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Á QUI APPARTIENT DIEU ?

Pas plus d’un an, un célèbre imam, dans un plateau de télé, ne traitait-il pas les
chrétiens et juifs de mécréant, les mettant dans la même boite que les mécréants et les sectes
maçonniques ? Le président Abdoulaye Wade, dans un enthousiasme à défendre la
construction du monument de la renaissance africaine, s’était hissé dans la même perspective
de jeter élégamment le discrédit sur les pratiques chrétiennes dans les églises en tirant la
conclusion selon laquelle si on laisse les fidèles chrétiens prier quelqu’un qui n’est pas Dieu,
on devrait alors tolérer la construction d’un statut dans ce pays 1. Cette litanie dithyrambique
n’est prête d’apercevoir son épilogue tellement que les piques fusent de tous les côtés,
fragilisant ainsi ce dialogue des religions tant louer dans ce pays. Tout récemment, un petit
détail a créé la cacophonie, défrayant la chronique : un musulman doit-il prier pour un défunt
non-musulman ?

Il n’en demeure pas moins que le contexte actuel nous incite à nous interroger sur cette
problématique qui jonce au cœur du dialogue islamo-chrétien. Comment cohabiter dans la
différence de confession ? Dès lors, il serait impardonnable à un philosophe de se taire sur les
ruines de sa société. Simplement, il faudrait se garder d’être trop cartésien 2 en ne voulant pas
aborder les thématiques susceptibles de fâcher la foule. Un choix qui s’explique par la
prudence, ou par pur lâcheté, dirais-je. En réalité, un philosophe, artiste, savant, etc., quelle
que soit sa position d’avant-gardiste, qui, dans un élan de gloire, cherche à gagner l’empathie
de son public, perd ipso facto l’essentielle de sa mission pour se fondre dans un cercle vicieux
d’hypocrisie. N’est-ce pas ce qui offusquait Rousseau dans nos sociétés où la politesse voile
la vérité ainsi que certaines valeurs. Ce qui lui amène à dire qu’ « il règne en nous une vile et
trompeuse uniformité, et tous les esprits semble avoir été jetés dans une même moule, sans
cesse la politesse exige, la bienséance ordonne : sans cesse on suit des usages, jamais son
propre génie »3. Malheureusement le mal de ce siècle hyper numérique a cristallisé ce que les

1 « (…) pour les musulmans, les églises, c’est pour prier quelqu’un qui n’est pas Dieu. Ils prient Jésus Christ dans
les églises, tout le monde le sait, mais (…) est-ce qu’ils (les imams, ndlr) ont jamais dit de casser les églises? »
« Quand je passe devant une église, je ne m’intéresse pas à ce qu’ils font là-dedans, c’est ça la tolérance ».
Propos du président Abdoulaye Wade relayer dans le Jeune Afrique du lundi 30 décembre 2009. Voir
https://www.jeuneafrique.com/156932/politique/les-propos-d-abdoulaye-wade-portant-sur-les-chr-tiens-
provoquent-des-chauffour-es-dakar/

2 Voir René Descartes, Discours de la méthode, éditions Mozambook, Troisième partie, première maxime, p.
30. « La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en
laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance,

3 Rousseau Jean Jacques, Discours sur les sciences et les arts, Barcelone, éditions GALLIMARD, 2017, p. 32
wolofs appellent « marirandoo » (le suivisme de la foule, assimilable aux moutons de
Panurge). Où se cachent les sociologues et philosophes spécialistes en matière de religion ?
Peut-être que les « influenceurs », les sophistes, ainsi que les « toutologues », connaisseurs en
tout mais spécialistes en rien qui abondent les plateaux de télé les ont-ils exilés derrière leurs
bureaux ?

Là git le paradoxe des docteurs ou spécialistes de disciplines dites sensibles à l’instar


de ceux qui s’occupent de théologie, les philosophes de la religion ; du moins ceux qui s’y
aventure. Ce n’est là qu’un exutoire pour célébrer leur appartenance dans une subjectivité
flagrante. Bien sûr, la recherche avance mais de quel côté ?

Cette vaine polémique sur le caractère haram de la prière d’un musulman pour un non
musulman nous plonge dans les vérités de propos ironiques mais véridiques d’une des
tribunes de la vie sénégalaise : « Dieu passe sa journée à Touba, déjeune à Tivaouane, dîne à
Médina Baye et dort à Ndiassane. C’est l’impression qu’on a, lorsqu’on entend certains
Sénégalais parler. Leur assurance, surtout pour les choses relevant du mystique, fait penser
aux prophètes. Si, chez nous, il semble y avoir une assemblée d’élites à qui Dieu confie ses
secrets »4. Et, bien évidemment, Dieu est sénégalais on dirait.

Trop d’orgueil, d’amalgames et de frivolités pour une chose aussi sérieuse. En effet, il
serait plus prudent de s’éloigner de la régionalisation divine. De ce fait, Dieu appartient-il à
un groupe de personne bien déterminé ? habit-Il une région ? Est-Il d’une famille
quelconque ? Sa miséricorde n’est-elle pas pour toute la créature ? Pour nous hommes ivres
d’orgueil, car « choisi » par l’Éternel, il nous arrive souvent d’outrepasser notre simple place
de serviteur pour juger à sa place, calomnier et tuer à sa place. Si tant est qu’Il est Tout-
Puissant, omnipotent et omniprésent, les sentences envers nos frères reviennent à apporter de
l’eau à la mer. En réalité, Dieu n’a pas besoin que l’on vienne à son secours. Devrait-on
cultiver l’égoïsme sur un trésor qui ne nous appartient pas ? L’au-delà divin se résume à un
point d’interrogation. Après tout, il serait compréhensible de considérer sa culture, son ethnie
ou sa religion comme la seule digne de ce nom. Rappelons-nous que l’histoire de l’humanité
même est parsemée pas ses clivages égocentriques. L’homme était convaincu de sa supériorité
sur les autres races, Hitler était convaincu que la race arienne était supérieure, les Tutsis se
croyaient supérieur aux Outus et vice versa, pour ne citer que ceux-là. Bref, l’humaine bêtise
s’est toujours caractérisée par cette étroitesse d’esprit à ne considérer que ce qui se trouve
sous ses pieds, à s’enfermer autour de soi, et à bannir tout ce qui n’est pas sien comme
4 https://laviesenegalaise.com/tag/dieu-nest-pas-senegalais/, 22 juillet 2019.
incompris. Voilà la raison de toutes les guerres, massacres et génocides orchestré par la
« meilleure des créatures ». « Tu es différent de moi, donc je t’élimine » ; « nous n’avons pas
la même vision du monde, donc tu es mauvais ». Á force d’entendre certains discours
schismatiques, on finira par croire qu’il y a plus de différence entre nous humains qu’entre
l’homme et l’animal. C’est d’ailleurs ce que peint Lévi-Strauss dans son œuvre intitulée Race
et Histoire : une œuvre dans laquelle il définit le processus par lequel des peuples en arrive à
rejeter d’autres. Pour illustrer ce propos, il explique : « L’humanité cesse aux frontières de la
tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu’un grand nombre de
populations dites primitives se désignent d’un nom qui signifie les « hommes » (…),
impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus – ou
même de la nature – humaines, mais sont tout au plus composés de « mauvais », de
« méchants », de « singes de terre » ou d’« œufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver
l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une
« apparition » »5. Le manichéisme est regrettable mais celui religieux est condamnable car
les chemins de Dieu son insondables, et nul ne sait.

Du reste, on se trompe souvent sur l’origine de nos religions respectives ou, du moins,
on ne cherche réellement pas à comprendre ; ce qui fait qu’on a souvent tendance à
s’engouffrer dans une folle course au fanatisme. Conformément aux « statistiques », au
Sénégal, on est 95% de Musulmans et 5% ; mon œil. Combien d’animistes sommes-nous,
d’occultistes, de bonimenteur, de fidèles charlatanesque, etc. Qui croire, qui servir ? Chapelet
autour du coup, gris-gris autour des reins ; fervent croyant en public, saint en privé ?
« Sénégal dékku diiné la »6, à ton l’habitude de dire à l’occasion de chaque flétrissure. Certes,
aucune société, aussi pieuse soit-elle, n’est exempt de scandale ; à plus forte raison chez nous.
En vérité, on ne peut compter la kyrielle d’insanités qui grouillent sous nos lits en douceur.
Alors, ce n’est plus le moment de pointer du doigt mais de faire une introspection. Il est temps
de descendre de nos nuages et arrêter de vouloir « baratiner Dieu ».

Cependant, malgré les tumultes qui ne cessent de nous envahir, il n’est jamais tard
pour revenir sur les valeurs chevaleresques du maandu7, du sutura8. En réalité, nous sommes
Un, n’en déplaise aux séparatistes. Au commencement Dieu créa l’homme car il l’aimait, fut-
il Sérère, Arabe ou Juif ? C’est toute l’essence du Dialogue islamo-chrétien : une valeur sûre à

5 Lévi-Strauss, Race et histoire, Préface de Michel Izard, Albin Michel / édition UNESCO, 2001, chap. 3, p. 46.
6 Le Sénégal est un pays de foi (wolof)
7 En wolof, avoir de la retenu sur les affaires d’autrui
8 Discrétion
ne pas négliger. Si tant est que nous sommes différents, vaut mieux nous servir de nos
différences pour nous enrichir mutuellement que d’en user pour se haïr. Enfin, la religion est
avant tout humanisme du moment que sa verticalité nous rapproche de Dieu et son caractère
horizontale symbolise cet amour universel que tout homme doit avoir à l’endroit de son
semble. Après tout, la mort est trop énigmatique pour parier sur propre sort, à plus forte raison
celle d’autrui. Face à ce vide l’au revoir de Socrate fut le plus séduisant.

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