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Augustinisme politique

doctrine politique d'Augustin d'Hippone

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L'augustinisme politique désigne l'application de la pensée d'Augustin d'Hippone au domaine


politique. Cependant, c'est une notion tardive, ambiguë et passablement contestée. Elle peut en
effet désigner n'importe quelle interprétation de l'œuvre de saint Augustin en vue d'une pensée
politique. Ceci s'est fait continuellement dans l'histoire, notamment à partir de lectures de La Cité
de Dieu. En ce sens, l'augustinisme politique pourrait être l'ensemble de ces interprétations.
L'expression « augustinisme politique » a aussi été employée pour désigner des théories qui n'ont
aucun rapport direct avec saint Augustin.

Super Physicam Aristotelis, 1595

La notion d'augustinisme politique a été proposée par Henri-Xavier Arquillière[1] en 1934 dans
L'Augustinisme politique, essai sur la formation des théories politiques au Moyen Âge[2]. Il
s'agissait pour l'auteur de ce concept de circonscrire sous ce terme des interprétations
médiévales de l'œuvre de saint Augustin qui auraient déformé sa pensée. Cette élaboration
théorique a lieu au moment où les débats théologiques sont mobilisés par la question des
rapports entre l'Église et l'État, avec quelques années auparavant la création de l'État du Vatican,
le 11 février 1929.
La thèse

Étudiant la formation des théories politiques au Moyen Âge et examinant l’élaboration à cette
époque d’une forte alliance entre l’Église et l’État, Mgr Arquillière définit l'augustinisme politique
comme une « tendance à absorber le droit naturel de l'État dans la justice surnaturelle et le droit
ecclésiastique ». Cet augustinisme politique serait le prolongement de l'augustinisme
philosophique et théologique, issu de la pensée de saint Augustin, et caractérisé comme
tendance « à effacer la séparation formelle de la nature et de la grâce », à absorber l’ordre naturel
dans l’ordre surnaturel. Cependant, selon H.-X. Arquillière, cet augustinisme politique ne
correspondrait pas à la vraie doctrine augustinienne, mais en serait une déformation ultérieure.
Selon H.-X. Arquillère, cet augustinisme déformé aurait pu finalement être contré grâce au
développement de l'aristotélisme et l'œuvre de Thomas d'Aquin, celle-ci étant considérée comme
ayant mis fin dans l'Église aux dérives de l'augustinisme.

Henri de Lubac a fortement contesté la pertinence historique et théologique de cette notion


d’augustinisme politique[3]. Il estime qu’il y avait place chez Augustin pour une justice naturelle
autonome, la justice surnaturelle étant essentiellement d’ordre spirituel ; il conteste aussi l’idée
qu’il y ait chez Augustin une théologie politique fondant la théocratie, et que les théoriciens
médiévaux de la théocratie pontificale, tels Gilles de Rome (1247-1316), aient spécialement été
augustiniens.

Attribution à Augustin de la pensée d'Orose

Il se pourrait que ce que d'Arquillière a interprété comme des déformations de la pensée


d'Augustin soit plus simplement des théories inscrites dans la ligne des œuvres d'Eusèbe de
Césarée et d'Orose dont elles sont formellement beaucoup plus proches que de celle d'Augustin.

Au cours des treize années qu'a duré la rédaction de La Cité de Dieu, Paul Orose (380-418) a écrit
une histoire de l'Empire romain[4]. La théologie politique d'Eusèbe de Césarée qui liait l'essor du
christianisme à celui de l'Empire romain avait été rendue caduque par le sac de Rome en 410.
Orose, dans l'histoire qu'il rédige, tente de faire survivre la théologie d'Eusèbe de Césarée[5] Il
affirme donc à nouveau que l'Empire romain était lié au règne de Dieu sur terre et qu'il durerait
jusqu'à la fin des temps. L'œuvre d'Orose semble être une ultime tentative d'adaptation du
christianisme à la religion des Romains fondée sur la citoyenneté[6]. En ce sens Orose va jusqu'à
affirmer que le Christ lui-même était citoyen romain :

« Il n’y a pas de doute et il est ici évident à quiconque cherche, croit et


connaît, que c’est d’abord par la volonté de notre Seigneur que cette
ville (Rome) a prospéré, qu’elle s’est défendue et qu’elle dirige le
monde : lui-même (le Christ) a voulu y appartenir et être inscrit dans le
registre (de citoyenneté) romain »

— Orose, [7]

La dédicace qu'Orose avait faite de son œuvre a conduit à ce que la pensée des théologiens
médiévaux visés par H.-X. Arquillières puisse être identifiée à des développements de la pensée
d'Orose qui se recommandait d'Augustin[8]. Or les pensées de ces deux auteurs contemporains
sont fortement antithétiques l'une par rapport à l'autre. Les livres XVIII et XIX de La Cité de Dieu,
dans lesquels Augustin renforce sa position sur la nécessité de distinguer les cités, ont
précisément été rédigés par Augustin après qu'Orose lui eut présenté son œuvre. Ils peuvent
donc être considérés comme une réfutation d'Orose.

En ce sens, Hervé Inglebert relève que ce que certains appellent l'augustinisme politique, « n'est
pas augustinien mais orosien[9] ». L'augustinisme politique fonctionnerait donc à l'envers par
rapport à la pensée d'Augustin en lui attribuant la tendance « césaropapiste » d'Eusèbe et
d'Orose, tandis que la théologie politique qui correspond à la thèse de la séparation et du
mélange des deux cités resterait à décrire. Selon Lucien Jerphagnon, Augustin ne peut être tenu
pour responsable du détournement de sens qu'a subi son œuvre sous la plume des
commentateurs[10].

Les avatars de l'augustinisme politique

On appelle parfois « avatars de l'augustinisme » les conséquences sans cesse renouvelées


qu'aurait eues la pensée d'Augustin dans l'Histoire. L'intention de Henri-Xavier Arquillière était de
dédouaner l'Église de toute prétention théocratique au moment où s'affirmaient les États-nations
et se débattait la question de la création d'un État pontifical. En créant le concept péjoratif
d'augustinisme politique, il voulait retirer à certaines théories l'autorité d'Augustin. Cependant, en
voulant montrer en quoi la pensée d'Augustin avait été déformée, il a surtout créé un lien entre
ces théories et la pensée d'Augustin, et c'est là toute l'ambiguïté d'un augustinisme qui ne cesse
de corriger les interprétations précédentes et dont on ne sait si la dénonciation des avatars n'est
pas elle-même un nouvel avatar.

Par ce biais, l'augustinisme politique dénoncé par H.-X. Arquillière et les commentaires qui ont
été faits sur cette thèse allongent encore la liste des écrits qui associent le nom d'Augustin à des
théories dont il est souvent difficile de trouver trace dans les œuvres de l'évêque d'Hippone. Mais
plus que la lecture d'Augustin, aborder les problématiques de l'augustinisme demande un
investissement considérable dans l'étude généalogique des concepts utilisés par les
commentateurs des commentateurs d'Augustin.
Cet épisode de la théologie invite à lire Augustin avant ses commentateurs. C'est aussi l'une des
raisons qui ont motivé la création en 1942 par Henri-Irénée Marrou et Jean Daniélou de la
collection Sources Chrétiennes[11]. Il est possible de commencer en lisant par exemple La vie
bienheureuse :

« Si l'arrivée au port de la philosophie, où l'on mouille aux abords de la


terre ferme de la vie bienheureuse, n'était due qu'au cheminement de
la raison et à la volonté elle-même, je ne crois pas exagérer en disant,
[...] qu'encore moins de gens y parviendrait. [...] Quelle que soit la
manière dont ils arrivent aux abords de la vie heureuse, tous ces
navigateurs ont à redouter un terrible danger et à redoubler de
prudence pour l'éviter : c'est là un rocher colossal planté à l'entrée
même du port, et qui fait naître des difficultés pour ceux qui tentent d'y
pénétrer... »

— Augustin, De la vie bienheureuse, 1-3.

Articles connexes

Saint Augustin

Augustinisme

Augustins

Influence d'Augustin sur le monde occidental

Notes et références

1. H.-X. Arquillière fut directeur d’études à l’École pratique des hautes études (Sorbonne) et
doyen de la Faculté de théologie de l'Institut catholique de Paris.

2. Henri-Xavier Arquillière, L'Augustinisme politique : essai sur la formation des théories


politiques du Moyen Âge, Paris, Vrin, 1934.

3. Henri de Lubac, « Augustinisme politique ? », in Théologies d’occasion, Paris, Desclée de


Brouwer, 1984, p. 255-308.

4. Orose, Histoire contre les païens, 3 tomes, éd. Belles Lettres, coll. Des universités de France,
série latine, no 291, 296 et 297. Textes introduits et présentés par Marie-Pierre AMAUD-
LINDET.

5. Eusèbe de Césarée, La théologie politique de l'Empire chrétien. Louanges de Constantin


(Triakontaétérikos), intro. et trad. Pierre Maraval, Cerf, coll. Sagesses chrétiennes, Paris,
février 2001, (ISBN 2-204-06617-6).

6. Cf., John Sheid, Religion et Piété à Rome, Albin Michel, coll. Sciences Des Religions, Paris,
2001, (ISBN 2-226-12134-X).

7. OROSE, Histoire contre les Païens, op.cit., VII, 22

8. Orose a dédicacé son œuvre à Augustin parce que ce dernier, pensant un temps avoir
besoin d’arguments historiques pour étayer les thèses qu'il soutient dans La Cité de Dieu, lui
avait commandé en 414 une enquête sur les malheurs historiques et les catastrophes
naturelles. Dans sa dédicace le jeune Orose se présente de manière pathétique comme un
chien devant Augustin. La relation entre les deux hommes semble avoir été difficile et
peut-être Orose mesurait-il que l’évêque d’Hippone ne pouvait souscrire à ce qu’il lui
présentait. Cf. Marie-Pierre Amaud-Lindet, Introduction à Orose, Hist., op.cit., p. XX.

9. Hervé Inglebert, Les Romains chrétiens face à l'histoire de Rome. Histoire, christianisme et
romanité en Occident dans l'Antiquité tardive, Institut des Études augustiniennes, Paris, 1996.

10. Lucien Jerphagnon, préface de Cde Dieu, op.cit., p. XX, voir aussi G. Madec, Le Dieu
d'Augustin, Paris, Cerf, 1988, p. 21-22 et S. Lancel, Saint Augustin, Paris, Fayard, 1999, p. 429.

11. Étienne Fouilloux, La Collection « Sources chrétiennes ». Éditer les Pères de l'Église au
xxe siècle, Cerf, préf. Jean Pouilloux, Paris, 1995, (ISBN 2-204-05241-8).

Bibliographie

Henri-Xavier Arquillière, L'augustinisme politique : essai sur la formation des théories politiques
du Moyen Âge, Paris, Vrin, 1934

Henri de Lubac, « Augustinisme politique ? », in Théologies d’occasion, Paris, Desclée de


Brouwer, 1984, p. 255-308

Guy Bedouelle, « Le désir de voir Jérusalem. Histoire du thème des deux cités », Communio, n.
XI, 3, mai-juin 1986, p. 38-52

Yves Congar, L'Église, De saint Augustin à l'époque moderne, Paris, Cerf, 1997

Benoît Beyer de Ryke, « L'apport augustinien : Augustin et l'augustinisme politique », in A.


Renaut, dir., Histoire de la philosophie politique, t. II, Naissance de la Modernité, Calmann-Lévy,
Paris, 1999, 43-86

Religion et politique : Les avatars de l'augustinisme, actes du colloque organisé par l'Institut
Claude Longeon à l'Université Jean Monnet Saint-Étienne du 4 au 7 octobre 1995, Presses
Universitaires de Saint-Étienne, 1999

André Mandouze, Saint Augustin, l'aventure de la raison et de la grâce, Paris, études


augustiniennes, 1968.
Annexes

Liens externes

Un avatar de la pensée augustinienne, l'augustinisme politique (http://www.assomption.org/Res


sources/ItinerairesAugustiniens/IA32/Greine.htm) [archive] par Dominique Greiner, in
Itinéraires augustiniens no 32, juillet 2004

Notice (http://www.vrin.fr/html/main.htm?action=loadbook&isbn=2711600319) [archive] du


livre L'augustinisme politique : essai sur la formation des théories politiques du Moyen Âge de H.-
X. Arquillière, sur le site Vrin (http://www.vrin.fr) [archive]

Texte intégral de L'Église, de saint Augustin à l'époque moderne (https://web.archive.org/web/2


0130510005248/http://bibliotheque.editionsducerf.fr/par%20page/1959/TM.htm) , par Yves
Congar, Paris, Cerf, 1997. Voir p. 90-296 et spécialement p. 252-262 sur Papes et canonistes,
théoriciens du pouvoir pontifical comme « plenitudo potestatis »

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