Rhsho1 181 0272
Rhsho1 181 0272
Rhsho1 181 0272
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
par Jean-Pierre Chrétien1 et Ubaldo Rafiki2
D'autre part, contrairement aux cas juif ou arménien, les auteurs du génocide
ont été vaincus militairement et politiquement par le camp de leurs victimes et se
retrouvent sur leur propre terrain face à ceux qu'ils ont essayé d'éliminer.
Rappelons que le régime nazi a été écrasé, mais que les rescapés de la Shoah se
sont trouvé leur propre terre d'origine. Les Tutsi et les Hutu du Rwanda n'ont de
pays qui leur soient particuliers que dans les fantasmagories raciales qui sont préci-
sément à l'origine intellectuelle du génocide : les Tutsi seraient bien en peine de se
trouver des ancêtres en Ethiopie et les Hutu au Cameroun comme le suggèrent les
idéologies « hamitique » et « bantoue » ! Dans la guerre civile opposant les Forces
armées rwandaises et le Front patriotique rwandais, qui avait précédé le bain de
sang de 1994, qui s'est réveillée avec son déclenchement et qui s'est poursuivie
sous d'autres formes, il y a eu aussi de nombreuses victimes hutu, qui ont été soit
tuées en tant que « complices » des Tutsi, et donc sacrifiées à la même logique
1. Directeur de recherches au CNRS-Paris 1.
2. Journaliste indépendant (Kigali).
3. J. Hatzfeld, Une Saison de machettes, Paris, Le Seuil, 2003.
extrémiste, soit abattues dans les combats ou cibles de représailles. L'obsession
binaire (hutu-tutsi) qui préside à tous les débats sur ce pays conduit certains
observateurs, surtout quand ils restent accrochés à la vision négationniste d'une
sauvage mêlée « interethnique » ou d'une « colère spontanée » de la population,
à mettre quasi sur le même plan les victimes du plan d'extermination qui a plongé
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
ce pays dans l'horreur absolue et ces autres victimes, un peu comme si, dès 1945,
on avait proposé d'ériger des mémoriaux aux victimes des bombardements de
Dresde, de Hambourg ou de Cologne à côté des lieux consacrés à la mémoire de
la Shoah. La mémoire est sans cesse brouillée au Rwanda et chez certains parte-
naires de ce pays par la normalisation des tueries selon des arguments ethnogra-
phiques ou politiques. La « rationalité » ainsi proposée rend comme naturelles les
morts du génocide au même titre que celles des autres, au mépris de l'analyse des
situations historique et des responsabilités engagées.
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
1982, dans la cour du collège. Alphonsine est rejointe par deux de ses camarades
d'études, Anathalie (17 ans) et Marie-Claire (20 ans). En mai suivant, c'est au
tour de deux élèves de l'école primaire voisine, Stéphanie et surtout Valentine
Nyiramukiza, qui a 17 ans. Suivront la fille d'un commerçant musulman et un
petit païen de la campagne, Segatashya (15 ans) qui, lui, voit Jésus.
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
Pourtant la récupération est immédiate : commissions médicale et théologique
en 1982, lettre pastorale de l'évêque de Butare (dont dépendait alors cette
paroisse) en 1983, émission de Noël à Radio-Rwanda préparée par le journaliste
Dominique Makeli, polémiques entre un commerçant dévot et l'officieuse revue
missionnaire Dialogue... La Vierge est « apparue » dans une paroisse fondée sous
son nom depuis 1934, où les deux tiers des habitants (soit environ 35 000) étaient
baptisés, selon la norme rwandaise, dans un collège géré par les sœurs Benebikira
(« les Filles de la Vierge ») et où s'active la Légion de Marie, une organisation
associée depuis les années 1950 au mouvement hutu. Pour le Père français
Gabriel Maindron, un missionnaire familier du pays et auteur d'un livre paru en
1984, les apparitions rehaussaient le régime du général Habyarimana, « chrétien
convaincu » et artisan du « développement » ! La Dame lumineuse des appari-
tions reflétait aussi la culture chrétienne belge dans laquelle baignait le grand
pensionnat qu'était le Rwanda. Le « Chapelet des Sept Douleurs » prôné par les
voyantes était une dévotion héritée de la Flandre du xve siècle qu'avait reprise la
première Supérieure des Benebikira au Rwanda, Thérèse Kamugisha, morte en
1974.
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
rivières. Bertrand Russell avait alors parlé du « massacre le plus horrible depuis
l'extermination des Juifs par les nazis ». Mais la hiérarchie missionnaire et la
démocratie chrétienne belge minimisèrent la crise et défendirent la république
hutu qu'ils avaient portée sur les fonts baptismaux.
Trente ans plus tard, les bâtiments religieux eux-mêmes vont devenir des
lieux de tueries, comme si, entre-temps, la Vierge Marie n'avait apporté ni
chanté, ni simple respect humain. Des groupes d'adorateurs du podium de
Kibeho se sont mués en bandes d'assassins, apparemment sans état d’âme. Les
enquêtes déjà sorties sont accablantes5.
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
Le 14 avril 1994 restera dans la mémoire de tous les rescapés des massacres
de Kibeho. Vers 14 heures, une grande attaque fut dirigée contre l'église de
Kibeho. Les tueurs avaient rassemblé toutes sortes d'armes traditionnelles et
modernes. Ils avaient à leur disposition des gourdins, des machettes, des lances,
des fusils, des grenades, des jerricanes d'essence, mais aussi des fagots de bois
pour brûler l'église. Cette fois-ci les Tutsi réfugiés à la paroisse furent surpris.
Certains d'entre eux faisaient paître leur bétail amené à la paroisse, les femmes
préparaient à manger pour leurs familles, d'autres étaient en train de nettoyer les
locaux où ils passaient la nuit. Quand l'attaque se dirigea sur la paroisse et ses
alentours, les Tutsi vaquaient donc à leurs travaux de camp ! Voyant les
assaillants approcher, ils entrèrent à l'intérieur de l'église et barricadèrent ses
portes. Les tueurs commencèrent à creuser des trous dans les murs afin d'injecter
de l'essence à l'intérieur de l'église ; ils allumèrent le feu tout près de la porte
principale et jetèrent des grenades sur le toit.
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
Rwanda. Une semaine après le bain de sang du collège, le 15 mai, sur le site des
apparitions, le journaliste Dominique Makeli enregistre pour la radio d'État un
prétendu « dialogue » avec la Vierge de la voyante Valentine Nyiramukiza. Les
propos tenus sont stupéfiants : « Tout avait été prédit, mais je suis toujours à vos
côtés ; ne payez pas de rançon, mourez dans la voie du Seigneur, le corps n'est
qu'une parure, seule compte l’âme invisible ; les criminels ne sont pas fautifs, ils
sont habités par le diable ; ce qui est très grave, c'est qu'on a détruit des statues ;
aujourd'hui au Rwanda personne n'est tenu en dehors des combats, que l'on soit
une femme, une fille, un jeune homme, un adulte, et je suis à vos côtés ; que
chacun parvienne dans son refuge, dans son “blindé” (abri des déplacés hutu) ;
malheur à celui qui décrochera la baratte (c'est-à-dire à ceux qui ont tué le prési-
dent, la baratte de lait symbolisant traditionnellement le pouvoir), mais votre
“père” bienfaiteur (Habyarimana), qui était fatigué, je l'ai accueilli en paix... »
Valérie Bemeriki, journaliste particulièrement virulente de la sinistre Radio des
Mille collines (la RTLM), pourra, le 20 mai suivant, reprendre sans difficulté ce
message pénitentiel de style très vichyssois.
Le parcours qui a mené cette Valentine de son école à des vaticinations radio-
diffusées en plein génocide est édifiant ! C'est un personnage pour un de ces films
de Fellini ou de Bunuel, où la naïveté côtoie le pire. Elle a quitté sa famille dès
juillet 1982. Elle s'installe successivement chez un instituteur, au dortoir du
collège de Kibeho, chez un agronome de Cyangugu, chez un politicien local de
Butare, puis, en 1988, chez un sous-officier d'un camp militaire de Kigali. En
1983, elle a refusé la fin des apparitions et elle a reçu, pour sa « mission », l'appui
du journaliste de l'Orinfor, Dominique Makeli . Aujourd'hui, de nombreux 6
6. Auteur d'un ouvrage de 390 pages en kinyarwanda intitulé Qu 'êtes-vous allés voir à Kibeho ?, publié
en 1988.
Avril 1995 : le drame du camp de déplacés de Kibeho
Un autre événement vient à la fois prolonger et brouiller la signification de ce
lieu de mémoire, pour lequel les non-dits sont pesants. Au printemps de 1995, un
an après le génocide, ce site fournissait un nouveau lot de morts et de blessés en
pleines pages de nos journaux. Il restait alors huit camps de Hutu « déplacés »,
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
sur les 38 que contenait l'ancienne zone Turquoise après le départ des troupes
françaises. Celui de Kibeho était le plus important, avec 120 000 personnes. Un
bataillon zambien de la Minuar, un hôpital de MSF, les ONG Oxfam et Care, la
Croix Rouge et quelques observateurs des Droits de l'homme de l'ONU étaient
là. Le gouvernement de Kigali en décide la fermeture au début du mois d'avril.
Le 19, le ministre de la Justice en personne vient confirmer cette décision. L'eau
est distribuée avec restriction. Il n'est plus question de cuisiner, les huttes bâchées
(les « blindés ») des déplacés sont détruites. Encerclés, les gens sont invités à se
faire enregistrer pour le retour dans leurs communes d'origine. Les suspects de
génocide seront arrêtés.
L'émotion, réelle ou mise en scène par ceux qui rêvent de prouver la réalité d'un
« double génocide », fut immense. Plusieurs rapports ont établi un bilan rigoureux
des responsabilités : celle des unités locales de l'APR et celle d'un noyau de mili-
ciens génocidaires. Plus tard, des fuyards parvenus au Burundi ne cacheront pas à
la presse qu'ils ont tué des soldats de l'APR. Mais l'angoisse de la masse des
déplacés, coincés entre des stratégies qui leur échappent, était bien réelle. Deux
observateurs de l'ONU en ont fait une étrange expérience : circulant une nuit en
compagnie de militaires zambiens, peu de temps avant le drame, ils ont été identi-
fiés, visages pâles à la lueur des lampes torches, comme le signe d'une nouvelle
apparition de la Vierge Marie. Quatre mois plus tard la même effervescence toucha
des réfugiés de Goma au Zaïre : « La Vierge va nous ramener chez nous ! » Cet
arrière-plan religieux, qui a échappé à la plupart des médias, est comme un fil
conducteur des espoirs et des refoulements qu'inspire ce lieu.
Un lieu de mémoire disputé entre l'Église et les rescapés
Au lendemain du génocide, le diocèse catholique de Gikongoro, devenu
responsable de cette paroisse, s'est investi dans la reconstruction des infrastruc-
tures endommagées. Le diocèse a réhabilité le sanctuaire marial, le centre de
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
santé, le couvent, les deux écoles secondaires ainsi que l'école primaire. Restait
l'église, encore en ruines et où les restes des victimes du génocide gisaient ici et
là, dans le sanctuaire lui-même et dans le presbytère. Les chiens et autres rapaces
passaient d'un moment à l'autre déchiqueter les restes de corps en décomposi-
tion. Les rescapés de Kibeho n'ont pas apprécié l'idée de voir « réhabiliter » cette
église et de la voir réutilisée comme lieu de culte, comme si de rien n'était. Ils
voulaient qu'elle devienne plutôt un mémorial du génocide.
Cependant, en mai 2000, des rescapés de Kibeho ont pris l'initiative d'en-
terrer les restes des victimes du génocide dans le chœur même de l'église, alors
non encore réhabilité, et ceci sans l'accord préalable des autorités de l'Église
catholique . Ces rescapés étaient en effet choqués de voir des dépouilles de leurs
7
défunts traîner encore dans les locaux du presbytère et de l'église. Ils voulaient
7. L'analyse de cette série d'initiatives depuis 1996 est le résultat de l'enquête menée par Ubaldo Rafiki.
les ensevelir avec dignité. Cette décision, dit l'un d'entre eux, avait été prise lors
d'un rassemblement de prière organisé le 15 avril 2000, lorsqu'en leur présence
un chien passa pour emporter des os humains. La mauvaise odeur des corps en
décomposition n'avait jamais posé de problème pour ces rescapés qui venaient se
recueillir à Kibeho de temps en temps. Mais le fait de les voir servir de festin à
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
ces animaux était une seconde mort pour eux. Dès lors, que signifiait survivre,
demandaient-ils.
garder l'église comme lieu de culte et transférer les cercueils dans la sacristie ;
ce lieu serait dédié a la sépulture et on aménagerait une autre sacristie ailleurs ;
libérer le chœur et transférer les ossements dans la zone des autels latéraux de
gauche avec un accès public en passant toujours par le presbytère et un accès privé ;
enfin, garder l'église comme lieu de culte et laisser les cercueils où ils se trou-
vent, et puis construire un mur de séparation isolant le mausolée de l'espace
réservé à l'assemblée liturgique. »
À la fin de la réunion, les deux parties ont convenu de laisser les cercueils là
ou ils étaient, sans toutefois s'entendre sur la manière de séparer le mausolée du
reste de l'église. La délégation de la CEPR a maintenu l'idée de séparer les deux
endroits par un mur opaque. Notons au passage cette exigence, nous y revien-
drons. Les rescapés de Kibeho parlaient de muret surmonté d'un grillage ou
d'une grande baie vitrée de façon à ne pas totalement cacher les ossements. Cette
idée fut catégoriquement rejetée par la délégation de la CEPR. La réunion du
3 décembre 2000 fut donc close en reportant les décisions à plus tard. Les repré-
sentants des rescapés demandèrent un délai de trois semaines pour se consulter.
Le 28 décembre suivant, ils écrivirent une lettre à l'archevêque de Kigali,
alors président de la CEPR, lui signifiant qu'ils préféraient voir l'église de
Kibeho servir entièrement de mémorial du génocide. Cela faisait partie des
propositions émises par la délégation de la CEPR lors de la réunion du
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
3 décembre. Cette lettre remettait donc en cause l'hypothèse de voir l'édifice
partagé entre les deux fonctions de culte et de mémoire.
Les deux parties se rencontrèrent une deuxième fois le 17 février 2001. La délé-
gation de la CEPR fustigea l'attitude négative des rescapés. En réponse, ceux-ci
rappelèrent le contenu des discussions du 3 décembre qui se retrouvaient dans un
enregistrement vidéo : les représentants de la CEPR y avaient effectivement envi-
sagé l'idée d'abandonner l'église de Kibeho à la mémoire du génocide et d'en
construire une nouvelle. Mais la délégation de l'Église maintenait cette fois le point
de vue selon lequel la partie de l'édifice où étaient ensevelis les restes des victimes
devait être complètement séparée du reste de l'église par un mur opaque. Elle
acceptait la construction d'une porte double, aménagée dans ce mur de séparation
pour permettre de passer de l'église au mausolée, l'accès principal demeurant à
l'extérieur de l'église, mais elle refusait d'y voir aménagées des vitrines entre
l'église et le mausolée. Elle faisait cependant une concession pour la sacristie qui
allait, s'il le fallait, faire partie du mausolée, quitte à en construire une autre. Elle
acceptait aussi que, dans la partie à réhabiliter, il y ait ce qu'elle appelait des
« signes commémoratifs du génocide », c'est-à-dire des plaques avec des messages
de prière et de réconciliation, des inscriptions à concevoir et aménager avec l'ac-
cord préalable de l'évêque du heu. Mais la délégation des rescapés restait
convaincue qu'il fallait abandonner l'église pour en construire une nouvelle, l'an-
cienne devant rester exclusivement dédiée à la mémoire du génocide. Ils expli-
quaient qu'il ne faudrait pas cacher le génocide tel qu'il s'était déroulé à Kibeho.
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
Vatican datée du 20 juin 2000 dit que pour résoudre la question de Kibeho, il est
urgent de faire les démarches qui conviennent. Avant tout, l'église doit être désa-
cralisée et par conséquent ne plus être utilisée comme un lieu de culte divin, il
faut trouver un autre lieu pour célébrer la Sainte Messe et construire une nouvelle
église ou sanctuaire. » L'archevêque de Kigali avait même conclu : « Pour éviter
les confrontations avec nos dirigeants, construisez une autre (église). »
Puis, le 20 mars 2001, le même représentant des rescapés de Kibeho adressa une
lettre au ministre rwandais de la Justice avec copie au président de la République.
Il demandait, cette fois, l'intervention officielle du gouvernement rwandais dans le
dossier de Kibeho. Il s'appuyait sur l'argument selon lequel la réhabilitation de
cette église pouvait entraver le travail de la justice quand viendraient les procès des
auteurs du génocide dans ce lieu. Il affirmait que cette reconstruction ferait dispa-
raître des preuves matérielles dont auraient besoin aussi bien les juridictions gacaca
que les tribunaux classiques ou le Tribunal Pénal international. Il relevait qu’à part
des dossiers instruits en justice et le procès dans lequel Monseigneur Misago avait
été acquitté en juin 2000, la justice rwandaise ou internationale ne s'était pas encore
penchée en détail sur le dossier du génocide à Kibeho. Donc un nouvel argument,
invoquant la justice, s'ajoutait au devoir de mémoire. L'Église catholique ne devrait
pas faire valoir ses accords avec l'État rwandais au détriment des droits moraux des
rescapés. Et, d'autre part, pourquoi se pressait-elle à reconstruire une église détruite
sans même chercher à savoir qui l'avait détruite et pourquoi ? On voit bien que la
confrontation n'est pas purement « technique », mais qu'elle engage aussi la quête
des responsabilités dans le déroulement même des événements.
Pourtant en janvier 2002, considérant que, depuis huit ans, les prêtres de
Kibeho n'avaient pas de logement décent ni de cadre de travail pour leur minis-
tère pastoral, le diocèse de Gikongoro a commencé la réhabilitation du presbytère
paroissial qui n'était pas, selon lui, concerné par les négociations avec les
rescapés. Mais d'après l'évêque, le procureur de Gikongoro intervint une
nouvelle fois pour interdire cette reconstruction du presbytère qui était en train de
s'achever, reprenant l'argument des preuves matérielles dont le Ministère public
aurait besoin au moment des procès du génocide contre un groupe dit de
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
Nyaruguru.
« Toi qui arrives ici, pense à une multitude d'êtres humains massacrés dans
cette église et ses alentours pendant le génocide, aux dates du 12 au 15 avril
1994 : Tu ne tueras pas.
Évite toute forme de violence et surtout ne verse pas le sang de l'homme : qui
verse le sang de l'homme, par l'homme aura son sang versé. » (Genèse 9, 6).
Et sur le mur qui sépare l'église du mausolée, on a convenu d'écrire les mots
suivants : « Seigneur, accorde le repos éternel aux nôtres massacrés ici. »
Aujourd'hui, l'église de Kibeho est réhabilitée. La partie qui sert de lieu de
culte est séparée du mausolée par une cloison en vitre sombre qui ne permet pas
de voir l'espace où sont déposés les cercueils. Mais cette partie qui représente le
mémorial n'est pas encore réhabilitée. Le toit y porte encore les signes des
destructions de 1994, il est en partie à ciel ouvert. Les rescapés de Kibeho sont
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 13/06/2024 sur www.cairn.info par Nathan Binene (IP: 102.223.130.231)
en train de frapper à toutes les portes pour trouver l'argent nécessaire aux travaux.