Inégalités Économiques: Tony Atkinson, Michel Glaude Et Lucile Olier Thomas Piketty
Inégalités Économiques: Tony Atkinson, Michel Glaude Et Lucile Olier Thomas Piketty
Inégalités Économiques: Tony Atkinson, Michel Glaude Et Lucile Olier Thomas Piketty
Rapports
Tony Atkinson, Michel Glaude et Lucile Olier
Thomas Piketty
Commentaires
Michel Dollé
Mireille Elbaum
Jacques Freyssinet
Fiorella Kostoris Padoa Schioppa
Compléments
Olivier Bontout, Christine Chambaz, Valérie Champagne,
Marc Fleurbaey, Denis Fougère, Dominique Goux,
Francis Kramarz, Bertrand Lhommeau, Élisabeth Maurice,
Éric Maurin, Antoine Parent, Pierre Ralle,
Mercedes Sastre et Alain Trannoy
Réalisé en PAO au Conseil dAnalyse Économique
par Christine Carl
Introduction ............................................................................................... 7
Jean Pisani-Ferry
Commentaires
Michel Dollé .......................................................................................... 205
Mireille Elbaum ..................................................................................... 213
Jacques Freyssinet ................................................................................. 219
Fiorella Kostoris Padoa Schioppa ........................................................ 225
Compléments
A. Quelques réflexions sur la mesure des inégalités
et du bien-être social .............................................................................. 239
Marc Fleurbaey
B. Protection sociale, croissance et inégalités :
vieux débats, nouvelles réponses ........................................................... 253
Antoine Parent
C. Vue densemble des inégalités de revenu et de patrimoine .............. 269
Jean-Michel Hourriez et Valérie Roux
D. Lévolution des revenus et des patrimoines
déclarés à limpôt sur le revenu et à limpôt sur la fortune
dans les années quatre-vingt-dix............................................................ 285
Valérie Champagne et Élisabeth Maurice
E. Les effets des prélèvements sociaux sur la dispersion des salaires
au cours de la décennie quatre-vingt-dix ............................................... 301
Olivier Bontout, Christine Chambaz,
Bertrand Lhommeau et Pierre Ralle
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 5
F. Une décomposition de lévolution de linégalité en France
avec une perspective internationale, 1985-1995 ................................... 315
Mercedes Sastre et Alain Trannoy
G. La mobilité salariale en France de 1967 à 1999 ............................... 333
Denis Fougère et Francis Kramarz
H. Les nouvelles technologies et lévolution récente
de la demande de travail par qualification ............................................. 355
Dominique Goux et Éric Maurin
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 7
core quau sein dune catégorie donnée, par exemple les détenteurs dun
certain diplôme, la dispersion des revenus sest accrue ? Chacune de ces
assertions renvoie à une dimension des inégalités de revenu, chacune peut
résulter dune ou plusieurs causes spécifiques, chacune peut appeler des
mesures correctrices ou ne pas les appeler.
Le Conseil danalyse économique avait déjà abordé ces sujets à travers
les rapports de Tony Atkinson sur la pauvreté et lexclusion (n° 6), de
François Bourguignon sur la redistribution (n° 11) et, dans un domaine voisin,
de Béatrice Majnoni dIntignano sur linégalité entre femmes et hommes
(n° 15). Cest cependant la première fois que la question des inégalités
économiques est traitée directement dans un rapport. Ou plutôt dans deux :
celui de Tony Atkinson, Michel Glaude et Lucile Olier ; et celui de
Thomas Piketty, qui sont publiés conjointement dans le présent volume.
Ces deux rapports nont pas le même objet. Le premier embrasse large :
il vise à donner un tableau détaillé des inégalités économiques dans la France
daujourdhui, à analyser leurs origines, à évaluer lincidence des mécanismes
redistributifs, à indiquer quels sont les instruments appropriés dune poli-
tique de lutte contre les inégalités. Il prend appui pour cela sur toute une
gamme dindicateurs, des plus frustes aux plus sophistiqués, et mobilise les
résultats de nombreuses études empiriques, sur données françaises ou in-
ternationales, pour aboutir à une image complète de la situation et formuler
des recommandations opérationnelles. Lobjet du second rapport, celui de
Thomas Piketty, est plus circonscrit : il porte sur la distribution des reve-
nus fiscaux dans la France du XXe siècle. Mais il offre un tableau saisissant
dun siècle de partage du revenu, et formule une thèse de grande portée
politique quant au rôle qua joué limpôt sur le revenu pour empêcher la
reconstitution de grandes fortunes après les sinistres économiques des
années trente à cinquante.
Ces deux rapports sont donc très différents. Leurs convergences nen
sont que plus intéressantes. Trois dentre elles méritent dêtre soulignées.
Les deux rapports dépeignent dabord lun et lautre une France objecti-
vement moins inégalitaire que ne le suggèrent les discours et les percep-
tions. Plus exactement, ils ne relèvent de signes de décrochement prononcé
et durable ni en bas, ni en haut de léchelle des revenus disponibles. Pour
faire court, Atkinson, Glaude et Olier nous disent quen dépit dun environ-
nement économique beaucoup plus heurté et de laccroissement des inéga-
lités de marché quil a entraîné, la France de 2001 est sensiblement moins
inégalitaire que celle des années soixante. Piketty montre quant à lui quelle
lest beaucoup moins que celle des années trente.
Ce constat est troublant, parce quil ne correspond pas aux perceptions
communes. Doù vient le divorce ? On peut en voir la cause dans le fait
que sil ne sest pas inversé, le mouvement lent de resserrement de léchelle
des revenus qui avait marqué les années soixante et soixante-dix sest bien
arrêté il y a vingt ans ; mais il a sans doute des racines Moins visibles,
comme la réduction de la mobilité salariale, laccroissement de lincertitude
professionnelle ou, peut-être, laugmentation des inégalités au sein des dif-
Jean Pisani-Ferry
Président délégué du Conseil danalyse économique
Avant-propos
Le progrès social est depuis longtemps identifié à la réduction de la
pauvreté et des inégalités économiques. À cette aune, les vingt dernières
années sont perçues par beaucoup comme des années de régression ou à
tout le moins de stagnation : le développement dun chômage de masse et
lapparition de nouvelles formes de pauvreté ont semblé mettre un terme
aux décennies de progrès économique et social des « Trente glorieuses ».
Malgré lamélioration de la situation économique depuis 1997, le senti-
ment perdure dun approfondissement des inégalités. Paradoxalement, les
indicateurs dinégalités usuels renvoient de la société française une image
beaucoup plus optimiste. Ils nenregistrent pas de hausse marquée des iné-
galités dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ; ils indiquent que
la France daujourdhui est beaucoup moins inégalitaire que la France pros-
père des années soixante. Certains pays, comme ceux dEurope du Nord font
certes mieux que nous, mais la France nest pas à la traîne du monde déve-
loppé. Comment réconcilier les statistiques et les perceptions subjectives ?
Ce rapport sefforce daller au-delà de la simple description de lévolution
des inégalités économiques et de remonter à leur source même : analyser
les mécanismes de formation des inégalités et leur dynamique permet de
mieux comprendre pourquoi les statistiques ont parfois en apparence tort.
Si un certain nombre dindices indiquent que la situation matérielle de nos
concitoyens saméliore depuis 1997, il serait hasardeux de compter sur la seule
conjoncture économique pour résorber spontanément certaines inégalités, et
régler notamment la question de lexclusion. Sans compter le fait que la
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 11
pérennité de la croissance nest pas garantie, la question reste posée de
savoir si la croissance est en elle-même un facteur de réduction de la pau-
vreté et des inégalités. Sans revenir en détail sur la nature même de cette
croissance retrouvée, qui a été analysée dans un précédent rapport du CAE
(Debonneuil et Cohen, 2000), on soulignera que nombreux sont ceux qui
pensent que certains de ses facteurs, la mondialisation et les nouvelles techno-
logies de linformation et de la communication, entraînent inévitablement
une aggravation des inégalités économiques. Lactualité fournit il est vrai
de quoi alimenter cette suspicion : les annonces de plans de licenciements
voisinent quotidiennement dans les médias avec la chronique de telle
fortune récente de la nouvelle économie ou le détail des rémunérations de
tel cadre dirigeant. Alors que les innovations techniques de la fin du
XXe siècle sont sources de gains importants pour certains, dautres voient
au contraire leur revenu baisser. Les uns reçoivent des salaires plus élevés
et des stock-options, dautres se retrouvent socialement exclus. Ces ten-
dances sont surtout patentes dans les pays anglo-saxons, mais la France
néchappe pas au jeu des forces économiques mondiales. Doit-on penser
que linégalité ira croissant dans la première décennie du XXIe siècle ?
Notre rapport tente déclairer ces questions.
Enfin, il faut y insister, et cest une limite de notre rapport, nous ne
traitons ici que de linégalité économique, alors que les facteurs écono-
miques sinscrivent dans le contexte plus global de linégalité sociale. Celle-ci
peut concerner dautres dimensions, relatives par exemple aux conditions
daccès au logement, à léducation, à la santé, aux biens culturel, etc. sans
que ces disparités aient nécessairement une traduction monétaire. Le « senti-
ment dinégalité » embrasse à lévidence toutes ces dimensions. Certaines
ont dailleurs fait lobjet de précédents rapports du CAE comme légalité
entre hommes et femmes. Inégalités économiques et inégalités sociales sont
cependant étroitement imbriquées. Ainsi que le souligne le philosophe
Michaël Walzer (1995) : « tout bien ayant une signification sociale im-
portante (comme par exemple largent dans nos sociétés) peut être aisé-
ment converti en tout autre bien, devenant ainsi un moyen de domination
pour ceux qui en disposent. Les inégalités naissent toujours de tels moyens :
la terre, largent, le pouvoir politique, lidentité raciale ou religieuse (ou un
sous-ensemble de cette liste) deviennent les moyens daccéder à la gamme
complète des biens sociaux ». Comprendre les mécanismes de formation
des revenus est donc essentiel pour lutter efficacement contre les inégalités,
dans toutes les dimensions, et améliorer la situation des plus défavorisés.
Linégalité économique est un phénomène très complexe. Nous avons
tenté den présenter une analyse détaillée et exempte, autant que possible,
de parti pris idéologique implicite. Le rapport sorganise en trois parties et
six chapitres. La première partie sefforce de préciser la différence entre
inégalités et injustices et de clarifier un certain nombre de problèmes con-
ceptuels posés par toute mesure de linégalité économique (chapitre 1). La
deuxième partie est consacrée dabord à lanalyse rétrospective de lévo-
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 13
PREMIÈRE PARTIE
ENJEUX ET MÉTHODES
Chapitre 1
Quelles inégalités ?
Toute mesure de linégalité implique des jugements de valeur et les in-
dices utilisés ne sont jamais neutres. Or, les choix éthiques sous-jacents à
toute définition de linégalité et donc implicitement de léquité sont
rarement explicités : les critères normatifs restent le plus souvent implicites.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 17
Sur le plan théorique, la distinction entre inégalités justes et injustes ren-
voie à la distinction entre préférences et ressources (ou handicap). Si elle
est claire en théorie, cette distinction est beaucoup plus délicate à opérer en
pratique. Plutôt que de trancher au nom de critères normatifs, nous pensons
quil est nécessaire de ne pas privilégier une dimension des inégalités éco-
nomiques, mais danalyser lensemble de ses composantes, en statique
comme en dynamique.
(1) Pour citer un théoricien contemporain de la justice sociale, notons que Kolm (1996) relie
sa théorie de la super-équité efficace à la prescription platonicienne.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 19
inégalité de revenu en cette année précise, mais cette inégalité est parfaite-
ment artificielle, si, 35 ans plus tard, lindividu qui a aujourdhui 25 ans
bénéficie du même revenu réel que celui qui en a actuellement 60. Dès lors
que lon prend en compte la durée totale de la vie, il est tentant de vouloir
mesurer la valeur actualisée des revenus futurs et non pas les seuls revenus
courants. En ce sens, il semble naturel de pondérer lactuelle pauvreté des
étudiants par les futurs hauts salaires qui les attendent. Mais il est moins
évident que la même démarche simpose dans le cas du passé : Pouvons-
nous ignorer la pauvreté dun retraité malade et dépendant, exigeant des
soins coûteux, au seul motif quil vivait à son aise dans les années soixante ?
Si les perspectives dévolution des individus peuvent amener à nuancer
lévaluation de leur situation à un moment donné, le « ici et maintenant »
réclame donc de notre part une attention particulière, surtout quand on con-
sidère la pauvreté monétaire. Lorsquon se penche sur linégalité, il faut
adopter à la fois les approches en coupe instantanée et en dynamique tout
au long de la vie : elles sont complémentaires. La France daujourdhui
compte à la fois des jeunes et des vieux, et une photographie instantanée
nous renseigne sur leurs situations respectives. Mais nous ne saurions oublier
que les jeunes daujourdhui ont peut-être devant eux un avenir moins sou-
riant que ceux de 1960, et que les perspectives dévolution comptent autant
que la situation présente.
Gains de lindidu n° 1
+ Gains de lindividu n° 2
+ Revenu du capital
+ Transferts privés
+ Transferts sociaux
Impôts directs
= Revenu disponible / Nombre dadultes équivalents (ou unités de consommation)
= Revenu disponible équivalent (ou par unités de consommation)
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 21
Mesurer les inégalités
Jusquici, nous navons implicitement ou explicitement considéré que
les seuls salaires. Sils constituent la part principale des revenus des ménages,
dautres sources de revenu nen sont pas moins importantes : on peut même
dire que la part des revenus du capital joue un rôle accru, et cest là létape
suivante dans le calcul des revenus des ménages. Ces revenus du capital
sont doubles : à côté des rentes, dividendes, intérêts, gains en capital
(ou pertes), il faut aussi prendre en compte ceux qui sont perçus indirecte-
ment à travers les pensions de retraite privée ou les assurances-vie, etc.
Dans les études portant sur la situation des ménages, les revenus du capital
sont, le plus souvent, tout à la fois sous-estimés et surestimés : sous-
estimés, parce que la plupart des études omettent de prendre en compte
lappréciation du capital, du fait, quen moyenne, la valeur des actions et
autres placements mobiliers augmente avec le temps (mais peut aussi baisser,
tout comme la valeur des biens immobiliers) ; de même, les revenus du
capital sont souvent surestimés, dans la mesure où linflation érode la
valeur des actifs monétaires. Cest le taux de rendement réel, une fois lin-
flation déduite, quil faut prendre en compte. Or, les taux de rendement
réels du capital ont considérablement varié avec les années, et leurs effets
sur lévolution des inégalités de revenu tendent à être négligés.
La plupart des données disponibles concernent les revenus monétaires
perçus par les individus ou les ménages. Mais il est probable que dans cer-
tains cas, notamment lorsque lépouse est au foyer, le niveau de vie réel du
ménage serait plus élevé si lon prenait en compte sa production domestique,
comme les produits de son jardin et non son seul revenu monétaire. Les
revenus en nature comprennent également les loyers fictifs que sont censés
se verser à eux-mêmes les propriétaires de leur logement. Ces deux exemples
soulignent le fait que le revenu monétaire ne donne quune mesure partielle
du bien-être.
Aux revenus du capital et aux transferts privés (familiaux), il faut ajouter
les transferts publics, et déduire le montant des impôts directs et des coti-
sations sociales pour arriver au revenu disponible. Enfin, il faut tenir compte
des différences dans la taille des familles. Un revenu de 3 000 euros par
mois ne représente pas la même chose pour un couple avec deux enfants et
pour un célibataire. Dans beaucoup détudes empiriques, on a recours à une
échelle déquivalence pour diviser le revenu total et obtenir un revenu équi-
valent par unité de consommation (uc). Le choix de cette échelle destinée à
compenser les différences tenant à la taille du ménage dépend en partie de
lestimation faite des coûts additionnels quinduit la présence au foyer de
tout membre supplémentaire, mais aussi de jugements de valeur. Certains
considèrent que le coût de lenfant ne devrait pas être compensé dans la
mesure où, de nos jours, la taille de la famille reflète simplement les préfé-
rences des parents et que ces différences ne sauraient être interprétées comme
des injustices. Selon le point de vue adopté, léchelle déquivalence retenue
sera très différente. Or, les transferts sociaux apparaissent plus ou moins
progressifs selon que lon adopte une échelle déquivalence plutôt quune autre.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 23
Quand on considère la large gamme des indicateurs synthétiques diné-
galité, il faut sintéresser à la façon dont ils prennent en compte le degré
daversion à linégalité dune société. Une personne indifférente à la dis-
tribution des revenus ne sintéressera quau revenu total ; à lopposé en termes
de degré daversion collective à linégalité, on trouvera une société qui ne
sintéresse quau groupe disposant des revenus les plus bas (position
« rawlsienne »). Il en va de même pour la mesure de la pauvreté. La plus
répandue est le simple comptage des individus ou des ménages qui se
situent en dessous dun seuil de pauvreté déterminé, mais elle est peu satis-
faisante à bien des égards : si une politique sociale comble 90 % de lécart
de revenu des pauvres au seuil de pauvreté, mais les maintient quand même
en dessous, aucune amélioration napparaîtra à travers cet indicateur.
Inversement, toute amélioration sera enregistrée si on utilise des mesures
reflétant lintensité de la pauvreté : la plus simple est celle du « déficit de
pauvreté » moyen, soit le supplément de revenu moyen qui permettrait aux
pauvres de franchir le seuil. Il existe encore dautres mesures qui donnent
plus de poids aux « déficits de pauvreté ».
Il faut aussi sintéresser au degré de décomposition que les différentes
mesures autorisent. Sastre et Trannoy (complément C) posent la question
de savoir si lon peut identifier la contribution des composantes du revenu
individuel à linégalité globale. Différentes façons de faire sont
envisageables : lune consiste à sortir telle composante du revenu du calcul
de linégalité et à observer la différence en termes dindice de Gini par
exemple ; on peut aussi affecter à chacun le revenu moyen de cette compo-
sante. Dans les deux cas, si le revenu total a plusieurs composantes, le calcul
de la contribution à linégalité de lune dentre elles peut dépendre de la
séquence de décomposition du revenu suivie. Pouvons-nous être sûrs que
le total des contributions individuelles correspond au total général ? Dans
leur complément, Sastre et Trannoy présentent une méthode qui comporte
bien des avantages et donnent un exemple de son application.
Létude des indicateurs dinégalité synthétiques permet de mettre au jour
les jugements de valeur qui les sous-tendent. Mais il faut aussi reconnaître
que certaines considérations leur échappent : ainsi, par exemple, daucuns
peuvent souhaiter voir pris en compte des critères sociaux sappuyant sur la
notion de « distance ». Cest sans doute ce qui explique la vogue perma-
nente de mesures comme le ratio décile supérieur/décile inférieur (rapport
interdécile).
Dans ce rapport, nous nous sommes efforcés de présenter plusieurs indi-
cateurs dinégalité chaque fois que cétait possible sans nuire à la clarté
dexposition. Au lecteur de garder présent à lesprit leurs limites.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 25
Le conflit entre équité et croissance
ne doit pas être surestimé
La recherche de léquité est-elle nécessairement une entrave à la crois-
sance rapide de la production et de lemploi ? Lorsque lon sinterroge sur
les déterminants de la performance économique à long terme, plusieurs
facteurs sont susceptibles dentrer en ligne de compte. Selon le mécanisme
considéré, la réponse à la question de limpact des inégalités sur la crois-
sance sera différente.
Un facteur important, et qui a fait lobjet dune attention particulière,
est la formation du capital humain. Dans la mesure où lintégration sociale
favorise linvestissement dans le capital humain par le biais de lacqui-
sition et de lentretien des compétences, alors de telles opportunités de for-
mation augmentent les capacités de chacun à franchir le seuil de pauvreté et
contribuent à résorber la pénurie de savoir-faire. Toutefois, linvestis-
sement dans le capital humain nest et ne peut pas être lunique instrument
de la lutte contre les inégalités ; la protection sociale joue également un
rôle important. La pauvreté de la population active peut être réduite par des
réformes sur le marché du travail, mais la réduction de la pauvreté des
personnes âgées et dautres groupes dinactifs requiert des transferts sociaux.
Y-a-t-il pour autant conflit entre les objectifs déquité et defficacité ?
Pour répondre à cette question, on ne peut se fonder uniquement sur les
résultats empiriques obtenus à un niveau très agrégé. De nombreuses études
ont étudié limpact du total des dépenses sur les transferts sociaux
exprimé en pourcentage du PIB sur la croissance des pays de lOCDE.
Leurs résultats sont mitigés. Sur les dix études analysées par Atkinson (1999),
deux concluent que limpact de lensemble des transferts sur le taux de
croissance annuel nest pas significatif, quatre concluent que les transferts
sont corrélés négativement avec la croissance moyenne, et quatre autres
concluent quil existe une corrélation positive. Cette comptabilisation som-
maire des résultats des différentes études peut bien entendu aboutir à des
conclusions trompeuses. Il y a plusieurs explications possibles à la diver-
gence de résultats constatée. À commencer par le fait que certaines études
sintéressent aux déterminants de la croissance, tandis que dautres cher-
chent à expliquer lévolution de la productivité des facteurs ; mais on peut
souligner également les problèmes dordre statistique ou économétrique,
ainsi que les différentes façons de spécifier le lien entre la protection so-
ciale et la croissance. Le problème économétrique le plus évident concerne
le sens de la causalité : la croissance et les dépenses de protection sociale
sont déterminées simultanément. Différentes méthodes ont été appliquées
dans ces études afin de déterminer le sens de la causalité. De plus, le total
des dépenses de protection sociale nest peut-être pas la bonne variable,
dans la mesure où il peut refléter un ratio de dépendance élevé plus que la
générosité de la protection sociale au niveau individuel. Si le compor-
tement individuel est affecté, alors il lest par le niveau du taux de rempla-
cement, et non du total des dépenses exprimé en points de PIB.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 27
DEUXIÈME PARTIE
ANALYSES
Chapitre 2
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 31
des inégalités socio-économiques(2) a également été souvent souligné
(voir également Thomas Piketty). Linégale répartition du patrimoine sou-
lève donc à la fois des questions déquité et defficacité, que nous ne pré-
tendons pas trancher ici, mais que nous essaierons de déclairer autant que
linformation statistique actuellement disponible le permet.
Ce chapitre privilégie lanalyse des tendances longues afin de mettre au
jour les déterminants des inégalités économiques. Avec la reprise écono-
mique depuis 1997, un certain nombre dindicateurs dinégalité semble sin-
fléchir. La croissance économique retrouvée change-t- elle la donne ? Ces
évolutions récentes sont présentées et analysées dans le chapitre 6.
Rapport interdécile
4,0 (échelle de gauche)
50
45
3,5
40
3,0
35
SMICnet / Salaire net moyen
(échelle de droite)
2,5 30
1959 1963 1967 1971 1975 1979 1983 1987 1991 1995 1999
Champ : Salariés à temps complet du secteur privé et semi-public.
Lecture : Évolution du rapport interdécile (axe de gauche) : en 1960, le salaire net perçu par le
moins rémunéré des 10 % de salariés du haut de la distribution des salaires était 3,8 fois supérieur au
salaire perçu par le plus rémunéré des 10 % de salariés du bas de la distribution des salaires.
Note : À partir de 1976, la suppression des « faux bas salaires » ne rend pas les données tota-
lement comparables avec les années précédentes ; par ailleurs, les points correspondant aux
années 1981, 1983, 1990 et 1993 ont été obtenus par interpolation.
Source : INSEE, Déclarations annuelles de données sociales (DADS).
France
Rapport du dernier décile à la médiane
États-Unis
Royaume-Uni
1,0
2,0
Dernier décile
1,8 0,8
1,4 0,4
1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000
Sources : Données américaines tirées du Economic Policy Institute Datazone (2001). Sa-
laire horaire de lensemble des salariés ; Données britanniques tirées de Atkinson et
Micklewright (1990) et Department of Employment (2001). Rémunérations brutes hebdo-
madaires de tous les employés à temps complet ; Données françaises : DADS. Salaires nets
imposables des salariés à temps complet dans les secteurs privé et semi-public.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 33
met en évidence le rôle majeur qua joué le SMIC dans la réduction des
inégalités salariales. Toutes choses égales par ailleurs, on observe en effet,
sur la période 1967-1999 :
leffet de resserrement des augmentations du SMIC sur léventail des
salaires (différents travaux conduisent à penser que les hausses du SMIC se
propagent jusquà environ une fois et demi le SMIC) ;
le caractère plutôt contra cyclique des inégalités salariales : lorsque la
croissance du PIB (par tête) saccélère, les inégalités de salaires (à temps
plein) ont tendance à diminuer.
Le ralentissement marqué de la croissance dans les années quatre-vingt
et quatre-vingt-dix aurait donc dû se traduire par un creusement des inéga-
lités de salaires à temps plein : le SMIC a permis que les écarts ne se creu-
sent pas. Il faut noter cependant quà ce stade de lanalyse, nous ne prenons
pas en compte les effets quont pu avoir les hausses du SMIC sur la proba-
bilité des smicards de se retrouver au chômage.
(3) Plus précisément, le salaire horaire des temps partiels est, toutes choses égales par ailleurs,
plus faible ( 3 points) pour les cadres supérieurs, mais plus élevé pour les professions
intermédiaires (+ 4 points) ; plus faible pour les 50-60 ans)mais plus fort pour les 20-30 ans
(+ 4 points) et les moins de 20 ans, montrant par là même que laccumulation de capital
humain liée à lexpérience professionnelle est plus réduite sur les emplois à temps partiel.
16
12
Taux de temps partiel
8
Taux de sous-emploi
0
1971 1974 1977 1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998
Note : Les personnes à temps partiel en situation de sous-emploi regroupent deux situations :
celles qui recherchent un emploi pour travailler davantage ;
celles qui, à défaut de rechercher une emploi, souhaiteraient travailler davantage et sont
immédiatement disponibles.
Source : Enquêtes Emploi de 1971 à 2000, INSEE.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 35
Une position moyenne dans lEurope
quant à limportance des « bas salaires »
Une étude communautaire (Marlier et Ponthieux, 2000) menée sur le
panel européen des ménages permet de comparer la situation française à
celle de ses partenaires européens. En 1996, avec un taux de bas salaires(4)
de 13 %, la France se situe dans une position intermédiaire au sein de
lEurope (15 %). La proportion de « bas salaires » atteint 21 % au Royaume-
Uni, 18 % en Irlande et 17 % en Allemagne et en Grèce. En revanche, elle
est très basse au Portugal (6 %) et au Danemark (7 %)(5).
Percevoir un bas salaire peut tenir à la faiblesse de la rémunération
horaire et/ou à la faiblesse de la durée du travail (temps partiel). Cest
limportance du temps partiel au Royaume-Uni qui explique que les bas
salaires y soient aussi nombreux alors quen Irlande et en Grèce cest louver-
ture de léventail des salaires qui est en cause (malgré un faible taux de
temps partiel en Grèce). À linverse, cest la bonne tenue des rémuné-
rations horaires du temps partiel qui explique le faible pourcentage de bas
salaires au Danemark et au Portugal (où le temps partiel mais aussi lacti-
vité féminine sont peu développés). Aux Pays-Bas, le temps partiel sest
considérablement développé mais léventail des salaires sest plutôt res-
serré : leur taux de bas salaires est dans la moyenne européenne. Sur ces
deux indicateurs, ouverture de léventail des salaires et développement du
temps partiel, la France se situe dans la moyenne communautaire, même si
le temps partiel féminin y est plus souvent contraint.
C99/D5
4
C95/D5
2
D9/D5
1
1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997
Définitions : C99/D5 désigne le rapport du salaire dépassé par un centième des salariés à
temps complet les mieux payés au salaire médian. C95/D5 désigne le rapport du salaire
dépassé par cinq pour cent des salariés à temps complet les mieux payés au salaire médian.
D9/D5 désigne le rapport du salaire dépassé par un dixième des salariés à temps complet les
mieux payés au salaire médian.
Source : DADS.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 37
teurs privé et public, renvoie une image de relative stabilité des dispersions
(mesurée par D9/D1) internes aux catégories à deux exceptions près :
une augmentation de la dispersion interne aux catégories non quali-
fiées (hommes ouvriers non qualifiés et femmes employées non qualifiées)
qui peut être reliée à larrivée récente de nombreux jeunes au sein de ces
catégories en expansion, en lien avec les mesures « bas salaires » ;
une augmentation de la dispersion des salaires nets des diplômés du
supérieur (> Bac), hommes ou femmes, qui contraste avec la légère réduc-
tion de la dispersion des salaires des « cadres supérieurs », et qui sanalyse
comme la conséquence de lexpansion quantitative du nombre de diplômés
du supérieur et de la dévalorisation relative de leurs titres.
En étendant lanalyse à lensemble des salariés (y compris temps partiels),
on constate de plus une croissance de la dispersion des salaires mensuels
des peu diplômés (BEPC, CEP ou sans diplôme) due au développement du
temps partiel dans ces catégories.
Enfin une dernière approche permet de valider un diagnostic plutôt me-
suré de limportance des nouvelles inégalités sur le marché du travail. Elle
consiste à mesurer lévolution du pouvoir explicatif dun ensemble de cri-
tères (niveau de scolarité, expérience sur le marché du travail, ancienneté
dans lentreprise, nationalité, région) sur la détermination des salaires. Ainsi,
il savère que linfluence de ces déterminants ne sest pas dégradée pour les
hommes au cours des années quatre-vingt-dix : elle a même crû de 1990 à
1997 pour décroître légèrement par la suite(7).
(7) Létude a été limitée aux hommes dans un premier temps pour éviter les biais de sélection
liés à loffre de travail féminine. Ces analyses de variance des salaires montrent également
que le rendement de léducation varie de manière plutôt contracyclique (comme la dispersion
des salaires offerts). Sur le début des années quatre-vingt-dix, il aurait tendance à croître si
on le mesure pour les salariés en emploi (et être stable si lon tient compte de leffet de
sélection dû au chômage), pour décroître sur la période 1997-2000 (avec ou non prise en
compte du biais de sélection lié au chômage).
(8) Le taux de cotisations patronales pour la partie des salaires au-dessus de 4 fois le plafond
de la Sécurité sociale est passé de 7,1 % en 1980 à 22,25 % du salaire brut en 1990.
(9) Le taux de cotisations patronales au niveau du SMIC est passé de 36,5 % du salaire brut
en 1993 à 21,77 % en 1996.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 39
années soixante. Il ressort également de leur étude que les hausses du SMIC
se sont accompagnées dans les années soixante-dix et quatre-vingt dune
baisse de la mobilité salariale. Sagit-il dune simple concomitance ou dun
lien de causalité ? Ce résultat reste à approfondir.
Cette réduction de la mobilité peut sans doute contribuer à expliquer le
divorce apparent entre le constat statistique dune relative stabilité des iné-
galités de salaire à temps plein, et le sentiment dune aggravation des iné-
galités quéprouvent beaucoup.
Jeunes en phase
Adultes(**) 50-59 ans
d’insertion(*)
1997 2000 1997 2000 1997 2000
FPE
• Emploi stable 34,0 39,8 26,2 34,6 24,8 26,9
• FPE 30,7 36,3 40,8 41,3 41,7 38,1
• Chômage 27,6 17,8 29,6 21,1 28,0 28,1
• Inactivité 7,8 6,0 3,4 3,0 — —
Chômage
• Emploi stable 20,2 28,2 16,8 21,4 9,1 12,8
• FPE 20,0 27,0 16,6 18,0 7 ,0 8,3
• Chômage 47,7 38,7 57,2 50,3 70,7 66,8
• Inactivité 11,5 6,1 9,4 9,4 13,2 12,1
Lecture : En moyenne, pour les jeunes en phase dinsertion, la probabilité doccuper un
emploi stable un an après avoir été en FPE (forme particulière demploi) est de 34 %
en 1997 et de 39,8 % en 2000.
Notes : (*) Jeunes sortis depuis moins de cinq ans du système scolaire ; (**) Autres salariés
de moins de 50 ans.
Source : Enquête Emploi, INSEE.
(10) Avec toutefois une dégradation continue au cours des années 1990 à 1997, les sorties
vers lemploi stable se réduisant au profit des récurrences de formes temporaires demploi.
(11) Mais au-delà de 55 ans, certains chômeurs bénéficient dune dispense de recherche
demploi.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 41
Il apparaît ainsi que le chômage en fin de vie active sapparente plus à
une situation dexclusion, contrairement au processus dinsertion qui carac-
térise les jeunes en emploi temporaire ou au chômage (avec aussi tout un
dégradé entre stages et contrats aidés, CDD et intérim au fur et à mesure
que lon se rapproche de lemploi plus stable ).
Toutefois, ce constat doit aussi être nuancé selon le niveau de formation.
Plus le diplôme est élevé, plus les changements de statut sont favorables
aux individus. Près de la moitié des jeunes de 1999 en FPE titulaires dun
diplôme supérieur au bac sont en emploi stable lannée suivante, contre
moins dun quart des non diplômés. Pour les autres salariés de moins de
50 ans ces proportions sont respectivement de 40 et 25 %. Pour les sorties
du chômage vers lemploi stable, les écarts entre niveaux de formation sont
encore plus forts : de 9 à 38 % pour les jeunes en insertion et de 13 à 27 %
pour les autres salariés de moins de 50 ans selon quils sont sans diplôme
ou diplômés du supérieur.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 43
Chômage et inégalités de marché
dans les années quatre-vingt-dix
Le développement du chômage a un double impact sur les inégalités de
revenus de marché. Il a dabord un impact instantané, mesuré par la perte
de revenu que subissent les chômeurs, perte de revenu dont lampleur va
dépendre des règles dindemnisation. Il a également un impact dynamique :
en effet, plus le passage par le chômage séternise et de fait la durée
moyenne du chômage na cessé de sallonger pendant les années quatre-
vingt-dix plus le capital de connaissance et de savoir-faire du chômeur se
dégrade, obérant ses chances de retrouver un emploi bien rémunéré.
(12) Alors que les minima AUD et ASS étaient identiques en 1984, lASS sans majoration
dâge ne représente plus que les trois quarts de lAUD plancher en 1998.
(13) Les chômeurs en fin de droits non éligibles à lAllocation de solidarité spécifique, les
jeunes en phase dinsertion avec des références dactivité préalable insuffisante, danciens
travailleurs à temps partiel touchant une AUD très faible.
80
60
40
20
0
1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
Champ : Chômeurs de catégories 1 à 3 (personnes immédiatement disponibles, à la recherche
dun emploi à durée déterminée à temps plein ou à temps partiel ou dun emploi temporaire
ou saisonnier) et de catégories 6 à 8 (idem mais demandeurs non immédiatement dispo-
nibles) et dispensés de recherche demploi ; évaluations en milieu dannée.
Source : UNEDIC.
(14) Ce taux qui correspond en fait à la médiane des taux de remplacement est proche du
taux de remplacement habituellement retenu dans les études sur cas types (OCDE).
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 45
Les réformes de lassurance chômage
ont cherché à favoriser le retour à lemploi
En théorie, lintroduction de la dégressivité temporelle des niveaux din-
demnisation en 1992 (AUD) aurait pu fonctionner comme une incitation à
la reprise demploi, le chômeur étant amené à abaisser ses prétentions sala-
riales au fur et à mesure que lindemnisation chômage se fait moins géné-
reuse. Cependant, Dormont, Fougère et Prieto (2001) ont montré que le
barème de dégressivité des allocations chômage mis en place en 1992 a
plutôt ralenti le retour à lemploi des chômeurs les mieux indemnisés, tout
en pénalisant durement les moins bien indemnisés.
Depuis 1986, les partenaires sociaux ont autorisé le cumul emploi/chômage
formule dite de « lintéressement » ou de « lactivité réduite » de façon à
ce que la reprise dun emploi, parfois temporaire, ne saccompagne pas
dune baisse éventuelle des ressources du chômeur, mais lincite à reprendre
un emploi. Cette formule visait notamment à améliorer lemployabilité de
ceux qui sétaient le plus éloignés du marché du travail. Actuellement, environ
20 % des allocataires indemnisés par lassurance chômage bénéficient
de ce dispositif (limité à dix-huit mois sous réserve dun seuil mensuel
inférieur à 136 heures et 70 % des revenus antérieurs, le cumul se faisant au
taux de 50 % des revenus dactivité). Les emplois occupés dans le cadre de
lintéressement sont la plupart du temps des emplois temporaires. Toute la
question est donc de savoir dans quelle mesure les bénéfices attendus
seront bien au rendez-vous. Ceci nous ramène en partie à la question exa-
minée précédemment de la place des emplois temporaires dans les trajec-
toires dinsertion durable sur le marché du travail. Différentes études con-
cluent soit à une certaine neutralité du système des activités réduites, ni
« piège à précarité », ni tremplin pour linsertion (Gurgand et Letablier, 1999) ;
soit, après modélisation plus poussée, à un effet bénéfique sur linsertion,
différent selon les sexes et plus important après une année de chômage
(Granier et Joutard, 1999). Du côté des bénéficiaires de lallocation de soli-
darité spécifique, la visibilité de ce type de dispositif mériterait dêtre amé-
liorée : en mars 2000, sur dix bénéficiaires du cumul quatre prétendaient ne
pas connaître cette possibilité de cumul (Bernard et Canceil, 2001).
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 47
Le patrimoine brut des ménages est beaucoup plus concentré que leurs
revenus. En 1997, un ménage sur deux possède plus de 500 000 francs, un
sur quatre plus dun million de francs et un sur 10 plus de 2 millions. Les
5 % les plus riches détiennent près de 30 % du patrimoine et le rapport
interdécile est de lordre de 75.
Le patrimoine est composé en moyenne de 40 % dactifs financiers, de
15 % dactifs professionnels et de plus de 40 % de logements. Sa composition
varie cependant fortement selon son importance. Les petits patrimoines
(inférieurs à 100 000 francs) sont essentiellement liquides (comptes chèques
et livrets). Les patrimoines compris entre 100 000 et 500 000 francs sont
surtout composés dépargne logement et dassurance vie. Puis limmobilier
domine ensuite dans la tranche 0,5 à 1,5 million de francs. Le patrimoine de
rapport (valeurs mobilières, assurance vie, immobilier de rapport, actifs
professionnels ) prend de plus en plus dimportance au fur et à mesure
que lon sélève dans léchelle des patrimoines et les valeurs mobilières
deviennent prépondérantes dans les grandes fortunes.
Différentes sources(15) dessinent un portrait convergent des grandes for-
tunes. Dune part, la concentration reste très forte même au sein du cen-
tième des ménages les plus fortunés qui possèdent de 15 à 20 % du patri-
moine total des ménages, les indépendants ou anciens indépendants y sont
majoritaires, le rôle de lhéritage y est essentiel et plus-values et revenus
des placements financiers procurent lessentiel des ressources (voir éga-
lement Piketty pour une analyse sur longue période et le complément de
Champagne et Maurice pour une exploitation des fichiers de limpôt sur la
fortune).
Depuis une vingtaine dannées, la détention dactifs financiers progresse
régulièrement au sein des ménages par rapport à la part des autres actifs
professionnels et immobiliers (laccession à la propriété stagne globa-
lement depuis le début des années quatre-vingt-dix et a diminué chez les
ménages de moins de 40 ans). Compte tenu des performances de la bourse
et de lévolution des taux dintérêt, lachat dactions a compensé la vente
des SICAV monétaires, et en 2000, un ménage sur cinq détient des actions
(y compris sous forme dépargne salariale). Lassurance-vie et lépargne
retraite se développent, lépargne logement stagne et les patrimoines se
diversifient.
Évalués à laune des déclarations des ménages aux enquêtes, les dispa-
rités patrimoniales tendent à se réduire depuis une quinzaine dannées. Tous
les indicateurs dinégalité usuellement retenus convergent. Plus préci-
sément, la valeur des déciles de patrimoine sest accrue plus rapidement
juste au-dessous de la moyenne, de sorte que les patrimoines modestes se
sont un peu rapprochés des autres. Lorsque lon recale les données den-
(15) Lanalyse des données de lISF 1996, le dernier centile des ménages de lenquête
« Patrimoine » 1992 ou les successions du centile le plus riche de lenquête « Mutations à
titre gratuit » 1994.
(16) Les déclarations des ménages concernant leur patrimoine sont entachées de sous-
estimations caractéristiques de certains types dactifs : très faibles pour limmobilier, la sous-
déclaration est élevée pour les actifs financiers, que ce soit pour les valeurs mobilières (sous-
estimées de lordre de 50 %) ou pour les comptes chèques et livrets, et elle est significative
pour les actifs professionnels. Les données denquêtes sont donc recalées, sous lhypothèse,
relativement forte, que les sous-estimations ne dépendent que du type dactif et sont propor-
tionnellement identiques pour les ménages modestes et pour les ménages aisés.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 49
trebalancer la chute des rendements (les taux des marchés monétaires et
obligataires sont passés de plus de 10 % au début des années quatre-vingt-
dix à 3 % fin 1999). Seuls les taux de rendement du capital foncier et im-
mobilier sont restés stables. Globalement le taux de rendement du patri-
moine de rapport de ménages a chuté de près de 2 points sur la période
1991-1997.
-2
1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995
Lecture : 1995 correspond à la moyenne des performances des années 1991 à 1999. La
performance dun placement tient compte du taux de rendement (revenu courant/ valeur du
bien), des plus-values latentes et est déflatée par lindice du niveau général des prix.
Source : Calculs INSEE daprès données INSEE, BDF, SBF, SAFER et Notaires parisiens.
(*) Estimées sur la dernière période triennale 1996-1999 les performances du patri-
moine de rapport sélèvent à 13 % !
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 51
Chapitre 3
Réussites et impasses
dans la lutte contre les inégalités
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 53
Légère hausse des inégalités de niveau de vie
au sein des ménages salariés dans les années quatre-vingt-dix
Lanalyse des inégalités de marché (revenus dactivité et de remplacement)
a montré que la dégradation du marché du travail a concouru à faire croître
linégalité des revenus individuels des salariés entre 1990 et 1996(18). On va
voir dans ce chapitre que lévolution des structures familiales a amplifié ce
mouvement. Au total, le mouvement de réduction marquée des disparités
de revenus initiaux des ménages salariés ou chômeurs, qui avait caracté-
risé les années soixante-dix et plus faiblement les années quatre-vingt, sest
donc inversé et lon observe un décrochage des ménages salariés les plus
modestes au début des années quatre-vingt-dix. Les transferts ont gagné en
efficacité redistributive tout au long de la période et laccroissement des
inégalités de marché ne sest donc pas traduit par un développement parallèle
des inégalités de revenu disponible entre ménages de salariés. Cependant,
les transferts nont pas suffi à inverser totalement la tendance (Breuil, 2000).
(18) Lannée 1996 retenue à cause des données disponibles termine une phase descendante
du cycle économique qui a certes un impact sur les résultats présentés bien que lon puisse
penser que lamélioration de la situation économique de la fin des années quatre-vingt-dix
ne remette pas en cause lessentiel du diagnostic présenté ici (voir chapitre 6).
(19) Les revenus de marché ou revenus initiaux sont définis ici comme les revenus dactivité
ou de remplacement déclarés au fisc (cest-à-dire salaires et revenus de redistribution dite
« assurantielle » : chômage et retraite) par unité de consommation (u. c.). Léchelle déqui-
valence utilisée attribue un poids de 1 au chef de ménage, de 0,5 à toutes les personnes de
plus de 14 ans et de 0,3 aux moins de 14 ans vivant dans le ménage. Les revenus du patri-
moine ont été écartés de lanalyse pour des raisons de comparabilité inter-temporelle. Les
prendre en compte ne modifierait pas les principales conclusions. Les ménages considérés
ici correspondent aux ménages dont le chef est actif salarié ou chômeur ; ils représentent
95 % des ménages dont le chef est actif et 54 % de lensemble des ménages.
1%
a. De 1970 à 1979
0%
-1%
-2%
-3%
-4%
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
b. De 1979 à 1990
1%
0%
-1%
-2%
-3%
-4%
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
c. De 1990 à 1996
0%
-1%
-2%
-3%
-4%
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Champ : Ensemble des ménages dont le chef est salarié ou chômeur classés par décile de
revenu initial (revenus dactivité et de remplacement hors revenus du patrimoine) par uc.
Lecture : De 1990 à 1996, le revenu initial par uc des ménages du premier décile a perdu
3,2 % par an en moyenne par rapport au revenu initial moyen par uc des ménages de salariés.
Source : Enquêtes Revenus fiscaux INSEE-DGI, 1970, 1979, 1990 et 1996.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 55
Depuis le début des années quatre-vingt, le ralentissement de la crois-
sance et la montée du chômage et du temps partiel se sont traduit par une
stabilisation des inégalités au sein des classes moyennes. Surtout, lécart
sest creusé entre les plus pauvres (le 1er décile) et les autres aussi bien par
rapport aux « classes moyennes » quaux riches modérément dabord dans
les années quatre-vingt, puis très fortement sur la période 1990-1996. Aug-
mentation du chômage, durcissement de son indemnisation et montée du
temps partiel sont sans conteste à lorigine de cette dégradation.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 57
8. Évolution annuelle relative du revenu disponible par uc
par décile de revenu initial par uc pour les ménages de salariés
a. De 1970 à 1979
1%
0%
-1%
-2%
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
b. De 1979 à 1990
1%
0%
-1%
-2%
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
c. De 1990 à 1996
1%
0%
-1%
-2%
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Champ : Ensemble des ménages dont le chef est salarié ou chômeur classés par décile de
revenu initial (revenus dactivité et de remplacement hors revenus du patrimoine) par uc.
Lecture : De 1990 à 1996, le revenu disponible (après impôts directs et transferts) par uc des
ménages du premier décile a perdu 1,3 % par an en moyenne par rapport au revenu disponi-
ble moyen par uc des ménages de salariés.
Source : Enquêtes Revenus fiscaux INSEE-DGI, 1970, 1979, 1990 et 1996
(20) Allocations familiales, complément familial, allocation pour salaire unique, pour jeune
enfant, de rentrée scolaire, APE, ASF, AES selon leur existence à différentes périodes.
(21) Sont pris en compte le RMI, lAPI, le minimum vieillesse et lAAH (pour 1996). Lallo-
cation de solidarité spécifique (ASS) versée à certains chômeurs étant imposable, fait partie
du revenu initial mais aurait dû en toute logique être analysée avec les minima sociaux.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 59
Alors que la taxe dhabitation est globalement redistributive sur len-
semble du champ des ménages (en raison des dégrèvements dont bénéfi-
cient les retraités à bas revenus), elle contribue plutôt à augmenter les iné-
galités au sein des seuls ménages de salariés (certes faiblement, compte
tenu de son poids et sans préjudice des recours gracieux dont elle est lob-
jet). De plus, son alourdissement observé depuis 1990, malgré une aug-
mentation du nombre de ménages exonérés dans le premier décile, a en-
traîné une hausse de 1 % de lécart de revenus entre déciles extrêmes.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 61
9. Coefficients de Gini dans différents pays de lOCDE (1995)
40
30
Indice de Gini (en %)
20
Royaume-Uni
10
Allemagne
États-Unis
Pays-Bas
Finlande
Australie
Belgique
Norvège
Canada
France
Suède
Italie
0
Lecture : Suède
Les chiffres se
Finlande rapportent
Norvège àBelgique
Pays-Bas la distribution
Allemagne du revenu disponible
FranceCanada par unité
AustralieItalie deÉtats-Un
Royaume-consom-
mation, sur lensemble de la population. Léchelle déquivalence utilisée est la racine carrée
Uni
de la taille du ménage. Les données se rapportent à 1995, à lexception du Canada et des
États-Unis (1997), de la Belgique (1996), de lAustralie, de lAllemagne, de la France et des
Pays-Bas (1994).
Source : Luxembourg Income Study (LIS).
24 29 34 39 44 49 54 59 64 69 74 79 84
Âge
Source : INSEE.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 63
passage à la retraite et le veuvage. On observe un « basculement » temporel
autour de ce profil moyen : les revenus de remplacement des générations
récentes de retraités croissent, tandis que les revenus dactivité des jeunes
générations subissent un décrochage relatif.
Ainsi, il apparaît le niveau de vie des jeunes générations aurait même
baissé sensiblement sur la période 1990-1996, et les ménage jeunes (moins
de 30 ans) étaient en 1996 plus exposés à la pauvreté (10,8 %) que la
moyenne (7,4 %) : 220 000 ménages (hors ménages étudiants)(22) vivaient
sous le seuil de pauvreté. Les causes de cette dégradation relative du niveau
de vie des jeunes générations ont déjà été analysées dans le chapitre précé-
dent, et tiennent à leurs difficultés dinsertion sur le marché du travail. Tou-
tefois les transferts sociaux ont permis datténuer, sans toutefois les effacer
complètement, ces fortes inégalités de « revenus du travail ».
Lanalyse de la situation des jeunes ménages en termes de niveaux de
consommation et de bien-être amène cependant à relativiser la dégradation
moyenne du niveau de vie des jeunes générations. Envisagés sous langle
des dépenses de consommation grâce aux enquêtes sur les budgets fami-
liaux, les niveaux de vie apparaissent plus plats au cours du cycle de vie, et
le niveau de consommation des jeunes ménages est resté stable et compa-
rable à celui des générations précédentes. De même, en termes de « bien-
être subjectif », les jeunes ménages se différencient peu de leurs aînés, plus
âgés (Lollivier, 1999).
En outre, la solidarité familiale joue au profit des jeunes ménages. Les
parents aident financièrement leurs enfants, les grands-parents leurs petits-
enfants. Lorsque lon prend en compte ces aides financières, le niveau de
vie moyen des ménages (non-étudiants) des moins de trente ans augmente
de 7 %. Les transferts privés permettent ainsi de sortir de la pauvreté une
bonne moitié des jeunes ménages. Ils ne sont cependant pas de la même
signification que des revenus dactivité ou des prestations sociales. Une
analyse plus approfondie montre que ce sont les ménages les plus aisés qui
en bénéficient le plus : les relations familiales et sociales constituent une
sorte de capital qui se cumule plutôt avec les autres formes de capital pour
renforcer les inégalités.
(22) Les ménages dont la personne de référence est étudiante (10 à 20 % des ménages de
jeunes de 20 à 25 ans) disposent de ressources propres modestes : allocation logement,
salaires pour de petits travaux Ils apparaissent donc fréquemment en deçà des seuils de
pauvreté monétaire. Néanmoins, ces ménages ne doivent pas être considérés comme pauvres
au sens habituel, compte tenu des différentes aides financières ou en nature dont ils bénéficient.
Au total, même si certains dentre eux demeurent néanmoins en deçà des seuils de pauvreté,
il est préférable dexclure la totalité de cette population pour analyser les inégalités.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 65
4. Le modèle de microsimulation INES
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 67
11. Évolutions entre 1990 et 1998 des...
a. Cotisations « assurantielles »
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
c. Impôts directs
2
0
2 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
d. Prestations non contributives
4
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
2
4
Lecture : Ce graphique présente les variations de taux de prélèvement entre 1990 et 1998,
par décile de revenu de référence par uc (revenus dactivité, de remplacement (retraites et
chômage) et du patrimoine net de cotisations et contributions sociales) supposé constant aux
deux dates. Pour la définition des différentes cotisations et impôts voir tableau 2.
Source : Enquête Revenus fiscaux INSEE-DGI, Modèle INES, INSEE.
(25) Rappelons que ces chiffres couvrant la période 1990-1998 ne prennent pas en compte
la création du RMI, ni son extension à des bénéficiaires de plus en plus nombreux (car on
raisonne à population donnée), mais les seules modifications de barème.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 69
aisés compte tenu de leur plus faible taux dépargne, devrait toutefois tenir
compte dun certain nombre de bouclages : la répercussion dune hausse
des taux de TVA sur les prix à la consommation peut en effet être neutrali-
sée si les mécanismes dindexation des minima sociaux sur les prix fonc-
tionnent bien.
Les réformes de notre système socio-fiscal tout au long des années quatre-
vingt-dix en ont profondément transformé la physionomie. Au total, si les
prélèvements se sont alourdis, lensemble a cependant gagné en termes def-
ficacité redistributive.
(26) Rappelons le succès qua eu lextension de lallocation parentale déducation aux mè-
res de deux enfants (dont un de moins de 3 ans). Plus de 100 000 femmes en ont bénéficié
faisant baisser le taux dactivité des femmes avec deux enfants dont un de moins de 3 ans de
près de 15 points.
(27) La prime ne concerne que les foyers fiscaux dans lesquels une personne au moins
exerce une activité. Lexercice de cette activité doit avoir été suffisant le revenu annuel
dactivité doit être supérieur à 0,3 SMIC. Laide maximale accordée au niveau du SMIC
sélève à 1 500 francs en 2001 (3 000 francs en 2002 et 4 500 francs en 2003 au terme de la
montée en charge de la mesure) pour une personne isolée sans enfant. Elle diminue ensuite
pour séteindre à 1,4 SMIC annuel à temps plein. Le revenu fiscal du foyer dont fait partie la
personne considérée doit être inférieur à un plafond variable selon la taille du foyer. Pour
une analyse détaillée de la PPE et de ses effets, voir CERC (2001) ou OFCE (2001).
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 71
72
5. Effet de la prime pour lemploi sur les ménages « potentiellement actifs »
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 73
lation précédente. Il tient simplement à la référence choisie : leffet de la
PPE est évalué sur lensemble des ménages et par rapport au revenu de
référence par unité de consommation (revenu dactivité et de remplacement)
alors quil était évalué précédemment sur une population plus réduite et par
rapport au revenu disponible par uc, qui prend en compte le bilan des trans-
ferts redistributifs30. Tenir compte des transferts améliore sensiblement le
revenu des ménages du 1er décile, minorant de ce fait limpact de la PPE,
mesuré alors de façon plus « marginaliste ».
En % du revenu de référence
Déciles de revenu de référence
mble
Ense
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Réforme de l'IRPP 1,1 0,1 0 0,4 0,7 0,9 1,2 1,3 1,3 1,5 1,5
PPE 0,4 2,5 1,6 1,2 1 0,7 0,5 0,3 0,1 0,1 0
Prestations familiales
0,4 5,8 2,5 1,4 0,7 0,3 0,1 0,1 0 0 0
et aides au logement
Total 1,9 8,4 4,1 3 2,4 1,9 1,8 1,7 1,4 1,6 1,5
Lecture : Évaluée à structure de population fixe (RF96), la Prime pour lemploi se traduit en
2003 pour les ménages du 1er décile par un supplément de revenu de 2,5 % du revenu de
référence par uc, la baisse du taux dimposition à lIRPP par un supplément de revenu de
1,5 % du revenu de référence par uc pour les ménages du 10e décile et les réformes des
prestations (report de lâge limite pour le complément familial et les aides au logement et
modification du mode de calcul) par un supplément de revenu de 5,8 % pour les ménages du
1er décile.
Champ : Ensemble des ménages classés par décile de revenu de référence (revenu dactivité,
du patrimoine et de remplacement) par uc.
Source : INSEE-DGI, enquête revenus fiscaux 1996, modèle INES, INSEE.
En revanche, il est trop tôt pour se prononcer sur les aspects incitatifs de
la PPE et sur leur impact. On ne peut à ce stade que recommander un suivi
et une évaluation rigoureuse de la mesure au terme de sa montée en charge.
À cet égard, on peut regretter quen France, des mesures aussi lourdes de
conséquences en termes déquité et defficacité et aussi coûteuses à
mettre en place soient très généralement prises sans évaluation préalable
approfondie : les études de faisabilité sen tiennent le plus souvent à des
évaluations sur cas-types, utiles certes, mais qui sont bien sûr totalement
inadaptées pour en saisir les conséquences dynamiques (modifications des
comportements des individus notamment).
(30) Comme quoi le diagnostic dépend fondamentalement du point de vue que lon retient !
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 75
Chapitre 4
La Pauvreté
Un phénomène multidimensionnel
Une définition conventionnelle
Le seuil de pauvreté monétaire est défini conventionnellement par la
demi-médiane des niveaux de vie (revenu disponible après impôts directs
et transferts par unité de consommation). Il correspond (en 1997) à environ
3 500 francs mensuels pour une personne seule, 5 250 francs pour un couple
sans enfant, plus 1 050 francs par enfant supplémentaire de moins de 14 ans(31).
(31) Les enfants de plus de 14 ans « comptent » comme un adulte supplémentaire, 0,5 unité
de consommation soit 1 750 francs mensuels (pour 1997).
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 77
Cette définition, comme toutes les approches de la pauvreté, est normative
et conventionnelle (on « coupe » à un certain niveau dans la distribution des
niveaux de vie). Elle est de plus relative : le pouvoir dachat du seuil de pau-
vreté évolue comme le niveau de vie médian de lensemble de la population.
Avec un seuil à 60 % de la médiane utilisé par lUnion européenne(32) le
taux de pauvreté sélève à 14 % ; en revanche avec un seuil fixé à 40 % de
la médiane, le taux de pauvreté nest plus que de 3 %. Ces chiffres donnent
une idée de la relative concentration des niveaux de vie autour du seuil de
pauvreté. Cela tient au niveau des différents minima sociaux et allocations
complémentaires. Le revenu moyen par unité de consommation des ménages
situés sous le seuil de pauvreté sélève à environ 2 900 francs mensuels,
soit 83 % du seuil : lintensité de la pauvreté en France est donc de 17 %.
Ces estimations sont bien évidemment entachées de biais : à la baisse
dans la mesure où elles ne tiennent pas compte des personnes vivant en
collectivité (maisons de retraite, foyers de jeunes travailleurs ) ni des
ménages étudiants ou des sans domicile ; à la hausse dans la mesure où
elles ne prennent pas en compte certains éléments du niveau de vie, comme
les loyers fictifs que les propriétaires de logement sont censés se verser à
eux-mêmes, ou les transferts monétaires privés entre ménages(33).
Il est donc indispensable de les compléter par dautres approches, comme
celles fondées sur les conditions de vie (absence de biens dusage ordinaire
ou de consommations de base) ou sur la perception plus subjective que les
personnes ont de leur propre situation (en référence au « minimum néces-
saire »), voire sur le décompte des bénéficiaires des minima sociaux
(approche dite « administrative »). Ainsi, 3,2 millions dallocataires et au
total 5,5 millions de personnes vivaient, fin 1999, dans un foyer allocataire
dun minimum social.
Si elles décrivent des populations aux contours très semblables, ces di-
verses approches sont loin de se recouvrir entièrement : en 1994, 25 % des
ménages étaient exposés à au moins une forme de pauvreté (monétaire,
subjective ou par les conditions de vie) mais 2 % seulement en cumulaient
les trois formes, ce qui laisse transparaître à la fois le flou des observations
statistiques et le caractère multidimensionnel de la pauvreté.
Nombre
Taux de
dans la Ménages Personnes
pauvreté
population pauvres pauvres
en %
totale
Ensemble 23 338 000 7,0 1 629 000 4 215 000
Personne de référence active
• chômeurs 1 271 000 28,8 365 000 1 073 000
• salariés peu stables 989 000 15,0 148 000 371 000
• salariés stables à temps plein 9 750 000 2,1 200 000 676 000
• salariés stables à temps partiel 579 000 13,1 76 000 165 000
• indépendants 1 875 000 12,0 226 000 678 000
Personne de référence inactive
• anciens salariés 6 005 000 2,4 141 000 279 000
• anciens indépendants 1 384 000 12,4 172 000 285 000
Autres inactifs
• femmes de moins de 60 ans 313 000 29,2 92 000 208 000
• hommes de moins de 60 ans 521 000 27,3 142 000 393 000
• 60 ans ou plus 650 000 10,3 67 000 87 000
Champ : Ménages dont le revenu fiscal est positif ou nul et le revenu disponible monétaire
positif, hors ménages dont la personne de référence est étudiante ou militaire du contingent.
Notes : Le seuil de pauvreté est fixé à la moitié du revenu disponible médian par unité de
consommation.
Source : Enquête Revenus fiscaux 1997, INSEE-DGI.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 79
Une étude sur la probabilité de sortir de la pauvreté, toujours au sens
monétaire, lévalue à plus dune chance sur trois à horizon dune année(34).
De même, près dun allocataire du RMI sur trois ne perçoit plus lallocation
lannée suivante. Parmi ceux-ci, un sur deux travaille, éventuellement en
CES ou en CEC et en fait, le taux de sortie par lemploi sélève au deux
tiers si lon prend en compte reprises demploi des autres membres du mé-
nage Rmiste. Les autres sorties concernent essentiellement des allocataires
âgés qui accèdent à un autre minimum social, plus élevé (allocation dadulte
handicapé, minimum vieillesse ) ou des raisons administratives. Plus le
niveau détudes est élevé, plus on est jeune et en bonne santé, plus la proba-
bilité de (re)trouver un emploi est forte et dans ces cas, le RMI a souvent
servi, comme on la vu, de modalité dindemnisation du chômage. En re-
vanche, si 30 % des bénéficiaires du RMI à la fin de 1996 avaient moins
dun an dancienneté dans le dispositif, près de 10 % en relevaient depuis
sa mise en uvre en 1989, ce qui confirme là encore lhétérogénéité des
trajectoires (Afsa, 1999).
Lorsquon lévalue sur une période de trois ans et sur les personnes de
17 ans et plus, le taux de pauvreté est réduit de plus de 2 points par rapport
à une mesure en coupe instantanée. On obtient ainsi une estimation du noyau
dur de la pauvreté. Ces personnes durablement pauvres sont plutôt dâge
médian 40-60 ans souvent appartiennent à des familles monoparentales
ou nombreuses, ainsi quà des ménages dont le chef est ouvrier ou agri-
culteur. Notons enfin que les changements de nature démographique (disso-
lution ou formation du couple, arrivée ou départ denfants) qui touchent un
tiers des personnes au cours des trois années considérées, induisent des
variations de niveau de vie (et des entrées-sorties de la pauvreté) plus impor-
tantes que celles qui affectent les ménages stables, mais moins prononcées
que celles résultant de changements professionnels.
(34) À linverse, la probabilité dy entrer nest que de 5 % mais la population des
« non pauvres » est beaucoup plus importante.
(35) La position du Royaume-Uni dans léchelle européenne est très sensible au seuil de
pauvreté retenu. Avec un seuil plus faible (40 % de la médiane) il rejoint le groupe des pays
intermédiaires.
15 France
Autriche
Pays-Bas Danemark Luxembourg
10
0
5 7 9 11 13 15 17 19 21
Niveaux de vie médians (en milliers) en pouvoir dachat standardisé par uc
Source : Eurostat (2000). Les chiffres sont obtenus à partir du Panel de ménages de la Com-
munauté européenne. La pauvreté est définie comme le pourcentage de personnes vivant
dans des ménages avec un revenu par uc inférieur à 60 % du niveau de vie national médian.
(36) Rappelons que la définition des seuils de pauvreté est nationale ! Si lon considérait
lEurope comme un espace unique avec un seul seuil de pauvreté, les contrastes en seraient
encore plus accentués avec des taux de pauvreté très réduits dans lEurope du Nord et des
taux approchant 50 % dans les pays du Sud
(37) Marlier et Cohen-Solal (2000).
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 81
nos partenaires (ce qui nempêche pas que ces familles connaissent des
taux de pauvreté supérieurs à la moyenne en France). De même, lintensité
de la pauvreté (écart entre le revenu moyen des pauvres et le seuil de pau-
vreté) est plus faible en France mais aussi en Irlande et au Royaume-Uni
que pour la moyenne européenne.
Une intéressante étude dEurostat sur la persistance de la pauvreté et de
lexclusion sociale (Linden et Meyer, 2000), qui retient comme indicateur
le fait, pour une personne dêtre restée trois années de suite (1994 à 1996)
sous le seuil de pauvreté, conforte les analyses précédentes sur la position
relative des différents pays. En France, 6 % des personnes seraient pauvres
selon cette définition, contre 7 % en moyenne dans la communauté euro-
péenne. Les auteurs montrent aussi que les taux de sortie de la pauvreté
sont importants puisque moins de la moitié des européens pauvres (42 et
40 % en France) vivent dans un ménage pauvre pour la troisième année
consécutive.
Cette persistance dans la pauvreté permet aussi dapprocher la notion
plus dynamique dexclusion (qui reste difficile à définir conceptuellement).
Au niveau européen, ce sont les familles monoparentales, les familles nom-
breuses et plus généralement les enfants mais aussi les jeunes adultes, les
personnes âgées vivant seules et les familles connaissant le chômage qui
constituent ce noyau dur de la pauvreté. Comparativement à la moyenne
européenne, la pauvreté persistante touche en France plus fréquemment les
chômeurs et les personnes dont le niveau dinstruction est faible et moins
fréquemment les familles nombreuses et les familles monoparentales.
(38) La croissance du taux de pauvreté chez les actifs au cours des années soixante-dix peut
sembler contradictoire avec la forte baisse des inégalités au sein des ménages de salariés au
cours des mêmes années. En fait ces deux constats sont bien compatibles compte tenu de la
forte hausse du niveau de vie des retraités qui tire vers le haut le seuil de pauvreté et de la
relativement faible progression du premier décile de niveau de vie des ménages de salariés
observée sur la même période, les coups de pouce du SMIC bénéficiant surtout aux déciles
supérieurs.
20
15
10
0
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000
Notes : Définition du seuil de pauvreté : Demi niveau de vie médian (revenu disponible par uc)
de lensemble des ménages. Les chômeurs ayant déjà travaillé sont inclus dans la catégorie
des salariés. Outre les ménages de salariés et de retraités, lensemble comprend les indé-
pendants et les autres actifs.
Source : Enquête Revenus fiscaux, INSEE-DGI, de 1970 à 1997.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 83
5. La contribution des prestations sociales à la baisse de la pauvreté
En %
(**)
Ensemble Ménages de salariés Ménages de retraités
des ménages(*)
Avant Après Avant Après Avant Après
1970 20,3 15,7 9,5 4,0 30,4 27,8
1975 18,3 12,6 9,1 3,9 25,6 18,2
1979 16,5 9,1 10,5 4,9 21,2 10,7
1984 15,4 7,1 10,6 4,7 16,5 7,0
1990 14,5 7,1 12,0 4,9 13,0 5,9
1997 14,1 7,0 13,6 6,6 8,5 4,2
Champ : ménages ordinaires, non compris les ménages dont la personne de référence est
étudiante, dont le revenu déclaré est positif ou nul et le revenu disponible positif.
Notes : (*) Outre les salariés et les retraités, lensemble comprend les indépendants et les
autres inactifs ; (**) Les chômeurs ayant déjà travaillé sont intégrés dans la catégorie des
salariés
Source : INSEE-DGI, Enquêtes Revenus fiscaux 1970, 1975, 1979, 1984, 1990 et 1997.
(39) Ces 870 000 pauvres, ayant connu le chômage tout ou partie de lannée, appartiennent
à 670 000 ménages qui comptent aussi 670 000 autres personnes de 17 ans et plus et 640 000
enfants (de moins de 17 ans), ce qui fait quon peut évaluer à 2 180 000 le nombre de
personnes dont la pauvreté est liée de près ou de loin au chômage, soit un peu moins de la
moitié des 4,5 millions de pauvres de 1996.
(40) Notons toutefois que le temps partiel concerne aussi dautres catégories de travailleurs
pauvres, on la vu pour les indépendants, mais cest aussi le cas de certains CDD et des
situations mixtes avec chômage et emploi. Au total, un quart des travailleurs pauvres sont à
temps partiel.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 85
Enfin, les salariés pauvres en CDI à temps complet sont dans une situation
stable vis-à-vis de lemploi (deux tiers ont une ancienneté de cinq ans et
plus dans leur entreprise), mais, non diplômés, à la tête dune famille sou-
vent nombreuse dans laquelle le conjoint ne travaille pas, ils se situent néan-
moins sous le seuil de pauvreté monétaire.
En croisant pour les salariés pauvres, leurs revenus personnels (qui peu-
vent être inférieurs au SMIC annuel compte tenu de la durée et de linten-
sité de lemploi) et leurs situations familiales, on obtient une carte de la
pauvreté des travailleurs où les risques de pauvreté sont plus forts quand
les deux éléments (ressources personnelles faibles et charges de famille) se
cumulent (voir graphique 14).
Personne seule 16 1
Dans les chapitres précédents, nous nous sommes tournés vers le passé
et nous sommes restés centrés sur la France. Nous allons tourner mainte-
nant notre regard vers lavenir et vers létranger.
(41) Elle reflète avant tout une réduction importante de la progressivité de limpôt sur le
revenu et un durcissement des conditions déligibilité aux prestations sociales assorti dune
baisse de leur montant.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 87
serait la conséquence dévolutions technologiques requérant un travail plus
qualifié, à savoir lapparition des nouvelles technologies de linformation
et de la communication (NTIC) ; à moins quil ne sagisse dun déplace-
ment de la demande vers des secteurs employant surtout une main duvre
qualifiée. Mais quelle que soit la cause, la réduction de la demande de main
duvre non qualifiée a deux conséquences : ou bien son niveau de rému-
nération baisse, ou bien cest le chômage qui augmente là où il existe un
salaire minimum légal ou un système de protection sociale empêchant les
salaires de baisser. Nous sommes donc en présence dune explication unifi-
catrice : une cause unique entraînant des conséquences différentes aux États-
Unis et en Europe continentale. Elle a aussi lavantage dexpliquer pour-
quoi les pays européens nont pas tous été frappés de la même façon : ainsi
les pays scandinaves, où la qualification de la main duvre est plus homo-
gène, ont été les moins affectés.
Cette explication par une évolution de la demande de main duvre
contient, à lévidence, une bonne part de vérité, mais elle mérite dêtre
examinée de plus près.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 89
La première génération détudes (Bound et Johnson, 1992 par exemple)
sur leffet des NTIC concluait quil est difficile de rendre compte de la
baisse du salaire relatif des moins qualifiés à laide de déterminants obser-
vables et avançait sur cette base que la plus grande part de cette baisse est
imputable à un trend résiduel, que certains interprétaient comme un « biais
technologique » en faveur du travail qualifié. Krusell, Ohanian, Rios-Rull
et Violante (2000) montrent cependant quil nest pas nécessaire de faire
appel à lhypothèse dun biais technologique inéluctable (cest-à-dire rési-
duel dans le modèle explicatif, donc non contrôlable) pour expliquer lévo-
lution du salaire relatif des non qualifiés aux États-Unis. La modification
des prix relatifs des facteurs de production sous lhypothèse de la complé-
mentarité du travail qualifié au capital suffit à expliquer lessentiel de la
dégradation de la position relative des moins qualifiés. La baisse du coût du
capital, qui est liée aux innovations, est favorable au développement du
stock déquipements productifs et donc de la demande de travail qualifié,
qui lui est complémentaire. Mais cette tendance, qui transite par le rapport
des prix relatifs, réduit au contraire la demande de travail peu qualifié.
3,0 1,5
1,4
C95/C50
2,5
1,3
C50/C10
1,2
2,0
1,1
Impact estimé des NTIC
1,5 1,0
1973 1978 1983 1988 1993 1998
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 91
Quelles en sont les implications pour linégalité sur le marché du travail ?
La question a été traitée par Lindbeck et Snower (1996), pour qui il y a eu
passage dune organisation « tayloriste » (où, dans les grandes entreprises,
à forts coûts fixes, différents travailleurs effectuent des tâches différentes,
dans un cadre hiérarchisé) à une organisation « holistique », où les tra-
vailleurs passent très souplement dune tâche à lautre, où la production se
fait au sein dune équipe, sans hiérarchie, et où les coûts fixes sont relative-
ment peu importants. Conséquence des nouvelles technologies et de la for-
mation du capital humain, cette seconde formule engendre des profits et
des salaires plus élevés, si bien que lorsque la différence devient supérieure
aux coûts de restructuration, les entreprises tayloristes sy convertissent. À
cette transformation sen ajoute une autre, labandon des négociations col-
lectives, ce qui explique aussi que la dispersion des salaires soit plus forte
dans le secteur holistique que dans le secteur tayloriste. Pour Lindbeck et
Snower (1999), ce sont ces changements dans lorganisation du travail qui
expliquent laccroissement de la disparité des salaires aux États-Unis dans
les années quatre-vingt : la « révolution de lorganisation » aide à comprendre
pourquoi la dispersion des salaires américains est restée raisonnablement
stable entre le début des années cinquante et le milieu des années soixante-
dix, mais sest nettement accrue par la suite (Snower, 1999, p. 111).
Lanalyse de Lindbeck et Snower est, sur des points essentiels, proche
de celle de Kuznets, puisquelle met en avant un changement structurel.
Kuznets sintéressait au passage de lagriculture traditionnelle à lindustrie
moderne, alors que Lindbeck et Snower parlent du passage dune industrie
« traditionnelle », dite tayloriste, à une forme dentreprise nouvelle, quali-
fiée dholistique (à quoi ils ajoutent un troisième secteur, composé de ceux
qui ont été rejetés par les entreprises tayloristes et nont pas pu trouver
demploi dans la nouvelle économie). Mais la découverte fondamentale du
modèle de Kuznets était que limpact distributionnel du changement struc-
turel est ambigu : la même force peut, dans un premier temps, accroître
linégalité, et, dans un second temps, la réduire (doù sa fameuse courbe en
cloche). La réorganisation progressive de la production peut donc finir par
entraîner une diminution de linégalité. À nimporte quel moment, la courbe
de Lorenz peut se déformer, traduisant une réduction des inégalités en cer-
tains point de la distribution et une augmentation en dautres. Cette analyse
apporte peut-être une solution à la dimension distributionnelle du paradoxe
de Solow, puisque la distribution peut être affectée différemment à diffé-
rents moments. La phase de « dégraissage » du secteur tayloriste peut en-
traîner dans un premier temps une hausse du chômage (ou de lemploi à bas
salaire) voir graphique 16, qui montre une situation stylisée à la Lindbeck-
Snower (1996). La pente de la courbe de Lorenz indique la relation entre le
salaire et le revenu moyen. La croissance du secteur tayloriste après sa
restructuration entraîne une hausse du revenu moyen et lavantage relatif
de ceux qui sont employés dans les entreprises holistes commence à se
réduire. Comme dans le modèle de Kuznets, leffet total est ambigu : ainsi
que la souligné Askenazy (2000), nous sommes en présence de forces con-
tradictoires.
Pourcentage
du revenu total
Nouvelle économie
« Vieille » économie
Chômeurs
Rang dans la population totale
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 93
Dune façon plus générale, offre et demande ne font que poser des limi-
tes aux possibles différentiels des salaires : à lintérieur de ces limites, il y
a place pour la négociation des partenaires sociaux, pour les accords col-
lectifs ou la réglementation. Il est tout à fait possible quil y ait plus dune
formule économiquement viable et que les différentiels salariaux observés
reflètent soit lHistoire, soit les caractéristiques intrinsèques de tel
marché national du travail. Supposons quil existe une norme sociale
limitant la mesure dans laquelle les salaires individuels reflètent la produc-
tivité potentielle des différents salariés : dans ce cas, la rémunération de
lemployé comprend une fraction de sa productivité et une somme forfai-
taire versée à chacun. Un tel système étant fortement redistributif, il est
clair que les travailleurs faiblement productifs seront favorables au main-
tien de cette norme, mais dautres laccepteront aussi, quand bien même ils
pourraient gagner davantage si la norme était supprimée, car, sils ont été
jusque-là convaincus que la norme était une bonne chose, exiger sa sup-
pression engagerait leur réputation. La perte de salaire quils consentent est
dautant plus élevée que la proportion de la population qui, à un moment
donné, est convaincue des bienfaits de la norme, est grande. Les employeurs
sont, eux aussi, soucieux de leur réputation : ils déterminent leur politique
salariale (cest-à-dire lacceptation ou non de la norme sociale) en comparant
les profits potentiels, ce qui dépend de la proportion et des caractéristiques
des travailleurs qui acceptent ou non un système de salaires différenciés.
Le processus ressemble à celui du basculement identifié par Schelling (1978).
Les points déquilibre intérieurs au domaine de solutions peuvent être ins-
tables, et, en fonction des conditions initiales, une société tend à converger
soit vers un fort degré de soumission à cette norme, soit vers un refus pres-
que général de laccepter.
Cest ce type de norme salariale qui peut expliquer les inégalités des
rémunérations entre différents pays. Ladhésion à des normes salariales
dépend, par exemple, de limportance des différences dans la productivité
sous-jacente. Là où la population est relativement homogène, on a plus de
chance dobserver une adhésion à des normes égalitaristes, si bien que les
deux éléments, lun exogène (les différences de productivité) et lautre en-
dogène (le degré dadhésion à la norme) se combinent pour expliquer la
faible dispersion des salaires. Le modèle aide aussi à expliquer des épiso-
des de croissance ou de diminution de la dispersion. Un choc exogène peut
faire passer une société dun équilibre dans la soumission aux normes sala-
riales (où les salaires sont donc relativement peu dispersés) à une autre
forme déquilibre où chacun est rémunéré selon sa productivité. Ce choc
exogène peut être le fait que les employeurs accordent moins dimportance
à leur réputation ; il peut aussi être un reflet de changements intervenus sur
le marché des capitaux, poussant à rechercher des profits à plus court terme :
on observera alors un élargissement de léventail des salaires, plus étroi-
tement liés à la productivité individuelle. Osterman (1999), sappuyant sur
des études empiriques, conclut que, dans le cas des États-Unis, les considé-
rations déquité à lintérieur de lentreprise ont moins dimportance dans la
fixation des salaires : cest désormais la récompense de la performance in-
dividuelle qui est au premier plan.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 95
moins cher. Taxer les équipements productifs nest certainement pas la
meilleure solution en termes defficacité de léconomie. Un des moyens
possibles pour les pouvoirs publics à court terme est de jouer sur les prix
relatifs des facteurs de production. Les politiques dallégement du coût du
travail au niveau du SMIC initiées en France vont dans ce sens, et comme
la montré le chapitre 2, un faisceau déléments indique quelles ont eu un
impact certain.
Il faut rappeler aussi que la loi de loffre et de la demande détermine
certes la fourchette dans laquelle doit sétablir le salaire relatif des moins
qualifiés (ou plutôt le coût relatif de leur travail) pour garantir une effica-
cité suffisante de léconomie, mais que, dans ces limites, il y a place pour la
négociation collective. Lévolution des salaires relatifs des moins qualifiés
nest pas le pur produit des forces du marché, mais reflète aussi le degré
daversion à linégalité dune société. Les partenaires sociaux ont leur rôle
à jouer lors des négociations salariales. Le modèle salarial individualiste
nest pas le seul compatible avec les nouvelles technologies et les nou-
veaux modes dorganisation du travail et de la production.
La nouvelle économie ne nous entraîne donc pas fatalement vers plus
dinégalités.
PERSPECTIVES
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 97
Chapitre 6
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES 99
pour les non diplômés ou titulaires du seul brevet, dont le niveau de chô-
mage est pourtant beaucoup plus élevé (de 46 à 42 %). De même, le
« déclassement » des jeunes sest stabilisé au cours des dernières années,
voire réduit pour les diplômés des grandes écoles et troisièmes cycles uni-
versitaires (Gautié et Nauze-Fichet, 2000).
La réforme du service national, qui touche dabord les sortants les plus
jeunes et a provoqué un afflux de non diplômés, et la montée en charge des
emplois-jeunes (emplois qualifiés, plus souvent occupés par des jeunes
diplômés) ont vraisemblablement pesé sur ces évolutions. Cependant lin-
fluence du niveau de formation initiale sur linsertion est si déterminante
quil a souvent été écrit que le diplôme constituait « le meilleur rempart
contre le chômage ». Pour les plus diplômés, le taux de chômage se stabi-
lise au bout de trois à quatre années (aux environs de 7 %) contre plus de
dix ans pour les non diplômés (à un niveau quatre fois supérieur !).
À lautre extrémité du cycle de vie professionnel, les plus de cinquante
ans nont bénéficié de la reprise de lemploi que plus tardivement, à partir
de lautomne 1999 (leur taux de chômage est retombé à 7,8 % fin 2000, soit
une baisse dun point en un an) comme si les employeurs, après avoir ré-
sisté à embaucher des seniors, sy étaient résignés face aux difficultés de
recrutement. Compte tenu du poids démographique important qua pris cette
catégorie à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, avec le début de la
vague du « Baby-Boom » dont les effets devraient se poursuivre pendant
encore une quinzaine dannées, une évolution dans lattitude des employeurs
face à lembauche de travailleurs âgés est souhaitable (Gauron, 2000
et Pisani-Ferry, 2000).
Avec le recentrage de la politique de lemploi vers les publics priori-
taires (chômeurs de longue durée, allocataires du RMI ), le nombre de
chômeurs de longue durée a diminué de 200 000 personnes entre mars 1998
et mars 2000, avec même une décroissance légère de leur proportion parmi
lensemble des chômeurs (de 41 à 40 %). Selon les statistiques de lANPE,
ce mouvement se serait accéléré pendant lannée 2000, et le poids des chô-
meurs de longue durée parmi les demandeurs demploi des catégories 1, 2,
3, 6, 7 et 8 serait passé de 40,5 % en mars 1998 et mars 2000 à 37,6 % en
mars 2001.
11
5
1997 1998 1999 2000
Source : Enquêtes EPCV de mai.
(43) Rappelons que pour 1999, C99 sélève à 512 000 francs nets par an et quun décile de
centile correspond à environ 11 000 salariés.
Définitions
Pauvreté en termes de conditions de vie : un score de déprivations est cons-
truit à partir des difficultés quexprime le ménage lorsquil est interrogé dans
une enquête par sondage. Par exemple, dans les enquêtes PCV, vingt-huit indi-
cateurs sont suivis. Ces vingt-huit indicateurs sont répartis en quatre groupes :
indicateurs de contrainte budgétaire : difficulté à équilibrer les ressources
et les dépenses du ménage ;
indicateurs de retards de paiement : le ménage na pas pu payer à temps
certaines échéances ;
indicateurs de restrictions de consommation : privations en matière de
consommation ;
indicateurs de difficultés de logement : le ménage estime avoir un loge-
ment trop petit, trop sombre
Le score global de déprivations est construit en comptabilisant simplement
le nombre de réponses positives aux vingt-huit questions posées. Le ménage
est considéré comme pauvre si le score dépasse un certain seuil, choisi de
façon à retrouver environ 10 % de ménages pauvres. Dans létude réalisée
daprès lenquête PCV le seuil correspondait à au moins huit difficultés. Ce
seuil est arbitraire : seules comptent les évolutions du taux de pauvreté, et non
son niveau. Des scores partiels peuvent être construits pour chacun des quatre
groupes dindicateurs, ce qui permet de définir quatre taux de pauvreté.
Dans la deuxième simulation, les hypothèses sont calées sur les évo-
lutions observées entre mars 1997 et mars 2000 par catégories fines. Ainsi
on tient compte du fait que la baisse du chômage profite davantage aux
couples bi-actifs et du fait que le nombre de personnes dâge actif vivant
seules poursuit sa croissance régulière (et a donc tendance à faire croître le
taux de pauvreté car les économies déchelles au sein des ménages se ré-
duisent). Avec un seuil de pauvreté intégrant lévolution du niveau de vie
médian, une baisse du chômage de 2,3 points entraîne une baisse du taux de
pauvreté de 0,18 point (soit 40 000 ménages). Pour les seuls ménages dont
le chef est potentiellement actif, cette baisse est de 0,25 point. Compte tenu
du fait que le chômage touche plutôt des familles actives que des inactifs
vivant seuls, le nombre de personnes pauvres décroît de quelque
100 000 personnes, ce qui correspond à une diminution de 0,35 point du
taux de pauvreté individuel global et 0,6 point du taux de pauvreté indi-
viduel des personnes appartenant aux ménages potentiellement actifs.
Pour actualiser ces évaluations à la période récente (jusquau premier
trimestre 2001), compte tenu dune poursuite de la décrue du chômage, il y
Un projet de société
Linégalité économique est une question complexe, et tout résumé des
données empiriques est nécessairement incomplet. Les agrégats statistiques
laisseront inévitablement de côté des cas particuliers de richesse ou de pau-
vreté particulièrement frappant. Comme le montre Thomas Piketty, lextré-
mité supérieure de la distribution peut avoir un comportement très différent
de celui du reste de la population. En gardant ceci présent à lesprit, on peut
résumer ainsi la situation : la distribution des salaires nets chez les tra-
vailleurs à plein-temps est restée, ces dernières années, beaucoup plus stable
quaux États-Unis ou au Royaume-Uni. La France a mieux préservé sa
cohésion sociale. Elle est plus proche dun pays comme lAllemagne que
du Royaume-Uni où les différentiels salariaux se sont nettement accrus.
Dans une perspective historique plus large, une telle stabilité pourrait
cependant être considérée comme un échec relatif, puisque, dans un passé
relativement récent, la France a connu une réduction marquée de linégalité
économique (chapitre 2). Cest dans ce contexte quil faut apprécier la stabi-
lité et la modeste poussée dinégalité qui ont suivi. En ce qui concerne
lessentiel de la distribution (mais pas les hauts revenus, voir Piketty),
45
États-Unis
Indice de Gini (en %)
40
30
Revenu disponible
25
1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997
Sources : États-Unis : Bureau US Census Bureau, 2000, « Le profil changeant de la distri-
bution des revenus dans la Nation », dernier Rapport sur la population P60-204. La rupture
dans les séries en 1993 tient à lintroduction dune nouvelle méthode de collecte des
données. Pour la France : voir complément C.
Un choix collectif
Si linégalité économique augmente, quelle quen soit la raison, les gou-
vernements sont-ils pour autant désarmés ? Portons de nouveau le regard
outre-Atlantique, mais vers le Canada cette fois. On y observe quune iné-
galité des revenus de marché accrue nentraîne pas nécessairement une inéga-
lité accrue du revenu disponible : entre 1980 et le milieu des années quatre-
vingt-dix, lindice de Gini pour les revenus de marché a augmenté de 5 %
dans le cas canadien, alors que celui du revenu disponible (après fiscalité et
transferts) nétait pas, en 1997, sensiblement plus élevé que vingt ans aupa-
ravant. Ce qui sest passé au Canada est donc très différent de lévolution
observée aux États-Unis : voilà deux pays dAmérique du Nord, partageant
une très longue frontière, dont les échanges bilatéraux sont considérables,
dont le degré dintégration économique sest encore accru avec lALENA,
et où, pourtant, lévolution de linégalité du revenu disponible a suivi des
chemins nettement différents.
Ce qui sest passé au Royaume-Uni, (voir graphique 19) est tout aussi
instructif. Entre 1977 et 1984, lindice de Gini a augmenté de quelque 5 %
pour les revenus de marché, mais, comme au Canada, il est resté pratiquement
stable pour le revenu disponible. Limpact redistributif des transferts moné-
taires, de laide sociale et de la fiscalité a suffisamment augmenté pour
compenser linégalité accrue des revenus de marché. À partir de 1984, en
revanche, linégalité dans les revenus de marché continue à croître, mais,
entre 1984 et 1990, lindice de Gini pour le revenu après impôt augmente
beaucoup plus nettement. Conséquence directe dun changement de politique,
visant à réduire la contribution redistributive des transferts et de la fisca-
lité, le Royaume-Uni a connu une forte croissance de linégalité du revenu
disponible.
Dans leur contribution au rapport, Sastre et Trannoy analysent pour six
pays limpact des transferts et de limpôt sur les inégalités de revenus du
marché. Ils soulignent ainsi le rôle central des choix gouvernementaux.
Quelles que soient les évolutions affectant le marché du travail, linégalité
économique globale nest pas simplement déterminée par les forces à luvre
sur le marché.
Un accroissement des inégalités de marché ne se traduit donc pas inévi-
tablement par une inégalité accrue du revenu disponible des ménages. Tout
dépend des choix gouvernementaux, et avant tout des aides sociales accor-
dées aux chômeurs ou aux bas salaires, ainsi que de létendue de la redistri-
(Canada)
45
40
35 Revenu disponible
(Canada)
30 Revenu disponible
(Royaume-Uni)
25
1971 1974 1977 1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998
Lecture : Distribution du revenu par unité de consommation avant et après transferts et
impôts.
Sources : Royaume-Uni : Economic Trends (avril 1998, décembre 1994, janvier 1993 et avril
2000). Il y a des ruptures de séries en 1990, 1992 et 1996-1997 ; Canada : Statistics Canada,
(1996 et 1999).
(44) Voir sur ce point le rapport du CSERC sur le SMIC (1999) et Glaude et Lhéritier
(1993).
200 000
100 000
50 000 Cotisations
0
0 200 000 400 000 600 000 800 000 1 000 000
Revenu initial brut
(D1 = 50 000, Q1 = 100 000, M = 175 000, Q3 = 275 000, D9 = 400 000)
25%
Impôts
20%
15%
10%
Cotisations redistributives
5%
0%
0 200 000 400 000 600 000 800 000 1 000 000
Revenu initial brut
(D1 = 50 000, Q1 = 100 000, M = 175 000, Q3 = 275 000, D9 = 400 000)
Source : INSEE.
La CSG et la CRDS
Linstauration de la Contribution sociale généralisée (CSG) par la loi du
28 décembre 1990 marque une évolution profonde dans le financement de
la protection sociale, faisant porter le financement de certaines dépenses
(prestations familiales, prestations maladie hors indemnités journalières,
minima sociaux) sur un ensemble plus large de revenus que les seuls salaires.
En fait, la CSG se présente comme un ensemble de trois contributions dif-
férentes, cette distinction provenant essentiellement du souhait de faciliter
son recouvrement : la contribution portant sur les revenus dactivité et de
remplacement prélevée comme les cotisations sociales ; la contribution
portant sur les revenus du patrimoine prélevée comme limpôt sur le revenu
par voie de rôle ; enfin, la contribution sur les produits de placement prélevée
comme le prélèvement libératoire.
Allocations logement
Les allocations pour le logement vont connaître un changement impor-
tant (du moins en ce qui concerne les allocations pour les locataires). Jus-
quen 2000, deux barèmes coexistaient : lALF et ALS, dune part, et lAPL,
dautre part. Cette dernière aide avait subi en 1997 une réforme qui en
modifiait sensiblement le calcul (éloignant dailleurs la logique de cette
Tony Atkinson
Nuffield College (Membre du CAE)
Christine Chambaz
DREES, ministère de lEmploi et de la Solidarité
Valérie Champagne
DGI, ministère de lÉconomie, des Finances et de lIndustrie
Denis Clerc
Conseil de lemploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC)
Jean-Richard Cytermann
DPD, ministère de lÉducation nationale
Michèle Debonneuil
Commissariat général du Plan
Michel Dollé
Conseil de lemploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC)
Marc-Antoine Estrade
DARES, ministère de lEmploi et de la Solidarité
Michael Förster
OCDE
Marc Fleurbaey
Université de Pau
Denis Fougère
CREST-INSEE
Jacques Freyssinet
IRES (Membre du CAE)
Véronique Hespel
Commissariat général du Plan
Jean-Michel Hourriez
INSEE
Serge-Christophe Kolm
Francis Kramarz
CREST-INSEE
Henri Lamotte
Direction de la prévision, ministère de lÉconomie, des Finances et de lIndustrie
Michel Martinez
Rexecode
Joël Maurice
Conseil danalyse économique (Membre du CAE)
Éric Maurin
CREST-INSEE
Jacques Mistral
Ministère de lÉconomie, des Finances et de lIndustrie (Membre du CAE)
Lucile Olier
Conseil danalyse économique
Antoine Parent
DARES, ministère de lEmploi et de la Solidarité
Thomas Piketty
EHESS et CEPREMAP (Membre du CAE)
Jean Pisani-Ferry
Conseil danalyse économique
Pierre Ralle
DREES, ministère de lEmploi et de la Solidarité
Alain Trannoy
Université de Cergy-Pontoise, THEMA
Pierre Vanlerenberghe
Commissariat général du Plan
Etienne Wasmer
Université libre de Bruxelles
Catherine Zaidman
Direction de la Sécurité sociale, ministère de lEmploi et de la Solidarité
Philippe Askenazy
CEPREMAP
Olivier Bontout
DREES, ministère de lEmploi et de la Solidarité
Isabelle Braun-Lemaire
INSEE
Gilbert Cette
Banque de France
Béatrice Colin-Sédillot
INSEE
Stéphane Grégoir
INSEE
Sébastien Jean
OCDE
Christine Lagarenne
INSEE
Nadine Legendre
INSEE
Bertrand Lhommeau
DREES, ministère de lEmploi et de la Solidarité
David Margolis
CNRS
Élisabeth Maurice
DGI, ministère de lÉconomie, des Finances et de lIndustrie
Annie Mesrine
INSEE
Mark Pearson
OCDE
Nicole Roth
INSEE
Sébastien Roux
INSEE
Peter Scherer
OCDE
Introduction
Comment les inégalités de revenus, de salaires et de patrimoines ont-
elles évoluées sur longue période, et ces évolutions permettent-elles dap-
porter un éclairage nouveau sur certains enjeux économiques et politiques
du temps présent ? Telles sont les questions auxquelles ce rapport tente de
répondre(1).
La principale leçon qui se dégage de cette analyse historique concerne
sans doute limpôt progressif sur le revenu. Limpôt progressif a un double
impact sur les inégalités. Limpact le mieux connu est de nature statique :
du fait même de la progressivité, limpôt progressif permet de resserrer
léventail des revenus, si bien que linégalité présente des revenus après
impôt est plus réduite que linégalité présente des revenus avant impôt.
Mais, outre cet impact statique, limpôt progressif a également un impact
dynamique sur les inégalités : limpôt progressif limite les capacités daccu-
mulation du capital des personnes les plus fortunées, et il réduit ainsi la
concentration future des patrimoines, et par là même la concentration future
(1) Ce rapport sappuie notamment sur les résultats publiés dans un livre consacré à lhis-
toire des inégalités en France au XXe siècle (Piketty, 2001). Par comparaison au rapport
Atkinson, Glaude et Olier, qui porte pour lessentiel sur les années quatre-vingt et quatre-
vingt-dix, la particularité de notre rapport est que nous intéressons aux évolutions observées
sur lensemble du XXe siècle. Cette perspective plus longue a pour contrepartie que nous ne
pouvons traiter que dun nombre plus réduit de questions.
(2) Limpôt progressif sur les successions et limpôt progressif sur la fortune contribuent
également à limiter la concentration future des patrimoines. Nous reviendrons plus loin sur
la complémentarité entre limpôt progressif sur le revenu et les autres impôts progressifs du
point de vue des effets sur les inégalités patrimoniales futures.
(3) Selon les termes même employés par Roosevelt, laccumulation du capital conduit en
labsence dimpôt progressif à une « great and undesirable concentration of control in
relatively few individuals », et lobjectif de la forte progressivité fiscale instituée par son
gouvernement était « not to destroy wealth, but to create a broader range of opportunity, to
restrain the growth of unwholesome and sterile accumulations » (citations reproduites par
Brownlee, 2000, p. 52). En termes économiques modernes, le fait quune trop forte concen-
tration du capital puisse avoir un impact négatif sur lefficacité économique sexplique par
lexistence de contraintes de crédit (les entrepreneurs talentueux mais peu fortunés ont plus
de mal à investir que les héritiers peu talentueux mais fortunés).
(4) Cette partie reprend un certain nombre de résultats et de séries publiés dans notre livre
(Piketty, 2001), et nous invitons les éventuels lecteurs intéressés par une analyse historique
plus détaillée et/ou une description précise des caractéristiques techniques des estimations
réalisées à se reporter à cet ouvrage.
120
100
80
60
40
20
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990
65
55
45
35
25
15
5
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990
(5) Rappelons que le foyer est une unité plus étroite que le ménage : un ménage formé dun
couple non marié constitue deux foyers, de même quun ménage où cohabitent deux géné-
rations. En moyenne, chaque ménage comprend environ 1,3 foyer, ce qui signifie que le
revenu moyen par ménage est de lordre de 30 % plus élevé que le revenu moyen par foyer,
soit environ 170 000 francs par an (14 000 francs par mois) à la fin des années quatre-vingt-
dix pour le revenu moyen par ménage, contre 130 000 francs par an (11 000 francs par mois)
pour le revenu moyen par foyer (le nombre moyen de ménages par foyer a relativement peu
changé au cours du XXe siècle, car la montée du concubinage a eu tendance à compenser la
baisse de la cohabitation intergénérationnelle ; le revenu moyen par ménage a donc connu
approximativement la même progression séculaire que le revenu moyen par foyer).
(6) Compte tenu du fait que le nombre moyen de foyers par ménage a été approximativement
constant au cours du siècle (cf. supra), il en irait de même si lon raisonnait en termes de
revenu moyen par ménage (la taille moyenne des ménages a toutefois légèrement moins
diminué que la taille moyenne des foyers dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, si
bien que le revenu moyen par ménage a connu une évolution légèrement plus favorable que
le revenu moyen par foyer).
(7) On observe ce même type deffet pour la première moitié du XXe siècle : daprès nos
estimations, le revenu moyen par foyer a progressé denviron 20 % sur la période 1913-
1949 (de 29 000 à 35 000 francs ; cf. graphique 1), alors que le revenu moyen par habitant a
progressé denviron 30 % (de 11 000 à plus de 14 000 francs ; cf. graphique 2) (par compa-
raison, la progression du PIB sur la période 1913-1949 a été de lordre de 30-40 %, suivant
les séries disponibles ; le léger écart sexplique non pas par la croissance de la population,
qui a été pratiquement nulle, mais par le fait que la part du revenu des ménages dans le PIB
a légèrement baissé entre 1913 et 1949).
60%
40%
20%
0%
1915 1925 1935 1945 1955 1965 1975 1985 1995
Source : Piketty, 2001, colonne 3 du tableau A2, annexe A.
En %
50%
45%
40%
35%
30%
25%
1900- 1923 1933 1943 1953 1963 1973 1983 1993
1910
(8) Cette remarque vaut également pour la première moitié du XXe siècle (la très faible
progression du revenu moyen exprimé en francs de 1998 ne doit pas faire oublier que les
modes de consommation ont évolué de façon importante entre 1900 et 1948). Les évo-
lutions générales indiquées sur les graphiques 1 et 2 permettent de se faire une idée des
principaux ordres de grandeurs, mais un examen minutieux des revenus en francs courants
et des différents prix en vigueur aux différentes époques serait nécessaire pour mieux com-
prendre la signification concrète de lamélioration des conditions de vie sur longue période.
(9) Les déclarations de revenus déposées par les foyers non imposables ne sont prises en
compte dans les statistiques fiscales que depuis les revenus de 1985 (ce nest dailleurs que
depuis le début des années quatre-vingt que limmense majorité des foyers non imposables
déposent une déclaration), et ces statistiques ne sont donc pas utilisables sur longue période.
Pour estimer la série de revenu moyen par foyer (tous foyers confondus, imposables et non
imposables) indiquée sur le graphique 1, nous avons donc dû utiliser diverses séries issues
des comptes nationaux, que nous avons corrigées et homogénéisées afin que le revenu moyen
par foyer soit exprimé en termes de « revenu fiscal » (avant tout abattement ou déduction),
de la même façon que les revenus du décile supérieur estimés à partir des déclarations de
revenus (selon nos estimations, le revenu fiscal a représenté tout au long du XXe siècle un
pourcentage quasiment constant du revenu des ménages au sens de la comptabilité nationale
(qui a lui-même représenté tout au long du siècle un pourcentage quasiment constant du
PIB), si bien que la croissance du revenu fiscal par foyer a été approximativement la même
que celle du PIB par foyer ; le nombre total de foyers (imposables et non imposables) a été
calculé en utilisant notamment les résultats des recensements). Dautres sources, et en parti-
culier des sources portant sur les salaires, nous permettront détudier lévolution des inéga-
lités séparant les bas revenus de la moyenne des revenus (cf. infra).
(10) Les références précises des différents bulletins statistiques (« Bulletin de statistique et
de législation comparée » jusquà la Seconde Guerre mondiale, « Bulletin de statistiques du
ministère des Finances » dans limmédiat après-guerre, et « Statistiques et études finan-
cières » de 1949 à 1985) où ces tableaux annuels ont été publiés sont indiquées dans notre
livre (cf. Piketty, 2001, annexe A). Le fait que laccès à ces documents publics se soit dété-
rioré au cours du temps mérite dêtre noté (nous reviendrons plus loin sur ce point ;
cf. infra).
(11) Tous les détails techniques liés à ces estimations sont exposés de façon précise dans
notre livre (cf. Piketty, 2001, annexes A et B). Contentons-nous de préciser ici que toutes
nos estimations ont été corrigées et homogénéisées de façon à ce que les revenus soient
toujours exprimés en termes de « revenu fiscal » (avant tout abattement ou déduction). No-
tons également que nous navons effectué aucune correction permettant de prendre en compte
les variations de la taille des foyers, mais que les statistiques fiscales nous ont permis de
constater que la baisse séculaire de la taille des foyers avait touché toutes les tranches de
revenus dans des proportions comparables (de telles corrections ne seraient donc pas sus-
ceptibles daltérer de façon importante les résultats présentés ici). Le fait que les statistiques
fiscales annuelles navaient jusquici jamais été exploitées sexplique sans doute en partie
par le fait quelles ont été « cannibalisées » par les enquêtes « Revenus fiscaux » menées par
lINSEE depuis 1956. Ces enquêtes permettent certes détudier lensemble de la distribu-
tion des revenus (lINSEE utilise des échantillons de déclarations de revenus transmis par la
DGI comprenant aussi bien des foyers imposables que des foyers non imposables). Mais,
outre quelles nexistent que depuis 1956, quelles nont été menées que pour quelques
années isolées (1956, 1962, 1965, 1970, 1975, 1979, 1984, 1990 et 1996), et que les fichiers
nont été conservés sous un format informatique exploitable que depuis lenquête de 1970,
ces enquêtes reposent sur un nombre trop faible de déclarations pour permettre des estima-
tions fiables des revenus du décile supérieur.
(12) Les déclarations de revenus ne nous ont permis destimer la part du décile supérieur
quà partir de 1919 (la proportion de foyers imposables était trop faible en 1915-1918, et
nous nous sommes contentés pour ces années-là destimer les revenus du centile supérieur),
et nous avons complété nos séries par une estimation moyenne portant sur les années 1900-
1910 obtenue en utilisant les évaluations de la répartition des revenus établies par ladminis-
tration fiscale du début du siècle dans le cadre des débats parlementaires sur la création de
limpôt sur le revenu (il est vraisemblable que les chiffres ainsi obtenus sous-estiment légè-
rement linégalité en vigueur en 1900-1910).
(13) Exprimé en francs de 1998, le revenu annuel moyen du décile supérieur est passé
denviron 130 000 francs au début du siècle (contre 25 000-30 000 francs pour le revenu
moyen de lensemble de la population) à environ 420 000 francs dans les années quatre-
vingt-dix (contre environ 130 000 francs pour le revenu moyen de lensemble de la popu-
lation) (cf. tableau 1 infra). Le hasard des chiffres fait donc que le revenu moyen du décile
supérieur du début du siècle est quasiment identique au revenu moyen de lensemble de la
population à la fin du siècle. De telles comparaisons sont suggestives, mais il faut éviter
daccorder trop de poids à ce type de coïncidence, tant les prix relatifs et donc les modes de
vie ont changé.
(14) Exprimé en francs de 1998, le revenu annuel moyen du fractile P90-95 est passé de près
de 65 000 francs au début du siècle à près de 300 000 francs dans les années quatre-vingt-
dix (cf. tableau 1).
(15) Exprimé en francs de 1998, le revenu annuel moyen du fractile P95-99 est passé dun
peu moins de 110 000 francs au début du siècle à près de 430 000 francs dans les années
quatre-vingt-dix (cf. tableau 1 infra).
(16) Exprimé en francs de 1998, le revenu annuel moyen du centile supérieur est passé
denviron 550 000 francs au début du siècle à environ 1 million de francs dans les années
quatre-vingt-dix (cf. tableau 1).
(17) Nous reviendrons plus loin sur lévolution des taux dimposition auxquels ont été sou-
mis les différents fractiles de hauts revenus aux différentes époques (cf. infra).
En %
20%
P90-95
P95-99
15%
10%
5%
1900- 1923 1933 1943 1953 1963 1973 1983 1993
1910
En %
20%
15%
10%
5%
1900- 1919 1929 1939 1949 1959 1969 1979 1989
1910
3%
2%
1%
0%
1900- 1919 1929 1939 1949 1959 1969 1979 1989
1910
Source : Piketty, 2001, colonne P99,99-100 du tableau B14, annexe B.
En %
100%
Revenus du capital
Revenus du travail
80% Revenus mixtes
60%
40%
20%
0%
P90-95 P95-99 P99-99,5 P99,5-99,9 P99,9-99,99 P99,99-100
Sources : Piketty, 2001, tableau B16, annexe B.
60%
40%
20%
0%
P90-95 P95-99 P99-99,5 P99,5-99,9 P99,9-99,99 P99,99-100
(18) Nous avons représenté sur les graphiques 8 et 9 les chiffres de 1932 et de 1998, mais
nos séries montrent que les principales caractéristiques indiquées sur ces deux graphiques
(part des revenus du travail prédominante au niveau du fractile P90-95, part des revenus du
capital prédominante au niveau du fractile P99,99-100, etc.) ont prévalu tout au long du
siècle. La seule exception importante concerne limmédiat après-guerre (cf. infra). La part
des revenus du capital dans les revenus du fractile P99,99-100 atteignait sans doute des
niveaux encore plus élevés à la veille de la Première Guerre mondiale (les déclarations de
revenus nexistaient pas à cette époque, et il est donc impossible de préciser ce point).
(19) On notera que les revenus mixtes (BA, BIC, BNC), ainsi nommés car ils rémunèrent à
la fois le travail fourni et le capital investi par les travailleurs non salariés, occupent dans la
hiérarchie des revenus une position intermédiaire entre revenus du travail et revenus du
capital : les revenus mixtes prennent leur importance maximale au milieu du centile supé-
rieur, avant de stabiliser pour les fractiles plus élevés (cf. graphique 8) ou même de décliner
(cf. graphique 9). Remarquons également que la part des salaires dans les différents fractiles
de hauts revenus est à peine plus élevée en 1998 quen 1932 : ce phénomène est amplifié par
le cycle économique (les revenus mixtes sont particulièrement faibles pendant la crise des
années trente), mais il sexplique pour lessentiel par le fait que limmense majorité des non
salariés du début du siècle et de lentre-deux-guerres étaient des « petits » non salariés (pay-
sans, artisans, ouvriers travaillant à domicile, etc.), ce qui est dailleurs confirmé par les
résultats des recensements de lépoque (seule une infime fraction des non salariés étaient
des « gros » non salariés employant plus dun ou deux salariés, et le trend de salarisation na
donc eu quun impact limité au niveau du décile supérieur).
(20) Les expressions « classes moyennes » et « 200 familles » sont employées ici de façon
purement symbolique, et elles ont pour seul mérite dêtre relativement suggestives. En par-
ticulier, le fractile P99,99-100 (les « 200 familles ») regroupe toujours (par définition) 0,01 %
du nombre total de foyers, soit environ 1 500 foyers sur 15 millions au début du siècle et
environ 3 000 foyers sur 30 millions à la fin du siècle. Précisons également que nous ne
cherchons aucunement à justifier le fait que lon puisse qualifier de « classes moyennes »
des groupes sociaux disposant de revenus sensiblement supérieurs aux revenus véritablement
moyens : nous nous sommes contentés de reprendre une expression qui est souvent utilisée
dans les débats publics (à tort ou à raison) pour désigner des niveaux de revenus voisins du
fractile P90-95 (cf. par exemple les débats suscités par laffaire du plafonnement des allo-
cations familiales à 25 000 francs par mois).
(21) Tous les détails techniques liés à ces estimations sont décrits de façon précise dans
notre livre (Piketty, 2001, annexe D). Contentons-nous de préciser ici que les déclarations
de salaires ont été exploitées par lINSEE depuis la Seconde Guerre mondiale et la dispa-
rition de limpôt cédulaire sur les salaires ; auparavant, les statistiques issues des décla-
rations de salaires étaient établies par ladministration fiscale. Cette rupture explique sans
doute pourquoi les statistiques des déclarations de salaires antérieures à la Seconde Guerre
mondiale étaient tombées dans loubli.
(22) Les déclarations de salaires nexistaient pas avant 1917 (en outre, les statistiques des
années 1917-1918 ne sont pas exploitables), mais de multiples séries catégorielles montrent
quune forte compression des hiérarchies salariales a eu lieu pendant la Première Guerre
10. Part des 10 % des salariés les mieux payés dans la masse salariale
totale en France de 1919 à 1938, en 1947 et de 1950 à 1998
En %
30%
25%
20%
1919 1929 1950 1960 1970 1980 1990
(26) Par exemple, lanalyse des programmes électoraux diffusés par les partis politiques
depuis le début du XXe siècle montre que les hiérarchies salariales ont toujours été relati-
vement bien acceptées (y compris par le PCF), et que seule la position des détenteurs de
patrimoines importants a fait lobjet de remises en cause radicales.
En %
22%
20%
18%
16%
14%
12%
10%
1919 1929 1950 1960 1970 1980 1990
12. Part du 1 % des salariés les mieux payés dans la masse salariale
totale en France de 1919 à 1938, en 1947 et de 1950 à 1998
En %
10%
9%
8%
7%
6%
5%
1919 1929 1950 1960 1970 1980 1990
2,0
1,2
0,4
0,0
1950 1960 1970 1980 1990
4,2
3,8
3,4
3,0
2,6
1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995
(27) Rappelons que linflation a atteint non seulement les valeurs mobilières non indexées
(et en particulier les rentes sur lÉtat), mais également le capital foncier : compte tenu du
blocage des loyers, le ratio (indice des loyers)/(indice général des prix) est tombé à lissue de
la Seconde Guerre mondiale à 10 % de son niveau de 1914.
(28) Mentionnons également le cas des nationalisations de 1945, qui dans bien des cas se
sont apparentés à des expropriations pures et simples, et qui sont venues sajouter à la lon-
gue liste des malheurs des détenteurs de gros patrimoines.
(29) Notons également que le fait de distinguer au sein du décile supérieur les fractiles
inférieurs vivant de salaires et les fractiles supérieurs dépendant des profits des entreprises
permet de comprendre les mouvements complexes et contradictoires observés dans les an-
nées trente : les salariés à haut salaire des fractiles P90-95 et P95-99 sont les grands bénéfi-
ciaires de la déflation des années 1929-1935 (leurs salaires sont nominalement fixes, et ils
ne sont soumis ni à la chute des profits frappant les détenteurs de patrimoines et les non
salariés, ni au fort chômage frappant les salariés plus modestes, et notamment les ouvriers de
lindustrie), si bien que leur part dans le revenu total augmente au cours de cette période
(cf. graphique 5), alors que la part des très hauts revenus diminue (cf. graphiques 6 et 7) (au
final, les premières années de la crise économique conduisent donc paradoxalement à une
hausse de la part du décile supérieur (cf. graphique 4), et ce en dépit de leffondrement des
très hauts revenus ; inversement, la dévaluation de 1936 conduit à une baisse de la part des
fractiles P90-95 et P95-99, mais à un léger redressement de la part des très hauts revenus.
(30) On notera dailleurs que dans limmédiat après Seconde Guerre mondiale, les revenus
les plus élevés sont exceptionnellement constitués de revenus mixtes et non pas de revenus
du capital (les revenus du capital reprirent progressivement leur place au cours des années
cinquante et soixante). Il sagit de la seule et unique fois où la structure de la composition
des hauts revenus sécarte de façon importante de la forme générale représentée sur les
graphiques 8 et 9.
(31) La part des revenus du capital dans le revenu des ménages, telle que les comptes natio-
naux permettent de la mesurer, était denviron 20 % au début du siècle, avant de seffondrer
aux alentours de 10 % au milieu du siècle, et finalement de retrouver un niveau de lordre de
20 % dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. La part du capital dans la valeur
ajoutée des entreprises a été nettement plus stable sur longue période (si lon excepte un
effondrement très passager en 1944-1945). La différence tient notamment au fait que les
profits non distribués se sont établis à des niveaux très élevés dans les années cinquante et
soixante, ainsi quaux très fortes fluctuations du niveau des loyers reçus par les ménages
(il faut attendre les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix pour que lindice des loyers
retrouve son niveau du début du siècle relativement à lindice général des prix).
1,0
0,8
0,6
0,4
0,2
0,0
1902 1912 1922 1932 1942 1952 1962 1972 1982 1992
700
600
500
400
300
200
100
0
1902 1912 1922 1932 1942 1952 1962 1972 1982 1992
Ces résultats, qui confirment pleinement les résultats obtenus au niveau des
revenus(36), et ce bien que ces deux sources (déclarations de revenus et décla-
rations de successions) soient très largement indépendantes, montrent le
niveau phénoménal atteint par les grandes fortunes à la veille de la
Première Guerre mondiale et lampleur de la compression des inégalités
patrimoniales qui a eu lieu au cours du XXe siècle : les très grosses succes-
sions des années quatre-vingt-dix sont certes très importantes, mais elles
sont douze fois moins grosses (relativement aux autres successions) que
celles du début du siècle. Lampleur des transformations observées semble
là encore beaucoup trop massive pour quelles puissent sexpliquer par des
phénomènes de fraude ou de dissimulation (de même que pour les revenus,
il est probable que la fraude aux successions na jamais été aussi impor-
tante quau début du siècle et dans lentre-deux-guerres)(37).
(36) Il est logique que le coefficient de progression séculaire soit plus faible pour les succes-
sions que pour les revenus, car il faut attendre que les décès en question se soient produits.
(37) Précisons en outre que les régimes dimposition des successions et des donations nont
été unifiés quen 1942 (loi du 14 mars 1942), si bien que ce nest que depuis 1942 que nos
estimations prennent en compte les donations antérieures au décès et rappelées lors de la
succession (les successions du début du siècle et de lentre-deux-guerres seraient encore
plus importantes si ces donations avaient pu être prises en compte).
En %
100%
80%
60%
40%
20%
0%
1915 1925 1935 1945 1955 1965 1975 1985 1995
Source : Piketty, 2001, colonne 12 du tableau A2, annexe A.
(38) Les taux marginaux supérieurs indiqués sur le graphique 8 incluent toutes les majora-
tions dimpôt, et en particulier les majorations dites « exceptionnelles ». Nous reviendrons
plus loin sur la baisse du taux marginal supérieur observée en fin de période.
25%
20%
15%
10%
5%
0%
1915 1925 1935 1945 1955 1965 1975 1985 1995
Source : Piketty, 2001, colonnes P90-95, P95-99 et P99-100 du tableau B20, annexe B.
En %
60% P99-99,5
P99,5-99,9
P99,9-99
50% P99,99-100
40%
30%
20%
10%
0%
1915 1925 1935 1945 1955 1965 1975 1985 1995
(39) Lécart particulièrement fort observé dans lentre-deux-guerres entre taux marginal su-
périeur et taux effectif du fractile P99,99-100 sexplique notamment par le fait que limpôt
dû au titre de lannée précédente était à cette époque déductible du revenu imposable cou-
rant (cette disposition ne fut supprimée quà lissue de la Seconde Guerre mondiale). Il faut
toutefois noter que les taux effectifs de lentre-deux-guerres seraient encore plus élevés si
nous prenions en compte les impôts cédulaires (tous les taux donnés ici concernent unique-
ment limpôt progressif sur le revenu stricto sensu).
r=5% r=5% r = 10 % r = 10 %
t = 30 % t = 50 % t = 30 % t = 50 %
n=5 8% 13 % 17 % 28 %
n = 10 18 % 28 % 41 % 63 %
n = 15 29 % 45 % 75 % —
n = 20 42 % 64 % — —
n = 25 58 % 85 % — —
n = 30 77 % — — —
… n* = 35 n* = 28 n* = 18 n* = 14
Lecture : En cas de taxation de ses revenus à un taux t = 30 %, le détenteur dun capital
rémunéré à un taux r = 5 % choisissant de maintenir son niveau de vie initial (avant intro-
duction de limpôt) aura détruit 8 % de son capital au bout de n = 5 années, 18 % de son
capital au bout de n = 10 années, etc., et aura totalement épuisé son capital au bout de
n* = 35 années (avant lintroduction de limpôt, le détenteur du capital consommait chaque
année lintégralité du rendement, et son capital était stationnaire).
(40) Cette hypothèse revient à supposer que les taux dépargne ne cessent de progresser au
cours du processus daccumulation dynastique : une partie de plus en plus faible des revenus
du patrimoine accumulé suffit à financer le train de vie fixé au début. Une telle hypothèse est
cohérente avec les recherches les plus récentes portant sur ces questions, qui montrent les
taux dépargne progressent très fortement lorsque lon pénètre dans les strates supérieures
dans la hiérarchie des revenus, et que ces comportements sont mieux décrits par des modèles
ad hoc (fondés par exemple sur lidée que lessentiel du revenu est consacré à lépargne dès
lors quune certaine norme de consommation a été atteinte) que par les modèles dynamiques
traditionnels daccumulation du capital (cf. Caroll, 2000, ainsi que Dynan, Skinner et Zeldes,
2000). Quoi quil en soit, notons que les modèles traditionnels nous conduiraient à des
conclusions encore plus extrêmes. En particulier, le modèle Ramsey-Barro-Becker à hori-
zon infini avec utilité dynastique suppose implicitement une élasticité infinie de lépargne à
long terme vis-à-vis du taux de rendement net du capital (ce dernier doit nécessairement être
égal au taux de préférence pour le présent dans le long terme), et lintroduction dun impôt
progressif dans ce modèle conduit à la disparition pure et simple des gros patrimoines : les
titulaires de gros patrimoines se mettent à dilapider leur capital jusquà ce que leur patri-
moine et les revenus qui en sont issus passent au-dessous du seuil de déclenchement du taux
supérieur de limpôt (le capital moyen de léconomie reste inchangé, car les agents situés au-
dessous de ce seuil compensent intégralement la dilapidation des agents situés au-dessus). En
revanche, un modèle fondé sur un taux dépargne fixe (hypothèse peu cohérente avec les
recherches citées plus haut) conduirait à des résultats légèrement moins spectaculaires que
ceux indiqués sur le tableau 4. Par exemple, avec un taux de rendement avant impôt de 10 %
et un taux dépargne fixe de 50 %, le capital accumulé au bout de cinquante ans est « seule-
ment » 3,4 fois plus important dans un monde sans impôt (multiplication du capital par
11,5) que dans un monde avec un impôt de 50 % (multiplication du capital par 3,4) ; la
formule appliquée est simplement xn = [1 + s (1 t)r]n. Dans tous les cas de figure, limpact
dynamique de limpôt progressif est donc très substantiel.
Le fait important est que limpôt sur le revenu limite très fortement ces
possibilités daccumulation du capital, y compris pour des capitalistes prêts
à consacrer lessentiel de leur revenu disponible à leur stratégie daccumu-
lation. Supposons par exemple que le fisc sapproprie chaque année 50 %
des revenus du capitaliste en question, ce qui correspond au niveau autour
duquel le taux moyen dimposition du fractile P99,99-100 a gravité depuis
la Seconde Guerre mondiale (cf. graphique 20). Par définition, notre capi-
taliste ne pourra accroître sa fortune que sil adopte un train de vie inférieur
à 50 % du rendement de son patrimoine initial (avant impôt) : sil choisit
un train de vie supérieur, alors il ne fera que dilapider sa fortune à brève
échéance, ainsi que nous lavons vu plus haut. Sil adopte un train de vie
égal à 40 % du rendement de son patrimoine initial (avant impôt), alors sa
fortune aura été multipliée par seulement 1,5 au bout de cinquante années,
soit un coefficient de progression plus de deux fois plus faible que le coef-
ficient obtenu dans un monde sans impôt par un capitaliste adoptant un
niveau de vie deux fois plus élevé (3,1), plus de trois fois plus faible que le
coefficient obtenu dans un monde sans impôt par un capitaliste adoptant un
niveau de vie 1,5 fois plus élevé (5,2), et près de cinq fois plus faible que le
coefficient obtenu dans un monde sans impôt par un capitaliste adoptant le
même train de vie (7,3) (cf. tableau 4). Autrement dit, pour un train de vie
donné, lexistence de limpôt sur le revenu conduit à accumuler au bout de
cinquante années des fortunes de lordre de cinq fois moins grandes que
celles quil serait possible de constituer si cet impôt nexistait pas.
(42) On pourrait certes imaginer que les rendements des différentes catégories de patri-
moines aient évolué de façon différente, et que ces variations, compte tenu du fait que la
composition des patrimoines varie fortement avec le niveau de fortune, aient eu un impact
sur la concentration des patrimoines. Cependant, outre que les évolutions séculaires des
rendements vont vraisemblablement dans le « mauvais » sens (linflation est susceptible
davoir affecté le rendement du capital mobilier et des obligations, bien davantage que celui
des actions, et les fortunes importantes reposent sur les actions), on voit mal comment de
telles variations des rendements relatifs pourraient expliquer que la succession moyenne du
fractile P99,99-100 a été divisée par quatre entre les deux extrémités du XXe siècle, alors
que la succession moyenne du fractile P90-95 a été multipliée par trois.
(43) Cf. notamment Williamson et Lindert (1980). Cf. également Lindert (2000), qui adopte
une position plus nuancée.
(44) Cf. Piketty et Saez (2001). La principale raison pour laquelle il est relativement plus
facile de mesurer les inégalités salariales sur longue période en France quaux États-Unis
(et que dans la plupart des autres pays) est liée à lexistence dans la France de lentre-deux-
guerres dun impôt cédulaire sur les salaires.
(45) Cf. Atkinson (2001). Limpôt sur le revenu ayant été institué en 1913 aux États-Unis et
en 1914 en France, il est impossible dans ces deux pays de mesurer précisément quelle était
la tendance « spontanée » des inégalités de revenus à la veille de la Première Guerre mon-
diale. Notons toutefois que les statistiques successorales suggèrent quaucune tendance à la
baisse nétait à luvre en France de 1902 à 1914 (cf. graphiques 14 à 16 supra) ; les statis-
tiques des valeurs locatives issues du système des « quatre vieilles » semblent confirmer ce
diagnostic (cf. Piketty, 2001, chapitre 7).
45%
40%
France
35%
30%
États-Unis
25%
1913 1923 1933 1943 1953 1963 1973 1983 1993
Sources : France : Piketty, 2001, colonne P90-100 du tableau B14, annexe B ; États-Unis :
Piketty et Saez, 2001, colonne P90-100 du tableau A1, annexe A.
15%
États-Unis
10%
France
5%
1913 1923 1933 1943 1953 1963 1973 1983 1993
Sources : France : Piketty, 2001, colonne P99-100 du tableau B14, annexe B ; États-Unis :
Piketty et Saez, 2001, colonne P99-100 du tableau A1, annexe A.
(46) Précisons que les séries américaines représentées sur les graphiques 21 et 22 ne tien-
nent pas compte des revenus perçus sous forme de plus-values. En prenant en compte les
plus-values, on constate que la part du centile supérieur atteint 19 % aux États-Unis à la fin
des années quatre-vingt-dix (cf. Piketty et Saez, 2001, tableau A3, annexe A).
(47) Cf. Piketty et Saez (2001).
(48) Les très hauts revenus du capital sont également en progression, mais ils sont encore
très loin davoir retrouvé leur niveau du début du siècle et des années vingt.
(49) Signalons dailleurs que les travaux anglo-saxons consacrés à lévolution historique de
la concentration des patrimoines ont toujours fait une large place à lidée selon laquelle
limpôt progressif aurait fortement contribué à labaissement structurel du niveau des très
grosses successions (cf. notamment Lampman, 1962 et Atkinson et Harrisson, 1978).
(50) Si lon inclut toutes les majorations « exceptionnelles », le taux supérieur atteint même
94 % en 1942 (tout cela en prenant en compte uniquement limpôt fédéral sur le revenu).
(51) Au Royaume-Uni, les taux supérieurs appliqués aux revenus « gagnés » (« earned
income ») ont pendant longtemps été inférieurs aux taux supérieurs appliqués aux revenus
du capital (il sagissait dune survivance du système cédulaire), et ce nest que depuis 1984
que le taux marginal supérieur est le même pour toutes les catégories de revenus.
(52) La baisse des taux supérieurs décidée en 2000 a ceci de particulier quil sagit de la
première fois dans lhistoire de limpôt sur le revenu en France quun gouvernement socia-
liste prend linitiative dune telle mesure.
(56) Les déclarations de salaires sont souvent désignées aujourdhui par le sigle « DADS »
(Déclarations administratives de données sociales), mais il sagit bien de la même source
que les déclarations de salaires de lentre-deux-guerres.
(57) Dans le cadre de ce rapport, lINSEE a accepté détablir et de publier des séries statis-
tiques issues des fichiers de déclarations de salaires des années quatre-vingt-dix et permet-
tant de faire apparaître clairement les différents fractiles de hauts salaires (ces séries sont
brièvement analysées dans le rapport Atkinson, Glaude et Olier). De même que pour les
déclarations de revenus, il va de soi que cette louable volonté de transparence ne saurait se
substituer à la mise en place dune procédure annuelle de publication de statistiques simi-
laires issues des déclarations de salaires.
(58) Dans le cadre de ce rapport, le ministère de lÉconomie, des Finances et de lIndustrie
a accepté détablir et de publier des séries statistiques issues des fichiers de déclarations ISF
des années quatre-vingt-dix et permettant de faire apparaître clairement les différents fractiles
de hauts patrimoines (ces séries sont brièvement analysées dans lannexe placée à la fin de
notre rapport, ainsi que dans le complément D). Là encore, de la même façon que pour les
déclarations de revenus et les déclarations de salaires, il est bien évident que cette louable
volonté de transparence ne saurait se substituer à la mise en place dune procédure annuelle
de publication de statistiques similaires issues des déclarations de fortunes.
Références bibliographiques
(2) Le nombre total de foyers est indiqué sur le tableau A10 infra : par exemple, pour ce qui
concerne les revenus de 1999, le nombre total de foyers était denviron 32,9 millions ;
le fractile P90-100 comptait donc 3,29 millions de foyers, le fractile P99-100 comptait
329 000 foyers, le fractile P99,99-100 comptait 3290 foyers, etc.
(3) Lindice INSEE des prix à la consommation que nous avons utilisé pour convertir les
francs courants en francs de 2000 est le suivant : indice 100,0 en 1990, 103,2 en 1991, 105,7
en 1992, 107,9 en 1993, 109,7 en 1994, 111,6 en 1995, 113,8 en 1996, 115,2 en 1997, 116,0
en 1998, 116,6 en 1999 et 118,3 en 2000 (nous avons utilisé pour 1990-1998 lindice INSEE
établi en base 100 en 1990, que nous avons prolongé pour 1999-2000 à laide de lindice
INSEE établi en base 100 en 1998).
(4) Les séries indiquées sur le tableau A3 peuvent être aisément recalculées à partir des
séries du tableau A1 (ou des séries du tableau A2, ce qui revient au même). Par exemple,
pour 1991, 378/118 = 3,209 (aux erreurs darrondis près), soit une part de 32,09 % du
revenu total pour P90-100 ; 925/118 = 7,86 (aux erreurs darrondis près), soit une part de
7,86 % du revenu total pour P99-100 ; etc.
(5) Les séries DGI confirment également la légère pro-cyclicité des hauts revenus : la part
des hauts revenus diminue lors des périodes de récession et de ralentissement économique
(1992-1993 et 1996) et augmente lors des périodes de reprise (1994-1995 et 1997-1999)
(cela vaut surtout pour les très hauts revenus).
(6) Il ne sagit pas véritablement dune surprise, puisque nous avions déjà eu recours aux
fichiers DGI de déclarations de revenus afin de tester la fiabilité de notre procédure dextra-
polation par une loi de Pareto (cf. Piketty, 1999 et Piketty, 2001, annexe B, section 1).
(7) En pratique, les deux méthodes conduisent à des résultats quasiment identiques pour
limmense majorité des foyers. Cette question de méthode est cependant très importante
pour les très hauts revenus (fractile P99,99-100) : nous avons appliqué chacune de ces deux
méthodes lors dune étude récente sur les États-Unis, et nous avons constaté que le poids des
plus-values dans les revenus du fractile P99,99-100 pouvait passer denviron 15-20 % lors-
que lon ordonne les foyers en fonction du revenu « hors plus-values » à plus de 50 % lors-
que lon ordonne les foyers en fonction du revenu « plus-values incluses » (cf. Piketty et
Saez, 2001, table A8). Ces mêmes ordres de grandeur semblent prévaloir en France :
le poids des plus-values ne dépasse pas 15 % au niveau du fractile P99,99-100 lorsque lon
ordonne les foyers en fonction du revenu « hors plus-values » (cf. tableau A4) [notons tou-
tefois que la DGI a établi les séries du tableau A4 en retranchant les moins-values des plus-
values ; si lon prenait en compte les seules plus-values, le poids de ces dernières atteindrait
20-25 % au niveau du fractile P99,99-100, (cf. Piketty, 2001, tableau A12)], alors quil
dépasse les 50 % lorsque lon ordonne les foyers en fonction du revenu « plus-values inclu-
ses » : cette seconde méthode a été retenue par la DGI pour établir les séries utilisées dans le
complément D, et cela explique pourquoi le graphique 5 du complément D indique un ratio
P99,99/P99 de lordre de 10 (ce ratio est en réalité de lordre de 6-7 si lon exclut les plus-
values (cf. tableau A2 : en 1999, 4323/638 = 6,8), et la prise en compte des plus-values par
la première méthode conduirait à le relever de moins de 15 %).
• P0-90 89 91 92 93 95 96 96 99 102
• P90-95 262 268 272 276 282 285 288 296 303
• P95-99 386 392 397 401 408 413 415 429 440
• P99-99,5 631 636 636 645 654 657 663 689 708
• P99,5-99,9 935 931 920 937 946 955 966 1 006 1 045
• P99,9-99,99 1 902 1 859 1 846 1 898 1 907 1 925 1 981 2 069 2 201
• P99,99-100 6 473 6 227 6 131 6 364 6 458 6 466 6 927 7 077 7 720
Source : DGI, Bureau des études statistiques (bureau M2).
En % du revenu total
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
• P0-100 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0
• P90-100 32,09 31,84 31,81 31,86 31,88 31,82 31,92 31,99 32,03
• P95-100 20,98 20,70 20,59 20,62 20,60 20,55 20,63 20,73 20,80
• P99-100 7,86 7,65 7,52 7,58 7,53 7,50 7,58 7,65 7,76
• P99,5-100 5,18 5,00 4,90 4,95 4,92 4,90 4,98 5,02 5,14
• P99,9-100 2,00 1,91 1,87 1,91 1,89 1,88 1,94 1,96 2,04
• P99,99-100 0,55 0,52 0,50 0,52 0,52 0,51 0,54 0,54 0,57
• P0-90 67,91 68,16 68,19 68,14 68,12 68,18 68,08 68,01 67,97
• P90-95 11,11 11,14 11,22 11,24 11,28 11,27 11,29 11,26 11,23
• P95-99 13,12 13,05 13,07 13,04 13,06 13,05 13,04 13,08 13,04
• P99-99,5 2,68 2,64 2,62 2,62 2,62 2,60 2,60 2,62 2,62
• P99,5-99,9 3,18 3,10 3,03 3,05 3,03 3,02 3,03 3,07 3,10
• P99,9-99,99 1,45 1,39 1,37 1,39 1,37 1,37 1,40 1,42 1,47
• P99,99-100 0,55 0,52 0,50 0,52 0,52 0,51 0,54 0,54 0,57
Source : Calculs de lauteur à partir des séries du tableau A1.
En %
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
Part moyenne des PV taxées à taux proportionnel dans le revenu total
par fractiles de revenu fiscal
• C90-100 0,6 – 0,9 1,0 1,0 0,8 1,1 1,5 1,5 2,0
• C95-100 0,9 1,2 1,5 1,8 1,4 1,7 2,2 2,2 3,0
• C99-100 2,4 2,5 3,7 4,4 4,1 3,7 4,8 4,7 5,9
• C99,5-100 3,1 3,4 4,9 7,1 6,4 4,9 6,1 5,9 7,3
• C99,9-100 5,1 5,0 7,0 21,4 11,1 7,4 9,1 8,9 10,5
• C99,99-100 8,5 14,2 9,3 11,7 9,9 10,9 12,7 12,7 14,2
Source : DGI, Bureau des études statistiques (bureau M2).
(8) Les séries « fortunes » utilisées dans le complément D sont les mêmes que celles indi-
quées sur les tableaux A5 à A9.
(9) Signalons que les fortunes sont généralement évaluées au 1er janvier : les chiffres indi-
qués pour « 1990 » sont issus des déclarations de fortunes déposées en 1990 (la valeur des
fortunes est évaluée au 1er janvier 1990), les chiffres indiqués pour « 1991 » sont issus des
décla-rations de fortunes déposées en 1991 (la valeur des fortunes est évaluée au 1er janvier
1991), etc., et les chiffres indiqués pour « 2000 » sont issus des déclarations de fortunes
déposées en 2000 (la valeur des fortunes est évaluée au 1er janvier 2000). Dans le cas des
valeurs mobilières, les contribuables ISF peuvent également utiliser les cours moyens du
mois de décembre précédent le 1er janvier en question (les chiffres indiqués pour « 1990 »
peuvent donc sappuyer sur les cours moyens de décembre 1989, etc., et les chiffres indi-
qués pour « 2000 » peuvent donc sappuyer sur les cours moyens de décembre 1999). No-
tons que les chiffres indiqués pour « 2000 » sont issus du fichier dit « anticipé », et quils
sont donc susceptibles dêtre légèrement modifiés (seul le nombre total de contribuables
ISF a été calé sur lestimation définitive). Enfin, le fichier 1992 était inexploitable pour des
raisons techniques, et nous avons indiqué pour « 1992 » la moyenne des chiffres obtenus
pour « 1991 » et « 1993 » (cf. complément D).
(10) Pour établir le tableau A10, nous avons utilisé les nombres totaux de contribuables ISF
transmis par la DGI avec ces séries, et les nombres totaux de contribuables IR figurant dans
les « États 1921 » établis au 31/12/[n + 2] (les chiffres au 31/12/[n + 2] nétaient pas encore
disponibles pour 1998-2000, et nous avons donc complété la série en supposant un taux de
croissance annuel de 2,0 % pour le nombre total de foyers, conformément au trend moyen
observé au cours des années précédentes).
(13) Les coefficients de Pareto (ratios entre fortune moyenne au-delà dun seuil donné et le
seuil en question) sont de lordre de 2,3-2,4 pour les fortunes françaises des années quatre-
vingt-dix, contre environ 1,7-1,8 pour les revenus.
(14) Rappelons que les chiffres indiqués pour « 2000 » se réfèrent à des patrimoines estimés
au 1er janvier 2000 (ou au cours du mois de décembre 1999), et que nos séries ne sont donc pas
affectées par la baisse des cours des valeurs mobilières observée depuis le printemps 2000.
(15) On notera que le tableau A9 indique également une forte progression de la part des
actifs mobiliers (notamment pour les fractiles les moins élevés), ce qui est cohérent avec la
forte croissance du prix des actifs mobiliers (le biais décrit plus haut ne peut que renforcer
cette évolution, dans la mesure où le fractile P90-100 du tableau A9 représente une fraction
de la population qui est sensiblement plus importante en 2000 quen 1990).
• P90-95 19 838 19 689 19 944 20 199 21 068 20 632 20 822 21 486 21 947 22 337 23 096
• P95-99 34 101 33 536 34 092 34 649 36 518 35 595 35 809 37 344 38 018 38 625 39 791
• P99-99,5 71 858 69 571 70 864 72 158 77 193 74 458 75 429 79 525 80 330 81 565 84 136
• P99,5-99,9 136 628 130 178 133 619 137 059 146 766 144 038 144 269 153 753 156 142 154 633 154 849
• P99,9-99,99 392 898 362 722 384 228 405 734 425 209 419 359 428 745 472 502 487 517 497 846 485 692
• P99,99-100 1 570 931 1 567 403 1 476 497 1 385 592 1 348 536 1 483 493 1 264 998 1 506 644 1 501 274 1 962 353 1 501 938
Note : Fractiles calculés à partir du nombre total de déclarations ISF.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES
Source : DGI, Bureau des études statistiques (bureau M2).
199
200
A7. Les fractiles de patrimoine net 1990 à 2000
En milliers de francs de 2000
Ratio
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
2000/1990
Seuils des fractiles de patrimoine net
• P90 18 662 17 797 17 631 17 522 18 077 17 318 17 182 17 553 17 751 17 987 18 304 0,98
• P95 26 538 25 307 25 055 24 884 25 651 24 609 24 340 25 021 25 227 25 491 26 095 0,98
• P99 64 764 60 525 60 095 59 850 63 053 60 150 59 393 61 614 61 987 62 639 62 930 0,97
• P90-95 21 912 20 888 20 705 20 587 21 203 20 343 20 154 20 609 20 814 21 101 21 494 0,98
• P95-99 37 609 35 492 35 312 35 238 36 695 34 986 34 569 35 679 35 966 36 320 36 955 0,98
• P99-99,5 79 664 73 750 73 314 73 101 77 601 73 703 72 582 75 843 75 559 76 203 77 457 0,97
• P99,5-99,9 151 881 137 605 139 154 141 022 149 176 143 678 140 781 148 307 147 620 146 107 143 333 0,94
• P99,9-99,99 437 001 383 255 400 561 418 228 435 822 425 106 424 350 458 867 466 237 476 794 459 706 1,05
• P99,99-100 1 772 918 1 692 002 1 567 918 1 453 598 1 423 927 1 501 042 1 226 031 1 379 417 1 399 893 1 861 000 1 390 162 0,78
Note : Fractiles calculés à partir du nombre total de déclarations ISF.
Source : Calculs de lauteur à partir des séries du tableau A5.
A8. Les fractiles de patrimoine brut 1990 à 2000
En milliers de francs de 2000
Ratio
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
2000/1990
Seuils des fractiles de patrimoine brut
• P90 19 923 19 181 18 975 18 832 19 328 18 601 18 451 18 773 19 064 19 314 19 632 0,99
• P95 28 454 27 294 27 017 26 828 27 447 26 507 26 189 26 808 27 194 27 423 27 984 0,98
• P99 69 020 65 309 64 815 64 522 67 965 64 940 64 247 66 059 66 694 67 315 68 740 1,00
• P99,5 108 211 101 085 100 722 100 656 105 682 100 254 99 486 102 532 103 604 104 435 105 282 0,97
• P99,9 280 144 259 846 265 377 271 405 287 374 275 663 274 768 294 501 298 774 308 372 282 429 1,01
• P99,99 952 770 885 940 912 579 940 595 905 446 925 385 970 700 1 046 870 1 063 200 1 127 010 1 036 064 1,09
Patrimoine brut moyen pour les fractiles de patrimoine brut
• P90-100 44 628 42 158 41 894 41 758 43 186 41 655 40 959 42 685 43 171 43 957 43 738 0,98
• P95-100 65 788 61 745 61 465 61 369 63 653 61 440 60 271 63 305 63 960 65 251 64 380 0,98
• P99-100 167 572 154 955 154 702 154 891 160 743 156 272 152 459 163 130 164 713 169 501 162 739 0,97
• P99,5-100 250 137 230 159 230 093 230 670 238 240 233 616 226 506 244 595 247 504 256 248 241 342 0,96
• P99,9-100 604 160 553 889 552 277 552 271 558 115 557 337 532 631 591 414 600 569 653 691 587 316 0,97
• P99,99-100 1 858 411 1 796 742 1 652 504 1 519 143 1 454 255 1 572 556 1 315 020 1 547 188 1 531 041 1 990 964 1 501 938 0,81
• P90-95 23 469 22 570 22 322 22 146 22 720 21 870 21 646 22 064 22 382 22 663 23 096 0,98
• P95-99 40 342 38 442 38 156 37 988 39 380 37 732 37 225 38 349 38 772 39 188 39 791 0,99
• P99-99,5 85 008 79 751 79 312 79 113 83 245 78 928 78 412 81 665 81 923 82 754 84 136 0,99
• P99,5-99,9 161 631 149 226 149 547 150 269 158 272 152 685 149 974 157 890 159 238 156 887 154 849 0,96
• P99,9-99,99 464 798 415 794 430 030 444 841 458 544 444 535 445 699 485 216 497 183 505 105 485 692 1,04
• P99,99-100 1 858 411 1 796 742 1 652 504 1 519 143 1 454 255 1 572 556 1 315 020 1 547 188 1 531 041 1 990 964 1 501 938 0,81
Note : Fractiles calculés à partir du nombre total de déclarations ISF.
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES
Source : Calculs de lauteur à partir des séries du tableau A6.
201
202
A9. Composition du patrimoine brut par fractile (1990-2000)
En %
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
Part des actifs mobiliers dans le patrimoine brut des différents fractiles
• P90-100 60,7 59,7 61,5 63,2 66,2 65,6 68,6 71,3 73,3 74,4 76,8
• P95-100 66,2 65,0 66,9 68,7 71,4 71,0 73,9 76,3 78,2 79,0 81,2
• P99-100 79,4 78,3 79,8 81,3 83,9 83,7 85,5 87,5 87,9 88,3 89,7
• P99,5-100 84,7 83,3 84,7 86,0 88,0 88,3 89,1 91,0 91,2 91,4 92,1
• P90-95 45,4 45,1 46,7 48,2 51,6 50,5 53,8 57,0 59,1 61,2 64,5
• P95-99 52,5 51,7 53,7 55,8 58,7 57,8 62,0 64,4 67,8 69,0 72,4
• P99-99,5 63,7 63,9 65,8 67,6 72,2 70,3 74,9 77,1 78,0 78,5 82,7
• P99,5-99,9 78,0 77,9 78,7 79,4 82,6 82,9 84,0 86,3 86,7 86,4 88,5
• P99,9-99,99 89,0 85,2 88,5 91,6 93,0 93,5 94,2 95,7 95,7 95,7 95,6
• P99,99-100 98,1 97,3 97,2 97,2 97,2 95,9 97,1 97,0 97,2 97,3 97,1
Note : Fractiles calculés à partir du nombre total de déclarations ISF.
Source : DGI, Bureau des études statistiques (bureau M2).
• P99,9-99,95 12 468 12 791 13 205 13 619 14 594 14 276 14 161 14 965 15 580 16 548 18 406
• P99,95-99,99 21 604 21 998 22 745 23 492 25 182 24 691 24 388 25 970 26 930 28 578 31 667
• P99,99-99,995 41 190 41 113 42 870 44 626 49 146 47 093 46 666 49 877 51 670 54 068 59 753
• P99,995-99,999 80 548 79 599 83 145 86 691 95 781 93 366 91 160 98 838 102 355 107 135 119 779
• P99,999-100 324 776 313 663 331 223 348 782 374 744 379 524 362 559 409 654 422 400 478 538 468 731
INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES
Source : Calculs de lauteur à partir des séries du tableau A5.
203
204
A12. Les fractiles de patrimoine net 1990 à 2000
En milliers de francs de 2000