(Niger) : Un Exemple D'Urbanisation Sauvage Le Quartier Talladje Aniamey
(Niger) : Un Exemple D'Urbanisation Sauvage Le Quartier Talladje Aniamey
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tous les frustrés de Niamey, découragés d'obtenir des parcelles par la
voie légale trop lente et trop aléatoire.
Le nouveau quartier attire surtout des petits et moyens commerçants
des fonctionnaires à revenus modestes (policiers, employés des Douanes,
infirmiers, et des petits salariés des secteurs privé ou semi-public).
On y trouve aussi un grand nombre d'ouvriers soucieux de se construire
un logement situé à proximité de leur lieu de travail, la zone indus-
trielle.
La composition sociologique du quartier, formé de catégories aux
revenus limités mais réguliers, explique sans doute en partie le rythme
accéléré de l'auto-construction et de la mise en valeur des parcelles
ainsi distribuées. Elle permet peut-être aussi de comprendre le jeu des
résistances et la capacité d'organisation qui a permis à ses habitants
de mener à bien sous la direction méthodique du chef de quartier,
Soumana Sagaizé. une stratégie cohérente aboutissant à la légitimation
par les services officiels de cette zone d'urbanisation spontanée.
Cette reconnaissance par les pouvoirs publics ne s'est pas opérée
cependant sans certaines difficultés, donnant lieu à des phases de blo-
cage ou de progrès et à des compromis dans le rapport de forces opposant
la population et la municipalité. Celle-ci, inquiète de voir se créer un
précédent dans l'extension incontrôlée de la ville, procéda bientôt à
une série de mises en garde sans susciter beaucoup de réactions de la
part des habitants. C'est là toutefois qu'il faut reconnaître le rôle
déterminant joué par Soumana Sagaizé comme organisateur du quartier, et
son action de "lotisseur coutumier" pour procéder par anticipation à un
véritable début d'aménagement urbain susceptible d'être intégré ultérieu-
rement dans un plan d'urbanisme éventuel.
Dans cette perspective, les propriétaires de terrain firent appel,
dans les premiers temps, aux services d'un topographe pour établir un
parcellaire aux trames régulières, composées de "carrés" d'environ 25
mètres sur 25, et vendus au prix de 15 000 francs CFA. Au début, certai-
nes des parcelles furent même attribuées gratuitement en échange d'un
cadeau symbolique, "la cola", d'une valeur inférieure à 2 500 francs CFA.
Le quartier s'est donc développé autour d'un quadrillage approxima-
tif de rues perpendiculaires, larges de 6 à la mètres, comportant des
espaces réservés pour des équipements collectifs : école, marché, dispen-
saire, mosquée •..
150
Sous la pression conjointe des particularités du marché foncier of-
ficiel et de la crise aiguê du logement qui caractérisent la situation
de Niamey, l'urbanisation du nouveau quartier s'accélère très vite; un
rapport du Ministère des Travaux Publics et de l'Urbanisme (1) avance le
chiffre moyen de trente parcelles mises en valeur chaque mois à Talladjé
entre 1972 et 1973. De 50 hectares urbanisés en mai 1971, on passe à 98
hectares soit 838 parcelles en décembre 1972, et à 107 hectares pour 838
parcelles en avril 1973.
Le succès de ces ventes et la rapidité de la construction s'expli-
que aussi par le souci des citadins de s'éloigner des quartiers centraux
surpeuplés, et par leur désir d'accéder au statut de propriétaire. En
s'accélérant, le mouvement d'urbanisation va entraîner un certain relâ-
chement du contrôle du parcellaire par les "lotisseurs" auxquels échappe
désormais la maîtrise de l'extension du quartier. Les bâtiments prolifè-
rent alors sur un tracé plus désordonné ,créant un tissu irrégulier,
discontinu beaucoup plus difficile à viabiliser.
A partir de 1973, cette situation, et le gonflement de la popula-
tion dans ce secteur, commencent à poser aux autorités municipales un
problème délicat qui va conduire les services de l'urbanisme à envisager
trois réponses : élimination, laisser-faire ou rénovation du quartier.
Au problème de l'existence juridique s'ajoutent en effet des préoc-
cupations urbanistiques concernant la mises en place des équipements de
base (adduction d'eau et électricité) indispensables à la vie d'une po-
pulation comprise en 1975 entre 5 et 6 000 personnes. Compte tenu de
cette importance numérique, et devant la résistance opiniâtre des habi-
tants, des mesures d'éviction trop coercitives s'avèrent vite diffici-
lement envisageables sans donner lieu à des conséquences socio-politi-
ques fâcheuses, conduisant en définitive les pouvoirs publics à décider
l'aménagement officiel de cette zone d'habitat spontané, et sa restruc-
turation partielle.
A cette phase du processus correspondent la décision, prise en 1975,
d'empêcher l'extension vers l'est, et la consigne de ne plus construire
jusqu'à nouvel ordre. Mais la situation de statu quo se prolongeant, la
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mise en valeur des parcelles connait de nouveau un développement notable,
sans que soient prises en considération très rigoureuse les limites assi-
gnées par les autorités. En 1979 seulement interviendra la restructura~
152
autobus de la SNTN et par des taxis collectifs. Ces derniers ont même
repris l'appellation "Talladdjé-Talladjé" qui symbolise leur fonction
spécifique qui est de relier Niamey-ville à ses agglomérations satelli-
tes. Composés de véhicules Peugeot 404, les "Talladjé-Talladjé" desser-
vent en effet non seulement l'axe Niamey-Talladjé-Aviation, mais tous
les autres quartiers ou villages périphériques, dans un rayon limité par
la police routière à 50 kms autour de la ville.
En 1980, observe encore A.H. Sidikou, le problème essentiel à
Talladjé, comme dans toute la périphérie de Niamey reste celui de l'amé-
nagement et de l'assainissement urbain, particulièrement préoccupant
dans les quartiers en banco, surtout à la saison des pluies.
Quant aux propriétaires non touchés par les actions de rénovation,
ils attendaient à cette date. sur invitation des pouvoirs publics et
moyennant certains frais, une confirmation de leurs droits.
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1905 à 2 500 en 1932, 7 000 en 1945, 30 000 en 1960, 70 000 en 1970 et
175 000 environ en 1975.
La croissance en superficie se poursuit dans toutes les directions.
Couvrant déjà en 1980750 km2 dont 45 urbanisés (A.H.Sidikou), elle est
favorisée par un site dissymétrique de plaine et de plateau bordant le
fleuve, ce qui autorise la progression d'une urbanisation "horizontale",
consommatrice d'espace et conforme aux habitudes locales.
L'analyse des différentes phases de l'urbanisation, retracées par
S.Bernus et A.H.Sidikou, montre que le caractère pluriethnique de Niamey
s'est affirmé dès l'apparition du village dont elle est issue, avec le
regroupemen~ de conquérants maouris venus du pays haoussa, d'agricul-
teurs, chasseurs ou pêcheurs kallés appartenant à un sous-groupe djerma,
de peuls éleveurs et de commerçants haoussas arrivés plus tardivement.
Les deux groupes, Maouris et Kallés, qui se disputent l'antériorité de
l'installation sur le site, donneront naissance aux deux plus anciens
quartiers de la ville. A ce noyau s'ajouteront par la suite d'autres
migrants djermas et des pêcheurs songhay-kurteys venus de régions
situées à l'ouest de Niamey. Ces derniers fonderont en bordure du fleuve
Niger le quartier Gaweye, aujourd'hui démoli.
L'histoire de la ville coloniale débute en 1901, avec l'installa-
tion d'un poste provisoire de transit par le capitaine Salaman, chargé
pour l'armée française d'organiser la route Niger-Tchad. Le village de-
viendra un peu plus tard. de 1963 à 1911, chef-lieu du Territoire mili-
taire, rôle qui sera ensuite dévolu à Zinder jusqu'en 1924. C'est seu-
lement à cette date, deux ans après la transformation du Territoire en
colonie, que la décision sera prise par le gouverneur Brévié de trans-
férer définitivement la capitale à Niamey, mesure qui ne deviendra effec-
tive qu'en 1926. A partir de ce moment, l'agglomération va commencer à
grandir sur la rive gauche du fleuve, sur un plateau de grès argileux
dominant le Niger par une falaise d'une trentaine de mètres, et entamé
par une vallée sèche, le Gunti-Yéna qui coupe en deux la ville actuelle.
Ce n'est qu'après la construction d'un pont, en 1970, qu'elle s'étendra
aussi dans la plaine marécageuse sur la rive droite du fleuve.
Jusqu'à l'indépendance en 1960, Niamey connaîtra une relative
léthargie; cette période sera marquée d'abord par l'installation de la
colonie européenne et du personnel administratif africain en majorité
non nigérien, nouvellement arrivés dans la capitale, à côté de la ville
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africaine, elle-même composée de six quartiers indigènes et d'un .. zongo"
ou quartier des étrangers, situés plus près du fleuve. Puis viendront,
après 1929, les maisons de commerce européennes suivies par les mission-
naires catholiques en 1931, au moment de la famine qui provoquera un
afflux massif de ruraux fixés dans un quartier de paillotes à l'est du
village. En 1935, à la suite d'un incendie, la ville noire sera déplacée
à l'est du Gunti-Yéna, sur le plateau considéré comme plus salubre, à
l'exception toutefois de Gaweye qui ne sera déguerpi et rasé qu'en 1979.
A l'ouest du Gunti-Yéna, le plateau abrite aussi le quartier résidentiel
européen et la ville administrative. Ce réaménagement de la ville afri-
caine conduira à la formation de nouveaux quartiers, baptisés avec des
anciens noms mais sur d'autres emplacements, et plus mélangés ethnique-
ment que les populations d'origine, davantage groupées par entités
culturelles.
La deuxième guerre mondiale et les rivalités politico-administra-
tives de l'après-guerre vont ensuite ralentir le développement de Niamey
qui, en 1950, avec 12 000 habitants peut cependant être considérée déjà
comme le premier centre urbain du pays. Avec l'établissement d'un aéro-
drome, d'un hôpital, d'un vaste espace commercial, puis la nomination
d'un conseil municipal suivie de l'élection d'un maire en 1956, le
processus d'urbanisation est alors véritablement engagé.
Malgré tout, la croissance urbaine de Niamey ne prendra vraiment
son essor qu'avec la proclamation de l'indépendance, le 3 août 1960, et
ses fonctions de capitale du nouvel état républicain qui exigeront la
mise en place de nouvelles structures, aussi bien sur le plan adminis-
tratif que sur le plan des activités économiques. En 1967, la commune de
Niamey obtient le statut de ville, avec une population d'environ 57 000
habitants officiellement recensés.
Dès lors, l'immigration urbaine va se poursuivre à un rythme sou-
tenu, particulièrement aux époques de grande sécheresse et de disette,
qui ont pour effet d'intensifier l'exode rural, déjà très important en
période normale pendant les neuf mois de saison sèche. Ces migrations
saisonnières font apparaître dans la ville une forte proportion de popu-
lation flottante qui explique la prolifération et le gonflement des quar-
tiers d'accueil, d'habitat plus ou moins précaire, dans les zones péri-
phériques. La ville va progressivement prendre une extension considéra-
ble qui deviendra tout à fait spectaculaire à partir des années 1973-74
155
à la suite des conditions économiques et de la richesse nouvelle créée
par le "boom" de l'uranium, à l'issue d'une sécheresse très dure pour
les éleveurs et les paysans. Ayant même atteint entre 1975 et 1978 un
taux d'accroissement supérieur à 18 %par an, Niamey, née d'un vil-lage
encore presqu'inconnu au début du siècle, se présente à l'heure actuelle
comme une ville-champignon, dont il est difficile de suivre au jour le
jour les multiples transformations.
Dès l'origine aussi, à cOté de son caractère pluriethnique, l'orga-
nisation de la ville a répondu au souci de rationaliser l'espace habité,
conformément aux règles de l'urbanisme colonial. A Niamey, celles-ci
prévoient une extension de l'agglomération correspondant à son importan-
ce politique, ainsi que la séparation entre les quartiers africains et
la ville européenne et administrative par la zone tampon que constitue
la dépression du Gunti-Yéna. Dans cette perspective, à partir de 1905
plusieurs plans d'urbanisme et d'aménagement vont se succéder pour orga-
niser et contrOler la croissance de l'agglomération, prévue d'abord vers
l'ouest, en bordure du fleuve.
Avec la transformation du Territoire militaire en colonie, après
1922, de nouveaux plans d'aménagement sont élaborés, instaurant une ma-
trice de lotissements, suivant la réglementation alors en vigueur en
A.O.F. Les premiers lotissements voient le jour entre 1935 et 1937, liés
au déguerpissement autoritaire du village africain pour remédier aux nom-
breux incendies dont il était la proie. A la fin de 1937, un plan est
adopté où l'on retrouve pour l'essentiel le noyau de la ville contempo-
raine. Le transfert sur le plateau de la population indigène sera l'occa-
sion d'une évolution profonde des quartiers traditionnels, par l'obliga-
tion de construire en banco et par le brassage ethnique qui en résulte.
au gré de l'installation progressive des habitants sur les parcelles de
lotissement. Seuls, les habitants de Gaweye continueront de résider
jusqu'en 1979 sur la rive gauche du fleuve pour pouvoir exercer leurs
activités de pêcheurs.
A partir de 1952, avec le plan Herbe, la procédure de lotissement
va s'appliquer de manière plus systématique, sur la base d'un découpage
par zones, délimitant des lotissements fonctionnels prévus pour des
usages spécifiques : zones administratives, commerciales, résidentielles
ou d'habitat traditionnel, zones industrielles, militaires, espaces
verts. La ville conserve en gros ses trois composantes initiales : d'une
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part le Plateau, formé de la ville blanche administrative, d'autre part,
Niamey-Haut abritant la ville résidentielle africaine; ces deux pre-
miers secteurs étant situés de part et d'autre du Gunti-Yéna declaré
zone inconstructible. Le troisième secteur, ou Niamey-Bas, situé plus
près du fleuve à l'est du Gunti-Yéna correspond à l'emplacement des
premiers établissements européens et présente un caractère multi-fonc-
tionnel à la fois résidentiel, commercial et social.
Complétant ces premières dispositions, une Commission d'urbanisme,
rendue nécessaire par le développement de la ville, sera créée dès 1961,
pour aider à gérer la croissance urbaine et favoriser l'amélioration de
l'habitat. A cette fin, un avant-projet directeur de la ville de Niamey
est agréé en 1964, qui complète le premier découpage par zones, prévoy-
ant des terrains réservés pour des utilisations spécifiques : services,
gouvernement, ambassades, université, équipements récréatifs ou cultu-
rels, sports. Le projet réglemente aussi les superficies et les densités
d'habitation, ou les types de construction autorisés selon les diffé-
rents secteurs urbains. Bien que très vite et très largement dépassé,
indique A.H.Sidikou, ce projet reste encore une référence pour les ser-
vices de l'urbanisme. Un plan directeur pour la ville de Niamey est à
l'étude depuis plusieurs années. mais pour cause de remaniements succes-
sifs, il n'était toujours pas entré en application en 1980, à la date de
ses observations (A.H.Sidikou).
L'évolution de la ville, jusqu'en 1965 s'est effectuée, contraire-
ment aux premières prévisions, vers le nord-est, le clivage résidentiel
entre européens et africains n'étant plus aussi absolu qu'auparavant.
Actuellement, Niamey se développe dans toutes les directions, à un
rythme particulièrement rapide, notamment sur la rive droite du Niger où
a été implantée l'Université après la mise en service du Pont Kennedy,
et où prolifèrent, depuis, des zones d'habitat spontané sur des terrains
non urbanisés. C'est là également qu'a été reconstruit le quartier de
Nouveau Gaweye sur des parcelles non viabilisées. En 1979, en effet,
Gaweye a été déguerpi puis démoli. pour faire place à un ensemble archi-
tectural de prestige comportant un hôtel de classe internationale, un
Palais des Congrès et un bâtiment ultra-moderne abritant les bureaux de
l'O.N.A.R.E.M. pour la recherche minière. Mais hormis ce quartier
vitrine et un certain nombre de réalisations plus récentes, la crois-
sance urbaine se manifeste pour l'essentiel en surface plutÔt qu'en
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hauteur, sur un mode ejtensif correspondant à la fois aux techniques de
construction et au mode de vie des nigériens.
Du fait de l'augmentation trop rapide de sa population, comme de
nombreuses villes tropicales, Niamey est devenue une ville de spécula-
tion foncière. Inapte à procurer des conditions de vie satisfaisantes
aux nombreux arrivants qui, pour des motivations diverses viennent s'y
installer, temporairement ou de manière plus permanente, elle n'offre
plus que des possibilités d'accès à la propriété tout à fait aléatoires.
Capitale macrocéphalique d'un pays dont l'équilibre économique reste
fragile, sa croissance et son développement demeurent fondamentalement
tributaires des variations de la conjoncture : ville-refuge où se con-
centrent en dernier recours les sinistrés de la sécheresse, c'est aussi
là qu'en priorité s'investissent de préférence les capitaux individuels
ou collectifs dégagés pendant les périodes de prospérité. Après 1974, il
n'est pas exagéré de dire que les retombées de l'exploitation minière
ont ainsi transformé la ville en un gigantesque chantier dont l'activité
n'a commencé à se ralentir qu'à partir des années 1980-1981, avec la
chute spectaculaire des cours mondiaux de l'uranium.
Dans cette optique, tel qu'il est établi et appliqué par l'Etat
nigérien, le dispositif institutionnel et juridique en matière d'urbanis-
me ne peut semble-t-il que contribuer à aggraver un processus que A.H.
Sidikou caractérise comme un acheminement inexorable vers la situation
inextricable des villes dont la croissance est anarchique.
C'est ce qui apparaît en effet, à l'analyse de la politique foncière et
immobilière suivie par le gouvernement jusqu'en 1980, comme nous allons
maintenant le voir.
160
C'est ainsi par une interprétation abusive de l'ordonnance
numéro 59-113 du 11 juillet 1959 qui régit le domaine foncier, qu'il est
admis que le terroir des centres urbains peut être étendu au détriment
des droits coutumiers sur la terre, car selon cette perspective, toutes
les terres appartiennent à l'état.
Par ailleurs, l'expansion spatiale s'opère normalement par l'inter-
médiaire de la procédure de lotissement, selon les textes en vigueur et
notamment l'ordonnance n° 59-114 du 11 juillet 1959 qui précise les moda-
lités de la différenciation entre les divers types de zones loties. Une
fois approuvé au niveau ministériel. le plan de lotissement donne lieu à
l'établissement de parcelles qui sont ensuite immatriculées et occupées,
en théorie, seulement contre la délivrance d'un arrêté de concession,
d'affectation ou d'attribution, ou d'un permis d'habitation pour les
zones d'habitat traditionnel. L'avant projet directeur de la ville de
Niamey, approuvé par l'arrêté n° 0399/MTPlM du 14 juillet 1964 "autorise
les remembrements dans les quartiers aisés, et avalise la promiscuité-
dans les quartiers africains" conclut A.H. Sidikou. Quant aux secteurs
de construction en paillotes, ils sont tolérés mais ils ne sont pas 10-
tis et ne peuvent être ni attribués, ni vendus, étant occupés seulement
à titre provisoire. donc sujets à tous les éventuels déguerpissements.
Bien que la procédure de lotissement mise en place depuis 1952 avec
le plan Herbe, représente depuis cette date la voie priviiégiée de l'ex-
tension de la capitale, en pratique. depuis 1968-69. de nombreuses ex-
tensions ont été successivement réalisées qui ne respectent pas toujours
les règlementations du plan. En 1980, la ville de Niamey était consti-
tuée officiellement de vingt-huit lotissements. Mais l'analyse du marché
foncier, des procédures et des prix montrent en effet le décalage entre
les pratiques réelles et les objectifs initiaux du plan. Les longueurs
de la procédure officielle sont une première raison qui contribue à ex-
pliquer ce décalage. puisqu'il peut s'écouler de six à douze mois entre
la demande officielle et la vente du terrain, le temps de réunir toutes
les autorisation. enquêtes et vérifications nécessaires auprès des dif-
férents services concernés.
L'examen de l'évolution des prix sur le marché officiel montre que
la spéculation foncière a commencé à Niamey, après la deuxième guerre
mondiale. lorsque les terrains, jusque là cédés aux particuliers à titre
de "compensation" ont acquis une valeur marchande à la suite des textes
161
parus sur l'aménagement urbain. Par le texte notamment du 4 avril 1955,
l'Assemblée territoriale fixe pour la première fois le prix de base
d'aliénation des terres selon leur usage commercial, industriel ou
d'habitation. Plus tard, et pour tenir compte des travaux de viabilisa-
tion entrepris avant l'arrivée des occupants, les prix des parcelles
seront fortement relevés, sur les bases prescrites par l'ordonnance
nUméro 59-115 du 11 juillet 59 et par celle n° 75-37 du 4 octobre 75.
2
Ainsi une parcelle de 600 m vendue entre 6 000 et 30 000 francs CFA en
1955 dans les quartiers africains coûtait désormais 150 000 francs CFA
dans les lotissements ouverts en 1979-80. Pour la grande majorité des
habitants de Niamey dont les revenus sont très faibles, ces coûts sont
très élevés, voire inaccessibles, même si jusqu'en 1975, ils pouvaient
être considérés comme peu élevés et sans rapport avec les prix pratiqués
alors dans d'autres capitales africaines comme Dakar ou Abidjan, qui con-
naissent une spéculation foncière très forte.
Compte tenu de ces coûts prohibitifs, les terrains à bâtir se trou-
vent monopolisés par une minorité privilégiée car le rythme d'extension
de la ville ne suit pas le rythme d'accroissement de la population; le
retard considérable accusé par le programme de lotissement et la vente
des parcelles ne fait que creuser davantage l'écart entre la disponibi-
lité en terre et les besoins des habitants. Entre 1975 et 1976, A.H.
Sidikou avance le chiffre de 8 547 parcelles mises à la disposition du
public dans différents lotissements pour 1 510 demandes enregistrées par
les services municipaux, soit une demande presque deux fois supérieure à
l'offre. Des dysfonctionnements sont par ailleurs à mettre en cause qui
aggravent l'insuffisance de l'offre par rapport à la demande et à l'at-
tribution des parcelles. Certaines parcelles sont vendues par exemple à
plusieurs personnes, ou bien des stratagèmes sont utilisés,au mépris de
la loi, pour en accaparer plusieurs, par le jeu des prête-noms.
Toutes ces raisons expliquent l'importance prise par le marché fon-
cier parallèle, soit dans la mise en valeur par anticipation ou la vente
par les propriétaires coutumiers de terroirs sur lesquels s'étend la
ville, soit dans les transferts par spéculation, légalisés ou non par la
suite. En effet, comme dans le cas de Talladjé, les propriétaires cou-
tumiers, peu instruits de leurs droits et par crainte d'être expropriés
pour cause d'utilité publique (loi n° 61-30 du 30 juillet 1961 et numéro
61-37 du 24 novembre 1961), préfèrent vendre directement leurs terrains
162
à tous ceux qui n'ont pas réussi à obtenir une parcelle dans les lotis-
sements officiels. Sur ce marché parallèle, les prix, symboliques ou peu
élevés à l 'origine, tendent aujourd'hui à rejoindre ceux des transactions
officielles, voire même à les dépasser ; parfois certaines parcelles
sont morcelées pour être revendues à prix d'or, dans les quartiers péri-
phériques, et plus encore dans les quartiers du centre-ville. La spécu-
lation foncière se manifeste également par le transfert des droits de
propriété dans les zones loties ou non loties, avec le concours d'inter-
médiaires spécialisés dans ces démarches. Les prix dans ce cas peuvent
atteindre des niveaux extrêmement élevés, sans rapport avec ceux
pratiqués aussi bien sur le marché officiel que sur le marché parallèle.
2
A.H.Sidikou fait ainsi état de parcelles de 1 000 m achetées dans le
quartier Issa Béri, à la périphérie nord de la ville, pour 350 000
francs CFA et revendues ensuite pour deux ou troix millions.
D'autres raisons à la revente des parcelles sont liées à l'obliga-
tion de les mettre en valeur, et aux difficultés d'obtenir un permis
d'habitation. Les contraintes fixées par l'article 19 de la loi 59-113
du 11 juillet 1959 et relatives à la mise en valeur des parcelles dans
les deux ans qui suivent leur acquisition font que souvent cette obli-
gation n'est pas remplie dans le délai requis. En effet les bâtiments
sont censés être construits selon des normes techniques déterminées,
après délivrance plus ou moins aléatoire d'un permis de construire lui
même assorti de conditions particulières. L'accès à la propriété, de
manière légale s'avère donc très incertain et pour finir, très rares
sont les habitants de Niamey qui se trouvent en possession d'un titre
foncier définitif. Parallèlement à ces contraintes, le manque de rigueur
dans leur application permet de comprendre pourquoi, en dépit des textes,
l'aménagement urbain reste si mal maîtrisé.
A côté de la question foncière, les insuffisances de la politique
gouvernementale dans le secteur immobilier jouent enfin un rôle détermi-
nant dans le processus d'aggravation de cette "urbanisation sauvage". La
politique de l'Etat dans ce domaine est essentiellement mise en oeuvre
par le truchement de deux sociétés : le Crédit du Niger et la Société
Nigérienne d'Urbanisme et de Construction Immobilière (SONUCI), qui
après 1958 ont pris le relais de l'Office Public Nigériens des Habita-
tions Economiques qui avait déjà permis la réalisation d'une soixantaine
de logements en 1958.
163
Ces deux sociétés. créées respectivement en 1958 et 1963, devaient
répondre aux objectifs suivants : consentir des prêts immobiliers ou des
prêts d'équipement et garantir des prêts contractés avec d'autres orga-
nismes. pour ce qui concerne le Crédit du Niger. Concevoir et appliquer
une politique de logement à l'intention des salariés, pour la SONUCr.
Mais. en pratique. le coQt élevé des matériaux de construction et de la
main d'oeuvre. et les ressources limitées de l'Etat, principal client,
empêchent ces deux sociétés de construire et de proposer des logements à
des prix compétitifs, adaptés aux revenus très bas des catégories les
plus nombreuses. A l'inverse des opérations de masse tentées à Dakar ou
Abidjan, l'Etat nigérien a surtout porté ses efforts depuis l'indépen-
dance sur la réalisation de logements accessibles seulement aux salariés.
l'une des couches les moins démunies et numériquement limitée de la so-
ciété nigérienne. Au total, depuis sa création jusqu'en 1978, 459 loge-
ments (villas, appartements ou studios) ont été construits par la SONUCr.
dont les réalisations sont loin en quantité comme en qualité de satisfai-
re les besoins réels dans une ville où la pénurie de logements devient
de plus en plus aiguê.
L'absence d'une politique sociale du logement cohérente et program-
mée, appuyée sur un dispositif moins limitatif de financement de l'habi-
tat se traduit en définitive par une progression incontrôlable de l'auto-
construction désordonnée qui pose de multiples problèmes d'aménagement
et de gestion urbaine.
Accès difficile à la propriété foncière et immobilière, laxisme
dans l'application des textes. insuffisances des moyens mis en oeuvre,
précarité du contexte économique et pression démographique. tous ces
facteurs se combinent pour créer une situation qui aggrave les problèmes
de voirie et d'assainissement. de transport et de sous-équipement des
quartiers périphériques, de surdensification et de taudification de cer-
tains quartiers traditionnels. surtout dans le centre de la ville. C'est
pourquoi, aux termes même du plan quadriennal 1979-83, on assiste essen-
tiellement à Niamey, à la mise en application d'un "urbanisme de rattra-
page" dont les études et les réalisations restent très en deçà des
besoins suscités par une croissance urbaine galopante. L'exemple du quar-
tier Talladjé en donne une image très significative.
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BIBLIOGRAPHIE
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Poitou Danièle (1987)
Un exemple d'urbanisation sauvage : le quartier Talladje à
Niamey
In : Haumont N. (ed.), Marie Alain (ed.). Stratégies urbaines
dans les pays en voie de développement : politiques et
pratiques sociales en matière d'urbanisme et d'habitat
Paris : L'Harmattan, 147-165. (Villes et Entreprises)
Stratégies Urbaines dans les Pays en Voie de Développement
: Colloque International, Paris (FRA), 1985/09/25-28
ISBN 2-85802-955-5