Graimas - Mautpassant Pages 1 A 29
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MAUPASSANT
LA SÉMIOTIQUE DU TEXTE
EXERCICES PRATIQUES
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DU MÊME AUTEUR
Sémantique structurale
Larousse
1966
Dictionnaire
de l'ancien français
Larousse
1968
D u sens
Seuil
1970
Sémiotique
et sciences sociales
Seuil
1976
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MAUPASSANT
LA SÉMIOTIQUE DU TEXTE
EXERCICES PRATIQUES
ÉDITIONS D U SEUIL
27, rue Jacob, Paris VIe
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I S B N 2-02-004365-3
© É d i t i o n s d u Seuil, 1976.
Avant-propos
simples doivent être examinés avant les objets complexes; une tac-
tique particulière, pour l'approche de chaque objet discursif, qui
consiste à adopter le niveau optimal d'analyse, le mieux approprié
à l'objet, permettant de statuer, à la fois sur la spécificité d'un texte
et sur les modes de sa participation à l'univers sociolectal des formes
narratives et discursives.
En pensant que le meilleur moyen de donner des conseils c'est encore
d'être le premier à les suivre, nous avons trouvé que ce qu'il y avait de
mieux à faire, c'était de pratiquer un texte d'apparence simple, pro-
duit d'un écrivain passablement démodé, pour essayer de nous rendre
compte par nous-même de ce qui s'y passe.
II
Deux amis
Les Prussiens! Ils n'en avaient jamais aperçu mais ils les sentaient
là depuis des mois, autour de Paris, ruinant la France, pillant, massa-
crant, affamant, invisibles et tout-puissants. Et une sorte de terreur
superstitieuse s'ajoutait à la haine qu'ils avaient pour ce peuple inconnu
et victorieux.
; Morissot balbutia : « Hein ! si nous allions en rencontrer ? »
h M. Sauvage répondit, avec cette gouaillerie parisienne reparaissant
malgré tout : « Nous leur offririons une friture. »
Mais ils hésitaient à s'aventurer dans la campagne, intimidés par
le silence de tout l'horizon.
A la fin, M. Sauvage se décida : « Allons, en route! mais avec pré-
caution. » Et ils descendirent dans un champ de vigne, courbés en deux,
rampant, profitant des buissons pour se couvrir, l'œil inquiet, l'oreille
tendue.
Une bande de terre nue restait à traverser pour gagner le bord du
fleuve. Ils se mirent à courir; et dès qu'ils eurent atteint la berge, ils
se blottirent dans les roseaux secs.
Morissot colla sa joue par terre pour écouter si on ne marchait pas
dans les environs. Il n'entendit rien. Ils étaient bien seuls, tout seuls.
Ils se rassurèrent et se mirent à pêcher.
En face d'eux, l'île Marante abandonnée les cachait à l'autre berge.
La petite maison du restaurant était close, semblait délaissée depuis des
années.
M. Sauvage prit le premier goujon. Morissot attrapa le second, et
d'instant en instant ils levaient leurs lignes avec une petite bête argentée
frétillant au bout du fil; une vraie pêche miraculeuse.
Ils introduisaient délicatement les poissons dans une poche de filet
à mailles très serrées, qui trempait à leurs pieds, et une joie délicieuse
les pénétrait, cette joie qui vous saisit quand on retrouve un plaisir aimé
dont on est privé depuis longtemps.
Le bon soleil leur coulait sa chaleur entre les épaules; ils n'écoutaient
plus rien; ils ne pensaient plus à rien; ils ignoraient le reste du monde;
ils pêchaient.
Mais soudain un bruit sourd qui semblait venir de sous terre fit trem-
bler le sol. Le canon se remettait à tonner.
Morissot tourna la tête, et par-dessus la berge il aperçut, là-bas,
sur la gauche, la grande silhouette du Mont-Valérien, qui portait au
front une aigrette blanche, une buée de poudre qu'il venait de cra-
cher.
Et aussitôt un second jet de fumée partit du sommet de la forteresse;
et quelques instants après une nouvelle détonation gronda.
Puis d'autres suivirent, et de moment en moment, la montagne jetait
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son haleine de mort, soufflait ses vapeurs laiteuses qui s'élevaient lente-
ment dans le ciel calme, faisaient un nuage au-dessus d'elle.
M. Sauvage haussa les épaules : « Voilà qu'ils recommencent », dit-il.
Morissot, qui regardait anxieusement plonger coup sur coup la plume
de son flotteur, fut pris soudain d'une colère d'homme paisible contre
ces enragés qui se battaient ainsi, et il grommela : « Faut-il être stupide
pour se tuer comme ça! »
M. Sauvage reprit : « C'est pis que des bêtes. »
Et Morissot qui venait de saisir une ablette, déclara : « Et dire que ce
sera toujours ainsi tant qu'il y aura des gouvernements. »
M. Sauvage l'arrêta : « La République n'aurait pas déclaré la
guerre... »
Morissot l'interrompit : « Avec les rois on a la guerre au dehors;
avec la République on a la guerre au dedans. »
Et tranquillement ils se mirent à discuter, débrouillant les grands
problèmes politiques avec une raison saine d'hommes doux et bornés,
tombant d'accord sur ce point, qu'on ne serait jamais libres. Et le
Mont- Valérien tonnait sans repos, démolissant à coups de boulet des
maisons françaises, broyant des vies, écrasant des êtres, mettant fin à
bien des rêves, à bien des joies attendues, à bien des bonheurs espérés,
ouvrant en des cœurs de femmes, en des cœurs de filles, en des cœurs de
mères, là-bas, en d'autres pays, des souffrances qui ne finiraient plus.
« C'est la vie », déclara M. Sauvage.
« Dites plutôt que c'est la mort », reprit en riant Morissot.
Mais ils tressaillirent effarés, sentant bien qu'on venait de marcher
derrière eux; et ayant tourné les yeux, ils aperçurent, debout contre
leurs épaules, quatre hommes, quatre grands hommes armés et barbus,
vêtus comme des domestiques en livrée et coiffés de casquettes plates,
les tenant en joue au bout de leurs fusils.
Les deux lignes s'échappèrent de leurs mains et se mirent à descendre
la rivière.
En quelques secondes, ils furent saisis, emportés, jetés dans une barque
et passés dans l'île.
Et derrière la maison qu'ils avaient crue abandonnée, ils aperçurent
une vingtaine de soldats allemands.
Une sorte de géant velu, qui fumait, à cheval sur une chaise, une
grande pipe de porcelaine, leur demanda, en excellent français : « Eh
bien, messieurs, avez-vous fait bonne pêche? »
Alors un soldat déposa aux pieds de l'officier le filet plein de poissons
qu'il avait eu soin d'emporter. Le Prussien sourit : « Eh! eh! je vois que
ça n'allait pas mal. Mais il s'agit d'autre chose. Écoutez-moi et ne vous
troublez pas.
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« Pour moi, vous êtes deux espions envoyés pour me guetter. Je vous
prends et je vous fusille. Vous faisiez semblant de pêcher, afin de mieux
dissimuler vos projets. Vous êtes tombés entre mes mains, tant pis pour
vous; c'est la guerre.
« Mais comme vous êtes sortio par les avant-postes, vous avez assu-
rément un mot d'ordre pour rentrer. Donnez-moi ce mot d'ordre et je
vous fais grâce. »
Les deux amis, livides, côte à côte, les mains agitées d'un léger trem-
blement nerveux, se taisaient.
L'officier reprit : « Personne ne le saura jamais, vous rentrerez paisi-
blement. Le secret disparaîtra avec vous. Si vous refusez, c'est la mort,
et tout de suite. Choisissez? »
Ils demeuraient immobiles sans ouvrir la bouche.
Le Prussien, toujours calme, reprit en étendant la main vers la rivière :
« Songez que dans cinq minutes vous serez au fond de cette eau. Dans
cinq minutes! Vous devez avoir des parents? »
Le Mont-Valérien tonnait toujours.
Les deux pêcheurs restaient debout et silencieux. L'Allemand donna
des ordres dans sa langue. Puis il changea sa chaise de place pour ne pas
se trouver trop près des prisonniers; et douze hommes vinrent se placer
à vingt pas, le fusil au pied.
L'officier reprit : « Je vous donne une minute, pas deux secondes de
plus. »
Puis il se leva brusquement, s'approcha des deux Français, prit
Morissot sous le bras, l'entraîna plus loin, lui dit à voix basse : « Vite,
ce mot d'ordre? Votre camarade ne saura rien, j'aurai l'air de m'atten-
drir. »
Morissot ne répondit rien.
Le Prussien entraîna alors M. Sauvage et lui posa la même question.
M. Sauvage ne répondit pas.
Ils se retrouvèrent côte à côte.
Et l'officier se mit à commander. Les soldats élevèrent leurs armes.
Alors le regard de Morissot tomba par hasard sur le filet plein de
goujons, resté dans l'herbe, à quelques pas de lui.
Un rayon de soleil faisait briller le tas de poissons qui s'agitaient
encore. Et une défaillance l'envahit. Malgré ses efforts, ses yeux s'em-
plirent de larmes.
Il balbutia : « Adieu, monsieur Sauvage. »
M. Sauvage répondit : « Adieu, monsieur Morissot. »
Ils se serrèrent la main, secoués des pieds à la tête par d'invincibles
tremblements.
L'officier cria : « Feu! »
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SÉQUENCE I
Paris
Paris était bloqué, affamé et râlant. Les moineaux se faisaient bien rares sur
les toits, et les égouts se dépeuplaient. On mangeait n'importe quoi.
1. ORGANISATION TEXTUELLE
1.1. La temporalité.
Du point de vue temporel, les deux premiers paragraphes du texte
se présentent intuitivement comme un ensemble de notations figu-
ratives renvoyant à une période temporellement déterminée, appelée
Iguerre/. Toutefois la dénomination guerre n'apparaît qu'au début
du troisième paragraphe, qui raconte les événements situés « avant
la guerre ». Ce n'est donc que rétrospectivement et par une rétro-
lecture des deux premiers paragraphes qu'on peut leur postuler un
soubassement temporel comme la projection de l'un des termes de
l'opposition :
1.2. La spatialité.
Si l'ancrage historique du récit reste implicite, son ancrage spatial,
au contraire, est affiché : le premier mot du texte, « Paris », est en
effet le toponyme désignant un des lieux posés par la narration.
Ce lieu topique, Paris, — et qui, en tant que nom propre, est en
principe vide de toute signification — est, de plus, immédiatement
qualifié par l'adjectif « bloqué », qui constitue la première de ses
déterminations spatiales et que l'on peut interpréter comme :
2. Disjonction actorielle.
2 . LA PREMIÈRE PHRASE
de mettre en place. Il est évident que, par leur présence dans le texte,
ces lexèmes justifient le montage du mécanisme rendant compte du
fonctionnement aspectuel des rôles thématiques et servant ainsi de
relais entre les contenus « mortels » profonds et la dénomination
« Paris », à laquelle ils sont attribués. Mais il y a plus. Ces lexèmes
sont des expressions figuratives dénotant l'épuisement progressif de
la vie et, de ce fait, relèvent d'un inventaire de variables stylistiques,
dans lequel le sujet de l'énonciation les a choisis. Tout en étant
inscrits dans le cadre de contraintes sémiotiques que nous avons
cherché à expliciter, ces choix deviennent, lorsqu'on atteint le niveau
figuratif, plus aléatoires (on ne voit pas, à première vue, pourquoi
l'énonciateur serait amené à choisir nécessairement la « faim » dans
toute une série de privations possibles, ou le « râle » parmi tant de
manifestations éventuelles de l'approche de la mort). Un dernier sème
aspectuel, celui d' /intensité/ doit toutefois être introduit : il signale
la position exacte, toute proche du point terminatif, dans l'exécution
du parcours narratif de /vivant/ et de /mourant/.
/vivant/ ~ ^ /non-vie/
/mourant/ - :!: /mort/
3. LA DEUXIÈME PHRASE
1. L'isotopie discursive.
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EXTRAIT DU CATALOGUE
AUX ÉDITIONS DU - S E U I L