Yakumo Koizumi Mononoke Histoires de Fantômes Japonais
Yakumo Koizumi Mononoke Histoires de Fantômes Japonais
Yakumo Koizumi Mononoke Histoires de Fantômes Japonais
Mononoké, histoires de
fantômes japonais
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Alex Nikolavitch
Avant-propos de la première
édition
Mars 1904
L. H.
Tokyo, Japon, le 20 janvier 1904
Kwaidan
L’histoire de Mimi-Nashi-Hôïchi
2. Voir mon recueil Kottô pour une description de ces crabes très curieux.
3. Ou Shimonoséki. La ville est aussi connue sous le nom de « Bakkan ».
4. Sorte de luth à quatre cordes, utilisé essentiellement pour accompagner des
récitations. Jadis, les ménestrels professionnels récitant le Heiké-Monogatari et
d’autres histoires tragiques étaient appelés biwa-hôshi ou « prêtres à luth ».
L’origine de l’appellation n’est pas claire, mais peut tenir au fait que ces artistes
avaient le crâne rasé à la façon des prêtres bouddhistes, tout comme les
shampooineurs aveugles. On joue du biwa à l’aide d’une sorte de plectre, le bachi,
généralement fait de corne.
5. Réponse traditionnelle qui montre qu’on écoute avec attention.
6. Terme respectueux sollicitant l’ouverture d’une porte et employé par les
samouraïs lorsqu’ils demandaient à être admis chez leur seigneur.
7. Matrone qui dirige les servantes.
8. On pourrait également traduire la phrase ainsi : « par pitié de ce qui est le plus
profond ». Le mot japonais pour pitié est awaré.
9. C’est le sens courant de l’expression d’origine, « Shinobi no go-ryokô »,
littéralement « accomplir un auguste voyage déguisé ».
10. Le petit Pragña-Pâramitâ-Hridaya-Sûtra est ainsi appelé en japonais. Les petits
et grands sutras appelés Pragña-Pâramitâ (« sagesse transcendante ») ont été
traduits en anglais par feu le professeur Max Müller et se trouvent dans le volume
XLIX des Sacred Books of the East (« Buddhist Mahayana Sûtras »). À propos des
usages magiques du texte qui sont décrits dans ce conte, il est intéressant de
remarquer que ce sutra contient la doctrine de la vacuité des formes, c’est-à-dire le
caractère irréel de tous les phénomènes et noumènes. « La forme est vacuité et la
vacuité est forme. La vacuité n’est pas différente de la forme ; la forme n’est pas
différente de la vacuité. Ce qu’est la forme, voilà la vacuité. Ce qu’est la vacuité,
voilà la forme. […] Perception, nom, concept et connaissance, cela aussi est
vacuité. Il n’y a pas d’œil, d’oreille, de nez, de langue, de corps, d’esprit […], mais,
lorsque l’enveloppe de la conscience a été annihilée, alors [celui qui est en quête]
devient libre de toute peur et est à portée du changement, de jouir de l’ultime
Nirvana. »
Oshidori
Hi kururéba
Sasoëshi mono wo,
Akanuma no
Makomo no kuré no
Hitori-né zo uki!
11. Littéralement « canards mandarins ». Depuis les temps les plus reculés, ces
oiseaux sont vus en extrême Orient comme un symbole de l’affection conjugale.
12. Le troisième vers possède un double sens pathétique : les syllabes qui
composent le nom « Akanuma » (« marais rouge ») peuvent également se lire
« akanu-ma », c’est-à-dire « le temps de notre relation inséparable [ou
délicieuse] ». On peut donc rendre le poème de cette façon : « Lorsque le jour
tomba, je l’invitai à m’accompagner. Et voilà qu’après le temps de cette relation
heureuse, me voilà seule à dormir tristement à l’ombre des roseaux. » Le makomo
est une sorte de roseau large dont on se sert pour fabriquer des paniers.
L’histoire d’O-Tei
13. Sama est un suffixe poli que l’on adjoint aux noms propres.
18. C’est ainsi que l’on appelle le domaine, la villa et les terrains alentour d’une
personne très riche.
19. Service funéraire bouddhiste.
Un miroir et une cloche
39. Traduction littérale de suzumushi, une sorte de grillon dont le cri caractéristique
évoque des clochettes, d’où ce nom.
40. De nos jours, un rokuro-kubi est généralement conçu comme une créature dont
le cou s’étend exagérément, mais reste attaché à son corps.
41. Recueil chinois d’histoires surnaturelles.
42. Cadeau qu’on ramène à sa famille ou à ses amis en rentrant de voyage. Bien
entendu, le miyagé est, en principe, une chose produite dans la localité où l’on s’est
rendu. C’est précisément le sens de la plaisanterie de Kwairyô.
43. Actuelle préfecture de Nagano.
Le secret d’une défunte
Tadzunétsuru,
Hana ka toté koso,
Hi wo kurasé,
Akénu ni otoru
Akané sasuran?
Uso no yona,
Jiu-roku-zakura
Saki ni keri!57
57. « Foin de faux semblant, cerisier du seizième jour, il est grand temps ! »
(N.D.T.).
58. Actuelle préfecture d’Ehime.
Le songe d’Akinosuké
Et, une fois encore, je vois les ombres s’allonger sur cette
colline galloise désormais si lointaine, Robert debout à mes
côtés, avec son visage presque féminin et ses boucles dorées.
Nous cherchions des cercles de fée, mais tout ce qui existait du
vrai Robert doit avoir été changé par l’océan en quelque chose
de riche et d’étrange…
« Personne n’a de plus grand amour que celui-là, qui
donne sa vie pour ses amis… »
Hôrai
I
J’espère avoir la chance du lettré chinois nommé Rôsan
dans la littérature japonaise ! En effet, il a été aimé de deux
sœurs célestes, des esprits qui lui rendaient visite tous les dix
jours pour lui raconter des histoires de papillons, des histoires
spectrales, et je veux les connaître. Mais je ne serai jamais en
mesure de lire le chinois, ni même couramment le japonais. Le
peu de poésie japonaise que je parviens à traduire, avec
d’excessives difficultés, contient tant d’allusions aux contes
chinois sur les papillons qu’elle représente un supplice de
Tantale. Et, bien sûr, aucun esprit de jeune fille ne daignera
rendre visite à un sceptique dans mon genre.
Je tiens à connaître, par exemple, l’histoire de cette jeune
Chinoise que les papillons prenaient pour une fleur et suivaient
en nombre tant elle était belle et sentait bon. Mais aussi tout ce
qui concerne les papillons de l’empereur Gensô, ou Ming
Hwang, qui leur confiait le choix de ses amantes… Il
organisait des soirées arrosées dans ses incroyables jardins et y
invitait les plus belles femmes ; des papillons en cage, libérés
pour ces occasions, voletaient parmi elles et allaient vers la
plus jolie, qui, dès lors, faisait l’objet de la faveur impériale.
Mais après avoir vu Yôkihi (que les Chinois appellent Yang-
Kwei-Fei), Gensô Kôtei ne souffrit plus que les papillons
choisissent pour lui. Ce fut une lourde erreur, car Yôkihi lui
attira de sérieux ennuis. De même, je voudrais en savoir plus
sur l’expérience de ce célèbre philosophe chinois que les
Japonais célèbrent sous le nom de Sôshû ; il rêva un jour qu’il
était papillon. Au cours de ce songe, il connut toutes les
sensations d’un papillon, car son esprit avait réellement erré
sous cette forme. À son réveil, les souvenirs de cette existence
et ses sentiments demeuraient si vifs dans son esprit qu’il ne
parvenait plus à agir comme un homme. Enfin, j’aimerais
connaître le texte d’un certain décret officiel qui reconnaît
divers papillons comme les esprits d’un empereur de Chine et
de ses serviteurs…
Nugi-kakuru70
Haori sugata no
Kochô kana!
Torisashi no
Sao no jama suru
Kochô kana!
Tsurigané ni
Tomarité nemuru
Kochô kana!
Néru-uchi mo
Asobu-yumé wo ya,
Kusa no chô!
Kago no tori
Chô wo urayamu
Metsuki kana!
Chô tondé,
Kazé naki hi to mo
Miëzari ki!
Rakkwa éda ni
Kaëru to miréba,
Kochô kana!
Chiru-hana ni,
Karusa arasoü
Kochô kana!
Chôchô ya!
Onna no michi no
Ato ya saki!
Chôchô ya!
Hana-nusubito wo
Tsukété-yuku!
Aki no chô
Tomo nakéréba ya;
Hito ni tsuku.
Owarété mo,
Isoganu furi no
Chôcho kana!
Chô wa mina
Jiu-shichi-hachi no
Sugata kana!
Nami no hana ni
Tomari kanétaru,
Kochô kana!
Mutsumashi ya!
Umaré-kawareba
Nobé no chô.78
Nadéshiko ni
Chôchô shiroshi,
Taré no kon?79
Ichi-nichi no
Tsuma to miëkéri,
Chô futatsu.
Kité wa maü,
Futari shidzuka no
Kochô kana!
III
La plupart des histoires japonaises qui concernent les
papillons semblent, je l’ai déjà dit, venir de Chine. Mais j’en ai
trouvé une qui est probablement indigène et me semble digne
d’être racontée à ceux qui ne croient pas à l’existence d’un
« amour romantique en Extrême-Orient ».
IV
J’ai presque oublié de mentionner une danse japonaise
appelée Kochô-Mai, ou « danse du papillon », que l’on
pratiquait au palais impérial avec des costumes de papillons.
J’ignore si l’on donnait ce spectacle de façon fréquente ou
occasionnelle, mais elle était réputée pour sa difficulté. Il
fallait six danseurs pour la pratiquer convenablement ; ils
devaient se mouvoir selon des figures particulières. Des règles
traditionnelles en codifient chaque pas, pose ou geste. Il s’agit
de se tourner autour très lentement au rythme de tambourins et
de grands tambours, de pipeaux et de flûtes de Pan fort
différentes des nôtres.
68. Ou, plus classiquement, haïkus.
69. « L’humble nymphe contempla son Dieu et rougit. » Ou, plus prosaïquement :
« L’eau humble contempla son Dieu et rougit. » Le poète joue sur un double sens
désuet du mot « nymphe », à la fois fontaine ou source et sa divinité tutélaire, à la
façon de ce que font les auteurs japonais en jouant sur les mots.
70. Plus généralement écrit nugi-kakéru, qui signifie à la fois « ôter, enlever,
accrocher » et « commencer à enlever », comme dans le poème ci-dessus. De façon
plus libre, mais peut-être plus efficace, on pourrait le rendre ainsi : « Telle une
femme qui ôte son haori, telle est l’apparence du papillon. » Il faut visualiser le
vêtement pour apprécier pleinement la comparaison. Le haori est un vêtement de
soie qui se porte par-dessus la robe, une sorte de cape dotée de manches et portée
par les deux sexes. Mais le poème suggère celle d’une femme, généralement plus
colorée. Les manches en sont très larges et la doublure de soie, aux couleurs très
vives, associées de manière artistique. Lorsqu’on enlève cet habit, sa doublure
brillante devient apparente, et, dans un tel instant, sa splendeur peut rappeler
l’apparence d’un papillon en mouvement.
71. Les attrapeurs d’oiseaux employaient des gaffes enduites de glu. Le poème
suggère que l’insecte se met dans le passage de façon persistante : l’oiseau pourrait
s’inquiéter d’un papillon collé et fuir. Jama suru signifie « gêner » ou
« empêcher ».
72. Même lorsqu’il est au repos, le papillon peut parfois battre des ailes, comme s’il
rêvait de voler.
73. Petite composition de Bashô, plus grand auteur de haïkus. Ces vers cherchent à
suggérer les sentiments joyeux du printemps.
74. Littéralement « une journée sans vent », mais deux négations, en poésie
japonaise, ne signifient pas forcément une affirmation, contrairement aux langues
occidentales. Le sens, ici, est que malgré l’absence de vent, le vol des papillons
suggère une brise forte.
75. Allusion au proverbe bouddhiste : Rakkwa éda ni kaërazu ; ha-kyô futatabi
terasazu (« La fleur tombée jamais ne retourne à sa branche ; le miroir brisé plus
jamais ne reflète. »). L’illusion de voir la fleur remonter vers la branche n’était que
le vol d’un papillon.
76. Probablement une allusion à la chute légère des pétales de cerisiers.
77. Manière de dire que la grâce de leurs mouvements fait penser aux jeunes filles,
portant des robes aux longues manches pendantes. Un vieux proverbe japonais
déclare que le démon lui-même est joli à 18 ans : Oni mo jiu-hachi azami no hana :
« Même un démon à dix-huit ans, fleur de chardon. »
78. Ou peut-être peut-on rendre ces vers plus efficacement de cette façon :
« Heureux ensemble, dis-tu ? Oui, si nous pouvions renaître comme des papillons
dans un champ. Alors nous serions en accord. » Ce haïku a été composé par le
grand poète Issa à l’occasion de son divorce.
79. Ou « Taré no tama » ?
80. Littéralement, « poursuivre les papillons, cœur je veux avoir toujours », c’est-à-
dire être toujours capable de trouver le plaisir dans les petites choses, comme un
enfant heureux.
81. Vieille légende populaire erronée, probablement importée de Chine.
82. Un nom suggéré par la ressemblance entre la chrysalide et le mino, manteau de
pluie en paille, porté par les paysans japonais. Je ne suis pas certain que la
traduction mot à mot « ver panier » soit réellement correcte, mais la larve appelée
mino-mushi se construit un étui de débris qui ressemble assez à celui du « ver
panier ».
83. Sorte de très gros radis blanc. Daikon signifie littéralement « grosse racine ».
84. Pyrus spectabilis.
85. Esprit mauvais.
88. La période à laquelle Koizumi écrivit ce livre s’étend de 1868 à 1912. Elle
correspond au moment où le Japon se lance à corps perdu dans une modernisation à
l’occidentale. Les « modes, changements et désintégrations » dont il se plaint
renvoient à la destruction que la modernisation inflige à de bonnes choses
contenues dans la culture japonaise traditionnelle.
Fourmis
I
Le ciel matinal, après la tempête de la nuit, est d’un bleu
pur et aveuglant. L’air, délicieux, est chargé de douces odeurs
résineuses qui émanent des innombrables branches de pins
cassées et jetées au sol. Dans la bambouseraie toute proche,
j’entends l’appel flûté d’un oiseau louant le sutra du Lotus ;
sous le vent du Sud, le pays est encore d’un grand calme.
L’été, longtemps repoussé, est enfin avec nous pour de bon :
des papillons aux étranges couleurs telles qu’on ne les trouve
qu’au Japon volettent aux alentours, les semi89 chantent, les
guêpes bourdonnent, les moucherons dansent dans les rayons
du soleil et les fourmis s’affairent à réparer leurs habitations
endommagées. Tout cela me rappelle un poème d’ici :
Yuku é naki!
Ari no sumai ya!
Go-getsu amé.
II
Pour la même raison qu’il est considéré dans certains
cercles comme choquant et malvenu de suggérer que des non-
chrétiens aient pu produire une civilisation supérieure, sur le
plan éthique, à la nôtre, il y aura des gens à qui mes
considérations sur les fourmis pourront déplaire. Il est pourtant
des hommes incomparablement plus sages que je ne saurais
espérer le devenir un jour pour penser civilisations et insectes
indépendamment des bénédictions du christianisme. Je trouve
très encourageant le tout nouveau Cambridge Natural History,
qui contient les remarques suivantes du Pr David Sharp à
propos des fourmis :
« L’observation a révélé un phénomène remarquable dans
la vie de ces insectes. Nous ne pouvons échapper à cette
conclusion : elles ont acquis l’art, sous bien des rapports, de
constituer des sociétés et d’y vivre ensemble d’une façon bien
plus parfaite que notre propre espèce ; elles sont en avance
sur nous dans l’acquisition des industries et des arts qui
facilitent grandement la vie sociale. »
J’imagine que quelques personnes bien informées pourront
contester cette déclaration d’un spécialiste reconnu, l’homme
de science contemporain n’étant pas formé à devenir
sentimental lorsqu’il parle des abeilles ou des fourmis ; mais
elles seront néanmoins forcées de reconnaître que, en termes
d’évolution sociale, ces insectes semblent avoir avancé « par-
delà l’homme ». M. Herbert Spencer, que nul n’irait accuser
de tendances romantiques, va beaucoup plus loin que le
Pr Sharp et nous montre les fourmis, dans un sens très concret,
comme plus avancées que l’humanité non seulement dans un
domaine économique, mais également éthique : leurs vies sont
entièrement vouées à des buts altruistes. Et le professeur Sharp
appuie son observation prudente d’une façon peut-être inutile :
« La compétence de la fourmi ne ressemble pas à celle de
l’homme. Elle se consacre au bien de l’espèce plutôt qu’à
celui de l’individu. Ce dernier est sacrifié ou spécialisé au
bénéfice de la communauté. »
L’implication évidente, selon laquelle tout état dans lequel
l’avancement de l’individu est sacrifié au bien collectif laisse à
désirer, est sans doute correcte, d’un point de vue purement
humain. L’homme n’a pas encore évolué jusqu’à la perfection,
et la société humaine a beaucoup à gagner de son
individualisation croissante. Mais, en ce qui concerne les
insectes sociaux, la critique implicite pose question. Selon
Herbert Spencer, « l’amélioration de l’individu consiste à
l’adapter au mieux à la coopération sociale ; parce que cela
conduit à la prospérité collective, cela permet le maintien de
la race ». En d’autres termes, la valeur de l’individu n’existe
qu’en regard de la société ; et, cela étant posé, le fait que ce
sacrifice soit bon ou mauvais dépend alors du bénéfice ou de
la perte pour la société en question et de la valeur qu’elle
accorde à l’individu en tant que tel. Mais, comme vous le
devinez, ce qui mérite le plus notre attention dans les
fourmilières, c’est leur sens éthique, qui dépasse toute
possibilité de critique humaine : il représente l’évolution
idéale de la morale décrite par M. Spencer, « un état dans
lequel l’égoïsme et l’altruisme sont réconciliés au point que
l’un se fonde dans l’autre ». Pour ainsi dire, un état dans
lequel le seul plaisir possible est celui de l’acte désintéressé.
Ou, pour citer à nouveau M. Spencer, les activités des sociétés
d’insectes « soumettent le bien-être de l’individu à celui de la
communauté à un point tel qu’on se préoccupe des besoins de
l’individu uniquement dans la mesure où cela est nécessaire
pour lui permettre d’accomplir sa vie sociale… L’individu ne
prend, en nourriture et repos, que ce qu’il lui faut pour
maintenir sa vigueur. »
III
J’espère que mes lecteurs le savent déjà : les fourmis
pratiquent l’horticulture et l’agriculture, savent faire pousser
des champignons avec art et ont domestiqué (dans l’état actuel
de notre savoir) 584 espèces d’animaux. Elles peuvent creuser
des tunnels dans la roche, se prémunir des changements
atmosphériques dangereux pour leurs petits. Pour des insectes,
leur longévité est exceptionnelle : des membres des espèces les
plus évoluées ont vécu plusieurs années.
Mais ce n’est pas particulièrement de ces choses-là que je
tenais particulièrement à parler. Mon sujet, c’est cette décence
effrayante, la moralité terrible de la fourmi91. Nos plus
inaccessibles idéaux de conduite semblent misérables à côté de
l’éthique de la fourmi, en envisageant le progrès au fil du
temps, sur rien moins que des millions d’années ! Et quand je
dis « la fourmi », je pense aux types les plus élevés, pas la
famille dans son entier. Il en existe environ 2 000 espèces déjà
connues, et elles démontrent dans leur organisation sociale
toutes sortes de degrés d’évolution. Certains phénomènes
sociaux de la plus grande importance biologique,
particulièrement leur étrange relation à l’éthique, peuvent être
étudiés avec un grand intérêt chez les formes les plus évoluées
de cet insecte.
Après tout ce qui a été écrit ces dernières années à propos
de la valeur probable de l’expérience au fil de la longue vie de
la fourmi, j’imagine que peu de personnes iraient contester son
caractère individuel. L’intelligence dont fait montre la créature
face aux difficultés nouvelles, qui lui permet de les surmonter
et de s’adapter à des conditions totalement étrangères à son
expérience, montre une puissance de pensée indépendante
considérable. Une chose est certaine : la fourmi n’est pas
individuellement capable d’égoïsme ; j’emploie le mot dans
son acception ordinaire. Une fourmi avide, sensuelle ou
capable d’un quelconque des sept péchés capitaux, voire d’un
simple péché véniel, est inimaginable. Tout comme, bien sûr,
une fourmi romantique, dotée d’une idéologie, portée à la
poésie ou à la spéculation métaphysique. Aucun esprit humain
ne saurait parvenir au caractère parfaitement terre-à-terre de la
fourmi. Aucun d’entre nous tels que nous sommes constitués
ne pourrait cultiver un esprit aussi impeccablement pratique
que celui de la fourmi. Et cet esprit suprêmement pragmatique
est incapable d’erreurs morales. Il serait difficile, sans doute,
de prouver qu’elle n’a aucune idée religieuse, mais il est
néanmoins certain que de telles notions lui seraient inutiles.
Un être incapable de faiblesse morale n’a guère besoin de
« guide spirituel ».
Nous ne pouvons nous représenter la société des fourmis
que d’une façon vague, tout comme la nature de leur moralité ;
pour tenter d’y avoir accès, nous devons essayer de nous
représenter un état impossible de la collectivité humaine et de
ses règles. Afin d’y parvenir, imaginons un monde plein de
gens qui travaillent sans trêve, furieusement, et où tous les
individus semblent être des femmes. Aucune d’entre elles ne
saurait être persuadée de prendre ne serait-ce qu’un atome de
nourriture de plus que nécessaire au maintien de sa force ni
même être trompée en vue de cela ; aucune d’entre elles ne
dort une seconde de plus que la quantité de sommeil qui lui
permet de maintenir son système nerveux en état. Chacune
d’entre elles est si adaptée à sa tâche que le moindre caprice
nuirait à sa fonction.
Le travail quotidien de ces ouvrières comprend le tracé de
route, la construction de ponts – entre autres –, l’abattage de
bois, l’horticulture et l’agriculture, l’alimentation et l’entretien
de divers animaux domestiques, la fabrication de produits
chimiques, la conservation de la nourriture et le soin aux petits
de l’espèce. Tout est fait pour le bénéfice de la communauté et
aucun citoyen n’est capable de raisonner en termes de
« propriété », hormis en tant que res publica. Le seul objet de
la colonie est l’alimentation et l’éducation de ses jeunes,
presque tous des filles. La période d’enfance est longue. Non
seulement les enfants sont sans défense, mais également sans
forme. Leur constitution est si délicate qu’ils doivent être
protégés de tout changement de température. Heureusement,
leurs nurses comprennent les lois de la santé et chacune sait ce
qu’elle a à savoir en termes de ventilation, de désinfection, de
drainage, d’humidité, et même de dangers des germes, peut-
être visibles à leur vue myope, d’ailleurs, comme ils le sont
aux nôtres par le truchement du microscope. De fait, les
problèmes d’hygiène sont à ce point maîtrisés qu’aucune
d’entre elles ne fait jamais la moindre erreur quant aux
conditions sanitaires du voisinage.
En dépit de ce labeur incessant, aucune travailleuse ne se
néglige. Chacune est scrupuleusement propre, faisant sa
toilette plusieurs fois par jour. Elles sont d’ailleurs toutes
équipées dès la naissance de merveilleux peignes et de brosses
attachés à leurs poignets, ce qui leur évite de perdre du temps
dans une salle de bains. Outre leur entretien personnel strict,
les ouvrières doivent maintenir logements et jardins dans un
ordre impeccable pour le bien des petits. Il ne faut rien moins
qu’un séisme, une éruption ou une guerre désespérée pour
interrompre la routine quotidienne de ce ménage méticuleux.
IV
Maintenant, voici les faits étranges.
Ce monde de travail incessant en fait plus que des vestales.
Il est vrai que des mâles peuvent parfois apparaître, mais
seulement en certaines saisons, et ils n’ont aucun contact ni
avec les ouvrières ni avec le travail. Aucun d’entre eux ne se
permettrait de s’adresser à la moindre femelle, hormis peut-
être dans des circonstances extraordinaires de péril commun.
De même, aucune ouvrière n’irait parler à un mâle : dans ce
monde étrange, ils sont des créatures inférieures, incapables de
se battre ni de travailler ; on ne les tolère que comme un mal
nécessaire. Une classe particulière de femelles, la reine mère
de l’espèce, condescend à se commettre avec des mâles durant
une période très brève, lors de la belle saison. La mère elle-
même ne travaille pas, et elle doit accepter ces époux. Une
ouvrière ne saurait même rêver de tenir compagnie à un mâle,
non seulement parce qu’une telle association représenterait
une frivolité et une perte de temps, non parce qu’elle voit les
mâles avec une forme d’indicible mépris, mais du fait de sa
propre stérilité. Certaines ouvrières sont parfois capables de
parthénogenèse et engendrent des enfants sans père, mais, de
façon générale, ces femelles ne sont féminines que par
l’instinct moral : elles font montre d’une tendresse, d’une
patience et d’un à-propos que nous qualifions de
« maternels ». Leur sexe a néanmoins disparu, comme celui de
la Vierge Dragon dans la légende bouddhiste.
Pour se défendre des prédateurs et des autres ennemis de
l’État, les ouvrières disposent d’armes ; elles sont de surcroît
protégées par une vaste force militaire. Les guerriers sont
beaucoup plus gros que les ouvrières (dans certaines
communautés tout du moins), si bien qu’il est difficile, à
première vue, de les croire de la même espèce. On en trouve
parfois qui sont des centaines de fois plus gros que les
congénères à protéger. Tous sont des amazones, ou, pour être
précis, des « semi-femelles ». Ils travaillent également, mais
sont bâtis pour le combat : leur utilité en dehors se cantonne
aux travaux de force, et non à ceux de précision.
V
Mais cette longue introduction n’est là que pour nous
amener à « la romance dans le monde des insectes ».
La découverte la plus surprenante au sujet de cette
civilisation étrange, c’est la suppression du sexe. Dans
certaines formes avancées de fourmis, le sexe disparaît
totalement chez la majorité des individus ; la vie sexuelle, chez
presque toutes les espèces, semble n’exister que pour assurer
la continuation de l’espèce, et se cantonne strictement à cela.
Pourtant, les faits biologiques, à ce propos, sont encore plus
étonnants que ce qu’ils suggèrent sur le plan éthique : cette
suppression, ou régulation de la faculté sexuelle, semble être
volontaire ! Volontaire au niveau de l’espèce, en tout cas. On
pense désormais que ces merveilleuses créatures ont appris à
favoriser, ou, au contraire, à stopper le développement du sexe
de leurs jeunes grâce à un mode particulier de nutrition. Ils ont
réussi à placer sous un contrôle parfait ce qui est censé être
l’instinct le plus puissant, impossible à dompter. Et cette
contrainte rigide sur la vie reproductive cantonne la vie
sexuelle à ce qui est strictement nécessaire pour éviter
l’extinction. Ce n’est pourtant que l’une des façons – la plus
incroyable – d’économiser de ces espèces. Toute capacité au
plaisir égoïste (dans le sens le plus commun du mot) a été
également réprimée grâce à des modifications physiologiques.
On ne peut se livrer à aucun appétit naturel, hormis lorsque
cela bénéficie directement ou indirectement à toute l’espèce.
Même les besoins en nourriture et en sommeil ne sont
satisfaits qu’à hauteur de ce qui est exactement nécessaire au
maintien d’une activité saine. L’individu ne peut exister, agir,
penser que pour le bien commun ; et la communauté refuse
triomphalement, dans la mesure où les lois cosmiques le
permettent, de se laisser diriger par la faim ou l’amour.
La plupart d’entre nous avons été élevés dans l’idée
qu’aucune civilisation ne saurait exister sans une quelconque
croyance religieuse, un espoir de récompense future ou de
châtiment. On nous a appris à penser que, en l’absence de lois
basées sur des idées morales, et que, en l’absence d’une police
efficace pour faire appliquer de telles lois, tout le monde ou
presque ne chercherait que son avantage personnel, quitte à
léser tous les autres. Les forts détruiraient les faibles, la pitié et
la compassion disparaîtraient, et tout le tissu social partirait en
morceaux… Ces enseignements sous-entendent le caractère
fondamentalement imparfait de la nature humaine, et ils
contiennent une vérité évidente. Mais ceux qui l’ont proclamée
il y a des milliers d’années n’auraient su imaginer une forme
d’existence sociale dans laquelle l’égoïsme serait
naturellement impossible. Il restait à l’irréligieuse mère nature
à nous fournir une preuve positive selon laquelle une société
peut exister dans laquelle le plaisir de l’acte altruiste rend
inutile l’idée même de devoir, une société dans laquelle une
moralité instinctive dispense d’un quelconque code éthique,
une société dans laquelle chaque membre naît absolument
désintéressé, énergiquement bon, au point que l’enseignement
moral délivré aux plus jeunes ne serait plus que la perte d’un
temps précieux.
Aux yeux de l’évolutionniste, de tels faits suggèrent
nécessairement que notre idéalisme moral n’a de valeur que
temporaire ; quelque chose de meilleur que la vertu, la bonté
ou la négation du soi, au sens le plus humain et le plus actuel
de ces termes, pourrait, dans certaines conditions, les
remplacer. Il se trouve contraint de se poser cette question : un
monde sans notions de morale ne pourrait-il pas être meilleur
qu’un autre régulé par de telles notions ? Il doit même se
demander si l’existence de commandements religieux, de lois
morales et de standards éthiques parmi nous ne prouve pas le
caractère encore primitif de notre état d’évolution sociale.
Toutes ces interrogations nous mènent à celle-ci : l’humanité
sera-t-elle jamais capable, sur cette planète, d’atteindre un état
éthique qui dépasse tous ses idéaux ? L’état que nous appelons
« mal », au sens moral, y serait atrophié au point d’avoir cessé
d’exister, et tout ce que nous appelons « vertu » se serait
transformé en instinct ; un état d’altruisme dans lequel les
codes moraux et les concepts qui les sous-tendent seraient
devenus aussi inutiles que dans les actuelles sociétés des
fourmis les plus évoluées.
Les géants de la pensée moderne se sont largement
penchés sur ce problème, et le plus grand de tous y a répondu,
en partie par l’affirmative. Herbert Spencer s’est dit persuadé
que l’humanité arriverait un jour à une forme de civilisation
éthiquement comparable à celle de la fourmi.
« Si nous avons, dans les ordres inférieurs de créatures,
des cas dans lesquels la nature est par constitution modifiée
au point que les activités altruistes fusionnent avec les
activités égoïstes, alors cela implique de façon irrésistible que,
dans des conditions parallèles, de telles choses puissent se
produire chez les êtres humains. Les insectes sociaux nous
fournissent un exemple tout à fait approprié qui nous montre à
quel point la vie de l’individu peut se trouver absorbée dans le
service de ses congénères. Ni la fourmi ni l’abeille ne peuvent
avoir de sens du “devoir” dans notre acception de ce terme ;
on ne peut pas non plus parler de sacrifice personnel au sens
ordinaire. [Les faits] nous montrent qu’il entre dans les
possibilités de la nature de produire des organisations aussi
énergiques dans la poursuite de fins altruistes que, dans
d’autres cas, dans celle de fins égoïstes. Ils nous montrent que,
en pareil cas, cet altruisme présente une facette égoïste
indirecte. Pour la satisfaction des besoins de l’organisation,
ces actes effectués au bénéfice des autres doivent être
accomplis…
« Il n’est donc pas vrai que, à l’avenir, la tension résidera
entre le soin de soi et le soin des autres, auquel le premier est
soumis. Au contraire, le soin des autres deviendra une telle
source de plaisir qu’il dépassera celui qui est né de la
gratification égoïste directe. Enfin viendra un moment où
égoïsme et altruisme seront réconciliés au point de se fondre
l’un dans l’autre. »
VI
Bien sûr, cette prédiction n’implique pas que la nature
humaine subira un jour un changement physiologique qui
conduira à des spécialisations structurelles comme celle que
nous constations chez les castes différenciées des insectes
sociaux. Nous ne sommes pas condamnés à imaginer une
humanité future constituée d’une majorité de semi-femelles
stériles et d’amazones travaillant au bénéfice de quelques
mères sélectionnées. Même dans son chapitre « La population
humaine dans l’avenir », M. Spencer ne tente même pas de
détailler les changements physiques inévitables lorsqu’il
s’agira de produire des types moraux supérieurs, quoique sa
déclaration générale à propos d’un système nerveux
perfectionné et d’une diminution drastique de la fertilité
humaine suggère des changements physiques considérables au
cours de cette évolution. S’il est légitime de croire que, à
l’avenir, l’humanité tirera son seul plaisir de la bienfaisance
mutuelle, est-il légitime d’imaginer également d’autres
transformations physiques et morales, dont les faits de la
biologie chez les insectes montrent qu’ils restent dans le
domaine des possibilités évolutives ? Je l’ignore. J’éprouve
une révérence pour Herbert Spencer, à mon sens le plus grand
philosophe apparu à ce jour en ce monde, et me sentirais
désolé d’écrire des choses contraires à ses enseignements en
donnant à croire au lecteur qu’elles m’ont été inspirées par la
philosophie synthétique. Je prends donc l’entière
responsabilité des réflexions ci-dessous. Les erreurs seront
miennes.
Je suppose que les transformations morales prédites par
M. Spencer ne pourront survenir qu’à la suite de changements
physiologiques, et à un coût terrible. Ces conditions éthiques
manifestées dans les sociétés d’insectes n’ont pu être atteintes
qu’à la suite d’un effort continu de millions d’années, et face à
d’atroces nécessités. D’autres circonstances affreuses,
également sans pitié, devront être rencontrées et surmontées
par l’homme. M. Spencer semble montrer que l’heure de nos
plus grandes souffrances est encore à venir et qu’elle pourra
s’accompagner d’une pression formidable sur la population.
Parmi les résultats de cette tension de longue durée, je crois
comprendre qu’il y aura une augmentation forte de
l’intelligence humaine et de la compassion, et que ces
améliorations se feront au détriment de la fertilité. Mais ce
déclin de la puissance reproductrice ne sera pas suffisant, nous
dit-on, pour engendrer des conditions sociales les plus élevées
possible ; il se bornera à soulager la pression de population,
cause principale des souffrances humaines. L’état de parfait
équilibre social sera approché, mais ne sera pas atteint… à
moins de découvrir un moyen de résoudre les problèmes
économiques, comme l’ont fait les insectes, en supprimant la
vie sexuelle.
À supposer qu’une telle découverte ait lieu, et que
l’humanité dans son entier décide d’arrêter le développement
sexuel d’une majorité de ses jeunes, cela conduira à transférer
ces forces, l’énergie requise par le sexe, vers des activités de
rang plus élevé, le résultat n’en sera-t-il pas un polymorphisme
final similaire à celui des fourmis ? Et, dans une telle
éventualité, la « race à venir » ne sera-t-elle pas représentée,
dans ses types les plus élevés, par une évolution plus féminine
que masculine, par une majorité asexuée ?
Lorsque l’on voit le nombre de personnes, de nos jours,
qui préfèrent observer le célibat pour des motifs désintéressés
(sans parler des raisons religieuses), il ne semble pas
improbable qu’une humanité plus évoluée puisse sacrifier
joyeusement une large proportion de sa vie sexuelle pour des
buts communs, surtout au vu des avantages qu’elle peut
obtenir en échange. Le moindre de ces bénéfices n’est pas, en
admettant que nous soyons capables d’atteindre le même
niveau de contrôle que les fourmis en la matière, une
prodigieuse augmentation de la longévité. Les types supérieurs
d’une humanité qui aurait dépassé le sexe pourraient
accomplir ce rêve d’une vie de plusieurs millénaires !
Nous trouvons déjà nos vies trop courtes pour la tâche que
nous avons à accomplir ; l’accélération constante des progrès
et des découvertes ainsi que l’expansion sans fin du savoir
nous donnent au fil du temps de plus en plus de raisons de
regretter la brièveté de notre existence. Que la science puisse
découvrir un jour l’élixir alchimique de longue vie est
extrêmement improbable. Les puissances cosmiques ne nous
permettront pas de les tromper. Nous avons à payer au prix
fort chacun des avantages qu’elles nous donnent ; la loi
éternelle est qu’on n’a rien sans rien. Peut-être ce prix de la
longue vie sera-t-il celui dont se sont déjà acquittées les
fourmis. Peut-être, sur une planète ancienne, a-t-il permis à
une espèce lointaine de produire des rejetons cantonnés à une
caste morphologiquement différenciée, d’une façon qui nous
demeure inimaginable…
VII
Mais, alors que les faits relatifs à la biologie des insectes
nous suggèrent des choses vertigineuses quant à l’avenir de
l’évolution humaine, peuvent-ils donner à imaginer une chose
bien plus significative au sujet des rapports entre l’éthique et
la loi cosmique ? Apparemment, l’évolution au plus haut degré
ne saurait être permise à des créatures capables de ce que
l’expérience humaine condamne dans tous les domaines.
Apparemment, la force la plus élevée qu’il soit possible
d’atteindre est celle du désintéressement ; le pouvoir suprême
ne sera jamais accordé à la cruauté ou à la luxure. Il peut
n’exister aucun dieu, mais les forces qui donnent forme à toute
chose avant de la dissoudre nous semblent parfois plus
exigeantes et plus brutales que les dieux. Démontrer une
« tendance dramatique » dans les cheminements des étoiles
n’est pas possible, mais le processus cosmique semble affirmer
que la valeur de chaque système d’éthique humaine tient à son
opposition fondamentale à l’égoïsme.
89. Cigales.
90. En français dans le texte (N.D.T.).
91. Un point intéressant, ici, c’est que le mot japonais pour fourmi, ari, est
représenté par un idéogramme formé par le caractère qui signifie « insecte »
combiné à celui de « rectitude morale », « décence » (giri) ; le caractère chinois
signifie donc « insecte décent ».
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