Bienfaits de La Musique À L'école

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Universitätsverlag Potsdam

A l‘heure où l‘éducation musicale est remise en cause par les décideurs


de certains pays de l‘Union européenne, la collaboration internationale
et interdisciplinaire est plus que jamais nécessaire pour démontrer
l‘erreur de ces attitudes. A cette fin, l‘ouvrage rassemble les réflexions

José A. Rodríguez-Quiles (Édit.): Bienfaits de la Musique á l‘École


de différents spécialistes de trois pays européens qui offrent leurs
points de vue sous le prisme de l‘éducation musicale mais aussi des
domaines des neurosciences, de la psychologie, de la logopédie et de
la politique. Cette publication combine les résultats de travaux empi-
riques avec des propositions pratiques, ce qui la rend utile pour les
chercheurs, les professeurs de musique et les orthophonistes.

José A. Rodríguez-Quiles (Édit.)

Bienfaits de la Musique á l‘École

Une Expérience Européenne


ISSN 1861-8529
ISBN 978-3-86956-466-1

Potsdamer Schriftenreihe zur Musikpädagogik | 7


Potsdamer Schriftenreihe zur Musikpädagogik | 7
Potsdamer Schriftenreihe zur Musikpädagogik | 7

José A. Rodríguez-Quiles (Édit.)

Bienfaits de la Musique á l’École :


Une Expérience Européenne

Universitätsverlag Potsdam
Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek
Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der
Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind
im Internet über http://dnb.dnb.de/ abrufbar.

Mit freundlicher Untersützung von:

Universitätsverlag Potsdam 2019


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Tel.: +49 (0)331 977 2533 / Fax: 2292
E-Mail: verlag@uni-potsdam.de

Die Potsdamer Schriftenreihe zur Musikpädagogik wird


herausgegeben vom Institut für Musikpädagogik und Musikdidaktik.

ISSN (print) 1861-8529


ISSN (online) 2196-5080

Das Manuskript ist urheberrechtlich geschützt.

Bildnachweis Cover: Anne Worner, https://www.flickr.com/photos/wefi_official/9233772775


Satz: text plus form, Dresden
Redaktion: José A. Rodríguez-Quiles y García
Druck: docupoint GmbH Magdeburg

ISBN 978-3-86956-466-1

Zugleich online veröffentlicht auf dem Publikationsserver


der Universität Potsdam:
URN urn:nbn:de:kobv:517-opus4-413625 https://doi.org/10.25932/publishup-42862
https://nbn-resolving.org/urn:nbn:de:kobv:517-opus4-428627
Préface

Le présent travail est le produit de la collaboration multidisciplinaire,


entre les membres d’un groupe de professionnels de la Belgique, de la
France et de l’Espagne, qui a eu lieu au long de trois ans et qui fait partie
du projet européen « Art & Apprentissage » portant sur l’éducation musi-
cale depuis les prismes : scientifique, pédagogique, artistique et politique.
L’éducation musicale, en tant que domaine de connaissance, subit
pendant les dernières années une série de pressions externes qui sont en
train de la déplacer vers les marges du système éducatif. Du fait, dans
un certain pays européen, elle est déjà réduite à une simple question se-
condaire dans l’ensemble des cursus pour l’éducation primaire et secon-
daire, ce qui par la suite pourrait déclencher un effet domino pernicieux
dans toute l’Union Européenne. Aussi, le livre commence avec un cha-
pitre dans lequel on réfléchit sur les dangers qu’aujourd’hui risque, dans
les sociétés néolibérales, l’éducation musicale (et la formation initiale des
enseignants de musique) comprise comme une activité pour la citoyenne-
té. Ceci dû aussi à la précarité dont, dans les dernières années, les Sciences
Humaines, en général, se sont vues repoussées. Le chapitre représente, en
plus, un avis d’alerte face aux effets dévastateurs de la part de l’épistémo-
cratie académique sur le domaine de l’éducation musicale contre laquelle
il est difficile de lutter.
Après ce premier chapitre introductif, M. Habib (chapitre 2) fournit
aux enseignants les connaissances de base sur la façon dont notre cerveau
fonctionne et il démontre qu’apprendre la musique est un ingrédient in-
contournable et indispensable de l’apprentissage en général. De leur côté,
M.-P. Bidal et N. Leveau présentent dans le chapitre 3 les effets positifs de
la pratique musicale en groupe sur les modalités d’apprentissage. Effets
positifs évalués à partir d’une échelle du bien-être scolaire et d’une ana-
lyse du corpus lexical. Il en ressort une sensation de bien-être, de satisfac-
tion que tout élève devrait ressentir à l’école. La musique a donc sa place
dans l’enseignement et devrait y être largement incluse.
Au chapitre 4, M. Tassin nous invite à réfléchir sur la perspective cultu-
relle et cognitive de la musique à l’école, l’un n’étant pas forcément op-
posé à l’autre. Au contraire, l’invitation à marier l’un à l’autre s’avère une
6Préface

opportunité et un défi à relever pour de nouvelles voies d’acquisition des


apprentissages. Pour D. Verlinden (chapitre 5), l’école doit évoluer vers
des pratiques moins normatives, tenir compte des diverses formes d’in-
telligence. Y intégrer la musique devient une nécessité…si pas une réalité.
Fort de ce constat, l’auteur relate des expériences d’éveil musical dans son
école, les réflexions qu’elles ont suscitées et l’opportunité d’avoir coopéré
au projet européen « Art & Apprentissage ».
Au chapitre 6, J. A. Rodríguez-Quiles et C. Soria montrent une étude
faite dans une école primaire espagnole reconnue comme une communauté
d’apprentissage. L’objectif de la classe de musique de cet établissement est
celui d’offrir un contexte d’apprentissage émotionnel et démocratique
dans lequel la pratique musicale soit la protagoniste dans le cadre du cur-
riculum officiel pour l’éducation obligatoire.
À leur tour, I. Hoonhorst et M. Vancamp présentent dans le chapitre 7
un protocole d’activités de déroulement d’une séance d’entraînement mu-
sical. Il a été élaboré à partir des recherches en neurosciences qui insistent
sur l’importance des exercices multi-sensoriels et sensori-moteurs.
Vu l’impact de la musique sous l’angle des sciences cognitives, A. Dor-
moy concrétise dans le chapitre 8 comment créer une synergie éducative
entre musiciens et enseignants tant pour aider un enfant « dys » que pour
favoriser le bien-être de tout apprenant.
Pour finir, le parcours du projet « Art & Apprentissage » est présenté
par sa coordinatrice, T. De Barelli, au chapitre 9 sous les différents angles
des protagonistes, tel un caléidoscope qui projette les multiples facettes de
sa conception à sa réalisation.
Je remercie les auteurs de leurs contributions pour ce travail collectif
si intéressant. L’aide inestimable de T. De Barelli et de F. Estienne dans le
processus de révision des textes en français et pour qui je montre ma gra-
titude, ainsi qu’aux membres de la maison d’édition de l’Université de
Potsdam pour les conseils utiles durant le processus de la mise en page.
Enfin, mais tout aussi important, je tiens à remercier à tous les collè-
gues de la Belgique, la France et l’Espagne, qui, ces trois dernières années,
ont collaboré très professionnellement avec ce projet qui conclut mainte-
nant et dont l’enthousiasme nous anime à tous à suivre le chemin par le-
quel Mme De Barelli, alma mater, nous invite à avancer.
Berlin, avril 2019
José A. Rodríguez-Quiles y García
Index

Note de l’éditeur 9

L’éducation musicale en Espagne et sa précariété.


Une analyse performative 11
José A. Rodríguez-Quiles

La musique à l’école : son impact neurologique 31


Michel Habib

La petite chanson des émotions et de la motivation 53


Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau

La musique à l’école. Défi pédagogique et culturel 69


Martine Tassin

La musique…dans l’ADN d’une école fondamentale ! 83


Dominique Verlinden

Musique et Communautés d’Apprentissage 93


José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria

Musique et apprentissages : protocole d’activités 115


Ingrid Hoonhorst & Marielle Vancamp
8Index

La musique à l’aide des troubles d’apprentissage 131


Alice Dormoy

Le projet « Art et Apprentissage » en Kaléidoscope 149


Tatiana De Barelli

Déclaration de Marseille 2018. Pour la défense


de la Musique et de l’Education Musicale 157

Declaración de Marsella 2018. Por la defensa


de la Música y de la Educación Musical 159

2018 Declaration of Marseilles. For the Defense


of Music and Music Education 161

Auteurs 163
Note de l’éditeur

Les opinions et les conclusions exprimées dans les différents chapitres


sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement le point de
vue de l’éditeur. Les expressions utilisées et la présentation du matériel
n’impliquent aucune prise de position de la part de l’éditeur quant au sta-
tut juridique d’un pays ou région.
L’éducation musicale en Espagne
et sa précariété
Une analyse performative
José A. Rodríguez-Quiles

Parfois le plus important n’est pas le pouvoir que l’on a et qui nous
permet d’agir ; des fois ce qu’il faut c’est agir Et à partir de cette ac-
tion réclamer le pouvoir dont on a besoin. C’est ainsi comme je com-
prends la performativité l’une des façons d’agir contre et depuis la
précariété.
(Butler, 2017)

On pourrait dire que ces mots de la philosophe américaine sont ceux que
s’est appliqué à lui-même, Andrew Neiman, l’élève protagoniste du cé-
lèbre film Whiplash (2014) pour échapper au harcèlement subit sans piété
par le directeur de l’orchestre de jazz du Conservatoire élitiste où le jeune
batteur participe dans la première partie du film. Une action brillante sans
paroles, – ce n’est pas en vain qu’elle est le climax scénique et musical de
l’œuvre –, mais par laquelle, grâce au pouvoir performatif de la musique
(réduite dans cet exemple à la percussion), le protagoniste parvient, non
sans effort, à résoudre une situation insoutenable pour sa propre survie.
Dans cette fiction cinématographique, en supprimant peut-être quel­
que exagération propre à ce moyen, on pourrait reconnaître certains
membres de ces institutions musicales (conservatoires et écoles de mu-
sique). Nonobstant, cela ne sera pas l’objet du présent travail, mais l’ex-
trapolation de ces relations de pouvoir, fortement asymétriques, depuis
les personnes concrètes aux domaines de connaissance (même s’il ne nous
échappe pas que les domaines sont composés par des personnes qui ont
un nom concret et des trajectoires particulières qui marquent plus ou
moins fortement les dérives des domaines qu’elles représentent).
12 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété

1. L’université et son caractère universel


Les mots université, univers et universel présentent une même étymologie.
Les trois contiennent le terme latin unus qui se rapporte à quelque chose
qui n’admet pas de division. Ces trois termes indiquent multitude de
choses différentes mais à la fois unies. Cependant, ce caractère intégrateur
(et, en plus, démocratique) de l’universitas, comme institution qui vise un
objectif commun (l’intégration des savoirs et des actions), est questionné
par l’université espagnole de nos jours. En effet, même si les bonnes ma-
nières de la correction politique conseillent de ne pas le faire explicite, il
est certain qu’il y a des domaines de connaissance qui se trouvent dépla-
cés vers les marges, si ce n’est pas directement exclus par l’épistémocratie1
qu’exerce l’Académie ; ceci dit, par les relations de pouvoir que des do-
maines de connaissance et de savoir-faire imposent sur d’autres. Dans ce
sens, il est tout à fait nécessaire considérer que signifie de nos jours « l’uni-
versité » et comment ce sens change selon il est prononcé par les représen-
tants des uns ou des autres domaines de connaissance et de savoir-faire.
De la même manière que cela a lieu avec d’autres formes d’exclusion dans
la vie publique, cette épistémocratie agit de façon performative dans le sein
de l’Académie et des institutions telle que l’Agence Nationale de l’Évaluation
de la Qualité et de l’Accréditation2 (ANECA en espagnol), entre autres ; de
sorte que si ses actions ne se verbalisent pas les conséquences ne laissent
point de doute. Un fait paradigmatique au sein de l’université espagnole
est représenté par la soumission des domaines de la musique et du sa-
voir-faire musical qui s’éloignent de la visée historique de l’objet d’étude.
Parmi les premiers se trouveraient l’Éducation Musicale et les différentes
formes de l’interprétation instrumentale et corporelle des Conservatoires
de Musique et de Danse3, tandis qu’à l’opposé nous aurions la Musicolo-
gie et l’Étnomusicologie4 (Rodríguez-Quiles, 2017a, b).
D’un côté, le cas de l’Éducation Musicale pourrait très bien être ra-
mené aux dénommées Didactiques Spécifiques en opposition à la Didac-

1 Du grec « epistḗmē » (connaissance) et « -krátos » (gouvernement, pouvoir).


2 Ce qui pour la France est le Conseil National des Universités (CNU).
3 Solistes, orchestres, groupes vocalistes et/ou instrumentaux divers, ballet classique, bal-
let espagnol, etc.
4 En tant que disciplines universitaires. Il est a noté comme ces mêmes disciplines ensei-
gnées dans les conservatoires de Musique ont socialement un statut inférieur.
José A. Rodríguez-Quiles13

tique Générale, et d’un autre aux domaines que nous pourrions appeler
« mères ». Ainsi, comme exemples, la Didactique des Sciences Expérimen-
tales se trouverait à la croisée de la Didactique Générale et des diverses
ramifications de la Physique, la Chimie, la Biologie ou la Géologie, entre
autres. Tandis que la Didactique des Sciences Sociales maintient un équi-
libre difficile entre la Didactique Générale et des disciplines telles que la
Géographie, l’Histoire, l’Histoire de l’Art, etc. Dans ce travail on va réa-
liser une analyse depuis et pour le domaine musical, si bien on ne doit
pas perdre de vue que le pouvoir performatif de l’épistémocratie se situe
au centre d’un cercle qui étend son ombre en tout azimut et non seule-
ment dans les domaines mentionnés. L’ultime but n’est que celui de jus-
tifier que l’approche à n’importe quel aspect de la musique (historique,
pratique, créatif, éducatif…), avec l’intention d’en approfondir et d’ampli-
fier son horizon vers ce que de nos jours s’appelle frontières de la connais-
sance, est aussi une activité supérieure et doit, pour cela, avoir son lieu dans
l’université ; institution qui, d’autre part, ne cesse, aujourd’hui plus que
jamais5, de se définir comme démocratique.
Dans un monde néolibéral comme le nôtre, c’est l’économie qui, en
premier et dernier lieu, délimite les services publics parmi lesquels, bien
sûr, les écoles et les universités. Par conséquent, certains domaines de
connaissance ne sont pas considérés indispensables et finissent par être
repoussés jusqu’aux marges. Dans ce sens, en Espagne il est paradigma-
tique avec la loi en vigueur, Ley Orgánica para la Mejora de la Calidad Edu-
cativa (connue aussi comme LOMCE ou Loi Wert, de 2013), la suppression
du caractère obligatoire de la musique des programmes de l’enseigne-
ment primaire et secondaire et la conséquente suppression de la spécia-
lisation en cette matière qui se dispensait à l’université lors de la forma-
tion initiale des futurs enseignants du Primaire (cf. Rodríguez-Quiles,
2012 ; 2014b ; 2017b). Ce que confirment les professeurs tels que Gimeno
Sacristán par ces mots :

5 Le Prix Fronteras del Conocimiento pour la catégorie de Musique Contemporaine octroyer


par BBVA en 2018 a été pour la compositrice finlandaise Kaika Saariaho, qui se distingue
pour le mélange d’instruments acoustiques et la technologie informatique. En effet, le jury a
signalé que, depuis ses premiers travaux, Saariaho montre « une parfaite combinaison entre
les mondes de la musique acoustique et de la technologie », de façon à ce que son œuvre re-
présente une « contribution à la musique contemporaine qui est extraordinaire dans son
individualité, ampleur et sa portée » (Source : https://tinyurl.com/yavuuk8q ; dernier accès
30. 4. 2019).
14 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété

Les contenus culturels qui ont trait à la sensibilité, au bon goût et à


la distinction (concerts, jouer des instruments musicaux, apprécier
les arts, peinture, danse, théâtre, arts visuels) sont très valorisés so-
cialement. Cependant, quand ils sont présents dans le curriculum
pour tous et pour toutes on les méprise en les reléguant à des ma-
tières de second ordre. (Gimeno Sacristán in Aunión, 2013)

Une agression similaire de part de cette même épistémocratie a essayé d’éli-


miner la Philosophie, si bien la proteste sur place de la part des ensei-
gnants – professeurs de l’enseignement secondaire, fondamentalement –
a réduit les conséquences pour le moment.

De la même façon que cela survient avec l’effort de la symbolisa-


tion à travers l’œuvre d’art, l’être humain surmonte aussi sa cir-
constance hasardeuse aussi bien dans cette tension qu’est la science
pour faire un monde intelligible comme dans ce destin ultime qu’est
la philosophie. Parce que la symbolisation et la connaissance ne sont
pas des aspects occasionnels de notre existence qui continueront ou
pas en fonction de leur utilité pour des intérêts extérieurs ; elles sont
l’expression même de l’être humain qui mène à la pratique les po-
tentialités de sa condition d’être de raison, elles sont une fin en soi.
(Gómez, 2016)

Comme l’on peut observer des deux citations ci-dessus que je rapporte
comme exemples, il existe une supposée reconnaissance sociale et acadé-
mique6 du fait que les arts et la musique sont des disciplines qui méritent
faire partie des cursus scolaires et ceci sans avoir besoin de se rapporter à
la Grèce de l’Antiquité ni à la réalité du Moyen-Âge avec leurs célèbres tri-
vium et quadrivium ni non plus à ceux qui défendent la Théorie des Intel-
ligences Multiples des années 80 du siècle passé (Gardner, 2011). J’estime
que cette reconnaissance n’est qu’apparente parce que la réalité espagnole
nous est présentée d’une bien autre façon, non seulement par la dite ex-
clusion de la musique du cursus obligatoire au Primaire et au Secondaire
(en conséquence de l’Université) mais aussi par le manque de prestige
qu’a l’éducation artistique et par le mépris absolu pour le théâtre, la danse
6 José Gimeno Sacristán est un réputé professeur de la Didactique et de l’Organisation
Scolaire de l’Université de Valencia. Víctor Gómez Pin est professeur émérite de l’Université
Autonome de Barcelone et chercheur à l’École Nationale Supérieure de Paris.
José A. Rodríguez-Quiles15

ou la performance en tant que disciplines scolaires. Une fois de plus, les


budgets néolibéraux – agissant contre les principes de l’éducation inté-
grale pour les citoyens européens, tel que le recueille les préambules de
toutes les lois européennes de l’éducation sans exception7– sont ceux qui
déterminent, en fin de compte, quels domaines de connaissances il faut
protéger et quels on peut exclure. Un problème ajouté à ce procédé est ce-
lui de faire croire à la société que des domaines « peu productifs » (comme
s’il existait des disciplines en éducation qui soient productives en termes
financiers) ne méritent pas l’attention (ni même un soutien financier) des
gouvernements et, pire encore, que les représentants de chaque domaine
sont responsables seulement du domaine de connaissance auquel ils ap-
partiennent et, par conséquent, se propage, subtilement, l’idée que ceux
qui ne sont pas capables de défendre leur domaine méritent d’être exclus,
étant, de surplus, les responsables de leur propre exclusion, quand la ré-
alité est toute autre (cf. Rodríguez-Quiles, 2017b). Nous reconnaissons ici
la philosophie de base néolibérale d’après laquelle les individus doivent
seulement s’occuper d’eux-mêmes et non des autres et que l’éducation
intégrale n’est pas ni doit être un bien publique, mais une marchandise.
Donc, qui veut jouir d’une éducation musicale ou artistique doit avoir
les possibilités de se la financer. En Espagne, ces dernières années, nous
en subissons ouvertement les résultats. Depuis les administrations éduca-
tives, centrale comme régionales, il est bien vu et on encourage la création
d’écoles de musique privées – non seulement pour le niveau élémentaire
mais aussi pour les niveaux moyens et supérieurs –, et on mise pour tout
genre de master payant, tandis que, simultanément, on supprime l’édu-
cation musicale du curriculum obligatoire au Primaire et au Secondaire
et l’on en finit avec la formation initiale des enseignants de musique dans
les universités (cf. Rodríguez-Quiles, 2017b, c ; Vernia, 2016). Ainsi, le pro-
fessorat et les chercheurs de ce domaine de connaissance se trouvent de
plus en plus isolés dans le contexte d’une institution qui les a dépour-
vus de leur propre identité professionnelle tout en leur causant une réali-
té d’échec imposé difficile d’assimiler (cf. Rodríguez-Quiles, 2012 ; 2017b).
Parmi les professionnels vraiment engagés avec leur domaine, il émerge
une sorte d’improvisation dans leur travail pour atténuer (si cela est pos-
sible) le naufrage définitif, de ce bateau éducatif-musical. Ceci à base de
projets pédagogiques, d’innovation et de recherche que, si bien l’on peut

7 Cf. Proyecto MeNet en VV.AA. (2009).


16 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété

trouver originaux et pertinents dans les contextes dans lesquels ils émer-
gent, jamais ils ne pourront suppléer le sens d’un domaine de connais-
sance et de savoir-faire qui devrait être épaulé (aussi financièrement) par
les institutions éducatives de l’État des différents niveaux universitaires
et non universitaires. Il semble tout à fait logique penser que sans une
lutte conjointe nationale (et, de surcroit, internationale) de tous les concer-
nés par cette situation survenue, les possibilités de renversement ne sont
pas réelles. Nous devons, nonobstant, ici être alertes face à la question
que se pose Butler à propos des collectivités sociales moins favorisées :
« Que signifie agir unis quand les conditions pour l’action conjointe sont
dévastées ou réduites ? » (Butler, 2017, p. 30). Dans le cas qui nous occupe,
l’artificialité de plusieurs lois et normes actuelles situent la Musicologie
et l’Éducation Musicale dans des domaines séparés (Arts et Humanités,
d’une part ; Sciences Sociales et Juridiques, de l’autre), toutefois qu’elles
excluent toutes études qui traditionnellement se dispensaient dans les
Conservatoires de Musique et les Conservatoires de Danse8, créant ainsi
la fausse idée qu’il n’existe pas de rapport entre les deux et, pire encore,
en faisant augmenter de plus en plus, dans les dernières années, cet abîme
(suppression des spécialités universitaires pour l’Éducation Musicale, né-
gative à incorporer les Conservatoires au système universitaire, etc.9).

2. Du caractère ontologique des domaines


de connaissance
L’être d’un domaine de connaissance dans un cadre académique est un
être en rapport avec les autres domaines. C’est-à-dire, un domaine ne peut
pas se comprendre comme une pièce indépendante du grand puzzle que la
propre taxonomie de l’UNESCO a établie et à laquelle nous sommes obli-
gés de nous rapporter, cela nous plaise ou pas. Mais qu’arrive-t-il si l’on
ne se voit pas représenté ? Quand on n’est pas considéré ? Quand on est

8 Sur la haute hétérogénéité des membres universitaires du domaine de l’Éducation Mu-


sicale en Espagne et leurs conséquences, consulter Rodríguez-Quiles (2012).
9 Un autre exemple lamentable fut la négative frontale de l’équipe rectorale du moment,
de l’Université de Grenade, à la proposition de la part du Domaine de la Didactique de l’Ex-
pression Musicale pour introduire une Spécialisation en Éducation Musicale intégrée dans le
nouveau Master (2) en Histoire et Sciences de la Musique, ce qui aurait été faisable sans pra-
tiquement de coût financier pour l’institution (cf. Rodríguez-Quiles, 2010).
José A. Rodríguez-Quiles17

ignoré tandis que d’autres domaines sont minutieusement établis en tant


que catégorie et même sous-catégorie par cette même organisation inter-
nationale ?10
En d’autres mots, que l’on veuille ou pas, un domaine de connaissance
est en rapport avec des normes, des organisations sociales et politiques
qui se sont développées historiquement dans le but de maximiser la pré-
cariété pour certains domaines (par exemple, l’éducation musicale, la pé-
dagogie musicale, et la didactique de la musique…) et de la minimiser
pour d’autres (domaines physico-naturelles, technologiques…). Depuis ce
point de vue, aujourd’hui il n’est pas recommandable, ni même possible,
définir l’ontologie d’un domaine puis postérieurement voir quelles des si-
gnifications académiques et sociales elle présente. Bien au contraire, l’être
d’un domaine de connaissance (son ontologie) est d’être exposé à des cor-
rections et reprises de correction à l’intérieur et hors d’un cadre acadé-
mique. En d’autres mots, l’ontologie d’un domaine est une ontologie à ca-
ractère social, exposée aux forces sociales politiquement articulées, ainsi
comme à certaines exigences de genre socio-académique : utilité sociale,
contribution au progrès scientifique, nombre d’articles d’impact publiés,
nombre de docteurs au sein du domaine, total du nombre d’échelon de re-
cherche des membres du domaine reconnus par l’ANECA11, etc., etc.

Si l’on considère comme un exemple le cas d’espèce du domaine


de l’Éducation Musicale (en Espagne, officiellement « Didactique
de l’Expression Musicale »), il est évident le façonnage, le procès
d’ajustements et de réajustements que le contexte académique et so-
cial lui fait subir. De cette façon, son évolution historique voulut que
ce domaine passe d’être un domaine sans lendemain, marginal, à se
transformer en domaine « émergeant » (d’après la qualification que
la propre administration lui appliquait avec une connotation posi-
tive) au moment de la mise en œuvre de la Licence d’enseignant du
Primaire en Éducation Musicale, pour être, quelques années plus
tard, condamné à l’oubli. Ceci dû à l’interprétation erronée (lire, in-
téressée) du Processus de Bologne par les autorités espagnoles (sans

10 La nomenclature internationale pour les domaines de la Science et de la Technologie que


l’UNESCO divise en domaines, disciplines et sous-disciplines peut se consulter sur : https://
tinyurl.com/ybdnsmfb ; dernier accès 30. 4. 2019.
11 Cette Agence évalue la production scientifique des professeurs entre autres raisons pour
qu’ils puissent obtenir une catégorie professionnelle supérieure.
18 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété

considérer les efforts des professeurs universitaires pour faire mon-


ter à la « surface » la tête de l’« émergence », surmontant les dures
épreuves imposées).12

Nous sommes ainsi face à un paradoxe qui fait que si d’un côté « l’être
intérieur » du domaine s’est renforcé grandement les vingt dernières an-
nées (particulièrement, les dernières années), d’un autre, son « ontologie
sociale » en rapport avec le domaine de la Musicologie (pour citer comme
exemple un domaine plus proche), s’est dégradée jusqu’à l’inimaginable
ce qui semblait, même, impossible. En effet, alors que les études en Édu-
cation Musicale à l’Université espagnole ont passé de se dispenser en
6 semestres en 1 seul (et sans une continuité naturelle avec les études de
Master 213), la Musicologie s’est trouvé augmentée de 4 à 8 semestres, à
ce qu’il faut ajouter sa continuité dans des études spécifiques de Master 2
(cf. Rodríguez-Quiles, 2017b).

3. Le Triangle Musico-Œdipien
L’Éducation Musicale dans l’enseignement supérieur (aussi bien univer-
sité que centre privé et conservatoires supérieurs de musique) est arri-
vée à devenir peu à peu indépendante des autres domaines auxquels elle
se trouvait liée, pour se constituer en tant que domaine avec une identité
propre. Tel est le cas dans la plupart des pays du centre, du nord et de l’est
de l’Europe durant la seconde moitié du siècle passé, étant un paradigme
le cas de l’Allemagne. Dans les pays du sud la situation a été toute autre,
si bien les causes de cette différence n’ont pas encore été étudiées à fond,
c’est un fait bien connu le caractère précaire (sinon inexistant) que subit le
domaine de l’Éducation Musicale dans les établissements d’enseignement
supérieur en Italie, en France, en Grèce ou en Espagne. Ce dernier pays re-
présente peut-être l’exemple le plus triste connu par une démocratie occi-
dentale. Comme je l’ai déjà exprimé autrefois,

12 Pour plus d’informations consulter Rodríguez-Quiles (2012).


13 Dans les pays d’une forte tradition en Éducation Musicale (tel est le cas de l’Allemagne,
l’Autriche et d’autres), pour être enseignant de musique en Secondaire il faut être Bachelor
et faire un Master spécifique en Éducation Musicale. Ces études, qu’il faudrait revendiquer,
n’ont rien à voir avec les études de Bachelor et Master (2) qu’aujourd’hui propose l’université
espagnole.
José A. Rodríguez-Quiles19

Dans la dernière décennie du siècle passé, la loi en vigueur,


LOGSE, pour l’éducation non universitaire, forçat d’une façon di-
recte la création d’études universitaires en éducation musicale afin
de préparer les futurs enseignants du primaire dans ce domaine de
connaissance, ce qui constituât tout un tournant dans l’histoire
de l’université espagnole. Si bien ces études jamais n’arriveraient
à atteindre une dimension européenne telle que le Processus de Bo-
logne, postérieurement, le recommanda. Mais il n’est pas moins vrai
que ceci fut un pas de géant pour notre pays, justement c’est pour
cela qu’il est tout à fait incompréhensible que l’Espagne ait reculé
en supprimant par un décret ces études du catalogue des formations
[universitaires]. (Rodríguez-Quiles, 2012, pp. 9 – ​10)

Si l’on prend comme métaphore le mythe d’Œdipe, l’on pourrait dire que
l’Éducation Musicale, comme domaine académique dans les dits pays, se
trouve au centre d’un triangle sur lequel agissent des forces de différents
types en formant un encadrement sans fissures duquel elle ne peut échap-
per. Comme en plus, ce Domaine se nourrit cycliquement de personnes
formées en Musicologie, en interprétation instrumentale ou en Pédagogie
Générale (représentant « des domaines mères »), il s’origine un complexe
d’Œdipe de sorte que lorsqu’on se trouve au centre du triangle, on conti-
nue à vénérer la « mère » ou « les mères » sans la possibilité de critique, et
par conséquent, sans la possibilité d’y échapper.
Dans ce sens-là, le cas de l’Espagne est de nouveau paradigmatique :
étant donné la difficulté de pouvoir obtenir un poste dans les rares Dé-
partements de Musicologie qui existent, les diplômés et les docteurs de
ces départements, qui ont l’intention de faire une carrière académique, fi-
nissent par occuper des postes dans les Départements de la Didactique
de l’Expression Musicale, dispensant des cours de disciplines pour les-
quelles ils n’ont pas de formation pédagogique. De même pour les instru-
mentistes des Conservatoires Supérieurs et aussi pour le professorat de
ces conservatoires qui complémentent leur travail avec un autre à temps
partiel dans les Facultés des Sciences de l’Éducation14 où la plupart ont ré-
alisé leur thèse de doctorat. C’est-à-dire, la même situation qui a lieu dans
les lycées, se reproduit à l’inverse (et vice-versa), d’où le Domaine, dans

14 En Espagne, la formation initiale pour les enseignants du Primaire se dispense dans les
Facultés des Sciences de l’Éducation. Elles correspondent aux ESPE françaises.
20 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété

Musicologie

Éducation Musicale

Conservatoires Supérieurs Pédagogie Générale

Figure 1 Triangle musico-œdipien.

la plupart du temps, est en main d’un personnel non qualifié et – ce qui


est pire encore – d’un personnel dont l’intention est de continuer à faire
de la recherche dans les « domaines mère » parce que ce sont ceux qu’ils
connaissent et avec ceux qu’ils continuent, normalement, à être en contact.
D’un autre côté, la création d’une « Spécialisation en Éducation Mu-
sicale », faisant partie des études généralistes du nouveau Master 1 d’en-
seignant du Primaire, vient remplacer la Licence d’enseignant du Primaire
en Éducation Musicale, mais loin d’être une gracieuse concession au Do-
maine, de part de l’université espagnole, cela est, d’après nous, une stra-
tégie politique consistant à créer l’Autre pour pouvoir mieux le marginer.
Ainsi, à partir du moment que les nouveaux « spécialistes en musique »15
sortent de l’université, la société dispose d’arguments plus que suffi-
sants – si elle le voudrait – pour pouvoir se moquer de leur mauvaise
préparation. Le Domaine, dans les prochaines années, sera encore plus
dévalorisé et, par conséquent, il y aura des arguments dialectiques pour
le marginer beaucoup plus de ce qu’il l’est à présent, du moment où le
triangle œdipien-musical grandit en faveur « des trois mères », le Domaine
de l’Éducation Musicale (EM) devient son ombre (Fig. 2).

15 Rappelons que la spécialisation dure treize semaines de cours en présence, et que les étu-
diants qui l’a suivent ne doivent pas démontrer, préalablement, de rapport actif avec la mu-
sique, ni de connaissances du Langage Musical, ni aucune habileté pour un instrument de
musique.
José A. Rodríguez-Quiles21

Musicologie

É. M.

Conservatoires Supérieurs Pédagogie Générale

Figure 2 À l’ombre du Triangle musico-œdipien.

4. Précarité vs. précariété –


Performance vs. Performativité
Butler emploie le terme precarity pour désigner « une condition impo-
sée par la politique grâce à laquelle certains groupes de la population su-
bissent la faillite des réseaux sociaux et économiques d’entraide plus que
d’autres, et par conséquent ils sont plus vulnérables aux dommages, à la
violence et à la mort » (Butler, 2017, p. 40). De cette façon, « la précarity
n’est autre que la distribution différentielle de la précariété » (Ibid.).
Ces conséquences, exprimées comme dommage, violence et même mort
dont parle la philosophe américaine, ont lieu aussi au sein de l’Acadé-
mie pour certains domaines de connaissance, si bien subtilement qu’elles
passent inaperçues à ceux qui ne sont pas atteints directement.16 Et cela
est ainsi parce que l’institution Université (et encore moins ANECA) ne

16 Le présent programme de Doctorat de l’Université de Grenade, auquel appartient le do-


maine de l’Éducation Musicale, impose comme prérequis aux candidats la publication d’au
moins un article d’impact dans une revue indexée au Journal Citation Report (en défaut, à Sco-
pus). Quiconque chercheur qui a essayé de publier au JCR est conscient de la difficulté de
cette entreprise et du temps employé (de deux à trois ans, pour la plupart). Si l’on ajoute que
les options pour publier au JCR pour l’Éducation Musicale sont presque nulles, il s’agit alors
d’un acte héroïque. La question qui se pose est d’où vient cette obligation ? Encore une fois
des Facultés des Sciences de l’Éducation (Psychologie Évolutive et de l’Éducation, Didac-
22 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété

reconnait pas de la même façon tous les domaines de connaissance qui


la configurent, ni établit aucune sorte de mesure d’entraide pour les plus
vulnérables. Cette forme de précariété académique mène à des situations
paradoxales si l’on se réfère au domaine musical ; par exemple, se vanter
d’avoir « l’orchestre de l’université » formée par des musiciens étrangers
à l’université, la plupart d’entre eux empruntés aux Conservatoires qui,
d’un autre côté, ne sont pas dignes d’appartenir de plein droit à cette insti­
tution qui les utilisent pour des fins déterminés. Ou par des professeurs
qui préfèrent s’aligner (et s’aliéner ?) avec d’autres domaines de connais-
sance (Didactique et Organisation Scolaire, Psychologie Évolutive, Musi-
cologie…) parce que ceux-ci peuvent leur accorder plus de prestige, mais
surtout, plus de facilité au moment de réaliser leur carrière académique.
Ces exemples illustrent les conséquences de faits plus profonds. D’une
part, les musiciens de Conservatoire ne sont pas considérés universitaires,
et ici c’est la langue qui délimite très bien les frontières entre l’une et
l’autre institution même si les diplômés de ces deux institutions le sont
d’un niveau supérieur. Mais le fait est que nous ne nous référons pas à
des diplômés supérieurs de Conservatoire en tant qu’universitaires, bien
que leurs curricula vitae se présentent de facto comme « diplômés univer-
sitaires », à l’instar de beaucoup d’autres pays de notre entourage où cette
distinction n’existe pas. D’autre part ces dernières années, les normes que
l’Académie impose aux domaines signalent nettement des formes d’épis-
témocratie qui normalisent des conceptualisations face à d’autres. Il suffit
de penser au nouveau tour de vis que, récemment, les conditions pour ac-
céder aux différentes catégories d’enseignants universitaires ont subi par
l’ANECA. Ou aussi à la propre philosophie des Unités d’Excellence du
Ministère de l’Industrie, de l’Économie et de la Compétitivité qui vont
seulement contribuer à augmenter l’écart entre les domaines de pre-
mière et deuxième catégorie (voir troisième) si ce n’est pas aussi d’effa-
cer complètement l’essence propre de certains domaines précaires (depuis
l’instant où le professorat de ces domaines se verra obligé d’abandonner,
par exemple, des aspects pratiques indispensables pour sa matière afin de
se consacrer à publier des travaux théoriques dans des revues de haut im-

tique et Organisation Scolaire, Méthodes de recherche et Diagnostic en Éducation, etc.) qui,


en aucun cas, considèrent la spécificité des domaines précaires même si dans leurs discours
ondulent les drapeaux de l’inclusion, de la prise en compte de la diversité ou de l’éducation
pour la démocratie.
José A. Rodríguez-Quiles23

pact dans le but de consolider son poste de travail et en sachant que cela,
par soi-même, n’est pas suffisant pour un domaine à la dérive).
Il est recommandé, afin de comprendre pourquoi certains domaines
(interprétation instrumentale, composition, direction d’orchestre…) ne
sont pas reconnus par l’université espagnole, ainsi que pour comprendre
la reconnaissance feinte d’autres domaines (l’Éducation Musicale), de
s’approcher des façons d’être de leurs membres et de saisir le sens que les
concepts « éducation supérieure » et « recherche » ont pour eux. On a be-
soin, par exemple, de se poser la question sur les façons dont un profes-
seur d’instrument comprend l’enseignement (qui dans la plupart des cas
a lieu de manière individuelle one-to-one) et où un compositeur de l’avant-
garde situe les frontières de la connaissance ; mais aussi comment un pro-
fesseur universitaire d’éducation musicale se voit obligé de redéfinir un
programme d’étude pour l’orienter vers une mission impossible : conver-
tir des étudiants, qui ne comprennent pas le sens de la matière dans le
contexte de leur études, en futurs professeurs de musique (compétitifs
à échelle européenne, d’après les prérequis du Processus de Bologne) et
en un temps record (un semestre, 6 ECTS, en tant que seule matière obli-
gatoire17 pour tous les Diplômes universitaires, et pour la formation des
maîtres et pour celle des enseignants du Secondaire). Peut-il y avoir une
aussi grande incohérence dans une institution supérieure pour l’éduca-
tion et la recherche ?
Le prestige académique d’un domaine de connaissance est lié à ce
qu’il existe une manière de présenter ce domaine ; reprenant Butler dans
le contexte des Études de Genre, de ce qu’il existe « une condition pour
son apparition » (Butler, 2017, p. 45) au sein d’une communauté scienti-
fique de nos jours très globalisée.18 Depuis les dernières années, en Es-
pagne, cette manière de présentation est réglementée par l’ANECA, qui
chaque année impose des conditions chaque fois plus strictes pour at-
tester le statut de professeur universitaire dans ses différentes modali-

17 Les universités espagnoles ont trois sortes de matières : de formation de base, obliga-
toires et en option.
18 Il y a trente ans, je me dirigeai au Professeur de l’Éducation Musicale à l’époque, de la
prestigieuse Musikhochschule für Musik de la ville de Cologne (Allemagne). Je me souviens
encore perplexe de l’affirmation du vieux professeur – faite avec la naturalité qui caracté-
rise le peuple germanique – qui écoutait les inquiétudes d’un jeune andalous sur l’éducation
musicale internationale : je n’avais rien à faire dans ce pays, depuis l’instant où l’Éducation
Musicale est (l’était alors) quelque chose de local liée aux traditions culturelles et artistiques
propres de chaque peuple.
24 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété

tés, sans prendre compte des spécificités de certains domaines qui sont
contraints de rentrer en concurrence dans des conditions tout à fait dé-
favorables, en forçant avec cela, à effacer, plus ou moins, l’essence de
ces domaines comme conséquence logique de la déviation du professo-
rat qui les représente. En effet, les professeurs universitaires des Dépar-
tements de Musicologie et ceux de l’Éducation Musicale font de moins
en moins de la musique de manière régulière comme activité inhérente à
leur profession puisque cela est incompatible avec l’activité à plein temps
qu’exige la publication d’articles dans des revues de haut impact ; revues
qu’à l’heure actuelle sont pratiquement inexistantes pour l’Éducation Mu-
sicale, et par ce même la compétence est encore plus dure si on la compare
avec ces autres domaines consolidés qui ont plus de ressources, de ré-
seaux et d’infrastructures. Par conséquent, peu à peu on arrive à la grave
contradiction de parler de (respectivement, d’écrire sur) l’éducation musi-
cale, à la fois que les professeurs s’éloignent de la pratique musicale active
(performance), c’est-à-dire de l’activité musicale dans toutes ces amples
manifestations. C’est pour cela que depuis l’Éducation Musicale Perfor-
mative (Mortiz, 2016 ; Palacios, 2018 ; Ramírez, 2019 ; Rodríguez-Quiles,
2013 ; 2014a ; 2015 ; 2017b, c, e ; 2018a, b ; Salmerón, 2016 ; Soria, 2017 ; Ur-
ban, 2017) on alerte de cette contradiction, en promouvant consciemment
une pratique musicale éducative et une recherche dans ce domaine de
connaissance qui soient (1) d’auto référence, c’est-à-dire, qu’elles soient
directement en rapport avec les vies de leurs protagonistes, et (2) qu’elles
constituent de nouvelles réalités ; réalités qui tendent à utiliser, à refor-
muler et même à transgresser les normes qui oppriment et sont imposées
par d’autres, en tenant compte que « même que les normes semblent dé-
terminer [ce qui peut] apparaître, elles échouent au moment de contrô-
ler la sphère de son apparition, sur laquelle elles agissent comme la po-
lice qui est absente ou insuffisante plus que comme un pouvoir totalitaire
efficace » (Butler, 2017, p. 45). En insistant sur cette idée de l’importance
d’agir contre des impositions déterminées, l’auteure américaine nous
avertit sur ce que signifie renoncer et se plier à certaines normes. Ainsi, en
se rapportant à l’identité de genre, elle écrit :

En reconnaissant un genre, on est en train de reconnaître des efforts


pour s’accommoder à un idéal réglé dont l’incarnation complète
supposera sans doute le sacrifice d’une quelqu’une dimension de la
vie de l’individu. Si l’un de nous arrivait à se convertir en un idéal
José A. Rodríguez-Quiles25

normatif, alors l’inconsistance, la complexité, tous nos efforts, se-


raient secondaires ; c’est-à-dire, que l’on perdrait aussi une dimen-
sion importante de ce que signifie être vivant. (Butler, 2017, p. 45)

C’est justement cette tendance que l’on observe pour l’Éducation Musi-
cale en Espagne, qui condamne le professorat de ce domaine à ce qu’il fi-
nisse d’être vivant musicalement, pour plus d’échelons de recherche19 que
l’ANECA ne puisse lui concéder et grâce auxquels il devient reconnu aca-
démiquement. De cette reconnaissance faussée que Butler condamne très
justement dans d’autres contextes et qui est valable aussi pour notre cas.
Le problème surgit quand ce professorat accepte sans critique le cadre
d’action imposé (l’idéal normatif), agissant même de propagateur des
normes de ce même cadre qui les contraint et qu’il arrive à rendre naturel
au point de le faire disparaître de son centre d’intérêt. Il renonce ainsi à ce
qui est propre et caractéristique de la pratique musicale éducative (ou la
réduisant au minimum) et il se préoccupe presque exclusivement de dif-
fuser des tables et des graphiques statistiques dans une ou autre revue
avec quoi l’on veut faire constater que ceci est la seule façon de faire éloge
de leur domaine. Encore que ce même cadre néolibéral se fut chargé pré-
alablement d’annuler le sens de l’éducation musicale à caractère général
pour une société démocratique.
Avant de continuer avec ce fil argumentaire, je veux clarifier que je
ne suis point contre la recherche empirique dans ce domaine de connais-
sance ; bien au contraire, cette tâche est très nécessaire pour continuer à
avancer dans n’importe quel domaine de connaissance. Ce que j’affirme
est qu’afin que cette recherche obtienne de vrais bénéfices (c’est-à-dire,
collectifs et non seulement individuels), elle doit être orientée à l’amélio-
ration des pratiques éducatives au plus large sens et que – pour le cas de
l’Éducation Musicale – il ne peut pas y avoir une séparation manichéenne
entre la réflexion théorique et l’activité pratique, et que pour cela, les deux
facettes doivent être reconnues para l’Académie à part égale parce que

19 Les échelons de recherche sont le complément de productivité le plus important des uni-
versités espagnoles. Au-delà de la petite récompense économique qu’ils représentent, leur
obtention est le symbole d’un statut et d’un prestige dans l’université. Aussi, il est le prére-
quis indispensable, dans beaucoup d’universités qui permet diriger les thèses de doctorat et/
ou de participer à des doctorats de qualités.
Dans la pratique, ces échelons sont un système de stratification du professorat universi-
taire en vertu du CV de recherche, et ils représentent, en plus, l’un des critères le plus impor-
tant pour la promotion académique.
26 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété

l’on ne peut pas comprendre l’une sans l’autre. Actuellement, le manque


de reconnaissance proscrit de facto à n’importe quel professeur univer-
sitaire d’Éducation Musicale qui investit du temps dans la pratique mu-
sicale ou la composition comme une part de son identité professionnelle
puisque même pas en s’efforçant énormément il pourrait mener à bien les
différentes activités de façon parallèle (recherche, enseignement, interpré-
tation, création) aux niveaux d’exigences imposés par les contrôles de qua-
lités actuels. Ceci s’accompagne en beaucoup de cas – selon la réalité de
chacun – de situations d’usure et de frustration incompatibles avec le dé-
veloppement personnel et professionnel dans un domaine artistique tel
que celui qui est l’objet, ici, de considération.
En paraphrasant Butler (2017), dans ces cas-là ce que l’on questionne
sont les conditions ontologiques de sa survie au sein de l’Académie, étant
cette survivance (l’ « être » du Domaine) une des puissantes raisons que
l’université espagnole argumente, depuis sa perspective exclusive, pour
éviter aux Conservatoires Supérieurs d’accéder à la vie universitaire mais
aussi pour empêcher le développement du domaine de l’Éducation Musi-
cale dans notre pays. Contrevenant ainsi la philosophie même de l’Espace
Européen de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche depuis l’instant
dont rien de cela a lieu dans les pays de notre entourage, traditionnelle-
ment avancés dans ces domaines académiques.
José A. Rodríguez-Quiles27

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La musique à l’école :
son impact neurologique
Michel Habib

1. Introduction
La musique est à la fois une discipline artistique, dont la première vertu
est de développer chez l’enfant qui l’apprend le sens de l’esthétique et un
certain aspect de la culture, mais aussi un outil formidable de dévelop-
pement du cerveau, à travers un concept qui commence à être de plus en
plus utilisé en pédagogie, celui de plasticité cérébrale.
Le cerveau du musicien adulte présente en effet des caractéristiques
qui en font un véritable modèle de plasticité et son étude a permis de
mieux comprendre à la fois l’effet de la musique sur le cerveau, mais aus-
si, plus généralement, le bénéfice que peut tirer notre cerveau d’un entraî-
nement musical.
Un aspect fondamental qui s’avère sous-jacent à cet effet, est la notion
d’apprentissage intermodalitaire, plus précisément qu’apprendre la mu-
sique partage avec d’autres apprentissages la nécessité de faire appel si-
multanément et de manière réciproque aux connexions qui unissent les
différentes aires cérébrales et d’intégrer l’information que chacune d’elles
abrite. C’est en cela que l’apprentissage d’un instrument de musique peut
faciliter d’autres apprentissages et améliorer de nombreuses fonctions co-
gnitives. Un autre champ émergeant dans la littérature neuroscientifique
est l’importance de l’activité rythmique dans la structuration neuro-fonc-
tionnelle de diverses fonctions cognitives et des apprentissages en géné-
ral. Une des applications de ces données et de ces concepts est l’utilisation
de la musique pour aider les enfants souffrant de troubles d’apprentis-
sage, un domaine qui commence à prendre de plus en plus d’ampleur par-
mi les attitudes rééducatives mais aussi pédagogiques.
Le présent chapitre se donne pour objectif de fournir aux enseignants
les connaissances de base sur la façon dont notre cerveau fonctionne et de
32 La musique à l’école : son impact neurologique

démontrer qu’apprendre la musique est un ingrédient incontournable, in-


dispensable de l’apprentissage en général.
Il s’adresse bien entendu aux enseignants de musique, non seule-
ment ceux qui ont parmi leurs élèves des enfants qui peinent dans cer-
tains domaines des apprentissages et qui veulent mieux comprendre
pourquoi, mais également tous ceux qui s’intéressent au fonctionnement
du cerveau et s’interrogent sur les mécanismes complexes de l’apprentis-
sage. Il s’adresse aussi à tous les autres enseignants, depuis la maternelle
jusqu’au Lycée, tant il est vrai que, pour le cerveau, apprendre la mu-
sique, est un véritable modèle explicatif de l’apprentissage en général, et
sans doute un moteur formidable pour développer les compétences qui y
sont nécessaires. C’est du reste pour cette raison que tant de neuroscien-
tifiques se sont intéressés au cerveau des musiciens professionnels et en
ont dérivé des informations précieuses sur l’apprentissage et ses bases cé-
rébrales.
Nous commencerons donc par définir ce qu’il est convenu d’appeler la
« plasticité cérébrale » et rapporterons les principaux travaux qui ont dé-
crit cette plasticité chez les musiciens.
Puis nous aborderons de manière succincte la vaste littérature sur l’ef-
fet de la musique sur le système cognitif humain, en insistant en particu-
lier sur les données démontrant la transférabilité de la plasticité induite
par la musique à d’autre apprentissages et donc le bénéfice que peut reti-
rer l’élève apprenant de l’entraînement musical.
Enfin, nous évoquerons ce que la neurologie nous apprend des rai-
sons pour lesquelles certains enfants rencontrent des difficultés spéci-
fiques dans certains apprentissages et la place de l’apprentissage de la
musique chez eux, du double point de vue du bénéfice tout particulier
qu’ils peuvent en retirer et de la façon dont le pédagogue doit considérer
leur cerveau pour mieux adapter sa pédagogie.

2. Plasticité, apprentissage et musique


Le cerveau humain est un organe fascinant, et la façon dont il interagit
avec la musique commence à être comprise avec précision.
En premier lieu, il faut rappeler que le cerveau est une structure ex-
trêmement dynamique, organisée, qui change et s’adapte à la suite d’ac-
tivités et de demandes imposées par l’environnement. L’activité musi-
Michel Habib33

cale s’est révélée être un puissant stimulus pour ce type d’adaptation du


cerveau que l’on dénomme classiquement « plasticité cérébrale » (Wan et
Schlaug, 2010). Bien qu’ils aient été en premier lieu étudiés chez les musi-
ciens professionnels experts, les effets de la plasticité se manifestent éga-
lement chez les enfants qui apprennent à jouer d’un instrument de mu-
sique (Hyde et al., 2009) et chez les musiciens amateurs adultes (Bangert
et Alten­muller, 2003), bien que dans une moindre mesure.

2.1 Particularités morphologiques du cerveau


des musiciens
Les premières démonstrations d’une plasticité
sur le cerveau des musiciens

Les musiciens professionnels sont doublement intéressants pour le neu-


roscientifique : en premier lieu, tous les musiciens exercent et ont exer-
cé de manière intensive et prolongée les mécanismes moteurs requis par
l’exercice de leur instrument, mécanismes parfois spécifiques à une main,
voire à certains doigts de la main.
Dès les années 90, c’est-à-dire dès l’apparition des premières méthodes
d’imagerie précise du cerveau, les chercheurs se sont penchés sur la pré-
sence de différences visibles sur le cerveau de musiciens par rapport à
des non musiciens, dans la perspective d’y déceler une manifestation nou-
velle et flagrante de la plasticité cérébrale. C’est précisément ce qu’ils y
ont trouvé en démontrant, de manière répétée et convergente, qu’effec-
tivement apprendre la musique modifie significativement le fonctionne-
ment et la forme même de notre cerveau, et ce dans les deux directions où
ces modifications étaient attendues : les zones cérébrales de la motricité et
celles de l’audition. La figure 1 schématise l’une de ces premières démons-
trations sur le cerveau des musiciens, ici chez des joueurs d’instruments
à corde dont la représentation sensori-motrice des deux doigts de la main
gauche, donc sur la surface de l’hémisphère droit, est significativement
plus développée que celle de l’hémisphère gauche, mais aussi que celle
de sujets non musiciens (Elbert et al., 1995). Une précision importante ap-
portée par ces travaux a été de montrer que la différence observée, que ce
soit entre les aires des mains droite et gauche ou entre musiciens et non
musiciens, est inversement proportionnelle à l’âge où l’individu a débu-
34 La musique à l’école : son impact neurologique

Figure 1 À gauche : la région corticale des doigts est plus développée sur l’hémisphère
droit des joueurs de violon (zone marquée ‹ K › pour ‹ knob › qui est le terme anatomique
consacré en anglais, que l’on appelle en français ‹ signe de l’Oméga ›). À droite : le cor-
tex du 5eme doit de la main gauche est d’autant plus vaste que la personne acommencé
le violon tôt dans l’enfance (échelle de 0 à 20 ans).

té son apprentissage de l’instrument, ce qui suggère fortement une expli-


cation en termes d’effet de l’exercice sur le développement du cerveau et
non l’inverse.
Il a également été démontré que le cerveau des musiciens possède des
zones significativement plus vastes dans d’autres structures impliquées
dans la motricité (comme le corps calleux ou le cervelet) ou impliquées
dans l’audition (comme le cortex temporal latéral qui abrite la représenta-
tion des sons de la parole et de la musique).
Une découverte fondamentale a été ensuite de démontrer que ces mo-
difications ont lieu dans les quelques semaines du début de l’apprentis-
sage, puisque une équipe a pu montrer qu’après 15 mois seulement d’ap-
prentissage instrumental, un enfant voyait ses structures motrices (aire
frontale) et auditive (aire temporale) se modifier significativement (Hyde
et al., 2009).
Ainsi, les arguments sont nombreux pour affirmer que le cerveau de
l’enfant apprenant la musique se modifie et, une fois arrivé à l’âge adulte,
s’est modifié de manière suffisamment significative pour être visible à
l’échelle d’un individu, s’il l’on prend les instruments adéquats et que ces
Michel Habib35

modifications sont directement liées à l’exercice répété des principales ré-


gions sensorielles et motrices impliquées dans la pratique de cet instru-
ment. Mais que se passe-t-il réellement dans leur cerveau ?

Les mécanismes intimes de la plasticité cérébrale

Comme on le sait, le cerveau est fait de substance grise et de substance


blanche : la substance grise est essentiellement représentées à la périphé-
rie de l’organe, le cortex cérébral, cette vaste couche de quelques milli-
mètres qui contient, enfouis dans des circonvolutions aux parcours com-
plexe, les neurones, c’est-à-dire les cellules nerveuses, et une partie de
leurs prolongements (les axones) qui se continuent pour certains d’entre
eux en dessous de la surface vers la profondeur du cerveau, formant les
grands faisceaux de substance blanche par lesquelles les différentes ré-
gions du cortex communiquent entre elles sous la forme de points de jonc-
tion sophistiqués qu’on appelle synapses.
Parmi ces grands faisceaux, deux ont été étudiés particulièrement et
ont été démontrés nettement plus développés chez les musiciens : le corps
calleux, et le faisceau arqué.
Ces deux faisceaux ont un rôle majeur dans le langage en général, dans
la mesure où ils participent le premier à l’établissement de la latéralisa-
tion du langage à l’hémisphère gauche, caractéristique majeure du cer-
veau humain, et l’autre à la mise en relation des zones sensorielles de l’ar-
rière du cerveau aux zones motrices de l’avant du cerveau, en particulier
pour ces dernières une zone dont l’importance est connue de longue date,
l’aire de Broca, impliquée dans la production du langage oral et dans les
mécanismes phonologiques de la lecture.
Microscopiquement, l’un des effets les plus prononcés d’un apprentis-
sage intensif comme celui d’un instrument est la prolifération de certaines
cellules dites gliales, les oligodendrocytes, qui participent à la construc-
tion d’une gaine graisseuse qui entoure les axones, la gaine de myéline (fi-
gure 2), et dont la présence assure le déplacement efficace de l’influx ner-
veux d’un bout à l’autre de la fibre, donc la transmission de l’information
entre des régions distinctes du cerveau.
Pour aller plus loin dans la compréhension de ces mécanismes, les cher-
cheurs se sont penchés, à l’aide de méthodes d’électroencéphalogramme
ou de magnétoencéphalographie sur les modifications observables chez
36 La musique à l’école : son impact neurologique

Figure 2 La présence de
gaine de myéline tout autour
et tout au long du trajet de
l’axone est responsable de la
vitesse de transmission de
l’influx donc de la qualité du
transfert d’information d’un
endroit à l’autre du cerveau.
Un des effets d’un apprentis-
sage moteur intensif serait
de renforcer en quelques
semaines la qualité de cette
transmission axonale.

les musiciens en fonction de leur expérience musicale. Par exemple, il a été


montré que la surface de la représentation des tons musicaux sur le cor-
tex auditif est plus développée chez des musiciens, et que cette représen-
tation est plus robuste pour les timbres correspondant à l’instrument pra-
tiqué (Pantev et al., 2001).

2.2 L’intégration intermodale : le mécanisme clé de l’effet


de la musique

Chaque région cérébrale abrite en son sein des mécanismes spécifiques :


l’audition pour le cortex temporal, la vision, dans le cortex occipital, les
mécanismes moteurs et phonologiques dans le cortex frontal. Diverses
études ont récemment convergé pour montrer que c’est en facilitant l’in-
tégration d’informations traitées dans des régions différentes du cerveau
que la musique est capable de changer notre cerveau. Par exemple, Lahav
et al., 2007 ont fait apprendre à des non-musiciens à jouer une mélodie fa-
milière au piano sur une durée de cinq jours et mesuré leur activité cor-
ticale en IRM fonctionnelle alors qu’ils écoutent soit les mélodies fami-
lières, soit des mélodies inconnues. Il a été retrouvé une augmentation
d’activité dans un réseau sensorimoteur incluant des aires pariétales et le
cortex prémoteur ventral gauche (aire de Broca) lors de l’écoute des mé-
lodies connues et non des mélodies inconnues. En d’autres termes, le fait
d’avoir pratiqué un apprentissage moteur de la musique a permis de ses
développer des liens entre le système auditif et le réseau chargé de l’exé-
cution motrice. De même, on a enregistré l’activité cérébrale avant et après
Michel Habib37

un apprentissage d’une mélodie qui avait été apprise soit en la jouant sur
un clavier, soit seulement en l’écoutant et regardant d’autres la jouer.
Seule la première condition a modifié significativement les mécanismes
abrités dans le cortex auditif lors de l’écoute de la mélodie apprise (Lappe
et al., 2008). En d’autres termes, ce n’est que lorsque l’apprentissage asso-
cie le geste et le son que le système auditif se modifie significativement.

2.3 Multimodalité et intégration lors


de l’apprentissage musical

Pris conjointement, les travaux cités jusqu’ici laissent suspecter, sans pou-
voir toutefois l’affirmer, que le caractère multimodal de l’apprentissage
musical est un élément crucial de l’effet de cet apprentissage sur le cer-
veau et que l’entraînement de plusieurs modalités simultanément est plus
efficace à cet égard que ce que serait un entraînement séparé de ces mo-
dalités (Zatorre et al., 2007). Lorsqu’un musicien apprend à jouer de son
instrument (figure 3), il apprend à associer de manière synchrone le mou-
vement avec la perception et/ou la représentation du son correspondant,
ce qui lui permet de vérifier que le son émis correspond bien à celui qui
était programmé. Des signaux émis par le cortex préfrontal sont capables
d’activer le cortex auditif, même en l’absence de son correspondant. À l’in-
verse, des représentations motrices seraient actives, même en l’absence de
production du mouvement correspondant, ce qui permettrait l’anticipa-
tion indispensable à la pratique experte d’un instrument. Il a été montré
qu’un entraînement à jouer au clavier augmente les coactivations audi-
tivo-motrices après seulement 20 minutes de pratique. Lorsque cet ap-
prentissage aboutit à une connaissance de liens univoques entre un son et
une position du doigt, des modifications au niveau du cortex frontal sont
observables.
D’un point de vue neurofonctionnel, la multimodalité se manifeste de
deux manières pertinentes pour notre propos : d’une part entre les deux
modalités sensorielles que sont la vision et l’audition, tout laissant penser
que l’association répétée entre des sons et leur correspondant visuel (que
ce soit du reste une portée ou tout autre représentation écrite, ou encore la
simple succession des notes représentée spatialement sur une corde ou un
clavier), est capable de modeler les connexions entre les aires auditives et
visuelles ; d’autre part entre les régions motrices et auditives, soit la région
38 La musique à l’école : son impact neurologique

Figure 3 Après avoir été converties en impulsions neurales par l’oreille interne, les
informations musicales sonores transitent par plusieurs stations de cheminement dans
le tronc cérébral et le cerveau moyen pour atteindre le cortex auditif. Le cortex auditif
contient des sous-régions distinctes qui sont importantes pour le décodage et la repré-
sentation des divers aspects du son complexe. À leur tour, les informations du cortex
auditif interagissent avec de nombreuses autres zones du cerveau, en particulier le lobe
frontal, pour la formation et l’interprétation de la mémoire musicale. En retour, le cortex
moteur, dans la région frontale postérieure, produit des impulsions qui vont contrôler les
mouvements de la main. La représentation des sons dans le cortex auditif est activée
avant même qu’ils soient produits, tout comme le cortex moteur peut être activée par la
seule audition des sons correspondants (modifié d’après Zatorre et McGill, 2005).
Michel Habib39

Littéracie (Anvari et al., 2002 ; Moreno & Besson, 2007)

Mémoire verbale (Chan et al., 1998 ; Ho et al., 2003)

Vocabulaireraisonnement non-verbal (Forgeard et al., 2008)

Traitement visuo-spatial (Costa-Giomi, 1999)

Mathematiques (Cheek et Smith, 1999)

Quotient intellectuel (Schellenberg, 2004 ; 2011)

Apprentissage d’une langue seconde (White et al., 2013 ; Yang et al., 2014)

Fonctions exécutives et activité frontale durant le task-switching (Zuk et al., 2014)

Tableau 1 Les principaux domaines pour lesquels un effet positif de la musique sur les
fonctions cognitives a été décrit.

frontale inférieure (aire de Broca) et la région temporale (droite et gauche).


Cette dernière éventualité est particulièrement importante pour tout le
domaine, qui sera envisagé au paragraphe suivant, de l’apprentissage du
langage oral et écrit. En effet, il existe une superposition très forte entre les
systèmes traitant la musique (et donc impliqués dans son apprentissage)
et ceux traitant le langage et la lecture. Ainsi, on peut fort bien concevoir
qu’une activité musicale qui soit structurante des connexions entre les ré-
gions antérieures et postérieures du cerveau contribue au développement
et au perfectionnement des mêmes circuits qui sont impliqués dans l’ap-
prentissage du langage oral et écrit, tout particulièrement un mécanisme
particulièrement bien connu parmi ceux-ci, le système phonologique (voir
ci-dessous).

3. Effets de la musique sur les fonctions


cognitives
Le tableau I résume les domaines ayant fait l’objetd’études démontrant
un effet de positif de la musique sur le développement des fonctions co-
gnitives chez l’enfant. Comme on le voit les domaines sont variés et multi-
40 La musique à l’école : son impact neurologique

ples, et les effets obtenus paraissent tellement vastes qu’on pourrait croire
qu’ils recouvrent des fait expérimentaux de valeur inégale.
C’est effectivement le cas pour l’un des domaines les plus étudiés par-
mi eux : celui de l’acquisition de la lecture. Il a été montré à de nombreuses
reprises que les musiciens sont supérieurs aux non-musiciens dans de
nombreuses tâches linguistiques et de lecture. Par exemple, il a été re-
trouvé (Foxton et al., 2003) de fortes corrélations chez des adultes non
musiciens entre, d’une part, la capacité à discriminer le contour global
de la hauteur de séquences sonores et, d’autre part, les aptitudes en pho-
nologie et en lecture. En outre, dans une étude à large échelle conduite
auprès d’enfants de 4 et 5 ans (Anvari et al., 2002) les habiletés de per-
ception musicale ont été retrouvées prédictrices des habiletés en lecture.
D’un autre côté, des études en IRM fonctionnelle ont rapporté une activa-
tion de l’aire de Broca durant des tâches de perception musicale (Koelsch
et al., 2002), durant des tâches actives telles que le chant (Ozdemir et al.,
2006) ou même lorsque les participants imaginaient jouer d’un instrument
(Baumann et al., 2007).
L’une des démonstrations les plus spectaculaires a été la mise en évi-
dence d’une différence de taille du faisceau arqué gauche, un faisceau de
substance blanche qui court dans la profondeur de l’hémisphère gauche,
entre des musiciens, qu’ils soient instrumentistes ou chanteurs et des non
musiciens, différence qui peut aller jusqu’à une augmentation de taille
d’une fois et demi son volume de base.
Cette constatation est particulièrement frappante quand on sait par
ailleurs que de nombreux spécialistes considèrent cette structure comme
cruciale pour l’apprentissage de la parole chez le petit enfant, mais aus-
si l’apprentissage de la lecture chez l’enfant plus grand (figure 4). Ainsi,
l’effet majeur de la musique sur le cerveau concerne précisément une des
structures qui aurait la plus forte importance dans le développement du
langage oral et écrit.
L’inconvénient de la plupart de ces études est qu’elles sont transver-
sales, c’est- à-dire qu’elles s’adressent à une population à un moment don-
né, et non longitudinales, c’est-à-dire réalisant un suivi des mêmes per-
sonnes dans le temps.
Tierney et Kraus (2013) ont revu la totalité des études longitudinales
disponibles. Sur 22 études recensées, les auteurs remarquent que peu
d’entre elles répondent à un critère qui leur paraît pourtant capital : que
les sujets aient été affectés strictement au hasard, de manière randomi-
Michel Habib41

Nouveau né enfant (7 ans) adulte


A B C

Figure 4 Développement du faisceau arqué dans l’hémisphère gauche du langage. Le


faisceau arqué, qui connecte les aires de Broca et de Wernicke est constitué de deux
contingents : l’un ventral (en vert), présent dès la naissance, qui serait responsable du
développement linguistique initial (fonctionnerait comme un extracteur de règles d’in-
variance dans la phonologie et la syntaxe). L’autre dorsal, n’apparaissant que vers 7 ans,
responsable de fonctions linguistiques plus complexes (sous l’influence, entre autre, de
la lecture).

sée. En e et, si ce n’est pas le cas, il est toujours possible que des traits non
contrôlés par les études puissent expliquer à la fois le choix de se retrou-
ver dans le groupe musique et le fait d’améliorer la lecture ou le langage.
L’une des études les mieux contrôlées à cet égard est certainement celle
de l’équipe de M. Besson (Moreno et al., 2009). Ces auteurs ont testé l’in-
fluence d’un apprentissage musical chez des enfants de 8 ans en s’assurant
qu’il n’y avait pas de différences entre les groupes d’enfants avant appren-
tissage et que l’ apprentissage dispensé dans chacun des deux groupes
étaient aussi motivant et stimulant l’un que l’autre (musique et peinture).
Les résultats ont montré que six mois d’apprentissage musical, mais pas
de peinture, augmentent les capacités de discrimination des variations
de hauteur dans le langage ainsi que la lecture de mots phonologique-
ment complexes. Ces résultats sont donc en accord avec les résultats mon-
trant une corrélation positive entre capacités musicales et phonologique-
set ils établissent un lien de causalité entre l’apprentissage de la musique
et l’amélioration de la perception du langage et de la lecture. En outre,
les potentiels évoqués, c’est-à-dire l’enregistrement de l’électroencéphalo-
gramme durant la présentation d’une tâche de discrimination auditive de
mots, montrent que seuls les enfants ayant fait de la musique, et non ceux
ayant fait du dessin, s’améliorent dans la tâche.
42 La musique à l’école : son impact neurologique

Les mêmes auteurs (Moreno et al., 2011) ont utilisé une méthodologie
similaire pour démontrer que les enfants à qui on fait faire de la musique
améliorent significativement leurs fonctions exécutives, une constatation
particulièrement importante quand on sait le rôle majeur que jouent ces
fonctions dans de nombreux apprentissages, en particulier l’apprentis-
sage des mathématiques. En l’occurrence, il s’agissait d’une épreuve dite
go-no-go, c’est-à-dire une tâche où il faut répondre répétitivement à tous
les stimuli (des figures sur un écran) lorsqu’elles sont mauves et ne pas
appuyer lorsqu’elles sont blanches. Dans de telles tâches, les enfants mu-
siciens se sont révélés significativement meilleurs, et leurs potentiels évo-
qués enregistrés alors qu’ils réalisaient la tâche go-no-go, significative-
ment plus amples, traduisant un meilleur fonctionnement du mécanisme
neurocognitif sous-jacent.
Cette même problématique a été explorée à nouveau tout récemment
par l’équipe d’Hanna Damasio aux USA, (Habibi et al., 2018)sur des en-
fants de 6 et 7 ans recrutés dans les milieux défavorisés de Los Angeles et
parmi lesquels étaient désignés par tirage au sort trois groupes : ceux qui
iraient faire 2 ans d’entraînement musical intensif instrumental (inspiré
du programme El Sistema du Venezuela), ceux qui feraient un entraîne-
ment sportif de durée équivalente et au même rythme, et des témoins qui
n’avaient bénéficié d’aucun des deux. L’entraînement musical s’est avéré
nettement supérieur aux deux autres groupes en particulier sur deux des
trois mesures réalisées : une mesure de la taille du corps calleux, en parti-
culier le fibres unissant les parties sensorielles des deux hémisphères qui
étaient plus développées chez les musiciens, la densité de substance grise
dans les aires auditives, qui s’est réduite (normalement) chez tous les par-
ticipants mais de manière asymétrique (plus à gauche qu’à droite) chez
les musiciens ; et surtout un test évaluant les fonctions exécutives (test de
Stroop) qui a entraîné desperformances supérieures dans le groupe mu-
sicien, avec en IRM fonctionnelle une activation nettement plus forte des
régions frontales internes connues pour réguler le contrôle exécutif (aire
cingulaire antérieure).D’un point de vue neurologique, ce résultat est très
impressionnant, car il montre, encore mieux qu’avec des tests cognitifs,
les changements que peut exercer la musique sur les zones les plus com-
plexes de notre cerveau (figure 5).
Michel Habib43

Figure 5 Comparaison de l’activation cérébrale lors d’une tâche d’inhibition chez 8 en-
fants de 5 – ​6 ans ayant fait deux ans de musique des témoins ayant soit fait du sport soit
aucun des deux activités (Habibi et al., 2018).

4. La musique chez les enfants souffrant


de difficultés d’apprentissage
Les enseignants de musique en ont tous, ou en ont tous eu, parmi leurs
élèves, même si ces derniers ne le leur avouent pas, par pudeur ou par mé-
connaissance. En effet, il est de mieux en mieux établi que faire faire de la
musique à des enfants dyslexiques améliore de manière significative leur
dyslexie. En retour, pour l’enseignant de musique, savoir qu’un enfant est
dyslexique devrait être pour lui une incitation forte à mettre en place des
stratégies pédagogiques particulières qui, certes, demandent une base de
connaissance sur le sujet, mais à terme peuvent déboucher sur de tels suc-
cès qu’il serait bien sot de s’en priver !
En effet, tout le monde connaît des adultes tellement doués en mu-
sique, capables d’improviser et parfois d’une grande virtuosité qui nous
avouent qu’ils ont ou qu’ils ont été dyslexiques. Leur dyslexie ne les a
donc pas empêché d’être de bons musiciens. Or, beaucoup pourraientse
trouver découragés au début devant une série d’obstacle qui se présentent
devant eux, variables du reste selon le type de difficulté rencontrée.
44 La musique à l’école : son impact neurologique

4.1 Les trois grand profils

Il est aujourd’hui coutumier de présenter cette problématique de la façon


suivante : parmi les enfants qui viennent consulter un centre pour enfants
dyslexiques, on reconnaît toujours l’un des trois profils suivants :
•• Le profil dit phonologique : un enfant qui a éventuellement (pas
toujours) eu quelques difficultés de langage oral, comme une ex-
pression un peu lente à se mettre en place, ou un véritable trouble
de parole ayant justifié une prise en charge orthophonique en ma-
ternelle, qui parvient cahin caha au CP et là, c’est la catastrophe ! Il
ne peut rien intégrer des premiers apprentissages du lien entre les
graphèmes (les lettres) et les phonèmes (les sons). Cette incapacité,
qui contraste de manière frappante avec l’impression qu’il donne
d’un enfant normalement intelligent, permet quasiment à l’ensei-
gner de suspecter le diagnostic de dyslexie. Souvent l’examen or-
thophonique, tout en confirmant le problème, trouvera des diffi-
cultés dans le traitement phonologique des sons du langage (par
exemple trouver si deux mots rimes ou donner le résultat d’un
tâche de suppression du premier phonème). Il s’agit de la forme la
plus classique, et sans doute la plus fréqute de dyslexie. Son mécan-
sime présumé est un défaut d’installation durant la petite enfance
des processus permettant d’isoler les phonèmes de la langue, sans
doute pense-t-on parce que ceux ci sont de faible qualité ou non ac-
cessibles.
•• Le deuxième profil ressemble beaucoup, dans le résultat (incapa-
cité à accéder à l’association entre les lettres et les sons), au précé-
dent, à une différence près, c’est qu’il n’a jamais eu de problème de
langage et surtout que l’orthophoniste ne décèle aucune difficul-
té d’ordre phonologique. En revanche, on notera souvent une at-
tention un peu labile, et surtout une difficulté à traiter toutes les
lettres du mot en un seul regard, comme s’il était obligé de faire at-
tention aux lettres une à une : on parle de dyslexie visuo-attention-
nelle. Souvent l’enfant est assez agité, impulsif, et le médecin pour-
ra poser le diagnostic de TDAH (trouble déficitaire d’attention).
•• Le dernier type est parfois méconnu, car il change volontiers de
forme avec le temps, d’abord peu différent des deux autres (un en-
fant qui n’arrive pas à entrer dans l’écrit) mais très vite, parfois sous
Michel Habib45

l’effet de quelques séances d’orthophonie, la lecture arrive à être


au moins partiellement maîtrisée, mais c’est l’écriture qui prend le
devant de la scène. Dans ce cas, on s’aperçoit vite que le trouble
est à la fois d’ordre moteur, altérant la fluidité (coordination) du
mouvement des doigts et associé à une difficulté d’ordre cognitif,
en particulier dans le domaine du traitement spatial (par exemple
copier une figure géométrique ou arranger une série de cube pour
copier un modèle) et du traitement temporel (par exemple se situer
dans le temps, comprendre les notions de mois, de semaines ap-
prendre à lire l’heure sur un cadran…).
Dans ce dernier cas, le trouble n’est ni linguistique ni attentionnel, on dit
qu’il est dyspraxique et souvent l’enfant s’en sortira bien grâce à la mise
ne place d’aides extérieures, en particulier l’usage de l’ordinateur qui est
souvent salvateur.

4.2 Les difficultés d’accès à l’apprentissage musical

Ces trois types de dyslexiques peuvent rencontrer des difficultés dans


l’apprentissage musical qui peuvent paraître similaires, mais qui ne le
sont pas. D’où l’importance de ces quelques notions neurologiques de
base pour permettre d’y voir plus clair. Le premier profil dont le trouble
est linguistique, aura certainement des difficultés dans le traitement des
sons, parfois de leur succession, rarement de leur hauteur, souvent de la
comparaison de plusieurs sons et surtout de la mise en relation des sons
avec les notes écrites ou jouées. C’est le second type qui risque d’avoir le
plus de difficulté à acquérir la lecture des notes sur la portée, car il ne peut
pas se faire une photo d’ensemble de plusieurs notes surtout si elles sont
très proches les unes des autres, et son agitation, intérieure comme exté-
rieur, peut lui jouer des tours. Il faudra souvent s’aider chez lui de repère
colorés, et de portée agrandie.
Le dernier type aura bien entendu souvent surtout des difficultés dans
l’exécution motrice du geste sur l’instrument, la coordination des deux
mains, la fluidité du mouvement, comme celui de l’archet du violon. Mais
très souvent c’est la composante spatiale qui lui fera le plus défaut pour
apprendre la musique, par exemple la notion de gamme ascendante ou
descendante, la comparaison d’une hauteur ou d’un intervalle avec sa re-
46 La musique à l’école : son impact neurologique

présentation écrite ou avec le geste approprié. Dans le cerveau, c’est le


lobe pariétal droit qui permet tout cela, et chez lui, cette partie ne fonc-
tionne pas de manière optimale.

4.3 Le rythme, le temps et l’apprenti musicien

Une composante dans la musique mérite, à la lumière des travaux qui s’ac-
cumulent depuis quelques années, être traitée dans un chapitre à part : la
composante rythmique. Les chercheurs en neurosciences insistent beau-
coup actuellement sur la similitude entre les caractéristiques temporelles
de la parole et le caractère oscillatoire du fonctionnement du cortex céré-
bral, laissant penser que c’est précisément la mise en cohérence tempo-
relle des deux événements qui caractérise le traitement du signal de la
parole par le cerveau. En d’autres termes, il y aurait une correspondance
étroite entre certains rythme cérébraux et certaines caractéristiques de la
parole, comme le rythme théta se rapprochant de la fréquence syllabique
et le rythme gamma se rapprochant de la fréquence des phonèmes. Il a
même été proposé que ce soit une altération de cette mise en cohérence
de l’un et l’autre qui soit à l’origine de certaines pathologies comme les
troubles du langage oral et écrit, par exemple les dyslexiques auraient
des difficultés à aligner les fluctuations d’excitabilité neuronale endogènes
dans les régions auditives, avec les pics d’amplitude de la parole enten-
due, ce qui pourrait être à l’origine de leur trouble phonologique (Power
et al., 2013).
Un travail de l’équipe de Nina Kraus (Slatter et al., 2013) a porté sur
l’effet d’un entraînement musical d’un an, incluant divers aspects depuis
la perception de la hauteur et du rythme, l’utilisation de termes musi-
caux, jusqu’à l’improvisation, sur une tâche de tapping en synchronie avec
un tempo donné. Des enfants de 8 ans considérés comme « à risque » de
trouble d’apprentissage, ayant bénéficié de cet entraînement musical, se
sont avérés très significativement supérieurs à des témoins appariés dans
la tâche de tapping, suggérant pour les auteurs que cette population à
risque pourrait, au vu de ces résultats, bénéficier grandement d’un ensei-
gnement musical systématique.
Des applications quasi-thérapeutiques de ces observations ont déjà
été réalisées avec succès comme un travail de l’équipe lyonnaise de Przy-
bylski et al. (2013) qui a proposé à des enfants dyslexiques et dysphasiques
Michel Habib47

une tâche d’amorçage où ils devaient écouter une amorce rythmique (des
notes jouées par un instrument), soit réalisant une succession régulière,
soit irrégulière, et, juste après l’amorce, devaient résoudre un problème
de congruité syntaxique comme dire si une phrase (par exemple « Laura
ont oublié son violon ») est correcte ou non. Les résultats ont montré une
nette supériorité de l’amorce régulière sur la performance des enfants
dans la tâche syntaxique, ce qui, d’après les auteurs, procure un argu-
ment convaincant pour inclure la stimulation rythmique dans les pro-
tocoles de remédiation des enfants avec troubles développementaux du
langage. Récemment, une équipe italo-française (Flaugnacco et al., 2015)
dans une étude méticuleuse de 83 enfants dyslexiques, ont comparé l’ef-
fet d’un entraînement rythmique systématique à une pratique d’arts vi-
suels. Au cours de sessions de formation impliquant des groupes de 5 – ​6
enfants, durant une heure, deux fois par semaine, les enfants se voyaient
proposer soit un entraînement musical : mettre l’accent sur le rythme et
le traitement temporel (utilisation par exemple des instruments à percus-
sion, utilisation des syllabes rythmiques [ta, ti-ti,…], les mouvements du
corps rythmiques accompagnant la musique, des jeux de synchronisa-
tion sensorimotrice) ; soit un entraînement à la peinture, selon un pro-
gramme destiné à favoriser les compétences visuo-spatiales et la dextéri-
té manuelle ainsi que la créativité. Les résultats ont été très nets, montrant
un effet plus important de l’entraînement musical sur un test d’attention
auditive et dans plusieurs capacités de perception et de production telles
que testées par des tâches psychoacoustiques et musicales. Le résultat de
la tâche de production de rythme s’est avéré être le meilleur prédicteur
de la conscience phonologique telle que mesurée par les tâches de fusion
de phonèmes et de segmentation phonémique.
Ainsi, tout laisse penser que travailler sur le rythme pourrait repré-
senter en soi une véritable piste thérapeutique pour la prise en charge
d’enfants présentant ce type de troubles. Au-delà de ces seules évidences,
de nombreux travaux explorent d’autres pistes passionnantes autour de
la question du rythme et de son traitement par le cerveau, montrant par
exemple que le plaisir générée par l’écoute et la production de rythme
passe par l’activation d’une petite région de notre cerveau appelée noyau
accumbens et que cette région se trouve précisément être le centre céré-
bral de la motivation, là où s’inscrit la notion de plaisir, incluant celle du
plaisir d’apprendre, pour la transformer en une envie, une action qui peut
être précisément un apprentissage.
48 La musique à l’école : son impact neurologique

Il est tout-à-fait concevable que des travaux futurs, aidés des méthodes
récentes d’imagerie cérébrale, viennent nous confirmer que c’est par son
action sur ces systèmes, dont la complexité nous masque encore sans
doute la réalité de leur importance, que la musique pourrait venir aider
encore mieux qu’elle ne le fait déjà aux apprentissages scolaires, musicaux
ou non musicaux, ordinaires ou pathologiques.
Michel Habib49

Références

Anvari, S. H., Trainor, L. J., Woodside, J., Levy, B. A. (2002). Relations


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La petite chanson des émotions
et de la motivation
Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau

La musique inspire, apaise tout autant qu’elle stimule et éveille. Dans son
écoute comme dans sa pratique, elle potentialise nos sens et nous mobilise
à des lieux introspectifs et constructifs de connaissances de soi, de l’autre.
Elle participe de notre épanouissement personnel et de notre émancipa-
tion intellectuelle. Adjuvant cognitif, elle met en mouvement l’intelligence
par l’activation de nos schèmes sensori-moteurs. La musique définit ainsi
sa place au cœur du processus d’apprendre. Associer cet Art à l’école, l’in-
clure dans son dessein pédagogique semble si évident et pourtant…L’en-
seignement de disciplines privilégiées comme les mathématiques ou
le français tend à gommer la diversité des apprentissages arrachant le
concept même du pédagogique de sa souche originelle. En effet, la pé-
dagogie désigne, au plus profond de ses grecques racines, l’art de l’édu-
cation. Un art du partage au cœur de la relation humaine. Un art d’ap-
prendre, de donner et de prendre. L’école, haut lieu des savoirs, consacre
depuis toujours son espace à cet Art, sans suffisamment le percevoir. Avec
Erasmus +, des enseignants se sont saisis de cette opportunité de s’en rap-
peler et, avec entrain, se sont engagés dans ce que, ce beau projet euro-
péen « Art & Apprentissage », leur a proposé d’éveiller. Acceptant l’invi-
tation au voyage, ils sont entrés, en musique, dans la danse pour jouer
au rythme de ce collectif partenarial : un projet orchestré par son maître
d’œuvre Tatiana De Barelli.
Et pourquoi rejoindre le mouvement si ce n’est pour y découvrir une
forme de bientraitance. En effet, il convenait d’évaluer l’impact du dis-
positif « Art & Apprentissage » sur l’épanouissement scolaire des élèves
concernés.
Ce texte, recueil de notes, tel une chanson dont on ne retiendra que le
refrain, celui du bonheur, offre un regard clinique de psychologue posé
sur des élèves, heureux que l’on s’occupe si bien d’eux : des élèves béné-
ficiaires de la mise en place d’un dispositif qui propose un canevas d’ac-
54 La petite chanson des émotions et de la motivation

tivités musicales. Il est question de l’observation des participants aux ate-


liers musicaux, de leur autoévaluation du confort scolaire mais aussi de
l’analyse sémantique d’interviews. Mon propos vise à présenter ici les ef-
fets positifs de la pratique musicale en groupe sur les modalités d’appren-
tissages. Le lien étant fait entre le bénéfice pédagogique de ces ateliers et
l’épanouissement scolaire des enfants y ayant participé. Cette corrélation
qualitative a été mise en exergue par l’évaluation métrique de leur vécu à
l’école avec la passation d’une grille de mesure du vécu scolaire (EMVS).
Mais au-delà c’est la manifestation du bonheur à l’école qui sera retenue
et conservée en mémoire tel un refrain. C’est cela la petite chanson, elle se
compose de notes…Pas des notes de musique…Mais des notes d’obser-
vation et s’appuie sur des notes de confort scolaire, témoins du bien-être
des enfants.

1. Le bien-être scolaire en musique…


Et en mesure
Je les ai observés, ces enseignants et ces enfants, heureux de chanter, jouer,
danser. Et, c’est de ce regard posé sur leur mouvement en projet dont je
souhaitais, avant tout, ici parler. En effet, s’il y avait une seule chose à re-
tenir de mon observation, c’est la manifestation du bonheur à l’école. Je
retiens leur bien-être, leur joie, leur satisfaction partagée : le tout remplis-
sant l’espace de travail à chaque séance d’exploration musicale. J’ai ren-
contré des enfants émerveillés de découvrir ce qu’ils peuvent produire de
sons, de mouvements et de chants, des élèves surpris de ce qu’ils peuvent
ensemble créer. Un groupe heureux de vivre ensemble une expérience ar-
tistique, toujours inventive même si répétitive, toujours créative et pro-
jective. Le bonheur émanant de ces ateliers devait être souligné quelque-
part. Mieux encore cet état devait être identifié et mesuré pour donner
toute son envergure à la puissance humaine du projet. Evaluer l’impact
du dispositif « Art & Apprentissage » sur l’épanouissement scolaire des
élèves concernés. Pour ce faire, des outils ont été élaborés. Ils sont par
ailleurs présentés. Et, parmi ces instruments d’évaluation, une échelle de
Mesure du Vécu Scolaire : EMVS (Bidal et Habib, 2015) a été proposée aux
élèves afin de sonder leur niveau de confort d’apprentissage. La création
de cette EMVS, agrégée au projet d’optimisation du confort d’apprendre,
Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau55

permet d’identifier le vécu scolaire ainsi que son évolution au cours du


projet. Ainsi, son administration, en début et fin du dispositif, a permis
de mesurer la progression du bien-être à l’école. Cette échelle évalue donc
aussi la pertinence qualitative du dispositif, via le vécu des élèves. Le fo-
cus étant posé sur la qualité des conditions d’accompagnement pédago-
gique ajustées aux besoins pour une bientraitance des élèves. La bientrai-
tance pédagogique nous apparait, en tant que psychologues, chercheurs,
pédagogues, comme indissociable des modalités d’apprentissage mobili-
sables par les enfants dans des conditions de confort de travail qui leurs
permettent de pleinement les exprimer.
L’expérimentation du projet et de son effet sur le vécu scolaire s’ins-
crit dans un processus d’évaluation de la pertinence d’un dispositif spéci-
fique, artistique et scientifique, associant musique et référentiel neuroco-
gnitif. Ce dispositif, entre épanouissement scolaire et envie d’apprendre,
convoque, au-delà de la réussite scolaire, le bonheur d’être un élève
à l’école (De la Garanderie, 2013). Cette aventure s’est dessinée comme
l’esquisse d’un art d’apprendre autrement, comme une éthique d’accompa-
gnement pédagogique, une offre éducative esthétique. Il convient de pré-
ciser la spécificité de ce programme « Art & Apprentissage » qui s’est révélé
être une proposition musicale de bien-être scolaire non seulement géné-
ratrice de motivation, volition mais aussi productrice d’un confort d’ap-
prendre.
L’évaluation du bien-être scolaire s’est voulue à la fois qualitative
(échelle de Likert + entretien d’explicitation) et quantitative avec une ana-
lyse non seulement synchronique mais aussi diachronique : comparaison
T1/T2 des scores obtenus à l’Echelle de Mesure du Vécu Scolaire (Bidal ar-
ticle à paraître).
Une ANOVA à mesures répétées a été effectuée sur chacune des di-
mensions de l’EMVS avec pour facteur catégoriel le terrain d’expérimen-
tation selon deux modalités :
•• Classe ordinaire/10+.
•• Classes ordinaires en île de France/classes du programme Erasmus
(10+, Belgique/France).
Les résultats obtenus témoignent d’une amélioration significative, notam-
ment pour les élèves porteurs de DYS- de la qualité du vécu scolaire. Le
programme a activé tout à la fois les fonctions frontales pour les tâches
d’organisation, planification, inhibition, attention conjointe, concentra-
56 La petite chanson des émotions et de la motivation

tion et le système hédonique avec l’intégration de la valence affective (les


hotspots) qui permet l’engagement, l’action appétitive et la prise de plaisir.
La qualité du vécu scolaire, sans cesse réinterrogée à la lumière de
l’évaluation continue du dispositif expérimental, s’est posée comme la
trame d’une recherche de liens entre apprentissage, musique et motiva-
tion.

2. La contribution de la musique
au confort d’apprendre
La pratique de la musique, pas seulement son enseignement, permet de
solliciter dans le plaisir artistique et créatif toutes les aptitudes neuroco-
gnitives engagées dans le travail d’apprendre à l’école et d’apprendre à ap-
prendre. Jouer de la musique, ensemble, pour mieux apprendre en géné-
ral, pour apprendre à apprendre, pour apprendre avec, et par le collectif,
révèle que la pratique musicale développe des capacités cognitives, per-
ceptives, sociales non spécifiques à la musique et donc bien plus large. Le
canevas proposé a en effet permis de stimuler les intelligences plurielles,
et notamment les compétences transversales en convoquant des actes de
penser fondamentaux pour apprendre. Sur la base des données probantes
de mes observations cliniques, il convient de relever certains secteurs acti-
vés. Ainsi, les propositions d’ateliers musicaux ont sollicité, de façon non
exhaustive, les dimensions neurocognitives suivantes :

2.1 La stimulation de la fonction mnémonique au cœur


du processus d’apprentissage.

La pratique de la musique exerce les différentes mémoires avec un trai-


tement multisensoriel engagé. La saisie, ludique (on joue de la musique),
impliquée au plan motivationnel et actée (on fait de la musique) des in-
formations est multisensorielle : une pratique toute à la fois auditive/vi-
suelle, cénesthésique, kinesthésique. Les expériences perceptuelles, pro-
duisent l’excitation de ces différentes zones corticales (audition, vision,
somesthésie) pour s’associer au plaisir et à la stabilisation des traces mné-
siques par la répétition, donc l’entrainement des processus, eux-mêmes
Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau57

renforcés au plan fonctionnel. Ainsi, en plus de stimuler la mémoire de


travail, la pratique régulière tisse des patterns mnésiques fiables et sécu-
risants pour l’enfant qui gagne en confort. Il est à noter que la globali-
té des expériences personnelles sollicite la mémoire épisodique et que la
pratique multisensorielle et hédonique de la musique optimise son exer-
cice en contexte conatif de qualité. On peut aussi ajouter que la mémoire
sémantique, engagée notamment dans la pratique du chant, ou encore la
mémoire procédurale (avec la conscientisation des procédures acquises
par l’effet miroir de la pratique collective), lors des exercices de rythmes
par exemple, sont toutes deux très stimulées. Ces mécanismes mnésiques
sont activés dans un contexte d’apprentissage libre, ludique, non contraint
au rendement scolaire (car si la musique est une discipline, sa réalisation
artistique ne se limite pas à un but pédagogique circonscrit institution-
nellement par les programmes). Et, cette pratique créative offre une cer-
taine aisance et liberté. Cet avantage d’apprendre en jouant, sans « tra-
vailler » peut, en tant que compétences transversales optimisées, apporter
un confort d’apprentissage plus satisfaisant dans d’autres contextes de
tâches, davantage scolaires. Un confort de travail qui, augmenté, contri-
bue indubitablement à améliorer le vécu scolaire des enfants.

2.2 L’optimisation des ressources attentionnelles


et de la gestion pulsionnelle

L’hétéro-émulation et l’appel de l’intérêt (Salomon, 1983) par la dimen-


sion artistique sont des facteurs facilitant l’engagement dans l’activité.
Les séquences permettent la mise en œuvre privilégiée des aptitudes
attentionnelles. Cette attention est sollicitée évidemment au plan auditif
avec une indispensable qualité d’écoute mais également au plan visuel
avec la nécessité pour chacun d’observer les mouvements du groupe et
de capter les consignes gestuelles du chef d’orchestre. La concentration
de chacun est soutenue par celle des autres. Ces concentrations mutuelles
et additives conditionnent l’ouvrage collectif, aussi chacun dans une in-
tention collective veille à maintenir une posture attentive et veille à celle
des pairs. Cette vigilance permet les ajustements réciproques par imita-
tion latérale, avec les neurones miroirs (Damasio, 2010 ; Rizzolatti, 2008).
58 La petite chanson des émotions et de la motivation

2.3 La mise en œuvre des compétences sociales

L’activation de procédés d’imitation latérale, sur la base du rôle des neu-


rones miroirs (Damasio, 2010), de la vicariance (Bandura, 1997), de l’intel-
ligence coopérative, des expérimentations de tâtonnements avec essais/
erreurs permettent un apprentissage socio-constructif par l’observation
(Wynnykamen, 1990) et l’action dans le plaisir de la pratique musicale.
Au plan pédagogique, il s’agit d’une orchestration qui sous-entend la
co-construction dynamique d’un lien d’accompagnement (Fustier, 2000)
spécifique, inscrit dans une dialectique sympathique et/ou même empa-
thique (Decety, 2004). Une alliance relationnelle de compréhension par-
tagée qui permet l’harmonisation des praxies de chacun en fonction de
l’autre se créer au sein du groupe d’élèves. Cet accordage interpersonnel
développe les compétences sociales et les capacités adaptatives d’ajuste-
ments latéraux entre pairs. Les déclencheurs motivationnels par la valo-
risation, les encouragements du groupe, le sentiment de succès (applau-
dissements) permettent une augmentation du plaisir d’être à l’école. Ces
phénomènes de gratification active le circuit vertueux de la récompense
(Habib, 2016). Ces temps de jeux musicaux partagés ont permis la mise en
place d’une posture d’écoute de l’autre et de veille par le regard de dispo-
sitions personnelles privilégiées car affectivement investie d’une charge
positive de concentration/attention/vigilance aux autres pour s’accorder
à chacun et au collectif. S’associe à cette attention conjointe la naissance
du sentiment d’efficacité (Bandura, 1997) et la satisfaction personnelle
d’être contributif à titre individuel d’un tout. Les compétences sociales
s’articulent finement aux fonctions exécutives exprimées en compétences
transversales (anticipation, ajustements, régulation…).

2.4 La gestion des repères perceptifs et l’organisation


temporo-spatiale

La structuration temporelle et spatiale avec un entraînement à la percep-


tion de la durée, la gestion du temps avec le rythme, les silences, la ca-
dence, le tempo…sont mobilisées des compétences telles que l’endurance,
la rapidité d’exécution, mais aussi d’autres fonctions exécutives telles que
la représentation mentale du but et des étapes, l’inhibition de certains
Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau59

process, la sélection de choix et la prise de décision. Autant de compé-


tences transversales qui entraînent d’autres fonctions telles que la plani-
fication, la structuration en séquences, l’organisation, l’anticipation. Ces
opérations mentales indispensables pour tout acte de penser sont ainsi
sollicitées lors des ateliers de musique. Soubassement fondamental de
tout raisonnement, les fonctions exécutives sont même intensément acti-
vées lors de ces ateliers. Cette hyperstimulation du traitement de l’infor-
mation s’opère dans une dynamique cérébrale qui y agrège la motivation.
En d’autres termes, le programme active tout à la fois les fonctions fron-
tales pour les tâches d’organisation, planification, attention et le système
hédonique avec l’intégration de la valence affective (les hotspots). L’acti-
vation du système hédonique permet l’engagement, l’action appétitive et
la prise de plaisir.

2.5 L’entraînement et l’expérience pratique

La stimulation des fonctions conatives au service de l’expérimentation et


des procédures de tâtonnement. Il est à souligner que le canevas d’ateliers
proposé permet le développement ludique de mécanismes de renforce-
ment/stabilisation des « acquisitions » par la répétition/l’entraînement, la
continuité la/régularité des sollicitations. Ce qui importe pour solliciter
la démarche d’apprendre (par essais-erreurs) n’est pas le contenu (le type
d’acquisitions) mais l’entraînement des processus (Kliegel & Bürki, 2012).
Le dispositif offre un genre d’apprentissage transversal, qui de surcroit,
se réalise dans un contexte motivationnel augmenté avec l’installation
d’une activité musicale créative hédonique. Aussi, les fonctions conatives
sont au cœur de l’engagement des élèves dans les tâches scolaires qui leur
sont proposées. Les récentes recherches en psychopédagogie confirment
que la motivation est une condition nécessaire à l’apprentissage pour tous
les élèves. La méta-analyse de Wang, Haertel et Walberg (1993), de plus
de 260 textes scientifiques, amène à conclure que la motivation, fait partie
des sept éléments les plus importants à considérer pour expliquer le suc-
cès scolaire. Pour apprendre, il faut vouloir, c’est-à-dire être motivé.
60 La petite chanson des émotions et de la motivation

3. Un contenu lexico-sémantique témoin


d’une expérience émotionnelle
La plupart des théories de l’émotion s’accordent sur le fait qu’elles ne sont
pas un état statique, mais un épisode dynamique durant lequel un en-
semble de composantes fonctionnent de façon synchronisées (Scherer,
1984, 2009). On parle donc d’ « Episode émotionnel ». Ces composantes
sont l’évaluation cognitive, la tendance à l’action, la réponse physiolo-
gique, l’expression motrice, le sentiment subjectif. L’évaluation cognitive
fait référence à l’évaluation de l’environnement et de la situation vécue. La
tendance à l’action est une réaction motivationnelle poussant à agir d’une
certaine manière dans une situation particulière. La réponse psychophy-
siologique correspondant à des modifications dans le système nerveux
périphérique se caractérisant par exemple par des changements dans le
rythme de la respiration, la fréquence cardiaque, la température de la
peau ou encore dans le taux de sudation. L’expression motrice de l’émo-
tion est caractérisée par les réactions musculaires du visage (par exemple,
un sourire), des cordes vocales et du corps plus généralement. Le senti-
ment subjectif correspond à l’infime partie du processus émotionnel qui
atteint le seuil de la conscience et de la verbalisation. C’est cette compo-
sante qui nous permet de dire « J’ai peur », ou « Je suis heureux ». Le sen-
timent subjectif est souvent confondu avec l’émotion elle-même alors que
l’on peut plutôt le conceptualiser comme en reflétant seulement l’aspect
conscient.
Les émotions préparent donc l’organisme à faire face aux évènements
importants de la vie et comportent ainsi une importante dimension moti-
vationnelle, produisant ainsi des états dit de préparation à l’action (Frijda,
2007). Par ailleurs, en référence au sentiment subjectif, les contenus sé-
mantiques présents lors d’un épisode émotionnel témoignent de la nature
des processus en jeu. C’est le contenu sémantique des productions ver-
bales des enfants que nous proposons d’étudier ici afin d’examiner la na-
ture des émotions afférentes à l’évocation de la musique.
Russell (1980, 2003) met en évidence le caractère dimensionnel des
émotions. Il apporte la notion de noyau affectif (« core affect ») qu’il dé-
finit comme un « état neurophysiologique accessible consciemment comme un
sentiment simple, non réflexif, et qui est un mélange de valeurs hédonistes (plai-
sir – déplaisir) et d’activation (endormi – activé) » (Russell, 2003, p. 147). Ainsi,
Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau61

Figure 1 Répartition circulaire dimensionnelle des émotions (d’après Russell, 2003)


et son équivalent à partir de la métanorme de Leveau et al. (2012).

les émotions peuvent être différenciées sur deux axes. L’axe de la valence
renvoie au caractère plaisant (par ex. joie) ou déplaisant (par ex. peur).
L’axe de l’activité renvoie à l’activation physiologique associée à l’épisode
émotionnel, celle-ci peut être élevée (par ex. colère) ou faible (par ex. tris-
tesse).
A partir d’une métanorme comportant 6383 mots caractérisés en va-
lence émotionnelle (agréable vs désagréable), dont 5656 mots caractérisés
en activation, Leveau, Jhean-Larose, Denhière & Nguyen (2012) mettent
en évidence qu’il est possible de caractériser émotionnellement un énoncé
à partir de l’analyse du lexique qui le compose. Chaque terme est caracté-
risé en valence sur une échelle de −1 (déplaisir) à 1 (plaisir), et en activa-
tion sur une échelle de 0 (endormi) à 1 (activé).

3.1 Joie et musique

Russell (1980, 2003) met en évidence le caractère dimensionnel des émo-


tions. Il apporte la notion de noyau affectif (« core affect ») qu’il définit
comme un « état neurophysiologique accessible consciemment comme un senti-
ment simple, non réflexif, et qui est un mélange de valeurs hédonistes (plaisir –
déplaisir) et d’activation (endormi – activé) » (Russell, 2003, p. 147). Ainsi, les
émotions peuvent être différenciées sur deux axes. L’axe de la valence ren-
voie au caractère plaisant (par ex. joie) ou déplaisant (par ex. peur). L’axe
62 La petite chanson des émotions et de la motivation

Figure 2 Répartition circulaire dimensionnelle des émotions (d’après Russell, 2003)


et son équivalent à partir de la métanorme de Leveau et al. (2012).

de l’activité renvoie à l’activation physiologique associée à l’épisode émo-


tionnel, celle-ci peut être élevée (par ex. colère) ou faible (par ex. tristesse).
A partir d’une métanorme comportant 6383 mots caractérisés en va-
lence émotionnelle (agréable vs désagréable), dont 5656 mots caractérisés
en activation, Leveau, Jhean-Larose, Denhière & Nguyen (2012) mettent
en évidence qu’il est possible de caractériser émotionnellement un énoncé
à partir de l’analyse du lexique qui le compose. Chaque terme est caracté-
risé en valence sur une échelle de −1 (déplaisir) à 1 (plaisir), et en activa-
tion sur une échelle de 0 (endormi) à 1 (activé).
Les énoncés spontanés des enfants ayant suivi l’accompagnement mu-
sical ont été soumis à l’analyse lexicale. Un corpus de 13 600 mots a été
établi, duquel nous avons supprimé les mots dit « vides de sens » (« le »,
« la », « les » etc…) ainsi que les auxiliaires (« être », « avoir », « aller »,
« pouvoir » etc.). Le corpus résultant comporte 5480 mots que nous avons
soumis à l’analyse lexicale ainsi qu’à l’analyse émotionnelle. Parmi ces
5480 mots, 3048 ont été caractérisés en valence et 2588 en activité.
Le terme « musique » (173 occurrences) est le plus utilisé dans le cor-
pus soulignant le thème privilégié dans les énoncés des enfants (figure 1).
L’orientation émotionnelle sous-tendue dans le corpus vient ainsi rendre
compte majoritairement de la connotation émotionnelle associée à ce
thème.
L’orientation émotionnelle du lexique rend compte d’une expérience
très majoritairement de plaisir (0,37) lorsque les enfants évoquent leur ex-
Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau63

Figure 3 Occurrence des termes renvoyant au thème de la musique dans le corpus des
productions verbales des enfants.

Figure 4 Orientation émotionnelle du lexique des enfants lors des productions spon­
tanées.
64 La petite chanson des émotions et de la motivation

Figure 5 Disposition valence/Activation du lexique des enfants lors de leur production


spontanée. La taille des cercles rend compte du nombre de mots.

périence musicale (Figure 2). L’activation associée est également élevée


(0,57). Les contenus émotionnels plaisant (valence > 0, 2172 mots) restent
d’une activité élevée (activité = 0,59) et renvoient ainsi au bohneur avec di-
mension d’excitation. Les contenus émotionnels déplaisants (valence < 0)
sont essentiellement d’activité faible (activité = 0,37) et renvoient ainsi à la
tristesse. Un noyau de fatigue (activité faible, valence nulle) est en outre
présent dans le corpus.

3.2 Une analyse catégorielle de la couleur émotionnelle

Landauer et Dumais (1997) mettent en évidence la pertinence de l’ana-


lyse de la sémantique latente (LSA) comme modèle de la représentation
la signification d’un énoncé en mémoire. Chaque énoncé est modélisé par
un vecteur qu’il est possible de comparer à un autre vecteur représen-
Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau65

Figure 6 Proximité sémantique des énoncés des enfants avec les vecteurs émotionnels
en utilisant l’analyse de la sémantique latente. Les émotions agréables sont indiquées
en bleu, les émotions désagréables sont indiquées en orange.

tant un autre énoncé. Leveau (2011) met en évidence le caractère séman-


tique du contenu émotionnel et la pertinence d’utiliser l’analyse de la sé-
mantique latente pour identifier la coloration émotionnelle d’un énoncé
en le comparant à un vecteur représentant des émotions. A partir de la
base EMOTAIX (Piolat & Bannour, 2009), il propose 16 vecteurs opposées
deux à deux, et représentants 8 émotions agréables (Affection, Gentillesse,
Bonheur, Entrain, Soulagement, Satisfaction, Courage et Calme) et 8 émo-
tions désagréables associées (Haine, Agressivité, Souffrance, Dépression,
Trouble, Frustration, Crainte et Tension).
Les vecteurs des énoncés des enfants ont donc été comparés aux
16 vecteurs émotionnels ci-dessus. On observe une forte proximité de ces
énoncés avec les émotions « Affection » et « Bonheur ». Les énoncés sont
plus proches de l’émotion désagréable « Trouble » que de sa contrepartie
« Soulagement » du fait de l’évocation faite par les enfants des troubles
des apprentissages dont ils souffrent.
66 La petite chanson des émotions et de la motivation

4. Pour conclure, une ouverture


La réussite scolaire, si elle est bien évidemment cruciale, n’est pas suffi-
sante pour permettre le développement harmonieux des enfants. Moro
et Brison (2016) ont souligné l’importance de prendre en compte le bien-
être au sein de l’école. Donner à l’école les moyens d’améliorer le bien-être
collectif est un enjeu actuel. Plus largement l’objectif est de former des ci-
toyens responsables et capables de mieux vivre ensemble. Ces moyens
offerts, dans le cadre du projet aux équipes enseignantes engagées, ont
permis d’optimiser l’appréciation subjective du vécu scolaire par les
élèves bénéficiaires du dispositif Erasmus +. L’amélioration qualitative du
confort de travail jaugé par l’échelle de mesure du vécu scolaire (EMVS)
valide la pertinence d’une telle initiative européenne partenariale.
En effet, l’intérêt majeur de ce projet sur le terrain de l’éducation, telle
une recherche-action (Monceau, 2005) davantage qu’une science cogni-
tive appliquée, réside dans sa possible généralisation, voire conceptua-
lisation, comme outil pédagogique innovant, ou son implémentation en
tant que dispositif. Cette expérimentation réalisée dans de nombreuses
écoles d’Espagne, Belgique et France à l’échelle d’une période délimitée
pourrait se voir reproduite ailleurs. L’expérience « Art & Apprentissage »
doit pouvoir apporter, à la hauteur de sa pertinence, sa contribution aux
mutations du système éducatif sous éclairage neuropsychologique. L’in-
dispensable évolution didactique de l’offre d’apprentissage aux élèves te-
nue de s’alimenter des découvertes neuroscientifiques peut prendre ap-
pui de cette expérimentation neuro-artistique afin d’ouvrir de nouvelles
perspectives d’accompagnement pédagogique pour tous et pour chacun.
La maquette d’activités musicales mise en place, tel un étendard qui
rallie les aptitudes scolaires à la cause d’émancipation cognitive, libère
une nouvelle puissance de travail qui est celle de l’épanouissement per-
sonnel dans l’univers de l’école.
Un bel étend’Art du bonheur !
Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau67

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68 La petite chanson des émotions et de la motivation

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La musique à l’école
Défi pédagogique et culturel
Martine Tassin

1. L’école en quête de sens et de renouveau


J’ai tendance à penser que l’on ne peut reconstruire le métier d’en-
seignant qu’autour de la réhabilitation forte du concept de culture,
comme susceptible de fédérer l’ensemble des savoirs, éclatés et fossi-
lisés qui sont transmis par ailleurs.
(Ph. Meirieu, 1999)

Le métier d’enseignant doit en effet se reconstruire. Il est plus complexe


que jamais. Il suppose intelligence, vision, culture, ouverture d’esprit,
flexibilité, créativité, empathie…Je voudrais, avant tout, rendre hommage
aux nombreux enseignants qui s’impliquent dans cette tâche difficile et
combien importante.
L’éducation est par définition en reconstruction permanente. Au-
jourd’hui, l’école est dans une position critique. En difficulté pour prépa-
rer les enfants à un monde futur qu’elle a peine à imaginer ; en difficul-
té pour répondre aux besoins des enfants, de tous les enfants avec leurs
différences personnelles et culturelles dans une optique d’inclusion so-
ciale ; difficulté à installer chez tous le plaisir d’apprendre. Elle cherche
comment intégrer la multi-culturalité croissante, à évoluer en fonction des
nouvelles découvertes scientifiques qui bien souvent remettent en ques-
tion les pratiques habituelles, à donner du sens aux apprentissages trop
souvent découpés et cloisonnés et finalement à assurer, au-delà des ap-
prentissages de base, une éducation citoyenne. Cela se manifeste, selon
les cas, par des résultats PISA décevants, un taux de décrochage et de re-
doublements inacceptable, des différences trop marquées entre les classes
sociales notamment. Certains pays européens ont heureusement des
scores raisonnables ; d’autres multiplient les réformes et d’autres encore
remettent fondamentalement en question toute leur organisation scolaire.
70 La musique à l’école

C’est le cas à la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a mis en chantier en


2015 le « Pacte d’Excellence ». Le Pacte est un mouvement rénovateur géré
par le Ministère de l’Education. Il présente l’originalité de se construire
dans un processus de participation très large. Professeurs d’Université,
experts, enseignants, fonctionnaires du Ministère, représentants syndi-
caux, représentants des réseaux, des familles et de certaines associations
y collaborent. Ensemble ils ont déterminé les priorités pour un enseigne-
ment du XXI° siècle et décrit les principaux axes de la réforme. A ce jour,
des groupes de travail sont encore en action principalement pour conce-
voir les référentiels et préciser les modalités d’application des change-
ments souhaités. Entreprise grandiose, complexe, ambitieuse qu’il faut
saluer ! Nous espérons que les propositions finales permettront la mise
en place d’une éducation adaptée non seulement à notre société actuelle
mais à celle qui vient et dont beaucoup de modalités sont encore incon-
nues à ce jour.
Si Philippe Meireu place la culture au centre de cette refondation, notre
Pacte d’Excellence exprime aussi clairement son intention dynamique par
la culture. Il propose une « Alliance culture-école » qui se réalisera à la fois
par l’intégration d’une dimension culturelle dans les apprentissages de
toutes disciplines, par une réhabilitation des disciplines artistiques et par
des collaborations encouragées entre enseignants et opérateurs culturels,
le tout sous la responsabilité de l’enseignant titulaire. Ce travail culturel se
traduira dans un parcours d’éducation culturelle et artistique (semblable
mais non identique au parcours français) permettant à chaque enfant d’in-
dividualiser et d’équilibrer ses découvertes culturelles. Cet aspect culturel
comme « fédérateur des savoirs » acquis par ailleurs est donc fondamen-
tal. L’éducation culturelle n’est ni un cours en plus, ni simplement liée au
cours d’art. Elle est transversale.

La culture doit être abordée à l’école de manière transversale par


rapport aux différents domaines de la vie. Considérant que tous les
savoirs scolaires sont des objets de culture, nous devons nous inté-
resser à leur genèse, leurs fondements et leurs usages. (Culture et
démocratie, 2014)

Cette culture fera sens, elle facilitera les liens interdisciplinaires, posera
des repères, installera le plaisir d’apprendre (sans dogme ni vérités abso-
lues). Elle incitera au regard interrogatif, critique, créatif et philosophique.
Martine Tassin71

C’est un changement de paradigme ne nécessitant aucune modification


institutionnelle. Elle repose sur la compétence en pédagogie culturelle et
transversale de l’enseignant.

La culture est une dimension nécessaire de tout savoir et de tout


apprentissage, à tous les niveaux taxonomiques : dans ce cas-là,
tout savoir doit être enseigné comme culture, au sens de Brunner.
C’est-à-dire enseigné dans un récit qui lui donne sens, articulé à
l’histoire de ceux qui l’ont construit, remis en perspective au regard
d’un environnement notionnel et civilisationnel, repris dans une
démarche de création personnelle et collective. (P. Meirieu, 1999,
p. 4)

Il s’agit là, à nos yeux, d’une urgence psychologique et pédagogique mais


aussi politique et sociétale. En effet, chacun a droit à une éducation cultu-
relle. Droit et besoin de comprendre son environnement, droit et besoin
d’identifier ses racines et les repères culturels communs pour construire
son identité plurielle. Sur le plan pédagogique, les responsables cherchent
en vain des modes d’« accrochage » scolaire. L’insertion sociale et cultu-
relle sans omettre l’intégration de diverses cultures, sont aussi des objec-
tifs d’actualité et dans notre système politique, qui se veut démocratique,
le respect de ces droits individuels mais aussi la préoccupation d’une
meilleure justice sociale sont évidemment prioritaires.
Et si la culture donnait des éléments de réponse à tous ces besoins !

Apprendre, ouvrir les portes encore fermées, sur ce savoir accumulé.


Qu’on lui donne un jour la clé, il a le monde à sa portée. (Y. Duteil,
20011)

Et si la culture fournissait cette clé !


Encore faut-il préciser de quelle culture l’on parle car ce concept est
équivoque. Selon nous, même si elle les inclut, la culture à l’école, ne peut
se confondre ni avec l’art ni avec le mode de vie, le folklore, la culture gé-
nérale et encore moins avec un pur loisir. Elle doit être à la fois élitiste et
de masse, héritée et construite, du passé et du présent ; elle doit s’inscrire
dans le quotidien tout en le dépassant.

1 https://www.paroles.net/yves-duteil/paroles-apprendre ; dernier accès 29. 3. 2019.


72 La musique à l’école

L’école délivre souvent des savoirs sans saveur et c’est précisément


là qu’est le drame. Il nous faut, de toute urgence, élaborer une gas-
tronomie de la connaissance pour sortir du modèle « fast food » dans
lequel nos éducations nationales se sont enfermées. (Aberkane, I.
2016, p. 165)

Et si la culture était l’ingrédient manquant à ce banquet gastronomique !


Le Québec, avec sa notion de « rehaussement culturel » bien intégrée
dans les programmes est un exemple pour nous. La France est également
engagée dans cette voie de promotion de l’éducation artistique et cultu-
relle.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, les Ministères de l’Education et de
la Culture ont mis en place depuis de nombreuses années une « Cellule
Culture-Enseignement » qui encourage et soutient le partage de compé-
tences. De nombreuses associations et opérateurs culturels proposent et
réalisent depuis longtemps des collaborations avec les écoles, ce qui ne
peut qu’être bénéfique. Celles-ci se multiplient et se diversifient de plus
en plus pour le bien de nos jeunes. Parmi ces associations (je ne peux les
nommer toutes), « Culture et Démocratie » fait un travail énorme de réha-
bilitation de la Culture, même à l’école, « Educart » revalorise l’éducation
artistique et l’asbl Cellule Epicure que je préside depuis 2004, participe
modestement mais avec détermination à la promotion d’une Pédagogie
culturelle dans les écoles. Outils didactiques, publications, collaborations,
accompagnements, séminaires, rencontres, sont proposés pour soutenir
les enseignants dans cette démarche. L’objectif est d’inciter à ouvrir les
portes des écoles, de préparer les enfants à mieux comprendre le monde
en perpétuelle mouvance, un monde dans sa réalité, sa diversité, ses va-
leurs, ses traditions, son histoire, ses modes d’expression. Nous espérons
ainsi créer une nouvelle dynamique en leur offrant de nouvelles occa-
sions de vivre le plaisir d’apprendre et de créer dans le respect de chaque
culture mais aussi et surtout de « notre » culture, base commune de notre
société.
La musique et l’art à l’école s’inscrivent, selon nous, dans un objectif
plus vaste d’immersion culturelle. Il ne s’agit pas de se contenter d’abor-
der techniquement la musique, le rythme, le chant, mais plutôt de propo-
ser des apprentissages contextualisés et transversaux comme reprendre
des chants des soldats de 14 – ​18 (P. Schevers : projet réalisé au secondaire)
ou découvrir Monsieur Mozart (C. Ferauge : projet réalisé en maternelle)
Martine Tassin73

ou mener un projet « Opéra- La flûte enchantée » (B. Levêque, M. Oppliger


et P. M. Mulquin : projet en primaire). Nous souhaitons une culture inté-
grée et intégrante, mise en place par des enseignants, « passeurs culturels
(J. M. Zakhartchouk, 1999), ou médiateurs ou lieurs » (C. Gohier, 2002)
Et si nous pratiquions dans tous les cours une « Pédagogie culturelle » !
(M. Tassin, 2011).

2. L’éducation artistique à intégrer


Si l’éducation culturelle est trop peu présente actuellement dans les
écoles, on peut s’inquiéter aussi de voir combien l’éducation artistique
y a été malmenée ces dernières décennies. En effet, l’art a souvent affi-
ché sa différence par rapport aux sciences et disciplines rigoureuses
mieux valorisées dans une conception scolaire traditionnelle où l’intelli-
gence cognitive était presqu’exclusivement stimulée. Même si H. Gardner
(1983) et D. Goleman (1995) notamment, ont réhabilité d’autres intelli-
gences parmi lesquelles la musicale et l’émotionnelle, l’art n’a pas repris
sa place à l’école au même titre que les autres disciplines. Une école qui
se voulait « fonctionnelle » avait aussi peine à inclure des approches peu
« utiles ». Et que dire de la pédagogie par objectifs (observables) bien en
difficulté pour « capturer » l’appréciation esthétique, l’expression et la
créativité ?
Et si nous cultivions l’inutile (Carasso, 2005), les différentes intelli-
gences et la pensée alternative en intégrant l’art au cursus scolaire.
Et si nous considérions aujourd’hui les activités artistiques non en op-
position mais en appui des apprentissages de base !

3. L’éducation musicale à promouvoir.


Plus de musique…pour ré-enchanter l’école
La musique fait partie intégrante de la culture dans toutes les sociétés. Elle
était déjà, considérée comme une composante essentielle par les Grecs.
Elle est et a toujours été un moyen privilégié d’expression et de cohésion
sociale. Observons aussi les jeunes (et moins jeunes) avec leurs écouteurs
et l’omniprésence de la musique dans la sphère publique pour juger de
74 La musique à l’école

sa place dans notre société aujourd’hui. Elle s’impose partout dans les
restaurants, les métros, les publicités, à la TV, au cinéma…Partout sauf à
l’école ! Pourquoi ?
La musique apparaît aussi naturelle que le langage puisque les bébés
(et même les fœtus) l’apprécient clairement. Pourquoi n’est-elle dès lors
pas travaillée systématiquement à l’école ?
De nombreux chercheurs ont voulu démontrer2, depuis des années,
que la musique, en plus du plaisir qu’elle procure, a des effets positifs sur
le développement des enfants. Ils n’ont pas eu l’effet escompté.
Chez les scientifiques comme chez les philosophes et les artistes, la
musique est souvent décrite comme un art « hors norme » particulière-
ment complet, touchant l’être tout entier. Art complet et complexe, mou-
vant et émouvant, abstrait et corporel, individuel et social.

Vu que la musique est à la fois intelligible et intraduisible, le créa-


teur musical est un être comparable aux dieux et la musique, le mys-
tère suprême de la science de l’homme. (Lévi-Strauss,1964, p. 26)
La musique est différente des autres arts parce qu’elle nous parle
de façon directe : elle transcende les idées. (Schopenhauer, 1966,
p. 658)

Aujourd’hui les sciences cognitives (P. Lemarquis, 2009, I. Peretz, 2018)


confirment ces effets positifs sur le développement psychologique et co-
gnitif de chacun. C’est encore plus évident chez le jeune enfant vu la plas-
ticité de son cerveau, mais cela vaut pour tous, même pour les personnes
âgées. Comme art complet, on peut comprendre l’activation de différentes
aires cérébrales et de nombreuses connexions entre elles lors d’une telle
imprégnation.
La musique faisant partie de la culture, elle se justifie déjà dans le cur-
sus scolaire. De plus, elle ouvre l’esprit, stimule la créativité et élargit les
expériences au-delà du cognitif et du disciplinaire. Il convient dès lors
d’investir davantage cet univers musical.

2 Ellen Winner – Thalia R. Goldstein – Stephan Vincent – Lancrin – Laurent Lefebvre – Su-
san Hallam – Loïs Hetland – Kalmar – Danielle Pankowski – Nina Kraus – Régine Kolinsky
Pierre – Marie Dizier – Irvine – Gardner – Tomatis – Rauscher – Lozanov – Orff – Dalcroze –
Suzuki – Kodaly – Storr A – Catterall – James S. – Dumais – Susan A. – Hampden Thomp-
son – Gillian – Filiod Jean-Paul – Alain Kerlan – Eurydice – Anne Bamford – Unesco – Aus-
tralia Council for the Arts – IFACCA – A. Lowe –…
Martine Tassin75

Plus de musique à l’école oui, mais quelle musique proposer aux enfants,
quels aspects musicaux travailler ? Il y a musique et musique. Tout n’est
pas nécessairement formatif. Tout dépend des objectifs poursuivis. Veut-
on apprendre aux enfants à chanter, à participer à une chorale, à écouter
des musiques d’époques et d’horizons multiples, à jouer d’un instrument,
à interpréter, à composer, à improviser, à s’exprimer ? S’initier au solfège,
pratiquer des exercices de rythme, s’interroger sur le sens et le contexte
culturel d’une musique…restent aussi possibles. A chaque fois, ce sont
des compétences différentes qui sont mises en jeu, des méthodes et des
effets attendus différents. Dès lors, le défi consistera à déterminer ce que
tous les enfants peuvent (doivent) apprendre à l’école à quel âge et cibler
judicieusement les savoirs, savoir-faire et savoir être qu’il veut installer
dans chaque type d’activité. Cela nécessite déjà de la part des enseignants
une formation pédagogique solide.
Et si les recherches nous aidaient à « composer » les activités musi-
cales !
Certains chercheurs (Bamford, 2006) estiment que finalement le plus
déterminant n’était pas le domaine – la musique, le théâtre ou le dessin –
ni même les activités musicales choisies mais la manière de les enseigner.
Tout serait dans la méthode !
Partant de l’idée qu’il n’existe pas « une » bonne méthode mais seule-
ment des propositions qui doivent s’adapter à des situations diverses et
surtout aux enfants que nous voulons éveiller, quelles seraient les condi-
tions favorables à un bon apprentissage musical ?.
Les sciences cognitives nous en révèlent quelques-unes notamment la
motivation, l’engagement actif, la flexibilité mentale, le feed-back ou re-
tour sur l’erreur, l’espacement des activités, l’importance du repos (nuits
complètes et/ou siestes). (O. Houdé, 2018).
De notre point de vue, que nous dirons plutôt « péda-logique », nous
nous limiterons à proposer trois principes méthodologiques qui nous sont
chers :

a) Privilégier, avant tout, le plaisir esthétique, dans une optique globa-


lisante. Comme le dit bien O Houdé, (2018, p. 119), l’enseignant peut
jouer son rôle d’« incitateur d’émotions », et la musique et l’art en géné-
ral peuvent largement y contribuer ! Face à une œuvre, l’enfant (et l’adulte
aussi d’ailleurs) peut simplement se laisser bercer par la beauté et la dé-
couverte, sans objectif autre que celui de prendre plaisir et c’est déjà très
76 La musique à l’école

important. Et si le plaisir esthétique, (qu’il soit actif ou passif) était l’ob-


jectif premier !

b) Apprendre à apprécier

Au-delà de ce plaisir passif, nous devons découvrir la musique qui


nous fera participer activement au fonctionnement d’un esprit
qui ordonne, donne vie et crée. (Stravinski, 1947)

Lors de toute activité culturelle, le processus d’appréciation passe par


4 types de démarches. Au musée par exemple, vous ne vous contenterez
pas d’observer. Probablement ressentirez-vous le besoin de toucher (dis-
crètement) des sculptures, de vous exprimer, de faire des commentaires,
de retenir des techniques pour les appliquer ensuite à la maison, vous
vous interrogerez, chercherez des informations, comparerez avec d’autres
œuvres, et partagerez ensuite vos découvertes. Le processus sera sem-
blable à un concert : observation (écoute et observation des musiciens, des
instruments…), appropriation (ressentis, émotions, bercement du corps
selon le rythme…), recherche (interrogation, comparaisons, analyse de
l’impact de chaque instrument…) et enfin, communication ou création.
Qu’il s’agisse d’une œuvre, d’une technique, d’un concept ou d’une activi-
té artistique, musicale ou autre, l’enfant observera, s’appropriera (surtout
par le jeu), recherchera puis communiquera (ou créera). L’équilibre entre
ces 4 étapes garantit le processus d’appréciation !

c) Intégrer la musique. La nécessité d’une intégration interdisciplinaire


revient dans diverses études expérimentales. L’enseignement élargi de la
musique, l’intégration des arts sont d’ailleurs à l’ordre du jour en Suisse.
En effet, la recherche s’oriente actuellement sur les modalités de combinai-
son des disciplines artistiques avec les autres disciplines. Elles ne doivent
plus être considérées isolément mais en « harmonie », dans leur lien épis-
témologique et interdisciplinaire. Il ne s’agit donc pas, au fondamental,
de remplacer les instituteurs par des professeurs spécialistes, mais d’in-
citer les instituteurs généralistes à intégrer les arts dans leur programme
d’apprentissage. Au secondaire, ce sera sur le travail d’équipe interdisci-
plinaire que l’éducation artistique trouvera tout son sens. L’art ne gagne-
rait pas à être mis à l’écart.
Martine Tassin77

Et si nous pratiquions une « pédafolie » musicale (c’est-à-dire cultu-


relle, créative, transversale et englobante) !

4. La musique, comme « instrument »


d’apprentissage
Beaucoup d’expériences citées plus haut montrent de nombreux effets
« externes » de la musique, tant sur le plan cognitif que moteur, psycholo-
gique, social ou culturel. En effet, l’activité musicale peut être un bon mo-
teur d’apprentissage de l’observation (de thèmes, rythmes, structures, sy-
métries, répétitions…), de l’exploration (sélection, classification…), de la
structuration du temps, de la concentration, de la socialisation ou même
plus précisément de la numération ou des fractions.
La personne qui joue d’un instrument travaille sa psychomotricité. Le
plaisir de l’expérience esthétique peut exciter l’imagination, le dépasse-
ment de soi et la créativité et dans d’autres cas il amènera la détente et
la méditation. Selon les activités proposées et la manière de l’enseigner,
la musique peut être aussi un magnifique instrument de communica-
tion et de consolidation sociale. Voyons comme les chants populaires ras-
semblent et égayent, comme les chants militaires procurent force et cou-
rage, comme les chorales harmonisent un groupe. La musique permet
aussi des rencontres, une meilleure compréhension de la vie humaine, de
son sens, des expériences de la diversité (individuelle, culturelle, sociale,
générationnelle) et une participation culturelle.
Si la musique peut donc avoir de tels effets « externes », l’enseignant
pourra l’utiliser comme moyen privilégié pour aborder des contenus de
tous types. Ce serait un puissant facilitateur d’apprentissage. Proposer
5 minutes d’écoute musicale avant de se concentrer sur une tâche diffi-
cile en mathématiques ; commencer la journée par des chants collectifs
pour s’animer et cimenter le groupe-classe ; faire quelques exercices de
rythmes pour corporaliser des notions mathématiques ; partir de l’écoute
d’une symphonie de Prokofiev pour découvrir un personnage fascinant et
son époque en histoire ; choisir une musique comme point de départ à la
création d’une comptine, chanson ou histoire. La musique peut servir de
lien à de nombreux apprentissages. Lier l’apprentissage des fractions avec
le rythme, de phénomènes physiques (acoustique) avec les instruments
78 La musique à l’école

de musique, de la poésie avec la mélodie, l’étude d’un pays avec les mu-
siques traditionnelles etc.
Et si nous permettions aux enfants d’apprendre grâce (au travers de,
par, dans, avec, à partir de…) à la musique qui donnera sens et saveur aux
apprentissages !

5. La musique, l’art et la culture à l’école,


un problème de société !
Afin de relever ces défis, certaines structures devront être mises en place.
Chaque communauté devra déterminer un horaire minimum d’éducation
musicale pour ses écoles. On est en droit d’espérer une éducation musi-
cale tout au long de leur scolarité pour tous les enfants.
Pour ne pas se limiter à des cours purement disciplinaires, il serait
utile aussi que chaque école inscrive une dimension culturelle dans son
projet et que des partenariats et partages de compétences soient favorisés
(financièrement et pédagogiquement). De cette manière, les activités ar-
tistiques et culturelles pourraient être travaillées en co-construction entre
enseignants généralistes et spécialistes ou opérateurs culturels.
Une attention particulière devrait être accordée à la formation et au
soutien des enseignants : formation initiale et continuée exigeante centrée
sur la pédagogie. Nous avons besoin de pédagogues généralistes capables,
surtout au fondamental, d’aborder la musique, les arts et la culture sous
ses divers aspects formatifs. Des enseignants qui privilégient la dimen-
sion culturelle et transversale des savoirs, pratiquent une interdisciplina-
rité systématique, suscitent avant tout le plaisir d’apprendre. Ils amènent
ainsi les enfants à réfléchir sur le sens de leurs activités. Les universités et
écoles de formation d’enseignants ont donc un grand rôle à jouer.

Pour faire réussir nos enfants, il faut faire réussir nos profs.
(Aberkane, I. 2016 p. 173)

Une mise à disposition d’outils pédagogiques, de référentiels attirants,


regorgeant d’idées et un soutien pédagogique seront sans doute plus
qu’utiles. Un partage de bonnes pratiques pourrait aussi participer à cette
dynamique culturelle.
Martine Tassin79

Enfin, les media ne sont pas en reste. Pourquoi ne pas les solliciter
pour redonner à l’éducation, à l’art et à la culture toute leur valeur. L’en-
seignement et plus particulièrement l’éducation artistique et culturelle
méritent bien une campagne de pub !
Et si nous orchestrions les moyens. La créativité et la détermination de
chaque intervenant seront nécessaires pour composer cette œuvre sym-
phonique !
En conclusion, pour repenser l’école, on peut commencer par revoir sa
pédagogie. Eduquer « à » la culture et « par » la culture, « à » l’art et « par »
l’art, « à » la musique et « par » la musique, en reliant significativement les
apprentissages dans une optique citoyenne. Ce serait déjà une réforme
fondamentale dynamisante et pourtant très accessible et peu coûteuse.
80 La musique à l’école

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La musique…dans l’ADN
d’une école fondamentale !
Dominique Verlinden

1. Genèse et philosophie…
Notre société traverse une période à la fois inquiétante et passionnante…
Inquiétante tant l’avenir même de l’Humanité est désormais objective-
ment menacé ; passionnante tant les défis qui s’imposent à nous sont mul-
tiples, tant la mobilisation citoyenne ne cesse de s’accroître pour vérita-
blement « changer le système », protéger l’environnement et le climat, et
réclamer davantage de justice sociale.
Dans le contexte de cette volonté massive de changement global,
l’École n’est pas épargnée ; elle se situe même au croisement de toutes ces
préoccupations…Nombreux en sont en effet les acteurs qui prennent au-
jourd’hui conscience que l’École doit évoluer vers des pratiques moins
normatives, s’adapter aux réalités du monde et faire bouger les lignes,
les habitudes, les traditions, trop confortablement inscrites dans son fonc-
tionnement quotidien.
Dans un milieu scolaire privilégiant traditionnellement les intelligences
linguistique et logico-mathématique, il devient de plus en plus évident
que l’École se doit de rééquilibrer les formes d’intelligence qu’elle mobi-
lise. Les compétences intra et interpersonnelle, kinesthésique, environne-
mentale et artistique méritent désormais de trouver leur véritable place au
sein de l’Institution scolaire. Elles sont potentiellement gratifiantes pour
des enfants a priori moins performants dans les deux intelligences sco-
laires « traditionnelles » et peuvent très naturellement constituer un pas
supplémentaire vers une école de la réussite et de la bienveillance. De
surcroît, ces « soft skills » sont désormais particulièrement appréciées sur
le marché du travail ; les parcours professionnels se diversifient et né-
cessitent de fortes capacités relationnelles, d’adaptation et de créativité
voire d’inventivité. Autant de compétences qu’il convient de développer,
84 La musique…dans l’ADN d’une école fondamentale !

non au détriment, mais réellement en parallèle avec les compétences plus


« classiques ».
En Belgique francophone, depuis des décennies, les programmes sco-
laires ont, certes, toujours réservé une place aux matières artistiques. Les
derniers en date, les « Socles de Compétences »1, parus en 1999, ne fai-
saient d’ailleurs que le confirmer. Dans leur chapitre réservé à l’éducation
artistique, le législateur y définit très clairement les objectifs à poursuivre
à l’école fondamentale :

Les objectifs de l’éducation artistique s’intègrent naturellement


dans les grands objectifs de l’enseignement. L’éducation artistique
peut et doit y tenir sa place comme toute activité éducative ; elle est
éveil dans son essence : éveil à soi, aux autres, au monde.
En initiant aux différents arts, l’école se doit de :
••Sensibiliser à toutes les formes d’expression, notamment en exer-
çant les perceptions visuelles et auditives ;
••Faire acquérir des techniques permettant d’accéder à la maîtrise
objective des « choses de l’art », de se dépasser pour atteindre la
créativité ;
••Traiter et structurer les savoirs pour qu’ils deviennent transfé-
rables ;
••Participer à la formation équilibrée pour que chacun découvre et
construise sa personnalité.
Et, ce faisant, développer des comportements (autonomie, esprit cri-
tique, tolérance,…) tels que l’élève puisse acquérir une qualité de vie
en devenant citoyen du monde, responsable donc libre.
Bref, même si tous les jeunes ne peuvent devenir des artistes, du
moins leur sensibilité peut-elle être éveillée pour provoquer quelque
plaisir esthétique et des compétences peuvent-elles être développées
pour qu’ils puissent explorer leurs capacités créatrices.

1 Ministère de la Communauté française de Belgique (1999). Socles de compétences. Ensei-


gnement fondamental et premier degré de l’enseignement secondaire. Bruxelles : Moniteur belge.
Dominique Verlinden85

Pourtant, force est de constater que les activités musicales demeurent, au-
jourd’hui encore, l’un des parents pauvres du quotidien scolaire de nos
enfants. La faute, prioritairement, à une formation initiale des enseignants
qui ne laisse qu’une part dérisoire à ces activités : dans les Hautes Écoles,
en trop peu de temps, on tâche en effet de dispenser quelques rudiments
de solfège, on apprend quelques chansonnettes et on découvre quelques
activités-types…Les étudiants, très souvent dépourvus de toute forma-
tion et de culture musicale personnelle, n’apprennent donc pas à maîtriser
les notions fondamentales leur permettant d’explorer la richesse et la di-
versité des activités musicales et donc de les envisager -avec créativité, as-
surance et enthousiasme- dans leurs futures classes…La faute aussi à un
système scolaire qui, globalement, considère que les enseignants du fon-
damental (niveaux maternel et primaire), en bons généralistes, sont d’of-
fice capables d’œuvrer avec efficacité dans des domaines aussi disparates
que le français, les mathématiques, les sciences, l’histoire, la géographie,
l’actualité, les arts plastiques, la musique,…
Or, la tâche qui incombe à l’éducateur musical est loin d’être simple,
surtout dans la formation de débutants, et ce quelle que soit la finalité de
son enseignement. Il doit être en mesure de proposer une progression pé-
dagogique construite et adaptée à ses groupes, tant aux niveaux vocal,
psychomoteur et didactique que du point de vue de la formation musi-
cale2, le cas échéant. Pour ce faire, une bonne maîtrise des compétences à
enseigner est l’une des conditions primordiales. Parmi les savoirs et sa-
voir-faire techniques et d’ordre culturel, une solide réflexion pédagogique
est également nécessaire pour présenter une matière qui peut procurer à
une classe de vrais moments de plaisir, tout comme des heures d’ennui
mortel, selon la façon dont on l’aborde. L’enseignement de la musique est
donc bien, en complément des initiatives de l’enseignant-généraliste, une
affaire de spécialistes !
Forte de ces constats, consciente du nivellement par la culture de
masse et de la perte des traditions culturelles, voilà de nombreuses an-
nées que l’équipe pédagogique de notre école3 s’est engagée dans une ana-
lyse pointue de sa situation dans ce domaine et dans une réflexion appro-
fondie sur les initiatives à mener pour donner aux activités culturelles et

2 Anciennement : « solfège ».
3 Ecole communale du Centre – Bruxelles (Uccle) – Belgique – www.ucclecentre.net ; der-
nier accès 29. 3. 2019.
86 La musique…dans l’ADN d’une école fondamentale !

artistiques – et plus particulièrement musicales – la noble place qui est la


leur en son sein.
Au fil du temps, d’initiatives simples mais essentielles, en partenariats
avec des acteurs culturels de qualité, l’enthousiasme collectif de toute
notre communauté scolaire (professionnels, enfants et parents compris)
n’a cessé de s’accroître…Au-delà de nos collaborations régulières avec
les Jeunesses musicales4, les projets menés avec ReMuA5, avec le Théâtre
royal de la Monnaie6 et avec Bozar7 ont achevé de nous convaincre de
l’intérêt supérieur de nos démarches. Nul n’est en effet resté insensible à
l’incidence des apprentissages musicaux sur les apprentissages scolaires
et sociaux de nos élèves. La musique s’est rapidement confirmée être un
moyen d’expression particulièrement valorisant et favorisant l’épanouis-
sement de leur personnalité tout entière. L’expérience sonore et musicale
permet en effet, généralement, au jeune enfant de parvenir à une relation
harmonieuse entre les niveaux affectif, corporel et intellectuel. La pratique
musicale met en jeu des facultés telles que l’écoute, l’attention, la mémoire,
l’imagination, le rythme et aussi la rigueur, le goût de l’effort, le respect
des règles, des autres et de soi-même. Ces exigences se retrouvent dans
les autres matières enseignées dans le cadre de son éducation scolaire, et
par extension dans le développement de sa citoyenneté. La créativité est
au centre de toutes les productions sonores et musicales, celles-ci permet-
tant à l’enfant de la manifester et de la développer tout en s’épanouissant,
en affirmant sa personnalité et sa sensibilité, et en continuant à grandir et
à apprendre en toute confiance. Sans oublier la dimension sociale des ac-
tivités musicales, qui, en leur proposant d’œuvrer ensemble, de s’écouter,
de se soutenir, d’être solidaires et porteurs d’un projet commun, parti-
cipent indéniablement à renforcer les liens entre enfants.
De telles expériences ponctuelles, de telles réflexions, de telles obser-
vations concrètes et enthousiasmantes et rassembleuses ont eu pour ef-
fet de vouloir les inscrire définitivement « dans les gênes » de notre école,

4 Jeunesses musicales (www.jeunessesmusicales.be) : Spectacles musicaux en temps sco-


laire et extrascolaire.
5 ReMuA (Réseau des Musiciens-intervenants en Ateliers – www.remua.be) : Projets
« Chœur à l’école » (2011 – ​2012 et 2012 – ​2013) et « Orchestre à l’école » (2011 – ​2012, 2012 – ​
2013, 2013 – ​2014).
6 Théâtre royal de la Monnaie (www.lamonnaie.be) : Community Project de La Monnaie
2013 – ​2014 : Opéra « Sindbad, a journey through living flames ».
7 Bozar (www.bozar.be) : Projet « Cantania » (2014 – ​2015).
Dominique Verlinden87

de faire de la musique un axe central de notre projet d’établissement, de


mettre en œuvre un projet pédagogique global, innovant et ambitieux,
porté par une équipe éducative motivée et soudée autour de ses convic-
tions. Ainsi, grâce au soutien engagé et éclairé, des autorités communales
d’Uccle, l’École communale du Centre a-t-elle pu dépasser les freins et
obstacles institutionnels et s’engager dans une voie ambitieuse et inno-
vante en devenant, dès le mois de septembre 2015, la première école « à
rayonnement musical » en Fédération Wallonie-Bruxelles !
Alors que de tout temps et partout dans le monde, la musique et la
danse semblent souvent spontanément présentes et profondément an-
crées dans le quotidien et les traditions des peuples, celles-ci semblent,
dans nos contrées, être plutôt réservées à une élite sociale et culturelle et
enseignées de façon très académique…Nous avons, quant à nous, ambi-
tionné de proposer de la musique pour tous, non dédiée à des génies ou à
des virtuoses mais offerte à chacun de nos élèves, des plus petites classes
maternelles aux grandes classes primaires…Un véritable cadeau au ser-
vice d’une formation rigoureuse, ouverte sur le monde et respectueuse
des spécificités de chacun.

2. Dans la pratique…
Au fil des ans et des expériences passionnantes que nous avons menées
avec nos élèves dans le domaine musical, il nous est apparu comme une
évidence, une nécessité, de faire en sorte que de telles activités s’ancrent
définitivement dans le quotidien de nos élèves, s’intègrent à un projet
d’école réfléchi et pérenne, et ne dépendent donc plus du caractère aléa-
toire de telle subvention ponctuelle ou de telle proposition de collabora-
tion avec un organisme culturel extérieur.
Très au fait de nos expériences diverses en la matière, les autorités
communales d’Uccle, tant pédagogiques que politiques, ont toujours sou-
tenu nos initiatives et participé à nos réflexions ; elles ont finalement déci-
dé de prendre financièrement en charge ce projet pédagogique spécifique,
unique en Fédération Wallonie-Bruxelles, à concurrence d’un emploi et
demi8. Rien ne permet, en effet, jusqu’ici, de faire subventionner par la Fé-

8 Equivalent de 36 périodes hebdomadaires de cours de 50 minutes.


88 La musique…dans l’ADN d’une école fondamentale !

dération Wallonie-Bruxelles, des enseignants de matières artistiques dans


l’enseignement fondamental, au contraire de l’enseignement des langues,
de l’éducation physique ; sans parler de la singularité belgo-belge9 rela-
tive aux cours de philosophie/citoyenneté, de morale non confessionnelle
et de religions diverses…
On pourrait ici déplorer les choix stratégiques et philosophiques des
responsables politiques en Fédération Wallonie-Bruxelles et, à tout le
moins, les encourager, compte tenu du caractère appréciable et scienti-
fiquement étayé par d’innombrables études scientifiques de la pratique
musicale et de leur effet positif sur les compétences scolaires et sociales
des élèves, à laisser davantage de liberté aux écoles et aux pouvoirs orga-
nisateurs pour affecter les subventions liées aux dispositifs d’adaptation/
remédiation à d’autres profils que des instituteurs primaires. Des maîtres
de musique (mais aussi des logopèdes) pourraient dès lors être engagés
sans contraintes budgétaires pour les pouvoirs locaux.
Qu’à cela ne tienne…À notre niveau, une fois le cadre de financement
fixé, la phase de recrutement pouvait démarrer. Contrairement à ce que
nous imaginions, celle-ci ne fut pas aisée…Les maîtres de musique, dis-
posant d’une formation rigoureuse tant sur le plan musical que pédago-
gique et désireux de travailler en temps scolaire, avec des groupes classes
de tous âges, entre 2 ans et demi et 12 ans, ne sont en effet pas légion. Très
vite, nous nous sommes aussi rendu compte que de tels professionnels
n’avaient pas forcément la stabilité des instituteurs/trices maternel(le)s
et primaires et que, régulièrement, certains nous quittaient pour explo-
rer d’autres voies professionnelles et d’autres projets artistiques, néces-
sitant de nouvelles recherches de collaborateurs, de nouveaux processus
d’intégration, de nouvelles réflexions et remises en question. Il s’agit là
d’une observation fondamentale puisque, si des initiatives similaires à
celle de l’école communale du Centre devaient se multiplier, elles seraient

9 En Belgique, la Constitution impose aux écoles primaires et secondaires l’organisation de


deux périodes hebdomadaires de cours philosophiques. En Fédération Wallonie-Bruxelles,
depuis septembre 2016, une de ces deux périodes hebdomadaires est d’office réservée à un
cours de philosophie/citoyenneté pour l’ensemble des élèves d’une même classe. La seconde
période hebdomadaire relève d’un choix parental : les parents peuvent opter pour leurs en-
fants pour une seconde heure de philosophie/citoyenneté ou pour un cours de morale non
confessionnelle, de religion catholique, de religion protestante, de religion islamique, de re-
ligion orthodoxe, de religion israélite. Soit 7 choix différents et autant de membres de per-
sonnel se répartissant les enfants d’un même groupe d’âge ! Une ineptie pédagogique, phi-
losophique et politique, doublée d’une gabegie financière…
Dominique Verlinden89

confrontées aux mêmes difficultés. Le développement, ou du moins l’ex-


pansion de filières de formation de musiciens-pédagogues, est donc une
nécessité.
Des solutions à cette double problématique « budget-recrutement »
pourraient sans doute être trouvées dans un processus de décloisonne-
ment entre académies et écoles de jour : des professeurs d’académies, qui
doivent souvent répartir leurs horaires entre différents pouvoirs organi-
sateurs, pourraient dès lors, dans une gestion plus intelligente des res-
sources humaines subsidiées en Fédération Wallonie-Bruxelles, prester
une partie de leur temps dans les écoles de jour.
Sur le plan pédagogique, l’idée initiale a d’emblée été d’intégrer les
activités d’éveil musical au quotidien des classes maternelles, au travers
d’activités en groupes complets et en demi-groupes, de manière à pro-
poser des moments de travail exclusivement à charge des maîtres de
musique, d’autres moments communs aux maîtres de musique et aux
titulaires de classes (en co-animation ; des moments susceptibles d’obser-
vations et de réflexions communes, des moments à valeur formative éga-
lement) et, enfin, de périodes d’animation relevant de la seule responsa-
bilité des titulaires de classes et s’inscrivant dans la continuité des autres
activités musicales.
En section primaire, la Fédération Wallonie-Bruxelles impose l’orga-
nisation d’un horaire hebdomadaire comptant 28 périodes de cours de
50 minutes. Elle autorise l’extension de cet horaire à 31 périodes hebdo-
madaires pour permettre la mise en œuvre de projets spécifiques. C’est
bien entendu la voie que nous avons exploitée de manière à implémen-
ter notre projet musical sans qu’il ne s’organise au détriment des activi-
tés de base.
Globalement, on observe au sein de l’école, et selon les âges, des activi-
tés de chant d’ensemble, de formation musicale10, d’histoire et de culture
musicale, de manipulation d’instruments (essentiellement de percus-
sions), de rythme et de danse. S’ajoutent à cela les moments de regroupe-
ment de l’ensemble de la section maternelle et/ou de la section primaire
(« tutti »), le travail de notre ensemble orchestral (en temps extrascolaire)
et l’opportunité pour l’ensemble de nos élèves en âge primaire de béné-
ficier, de manière facultative et en période extrascolaire, des activités de

10 Anciennement : « solfège ».
90 La musique…dans l’ADN d’une école fondamentale !

l’Académie de musique d’Uccle11, implantée dans nos bâtiments scolaires.


Celle-ci leur propose principalement des cours de formation musicale col-
lective et de pratique instrumentale individuelle (gratuitement pour la
tranche 6 – ​18 ans).
Il va de soi qu’un tel projet nécessite des remises en question, des ré-
flexions et des réaménagements réguliers, pour que tous – maîtres de mu-
sique et titulaires de classes – y apportent leur touche personnelle et le
fasse évoluer. La participation de notre école à des projets de recherche di-
vers, à des rencontres nationales et internationales régulières, à des confé-
rences et des formations spécifiques,…, génère également une saine et
permanente émulation au sein de l’équipe.
Car, si le dispositif global mis en place sur le plan musical depuis plu-
sieurs années au sein de notre école génère très clairement de nombreuses
satisfactions, il reste évidemment perfectible ! Il ne gardera un intérêt op-
timal que si, collectivement, nous avons le souci constant de remettre
l’ouvrage sur le métier et de poser un regard lucide et objectif sur nos
pratiques individuelles et collectives, en ne banalisant pas un projet ex-
ceptionnel, en ne le transformant pas en une sorte d’acquis confortable…

3. Une opportunité exceptionnelle…


Aussi, lorsque l’occasion de participer activement au Projet Erasmus+,
« La musique au service des difficultés d’apprentissage », orchestré par
l’asbl Educ’Art et financé par l’Union européenne, s’est-elle présentée,
n’avons-nous pas hésité à nous engager ! Elle fut en effet une occasion
très concrète de partager nos propres expériences et convictions, mais
aussi, grâce à l’astucieuse association de profils différents et complémen-
taires tels que des instituteurs/trices maternel(le)s et primaires, des direc-
tions d’écoles, des logopèdes, des grapho-thérapeutes, des professeurs de
musique, des chercheurs en sciences psychologiques et de l’éducation,…,
de profiter de l’expertise de nombreux partenaires. Les rencontres inter-
nationales et les voyages d’étude furent en outre ressentis par les ensei-
gnantes qui y prirent part comme autant d’opportunités de prendre leurs
responsabilités, de porter le message positif et constructif qui est le nôtre,
de se plonger dans des lectures pointues, d’endosser une posture d’« en-

11 www.aca-uccle.be ; dernier accès 29. 3. 2019.


Dominique Verlinden91

seignantes-chercheuses », de goûter à des pratiques collaboratives et de


vivre des expériences trop rares dans une carrière d’enseignant.
Reste désormais à espérer que notre projet pédagogique et nos convic-
tions soient contagieuses, que de nouvelles initiatives porteuses d’art et
de culture voient le jour dans de nombreuses écoles et que le monde po-
litique mette en place des règlementations destinées à les encourager et à
en faciliter la mise en œuvre !
Musique et Communautés
d’Apprentissage
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria

Dans le chapitre présent, on expose les résultats de l’étude sur l’éducation


musicale conçue comme une activité performative faite dans une école de
Maternelle et de Primaire reconnue comme Communauté d’Apprentis-
sage et située dans une ville au sud de l’Espagne. Avec cette étude, l’on
prétend l’inclusion de l’Éducation Musicale Performative comme alterna-
tive aux réunions musicales dialogiques qui, avec les réunions littéraires dia-
logiques1, conforment un des axes fondamentaux de toute Communauté
d’Apprentissage, ceci dans le but d’atteindre un contexte d’apprentissage
émotionnel et démocratique dans lequel la pratique musicale soit la prota-
goniste dans le cadre du curriculum officiel pour l’éducation obligatoire.
Au long des pages suivantes nous réfléchirons si une Éducation Mu-
sicale Performative pourrait obtenir des résultats identiques o similaires à
ceux que misent les Communautés d’Apprentissage. L’étude qualitative
s’est faite sur trois groupes d’Éducation Primaire de différents niveaux,
obtenant des résultats qui promettent et qui viennent appuyer l’impor-
tance de l’éducation musicale faisant partie du curriculum obligatoire, en
se démarquant ainsi des politiques éducatives actuelles espagnoles qui
visent dans une direction bien différente.2

1. Communautés d’Apprentissage
Le concept de Communautés d’Apprentissage (dorénavant CA) surgit
à la fin du XXème siècle dans le Centre Éducatif de Ressources pour Adultes
(CERA) de l’Université de Barcelone ; centre dirigé par le professeur
R. Flecha et dont la philosophie s’inspire des nouvelles pratiques éduca-

1 Tertulias musicales dialógicas et Tertulias literarias dialógicas, en espagnol.


2 Voir chapitre de J. A. Rodríguez-Quiles dans ce même livre.
94 Musique et Communautés d’Apprentissage

tives qui opèrent depuis le début du siècle passé. Les CA sont un projet
adressé aux établissements d’Éducation Primaire et Secondaire qui pré-
tend la transformation sociale et culturelle de l’école et de son entourage
(Flecha et Puigvert, 2002) et ambitionne mener la société de l’information
et de la connaissance à tous ses membres moyennant l’apprentissage dia-
logique, l’éducation participative et l’inclusion comme la valeur pédago-
gique la plus importante (Valls, 2000), en recueillant les transformations
qui se produisent dans la société actuelle.
Le moteur de cette transformation est représenté par la participation
de toutes les personnes de la communauté éducative moyennant l’ouver-
ture des espaces et des processus qui sont mis en œuvre dans l’établisse-
ment en créant pour cela des contextes de dialogue démocratique dans le
but d’obtenir une citoyenneté participative qui inclue tous ses membres
(Gutiérrez, 2016). Les acteurs locaux (élèves, famille, enseignants, moni-
teurs, bénévoles…) sont les acteurs principaux de la transformation du
territoire, en partant de l’individuel pour arriver à un consensus démocra-
tique à pied d’égalité. Avec ce, l’on prétend atteindre une éducation uto-
pique où aucun enfant ne se sente marginé ou porteur d’étiquette, indé-
pendamment de son origine, de son ethnie, de son niveau économique, de
sa croyance religieuse ou de son orientation sexuelle et par laquelle l’on
garantit la réussite scolaire.
L’apprentissage dialogique se situe à la base des CA qui à la fois se nourrit
des approches théoriques de la pédagogie critique, saisissant ainsi la pen-
sée des auteurs-clé du XXème siècle tels que Habermas, Freire o Vigotsky
(Duque, de Mello et Gabassa, 2009).
Les interactions entre les personnes produisent un apprentissage ins-
trumental et s’établissent sept fondements qui doivent respecter les exi-
gences afin d’arriver à un contexte d’apprentissage dialogique : le dia-
logue égalitaire, l’intelligence culturelle, la transformation, la dimension
instrumentale, la création de sens, la solidarité et l’égalité des différences
(Flecha et Larena, 2008).
Afin qu’un établissement se transforme en Communauté d’Apprentis-
sage une série de phases sont établies pour son organisation. Il s’agit d’un
processus progressif qui va de sa mise en œuvre, passant par l’attention
aux songes et désirs particuliers de la communauté éducative, jusqu’à la
recherche d’un nouveau mode opératoire et son implémentation (Beltrán,
Martínez et Torrado, 2015). Pour ce faire, sont conçues les deux suivantes
interventions de réussite principales :
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria95

a) Groupes interactifs
Les groupes interactifs sont une nouvelle façon d’enseigner et d’ap-
prendre. Pour cela, on organise de petits groupes de travail hétérogènes
avec la particularité que chacun d’eux a un bénévole chargé d’animer, de
dynamiser et de veiller à ce que tous les membres du groupe participent
aux tâches avec engagement (Chocarro et Sáenz de Jubera, 2016). Quand
une activité finit, les élèves se déplacent vers le groupe de travail suivant.
La figure 1 montre le roulement des élèves tel que le veut la méthodolo-
gie des CA.

Figure 1 Groupes interactifs. Roulements d’élèves dans les différents groupes. Dans
chaque groupe un adulte bénévole [B] coopère. Les élèves [é] passent par tous les
« postes de bénévoles », travaillant ainsi les différentes activités proposées et interagis-
sant entre eux sous la supervision du professeur [P].

b) Réunions dialogiques
Ce sont des actions de réussite basées sur le dialogue égalitaire et sur la
validité des contributions de tous ceux qui intègrent la réunion (Aguilera,
Prados et Gómez, 2015). Dans les CA, l’apprentissage de la langue (dans
notre cas, l’espagnol) moyennant la lecture est fondamental, mais l’idée de
96 Musique et Communautés d’Apprentissage

l’apprenant qui se forme de façon solitaire est surpassée. Lors de la lecture


dialogique il y a une rationalité communicative par laquelle plusieurs su-
jets qui interagissent constamment s’accordent pour obtenir des connais-
sances (cf. Habermas, 2001). L’apprentissage ainsi conçu est une création
de contexte actif et de dialogue égalitaire.
Les réunions dialogiques consistent à réaliser une lecture collective
d’un livre classique qui a été choisi démocratiquement entre tous les
membres. Les séances sont organisées par les enseignants de l’établisse-
ment, par les familles des élèves et par d’autres acteurs bénévoles de la
communauté éducative et l’on désigne un modérateur qui favorise la par-
ticipation égalitaire de tous ses membres (Álvarez, González et Larrinaga,
2012).
Il faut signaler qu’en 1995 il n’y avait que cinq CA en Espagne et que
deux lustres plus tard 194 écoles étaient reconnues en tant que CA seule-
ment dans ce pays ; telles furent les évidences scientifiques et les actions
de réussite obtenues en si peu de temps (Inclu-Ed Consortium, 2009).

2. L’Éducation Musicale Performative


La théorie de la performativité naît, dans les années soixante du siècle
passé, de J. L. Austin (1911 – ​1960), qui définit comme étant performa-
tifs les actes de paroles qui créent des réalités moyennant les mots et les
énoncés (Austin, 1962). Ou, comme écrit López (2014), « performatifs sont
les actes de paroles qui ne représentent pas des réalités préalables, mais
ceux qui créent ce qu’ils nomment à l’instant même qu’ils le nomment »
(p. 47). Ce fait mené à la classe d’Éducation Musicale produit la création
d’une pratique éducative-musicale qui se génère depuis la classe et pour
la classe : apprendre de la musique à la fois que l’on fait de la musique (Alsina,
2010 ; Rodríguez-Quiles, 2013, 2018a, b). Les actions et les processus crée-
ront différentes ambiances et contextes qui détermineront lors de la com-
position un apprentissage vraiment significatif pour les élèves. De cette
manière, il se produit, en Éducation Musicale Performative (dorénavant
EMP) le déplacement du centre d’intérêt : la pièce en forme de partition
n’est plus déterminante au moment de concevoir l’enseignement musi-
cal ; par contre le centre d’intérêt se dirige vers les processus et les évène-
ments émergeants moyennant bien l’improvisation, bien l’interprétation
et la performance d’une pièce (Cornago, 2004). Ceci rend possible que
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria97

toutes les personnes interagissent fortifiant au maximum leurs relations et


par cela améliorant la cohésion du groupe où nous pouvons, tous, mettre
l’accent et apprendre avec l’autre et de l’autre.
Mead (1934) soutenait que ce que nous sommes est le fruit de notre ex-
périence sociale développée moyennant des processus de socialisation :
nous sommes notre contexte. Dans le contexte éducatif, nous contribuons,
tous, depuis notre corps, depuis nos expériences personnelles, depuis nos
réalités. Il s’agit seulement de contributions de vie à la première personne
et, pour cela, il n’y a plus de canons hiérarchisés de la connaissance, en
surpassant avec ceci les dichotomies entre culture populaire/culture éli-
tiste, culture européenne/culture extra-européenne ; de la rue/de l’école,
apprentissage informel/apprentissage formel…(Rodríguez-Quiles, 2018).
En EMP, la classe de musique a comme modèle le système rhizomor-
phique par-dessus de la conception hiérarchique de l’arborescence, en pro-
posant un enseignement horizontal où la pratique quotidienne s’éloigne
des impositions. Selon la proposition de Deleuze et Guattari (1972) il se
crée un système non-centré sur les principes de connectivité, hétérogénéité,
multiplicité, rupture non-signifiante et cartographie. Ainsi la séparation entre
le corps qui agit et le corps qui représente d’autres signifiés pour conce-
voir de nouvelles réalités (par exemple, les corps se transforment en ins-
truments musicaux) s’estompe. Alors, l’activité musicale devient une pra-
tique performative quand nous prenons compte des fluxes d’énergie, de
la création de contextes, des interactions entre les acteurs et les specta-
teurs, des réactions du public…; étant le corps/les corps dans leur totalité
le centre d’intérêt faisant partie d’un système hétérogène uni par les diffé-
rences (Céspedes, 2013), un système rhizomorphique ; et où le résultat doit
apporter quelque chose de nouveau qui dépasse et soit significatif pour
les vies de nos élèves (Rodríguez-Quiles, 2018b).
Comme il a été dit plus haut, l’axe central du réunion dialogique dans
les CA, c’est un texte littéraire. Mais ce serait en 2003 lors du III Congreso de
Tertulias Literarias Dialógicas3 à Madrid que l’on présentera une expérience
pionnière – la réunion musicale dialogique – encadrée dans le projet Euro-
pean Multicultural Dialogue (CONFAPEA, 2017). Cette réunion consiste en
l’audition d’une ou plusieurs pièces de musique extraites du répertoire de
musique occidentale culte, sans préalablement y avoir informé les audi-
teurs de l’origine, du style, etc. C’est seulement après une audition active

3 Troisième Congrès de Réunions Littéraires Dialogiques.


98 Musique et Communautés d’Apprentissage

que le débat a lieu. L’on prétend que les participants expriment verbale-
ment et de manière égalitaire leurs émotions. À partir de cette proposi-
tion de 2003, la musique passa à intégrer les CA comme un nouvel ins-
trument (Martins de Castro, 2006). Pour nous, comme nous verrons, cela
n’est ni suffisant ni la meilleure façon d’aborder la musique à l’école. En
effet, l’audition est seulement un domaine dans la pratique musicale et les
classiques musicaux représentent seulement une partie intéressée dans
l’ample spectre sonore que l’on peut travailler dans la salle de musique. Il
s’agit alors de faire un saut qualitatif passant de parler de musique à faire
et vivre la musique depuis une perspective performative.

3. Méthode
Celui-ci est un travail de recherche-action (Cain, 2013 ; DeWalt et DeWalt,
2011) qui consiste à l’implémentation d’une série de performances didac-
tiques musicales faites en classe par C. Soria, enseignante et coauteur du
chapitre présent. Elles ont été créées pour l’occasion et auxquelles on a
ajouté la réalisation, l’analyse et l’interprétation des entretiens et question-
naires tel comme on l’explique ci-dessous. Tout ceci sous la supervision
du professeur Rodríguez-Quiles.
L’école de Maternelle et de Primaire, « Miguel de Cervantes », est un
établissement scolaire d’éducation compensatoire située dans la ville de
Malaga, au sud de l’Espagne. Elle fut reconnue comme Communauté
d’Apprentissage en 2014. Puis quatre ans après elle obtint le renouvelle-
ment de cette accréditation après avoir passé les contrôles de qualités re-
quis. Il s’agit d’un établissement, appelé ici d’une seule ligne4, intégré par
141 élèves, 16 enseignants, 5 moniteurs, 1 concierge, 1 personne du secré-
tariat, 1 cuisinière et 3 femmes de ménage5. La population de son entou-
rage provient d’un milieu défavorisé, et la diversité culturelle est l’une de
ses caractéristiques.
Trois niveaux et donc trois groupes de Primaire ont participé à ce pro-
jet (CP, CE2 et CM2) tel que le montre le tableau suivant :
En plus des élèves de Primaire, 20 bénévoles de la communauté édu-
cative ont participés dans cette étude ; parmi eux, des lycéens d’un lycée

4 Cela veut dire qu’il n’y a qu’un seul groupe par niveau.
5 Ces données correspondent à l’année académique 2016 – ​2017.
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria99

Garçons Filles Total d’élèves par niveau

CP (6 ans) 12 3 15

CE2 (8 ans) 8 5 13

CM2 (10 ans) 12 6 18

Tableau 1 Distribution des élèves participants.

voisin, des enseignants du Primaire, et des professeurs et des moniteurs


en stage, ainsi que différents sujets d’Organisations Non Gouvernemen-
tales (ONG) qui collaborent régulièrement avec l’établissement. Le travail
sur le terrain a eu lieu lors de la seconde moitié de l’année académique
2016 – ​2017.
Le journal de bord du chercheur a été un élément fondamental où tous
les évènements apparus, au long de la recherche, ont été annotés ainsi
que les détails considérés importants. Parmi ces évènements se trouvèrent
les « petites assemblées » qui avaient lieu à la fin de chaque séance, ceci
dans le but de connaître les impressions des participants après la mise
en marche des activités. De la même manière l’enregistrement vidéogra-
phique des toutes les séances pour leur ultérieures transcription et ana-
lyse a été essentiel. Pour extraire des informations complémentaires ont a
réalisé 16 entretiens à différentes personnes de la communauté éducative.
On a passé un questionnaire à 8 informateurs (des personnes qui ont as-
sisté à deux séances ponctuelles du projet dans un groupe de CE2). Toute
l’information soutirée, au long de la recherche, a été traitée avec le logiciel
NVivo (version 11), en obtenant des catégories et sous-catégories en rap-
port avec les principes de la Grounded Theory (Birks et Mills, 2011).
Le tableau 2 recueille la relation entre les questions qui ont été posées
d’après les différentes catégories de l’EMP et les CA ce qui facilitera par la
suite l’analyse de l’information réunie.
D’autre part, le Tableau 3 fait une synthèse entre la relation des pré-
supposés éducatifs des Communautés d’Apprentissage et de l’Éducation
Musicale Performative, d’un côté, et la législation espagnole actuelle, d’un
autre.
L’attention prêtée à ces points communs a été très importante au mo-
ment d’élaborer et d’implémenter les performances didactiques musicales,
100 Musique et Communautés d’Apprentissage

Figure 2 Nœuds de valeur à cet attribut. Personnes interrogées.

comme l’entend Rodríguez-Quiles (2017). Toutes elles, pensées comme


faisant part des interventions éducatives pour chacun des trois niveaux
(CP, CE2 et CM2) qui ont participé à cette étude.
Selon la recommandation de Rapley (2007), la triangulation s’est
faite en combinant l’analyse de plusieurs sources. D’un côté l’on a tenu
compte des opinions de tous les intégrants ; de l’autre, les commentaires
de personnes qui n’ont pas été présentes lors des séances6. Tout cela a été
confronté avec la littérature actuelle qui se rapporte au thème du présent
travail et qui peut se consulter à la fin du même.

6 Tels que ceux de l’enseignante responsable du CE2, ceux de la personne du secrétariat de


l’école et ceux de le professeur coauteur de cette étude.
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria101

Questions EMP CA
• Corporalité
• Dialogue égalitaire
• Spatialité
Intelligence
Q.1. Croyez-vous que tous les • Circulation
culturelle
participants ont eu la même chance d’énergie
• Solidarité
d’intervenir dans l’activité ? Pourquoi ? • Rapport entre sujets
• Egalité des
Responsabilité
différences
éthique
• Dialogue égalitaire
• Circulation
Intelligence
d’énergie
culturelle
Signification
Q.2. En classe, on a fait des activités • Dimension
• Auto référentiel
variées. Ressentez-vous avoir aidé les instrumentale
• Constitutive de
élèves lors des tâches proposées ? De Transformation
réalité Rapport
quelle façon ? Création de sens
entre sujets
• Solidarité et
Responsabilité
• égalité des
éthique
différences
Q.3. Quelles ont été vos contributions
• Réponse ouverte • Réponse ouverte
personnelles pendant les séances ?
• Circulation
d’énergie
Q.4. Avez-vous été à l’aise lors de • Dimension
Signification
la réalisation des activités ? Pensez- instrumentale
• Auto référentiel
vous que s’il y avait plus de séance Transformation
Constitutive de
comme celles-ci, les élèves voudraient Création de sens
réalité
venir davantage en classe et par-delà • égalité des
• Rapport entre sujets
s’approcher davantage au savoir ? différences
Responsabilité
éthique
• Dimension
Q.5. Croyez-vous que le cours de • Signification instrumentale
musique peut influer sur le résultat • Auto référentiel Transformation
académiques global des élèves ? • Constitutive de Création de sens
Pourquoi ? réalité • Egalité des
différences
Q.6.Dans quelle mesure croyez-vous
• Rapport entre sujets • Solidarité et
qu’il faut donner le meilleur de soi,
Responsabilité • égalité des
être solidaires, quand nous sommes en
éthique différences
cours de musique ?
Q.7. Considérant que nous sommes
tous égaux et que chacun de nous • Égalité des
• Rapport entre sujets
a des caractéristiques différentes, différences
Responsabilité
croyez-vous que lors du cours de • Solidarité
éthique
musique nous pouvons apprendre • Transformation
• Réponse ouverte
les-uns des autres et que toutes les • Réponse ouverte
contributions sont importantes ?
Q.8. Désirez-vous ajouterautre chose
en rapport avec de votre séjour en
cours de musique ?
Tableau 2 Questions de l’entretien relatives aux différentes catégories.
102 Musique et Communautés d’Apprentissage

Curriculum – Communautés Education Musicale


Compétences de Base d’Apprentissage Performative

• Compétence • Dialogue égalitaire. « Le • Il y a des mots qui


Linguistique moi qui agit, pense et peuvent modifier la
dialogue » (Freire, 1997) réalité. Il en est de
même pour les sons

• Compétence de • Intelligence culturelle • Dialogueet critique


conscienceet • Musique comme réalité
expressions culturelles culturelle de tous

• Compétences sociales • Solidarité, égalité • Circulation de l’énergie,


et civiques des différences, travail en groupe,
transformation autoréférentiel

• Compétence apprendre • Dimension • Constitutive de réalité


à apprendre instrumentale et conceptualisation,
création de sens intérêt pour la qualité

• Sens de l’initiative • Dialogue égalitaire, • Perspective du


dimension participant
instrumentale

• Compétence • Travail en groupes • Interdépendance du


mathématique et interactifs, tous les reste des domaines du
compétence digitale domaines curriculum, musique
comme axe du
curriculum

• Thèmes Transversaux : • Solidarité, dialogue • Corporalité : partant


égalité, tolérance, égalitaire, amélioration du moi pour être un
solidarité, résolution de la convivialité, « nous », rapport entre
pacifique des conflits égalité des différences, sujets, conscience du
succès pour tous, moment, temporalité,
transformation de interrelations,
l’entourage, surmonter dialogue, évaluation et
des difficultés responsabilité éthique

Tableau 3 Points Communs : Curriculum, Communautés d’Apprentissage et Education


Musicale Performative.
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria103

Description : Jeu : « rangs qui imitent ». On forme trois groupes et il faut danser
d’après ce que la musique nous inspire. Le premier du rang fait une danse et le reste
du groupe l’imite. Á l’écoute de « change », le premier passe au dernier poste, et ainsi
de suite.

Communautés Éducation Musicale


Curriculum
d’Apprentissage Performative

• Connaître son corps • Dialogue égalitaire • Conscience de soi


comme moyen • Égalité des différences • Corporalité, spatialité
d’expression
• Travail en groupe • Évaluation
• Développer les
compétences sociales y • Rapport entre les sujets
civiques moyennant le
travail en groupe

Tableau 4 Exemple de performance didactique musicale au CE2.

4. Résultats
Essentiellement, la EMP consiste à apprendre à faire des choses au fur et à me-
sure qu’on les fait de façon pratique (Rodríguez-Quiles, 2013). Dans ce sens, le
programme NVivo annonce la suivante fréquence de mots de l’ensemble
des réponses à la deuxième question de l’entretien.7
Figure 3 Fréquence des mots obte-
nus de la codification de la question
nº 2. Faire : 7,48 – Important : 1,87 –
Liberté : 1,87.

7 Question nº 2. En classe, on a fait des activités variées. Ressentez-vous avoir aidé les élèves lors
des tâches proposées ? De quelle façon ?
104 Musique et Communautés d’Apprentissage

Ainsi, les participants manifestent clairement qu’en cours de musique


on fait des choses qui ont un sens éducatif, de façon active et significative
(comme l’on verra plus tard). C’est une conception tout à fait performative
puisque, en effet, la musique s’apprend en la faisant.
Depuis son expérience à la première personne, une des bénévoles, se
faisant consciente du concept de corporalité, rapporte :

Les élèves se sentent créateurs ; ils sont capables de faire des choses ;
avec leur corps ils font des rythmes…Ils découvrent qu’il y a des
choses qu’ils peuvent faire. (Femme, p. 5)
Nous voyons l’importance de l’utilisation instrumentale du corps avec un
sens propre, comme faisant partie de l’EMP. De sorte que les corps qui
agissent sont porteurs de nouvelles réalités potentiellement éducatives
D’après l’analyse des entretiens, il faut signaler que l’apprentissage a
été significatif pour les participants adultes qui ont exprimé que la signi-
fication, le sens et la dimension instrumentale ont été fondamentaux pour le
succès des performances didactiques-musicales. De ceci on déduit que la si-
gnification en EMP et la dimension instrumentale des CA sont très impor-
tantes pour donner du sens et de la catégorie au travail de classe, ayant
besoin de contribuer avec ce que chacun a de meilleur afin que le travail
arrive à bon port.
Figure 4 Fréquence des mots obte-
nus de la codification de la question
nº 8. Meilleur : 6,67 – Énergie :
3,33 – Toujours : 3,33.
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria105

Comme pour d’autres études (cf. Rodríguez-Quiles, 2018b), dans ce


projet les élèves ont ressenti le travail en groupe lors des performances di-
dactiques-musicales comme le moment d’énergie le plus important et par-
ticulier. Ce fait a de l’intérêt puisqu’il montre que les élèves donnent le
meilleur d’eux-mêmes quand ils coopèrent. Et c’est que l’EMP a un fort
caractère social où la résolution des problèmes et le travail en groupe fa-
cilitent les apprentissages et préparent les élèves à une meilleure intégra-
tion au quotidien. Et c’est sur ce point que nous trouvons un grand paral-
lélisme entre les approches de EMP et ceux des CA (Flecha et Puigvert,
2002 ; Flecha et Larena, 2008).
Quant à l’égalité des différences et le concept d’autoréférentiel8, le logiciel
NVivo montre les résultats suivants :

Figure 5 Fréquence des mots obte-


nus de la codification de la question
nº 7. Différents : 2,86 – Musique :
2,86 – Se rencontrer : 2,14 – Ap-
prendre : 1,43 – Ensemble : 1,43.

La composante ludique et autoréférentielle des activités mises en place fa-


cilite ce qu’en classe se produise un dialogue égalitaire où régit l’ « égalité
des différences », tel que le veulent les CA. Les participants sont conscients
de ces différences, et dans la conscience de la plupart d’entre eux il ya un
désir général de continuer à travailler en groupe et d’améliorer par-là ces
pratiques.

8 Question 7. Considérant que nous sommes tous égaux et que chacun de nous a des caractéris-
tiques différentes, croyez-vous que lors du cours de musique nous pouvons apprendre les-uns des
autres et que toutes les contributions sont importantes ?
106 Musique et Communautés d’Apprentissage

Figure 6 Fréquence des mots obte-


nus de la codification de la question
nº 3. Contribué : 4,02 – Faire : 4,02 –
Groupe : 2,87.

Ajoutons à tout cela que le développement des activités, avec un certain


marge de liberté pour se situer dans l’espace et bouger dans (catégorie
de spatialité), contribue à ce que les participants interagissent de manière
plus naturelle et que la spontanéité nécessaire surgisse dans le but de ti-
rer un meilleur parti. L’espace se transforme ainsi en une opportunité de
s’approcher aux autres personnes : des sujets qui font de la musique dans
un espace performatif créant, ainsi, de nouvelles relations sociales. Tel que
l’on peut l’apprécier sur la figure 9 : les élèves ont fait de la musique en pro-
posant des idées avec un sens au sein d’un groupe.
Pour obtenir les données qui se rapportent à la satisfaction des partici-
pants aux séances analysées, nous avons fait une révision détaillée des en-
registrements audiovisuels en plus des entretiens et du journal de bord de
la classe. Pour finir chaque séance, une réflexion conjointe invitait les par-
ticipants à manifester leur vécu lors de la réalisation des activités propo-
sées. La plupart montrèrent une attitude très positive et exposèrent leurs
sentiments sans pudeur. Ils opinèrent que les cours avaient bien marché
et qu’ils étaient très contents du travail réalisé. En plus, leur langage cor-
porel, gestes et face, reflétaient de la satisfaction et du bonheur. Après
plusieurs séances l’ambiance de classe qui en ressortait était tout à fait
positive.
Le graphique révèle le degré de satisfaction des élèves et des béné-
voles lors des trois séances réalisées avec chaque classe. Pour la première
séance qui correspond aux classes de CP et CE2 on découvre une minori-
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria107

120

100

80

60

40

20

0
1 S. 1º 2 S. 1º 3 S. 1º 1 S. 3º 2 S. 3º 3 S. 3º 1 S. 5º 2 S. 5º 3 S. 5º

SATISFACCIÓN INSATISFACCIÓN NO DICE

Figure 7 Satisfaction des participants aux différentes séances (Bleu : Satisfaction ;


Rouge : Insatisfaction ; Vert : Ne sait pas/ne répond pas).

té insatisfaite. Ce fait est du à ce que deux des activités proposées suppo-


sait faire sortir certains élèves de leur zone de confort pour, par exemple,
danser, en devenant par moments le centre d’attention du groupe (voir
tableau 2 plus haut). Voilà pourquoi deux élèves de CP et une élève du
CE2 – tous trois timides –, ne voulurent réaliser l’activité. Ce qui a été tout
à fait respecté. Mais, comme l’on peut observer sur le graphique, lors des
séances suivantes, ce phénomène n’a plu eu lieu, grâce à ce que les élèves
s’adaptèrent très vite à cette façon d’être en classe et aux tâches qui se suc-
cédèrent.
Quant au degré d’implication des bénévoles, il faut souligner le sa-
voir-faire de tous les participants. Enseignants, moniteurs, étudiants uni-
versitaires9, bénévoles des ONG, en plus du concierge, ont participé à part
entière aux activités. Aidant et orientant les élèves à tout moment, s’impli-

9 Excepté l’un de ces étudiants qui, après avoir assisté à la première séance, ne le fit aux
suivantes pour des raisons personnelles.
108 Musique et Communautés d’Apprentissage

quant à cent pour cent en classe tel que le recueillent les enregistrements.
Les adultes ont acquis conscience de l’importance du travail qu’ils étaient
en train de réaliser et c’est pour cela que le succès de la classe ne peut se
comprendre sans leur contribution. Personnes d’origine hétérogène et de
milieu très différents unies par la conscience d’appartenir à la même com-
munauté et avec un objectif commun : le développement et l’apprentissage
des élèves, tout ceci sous l’idée commune de l’EMP.

5. Conclusions
Á la question posée pourrait-on obtenir à travers de l’Éducation Musicale Per-
formative des objectifs similaires à ceux que poursuivent les Communautés d’Ap-
prentissages ?, l’étude montre que la réponse est nettement affirmative. Les
composantes telles que l’égalité, la solidarité, le développement du travail
en groupe et, par la suite, la coopération, en respectant et en partant de la
culture de chacun des intégrants, ont été des facteurs-clé pour le dérou-
lement de chacune des activités musicales proposées dans cette étude. La
perception du « nous » comme pierre angulaire des CA (Rodríguez, 2017)
s’est renforcée par le biais d’une intervention musicale performative.

L’activité avec le fil en laine m’a beaucoup plu ; la matérialisation et


sa mise en scène finale. [Ce genre d’activités] sont nécessaires dans
les cours. (Bénévole, p. 6)

De son côté, l’Élève 3 du CM1 à la fin du projet a déclaré : j’ai aimé que les
enseignants participent. Tandis que l’Élève 1 du CP affirmait : j’ai aimé que
les profs viennent. Ce sont des expressions qui manifestent le désir de la
part des élèves à ce que l’enseignant, en plus de rester à leur côté pendant
le processus d’enseignement-apprentissage, change son rôle traditionnel
en tant que l’unique possesseur de la vérité et adopte un rôle participant
et coopérant. Cette affirmation nous rapporte à la conviction que les re-
lations sociales qui s’établissent dans le contexte scolaire sont beaucoup
plus déterminantes que les propres contenus et que l’on éduque plutôt
pour ce que chacun est que pour ce que l’on désire transmettre (Santos,
2015) ; ces idées mènent au désir de créer une école où non seulement on
prétend transmettre des valeurs démocratiques et d’autonomie person-
nelle, mais aussi qu’avec des faits et des exemples, jour après jour. Les
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria109

enseignants qui croient à l’enseignement pratique (Cain, 2013) nous mo-


dèlent en tant que communautés de plus en plus libres.

[Il y avait une] ambiance positive. De la liberté en classe (Béné-


vole, p. 2)

Comme le signale Santos (2015), il y a, actuellement à l’école, beaucoup


de contradictions. Nous désirons transmettre de la démocratie quand ce
qui entoure l’institution nous fait sentir le contraire : un endroit hiérarchi-
sé, sexiste (Ball, 1994), hétéronormatif (Rodríguez-Quiles, 2015), élitiste…
et cela mène constamment à dresser des barrières qui empêchent la trans-
mission des valeurs authentiques. Pour cette raison il faut miser pour un
souffle performatif en éducation (Rodríguez-Quiles, 2017 ; 2019) ; souffle
que beaucoup de membres de la communauté éducative désirent et qui
intègre ainsi les élèves, les professeurs, les familles et le personnel du mi-
lieu scolaire tel que le propose les CA :

Je me suis trouvée plus participante que guide. Une élève de plus.


(Bénévole, p. 5)
J’ai essayé être une élève. (Bénévole, p. 6)

D’une part, nous pouvons conclure qu’avec une intervention musicale


performative l’on peut atteindre les mêmes objectifs que proposent les
CA depuis l’instant où les deux propositions centrent leur intervention
sur le dialogue égalitaire, sur la solidarité, sur une dimension instrumen-
tale avec un sens qui s’inscrit dans le cadre de la propre culture et en par-
tant du corps même et dans l’égalité des différences.
Notre proposition d’intégration de la musique dans les approches édu-
catives des écoles ne se rapporte pas au simple fait d’inclure la musique
comme s’il s’agissait d’une autre matière du curriculum. Au contraire,
nous misons pour une intervention musicale comme le pivot de l’éta-
blissement d’enseignement. Tel que nous l’avons expliqué ci-dessus, les
réunions dialogiques artistiques dans lesquelles on inclut des séances de
musique, en les comprenant comme un bien du patrimoine qu’il convient
montrer et apprendre, en présentant presque en exclusivité l’œuvre des
grands génies de la musique classique occidentale moyennant des audi-
tions choisies dans le but de parler plus tard des mêmes en employant un
110 Musique et Communautés d’Apprentissage

dialogue égalitaire (Martins de Castro, 2006), – sans pour cela être inap-
proprié par elles-mêmes – pour nous c’est tout à fait insuffisant, tel que
nous avons voulu le montrer avec cette étude. En effet, notre intention est
celle d’aller au de-là et passer de parler de musique à faire de la musique
comme une pratique pour transformer la communauté. Parce que quand
on fait de la musique depuis une intention performative, on établit inévi-
tablement des patrons de dialogue égalitaire qui facilitent la consécution
de nos objectifs socio-éducatifs transformateurs.
De l’autre, comme nous avons pu observer, beaucoup sont les points
en commun entre les bases sur lesquelles se fondent les réunions dialo-
giques et les piliers de l’ EMP, de façon à ce que la première pourrait se
considérer un cas particulier de la seconde. En effet, le travail collaboratif
de toute la communauté, depuis une perspective éducative, performative
et culturelle est plus bénéfique pour renforcer les relations sociales et, par
conséquent, atteindre la transformation désirée de l’école et son entou-
rage. Finalement, on a constaté que les CA sont un moyen idéal d’union et
liberté où pouvoir investir nos efforts pour arriver à un petit cosmos qui
offre le meilleur de tous ceux qui configurent cette communauté.

La diversité est une source d’enrichissement. Depuis la musique, le


meilleur de chacun enrichit les autres. (Bénévole, p. 1)

Et si la musique nous accompagne dans cette tâche, le chemin sera plus


aisé.

La musique est fondamentale et nous rend meilleurs. Les enfants


sont l’art. (Bénévole 1) – La musique est une incitation. (Bénévole,
p. 2)

Ainsi, c’est un devoir professionnel que nous avons pour les générations
à venir, celui de leur offrir ces connaissances humaines et artistiques, en
coopérant et en considérant les possibilités que nous offre l’Éducation Mu-
sicale Performative en faveur d’une éducation intégrale pour nos élèves,
dans leur contexte particulier et aux côtés des membres de leur propre
communauté.
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria111

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Musique et apprentissages :
protocole d’activités
Ingrid Hoonhorst & Marielle Vancamp

1. Introduction
Dans le cadre du projet Erasmus + « Art et Apprentissage », l’asbl Educ’art
a développé un protocole de déroulement de séance « Musique et appren-
tissage » pour les 3e maternelle (5 ans) et 3e primaire (8ans). Il a été ré-
digé par des enseignantes en éducation musicale (Sarah Englert, Hélène
Stuyckens et Marielle Vancamp), avec l’aide d’une logopède (Ingrid Hoon-
horst). Il s’appuie sur les récentes recherches en neurosciences montrant
l’impact de la musique sur les apprentissages. Si les mécanismes intimes à
l’origine de cet impact font encore l’objet de recherches, ce qui ressort clai-
rement de l’ensemble de travaux est la nécessité de proposer des activités
multisensorielles et sensori-motrices.
La musique est intrinsèquement riche. Elle met en jeu de nombreuses
populations neuronales qui, si elles sont activées ensemble et de manière
régulière, favorisent les liens entre hémisphères, entre aires cérébrales (cf.
théorie du liage perceptif de Von der Malsburg, 1981). Plus le nombre
de populations neuronales recrutées par une activité est important, plus
la trace perceptive est riche et intégrée. Proposer des activités musicales
multisensorielles et sensori-motrices, c’est rendre la musique tangible,
c’est donner à entendre, à voir et à ressentir physiquement et de manière
synchrone pour que les traces sensorielles donnent lieu, dès le plus jeune
âge à des percepts riches et intégrés.
Concernant spécifiquement les aspects sensori-moteurs, la danse, la
pratique instrumentale mais aussi les exercices mettant l’accent sur le
rythme sont autant de moyens pour intégrer la composante motrice. Dans
les canevas d’activités proposés ci-dessous, nous avons fait le choix de
ne pas proposer de pratique instrumentale parce que concrètement cela
s’avère extrêmement compliqué à mettre en place en grand groupe, et
cela ne rentre pas dans le cadre d’un cours d’éducation musicale en école.
116 Musique et apprentissages : protocole d’activités

Par contre, nous proposons des exercices de rythme et de mouve-


ments, avec ou sans chant, impliquant la manipulation d’objets. Récem-
ment, les travaux de l’équipe de Nina Kraus aux Etats-Unis (i. e. Tierney,
White-Schwoch, MacLean et Kraus, 2017), ont montré tout le bénéfice de
ces activités rythmiques sur le « timing neural ».
Plus spécifiquement, 2 habiletés rythmiques doivent être distinguées :
•• la synchronisation. Le traitement des sons, et du langage en parti-
culier, nécessite que les divers réseaux de neurones impliqués dé-
chargent de manière synchrone pour encoder des informations
temporelles très rapides (de l’ordre des quelques dizaines de milli-
secondes). Travailler la synchronisation par des jeux rythmiques (tenir la
pulsation, faire des percussions en groupe, s’amuser avec des cup-songs…)
est en ce sens nécessaire.
•• la séquence. D’autres caractéristiques acoustiques s’inscrivent sur
des temporalités plus longues et c’est dans ce cas le déroulé tempo-
rel, la structure, la séquence – et non la précision temporelle comme
dans le cas précédent – qui est déterminante. Travailler la séquence
par des exercices d’identification, de discrimination, de mémorisation,
de retranscription visuelle d’une suite de sons est en ce sens important.
Tous les jeux de mémorisation et reproduction d’une séquence rythmique
concernent aussi ce point.
Les travaux scientifiques récents montrent donc que la musique est l’ou-
til idéal pour affiner d’une part la précision avec laquelle le cerveau en-
code les éléments acoustiques rapides constitutifs des sons en général et
de la parole en particulier et d’autre part l’encodage de la structure de ces
mêmes sons sur une échelle de temps plus lente. Cet affinement du timing
neural est bénéfique à tous et à tout âge mais spécifiquement aux enfants
de maternelle en train de former leur oreille et aux enfants rencontrant
des difficultés spécifiques d’apprentissage en partie imputables à ces diffi-
cultés d’encodage temporel de la structure acoustique des sons.
En conclusion, les effets bénéfiques de la musique sur la cognition
sont, entre autres dus :
•• à son aspect multisensoriel et sensori-moteur
•• à sa particularité de se dérouler dans le temps, suivant une pulsa-
tion donnée
•• …sur laquelle s’articulent, s’enchaînent et/ou se répètent des sé-
quences, motifs, créant des phrases musicales.
Ingrid Hoonhorst & Marielle Vancamp117

Dès lors, toute pratique musicale est bénéfique en soi. Notre canevas est
donc juste une proposition qui nous parait adaptée à la pratique scolaire,
dans laquelle nous avons veillé à renforcer particulièrement l’aspect multisen-
soriel et sensori-moteur (tous les points auront une composante motrice)
et l’aspect rythmique, que ce soit par l’expression de la pulsation de façon
simple, ou l’apprentissage de séquences plus complexes à adapter sur un
tempo donné. Les points 2 (vitamines vocales et rythmiques) et 5 (jeux
rythmiques) du canevas travailleront d’ailleurs particulièrement cet as-
pect. Les points 3 (expression vocale et gestuelle de la hauteur) et 6 (or-
chestration), comporteront une composante visuelle venant renforcer da-
vantage la multisensorialité.
Pour conclure, nous souhaiterions préciser que notre propos n’est pas
de justifier à tout prix la place de la musique en école par son effet sur le
cerveau, mais ne pas tenir compte des études montrant cet impact nous
paraitrait dommage, surtout pour les élèves en difficulté d’apprentissage,
qui pourraient en tirer de grands bénéfices. Nous sommes néanmoins
également convaincues de l’importance de l’art et de la culture en tant
que tels en classe. Nous sommes par exemple conscientes de l’absence
de certains aspects de l’éducation culturelle et artistique dans notre cane-
vas, comme le processus créatif (expérimentations et créations sonores),
or il nous parait essentiel d’aborder également ces aspects en classe. Et,
bien évidemment, si lors d’un déroulé, des enfants émettent une proposi-
tion créative, vous emmenant ailleurs de ce qui était prévu, mais méritant
d’être entendue et développée, nous ne pouvons que vous inviter à tout
bousculer pour la suivre et co-créer avec votre classe. Le canevas est pensé
avant tout pour favoriser une pratique régulière, y compris dans des laps
de temps courts (voir ci-dessous « Organisation temporelle »). Il n’exclut
pas les autres points du programme musical, qui est bien plus vaste, mais
vient les compléter. Offrant une structure qui se veut à la fois souple et
cadrante, nous espérons qu’il permettra à certains de trouver un chemin
pour se lancer dans la grande aventure de la musique à l’école.
118 Musique et apprentissages : protocole d’activités

2. Les différents points du Canevas


Ci-dessous, sous forme de tableau, les différents points du Canevas. Nous
avons voulu particulièrement mettre en lumière l’aspect multisensoriel de
chaque exercice proposé, et l’aspect spécifique du travail de la séquence
qui nous semblait particulièrement important.

Nom Description

1. Chanson de bonjour Chanson ou jeu rythmique où l’on se dit bonjour en


ou de prénoms (Rituel cercle, avec ou sans prénom. Marquer la pulsation
d’entrée) avec le corps (clappings, gestes)
2min

2. Vitamine vocale et Séquence rythmique en quatre temps, impliquant


rythmique émission verbale (voyelles, consonnes) et clappings.
2min

3. Expression vocale et Association gestuelle et visuelle de la hauteur


gestuelle de la hauteur du son sur un axe vertical où le haut représente
5min les aigus, le bas les graves. Plusieurs variantes
d’activités sont proposées. Arriver progressivement
à travailler avec un visuel, mais d’abord passer par
le corps et la voix.

4. Apprentissage de la Apprentissage d’une chanson. Ce point peut être


chanson fusionné avec le point suivant si la chanson est
5min apprise directement avec gestes et mouvements, ce
qui est parfois plus facile (surtout en maternelles).
Il est préférable que la chanson soit courte.

5. Jeux rythmiques a) Sur la chanson apprise au point 4, ajouter des


corps et voix clappings (variante 1), puis des déplacements
10 min permettant de marquer la pulsation avec ses pieds
(variante 2)

5. jeux rythmiques b) avec Apprendre à se passer un ou plusieurs objets sur


objets une pulsation donnée.
10 min

6. Orchestration de la Avec des petits instruments ou des objets


chanson (ou autre) sonores, lire une partition graphique qui permet
10 min d’accompagner une chanson ou un enregistrement
donné.

7. Chanson de fin (Rituel Chanson pour se dire au revoir, avec mouvement


de fin) ou balancement. Peut-être suivie d’un rituel
5 min attentionnel de fin.

Tableau 1 Points du Canevas.


Ingrid Hoonhorst & Marielle Vancamp119

3. Organisation temporelle
Notre canevas dépasse les 50 minutes de séance, mais notre estimation
temporelle est un peu hasardeuse. Certaines activités pourraient aller
plus vite, d’autres plus lentement. Et les premières séances seront forcé-
ment plus longues parce que certaines activités, une fois intériorisées et
systématisées, pourront se faire dans un laps de temps plus court.
Le point 4 « Apprentissage de la chanson » ne se produit que lors de la
première séance. Si vous répétez plusieurs fois une même séance, vous le
passerez, ce qui vous permettra de gagner du temps pour d’autres points.
Le point 5 « Jeux rythmiques » ne doit pas être traversé dans son inté-
gralité à chaque séance. Il est fort probable que lors de la première séance
vous ne puissiez faire que le 5a. Ce n’est pas très grave. Vous ferez le 5b
lors de la suivante, puis reviendrez au 5a etc.
Un déroulement complet peut aussi être envisagé sur deux séances.
Néanmoins afin de conserver une régularité, il conviendrait de ne pas dé-
passer l’intervalle d’une séance sans repasser par une étape (ex : étapes 1 à
4 la semaine 1, puis 5 à 6 la semaine 2, puis de nouveau 1 à 4 la semaine 3
etc.)
Enfin, ce qui compte avant tout c’est la régularité. Il convient, la pre-
mière fois, de faire un canevas en entier sur 50 minutes. Mais tous nos
points sont prévus comme des modules, qui peuvent être retravaillés par
après, une fois qu’ils sont connus, dès que vous avez 5 à 10 minutes de
libres (par exemple en transition entre deux cours).

4. Organisation pratique
Le déroulé en entier du Canevas nécessite un local dégagé. Le « coin ta-
pis » des classes maternelles n’est pas suffisant. Néanmoins une classe
dont les bancs ont été ramenés contre les murs fait tout à fait l’affaire.
Une fois les différents points d’une séance connus, ils sont presque
tous praticables derrière son banc, assis ou debout, à part le point 5b né-
cessitant d’être assis en cercle. Nous proposons en effet à chaque fois une
version « statique » du point 5a « Jeux rythmiques avec le corps », mais
nous insistons sur l’importance de la version avec déplacements dans le
déroulé complet.
120 Musique et apprentissages : protocole d’activités

5. Exemple d’un canevas convenant à une


classe de 3e maternelle
Nous avons choisi un déroulé convenant pour une classe de 3e mater-
nelle, la procédure sera la même pour des enfants plus âgés, simplement
les exercices deviendront légèrement plus complexes en fonction des ca-
pacités du groupe.

1) Chanson de bonjour :

Nous voici tous rassemblés


Faire un cercle avec ses deux mains
Pour chanter ………………………… et danser
Mettre ses mains autour de sa bouche agiter ses deux mains devant soi comme
des marionnettes
Tape des mains et tape des pieds
Taper des mains, puis des pieds
On va tous se saluer :
Faire « coucou » avec ses mains
Ingrid Hoonhorst & Marielle Vancamp121

Bonjour + prénom de chacun des enfants. Tous les quatre ou cinq enfants
rechanter la chanson en entier.

2) Vitamine vocale et rythmique 1


A partir de la séquence suivante :

Laquelle peut aussi s’écrire comme ceci :

Long Long Court Court Long

La procédure est la suivante :


1. La dire un certain nombre de fois, en gardant une pulsation, avec des
voyelles au choix. Ex :
« o » et « i », ce qui donne :
Ooooo Ooooo i i Ooooo
Les enfants répètent à chaque fois après le meneur. Celui-ci peut intro-
duire des variations de hauteur et de timbre (ex : le dire aigu, le dire grave,
le dire avec une voix de souris puis une voix d’éléphant). Mais ne jamais
changer le tempo, la vitesse.
2. Durant la même suivante, ou lors de la suivante : ajouter une ou plu-
sieurs consonnes.
Moooo Moooo mi mi Mooooo
Ou
Loooo Loooo Li Li Loooooo

1 Le terme « vitamine rythmique » est emprunté à Jonathant Bolduc, il apparait notam-


ment dans l’articlede Bolduc, J. et Rondeau, J. (2015). Rythmons les apprentissages ! Lan-
gage et pratiques, 56, 15 – ​22, consultable ici http://www.mus-alpha.com/upload/LP56Boldu​
cetRondeau.pdf ; dernier accès 1. 3. ​2019. Nous avons rajouté l’aspect vocal, qui propose
d’ajouter des modulations vocales de hauteur ou de timbre.
122 Musique et apprentissages : protocole d’activités

Varier le niveau de difficulté au fil des séances ou en fonction de l’âge des


enfants
Ex :
ploooo ploooo pli pli plooooo
choooo choooo si si chooooo
3. Travailler la séquence en la frappant sur différents niveaux du corps,
d’abord un seul, puis deux
Ex :
Cuisse Cuisse cuisse cuisse Cuisse
Mains Mains mains mains Mains
Etc.
Puis :
Mains Mains cuisse cuisse Mains
Etc.
4. Mixer les points 1 et 3 ou 2 et 3, c’est-à-dire frapper différents niveaux
du corps en ajoutant des phonèmes.
A chaque fois les enfants répètent après le meneur. Inutile d’aller trop vite
au point 4, la progression se fait au fil des séances et en fonction des capa-
cités du groupe. Ce point peut être pratiqué indépendamment du canevas
dès que le moment se présente. Il constitue par ailleurs un très bon jeu at-
tentionnel puisque les enfants doivent se concentrer pour répéter après le
meneur. Le but n’est cependant pas la difficulté, mais l’intégration d’une
séquence rythmique sur une pulsation donnée. Il faudrait donc parvenir,
à terme, à travailler un point ou différents points une dizaine de fois sans
rupture de pulsation.

3) Expression vocale et gestuelle de la hauteur


Choisir un mot simple, par exemple un mot de la chanson qui sera ap-
prise par après, et le prononcer en faisant varier la hauteur du son (sur
l’axe grave/aigu), en l’accompagnant d’un geste (si le son monte vers l’ai-
Ingrid Hoonhorst & Marielle Vancamp123

gu, la main monte également vers le haut, si le son descend vers le grave,
la main descend vers le bas).
A chaque fois l’enseignant prononce le mot d’une certaine façon, et le
groupe reproduit.
Exemple : « Sarasponda »
•• le dire avec une voix aiguë, la main au niveau de la tête décrit un
geste horizontal en marquant d’un point imaginaire chaque syllabe.
•• le dire avec une voix grave, la main au niveau du ventre décrit un
geste horizontal en marquant d’un point imaginaire chaque syllabe.
•• dire les deux premières syllabes dans le grave, les deux suivantes
dans l’aigu, etc.
Il est important que les enfants répètent avec le bon geste en l’exprimant
vocalement.
Progressivement on sensibilise les enfants aux notions de grave et d’ai-
gu, on leur explique ces deux notions avec des mots qu’ils comprennent.
On peut également demander à un enfant de prononcer lui-même le
mot, en l’accompagnant du bon geste.
Ensuite, au fil des séances, on pourra intégrer un visuel, où les sons ai-
gus sont représentés par des symboles (lignes, points) situés sur le haut
d’une feuille, les sons médiums au milieu, et les sons grave vers le bas.
L’important étant de toujours respecter la progression suivante :
a. perception et expression corporelle (voix et geste)
b. codage éventuel à l’aide de symboles que les enfants doivent asso-
cier à une suite de sons entendue, ou lisent en émettant les sons à la
hauteur demandée.
Ex : dire Sarasponda avec les deux premières syllabes graves et les deux
dernières aiguës donnerait ceci :

(La flèche indique le sens de la lecture)


Figure 1 Syllabes graves et aiguës
124 Musique et apprentissages : protocole d’activités

4) Apprentissage de la chanson

Nous ne proposons pas ici de méthode d’apprentissage d’un chant, ce qui


constitue un chapitre de l’éducation musicale en soi. Chacun s’y prendra
comme il le souhaite. Sachant que s’il y a des gestes ou des déplacements
sur la chanson, ils peuvent être appris en même temps que celle-ci. Le
point 4 se transforme alors en point 5a.
Nous proposons pour ce déroulé-type la chanson suivante :

4a) Jeux rythmiques : voix et corps


Variante 1 sur place
Sarasponda, sarasponda, sarasponda
Frapper dans les mains sur la syllabe « pond »
Ret set set
Frapper chaque syllabe sur ses cuisses
(2X)
Adoreo
Ingrid Hoonhorst & Marielle Vancamp125

Décrire un grand cercle avec ses mains, qui se termine par un frappé dans les
mains sur le O
Adore Bundeo
Décrire un grand cercle avec ses mains, qui se termine par un frappé dans les
mains sur le O
Adore Bunde
Frapper sur le torse sur les syllabes surlignées
Ret set set
Frapper chaque syllabe sur ses cuisses
A-se pas-se o é
Frapper dans les mains les syllabes surlignées

Variante 2 en mouvement
Former une ronde avec les enfants
Sarasponda, sarasponda, sarasponda Ret set set
La ronde tourne dans un sens en marquant bien la pulsation avec les pieds (éven-
tuellement marquer le « ret set set avec les pieds)
Sarasponda, sarasponda, sarasponda Ret set set
La ronde tourne dans l’autre sens en marquant bien la pulsation avec les pieds
(éventuellement marquer le « ret set set avec les pieds)
Adoreo
Sur place, on lève lentement les bras vers le haut et on les rabaisse en une fois sur
le « O »
Adore Bundeo
Sur place, on lève lentement les bras vers le haut et on les rabaisse en une fois sur
le « O »
Adore Bunde
Frapper sur le torse sur les syllabes surlignées
126 Musique et apprentissages : protocole d’activités

Ret set set


Frapper chaque syllabe sur ses cuisses
A-se pas-se o é
Se lâcher et faire un tour sur soi-même

5) Jeux rythmiques : avec objets

Le but ici est d’apprendre à se passer un objet, ou plusieurs objets (balles,


galets, pommes de pin, petits coussins,…), sur une pulsation donnée. En-
suite diverses variantes peuvent être imaginées, allant d’un passement
simple à un passement « chorégraphié » de type « cup song ».
Avec les 3e maternelles nous conseillons de commencer par apprendre
à se passer une petite balle sur une pulsation donnée par l’enseignant (ma-
nifestée en frappant sur un tambourin par exemple). Il est important que
la pulsation reste régulière et que les enfants apprennent à contrôler leur
geste.
Au fil des séances, varier la vitesse des pulsations, ajouter éventuelle-
ment un deuxième objet dans le cercle.
Apprendre aussi à se passer l’objet sur la pulsation, tout en chantant
la chanson. Pour cela il est important, au début, que l’enseignant frappe la
pulsation sur son tambourin tout en chantant la chanson, pour donner le
repère aux enfants.

6) Orchestration sur la chanson

Pour l’exercice suivant on fait trois groupes d’enfants. Le premier reçoit


des tambourins, le second des triangles, le dernier des maracas. Les en-
fants doivent apprendre à reconnaitre leur signe, un cercle pour les tam-
bourins, un triangle pour les triangles et une ligne pour les maracas. Il est
indispensable qu’en chantant l’enseignant montre aux enfants les signes
sur la partition avec une baguette, pour qu’ils puissent la suivre et la
« lire ».
Ingrid Hoonhorst & Marielle Vancamp127

Figure 2 Orchestration

7) Chanson de fin

Choisir une chanson calme, avec un tempo lent, sur laquelle les enfants
peuvent se balancer doucement.
La chanson peut parler du fait de se quitter ou pas.
On peut proposer de petits jeux comme enlever progressivement des
mots ou phrases de la chanson, à prononcer mentalement, jusqu’à ce que
les enfants chantent la chanson entière « dans leur tête ». Cela permet de
travailler l’audition intérieure.
Le but est de ramener le calme et la concentration après l’agitation des
points précédents.
128 Musique et apprentissages : protocole d’activités

Ex : Coquelicot, tu te balances

Se mettre en cercle et se donner la main. Tout en se balançant, chanter la


chanson une ou deux fois, puis enlever le mot « coquelicot », puis « tu te
balances » etc. jusqu’à la chanter silencieusement dans sa tête.
Ingrid Hoonhorst & Marielle Vancamp129

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La musique à l’aide des troubles
d’apprentissage
Alice Dormoy

Depuis une vingtaine d’années, les études scientifiques nous amènent à


mieux comprendre les effets de la musique sur nos fonctions cognitives
les plus complexes, sur nos comportements et nos émotions. Ces apports
sont précieux car ils éclairent d’un jour nouveau les pratiques pédago-
giques scolaires et musicales à destination de toute personne en situation
d’apprentissage. Sur le terrain, le lien entre musique et développement de
l’enfant semble évident pour de nombreux pédagogues. L’évolution des
approches depuis les méthodes actives et le développement de pédago-
gies multiples prenant en compte l’enfant dans toutes ses intelligences,
sont présents dans les esprits des enseignants, mais aussi des parents qui
expriment de plus en plus leur intuition ou conviction à ce sujet. En nous
montrant les liens étroits tissés dans le cerveau humain entre les capaci-
tés rythmiques ou de perception mélodique, et la lecture ou le calcul, les
sciences nous indiquent une nouvelle voie pédagogique, et sans doute
une nouvelle posture à envisager : il est en effet possible de repenser la
transmission de savoirs en tenant davantage compte de notre fonctionne-
ment cérébral, comportemental, sensori-moteur, émotionnel.

1. Créer une synergie éducative en faveur


d’un soutien cognitif
La pratique musicale (notamment par l’intermédiaire d’un entraînement
multimodal impliquant simultanément la participation active des aires
auditives, visuelles, motrices et verbales) a de surcroît un effet bénéfique
sur les troubles spécifiques des apprentissages tels que la dyslexie.1 Nous

1 Habib, M. (2018). La constellation des dys : bases neurologiques de l’apprentissage et de ses


troubles [2014]. Paris : De Boeck-Solal, 177 – ​178.
132 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage

prenons conscience que la musique peut nous offrir des ressources ca-
pables d’assurer une remédiation cognitive à part entière2, en renfort de
la prise en charge rééducative. Améliorer sa perception de l’un des pa-
ramètres du son nous amène à mieux discerner, sentir, intégrer des élé-
ments souvent communs au langage, mais aussi à faire fonctionner les
capacités cognitives nécessaires à tout apprentissage. En apprenant, par
exemple, à ressentir différentes durées de sons, l’enfant améliore ses capa-
cités de traitement temporel, qui lui seront utiles dans la mise en place des
processus de lecture et de mathématiques.
Ces données répondent à la fois à la nécessité actuelle d’aménager les
cours de musique pour les dyslexiques dans les Etablissement d’ensei-
gnement artistique, mais aussi de développer des temps d’expression ar-
tistique à l’école pour leurs bienfaits cognitifs et pour le bien-être des en-
fants. Faciliter l’accès à un instrument pour un enfant dyslexique l’autorise
à exprimer sa créativité, sa fibre artistique, ses émotions, tout en soutenant
ses apprentissages. Faire de la musique à l’école l’ouvre également à un
contenu culturel sensible le conduisant sans le savoir à développer ses ca-
pacités cognitives. Par le biais d’un même médium, ces deux mondes pé-
dagogiques peuvent se retrouver autour d’un objectif commun, celui d’ai-
der l’enfant dys à exprimer pleinement son potentiel.
Certaines valeurs, représentées par un accès facilité à la connaissance,
dans le respect des différences et des fonctionnements cognitifs, rap-
prochent en outre le monde scolaire et celui de l’enseignement artistique.
Si l’objectif est d’amener un enfant dys avec troubles attentionnels à mieux
se centrer sur une tâche, sur la compréhension d’un mécanisme ou sur
la mémorisation d’une connaissance, envisager de développer son temps
et sa qualité attentionnels peut ainsi être pensé en collaboration, et par le
biais de la musique. Par exemple, l’attention peut être renforcée par les ac-
tivités suivantes :
•• l’enseignant d’une classe de CP ajoute du chant et un geste à son ac-
tivité de lecture habituelle : il réalise des lectures spatialisées à tra-
vers l’activité « Jouer avec les mots » :

2 Habib, M., Commeiras, C. (2014). « Melodys » : remédiation cognitivo-musicale des troubles


de l’apprentissage. Paris : De Boeck Supérieur.
Alice Dormoy133

Figure 1 Extrait de la fiche d’activité Jouer avec les mots (1) tiré de l’ouvrage à paraitre
aux éditions Retz, Maths et langage en musique, méthode Ecole Chantée (L’Ecole Chan-
tée est une approche pédagogique sonorisant les apprentissages en maths et langage
pour les GS/CP/CE1 dans un but de prévention des difficultés scolaires.).

Les enfants lisent ici les mots indiqués au tableau, en les chantant
sur deux hauteurs de sons (par exemple, do 4 et do 5). Ils peuvent
dans le même temps figurer ces deux hauteurs avec le corps en se
mettant debout/accroupis ou en les montrant d’un geste de la main.
•• Au conservatoire ou en école de musique, le professeur de Forma-
tion musicale qui souhaite aborder les premiers rythmes et leur
notation, peut adapter ses exercices à l’enfant dyslexique ayant
des troubles attentionnels. Il propose alors au groupe de faire du
rythme dans des cases au sol :
1. les enfants apprennent à marcher sur la pulsation, en posant un
pas par case, sur une musique bien régulière (par exemple, sur
la marche royale du lion, Carnaval des animaux, St Saens).
2. l’enseignant pose des valeurs rythmiques dans les cases (noires
et soupirs pour commencer).
3. les enfants marchent dans les cases, et lorsque l’une d’entre elles
contient un évènement sonore (une noire), ils frappent le rythme
dans les mains.
4. Ils peuvent également verbaliser les rythmes : « noire » « chut »…
ou dire « ta » et ne rien dire sur les silences.
5. Enfin, ils combinent la marche dans les cases, les clappings dans
les mains et la verbalisation.
6. Reproduire enfin les rythmes à son instrument ou à l’aide de pe-
tites percussions.
134 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage

De cette manière, l’enfant dys peut se centrer sur ses lectures, mé-
moriser les figures rythmiques et les réinvestir, tout en développant
son temps attentionnel.
•• le professeur d’instrument peut également aménager l’apprentis-
sage d’une pièce musicale en intégrant des activités attentionnelles.
Pour apprendre un motif isolé, l’enfant peut, par exemple, le jouer
une première fois, puis faire un tour de la pièce, et venir le rejouer.
Il peut également interpréter ce motif à tour de rôle avec son ensei-
gnant. L’enseignant peut enfin isoler le rythme du motif et le frap-
per dans les mains de l’enfant (paumes vers le haut), puis inverser
les rôles.
Ces aménagements sont adaptés au profil de l’enfant, facilitent l’ap-
prentissage instrumental et soutiennent ses capacités attention-
nelles.
L’approche multimodale dans les activités musicales implique une partici-
pation active de l’enfant dans son apprentissage, favorisant un soutien co-
gnitif. En incitant l’enfant à engager son corps, à le mettre en mouvement
dans les activités proposées, ses capacités attentionnelles s’améliorent.
Impliquer le verbal l’aide à commander ou à automatiser certains gestes
à l’instrument ou dans les percussions corporelles. Les supports visuels
adaptés soutiennent quant à eux l’audition et la mémorisation. Il est ain-
si possible de penser sa pédagogie par le prisme de fonctions cognitives
à cibler.
Mais comment construire un cours de musique adapté en conserva-
toire ? Concomitamment, quelles activités musicales multimodales peut-
on mettre en place en milieu scolaire ?

2. Exemple d’aménagements pour un cours de


piano adapté aux troubles d’apprentissage
Un adolescent de 13 ans avec une dyspraxie, une dysorthographie et de
légers troubles attentionnels s’inscrit en cours de piano au conservatoire.
Il manifeste des difficultés à se repérer dans l’espace, ce qui peut avoir des
répercussions dans la reconnaissance des notes sur la portée musicale ain-
si que dans le repérage des notes sur le clavier. Dans ce cas, il peut être in-
téressant de lui proposer différents aménagements l’amenant à l’appren-
Alice Dormoy135

tissage d’une pièce musicale, à la lecture de sa partition, et au plaisir de


jouer et de réussir.
Le cours d’instrument et les ateliers d’éducation musicale Melodys
s’articulent autour de 4 axes :
1. le développement auditif,
2. le rythme et la motricité,
3. la lecture et l’écriture musicales adaptée,
4. la pratique instrumentale adaptée.
Ces quatre moments sont souvent imbriqués, mais ils aident les ensei-
gnants à équilibrer la séance adaptée. Les aménagements sont basés sur
des activités multimodales sélectionnées pour concrétiser certaines no-
tions musicale, pour contourner les difficultés rencontrées à l’instrument,
et pour soutenir dans le même temps certaines fonctions cognitives ci-
blées telles que l’attention, l’inhibition, la motricité, la planification, les ca-
pacités spatio-temporelle.
Sur un arrangement simplifié de la Sarabande de Haendel, qui plaît au
jeune étudiant, je prépare une partition adaptée impliquant une notation
bicolore. Les notes se trouvant sur les lignes seront en noir et celles entre
les lignes en gris, comme suit :

Figure 2 Notation bicolore.


136 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage

Je commence le cours par des lectures de notes chantées et suivies du


doigt sur la portée musicale progressive en 3D3, en allant du fa en bas
de la clé de sol, au fa 5ème ligne. J’ajoute quelques jeux de reconnaissance
(« quelle est cette note posée sur la 5ème ligne ? »), une dictée pour mémori-
ser l’emplacement de la note (« peux-tu poser un fa aigu sur la portée ? »)
et des inventions (pose les notes de ton choix en les nommant, puis re-
chante et rejoue ta création). Ces exercices de développement auditif et de
notation adaptée amènent l’étudiant à apprendre le nom des notes qui lui
seront nécessaires pour lire sa pièce et soutiennent les capacités attention-
nelles, et le repérage spatial. Cette étape peut également être réalisée en
cours de formation musicale. La portée 3D permet également d’éviter de
passer trop souvent par l’écriture des notes, lorsque celle-ci est trop labo-
rieuse (dans les cas de dysgraphies et dyspraxies importantes) et qu’elle
freine le travail de développement auditif.
Je propose ensuite la partition bicolore comme un rappel du relief ex-
périmenté sur la portée 3D. Après plusieurs échanges avec l’étudiant,
nous choisissons de conserver ce support adapté, et remarquons ensemble
qu’une note principale est suivie de deux notes entourant la première. Le
support lui convient et l’aide à lire ses notes et à se repérer sur la partition.
Il est parfois nécessaire d’échanger avec l’enfant pour pouvoir mettre en
place les aménagements qui lui conviennent le mieux, car cela peut être
très différent d’un sujet à l’autre. En revanche, sur le clavier, les sens de
jeu s’entremêlent, il confond certaines touches similaires, et se perd dans
l’orientation des notes. Un aménagement visuel pour mieux se repérer
sur le clavier pourrait l’aider. Je lui propose ce schéma comprenant une
note principale (en rouge) et des notes reliées qui arriveront après la rouge
dans la séquence mélodique.

3 La portée musicale progressive en 3D est un outil spécifique proposé dans les cours
adaptés Melodys. Il soutient et facilite la lecture de notes dans les cas de troubles d’appren-
tissage. Voir : https://www.melodys.org/fr/aldryn-newsblog/methode-melodys/ ; dernier ac-
cès 14. 3. 2​ 019.
Alice Dormoy137

Figure 3 Sarabande.

Instantanément, l’étudiant pense la mélodie comme un parcours en re-


lief et se repère sur son clavier. Nous ajoutons un léger mouvement du
buste allant dans la direction de la note (pour le premier motif, l’étudiant
penche légèrement vers la droite (vers les aigus) puis vers la gauche (vers
les graves) pour mémoriser le mouvement des sons allant de fa vers sol
puis mi). Nous alternons enfin ce support et la partition, pour qu’il ne dé-
laisse pas la lecture de notes.
Cet aménagement a soutenu le geste instrumental, le repérage spa-
tio-temporel, et a permis à l’étudiant un apprentissage plus rapide. Il n’au-
rait certainement pas convenu à un autre étudiant dyslexique tant les pro-
fils de chacun peuvent être différents, mais sans aménagement, le temps
d’apprentissage aurait sans doute été beaucoup plus long et fastidieux.
Pour l’aider dans la mise en place rythmique, nous réalisons le rythme
de la mélodie en marchant sur place4, et en frappant les rythmes dans

4 Selon la méthode O passo, qui préconise un apprentissage rythmique passant par le pas.
Voir https://www.institutodopasso-fr.org/ ; dernier accès 14. 3. 2​ 019.
138 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage

les mains. Nous pratiquons ainsi la première ligne, et ce rythme est tout
de suite réinvesti au clavier, sur une note, puis sur les notes de la Sa-
rabande. Cet aménagement aide beaucoup l’étudiant à caler les rythmes
de la dernière page. Cette approche complémentaire l’aide ainsi à réali-
ser le rythme de sa pièce, à mémoriser les figures de rythme, mais aussi à
mieux contrôler sa motricité fine, et à anticiper ses gestes.
Lors des séances suivantes, nous ajoutons une basse, apprise sur une
feuille séparée, vierge au niveau de la main droite, afin de ne pas entrete-
nir de confusion entre les deux mains dans la lecture musicale. Puis, je lui
présente la partition complète, toujours bicolore.
Dans ce cours adapté, l’étudiant a pratiqué des activités de dévelop-
pement auditif, des exercices développant sa conscience rythmique et sa
motricité, des notations adaptées et la portée 3D l’ont aidé à suivre sa
partition et à lire ses notes, et l’arrangement simplifié ainsi qu’un soutien
au repérage clavier l’ont aidé à apprendre la pièce. Ainsi, l’objectif pour
l’enseignant est double avec une visée pédagogique (l’étudiant doit ac-
quérir des savoirs et savoirs faires lui permettant de jouer de son instru-
ment) et une visée de soutien cognitif (pour soutenir le développement de
l’attention, du repérage spatial et de la motricité fine de l’étudiant). Bien
loin de se substituer au rééducateur, l’enseignant peut néanmoins cibler
consciemment certaines activités en fonction des difficultés repérées (voir
chapitre précédent) et participer de l’évolution de l’enfant vers son épa-
nouissement global.

3. Exemple d’activités multimodales


pour l’école
En milieu scolaire, de nombreuses activités multimodales peuvent être
mises en place par les intervenants en musique, mais aussi par les ensei-
gnants volontaires, sans nécessairement posséder de connaissances musi-
cales particulières.

1. Dans le domaine du développement auditif, le chant demeure naturellement


central, mais le choix des chansons peut s’orienter spécifiquement vers un
soutien de la perception des phonèmes (avec les chansons de phonèmes
et les chansons de comparaisons de phonèmes), vers un renforcement du
Alice Dormoy139

découpage syllabique, la découverte de la bande numérique ou encore


la lecture de l’heure sur un cadran5. Les chansons constituent dans l’ap-
proche Melodys, le fil rouge des activités proposées par la suite. L’ensei-
gnant peut ainsi, à partir d’une chanson de comparaison des sons [s]/[z],
ajouter une action motrice comme lever le doigt lorsqu’on entend le son
[s]. Si la mélodie est conjointe et avec peu d’ambitus, l’enseignant peut
proposer aux enfants de montrer la hauteur des sons avec la main. Il peut
aussi mettre en place une pratique d’ensemble en partageant la classe en
trois groupes : le premier chante la chanson, le second joue le refrain de
la chanson au carillon escalier et le troisième frappe la pulsation ou un
rythme répétitif sur de petites percussions.
Les activités de développement auditif s’articulent notamment autour
de la perception des hauteurs. Pour ces activités, le carillon escalier est
très utile car il présente les lames du carillon de manière spatialisée, et
évite les confusions d’orientation.

Figure 4 Carillon escalier.

La pré-notation des hauteurs est la première représentation musicale


écrite abordée avec les enfants, en amont de la notation traditionnelle sur
une portée musicale.

5 Consulter ces chansons dans l’ouvrage à paraitre Dormoy, A. (2019). Maths et langage en
musique. La méthode Ecole Chantée. Paris : Retz.
140 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage

Figure 5 Exemple de pré-notation des hauteurs (cartes escalier) pour l’intégration des
hauteurs de sons en chant ou au carillon.

C’est un support que les enfants associent d’ailleurs facilement au carillon


escalier. Ce dispositif soutient la perception des hauteurs (centrale dans
toute perception auditive, qu’elle soit musicale ou langagière), tout en évi-
tant les confusions de mouvement du son vers les aigus ou vers les graves.
En ajoutant du langage au dessus des traits, ce support permet de sou-
tenir également le découpage syllabique. Dans l’activité « Les mots es-
caliers » de l’Ecole Chantée, un support mp3 accompagne les enfants au
moment de chanter un mot à trois syllabes sur différentes cartes escalier.
L’accompagnement invite les enfants à avancer le regard, à anticiper leur
lecture, le tout dans le plaisir de faire de la musique ensemble.

Figure 6 Activité « Les mots-escaliers » de l’Ecole Chantée.


Alice Dormoy141

Des activités de dictées de hauteurs sont également intéressantes à mettre


en place à l’aide de supports adaptés comme ce tableau à plastifier com-
prenant 3 colonnes colorées et 3 scratchs noirs par enfant.

Figure 7 Support pour les dictées de hauteurs.

Dans la première colonne (la verte), l’enfant entend un premier son qui
peut être aigu, grave, ou medium. En fonction du son joué (au clavier
ou au carillon) ou chanté par l’enseignant, l’enfant pose une note en haut
(pour un son aigu), en bas (pour un son grave) ou au milieu (pour un son
medium). L’activité est à reproduire trois fois, et à renouveler plusieurs
fois. Les enfants peuvent ensuite chanter ou jouer les trois sons au caril-
lon escalier.
Le développement auditif passe également par l’entraînement à la per-
ception des sons courts et longs. Pour soutenir la perception fine des du-
rées de sons6, nous avons recours à un geste moteur (glisser la main sur
la table, de gauche à droite, pour un son long, et frapper d’un coup sec
pour un son court), à un support visuel (la pré-notation des durées sous
la forme de traits droits courts ou longs), et à la verbalisation (l’enfant dit
« court/lonnnnnnnng » ou « ta/taaaaaaaaaaaaa ».

6 Un défaut de traitement des aspects temporels de la parole a été observé chez le


dyslexique. Cf. Habib, M., Lardy, C., Desiles T., et al. (2013). Musique et dyslexie : vers une
rééducation cognitivo-musicale intermodalitaire des « troubles dys ». Développements 3 – 4
(n° 16 – 17), 36 – ​60.
142 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage

2. La pratique rythmique est centrale dans une séance musicale soutenant


les apprentissages.7 La partie « Rythme et motricité » est dédié au déve-
loppement du jeu rythmique et des habiletés motrices. Dès que possible,
pour respecter le principe de multimodalité, un geste moteur est aussi as-
socié aux activités auditives.
Pour renforcer le sentiment de pulsation, commencer par s’installer
tous en cercle, et passer la pulsation à son voisin (sur mains droites/puis
retour sur mains gauches) sur une musique rythmée. Poser son attention
sur la fluidité du geste et sur l’arc de cercle créé avec son bras afin de rem-
plir l’espace entre deux pulsations permet de mieux ressentir le déroule-
ment temporel et d’ajuster son geste. Le mouvement et le visuel renforcent
le sentiment de pulsation régulière. Les activités de percussions corpo-
relles, de pratique rythmique en relai ou sur une musique, les chorégra-
phies sur un extrait musical comprenant des déplacements sont à favori-
ser (cf. chapitre 4 sur la pratique instrumentale).

3. Le volet « vers l’écriture et la lecture musicales » correspond, dans l’ap-


proche melodys, à la mise en place d une progression dans l’accès à la no-
tation musicale traditionnelle. A l’ école, il peut se traduire par l’utilisation
de pré-notations des durées, des hauteurs (voir ci-dessus), des hauteurs
et durées combinées, de différents codages complémentaires, comme la
Règle du temps®, les pictogrammes de percussions corporelles ou les mu-
sicogrammes8. Les supports visuels sont suivis du doigt ou des yeux par
les enfants pendant l’activité motrice, auditive ou verbale.
L’enseignant peut ainsi proposer des partitions simplifiées des chan-
sons connues des enfants. Ces derniers suivront ainsi les traits du doigt,
au tableau ou sur leurs partitions individuelles, et en temps réel. Ils pour-
ront également suivre la partition des yeux et montrer les hauteurs d’un
geste de la main, tout en chantant. Ces premières partitions leur indiquent

7 Flaugnacco, E. et al. (2015). Music Training Increases Phonological Awareness and Rea-
ding Skills in Developmental Dyslexia : A Randomized Control Trial. PLoS ONE 10(9) :
e0138715. doi:10.1371/journal.pone.0138715.
8 Les animations de Stephen Malinowski (musanim ou Music Animation Machine) sont
d’excellents supports pour la mise en place d’activités motrices. Par exemple, sur l’animation
réalisée sur le second mouvement du concerto K.622 pour clarinette de W. A. Mozart, les en-
fants peuvent suivre la mélodie d’un geste de la main, et repérer les instruments dans les
interventions orchestrales sans le soliste. Dans certains passages, l’enseignant peut chanter
la mélodie et les enfants la retrouver sur l’écran et indiquer la couleur et l’instrument, puis
la chanter avec un geste de la main.
Alice Dormoy143

ensuite quelles notes jouer au carillon escalier. Pour soutenir la mémoire,


l’enseignant peut ajouter les paroles au-dessus des traits.

Figure 8 Exemple de partition en pré-notation des hauteurs et durées.

Le support visuel suivant, appelé la Règle du temps®, permet notamment


de structurer et de motiver les premières lectures à l’école sans nécessiter
de temps de face à face pédagogique supplémentaire. L’activité consiste
ici à rythmer les premières lectures des enfants de GS/CP.

Figure 9 Activité « Lecture rythmée » tirée de l ouvrage à paraître l Ecole chantée.


144 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage

Cet outil, utilisé également pour l’enseignement rythmique adapté, sti-


mule les plus jeunes en milieu scolaire. Il renforce notamment l’attention,
la séquentialité, motive la lecture et l’anticipation du regard. L enseignant
inscrit au tableau plusieurs règles du temps de 4 cases vierges. Il indique
la pulsation en pointant chaque case à l’aide d’une baguette, et demande
aux enfants de le suivre en frappant dans les mains. Il ajoute ensuite des
évènements sonores dans certaines cases. Cela peut être des lettres seules,
des syllabes isolées ou formant des mots. Les enfants lisent en rythme en
suivant la pulsation toujours indiquée par l’enseignant. S’ils ont un sup-
port chacun, ils suivent chaque case du doigt ou avec un stylo tout en li-
sant en rythme.

4. Penser une pratique instrumentale à l’école, adaptée aux difficultés par-


fois rencontrées par les enfants avec troubles d’apprentissage, s’organise
ici encore à partir de chansons (jouer une mélodie au carillon escalier) ou
d’extraits musicaux choisis pour la clarté d’une voix rythmique ou mélo-
dique. Les enfants intègrent alors facilement les différentes parties qui se
superposent pour s’acheminer vers une production finale complète et gra-
tifiante.
Dans le Rondeau A la chasse d’Hippolyte et Aricie de J. Ph. Rameau,
prévoir, dans une salle de motricité, de partager la classe en deux groupes :
le premier réalise une chorégraphie, le second est partagé en trois parties
et réalise des rythmes aux percussions (triangle, tambourin, clapping). Le
groupe des percussions joue dans le refrain et le groupe debout intervient
dans les couplets. Intervertir les groupes pour que tous les enfants parti-
cipent au jeu rythmique et aux mouvements. Si l’espace est limité, il est
possible de ne réaliser que la partie percussion tous ensemble, et attendre
le retour du refrain pour jouer en suivant le musicogramme.
Les percussions réalisent d’abord des clappings sur le rythme « deux
croches noire », répété deux fois. Puis, les triangles entrent en jeu pour 7
sons, et le tambourin s’ajoute au 7ème son. Dans la 2ème ligne, les tambou-
rins prennent le relai des clappings pour seulement 6 sons cloturés par un
son de triangle seul.
Alice Dormoy145

Figure 10 Illustration des percussions à réaliser sur la musique.

La chorégraphie est constituée de petits pas en avant (sur « deux croches


noire », répétés deux fois), puis 4 pas en arrière. Ensuite se mettre 3 fois ac-
croupis et finir par un arc de cercle avec les bras au dessus de la tête. La se-
conde ligne correspond aux mêmes mouvements avec un clapping final.

Figure 11 Illustration des mouvements à réaliser sur la musique.


146 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage

4. Conclusion
Mieux connaître le potentiel du matériau musical, sous l’angle des sciences
cognitives, nous ouvre une boite à outil géante, restant encore à explorer.
Mettre en place des actions pédagogiques dans cette direction nous per-
met d’agir ensemble autour de mêmes objectifs d’éducation, de soutien à
la rééducation, et d’épanouissement de l’enfant. En France, les initiatives
se multiplient depuis quelques années. Certains conservatoires ouvrent
leur pédagogie aux troubles d’apprentissage, développant la formation
de leurs professeurs, la mise en place de coordinateurs, les aménagements
pour les examens, ou encore des ateliers adaptés comprenant des activi-
tés multimodales et un moment de pratique instrumentale. Dans le même
temps, certaines écoles développent des activités musicales spécifiques en
classe entière ou en petits groupes de soutien. La musique peut être inté-
grée au temps scolaire en sonorisant les apprentissages, ou ponctuer régu-
lièrement la journée d’école. Pour autant, la question de l’homogénéité de
l’accès à la musique sous l’angle de ses bienfaits cognitifs demeure entière
sur le territoire. Sans occulter les contraintes administratives, logistiques,
humaines et liées aux programmes, la réflexion autour de l’apport de la
musique sur le parcours scolaire, et autour des aménagements permet-
tant de faciliter l’accès à un instrument doit certainement se poursuivre à
un niveau institutionnel. L’accès à un enseignement artistique de qualité
et à une pratique artistique à l’école est un droit de l’enfant dys comme de
tout enfant mais le débat doit se poursuivre pour que chacun puisse bé-
néficier des pouvoirs intrinsèques de la musique comme piliers de l’édu-
cation de demain.
Alice Dormoy147

Bibliographie

Bigand, E., Habib, M., Brun, V. (2012). Musique et cerveau nouveaux


concepts, nouvelles applications [40e Entretiens de médecine physique et
réadaptation, 8 mars 2012, Montpellier], Sauramps médical, 135 pp.
Commeiras, C., Lardy, C., Dormoy, A., et al. (2017). Remédiation cogni-
tivo-musicale : un projet innovant pour la prise en charge des enfants
dys. Dyslexies développementales. Evidences et nouveautés. Montpellier : Sau-
ramps Médical, 136 pp.
Dormoy, A. (2019). Maths et langage en musique, méthode Ecole Chantée. Pa-
ris : Retz. « à paraître ».
Flaugnacco, E. et al. (2014). Rhythm perception and production predict
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Flaugnacco, E., Lopez, L., Terribili, C., Montico, M., Zoia, S. et Schön, D.
(2015). Music Training Increases Phonological Awareness and Reading
Skills in Developmental Dyslexia : A Randomized Control Trial. PLoS ONE
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Habib, M. (2018). La constellation des dys : bases neurologiques de l’apprentis-
sage et de ses troubles. Paris : De Boeck-Solal, 177 – ​178. (Première édition :
2014).
Miles, T. R. et Westcombe, J. (Eds.) (2001). Music and Dyslexia : Opening
New Doors. Londres : Whurr Publishers Ltd.
Oglethorpe, S. (2002). Instrumental music for dyslexics : A teaching handbook.
Londres : Whurr. (Première édition : 1996).
148 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage

The London Academy of Music and Dramatic Art (2012). About LAMDA
Examinations : Reasonable Adjustments (online). Disponible sur https://
www.lamda.ac.uk/our-exams/applications-within-the-uk/reasonable-ad​
justments ; dernier accès 14. 3. 2​ 019.

De nombreux articles sur « Musique et apprentissages » sont consultables


dans la rubrique « actualité scientifique » du site internet www.melodys.
org.
Le projet « Art et Apprentissage »
en Kaléidoscope
Tatiana De Barelli

En ce mois d’avril 2019, le projet Erasmus+ « Art et Apprentissage » en


est à la dernière phase. Dans 4 mois ; à la fin août, il se termine. C’est l’oc-
casion de situer le projet dans son contexte historico-social et d’y appor-
ter, tel un kaléidoscope, les points de vue et les témoignages des acteurs
de cette démarche : les enseignants, les professeurs de musique, les logo-
pèdes/orthophonistes, les scientifiques et bien sûr, nos maîtres par excel-
lence : les enfants.

1. D’où vient le projet ?


Ce projet est issu de deux constats : la croissance de l’échec scolaire à tous
les niveaux, la faible importance accordée aux pratiques artistiques dans
l’enseignement.
Or, il est prouvé scientifiquement que la musique, sous toutes ses
formes, a un effet bénéfique au niveau même de la structure cérébrale
(M. Habib, La Constellation des Dys 2015). Certaines expériences dans
ce domaine sont en cours – cfrMelodys à Marseille, Projet « rayonnement
musical » à Uccle, Jonathan Bolduc à Montréal. Elles ont montré l’inté-
rêt des activités musicales, notamment dans le cas d’enfants en difficulté
d’apprentissage scolaire (tous les Dys, TDAH…).
La « multidisciplinarité » s’invite tout d’abord lors de la première
« Journée Internationale de l’écriture de l’enfant » en 2013. Coordonné par
Tatiana De Barelli pour l’asbl Educ’Art, le partenariat avec l’Institut Libre
Marie Haps, Haut Ecole belge, et la présence de différents spécialistes bel-
go-franco-québecquois, ce colloque est une véritable rencontre multidisci-
plinaire. Contact est alors pris avec Michel Habib, neurologue et son asso-
ciation Melodys. Entre ces deux associations, une même dynamique, une
même volonté : mettre l’artistique au service des apprentissages. Educ’Art
150 Le projet « Art et Apprentissage » en Kaléidoscope

est un réseau de thérapeutes et de formateurs qui travaille sur les ques-


tions de l’apprentissage, que ce soit au sein du centre de consultation ou
lors des nombreuses formations destinées aux enseignants, aux parents,
aux thérapeutes. A Educ’Art, on insiste sur l’aspect préventif face aux dif-
ficultés d’apprentissage et explore différentes formes artistiques en lien
avec le développement cognitif des élèves. Melodys se spécialise sur une
approche musicale destinée à accompagner la prise en charge des enfants
porteurs de troubles dys.
Des échanges se mettent en place pendant deux années et, en 2015,
l’opportunité de rallier les forces vives autour d’un projet européen prend
forme.
En Belgique, trois écoles très différentes décident de participer : l’école
« à rayonnement musical » à Bruxelles, le Centre Scolaire Fondamen-
tal Catholique Saint-Michel ASBLà Tournai (près de la frontière fran-
çaise), l’école communale de Chôdes (petite entité près de la frontière al-
lemande) ; en France, ce sont les deux associations-sœurs qui s’engagent
sous la présidence commune de Michel Habib : Resodys et Melodys.
Un troisième pays est nécessaire pour activer le projet ; nous rencon-
trons l’équipe pédagogique du Colegio Cooperativa Mirasur, un collège
privé de la capitale espagnole. Après plusieurs rencontres de travail, nous
sommes convaincus d’avoir gagné un partenaire riche d’expériences pé-
dagogiques innovantes. L’Université de Grenade, avec sa composante
d’investigation et d’étude de la politique d’éducation musicale en Europe,
complète le panel multidisciplinaire de ces huit partenaires au total.
Les composantes scientifiques, pédagogiques, thérapeutiques et poli-
tiques sont ainsi bien présentes.

2. Quelle est l’originalité du projet ?


L’intérêt du projet réside dans :
•• Le lien constant entre la mise en pratique dans les écoles, au tra-
vers des ateliers musicaux et de la formation des adultes (ensei-
gnants, remédiateurs, éducateurs), et la recherche universitaire, qui
se concrétise par les publications issues de différentes disciplines
(neurologie, neuropsychologie, logopédie/orthophonie, pédagogie,
graphothérapie, musicologie).
Tatiana De Barelli151

•• Le souci d’évaluer l’efficacité régulièrement les différentes actions,


qui ont pour but notamment de créer des outils d’évaluation ca-
pables de vérifier et de réajuster :
—— la réussite scolaire objectivable par des résultats,
—— la motivation remarquée par le plaisir d’apprendre,
—— le bien-être général identifiable par la confiance en soi.
Notre projet vise une approche préventive autant que rééducative et a
pour but de généraliser la prise de conscience de l’apport des activités mu-
sicales dans l’enseignement.
Nous envisageons l’activité musicale au sens large, englobant la sen-
sibilité à l’écoute, l’expression rythmique, gestuelle, vocale, graphique,
scripturale, instrumentale, etc.
En miroir à notre société, le monde de l’éducation est en pleine mu-
tation ; face à la nécessité de changements profonds, la culture et l’ensei-
gnement se retrouvent au centre de débats idéologiques et pragmatiques.
C’est pourquoi, au cours des trois années, nous avons veillé à sensibiliser
les autorités chargées de la politique éducative dans les trois pays à l’in-
térêt des activités menées par les acteurs de terrain. Nous espérons, grâce
à ce projet, fournir aux responsables politiques et institutionnels des ar-
guments en faveur de la reconnaissance légale du statut des arts à l’école,
de la formation des enseignants et du financement des projets artistiques.

3. A qui le projet est-il destiné ?


Les publics visés par le projet :
•• les enseignants : essentiels et prioritaires ; ce sont eux qui passent
le plus de temps avec les élèves. Alors que la pratique musicale est
inscrite au programme, ils reconnaissent souvent ne pas avoir suf-
fisamment de formation pour oser assurer un cours d’éveil musical
•• les professeurs de musique : ceux-ci travaillent soit dans les écoles,
soit en extra-scolaire. Souvent seuls face à leur classe (ou en indivi-
duel), ils connaissent peu l’impact de leur pratique sur le cerveau
de l’enfant
•• les logopèdes/orthophonistes/graphothérapeutes : ces « remédia-
teurs » prennent en charge l’élève en difficulté ; ils connaissent peu
l’utilisation de la musique comme adjuvant dans leur travail
152 Le projet « Art et Apprentissage » en Kaléidoscope

•• les futurs psychologues, enseignants, profs de musique, acteurs


de l’éducation, afin d’enrichir leur information et leur donner des
pistes d’action.

4. Ce qui a été réalisé


Grâce aux nombreux contacts avec le monde de l’éducation, universitaire,
des hautes écoles, de la recherche, ce projet Erasmus+ peut se développer
au sein des structures locales qui peuvent à la fois contribuer à la mise en
œuvre du projet mais aussi en assurer la pérennité. En effet, ces institu-
tions et organismes de l’enseignement représentent les leviers de la for-
mation, tant continuée que de base. Notre volonté et notre espoir résident
dans la possibilité de voir ce travail de trois années être valorisé et exploi-
té dans le futur.
Plus précisément, nous parlons de :
•• la conceptualisation d’un canevas d’activités musicales commun
•• un portfolio d’activités musicales en lien avec des vidéos
•• la sélection et conception d’outils d’évaluation et d’observation de
l’impact de la musique, adaptés par chaque partenaire, utilisés par
les enseignants et spécialistes au sein des écoles
•• un protocole formel d’étude du mouvement graphique des enfants
de 5 ans, mis en œuvre dans 5 écoles belges, en collaboration avec
le CNRS Marseille
•• un documentaire en trois parties sur la place de la musique à l’école
et des vidéos professionnelles illustrant le canevas
•• un blog interactif où placer l’information intéressante et les expé-
riences, en français et en espagnol
•• un site web sur le suivi du projet, en français et en espagnol
•• des publications dans des magazines et journaux locaux et natio-
naux en français et en espagnol
•• deux ouvrages en français ; le premier « la musique en orthopho-
nie » ; le second « les bienfaits de la musique à l’école ; une expé-
rience européenne »
•• une interpellation socio-politique par le biais d’un texte fort « la Dé-
claration de Marseille » rédigée en trois langues et appelant à plus
de musique à l’école
Tatiana De Barelli153

•• 5 colloques avec une participation globale de plus de 600 profes-


sionnels à Grenade, Marseille, Bruxelles et Namur
•• plus de 90 formations multidisciplinaires dans les trois pays, aux-
quelles ont participés plus de 200 enseignants, professeurs de mu-
sique et professionnels de la remédiation
•• 3 voyages d’étude, moments forts d’échange, d’observation et d’ap-
prentissage, sur le terrain avec publication des carnets de bord, à
Madrid, Marseille/Nice et la Belgique
•• 3 réunions transnationales ont permis de coordonner l’organisation
du projet.

5. Quelques témoignages positifs


Enseignants :

« Grâce au projet, je comprends mieux l’importance de la musique


en classe. (3ème primaire)
Je vois certains de mes élèves s’épanouir en classe. (5ème primaire)
L’ambiance entre les enfants s’est considérablement améliorée. (4è
primaire)
Les élèves ont envie de poursuivre leur pratique musicale et s’ins-
crivent pour apprendre un instrument.
Les élèves sont heureux et motivés.
Grâce au travail avec le musicien, j’ose à présent diriger des activi-
tés musicales simples et j’aime beaucoup.
Je ne voudrais plus revenir en arrière ! C’est trop bien.
Nous avons appris à chanter, à faire de la musique sans absolument
avoir besoin de beaucoup de matériel.
Je ne suis pas musicienne mais grâce à la formation, je repars avec
un bagage musical exploitable directement.
Je ne m’y connais pas en musique mais j’ai appris des activités mu-
sicales que je peux mettre en place.
154 Le projet « Art et Apprentissage » en Kaléidoscope

Je repars de la formation « faire de la musique sans être musicien »


avec l’envie de faire de la musique dans ma classe, de les voir s’émer-
veiller au contact du monde sonore ».

Professeurs de musique :

« Jusqu’à présent, j’improvisais mon cours de musique ; mainte-


nant, j’ai une structure et je vois que les élèves se sentent plus sé-
curisés.
Pour la première fois, les enseignants sont venus dans ma classe de
musique et s’intéressent à ce cours !
Travailler avec l’enseignant est très gratifiant ; chacun a vraiment
la sensation d’apporter quelque chose de complémentaire à l’autre. »

Remédiateurs :

« Les enfants sortent de la consultation en chantant !


J’ai à présent une série d’activités simples à proposer en séance ; cela
change de la routine !
L’ambiance est bien plus détendue, maintenant que nous prenons
quelques minutes pour faire de la musique ! »

Les enfants :

« Je me sens bien quand je fais de la musique en classe.


Avant, j’étais nerveux ; maintenant, je suis détendu.
La musique, ça m’aide à exprimer mes émotions ; quand je suis
content et aussi quand je suis triste. Et c’est bien.
J’aime bien chanter avec les autres.
Parfois, le soir, je me cache sous la couverture, et je chante encore ce
qu’on a appris pendant la journée. »
Tatiana De Barelli155

Les difficultés : Certains enseignants n’ont pas souhaité rentrer dans ce pro-
jet ; « je ne me sens pas à l’aise ; je n’ai pas assez de formation ; je chante
faux ; je ne suis pas musicien(ne) ; je n’ai pas le temps, avec tout le pro-
gramme qu’il faut accomplir !! »
Des professeurs de musique estiment « qu’il faut faire de la musique pour
la musique elle-même ; il ne faut pas toujours vouloir justifier par des ar-
guments scientifiques ».

6. En conclusion
Trois ans, c’est à la fois peu et beaucoup.
Peu ? Force est de constater que le thème de l’Art à l’Ecole remet en ques-
tion les priorités éducatives, il concerne les programmes, les pratiques di-
dactiques et le regard face aux troubles de l’apprentissage. Trois années
c’est peu pour mobiliser et changer les idées et les institutions…
Ces trois années représentent donc une tentative, parmi d’autres, qui
a permis l’émergence de belles collaborations mais aussi des sources de
conflits, de résistance et même de refus.
L’interdisciplinarité nécessaire déstabilise et provoque soit un grand
intérêt de collaboration ; soit des peurs, des résistances. Et cela aussi fait
partie du chemin.
Beaucoup ? En nous focalisant sur les liens et interactions entre science,
pédagogie, art, thérapie, nous avons pu :
•• définir « la musique à l’école »,
•• créer des synergies entre artistes et enseignants,
•• approfondir les connaissances et diffuser cette démarche interdis-
ciplinaire entre autres par des formations, des colloques, des confé-
rences,
•• renforcer des collaborations existantes,
•• créer des outils audiovisuels et littéraires,
toucher de nombreux professionnels. Nous sommes confiants : en France
et en Belgique, des structures politiques et institutionnelles sont sensibles
à cette démarche. En Espagne, un effort supplémentaire est nécessaire.
A espérer donc que les moyens humains et financiers seront dispo-
nibles pour que l’Art puisse prendre sa place à l’école. De nombreuses
156 Le projet « Art et Apprentissage » en Kaléidoscope

collaborations sont possibles, pour autant que l’on sorte de son espace de
confort et que l’on soit, à niveau personnel, d’école ou d’institution, un mi-
nimum soutenu.
Nous constatons sur le terrain, la nécessité d’encourager les projets
concrets dans les écoles et en extra-scolaires mais, en même temps, le be-
soin de poursuivre une réflexion plus profonde sur ce qu’est « éduquer »
un enfant, enseigner, dans le monde actuel. Et ce, avec les parents, les en-
seignants, les chercheurs, les thérapeutes, les artistes.
A suivre donc et surtout à poursuivre !
Déclaration de Marseille 2018
Pour la défense de la Musique
et de l’Education Musicale

En ce 7 juin 2018, a eu lieu à la Cité de la Musique de Marseille (France),


le colloque européen transnational « Musique, plasticité du cerveau et
apprentissages », dans le cadre du projet Erasmus+ Art et Apprentissage
(2016 – ​2019) qui réunit différentes institutions éducatives de France, Bel-
gique et Espagne.
Ce colloque a réuni des chercheurs, musiciens, éducateurs, ortho-
phonistes et logopèdes renommés d’Europe et d’Amérique, dans le but
d’échanger des idées sur l’importance éducative, sociale et politique de
l’éducation musicale au sein des centres d’enseignement obligatoire, ain-
si que sur le profil académique de la formation initiale des professeurs de
musique.
Entre autres, les nouvelles recherches en neurosciences liées à la pra-
tique musicale ont fait l’objet de débats, ainsi que les perspectives ac-
tuelles et futures de l’enseignement et de la recherche dans les domaines
de l’éducation musicale, de la prévention et de la rééducation.
Le colloque a acquis un poids politique particulier grâce à la partici-
pation de personnalités de renommée internationale des Universités de
Marseille, Nantes et Tours (France), Grenade (Espagne), Laval (Canada)
et de groupes de travail tels que Resodys (France), Performative Music Edu-
cacion Network (PerforME) ou le Groupe de Recherche et d’Innovation en Mu-
sique et Education Musicale (RIMME), ainsi que des représentants des poli-
tiques de la santé et de l’éducation de France et de Belgique.
Les participants ont accordé une attention particulière à la situation de
l’éducation musicale et à la formation initiale des professeurs de musique
en Europe. De ces débats, les positions suivantes ont émergé à la fin du
colloque. Il nous paraît fondamental de les faire connaître aux instances
politico-éducatives des différents pays de l’Union européenne :
1. Les nouvelles recherches scientifiques en neurosciences lèvent tout
doute sur la valeur de la musique pour la santé et le bien-être des
158 Déclaration de Marseille 2018

personnes, tant individuellement que collectivement. Par consé-


quent, face à cette évidence pédagogique et à l’urgence démocra-
tique, l’accès à une éducation musicale de qualité ne peut être remis
en question en tant que droit de tous les citoyens à la démocratisa-
tion de la culture, à la prévention des troubles d’apprentissage ainsi
qu’en tant que moyen de rééducation.
2. Comme le prévoit le Pacte pour un enseignement d’excellence en Bel-
gique francophone, où la musique ainsi que les autres langages ar-
tistiques aura un caractère obligatoire à tous les niveaux d’ensei-
gnement, nous demandons à tous les responsables de la politique
d’éducation en Europe de s’engager à intégrer l’éducation musicale
dans le programme général, avec un minimum de deux heures par
semaine dans l’enseignement primaire et tout au long de l’ensei-
gnement secondaire obligatoire.
3. Une éducation musicale de qualité n’est possible qu’avec des pro-
fesseurs qualifiés. Il est donc essentiel que la formation initiale des
professeurs de musique se concentre sur un haut niveau de pra-
tique et de théorie musicale, d’interprétation et de musicologie,
mais aussi, et surtout, sur la pédagogie musicale et la didactique de
la musique, à la fois dans les études de Baccalauréat et de Master
dans les universités et les conservatoires.
4. En plus des domaines éducatif et socio-éducatif, s’ouvrent de nou-
veaux champs en thérapie et en rééducation, où l’intervention mu-
sicale prendra à l’avenir une importance non négligeable pour la-
quelle on devra prévoir également une formation de qualité.
5. Il est urgent de garantir la recherche dans tous les domaines de la
musique, de soutenir des programmes de doctorat de qualité dans
les universités et de financer des projets de recherche axés sur l’in-
novation et le progrès social par le biais de la musique sous toutes
ses formes.

Marseille, le 7 juin 2018


Declaración de Marsella 2018
Por la defensa de la Música
y de la Educación Musical

El día 7 de junio de 2018 tuvo lugar en la Cité de la Musique de Marsella


(Francia) el encuentro europeo transnacional »Música, plasticidad del ce-
rebro y aprendizaje«, como parte del Proyecto Erasmus+ Arte y Aprendiza-
je (2016 – ​2019) que agrupa a diferentes instituciones educativas de Fran-
cia, Bélgica y España.
En este coloquio participaron reconocidos investigadores, músicos,
educadores, ortofonistas y logopedas de Europa y América, con el fin de
intercambiar ideas sobre el importante significado educativo, social y po-
lítico de la Educación Musical en los centros de educación obligatoria, así
como sobre el perfil académico de la formación inicial del profesorado de
Música.
Objeto de debate fueron, entre otros, las nuevas investigaciones en
neurociencia relacionadas con la práctica musical, así como las perspec-
tivas actuales y futuras en docencia e investigación en los ámbitos de la
Educación Musical, de la prevención y de la reeducación.
El coloquio adquirió un peso político especial gracias a la participa-
ción de personalidades de reconocido prestigio internacional de las Uni-
versidades de Marsella, Nantes y Tours (Francia), Granada (España), La-
val (Canadá) y de grupos de trabajo como Resodys (Francia), Performative
Music Educacion Network (PerforME) o el Grupo de Investigación Research
and Innovation in Music and Music Education (RIMME), junto a representan-
tes de la política sanitaria y educativa de Francia y Bélgica.
Los participantes trataron con particular atención la situación de la
Educación Musical y de la formación inicial del profesorado de Música
en Europa. De estos debates surgieron al final del encuentro los siguientes
posicionamientos, cuya demanda debe ser conocida por las instancias po-
lítico-educativas de los diferentes países de la Unión Europea :
1. Las nuevas investigaciones científicas en neurociencia alejan toda
duda sobre el valor de la música para la salud y el bienestar de las
160 Declaración de Marsella 2018

personas, tanto individual como colectivamente. En consecuencia,


ante esta evidencia pedagógica y urgencia democrática, no puede
cuestionarse el acceso a una Educación Musical de calidad como
un derecho de todos los ciudadanos a fin de democratizar la cul-
tura, de prevenir problemas de aprendizaje y como medida de re-
educación.
2. Tal y como contempla el Pacto por una Educación de Excelencia bel-
ga, en donde la música y otras expresiones artísticas tendrán carác-
ter obligatorio en todas las etapas educativas, apelamos a todos los
responsables de la política educativa en Europa para que apuesten
igualmente por la Educación Musical en el curriculum general, con
un mínimo de dos horas semanales en Educación Primaria y a lo
largo de toda la Educación Secundaria Obligatoria.
3. Una educación musical de calidad sólo es posible con un profeso-
rado cualificado. Es indispensable pues que la formación inicial del
profesorado de música apueste por un alto nivel practico y teorico
musical, en interpretación y musicología, pero también muy espe-
cialmente en pedagogía musical y en didáctica de la música, tanto
en los estudios de Grado como de Postgrado en Universidades y
Conservatorios Superiores de Música.
4. Junto a los ámbitos educativo y socio-educativo, se abren nuevos
campos en terapia y reeducación en donde la intervención musical
cobrará en el futuro una relevancia no despreciable que habrá que
atender y para que la que habrá que estar igualmente bien formado.
5. Urge garantizar la investigación en todos los ámbitos de la Música,
respaldando desde las Universidades Programas de Doctorado de
calidad y financiando proyectos de investigación que apuesten por
la innovación y el avance social a través de la música en sus diver-
sas manifestaciones.

Marsella, 7 de junio de 2018


2018 Declaration of Marseilles
For the Defense of Music and Music Education

On June 7, 2018, the European Transnational Colloquium “Music, Brain


Pasticity and Learning” was held at the Cité de la Musique in Marseilles
(France). It was part of the Erasmus + Project Art and Learning (2016 – ​2019)
which brings together different educational institutions from France, Bel-
gium and Spain.
This colloquium brought together well-known researchers, musicians,
educators, speech therapists from Europe and America. The purpose was
to exchange ideas related to the educative, social and political importance
of music education in compulsory learning centers. The academic profile
of the initial music teacher education was also discussed.
The new researches in neuroscience connected to musical practice
were also debated among other subjects, as were the current and future
perspectives of teaching and research in music education, prevention and
reeducation.
What has given the colloquium a political weight is the presence of
world-famous personalities from the universities of Marseilles, Nantes
and Tour (France), Granada (Spain), Laval (Canada). There were also
working groups such as Resodys (France), Performative Music Educa-
tion Network (PerforME), the group “Research and Innovation in Music
and Music Education (RIMME)” and health and education leaders from
France and Belgium.
Participants have given special attention to the position of music ed-
ucation and initial music teacher education in Europe. At the end of the
Colloquium, the following positions came out of these debates. We con-
sider it to be fundamental to introduce theses facts to the political and ed-
ucation leaders of the different European countries :
1. The new scientific research in neuroscience have cleared up any
doubt on the potential value of music for people’s health and
well-being, for individual or groups. Consequently, considering
this obvious educational fact and the democratic emergency, an
162 2018 Declaration of Marseilles

easy access to high quality music education cannot be questioned.


This education is a right for all citizens to benefit from a democra-
tized culture and from prevention of learning disabilities, as well as
a reeducation measure.
2. As provided by the Pact for Excellence teaching in French-speaking
Belgium, where music and other artistic languages will be made
compulsory at every level of education, we ask the education lead-
ers in Europe to commit to including music education into the gen-
eral curriculum through a minimum of two hours a week in prima-
ry schools and throughout compulsory secondary education.
3. The higher the quality of music teachers, the higher the quality of
education. It is therefore essential that the initial music teacher ed-
ucation be focused on a high level of practice and music theory,
performance and musicology. Most of all, it must be focused on
teaching skills and music didactics both for A-Levels (high-school
diplomas) and Masters in Universities and music conservatories.
4. In addition to the educational and socio-educational fields, new
fields in therapy and reeducation are emerging, areas in which mu-
sic will be of great importance, therefore necessitating a high qual-
ity initial teacher education.
5. There is an urgent need to ensure research programs in every fields
of music; to support PhD programs in universities and to finance re-
search projects focusing on innovation and social progress through
music in all forms.

Marseilles, June, 7th 2018


Auteurs

Marie-Pierre BIDAL-LOTON est psychologue clinicienne, enseignante


et présidente de l’association POTENTIALDYS. Elle travaille depuis
plus d’une vingtaine d’année en cabinet et dans les écoles au près
d’une population d’élèves en souffrance scolaire. Elle étudie actuelle-
ment, dans le cadre de son travail de recherche en sciences de l’éduca-
tion au CREN, le concept de bien traitance pédagogique.
Tatiana DE BARELLI est psychopédagogue et graphologue. Elle fonde
l’asbl Educ’Art en 2008. Grâce au travail collaboratif avec des profes-
sionnels de l’éducation à niveau international, l’objectif est de proposer
des pratiques pédagogiques innovantes et bienveillantes, en particulier
en liant les apports des neurosciences avec les pratiques artistiques,
au service du pédagogique. Formatrice dans le cadre de la formation
continuée, elle aspire à faire passer les nouvelles connaissances scien-
tifiques au coeurde la classe, afin que tous les enfants puissent en bé-
néficier. Graphothérapeute, elle reçoit en consultation les enfants en
souffrance d’écriture et s’appuie sur une expertise acquise au fil de
nombreuses années. Spécialiste du geste d’écriture, Tatiana De Barelli
collabore à de nombreuses publications. Basée en Belgique, elle s’in-
vestit dans des projets en Europe, Afrique et Amérique latine.
Alice DORMOY a étudié le piano à l’Académie de musique de Monaco
ainsi qu’auprès du concertiste B. Rigutto, puis la musicologie à l’Uni-
versité Paris-Sorbonne, et enfin la pédagogie dont les méthodes Wil-
lems et O Passo. Professeur de piano en Conservatoire et Ecole de mu-
sique des Alpes maritimes, elle est spécialisée dans l’enseignement
musical adapté aux troubles spécifiques des apprentissages depuis
2008. Elle est à l’origine de la fondation de l’association Melodys qui
œuvre depuis 2011 pour un accueil des dys dans les conservatoires et
pour le développement d’activités musicales soutenant les apprentis-
sages scolaires. Elle acréé du matériel pédagogique spécialisé et deux
approches tenant compte des derniers savoirs en neurosciences : la
méthode Melodys et l’Ecole Chantée. Elle forme régulièrement les en-
164Auteurs

seignants sur les thématiques suivantes : « Pratiquer un instrument


avec un trouble dys », « Les liens entre Musique et apprentissages »,
« Maths et langage en musique ».
Michel HABIB est neurologue hospitalier et travaille au Centre Hospi-
talier Universitaire de Marseille. Il est directeur de Résodys, structure
dédiée à l’accompagnement des enfants souffrant de troubles d’ap-
prentissage et à la formation des professionnels accompagnant ces en-
fants. Il est également fondateur et ex-rédacteur en chef de la Revue de
Neuropsychologie et de la Revue Développements, et fondateur et se-
crétaire général de la Société Francophone des Troubles d’Apprentis-
sage et du Langage (SOFTAL).
Ingrid HOONHORST est logopède et Docteure en Sciences Psycholo-
giques et de l’Education. Après avoir investigué par des techniques
d’électrophysiologie auditive le développement des habiletés de dis-
crimination phonologique, elle s’est intéressée aux bénéfices de la mu-
sique pour les apprentissages et en particulier chez les enfants ayant un
retard de langage ou présentant un trouble d’apprentissage (dyslexie/
dysorthographie).
Nicolas LEVEAU est psychologue, psychothérapeute et Docteur en psy-
chologie cognitive. Il est chercheur associé au laboratoire CHArt – Co-
gnition Humaine et Artificielle. Il étudie les modèles de la mémoire
sémantique, et porte un intérêt particulier au rôle du langage dans
l’émergence des processus émotionnels. Il reçoit une consultation sur
des problématiques liées à la régulation des émotions chez l’enfant et
l’adulte.
José A. RODRÍGUEZ-QUILES Y GARCÍA a étudié les sciences mathé-
matiques, la musicologie et la pédagogie à l’Université de Grenade et à
la Faculté de musique de l’Universität der Künste de Berlin, ainsi que
les spécialités de piano, flûte, harmonie, contrepoint, fugue et improvi-
sation aux conservatoires de musique de Grenade et Malaga. Il a obte-
nu le premier doctorat européen en musicologie/éducation musicale ;
après quoi la prestigieuse Fondation Alexander von Humboldt en Al-
lemagne lui a accordé une bourse de post-doctorat (2003 – ​2005) pour
réaliser un stage de recherche dans ce pays. Il est professeur d’éduca-
tion musicale à l’Université de Grenade depuis 1992 et professeur in-
vité (Gastprofessor) à l’Université de Potsdam depuis 2003. Il dirige le
Auteurs165

groupe de recherche RIMME (Research and Innovation in Music and Mu-


sic Education), ainsi que l’International PerforME Network (Performa-
tive Music Education). Ses recherches portent principalement sur l’édu-
cation musicale performative, l’éducation musicale comparative et
l’éducation musicale interculturelle. Il est coordinateur national pour
l’Espagne au sein de l’EAS (European Association for Music in Schools).
Carmen M. SORIA TORRES est enseignante spécialisée en éducation
musicale. Depuis 2013, elle travaille à l’école primaire et maternelle
Miguel de Cervantes de Malaga (centre reconnu comme « Communau-
té d’Apprentissage »), où, en plus de l’enseignement, elle exerce des
fonctions de coordination, de gestion et de direction pédagogique. Elle
est titulaire d’un baccalauréat en éducation musicale (Université de
Malaga) et en histoire et sciences musicales (Université de La Rioja) et
d’une maîtrise en éducation musicale : une perspective multidiscipli-
naire (Université de Grenade). Elle a participé à de nombreuses confé-
rences sur l’éducation musicale, l’éducation émotionnelle et la for-
mation dans les communautés d’apprentissage. A partir de l’annéeac
adémique 2019 – ​2020, elle poursuit son activité d’enseignante en tant
que professeur de musique dans les cycles de l’enseignement secon-
daire et du baccalauréat.
Martine TASSIN est psychologue et pédagogue. Professeur retraitée en
formation des maîtres, elle a exercé en Haute Ecole en Belgique et à
l’Université au Chili. Aujourd’hui, elle preside l’asbl « CelluleEpicure »
qui a pour mission de promouvoir la culture à l’école. Cette association
veut accompagner les enseignants dans leur mission de passeurs cultu-
rels en proposant des formations, outils pédagogiques, séminaires et
publications. Le livre Comment donner sens et saveur aux savoirs ? La
culture à l’école, démontre, par l’analyse d’exemples concrets, la possibi-
lité d’intégrer la culture aux apprentissages. Depuis quelques années,
elle participe au Pacte d’Excellence, grand projet pédagogique partici-
patif et rénovateur quis’élabore à la Fédération Wallonie-Bruxelles en
Belgique.
Marielle VANCAMP est diplômée en education musicale de l’IMEP (Ins-
titut de musique et de pédagogie, Namur), quil’amissionnée en tant
que chercheuse en education artistique et culturelledans le cadre de la
réforme en cours de l’enseignement belge francophone. Elle enseigne
166Auteurs

également au département pédagogique de la Haute Ecole Galilée


(Bruxelles). Elle collabore avec l’asbl « Educ’art » sur les questions liant
musique et apprentissage depuis 2015.
Dominique VERLINDEN est instituteur primaire de formation et Mas-
ter en Sciences de l’Education (Université libre de Bruxelles). Il a exer-
cé la profession d’instituteur durant dix ans. Depuis quinze ans, il
exerce les fonctions de directeur de l’école communale du Centre, à
Uccle (Bruxelles, Belgique), où sont accueillis des enfants entre deux
ans et demi et douz eans. Il y a mis en œuvre, en collaboration avec
son équipe pédagogique, des projets musicaux d’ampleur croissante
jusqu’à faire de son établissement scolaire la première « école à rayon-
nement musical » en Fédération Wallonie-Bruxelles. En complément
des activités musicales organisées par les institutrices, deux maîtres
de musique prennent en charge les enfants de toutes les classes pour
des activités de chant choral, de formation musicale (solfège), de
culture et d’histoire de la musique, de manipulation d’instruments,
de rythme et de danse, sans oublier les phases de « tutti » (chant choral
réunissant plusieurs classes) et l’ensemble orchestral de l’école.
Universitätsverlag Potsdam

A l‘heure où l‘éducation musicale est remise en cause par les décideurs


de certains pays de l‘Union européenne, la collaboration internationale
et interdisciplinaire est plus que jamais nécessaire pour démontrer
l‘erreur de ces attitudes. A cette fin, l‘ouvrage rassemble les réflexions

José A. Rodríguez-Quiles (Édit.): Bienfaits de la Musique á l‘École


de différents spécialistes de trois pays européens qui offrent leurs
points de vue sous le prisme de l‘éducation musicale mais aussi des
domaines des neurosciences, de la psychologie, de la logopédie et de
la politique. Cette publication combine les résultats de travaux empi-
riques avec des propositions pratiques, ce qui la rend utile pour les
chercheurs, les professeurs de musique et les orthophonistes.

José A. Rodríguez-Quiles (Édit.)

Bienfaits de la Musique á l‘École

Une Expérience Européenne


ISSN 1861-8529
ISBN 978-3-86956-466-1

Potsdamer Schriftenreihe zur Musikpädagogik | 7

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