Bienfaits de La Musique À L'école
Bienfaits de La Musique À L'école
Bienfaits de La Musique À L'école
Universitätsverlag Potsdam
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ISBN 978-3-86956-466-1
Note de l’éditeur 9
Auteurs 163
Note de l’éditeur
Parfois le plus important n’est pas le pouvoir que l’on a et qui nous
permet d’agir ; des fois ce qu’il faut c’est agir Et à partir de cette ac-
tion réclamer le pouvoir dont on a besoin. C’est ainsi comme je com-
prends la performativité l’une des façons d’agir contre et depuis la
précariété.
(Butler, 2017)
On pourrait dire que ces mots de la philosophe américaine sont ceux que
s’est appliqué à lui-même, Andrew Neiman, l’élève protagoniste du cé-
lèbre film Whiplash (2014) pour échapper au harcèlement subit sans piété
par le directeur de l’orchestre de jazz du Conservatoire élitiste où le jeune
batteur participe dans la première partie du film. Une action brillante sans
paroles, – ce n’est pas en vain qu’elle est le climax scénique et musical de
l’œuvre –, mais par laquelle, grâce au pouvoir performatif de la musique
(réduite dans cet exemple à la percussion), le protagoniste parvient, non
sans effort, à résoudre une situation insoutenable pour sa propre survie.
Dans cette fiction cinématographique, en supprimant peut-être quel
que exagération propre à ce moyen, on pourrait reconnaître certains
membres de ces institutions musicales (conservatoires et écoles de mu-
sique). Nonobstant, cela ne sera pas l’objet du présent travail, mais l’ex-
trapolation de ces relations de pouvoir, fortement asymétriques, depuis
les personnes concrètes aux domaines de connaissance (même s’il ne nous
échappe pas que les domaines sont composés par des personnes qui ont
un nom concret et des trajectoires particulières qui marquent plus ou
moins fortement les dérives des domaines qu’elles représentent).
12 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété
tique Générale, et d’un autre aux domaines que nous pourrions appeler
« mères ». Ainsi, comme exemples, la Didactique des Sciences Expérimen-
tales se trouverait à la croisée de la Didactique Générale et des diverses
ramifications de la Physique, la Chimie, la Biologie ou la Géologie, entre
autres. Tandis que la Didactique des Sciences Sociales maintient un équi-
libre difficile entre la Didactique Générale et des disciplines telles que la
Géographie, l’Histoire, l’Histoire de l’Art, etc. Dans ce travail on va réa-
liser une analyse depuis et pour le domaine musical, si bien on ne doit
pas perdre de vue que le pouvoir performatif de l’épistémocratie se situe
au centre d’un cercle qui étend son ombre en tout azimut et non seule-
ment dans les domaines mentionnés. L’ultime but n’est que celui de jus-
tifier que l’approche à n’importe quel aspect de la musique (historique,
pratique, créatif, éducatif…), avec l’intention d’en approfondir et d’ampli-
fier son horizon vers ce que de nos jours s’appelle frontières de la connais-
sance, est aussi une activité supérieure et doit, pour cela, avoir son lieu dans
l’université ; institution qui, d’autre part, ne cesse, aujourd’hui plus que
jamais5, de se définir comme démocratique.
Dans un monde néolibéral comme le nôtre, c’est l’économie qui, en
premier et dernier lieu, délimite les services publics parmi lesquels, bien
sûr, les écoles et les universités. Par conséquent, certains domaines de
connaissance ne sont pas considérés indispensables et finissent par être
repoussés jusqu’aux marges. Dans ce sens, en Espagne il est paradigma-
tique avec la loi en vigueur, Ley Orgánica para la Mejora de la Calidad Edu-
cativa (connue aussi comme LOMCE ou Loi Wert, de 2013), la suppression
du caractère obligatoire de la musique des programmes de l’enseigne-
ment primaire et secondaire et la conséquente suppression de la spécia-
lisation en cette matière qui se dispensait à l’université lors de la forma-
tion initiale des futurs enseignants du Primaire (cf. Rodríguez-Quiles,
2012 ; 2014b ; 2017b). Ce que confirment les professeurs tels que Gimeno
Sacristán par ces mots :
Comme l’on peut observer des deux citations ci-dessus que je rapporte
comme exemples, il existe une supposée reconnaissance sociale et acadé-
mique6 du fait que les arts et la musique sont des disciplines qui méritent
faire partie des cursus scolaires et ceci sans avoir besoin de se rapporter à
la Grèce de l’Antiquité ni à la réalité du Moyen-Âge avec leurs célèbres tri-
vium et quadrivium ni non plus à ceux qui défendent la Théorie des Intel-
ligences Multiples des années 80 du siècle passé (Gardner, 2011). J’estime
que cette reconnaissance n’est qu’apparente parce que la réalité espagnole
nous est présentée d’une bien autre façon, non seulement par la dite ex-
clusion de la musique du cursus obligatoire au Primaire et au Secondaire
(en conséquence de l’Université) mais aussi par le manque de prestige
qu’a l’éducation artistique et par le mépris absolu pour le théâtre, la danse
6 José Gimeno Sacristán est un réputé professeur de la Didactique et de l’Organisation
Scolaire de l’Université de Valencia. Víctor Gómez Pin est professeur émérite de l’Université
Autonome de Barcelone et chercheur à l’École Nationale Supérieure de Paris.
José A. Rodríguez-Quiles15
trouver originaux et pertinents dans les contextes dans lesquels ils émer-
gent, jamais ils ne pourront suppléer le sens d’un domaine de connais-
sance et de savoir-faire qui devrait être épaulé (aussi financièrement) par
les institutions éducatives de l’État des différents niveaux universitaires
et non universitaires. Il semble tout à fait logique penser que sans une
lutte conjointe nationale (et, de surcroit, internationale) de tous les concer-
nés par cette situation survenue, les possibilités de renversement ne sont
pas réelles. Nous devons, nonobstant, ici être alertes face à la question
que se pose Butler à propos des collectivités sociales moins favorisées :
« Que signifie agir unis quand les conditions pour l’action conjointe sont
dévastées ou réduites ? » (Butler, 2017, p. 30). Dans le cas qui nous occupe,
l’artificialité de plusieurs lois et normes actuelles situent la Musicologie
et l’Éducation Musicale dans des domaines séparés (Arts et Humanités,
d’une part ; Sciences Sociales et Juridiques, de l’autre), toutefois qu’elles
excluent toutes études qui traditionnellement se dispensaient dans les
Conservatoires de Musique et les Conservatoires de Danse8, créant ainsi
la fausse idée qu’il n’existe pas de rapport entre les deux et, pire encore,
en faisant augmenter de plus en plus, dans les dernières années, cet abîme
(suppression des spécialités universitaires pour l’Éducation Musicale, né-
gative à incorporer les Conservatoires au système universitaire, etc.9).
Nous sommes ainsi face à un paradoxe qui fait que si d’un côté « l’être
intérieur » du domaine s’est renforcé grandement les vingt dernières an-
nées (particulièrement, les dernières années), d’un autre, son « ontologie
sociale » en rapport avec le domaine de la Musicologie (pour citer comme
exemple un domaine plus proche), s’est dégradée jusqu’à l’inimaginable
ce qui semblait, même, impossible. En effet, alors que les études en Édu-
cation Musicale à l’Université espagnole ont passé de se dispenser en
6 semestres en 1 seul (et sans une continuité naturelle avec les études de
Master 213), la Musicologie s’est trouvé augmentée de 4 à 8 semestres, à
ce qu’il faut ajouter sa continuité dans des études spécifiques de Master 2
(cf. Rodríguez-Quiles, 2017b).
3. Le Triangle Musico-Œdipien
L’Éducation Musicale dans l’enseignement supérieur (aussi bien univer-
sité que centre privé et conservatoires supérieurs de musique) est arri-
vée à devenir peu à peu indépendante des autres domaines auxquels elle
se trouvait liée, pour se constituer en tant que domaine avec une identité
propre. Tel est le cas dans la plupart des pays du centre, du nord et de l’est
de l’Europe durant la seconde moitié du siècle passé, étant un paradigme
le cas de l’Allemagne. Dans les pays du sud la situation a été toute autre,
si bien les causes de cette différence n’ont pas encore été étudiées à fond,
c’est un fait bien connu le caractère précaire (sinon inexistant) que subit le
domaine de l’Éducation Musicale dans les établissements d’enseignement
supérieur en Italie, en France, en Grèce ou en Espagne. Ce dernier pays re-
présente peut-être l’exemple le plus triste connu par une démocratie occi-
dentale. Comme je l’ai déjà exprimé autrefois,
Si l’on prend comme métaphore le mythe d’Œdipe, l’on pourrait dire que
l’Éducation Musicale, comme domaine académique dans les dits pays, se
trouve au centre d’un triangle sur lequel agissent des forces de différents
types en formant un encadrement sans fissures duquel elle ne peut échap-
per. Comme en plus, ce Domaine se nourrit cycliquement de personnes
formées en Musicologie, en interprétation instrumentale ou en Pédagogie
Générale (représentant « des domaines mères »), il s’origine un complexe
d’Œdipe de sorte que lorsqu’on se trouve au centre du triangle, on conti-
nue à vénérer la « mère » ou « les mères » sans la possibilité de critique, et
par conséquent, sans la possibilité d’y échapper.
Dans ce sens-là, le cas de l’Espagne est de nouveau paradigmatique :
étant donné la difficulté de pouvoir obtenir un poste dans les rares Dé-
partements de Musicologie qui existent, les diplômés et les docteurs de
ces départements, qui ont l’intention de faire une carrière académique, fi-
nissent par occuper des postes dans les Départements de la Didactique
de l’Expression Musicale, dispensant des cours de disciplines pour les-
quelles ils n’ont pas de formation pédagogique. De même pour les instru-
mentistes des Conservatoires Supérieurs et aussi pour le professorat de
ces conservatoires qui complémentent leur travail avec un autre à temps
partiel dans les Facultés des Sciences de l’Éducation14 où la plupart ont ré-
alisé leur thèse de doctorat. C’est-à-dire, la même situation qui a lieu dans
les lycées, se reproduit à l’inverse (et vice-versa), d’où le Domaine, dans
14 En Espagne, la formation initiale pour les enseignants du Primaire se dispense dans les
Facultés des Sciences de l’Éducation. Elles correspondent aux ESPE françaises.
20 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété
Musicologie
Éducation Musicale
15 Rappelons que la spécialisation dure treize semaines de cours en présence, et que les étu-
diants qui l’a suivent ne doivent pas démontrer, préalablement, de rapport actif avec la mu-
sique, ni de connaissances du Langage Musical, ni aucune habileté pour un instrument de
musique.
José A. Rodríguez-Quiles21
Musicologie
É. M.
pact dans le but de consolider son poste de travail et en sachant que cela,
par soi-même, n’est pas suffisant pour un domaine à la dérive).
Il est recommandé, afin de comprendre pourquoi certains domaines
(interprétation instrumentale, composition, direction d’orchestre…) ne
sont pas reconnus par l’université espagnole, ainsi que pour comprendre
la reconnaissance feinte d’autres domaines (l’Éducation Musicale), de
s’approcher des façons d’être de leurs membres et de saisir le sens que les
concepts « éducation supérieure » et « recherche » ont pour eux. On a be-
soin, par exemple, de se poser la question sur les façons dont un profes-
seur d’instrument comprend l’enseignement (qui dans la plupart des cas
a lieu de manière individuelle one-to-one) et où un compositeur de l’avant-
garde situe les frontières de la connaissance ; mais aussi comment un pro-
fesseur universitaire d’éducation musicale se voit obligé de redéfinir un
programme d’étude pour l’orienter vers une mission impossible : conver-
tir des étudiants, qui ne comprennent pas le sens de la matière dans le
contexte de leur études, en futurs professeurs de musique (compétitifs
à échelle européenne, d’après les prérequis du Processus de Bologne) et
en un temps record (un semestre, 6 ECTS, en tant que seule matière obli-
gatoire17 pour tous les Diplômes universitaires, et pour la formation des
maîtres et pour celle des enseignants du Secondaire). Peut-il y avoir une
aussi grande incohérence dans une institution supérieure pour l’éduca-
tion et la recherche ?
Le prestige académique d’un domaine de connaissance est lié à ce
qu’il existe une manière de présenter ce domaine ; reprenant Butler dans
le contexte des Études de Genre, de ce qu’il existe « une condition pour
son apparition » (Butler, 2017, p. 45) au sein d’une communauté scienti-
fique de nos jours très globalisée.18 Depuis les dernières années, en Es-
pagne, cette manière de présentation est réglementée par l’ANECA, qui
chaque année impose des conditions chaque fois plus strictes pour at-
tester le statut de professeur universitaire dans ses différentes modali-
17 Les universités espagnoles ont trois sortes de matières : de formation de base, obliga-
toires et en option.
18 Il y a trente ans, je me dirigeai au Professeur de l’Éducation Musicale à l’époque, de la
prestigieuse Musikhochschule für Musik de la ville de Cologne (Allemagne). Je me souviens
encore perplexe de l’affirmation du vieux professeur – faite avec la naturalité qui caracté-
rise le peuple germanique – qui écoutait les inquiétudes d’un jeune andalous sur l’éducation
musicale internationale : je n’avais rien à faire dans ce pays, depuis l’instant où l’Éducation
Musicale est (l’était alors) quelque chose de local liée aux traditions culturelles et artistiques
propres de chaque peuple.
24 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété
tés, sans prendre compte des spécificités de certains domaines qui sont
contraints de rentrer en concurrence dans des conditions tout à fait dé-
favorables, en forçant avec cela, à effacer, plus ou moins, l’essence de
ces domaines comme conséquence logique de la déviation du professo-
rat qui les représente. En effet, les professeurs universitaires des Dépar-
tements de Musicologie et ceux de l’Éducation Musicale font de moins
en moins de la musique de manière régulière comme activité inhérente à
leur profession puisque cela est incompatible avec l’activité à plein temps
qu’exige la publication d’articles dans des revues de haut impact ; revues
qu’à l’heure actuelle sont pratiquement inexistantes pour l’Éducation Mu-
sicale, et par ce même la compétence est encore plus dure si on la compare
avec ces autres domaines consolidés qui ont plus de ressources, de ré-
seaux et d’infrastructures. Par conséquent, peu à peu on arrive à la grave
contradiction de parler de (respectivement, d’écrire sur) l’éducation musi-
cale, à la fois que les professeurs s’éloignent de la pratique musicale active
(performance), c’est-à-dire de l’activité musicale dans toutes ces amples
manifestations. C’est pour cela que depuis l’Éducation Musicale Perfor-
mative (Mortiz, 2016 ; Palacios, 2018 ; Ramírez, 2019 ; Rodríguez-Quiles,
2013 ; 2014a ; 2015 ; 2017b, c, e ; 2018a, b ; Salmerón, 2016 ; Soria, 2017 ; Ur-
ban, 2017) on alerte de cette contradiction, en promouvant consciemment
une pratique musicale éducative et une recherche dans ce domaine de
connaissance qui soient (1) d’auto référence, c’est-à-dire, qu’elles soient
directement en rapport avec les vies de leurs protagonistes, et (2) qu’elles
constituent de nouvelles réalités ; réalités qui tendent à utiliser, à refor-
muler et même à transgresser les normes qui oppriment et sont imposées
par d’autres, en tenant compte que « même que les normes semblent dé-
terminer [ce qui peut] apparaître, elles échouent au moment de contrô-
ler la sphère de son apparition, sur laquelle elles agissent comme la po-
lice qui est absente ou insuffisante plus que comme un pouvoir totalitaire
efficace » (Butler, 2017, p. 45). En insistant sur cette idée de l’importance
d’agir contre des impositions déterminées, l’auteure américaine nous
avertit sur ce que signifie renoncer et se plier à certaines normes. Ainsi, en
se rapportant à l’identité de genre, elle écrit :
C’est justement cette tendance que l’on observe pour l’Éducation Musi-
cale en Espagne, qui condamne le professorat de ce domaine à ce qu’il fi-
nisse d’être vivant musicalement, pour plus d’échelons de recherche19 que
l’ANECA ne puisse lui concéder et grâce auxquels il devient reconnu aca-
démiquement. De cette reconnaissance faussée que Butler condamne très
justement dans d’autres contextes et qui est valable aussi pour notre cas.
Le problème surgit quand ce professorat accepte sans critique le cadre
d’action imposé (l’idéal normatif), agissant même de propagateur des
normes de ce même cadre qui les contraint et qu’il arrive à rendre naturel
au point de le faire disparaître de son centre d’intérêt. Il renonce ainsi à ce
qui est propre et caractéristique de la pratique musicale éducative (ou la
réduisant au minimum) et il se préoccupe presque exclusivement de dif-
fuser des tables et des graphiques statistiques dans une ou autre revue
avec quoi l’on veut faire constater que ceci est la seule façon de faire éloge
de leur domaine. Encore que ce même cadre néolibéral se fut chargé pré-
alablement d’annuler le sens de l’éducation musicale à caractère général
pour une société démocratique.
Avant de continuer avec ce fil argumentaire, je veux clarifier que je
ne suis point contre la recherche empirique dans ce domaine de connais-
sance ; bien au contraire, cette tâche est très nécessaire pour continuer à
avancer dans n’importe quel domaine de connaissance. Ce que j’affirme
est qu’afin que cette recherche obtienne de vrais bénéfices (c’est-à-dire,
collectifs et non seulement individuels), elle doit être orientée à l’amélio-
ration des pratiques éducatives au plus large sens et que – pour le cas de
l’Éducation Musicale – il ne peut pas y avoir une séparation manichéenne
entre la réflexion théorique et l’activité pratique, et que pour cela, les deux
facettes doivent être reconnues para l’Académie à part égale parce que
19 Les échelons de recherche sont le complément de productivité le plus important des uni-
versités espagnoles. Au-delà de la petite récompense économique qu’ils représentent, leur
obtention est le symbole d’un statut et d’un prestige dans l’université. Aussi, il est le prére-
quis indispensable, dans beaucoup d’universités qui permet diriger les thèses de doctorat et/
ou de participer à des doctorats de qualités.
Dans la pratique, ces échelons sont un système de stratification du professorat universi-
taire en vertu du CV de recherche, et ils représentent, en plus, l’un des critères le plus impor-
tant pour la promotion académique.
26 L’éducation musicale en Espagne et sa précariété
Bibliographie
1. Introduction
La musique est à la fois une discipline artistique, dont la première vertu
est de développer chez l’enfant qui l’apprend le sens de l’esthétique et un
certain aspect de la culture, mais aussi un outil formidable de dévelop-
pement du cerveau, à travers un concept qui commence à être de plus en
plus utilisé en pédagogie, celui de plasticité cérébrale.
Le cerveau du musicien adulte présente en effet des caractéristiques
qui en font un véritable modèle de plasticité et son étude a permis de
mieux comprendre à la fois l’effet de la musique sur le cerveau, mais aus-
si, plus généralement, le bénéfice que peut tirer notre cerveau d’un entraî-
nement musical.
Un aspect fondamental qui s’avère sous-jacent à cet effet, est la notion
d’apprentissage intermodalitaire, plus précisément qu’apprendre la mu-
sique partage avec d’autres apprentissages la nécessité de faire appel si-
multanément et de manière réciproque aux connexions qui unissent les
différentes aires cérébrales et d’intégrer l’information que chacune d’elles
abrite. C’est en cela que l’apprentissage d’un instrument de musique peut
faciliter d’autres apprentissages et améliorer de nombreuses fonctions co-
gnitives. Un autre champ émergeant dans la littérature neuroscientifique
est l’importance de l’activité rythmique dans la structuration neuro-fonc-
tionnelle de diverses fonctions cognitives et des apprentissages en géné-
ral. Une des applications de ces données et de ces concepts est l’utilisation
de la musique pour aider les enfants souffrant de troubles d’apprentis-
sage, un domaine qui commence à prendre de plus en plus d’ampleur par-
mi les attitudes rééducatives mais aussi pédagogiques.
Le présent chapitre se donne pour objectif de fournir aux enseignants
les connaissances de base sur la façon dont notre cerveau fonctionne et de
32 La musique à l’école : son impact neurologique
Figure 1 À gauche : la région corticale des doigts est plus développée sur l’hémisphère
droit des joueurs de violon (zone marquée ‹ K › pour ‹ knob › qui est le terme anatomique
consacré en anglais, que l’on appelle en français ‹ signe de l’Oméga ›). À droite : le cor-
tex du 5eme doit de la main gauche est d’autant plus vaste que la personne acommencé
le violon tôt dans l’enfance (échelle de 0 à 20 ans).
Figure 2 La présence de
gaine de myéline tout autour
et tout au long du trajet de
l’axone est responsable de la
vitesse de transmission de
l’influx donc de la qualité du
transfert d’information d’un
endroit à l’autre du cerveau.
Un des effets d’un apprentis-
sage moteur intensif serait
de renforcer en quelques
semaines la qualité de cette
transmission axonale.
un apprentissage d’une mélodie qui avait été apprise soit en la jouant sur
un clavier, soit seulement en l’écoutant et regardant d’autres la jouer.
Seule la première condition a modifié significativement les mécanismes
abrités dans le cortex auditif lors de l’écoute de la mélodie apprise (Lappe
et al., 2008). En d’autres termes, ce n’est que lorsque l’apprentissage asso-
cie le geste et le son que le système auditif se modifie significativement.
Pris conjointement, les travaux cités jusqu’ici laissent suspecter, sans pou-
voir toutefois l’affirmer, que le caractère multimodal de l’apprentissage
musical est un élément crucial de l’effet de cet apprentissage sur le cer-
veau et que l’entraînement de plusieurs modalités simultanément est plus
efficace à cet égard que ce que serait un entraînement séparé de ces mo-
dalités (Zatorre et al., 2007). Lorsqu’un musicien apprend à jouer de son
instrument (figure 3), il apprend à associer de manière synchrone le mou-
vement avec la perception et/ou la représentation du son correspondant,
ce qui lui permet de vérifier que le son émis correspond bien à celui qui
était programmé. Des signaux émis par le cortex préfrontal sont capables
d’activer le cortex auditif, même en l’absence de son correspondant. À l’in-
verse, des représentations motrices seraient actives, même en l’absence de
production du mouvement correspondant, ce qui permettrait l’anticipa-
tion indispensable à la pratique experte d’un instrument. Il a été montré
qu’un entraînement à jouer au clavier augmente les coactivations audi-
tivo-motrices après seulement 20 minutes de pratique. Lorsque cet ap-
prentissage aboutit à une connaissance de liens univoques entre un son et
une position du doigt, des modifications au niveau du cortex frontal sont
observables.
D’un point de vue neurofonctionnel, la multimodalité se manifeste de
deux manières pertinentes pour notre propos : d’une part entre les deux
modalités sensorielles que sont la vision et l’audition, tout laissant penser
que l’association répétée entre des sons et leur correspondant visuel (que
ce soit du reste une portée ou tout autre représentation écrite, ou encore la
simple succession des notes représentée spatialement sur une corde ou un
clavier), est capable de modeler les connexions entre les aires auditives et
visuelles ; d’autre part entre les régions motrices et auditives, soit la région
38 La musique à l’école : son impact neurologique
Figure 3 Après avoir été converties en impulsions neurales par l’oreille interne, les
informations musicales sonores transitent par plusieurs stations de cheminement dans
le tronc cérébral et le cerveau moyen pour atteindre le cortex auditif. Le cortex auditif
contient des sous-régions distinctes qui sont importantes pour le décodage et la repré-
sentation des divers aspects du son complexe. À leur tour, les informations du cortex
auditif interagissent avec de nombreuses autres zones du cerveau, en particulier le lobe
frontal, pour la formation et l’interprétation de la mémoire musicale. En retour, le cortex
moteur, dans la région frontale postérieure, produit des impulsions qui vont contrôler les
mouvements de la main. La représentation des sons dans le cortex auditif est activée
avant même qu’ils soient produits, tout comme le cortex moteur peut être activée par la
seule audition des sons correspondants (modifié d’après Zatorre et McGill, 2005).
Michel Habib39
Apprentissage d’une langue seconde (White et al., 2013 ; Yang et al., 2014)
Tableau 1 Les principaux domaines pour lesquels un effet positif de la musique sur les
fonctions cognitives a été décrit.
ples, et les effets obtenus paraissent tellement vastes qu’on pourrait croire
qu’ils recouvrent des fait expérimentaux de valeur inégale.
C’est effectivement le cas pour l’un des domaines les plus étudiés par-
mi eux : celui de l’acquisition de la lecture. Il a été montré à de nombreuses
reprises que les musiciens sont supérieurs aux non-musiciens dans de
nombreuses tâches linguistiques et de lecture. Par exemple, il a été re-
trouvé (Foxton et al., 2003) de fortes corrélations chez des adultes non
musiciens entre, d’une part, la capacité à discriminer le contour global
de la hauteur de séquences sonores et, d’autre part, les aptitudes en pho-
nologie et en lecture. En outre, dans une étude à large échelle conduite
auprès d’enfants de 4 et 5 ans (Anvari et al., 2002) les habiletés de per-
ception musicale ont été retrouvées prédictrices des habiletés en lecture.
D’un autre côté, des études en IRM fonctionnelle ont rapporté une activa-
tion de l’aire de Broca durant des tâches de perception musicale (Koelsch
et al., 2002), durant des tâches actives telles que le chant (Ozdemir et al.,
2006) ou même lorsque les participants imaginaient jouer d’un instrument
(Baumann et al., 2007).
L’une des démonstrations les plus spectaculaires a été la mise en évi-
dence d’une différence de taille du faisceau arqué gauche, un faisceau de
substance blanche qui court dans la profondeur de l’hémisphère gauche,
entre des musiciens, qu’ils soient instrumentistes ou chanteurs et des non
musiciens, différence qui peut aller jusqu’à une augmentation de taille
d’une fois et demi son volume de base.
Cette constatation est particulièrement frappante quand on sait par
ailleurs que de nombreux spécialistes considèrent cette structure comme
cruciale pour l’apprentissage de la parole chez le petit enfant, mais aus-
si l’apprentissage de la lecture chez l’enfant plus grand (figure 4). Ainsi,
l’effet majeur de la musique sur le cerveau concerne précisément une des
structures qui aurait la plus forte importance dans le développement du
langage oral et écrit.
L’inconvénient de la plupart de ces études est qu’elles sont transver-
sales, c’est- à-dire qu’elles s’adressent à une population à un moment don-
né, et non longitudinales, c’est-à-dire réalisant un suivi des mêmes per-
sonnes dans le temps.
Tierney et Kraus (2013) ont revu la totalité des études longitudinales
disponibles. Sur 22 études recensées, les auteurs remarquent que peu
d’entre elles répondent à un critère qui leur paraît pourtant capital : que
les sujets aient été affectés strictement au hasard, de manière randomi-
Michel Habib41
sée. En e et, si ce n’est pas le cas, il est toujours possible que des traits non
contrôlés par les études puissent expliquer à la fois le choix de se retrou-
ver dans le groupe musique et le fait d’améliorer la lecture ou le langage.
L’une des études les mieux contrôlées à cet égard est certainement celle
de l’équipe de M. Besson (Moreno et al., 2009). Ces auteurs ont testé l’in-
fluence d’un apprentissage musical chez des enfants de 8 ans en s’assurant
qu’il n’y avait pas de différences entre les groupes d’enfants avant appren-
tissage et que l’ apprentissage dispensé dans chacun des deux groupes
étaient aussi motivant et stimulant l’un que l’autre (musique et peinture).
Les résultats ont montré que six mois d’apprentissage musical, mais pas
de peinture, augmentent les capacités de discrimination des variations
de hauteur dans le langage ainsi que la lecture de mots phonologique-
ment complexes. Ces résultats sont donc en accord avec les résultats mon-
trant une corrélation positive entre capacités musicales et phonologique-
set ils établissent un lien de causalité entre l’apprentissage de la musique
et l’amélioration de la perception du langage et de la lecture. En outre,
les potentiels évoqués, c’est-à-dire l’enregistrement de l’électroencéphalo-
gramme durant la présentation d’une tâche de discrimination auditive de
mots, montrent que seuls les enfants ayant fait de la musique, et non ceux
ayant fait du dessin, s’améliorent dans la tâche.
42 La musique à l’école : son impact neurologique
Les mêmes auteurs (Moreno et al., 2011) ont utilisé une méthodologie
similaire pour démontrer que les enfants à qui on fait faire de la musique
améliorent significativement leurs fonctions exécutives, une constatation
particulièrement importante quand on sait le rôle majeur que jouent ces
fonctions dans de nombreux apprentissages, en particulier l’apprentis-
sage des mathématiques. En l’occurrence, il s’agissait d’une épreuve dite
go-no-go, c’est-à-dire une tâche où il faut répondre répétitivement à tous
les stimuli (des figures sur un écran) lorsqu’elles sont mauves et ne pas
appuyer lorsqu’elles sont blanches. Dans de telles tâches, les enfants mu-
siciens se sont révélés significativement meilleurs, et leurs potentiels évo-
qués enregistrés alors qu’ils réalisaient la tâche go-no-go, significative-
ment plus amples, traduisant un meilleur fonctionnement du mécanisme
neurocognitif sous-jacent.
Cette même problématique a été explorée à nouveau tout récemment
par l’équipe d’Hanna Damasio aux USA, (Habibi et al., 2018)sur des en-
fants de 6 et 7 ans recrutés dans les milieux défavorisés de Los Angeles et
parmi lesquels étaient désignés par tirage au sort trois groupes : ceux qui
iraient faire 2 ans d’entraînement musical intensif instrumental (inspiré
du programme El Sistema du Venezuela), ceux qui feraient un entraîne-
ment sportif de durée équivalente et au même rythme, et des témoins qui
n’avaient bénéficié d’aucun des deux. L’entraînement musical s’est avéré
nettement supérieur aux deux autres groupes en particulier sur deux des
trois mesures réalisées : une mesure de la taille du corps calleux, en parti-
culier le fibres unissant les parties sensorielles des deux hémisphères qui
étaient plus développées chez les musiciens, la densité de substance grise
dans les aires auditives, qui s’est réduite (normalement) chez tous les par-
ticipants mais de manière asymétrique (plus à gauche qu’à droite) chez
les musiciens ; et surtout un test évaluant les fonctions exécutives (test de
Stroop) qui a entraîné desperformances supérieures dans le groupe mu-
sicien, avec en IRM fonctionnelle une activation nettement plus forte des
régions frontales internes connues pour réguler le contrôle exécutif (aire
cingulaire antérieure).D’un point de vue neurologique, ce résultat est très
impressionnant, car il montre, encore mieux qu’avec des tests cognitifs,
les changements que peut exercer la musique sur les zones les plus com-
plexes de notre cerveau (figure 5).
Michel Habib43
Figure 5 Comparaison de l’activation cérébrale lors d’une tâche d’inhibition chez 8 en-
fants de 5 – 6 ans ayant fait deux ans de musique des témoins ayant soit fait du sport soit
aucun des deux activités (Habibi et al., 2018).
Une composante dans la musique mérite, à la lumière des travaux qui s’ac-
cumulent depuis quelques années, être traitée dans un chapitre à part : la
composante rythmique. Les chercheurs en neurosciences insistent beau-
coup actuellement sur la similitude entre les caractéristiques temporelles
de la parole et le caractère oscillatoire du fonctionnement du cortex céré-
bral, laissant penser que c’est précisément la mise en cohérence tempo-
relle des deux événements qui caractérise le traitement du signal de la
parole par le cerveau. En d’autres termes, il y aurait une correspondance
étroite entre certains rythme cérébraux et certaines caractéristiques de la
parole, comme le rythme théta se rapprochant de la fréquence syllabique
et le rythme gamma se rapprochant de la fréquence des phonèmes. Il a
même été proposé que ce soit une altération de cette mise en cohérence
de l’un et l’autre qui soit à l’origine de certaines pathologies comme les
troubles du langage oral et écrit, par exemple les dyslexiques auraient
des difficultés à aligner les fluctuations d’excitabilité neuronale endogènes
dans les régions auditives, avec les pics d’amplitude de la parole enten-
due, ce qui pourrait être à l’origine de leur trouble phonologique (Power
et al., 2013).
Un travail de l’équipe de Nina Kraus (Slatter et al., 2013) a porté sur
l’effet d’un entraînement musical d’un an, incluant divers aspects depuis
la perception de la hauteur et du rythme, l’utilisation de termes musi-
caux, jusqu’à l’improvisation, sur une tâche de tapping en synchronie avec
un tempo donné. Des enfants de 8 ans considérés comme « à risque » de
trouble d’apprentissage, ayant bénéficié de cet entraînement musical, se
sont avérés très significativement supérieurs à des témoins appariés dans
la tâche de tapping, suggérant pour les auteurs que cette population à
risque pourrait, au vu de ces résultats, bénéficier grandement d’un ensei-
gnement musical systématique.
Des applications quasi-thérapeutiques de ces observations ont déjà
été réalisées avec succès comme un travail de l’équipe lyonnaise de Przy-
bylski et al. (2013) qui a proposé à des enfants dyslexiques et dysphasiques
Michel Habib47
une tâche d’amorçage où ils devaient écouter une amorce rythmique (des
notes jouées par un instrument), soit réalisant une succession régulière,
soit irrégulière, et, juste après l’amorce, devaient résoudre un problème
de congruité syntaxique comme dire si une phrase (par exemple « Laura
ont oublié son violon ») est correcte ou non. Les résultats ont montré une
nette supériorité de l’amorce régulière sur la performance des enfants
dans la tâche syntaxique, ce qui, d’après les auteurs, procure un argu-
ment convaincant pour inclure la stimulation rythmique dans les pro-
tocoles de remédiation des enfants avec troubles développementaux du
langage. Récemment, une équipe italo-française (Flaugnacco et al., 2015)
dans une étude méticuleuse de 83 enfants dyslexiques, ont comparé l’ef-
fet d’un entraînement rythmique systématique à une pratique d’arts vi-
suels. Au cours de sessions de formation impliquant des groupes de 5 – 6
enfants, durant une heure, deux fois par semaine, les enfants se voyaient
proposer soit un entraînement musical : mettre l’accent sur le rythme et
le traitement temporel (utilisation par exemple des instruments à percus-
sion, utilisation des syllabes rythmiques [ta, ti-ti,…], les mouvements du
corps rythmiques accompagnant la musique, des jeux de synchronisa-
tion sensorimotrice) ; soit un entraînement à la peinture, selon un pro-
gramme destiné à favoriser les compétences visuo-spatiales et la dextéri-
té manuelle ainsi que la créativité. Les résultats ont été très nets, montrant
un effet plus important de l’entraînement musical sur un test d’attention
auditive et dans plusieurs capacités de perception et de production telles
que testées par des tâches psychoacoustiques et musicales. Le résultat de
la tâche de production de rythme s’est avéré être le meilleur prédicteur
de la conscience phonologique telle que mesurée par les tâches de fusion
de phonèmes et de segmentation phonémique.
Ainsi, tout laisse penser que travailler sur le rythme pourrait repré-
senter en soi une véritable piste thérapeutique pour la prise en charge
d’enfants présentant ce type de troubles. Au-delà de ces seules évidences,
de nombreux travaux explorent d’autres pistes passionnantes autour de
la question du rythme et de son traitement par le cerveau, montrant par
exemple que le plaisir générée par l’écoute et la production de rythme
passe par l’activation d’une petite région de notre cerveau appelée noyau
accumbens et que cette région se trouve précisément être le centre céré-
bral de la motivation, là où s’inscrit la notion de plaisir, incluant celle du
plaisir d’apprendre, pour la transformer en une envie, une action qui peut
être précisément un apprentissage.
48 La musique à l’école : son impact neurologique
Il est tout-à-fait concevable que des travaux futurs, aidés des méthodes
récentes d’imagerie cérébrale, viennent nous confirmer que c’est par son
action sur ces systèmes, dont la complexité nous masque encore sans
doute la réalité de leur importance, que la musique pourrait venir aider
encore mieux qu’elle ne le fait déjà aux apprentissages scolaires, musicaux
ou non musicaux, ordinaires ou pathologiques.
Michel Habib49
Références
Zatorre, R., McGill, J. (2005). Music, the food of neuroscience ? Nature. 17,
434(7031), 312 – 315.
Zatorre, R. J., Chen, J. L., Penhune, V. B. (2007). When the brain plays mu-
sic : auditory-motor interactions in music perception and production. Nat
Rev Neurosci, 8(7), 547 – 558.
La petite chanson des émotions
et de la motivation
Marie-Pierre Bidal-Loton & Nicolas Leveau
La musique inspire, apaise tout autant qu’elle stimule et éveille. Dans son
écoute comme dans sa pratique, elle potentialise nos sens et nous mobilise
à des lieux introspectifs et constructifs de connaissances de soi, de l’autre.
Elle participe de notre épanouissement personnel et de notre émancipa-
tion intellectuelle. Adjuvant cognitif, elle met en mouvement l’intelligence
par l’activation de nos schèmes sensori-moteurs. La musique définit ainsi
sa place au cœur du processus d’apprendre. Associer cet Art à l’école, l’in-
clure dans son dessein pédagogique semble si évident et pourtant…L’en-
seignement de disciplines privilégiées comme les mathématiques ou
le français tend à gommer la diversité des apprentissages arrachant le
concept même du pédagogique de sa souche originelle. En effet, la pé-
dagogie désigne, au plus profond de ses grecques racines, l’art de l’édu-
cation. Un art du partage au cœur de la relation humaine. Un art d’ap-
prendre, de donner et de prendre. L’école, haut lieu des savoirs, consacre
depuis toujours son espace à cet Art, sans suffisamment le percevoir. Avec
Erasmus +, des enseignants se sont saisis de cette opportunité de s’en rap-
peler et, avec entrain, se sont engagés dans ce que, ce beau projet euro-
péen « Art & Apprentissage », leur a proposé d’éveiller. Acceptant l’invi-
tation au voyage, ils sont entrés, en musique, dans la danse pour jouer
au rythme de ce collectif partenarial : un projet orchestré par son maître
d’œuvre Tatiana De Barelli.
Et pourquoi rejoindre le mouvement si ce n’est pour y découvrir une
forme de bientraitance. En effet, il convenait d’évaluer l’impact du dis-
positif « Art & Apprentissage » sur l’épanouissement scolaire des élèves
concernés.
Ce texte, recueil de notes, tel une chanson dont on ne retiendra que le
refrain, celui du bonheur, offre un regard clinique de psychologue posé
sur des élèves, heureux que l’on s’occupe si bien d’eux : des élèves béné-
ficiaires de la mise en place d’un dispositif qui propose un canevas d’ac-
54 La petite chanson des émotions et de la motivation
2. La contribution de la musique
au confort d’apprendre
La pratique de la musique, pas seulement son enseignement, permet de
solliciter dans le plaisir artistique et créatif toutes les aptitudes neuroco-
gnitives engagées dans le travail d’apprendre à l’école et d’apprendre à ap-
prendre. Jouer de la musique, ensemble, pour mieux apprendre en géné-
ral, pour apprendre à apprendre, pour apprendre avec, et par le collectif,
révèle que la pratique musicale développe des capacités cognitives, per-
ceptives, sociales non spécifiques à la musique et donc bien plus large. Le
canevas proposé a en effet permis de stimuler les intelligences plurielles,
et notamment les compétences transversales en convoquant des actes de
penser fondamentaux pour apprendre. Sur la base des données probantes
de mes observations cliniques, il convient de relever certains secteurs acti-
vés. Ainsi, les propositions d’ateliers musicaux ont sollicité, de façon non
exhaustive, les dimensions neurocognitives suivantes :
les émotions peuvent être différenciées sur deux axes. L’axe de la valence
renvoie au caractère plaisant (par ex. joie) ou déplaisant (par ex. peur).
L’axe de l’activité renvoie à l’activation physiologique associée à l’épisode
émotionnel, celle-ci peut être élevée (par ex. colère) ou faible (par ex. tris-
tesse).
A partir d’une métanorme comportant 6383 mots caractérisés en va-
lence émotionnelle (agréable vs désagréable), dont 5656 mots caractérisés
en activation, Leveau, Jhean-Larose, Denhière & Nguyen (2012) mettent
en évidence qu’il est possible de caractériser émotionnellement un énoncé
à partir de l’analyse du lexique qui le compose. Chaque terme est caracté-
risé en valence sur une échelle de −1 (déplaisir) à 1 (plaisir), et en activa-
tion sur une échelle de 0 (endormi) à 1 (activé).
Figure 3 Occurrence des termes renvoyant au thème de la musique dans le corpus des
productions verbales des enfants.
Figure 4 Orientation émotionnelle du lexique des enfants lors des productions spon
tanées.
64 La petite chanson des émotions et de la motivation
Figure 6 Proximité sémantique des énoncés des enfants avec les vecteurs émotionnels
en utilisant l’analyse de la sémantique latente. Les émotions agréables sont indiquées
en bleu, les émotions désagréables sont indiquées en orange.
Bibliographie
Cette culture fera sens, elle facilitera les liens interdisciplinaires, posera
des repères, installera le plaisir d’apprendre (sans dogme ni vérités abso-
lues). Elle incitera au regard interrogatif, critique, créatif et philosophique.
Martine Tassin71
sa place dans notre société aujourd’hui. Elle s’impose partout dans les
restaurants, les métros, les publicités, à la TV, au cinéma…Partout sauf à
l’école ! Pourquoi ?
La musique apparaît aussi naturelle que le langage puisque les bébés
(et même les fœtus) l’apprécient clairement. Pourquoi n’est-elle dès lors
pas travaillée systématiquement à l’école ?
De nombreux chercheurs ont voulu démontrer2, depuis des années,
que la musique, en plus du plaisir qu’elle procure, a des effets positifs sur
le développement des enfants. Ils n’ont pas eu l’effet escompté.
Chez les scientifiques comme chez les philosophes et les artistes, la
musique est souvent décrite comme un art « hors norme » particulière-
ment complet, touchant l’être tout entier. Art complet et complexe, mou-
vant et émouvant, abstrait et corporel, individuel et social.
2 Ellen Winner – Thalia R. Goldstein – Stephan Vincent – Lancrin – Laurent Lefebvre – Su-
san Hallam – Loïs Hetland – Kalmar – Danielle Pankowski – Nina Kraus – Régine Kolinsky
Pierre – Marie Dizier – Irvine – Gardner – Tomatis – Rauscher – Lozanov – Orff – Dalcroze –
Suzuki – Kodaly – Storr A – Catterall – James S. – Dumais – Susan A. – Hampden Thomp-
son – Gillian – Filiod Jean-Paul – Alain Kerlan – Eurydice – Anne Bamford – Unesco – Aus-
tralia Council for the Arts – IFACCA – A. Lowe –…
Martine Tassin75
Plus de musique à l’école oui, mais quelle musique proposer aux enfants,
quels aspects musicaux travailler ? Il y a musique et musique. Tout n’est
pas nécessairement formatif. Tout dépend des objectifs poursuivis. Veut-
on apprendre aux enfants à chanter, à participer à une chorale, à écouter
des musiques d’époques et d’horizons multiples, à jouer d’un instrument,
à interpréter, à composer, à improviser, à s’exprimer ? S’initier au solfège,
pratiquer des exercices de rythme, s’interroger sur le sens et le contexte
culturel d’une musique…restent aussi possibles. A chaque fois, ce sont
des compétences différentes qui sont mises en jeu, des méthodes et des
effets attendus différents. Dès lors, le défi consistera à déterminer ce que
tous les enfants peuvent (doivent) apprendre à l’école à quel âge et cibler
judicieusement les savoirs, savoir-faire et savoir être qu’il veut installer
dans chaque type d’activité. Cela nécessite déjà de la part des enseignants
une formation pédagogique solide.
Et si les recherches nous aidaient à « composer » les activités musi-
cales !
Certains chercheurs (Bamford, 2006) estiment que finalement le plus
déterminant n’était pas le domaine – la musique, le théâtre ou le dessin –
ni même les activités musicales choisies mais la manière de les enseigner.
Tout serait dans la méthode !
Partant de l’idée qu’il n’existe pas « une » bonne méthode mais seule-
ment des propositions qui doivent s’adapter à des situations diverses et
surtout aux enfants que nous voulons éveiller, quelles seraient les condi-
tions favorables à un bon apprentissage musical ?.
Les sciences cognitives nous en révèlent quelques-unes notamment la
motivation, l’engagement actif, la flexibilité mentale, le feed-back ou re-
tour sur l’erreur, l’espacement des activités, l’importance du repos (nuits
complètes et/ou siestes). (O. Houdé, 2018).
De notre point de vue, que nous dirons plutôt « péda-logique », nous
nous limiterons à proposer trois principes méthodologiques qui nous sont
chers :
b) Apprendre à apprécier
de musique, de la poésie avec la mélodie, l’étude d’un pays avec les mu-
siques traditionnelles etc.
Et si nous permettions aux enfants d’apprendre grâce (au travers de,
par, dans, avec, à partir de…) à la musique qui donnera sens et saveur aux
apprentissages !
Pour faire réussir nos enfants, il faut faire réussir nos profs.
(Aberkane, I. 2016 p. 173)
Enfin, les media ne sont pas en reste. Pourquoi ne pas les solliciter
pour redonner à l’éducation, à l’art et à la culture toute leur valeur. L’en-
seignement et plus particulièrement l’éducation artistique et culturelle
méritent bien une campagne de pub !
Et si nous orchestrions les moyens. La créativité et la détermination de
chaque intervenant seront nécessaires pour composer cette œuvre sym-
phonique !
En conclusion, pour repenser l’école, on peut commencer par revoir sa
pédagogie. Eduquer « à » la culture et « par » la culture, « à » l’art et « par »
l’art, « à » la musique et « par » la musique, en reliant significativement les
apprentissages dans une optique citoyenne. Ce serait déjà une réforme
fondamentale dynamisante et pourtant très accessible et peu coûteuse.
80 La musique à l’école
Bibliographie
1. Genèse et philosophie…
Notre société traverse une période à la fois inquiétante et passionnante…
Inquiétante tant l’avenir même de l’Humanité est désormais objective-
ment menacé ; passionnante tant les défis qui s’imposent à nous sont mul-
tiples, tant la mobilisation citoyenne ne cesse de s’accroître pour vérita-
blement « changer le système », protéger l’environnement et le climat, et
réclamer davantage de justice sociale.
Dans le contexte de cette volonté massive de changement global,
l’École n’est pas épargnée ; elle se situe même au croisement de toutes ces
préoccupations…Nombreux en sont en effet les acteurs qui prennent au-
jourd’hui conscience que l’École doit évoluer vers des pratiques moins
normatives, s’adapter aux réalités du monde et faire bouger les lignes,
les habitudes, les traditions, trop confortablement inscrites dans son fonc-
tionnement quotidien.
Dans un milieu scolaire privilégiant traditionnellement les intelligences
linguistique et logico-mathématique, il devient de plus en plus évident
que l’École se doit de rééquilibrer les formes d’intelligence qu’elle mobi-
lise. Les compétences intra et interpersonnelle, kinesthésique, environne-
mentale et artistique méritent désormais de trouver leur véritable place au
sein de l’Institution scolaire. Elles sont potentiellement gratifiantes pour
des enfants a priori moins performants dans les deux intelligences sco-
laires « traditionnelles » et peuvent très naturellement constituer un pas
supplémentaire vers une école de la réussite et de la bienveillance. De
surcroît, ces « soft skills » sont désormais particulièrement appréciées sur
le marché du travail ; les parcours professionnels se diversifient et né-
cessitent de fortes capacités relationnelles, d’adaptation et de créativité
voire d’inventivité. Autant de compétences qu’il convient de développer,
84 La musique…dans l’ADN d’une école fondamentale !
Pourtant, force est de constater que les activités musicales demeurent, au-
jourd’hui encore, l’un des parents pauvres du quotidien scolaire de nos
enfants. La faute, prioritairement, à une formation initiale des enseignants
qui ne laisse qu’une part dérisoire à ces activités : dans les Hautes Écoles,
en trop peu de temps, on tâche en effet de dispenser quelques rudiments
de solfège, on apprend quelques chansonnettes et on découvre quelques
activités-types…Les étudiants, très souvent dépourvus de toute forma-
tion et de culture musicale personnelle, n’apprennent donc pas à maîtriser
les notions fondamentales leur permettant d’explorer la richesse et la di-
versité des activités musicales et donc de les envisager -avec créativité, as-
surance et enthousiasme- dans leurs futures classes…La faute aussi à un
système scolaire qui, globalement, considère que les enseignants du fon-
damental (niveaux maternel et primaire), en bons généralistes, sont d’of-
fice capables d’œuvrer avec efficacité dans des domaines aussi disparates
que le français, les mathématiques, les sciences, l’histoire, la géographie,
l’actualité, les arts plastiques, la musique,…
Or, la tâche qui incombe à l’éducateur musical est loin d’être simple,
surtout dans la formation de débutants, et ce quelle que soit la finalité de
son enseignement. Il doit être en mesure de proposer une progression pé-
dagogique construite et adaptée à ses groupes, tant aux niveaux vocal,
psychomoteur et didactique que du point de vue de la formation musi-
cale2, le cas échéant. Pour ce faire, une bonne maîtrise des compétences à
enseigner est l’une des conditions primordiales. Parmi les savoirs et sa-
voir-faire techniques et d’ordre culturel, une solide réflexion pédagogique
est également nécessaire pour présenter une matière qui peut procurer à
une classe de vrais moments de plaisir, tout comme des heures d’ennui
mortel, selon la façon dont on l’aborde. L’enseignement de la musique est
donc bien, en complément des initiatives de l’enseignant-généraliste, une
affaire de spécialistes !
Forte de ces constats, consciente du nivellement par la culture de
masse et de la perte des traditions culturelles, voilà de nombreuses an-
nées que l’équipe pédagogique de notre école3 s’est engagée dans une ana-
lyse pointue de sa situation dans ce domaine et dans une réflexion appro-
fondie sur les initiatives à mener pour donner aux activités culturelles et
2 Anciennement : « solfège ».
3 Ecole communale du Centre – Bruxelles (Uccle) – Belgique – www.ucclecentre.net ; der-
nier accès 29. 3. 2019.
86 La musique…dans l’ADN d’une école fondamentale !
2. Dans la pratique…
Au fil des ans et des expériences passionnantes que nous avons menées
avec nos élèves dans le domaine musical, il nous est apparu comme une
évidence, une nécessité, de faire en sorte que de telles activités s’ancrent
définitivement dans le quotidien de nos élèves, s’intègrent à un projet
d’école réfléchi et pérenne, et ne dépendent donc plus du caractère aléa-
toire de telle subvention ponctuelle ou de telle proposition de collabora-
tion avec un organisme culturel extérieur.
Très au fait de nos expériences diverses en la matière, les autorités
communales d’Uccle, tant pédagogiques que politiques, ont toujours sou-
tenu nos initiatives et participé à nos réflexions ; elles ont finalement déci-
dé de prendre financièrement en charge ce projet pédagogique spécifique,
unique en Fédération Wallonie-Bruxelles, à concurrence d’un emploi et
demi8. Rien ne permet, en effet, jusqu’ici, de faire subventionner par la Fé-
10 Anciennement : « solfège ».
90 La musique…dans l’ADN d’une école fondamentale !
1. Communautés d’Apprentissage
Le concept de Communautés d’Apprentissage (dorénavant CA) surgit
à la fin du XXème siècle dans le Centre Éducatif de Ressources pour Adultes
(CERA) de l’Université de Barcelone ; centre dirigé par le professeur
R. Flecha et dont la philosophie s’inspire des nouvelles pratiques éduca-
tives qui opèrent depuis le début du siècle passé. Les CA sont un projet
adressé aux établissements d’Éducation Primaire et Secondaire qui pré-
tend la transformation sociale et culturelle de l’école et de son entourage
(Flecha et Puigvert, 2002) et ambitionne mener la société de l’information
et de la connaissance à tous ses membres moyennant l’apprentissage dia-
logique, l’éducation participative et l’inclusion comme la valeur pédago-
gique la plus importante (Valls, 2000), en recueillant les transformations
qui se produisent dans la société actuelle.
Le moteur de cette transformation est représenté par la participation
de toutes les personnes de la communauté éducative moyennant l’ouver-
ture des espaces et des processus qui sont mis en œuvre dans l’établisse-
ment en créant pour cela des contextes de dialogue démocratique dans le
but d’obtenir une citoyenneté participative qui inclue tous ses membres
(Gutiérrez, 2016). Les acteurs locaux (élèves, famille, enseignants, moni-
teurs, bénévoles…) sont les acteurs principaux de la transformation du
territoire, en partant de l’individuel pour arriver à un consensus démocra-
tique à pied d’égalité. Avec ce, l’on prétend atteindre une éducation uto-
pique où aucun enfant ne se sente marginé ou porteur d’étiquette, indé-
pendamment de son origine, de son ethnie, de son niveau économique, de
sa croyance religieuse ou de son orientation sexuelle et par laquelle l’on
garantit la réussite scolaire.
L’apprentissage dialogique se situe à la base des CA qui à la fois se nourrit
des approches théoriques de la pédagogie critique, saisissant ainsi la pen-
sée des auteurs-clé du XXème siècle tels que Habermas, Freire o Vigotsky
(Duque, de Mello et Gabassa, 2009).
Les interactions entre les personnes produisent un apprentissage ins-
trumental et s’établissent sept fondements qui doivent respecter les exi-
gences afin d’arriver à un contexte d’apprentissage dialogique : le dia-
logue égalitaire, l’intelligence culturelle, la transformation, la dimension
instrumentale, la création de sens, la solidarité et l’égalité des différences
(Flecha et Larena, 2008).
Afin qu’un établissement se transforme en Communauté d’Apprentis-
sage une série de phases sont établies pour son organisation. Il s’agit d’un
processus progressif qui va de sa mise en œuvre, passant par l’attention
aux songes et désirs particuliers de la communauté éducative, jusqu’à la
recherche d’un nouveau mode opératoire et son implémentation (Beltrán,
Martínez et Torrado, 2015). Pour ce faire, sont conçues les deux suivantes
interventions de réussite principales :
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria95
a) Groupes interactifs
Les groupes interactifs sont une nouvelle façon d’enseigner et d’ap-
prendre. Pour cela, on organise de petits groupes de travail hétérogènes
avec la particularité que chacun d’eux a un bénévole chargé d’animer, de
dynamiser et de veiller à ce que tous les membres du groupe participent
aux tâches avec engagement (Chocarro et Sáenz de Jubera, 2016). Quand
une activité finit, les élèves se déplacent vers le groupe de travail suivant.
La figure 1 montre le roulement des élèves tel que le veut la méthodolo-
gie des CA.
Figure 1 Groupes interactifs. Roulements d’élèves dans les différents groupes. Dans
chaque groupe un adulte bénévole [B] coopère. Les élèves [é] passent par tous les
« postes de bénévoles », travaillant ainsi les différentes activités proposées et interagis-
sant entre eux sous la supervision du professeur [P].
b) Réunions dialogiques
Ce sont des actions de réussite basées sur le dialogue égalitaire et sur la
validité des contributions de tous ceux qui intègrent la réunion (Aguilera,
Prados et Gómez, 2015). Dans les CA, l’apprentissage de la langue (dans
notre cas, l’espagnol) moyennant la lecture est fondamental, mais l’idée de
96 Musique et Communautés d’Apprentissage
que le débat a lieu. L’on prétend que les participants expriment verbale-
ment et de manière égalitaire leurs émotions. À partir de cette proposi-
tion de 2003, la musique passa à intégrer les CA comme un nouvel ins-
trument (Martins de Castro, 2006). Pour nous, comme nous verrons, cela
n’est ni suffisant ni la meilleure façon d’aborder la musique à l’école. En
effet, l’audition est seulement un domaine dans la pratique musicale et les
classiques musicaux représentent seulement une partie intéressée dans
l’ample spectre sonore que l’on peut travailler dans la salle de musique. Il
s’agit alors de faire un saut qualitatif passant de parler de musique à faire
et vivre la musique depuis une perspective performative.
3. Méthode
Celui-ci est un travail de recherche-action (Cain, 2013 ; DeWalt et DeWalt,
2011) qui consiste à l’implémentation d’une série de performances didac-
tiques musicales faites en classe par C. Soria, enseignante et coauteur du
chapitre présent. Elles ont été créées pour l’occasion et auxquelles on a
ajouté la réalisation, l’analyse et l’interprétation des entretiens et question-
naires tel comme on l’explique ci-dessous. Tout ceci sous la supervision
du professeur Rodríguez-Quiles.
L’école de Maternelle et de Primaire, « Miguel de Cervantes », est un
établissement scolaire d’éducation compensatoire située dans la ville de
Malaga, au sud de l’Espagne. Elle fut reconnue comme Communauté
d’Apprentissage en 2014. Puis quatre ans après elle obtint le renouvelle-
ment de cette accréditation après avoir passé les contrôles de qualités re-
quis. Il s’agit d’un établissement, appelé ici d’une seule ligne4, intégré par
141 élèves, 16 enseignants, 5 moniteurs, 1 concierge, 1 personne du secré-
tariat, 1 cuisinière et 3 femmes de ménage5. La population de son entou-
rage provient d’un milieu défavorisé, et la diversité culturelle est l’une de
ses caractéristiques.
Trois niveaux et donc trois groupes de Primaire ont participé à ce pro-
jet (CP, CE2 et CM2) tel que le montre le tableau suivant :
En plus des élèves de Primaire, 20 bénévoles de la communauté édu-
cative ont participés dans cette étude ; parmi eux, des lycéens d’un lycée
4 Cela veut dire qu’il n’y a qu’un seul groupe par niveau.
5 Ces données correspondent à l’année académique 2016 – 2017.
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria99
CP (6 ans) 12 3 15
CE2 (8 ans) 8 5 13
Questions EMP CA
• Corporalité
• Dialogue égalitaire
• Spatialité
Intelligence
Q.1. Croyez-vous que tous les • Circulation
culturelle
participants ont eu la même chance d’énergie
• Solidarité
d’intervenir dans l’activité ? Pourquoi ? • Rapport entre sujets
• Egalité des
Responsabilité
différences
éthique
• Dialogue égalitaire
• Circulation
Intelligence
d’énergie
culturelle
Signification
Q.2. En classe, on a fait des activités • Dimension
• Auto référentiel
variées. Ressentez-vous avoir aidé les instrumentale
• Constitutive de
élèves lors des tâches proposées ? De Transformation
réalité Rapport
quelle façon ? Création de sens
entre sujets
• Solidarité et
Responsabilité
• égalité des
éthique
différences
Q.3. Quelles ont été vos contributions
• Réponse ouverte • Réponse ouverte
personnelles pendant les séances ?
• Circulation
d’énergie
Q.4. Avez-vous été à l’aise lors de • Dimension
Signification
la réalisation des activités ? Pensez- instrumentale
• Auto référentiel
vous que s’il y avait plus de séance Transformation
Constitutive de
comme celles-ci, les élèves voudraient Création de sens
réalité
venir davantage en classe et par-delà • égalité des
• Rapport entre sujets
s’approcher davantage au savoir ? différences
Responsabilité
éthique
• Dimension
Q.5. Croyez-vous que le cours de • Signification instrumentale
musique peut influer sur le résultat • Auto référentiel Transformation
académiques global des élèves ? • Constitutive de Création de sens
Pourquoi ? réalité • Egalité des
différences
Q.6.Dans quelle mesure croyez-vous
• Rapport entre sujets • Solidarité et
qu’il faut donner le meilleur de soi,
Responsabilité • égalité des
être solidaires, quand nous sommes en
éthique différences
cours de musique ?
Q.7. Considérant que nous sommes
tous égaux et que chacun de nous • Égalité des
• Rapport entre sujets
a des caractéristiques différentes, différences
Responsabilité
croyez-vous que lors du cours de • Solidarité
éthique
musique nous pouvons apprendre • Transformation
• Réponse ouverte
les-uns des autres et que toutes les • Réponse ouverte
contributions sont importantes ?
Q.8. Désirez-vous ajouterautre chose
en rapport avec de votre séjour en
cours de musique ?
Tableau 2 Questions de l’entretien relatives aux différentes catégories.
102 Musique et Communautés d’Apprentissage
Description : Jeu : « rangs qui imitent ». On forme trois groupes et il faut danser
d’après ce que la musique nous inspire. Le premier du rang fait une danse et le reste
du groupe l’imite. Á l’écoute de « change », le premier passe au dernier poste, et ainsi
de suite.
4. Résultats
Essentiellement, la EMP consiste à apprendre à faire des choses au fur et à me-
sure qu’on les fait de façon pratique (Rodríguez-Quiles, 2013). Dans ce sens, le
programme NVivo annonce la suivante fréquence de mots de l’ensemble
des réponses à la deuxième question de l’entretien.7
Figure 3 Fréquence des mots obte-
nus de la codification de la question
nº 2. Faire : 7,48 – Important : 1,87 –
Liberté : 1,87.
7 Question nº 2. En classe, on a fait des activités variées. Ressentez-vous avoir aidé les élèves lors
des tâches proposées ? De quelle façon ?
104 Musique et Communautés d’Apprentissage
Les élèves se sentent créateurs ; ils sont capables de faire des choses ;
avec leur corps ils font des rythmes…Ils découvrent qu’il y a des
choses qu’ils peuvent faire. (Femme, p. 5)
Nous voyons l’importance de l’utilisation instrumentale du corps avec un
sens propre, comme faisant partie de l’EMP. De sorte que les corps qui
agissent sont porteurs de nouvelles réalités potentiellement éducatives
D’après l’analyse des entretiens, il faut signaler que l’apprentissage a
été significatif pour les participants adultes qui ont exprimé que la signi-
fication, le sens et la dimension instrumentale ont été fondamentaux pour le
succès des performances didactiques-musicales. De ceci on déduit que la si-
gnification en EMP et la dimension instrumentale des CA sont très impor-
tantes pour donner du sens et de la catégorie au travail de classe, ayant
besoin de contribuer avec ce que chacun a de meilleur afin que le travail
arrive à bon port.
Figure 4 Fréquence des mots obte-
nus de la codification de la question
nº 8. Meilleur : 6,67 – Énergie :
3,33 – Toujours : 3,33.
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria105
8 Question 7. Considérant que nous sommes tous égaux et que chacun de nous a des caractéris-
tiques différentes, croyez-vous que lors du cours de musique nous pouvons apprendre les-uns des
autres et que toutes les contributions sont importantes ?
106 Musique et Communautés d’Apprentissage
120
100
80
60
40
20
0
1 S. 1º 2 S. 1º 3 S. 1º 1 S. 3º 2 S. 3º 3 S. 3º 1 S. 5º 2 S. 5º 3 S. 5º
9 Excepté l’un de ces étudiants qui, après avoir assisté à la première séance, ne le fit aux
suivantes pour des raisons personnelles.
108 Musique et Communautés d’Apprentissage
quant à cent pour cent en classe tel que le recueillent les enregistrements.
Les adultes ont acquis conscience de l’importance du travail qu’ils étaient
en train de réaliser et c’est pour cela que le succès de la classe ne peut se
comprendre sans leur contribution. Personnes d’origine hétérogène et de
milieu très différents unies par la conscience d’appartenir à la même com-
munauté et avec un objectif commun : le développement et l’apprentissage
des élèves, tout ceci sous l’idée commune de l’EMP.
5. Conclusions
Á la question posée pourrait-on obtenir à travers de l’Éducation Musicale Per-
formative des objectifs similaires à ceux que poursuivent les Communautés d’Ap-
prentissages ?, l’étude montre que la réponse est nettement affirmative. Les
composantes telles que l’égalité, la solidarité, le développement du travail
en groupe et, par la suite, la coopération, en respectant et en partant de la
culture de chacun des intégrants, ont été des facteurs-clé pour le dérou-
lement de chacune des activités musicales proposées dans cette étude. La
perception du « nous » comme pierre angulaire des CA (Rodríguez, 2017)
s’est renforcée par le biais d’une intervention musicale performative.
De son côté, l’Élève 3 du CM1 à la fin du projet a déclaré : j’ai aimé que les
enseignants participent. Tandis que l’Élève 1 du CP affirmait : j’ai aimé que
les profs viennent. Ce sont des expressions qui manifestent le désir de la
part des élèves à ce que l’enseignant, en plus de rester à leur côté pendant
le processus d’enseignement-apprentissage, change son rôle traditionnel
en tant que l’unique possesseur de la vérité et adopte un rôle participant
et coopérant. Cette affirmation nous rapporte à la conviction que les re-
lations sociales qui s’établissent dans le contexte scolaire sont beaucoup
plus déterminantes que les propres contenus et que l’on éduque plutôt
pour ce que chacun est que pour ce que l’on désire transmettre (Santos,
2015) ; ces idées mènent au désir de créer une école où non seulement on
prétend transmettre des valeurs démocratiques et d’autonomie person-
nelle, mais aussi qu’avec des faits et des exemples, jour après jour. Les
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria109
dialogue égalitaire (Martins de Castro, 2006), – sans pour cela être inap-
proprié par elles-mêmes – pour nous c’est tout à fait insuffisant, tel que
nous avons voulu le montrer avec cette étude. En effet, notre intention est
celle d’aller au de-là et passer de parler de musique à faire de la musique
comme une pratique pour transformer la communauté. Parce que quand
on fait de la musique depuis une intention performative, on établit inévi-
tablement des patrons de dialogue égalitaire qui facilitent la consécution
de nos objectifs socio-éducatifs transformateurs.
De l’autre, comme nous avons pu observer, beaucoup sont les points
en commun entre les bases sur lesquelles se fondent les réunions dialo-
giques et les piliers de l’ EMP, de façon à ce que la première pourrait se
considérer un cas particulier de la seconde. En effet, le travail collaboratif
de toute la communauté, depuis une perspective éducative, performative
et culturelle est plus bénéfique pour renforcer les relations sociales et, par
conséquent, atteindre la transformation désirée de l’école et son entou-
rage. Finalement, on a constaté que les CA sont un moyen idéal d’union et
liberté où pouvoir investir nos efforts pour arriver à un petit cosmos qui
offre le meilleur de tous ceux qui configurent cette communauté.
Ainsi, c’est un devoir professionnel que nous avons pour les générations
à venir, celui de leur offrir ces connaissances humaines et artistiques, en
coopérant et en considérant les possibilités que nous offre l’Éducation Mu-
sicale Performative en faveur d’une éducation intégrale pour nos élèves,
dans leur contexte particulier et aux côtés des membres de leur propre
communauté.
José A. Rodríguez-Quiles & Carmen M. Soria111
Bibliographie
1. Introduction
Dans le cadre du projet Erasmus + « Art et Apprentissage », l’asbl Educ’art
a développé un protocole de déroulement de séance « Musique et appren-
tissage » pour les 3e maternelle (5 ans) et 3e primaire (8ans). Il a été ré-
digé par des enseignantes en éducation musicale (Sarah Englert, Hélène
Stuyckens et Marielle Vancamp), avec l’aide d’une logopède (Ingrid Hoon-
horst). Il s’appuie sur les récentes recherches en neurosciences montrant
l’impact de la musique sur les apprentissages. Si les mécanismes intimes à
l’origine de cet impact font encore l’objet de recherches, ce qui ressort clai-
rement de l’ensemble de travaux est la nécessité de proposer des activités
multisensorielles et sensori-motrices.
La musique est intrinsèquement riche. Elle met en jeu de nombreuses
populations neuronales qui, si elles sont activées ensemble et de manière
régulière, favorisent les liens entre hémisphères, entre aires cérébrales (cf.
théorie du liage perceptif de Von der Malsburg, 1981). Plus le nombre
de populations neuronales recrutées par une activité est important, plus
la trace perceptive est riche et intégrée. Proposer des activités musicales
multisensorielles et sensori-motrices, c’est rendre la musique tangible,
c’est donner à entendre, à voir et à ressentir physiquement et de manière
synchrone pour que les traces sensorielles donnent lieu, dès le plus jeune
âge à des percepts riches et intégrés.
Concernant spécifiquement les aspects sensori-moteurs, la danse, la
pratique instrumentale mais aussi les exercices mettant l’accent sur le
rythme sont autant de moyens pour intégrer la composante motrice. Dans
les canevas d’activités proposés ci-dessous, nous avons fait le choix de
ne pas proposer de pratique instrumentale parce que concrètement cela
s’avère extrêmement compliqué à mettre en place en grand groupe, et
cela ne rentre pas dans le cadre d’un cours d’éducation musicale en école.
116 Musique et apprentissages : protocole d’activités
Dès lors, toute pratique musicale est bénéfique en soi. Notre canevas est
donc juste une proposition qui nous parait adaptée à la pratique scolaire,
dans laquelle nous avons veillé à renforcer particulièrement l’aspect multisen-
soriel et sensori-moteur (tous les points auront une composante motrice)
et l’aspect rythmique, que ce soit par l’expression de la pulsation de façon
simple, ou l’apprentissage de séquences plus complexes à adapter sur un
tempo donné. Les points 2 (vitamines vocales et rythmiques) et 5 (jeux
rythmiques) du canevas travailleront d’ailleurs particulièrement cet as-
pect. Les points 3 (expression vocale et gestuelle de la hauteur) et 6 (or-
chestration), comporteront une composante visuelle venant renforcer da-
vantage la multisensorialité.
Pour conclure, nous souhaiterions préciser que notre propos n’est pas
de justifier à tout prix la place de la musique en école par son effet sur le
cerveau, mais ne pas tenir compte des études montrant cet impact nous
paraitrait dommage, surtout pour les élèves en difficulté d’apprentissage,
qui pourraient en tirer de grands bénéfices. Nous sommes néanmoins
également convaincues de l’importance de l’art et de la culture en tant
que tels en classe. Nous sommes par exemple conscientes de l’absence
de certains aspects de l’éducation culturelle et artistique dans notre cane-
vas, comme le processus créatif (expérimentations et créations sonores),
or il nous parait essentiel d’aborder également ces aspects en classe. Et,
bien évidemment, si lors d’un déroulé, des enfants émettent une proposi-
tion créative, vous emmenant ailleurs de ce qui était prévu, mais méritant
d’être entendue et développée, nous ne pouvons que vous inviter à tout
bousculer pour la suivre et co-créer avec votre classe. Le canevas est pensé
avant tout pour favoriser une pratique régulière, y compris dans des laps
de temps courts (voir ci-dessous « Organisation temporelle »). Il n’exclut
pas les autres points du programme musical, qui est bien plus vaste, mais
vient les compléter. Offrant une structure qui se veut à la fois souple et
cadrante, nous espérons qu’il permettra à certains de trouver un chemin
pour se lancer dans la grande aventure de la musique à l’école.
118 Musique et apprentissages : protocole d’activités
Nom Description
3. Organisation temporelle
Notre canevas dépasse les 50 minutes de séance, mais notre estimation
temporelle est un peu hasardeuse. Certaines activités pourraient aller
plus vite, d’autres plus lentement. Et les premières séances seront forcé-
ment plus longues parce que certaines activités, une fois intériorisées et
systématisées, pourront se faire dans un laps de temps plus court.
Le point 4 « Apprentissage de la chanson » ne se produit que lors de la
première séance. Si vous répétez plusieurs fois une même séance, vous le
passerez, ce qui vous permettra de gagner du temps pour d’autres points.
Le point 5 « Jeux rythmiques » ne doit pas être traversé dans son inté-
gralité à chaque séance. Il est fort probable que lors de la première séance
vous ne puissiez faire que le 5a. Ce n’est pas très grave. Vous ferez le 5b
lors de la suivante, puis reviendrez au 5a etc.
Un déroulement complet peut aussi être envisagé sur deux séances.
Néanmoins afin de conserver une régularité, il conviendrait de ne pas dé-
passer l’intervalle d’une séance sans repasser par une étape (ex : étapes 1 à
4 la semaine 1, puis 5 à 6 la semaine 2, puis de nouveau 1 à 4 la semaine 3
etc.)
Enfin, ce qui compte avant tout c’est la régularité. Il convient, la pre-
mière fois, de faire un canevas en entier sur 50 minutes. Mais tous nos
points sont prévus comme des modules, qui peuvent être retravaillés par
après, une fois qu’ils sont connus, dès que vous avez 5 à 10 minutes de
libres (par exemple en transition entre deux cours).
4. Organisation pratique
Le déroulé en entier du Canevas nécessite un local dégagé. Le « coin ta-
pis » des classes maternelles n’est pas suffisant. Néanmoins une classe
dont les bancs ont été ramenés contre les murs fait tout à fait l’affaire.
Une fois les différents points d’une séance connus, ils sont presque
tous praticables derrière son banc, assis ou debout, à part le point 5b né-
cessitant d’être assis en cercle. Nous proposons en effet à chaque fois une
version « statique » du point 5a « Jeux rythmiques avec le corps », mais
nous insistons sur l’importance de la version avec déplacements dans le
déroulé complet.
120 Musique et apprentissages : protocole d’activités
1) Chanson de bonjour :
Bonjour + prénom de chacun des enfants. Tous les quatre ou cinq enfants
rechanter la chanson en entier.
gu, la main monte également vers le haut, si le son descend vers le grave,
la main descend vers le bas).
A chaque fois l’enseignant prononce le mot d’une certaine façon, et le
groupe reproduit.
Exemple : « Sarasponda »
•• le dire avec une voix aiguë, la main au niveau de la tête décrit un
geste horizontal en marquant d’un point imaginaire chaque syllabe.
•• le dire avec une voix grave, la main au niveau du ventre décrit un
geste horizontal en marquant d’un point imaginaire chaque syllabe.
•• dire les deux premières syllabes dans le grave, les deux suivantes
dans l’aigu, etc.
Il est important que les enfants répètent avec le bon geste en l’exprimant
vocalement.
Progressivement on sensibilise les enfants aux notions de grave et d’ai-
gu, on leur explique ces deux notions avec des mots qu’ils comprennent.
On peut également demander à un enfant de prononcer lui-même le
mot, en l’accompagnant du bon geste.
Ensuite, au fil des séances, on pourra intégrer un visuel, où les sons ai-
gus sont représentés par des symboles (lignes, points) situés sur le haut
d’une feuille, les sons médiums au milieu, et les sons grave vers le bas.
L’important étant de toujours respecter la progression suivante :
a. perception et expression corporelle (voix et geste)
b. codage éventuel à l’aide de symboles que les enfants doivent asso-
cier à une suite de sons entendue, ou lisent en émettant les sons à la
hauteur demandée.
Ex : dire Sarasponda avec les deux premières syllabes graves et les deux
dernières aiguës donnerait ceci :
4) Apprentissage de la chanson
Décrire un grand cercle avec ses mains, qui se termine par un frappé dans les
mains sur le O
Adore Bundeo
Décrire un grand cercle avec ses mains, qui se termine par un frappé dans les
mains sur le O
Adore Bunde
Frapper sur le torse sur les syllabes surlignées
Ret set set
Frapper chaque syllabe sur ses cuisses
A-se pas-se o é
Frapper dans les mains les syllabes surlignées
Variante 2 en mouvement
Former une ronde avec les enfants
Sarasponda, sarasponda, sarasponda Ret set set
La ronde tourne dans un sens en marquant bien la pulsation avec les pieds (éven-
tuellement marquer le « ret set set avec les pieds)
Sarasponda, sarasponda, sarasponda Ret set set
La ronde tourne dans l’autre sens en marquant bien la pulsation avec les pieds
(éventuellement marquer le « ret set set avec les pieds)
Adoreo
Sur place, on lève lentement les bras vers le haut et on les rabaisse en une fois sur
le « O »
Adore Bundeo
Sur place, on lève lentement les bras vers le haut et on les rabaisse en une fois sur
le « O »
Adore Bunde
Frapper sur le torse sur les syllabes surlignées
126 Musique et apprentissages : protocole d’activités
Figure 2 Orchestration
7) Chanson de fin
Choisir une chanson calme, avec un tempo lent, sur laquelle les enfants
peuvent se balancer doucement.
La chanson peut parler du fait de se quitter ou pas.
On peut proposer de petits jeux comme enlever progressivement des
mots ou phrases de la chanson, à prononcer mentalement, jusqu’à ce que
les enfants chantent la chanson entière « dans leur tête ». Cela permet de
travailler l’audition intérieure.
Le but est de ramener le calme et la concentration après l’agitation des
points précédents.
128 Musique et apprentissages : protocole d’activités
Ex : Coquelicot, tu te balances
Bibliographie
prenons conscience que la musique peut nous offrir des ressources ca-
pables d’assurer une remédiation cognitive à part entière2, en renfort de
la prise en charge rééducative. Améliorer sa perception de l’un des pa-
ramètres du son nous amène à mieux discerner, sentir, intégrer des élé-
ments souvent communs au langage, mais aussi à faire fonctionner les
capacités cognitives nécessaires à tout apprentissage. En apprenant, par
exemple, à ressentir différentes durées de sons, l’enfant améliore ses capa-
cités de traitement temporel, qui lui seront utiles dans la mise en place des
processus de lecture et de mathématiques.
Ces données répondent à la fois à la nécessité actuelle d’aménager les
cours de musique pour les dyslexiques dans les Etablissement d’ensei-
gnement artistique, mais aussi de développer des temps d’expression ar-
tistique à l’école pour leurs bienfaits cognitifs et pour le bien-être des en-
fants. Faciliter l’accès à un instrument pour un enfant dyslexique l’autorise
à exprimer sa créativité, sa fibre artistique, ses émotions, tout en soutenant
ses apprentissages. Faire de la musique à l’école l’ouvre également à un
contenu culturel sensible le conduisant sans le savoir à développer ses ca-
pacités cognitives. Par le biais d’un même médium, ces deux mondes pé-
dagogiques peuvent se retrouver autour d’un objectif commun, celui d’ai-
der l’enfant dys à exprimer pleinement son potentiel.
Certaines valeurs, représentées par un accès facilité à la connaissance,
dans le respect des différences et des fonctionnements cognitifs, rap-
prochent en outre le monde scolaire et celui de l’enseignement artistique.
Si l’objectif est d’amener un enfant dys avec troubles attentionnels à mieux
se centrer sur une tâche, sur la compréhension d’un mécanisme ou sur
la mémorisation d’une connaissance, envisager de développer son temps
et sa qualité attentionnels peut ainsi être pensé en collaboration, et par le
biais de la musique. Par exemple, l’attention peut être renforcée par les ac-
tivités suivantes :
•• l’enseignant d’une classe de CP ajoute du chant et un geste à son ac-
tivité de lecture habituelle : il réalise des lectures spatialisées à tra-
vers l’activité « Jouer avec les mots » :
Figure 1 Extrait de la fiche d’activité Jouer avec les mots (1) tiré de l’ouvrage à paraitre
aux éditions Retz, Maths et langage en musique, méthode Ecole Chantée (L’Ecole Chan-
tée est une approche pédagogique sonorisant les apprentissages en maths et langage
pour les GS/CP/CE1 dans un but de prévention des difficultés scolaires.).
Les enfants lisent ici les mots indiqués au tableau, en les chantant
sur deux hauteurs de sons (par exemple, do 4 et do 5). Ils peuvent
dans le même temps figurer ces deux hauteurs avec le corps en se
mettant debout/accroupis ou en les montrant d’un geste de la main.
•• Au conservatoire ou en école de musique, le professeur de Forma-
tion musicale qui souhaite aborder les premiers rythmes et leur
notation, peut adapter ses exercices à l’enfant dyslexique ayant
des troubles attentionnels. Il propose alors au groupe de faire du
rythme dans des cases au sol :
1. les enfants apprennent à marcher sur la pulsation, en posant un
pas par case, sur une musique bien régulière (par exemple, sur
la marche royale du lion, Carnaval des animaux, St Saens).
2. l’enseignant pose des valeurs rythmiques dans les cases (noires
et soupirs pour commencer).
3. les enfants marchent dans les cases, et lorsque l’une d’entre elles
contient un évènement sonore (une noire), ils frappent le rythme
dans les mains.
4. Ils peuvent également verbaliser les rythmes : « noire » « chut »…
ou dire « ta » et ne rien dire sur les silences.
5. Enfin, ils combinent la marche dans les cases, les clappings dans
les mains et la verbalisation.
6. Reproduire enfin les rythmes à son instrument ou à l’aide de pe-
tites percussions.
134 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage
De cette manière, l’enfant dys peut se centrer sur ses lectures, mé-
moriser les figures rythmiques et les réinvestir, tout en développant
son temps attentionnel.
•• le professeur d’instrument peut également aménager l’apprentis-
sage d’une pièce musicale en intégrant des activités attentionnelles.
Pour apprendre un motif isolé, l’enfant peut, par exemple, le jouer
une première fois, puis faire un tour de la pièce, et venir le rejouer.
Il peut également interpréter ce motif à tour de rôle avec son ensei-
gnant. L’enseignant peut enfin isoler le rythme du motif et le frap-
per dans les mains de l’enfant (paumes vers le haut), puis inverser
les rôles.
Ces aménagements sont adaptés au profil de l’enfant, facilitent l’ap-
prentissage instrumental et soutiennent ses capacités attention-
nelles.
L’approche multimodale dans les activités musicales implique une partici-
pation active de l’enfant dans son apprentissage, favorisant un soutien co-
gnitif. En incitant l’enfant à engager son corps, à le mettre en mouvement
dans les activités proposées, ses capacités attentionnelles s’améliorent.
Impliquer le verbal l’aide à commander ou à automatiser certains gestes
à l’instrument ou dans les percussions corporelles. Les supports visuels
adaptés soutiennent quant à eux l’audition et la mémorisation. Il est ain-
si possible de penser sa pédagogie par le prisme de fonctions cognitives
à cibler.
Mais comment construire un cours de musique adapté en conserva-
toire ? Concomitamment, quelles activités musicales multimodales peut-
on mettre en place en milieu scolaire ?
3 La portée musicale progressive en 3D est un outil spécifique proposé dans les cours
adaptés Melodys. Il soutient et facilite la lecture de notes dans les cas de troubles d’appren-
tissage. Voir : https://www.melodys.org/fr/aldryn-newsblog/methode-melodys/ ; dernier ac-
cès 14. 3. 2 019.
Alice Dormoy137
Figure 3 Sarabande.
4 Selon la méthode O passo, qui préconise un apprentissage rythmique passant par le pas.
Voir https://www.institutodopasso-fr.org/ ; dernier accès 14. 3. 2 019.
138 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage
les mains. Nous pratiquons ainsi la première ligne, et ce rythme est tout
de suite réinvesti au clavier, sur une note, puis sur les notes de la Sa-
rabande. Cet aménagement aide beaucoup l’étudiant à caler les rythmes
de la dernière page. Cette approche complémentaire l’aide ainsi à réali-
ser le rythme de sa pièce, à mémoriser les figures de rythme, mais aussi à
mieux contrôler sa motricité fine, et à anticiper ses gestes.
Lors des séances suivantes, nous ajoutons une basse, apprise sur une
feuille séparée, vierge au niveau de la main droite, afin de ne pas entrete-
nir de confusion entre les deux mains dans la lecture musicale. Puis, je lui
présente la partition complète, toujours bicolore.
Dans ce cours adapté, l’étudiant a pratiqué des activités de dévelop-
pement auditif, des exercices développant sa conscience rythmique et sa
motricité, des notations adaptées et la portée 3D l’ont aidé à suivre sa
partition et à lire ses notes, et l’arrangement simplifié ainsi qu’un soutien
au repérage clavier l’ont aidé à apprendre la pièce. Ainsi, l’objectif pour
l’enseignant est double avec une visée pédagogique (l’étudiant doit ac-
quérir des savoirs et savoirs faires lui permettant de jouer de son instru-
ment) et une visée de soutien cognitif (pour soutenir le développement de
l’attention, du repérage spatial et de la motricité fine de l’étudiant). Bien
loin de se substituer au rééducateur, l’enseignant peut néanmoins cibler
consciemment certaines activités en fonction des difficultés repérées (voir
chapitre précédent) et participer de l’évolution de l’enfant vers son épa-
nouissement global.
5 Consulter ces chansons dans l’ouvrage à paraitre Dormoy, A. (2019). Maths et langage en
musique. La méthode Ecole Chantée. Paris : Retz.
140 La musique à l’aide des troubles d’apprentissage
Figure 5 Exemple de pré-notation des hauteurs (cartes escalier) pour l’intégration des
hauteurs de sons en chant ou au carillon.
Dans la première colonne (la verte), l’enfant entend un premier son qui
peut être aigu, grave, ou medium. En fonction du son joué (au clavier
ou au carillon) ou chanté par l’enseignant, l’enfant pose une note en haut
(pour un son aigu), en bas (pour un son grave) ou au milieu (pour un son
medium). L’activité est à reproduire trois fois, et à renouveler plusieurs
fois. Les enfants peuvent ensuite chanter ou jouer les trois sons au caril-
lon escalier.
Le développement auditif passe également par l’entraînement à la per-
ception des sons courts et longs. Pour soutenir la perception fine des du-
rées de sons6, nous avons recours à un geste moteur (glisser la main sur
la table, de gauche à droite, pour un son long, et frapper d’un coup sec
pour un son court), à un support visuel (la pré-notation des durées sous
la forme de traits droits courts ou longs), et à la verbalisation (l’enfant dit
« court/lonnnnnnnng » ou « ta/taaaaaaaaaaaaa ».
7 Flaugnacco, E. et al. (2015). Music Training Increases Phonological Awareness and Rea-
ding Skills in Developmental Dyslexia : A Randomized Control Trial. PLoS ONE 10(9) :
e0138715. doi:10.1371/journal.pone.0138715.
8 Les animations de Stephen Malinowski (musanim ou Music Animation Machine) sont
d’excellents supports pour la mise en place d’activités motrices. Par exemple, sur l’animation
réalisée sur le second mouvement du concerto K.622 pour clarinette de W. A. Mozart, les en-
fants peuvent suivre la mélodie d’un geste de la main, et repérer les instruments dans les
interventions orchestrales sans le soliste. Dans certains passages, l’enseignant peut chanter
la mélodie et les enfants la retrouver sur l’écran et indiquer la couleur et l’instrument, puis
la chanter avec un geste de la main.
Alice Dormoy143
4. Conclusion
Mieux connaître le potentiel du matériau musical, sous l’angle des sciences
cognitives, nous ouvre une boite à outil géante, restant encore à explorer.
Mettre en place des actions pédagogiques dans cette direction nous per-
met d’agir ensemble autour de mêmes objectifs d’éducation, de soutien à
la rééducation, et d’épanouissement de l’enfant. En France, les initiatives
se multiplient depuis quelques années. Certains conservatoires ouvrent
leur pédagogie aux troubles d’apprentissage, développant la formation
de leurs professeurs, la mise en place de coordinateurs, les aménagements
pour les examens, ou encore des ateliers adaptés comprenant des activi-
tés multimodales et un moment de pratique instrumentale. Dans le même
temps, certaines écoles développent des activités musicales spécifiques en
classe entière ou en petits groupes de soutien. La musique peut être inté-
grée au temps scolaire en sonorisant les apprentissages, ou ponctuer régu-
lièrement la journée d’école. Pour autant, la question de l’homogénéité de
l’accès à la musique sous l’angle de ses bienfaits cognitifs demeure entière
sur le territoire. Sans occulter les contraintes administratives, logistiques,
humaines et liées aux programmes, la réflexion autour de l’apport de la
musique sur le parcours scolaire, et autour des aménagements permet-
tant de faciliter l’accès à un instrument doit certainement se poursuivre à
un niveau institutionnel. L’accès à un enseignement artistique de qualité
et à une pratique artistique à l’école est un droit de l’enfant dys comme de
tout enfant mais le débat doit se poursuivre pour que chacun puisse bé-
néficier des pouvoirs intrinsèques de la musique comme piliers de l’édu-
cation de demain.
Alice Dormoy147
Bibliographie
The London Academy of Music and Dramatic Art (2012). About LAMDA
Examinations : Reasonable Adjustments (online). Disponible sur https://
www.lamda.ac.uk/our-exams/applications-within-the-uk/reasonable-ad
justments ; dernier accès 14. 3. 2 019.
Professeurs de musique :
Remédiateurs :
Les enfants :
Les difficultés : Certains enseignants n’ont pas souhaité rentrer dans ce pro-
jet ; « je ne me sens pas à l’aise ; je n’ai pas assez de formation ; je chante
faux ; je ne suis pas musicien(ne) ; je n’ai pas le temps, avec tout le pro-
gramme qu’il faut accomplir !! »
Des professeurs de musique estiment « qu’il faut faire de la musique pour
la musique elle-même ; il ne faut pas toujours vouloir justifier par des ar-
guments scientifiques ».
6. En conclusion
Trois ans, c’est à la fois peu et beaucoup.
Peu ? Force est de constater que le thème de l’Art à l’Ecole remet en ques-
tion les priorités éducatives, il concerne les programmes, les pratiques di-
dactiques et le regard face aux troubles de l’apprentissage. Trois années
c’est peu pour mobiliser et changer les idées et les institutions…
Ces trois années représentent donc une tentative, parmi d’autres, qui
a permis l’émergence de belles collaborations mais aussi des sources de
conflits, de résistance et même de refus.
L’interdisciplinarité nécessaire déstabilise et provoque soit un grand
intérêt de collaboration ; soit des peurs, des résistances. Et cela aussi fait
partie du chemin.
Beaucoup ? En nous focalisant sur les liens et interactions entre science,
pédagogie, art, thérapie, nous avons pu :
•• définir « la musique à l’école »,
•• créer des synergies entre artistes et enseignants,
•• approfondir les connaissances et diffuser cette démarche interdis-
ciplinaire entre autres par des formations, des colloques, des confé-
rences,
•• renforcer des collaborations existantes,
•• créer des outils audiovisuels et littéraires,
toucher de nombreux professionnels. Nous sommes confiants : en France
et en Belgique, des structures politiques et institutionnelles sont sensibles
à cette démarche. En Espagne, un effort supplémentaire est nécessaire.
A espérer donc que les moyens humains et financiers seront dispo-
nibles pour que l’Art puisse prendre sa place à l’école. De nombreuses
156 Le projet « Art et Apprentissage » en Kaléidoscope
collaborations sont possibles, pour autant que l’on sorte de son espace de
confort et que l’on soit, à niveau personnel, d’école ou d’institution, un mi-
nimum soutenu.
Nous constatons sur le terrain, la nécessité d’encourager les projets
concrets dans les écoles et en extra-scolaires mais, en même temps, le be-
soin de poursuivre une réflexion plus profonde sur ce qu’est « éduquer »
un enfant, enseigner, dans le monde actuel. Et ce, avec les parents, les en-
seignants, les chercheurs, les thérapeutes, les artistes.
A suivre donc et surtout à poursuivre !
Déclaration de Marseille 2018
Pour la défense de la Musique
et de l’Education Musicale