicorum nostrorum.
Sterilis facta est mater, et genuit exultationem et lætitiam -
in Israel. Ecce potero offerre munera Domino, et non
poterunt a me prohibere inimici mei. Dominus convertat
corda eorum ad me, et det mihi gaudium sempiternum. »

VI. 1. Erat autem Maria in admiratione? omni popu-


lo. Quse cum trium esset annorum ita maturo gressu am-

! B: ante foras templi Domini, ante ejus introitum dizit X V gradus


psalmorum per'XV ascensionis gradus. Suit l'explication : nam
templum, cf. De nat. Mar., vi, 1.
? A : Unde parentes ejus solliciti uterque infantem. requirentes,
pariter ambo stupuerunt, quousque eam invenerunt in templo ita ut
et ipsi templi pontifices mirarentur.
3 B:inezspectatione.

Est quia præclarum sidus quod fulget in ævum


Regis æterni claro diademate Christi.
In contubernium virginum, l'auteur croit àl'existence, dans les dépen-
dances du temple, d'une sorte de couventoü sont élevées les jeunes
vierges d'Israél; une idée du méme genre se retrouve dans le remanie-
ment arménien. Nous avons vu que toute différente était la concep-
tion du Protévangile. — Quæ die noctuque, c'est la laus perennis
qu'on aimait à réaliser, quand cela était possible, dans les couvents
IV - VI, 1 | PSEUDO-MATTHIEU 297

elle monta en courant les quinze degrés, sans regarder le


moins du monde en arrière, ni réclamer (l’aide de) ses pa-
rents, comme font d’ordinaire les enfants. Ce fait remplit
tout le monde d'étonnement, de sorte que les prêtres du
temple eux-mêmes étaient dans l'ad miration.

V. Alors Anne remplie du Saint-Esprit dit en présence


de tous: « Le Seigneur, le Dieu des armées, s'est souvenu
de sa parole, et a visité son peuple d'une sainte visite,
pour humilier les nations qui se soulevaient contre nous
et retourner leur cœur vers lui; ila ouvert ses oreilles à nos
prières, et a fait cesser les insultes de nos ennemis. Celle
qui était stérile est devenue mère, et a engendrél'exulta-
tion et la joie en Israél. Voici que je pourrai offrir des dons
au Seigneur, et mes ennemis ne pourront plus m'en
empécher. Que le Seigneur tourne leurs cceurs vers moi, et
me donne la joie éternelle. »

VI. 1. Or Marie faisait l'admiration de tout le peuple.


Agée seulement de trois ans, elle marchait d'un pas si

de l'époque mérovingienne, — Quindecim gradus, ce nombre a été


imaginé d’après le nombre des psaumes graduels. On s'est imaginé
que les psaumes des degrés avaient été composés pour être récités sur
chacun des degrés qui menaient au temple. Puisqu'il y avait quinze
.psaumes, il y avait donc quinze degrés. La démarche de Marie
montant toute seule les degrés du temple a remplacé les sept pas
qu'elle fait à l’âge de six mois. Protev., vr, 1.
V. Le cantique d'Anne est inspiré de Protev., vi, 3; les expressions
sont empruntées, en partie au Benedictus, en partie au cantique
d'Anne. Visitaeit plebem suam cf. Luc., 1, 68, Benedictus... quia visitavit
et fecit redemptionem plebis suæ. — Sterilis facta est mater, cf. I Sam.,
ὙΠ ΟΣ
VI.Les occupations de Marie dans le temple sont décrites avec l'idée
que Marie y mène la vie d'une bonne religieuse.
1. L'auteur commence par signaler ce par quoi elle se distingue de
toutes les autres vierges: par sa maturité (à l’âge de trois ans, elle sem-
blerait en avoir trente); par l'éclatde son visage (cf. Matth., xvir, 2,
d'après la Vulgate), et resplenduit facies ejus sicut sol, vestimenta
298 PSEUDO-MATTHIEU VI,1-3

bulabat et perfectissime loquebatur,et in Dei laudibus stu-.


debat, ut non infantula esse putaretur sed magna, et quasi -
triginta annorum jam esset ita orationibus insistebat. Et
resplendebat facies ejus sicut nix 1, ita ut vix possent
in ejus vultum intendere. Insistebat autem operi lanifien, :
et omnia quas mulieres antique non potuerunt facere.
ista in tenera state posita explicabat. 2. Hanc autem
regulam sibi statuerat, ut a mane ? usque ad horam TVA
"ia
ἊΣ
4

tertiam orationibus insisteret, a tertia autem usque ad


nonam textrino opere se occuparet : a nona vero hora à
iterum ab oratione non recedebat, usque dum ilh ange- ETE wt

lus Domini appareret de cujus manu escam acciperet, -


et melius atque melius in Dei laudibus proficiebat. ἡ
Denique cum senioribus virginibus in Dei laudibus ita .
docebatur ut jam nulla ei in vigilüs prior inveniretur ^4, -
in sapientia legis Dei eruditior, in humilitate humilior,
in carminibus Davidicis elegantior, in caritate graciosior, -
in castitate purior, in omni virtute perfectior. Erat enim
constans 5, immobilis, immutabilis, atque quotidie
ad meliora proficiebat. 3. Hanc nemo irascentem vi-
dit, hanc maledicentem nunquam ullus audivit. Om-

1 A: Eratque in tantum speciosa et splendida facies ejus, ita ut eir


aliquis in illius eultum posset intendere.
? D:a prima.
3 A, B omettent hora.
4 A: Deinde cum seniores virgines a Dei laudibus eacarent, ipsa
nihil eacabat, ita ut in laudibus et in vigiliis Dei nulla. prior ea
inveniretur.
5 D : casta.

aulem ejus facta sunt alba sicut nix (grec: ὡς τὸ φῶς); par son habi- -
leté dans le travail manuel.
2. indique ensuite son règlement de vie, nous avons traduit les mots
tertiam, nonam, par les mots correspondants, tierce, none. L'auteur
pense que la laus perennis s'accomplissait suivant les règles de l'office 1
canonique en nsage de son temps. La journée monastique était parta-
VI 1-3 PSEUDO-MATTHIEU 299

ferme, parlait si parfaitement, s'appliquait si bien aux


louanges de Dieu, que l'on n'eüt pas cru une petite enfant
mais une grande personne; et comme si elle avait eu trente
ans elle s’appliquait à l’oraison.Et son visage resplendissait
comme la neige, au point qu'à peine pouvait-on la regar-
der . Or elle s'appliquait au travail de la laine, et tout ce
que des femmes ágées n'auraient pu faire, elle, dans un
âge si tendre, le débrouillait. 2. Or elles'était imposé cette
régle de vaquer à l'oraison depuisle matin jusqu'à tierce;
depuis tierce jusqu'à none elle s'occupait à tisser, à partir
de none elle revenait à l'oraison et ne la quittait plus,
jusqu'à l'heure oà lui apparaissait l'ange du Seigneur, de
qui elle recevait sa nourriture; et de plus en plus elle pro-
gressait dans les louanges de Dieu. Enfin avec les vierges
plus ágées elle était si bien instruite aux louanges de Dieu,
que nulle ne la précédait aux vigiles, n'était plus instruite
en la sagesse de la loi de Dieu, plus humble en humi-
lité, plus distinguée dans les chants de David, plus
gracieuse en charité, plus pure en chasteté, plus par-
faite en toutes les vertus. Elle était, en effet, constante,
fidéle, immuable, et chaque jour progressaiten mieux.
3. Nul nela vit jamais s'irriter, jamais personne ne l'en-
tendit médire. Au contraire, tout son entretien était si

gée entre la priére et le travail manuel; les heures canoniales mar-


quaient la séparation des diverses occupations. Il ne pouvait en étre
autrement au temple de Jérusalem. On remarquera aussi le fait que
la Vierge était la première aux vigiles. Cette régularité était assez diffi-
cile à obtenir des plus jeunes. Il faudrait évidemment commenter cha-
cun des mots de ce chapitre par des explications tirées de la régle de
saint Benoit. — Aprés le réglement de vie, est décrite la vie intérieure
‘ dela Vierge, puis ses vertus sociales.
3. C'est parmi ces derniéres qu'il faut ranger la pieuse habitude de
répondre Deo gratias aux salutations. cf. Règle de saint Benoit, c. vxvz,
on prescrit au frère portier : moz ut aliquis aut. pulsaeerit aut pauper
clamaverit, Deo gratias respondeat aut benedicat.— Enfin les dernières
lignes se rapportent aux priviléges surnaturels dont jouissait Marie,
300 - PSEUDO-MATTHIEU VI, 3-VII, 1

nis autem sermo ejus ita erat gratia plenus, ut cognos-


ceretur in lingua ejus esse Deus !. Semper in oratione
vel scrutatione legis permanebat, et erat sollicita
circa soclas suas, ne aliqua ex eis vel in uno sermone
peccaret ?, nec aliqua in risu exaltaret sonum suum, nec
aliqua in injurus aut in superbia circa parem ? suam
existeret. Sine intermissione benedicebat Deum, et ne
forte vel in salutatione sua a laudibus Dei tolleretur, si
quis eam salutabat,illa pro salutatione Deo gratias respon-
debat. Denique primum ab ea exnut ut homines, cum se
invicem salutarent, Deo gratias responderent.
Quotidie esca quam de manu angeli accipiebat ipsa
tantum reficiebatur ; escam vero quam a pontificibus
consequebatur pauperibus dividebat. Frequenter videbant
cum ea angelos loqui, et quasi carissimi ejus obtempera-
bantei. Siquis autem de infirmantibus tetigisset eam,
salvus ad domum suam eadem hora remeabat.

VII. 4. Tunc Abiathar sacerdos obtulit munera infinita

1 C : in lingua ejus Dei veritas.


? A a une variante assez importante : sollicita erat ne aliquo
sermone peccaret circa socias ; deinde timebat ne quid in. visu aut
pulchre vocis sono committeret; deinde ne aliqua sociarum ejus. in
injuria aut superbia contra parentes suos elata existeret.
3 C, D : circa patrem suum aut matrem existeret. —

VII. Cet épisode est particulier à Pseudo-Matthieu, et apparait


comme son invention personnelle. Marie y est présentée comme un
modèle de persévérance dans la chasteté, elle est la première des nom-
breuses vierges, qui, d’après les légendes hagiographiques, refusent les
plus beaux mariages pour garder intacte leur pureté. L'exemple de
Marie doit étre pour les vierges chrétiennes d'autant plus efficace qu'a-
vant Jésus-Christ ]a virginité est chose tout à fait inconnue et que c'est
VL3 - VII,4 PSEUDO-MATTHIEU 301
TE
oA

plein de gràce, que l'on connaissait que Dieu était en sa


bouche. Continuellement elle persévérait dans l'oraison et
la méditation de la loi, et pleine de sollicitude pour ses
compagnes, (elle veillait) à ce que nulle d'entre elles ne
péchát méme par une seule parole,que nulle en riant n'éle-
vàt trop la voix, que nulle n'en arrivàt aux injures ou à
l'orgueil à l'endroit d'une égale. Sans tréve, elle bénissait
Dieu;et de peur d’être par hasard, en répondant à un salut,
détournée des louanges de Dieu, quand on la saluait, pour
réponse elle disait : Deo gratias. C’est d'elle en somme
qu'a pris naissance (la coutume) de répondre, quand on
salue, Deo gratias.
Chaque jour, c'était uniquement de la nourriture reçue
de la main d'un ange qu'elle se nourrissait ;quant à la nour-
riture qu'elle recevait des prétres, elle la partageait aux
pauvres. Fréquemment on voyait les anges s'entretenir
avec elle, et lui obéir comme ses meilleurs amis. Et si
quelque infirme la touchait, sur l'heure,ilretournait guéri
dans sa maison.

VII. 1. Alors le prêtre Abiathar offrit des présents infinis

un déshonneur de n'étre pas devenue mére. Le petit discours de Marie


doit faire justice de ce préjugé.
1. Abiathar, c'est vraisemblablement le méme que le grand-prétre
désigné sous le méme nom, au chapitre suivant; il s'adresse au collège
des princes des prétres (pontifices) sans lequel rien d'important ne
pouvait se conclure. Le mariage qui est proposé à Marie est donc des
plus honorables. — Deus in filiis colitur, c'est-à-dire: Il ne faut pas consi-
dérer l’œuvre du mariage comme mauvaise; au contraire, c'est rendre
gloire à Dieu que de mettre au monde des enfants qui plus tard le
loueront. Cette idée était particulièrement forte dans le peuple d'Israél.
La réponse de Marie : Deus in castitate primo omnium colitur résume
bien les idées qui ont cours dans l'Église chrétienne depuis saint Paul
(cf. I Corinth., vir, 25-40), et qui se sont précisées en Occident depuis
la controverse de saint Jérôme avec Jovinien et Vigilantius, La virgi-
nité est regardée comme supérieure en dignité au mariage. — Ut com-
probatur, comme le montrent les exemples tirés de l'Écriture sainte,
NL

302 PSEUDO-MATTHIEU | VIL, 12

pontificibus, ut acciperet eam filio suo ! tradendam uxo- |


rem. Prohibebat autem eos Maria dicens : « Non potest
fieri ut ego virum cognoscam aut me vir cognoscat. »
Pontifices autem et omnes affines dicebant ei: « Deus in
filiis colitur et in posteris adoratur, sicut semper fuit in
Israel. » Respondens autem Maria dixit illis : « Deus in
castitate primo omnium colitur, ut comprobatur. 2. Nam
ante Abel nullus fuit justus inter homines, et iste pro
oblatione placuit Deo, et ab eo qui displicuit inclementer
occisus est, duas tamen coronas accepit, oblationis et Ma-

virginitatis, quia in carne sua nunquam pollutionem


admisit. Denique et Helias, cum esset in carne, assumptus
est, quia carnem suam virginem custodivit. Hæc ergo didici ὦκα
Tm
λυ

in templo Dei ab infantia mea, quod Deo cara esse possit |


— 2 PR
ΚΑ
V

1 B pour tout le reste du chapitre se sépare du texte ci-dessus:


Factum est autem cum XII ætatis annos haberet, et fama esset ac.
consuetudo talis quod, postquam ad legitimam ætatem pervenrebant «
virgines in templo Domini commorantes, accipere |debebant
in conjugio viros suos, ingentum est tale consilium ut mutatur
praeco per omnes tribus Israel ut in templo Domini convenirent
inunum pontifices. At omnes virgines Mariz affines, timentes ne
propter pulchritudinem. ejus aliquis juvenis ipsam seduceret, mone-
bant ipsam ut virum acciperet de majoribus Israel. Tuncipsa respon-
dens dixit : « Non potest fieri quod eirum cognoscam vel pir cognos-
cat me.» At illae dixerunt : « Timemus ne propter pulchritudinem
tuam nisi cognoscaris a viro et nubaris, secundum quod. aliæ virgi-
nes te in templo Domini præcedentes fecerunt, aliquis juvenis sub-
ducat te. »Respondit eis virgo Maria :« Deum in castitate colitura et
veneratura sum perpetuo. Nam ante Abel nullus erat inter homines
justus, et ipse per oblationes placuit Deo; et cum esset occisus quod
Domino displicuit (peut-être faut-il lire : ab eo qui Domino disph-
cuit), duas coronas accepit a Domino, oblationis et eirginitatis, quia
in carne sua pollutionem non fecit, quia in virginitate custodieit eam.
Ego ab infantia mea virginitatem meam Deo obtuli, et in corde meo
statui ut eirum penitus non cognoscam. » Inierea cum universus
populus, etc. Cf. c.v.
VII, 4-2 PSEUDO-MATTHIEU 303

aux prêtres : (il voulait) prendre Marie et la donner pour


femme à son fils. Or Marie y faisait opposition disant : « Il
ne se peut faire que je connaisse un homme, ou qu'un
homme me connaisse. » Or les prétres et tous ses parents
lui disaient : « Dieu est honoré par les enfants (que l'on
met au monde);il est adoré par les descendants (que l'on
suscite). Ainsi en a-t-il toujours été en Israël, » Et Marie
répondant leur dit : « Dieu est avant tout honoré par la
chasteté, comme il est facile de le prouver. 2. Car avant
Abel il ny eut point de juste parmi les hommes, et lui, il
plut à Dieu par son offrande etil fut tué d'une manière
bien cruelle par celui qui avait déplu. Eh bien, il reçut
deux couronnes, l'une pour son offrande, l'autre pour sa
virginité, parce que jamais 1l n'avait admis de souillure en
sa chair. Élie, lui aussi, fut enlevé au ciel étant encore en
la chair, parce que sa chair 1] l'avait gardée vierge. Voilà
ce que J'ai appris dans le temple de Dieu depuis mon en-
fance : oui une vierge peut étre chére à Dieu. Et c'est

2. Les exemples de chasteté perpétuelle devaient étre assez rares


dans l'Ancien Testament. En fait les écrivains ecclésiastiques discu-
teront pour savoir si Marie est la première qui ait gardé la virginité.
C'est une des raisons pour lesquelles Marie n'allégue que des exemples
masculins. Abel a été proposé, par les Pères de l'Église (saint Basile,
saint Ambroise), comme un modèle de chasteté; l'Écriture, en effet, ne
disant pas qu'Abel fut marié, on en concluait qu'ilétait vierge. Quant à
Élie, saint Jéróme (Ade. Jovinian., 1, 25, P. L., t. xxii, col. 244), et Épi-
phane (Hzres., xxix, 5, P. G.,t.xxi, col, 748) ie mentionnent comme
vierge : óc Ἡλίας ἐχ μητρὸς παρθένος, xai οὕτω μένων εἰς τὸ διηνεχὲς xal
ἀναλαμιανόμενος. θάνατον δὲ οὐχ Éwpaxwc.Son exemple est classique par-
mi les moines d'Occident. Cassien,
De cænobiorum institutis, 1, 2 : quorum
prior Elias qui in V. Testamento virginitatis jam flores et castimoniæ
contfinentiæque præfigurabat exempla. Plus tard, il passera même
pour le fondateur de la vie monastique, et l’ordre du Carmel préten-
dra se rattacher à lui. — Ideo hoc statui in corde meo, c'est l'expres-
sion du vœu de virginité fait par Marie elle-même, et non plus par
ses parents, Cf. Introd., p. 28.
304 PSEUDO-MATTHIEU VII, 2- VIRE

virgo. Ideo hoc statui in corde meo ut virum penitus non


cognoscam. »

VIII. 4. Factum est autem cum quatuordecim ! annos


statis haberet, et esset occasio quz pharisæos faceret di-
cere : jam consuetudinem adesse feminam in templo Dei
non posse morari?; inventum est tale consilium ut mittere-
tur præco per omnes tribus Israel, ut omnes die tertia ? in
templum Domini convenirent. Cum autem universus po-
pulus convenisset, surrexit Abiathar * pontifex et ascendit
in altioribus gradibus, ut ab omni populo audiri posset et
videri; et facto magno silentio dixit : « Audite me, filu
Israel, et auribus percipite verba mea. Ex quo ædificatum
est templum hoc a Salomone, fuerunt in eo filie regum
virgines et prophetarum et summorum sacerdotum et pon-
tificum ;et magn: ac mirabiles exstiterunt, Tamen venien-
tes ad legitimam statem, viros in conjugio sunt adeptæ, et
secuti sunt priorum suarum ordinem, et Deo placuerunt.
A sola vero Maria novus ordo placendi Deo inventus est,
qua promittit Deo se virginem permanere. Unde mihi vi-
detur ut per interrogationem nostram et responsionem Dei
possimus agnoscere cui debeat custodienda committi5. »
2. Tunc placuit sermo iste omni synagoga. Et missa est

1 B, D : duodecim.
? E: jam pro consuetudine feminea in templo Dei illam morari
non posse.
3 D : octava. — À : tertia octaea.
4 D : Abyachar vel Ysachar.— D, E : Isachar.
5 B ajoute : ne aliquis eam decipere possit.

VIII. L'ensemble de la narration est, à quelques détails prés, celui


du Protévangile.
4. Quatuordecim, dans le Protévangile la plupart des mss. donnaient
douze ans. -- Pharisæos, les pharisiens sont nommés à dessein, c'est un
scrupule pharisaique qui empêche de conserver Marie dans le temple; lé

1
1
VII, 2-VIII, 2 PSEUDO-MATTHIEU 305

pourquoi j'ai résolu dans mon cœur de ne jamais connaitre


d'homme. »

VIII. 4. Or il arriva qu'elle eut quatorze ans; et ce fut


. pour les pharisiens une occasion de dire que, d'aprés la
coutume, une femme ne pouvait plus demeurer dans le
temple de Dieu. On prit donc le parti d'envoyer un héraut
dans toutes les tribus d'Israél, afin que tous, dans les
trois Jours, se réunissent dans le temple du Seigneur. Et
quand tout le peuple fut réuni, le grand-prétre Abiathac
se leva et monta tout en haut des degrés, de maniére à
étre vu et entendu de tout le peuple. Un grand silence
s'étant fait, il dit : « Écoutez-moi, fils d'Israél, prétez
l'oreille à mes paroles. Depuis que ce temple a été bâti par
Salomon, il y est (toujours) demeuré des vierges, filles des
rois, des prophétes, des grands-prétres, des prétres; et ces
vierges ont été grandes et admirables. Cependant quand
elles arrivaient à l’âge nubile, elles prenaient des hommes
en mariage, suivaient la voie de leurs ainées, et plaisaient
ainsi à Dieu. Seule Marie ἃ trouvé une nouvelle manière
de plaire à Dieu; elle lui a promis de demeurer vierge. Il
me semble donc, qu'en interrogeant Dieu et en lui deman-
dant sa réponse, nous pourrons connaitre à qui il faut la
remettre en garde.» 2. Ce discours plut à toute l'assemblée.

ms. E a exprimé d'une facon discréte la raison qu'on pouvait alléguer.


Mais suivant plusieurs auteurs cette raison ne pouvait valoir pour Marie.
— Le discours d'Abiathar montre que les sentiments des prétres ne sont
plus les mêmes que dans le Protécangile. Ils ne semblent pas admettre
que Marie puisse rester vierge, et s'en remettent à Dieu du dénoue-
ment. Au contraire, dans l'écrit primitif, leur désir était de sauvegarder
la pureté de Marie. — A sola Maria, c'est, nous l'avons dit, i'opinion de
beaucoup de docteurs que Marie a été la première (des femmes) à con-
sacrer sa virginité au Seigneur. :
2. Missa est sors, pour savoir dans quelle tribu il fallait recruter
les prétendants. Le Protévangile n'avait pas fait cette première distinc-
tion, il convoquait simplement τοὺς χηρεύοντας τοῦ λαοῦ,
--- V irgam in manu
sua. Le grand-prêtre ne semble pas savoir à l'avance ce qu'il faudra
PROTÉV. — 20
306 PSEUDO-MATTHIEU VIIL, 2-3

sors a sacerdotibus super duodecim tribus Israel, et cecidit|


sors super tribum Juda. Dixitque. sacerdos : « Insequenti
die quicumque! sine uxore est veniat et deferat virgam in
manu sua. » Unde factum est ut Joseph ? cum juvenibus
virgam deferret. Cumque tradidissent summo pontifici |
virgas suas, obtulit sacrificium Deo, et interrogavit Do-
minum. Et dixit Dominus ad eum : « Intromitte omnium.
virgas intra Sancta Sanctorum, et ib1? maneant virgæ. Et.
præcipe eis ut mane veniant ad te ad recipiendas virgas
suas, et ex cacumine unius virgæ columba egredietur et
volabit ad celos 4; in cujus manu virga reddita hoc si-
gnum dederit, ipsi tradatur Maria custodienda. »
3. Factum est autem ut altero die maturius venirent.
universi, et facta oblatione incensi ingressus pontifex intra
Sancta Sanctorum protulit virgas. Cumque erogasset:
singulas 5 et ex nulla virga exisset columba $, induit 56.
Abiathar pontifex duodecim tintinnabulis et veste sacer-
dotali, et ingres-:us * in sancta sanctorum incendit sa-
crificium. Et fundente ilo orationem, apparuit ei an-
gelus dicens : « Est hic virgula brevissima, quam pro nihilo

1 B ajoute : de tribu Juda.


? B :cum non haberet uxorem, nolens mandatum sacerdotis con-
temnere.
3 B:et super altare maneant.
4 B: et in cujus eirga hoc signum apparebit, videlicet illa qua
fronduerit et nuces protulerit, et de cujus cacumine egredietur co-
lumba et volabit ad celos, illi tradas Mariam.
? C : singulas ad tria millia virgas.
5 B ajoute : solus Joseph, qui senex et despectus inter juvenes
existebat nec volebat requirere virgam suam, remansit. Tunc Abia-
thar...
7 E ajoute : cum thiara.

faire de ces baguettes. C'est seulement quand tous les prétendants


sont réunis, que l'oracle du Seigneur lui fait connaitre la maniére de
procéder.
PSEUDO-MATTHIEU 307

+ Et les prêtres tirérent au sort entre les douze tribus d'Is-


raël, et le sort tomba sur la tribu de Juda. Et le grand-pré-
tre dit ;« Demain, quiconque est sans épouse, qu'il vienne
et apporte une baguette dans sa main. » Il arriva done
que Joseph apporta sa baguette avec les jeunes gens. Et
quand ils eurent tous remis leurs baguettes au grand-pré-
tre, celui-ci offrit un sacrifice à Dieu, et interrogea le Sei-
gneur. Et le Seigneur lui dit :« Introduis les baguettes de
tous dans le Saint des Saints, et qu'elles y demeurent. Puis
commande-leur de revenir au matin pour reprendre leurs
- baguettes. De l'extrémité de l'une d'elles une colombe sor-
tira et s'envolera vers les cieux. Celui en la main de qui la
baguette rendue présentera ce miracle, qu'on lui confie la
garde de Marie. »
3. Il arriva donc que le lendemain, de grand matin, ils
vinrent tous; et après avoir fait l'offrande de l'encens, le
grand-prétre entra dans le Saint des Saints et présenta les
baguettes. Et quand 1l les eut toutes distribuées, d'aucune
d'entre elles il ne sortit de colombe. Alorsle grand-prétre
Abiathar se revétit (del'ornement) aux douze clochettes et
des habits sacerdotaux, et entrant dansle Saint des Saints,
il mit le feu au sacrifice. Et pendant qu'il se répandait en
prières, un ange lui apparut, disant : « Il y a encore ici une
toute petite baguette, que tu n'as pas comptée, tu l'avais

3. L'opération comporte deux temps: la veille au soir, le grand-prétre


met les baguettes dans le sanctuaire ; le lendemain matin, il rentre
pour les chercher et les distribuer à leurs propriétaires respectifs, com-
me dans Num., xvr1. Aucun signenese produit, parce quele grand-prétre
a oublié dans le sanctuaire l'humble rameau qu'avait apporté Joseph.
Celui-ci d'ailleurs n'avait rien fait pour le réclamer. Tel est bien le
sens de la réponse de l'oracle divin. — Le tableau de Joseph quise tient
au dernier rang dans une posture humiliée, et qui tremble en entendant
- la voix du grand-prétre, ce tableau est fort pittoresque, — E gressa est co-
- lumba, Dans le Protévangile, la colombe sortie du rameau venait se re-
poser sur la tête de Joseph : ici, elle gagne le ciel; l'auteur aura jugé
… inconvenant le parallèle entre cette scène et celle du baptéme de Jésus.
*

308 PSEUDO-MATTHIEU VIII, 34.

computasti; illamque simul cum ceteris posuisti ἢ: hanctu”


cum protuleris et dederis, in ipsa apparebit signum quod
locutus sum tibi. » Erat autem hzc virga Joseph,
eratque 1pse abjectus habitus, quoniam senex erat, et ne
forte cogeretur accipere eam, requirere noluit virgam
suam. Cumque staret humilis et ultimus, voce magna cla-
mavit ad eum Abiathar pontifex dicens: « Veni et accipe
virgam tuam, quoniam tu exspectaris. » Et accessit Joseph
expavescens quod summus pontifex cum clamore nimio
vocaret eum. Mox autem extendens manum ut suam vir-
gam acciperet, statim de cacumine ejus egressa est colum-
ba nive candidior, speciosa nimis; et volans diu per tem-
pli fastigia petivit cælos.
4. Tunc universus populus congratulabatur seni, dicen-
tes : « Beatus factus es tu in senectute tua ?, ut idoneum
te Deus ostenderet ad accipiendam Mariam. » Cum autem
sacerdotes dicerent ei :« Accipe eam, quia ex omni tribu
Juda tu solus electus es a Deo, » ccepit adorare et rogare
eos atque cum verecundia dicere : « Senex sum, et filios
habeo, ut quid mihi infantulam istam traditis ?? » Tunc
Abiathar summns pontifex dixit : « Memor esto, Joseph,
quemadmodum Dathan et Abiron et Core perierunt,
quia voluntatem Domini contempserunt ; ita tibi eveniet
si hoc quod a Deo jubetur tibi contempseris.» Et dixit ei
Joseph: « Ego quidem non contemno voluntatem Dei,

1 A, B ajoutent : sed cum ceteris non protulisti.


? AB ajoutent: Pater Joseph.
3 A ajoute : cujus etiam ætas minor est nepotibus meis. D : cujus
ætas minor est nepotum meorum. — E lit : infantulam hanc state.
neptem meam datis et quæ minor est jam a nepotibus meis.

4. Cepil adorare, se prosterner. L'expression est fréquente dans la


Vulgate. — Filios habeo, l'auteur n'avait pas mentionné précédemment
le veuvage de Joseph, la mention de ses fils est trés fugitive ; on remar-
quera la jolie réflexion des mss. À, B, E, Marie est plus jeune que les
petits-fils de Joseph. — Custos ejus ero, comme dans le Protévangile,
VIII, 3-4 PSEUDO-MATTHIEU 309

mise avec les autres; quand tu la présenteras et que tu la


donneras, i| y paraîtra le signe que je t'ai dit. » Or la
baguette était celle de Joseph, et son extérieur à lui-même
était humble, parce qu'il était vieux, et de peur d’être
forcé à recevoir (Marie), il ne voulut pas réclamer sa ba-
guette. Et comme 1] se tenait humble au dernier rang, le
grand-prétre Abiathar lui cria d'une voix forte : « Viens et
prends ta baguette, c'est toi qu'on attend. » Et Joseph
s'avanca tout tremblant d'avoir été interpellé à haute
voix par le grand-prétre. Mais dés qu'il tendit la main
pour prendre sa baguette, soudain de son extrémité sortit
une colombe plus blanche que la neige, extrémement
belle, et aprés avoir longtemps volé dans le faite du tem-
ple, elle gagna les cieux.
4. Alors tout le peuple félicitait le vieillard et lui disait :
« Heureux es-tu dans ta vieillesse, puisque Dieu te désigne
comme capable de recevoir Marie. » Or les prétres lui
disaient : « Prends-la done, car, seul de toute la tribu de
Juda, tu as été choisi par Dieu.» Mais lui, commença à se
prosterner, à les supplier, et à leur dire avec timidité :
« Je suis vieux et j'ai des fils, pourquoi me donner cette
petite enfant? » Alors le grand-prétre Abiathar lui dit :
« Souviens-toi, Joseph, de la maniére dont périrent Dathan,
Abiron et Coré, parce qu'ils méprisérent la volonté du Sei-
gneur. Ainsi t'en arrivera-t-il si tu méprises, le comman-
dement de Dieu. » Et Joseph lui dit : « Certes Je ne mé-
prise point la volonté de Dieu ;]e serai son gardien jusqu’au

Mais l'idée de Joseph est trés singulière, et l'on voit qu'il n'a pas trés
bien compris le róle qui lui revient. Le grand-prétre exclut cette hypo-
thése, mais la maniére dont il parle du mariage futur de Joseph montre
que l'auteur duremaniement n'a pas bien saisi le sens du Protévangile,
Il semble vouloir distinguer entre les fiancailles etle mariage proprement
dit. Tout ceci témoigne d'une certaine incohérence dans les idées de
Pseudo-Matthieu, qui hésite entre deux conceptions: celle du Froté-
vangile qui fait de Marie une virgo subintroducta, celle des Évangiles
canoniques qui font de Marie l'épouse légitime de Joseph,
B
310 PSEUDO-MATTHIEU VIII, 4-5 —

sed custos ejus ! ero quousque hoc dé voluntate Dei.


cognosci possit, quis eam possit habere ex filiis meis conju- |
gem. Dentur alique ex sodalibus ejus virgines ?, cum
quibus interim deget. » Et respondens Abiathar pontifex :
dixit: « Virgines quidem ad solatium ejus dabuntur,
quousque dies statutus veniatin quo tu eam accipias; non
enim poterit alii in matrimonio copulari. »
5. Tunc Joseph accepit Mariam cum aliis quinque virgi-
nibus qua essunt cum ea in domo Joseph. Erant autem
iste virgines ? Rebecca, Sephora, Susanna, Abigea et
Zahel : quibus datum est a pontificibus sericum et jacin-
thum et byssus et coccus et purpura et linum. Miserunt
autem sortes inter se quid unaquaeque virgo faceret; con- .
tigit autem ut Maria purpuram ? acciperet ad velum tem-
pli Domini. Quam cum acciperet, dixerunt ei illae virgines :
« Cum tu sis minor omnibus, purpuram obtinere meruisti. »
Et hoc dicentes quasi in fatigationis sermone ? cceperunt
eam reginam virginum appellare. Cumque hæc inter se
agerent, apparuit ahgelus Domini in medio earum et dixit :
« Non erit sermo iste in fatigatione missus, sed in prophe-
tationem verissimam prophetatus. » Expaverunt autem in
conspectu angeli et in verbo ejus, et rogaverunt eam ut
indulgeret eis et oraret pro eis.

1 B: istius infantulæ.
? A, B ajoutent : ad solatium.
3 Les noms des vierges différent beaucoup suivant les mss.
4 C,D :nendam.
5 C, D : in fatigatione sermonis.

5. L'épisode des vierges qui accompagnent Marie dans la maison de


VIII, 4-5 PSEUDO-MATTHIEU 311

jour où la volonté de Dieu voudra bien faire connaître


lequel de mes fils pourra la prendre pour épouse. Qu'on
lui donne quelques vierges d'entre ses compagnes avee qui
elle puisse vivre entre temps. » Le grand-prétre Abiathar
répondit : « Des vierges, eh bien oui, on lui en donnera
pour sa consolation, jusqu'à ce que vienne le jour fixé
pour son union avec toi; car elle ne pourra s'unir en ma-
riage avec aucun autre, »
5. Alors Joseph prit Marie avec cinq autres vierges qui
resteraient avec elle dans la maison de Joseph. C'étaient
Rebecca, Sephora, Susanne, Abigée et Zahel. Les prétres
leur avaient donné de la soie, de la pourpre violette, du
lin fin, de l'écarlate, de la pourpre et du lin. Or elles tirè-
rent au sort entre elles (pour savoir) ce que chacune ferait;
et il arriva que ce fut Marie qui recut la pourpre (destinée)
au voile du temple du Seigneur. Et quand elle l'eut prise,
ces vierges lui dirent : « Bien que tu sois la plus jeune,
c'est toi qui as mérité d'avoir la pourpre.» Et ce disant,
comme par manière de sarcasme, elles se mirent à l'appeler
« reine des vierges ». Et tandis qu'elles agissaient ainsi, un
ange du Seigneur apparut au milieu d'elles et leur dit: «Cette
parole ne sera pas une parole de sarcasme, mais une pro-
phétie trés véritable. » Or elles furent saisies de frayeur à
la vue de l'ange et à cause de ses paroles, et elles prièrent
Marie de leur pardonner et de prier pour elles.

Joseph remplace celui du voile du temple, Protev., x. L'auteur imagine


de plus que, l'absence de Joseph devant se prolonger, il est convena-
ble de ne pas laisser Marie toute seule; enfin les compaegnes de la
Vierge pourraient témoigner auprés de Joseph de sa bonne conduite;
quand une religieuse doit séjourner hors du couvent, on ne la laisse pas
seule.— Reginam virginum, l'auteur a bien compris la pensée du Proté-
vangile, quand celui-ci avait donné à Marie le soin de filer la pourpre.
— Fatigatio, särcasme, le mot a ce sens dans Sidoine Apollinaire et Sul-
pice Sévére (cf. les lexiques).
213 PSEUDO-MATTHIEU IX,1-X, 1

IX. 1. Altera autem die ! dum Maria staret juxta fon- |


tem ut urceolum impleret, apparuit e1 angelus Domini et |
dixit : « Beata es Maria, quoniam in utero tuo habitaculum
Domino præparasti ?. Ecce veniet lux de cælo ut habitet 3
in te, et per te universo mundo resplendebit. »
2. Iterum 4 tertia die dum operaretur purpuram digitis
suis, ingressus est ad eam juvenis, cujus pulchritudo non
potuit enarrari. Quem videns Maria expavit et contre-
mult. Cui ille ait 5 : « Noli timere, Maria, invenisti gratiam
apud Deum : ecce concipies in utero 5 et paries regem ?, qui
imperet non solum in terra sed et in cælis 8, et regnabit in
sæcula seculorum. »

X. 1. Cum haec agerentur, Joseph in Capharnaum ma-

1 E: Beata ergo Maria dum...


? D) omet cette première phrase. — C et E lisent à la place de
in utero tuo : in mente(m) tua (m). — E ajoute : Deo à Domino.
3 A, B : et habitabit.
4 C, E : item.
5 Avant noli timere plusieurs mss. lisent : À : Ave Maria, gratia
plena, dominus tecum, etc. (sic). — B, D: Ave Maria, gratia plena
Dominus tecum, benedicta tu in mulieribus, et benedictus fructus
eentris tui, et B ajoute de plus : Que cum audivit, tremuitetexpagit.
Tunc angelus Domini adjunxit.
$ B ajoute : de Spiritu Sancto qui obumbrabit tibi.
* D ajoute : et filium. — B : et vocabitur nomen ejus Emmanuel.
8 A, B lisent : qui non solum terram implet sed caelum.

IX. L'économie générale du récit de l'Annonciation reste la méme


que dans le Protévangile: il y a la première annonciation à la fontaine,
et l'annonciation rapportée par saint Luc.
4. Pourtant la première scène est plus développée que dans le Proté-
vangile. Au lieu d'entendre simplement une voix qui lui adresse une
parole de salutation, Marie voit un ange qui lui annonce sous une for-
B IX 4-X 1 PSEUDO-MATTHIEU 313

IX. 4. Or le lendemain, tandis que Marie se tenait près


de la fontaine pour emplir sa cruche, un ange du Seigneur
lui apparut et lui dit :« Tu es bienheureuse, ó Marie, parce
que dans ton sein tu as préparé un sanctuaire pour le Sei-
gneur. Voici que la lumiére viendra du ciel pour habiter
en toi; et par toi elle resplendira dans le monde entier. »
2. Derechef le surlendemain, alors que de ses doigts
elle travaillait la pourpre, un jeune homme d'une beauté
inénarrable entra chez elle. En le voyant, Marie fut saisie de
frayeur et se mit à trembler. Il lui dit:« Ne crains point,
Marie, tu as trouvé gráce devant Dieu, voici que tu conce-
vras en ton sein et que tu mettras au monde un roi, qui
commandera non seulement sur terre, mais encore dans les
cieux, et qui régnera dans les siècles des siècles. »

X. 1. Tandis que se passait tout ceci, Joseph était occupé

me non voilée sa maternité divine. Les mots beata es Maria, etc., sem-
blent être l'écho d’une formule liturgique, — Lux de cælo, allusion au pro-
logue de saint Jean, r, 9: Eratlux vera quz illuminat omnem hominem
venientem in hunc mundum. L'idée est heureuse de raccorder ainsi
les deux prologues de saint Luc et de saint Jean.
2. Tertia die, dans le Protévangile, c'est immédiatement après le retour
de Marie de la fontaine.— Juvenis, cf. plus haut' rir, 1.—Purpuram fait al-
lusion au trait mentionné dans Protée.. x1, 1. Le thème de Marie tenant la
pourpre à la main au moment de l'annonciation était devenu classique.
— Noli timere, l'absence de la salutation de Luc., r, 28, tient à ce que l'au-
teur du remaniement serre d'assez prés le récit du Protévangile, lequel
avait mis la salutation auprès de la fontaine. Comme cette salutation
manque ici, l'équilibre du récit n'est pas conservé, On remarquera en
outre la suppression detout dialogue. L'auteur est censé renvoyer à
l'Évangile canonique. — La substitution de regem qui imperet, etc., aux
mots de l'Évangile s'explique par l'influence de Sedulius, Carm. Pasch.,
11, 63 sq. : Salve sancta. parens, enixa puerpera Regem qui calum ter-
ramque tenet per sæcula etc., auquel notre auteur a déjà emprunté
plusieurs expressions.
X. 4. Mensibus novem, neuf mois depuis qu'il avait reçu Marie dans
sa maison; comme, d'après l'auteur, l'annonciation
a dü avoir lieu peu
314 PSEUDO-MATTHIEU X, 12

ritima erat in opere occupatus 1, erat enim faber ligni : ubi


moratus est mensibus novem. Reversusque in domum

|
suam invenit Mariam prægnantem. Et totus contremuit et
positus in angustia exclamavit et dixit : « Domine Deus,
accipe spiritum meum, quoniam melius est mihi mori
|
|
quam vivere. » Cui dixerunt virgines quæ cum Maria
erant : « Quid ais, domine Joseph ?? Nos scimus quoniam
vir non tetigit eam; nos scimus quoniam integritas et
virginitas in ea immaculata perseverat 3, Nam custodita
est a Deo, semper in oratione nobiscum permansit 4, quo-
tidie cum ea angelus Domini loquitur 5; quotidie de manu
|
angeli escam accepit. Quomodo fieri potest ut sit aliquod PT
a

peccatum in ea? Nam si suspicionem nostram tibi vis ut |


pandamus, istam gravidam non fecit nisi angelus Dei 6, »
2. Joseph autem dixit : « Ut quid me seducitis ut credam «
vobis quia angelus Domini imprægnavit eam? Potest '
enim fieri ut quisquam sefinxerit angelum Domini et de- -
ceperit eam.» Et hec dicens flebat et dicebat : « Qua fronte :
ad templum Dei iturus sum ? ? Qua facie visurus sum

1 A, B : Joseph in fabricandis tabernaculis regionum maritima-


rum erat opere pra&occupatus.
? C, D omettent ce premier membre. er

3 E: quia mentis integritas et virginitas in ea perseverantes. im-


maculatz custoditz sunt ab ea.
4 E : semper enim in Domino, semper in oratione permansit.
5 A, B: angeli Dei loquuntur.
6 A ajoute : qui eam imprægnavit. — B alu: Non sit in tealiqua
suspicio de ipsa quia non nisi Spiritus Sanctus graeidam eam fecit.
7 A, B : respiciam.

de temps après l’arrivée de Marie chez Joseph, la grossesse de la Vierge


devait être déjà trés avancée. — Cui dixerunt virgines, Joseph ne fait
point part de ses angoisses et de ses soupçons à la Vierge elle-même»
elle est déjà trop élevée dans la pensée populaire, et Joseph lui aussi
est devenu un saint; les auteurs latins mettraient difficilement dans

dun
ni

X, 1-2 PSEUDO-MATTHIEU 315
à ses travaux, à Capharnaüm du bord de la mer, car il
était charpentier; 1] y demeura neuf mois. Et rentré dans
sa maison, il trouva Marie enceinte. Il trembla de tous ses
membres et plein d'angoisse il s'écria : « Seigneur Dieu,
reçois mon esprit, car il me vaut mieux mourir que vivre.»
Les vierges qui étaient avec Marie lui dirent :« Que dis-tu,
seigneur Joseph ? Nous savons bien, nous, qu'aucun
homme ne l'a touchée; nous savons que son intégrité et
que sa virginité demeurent sans tache. Car elle a été gardée
par Dieu; elle est toujours demeurée en priére avec nous;
chaque jour un ange du Seigneur converse avec elle, cha-
que jour c'est de la main d'un ange qu’elle reçoit sa nour-
riture, Comment peut-il se faire qu'un péché soit en elle?
Et vraiment si tu veux que nous te dévoilions nos soup-
cons, ce n'est pas un autre qu'un ange de Dieu qui l'a ren-
due enceinte. » 2. Et Joseph leur dit : « Pourquoi chercher
à me tromper et à me faire croire que c'est un ange du
Seigneur quil'a rendue enceinte ? Il est possible, en effet,
qu'un homme se soit fait passer pour un ange du Sei-
gneur et l’ait trompée. » Et ce disant il pleurait et s'é-
criait : « De quel front irai-je (maintenant) au temple de

sa houche les paroles que nous avons signalées chez certains auteurs
grecs. On ne lui fera plus tenir les propos qu'il tient dans le Protévan-
gile. De méme, c’est aux compagnes de Marie et non plus à Joseph
qu'est attribuée l'idée bizarre que la conception de Marie serait dueà
un ange.
2. Seducere, non pas séduire, mais chercher à tromper. — Potest autem
fieri, elle n'a pas été séduite à proprement parler, elle a été trompée
sur la qualité de celui qui lui parlait. C'est là une excuse pour Ma-
rie, mais non pour Joseph, puisqu'il aurait dà veiller avec soin sur
les relations de Marie. C'est pourquoi Joseph est dans un si grand
désespoir. La faute retombe tout entiére sur lui. On remarquera la
parenté étroite entre ces paroles de Joseph,et celles de Protes., xim, 1.
— Occultare se et dimittere eam, dans le Protévangile, aussi bien que
dans Matth., 1, 19, il semble que Joseph veuille secrètement renvoyer
Marie. Cette solution ne parait plus convenable à notre auteur;
s'emparant des mots de la Vulgate : voluit occulte dimittere eam, ilima-
316 PSEUDO-MATTHIEU X, XI

sacerdotes Dei? Quid facturus sum? » Et hec dicens cogi-


tabat occultare se et dimittere eam !,

XI. Cumque ordinasset in nocte exsurgere ut fugiens


habitaret in occultis ?, ecce in 1psa nocte apparuit ei in
somnis angelus Domini, dicens : « Joseph, fil David, noli
timere accipere Mariam conjugem tuam, quoniam quod in
utero ejus est, deSpiritu Sancto est. Pariet autem filium
qui vocabitur Jesus ?, ipse enim salvum faciet populum
suum a peccatis eorum.» Exsurgens autem Joseph a som-
mo gratias egit Deo suo et locutus est Mariz et virginibus
quæ erant cum ea et narravit visum suum. Et consolatus
est super Maria 4 dicens : « Peccavi, quoniam suspicionem
aliquam habui in te. »

XII. 1. Factum est autem post hzc et exiit rumor quod


Maria esset gravida. Et comprehensus a ministris templi
Joseph ductus est ? ad pontificem, qui una cum sacerdoti-
bus ccpit exprobare ei et dicere : «Ut quid fraudatus es
nuptias tantæ ac talis virginis 6, quam angeli Dei sicut
columbam in templo nutriebant, quae virum nunquam
nec videre voluit, quæ in lege Dei eruditionem optimam
habuit. Tu autem si ei violentiam non fecisses, 1lla hodie
virgo perseverasset 7. » Joseph autem devotabat se ju-

1 A, B :cogitabat ut fugiens dimitteret eam.


? A, BD : exsurgere et occultare se et habitare in occultis.
3 B: et vocabis nomen ejus Jesum. A, D : et vocabitur nomen
ejus Jesus.
4 [): Et consolatus super Mariam ait.—B: et consolatus est Mariam.
5 A, B ajoutent : cum Maria.
6 E : fraudator extitisti tantæ et tali virgini.
7 A, B, D : adhuc in virginitate sua permansisset.

gine que Joseph, laissant Marie dans sa maison, va s'enfuir. De cette


manière il semble prendre sur lui toute la faute, et 1l sauvegarde, au-
tant que faire se peut, l'honneur de la Vierge. Plus tard,on donnera
ἘΠ ΧΙ 1 PSEUDO-MATTHIEU 317

Dieu ? De quel air regarderai-je les prêtres de Dieu? Que


ferai-je?» Et ce disant 1l pensait à se cacher et à l'aban-
donner.

XI. Il avait décidé de se lever la nuit et de fuir pour


habiter dans un lieu caché, quand, cette nuit méme, voici
que lui apparut en songe un ange du Seigneur, qui lui dit :
« Joseph, fils de David, ne crains point de prendre Marie
pour ton épouse, car ce qui est dans son sein vient du Saint-
Esprit. Elle enfantera un fils qui sera appelé Jésus; car il
sauvera son peuple de ses péchés. » Et Joseph se levant
aprés son sommeil rendit grâces à son Dieu, et parla à
Marie et aux vierges qui étaient avec elle, et leur raconta
sa vision. Et 1l se consola au sujet de Marie, en disant :
« J'a1 péché, car j'ai eu quelque soupçon sur toi. »

XII. 1. Or aprés cela il arriva que le bruit se répandit


de la grossesse de Marie. Saisi par les serviteurs du temple,
Joseph fut conduit au grand-prétre, qui, de concert avec
les prétres, se mit à lui faire des reproches et à lui dire :
« Pourquoi as-tu dérobé le mariage à cette vierge si grande
et si belle, que les anges de Dieu ont nourrie comme une
colombe dans le temple, qui Jamais méme n'a voulu voir
d'homme, et qui était si instruite de la loi de Dieu? Si tu
ne lui avais pas fait violence, elle serait encore vierge au-

à la retraite de Joseph un autre motif. Comprenant que Marie est la


virgo paritura prédite par Isaie, et se voyant indigne de l'honneur qui
lui est fait, Joseph veut se retirer. Cette explication que l'on trouve dans
Béde, Hom., v, In vigilia nat. Dom., P. L., t. xciv, col. 31, deviendra
classique au moyen áge; elle est tout à l'honneur du saint patriarche.
XI. Habitaret i noccultis, cf. supra. — Quod in utero ejus est ; la Vulgate
lit : quod enim in ea natum est. L'auteur a suivi la leçon du Proté-
vangile : τὸ ἐν αὐτῇ ὄν.
XII, 4. Rumor, l'épisode du scribe Annas esten effetsupprimé,— Frau-
datus es nuptias, traduction littérale du Protévangile : τοὺς γάμους ἔχλεψας,
— C'est Joseph qui est le premier accusé; dans le texte primitif la sévé-
318 PSEUDO -MATTHIEU XII, ü

rans ! quia nunquam tetigisset eam ?. Cui Abiathar pon-


tifex dixit : « Vivit Deus quoniam modo te faciam po--
tare aquam probationis Domini et statim apparebit pee-
*
catum tuum. »
2. Tum congregata est omnis multitudo Israel, que |
dinumerari non poterat, et adducta est etiam Maria ad
templum Domini?. Sacerdotes vero et affines ac parentes
ejus flentes dicebant ad Mariam : «Confitere sacerdotibus
peccatum tuum, quz eras sicut columba in templo Dei
et accipiebas cibum de manu angeli. » Vocatus est autem
et Joseph ad altare et data est ei aqua probationis Domi-
ni; quam si gustasset homo mentiens et septies circuisset
altare, dabat Deus signum aliquod in facie ejus.Cum ergo …
bibisset securus Joseph et girasset altare, nullum signum
peccati apparuit in eo. Tunc sanctificaverunt eum sacer-
dotes omnes et ministri et populi dicentes :« Beatus es tu
quoniam non est inventus reatus in te,» 3. Et vocantes Ma-
riam dixerunt ei :« Tu, quam excusationem poteris habere,
autquod signum majus apparebitin te quam hoc quod pro-
dit te conceptus ventris tui ^? Hoc solummodo a te requiri-

1 A : jurans decoeit. — B : cepit detestari firmiter.


? E : quod nunquam eam penitus vir tetigisset.
3 B: Tunc congregata est maxima pars eirorum in templo Do-
mini et mulierum, ut in judicium ejus prospicerent.
4 E: et quod signum apparebit in te, quia prodit te conceptus uteri
iui.

rité est d'abord pour Marie. —Nec videre voluit, allusion au vœu de la
Vierge, c'est un vœu de virginité parfaite.— Devotabat se, jurait ses
grands dieux, On remarquera la variante de E:«Joseph jurait qu'au-
cun homme n'avait jamais touché Marie, » Leçon inexacte, Joseph ne
doit pas révéler le secret qu'il tient de l'ange. — Aquam potationis Do-
mini, tous les mss. lisent ainsi, mais on a un sens bien plus satis-
faisant en lisant, aquam probationis Domini, qui est la traduction lit-
térale de ὕδωρ ἐλέγξεως.

|
TI 4:3 PSEUDO-MATTHIEU 319

jourd'hui. » Et Joseph invoquait Dieu et jurait que jamais


1] ne l'avait touchée. Et le grand-prêtre Abiathar lui dit :
« Vive Dieu, je te ferai boire de l'eau d’épreuve du Seigneur
et aussitót apparaitra ton péché. »
2. Alors se rassembla toute la multitude d'Israél, si
nombreuse qu'on ne pouvait la compter, et Marie fut ame-
née elle aussi dans le temple du Seigneur. Prétres, alliés
et parents, tout en larmes, disaient à Marie : « Confesse au
prêtre ton péché, toi qui étais comme une colombe dans le
temple de Dieu, et qui recevais ta nourriture de la main
d'un ange. » Or on appela Joseph à l'autel, et on lui donna
de l'eau d'épreuve du Seigneur. Si un homme y goûtait
aprés avoir menti, et faisait sept fois le tour de l'autel,
Dieu faisait paraitre un signe quelconque sur son visage.
Quand Joseph en eut bu avec confiance et eut tourné
autour de l'autel, nul signe de péché n'apparut en lui.
Alors tous les prêtres avec les ministres et le peuple le dé-
clarérent saint, en disant : « Tu es heureux puisqu'il ne
s'est pas trouvé de crime en toi. » 3. Et appelant Marie, ils
lui dirent : « Et toi, quelle excuse pourras-tu avoir? quel
signe plus grand pourra apparaitreen toi quecelui que trahit
l'état de ton sein ? Nous te demandons simplement ceci :

2. Qua dinumerari non poterat, phrase toute faite, empruntée à Apoc.,


vir, 9. — Etiam Maria, pour la confronter avec Joseph, qui proteste
de son innocence personnelle. Les deux accusés maintenant leurs dires,
il faut bien recourir au jugement de Dieu.— Quam si gustasset, il ne s'agit
plus que de trés loin de l'épreuve mentionnée, Num., v, 11-12; notre au-
teur n'aura pas reconnu sous le texte du Protévangile les dispositions
législatives de l'Ancien Testament. Il s'agit simplement ici d'une or-
dalie telle qu'en connaissait le moyen âge, — Septies circuisset altare,
cette particularité est mentionnée par le Talmud à propos de l'épreuve
prescrite, Num., v ; Talmud, Sota, 1, 6. — In [acie ejus, dans Num.,
c'est la stérilité qui est le châtiment du conjoint infidèle. — Sancti-
ficaverunt eum, le déclarérent saint.
3. Quam excusationem, Joseph étant innocent, Marie est certaine-
ment coupable. L'auteur insiste avec quelque lourdeur sur ce raison-
nement.
320 PSEUDO-MATTHIEU XII, 35
mus, ut, quia Joseph mundus est a te, confitearis quis est
qui te decepit. Melius est enim ut te tua confessio prodat,
quam ira Dei dans signum in facie tua in medio populi te
manifestet. » Tunc Maria constanter et intrepida dixit ! :
« $1 est 1n me aliqua pollutio aut aliquod peccatum, aut
fuit in me aliqua concupiscentia aut impudicitia, detegat |
me Dominus in conspectu omnium populorum, ut sim
omnibus emendationis exemplum. » Et accessit ad altare
Domini confidenter et bibit aquam probationis et septies
circuivit altare, et non est inventa in ea ulla macula 3.
4. Et cum omnis populus stuperet et hæsitaret, videntes |
conceptum ventris at nullum signum in facie ejus apparuis-
se, cceperunt inter se varia populiloquacitate turbari. Alii
dicebant sanctitatem ?, alu vero per malam conscientiam
accusabant eam 4. Tunc Maria videns suspicionem popu-
11 5, quod non ex integro fuisset purgata, omnibus audien-
tibus clara voce dixit :« Vivit Dominus Adonai exercituum
in cujus conspectu sto, quoniam virum nunquam cognovi;
sed nec cognoscere habeo, quia ab infantia setatis mes
in hoc mentem definivi $. Et hoc Deo meo votum feci ab
infantia mea, ut 1051 qui me creavitin integritate perma-
nerem, in quo me coufido 1psi soli vivere, et 1psi soli sine
aliqua pollutione quamdiu vixero permanere.» 5. Tunc

1 A : dizit : Domine Deus rex omnium qui es conscius secretorum,


si est, etc.
? E: Et non est ineentum nec signum, neque vestigium alicujus
peccati in ea.
3 D ajoute : ez innocentia.
4 E : Alius dicebat sanctitatem, alius vero mala(m) conscientia(m)
accusabat.— B : Alii dicebant quod pro mala conscientia accusabant
eam ;alii dicebant : Grande signum est illud.
5 C, D : populi suspicionem non ez integro fuisse purgatam.
$ Au lieu de ce texte qui est celui de C, D, on lit dans A, B : sed
ab eo cognoscor cui ab infantia mez statis mentem meam deveosi.

ἀ. Εἰ hæsitaret, dans le Protévangile, le peuple admire et glorifie Dieu,


XII, 3-5 PSEUDO-MATTHIEU 321

puisque Joseph est pur en ce qui te concerne, avoue le nom


de celui quit’a séduite. Mieux vaut en effet que ton aveu te
livre, que de voir la colère de Dieu te marquer au front et
te démasquer au milieu du peuple. » Alors Marie, pleine de
constance et d'intrépidité, s'écria : (S'il y a en moi quelque
souillure et quelque péché, s'il y a eu en moi concupiscence
ou impureté, que le Seigneur me démasque en présence de
tout le peuple, pour être à tous un exemple de châtiment, »
Et elle s'approcha avec confiance de l'autel du Seigneur,
but l'eau d'épreuve et fit sept fois le tour de l’autel, et il
ne se trouva en elle aucune tache.
4. Et tout le peuple était dans la stupeur et l'attente;
on voyait son état, et pourtant nul signe n'était apparu sur
son visage; les gens se mirent donc à bavarder diverse-
ment sur son compte avec quelque tumulte. Les uns pro-
clamaient sa sainteté, mais d'autres par mauvaise con-
science l'aecusaient. Alors Marie, voyant les soupcons du
peuple, et qu'elle n'était point complétement justifiée, dit
à haute voix à tous ceux qui écoutaient: « (Aussi vrai
qu'Jest vivant le Seigneur Dieu des armées en présence de
qui je me tiens, jamais Je n'ai connu d'homme, et. méme je
n'ai point à en connaitre, puisque dés mon enfance j'en ai
pris la décision. Oui, j'a1 fait ce vœu à mon Dieu, depuis
mon enfance, de vivre dansla chasteté pour celui qui m'a
créée. J'ai confiance d'y vivre pour lui seul, et pourlui seul
d'y persévérer sans souillure, tant que Je vivrai.» 5. Tous
alors l'embrassérent en la priant de leur pardonner leurs

E
Pseudo-Matthieu se rappelle que ce sont des Juifs qui sont en cause,
et il les dépeint comme des incrédules. Le Protévangile n'avait pas cette
note aigre à l'endroit du judaisme. — V ieit Dominus, c'est la manière
dont la Vulgate traduit régulièrement la formule de serment : Z% ὁ
χύριος.- Et hoc Deo meo. votum feci, etc., on croirait une formule de
vœux monastiques; les expressions ont une saveur liturgique.
5. Clamantes et dicentes, réminiscence verbale de l'antienne du di-
manche des Rameaux : Pueri Hebræorum ... clamantes et dicentes,
PROTÉV. — 21
322 PSEUDO-MATTHIEU XIL
5- XIIL 4 4

omnes osculabantur ! eam rogantes ut malis suspicionibus. P4

eorum daret indulgentiam. Et deduxerunt eam omnes. F


populi et sacerdotes et omnes virgines cum exultatione
:
et gaudio usque ad domum suam, clamantes et dicentes : 1
« Sit nomen Domini benedictum, qui manifestavit sanc-
titatem tuam universz plebi Israel. »

XIII. 1. Factum est autem post aliquantum tempus ut


fieret professio ex edicto Caesaris Augusti, ut profiteretur 3
unusquisque in patria sua. Hzc professio ? facta est a |
preside Syrie Cyrino. Necesse autem fuerat ut Joseph
cum Maria proficisceretur in Bethleem, quia exinde erat,
et Maria de tribu Juda et de domo ac patria David. Cum
ergo Joseph et Maria irent per viam quae ducit Bethleem,
dixit Maria ad Joseph: « Duos populos video ante me,“
unum flentem et alium gaudentem.» Cui respondit Jo-
seph : « Sede et tene te in jumento tuo et noli superflua -
verba loqui. » Tunc apparuit puer speciosus ante eos indu- |
tus veste splendida 4, et dixit ad Joseph: «Quare dixisti
verba superflua esse de duobus populis de quibus locuta
est Maria? Populum enim Judaeorum flentem vidit, quia
recessit a Deo suo, et populum gentium gaudentem, quia
accessit et prope factus est ad Dominum, secundum quod
promisit patribus nostris ? Abraham, Isaac et Jacob;

1 D : omnes osculantes eam, amplectentes genua, ejus, rogantesque


eam. —4A, B : omnes ceperunt osculari pedes ejus et genua ejus am-
plecti, rogantes eam.
? C : ut proficisceretur.
3 C ajoute : prima ; D, D : primo.
4 B :tunc apparuit ei angelus Domini indutus veste splendida.
5 D : vestris.

XIII, 1. Ut profiteretur. unusquisque, abandonnant l’idée de son


modèle, qui restreignait le recensement à Bethléem, l'auteur se ratta-
che délibérément à saint Luc, 11, 1-2, auquel il emprunte méme la
donnée de Cyrinus. — Et Maria de tribu Juda, etc., Luc., 11, 4, avait seu-

T
XII, 5 - XIII, 1 PSEUDO-MATTHIEU 323

mauvais soupçons. Et ils la reconduisirent tous, peuple,


prétres et vierges avec exultation et joie Jusqu'à sa maison,
criant et disant :« Que le nom du Seigneursoit béni, lui
qui a manifesté ta sainteté à tout le peuple d'Israél.

XIII. 1. Or il arriva, trés peu de temps aprés, qu'un


recensement eut lieu, suivant un édit de César Auguste :
chacun devait se déclarer dans son lieu d'origine. Ce recen-
sement fut fait par le gouverneur de Syrie Cyrinus. Or il
était nécessaire que Joseph partitavec Marie pour Bethléem,
parce qu'il en était originaire, et que Marie était de la
tribu de Juda et de la maison et de la patrie de David.
Lors done que Joseph et Marie s'avangaient par la route
qui conduit à Bethléem, Marie dit à Joseph : « Je vois deux
peuples devant moi, l'un qui pleure, l'autre qui est dans la
joie. » Joseph lui répondit : « Reste assise et tiens-toi bien
sur ta monture, et ne dis point de paroles superflues. »
Alorsapparut devant eux un bel enfant, revétu d'une robe
éclatante; il dit à Joseph : « Pourquoi as-tu appelé super-
flues les paroles sur les deux peuples dont a parlé Marie?
Elle a vu, en effet, le peuple des Juifs pleurer, parce qu'il
s'est éloigné de son Dieu, et le peuple des gentils se réjouir,
parce qu'il est arrivé et s'est approché du Seigneur, selon
qu'il l'a promis à nos pères Abraham, Isaac et Jacob. Le

lement indiqué l'origine davidique de Joseph; Ps.-Matthieu accentue


- le fait que Marie est, elle aussi, de la famille de David.— Duos populos
video, le texte primitif faisait de ces mots une réponse de Marie à la
question de Joseph, ici le récit est moins naturel: il n'est pas fait men-
tion de l'effet que produit cette vision sur la physionomie de Marie, —
Sede el tenete. Pourquoi les paroles de Marie sont-elles oiseuses ? Il se
pourrait qu'il y ait trace d'une observance monastique; dans l'idée de
Joseph, Marie manquerait à la régle du silence. — Puer speciosus,
l'ange parait plus ordinairement sous les traits d'un jeune homme. —
Cette intervention de l'ange est trés mécanique, comme plus haut virt,
9; c'est à lui qu'il appartient de donner l'explication des faits qui échap-
324 PSEUDO-MATTHIEU XIII, 4-33

tempus enim advenit ut in semine Abrahæ benedictio


omnibus gentibus tribuatur.
2. Et cum hoc dixisset, jussit angelus stare jumentum
quia tempus advenerat pariendi; et precepit descendere
de animali Mariam et ingredi in speluncam subterraneam,
in qua lux non fuit unquam sed semper tenebre, quia
lumen diei penitus non habebat. Ad ingressum vero Marie
ccepit tota speluncasplendorem habere et quasi solibi esset
ita tota fulgorem lucis ostendere; et quasi esset 101 hora
diei sexta ita speluncam lux divina illustravit; nec 1n die
nec in nocte lux divina defuit quamdiu 101 Maria fuit. Et
ibi peperit ! masculum, quem circumdederunt angeli
nascentem et natum adoraverunt dicentes ?: « Gloria in
excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonz voluntatis. »
3. Jam enim dudum Joseph perrexerat ad quærendas
obstetrices. Qui cum reversus esset ad speluncam,
Maria jam infantem genuerat 3. Et dixit Joseph ad
Mariam : « Ego tibi Zelomi et Salomen obstetrices ad-
duxi, qua foris ante speluncam stant et præ splendore
nimio huc introire non audent. » Audiens autem hec Ma-

1 Bajoute: sine dolore.


? A, B : quem angeli statim circumdederunt nascentem, quem na-
Lum et super pedes suos mox stantem adoraverunt dicentes.
3 A, B : Jam enim nativitas Domini adeenerat, et Joseph perrexerat
quarere obstetrices, qui cum invenisset reversus est ad speluncam et
invenit cum Maria infantem quem genuerat.

pent à Joseph. — Populum Judæorum, au lieu de la distinction entre


croyants et incroyants, qu'avait en vue le Protévangile. Pseudo-Mat-
thieu oppose les Juifs aux Gentils.
2. Quia tempus advenerat pariendi, ce n’est pas Marie qui ressent
les premiers symptômes de la délivrance prochaine; c'est l'ange qui
déclare que l'heure est arrivée; les expressions du Protévangile auraient
pu laiser croire que Marie avait connu les douleurs de l’enfantement.—
Speluncam, c'est la méme idée que dans le récit primitif, il s'agit d'une
grotte qui ne saurait en aucune maniére servir d'habitation, ni mé-
XIII, 1-3 PSEUDO-MATTHIEU 325

temps est venu en effet où, dans la postérité d'Abraham


la bénédiction doit être accordée à toutes les nations.
2. Ayant dit cela, l'ange fit arrêter la monture, parce
que le temps de l'enfantement était arrivé, et il ordonna à
Marie de descendre de l’animal et d’entrer dans une grotte
souterraine, où 1l n'avait Jamais fait jour, mais où toujours
(avaient régné) les ténèbres parce que la lumière du jour
n’y pénétrait jamais. Mais à l’entrée de Marie toute la
grotte commença de s'illuminer et de présenter l'éclat de la
lumière, comme si le soleil y eut été; et la lumière divine
éclaira la grotte, comme s’il eut été midi, et ni jour ni nuit
la lumière divine n’y manqua tant que Mariey séjourna.
C'est là qu'elle mit au monde un fils; les anges l’entourè-
rent au moment de sa naissance, et quand 1l fut né, 115
l'adorérent en disant : « Gloire à Dieu dans les hauteurs
et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté. »
3. Or depuis un certain temps Joseph était sorti à la re-
cherchedesages-femmes.Et quand ilrevintàla grotte, Marie
avait déjà mis au monde l'enfant. Et Joseph dit à Marie :
« Je t'a1 amené les sages-femmes Zélomi et Salomé, qui se
tiennent à l'extérieur devant la grotte, et à cause de cette
excessive clarté n'osent point entrer ici. » Or en enten-

me d'étable, c'est à quoi visent les répétitions embarrassées qui sui-


vent. — Ad ingressum Mariæ, dans le Protévangile, la lumière semble
se rapporter davantage à Jésus; d'ailleurs, Ps.-Matth. n'a pas les mé-
mes gradations que son modèle. C'est d'un seul coup la grande clarté,
qui ne cessera plus ni jour ni nuit tant que Marie fera séjour dans la
grotte.— Ei ibi peperit, cf. Luc., 11, 7, et peperit filium suum primogeni-
tum, mais le dernier mot a été supprimé, pour éviter toute difficulté.
Dans le Protévangile Joseph et la sage-femme étaient. à distance, té-
moins de l'enfantement. Seuls les anges sont ici les témoins de la nais-
sance du Christ; on remarquera la curieuse leçon de A, B.
3. L'épisode des sages-femmes diffère en plusieurs points de celui
qu'avait raconté le Protévangile. Le nom de Zélomi qui est donné à
la première n'est qu'une corruption du nom de Salomé. Comme elle
^ n'a pas été témoin de l'enfantement et qu'elle n'a pas été instruite
par Joseph de l'origine mystérieuse du nouveau-né, il est nécessaire
RSS

326 . PSEUDO-MATTHIEU XIII,3-4

ria subrisit. Cui Joseph dixit: « Noli subridere sed cauta


esto !, ne forte indigeas medicina. » Tune jussit unam
ex eis ? intrare ad se, Cumque ingressa esset Zelemi ? ad”
Mariam, dixit : « Dimitte me ut tangam te.» Cumque
permissiset se Maria tangi, exclamavit voce magna obste-
trix et dixit : « Domine, Domine magne, miserere, Nun- |
quam hoc auditum est nec in suspicione habitum, ut
mamillæ plenæ sint lacte et natus masculus matrem
suam virginem ostendat. Nulla pollutio sanguinis facta
estin nascente, nullus dolor in parturiente. Virgo con-
cepit, virgo peperit, virgo permansit. » 4, Audiens hane
vocem alia obstetrix nomine Salome dixit:« Quod ego
audio non credam nisi forte ipsa probavero 4, » Et in-
gressa Salome ad Mariam dixit : « Permitte me ut pal-
pem te et probem utrum verum dixerit Zelomi. » Cum-«
que permisissiet Maria ut eam palparet, misit manum
suam Salome. Et cum misisset et tangeret, statim aruit
manus ejus, et pre dolore ccepit flere vehementissime
et angustari et clamando dicere : « Domine, tu nosti
quia semper te timul et omnes pauperes sine retributione
acceptionis curavi, de vidua et orphano nihil accepi,
et inopem vacuum a me ire nunquam dimisi. Et ecce
misera facta sum propter incredulitatem meam, quia
ausa fui temptare virginem tuam 5, »

1 A, B ajoutent : ut te visitent.
? A, B : eas intrare.
3 A, B ajoutent : Salome non ingressa.
4 B: Quod audio, nisi probavero certe non credam. Ingressa ad
beatam virginem dixit : Volo probare palpando te utrum verum sit
quod dixit Zelomi.
5 A, E ajoutent: qua peperit (À venit?) lumen verum, et post
partum eirgo permansit.

qu'elle acquière une connaissance expérimentale de la virginité de


Marie. Mais aussitót elle a foi au mystére de l'enfantement virginal.
XIII, 3-4 PSEUDO-MATTHIEU 327

dant ces paroles, Marie se prit à sourire, et Joseph lui dit :


« Ne souris pas, mais sois prudente, tu pourrais bien avoir
besoin de secours. » Alors (Marie) laissa entrer une des
sages-femmes auprès d'elle. Et Zélomi étant entrée dit
à Marie: « Permets-moi de tetoucher.» Et Marie l'ayant
permis, la sage-femme poussa un grand cri et dit : « Sei-
gneur, Seigneur grand, pitié. Non jamais on n'a entendu
dire, jamais on n’a même soupçonné que des mamelles
aient pu se remplir de lait, et qu'un fils ait pu naitre en
manifestant la virginité de sa mère. Nulle souillure de sang
en celui qui est né, nulle douleur en celle qui a mis au mon-
de. Vierge elle a concu, vierge elle à enfanté, vierge elle est
demeurée. » 4, Entendant ces paroles, l'autre sage-femme
nommée Salomé s'écria :« Ce que j'entends, je ne le croirai
pas à moins que Je ne le constate moi-méme. » Et Salomé
s'approchant de Marie lui dit : « Permets que Je te touche
et que je constate si Zelami a dit vrai. » Et Marie lui ayant
permis de la toucher, Salomé avanca la main; mais sitót
qu'elle eut touché Marie, sa main se dessécha et de douleur
elle se prit à pleurer trés haut, à pousser des sanglots, et
elle s'écria :« Seigneur tu sais que toujours je t'ai craint,
que tous les pauvres je les ai soignés sans recevoir de
rétribution. Je n’ai rien recu de la veuve et de l'orphelin,
et jamais Je n'ai renvoyé de chez moi les mains vides celui
qui était dans la misère. Et voici que Je suis devenue mal-
heureuse à cause de mon incrédulité, parce que j'ai eu
l'audace de toucher à ta Vierge. »

— Nulla pollutio sanguinis, point surlequel insistent fréquemment les


auteurs latins; l'absence de souillureest le signe extérieur de l'enfante-
ment virgiual, — Virgo concepilt..., c'est l'expression dont se sert l'ensei-
gnement ecclésiastique, cf. la formule du concile de Latran sous
Martin Ier : Mariam incorruptibiliter genuisse, indissolubili permanente
et post partum ejusdem virginitate. Denzinger, Enchiridion, n. 204.
4. L'attitude de Salomé est la mérae que dans le Protévangile:
elle ne veut pas croire sur la parole de sa compagne;il lui faut, une
vérification expérimentale. — Angustari, être étouflée par les sanglots.
328 PSEUDO-MATTHIEU XIII, 52 X

M
5. Cumque hzc diceret, apparuit juxia illam juvenis —
quidam valde splendidus dicens ei : « Accede ad infantem :
et adora eum, et continge de manu tua, et ipse salvabit te,
quia ipse est salvator seculi et omnium sperantium in
se. » Qua confestim ad infantem accessit, et adorans eum
tetigit fimbrias pannorum in quibus infans erat involutus,
et statim sanata est manus ejus. Et exiens foras clamare
ccpit et dicere magnalia virtutum quas viderat ! et qua
passa fuerat, et quemadmodum curata fuerat, ita ut ad
praedicationem ejus multi crederent.
6. Nam et pastores ovium ? asserebant se angelos vidisse
in medio noctis hymnum dicentes, Deum czli laudantes
et benedicentes, et dicentes quia natus est salvator om-
nium, qui est Christus Dominus, in quo restituetur salus
Israel 3. 7. Sed et stella ingens a vespere usque ad matuti-
num splendebat super speluncam, cujus magnitudo nun-
quam visa fuerat ab origine mundi. Et propheta qui fue-
rant in Jerusalem dicebant hanc stellam indicare nativi-
tatem Christi, qui restauraret promissionem non solum
Israel sed et omnium gentium 4.

1 B ajoute : in spelunca.
? E ajoute : qui erant in ipsis partibus venientes. — B : qui erant
in regione illa custodientes gregem suum.
3 B : dicentes : Gloria in excelsis Deo et in terra paz hominibus bo-
nz voluntatis.Qui et dixerunt : Natus est hodie saleator mundi qui...
^ E: qui restauraret, sicut promiserat non solum Israel, sed et
omnes gentes.

5. Adora eum, le Protévangile prescrivait seulement de toucher l'en-


fant; c'était Dieu le Père que Salomé adorait.— Fimbrias pannorum,
comme l'hémorrhoisse de saint Matthieu, 1x, 21, cf. Luc., vri, A4 : tetigit
fimbriam vestimenti ejus. — Clamare cepit, dans le Protévangile une
voix lui prescrivait de garder le silence jusqu'au moment de la présen-
tation de Jésus à Jérusalem.— Multi crederent comme à la prédica-
tion de la Samaritaine. Joa., 1v, 39.
6. Le Protévangile avait passé sous silence les bergers mentionnés par
XIII, 5-7 PSEUDO-MATTHIEU 329

5. Comme elle disait ces mots, apparut auprès d’elle un


jeune homme tout resplendissant de lumière, qui lui dit :
« Approche-toi de l'enfant, adore-le, et touche-le de ta
main, et 1l te sauvera, parce qu'il est le sauveur du monde,
et de tous ceux qui espèrent en lui. » Aussitôt elle s'appro-
cha de l'enfant, et l'adorant toucha le bord des langes
dans lequels l'enfant était enveloppé, et aussitót sa main
fut guérie. Et sortant de là,elle se mit à proclamer et à
raconter les miracles, qu'elle avait vus, ce qu'elle avait
éprouvé, et comment elle avait été guérie, en telle sorte
que beaucoup crurent à sa prédication.
6. Aussi bien des pasteurs de brebis affirmaient qu'ils
avaient vu des anges au milieu de la nuit, qui chantaient
des hymnes, louaient et bénissaient le Dieu du ciel, et
annoncaient qu'était né le Sauveur de tous, qui est le
Christ Seigneur, en qui sera rétablie la prospérité d'Israél.
1. De plus une grande étoile resplendissait au dessus de
la grotte depuis le soir Jusqu'au matin et jamais l'on n'en
avait vu de si grande depuis l'origine du monde. Et les
prophétes, qui étaient venus (?) à Jérusalem, disaient que
cette étoile indiquait la naissance du Christ, qui viendrait
accomplir les promesses (faites) non seulement à Israél,
mais à toutes les nations.

saint Luc, ayant voulu se rallier à saint Matthieu pour les récits de l'en-
fance, il avait laissé de côté le ITIe Évangile. Ps.-Matthieu n'éprouve
nulle difficulté de concilier les deux récits canoniques ; et bien qu'il
n'indique pas d'une facon expresse l'adoration des bergers, il laisse en-
tendre qu'il faut chercher dans saint Luc, un récit complet des événe-
ments. — Quia nalus est Saleator, cf. Luc., 11, 113, avec suppression carac-
téristique des mots in civitate David; en effet, la naissance de Jésus a eu
lieu en pleine campagne.
T. Stella ingens, cen'est pas l'étoile des mages, puisqu'elle demeure
continuellement au-dessus de la grotte, tandis que l'astre des mages
les guide. Cependant elle est décrite à peu prés dans les mémes termes
que l'étoile des mages,cf. Protev., xx1, 2.—Prophetæ qui fuerant, la phrase
est assez obscure; on peut entendre que les anciens prophètes d'Israél
avaient autrefois prédit la signification de cette étoile; ou bien 1]
330 PSEUDO-MATTHIEU XIV-XV, 1

XIV. Tertia autem die nativitatis Domini egressa est Ma--


ria de spelunca, et ingressa est stabulum, et posuit puerum -
in praesepio !,et bos et asinus? adoraverunt eum. Tune.
adimpletum est quod dictum est per Isaiam prep
dicentem : « Cognovit bos possessorem suum, et asinus
presepe Domini sui. » Ipsa autem animalia in medio eum t
habentes incessanter adorabant eum. Tunc adimpletum
est quod dictum est per Habacuc prophetam dicentem :
« In medio duorum animalium innotesceris.» In eodem
autem loco moratus est Joseph et Maria cum infante tri- |
bus diebus.

XV. 1. Sexta autem die ingressi sunt Bethleem, ubi im- |


pleverunt septimam diem. Octavo vero die cireumeidentes
puerum, vocatum est nomen ejus Jesus, quod vocatum est
ab angelo antequam in utero conciperetur. Postquam
autem impletæ sunt dies purgationis Marie, secundum
legem Moysi, tunc duxit Joseph infantem 3 ad templum
Domini. Cumque accepisset infans perithomen 4, obtule-
runt pro eo par turturum et duos pullos columbarum.

1. B ajoute : quia non erat ei locus magis aptus in diversorio con-


ditus.
? E: genua flectentes.
3 E : tulerunt illum in Hierusalem ad templum Domini.
4 A: parhithomum, parhithomus id est circumcisio. —D donne un
texte assez différent : ubi octaeo die circumciderunt puerum et voca-
tum est nomen ejus Jesus. Tertia decima vero die eenerunt magi ab
oriente. Suit le texte du ch. xvi; puis l'histoire des mages terminée :
Impletis igitur quadraginta diebus Joseph duzit infantem in tem-
plum Domini et obtulerunt, etc.

s'agirait des prophètes actuels qui, au bruit de l'événement, étaient


allés (avaient été) à Jérusalem, et qui donnaient du prodige cette inter-
prétation. Ce second sens, qui est plus conforme à la grammaire, est
peut-étre moins satisfaisant que le premier.
(Ae»
j
XIV-XV,1 PSEUDO MATTHIEU 334

XIV. Le troisième jour après la nativité du Seigneur,


Marie sortit de la grotte et entra dans une étable et elle
plaça l’enfant dans la crèche, et le bœuf et l’âne l’adorè-
rent. Alors s'accomplit ce qui avait été prédit par le pro-
phéte Isaïe, disant :« Le bœuf connait son propriétaire et
l'àne la créche de son Seigneur. » Or ces animaux, ayant
(l'enfant) au milieu d'eux,l'adoraient sans cesse. Alors
s'aecomplit ce qui avait été prédit par le prophéte Haba-
euc, disant :« Tu te manifesteras au milieu des deux ani-
maux. » Dans ce méme lieu Joseph et Marie restérent avec
l'enfant pendant trois jours.

XV. 1. Et le sixième jour(aprèsla naissance), ils entrèrent


à Bethléem où 1ls laissèrent s'écoulerle septième jour. Le
huitième, ils circoncirent l'enfant et on l’appela Jésus (du
nom) qui lui avait été donné par l'ange avant qu'il ne füt
conçu. Et lorsque les jours de la purification furent accom-
plis, selon la loi de Moïse, Joseph conduisit l'enfant au tem-
ple du Seigneur. Et quand il eut recu la circoncision, ils
offrirent pour lui une paire de tourterelles et deux petits de
colombe.

XIV. Egressa est Maria, c'est un changement de lieu motivé par le


désir de faire accorder le récit avec celui de saint Luc. Le méme chan-
gement de lieu est admis par Théophylacte, In. Matth., 11, P. G., t.cxxiit,
col. 165, il permet d'ailleurs de constater la réalisation de deux
prophéties, — /saiam, cf. Is., r, 3. — Habacuc dicentem, c'est la lecon
grecque de Hab., rrr, 2, ἐν μέσώ δύο ζῴων γνωσθήσῃ, que l'ancienne Vulgate
avait traduite littéralement : In medio duorum animalium innotes-
ceris. Saint Jérôme est revenu au sens de l'hébreu : Dominus opus
tuum, in medio annorum vivifica illud : « Ton œuvre, dans le cours
des âges, fais-la revivre. » On trouvera l'exposé des dillérents sens du
verset dans Cyrille d'Alexandrie (P. G., t. .xxz, col. 897) et dans Jé-
róme (P. L., t. xxv, col. 1309). La vieille version a persisté dans l'usage
liturgique, cf. Ollice de la Circoncision, VI* répons de matines.
XV. 1. Sexta die, ni la grotte de la nativité, nil'étable ne se trou-
vent à Bethléem. — A partir de la circoncision, les mss. adoptent divers
classements des faits. Le texte que nous avons adopté donne l'ordre sui-
332 PSEUDO-MATTHIEU XV,2-3

2. Erat autem in templo vir Dei perfectus et justus,


nomine Simeon, annorum centum duodecim !. Hic respon-
sum a Domino ? acceperat quia non gustaret mortem nisi
videret Christum Dei filium in carne. Qui cum vidisset
infantem, exclamavit voce magna dicens : « Visitavit
Deus plebem suam, et implevit Dominus promissionem
suam ?. » Et festinans 4 adoravit infantem. Et post hee
suscipiens eum in pallio suo 5 adoravit eum iterum et
osculabatur plantas ejus et dixit : « Nunc dimittis servum
tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace, quia
viderunt oculi mei salutare tuum, quod parasti ante
faciem omnium populorum, lumen ad revelationem gen-
tium et gloriam plebis tuæ Israel 6. »
3. Erat autem in templo Domini Anna prophetissa, fila
Phanuel,de tribu Aser, quz vixerat cum viro suo annis
septem a virginitate sua; et heec vidua erat jam per annos
octoginta quatuor; qua nunquam discessit a templo
Domini, jejuniis et orationibus vacans. Hæc 7 accedens

1 C. D : tredecim.
? B:a Spiritu S.
3 B: Visitavit et fecit redemptionem plebis suæ Israel benedictus
Dominus Deus noster.
^ B ajoute : se ad portam templi.
5 B : accepit in ulnas suas et dizit,
$ B ajoute : Et cum esset CXII annorum et vix posset se ipsum
regere, portaeit puerum in ulnis suis usque ad altare templi Domini.
Senex puerum portabat, sed puer senem regebat. Tunc locutus est
Jesus dicens : Exaudita est oratio tuo, Symeon. Et stupefacti sunt
omnes magistri templi de eerbo quod infans locutus est.
7 B : Quz dixit : Ecce positus est in ruinam et in resurrectionem
multorum in Israel, ipsius animam pertransibit gladius ut revelen-
tur ex multis cordibus cogitationes, qui seculi redemptio est. Tunc
reversi sunt cum eo parentes ejus in Bethleem.

vant : 1) huit jours après la nativité: circoncision; 2) trente-trois jours


plus tard (c'est-à-dire le quarantiéme jour après la naissance) : purifi-
E XV, 2-3 PSEUDO-MATTHIEU * 938

2. Or il y avait au temple un homme de Dieu parfait et


juste, nommé Siméon, àgé de cent douze ans. Il avait recu
du Seigneur l'assurance qu'il ne goüterait point la mort
avant d’avoir vu le Christ, fils de Dieu, dans la chair.
Ayant vu l'enfant, il s'écria à haute voix, disant : « Dieu a
visité son peuple et le Seigneur a accompli sa promesse. »
Et vite 1] adora l'enfant. Et aprés cela le prenant dans son
manteau 1] l'adora une seconde fois, et il lui baisait les
pieds, et il dit :« Maintenant, Seigneur, tu laisses partir ton
serviteur en paix, selon ta parole, puisque mes yeux ont vu
ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples,
lumière qui doit dissiper les ténèbres des nations et illus-
trer ton peuple d'Israél. »
3. Or il y avait aussi dans le temple du Seigneur une
prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser.
Elle avait vécu sept ans avec son mari depuis sa virginité,
et elle était veuve depuis quatre-vingt-quatre ans. Jamais
elle ne s'éloigna du temple du Seigneur où elle vaquait aux

cation de Marie et présentation de Jésus au temple; 3) les mages ne vien-


dront que postérieurement. Le ms. /) donne la disposition suivante :
1) circoncision; 2) treize jours aprés la naissance: adoration des mages;
3) quarante jours aprés la naissance : présentation au temple. C'est
uneautre manière de faire concorder Luc et Matthieu, D a certainement
pris pour guide l'usage liturgique.
— Perithomen — xspizopzv, cette ex-
pression ne se retrouve pas dans C et D; elleest inintelligible puisque
la circoncision de Jésus a déjà été rapportée un peu plus haut. L'au-
teur a dû trauscrire sans le comprendre quelque vieux texte qui si-
tuait au temple la cérémonie de la circoncision.
2. Simeon, l'épisode de Siméon est calqué de trés près sur Lue., 11,
25-32 ; cependant les paroles : Visitavit... sont empruntées à
Luc.,r, 68. L'auteur distingue d'ailleurs un double moment: Siméon
aperçoit de loin l'enfant et s’écrie : Visitavit... Puis il se précipite
à sa rencontre pour l'adorer; après quoi il prononce le Nunc. dimittis.
On remarquera la leçon de B, et le prodige bizarre qui y est rapporté,
3. L'épisode de la prophétesse Anne serre de plus prés encore le texte
de Luc., 11, 26-58.—B attribue fort malencontreusementà cette femme
la prophétie de Siméon sur le glaive de douleur.
334 PSEUDO-MATTHIEU XV,3 - XVI, 2

adorabat infantem dicens quoniam in isto est redemptio |


seculi.

XVI. 1. Transacto vero secundo anno ! venerunt magi


ab Oriente in Hierosolymam magna deferentes munera. |
Qui instanter interrogaverunt Judæos, dicentes : « Ubi est
rex qui natus est vobis?? Vidimus enim stellam ejus in
oriente, et venimus adorare eum. » Hzc opinio pervenit
ad Herodem regem ?, et ita eum terruit ut mitteret ad
scribas et pharisæos et doctores populi ut inquireret ab eis
ubi Christum nasciturum prophete prædixissent. At ilh
dixerunt: «In Bethleem Judæ, sic enim seriptum est: Et
tu Bethleem, terra Juda, nequaquam minima es in prin-
cipibus Juda, ex te enim exiet dux qui regat populum
meum Israel. » Tunc Herodes rex vocavit magos ad se
et diligenter inquisivit ab eis quando eis apparuit stella.
Et misit eos in Bethleem dicens * : « Ite et interrogate 2

diligenter de puero, et cum inveneritis eum renuntiate


mihi, ut et ego veniens adorem eum. ? »
2. Euntibus autem magis in via apparuit eis stella, et

1 C’est la leçon de A. — P lit: Et transactis duobus annis. — E: sti


en
bi
"o
d
nc

Transacto autem anno. — C : Transactis duobus diebus. D, comme


nous l'avons vu, met l'incident avant la présentation.
? C, D lisent : nobis.
3 B: Hac verba terruerunt omnes Judæos. Tunc Herodes con-
gregavit scribas.
4 B ht : Deinde quia magi stellam quam viderant dum venirent
Jerosolymam ad Herodem, in astris aspicere non valebant, dixit eis,
5 B ajoute : Hoc autem dicebat ut ipsum fraudulenter perderet.

XVI. Secundo anno, les mss. oflrent sur cette date des variations
importantes; nous avons déjà vu que D place l'adoration des magés
avant la présentation, C la met deux jours aprés. Cette donnée est
celle qui semblerait le mieux se concilier avec le texte de saint Mat-
thieu, τι, 1; l'adoration des mages aurait suivi de prés la naissance
du Christ. Mais comme d'autre part le massacre des Innocents ἃ dü
suivre d'assez prés ladoration des mages, on se demande pourquoi
XV, 3-XVI,2 PSEUDO-MATTHIEU 335

jeûnes et aux oraisons. S'approchant, elle adorait l'enfant


en disant : « En lui est la rédemption du siècle, »

XVI. 1. Mais quandla seconde année fut écoulée, des


mages vinrent del'Orient à Jérusalem, apportant de grands
présents. Et ils interrogeaient les Juifs d'une manière
pressante, disant : « Où est le roi qui vous est né ? Car
nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus
ladorer. » Le bruit en parvint jusqu'au roi Hérode, et
l'épouvanta de telle sorte qu'il convoqua les scribes, les
pharisiens et les docteurs du peuple, pour leur demander
en quel endroit, selon les prophéties, le Christ devait naître.
Ils lui dirent : « À Bethléem de Juda. Voici, en effet, ce qui
est écrit : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es nulle-
ment la plus petite entre les principales villes de Juda, car
de toi sortira le chef qui doit gouverner mon peuple d’Is-
raél. » Alors le roi Hérode appela les mages chez lui,
s'enquit avec soin auprés d'eux de la date à laquelle était
apparue l'étoile. Et il les envoya à Bethléem, disant : « Al-
lez et informez-vous exactement de l'enfant, et quand
vous l'aurez trouvé, faites-le moi savoir, afin que moi aussi
j'aille l'adorer. »
2. Or tandis que les mages étaient en chemin, l'étoile

Hérode qui a dû prendre des informations exactes englobe dans le


massacre tous les enfants de deux ans. Aussi d'autres miss. d'ac-
cord avec plusieurs commentateurs du haut moyen âge pla-
cent-ils la venue des mages longtemps après la naissance du Sau-
veur (un an ou deux ans). Ce long intervalle permet de situer tout
à l'aise les événements racontés par saint Luc entre la naissance de
Jésus et son adolescence. Ilest vrai qu'on netient pas compte dans ce
cas de la donnée de Luc, 11, 39, d’après laquelle les parents de Jésus,
aussitót aprés la présentation, retournent à Nazareth. Mais nom-
breux sont les auteurs qui l'ont négligée dans les essais d'harmonisation
entre saint Luc et saint Matthieu. — L'ensemble du récit est emprunté
àsaint Matthieu, et les divergences assez considérables ne changent rien
à l'économie générale du récit.
396 PSEUDO-MATTHIEU XVI, 2-XVIH

quasi quz ducatum præstaret ilis ita antecedebat eos, |


quousque perveniret ubi puer erat. Videntes autem stel-
lam magi gavisi sunt gaudio magno,et ingressi domum -
invenerunt infantem Jesum sedentem in sinu matris !, |
Tunc aperuerunt thesauros suos, et ingentibus muneribus
muneraverunt Mariam et Joseph. Ipsi autem infanti obtu-
lerunt singuli singulos aureos?. Post hæc unus obtulit au-
rum, alius thus, alius vero myrram. Qui cum ad Herodem
regem reverti vellent, admoniti sunt in sommis ab an-
gelo ne redirent ad Herodem. llli autem adoraverunt
infantem cum omni gaudio et per viam aliam reversi sunt -
in regionem suam.

XVII.1. Videns autem Herodes? rex quod 1illusus esset


a magis, inflammatum est cor ejus, et misit per omnes vias
volens capere eos et interficere. Quos cum penitus invenire
non potuisset, misit in Bethleem, et occidit omnes infantes
a bimatu et infra, secundum tempus quod exquisierat a
magis.
2. Ànte unum vero diem quam hoc fieret, admonitus
est Joseph in somnis ab angelo qui dixit illi : « Tolle Ma-

1 B : invenerunt puerum cum Maria matre ejus, et procidentes


adoraeerunt eum.
? D: munera. — B remplace tout ce qui précède par : et apertis
thesauris suis obtulerunt ei munera, Guaspar myrrham, Melchior
thus, Balthasar aurum.
3 B, D : Anno sequenti Herodes rediens a Roma cum videret quia.

2. On remarquera seulement que le nombre des mages semble étre


maintenant fixé à trois. B sait méme les noms des mages.
XVII. 4. Les commentateurs qui mettent l'adoration des mages très
peu de temps aprés la nativité ont éprouvé le besoin de légitimer les
mots de saint Matthieu : a bimatu in infra. Une opinion assez accréditée
au moyen âge est que, au lendemain de l'arrivée des mages, Hérode
XVI, 2-XVII, 2 PSEUDO-MATTHIEU | 497

leur apparut, et comme si elle leur servait de guide, elle


les précédait jusqu'à ce qu'ils parvinssent à l'endroit où
était l'enfant. Or en voyantl'étoile, les mages eurent grande
7016, et entrant dans la maison ils trouvèrent l'enfant Jésus
assis sur le giron de sa mère. Alors ils ouvrirent leurs
trésors et comblérent Marie et Joseph de grands présents.
Pour l'enfant lui-méme, ils lui offrirent chacun une pièce
d’or. Après quoi le premier lui offrit de l'or, le second de
l'encens, l'autre enfin dela myrrhe. Et comme ils voulaient
retourner vers le roi Hérode, ils furent avertis en songe
par un ange de ne point retourner vers Hérode. Eux
donc adorérent l'enfant avec beaucoup de joie et par un
autre chemin rentrérent dans leur pays.

XVII. 1. Or le roi Hérode voyant qu'il avait été joué


par les mages, son cœur s'enflamma de colère, et il en-
voya par tous les chemins voulant les saisir et les tuer. Et
comme il n'arrivait pas à les trouver, il envoya des gens
à Bethléem et fit tuer tous les enfants de deux ans, et au-
dessous, selon la date dont il s'était enquis auprés des ma-
ges.
2. Mais le Jour précédent Joseph fut averti en songe par
un ange du Seigneur qui lui dit : « Prends Marie et l'en-

dut faire un voyage à Rome, soit pour s'y disculper d'un crime de lèse-
majesté, soit au contraire pour accuser ses deux fils Alexandre et Aris-
tobule. C'est seulement au retour de ce long voyage, qu'il put s’occu-
per dela question des mages et donner les ordres relatifs au massacre de
Bethléem.C'est un écho de cette explication que l'on retrouve dans le ms.
D; elle n'a pas chance d’être originale; c'est assez tard en eflet que cette
explication s'est accréditée dans le moyen âge latin. Pierre Comestor
(f 1178) semble avoir été le premier à la mettre en circulation dans
son Histoire scolastique (P. L., t. cxcvrrr, col. 1543). Il nous semble
done, tout bien considéré, que le texte original de Pseudo-Matthieu
mettait l'adoration des mages deux ans après la nativité et le mas-
sacre des innocents peu après la visite des mages.
Le récit de Pseudo-Matthieu donne ensuite la narration de la fuite
PROTÉV, — 22
338 . PSEUDO-MATTHIEU — XVII,
riam et infantem, et per viam eremi perge in Ægyptum.
Joseph vero secundum angeli dictum ivit !,

1 B: Sed Deus omnipotens, qui scit omnia antequam fiant, admo-


nuit per angelum suum Joseph in somnis dicens : Surge et tolle pue
rum el matrem ejus et fuge in /Egyptum, et esto ibi usque quo dicam
tibi; futurum est enim ut Herodes quaerat. puerum ad perdendum,
Tum Joseph imposuit beatam eirginem cum puero super jumentum,
et ipse super aliud ascendit, et arripuit iter per montana et per deser-
tum ut in Ægyptum securus pereeniret; non enim per maritimam.
propter insidias pergere voluerunt.
XVII, 2 PSEUDO-MATTHIEU 339

fant et par la route du désert, va en Égypte. » Et Joseph


selon la parole de l'ange se mit en route.

dans le désert, de l'arrivée en Égypte, du séjour en ce pays, et du retour


à Nazareth. Ces diverses légendes n’appartiennent plus au cycle que
nous nous sommes proposé d'étudier; elles seront mieux à leur place
dans un livre consacré aux « enfances de Jésus ».
340 NATIVITÉ DE MARIE

De nativitate Mariæ.

Præfatro.

Petis a me petitiunculam opere quidem levem, sed cau-


tela falsitatis admodum gravem. Postulas enim ut stilo
digeram si quid alicubi forte de nativitate sanctæ ac
beatissimæ virginis Mariæ usque ad incomparabilem ejus
partum et prima Christi rudimenta inveni: res quidem
actu non difficilis sed periculo, ut dixi, veritatis admo-
dum præsumptuosa. Nam hoc quod a me nunc cano
capite exposcis, adolescentulum me in quodam libello qui
in manus meas incidit legisse noris et certe tanti tempo-
ris intercessu et alarum non levium rerum interventu
facile aliqua memorie elabi potuerunt. Unde non juste
argui possum aliqua me si tuæ petitioni obtemperavero
aut praetermittere aut addere aut mutare, quod ut fieri

Nous publions cette préface au Libellus de nativitate Mariæ, d’après


le ms. 762 de la bibliothèque de Chartres (x1? siècle). Ce ms., qui est en
somme un lectionnaire, contient un certain nombre de piéces se rap-
portant aux diverses fêtes de la Vierge. Après différentes homélies relati-
ves à la Nativité, on trouve aux ἴ 56 sq. le De nativitate Mariz,
portant en marge une division en neuf lecons. Le texte, sensiblement
analogue à celui que nous éditons, est précédé de deux lettres pré-
faces, celle que nous donnons ici, et la lettre publiée p. 278. Ces deux
lettres font donc double emploi. Le copiste, qui a exécuté notre lec-
tionnaire, n'aura rien voulu perdre des différentes piéces qu'il possé-
dait, et ila écrit à la suite l'une de l'autre les deux préfaces qu'il
trouvait en tête des divers exemplaires du De nativitate, en les reliant
par la soudure fort maladroite qu'on lit au bas de la premiére lettre.
On peut conjecturer que le texte primitif portait : memoratum libel-
lum, si bene memini, quantum ad sensum pertinet, hujusmodi initium
habuisse. — Initium est devenu præfationem, ce qui permet d'insérer
la lettre aux évêques Chromatius et Héliodore : Petitis a me ut vobis
rescribam... On arrive alors à ce résultat curieux que Jéróme, l'auteur
supposé de cette lettre, aprés avoir annoncé qu'il va publier ses sou-
NATIVITÉ DE MARIE 341

Livre de la Nativité de Marie.

Préface,

La petite requête que vous m'adressez réclame de moi


un travail relativement facile, mais fort pénible par les
soins qu'il faut prendre contre l'erreur. Vous me deman-
dez, en effet, de mettre par écrit ce que j'aurais pu trouver
à divers endroits sur la Nativité de la bienheureuse
vierge Marie (et sur sa vie) jusqu'à son incomparable en-
fantement et aux premiers moments du Christ, entreprise
facile à exécuter, mais singulièrement présomptueuse,
comme je le disais, par les périls auxquels elle expose la
vérité. Car, ce que vous me demandez (d'écrire), à présent
que ma tête a blanchi, je l'ai lu, sachez-le, alors que j'étais
jeune homme, dans certain petit livre qui me tomba sous
la main. Certes, après ce laps de temps, rempli d'ailleurs
par d'autres préoccupations peu banales, il peut bien se
faire que plusieurs traits soient sortis de ma mémoire.
Dés lors, s1 j'accéde à votre demande, c'est bien injuste-
ment qu'on m'accusera d'avoir (voulu) supprimer, ajouter
ou changer quelque chose (à l'histoire). Que cela puisse
arriver, Je ne le nie pas, ce sera du moins indépendant

venirs sur le livre qu'il a lu dans sa jeunesse, rappelle la préface écrite


par lui-même pour la traduction du même livre. I] semble bien que
Vincent de Beauvais et la Légende dorée n'aient lu que cette préface
en tête du De nativitäte. — Si elle est originale, comme nous le pen-
sons, elle indique fort bien ce qu'il faut chercher dans l'opuscule
qu'elle précède. Ce libellus n'est point une traduction des apocryphes
antérieurs, mais un récit fait de mémoire des principaux traits relatifs
à la Vie dela Vierge. L'auteur ne se fait nul serupule de supprimer,
ajouter ou changer bien des choses, et il arrête son récit à l'incompa-
rable enfantement de Marie. Le style, on le remarquera sans peine,
est le méme qui se retrouve dans les réf'exions personnelles des cha-
pitres IXwet x.
342 NATIVITÉ DE MARIE y 1-3

posse non nego, sic me ex voluntate facere non concedo.


Itaque tam tuis votis satisfaciens quam legentium curio-
sitati consulens tam te quam quemlibet lectorem moneo
memoratum libellum, 51 bene memini, quantum ad sen-
sum pertinet hujusmodi praefationem habuisse.

I. 1. Igitur beataet gloriosa semper virgo Maria de stirpe


regia et familia David oriunda, in civitate Nazareth nata,
Hierosolymis in templo Domini nutrita fuit. Pater ejus
Joachim, mater vero Anna dicebatur. Domus paterna ex
Galilea et civitate Nazareth, maternum autem genus ex
Bethleem erat. 2. Vita eorum simplex et recta apud Do-
minum, apud homines irreprehensibilis erat et pia. Nam
omnem substantiam suam trifariam diviserunt; unam
partem templo et templi servitoribus impendebant, aliam
peregrinis et pauperibus erogabant, tertiam sus familiæ |
usibus et sibi reservabant, 3.Ita isti Deo cari, hominibus
pii, per annos circiter viginti castum domi conjugium
sine liberorum procreatione exercebant. Voverunt tamen,
si forte Deus donaret eis sobolem, eam se Domini servitio |
mancipaturos : cujus rei gratia et templum Domini per
annum festis frequentare solebant.

I, 4. On peut regarder la première phrase comme l'argument de l'o-


puscule. La conjonction igitur rattache le récit aux lettres qui le précé-
dent dans plusieurs mss. On remarquera dès le début une précision .
qui contraste avec le vague du Protévangile et de Pseudo-Matthieu.
L'auteur fixe dès la première ligne le lieu des diverses scènes. Mais jus-
qu'à quel point cette précision géographiquea-t-elle un fondement dans
la tradition ?
2. Le portrait des deux époux est fait d'aprés les données de
L 1-3 NATIVITÉ DE MARIE 343

de ma volonté. C'est dans ces conditions que je veux bien


accéder à vos vœux et satisfaire la curiosité des lecteurs;
je vous préviens done, vous, aussi bien qu'eux, que le
susdit livre, si j'ai bonne mémoire, commencait par la
préface suivante, que je rapporte au moins pour le sens.

I. 1. Donc la bienheureuse et glorieuse Marie toujours


vierge, issue de la souche royale et de la famille de David,
naquit dans la cité de Nazareth, et fut élevée à Jérusalem
dans le temple du Seigneur. Son pére s'appelait Joachim et
sa mère Anne. Sa famille paternelle était de Galilée, de
la cité de Nazareth, sa famille maternelle était de
Bethléem. 2. La vie de ces (deux époux) était simple et
droite devant le Seigneur; devant les hommes irrépro-
chable et pieuse. Tout leur bien en effet, ils l'avaient
divisé en trois parts : la première ils la consacraient au
temple et aux serviteurs du temple, la seconde ils la distri-
buaient aux pélerins et aux pauvres, la troisième ils se la
réservaient à eux-mêmes et aux usages de leur famille.
3. De cette manière, chers à Dieu, bons pour les hommes,
ils avaient vécu pendant vingt ans environ dans un chaste
mariage, sans avoir d'enfant. Pourtant ils avaient fait
vœu, si Dieu par hasard leur donnait un enfant, de le con-
sacrer au service du Seigneur: aussi, chaque année, ils
avaient coutume aux jours de féte de se rendre au temple
du Seigneur.

Pseudo-Matthieu, mais les renseignements relatifs aux libéralités de


Joachim ét d'Anne sont plus faciles à comprendre, Servitor est un barba-
risme que l'on rencontre de bonne heure dans lelatin du moyen âge
(Régle de saint Benoit); il est formé régulièrement comme d'autres
mots classiques: auditor, hutritor, etc.
3. Castum conjugium, c'est-à-dire observaient scrupuleusement la
chasteté conjugale. Le vœu dont il est question aussitôt aprés mon-
tre bien qu'il ne s’agit pas de la chasteté parfaite. Ce vœu se trouvait
déjà dans Pseudo-Matthieu, 11, 2.
344 NATIVITÉ DE MARIE IL, 4-HE

II. 1. Factum est autem ut encæniorum festivitas appro-


pinquaret, unde cum nonnullis contribulibus suis Hieroso-
lymam et Joachim ascendit. Ea vero tempestate Isachar
ibi pontifex erat. Cumque inter ceteros concives suos
etiam Joachim cum oblatione sua videret, despexit eum
et munera ejus sprevit, interrogans cur inter fecundos infe-
cundus ipse stare præsumeret; dicens munera nequaquam
Deo digna posse videri, quoniam ipsum prole indignum
judicasset, Scriptura dicente maledictum omnem esse qui
non genuisset masculum in Israel. Dicebat ergo prius
eum ab hac maledictione sobolis generatione solvendum
et sic demum in conspectu Domini cum oblationibus esse
venturum. 2. Cujus opprobrii objectu pudore magno suffu-
sus Joachimad pastores qui cum pecudibus erantin pascuis
suls secessit; neque enim domum repedare voluit, ne forte
a contribulibus suis, qui simul aderant et hoc a sacerdote "vw
v

audierant eodem opprobrii elogio notaretur,

III. 1. Verum cum ibi aliquamdiu esset, quadam die

IL 4. Encæniorum, précision qui n'était pas dans l'original. En


rapprochant ces mots de: ἡ ἡμέρα χυρίου ἡ μεγάλη de Prot., x, 2,
on peut se demander si l'auteur de notre remaniement ne connaissait
pas à côté de Pseudo-Matthieu un texte plus voisin du Protévangile grec.
— Isachar, ce n'est plus un particulier, ni méme un scribe qui repousse
Joachim, mais le grand-prétre en personne. Il y a également un progrès
dans les reproches ; les deux premiers documents disent seulement
que Joachim n'a pas été béni de Dieu; il est question ici de malédiction.
— Scriptura dicente, il n'v a pas trace d'un texte semblable dans l'An-
cien Testament ; on lit simplement dans Ex., xxm, 26 : non erit
infecunda nec sterilis in terra tua, (cf. Deut., vir, 14, et Is., xxxi,
9, d’après les Septante : μαχάριος ὃς ἔχει ἐν Σιὼν σπέρμα, xai οἰχείους
ἐν Ἱερουσαλήμ). En prenant le contre-pied de ces textes, on arrive
à l’idée, que celui qui n’engendre pas est maudit de Dieu; de fait on
trouve d’assez bonne heure cette idée chez les commentateurs,
II, 4- II], 1 NATIVITÉ DE MARIE i 345

II. 1. Or il arriva que la féte de la Dédicace approchait.


Aussi, avec quelques-uns de ses compatriotes, Joachim
monta-t-il à Jérusalem. Orc'était à cette époque Isachar qui
était grand-prétre. Ayant vu Joachim avec son offrande au
milieu de tous ses concitoyens, il le regarda avec mépris
et dédaigna ses présents, lui demandant pourquoi, lui qui
était sans enfant,il osait se tenir au milieu de ceux qui
étaient féconds. Ses présents, disait-il, ne pouvaient en
aucune facon paraître dignes d’être acceptés par Dieu,
puisque Dieu l'avait jugé lui-même indigne de postérité,car
l'Écriture dit :« Maudit quiconque n'engendre pas de fils en
Israël. » Il lui disait donc de se libérer d'abord de cette ma-
lédietion en engendrant une postérité, et de venir seu-
lement ensuite avec ses offrandes en présence du Seigneur.
2. Ce reproche qu'on lui jetait couvrit Joachim d'une honte
extréme et il se retira chez les pasteurs qui étaient avec
ses troupeaux dans ses páturages. Il ne voulut pas, en effet,
retourner à la maison, (craignant) d'endurer les mémes
reproches de ses compatriotes qui avaient assisté (à la
scéne), et avaient entendu le grand-prétre.

III. 1. Il était (au désert) depuis un certain temps,

S. Jérôme, In Isaiam, 1v, 1 : Maledicta sterilis quæ non habet


semen in Israel, (P. L., t. xxiv, col. 72); S. Augustin, De bono con-
jugali, c. xxu: Illo itaque tempore cum et lex dies Patriarcharum subse-
quens maledictum dicil qui non excitaret semen in Israel, et qui poterat
non promebat, sed tamen habebat (P. L., t. xv, col. 591). On trouve une
formule tout à fait semblable dans saint Jean Damascène, De fide orth.,
Iv, 24: ἐπιχατάρατος πᾶς ὃς oÙx ἐγείρει σπέρμα ἐν τῷ ᾿Ισραήλ. C'est peut-
être à saint Augustin que notre auteur a emprunté sa formule. —
Masculum est une aggravation qui ne se comprend guère; Fabricius
a proposé de lire : maledictum omnem masculum, qui non genuissel.
C'est une conjecture heureuse.
III. 4. Le récit des apparitions est interverti une nouvelle fois; dans
Pseudo-Matthieu la première apparition était pour Anne, Nous en avons
vu la raison: l'auteur croyait à la conception virginale de Marie; c’est
Anne qu'il fallait d'abord prévenir de cette faveur, Notre opuscule
ri

346 NATIVITÉ DE MARIE fap 1-3

cum esset solus, angelus Domini ei cum immenso lumine -


astitit. Qui cum ad ejus visionem turbaretur, angelus qui
ei apparuerat timorem ejus compescuit dicens : « Noli
timere, Joachim, neque in visione mea turberis; ego enim
sum angelus Domini, missus ab ipso ad te, ut annuntiem
tibi preces tuas esse exauditas et eleemosynas tuas ascen-
disse in conspectum ejus. Videns quippe vidit pudorem
tuum et audivit sterilitatis opprobrium non recte tibi
objectum. Peccati namque, non nature ultor est Deus, et
ideo cum alicujus uterum claudit, ad hoc facit ut mirabilius
deno aperiat, et non libidinis esse quod nascitur,
sed divini
muneris cognoscatur. 2. Prima enim gentis vestre Sara ma-
ter nonne usquead octogesimum annum infecunda fuit? et
tamen in ultima senectutis state genuit Isaac cui repro-
missa erat benedictio omnium gentium. Rachel quoque
tantum Domino gratá tantumque a sancto Jacobo amata,
diu sterilis fuit, et tamen Joseph genuit, non solum domi-
num Ægypti sed plurimarum gentium fame periturarum
liberatorem. Quis in ducibus vel fortior Sampsone vel san-
ctior Samuele? et tamen hi ambo steriles matres habuere.
Si ergo ratio verbis meis tibi non persuadet, crede dilatos
diu conceptus et steriles partus mirabiliores esse solere.
3. Proinde Anna uxor tua pariet tibi filiam, et vocabis

repousse énergiquement cette idée, aussi remet-il en première ligne


l'apparition à Joachim. — Cum immenso lumine, la lumière est l'aecom-
gnement obligatoire d'uneapparition angélique. Cf. Luc., 11, 9. — Preces
tuas esse exauditas, cf. Act., x, ^, l'angedit au centurion Corneille
: Ora-
tiones tuæ el eleemosynæ tuæ ascenderunt in memoriam in conspectu Dei.
— Videns vidit, tournure fréquente dans la Vulgate latine: notre auteur
désireux de montrerson érudition n'aeu garde de l'oublier. — Peccati
dd
er
à
sis
namque, etc., c'est l'idée contraire à celle des Juifs, que les maux natu-
rels sont nécessairement le châtiment du péché; cf. Joa., 1x, 2.
2. L'auteur met en évidence les raisons pour lesquelles la tradition
a fait de Marie l'enfant de la vieillesse : 1) ut non libidinis esse,
taro
s l'enfant née dans ces conditions n'est plus le fruit de la passion;
2) afin que la naissance de la premiére sainte du Nouveau Testa-
ment ressemblàt à celle des saints de l'Ancien ;9) afin que ce pre-
III, 1-3 NATIVITÉ DE MARIE 347

quand, certain jour qu'il était seul,un ange du Seigneur


lui apparut, environné d'une grande lumière. A sa vue
Joachim fut troublé, mais l'ange qui lui était apparu apaisa
sa crainte en lui disant : « Ne crains pas, Joachim, netetrou-
ble point à ma vue; je suis en effet un ange du Seigneur,
envoyé par lui vers toi, pour t'annoncer que tes prières
ont été exaucées et que tes aumónes sont montées en sa
présence. Oui certes il a vu ta honte, et il a entendu le
reproche de stérilité qu'à tort on t'a jeté. Car Dieu est le
vengeur du péché, mais non point de la nature. Aussi,
quand 1] ferme un sein, il le fait pour l'ouvrir ensuite d'une
maniére plus admirable, et pour que l'on sache que ce qui
naît ainsi n'est point le fruit de la passion, mais le présent
de Dieu. 2. La première mère de votre nation, Sara, n'est-
elle point restée stérile jusqu’à quatre-vingts ans? et pour-
tant, aux derniéres années de sa vieillesse, elle a mis au
monde Jsaac à qui il avait été promis qu'en lui seraient
bénies toutes les nations. Rachel, elle aussi, si agréable au
Seigneur et tant aimée de Jacob, fut longtemps stérile, et
pourtant elle enfanta Joseph qui ne fut pas seulement le
maître de l' Égypte, mais le sauveur de nombreuses nations
qui allaient mourir de faim. Qui donc parmi les juges fut
plus fort que Samson et plus saint que Samuel? et tous
deux pourtant eurent pour méres des femmes (longtemps)
stériles. Si donc la raison ne te persuade point par ma
bouche, crois du moins que les conceptions longtemps dif-
férées et les enfantements tardifs sont d'ordinaire les
plus admirables. 3. Ainsi ton épouse Anne t'enfantera

mier miracle füt le prélude du miracle beaucoup plus grand de la


conception virginale de Jésus. — L'ensemble du discours de l'ange est
conçu à la manière d'une argumentation scolastique; il n'est pas jus-
qu'à la distinction entre la raison et la foi qui ne soit indiquée : (δὲ
ergo ralio... crede ; ce que l'ange demande, c'est la foi en sa parole,
non la conviction née d'une argumentation.
3. Proinde Anna, ct. Luc., 1, 13, uxor tua Elisabeth pariet tibi filium,
el vocabis nomen ejus Joannem— Spiritu S. replebitur — Lue., 1,15.
»
ὭΣ
»4

348 NATIVITÉ DE MARIE III, 3-1V, 1

nomen ejus Mariam hec erit, ut vovistis, ab infantia sua


Domino consecrata, et Spiritu Sancto replebitur adhue ex
utero matris. Omne immundum neque manducabit, neque
bibet, neque inter populares forinsecus turbas, sed in
templo Domini conversatio ejus erit, ne quid de ea sini-
strum vel suspicari saltem possit vel dici. Itaque state
procedente sicut ipsa mirabiliter ex sterili nascetur, ita
incomparabiliter virgo generabit altissimi filium, qui Jesus
vocabitur: secundum nominis etymologiam salvator om-
nium gentium erit. 4. Et hoc tibi eorum qus annuntio
signum erit, cum perveneris ad auream in Hierosolymis
portam, habebis 101 obviam Annam uxorem tuam, quz
de tus regressionis tardatione modo sollicita, tunc in
adspectu tuo gaudebit, » His dictis angelus discessit ab eo.

IV. 1. Deinde apparuit Anna uxori ejus dicens : « Ne


timeas Anna, neque phantasma putes esse quod vides.
Ego enim sum angelus qui preces et eleemosynas ves-
tras obtuli in conspectu Dei, et nunc missus sum ad vos
ut annuntiem vobis nascituram filiam qua Maria vocata
super omnes mulieres erit benedicta. Hzec a nativitate sua

L'auteur raisonne déjà comme les théologiens postérieurs. « Si Jean à


été rempli du Saint-Esprit dés le sein de sa mère, il doit en être de méme
de la vierge Marie. » Mais il ne dépasse pas ce point ;Marie est seulement
sanctifiée dans le sein de sa mére; nous verrons méme qu'il exclut for-
mellement la conception immaculée au sens théologique. — Omne im-
mundum, cf. Luc., 1,15; einum et siceram non bibet. — Itaque, notre au-
teur est le seul à dévoiler d'une manière aussi précise et dès le début
le róle ultérieur de Marie dans le salut du monde. Son récit est inspiré
davantage de Luc., 1, 11-21, que des légendes précédentes. A ces der-
nières il n'a emprunté que le nom des parents de la Vierge, et l'oflense |
faite à Joachim. — Sécundum nominis elymologiam, l'auteur serait-il |
influencé par des réminiscences d’Isidore de Séville ?
4. Signum, c'est le pendant du signe demandé par Zacharie, Luc., 1, 18, |
E

HI33-IV, 1 NATIVITÉ DE MARIE 349

une fille, et tu l'appelleras Marie. Elle sera, comme vous


en avez fait le vœu, consacrée au Seigneur dés son enfance,
et remplie du Saint-Esprit dés le sein de sa mére. Elle ne
mangera ni ne boira rien d'impur, elle ne séjournera point
au milieu des agitations populaires du dehors, mais dans
le temple du Seigneur, afin qu'on ne puisse sur son compte
rien soupconner ni dire de fácheux. Aussi avec le cours de
l’âge, comme elle sera née elle-même miraculeusement
d'une femme stérile, de méme par un miracle incompara-
ble, tout en restant vierge, elle mettra au monde le fils du
Trés-Haut qui sera appelé Jésus, selon l'étymologie de
son nom, le sauveur de.toutes les nations. 4.Et voici le signe
(de la vérité) des choses que je t'annonce : quand tu arri-
veras à la porte d'or de Jérusalem, tu rencontreras sur ton
chemin Anne ton épouse, qui, inquiéte jusque-là de ton
retard, se réjouira dés lors en te revoyant. » Cela dit
l'ange s'éloigna de lui.

IV. 1. Puis il apparut à Anne son épouse, lui disant :


« Ne crains pas, Anne, n'imagine pas que c'est un fantôme
que tu vois. Je suis, en effet, l'ange qui ai porté vos prières
et vos aumónes en la présence de Dieu; et maintenant
j'ai été envoyé vers vous pour vous annoncer le naissance
d'une fille, qui s'appellera Marie et qui sera bénie par-
dessus toutes les femmes. Remplie de la grâce du Seigneur

mais Joachim ne doute pas, aussi l'ange lui donne-t-il spontanément


un gage de l'accomplissement de sa promesse.— Auream portam, don-
née traditionnelle, cf. Pseudo-Matthieu, mn, 5.
IV. Du récit de l'apparition à Anne ont disparu toutes les circonstan-
ces gracieuses qui rendaient si poétiques les premiers chapitres du
Protévangile. ΤΊ ne reste plus que le schéme général.
4. Neque phantasma, comme dans le récit des apparitions du Christ
ressuscité. — Angelus qui preces, cf. Tob., xix 12-15; Apoc., viri, 3-^,
les mêmes idées étaient dans Pseudo-Matthieu. — H«c a nativitate,
légère inconsistance avec ce qui précède. L'ange avait annoncé à Joa-
chim que Marie serait remplie du Saint-Esprit dés le sein de sa mère,
)
950 NATIVITÉ DE MARIE IV,
4-V, 2

statim Domini gratia plena, tribus ablactationis suæ annis


in domo paterna permanebit, postea vero servitio Domini
mancipata a templo usque ad intelligibiles annos non dis-|
cedet, ibi denique jejuniis et orationibus nocte ac die Deo -
serviens ab omni immundo se abstinebit, virum nunquam
cognoscet, sed sola sine exemplo, sine macula, sine corrup-
tione, sine virili commixtione, virgo filium, ancilla Domi-
num et gratia et nomine et opere salvatorem mundi gene-
rabit. 2. Itaque surge, ascende Hierusalem et cum perve-
neris ad portam quae aurea pro eo quod deaurata est vo-
catur,ibi prosigno virum tuum pro cujus incoluminatis
statu sollicita es, obvium habebis. Cum hec igitur ita
evenerint, scito quod quæ annuntio sine dubio complenda
erunt, »

V. 4. Itaque juxta angeli preceptum uterque de loco in


quo erant promoventes ascenderunt Hierusalem, et cum
ad locum pervenissent angelico vaticinio designatum, ibi
sibi invicem obviaverunt. Tunc de mutua sua visione læti
et promissæ prolis certitudine securi, debitas Domino
humilium exaltatori gratias egerunt. 2. Itaque adorato
Domino domum regressi divinum promissum certi et hila-
res exspectabant. Concepit ergo Anna et peperit filiam,

Il s'agit ici du moment de la naissance; à moins qu'il ne faille prendre


le mot nativitas dans un sens plus large ety voir la conception. — Usque
ad intelligibiles annos, l'áge de discrétion, où l'on commence à dis-
cerner nettement le bien du mal. — Ab omni immundo, οἷ. plus haut, |
1, 3.— Sola sine exemplo, cf. Sedulius, Carm. Pasch.,11, 67 sq.,P. L., - |
1. xix, eol. 599,
|
Gaudia matris habens cum virginitatis honore
Nec primam similem visa es, nec habere sequentem,
Sola sine exemplo placuisti femina Christo.
Toutes ces expressions ont pénétré de bonne heure dans la liturgie

ιν
IV, 1-V,2 NATIVITÉ DE MARIE 351
dés l'instant de sa naissance, elle demeurera pendant les
trois années de son allaitement dans la maison paternelle;
ensuite, consacrée au service du Seigneur, elle ne s'éloignera
pas du temple jusqu'à l’âge de discrétion. Là, en somme,
servant Dieu jour et nuit dans les jeünes et les oraisons, elle
s’abstiendra de tout ce qui est impur; elle. ne connaîtra
Jamais d'homme; mais seule,sans avoir jamais eu d'exem-
ple, sans tache, sans corruption, sans union avec un hom-
me, vierge elle enfantera un fils, servante elle enfantera
son: Seigneur, celui qui sera par gráce, par titre, par
action le sauveur du monde. 2. Ainsi léve-toi, monte à
Jérusalem, et quand tu seras arrivée à la porte qu'on
appelle (la porte) d'or, parce qu'elle est dorée, là en guise
de signe tu rencontreras ton époux sur l'état duquel tu es
inquiète, Quand doncces choses seront ainsi arrivées, sache
que ce que je t'annonce s'accomplira sans aucun doute. »

V. 1. Donc suivant le commandement de l'ange, s'avan-


cant l’un et l'autre de l'endroit où ils étaient, ils montérent
à Jérusalem; et étant arrivés à l'endroit désigné par l'o-
racle de l'ange, ils se rencontrérent mutuellement. Alors
joyeux de se revoir l'un l'autre, et pleins de confiance en
la vérité de la promesse (qu'ils auraient) un enfant, ils
rendirent les actions de gráces (qui lui étaient) bien dues
au Seigneur qui exalte les humbles.2. C'est pourquoi, ayant
adoré le Seigneur, ils rentrérent dans leur maison; et pleins

mariale. — Ascende Jerusalem, Anne était restée à Nazareth; Joachim


au contraire s'était éloigné dans le désert au sud-est de Jérusalem.
V, 1. Les deux époux en se rapprochant de Jérusalem marchent donc
l'un vers l'autre ; le fait qu'ils se rencontrent à l'endroit désigné par
l'ange est un gage de l'accomplissement des promesses qui leur ont été
faites. — Domino humilium exaltatori, cf. Luc., 1, 52 : et exaltavit hu-
miles.
2. Domum, à Nazareth.
352 NATIVITÉ DE MARIE V,2-VI,

et juxta mandatum angelicum parentes vocabant nomen |


ejus Mariam.

VI. 1. Cumque trium annorum circulus volveretur, et


ablactationis tempus completum esset, ad templum
Domini virginem cum oblationibus adduxerunt. Erant
autem circa templum juxta quindecim graduum psalmos
quindecim ascensionis gradus; nam quia templum erat in
monte constitutum, altare holocausti quod forinsecus
erat adiri nisi gradibus non valebat. 2. In horum itaque
uno beatam virginem Mariam parvulam parentes con-
stituerunt. Cumque ipsi vestimenta quz in itinere habue-
rant exuerent, et cultioribus ex more vestibus se et mun-
ditioribus induerent, virgo Domini cunctos sigillatim gra-
dus sine ducentis et levantis manu ita ascendit ut perfectae
stati in hac duntaxat causa nihil deesse putares. Jam
quippe Dominus in virginis sue infantia magnum quid
operabatur, et quanta futura esset hujus miraculi indicio
præmonstrabat. 3. Igitur sacrificio secundum consuetudi-
nem legis celebrato et voto suo perfecto virginem inter
septa templi cum alis virginibus ibidem educandam di-
miserunt, ipsi vero domum regressi sunt.

VI. 4. Erant autem circa templum, l'auteur imagine le temple à


peu près comme une église chrétienne, avec cette différence seulement
que l'autel des holocaustes est situé à l'extérieur; il s'imagine donc les
degrés faisant tout le tour de l'édifice. — C'est une idée ancienne dans
l'exégése que le nombre des psaumes graduels était en rapport avec le
nombre des degrés du temple,
2. Cumque ipsi. vestimenta, c'est une manière ingénieuse de laisser
V,2- VI, 3 NATIVITÉ DE MARIE 353

de confiance et de joie, ils attendaient (la réalisation) de la


divine promesse. Anne concut donc et mit au monde une
fille, et, suivant l'ordre de l'ange,ses parents l'appelérent
Marie.

VI. 1. Et quand un cycle de trois ans se fut écoulé et


que le temps de l'allaitement fut terminé, ils amenérent
la Vierge avec des offrandes au temple du Seigneur. Or il y
avait autour du temple, selon le nombre des quinze psaumes
graduels, quinze degrés à monter. Car le temple étant situé
sur une hauteur, on ne pouvait accéder que par des degrés
à l'autel des holocaustes qui était à l'extérieur. 2. C’est sur
le premier de ces degrés que les parents placérent la bien-
heureuse vierge Marie, encore toute petite. Et tandis qu'ils
ôtaient leurs vêtements de voyage et revétaient, suivant
la coutume, des habits plus beaux et plus propres, la Vierge
du Seigneur monta un par un tous les degrés sans
aucune main pour la conduire et la soulever, en telle sorte
qu'on eût pensé qu'il ne lui manquait rien, au moins dans
cette circonstance, de la perfection de l’âge. C'est que le
Seigneur opérait déjà dans l'enfance de la Vierge quelque
chose de grand,et montrait par ce miracle ce qu'elle serait
un jour. 3. Donc,après avoir suivant la coutume de la loi cé-
lébré un sacrifice, et aprés avoir accompli leur vœu, ils lais-
sérent là la Vierge pour y étre élevée dans la clóture du
temple, avec les autres vierges ; pour eux, ils s'en retourné-
rent à la maison.

la Vierge toute seule au bas des degrés pendant quelques instants,—


In hac duntaxat causa, avec le sens vague du mot francais chose; dun-
laxat, parce que à d'autres points de vue Marie était encore une petite
enfant. Serait-ce une manière discrète de protester contre les pieuses
exagérations de Pseudo-Matthieu, vr, 1 ?
3. Sacrificio celebrato, cf. I Sam., 1, 25. — Cum aliis virginibus, l'au-
teur ne doute pas qu'il n'existe auprés du temple un couvent de
vierges. Nous avons déjà indiqué ce que nous pensions de cette idée,
PROTÉV, —23
354 NATIVITÉ DE MARIE

VIL. 4. Virgo autem Domini cum ztatis processu


et
virtutibus proficiebat, et juxta psalmistam pater et mater.
dereliquerant eam, Dominus autem assumpsit eam. Quo-
tidie namque ab angelis frequentabatur, quotidie divina

decimum annum usque pervenit, ut non solum nihildeea .


mali reprehensione dignum confingere possent, sed et boni

denuntiabat ut virgines, quæ in templo publice consti- «


tuebantur et hoc etatis tempus explessent, domum rever- |
terentur et nuptiis secundum morem gentis et ætatis ma- -
turitatem operam darent. Cui mandato cum cetera pro-
næ paruissent, sola virgo Domini Maria hoc se facere non
posse respondit, dicens se quidem et parentes suos Domini «
servitio mancipasse, et insuper se ipsam Domino virginita-
tem vovisse, quam nunquam viro aliquo. commixtionis
more cognito violáre vellet. Pontifex vero in angustia
constitutus animi, cum neque contra Scripturam quae
dicit : « Vovete et reddite,» votum infringendum putaret,
neque morem genti insuetum introducere auderet, præce-
pit ut ad festivitatem qua imminebat omnes ex Hieroso- —
lymis et vicinis locis primores adessent, quorum consilio

VII.4. Cum etatis processu, cf. Luc., 11, 52, et Jesus proficiebat sapien-
tie et ætate et gratia apud Deum et homines, et I Sam., i, 26.
— Juxta
Psalmistam, Ps. xxvr, 10 (Vulg.): Quoniam pater meus et mater mea
dereliquerunt me, Dominus autem assumpsit me. Le souci de montrer
sa science scripturaire rend notre auteur un peu dur pour les vieux
parents de Marie qui n'avaient dà se séparer qu'à regret de leur enfant. —
Ab angelis frequentabatur, il n'est pas parlé de la nourriture apportée — -
par les anges : l'auteur peut bien admettre la visite des anges, mais il E
recule devant le réalisme de l'apport de la nourriture quotidienne. Il 1
est tout naturel qu'une sainte religieuse soit réjouie tous les jours «
par la visite des anges; il l'est moins qu'elle soit nourrie par eux. j
2: Épisode correspondant à celui de la demande en mariage par le 1
4
"
|VII, 4-2 NATIVITÉ DE MARIE 355

VIL. 1. Or la Vierge du Seigneur en méme temps qu'en


âge croissait également en vertu, et selon le (mot du) psal-
miste : « Son pére et sa mére l'avaient abandonnée, mais
le Seigneur la recueillit. » Chaque jour, en effet, elle était
visitée par les anges, chaque jour elle jouissait de la vision
divine, qui la gardait de tout mal et la faisait abonder en
toutes sortes de biens. Elle parvint ainsi jusqu'à sa qua-
- torziéme année, de telle sorte que non :seulement les
méchants ne pouvaient imaginer sur son compte rien de ré-
p réhensible, mais que tous les bons qui la connaissaient ju-
geaient sa vie et sa conduite dignes d’admiration. 2. Alorsle
grand-prêtreannonçaiten public queles vierges qui étaient
élevées aux frais publics dans le temple et qui avaient
cet âge, devaient rentrer à la maison, et se marier suivant
la coutume de leur nation et la maturité de leur âge. A cet
ordre toutes les vierges obéirent avec empressement ;seule
Marie,la Vierge du Seigneur, déclara qu'ellene pouvait le
faire. Ses parents d'abord l'avaient consacrée au service de
Dieu,de plus elle avait voué elle-même sa virginité au Sei-
gneur ; jamais elle ne voudrait la violer en s'unissant avec
quelque homme que ce fût. Le grand-prétre était dans une
grande anxiété d'áme.Il ne pensait pas qu'on püt enfreindre
un vœu, contre (l'avis de) l'Écriture qui dit: « Faites des
vœux et accomplissez-les;» et d'autre part il ne voulait pas
introduire une coutume, étrangère à la nation. Il ordonna
done qu'à la fête prochaine se rassemblassent les notables
de Jérusalem et des lieux avoisinants; par leur conseil il

prêtre Abiathar, Pseudo-Math., vir; mais l'idée méme de cette propo-


sition apparait indécente à l'auteur ; il lui substitue une autre scéne.—
Nuptiis operam dare, expression cieéronienue quel’auteur est heureux
d'étaler. — Dicens se quidem,le premier se est complément de manci-
passe; c'est à un double titre que la Vierge est consacrée perpétuelle-
ment au Seigneur, par le vœu deses parents et parsa propre volonté.
— Virginitatem vovisse, c'est l'idée, que, de bonne heure, les exégétes
ont vue sous les mots ἄνδρα οὐ γινώσχω, Luc., 1, 94. — Contra scripturam,
Ps, zxxv, 12 (Vulg.): Vovete et reddite Domino Deo vestro, omnes qui
in circuitu ejus affertis munera. — Morem genti insuetum, cette cou-
356 NATIVITÉ DE MARIE VIL 2- VII |

scire posset quid de tam dubia re faciendum esset. 3. Quod


cum fieret, omnibus in commune placuit Dominum super
hac re esse consulendum. Et cunctis quidem orationi
incumbentibus pontifex ad consulendum Deum ex more
accessit : nec mora, cunctis audientibus de oraculo et de.
propitiatori loco vox facta est, secundum Esaïæ vatici- |
nium requirendum esse cui virgo illa commendari et des-
ponsari deberet. Liquet enim Esaiam dicere :« Egredietur |
virga de radice Jesse, et flos de radice ejus ascendet, et
requiescet super eum spiritus Domini, spiritus sapientis «
et intellectus, spiritus consilii et fortudinis, spiritus scien-
üæ et pletatis, et replebit eum spiritus timoris Domini.» —
4. Secundum hanc ergo prophetiam cunctos de domo et
familia David nuptui habiles non conjugatos virgas suas -
allaturosad altare prædixit,etcujuscumque postallationem
virgula florem germinasset, et in ejus cacumine spiritus
Domini in specie columbæ consedisset, ipsum esse cui
virgo commendari et desponsari deberet.

VIII. 1. Erat autem inter ceteros Joseph homo de domo


et familia David grandævus ; cunctis vero virgas suas
juxta ordinem deferentibus solus ipse suam subtraxit.
Unde cum nihil divini voci consonum apparuisset, ponti-
fex iterato Deum consulendum putavit : qui respondit so-

tume ce n'est pas la profession de virginité ; ce qui préoccupe le


prêtre, c'est de conserver dans le temple une vierge âgée de plus de
quatorze ans. On remarquera que les raisons réalistes données dans
le Protévangile, et suffisamment indiquées dans Ps.-Matth., sont
soigneusement passées sous silence. — L'idée de réunir les notables
pour prendre leur avis était déjà dans Pseudo-Matthieu.
3. Nec mora, expression virgilienne, particulièrement chère aux pre-
miers poètes chrétiens (surtout Juvencus). — De oraculo et propitiatorii
loco, il n'y a pas de différence entre l'oracle et le propitiatoire, c'est-à-
dire le couvercle de l'arche portant les deux chérubins, Exod., xxv,

io
cop
om
DO
δME
ct
cie
ΠΟ
E VII, 2- VIII,4 NATIVITÉ DE MARIE SA

pourrait savoir ce qu'il y avait à faire dans unc cause si


incertaine. 3. Ainsi fut fait et le commun avis fut qu'il
fallait sur ce point consulter le Seigneur. Et tandis que
tous s'adonnaient à la prière, le grand-prêtre s'avanca
pour consulter Dieu suivant la coutume. Point de retard ;
une voix, que tous entendirent, sortitde l'oracle, de l'en-
droit du propitiatoire. C'était d’après la prophétie d’Isaïe
qu'il fallait rechercher à qui cette vierge devait être confiée
et fiancée. On sait en effet qu’Isaïe dit : « Une tige sortira
de la racine de Jessé, et une fleur montera de sa racine, et
l'esprit du Seigneur reposera sur elle, esprit de sagesse et
d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science
et de piété,et l'esprit de la crainte du Seigneur la remplira. »
4. Selon cette prophétie, (le grand-prétre) ordonna donc
que tous (les hommes)de la maison et dela famillede David,
aptes au mariage et non mariés, apportassent .chacun
leur baguette à l'autel. Et celui dont la baguette produi-
rait des fleurs, tandis qu'à son extrémité l'Esprit du Sei-
ngeur se reposerait en forme de colombe, c'était à lui que
la vierge devait étre confiée et fiancée.

VIII. 1. Or il v avait entre autres un homme (appelé)


Joseph de la maison et de la famille de David, et il était
déjà avancé en âge. Et tandis que tous venaient en ordre
apporter leurs baguettes, lui-même omit d'apporter la
sienne. Et comme rien n'était apparu qui correspondit à

17-22. Les légendes antérieures ne parlaient pas du propitiatoire


et avec raison; l'arche d'alliance n'existait plus dans le second temple.
Trop soucieux de montrer son érudition seripturaire, notre auteur a
oublié cette particularité, — /saiam dicere — ls., xr, 1.
e

4. Nuptui habiles non conjugatos, il n'est pas fait mention des veufs,
ils sont plutôt exclus si l'on traduit non conjugatos : n'ayant pas été
mariés,— Florem germinasset, comme dans l'épreuve racontée, Num.,
VIE, Ὁ:
VIII. 4. Joseph devait demeurer à Bethléem qui semble être sa ville
natale Cf, Luc., ri, 3-4, Si l'on parle de son grand âge, il n'est fait
358 NATIVITÉ DE MARIE VIIL 4 -IX.4

lum ilium ex his qui designati erant virgam suam non


attulisse, cui virginem desponsare deberet. Proditus itaque
est Joseph. Cum enim virgam suam attulisset etin caeu-
mine ejus columba de calo veniens consedisset, liquido
omnibus patuit ei virginem desponsandam fore. 2. Igitur
sponsaliorum jure de more celebrato, ipse quidem in
Bethleem recedit civitatem, domum suam dispositurus et
nuptiis necessaria procuraturus. Virgo autem Domini
Maria cum aliis septem virginibus coævis et collactaneis,
quas a sacerdote acceperat, ad domum parentum suorum -
in Galilaeam reversa est.

IX. 1. His vero diebus, primo scilicet adventus sui in.


Galileam tempore, missus est ad eam angelus Gabriel a
Deo, qui ei conceptum Dominicum narraret et conceptio-
nis vel modum vel ordinem exponeret. Denique ingressus
ad eam cubieulum quidem ubi manebat ingenti lumine
perfudit, ipsam vero gratantissime salutans dixit : « Ave.
Maria, virgo Domini gratissima, virgo gratia plena, Do-
minus tecum, benedicta tu prz omnibus mulieribus, bene-

aucune allusion à un premier mariage, et nulle partil n'est parlé de ses


fils. — Juxta ordinem pourrait se traduire :« selon l'ordre donné », ordo
semble avoir ce sens dans la basse latinité. — Suam subtraxit, dans les
récits précédents, Joseph n'avait rien fait pour empêcherle succès de
l'épreuve, c'est aprés la désignation divine qu'il essaie de résister;
c'est l'inverse ici. La scène d'ailleurs est racontée d'une manière trés
sobre, — Et in cacumine ejus, on oublie de dire quela verge aurait dà
fleurir; mais cela est sous-entendu. Le rameau fleuri que l’iconogra-
phie mettra plus tard entre les mains de Joseph, ne signifie donc pas
primitivement sa virginité; il rappelle la manière dont il a été désigné
pour être l'époux de Marie.
2. Sponsaliorum jure, l'auteur admet entre Joseph et Marie l'exis-
tence d'un véritable mariage, précédé de fiancailles. Toute l'ambiguité
des documents précédents a disparu. — Cum aliis septem virginibus,
l'auteur s'écarte fortement des données de ses prédécesseurs; ceux-ci
VIII 4-IX, 4 NATIVITÉ DE MARIE . 950

l'oracle divin, le grand-prétre pensa qu'il fallait de nou-


veau consulter le Seigneur. Celui-ci répondit que seul de
tous ceux qui avaient été désignés, celui-là n'avait point
apporté sa baguette à qui (précisément) il fallait fiancer la
vierge. Joseph fut ainsi découvert, Quand il eut en effet
apporté sa baguette, et qu'à son sommet une colombe
venant du ciel se fut reposée, 1l parut clairement à tous
que c'était à lui que la vierge devait étre fiancée. 2. Les
fiançailles ayant donc été célébrées suivant la coutu-
me, 1l se retira à Bethléem, sa patrie, pour disposer sa mai-
son et préparer tout ce qui était nécessaire pour les noces.
Quant à Marie,la vierge du Seigneur, avec sept autres vier-
ges de son áge et élevées avec elle, que le grand-prétre
lui avait données, elle retourna en Galilée dans la maison
de ses parents.

IX. 1. Or en ces jours-là, c'est-à-dire dés les premiers


temps de son arrivée en Galilée, l'ange Gabriel fut envoyé
vers elle par Dieu, pour lui annoncer qu'elle concevrait le
Seigneur, et lui exposer la manière et l'ordre suivant lequel
les choses se passeraient. Bref, étant entré chez elle, il
inonda d'une grande lumière la chambre où elle se trou-
vait, et, la saluant elle-même fort gracieusement, il lui dit :
« Salut, ó Marie, vierge trés agréable au Seigneur, vierge
pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, tu es bénie par-
dessus toutes les femmes, tu es bénie par-dessus tous les

font aller aussitót Marie dans la maison de Joseph ; ici Joseph se rend
seul dans sa demeure, tandis que Marie retourne à Nazareth. Cela tient
à la distinction des fiancailles et du mariage, distinction qui est conçue
au point de vue occidental. — Bien que l'auteur ne donne pas à Marie
le titre de reine des vierges, il en accepte cependant l'idée. Marie doit
être entourée d'un cortège de vierges. — Ad domum parentum ne
suppose pas nécessairement que les parents vivaient encore.
IX. 1. La première annonciation à la fontaine a disparu. Cette scène,
pour ainsi dire canonisée dans l'Église grecque, a semblé suspecte à
l'auteur, puisqu'elle n'est point relatée dans saint Luc. — Modum vel
ordinem, expression que l'auteur a dû trouver toute faite, et dont il
360 NATIVITÉ DE MARIE IX 44

tam insolita esse posset, quidve portenderet, vel quem -


finem esset habitura. Huic cogitationi angelus divinitus -
inspiratus occurens : « Ne timeas, inquit, Maria, quasi
aliquid contrarium tuæ castitati hacsalutationeprætexam. -
Invenisti enim gratiam apud Dominum, quia castitatem -
elegisti: ideoque virgo sine peccato concipies et paries fi-
lium. 3. Hic erit magnus, quia dominabitur a mari usque
ad mare et a flumine usque ad terminos orbisterræ:etfilius —
Altissimi vocabitur , quia qui in terris nascetur humilis, in -
celo regnat sublimis : et dabit 111 Dominus Deus sedem
David patris ejus,et regnabit in domo Jacob in eternum, —
et regni ejus non erit finis : ipse quippe rex regum et domi- |
nus dominantium est, et thronus ejus in sæculum seculi».
4. His angeli verbis virgo non incredula, sed modum scire
volens respondit :« Quomodo istud fieri potest ἢ Nam cum
ipsa virum juxta votum meum nunquam cognosco, quo-
modo sine virilis seminis incremento parere possum? » Ad
hoc angelus : « Ne existimes, inquit, Maria, quod humano

est difficile de préciser ici la nuance exacte. — A partir de denique nous


avons aflaire à un commentaire continu de Luc., 11, 26-38. C'est un peu
la maniére de Béde et d'Alcuin, lesquels d'ailleurs s'étaient fortement
inspirés de saint Jéróme et de saint Ambroise; il est bien difficile de
savoir si l'auteur s'est contenté de lire ses contemporains, ou s'il est
remonté aux originaux. — Hactenus natis,l'auteur pense àla prochaine
naissance de Jésus, il ne me semble pas vraisemblable qu'il vise Jean-
Baptiste.
2. Quz jam angelicos, ces mots préviennent une objection :« Comment
la vierge, si accoutumée à voirles anges, pourrait-elle étre troublée par
cette apparition ?» — Portenderet, mot savant. — Divinitus inspiratus,
c'est de la théologie raffinée; des auteurs populaires n'imagineraient
pas que l'ange ait besoin d'une inspiration divine pour connaitre les
pensées,
IX«4- 4 NATIVITÉ DE MARIÉ 361

hommes, qui sont nés jusqu’à présent.» 2. Or la vierge, qui


connaissait déjà bien les visages angéliques,et qui avait
quelque habitude de la lumière céleste, ne fut point trou-
blée par la vue de l'ange, πὶ stupéfaite de l'intensité de
cette lumiére. C'était seulement la parole de l'ange qui la
troublait. Et elle se prit à réfléchir sur ce que pouvait bien
signifier une salutation aussi insolite, sur ce qu'elle présa-
geait, sur le but qu'elle avait. L'ange divinement inspiré
prévint ces réflexions : « Ne crains pas, ó Marie, lui dit-il,
que cette salutation cache quelque chose de contraireà ta
chasteté. Tu as en effet trouvé gráce devant le Seigneur,
parce que tu as choisi la chasteté, aussi c’est vierge que tu
concevras sans péché et que tu enfanteras un fils. 3. Et lui
sera grand, car 1] dominera d'une mer à l'autre et du fleuve
jusqu'aux extrémités de la terre. Et il sera appelé le fils
du Trés-Haut, car lui qui naitra dans l'humilité, il règne
dans les hauteurs des cieux. Et le Seigneur Dieu lui don-
nera le tróne de David son pére, et il régnera éternellement
sur la maison de Jacob, et son régne n'aura point de fin. Il
est en effet le roides rois et le seigneur des seigneurs, et
son trône (durera) dans les siècles des siècles. » 4. À ces
paroles de l’Ange la vierge, non par incrédulité, mais
pour savoir la manière, répondit : « Comment cela pour-
ra-t-il se faire? Puisqu'en effet, selon mon vœu, je ne con-
nais point d'homme, comment pourrai-je enfanter mal-
gré cela ὃ » L'ange lui dit : « Ne pense point, ὃ Marie,

3. Quia dominabitur, Ps. xxx, 8 (Vulg.), textuellement cité. — On


remarquera l'allitération : humilis, sublimis. — Ipse quippe rex re-
gum. Cf. Deut., x, 17: quia Dominus Deus vester ipse Deus deorum et
Dominus dominantium, cité Y Tim., vi, 15, et Apoc., xvii, 14 ; xix,
16. — Thronus ejus. Cf. Ps. xr1v, 7, cité d’après Hebr., 1, ὃ:
4. Non incredula, cf. S. Ambroise, /n Luc., 1, 94 : non de effectu
Virgo dubitaeit, sed qualitatem ipsius quæsivit effectus, P. L.,1. xv, col.
1558. Plus tard saint Bernard dira presque dans !es mémes termes :
non dubitat Virgo de facto, sed modum requirit. et ordinem. Hom. rv,
sup. Missus est, P. L., A. cuxxxim, col, 80.) — Juxta votum meum, cf. vii,
362 NATIVITÉ DE MARIE OIX, 4X4
more concipias; nam sine virili commixtione virgo paries,…
virgo nutries : Spiritus enim Sanctus superveniet in te, et.
virtus altissimi obumbrabit tibi contra omnes ardores libi-
dinis : ideoque quod nascetur ex te solum erit sanotum, -
quia solum sine peccato conceptum et natum vocabitur -
filius Dei. » Tunc Maria manibus expansis et oculis δά
cælum levatis dixit : « Ecce ancilla Domini, neque enim |
dominas nomine digna sum, fiat mihi secundum verbum |
tuum.» 3
5. Longum forte et quibusdamtediosum erit, si cuncta —
huic opusculo inserere voluerimus qua nativitatem domi- —
nicam vel præcessisse vel subsecuta fuisse legimus, unde : 1
his omissis quæ in Evangelio plenius scripta sunt, ad ea …
&
qua minus habentur narranda accedamus. o

Χ. 1. Joseph igitura Judaea in Galileam veniens des-


ponsatam sibi virginem uxorem ducere intendebat ; jam
namque tres fluxerant menses et quartus instabat ex eo
tempore quo sibidesponsata fuerat. Interea paulatim utero
puerperæ intumescente puerperam se manifestare coepit,
neque hoc latere potuit Joseph : nam sponsi more liberius.
ad virginem introiens et familiarius cum ea loquens gravi-

2, on remarquera la juxtaposition de ces mots avec les paroles évan-


géliques, virum non cognosco.— Virgo nutries, cl. Ps.-Matth., xir, 3 :
nunquam hoc auditum est ut mamillz plenæ sint lacte, etc. — Contra om-
nes ardores libidinis, réminiscence de saint Augustin, Serm., cxvnr, 14:
Virtus Altissimi obumbrabit tibi, quze taleobumbraculum haberet, quando
ardore libidinis «estuaret. — Solum sine peccato conceptum, ce péché, c'est
l'acte de la génération; c'est par lui que se transmet le péché originel,
C’est la pure doctrine augustinienne. S. Augustin, De Trinitate, 1. XII"
xvii, P. L., t. xri, col. 1032: Nec interjuit carnis concupiscentia, per
quam seminantur et concipiuntur celeri, qui trahunt originale pecca-
tum. — Manibus expansis, dans la position d'orante.
5. Cette remarque finale est dans le style de saint Jérôme; cf. les notes
PX 4X4 NATIVITÉ DE MARIE 363
que c’est à la manière humaine que tu concevras. En effet,
sans union avec un homme, vierge tu concevras, vierge tu
enfanteras, vierge tu nourriras. Car l' Esprit-Saint descen-
dra sur toi, et la vertu du Trés-Haut te couvrira de son
ombre contre toutes les ardeurs dela passion. C'est pour-
quoi celui qui naitra de toi, lui seul sera saint, parce que
seul concu et né sans péché, il sera appelé le fils de Dieu. »
Alors Marie, les urains étendues et les yeux levés au ciel,
dit : « Voici la servante du Seigneur, je ne suis point digne
en effet du nom de dame, qu'il me soit fait selon ta parole.»
5. Il serait peut-être long et pour plusieurs ennuyeux
d'insérer dans cet opuscule tous les événements qui d'a-
prés nos textes ont précédé ou suivi la nativité de Notre-
Seigneur. Omettant donc ce qui est suffisamment raconté
dans l'Évangile, passons à la narration de ce qui y est
moins détaillé.

X. 1. Donc Joseph étant venu de Judée en Galilée avait


l'intention de prendre pour épouse la vierge qui lui avait
été fiancée. Déjà en effet trois mois s'étaient écoulés, et le
quatrième était commencé, depuis le jour des fiançailles.
Dans l'intervalle pourtant le sein de la vierge s'était en-
flé au point de manifester sa grossesse. Cela ne put échap-
per à Joseph; car, selon la coutume des fiancés, entrant
plus librement chez la vierge, et conversant avec elle plus

insérées dans les parties deutérocanoniques d'Esther, On remarquera


que l'auteur a omis non seulement ce qui est raconté par l'Évan-
gile, comme la Visitation, mais encore nombre d'épisodes légen-
daires. Aurebours, ce que l'on nous présente comme étant moins
détaillé dans l'Évangile est rapporté d'une manière trés suffisante
dans saint Matthieu, que l'on se contentera de gloser.
X.4. Nam sponsi more, explication que les commentateurs se passent
de main en main depuis saint Jéróme, /n Matth., 1, P. L., t. xxvi,
col. 24: Non ab alio inventa est, nisi a Joseph, qui pene licentia maritali
futurce uxoris omnia noverat. — Et occulte dimittere eam.Notre auteur n'a
pas accepté l'idée ingénieuse de Ps.-Matth., d'aprés laquelle Joseph
se résout à fuir lui-méme en laissant là Marie.
364 NATIVITÉ DE MARIE X, 12.

dam esse deprehendit. Æstuare itaque animo et fluctuare |


ccpit, quia ignorabat quid sibi potissimum esset facien- -
dum : neque enim eam traducere voluit, quia justus erat,
neque fornicationis suspicione infamare, quia pius. Itaque…
cogitabat clam dissolvere conjugium et occulte dimittere —
eam. 2. Hxc autem eo cogitante, ecce angelus Domini ei
apparuit in somnis dicens : «Joseph, fili David, noli timere, :
hoc est ne velis fornicationis suspicionem in virgine habel :
vel aliquid sinistrum cogitare, neque timeas eam in uxo- .
rem ducere : quod enim in ea natum est et nunc animum
tuum angit, non hominis, sed Spiritus Sancti est opus.
Parietenim omnium virgo sola Deifihum,etvocabisnomen —
ejus Jesum, id est salvatorem : ipse enim salvum faciet |
populum suum a peccatis eorum ». Igitur Joseph secundum
angeli preceptum virginem uxorem duxit, nec tamen co-
gnovit eam, sed caste procurans custodivit. Jamque nonus
a conceptione instabat mensis, cum Joseph, uxore cum
aliis quæ necessaria erant assumpta, Bethleem civitatem |
unde ipse erat tetendit. Factum est autem, cum essent
ibi, impleti sunt dies ut pareret, et peperit filium suum
primogenitum, sieut evangeliste docuerunt Dominum
nostrum Jesum Christum, qui cum Patre et SpirituSancto
vivit et regnat per omnia sæcula sæculorum.

2. Le reste est une simple glose de Matth., 1, 20-21.


Jamque nonus est destiné à relier le récit de Matthieu et celui de Luc.
Sans exclure le recensement, notre auteur n'en parle pas. 11 semble
que, s'il n'avait pas eu lieu,Joseph se serait rendu néanmoins à Bethléem,
sa résidence ordinaire, où il avait tout préparé pour les noces. Mais
comment se fait-il dés lors que Marie et Joseph n'aient point trouvé
de place dans Bethléem ? L'auteur ne parait pas s'étre posé cette ques-
tion, et il arrête brusquement son récit sur la mention de la naissance
X, 1-2 NATIVITÉ DE MARIE 365

familiérement, il découvrit son état. Il commença donc à


s'agiter et à se troubler, parce qu'il ignorait ce qu'il était
préférable de faire;il ne voulait point, en effet, la livrer,
parce qu'il était juste; il ne voulait pas laisser planer sur
elle le soupcon de fornication, parce qu'il était pieux. Il
pensait donc à dissoudre secrètement son mariage et à la
renvoyer ensecret. 2. Or, tandis qu'il était dans ces pensées,
volci qu'unange duSeigneurluiapparutensonge,lui disant:
« Joseph, fils de David, ne crains point, c'est-à-dire ne va
pas avoir sur la vierge un soupcon de fornication en t'ima-
ginant (surgon compte) quelque chose de fácheux, car ce qui
est né en elle et qui présentement angoisse ton áme n'est
point l’œuvre d'un homme, mais bien du Saint-Esprit.
Seule, en effet, entre toutes (les femmes), elle mettra au
monde en restant vierge le fils de Dieu. Et tu lui don-
neras le nom de Jésus, c'est-à-dire Sauveur, car 1]
sauvera son peuple de ses péchés. » Joseph donc, selon
l'ordre de l'ange, prit la Vierge pour épouse, et pourtant il
nela connut point, mais la garda dans la chasteté. Et
déjà approchait (la fin) du neuvième mois depuis la con-
ception, quand Joseph, prenant avec luison épouse et les
autres choses qui lui étaient nécessaires, partit pour la
ville de Bethléem dont il était originaire. Or 1] arriva
que, pendant leur séjour en ce lieu, le temps où (Marie)
devait enfanter survint, et elle mit au monde, comme
les évangélistes nous l'ont enseigné, son fils premier-
né, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit et régne avec
le Pére et le Saint-Esprit dans tous les siécles des siécles.

de Jésus. Au fait, son but était atteint; 1l a comblé par quelques brèves
indications les lacunes des Évangiles relativement à l'enfance de Marie,
il ne lui reste plus qu'à laisser la parole aux évangélistes eux-mêmes,
Est-il besoin de faire remarquer, en terminant, que le choix fait parl'au-
teur dans les légendes mariales a été intelligent, puisque seuls les épi-
sodes qu'il mentionne sont demeurés classiques dans l'Église latine?
jor ica dE

TABLE ALPHABETIQUE
DES MATIÈRES ET DES NOMS PROPRES

Abel, 303. Anselme (S.), 154.


. Abiathar, 28, 301, 305. Antidicomarianites, 113.
Abraham, 183, 322. Aphrodisianos le Perse, 125.
Achelis, 25. Apocalypse de Zacharie, 88, 95.
Acta Pilati, 12. Apocryphuum Josephi, 95, 97.
Actes apocryphes des Apôtres, Apollon, 55.
103. Apulée, 44.
Adam, 231. Arens, 78, 79.
adoration des bergers, 59, 257. Arien, 145.
Aleuin, 148, 360. Ascension d'Isaie, 3^, 98.
Alexandrie, 93. Asie, 98.
Alexandrinus, 19. Assémani, 70, 293.
Allatius, 116. assomption, 118, 152.
Ambroise (S.), 14, 28, 29, 38, 140, Auguste, 3, 53, 240, 243.
213, 303, 360, 361. Augustin (S.), 29, 38, 45, 108,
Ambrosiaster, 141. 115, 142, 213, 228, 845, 361.
Ambrosienne (Bibliothéque), 63.
André de Créte, 19, 118, 126, Baillet, 49, 161.
434, 135. Barbarus Scaligeri, 90.
anges, 22, 43, 44, 80, 192, 223, Bardenhewer, 98.
234, 235, 256, 354. Baronius, 46, 159, 211.
anges gardiens, 44, 291. Basile (S.), 116, 303.
Annas, 3, 237. Basile II, 19, 135.
Anne, mère de Samuel,
16, 23, 80. Batiffol, 161.
Ἀττι ἢ: Ὁ, 8, 16, 17, 18, 20, Beausobre, 78, 79.
passim, 48-51, 185. Béde, 148, 315, 360.
Anne (triple mariage), 149, 208. bénédiction nuptiale, 26, 239.
Anne (fête), 128, 135, 163. Benedictus, 203, 297.
Anne la prophétesse, 127, 999. Benoit XIV, 50, 161, 163, 164.
anniversaire de naissance, 201. Berendts, 61, 88, 111.
annonciation, 3, 7, 20, 41, 43, Bernard. (S.), 155, 157, 361.
84, 123, 124, 136, 151, 221, Bethléem, 3, 8, 30, 35, 37, 46,
312, 359, 360. 53, 57, 84, 95, 245, 256, 250,
annonciation (fête), 115, 119, 258, 259, 322, 330, 334, 342,
123, 132, 136, 152, 157. 359, 364.
.968 PROTÉVANGILE DE JACQUES
Bibliander, 164. Conception (fête), 122, 123, 128,
Birch, 168. 133, 160.
Bodléienne (Bibliothéque), 63, 73. | conception immaculée de Marie,
Bolland, 48. 1755997318
Borberg, 78, 79. conception per aurem, 70, 223.
Bouddha, 200. conception virginale de Jésus,
Boudinhon, 160. 16, 26, 80, 224, 236.
British Museum, 63. conception virginale de Marie,
Brunet, 168, 169. 17-21, 115, 193-195, 355.
Bruno d'Asti, 154. Concile de Latran, 31, 327.
Budge, 67. Conrady, 32-34, 60, 62, 91-95.
191, 201, 221, 238.
Calmet, 78. Conybeare, 70.
calomnies contre Marie, 13. Coran, 137.
Cambridge (Bibliothèque), 73. créche, 4, 7, 56, 262, 330.
Canisius, 211. Cyrille d'Alexandrie (S.), 111, 331.
canons (hymnes byzantines), 134. | Cyrinus, 322.
cantiques des anges, 238.
Carmel (ordre du), 163, 303. David, 35, 52, 102, 142, 149,
Casaubon, 48. | 4180, 219, 234, 244, 356.
Cassien, 303. démons, 45.
catalogue des 60 livres, 124. Dieu, 41.
Cédrénos, 129, 263. Dieu de nos pères, ^1.
Celse, 12, 82, 218. Dieu des Hauteurs, ^1.
Centuriateurs de Magdebourg, 46. Diodore de Tarse, 259.
Cérinthiens, 82. . Dionysos (naissance), 253.
Chaine, 67. docétisme, 31-35, 81, 99, 225,
Charles, 35. 247.
Chartres (Bibliothèque),
160, 340, | dormition de la Vierge, 126,
GhrisC 10; 1311015 31:.92:1938) 128, 146.
26^ Dresde (Bibliothéque), 63.
Christian Druthmar, 150. Duchesne, 25, 160.
Chromatius et Héliodore, 74, | δωδεχαχώδων 212.
76, 101, 106, 272, 273.
Chrysostome (S.), 118, 259. Eadmer de Cantorbéry, 155.
circoncision, 7, 68, 331, 333. eaux améres, 3, 7, 30, 69, 80,
Clément d'Alexandrie, 38, 81, 103, 106, 108, 233, 240, 318.
85, 86, 97, 99, 100, 109, 212. | Ebionites, 78-80, 85, 99, 113.
Clément Romain, 183. Eck, 209.
Clémentines, 145. Ehrhard, 98.
Collyridiens, 18, 20, 114. Eli (Héh), 51, 180. ,
colombe, 210, 215. p Elakim, 51.
Combefis, 48, 78. Elie, 303.
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES

Elipand de Tolède, 148. Gabriel (ange), 8, 44, 52,


Elisabeth, 4, 68, 262. Galilée, 8, 258, 358.
Gélase (S.), 104, 179, 273 31225:
Epiphane (S.), 18, 19, 20, 78, Gelzer, 90.
928085, 89, 113, 116, 21 généalogies, 51, 116,. 126, 0492!
21245216, 217, 303: 149, 181, 208.
Epiphane le Moine, 125, 129 γέννα Μαρίας, 85, 113, 219, 213.
210, 263. Georges de Nicomédie, 4221335
Esprit-Saint,42, 145, 224, 356, 365. 179181:
Estienne (Henri), 166. Germain I, 46, 119, 133, 210.
étable, 54, 59, 60. Gerson, 208. .
étoile des mages, 140, 146. Glykas Michel, 130.
Eusébe, 57, 80, 97, 126, 165: gnosticisme, 78, 80, 85, 89, 97,
180.222. 88: 115:
Eustathe (Ps.,), 90, 116, 179. Grégoire XI, 161.
Euthymius Zigabenus, 131. Grégoire XIII, 163, 164.
Évangile arabe de l'enfance, 5, Grégoire de Nysse (S.), 111, 191,
104, 137, 259. 211. ἕ
évangiles canoniques, 10, 25, 36, Grégoire de Tours (S.), 146.
45, 92, 68, 82, 87. Grégoire le Thaumaturge (S.), 109.
Évangile de Pierre, 131. Grenfell, 64.
Évangile de Thomas, 5, 70, 79, grotte de la nativité, 3, 4, 7, 46,
87, 88. 9^, 57, 58, 59, 84, 87, 93, 130,
Évangile des Égyptiens, 253. 132, 247, 261, 324.
Évangile des Hébreux, 37. Grynæus, 166.
Évangile des Nazaréens, 273. Guibert de Nogent, 154.
Eve, 84, 120, 231.
Exupére, 104. Habacue, 330.
Hadrien, 58.
Fabricius, 77, 105, 167, 169, 179, hagiographes byzantins, 125.
180, 204, 345. Hahn, 11, 42.
Fauste le manichéen, 51, 115, 142. Haine?
fiançailles, 7, 26, 29, 53, 309, 359. Harnack, 11, 42, 95, 110, 137.
Fils de Dieu, 224, 362. Hégésippe, 37.
Flemming, 138. Hélène (Se.), 57.
Forster, 56. Helvidius, 143, 144.
Fortunat, 146. Helxaï, 79.
frères du Seigneur, 36, 38, 114, Hémon d'Halbertstadt, 149,
141, 208, 217. Hennecke, 61, 138, 168.
fuite en Égypte, 5, 7, 53, 58, 262, Herford, 13.
336. Hermés (naissance), 55.
Fulbert de Chartres, 7^, 103, 151 Hérode;.4, 7, 53; 243, 269 208:
160. 335, 336.

PROTÉV, — 24
ENS SES ἢ PP AE. VER (| MT ME
ACA D ! ; -
Ψ

970 PROTÉVANGILE DE JACQUES

Hilaire (S.), 38, 138. jeûne, 80, 184, 186. UM


Hildefonse de Tolède, 148. Joachim (S.), 2, 6, 8, 16,1%
. Hilgenfeld, 82, 84. passim... 48-51, 180.
Histoire arabe de Joseph le Char- Jaochim (féte), 135, 216.
pentier, 137, 216, 217. Jones, 77, 167, 169. :
Hofmann, 83, 185, 221, 223, 227. Joseph (S.),
Honorius d'Autun, 154. son premier mariage, 37, "
Hrostwitha, 74, 103, 150. 39, 47, 52, 86, 103, 106, 108
114, 181, 155, 217:
Ignace (S.), 11, 32, 81, 248, 259. ses fils, 37, 39, 52, 82, 431, 142,
Incarnation (fête), 118. 208, 216, 308, 358.
Innocents (massacre), 4, 68, 262, ses filles, 131, 217.
985, 491. son grand âge, 38, 39, 52, 216. -
Innocent I, 104. son origine sacerdotale, 143. |
Intercession des Saints, 40. son obéissance, 214. ^
Irénée, 13. ses troubles, 3, 7, 8, 118, s EX
Isaac, 15, 183, 346. 230, 233, 314, 364. . ko
Isaje, 263, 315, 330. Joseph l'Hymnographe, 133.
Isidore de Séville, 348. Joséphe, 207, 220, 241, ns
Isidore de Thessalonique, 124. Jovinien, 14, 302. |
Isis, 93. | Judéo-chrétiens, 85, 88, 96, 98,
Itinera Hierosolymitana, 2^7. 99. a
Judith, 185.
Jacques, 36, 38, 74, 80, 113, 178, Jules II, 163.
245, 271, 280. Jules Africain, 180.
Jacques le Moine, 123. Justin (S.), 13, 42, 55, 56, 58, T
Jacques de Voragine, 75, 77, 157. 81, 84, 87, 98, 100, 109, m
Jean-Baptiste, 4, 15, 16, 22, 51, 225, 243. 1
68. Justinien, 133.
Jean Damascène (S.), 49, 121, Juvencus, 139, 356.
122, 195, 345.
Jean de Thessalonique, 126.
Kleuker, 78.
Jean d'Eubée, 122, 133, 210.
Krumbacher, 133.
Jean l'Apótre, (S.), 78.
Jean le Géométre, 123.
Jéróme (S.), 6, 14, 38, 39, 45, 58, Laurentienne (Bibliothèque), 78.
74, 75, 76, 103, 106, 143, 165, laus perennis, 296, 298. "a"
169, 208, 265, 273, 275, 303, Légende dorée, 75, 77, 157, M n
331, 345, 360, 363. 341. ὡς
Jérusalem, 4, 195, 245, 257, 259, Légendes, 10, 60, 446, 450,EU1
261, 342, 349. 163, 365. PE
Jésus (nom de), 84, 226, 234, 316, Leipoldt, 69.
364. Léon (S.), 146.
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES 371
Léon le Philosophe, 123. ménées, 64, 136.
Lesbos (Bibliothèque), 73. ménologes, 19, 135, 136.
Lesétre, 160. Méthodios d'Olympe, 117.
Leucius, 78, 86, 103, 274. Meyer, 61, 66, 99, 168, 180, 185,
Lewis, 66, 67. 195, 200, 201, 240, 28580, 259.
Liber pontificalis, 160. 253, 269.
Libri secretiores, 145. Michée, 259.
Lipsius, 82-86. Migne, 168.
Livre d'Adam, 145. Mill, 78.
Livre d'Hénoch, 4^, 234. miracles de Jésus, 256.
Livre de Jacques, 82, 97, 179. Mithra, 59.
Livre de Seth, 145. Moise, 80, 116, 184.
Loofs, 110. Montanistes, 101.
Lucius, 24. Monumenta |Germaniz historica,
Ludolphe de Saxe, 159, 90.

Mages, 4, 7, 67, 68, 257, 258, 259, naissance avant terme, 198.
261, 264, 333, 335, 336. naissance virginale (voir virginité
Magnificat, 16, 202, 226. in partu).
Maïa, 55. Nationale (Bibliothéque), 63, 67,
Maître souverain, 41, 189, 256. 68, 69, 73.
Makarius de Moscou, 90. Nativité de Marie (livre de la), 7
Male, 160. 21. 99.) 31,739, A55 25: 75 “ἢ:
Manichéens, 101, 103, 106, 141. 101, 107, 149, 151, 156, 1688:
142, 273. 165, 169.
Maria Cleophæ, 131, 132, Nativité de Marie (féte), 68, 118,
Maria Jacobi, 131. 119, 133, 148, 150, 158, 160.
mariage, 24, 29, 30, 52, 144, 359. Nazaréens, 82.
Mare, 10. Nazareth, 30, 73, 113, 126, 237,
Marcionites, 82. 335, 342, 349, 351.
Marie, 2, 3, 4, 6, 7, passim... Néander, 165, 180, 196.
_dispensatrice des grâces, 40, Neubert, 27, 32, 37, 110.
nom de Marie, 8, 198, 199, 203, Nicéphore Calliste, 130, 217.
295, 348. Nicétas David, 122, 123.
Martin François, 44. Noél Alexandre, 49.
Martin Paulin, 110.
martyres des apôtres, 105, 278, CEcuménius, 131,
martyrologe, 134, 150, Olier, 162.
Matthieu (S.), 6, 10, 74, 76, 230. Opus imperfectum in Mattheum,
Maxime de Turin, 146. 145.
Méchitaristes de Venise, 70. Origéne, 13, 28, 29, 38, 57, 82, 83,
Médicis (Bibliothèque), 73. 86, 90, 97, 99, 100, 109, 179.
Méliton (Pseudo), 105, Osiris, 94, 200. '
972 PROTÉVANGILE DE JACQUES

pureté légale, 22, 23, 28.


Palestine, 57, 58, 88, 98, 293.
Panthère, 13. Raban-Maur, 148.
Pargoire, 161. Rachel, 346. ve
Paul (Sj), 11, 45. recensement de Bethléem, 243. —
Paul Diacre, 148. recensement de la Judée, 243. —
péché originel, 16, 361. régle de saint Benoit, 106, E é
Pére céleste, 41. 342.
Pères de l’Église, 16. Rendel Harris, 66.
peplos d'Athéna, 219. Resch, 61, 62, 92, 226, 243.
petalon, 80, 196. Richard Simon, 167.
Petau, 115. Robinson, 69.
Philon, 211. Romanos, 133. ὡς
Photius, 122, 259. Rôssler, 78. MS
Pie V (S.), 161. Ruben, 181, 203, 284. E
Pierre d'Alexandrie, 84, 110.
Pierre Chysologue (S.), 146. Sachau, 66. m.
Pierre Comestor, 5^, 156, 337. sages-femmes, 4, 7, 26, 38, 40, 106, "ἢ
Pierre. Damien (S.), 154. 143, 257, 250255!
Pistis Sophia, 226. saint des saints, 2, 191, 222.
Pitra, 110, 133. sainteté, 23, 28. "AT
Porphyre, 44. Salomé, 4, 40, 108, 251, 253, 255,
Porte d'or, 6, 8, 195, 293, 348, 325. s
350. Samson, 15, 346.
Postel, 78, 165, 168. Samuel, 15, 23, 51, 346.
pourpre, 220, 222. Sara, 188, 346.
présentation de Jésus, 51, 68, Satan, 45.
253785331593933 Sauveur, 227, 235, 253, 257.
Présentation de Jésus, (féte), 118, Schmidt, 77, 105.
160. Sédulius, 289, 313, 350.
présentation de Marie, 22, 28, 45, Sédulius Scotus, 148.
51, 205, 296, 352. Seigneur, 41.
Présentation de Marie (fête), 46, Séleucus, 278.
KES ER 199. 192... 4133551357 Sepphoris, 195.
161, 164, 210. Septante, 62, 129, 180, 185, 229, :
prétendants, 214. 271. i
Preuschen, 37, 153. Sérapis, 94.
Priscillianistes, 101, 103, 145. Serge I, 160. -
Priscillien, 141. serpent, 45, 231.
Proclus, 118. Sibyllins (livres), 166, 237. ;
Prudence, 139. Siméon, 5, 68, 81, 129, 220, 2A,»
psaumes graduels, 297, 352. 274, 333. :3
Psellos Michel, 128. Siméon Métaphraste, 128, 136. —
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES 373
Sinaiticus, 19. Usuard, 150.
Sixte IV, 161.
Sixte V, 161. Valentiniens, 32.
Sixte de Sienne, 166. Vaticane (Bibliothéque), 63, 73.
slave (littérature), 91, 137, 253. Venise (Bibliothéque), 63.
stérilité, 16, 17, 21. Verbe, 41, 42, 223.
stichométrie de Nicéphore, 88. vertus chrétiennes, 297, 299.
Suarez, 16, 24, 159. Victorins, 155.
Suidas, 236. vie monastique, 14, 102, 106,
synaxaires, 135. 297.
syncrétisme religieux, 93. Vienne (Bibliothèque), 63.
vierge Marie, 11, 35, 42.
Talmud, 13, 51, 219, 241, 319. vies de Notre-Seigneur, 46, 159.
temple, 2, 6, 8, 14, 22, 24, 28, Vigilantius, 301.
ΔΕ ΠΟ, 19, 127, 207-211, Vincent de Beauvais, 74,76, 156,
264-267, 352. 341.
Tertullien, 27, 32, 222, 243. virgines subintroductæ, 25, 30,
Testament des XII patriarches, 4^. 38, 309.
Théophane Kérameus, 124. virginité « in partu », 31, 103,
Théophylacte, 131, 132, 210, 217, 9225, 257. 251, 955.
331. virginité « post partum », 36, 37.
Thilo, 64, 65, 72, 73, 74, 77, 101, visitation, 3, 227-228.
168, 169, 180. vceu de virginité, 7, 8, 15, 23, 28,
Thomas (S.), apôtre, 253. , 197.4972303; :917,-321,:3547 861;
Thomas d'Aquin (S.), 24, 38. voile du temple, 23, 219, 226, 228,
Tillemont, 48, 111. 269.
Tischendorf, 1, 5, 6, 12, 17, 20,
50::55, 62, 63, 72, 73, 76, 11, Walafrid Strabon, 148.
78, 101, 103, 168, 169, 179. Wassiliew, 125.
Tisserant, 34. Wright, 65.
Transitus Marie, 66, 149.
Très-Haut, 41, 42, 224. Zacharie, 2, 4, 5, 15, 68, 69, 83,
Turibius, 105. 88, 96, 213, 220, 262, 264.
Turin (Bibliothèque), 63. Zahn, 34, 86, 104, 124.
Zénon de Vérone, 139.
unions incestueuses des anges, Zotenberg, 67, 68.
285—915.
TABLE DES PASSAGES DE LA BIBLE

I. ANCIEN TESTAMENT

(26n636,:1:.012:207 rm a 191
ΝΣ RER rotes τ ΤῊΝ epi as 234
X VAT: fl 220 EC RENE 15
XVIHIS56L 2. ctetees 203
CV 49-715» 6 re cis ee 15
SES PA AE PSP TR EU 15 1v, 41....
2 RE
.
RTS D LU RR 203 I Samuel,
REGINE RT TEL els ὩΣ ΕΞ 201
xcY dd del ST muetEs 246
AE DER vere E 198
Ἐξ CU GP TTC E UNS 203
ἘΣp BI M c MPO 231
ΠΧ ΣΎ IIS 55851. darts cher let 183
RAR VII AT =O0 7 or 198
ΤΟΣ eese EE eitis 185
Exode tr 410-210 ΤΠ ΞῪΝ: 250
ae 0, ME SRE RSS re 251
SCX TIR DO ees EE M NTI 344 xxr 10..... — CN
XXIVLIS RE TS Perse 184 I Rois, vis, 10; 1 :
XXV 9617-22 Oe ee TrVsEf 356 XIx, 28... V OD CERE
NOSTRSE qe CE REN UO 220
DUX IIIA 9-00 lit base eine 212
KR VII 0025: pee 196
L6 PR HIS PSI 219, 220
Lévitique, xu, 9... 14.5 199
SCIO PACE PES ct 186 xui 492 MN &4&, 993, 349 ἢ
SCXTID27-02 25. QI te de. 186
noxy DJ PT ἘΠῚ πον siet 218
Nombres, v, 11-31.. 240, 241, 318
xp 97-01. LE. Cire 217
VTT ce 213, 211807; 251
XOCDX ios Ael Earn LEE 186
Deutéronome, vir, 14....... 344
nl ee RO EE Pur 360
RRAT 2519224 -rte eue ee 233
SV E d FO οἷς spa Mie 235
tv 051092915, MED eS 283
Mages vi, 49-22. ..-:-.5. 290, 291
TABLE DES PASSAGES DE LA BIBLE By
Psaumes, rxxv, 12 (vulgate) 355 , Isaie, CARTE 4409975 1s 2 diet: 55
EME en eo ML. n LANI. Las 203 DEV de. 0 DE CUM 195
EEGVATRU DA CT RII se. ee 186 EI, eos erosds see CS NRA 231
xen divi LIecil.ilia 203 |xTérémie; 1,5. 2.7 202NM 15
HO OV ΡΠ 207 xv. LOL ir. NM 185
Brovembes vrir, 22......... 287 | Ezéchiel, xr, 13-14 ...... 207
Sagesse, xvi, 14-15....... 249. Daniel, *v1t; 419 5-2.E 251
Beelomaste, vr,12 .........: 220. I OS: 1: 10.. RTE MTS 195
LECTEURS 994 1D41,0199 πες REN 195
VE ON ECCE TEES 19^l Amos; vi «192. 47.BUE 203
Gt So ERP 204 Habacuc, III, 2 (d’après LXX) 331
ΣΡfn nt 215; 397 | Zacharie, xxx, ὃ .- -..-τ" 185
xxxi, 9 (d’après LXX) .. 344 X1, 15:16 τος RU 269
ἘΣΤΟΣ ne à de 2 ς ete 204

II. NOUVEAU TESTAMENT

Matthieu T 18... sees 2903106, 1:822. 7. EE 220


τ Re PAT AE 8,12, 33, 43, 53 NUS NA En dic 192, 347
84, 230, 233, 315, 364 1, 15. nec 347, 348
MM mri. o ORE Ped 334 1; 419 1:5 s cu ENTER ἫΣ 348
Chad EX He P 4, 258 10321... ER moe US 266
DE, cu OD EEE 259 1:285... PDC S 313
unc. TU EM C die. 261 ERATES MAC CRE ne D NE 203
cr CEU C M NE 294| 1 26-38 .... 8, 42, 29, 41, 42
ru. S PARERE 257, 328 52, 84, 131, 221, 222, 360.
x:29-91 celere 1903). A0 ricum, ΡΥ 53
F0 EE
OS (MESRINE 37, 217 13d RE
Mtt de 229
sivi De eu EE 297 ΡΥ" ἈΠ. τ 224
EVE ἢ). ET D dec oi oo à 251 I.94 2 ere te D RÉ 246
puce C Goes PR 205 DDASS SEMESTRE 197
SES, ARE RARE 253 τ 42S are SNL
ees 222
Lee VAE eM y pies cue 183 TD De. Gore dei S 228
XXII 99 ..99, 94, 99, 205, 266 1525 PAS EE ons veδὴ Y ENERO 351
Do RMS AE 249 12250. online àτὰς MOT 229
RTE le passe τ τ συν ἐς 269 τ 5 780 3 Ὲ ἘΞ ΣΟ T ΤΣ 15
VD OR ee τ sensece 253 1,08 RE en ES203, 297
NC τὸ diae S RM PE 203 I5 4-2 2... 75 1 ORE 322
Wü. SB oO INDE 37 1j, 157.5. ver ME RET 243
Pus COD RR MAR 20025259 11574152055 5 En D "555/10
zs 4 LORS pU. 253 LUASFR lcs cx eI ens 990.
ΠΡ 5, SES RER 15 Ἐξ De 322
D ED. DA NOR LL RER RSS 53
"Α BÀ i odi E ai ELM UE mo. X sec. x

376 | PROTÉVANGILE DE JACQUES .


Τα FERRER
PQ PETS 928 , Jean, 143, 25:1. λον τ eM ds
INDIES LEWIS 346 X1, 47:52 (X TO EUR D^
ἀν 11.5: 022.
4 CE LE 329 $0.0. vos egets RETE Pr
2905-06... 120 ΤΕ“ ἢ 274 Xix, 25-DOL 91. NE10,:131;*
1:05:02 RP ET SEO E 333 Kk; DD ΤΣ μεν EE
ΤΕΣ ACTI COE. edfsiet eR 246 | Actes, t; 147 eed a Hs.
IL 00-38 eee tte ed 333 Hund 20:4 HIN
y ΣΕ rS Aur SAP 127 περ τσ.
ET ne ET NE ERPET 335 s; 19x15 τ τ πο ΟΝ LAE
TMD Ti eme urecosKS207, 354 EXWVELS 040000 80 AREE
Dp DIE née Ils 51, 181 | Romains, vim, 39... P :
MT AA o .dlldindelms 328 | I Corinthiens, vir, 36-38
UT RE EAD 89 | II Corinthiens, x1, 8........ 28
ECITIS 291/01 Ent ee ere 256 | Gàlates,1,
15... 7. SON
Ao v d NE 197 | I Timothée, m, 14......... 994
xxx 415419 πῆς Eutrel 256 $145:5. LT Re 360
ex TT TA MS NES 256 | Hébreux, 1,8 ...::.: 25 99 18
vxsiue T cp P EMEN 181 | I Pierre, v, 6, οι EAR
RAR vera sed qe ous ne 313 | Apocalypse, v1, 9 .......... 318
EU S Lever etetote ehetetete lait le a 12 ὙΠ, 8:4 2. 1. vo TEES 949.
MCIYA Le revenons 251 X, PReORT BE S
Vy ΣΎΡΕΙ ΕΝ e ii,ree fa 185 xvu, 15...::: 20 "hz
FAC LU SNS
RIO REA 328 *1x, 10 οὐ v EE ERA.
VIT UE ἘΠ τ Ὁ eerie eisdeoe 181 *Xi1057.:-
2 5 5 5.70 Le
e

ΠΡ ANA
Y ETO URBE

NN ΤΕΡΒΟΡΟΒΙ o2. eee |] rre E ORE A a τῷ v

IntrudBett00- eser e EUIS NE rca Cxeee .. 1-169

CHAPITRE |l. ANALYSE DES TEXTES .......... Ἐπ ον Ad 1-8


SR Le Protévangile de. Jacques ::.:.........:2.... 4
Ὁ bes remaniements latins ...:.:......1%..,...%. 5

CAE ES DOCTRINES 5|....... erre 9-60


DRE SPauteurs, Ἐπ προ oies es cite moe 9
8 2. La conception et la naissance de Marie .......... 15
8 3. La pureté de Marie, son vceu de chasteté, son ma-
DES SON MEC OE SO OC EC rio 22
Bc BasvmeInité In partu... veo. cte cel 31
ENS LÉ AVITCINILé DOS partum... “en, - à dec esr ess 36
ὃ 6. Questions théologiques diverses ...,............ 40
SA ValourT lüstorique ..:...... 9. που νι hh 45

GnarrnuR ΠῚ EHusTOIRE DU LIVRE .........]


t rrr rts 61-169
Ilextej versions et remaniements ....:.............:. 61
SENEC IDtio gITOÓ -20.o eer rh eee dés seebie 61
SLCEEPSEYCISIODS.- er rrr rrr ANS 65
RES. Éescremaniements latins ...:.2.. er urs 72
II. Le probléme littéraire, dates et auteurs .............. 77
SET: cDe: Protévangile de Jacques ....:..::...:,,...7. 77
NA Éestremaniements latins 1... .-....0 ὁ" 101
III. Histoire de ces textes dans la littérature chrétienne .. 108
$ 1. Le Protévangile chez les écrivains de langue grecque 109
$ 2. Le Protévangile et ses remaniements dans l'Occi-
(Sexo dETR ERRORES
Ce NT, MO APRES 138
$ 3. Le Protévangile et sesremaniements latins depuis
JabErenaissance::.. ον ces EMO RUM eeeS Re 164

ISBD TOC AS PEN ET D 171


IEREVPAUBIOONS ET SIGNE CRITIQUES: «.0. 0.8.0. ons pee + ee elolelerst elle 176
τα v δ "S
Tr ce - * RUE

: 378 PROTÉVANGILE DEJACQUES


E Le Protévangile, texte, traduction, commentaire ....... T ἮΝ
Évangile de Pseudo-Matthieu, texte, traduction, commentaire. ὁ

Évangile dela Nativité. :... 0... τὸ RICO DNE


i: TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES ....:.................
m TABLE DES PASSAGESDE LA BIBLE ........2..-.-
9-49 5 08

:L Imp. Leroy, 185, rue de Vanves. ^


BS
| AMANN, Emile.
Le Protévangile 2860
λον
| de Jacques.
La V4 d ptus MAT DEA

d AMT Un
5

n RHONE
Cu
WEN

« Ν᾿
x:
rUP
UE
TIE
E
RT

EsWIRTEET
UE
irf nar,TE Hum
[4
Ἢ 9

GER
TEILT

RES RT
e
ec
tIET.
BO
c.
CU frati

Ἧς ἢ
Put Ó
SD

EN
TEST
1

Arie
HL EARS
SIT RATS
IN Por ΤΗΣ

jus Tu
iaANTI HU ad EE n) £

| Ἢ Ge:
1s
"S
MES
ex

RAτὰς
ταν
Litt

“as
AA
mA
vv.
m bc LAGOS iEN (dusNNQuir
EI T ΝΠ d THAT
RES : E AR MAA PU ERP ART NRA ^)
fe NT NAMUR (RO pt δ MINIME tt
v

ἜΣ ἣνET
B
e
M Nat "ifs
j gi L nh
He
HA
PN
3
$t dd
dn
PIN
ΝΗAn 5
*
ν᾿
f

DM P EUR TA EN d i1j PO WeV


Em
ju ler,
den
JM
WASH
BIA
ni
Dun
: 34
LU
f | HUS
io
hohe

Hot

n AUS
1 (mH I8]

Vous aimerez peut-être aussi