Saint Athanase DAlexandrie - Lettres A Serapion

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Athanase d'Alexandrie

LETTRES
" A

SÉRAPION
Lettres à Sérapion.
LETTRES A SÉRAPION

SUR LA

DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
NIHIL OBSTAT :

Namwci, die 16 octobris 1946.


G. KOERPERICH. I. c.

IMPRIMATUR !

f ANDREAS-MARIA, ep. Namurcensis.


SOURCES CHRÉTIENNES
Collection dirigée par H. de Lubac, S. J. et J. Daniélou, S. J.

ATHANASE D'ALEXANDRIE

LETTRES

A SÉRAPION

SUR LA

DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

INTRODUCTION ET TRADUCTION DE

Joseph LEBON
PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LoUVAIN

ÉDITIONS DU CERF, 29, Bd de la Tour Maubouro, PARIS


1947
filLH7

INTRODUCTION

Les lettres ici traduites tirent leur intérêt et leur impor


tance de ce qu'elles sont seules à faire connaître un épisode
des grandes luttes menées au ive siècle autour du dogme
de la Trinité, et tout autant de ce qu'elles sont les premières
à marquer l'introduction dans la discussion publique
d'un nouveau point de cette doctrine fondamentale de
la foi. Elles se présentent comme constituant la part de
saint Athanase d'Alexandrie dans une correspondance
échangée entre Sérapion de Thmuis et lui au sujet de
la divinité du Saint-Esprit, niée par certains chrétiens qui,
pour le reste, se prétendaient adversaires des hérétiques
ariens et parfaitement orthodoxes. A la défense et au
triomphe de la foi en la divinité proprement dite du Fils,
le vaillant champion de Nicée ne consacra pas seulement
le zèle ardent et le courage invincible de plus de trente
années de luttes et d'épreuves; on sait aussi l'étendue de
science scripturaire et la profondeur de sens religieux que
trahissent les nombreux écrits de tout genre qu'il composa
à cette fin. On peut s'attendre à retrouver quelque chose
de ce riche fonds de doctrine dans ses enseignements,
ses explications et démonstrations touchant la troisième
Personne de la Sainte Trinité. Pour rendre aussi aisée et
agréable que possible et, comme on la souhaite, vraiment
fructueuse, la lecture de ces lettres, il ne sera pas inutile
de présenter, au préalable, les personnages qui y inter
viennent, les textes, les documents eux-mêmes et, enfin,
les principales doctrines qui s'y rencontrent exposées ou
touchées.
M62G029
8 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

Les personnages

Le témoignage unanime d'une tradition très ancienne


attribue, comme on le montrera plus loin, la composition
de nos lettres à saint Athanase, archevêque d'Alexandrie.
La vie de ce Père, qui compte parmi les plus illustres,
est trop généralement connue pour qu'il soit nécessaire
de la retracer en détail1. Il suffira de rappeler brièvement
les grandes étapes de cette carrière de lutteur, très naturelle
ment marquées par les vicissitudes d'épreuves sans cesse
renaissantes dans l'inlassable défense de la pureté de la
foi catholique.
Né à la fin du in° siècle, entre 293 et 298, et probablement
à Alexandrie même, Athanase avait encore pu connaître
et admirer le courage héroïque des martyrs et des con
fesseurs de la grande persécution. Lecteur, puis diacre du
clergé de sa ville natale, il avait préludé à son activité
d'écrivain et de polémiste en réfutant les païens et les
juifs dans un ouvrage, en deux parties, Contre les gentils
et Sur l'incarnation du Verbe. Quand éclata, à Alexandrie,
le scandale de la prédication d'Anus, qui ne craignait pas
de nier ouvertement la divinité proprement dite du Fils,
Athanase se rangea aux côtés de l'évêque Alexandre;
il l'accompagna, en qualité de secrétaire, au concile de

1 On trouvera dans le volume de G. Bardy, Saint Athanase


(296-373), 2e éd., Paris, 1914 (Collection Les Saints) un exposé,
a la fois attrayant et solide, de la vie et de l'activité littéraire de
saint Athanase dans le cadre des événements du temps. Les renvois
assidus aux sources et aux travaux historiques qui s'y rencontrent,
nous dispensent de garnir de références du même genre l'esquisse
rapide et à grands traits que nous nous contentons de tracer ici.
INTRODUCTION 9
Nicée (325), où la nouvelle hérésie fut solennellement
condamnée par la proclamation de la consubstantialité
du Père et du Fils. Désormais, la lutte contre l'arianisme
devait être pour lui durant longtemps la lourde tâche de
chaque jour. Reconnaissant en lui leur adversaire le plus
redoutable comme le plus décidé, les fauteurs et les pro
tecteurs de l'hérésie, toujours vivace et souvent triom
phante, n'allaient plus cesser d'ourdir leurs intrigues
ou de diriger leurs attaques ouvertes contre celui qui,
en 328, avait recueilli la succession de l'évêque Alexandre,
pour être le pasteur et le guide de l'église d'Alexandrie et,
peut-on dire, de l'Égypte entière durant quarante-six ans.
Les Ariens remportèrent une .première victoire en le
condamnant et déposant, dans leur synode de Tyr, en 335,
et en obtenant son éloignement de Constantin, qui le
relégua à Trêves dans les Gaules. Mais, l'empereur étant
mort le 22 mai 337, ses fils et successeurs permirent aux
évêques bannis par leur père de regagner leurs églises.
Saint Athanase rentra à Alexandrie le 23 novembre 337.
Ce ne fut pas pour longtemps! Les menées des hérétiques,
qui allèrent jusqu'à lui susciter un compétitéur en la
personne de l'intrus Grégoire de Cappadoce, l'obligèrent
à quitter sa ville épiscopale le 19 mars 339 et à reprendre
le chemin de l'exil. Protestant avec indignation contre
l'injure ainsi faite à son église et à sa personne dans une
Lettre encyclique aux évêques, saint Athanase gagna
l'Italie et Rome, où il trouva la protection du pape Jules et
bientôt de l'empereur Constant. Les Occidentaux eurent
beau le justifier pleinement et le rétablir dans ses droits
au synode romain de 341, puis au synode de Sardique,
en 343; pour les Ariens orientaux, que soutenait la faveur
de l'empereur Constance, il restait le condamné de Tyr,
que ses premiers juges pouvaient seuls absoudre et dont
le siège avait été régulièrement pourvu. Les négociations
10 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
traînaient sans aboutir et il fallut l'énergique pression de
Constant sur son frère pour décider ce dernier à rappeler
l'exilé. Saint Athanase prit son temps, revit l'empereur
Constant à Trêves et le pape Jules à Rome, rencontra
Constance à Antioche et fut de retour à Alexandrie le
21 octobre 346.
Dix années de séjour dans une tranquillité relative
allaient lui permettre d'y promouvoir la vie religieuse,
sans se relâcher de la vigilance incessante à laquelle le
contraignaient les agissements insidieux des hérétiques,
qui n'avaient nullement désarmé. Jusqu'ici, saint Athanase,
qui n'était pas écrivain par tempérament, n'avait guère
employé sa plume qu'à la composition de ces Lettres
festales, dans lesquelles chaque année il annonçait la date
de Pâques et communiquait les nominations aux sièges
épiscopaux d'Égypte; désormais, elle devient pour lui
une arme favorite, puissante et habilement maniée, qu'il
ne cessera plus de mettre au service de la justice et de la
vérité. De cette période datent les grandes apologies :
apologie personnelle dans l'Apologie contre les Ariens,
apologie doctrinale dans la Lettre sur les décrets du concile
de Nicée et dans la Lettre sur la pensée de Denys, son lointain
prédécesseur, dont les Ariens voulaient faire servir le
témoignage à leur cause. Un nouvel orage se préparait.
Les bonnes dispositions de Constance à l'égard du champion
de l'orthodoxie n'avaient jamais été que feintes; devenu
maître de l'Occident comme de l'Orient après le meurtre
de son frère Constant et la défaite de l'usurpateur Magnence,
l'empereur arien s'en prit à nouveau ouvertement à
l'évêque d'Alexandrie. En 353, il réussit à détacher de sa
communion les évêques des Gaules; en 355, il fit prononcer
contre lui .une nouvelle condamnation par le synode
de Milan. Mais avoir saint Athanase hors de son église
était une autre affaire! On finit par y employer la force.
INTRODUCTION 11
La nuit du 8 au 9 février 356, cédant devant la violence,
l'évêque s'échappa comme par miracle d'une église envahie
par la soldatesque du duc Syrianus. Il avait caressé le
projet de se justifier dans une entrevue avec l'empereur
et avait préparé à cette fin son Apologie à Constance
mais, abandonnant tout l'espoir qu'il avait d'abord
mis en ce moyen, il s'enfonça davantage dans le désert
et s'en fut chercher parmi les moines, qui lui étaient dévoués,
un refuge qu'il savait sûr.
Il y resta six ans, soigneusement tenu au courant des
événements de l'extérieur, qui l'amenèrent à composer
divers écrits, comme la Lettre aux évêques d'Égypte et de
Lybie, l'Apologie de sa fuite, la Lettre sur les synodes de
Rimini et de Séleucie et, croyons-nous, nos Lettres à Sérapion
sur la divinité du Saint-Esprit; alors encore il écrivit
Vljistoire des Ariens aux moines et les trois grands Discours
contre les Ariens. Le 1er décembre 361, on annonça officielle
ment à Alexandrie le nouvelle de la mort de l'empereur
Constance et de l'avènement de son successeur Julien.
L'évêque intrus Georges, qui avait osé reparaître dans la
ville, y fut massacré par la population soulevée. Le nouvel
empereur ayant rapporté toutes les sentences d'exil
prononcées par son prédécesseur, saint Athanase put
sortir du désert et rentra à Alexandrie le 21 février 362.
Ses premiers soins s'appliquèrent à procurer la restau
ration de la vraie foi et l'union des orthodoxes en face de
l'arianisme généralement triomphant dans l'empire; le
concile qu'il tint, en cette même année 362, fut décisif
pour l'une et l'autre de ces causes et est resté justement
célèbre. Son zèle pourtant émut Julien l'Apostat, qui
ordonna de l'expulser d'Égypte. Une fois de plus, saint
Athanase dut se retirer d'Alexandrie, le 23 octobre 362,
et il gagna encore le désert. Ce ne fut guère que pour quel
ques mois, car son persécuteur tomba bientôt, le 26 juin 363,
12 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
dans la guerre contre les Perses et fut remplacé par un
orthodoxe décidé, Jovien. Rappelé par le nouvel empereur,
qu'il vint voir à Antioche, saint Athanase reprit possession
de son siège épiscopal en février 364.
Il n'était pas encore au bout de ses épreuves. Le 5 mai 565
fut publié, à Alexandrie, un rescrit de l'arien Valens,
que la mort rapide de Jovien avait porté au pouvoir
en Orient : c'était de nouveau l'exil pour les bannis de
Constance naguère rentrés sous Julien, et donc pour
saint Athanase. Cette fois, l'évêque d'Alexandrie se
contenta de se cacher dans la banlieue durant quatre
mois; au début de février 366, il fut autorisé à rentrer.
Septuagénaire, mais toujours plein de vaillance, saint
Athanase était encore prêt à poursuivre la lutte contre
l'arianisme et ses représentants, comme l'y invitait saint
Basile de Césarée, et à démasquer les erreurs christolo-
giques naissantes, comme il le fit dans sa fameuse Lettre
à Épictète, évêque de Corinthe. La mort mit fin à sa longue
carrière, si mouvementée et si féconde, la nuit du 2 au
3 mai 373.

La tradition connaît également le destinataire de nos


lettres; elle le nomme Sérapion1 et ne doute pas qu'il
ne s'agisse de Sérapion, évêque de Thmuis dans le delta
du Nil, ami et confident de saint Athanase, dans la lumière
et le sillage de qui il apparaît principalement2. Les quelques
renseignements que des sources indirectes et trop parci
monieuses ont conservés sur sa vie et son activité permettent

1 Les Grecs disent plus souvent Sarapion (EapœnLuiv).


2 Sérapion de Thmuis ne s'est pas encore vu consacrer la mono
graphie historique qu'il mérite. A part quelques courtes notices dans
les encyclopédies et les histoires littéraires, on ne peut signaler à son
sujet que les bonnes pages de l'introduction de l'ouvrage de
R. P. Casey, Serapion of Thmuis, Against the Manichees. Cambridge
(Mass.), 1931 (dans Harvard Theological Studies, vol. XV).
INTRODUCTION 13
d'entrevoir en lui un homme de réelle valeur, dont la figure
et l'œuvre mériteraient mieux que l'ombre qui les couvre
encore. Incidemment, en le proposant en exemple à un abbé
pusillanime qui fuyait les responsabilités de l'épiscopat,
saint Athanase nous apprend que c'était après avoir gagné
le désert et y être devenu moine puis supérieur d'un
monastère que Sérapion avait été fait évêque1. Comme la
date de sa naissance, on ignore celle de son élévation à
l'épiscopat; toutefois, cette promotion est antérieure à 339,
comme l'atteste une lettre que saint Athanase lui écrivit
en lui transmettant sa lettre festale en cette année2.
Sérapion fut toujours un défenseur décidé de l'orthodoxie
nicéenne et de son vaillant champion, l'évêque d'Alexan
drie3. Ce* fut lui que saint Athanase mit à la tête de la
députation, composée de cinq évêques et trois prêtres
égyptiens, qu'il envoya en Occident, en 353, pour conjurer
le danger dont le menaçaient les intrigues de ses adversaires

1 Athanase, Lettre à Dracontius, n. 7 (P. G., XXV, 532).


* Cette lettre de saint Athanase à Sérapion est donnée, en tra
duction latine de la version syriaque qui l'a conservée, dans P. G.,
XXVI, 1412-1413. On admet communément qu'elle accompagnait
la lettre festale pour l'année 340 (G. Bardy, o. c, pp. 74-75) et avait
donc été écrite en 339, de Rome, où saint Athanase était alors en exil.
Après E. Schwartz, le directeur de la nouvelle édition des œuvres de
saint Athanase (voir infra, p. 17,n. 3), G.-H. Opitz (Athanasius Werke,
t. II, p. 178, n. 1) date cette lettre lestale et la lettre d'envoi à Sérapion
de la fin de l'année 336 et de l'exil de saint Athanase à Trêves.
* Nous avons dit plus haut (p. 9) que, durant son deuxième exil,
saint Athanase fut justifié et rétabli dans ses droits par le concile de
Sardique. Sur la foi de listes données par saint Athanase, dans son
Apologie contre les Ariens (ch. L; Opitz, Athanasius Werke, t. II,
pp. 128-130 pour les évêques d'Égypté), on a parfois affirmé, au moins
comme très vraisemblable, la présence de Sérapion à ce concile. Cela
ne parait pas possible; il est plus probable que les évêques d'Égypte
cités en cet endroit sont les membres d'un synode tenu en Égypte
après la rentrée de saint Athanase à Alexandrie (346) et qui se ran
gèrent à la décision susdite du concile de Sardique, mais nous ne
voyons pas, à rencontre de G.-H. Opitz, pourquoi notre Sérapion
ne serait pas un des deux évêques de ce nom qui figurent dans cette
liste (n. 205 et 224).
14 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
ariens auprès du pape Libère et de l'empereur Constance,
sans succès d'ailleurs auprès de ce dernier, que les délégués
ne purent toucher1.
Évêque, Sérapion restait dans des rapports étroits et
suivis avec les solitaires d'Égypte; l'illustre saint Antoine
lui racontait ses visions et lui légua, en mourant, l'une de
ses deux tuniques de peau, dont l'autre fut pour saint
Athanase2. Avec son chef hiérarchique, l' évêque de Thmuis
correspondait assidûment; il s'informait affectueusement
de ses épreuves et de son sort, l'interrogeait au sujet de
l'hérésie arienne et de la fin honteuse de son auteur :
Athanase l'instruisait sur tous ces points, en lui commu
niquant certains de ses écrits ou les détails qu'il avait pu
recueillir3. Les lettres ici traduites montrent, comme on le
verra, que Sérapion recourait également aux lumières et
aux conseils de l'évêque d'Alexandrie dans les difficultés
doctrinales qui surgissaient dans son église.
Au reste, la correspondance de Sérapion touchait aussi
d'autres destinataires et d'autres matières. Saint Jérôme
signale comme dues à sa plume des lettres utiles adressées
à diverses personnes4; il semble même qu'il en fut fait
un recueil qui comptait au moins vingt-trois pièces5.
Deux lettres de Sérapion nous sont probablement parvenues
en entier, l'une de consolation à un évêque Eudoxius et
l'autre d'exhortation à des moines8; en outre, un fragment
1 Le fait de cette ambassade est raconté par Sozomène, Histoire
ecclésiastique, IV, 9. Pour la date, voir G. Bardy, o. c, pp. 117-118.
8 Athanase, Vie d'Antoine, 82 et 91.
2 Voir la lettre de saint Athanase à Sérapion Sur la mort d'Arius
(Athanasius Werke, t. II, p. 178-180).
* Jérôme, De viris illustribus, ch. 99, décrit comme suit ce qu'il
connaissait des écrits de Sérapion : « Edidit adversum Manichaeum
egregium librum et de psalmorum titulis alium et ad diversos utiles
epistolas ».
* Un fragment grec publié par Pitra (Analecta sacra et ctassica,
t, I, p. 47) a pour lemme : « de saint Sérapion, de la 23e lettre ».
* Découvertes et publiées naguère par A. Mai, elles ont été reprises
dans P. G., XL, 923-942.
INTRODUCTION 15
de lettre a été conservé en syriaque sous son nom1.
Saint Jérôme, comme on l'a entendu, attribue encore
à notre Sérapion la composition d'un livre sur les titres
des Psaumes, dont on ne sait rien par ailleurs, et celle
d'un excellent traité contre les Manichéens, dont un texte
complet et satisfaisant nous a enfin été donné dans l'édition
récente de R. P. Casey2. Il n'y a pas lieu de nous arrêter
ici à l'examen de cet écrit polémique, ni non plus à celui
de l'euchologe attribué à l'évêque de Thmuis : qu'il soit
l'auteur de toutes les prières renfermées dans ce dernier
ouvrage, ou seulement de certaines d'entre elles, ou même
simplement le rédacteur du recueil, Sérapion a ainsi
fourni des textes d'une extrême importance à l'histoire
du culte chrétien3.
Commentateur de l'Écriture, écrivain doctrinal et
ascétique4, pasteur de son peuple, adversaire décidé de
1 Fragment tiré, en même temps que deux autres, d'un florilège
renfermé dans le manuscrit syriaque Addit. 12156 du British Museum,
par P. Martin et publiés dans Pitra, Analecta sacra, t. IV, p. 214-215.
Ces fragments ont respectivement pour lemme : « De Sérapion,
évêque de Thmuis, du discours sur la virginité »; « Du même, de la
lettre aux évêques confesseurs »; « Du même >. Ces fragments ont été
publiés à nouveau dans l'édition complète du dit florilège par
I. Rucker, Florilegium Edessenum anonymum (syriace ante 562),
pp. 26-29 (dans les Sitzungsberichte der Bayerischen Akademie der
Wissenschaften. Philos.-hist. Abteilung. Jahrgang 1933, Heft 5.
Munich, 1933).
* Édition signalée supra, p. 12, n. 2.
* Sur les éditions de ces textes (depuis 1894) et les nombreux
travaux auxquels ils ont donné lieu, voir O. Bardenhewer, Geschichie
der altkirchlichen Literatur, t. III, p. 101-102. La lettre dogmatique,
qui suit ces textes liturgiques dans le manuscrit du Mont-Athos,
ne semble pas appartenir à Sérapion.
* Rappelons que nous avons vu qu'il écrivit une lettre aux moines
et un discours sur la virginité, ce qui montre qu'il s'occupa aussi
de spiritualité. D'après Socrates (Histoire ecclésiastique, IV, 23),
Évagre le Pontique, dans son Gnostique, rapportait un enseignement
spirituel de Sérapion, qu'il appelait « l'ange de l'église de Thmuis »,
le rangeant avec saint Basile, i la colonne de la vérité », saint Athanase,
< le saint flambeau des Égyptiens », et Didyme d'Alexandrie, « le grand
et spirituel didascale », On voit par là que Sérapion était réputé dans
les milieux ascétiques et spirituels.
16 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
l'hérésie, épistolier, liturgiste, Sérapion réunit tous les
traits d'une figure de grand évêque, zélé et instruit1, du
ive siècle. Saint Jérôme y ajoute l'auréole de la confession
de la foi sous l'empereur Constance2, peut-être en raison
de la démarche courageuse en faveur de saint Athanase,
rappelée plus haut : car il n'est pas sûr que Sérapion l'ait
due à un exil réellement subi pour la foi3. Il aurait survécu
à son ami saint Athanase, s'il était établi que la lettre
par laquelle il réconfortait les évêques confesseurs s'adressait
aux évêques égyptiens qui durent s'exiler à Diocesarée
de Palestine peu après l'accession de Pierre au siège
d'Alexandrie4. Ce serait là la dernière trace que l'on aurait
de lui dans l'histoire, qui n'a pas noté la date de sa mort.

Outre saint Athanase, leur auteur, et Sérapion de


Thmuis, leur destinataire, nos lettres mettent encore en
cause, comme on le verra, d'autres personnages, c'est-à-dire,
ceux dont les agissements et les doctrines ont provoqué

1 Saint Jérôme (l. c.) vante la culture et le talent de Sérapion en


disant que « ob elegantiam ingenii cognomen Scholastici meruit ».
4 Ibid.; < sub Constantio principe etiam in confessione inclytus
fuit ».
3 Pour admettre que Sérapion fut exilé sous le règne de Constance,
on allègue le témoignage, qui vient d'être cité, de saint Jérôme et
on remarque, comme confirmation, qu'en 359, au synode de Séleucie,
c'est un certain Ptolémée qui signe, comme évêque de Thmuis, la
lettre synodale des Acaciens (d'après saint Épiphane, Panarion,
haeres. 73, n. 26; édit. Holl, t. III, p. 301). En sens contraire, on
peut noter que saint Athanase ne cite pas Sérapion parmi les évêques
égyptiens exilés par Constance, ni dans l'Apologie pour sa fuite
(n. 7; Athanasius Werke, t. II, p. 73), ni dans sa Lettre sur les synodes
de Rimini et de Séleucie (n. 72; ibid., pp. 222-223). La parole de saint
Jérôme peut s'expliquer comme il a été dit. Quant au Ptolémée du
synode de Séleucie, saint Athanase le connaît et le cite (Lettre sur
les synodes de Rimini et de Séleucie, n. 12; ibid., p. 239) en l'appelant
« un mélétien quelconque « (IJroXep.aîov fieXeriavôv riva). L'évêque
orthodoxe était-il nécessairement chassé de sa ville épiscopale parce
qu'un mélétien en usurpait le titre dans une assemblée d'Ariens?
* Telle est, dans l'hypothèse de l'authenticité du fragment syriaque,
l'explication que donne Rucker (o. c., p. 28).
INTRODUCTION 17
leur composition. Mais comme elles sont seules à nous
les décrire, il paraît préférable de surseoir à la reconsti
tution de la physionomie de ces adversaires jusqu'à ce
que l'examen des documents eux-mêmes en ait révélé tous
les traits1.

II

Les textes

Le texte grec de nos Lettres à Sérapion n'a jamais été


publié à part; on ne le trouve encore imprimé que dans
les éditions d'ensemble des œuvres de saint Athanase.
L'investigation générale et scientifique dans la tradition
manuscrite à la recherche des témoins des écrits atha-
nasiens est de date toute récente : elle a été faite, avec
un soin et des fruits extraordinaires, par G.-H. Opitz2,
en vue de la préparation de la nouvelle édition entreprise
sous les auspices de la Commission des Pères de l'Église
de l'Académie prussienne des Sciences3. Quelque quatre-
vingts manuscrits athanasiens sont maintenant connus
et ont été étudiés quant à leur provenance et quant à
leurs rapports mutuels; les collations reconnues nécessaires

1 Cf. infra, pp. 40-42.


* On trouvera les résultats de cette enquête et de cette étude dans
l'ouvrage de G.-H. Opitz, Unlersuchungen zut Ueberlieferung der
Schriften des Athanasius (dans les Arbeiten zut Kirchengeschichte
publiés sous la direction de E. Hirsch et H. Lietzmann, vol. XXIII),
Berlin et Leipzig, 1935. Sur cet ouvrage, on peut lire un compte rendu
détaillé dans la Revue d'histoire ecclésiastique, 1935, t. XXXI, pp. 783-
788.'
3 Athanasius Werke herausgegeben im Auftrage der Kirchenvâter-
Kommission der preussischen Akademie der Wissenschaften. L'édi
tion paraît en livraisons, à Berlin et Leipzig, depuis 1934; elle donne
les textes grecs, avec des notes critiques et historiques. Trois volumes
sont prévus, qui seront complétés par des introductions et des tables.

Lettres à Sérapion. 2
18 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
ou utiles ont été exécutées ou sont en voie de l'être. Cet
immense travail est de nature à assurer à la nouvelle
édition des bases critiques incomparablement plus larges
et plus sûres que celles des éditions précédentes. Malheu
reusement, ce qui a paru jusqu'à présent de cette publi
cation ne comprend pas encore nos lettres1. Il faut donc
bien, pour les traduire, suivre le texte d'une des éditions
antérieures.
Deux seulement reposent sur l'utilisation directe et,
jusqu'à un certain point, critique de témoignages manu
scrits; les autres ne furent que des reproductions plus ou
moins complétées, parfois amendées mais aussi altérées,
des précédentes. La première est aussi Yediiio princeps
de textes grecs athanasiens, dont on n'avait publié aupa
ravant que des traductions latines2 : c'est la Commeliana,
parue en deux in-folio, chez Jérôme Commelin, à Heidel-
berg, en 1600-1601. La seconde est la Benedictina, donnée
par B. de Montfaucon, en trois in-folio, à Paris, en 1698.
La Commeliana fut réimprimée à plusieurs reprises au
cours du xvii6 siècle, mais d'après une reproduction
bouleversée et défectueuse, qui en avait été faite à Paris,
en 1627. La Benedictina fut reproduite, augmentée des
enrichissements que les découvertes postérieures avaient

1 Des neuf livraisons, qui ont paru de 1934 à 1941, les deux
premières appartiennent à la première partie du vol. III, les sept
autres à la première partie du vol. II. Il n'a encore rien été publié
du vol. I, dans lequel doivent prendre place, parmi les écrits dogma
tiques et ascétiques, nos lettres à Sérapion.
2 Qu'il nous suffise de signaler ici les traductions latines qui con
cernent nos lettres à Sérapion : celle de la première lettre, œuvre
d'Omnibonus de Longino, parue dans l'édition de Vienne, en 1482;
celle de la troisième et de la quatrième lettre donnée par Érasme
dans l'édition de Bâle, en 1527; enfin et surtout, celle des quatre
lettres préparée par un professeur de Louvain, Pierre Nauninck
(Nannius) pour l'édition de Bâle de 1556. Cette dernière traduction,
qui avait de réels mérites, accompagna les textes grecs dans la
Commeliana, tandis que la Benedictina en adopta une nouvelle.
INTRODUCTION 19
fournis, dans les quatre volumes de l'édition publiée à
Padoue, en 1777. Ce sont les textes de cette dernière qui,
autrement répartis, ont pris place dans les t. XXV-XXVIII
de la Patrologia graeca de J.-P. Migne (Paris, 1857).
Pour mesurer les progrès maintenant réalisés par l'in
formation critique, il faut se rendre compte des ressources
manuscrites dont disposèrent les deux grandes éditions
signalées plus haut. Contentons-nous d'envisager, à titre
d'exemple, les bases sur lesquelles elles établirent leur texte
de nos lettres à Sérapion; on peut encore, en effet, les
reconnaître1! Grâce à l'aide prêtée par un collaborateur
érudit, Pierre Felckmann, qui lui fournit plusieurs colla
tions, l'éditeur Commelin disposa de cinq manuscrits
d'amplitude variée. Ce furent : a) pour la série complète
et continue des quatre lettres entières2, un Codex Gobleria-
nus, qui est l'actuel Codex Musaei Britannici Harleianus,
5579, copie, exécutée en 1320-1321, du Codex Seguerianus,
manuscrit du xne siècle, dont il sera question plus loin;
b) pour la série complète, mais distinguée en trois sections
(Epp. I-II; Ep. IV, 8-23; Epp. III-IV, 1-7) des quatre lettres
entières, le Codex Basiliensis A III 4, du xme siècle;
c) pour les deux sections Epp. I-II et Ep. IV, 8-23 : le t. I
du Codex Geneoensis gr. 29, du xvie siècle, portant un texte
très apparenté à celui d'un manuscrit du xve siècle de la
Laurentienne de Florence, et une copie du Codex Marcianus
gr. 50 (actuellement 369) qui date du xie siècle; d) enfin,
pour Ep. I, le t. III du Codex Genevensis gr. 29 déjà cité

1 Ces manuscrits ont été soigneusement identifiés et indiqués sous


leurs désignations et cotes actuelles par G.-H. Opitz, dans les des
criptions qui remplissent le ch. I des Untersuchungen citées.
* La série est dite complète lorsque le manuscrit renferme les quatre
lettres; elle est dite continue lorsque le manuscrit les fournit toutes
quatre à la suite, sans interruption. En parlant de lettres entières,
nous visons le cas de la quatrième lettre, dont certains manuscrits
n'ont qu'une partie.
20 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
(xvie siècle), et pour Ep. III, le Codex Anglicanus, c'est-
à-dire, l'actuel Codex Cantabrigiensis gr. 203 (Trinity
Collège B 9, 7) du xvie siècle : deux copies du Codex Basi-
liensis. — Pour l'édition bénédictine, Montfaucon reprit,
sans les refaire, les collations exécutées par Pierre Felck-
mann sur les manuscrits déjà cités Basiliensis, Anglicanus,
Goblerianus et Genevensis I et III; mais Montfaucon basa
son édition sur deux manuscrits principaux, qui lui
fournirent la série complète et continue des quatre lettres
entières : le Codex Regius 2284, c'est-à-dire, l'actuel Codex
Parisinus graecus 474, du xie siècle, et le Codex Seguerianus,
qui est l'actuel Codex Parisinus Coislinianus graecus 45
(olim 133), du xne siècle. En outre, il trouva Epp. I-II
dans le Codex Regius 2502, qui est actuellement le Codex
Parisinus graecus 1327, de l'année 1562, et utilisa encore,
pour ces mêmes lettres, un manuscrit « eminentissimi
cardinalis Ottoboni », qui est peut-être l'actuel Codex
Vaticanus Ottobonianus gr. 128, de l'année 1620, copié
d'ailleurs sur le Seguerianus.
Les manuscrits employés par les anciens éditeurs sont,
on le voit, bien inférieurs en nombre à ceux que l'on
connaît actuellement, et ce nombre doit encore être réduit
si l'on considère la filiation ou la dépendance de certains
d'entre eux. En outre, il est des manuscrits très anciens,
par exemple, ceux du groupe que H.-G. Opitz désigne
par le sigle W, qui renferment des textes de nos lettres
à Sérapion mais qui n'ont pas encore été collationnés.
Il faut en convenir : nos textes imprimés ne répondent plus
de tout point aux exigences comme aux ressources de
la critique actuelle, et on ne peut en garantir la pureté
jusque dans les moindres détails. Cependant, quoi qu'il
en soit de cette exactitude minutieuse, le texte de l'édition
bénédictine, reproduit avec ses notes critiques dans la
Patrologia graeca (t. XXVI, col. 529-5^76), ne semble guère
INTRODUCTION 21
appeler de corrections importantes; il ne paraît présenter
en réalité, ni lacune, ni interpolation, ni énigme insoluble,
ni difficulté qui affecte le sens. Il faudra, à l'occasion,
proposer de lui faire subir quelques légères retouches1;
mais ce n'est, croyons-nous, ni précipitation étourdie,
ni imprudence dommageable que de l'employer pour une
traduction dès à présent, sans attendre davantage un texte
plus critique, qui pourrait tarder encore longtemps à
paraître2.

Pour le contrôle du texte des œuvres patristiques


grecques, les anciennes versions orientales, surtout syria
ques et arméniennes, sont souvent, lorsqu'il en existe,
d'un secours appréciable. Pour nos lettres à Sérapion, on n'a
encore signalé, en syriaque, l'existence que de la seconde
partie (n. 8-23) de la quatrième, sans que cette version
ait été publiée jusqu'à présent3. En arménien, on connaît,
dans une version élaborée entre le ve et le vme siècle,
toutes ces pièces4, à la seule exception de Ep. IV, 1-7;

1 Elles seront signalées dans les notes jointes à la traduction.


* La mort de H.-G. Opitz (8 juillet 1941), qui était l'animateur
et la cheville ouvrière de la nouvelle édition, pourrait entraver
sérieusement la poursuite rapide, pourtant très désirable et vivement
souhaitée, de sa publication.
3 C. Moss (A syriac patristic manuscript, dans Journal of Theolo-
gical Studies, 1929, t. XXX, p. 249-254) avait fait connaître l'existence
de plusieurs oeuvres athanasiennes dans un manuscrit syriaque acquis,
en 1920, par le British Museum, le manuscrit Orient. 8606, écrit
en l'année 723 de notre ère. Dans la suite, R. P. Casey (A Syriac
Corpus of athanasian writtings, dans la même revue, 1934, t. XXXV,
pp. 66-67) a pu préciser que ce manuscrit renferme une collection de
dix écrits attribués à l'évêque d'Alexandrie, et a signalé le huitième
de ces écrits en ces termes : « Homily on Matt. XII, 32 (P. G., 26,
648) », marquant ainsi clairement, comme on le verra plus loin, la
dissertation scripturaire qui forme la seconde partie (n. 8-23) de notre
quatrième lettre à Sérapion.
♦ On peut voir à ce sujet l'article de R. P. Casey, Armenian
Manuscripts of St. Athanasius of Alexandria, dans Harvard Theological
Review, 1931, t. XXIV, pp. 43-59.
22 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
certains passages en ont déjà été publiés1, et nous en
tirerons parti l'une ou l'autre fois dans les notes que nous
joindrons à notre traduction.

Nos lettres à Sérapion ne semblent pas avoir jamais été


rendues intégralement en français2. J. Lippl en a donné,
en allemand, une traduction complète, pourvue d'une
introduction et de notes3.

III

Les documents

La connaissance des personnages, un texte aussi sûr


et aussi pur que possible, une traduction claire et fidèle,
ne suffisent pas encore pour assurer l'intelligence parfaite
et permettre la pleine et féconde utilisation des documents.
Il faut, de plus, que leur sens et leur portée soient mis en
lumière par la détermination exacte de leur nature et des

1 Ils sont dans le volume publié par le P. Isaïe Tajezi sous le titre
qui se traduit : « Discours, lettres et écrits polémiques de saint Atha-
nase, patriarche d'Alexandrie», à Venise, en 1899. On trouve dans ce
volume, mais en deux sections séparées (pp. 88-116 et pp. 243-257),
la version arménienne de presque toute la première lettre à Sérapion
(manquent les n. 29, 32 et 33), avec des lacunes plus ou moins con
sidérables en certains passages et aussi des doublets partiels pour
les n. 5-6 (pp. 245-248). Ce qu'écrit R. P. Casey (art. cit., p. 44) touchant
l'absence totale de la deuxième lettre dans l'édition de Tajezi n'est
pas absolument exact, car on trouve dans ce volume (pp. 251-253),
entre les n. 27 et 28 de la première lettre, quelques passages des
n. 1-4 de la deuxième.
* F. Cavallera (Saint Athanase, dans la collection La pensée
chrétienne, 2e éd., Paris, 1908, p. 188-204), en exposant la théologie
du Saint-Esprit d'après saint Athanase, en a traduit un certain
nombre de passages, tous tirés de la première lettre.
3 Des heiligen Athanasius ausgewâhlte Schriflen, t. I, p. 391-497.
Berlin et Munich, 1913 (dans la Bibliothek der Kirchenvâter, 2e éd.,
t. XIII).
INTRODUCTION 23
circonstances de leur composition. Cette tâche est celle de
la critique historique et littéraire; elle s'en acquitte en
s'efforçant de donner des réponses objectivement fondées
aux questions, nombreuses et variées, que le souci de
justesse dans l'interprétation et l'appréciation des sources
l'amène à se poser. Essayons d'éclairer successivement ces
divers points quant à nos pièces1.

Genre littéraire et contenu. — Traditionnellement, ces


documents sont appelés des lettres, et ils révèlent encore
eux-mêmes ce caractère originel par des indices très clairs :
en certains endroits, l'auteur parle à la première personne,
s'adresse directement à un destinataire individuellement
déterminé, dont il rappelle et résout les questions et à qui,
surtout, il fait des communications personnelles. Mais on sait
les finsmultiplesauxquelleslalettrea été employée, la variété
presque infinie des matières qu'elle a été appelée à traiter,
dans l'antiquité aussi bien que dans la suite. Cette diversité
de but et d'objet ne resta pas sans conséquences. La lettre
garda sans doute toujours les éléments formels du style
épistolaire, tels que l'adresse initiale et la salutation finale,
qui formaient son cadre naturel et obligé, mais elle adapta
son ton et sa disposition interne à son sujet et à sa fin.
Employée en matière doctrinale, par exemple, pour
instruire, convaincre ou réfuter, elle cessa d'être familière
et pleine d'abandon, revêtit un caractère didactique ou
polémique, s'assigna un plan systématique étudié et
rigoureux et tourna véritablement au traité. Pour les âges
suivants, l'importance de telles lettres se restreignit

1 Les références aux documents, dans le texte et dans les notes,


renvoient au texte de la Patrologia graeca, t. XXVI, et sont données
par l'indication soit des divisions, soit des colonnes de cette édition,
qui sont reproduites dans le texte ou dans la marge de la traduction
qui suit. Les lettres sont distinguées par leur numéro d'ordre : I, II,
III et IV.
24 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
à peu près à leur contenu doctrinal : la tradition ne vit en .
elles que de simples documents, qu'elle conserva et
transmit comme tels, laissant tomber souvent les adresses
primitives et y substituant des titres, créés au moyen de
certains souvenirs historiques sur les auteurs et desti
nataires et de la considération des questions traitées.
Que, sous leur forme de lettres de saint Athanase à
Sérapion1, nos pièces nous livrent bien des traités de polé
mique doctrinale, c'est ce que montrera le plan ordonné
et logique que dégage l'analyse sommaire de leur contenu2.
La première lettre, qui est la plus étendue, a été divisée,
dans les éditions, en 33 numéros. En débutant, Athanase
expose comment, instruit et pressé par une lettre reçue de
Sérapion, il s'est enfin décidé à écrire pour réfuter les
adversaires de la divinité du Saint-Esprit (n. 1). Une
considération préliminaire met en relief l'illogisme de la
conduite de ces hérétiques : d'une part, ils maintiennent,
contre les Ariens, l'unité substantielle du Fils avec le
Père pour sauvegarder l'unité de Dieu dans la Trinité;
d'autre part, leur doctrine touchant le Saint-Esprit ruine
la Trinité et détruit la rectitude de leur foi au Fils et
même au Père (n. 2). Abordant ensuite son sujet, saint
Athanase le traite en deux parties successives. La première
(n. 3-21a) est consacrée à l'examen et à la réfutation des
arguments par lesquels les adversaires veulent établir
leur doctrine : le Saint-Esprit est une créature, un ange,
un des esprits serviteurs. Ces arguments sont empruntés
à l'Écriture et à la raison. Pour l'Écriture, c'est tout d'abord
le texte d'AMOs, IV, 13, qui démontrerait que l'Esprit est

1 On nous permettra d'employer, pour désigner l'auteur et le


destinataire des lettres, ces noms, dont la légitimité sera établie
plus loin.
* Le but ici visé ne demande qu'une analyse, exacte sans doute,
mais faite à grands traits, sans entrer dans le détail des considérations
et argumentations présentées par saint Athanase.
INTRODUCTION 25
créé. Athanase pose, examine et réfute cet argument
(n. 3-8), et il fait de même pour la preuve subsidiaire
par laquelle les adversaires prétendent en maintenir la
valeur (n. 9-10 a). C'est ensuite le texte de I Tim., V, 21,
qui mettrait l'Esprit au rang des anges, ministres de Dieu.
Comme à propos du texte précédent, Athanase réfute
les interprétations des hérétiques et expose le vrai sens du
passage scripturaire (n. 10 b-14). Passant ensuite aux argu
ments logiques, aux raisonnements qui veulent démontrer
que l'admission de la divinité du Saint-Esprit mène à des
conclusions absurdes et inadmissibles, saint Athanase fait
voir que la dialectique des adversaires ne respecte pas le
mystère, tandis que la foi qui reste dans les limites de la
discrétion, arrive à une connaissance suffisante et sûre de
la vérité par le témoignage des Écritures (n. 15-21a).
La seconde partie de la lettre (n. 21b-31) est positive :
saint Athanase y recherche, d'après l'enseignement de la
révélation, si le Saint-Esprit est créature ou s'il est le
propre de Dieu. Il montre tout d'abord que l'Esprit se
distingue absolument des créatures par une série de pro
priétés opposées aux leurs (n. 21b-27); il établit ensuite la
divinité du Saint-Esprit par l'examen de la foi catholique
touchant la Trinité (n. 28-31). La conclusion se dégage
aisément de la réfutation donnée : l'Écriture et la foi
traditionnelle de l'Église enseignent la divinité du Saint-
Esprit; les adversaires sont, en réalité, d'accord avec les
Ariens et leur opposition simulée à ces hérétiques ne
trompe personne; ils sont rejetés par tous (n. 32). La lettre
se termine par quelques mots à l'adresse de Sérapion et
un dernier avertissement aux adversaires (n. 33).
De l'avis unanime des critiques depuis Montfaucon, et
à bon droit comme on le montrera plus loin, les deux pièces
appelées respectivement deuxième et troisième lettre à
Sérapion ont été indûment séparées, car elles ne formaient
26 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
primitivement qu'une seule et même lettre. Il faut donc
les réunir et en donner une analyse continue. Elles com
prennent l'une 9 et l'autre 7 numéros. Saint Athanase
commence par annoncer que, conformément au désir des
frères transmis par Sérapion, il va résumer sa première
lettre (Ep. II, n. la). En réalité, toute notre deuxième
lettre (lb-9), qui formait la première partie de la lettre
primitive, est dirigée contre les Ariens. Après avoir
remarqué qu'aux questions incessantes par lesquelles ces
hérétiques croient embarrasser les orthodoxes et triompher
d'eux, il serait aisé d'opposer d'autres questions, qu'eux-
mêmes ne pourraient résoudre (n. lb), saint Athanase
démontre que le Fils n'est pas créature par l'identité de
ses attributs avec ceux du Père (n. 2), par la différence
totale qui sépare ses attributs des propriétés des créatures
(n. 3-5), et par la considération des notions de père et de
fils (n. 6). Il réfute ensuite les deux objections scripturaires
tirées, l'une de ce que Prov., VIII, 22, la Sagesse dit que le
Seigneur l'a créée (n. 7-8), l'autre de ce qu'en Marc,
XIII, 32, la connaissance du jour et de l'heure de la parousie
est déniée au Fils (n. 9). En commençant notre troisième
lettre, qui est la seconde partie de la lettre primitive,
saint Athanase expose pourquoi, prié de parler du Saint-
Esprit, il a pourtant d'abord traité du Fils (Ep. III, n. la).
Il développe ensuite une série de cinq preuves, qui démon
trent que l'Esprit-Saint n'est pas créature : l'Esprit a,
avec le Fils, qui est Dieu, le même rapport que celui que
le Fils a avec le Père (n. lb); les attributs de l'Esprit sont
tout différents des propriétés des créatures (n. 2) et sont,
au contraire, les mêmes que ceux du Fils (n. 3-4); selon la
foi de l'Église, l'Esprit-Saint appartient à la Trinité, dans
laquelle il n'y a rien de créé (n. 5-6); enfin, faire de l'Esprit
une créature, c'est détruire la vraie Trinité (n. 7a). Les
INTRODUCTION 27
dernières lignes adressent quelques recommandations à
Sérapion (n. 7b).
Le texte donné comme celui de la quatrième lettre
réunit, dans ses 23 numéros, deux pièces différentes par la
nature et par la matière. La première, que l'on peut appeler
la première partie (n. 1-7), traite, quoique moins systéma
tiquement, le même sujet que les précédentes. Une nouvelle
lettre de Sérapion a fait connaître à saint Athanase l'obsti
nation des hérétiques et les questions saugrenues et indé
centes par lesquelles ils s'efforcent de détruire, chez les
fidèles, la foi en la divinité du Saint-Esprit (Ep. IV, n. 1).
Indigné d'une telle impudence, saint Athanase rétorque ces
questions et presse les adversaires hésitants et muets de dire
comment leur opinion évite les absurdités auxquelles ils
prétendaient acculer les orthodoxes (n. 2-3a). Mais c'est
folie que d'interroger ainsil La seule attitude raisonnable est
de se contenter des enseignements de la foi, sans vouloir
scruter les choses impénétrables. Ainsi ont fait les Apôtres,
qui ont prêché simplement la Trinité, tandis que ceux qui
ont tenté de scruter davantage, sont tombés dans l'hérésie
(n. 3b-5a). Laissons ces questions insensées aux hérétiques;
ne concevons pas les personnes de la Trinité comme des
personnes humaines; croyons simplement au Père, au
Fils et au Saint-Esprit, Trinité immuable dans l'unité de la
divinité (n. 5b-7)! — La suite, qui constitue la seconde
partie de notre lettre (n. 8-23), délaisse la considération
des difficultés soulevées par les hérétiques contre la divinité
du Saint-Esprit pour se porter à l'examen d'une question
spéciale d'exégèse néotestamentaire posée par Sérapion :
il s'agit de l'interprétation du texte de Matth., XII, 31-32
et, en particulier, de l'irrémissibilité du blasphème contre
l'Esprit, prononcée en ce passage, tandis que la rémission
du blasphème contre le Fils y est déclarée possible.
Saint Athanase commence par rappeler la question de
28 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
Sérapion, l'embarras qu'elle lui a causé et la décision,
qu'il a finalement prise, de tenter d'y répondre (n. 8).
Il expose ensuite les solutions données au problème par
Origènc n. (9-10) et par Théognoste (n. 11), et fait la critique
de ces opinions : les difficultés qu'il y rencontre l'amènent à
penser qu'il faut y chercher un sens plus profond (n. 12-13),
vers lequel il achemine le lecteur en le dégageant et éta
blissant par parties successives. Le Christ, dit-il, est à la fois
Dieu et homme; il accomplit les œuvres divines et prend les
infirmités humaines (n. 14). Certains le méprisent comme
homme, à cause de ces infirmités, ou doutent de la réalité
de son humanité, à cause de ses œuvres divines : ces péchés
sont, dans une certaine mesure, excusables et peuvent être
pardonnes. Mais quiconque nie la divinité du Christ et
attribue ses œuvres au démon, commet le péché irrémis
sible (n. 15) : tels furent les Pharisiens, qui péchèrent contre
l'Esprit du Christ (n. 16). Aussi bien le blasphème contre
l'Esprit que le blasphème contre le Fils sont donc dirigés
contre le Christ; le premier, en prétendant remplacer en
lui le Verbe de Dieu par le démon, l'outrage dans son Esprit,
comme le démontrent plusieurs preuves scripturaires
(n. 17-20). Énorme fut le péché ainsi commis par les Phari
siens, et celui des Ariens y est semblable (n. 21-22). Ce péché
est irrémissible parce que quiconque renie le Christ-Dieu,
n'a personne qui lui obtienne miséricorde, lui donne la vie
et le repos. Au contraire, quiconque confesse et honore le
Christ, Dieu incarné, aura le bonheur éternel (n. 23a).
Saint Athanase termine en engageant Sérapion à appro
fondir personnellement l'enseignement succinct qu'il vient
de lui donner (n. 23b).
Cette analyse aura permis de reconnaître que nos docu
ments sont, sous la forme de lettres, des traités de polé
mique doctrinale, suivis d'une dissertation exégétique.
Le contenu en est suffisamment connu pour que le lecteur
INTRODUCTION 29
puisse nous suivre dans l'examen des questions historiques
et critiques auquel nous devons nous livrer.

Authenticité. — Que nos documents aient bien pour auteur


saint Athanase d'Alexandrie, c'est ce dont conviennent, peut-
on dire, tous les historiens et critiques actuels. Cet accord
provient, sans doute, de l'excellence de la preuve qui démon
tre l'authenticité; il suffira de la proposer brièvement. La
tradition manuscrite grecque, maintenant abondamment
connue1, nous permet de retrouver l'attribution des quatre
lettres à l'évêque d'Alexandrie à la date la plus haute
qu'elle atteigne, c'est-à-dire, au xe siècle, avec le Codex
Atheniensis 428 récemment découvert2. Aucun des nom
breux manuscrits qui renferment nos pièces ou certaines
d'entre elles, n'en cite jamais une quelconque sous le nom
d'un autre auteur. En vertu du lien historique qui, comme
on le montrera3, rattache intimement ces lettres, toute
attestation d'origine athanasienne donnée à l'une d'entre
elles vaut également pour le groupe entier. Ainsi, les
versions orientales, syriaque et arménienne, et les originaux
grecs sur lesquels elles sont élaborées, apportent à cette
origine un témoignage antérieur au vme siècle. La tra
dition littéraire est encore plus ancienne : saint Athanase
est donné comme l'auteur de nos documents dans les
lemmes des citations textuelles qu'en ont tirées, par exemple,
en 649, le concile du Latran1, dans la seconde moitié du
vie siècle Anastase d'Antioche5, et vers 520 le patriarche

1 Grâce à l'enquête dont les résultats sont consignés dans le travail,


signalé plus haut, de G.-H. Opitz.
s Cf. H.-G. Opitz, o. c, pp. 78-79.
3 Cf. infra, pp. 45-48.
* Cf. Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio,
nouvelle édition (Welter, Paris et Leipzig), t. X, coll. 1103 : trois
citations tirées de Ep. IV, 14-15.
5 Anastase I, patriarche catholique d'Antioche de 559 à 599, citait
Ep. I, 26 dans son écrit contre leDiaitetes du monophysite Jean Philo
30 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
monophysite Sévère d'Antioche1. Une telle attestation, qui
commence pour nous un siècle et demi à peine après la
mort de saint Athanase et se prolonge dans la suite, sans
qu'on perçoive jamais entre les témoins la moindre note
discordante, constitue une preuve indubitable, et l'on
comprend qu'elle ait rallié à l'authenticité de nos pièces
tous les suffrages des auteurs actuels. Contre sa conclusion,
c'est à peine si la critique interne s'est autrefois hasardée
à formuler quelque doute partiel ou quelque soupçon.
Montfaucon a déjà jugé comme il se devait l'impression
défavorable donnée au goût littéraire d'Érasme par le style
de la première lettre et l'opposition des protestants
Scultetus et Rivet à son authenticité2. De nos jours, la
question de l'origine athanasienne, même en ce qui concerne
la seconde partie de la quatrième lettre, est résolue affir
mativement3, et ce qui n'est plus, en réalité, un problème
ne doit pas retenir davantage notre attention. Toutes
ces lettres ont certainement pour auteur saint Athanase
d'Alexandrie; nul doute non plus que le Sérapion à qui
elles sont adressées, ne soit bien Celui qui occupait alors
le siège épiscopal de Thmuis4.
ponos. Cf. Doclrina Patmm de Incarnation Verbi, éd. F. Diekamp
(Munster, 1907), p. 205.
1 Sévère d'Antioche, Liber contra impium Grammaticum,
orat. I, c. 3 et orat. III, c. 33 {Corpus Scriptorum Christianorum
Orientalium. Scriptores Syri. Versio. Series quarta, t. IV, p. 56 et
t. VI, p. 130) : citations de Ep. I, 1, 28 et Ep. II, 8.
* Voir l'avertissement placé en tête des lettres dans l'édition
bénédictine, aux paragraphes VI et VII (P. G., XXVI, 527-528).
3 On ne sait pourquoi G. Bardy (o. c, p. 153, n. 1) écrit : t Les
derniers chapitres de la lettre 4 sont probablement apocryphes J».
L'auteur qui a examiné le plus attentivement les questions de critique
littéraire touchant les écrits athanasiens, A. StUlcken (Alhanasiana.
Literar- und dogmengeschichtliche Untersuchungen, dans la collection
Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur,
nouv. série, t. IV, fasc. 4. Leipzig, 1899), n'énonce que deux
« scrupules » suscités par Ep. IV, 8-23 et s'empresse d'ajouter que ces
raisons ne sont pas suffisantes pour que l'on doute de l'authenticité
de cette partie. - j
* La tradition manuscrite fait adresser ces lettres irpos Eapairluiva
INTRODUCTION '31
Distinction des pièces. — La tradition manuscrite et les
éditions comptent quatre lettres de saint Athanase à
Sérapion sur la divinité du Saint-Esprit. Cependant, le
nombre exact des pièces distinctes, qui composent cette
correspondance, suscite deux problèmes qu'il faut bien
mentionner et tenter de résoudre
Le premier problème concerne la légitimité de la sépa
ration des lettres II et III. Montfaucon a été le premier à
s'élever contre la séparation de ces deux pièces et à
prétendre qu'elles ne constituaient primitivement qu'une
seule et même lettre; s'il les a pourtant encore imprimées
à part dans son édition, c'est par une sorte de scrupule
qu'il s'est fait de respecter l'état de la tradition manuscrite
qui, unanimement, les a conservées séparées1. La critique
s'est absolument rangée à cette opinion, qu'appuyaient
des raisons décisives. En effet, comme l'a fait remarquer
Montfaucon, le début de notre troisième pièce (624C-625A)
suppose manifestement une partie antérieure : saint Atha
nase note que Sérapion s'étonnera peut-être de le voir
perdre de vue en quelque sorte la demande, qui lui a été
adressée, de résumer la première lettre, qui traitait du
Saint-Esprit, et réfuter ceux qui nient la divinité du Fils
pour faire de lui une créature. C'est là précisément ce qui
a été fait dans notre Ep. II, qui peut donc être considérée
comme la première partie d'une lettre, dont notre Ep. III
est la seconde. Par contre, au début de notre Ep. II (609A),
saint Athanase déclare qu'il a fait ce que Sérapion lui a
demandé, c'est-à-dire, qu'il a résumé la première lettre,

iTrioKOTrOv (par exemple, Codex Atheniensis 428; voir H.-G. Opitz,


o. c, p. 78) et, quand elle complète cette indication, c'est en ajoutant
le mot &(iovéws (par exemple, Codex Parisinus gr. 474; Codex Pari-
sinus Coislinianus gr. 45; ibid., p. 55 et 59).
1 C'est ce que Montfaucon expose dans les paragraphes II et III
de l'avertissement placé en tête de nos lettres dans son édition
(Cf. P. G., XXVI, 525-528).
32 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
ce que l'on ne trouve que dans notre Ep. III : la possibilité
de l'unité primitive de nos Ep. II et III devient ainsi une
certitude. La tradition manuscrite a, de plus, conservé un
souvenir indubitable de la connexion originelle de nos deux
pièces dans une note placée en regard du commencement
de Ep. II, ou même donnée comme titre à cette lettre, et
qui vise le résumé de la première1. Il n'est donc nullement
douteux que nos lettres II et III n'en aient formé primiti
vement qu'une seule2; on aura à tenter d'expliquer plus
loin comment l'auteur en est venu à y traiter, non seulement
de la divinité du Saint-Esprit, mais aussi de celle du Fils3.
Le second problème porte également sur un point
d'histoire littéraire, mais, à l'inverse du premier, il
demande, non pas s'il faut réunir des pièces séparées,
mais s'il ne faut pas séparer des pièces qui se trouveraient
indûment réunies. On a déjà pu remarquer par l'analyse
donnée plus haut, que Ep. IV, dans la forme sous laquelle
l'édition bénédictine la présente, se compose de deux
parties assez disparates : la première (n. 1-7), qui poursuit
la polémique des lettres précédentes au sujet de la divinité
du Saint-Esprit, et l'autre (n. 8-23), qui traite une question
d'exégèse néotestamentaire. La critique s'est émue de ce
phénomène, qu'elle considère comme une anomalie : elle
s'est reportée aux témoignages de la tradition; elle a scruté
le texte lui-même, et elle a tiré des résultats de ce double
examen une conclusion défavorable à l'union primitive
1 Cette note se trouve, par exemple, comme titre de Ep. II dans
le Codex Atheniensis 428, et dans la marge dans le Codex Basiliensis
A III 4 (Cf. H.-G. Opitz, o. c.,pp. 78-79 et p. 32). Elle dit: «Ces choses
ont été écrites en résumé d'après les choses dites antérieurement, de
nouveau contre ceux qui disent que l'Esprit-Saint est une créature ».
Cette note ne se comprend que comme écrite par quelqu'un qui
trouvait encore nos lettres II et III unies en une seule.
2 La distinction des deux pièces sera maintenue dans notre
traduction et dans nos références pour éviter d'embarrasser le lecteur
qui voudrait se reporter aux éditions et aux travaux antérieurs.
» Cf. infra, pp. 46-47.
INTRODUCTION 33
des deux sections en une seule lettre. Actuellement,
beaucoup d'auteurs admettent que la dissertation exé-
gétique contenue dans les n. 8-23, tout en appartenant
à saint Athanase, n'a rien de commun avec la section
précédente, n'appartient pas à notre Ep. IV, qui est
complète sans elle, mais est un fragment détaché d'un
autre écrit, d'ailleurs non identifié1.
Qu'en est-il en réalité? Répétons que l'origine athana-
sienne de la section n'est pas mise en question, et recon
naissons que son caractère de fragment, de pièce détachée
d'un texte antérieur, est incontestable2. Il s'agit donc
uniquement de voir si ce texte antérieur était ou n'était
pas, à l'origine, celui de Ep. IV, 1-7. Montfaucon l'affirmait,
en se basant sur une connaissance de la tradition manuscrite
dont l'érudition actuelle n'a pas de peine à montrer l'in
suffisance. On ne peut plus dire, en effet, avec le savant
mauriste! que cette section fait suite à Ep. IV, 1-7 dans
tous les manuscrits, parfois simplement reliée à ce qui
précède en un texte continu, parfois munie de la mention :

1 Montfaucon, qui a édité les deux pièces comme formant une seule
lettre, a exposé ses raisons d'en agir ainsi dans le paragraphe V
de son avertissement déjà cité (P. G., XXVI, 527-528). C'est l'étude
de A. Stulcken (Athanasiana, pp. 59-60) qui a orienté décidément
la critique actuelle dans la voie opposée; cet auteur a cru avoir détruit
les arguments de Montfaucon, lui a donné tort et a déclaré sans
ambages que l'unité littéraire de notre Ep. IV devait, à son avis, être
absolument abandonnée. La dissertation exégétique est un fragment,
détaché d'un autre écrit que Sttilcken ne détermine pas davantage.
Cette opinion a pénétré dans les histoires littéraires récentes : ainsi
par exemple, O. Bardenhewer (o. c, t. III, p. 71) l'a reçue en
conjecturant que le fragment appartient peut-être à une autre lettre
de saint Athanase à Sérapion. G.-H. Opitz (o. c, p. 3 et 163) déclare
catégoriquement qu'il est hors de doute que le fragment n'appar
tenait pas originellement à notre Ep. IV, et qu'on ne sait à qui il était
adressé.
* Ainsi, par exemple, A. Stûlckën (o. c, p. 60) et G.-H. Opitz
(o. c, p. 163) traitent la section comme authentique et fragmentaire.
La formule du début (n. 8 : -nepl ôe oS ypd<f>aiv èStfXwoas) marque
nettement ce qui suit comme une nouvelle partie d'une lettre déjà
commencée.

Lettres à Sérapion. 3
34 LETTRES SUR LA DIVINITE DU SAINT-ESPRIT
« Au même Sérapion », parfois enfin avec l'indication
marginale du passage évangélique. Sans détruire les faits
critiques notés par Montfaucon, l'information actuelle
a élargi et complété son enquête dans la tradition manu
scrite et littéraire et elle se croit autorisée de ce chef à en
changer la conclusion. Elle constate, en effet, que notre
pièce n'est reliée à Ep. IV, 1-7 que dans des manuscrits
d'une seule famille, celle des principaux témoins suivis par
Montfaucon; dans les autres, elle est transcrite à part et
porte souvent un titre spécial qui la caractérise comme un
traité sur le texte évangélique que l'on connaît. Ce dernier
état, assure-t-on, est décelable dans la tradition textuelle
et littéraire à une date aussi ancienne que le ve siècle;
il montre que l'union de notre pièce avec la première
partie de notre Ep. IV est l'œuvre d'un compilateur
postérieur, incité sans doute à l'opérer par le fait que la
troisième lettre à Sérapion se termine par la citation du
texte évangélique en cause1.
Il ne semble pas que cette argumentation, empruntée à
l'état de la tradition du texte, soit apodictique et conduise
à une conclusion certaine quant au problème ici posé2.
Même'si l'on admet comme démontrée pour le ve siècle

1 On trouvera les détails et les bases critiques de cette argumen


tation aux endroits qui viennent d'être cités des travaux de
A. Stiïlcken et de G'.-H. Opitz. Pour faire remonter jusqu'au ve siècle
l'attestation de l'existence séparée et sous un titre spécial de notre
pièce, ce dernier auteur table sur la date assignée à la chaîne atha-
nasienne du Codex Laurentianus 4, 23 dans le travail de E. Schwartz,
Der s. g. Sermo maior de flde des Athanasius (dans les Silzungsberichte
der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, Philos.-philol. und hist.
Klasse, Jahrgang 1924, 6. Abhandlung. Munich, 1925), et sur l'âge
qu'il croit pouvoir attribuer (o. c, pp. 84-85) à l'archétype de la
première partie du Codex Ambrosianus 235 (D 51 sup.). Il y aurait
bien des remarques à formuler au sujet de ces déterminations chrono
logiques, mais, comme on le verra, il n'est nul besoin de les faire ici.
» Plus prudent que d'autres, A. Stulcken (o. c, p. 59) tirait
seulement de l'état de la tradition que l'on peut sérieusement douter
de la connexion originelle des deux sections de Ep. IV, et que la
tradition n'est « nullement très favorable » à cette connexion.
INTRODUCTION 35
l'existence indépendante et sous un titre scripturaire de notre
pièce qui, comme tous le reconnaissent, est un fragment,
ce fait, par lui-même, ne donne encore aucune indication
touchant le document dont elle faisait partie primitive
ment, et n'exclut pas, en particulier, qu'elle ait été détachée
de Ep. IV, 1-7. Si l'on ne veut pas se lancer dans l'arbitraire
en sortant des prémisses, il faut renoncer à demander à la
tradition textuelle une réfutation certaine de l'opinion de
Montfaucon, aussi longtemps que cette tradition ne nous
montre pas positivement notre pièce rattachée à un
document athanasien autre que la quatrième lettre à
Sérapion1.
Une telle réfutation ne pourrait actuellement s'établir
que sur des arguments de critique interne. On en a cherché,
et il faut dire quelques mots de ceux que l'on a produits2.
Montfaucon avait expliqué que Sérapion avait pu être
porté à demander l'explication du texte évangélique parce
que ce texte avait été cité par saint Athanase dans la
première et dans la troisième de nos lettres. Stûlcken
récuse absolument cette explication, parce que notre
section ne trahit pas la moindre opposition à des pneu-
matomaques : le péché contre le Saint-Esprit, qui leur

1 E. Schwartz (o. c, p. 50) notait, dans le florilège du Codex


Vaticanus graecus 1431,' dont il rapportait la composition au ve siècle,
un passage cité sous le lemme : e*c rov els to 6 Xoyos oàp£ iyévero :
extrait du 3e Discours contre les Ariens (n. 30) de saint Athanase.
Pourrait-on légitimement conclure de ce témoignage, absolument
semblable à celui que l'on va prendre dans la chaîne athanasienne du
Codex Laurentianus 4, 23, que ce passage appartient à un écrit
exégétique qui, primitivement, ne faisait pas partie du 38 Discours
contre les Ariensl L'argument tiré de l'existence indépendante de
notre section exégétique à une étape de la tradition du texte, contre
sa connexion primitive avec Ep. IV, pourrait être également employé,
s'il avait quelque valeur, contre la connexion primitive de cette
pièce avec n'importe quel autre document athanasien. Et pourtant,
une telle connexion a dû exister, puisque la pièce est un fragment de
lettre»
2 Cf. A. Stûlcken, o. c, p. 60.
36 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
était reproché dans les lettres précédentes, était la négation
de la divinité de la troisième personne divine; ici, au con
traire, il s'en prend au Christ, dont il nie la divinité en
attribuant ses œuvres merveilleuses au démon. Et peut-on,
demande Stûlcken, concevoir une interprétation si pure
ment christologique du texte au temps de la composition
de Epp. I-IV, 7? Cet argument détruirait toute possibilité
de connexion primitive entre notre section et Ep. IV, 1-7
s'il était solide et appuyé à des constatations vraies; mais
il ne l'est nullement. Dans Ep. I (n. 3; 536A) et Ep. III
(n. 7; 637A) et même, peut-on ajouter, Ep. IV (n. 1; 637 B),
saint Athanase se contente d'appliquer littéralement aux
pneumatomaques la seconde partie du texte évangélique,
sans faire l'exégèse proprement dite de ce texte et, en
particulier, sans comparer entre eux le blasphème contre
le Fils et le blasphème contre le Saint-Esprit. Ici, au
contraire, il fait expressément cette exégèse et cette com
paraison pour l'édification personnelle du destinataire et
sans aucune intention polémique contre un hérétique
quelconque. Rien ne s'oppose à ce que saint Athanase, en
appliquant le texte comme il le fait en Epp. I-IV, 7, ait
déjà eu dans l'esprit, comme exégèse proprement dite du
blasphème contre le Saint-Esprit, l'interprétation christo
logique qu'il devait en donner dans Ep. IV, 8-23. Disons
plus : on peut même prouver que saint Athanase tenait
déjà cette explication christologique du blasphème contre
le Saint-Esprit auparavant, au temps de la composition
de ses grands Discours contre les Ariens1.
1 Cf. E. Weiql, Untersuchungen zut Christologie des heiligen
Aihanasius, p. 160. Paderborn, 1914 (dans Forschungen zur christ-
lichen Lileratur- und Dogmengeschichte de A. Ehrhard et J. P. Kirsch,
t. XII, fasc. 4). Sans doute, cet auteur a tort d'apporter en témoignage
Ep. I ad Serap., n. 3 (536 A), où le blasphème contre le Saint-Esprit
est certainement imputé à ceux qui nient la divinité de la troisième
personne, et un fragment exégétique, qui donne bien l'interprétation
christologique (P. G., XXVII, 1385 D), mais dont l'inauthenticité
INTRODUCTION 37
Stulcken allègue encore, contre la connexion établie par
Montfaucon, la finale de notre pièce (n. 23; 676 B).
Saint Athanase y déclarerait que son correspondant a
maintenant acquis une connaissance plus exacte de la
parole évangélique et des Psaumes. Cette meilleure con
naissance des Psaumes ne peut avoir été fournie au desti
nataire par l'actuelle Ep. IV qui, constate Stulcken, cite
à peine en passant quatre textes des Psaumes. Il faut donc
que notre pièce ait été jointe primitivement à une autre
lettre, qui donnait plus d'attention aux Psaumes. Il
suffira, pour apprécier la valeur de cet argument, de
remarquer qu'il repose sur un contresens dans l'interpré
tation du texte de saint Athanase. Celui-ci ne parle pas
d'une meilleure connaissance du texte évangélique et des
Psaumes, que Sérapion aurait acquise grâce à la lecture de
sa lettrcjnais il l'engage à prendre occasion de l'explication
succincte qu'il lui a donnée pour tirer lui-même du texte
évangélique et des Psaumes la réponse, que sa modestie
lui fait appeler plus complète et plus exacte, à la question
posée1.
athanasienne est démontrée (cf. K. Hoss, Studien ùber das Schrifttum
und die Theologie des Athanasius, p. 104. Fribourg en Br., 1899).
Mais il est plus heureux lorsqu'il signale l'interprétation christo-
logiqùe du texte de Matth., XII, 32 dans le I Discours contre les
Ariens (n. 50; P. G., XXVI, 116 B); les mots, qu'on lit en ce passage
sûrement authentique : « ot 8è eis ro TIvevfia to âyiov pXao(f>rj-
Iiovvres, Kal ra tov Aoyov épya tô> SiafiôXw èiriypâ<l>ovres,
â<j>VKrov rifiwplav iÉÇovoi », ne laissent aucun doute que saint Atha
nase ait pu tenir cette interprétation comme exégèse proprement dite
du texte évangélique au temps de la correspondance avec Sérapion', à
laquelle les Discours contre les Ariens sont certainement antérieurs.
1 Le texte grec porte : « Kal Xoittov oavrû> rf/v àKpifSeorépav 8ia-
voiav eK Te tov evayyeXiKov prjrov Kal twv ifiaXfiû>v àvaXap,fid-
vwv... »; pour le comprendre comme il l'a fait, Stùlcken a tout simple
ment négligé la préposition ek, qui régit les deux génitifs. Il trouve
séduisante la conjecture de Tillemont qui, à cause de cette allusion
aux Psaumes, songeait à une connexion primitive de notre pièce avec la
Lettre à Marcellin (P. G., XXVII, 12-45), dans laquelle saint Athanase
s'étend longuement sur les splendeurs du psautier; il n'ose, toutefois,
attribuer à cette hypothèse qu'une pure possibilité de vérité. C'est
38 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
Enfin, Stiilcken prétend que, de Ep. IV, 8-23, on peut
simplement tirer que les adversaires étaient des Ariens,
opposés à la divinité du Christ, et que la lutte au sujet de
la consubstantialité du Saint-Esprit n'avait pas encore
éclaté. On n'en serait donc pas encore au temps de la
composition de nos lettres à Sérapion. Cet argument ne nous
paraît pas plus valide que les précédents. Dans notre pièce,
il ne s'agit nullement, pour saint Athanase, de discuter
avec des adversaires quelconques au sujet d'un point de
doctrine, mais uniquement d'exposer et d'établir une
interprétation scripturaire. Une seule fois (n. 22; 673 B-C)
il mentionne les Ariomanites, les Ariens, non pour discuter
avec eux au sujet de leur erreur, mais pour montrer chez
eux lé même péché contre le Saint-Esprit que celui que
le Christ a reproché aux Scribes et aux Pharisiens. Vu la
nature qu'il attribuait au blasphème contre le Saint-Esprit,
le rapprochement entre ces Juifs et les Ariens lui était tout
naturellement suggéré, tandis que rien ne lui suggérait
le rapprochement entre ces Juifs et les négateurs de la
divinité et de la consubstantialité du Saint-Esprit, ni la
polémique contre ces derniers, ni même la simple mention
de leur erreur. Rien ne prouve donc que notre dissertation
exégétique n'ait pas pu être écrite telle que nous la lisons,
au moment où les discussions dogmatiques s'étaient déjà
étendues à la divinité et à la consubstantialité de la troi
sième Personne, c'est-à-dire, au temps de la composition
de Epp. I-IV, 7.
r On peut donc maintenir l'unité littéraire primitive de

déjà trop, car cette pure possibilité est positivement exclue par le
caractère clairement complet de la lettre susdite, et la conjecture
n'a aucune raison d'être, comme le montre la traduction exacte de
notre texte. La mention spéciale des Psaumes en cet endroit s'explique
peut-être comme amenée par le fait que saint Athanase a déjà en tête
la pensée du texte du Ps. CXXV, 6, par lequel il veut terminer, et
termine réellement, sa lettre.
INTRODUCTION 39
notre Ep. IV. Comment saint Athanase a-t-il été amené
à lar composer de deux parties, il faut le reconnaître, si
différentes par les sujets traités et si peu manifestement
reliées entre elles? A cette question, qu'on ne veut nulle
ment esquiver, une réponse satisfaisante sera faite lorsqu'on
retracera, preuves à l'appui, les circonstances dans les
quelles cette lettre fut écrite pour terminer cette corres
pondance. Celle-ci comprit donc trois lettres de la plume
de saint Athanase : notre Ep. I, nos Epp. II et III qui n'en
formaient qu'une, et notre Ep. IV dans son intégrité1.

Cause de la correspondance. — L'initiative, dans cette


correspondance, appartient à Sérapion; c'est auprès de lui
qu'il faut chercher la cause première de cet échange de
lettres. Quand saint Athanase écrit, il marque clairement
que c'est pour répondre à des communications et à des
demandes qui lui ont été adressées par son correspondant :
il le fait dès sa première lettre (529A), et de même dans
chacune des suivante (608 C; 624 C; 637 A; 648 C). L'affaire
doctrinale dont, comme on l'a vu par l'analyse donnée plus
haut, il s'agit dans nos pièces, ne lui est connue que par les
renseignements que Sérapion lui a fournis : il l'a apprise
comme une nouvelle affligeante et décourageante (529A);
fréquemment, il reporte aux lettres de Sérapion les détails
qu'il mentionne touchant les personnages mis en cause
(529 A; 565 C; 605 B; 637 C), sans jamais dire ou insinuer

1 Sévère d'Antioche, dont les témoignages ont été invoqués plus


haut (p. 30, n. 1) parle, au premier endroit cité, de « la lettre (de
saint Athanase) au sujet du Saint-Esprit », comme s'il ne connaissait
qu'une lettre sur cette matière; au second endroit cité, il allègue un
passage de Ep. II, n. 8, mais en le rapportant à « la lettre (de saint
Athanase) au sujet du Saint-Esprit, dont le commencement est :
La lettre de ta grande Charité m'a été remise au désert », ce qui
est le début de Ep. I. Sévère, qui était en exil lorsqu'il écrivait son
ouvrage, n'a sans doute pas pu contrôler l'exactitude de sa référence
dans les sources mêmes, car il ne semble pas que Ep. I et Ep. II aient
jamais été réunies comme ne formant qu'une seule lettre.
40 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
qu'il était au courant de leurs idées et de leurs agissements
antérieurement ou par d'autres voies. Et c'est peut-être
parce qu'il n'en savait pas plus que ce que Sérapion lui
en avait appris, tout autant que par humilité ou par
habitude, qu'il demande et recommande si instamment
à son correspondant, au cours de ses lettres, de corriger
ce qu'il s'y rencontrerait de défectueux ou d'ajouter ce
qui pourrait y manquer (532 B; 605 C; 609 A; 636 C).

Les lettres mêmes de Sérapion en cette affaire ne nous


ayant pas été conservées, l'usage judicieux des détails
notés par saint Athanase est le seul moyen dont nous
disposions pour reconstituer l'incident qui a provoqué la
correspondance. C'est le fait de certains chrétiens, qui
prétendent s'être séparés des Ariens à cause de leur négation
de la divinité du Fils1, mais professent que le Saint-Esprit
est une créature, précisant qu'il est un des esprits serviteurs
et ne diffère qu'en degré des anges (530 A-532 A). Ils ne
sont que quelques-uns, semble-t-il (529 A), et ne paraissent
pas avoir grand succès : détestés par les Ariens, ils sont
également réprouvés par tous (605 B). L'affaire est sans
doute encore localisée dans l'église de Sérapion; Athanase
ne recommande pas à son correspondant d'employer, pour
combattre ces hérétiques, quelque moyen de vaste portée,
comme la dénonciation aux évêques ou la diffusion d'écrits
de réfutation, mais il prescrit seulement de les reprendre,

1 Saint Athanase laisse planer la suspicion sur la sincérité de leur


opposition aux Ariens quant à la divinité du Fils : elle ne serait,
dit-il, qu'une npooiroi-qros /xâ^ij (532 A), mais les paroles de Sérapion,
qui semblent bien transcrites un peu auparavant (529 A), donnent
cette séparation comme un fait réel. Saint Athanase est aussi soupçon
neux lorsqu'il doit reconnaître (580 C) que ces adversaires admettent
que le Fils est ïSioç rij? tov Ilarpos avoLas, expression dont il ne
peut nier l'équivalence avec la formule nicéenne qui affirme que le
Fils est itc rrjs ovoLas tov fFarpos. Sa défiance est partout en éveil
parce que, pour lui, la divinité ne peut être sincèrement attribuée au
Fils si elle ne l'est également au Saint-Esprit,
INTRODUCTION 41
en caressant l'espoir que c'en sera assez pour les ramener
à la vérité (636 C-D). Sérapion est donc censé pouvoir les
atteindre tous par lui-même; c'est d'ailleurs encore par
lui que s'adressent à saint Athanase les fidèles qui, à des
fins de polémique directe contre ces impies, désirent
posséder sous une forme plus brève les réfutations données
par l'évêque d'Alexandrie dans sa première lettre (608 C).
S'ils ne sont pas nombreux, ces hommes ont cependant
une certaine culture : ils ne sont pas du nombre des
« simples », que saint Athanase les accuse de vouloir tromper
et séduire en affectant de se séparer des Ariens (605 B).
Ils connaissent et emploient l'Écriture, qu'ils lisent et
scrutent attentivement : en faveur de leur opinion, ils
allèguent le texte du prophète Amos, IV, 13 (536 A) et
justifient l'exégèse qu'ils en font (552 B); ils recourent à
un passage de la première épître à Timothée (V, 21 ; 556 B)
et y insistent (561 B); ils citent encore le texte du prophète
Zacharie IV, 5 et le mettent en œuvre (557 B). En outre,
ils paraissent exercés et habiles à la dispute : ils savent
raisonner en forme (565 C; 588 C) et s'attachent à des
subtilités dialectiques, auxquelles saint Athanase doit
revenir jusque dans la dernière lettre (637 B-C). Pour les
désigner, l'évêque d'Alexandrie emploie à plusieurs
reprises le nom de « Tropiques » (580 D; 600 A; 605 A;
572 B); il les appelle « de vrais Tropiques » (556 B), insinuant
de la sorte qu'il a lui-même créé l'appellation à leur inten
tion1. Ils y avaient donné lieu, semble-t-il, par l'usage
fréquent qu'ils faisaient du mot « trope » (556 B; 532 C;
1 Le nom de « Pneumatomaques » (m-eiyta-ro/^axoi), pour désigner
ceux qui nient la divinité du Saint-Esprit, ne paraît pas encore connu
de saint Athanase; il leur applique seulement l'épithète de nvevfia-
rufiaxovvres (605 B). Le nom de « Tropiques » donné à ces hérétiques
se rencontre dans le Sermon contre toutes les hérésies, n. 5 (P. G.,
XXVIII, 509 D), qui n'est pas de saint Athanase, mais est élaboré
en dépendance de ses œuvres; cette pièce joint les deux noms
7rveiyiaT o/xd^oi et rpoiriKOi.
42 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
536 A) : ils donnaient comme des « tropes », c'est-à-dire,
des figures de mots, des manières de parler, certains termes
des Écritures afin d'y trouver, grâce à ce procédé d'inter
prétation, des arguments pour leur doctrine, ou d'éluder
par le même moyen les arguments de la doctrine orthodoxe1.
On cherchera plus loin, quand on s'efforcera de fixer le
temps de la composition des lettres à Sérapion, le moment
historique le plus probable de la manifestation de l'hérésie
des Tropiques. Il suffit, pour l'insta'nt, d'avoir mis en
lumière l'incident qui amena Sérapion et saint Athanase
à échanger des lettres à ce sujet, en dégageant les traits
encore saisissables de ces personnages et de leur doctrine
spécifique. C'étaient quelques esprits doués d'une certaine
formation, qui avaient appartenu au parti, doctrinalement
si nuancé, de l'opposition antinicéenne. La résurrection
ou une manifestation particulièrement vive de la négation
de la divinité du Fils les avait révoltés, séparés des Ariens
et rapprochés des orthodoxes. Mais, quant au Saint-Esprit,
leurs idées n'avaient pas changé : ils restaient sous l'in
fluence des arguments qu'ils avaient entendu proposer
naguère contre la divinité de la troisième Personne2
et, dans l'église de Thmuis ou aux environs, ils s'en
servaient, soit pour répandre leur doctrine propre, soit pour
résister à ceux qui s'efforçaient de les amener à une ortho
doxie totale et parfaite en matière trinitaire.
Tel est le cas embarrassant que Sérapion crut devoir
soumettre à saint Athanase. L'obstination des hérétiques
prolongea les difficultés et fit renouveler les consultations
1 Saint Athanase met l'usage de « tropes » chez ces hérétiques, en
rapport avec l'interprétation doctrinale de textes scripturaires : ainsi
prétendaient-ils reconnaître le Saint-Esprit en I 27m., V, 21 sous le
nom d'ange (556 B-C) et en Amos, IV, 13, sous le nom de uveUfia
qui, en réalité, y signifie le vent (548 B).
* En particulier, les plaisanteries qu'ils dirigeaient contre la divinité
du Saint-Esprit, sont notées par saint Athanase comme employées
par les Ariens (645 A; 648 B).
INTRODUCTION 43
et les réponses, dont il faut déterminer maintenant l'objet
propre et l'ordre chronologique.
Ordre et objet des lettres. Le dossier de l'affaire des
Tropiques traitée entre saint Athanase et Sérapion, se
compose de trois lettres distinctes1 de l'évêque d'Alexandrie
en réponse à autant de lettres successives de l'évêque de
Thmuis. Puisque ces dernières ne nous sont connues que
par les réponses qui y furent faites, ce sont les lettres de
saint Athanase qui doivent être considérées directement
pour déterminer l'ordre relatif et l'objet spécial des diverses
pièces du dossier.
Les trois lettres de saint Athanase ont été réellement
composées dans l'ordre selon lequel Montfaucon les a
disposées dans son édition. C'est l'auteur lui-même qui le
dit implicitement par des indications occasionnelles. En
commençant la troisième lettre (Ep. IV, n. 1), saint Atha
nase s'étonne de l'obstination avec laquelle les Tropiques
reviennent à la charge, alors que ce qui leur a déjà été
répondu, les preuves qui leur ont déjà été fournies, auraient
dû suffire pour les convaincre de leur erreur (637 B);
à leur égard, dit-il, il faudrait observer le précepte de
l'Apôtre, qui ordonne d'éviter l'hérétique resté sourd à
un premier et à un second avertissement (637 A). Ceci
semble bien une allusion à deux interventions précédentes,
à deux lettres antérieures par lesquelles il est intervenu en
cette affaire2. En outre, des démonstrations rappelées dans
cette lettre comme « données dans ce qui précède », se
trouvent, en réalité, dans Epp. I et IIP. Notre Ep. IV
1 Rappelons que nos Epp. II et III ne formaient primitivement
qu'une seule et même lettre. Cf. supra, pp. 31-32.
1 En citant ici (637 A) le texte de TU., III, 10, saint Athanase
semble attacher une importance spéciale aux mots fierà fiLav Ko!
Sevrépav vovOecriav, qu'il avait omis en rappelant le même passage
dans Ep. I, n. 15 (568 A).
* On trouvera les identifications de ces références dans les notes
jointes à la traduction, infra, p. 177, n. 1; p. 178, n. 3, 7; p. 180, n. 1.
44 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
suppose et suit donc chronologiquement nos Epp. I-III.
A son tour, la deuxième lettre se donne clairement comme
composée après notre Ep. I. Au début de chacune de ses
deux parties (Ep. II, 1 : 608 C; Ep. III, 1 : 624 C), saint
Athanase rappelle la demande dé l'évêque de Thmuis, à
laquelle il veut faire droit en écrivant à présent : il s'agit
de résumer une lettre qu'il lui a adressée précédemment au
sujet de la divinité du Saint-Esprit. Or, lorsque saint Atha
nase compose effectivement ce résumé, dans Ep. III, il suit
exactement le plan de la seconde partie de Ep. I : de part
et d'autre, pour montrer que le Saint-Esprit n'est pas une
créature, il pose d'abord le principe de l'identité entre le
rapport du Fils au Père et le rapport du Saint-Esprit au
Fils (Ep. I, 21 a; Ep. III, 1 b), puis il compare les attributs
de l'Esprit avec les propriétés des créatures (Ep. I, 21 b-
27; Ep. III, 2 : il développe dans les n. 3-4 la comparaison
entre les attributs du Saint-Esprit et ceux du Fils); enfin,
il démontre la divinité du Saint-Esprit en recourant à la foi
catholique touchant la Trinité (Ep. I, 28-31; Ep. III,
5-7 a)1. En outre, chaque fois que, dans Ep. III, saint Atha
nase renvoie expressément à la lettre antérieure qu'il
résume, c'est clairement Ep. I qui est visée2. Celle-ci,
à la différence des deux autres, ne fait aucune mention
d'une lettre antérieure de saint Athanase à Sérapion en
cette affaire3; elle exclut même positivement l'existence

1 Pour abréger Ep. I, saint Athanase a commencé par en laisser


de côté toute la première partie (n. 3-21 a), c'est-à-dire, la réfutation
expresse des arguments scripturaires allégués par les Tropiques pour
prouver que le Saint-Esprit est une créature. Quant aux preuves
positives de la divinité de la troisième Personne, que fournissait
YEp. I dans sa seconde partie (n. 21 b-31), il les a reprises sous une
forme condensée, mais selon le même plan, dans Ep. III.
2 Ces références seront identifiées dans les notes jointes à la tra
duction de Ep. III; voir infra, p. 164, n. 7; p. 167, n. 8; p. 169, n. 2.
3 Sans doute, Ep. I, n. 2 (532 B), saint Athanase fait mention d'un
écrit antérieur en disant qu'il n'est plus besoin de réfuter davantage
les Ariens, contre qui il suffit de ce qui leur a été opposé auparavant ;
INTRODUCTION 45
d'une telle lettre en montrant que l'évêque d'Alexandrie,
lorsqu'il l'écrit, est sous l'impression des toutes premières
nouvelles reçues de Thmuis au sujet de l'incident des
Tropiques1. Les relations constatées entre les trois lettres
montrent tout à la fois qu'elles constituent un groupe
cohérent de pièces et qu'elles s'y situent chronologique
ment dans l'ordre susdit.
S'il était complet, le dossier de cette affaire, traitée par
correspondance entre Sérapion et saint Athanase, ferait
précéder chacune des trois lettres de l'évêque d'Alexandrie
d'une lettre de l'évêque de Thmuis. Essayons, à la lumière
des renseignements fournis par les documents conservés,
de retracer la marche de l'affaire en déterminant l'objet
des pièces successives de ce commerce épistolaire.
C'est Sérapion qui a pris l'initiative d'écrire à saint Atha
nase. Dans une première lettre, il lui fait connaître les
nouveaux hérétiques, leur attitude à l'égard des Ariens,
leur doctrine opposée à la divinité du Saint-Esprit (529 A-
532 A) et les arguments scripturaires et autres auxquels
ils l'appuient (536 A-B; 565 C), en l'engageant à les réfuter

àptcei yàp rà irpo rovrcav etprjfiéva Kœr' avrûiv. Mais on remar


quera que rien ne dit que cet écrit était une lettre, ni qu'il avait été
adressé à Sérapion; la manière dont saint Athanase en parle montre
bien qu'il était dirigé contre les Ariens comme tels, c'est-à-dire,
comme négateurs de la divinité du Fils, et non comme négateurs de
celle du Saint-Esprit. On songe tout naturellement à trouver ici une
allusion aux Discours contre les Ariens; cette identification se confir
mera par ce que nous serons à même d'observer (infra, pp. 46-47)
touchant l'identification du document résumé par saint Athanase
dans la première partie de sa deuxième lettre à Sérapion (Ep. II).
1 Au début de cette première lettre (n. 1; 529 A et suiv.), saint Atha
nase attribue à une lettre reçue de Sérapion toute la connaissance qu'il
a de l'apparition de la nouvelle hérésie et, dans la suite, il n'est pas un
seul détail concret à ce sujet qu'il ne rapporte à la même source. Le
découragement qu'il déclare avoir éprouvé en lisant cette lettre de
Sérapion (529 A; 532 A) ne se comprendrait pas s'il avait déjà été
au courant de la manifestation de ce mouvement hérétique. Il n'avait
donc pas pu écrire déjà auparavant à ce sujet, et VEp. I est bien sa
première lettre en cette affaire.
46 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
(536 B). — Saint Athanase répond par sa première lettre :
longuement il ramène à la vérité les exégèses erronées et
les raisonnements fallacieux des Tropiques et établit
fermement que le Saint-Esprit n'est pas une créature, mais
est Dieu, par la considération de ses attributs et l'examen
de la foi catholique en la Trinité. — Parvenue à destination,
cette réponse de saint Athanase ne donne pas toute satis
faction : les fidèles trouvent qu'elle est trop longue et,
de ce chef, peu apte à leur fournir les armes défensives et
offensives dont ils ont besoin dans la lutte engagée; il
faudrait la résumer en s'inspirant de cette considération.
C'est ce vœu, cette demande que l'évêque de Thmuis
transmet à son collègue d'Alexandrie dans la deuxième
lettre qu'il lui adresse (608 C; 624 C; 636 C). — Saint Atha
nase estimait, au contraire, avoir traité encore trop
brièvement un sujet d'une telle importance; cependant,
il se rend au désir de son correspondant. Dans une deuxième
réponse, il résume sa première lettre. Mais il ne s'en tient
pas là : avant même de faire ce dont il a été prié, il expose,
contre les Ariens, la vraie doctrine touchant la divinité
du Fils (Ep. II). Cette manière d'agir, qui ne laisse pas de
surprendre, est justifiée par l'utilité qu'elle présente pour
une heureuse proposition de la doctrine touchant le Saint-
Esprit, vu que la condition propre de l'Esprit par rapport
au Fils est exactement celle du Fils par rapport au Père
(625 A-B). Cette raison est plausible, mais elle n'explique
peut-être pas toute la manière d'agir de saint Athanase
en cette occurrence. En effet, l'exposé de la vraie doctrine
touchant le Fils (Ep. II), il ne le fait pas d'une manière
originale et indépendante, mais en renvoyant, au moins
à cinq reprises, à des démonstrations antérieures : et il se
fait que toutes ces références, expressément marquées
par les expressions : « comme il a été montré » ou : « comme
il a été écrit », s'identifient pour le mieux avec des passages
INTRODUCTION 47
des Discours contre les Ariens1. Ce fait sûrement notable
permet au moins de prêter à saint Athanase, répondant
ainsi à la demande de Sérapion et des fidèles de Thmuis,
une seconde intention s'ajoutant à celle qu'il énonce.
Il a dû se dire que, si ses correspondants trouvaient déjà
son Ep. I trop longue, à plus forte raison devaient-ils
penser de même de son grand ouvrage contre les Ariens;
il a dû se décider, en conséquence, à leur en donner, sous
une forme concise, les arguments essentiels. Sa deuxième
réponse a ainsi traité des sujets différents, quoique connexes,
en deux parties que la tradition postérieure, attentive
surtout au contenu doctrinal, a été aisément induite à
séparer comme deux lettres distinctes2. — Ce ne fut pas
encore le fin de cette correspondance. Si l'on admet,
comme nous croyons devoir le faire, l'unité littéraire
de notre Ep. IV, voici l'explication, à notre avis naturelle
et fondée, de la suite des rapports épistolaires entre les
deux évêques. Les Tropiques s'obstinent dans leur erreur
et, pour la défendre, ils s'efforcent d'embarrasser les
orthodoxes par des questions aussi inconvenantes que
captieuses, que l'évêque de Thmuis soumet encore à
saint Athanase dans une troisième lettre qu'il lui adresse
(637 B-C). Mais il n'a pas échappé à Sérapion qu'à deux
reprises, au cours de ses lettres précédentes (536 A; 637 A),
l'évêque d'Alexandrie, par une application littérale du
texte de Matth., XII, 32, a imputé aux adversaires le péché
de blasphème contre le Saint-Esprit; il s'est étonné,
semble-t-il, du sens ainsi prêté à la parole évangélique et,
pour son édification personnelle, il demande à son corres-

1 On trouvera ces références signalées et identifiées dans les notes


jointes à la traduction de Ep. II.
2 Seule l'histoire de la formation des collections ou corpora d'oeuvres
athanasiennes pourrait expliquer cette particularité de la tradition
manuscrite; mais cette histoire reste encore à faire, même après
l'essai de H. G. Opitz (o. c, pp. 142-210).
48 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
pondant l'explication du problème que pose ce passage
(648 C). Cette dernière question ne plaît pas à saint Atha-
nase, qui craint de ne pas pouvoir la conduire à une solution
claire et certaine (648 C) et peut-être également de devoir
se séparer de l'explication des anciens docteurs de son
église et révoquer l'application qu'il avait faite du texte
évangélique1. Sa décision est vite prise : il gardera le silence
sur ce point2. Il écrit sa dernière réfutation des Tropiques
et, bien résolu à n'y rien ajouter, y met le point final par
une doxologie (648 B). Bientôt, cependant, il se ravise3 :
il connaît Sérapion et sait qu'il ne manquera pas de revenir
à la charge; à son corps défendant, en quelque sorte, et
pour éviter de nouvelles instances, il compose sa disser
tation exégétique (648 C), la joint à la troisième lettre
déjà terminée, sans rien changer à cette dernière, et envoie
à destination le document composite dont les deux parties
disparates doivent en quelque sorte fatalement se dissocier
lorsque les circonstances de leur union ne seront plus
connues ou considérées. Ainsi s'ordonnent, croyons-nous,
selon leur suite chronologique et leur lien logique, les
pièces de la correspondance échangée entre Sérapion
de Thmuis et saint Athanase au sujet de la divinité du
Saint-Esprit attaquée et niée par les Tropiques.

1 II serait étrange que seule la difficulté de l'interprétation du


passage évangélique ait arrêté saint Athanase puisque, comme on l'a
montré (supra, p. 36, n. 1), il en connaissait déjà auparavant
l'explication christologique qu'il proposera dans la suite de sa lettre.
A côté du motif qu'il donne de sa première décision, on peut en
supposer d'autres, suggérés par les circonstances.
s Ce n'est pas le seul cas où la réaction comme spontanée de
saint Athanase devant un ennui est une décision de garder le silence.
Voir encore, par exemple, la première Lettre à Sérapion, n. 1 (532 B),
la Lettre sur les décrets du synode de Nicée, n. 2 (P. G., XXV, 428 A).
Et régulièrement, à la réflexion, il revient sur cette décision première.
3 Saint Athanase change d'avis avant d'avoir ajouté, après la
doxologie, les quelques mots qu'il se proposait sans doute d'adresser
personnellement à Sérapion, comme il l'avait fait, également après
une doxologie, à la fin de la lettre précédente (636 C). Renvoyés
INTRODUCTION 49
Chronologie des lettres. — La chronologie relative des lettres
de saint Athanase a été établie plus haut1 et ne doit plus
retenir notre attention. On voudrait déterminer la chrono
logie absolue, c'est-à-dire, la date de composition de ces
pièces. Plusieurs indications fournies par les lettres elles-
mêmes sont trop vagues pour servir utilement à cette fin :
telle la mention qui est faite des ariens Acace de Césarée et
Patrophile de Scythopolis comme d'évêques encore vivants
et encore actifs au service de l'hérésie2. On ne peut
pas non plus, pour fixer une date, tabler sur le fait
que les lettres sont adressées à Sérapion alors qu'il
est censé présent dans son église; comme nous l'avons
dit plus haut3, Sérapion était évêque de Thmuis dès avant
339, et il n'est pas sûr qu'il fût en exil en 359. La première
lettre de Sérapion touche saint Athanase au désert, où
il s'est réfugié pour échapper à une persécution violente
et aux recherches acharnées d'adversaires qui en veulent
à sa vie (529 A); rien n'indique un changement dans la
situation de l'évêque d'Alexandrie au cours de toute la
correspondance. La divinité du Fils avait été niée dès le
principe par les Ariens; si les Tropiques sont révoltés par
ce blasphème jusqu'à se séparer de leurs anciens amis
(529 A), la cause doit en être dans la brutalité inouïe avec
laquelle la vieille thèse arienne est ressuscitée et ouverte
ment proposée dans l'anoméisme d'Aétius et Eunomius.
Tous ces détails semblent bien indiquer le temps du
troisième exil, qui tint saint Athanase au désert, loin
d'Alexandrie, depuis le début de 356 jusqu'au début de

ainsi après la dissertation exégétique (676 B), ces mots sont alors
naturellement relatifs à cette dernière.
1 Cf. supra, pp. 43-45.
3 Ep. IV, n. 7 (648 B). Acace fut évêque de Césarée de c. 340 à
c. 366. Patrophile était évêque de Scythopolis déjà au temps du
concile de Nicée et la date de sa mort n'est pas connue.
* Cf. supra, p. 13.

Lettres à Sérapion. 4
50 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
362. Ce sont là les deux dates extrêmes entre lesquelles on
placera la composition des Lettres à Sérapion sur la divinité
du Saint-Esprit. Il est peut-être possible de restreindre
encore ces limites chronologiques et de s'arrêter à l'année
359 comme à la date la plus probable d'une correspondance,
dont les pièces ont dû se succéder sans de longs intervalles
de temps1.

Langue et style des lettres. — Il n'est guère possible de


caractériser ce qui n'est marqué d'aucun trait vraiment
caractéristique, et telle est bien la langue, tel est le
style de nos lettres. Jamais peut-être, en dehors de son
œuvre de jeunesse Contre les Gentils et sur -l'Incarnation
du Verbe et de son Apologie à Constance, saint Atha
nase ne semble avoir pris quelque plaisir ou attaché
quelque importance au soin de la forme de ses écrits. Dans
sa main de lutteur sans cesse à la pointe du combat, de
défenseur toujours sur la brèche, la plume est une arme
comptant uniquement par le nombre et la précision de ses
coups. La langue qu'il écrit est simple et assez terne; son
style est dépourvu de toute recherche, sans ornement de
figures, de comparaisons ou d'images, abondant, un peu
prolixe et semé de rappels et de répétitions qu'il avoue 5t
justifie. Ce qui lui importe, c'est de démasquer l'erreur et
d'établir la vérité, ou de flétrir l'injustice et de venger le
droit, par des argumentations qui peuvent être sèches et

1 Ep. IV, n. 5 (645 A), saint Athanase cite Eunomius entre d'autres
personnages importants dans la propagande en faveur de l'arianisme.
Il n'est guère probable qu'il ait connu Eunomius avant que celui-ci
vint à Alexandrie se joindre à Aétius, qui l'intruisit de sa doctrine
arienne, ce qui arriva en 356 ou 357. Nous croyons que Ep. III
résume les argumentations principales des Discours contre les Ariens,
supposant ainsi que ces Discours sont, sans doute depuis peu de
temps, entre les mains de Sérapion et de ses fidèles; nous pensons
aussi que cet ouvrage a été composé par saint Athanase en 358.
Dès lors, la correspondance avec Sérapion semble bien à rapporter
à l'année 359, date la plus communément reçue par les auteurs.
INTRODUCTION 51
lourdes pourvu qu'elles atteignent leur but. Les lettres
mêmes que nous connaissons de lui en grec, ne font pas
exception; elles traitent des affaires, dirait-on, et révèlent
rarement un trait furtif de son intimité. Nos Lettres à
Sérapion sont d'ailleurs si peu des lettres! Elles sont,
comme on l'aura vu, de véritables traités ou des disser
tations dogmatiques, méthodiquement ordonnées, et tissées,
en quelque sorte, de citations scripturaires que l'auteur
excelle à découvrir, à rapprocher, à dérouler en de longs
florilèges1. La polémique y met cependant une certaine
vie, une certaine animation : saint Athanase fait parler
ses adversaires, il les interpelle, leur lance des défis (336 C;
537 C), les montre hésitants devant les questions qu'il leur
rétorque (640 A-B), leur rend plaisanterie pour plaisanterie
(568 B), crée pour les désigner une sorte de sobriquet
inspiré du faux-fuyant accoutumé de leur exégèse, se
moque de ces prétentieux « qui disent facilement toutes
choses » (572 C; 592 C) et à qui la meilleure réponse à faire
serait le silence, afin qu'ils reconnaissent leur ignorance
(640 C). Tout entier à la question doctrinale qu'il traite,
l'évêque d'Alexandrie discute, raisonne, réfute, parfois
visiblement agacé et indigné par l'obstination des adver
saires à méconnaître une vérité pour lui évidente2; à peine
1 Le meilleur de la force, comme un des charmes, de la théologie
athanasienne réside certainement dans son caractère scripturaire.
Saint Athanase connaît à merveille les Saintes Écritures; on sent
partout qu'il les a longuement méditées et qu'il les a pénétrées à fond.
Son érudition scripturaire est étonnante; à propos de chaque point
de doctrine, les textes se pressent sous sa plume avec une abondance
et un à-propos qu'on ne peut qu'admirer. Et il en a remarqué tous
les détails! Qu'on examine, par exemple, le long florilège dans lequel
il relève (Ep. I, n. 4-6) les manières diverses dont l'Écriture marque
qu'elle entend désigner par le terme irvevixa le Saint-Esprit : ne le
croirait-on pas établi au fil de la consultation d'une de nos concor
dances bibliques? Il sait ainsi, par d'heureux rapprochements,
éclairer l'Écriture par elle-même : voir, par exemple, Ep. I, n. 12,
comment il montre que l'Esprit est Dieu, et non un ange, parce que
c'est lui qui a conduit le peuple d'Israël au désert.
* C'est cette indignation qui lui arrache l'exclamation qui termine
52 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
songe-t-il à Sérapion, qui est pourtant son ami. On aurait
tort de juger l'homme, ses sentiments, sa piété même1
d'après des lettres officielles, qui ne font connaître que le
docteur et son dévouement passionné à la vérité. Une
traduction qui viserait à l'élégance changerait la physio
nomie de ces documents; la nôtre se contentera d'essayer
de les présenter avec la fidélité et l'exactitude que
requièrent leur rôle et leur valeur de sources de l'histoire
des doctrines.

IV

Lea doctrines

Nous n'avons pas à donner et on ne doit pas s'attendre


à trouver ici un exposé de toute la doctrine de saint Atha-
nase, ni même de toute sa doctrine trinitaire. En cette
section, comme dans les précédentes, les Lettres à Sérapion
sont la source principale, sinon unique, des données mises
en œuvre. Or, ces lettres, comme on le sait déjà, ont un

Ep. II, n. 9 (624 C) et dont le lecteur français ne supporterait pas


l'énergie dans une traduction absolument littérale : kSlv hiappayœoi
fivpia.Kis rfj êavrû>v âyvoiq. oi 'Apeiavol.
1 Les traits qui les révèlent, pour être rares et fugitifs, ne sont
pourtant pas complètement absents de nos lettres. Est-il insensible,
par exemple, celui à qui l'arrivée d'une lettre donne pour un instant
la douce illusion d'avoir auprès de lui des amis bien chers (529 A)?
N'est-ce pas une piété affective que celle que la pensée de la profondeur
du sens renfermé dans une parole du Christ tourne, dans la prière,
vers Celui qui s'est assis près du puits profond et a marché sur les flots
profonds de la mer? Mais ces traits ne frappent pas du premier coup.
Sans doute, comme on l'a écrit (G. Bardy, o. c, p. x-xi) « Athanase
est bien loin de ces incomparables épistoliers que furent, par exemple,
saint Basile ou saint Grégoire de Nazianze »; il faut cependant remar
quer que nous ne possédons pas de lui de lettres strictement privées
et que certaines lettres, conservées en syriaque, modifieraient déjà
quelque peu ce jugement. Au reste, il faut compter aussi avec la
différence de tempérament : les difficultés et les luttes n'ont jamais
porté saint Athanase à fuir le combat pour aller, dans la solitude,
gémir sur ses malheurs en des vers irepl èavrov\
INTRODUCTION 53
objet doctrinal précis, et encore l'envisagent et le traitent-
elles d'un point de vue bien déterminé. La doctrine en cause
est celle de la divinité de la troisième Personne de la Trinité,
et saint Athanase l'établit certes avec clarté et solidité
de preuves; toutefois, la démonstration qu'il en donne
s'adapte, par son fond et sa forme, au but immédiat
qu'il poursuit, c'est-à-dire, à la réfutation de l'erreur des
adversaires qu'il combat. Le caractère polémique de nos
pièces explique tout à la fois l'importance prépondérante
qu'elles accordent à certains points de la doctrine touchant
le Saint-Esprit et le silence relatif qu'elles gardent sur
d'autres. Pour bien comprendre l'enseignement de
l'évêque d'Alexandrie, ses positions et sa méthode, il faut
se remettre et tenir assidûment devant les yeux la teneur
exacte et les procédés de l'hérésie à laquelle il s'oppose.

La pneumatologie des Tropiques. — Elle est, semble-t-il,


bien restreinte et se borne à l'assignation de la nature de la
troisième Personne dont l'existence est professée par la foi
chrétienne. Les Tropiques prétendent que, loin d'être
Dieu comme le Père et le Fils, l'Esprit-Saint est un des
êtres venus du néant à l'existence (593 A), une créature
(532 A; 533 A; 572 B, etc). Plus précisément, ils déclarent
qu'il est un ange (593 A), qu'il doit être compté parmi les
anges, qu'il est du rang, de la catégorie des anges, plus élevé,
sans doute, en perfection que les autres anges (556 C), mais
ne différant d'eux qu'en degré et n'étant, lui non plus,
qu'un des « esprits serviteurs » mentionnés par l'Écriture
(532 A). Ils semblent bien aussi s'opposer ouvertement
à la consubstantialité du Saint-Esprit avec les deux autres
Personnes divines, lui attribuant d'être non 6jioovoiov
mais èrepoovoiov avec le Père et le Fils (533 A). A ces
maigres détails se réduisent les données positives et
explicites touchant leur doctrine propre; saint Athanase
54 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
les emprunte toutes aux communications que Sérapion
lui a faites à ce sujet.
Les attaches de cette doctrine avec l'hérésie arienne sont
avouées par les Tropiques; elles sont d'ailleurs évidentes.
Les adversaires reconnaissent eux-mêmes que les arguments
d'Écriture qu'ils font valoir à l'appui de leur opinion, leur
ont été fournis par les Ariens (536 B), et saint Athanase
note explicitement dans la bouche d'Ariens notoires les
subtilités dialectiques et les plaisanteries inconvenantes
auxquelles ils ne rougissent pas de recourir (645 A; 648 B).
La différence substantielle qu'ils placent entre l'Esprit
et les deux autres Personnes révèle la même parenté
doctrinale. Les questions saugrenues par lesquelles ils
s'efforcent d'embarrasser les fidèles n'ont de sens et de
valeur que pour des esprits imbus de principes ariens.
En effet, pour prétendre sérieusement, comme ils paraissent
le faire, que si, sans être créature, l'Esprit procède du Père
et est du Fils, l'Esprit doit être frère du Fils et petit-fils
du Père (568 A), il faut de toute nécessité qu'ils admettent
qu'un être ne peut être « du Père » ou « du Fils » que par
création ou génération. Or, c'est là un principe dont les
Ariens font fréquemment l'application, en concluant,
du fait qu'ils croient la génération impossible en Dieu,
que le Fils doit être une créature.
Cependant, les Tropiques ne veulent rien avoir de
commun avec les Ariens dans la doctrine qu'ils professent
au sujet du Fils. Ils se sont séparés de ces derniers à cause
de leur blasphème en cette matière (529 A); ils nient que le
Fils soit créature à cause de l'unité qu'ils lui reconnaissent
avec le Père (533 A) et déclarent que le Fils est le propre
de la substance du Père (580 C). Cela étant, il est difficile
de penser qu'ils gardent encore quelque chose de l'aria-
nisme dans leur doctrine au sujet du Fils, bien que nos
sources ne disent jamais formellement qu'ils professent
INTRODUCTION 55
la divinité proprement dite du Fils et son égalité avec le
Père dans l'unité numérique de substance. Cette position
en quelque sorte mitoyenne n'a rien d'incompréhensible
dans le parti antinicéen, au sein duquel toutes les nuances
doctrinales, depuis l'hérésie nette et brutale jusqu'à l'ortho
doxie équivalente, étaient représentées1, et où les excès
mêmes des extrémistes de l'arianisme ramenaient les
modérés vers la vérité, à la grande joie des fidèles, que cette
évolution remplissait de l'espoir d'un retour complet de
ces égarés2. Les Tropiques de Thmuis avaient fait un pas,
un grand pas peut-être, mais non pas le pas décisif vers
l'orthodoxie; ils résistaient ou luttaient encore pour tenir
une dernière partie de leurs opinions anciennes3. Mais la

1 On sait que, dans le camp de l'opposition au concile de Nicée,


surtout à partir des environs de 340, on s'entendait beaucoup plus
pour exclure de la communion ecclésiastique les Occidentaux et les
Orientaux nicéens que pour énoncer nettement une doctrine précise
et unique. Les Antinicéens ou Eusébiens formaient un parti ecclé
siastique plutôt qu'une confession de foi ou même qu'une école
théologique. Tandis que les chefs, comme Eusèbe de Nicomédie,
étaient réellement ariens, on rencontrait dans le groupe de leur
communion des évêques qui, comme Eusèbe d'Émèse, étaient d'une
opinion beaucoup plus modérée ou même qui, comme saint Cyrille
de Jérusalem, étaient tout à fait orthodoxes, sans cependant com
muniquer avec les Nicéens ni. employer la terminologie dogmatique
consacrée par le grand concile. On peut voir à ce sujet un article
sur La position de saint Cyrille de Jérusalem dans les luttes provoquées
par l'arianisme (dans la Revue d'histoire ecclésiastique, 1924, t. XX,
pp. 187-190).
* Ce furent encore les excès de l'anoméen Eudoxius de Germanicia,
devenu évêque d'Antioche, en faveur de l'arianisme pur, qui provo
quèrent, en 358, la réaction des évêques eusébiens du concile d'Ancyre
et la création du parti modéré des Homoïousiens. On sait avec quelle
bienveillance et quelle condescendance ces derniers furent traités
par les grands chefs et champions de l'orthodoxie nicéenne qu'étaient
saint Hilaire et saint Athanase; voir à ce sujet G. Bardy, La crise
arienne, dans l'Histoire de l'Église, publiée sous la direction de
A. Fliche et V. Martin, t. III (Paris, 1936), pp. 155-161.
3 Le cas des Tropiques est très semblable à celui de Macédonius
de Constantinople, donné habituellement comme le chef des Pneuma-
tomaques, tel qu'il est exposé par Théodoret, Hist. eccles., 1. II,
ch. V (P. G., LXXXII, 997 C). La doctrine de Macédonius est égale
ment donnée comme une orthodoxie équivalente touchant le Fils,
56 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
doctrine de compromis, à laquelle ils prétendaient s'arrêter,
portait en elle-même ses faiblesses; saint Athanase les a
perçues et comprises et il s'en inspire habilement pour fixer
les caractères et la méthode de la discussion qu'il engage
avec eux pour les réfuter et les convaincre1.

La pneumatologie de saint Athanase. — Il n'est pas inutile


d'expliquer tout d'abord deux particularités de l'exposé
doctrinal que saint Athanase fait dans ses Lettres à Sérapion,
afin d'éviter l'étonnement qu'elles pourraient produire chez
des lecteurs non avertis.
On trouvera peut-être étrange que, dans cette discussion
qui porte spécifiquement sur la divinité du Saint-Esprit,
l'auteur s'arrête si fréquemment et si longuement à la
considération de la doctrine touchant le Fils. Non seulement
il y consacre toute la première partie de sa deuxième lettre,
mais on le voit y revenir encore continuellement dans le
reste de la correspondance. Saint Athanase a pris soin de
justifier cette manière d'agir. De la connaissance de la
doctrine au sujet du Fils, déclare-t-il (625 A-B), on peut
heureusement tirer la connaissance de la doctrine au sujet
de l'Esprit, parce que la condition propre dans laquelle

mais comme une hérésie touchant le Saint-Esprit. Les Ariens, dit


Théodoret, avaient élevé Macédonius au siège de Constantinople,
le croyant partisan de leur doctrine parce que, comme eux, il blas
phémait le Saint-Esprit en l'appelant une créature; mais ils le
chassèrent bientôt parce qu'il ne supportait pas qu'on appelât créa
ture celui que la divine Écriture appelle Fils. Ainsi, ajoute Théodoret,
Macédonius devint le chef d'une hérésie spéciale, qu'il décrit comme
suit : « Il ne disait pas, lui non plus, que le Fils est consubstantiel
au Père, mais il enseignait qu'il est semblable en tout à celui qui l'a
engendré; quant à l'Esprit, il l'appelait ouvertement créé ». C'est
bien, comme chez nos Tropiques, une réaction décidée coiltre l'aria-
nisme et ce qu'on pouvait prendre pour une orthodoxie, non pas
formelle, mais équivalente touchant le Fils, associée à une profession
nette de la doctrine arienne touchant le Saint-Esprit.
1 Quelle que soit l'énergie de certaines de ses appréciations et de ses
menaces, saint Athanase montre cependant (608 B; 636 D) qu'il vise
aussi et espère la conversion des Tropiques.
INTRODUCTION 57
le Fils est à l'égard du Père est exactement celle dans
laquelle l'Esprit est à l'égard du Fils. Il y a donc, pour
l'évêque d'Alexandrie, une solidarité réelle entre ces deux
doctrines. Outre sa vérité et les facilités pratiques qu'il
assure dans l'établissement de la vérité au sujet de la
troisième Personne, il y a, pour rappeler et employer ici
ce principe, une raison d'opportunité dans la présente
discussion. En effet, une fois ce principe démontré et reçu,
l'opinion de gens qui dénient la qualité de créature au Fils
et l'attribuent au Saint-Esprit, apparaît illogique et
insensée, comme saint Athanase le fait remarquer dès le
début à propos de la position doctrinale des Tropiques
(532 C). Chaque fois que ce parallélisme est évoqué, la
démonstration se renforce d'une argumentation ad homi-
nem contre les adversaires.
Ce qui ne manquera pas non plus de frapper dans nos
lettres, c'est la teneur négative de la thèse principale
que l'auteur y défend, du thème auquel il revient constam
ment. Pour réfuter les Tropiques définitivement et du
premier coup, n'eût-il pas été beaucoup plus simple de
démontrer directement et immédiatement que le Saint-
Esprit est Dieu, deôs comme le Père et le Fils? Or, il faut
bien constater que pas une seule fois, au cours de ces
longues discussions et explications, saint Athanase ne
donne ce nom de deôs à la troisième Personne. Il admet
sans aucun doute, comme on le verra, que le Saint-Esprit
est Dieu et le proclame même consubstantiel au Père et
au Fils, mais la proposition formelle et explicite de sa
doctrine est toujours négative : le Saint-Esprit n'est pas
une créature, n'est pas un ange. La polémique qu'il mène
explique qu'il prenne ainsi le contre-pied de l'erreur qu'il
veut réfuter; la loi, qu'il semble s'imposer, d'éviter l'emploi
du nom de 9e6s en parlant du Saint-Esprit, tient chez lui
comme chez d'autres Pères de son temps, à l'état de la
58 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
doctrine à cette époque et au souci de ne mettre à priori
aucun obstacle à la conversion des hérétiques1.
De sa doctrine positive touchant le Saint-Esprit,
saint Athanase nous livre, dans ces lettres, des éléments
épars. Nous nous efforcerons de les recueillir et de les
présenter dans un exposé aussi ordonné et aussi systé
matique que possible en les rattachant à trois points :
l'être du Saint-Esprit, son rapport avec les deux autres
Personnes divines et enfin, son mode d'origine.
1° Tout d'abord, le Saint-Esprit existe; il est un être
réel et subsistant. On comprend que saint Athanase ne
s'arrête pas à démontrer cette existence réelle, qui n'est
nullement contestée par les adversaires. Il la trouve
d'ailleurs clairement attestée dans les sources de sa foi
et de sa doctrine. Le Nouveau Testament l'affirme dans
la formule baptismale, que saint Athanase rappelle en
notant qu'elle est le fondement donné par le Seigneur
à la foi de son Église (596 B-C). Toute l'Écriture fournit
d'abondantes mentions de l'Esprit et de ses activités
diverses. L'Église proclame cette existence par la confession
d'une Trinité véritable, reconnue comme Dieu dans le
Père et le Fils et le Saint-Esprit (596 B). Il arrive que
1 La doctrine du Saint-Esprit est beaucoup moins mise en lumière
dans l'Écriture que celle du Fils; au temps où saint Athanase écrit,
il en va de même dans la tradition ou l'enseignement ecclésiastique et
l'on sait que le concile de Nicée, dans sa définition de foi, si formelle
touchant la divinité et la consubstantialité du Fils, n'a donné qu'une
simple mention au Saint-Esprit. Comme nous l'avons dit ailleurs
(art. cit., p. 382), Saint Cyrille de Jérusalem, qui admet certainement
la divinité de la troisième Personne et étend même jusqu'à elle, en
réalité, la consubstantialité que le concile de Nicée n'avait encore
définie que pour le Père et le Fils, « est de son temps en ne donnant
jamais formellement au Saint-Esprit le nom de deôs, Beos àXr)6ivos,
comme il le donne au Fils ». On peut rappeler encore ce qu'écrit
J. Tixeront (Histoire des dogmes dans l'antiquité chrétienne, 8e édit.,
t. II, p. 80 ): « Par un scrupule tout de politique, et pour ne pas heurter
de front les adversaires qu'il voulait ramener, saint Basile, dans son
traité De Spiritu Sancto, tout en prouvant d'un bout à l'autre la
divinité du Saint-Esprit, a évité de le nommer Dieu ».
INTRODUCTION 59
notre Docteur présente le Saint-Esprit comme une force,
comme un don du Verbe ou Fils, mais il n'entend pas nier
par là l'existence substantielle, la personnalité distincte
de l'Esprit, car cette force sanctificatrice et illuminatrice
est vivante (580 A). La Trinité confessée par l'Église,
fait-il remarquer, n'est pas une trinité purement nominale,
qui s'arrêterait à des mots, mais elle existe comme telle
en vérité et en réalité : le Père est l'Existant, et de même
son Verbe, et le Saint-Esprit n'est pas sans existence,
mais il existe et subsiste vraiment (596 B). Si saint Atha-
nase avait eu, dans son vocabulaire théologique, un terme
technique pour désigner ce que nous appelons une
« personne », il l'aurait employé aussi sûrement au sujet
du Saint-Esprit qu'au sujet du Père et du Fils1.
Etre réel et subsistant, le Saint-Esprit est, par sa nature,
Dieu. Nous avons déjà dit pourquoi saint Athanase
n'affirme pas formellement et explicitement cette divinité;
mais, pour être indirecte, la démonstration qu'il en donne
ne laisse pas d'être claire et concluante. Elle apparaît
tout d'abord dans les négations catégoriques et explicites
qu'il oppose à l'attribution au Saint-Esprit du nom de
créature (par exemple, 561 A; 561 B; 569 C) et dans les
jugements qu'il porte sur les Tropiques et sur leur doctrine.
Ces gens, dit-il, tiennent un langage insensé (648 B);
ils agissent en impies (608 C), ont l'impudence des héré
tiques (637 A), ne tiennent la foi correcte ni au Fils ni
au Père (533 B-C) et se rattachent à l'impiété de Valentin

1 Ce terme manquait à saint Athanase, qui n'employa en ce sens


ni îrpoocoirov, ni vnocrracris. Ce dernier terme est toujours pris par
lui comme synonyme de ovoia, pour marquer la substance concrète.
(Cf. G. Bardy, Didyme d'Alexandrie, p. 61, Paris, 1910). Il ne s'est
pas servi, en particulier, de la formule rpeîs îmooracreis, car les cas
d'emploi qu'on en a signalés sont des interpolations ou se rencontrent
dans des écrits dont l'authenticité athanasienne n'est pas établie.
Voir à ce sujet une note dans la Revue d'histoire ecclésiastique, 1925,
t. XXI, pp. 527-529.
60 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
(556 C). Leur doctrine est une ignorance (580 C), une
fiction déraisonnable (605 A), une aberration (557 A), une
pensée mauvaise (636 C), une erreur (536 A), une vraie
opposition à la foi orthodoxe (532 A), un blasphème contre
la Trinité égal à celui des Ariens (532 A; 556 B). Un tel
langage serait-il possible et explicable si celui qui le tient
n'était pas convaincu de la divinité du Saint-Esprit niée
par les Tropiques?
Cette conviction, saint Athanase la manifeste encore en
donnant au Saint-Esprit des attributs qui, tout à la fois,
le différencient des créatures et l'égalent au Père et au
Fils. Il faut voir quels sont ces attributs, comment saint
Athanase les conçoit et quel rôle il leur fait jouer dans son
argumentation.
Le Saint-Esprit est unique, tandis que les créatures sont
multiples. Il y a, expose saint Athanase (593 B; 629 B),
beaucoup d'anges, beaucoup d'astres, etc.; en un mot,
aucune créature n'est unique dans son espèce, mais
toutes sont nombreuses, comme elles sont variées. Au
contraire, l'Esprit-Saint est unique. Il tire de là qu'il
n'y a aucune ressemblance entre l'Esprit et les créatures.
Ce raisonnement suppose qu'il attribue au Saint-Esprit
non seulement l'unité de fait, mais l'unicité nécessaire et
absolue : pour lui, il ne peut y avoir qu'un Esprit-Saint.
Cette unicité est mise en rapport avec celle du Père et
du Fils : si, raisonne-t-il (629 B), le Fils n'est pas créature
parce qu'il n'est pas d'entre beaucoup (twv iroÀAwv),
mais est un comme le Père est un, l'Esprit n'est donc
non plus nullement créature, n'étant pas d'entre beaucoup,
mais étant un seul, lui aussi. Ailleurs (577 C) il déclare
qu'il faut croire à l'unique sanctification, qui s'opère du
Père par le Fils dans l'Esprit : en effet, comme le Fils est
unique engendré, ainsi l'Esprit donné et envoyé par le Fils
est unique, lui aussi, et non pas plusieurs, ni un d'entre
INTRODUCTION 61
beaucoup, mais est seul Esprit. La raison de l'unicité
nécessaire du Saint-Esprit peut être trouvée immédiate
ment dans l'unicité du Fils, par lequel l'Esprit vient du
Père : le Fils, le Verbe vivant, étant unique, il faut, dit
saint Athanase, qu'unique soit, pleine et parfaite, la force
sanctificatrice et illuminatrice et la gratification, laquelle
est dite procéder du Père parce que c'est de par le Fils, qui
est confessé (tirer son origine) du Père, qu'elle resplendit et
est envoyée et donnée (580 A). L'unicité sépare donc
l'Esprit des créatures, qui sont nécessairement multiples,
et le révèle Dieu comme le Père et le Fils.
Le Saint-Esprit est immuable, tandis que les créatures
sont changeantes (589 C et suiv.). Saint Athanase donne
cet attribut, qu'il trouve affirmé dans divers passages
de l'Écriture, comme établissant que l' Esprit-Saint est
au-dessus de la création, différent de la nature des choses
venues à l'existence. En effet, remarque-t-il, la nature
des créatures est soumise au changement, en tant qu'elle
est en dehors de la substance de Dieu et qu'elle a surgi
du néant; l'Écriture montre d'ailleurs que les hommes, les
anges et même les démons ne jouissent pas de l'immu
tabilité. La conclusion directe de cette argumentation
(592 B) est encore que l'Esprit-Saint n'est ni créature, ni
de la substance des anges; mais la pensée de saint Athanase
va évidemment plus loin, jusqu'à la divinité de l'Esprit,
lorsqu'il note que l'Esprit partage l'immutabilité du Fils,
demeure toujours immuable avec lui, est l'image du Verbe
et le propre du Père. •
Le Saint-Esprit est immense, tandis que les créatures
sont confinées en des lieux particuliers. L'Esprit, remarque
saint Athanase (592 C tit suiv.), remplit toute la terre,
comme l'Écriture le proclame; au contraire, les créatures
ne sont pas partout, mais, par exemple, les astres sont au
firmament, les nuages dans l'air, les hommes groupés en
62 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
nations, les anges envoyés en des lieux où ils n'étaient pas
auparavant. Rigoureusement parlant, cela n'établit encore
pour le Saint-Esprit que l'ubiquité et n'autorise encore
que la conclusion directe qu'il n'est ni créature, ni ange.
Mais déjà saint Athanase met son omniprésence en rapport
avec celle du Fils et en fait ainsi un attribut divin. Ailleurs
(629 C et suiv.), il reprend et complète cette doctrine, la
poussant jusqu'à l'affirmation de l'immensité et accentuant
le parallélisme avec le Fils. Les créatures, remarque-t-il,
sont toutes limitées par le lieu; le Fils, lui, n'est pas
créature puisque, n'étant pas dans des endroits circonscrits,
mais étant dans le Père, il est partout et en dehors de
toutes choses; en conséquence, l'Esprit non plus ne peut
pas être créature, puisqu'il n'est pas non plus restreint à
des lieux particuliers, mais remplit tout et est en dehors de
toutes choses. C'est bien là l'immensité proprement dite
attribuée au Saint-Esprit que, de ce chef, saint Athanase
place sur le même plan que le Fils et le Père : David se
demande où il se réfugiera pour échapper à l'Esprit,
en tant que celui-ci n'est pas dans un lieu, mais est en
dehors de toutes choses, dans le Fils comme le Fils est
dans le Père (632 A).
Le Saint-Esprit est éternel tandis que les créatures
n'étaient pas avant d'être amenées à l'existence. La Trinité,
dit saint Athanase (636 B-C), est éternelle comme Trinité;
elle n'a pas été d'abord dyade, pour devenir ensuite
Trinité, ce qu'il faudrait admettre si l'Esprit était créature.
Si la Trinité est éternelle comme telle, l'Esprit n'est pas
plus créature que le Fils, mais il coexiste éternellement
avec le Fils, en qui il est. C'est bien là encore affirmer
indirectement que l'Esprit est Dieu comme le Père et le Fils
dans la Trinité.
Enfin, le Saint-Esprit, loin d'être créé comme les choses
produites, joue un rôle actif dans la création. Saint Athanase,
INTRODUCTION 63
voulant apporter un dernier argument contre l'hérésie
arienne et tirer de l'analogie avec la doctrine touchant
le Fils un nouvel élément de connaissance et de lumière
touchant le Saint-Esprit (632 A-C), établit par l'Écriture
que le Fils est créateur comme le Père et, partant, n'est pas
du nombre des créatures. Dès lors, poursuit-il, il est
manifeste que le Saint-Esprit n'est pas non plus créature,
car le Psalmiste1 le montre intervenant dans la production
des créatures. En effet, le Père crée toutes choses par le
Verbe dans l'Esprit, puisque là où est le Verbe, là aussi est
l'Esprit, et les choses créées par l'intermédiaire du Verbe,
tiennent de l'Esprit par le Verbe la force d'être2.
Outre les propriétés divines qu'il lui attribue, saint Atha-
nase tire encore du trésor des Écritures divers témoignages
qui, en excluant le Saint-Esprit du monde des créatures,
le montrent en réalité vrai Dieu. Ainsi, tandis que les
créatures viennent du néant, le Saint-Esprit est de Dieu
(ê/c rov deov) : dire que le Saint-Esprit est créature, c'est
dire qu'il vient du non-être (e* rov firj ovros) et faire égale
ment de Celui de qui (èÇ oiï) il est, une créature (581 B).
L'Esprit scrute les profondeurs de Dieu : si l'Écriture
déclare que nul ne connaît ce qui se passe dans un homme,
si ce n'est l'esprit de l'homme qui est en lui, il faut dire
que l' Esprit-Saint est en Dieu, à moins que l'on ne veuille
prétendre que l'esprit de l'homme est en dehors de l'homme
(581 B-C). L'Esprit-Saint est appelé- Esprit de sainteté
et de renouvellement, tandis que les créatures participent
1 Ps. cm, 29-30.
* Cette dernière affirmation est encore tirée de l'Écriture (Ps.
XXXII, 6). On remarquera la prudence du langage de saint Athanase :
tant pour éviter de rebuter inutilement les adversaires que pour s'en
tenir aux déclarations explicites de l'Écriture, il ne donne pas à
l'Esprit-Saint le nom de Krlorr/s, mais il dit que iv rû> KrlÇeiv iorlv,
comme il ne l'appelle pas àthiov, ou ovvaidiov, mais il se contente
de le dire àlSlwç ovvov râ> Aoya> Kal iv aùrâ> ôV. Il lui décerne
cependant ainsi les deux attributs divins.
64 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
à la sanctification et à la rénovation; il est vivifiant et les
créatures sont vivifiées par lui; il est le chrême et le sceau
par lequel les créatures sont marquées et ointes (584 A-C),
etc, etc. Inutile de poursuivre le relevé des argumentations
du même genre, que l'on retrouvera facilement dans le
texte de la première section de la deuxième partie de la
première lettre (n. 21 b-27). En concluant négativement,
à de multiples reprises, que le Saint-Esprit n'est pas
créature, n'a en commun avec les créatures ni ressem
blance, ni propriété, ni parenté (ô/iowmjs, t'Sidnjs,
585 A; 593 B; 588 A), Athanase reste fidèle à
son but et à sa réserve habituelle, mais sa pensée va
sûrement plus loin, jusqu'à la divinité proprement dite
du Saint-Esprit. Il dit d'ailleurs assez clairement (585 C-
588 A) que si, par l'Esprit, nous devenons participants de
la nature divine, et si ceux en qui l'Esprit se trouve sont
divinisés, il n'est point douteux que sa nature ne soit celle
de Dieu.
Telle est également la portée réelle de l'argument que
saint Athanase tire, contre l'opinion des Tropiques, du
fait incontestable et incontesté que le Saint-Esprit appar
tient à la Trinité. Souvent et avec une insistance marquée,
notre Docteur enseigne que la Trinité, telle que le Christ
l'a révélée dans la formule baptismale et sur laquelle il a
fondé la foi de son Église (633 C), est indivise, inséparable,
parfaitement unifiée en elle-même, semblable à elle-même,
sans qu'il y entre d'élément étranger, dissemblable, d'autre
nature ou substance, en particulier, rien de créé (569 C;
577 A; 636 A; 597 B; 572 B; 600 A, etc). Ce qu'il veut dire
par là, c'est que la Trinité est parfaitement homogène
en elle-même, parfaitement une quant à son être, sans
distinction ni mélange d'éléments hétérogènes, d'incréé
et de créature : elle est tout entière un seul Dieu (569 C),
son être est l'unique divinité (636 B). Dès lors, tout ce qui
INTRODUCTION 65
appartient à la Trinité, tout ce qui est rangé avec le Père
et le Fils, compté et glorifié avec eux dans la Trinité, est
nécessairement Dieu : le nier, ainsi que saint Athanase
l'oppose souvent à ceux qui prétendent que le Saint-Esprit
est créature, c'est détruire la Trinité en la réduisant à
n'être qu'une dyade plus une créature, c'est perdre la foi
correcte même dans le Père et le Fils (601 A; 596 C; 597 B
et déjà 533 A). La portée réelle de telles argumentations
n'échappera à personne : même si elles ne sont proposées
directement et ne concluent formellement que contre
l'erreur des Tropiques, elles manifestent clairement chez
saint Athanase la foi nette et ferme en la divinité propre
ment dite du Saint-Esprit.
Réel et subsistant, nullement créature, mais doué des
attributs divins, exerçant les activités divines et appar
tenant à la Trinité parfaitement homogène, le Saint-Esprit
est donc, quant à son être, vrai Dieu comme le Père et
le Fils.
2° Nos lettres nous instruisent également sur le rapport
dans lequel le Saint-Esprit se trouve avec les deux autres
Personnes divines. Il faut distinguer ici le rapport dans
l'ordre personnel, comme de personne à personne, et
le rapport dans l'ordre substantiel, comme de substance à
substance, de réalité à réalité.
La distinction entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit
dans l'ordre personnel est certainement réelle, bien que,
comme il a déjà été noté, saint Athanase ne puisse pas
encore l'exprimer formellement par la profession de la
pluralité ou de la trinité des viroordoeis ou des -npouama en
Dieu1. Elle apparaît évidemment par le fait qu'il reconnaît
et confesse, en même temps que l'unité de Dieu et de
divinité, la Trinité réelle et véritable, n'existant pas seule-

1 Cf. supra, p. 59, n. 1.

Lettres à Sérapion. 5
66 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
ment dans les mots et les noms, et comprenant l'Esprit-
Saint avec le Père et le Fils (596 A-B). Elle est encore mise
en lumière et énergiquement maintenue lorsque saint Atha-
nase écarte les questions impertinentes des adversaires, qui
demandent comment le Saint-Esprit, s'il n'est pas une
créature, n'est pas fils lui aussi, frère ou fils du Fils et petit-
fils du Père (Ep. IV, n. 3-6). En cette matière mystérieuse,
déclare-t-il, on doit s'en tenir à l'enseignement de l'Écri
ture et, évitant toute curiosité imprudente et indécente,
admettre la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, une seule
divinité, révélée par Dieu lui-même (641 A-B). L'Écriture
ne mêle jamais ces noms; il faut les garder distincts (645 B;
648 B). L'hérésie de Sabellius doit être rejetée aussi bien
à propos de l'Esprit qu'à propos du Père et du Fils (644 C).
Dans l'ordre substantiel, le rapport que saint Athanase
reconnaît et affirme pour le Saint-Esprit avec le Père et
le Fils est, si l'on peut ainsi parler, un rapport d'identité,
d'unité numérique : la substance, la réalité est, dans
les trois Personnes divines, rigoureusement unique et la
même. On pourrait en noter de multiples preuves de
détail dans ses déclarations et ses explications : toutes
reviennent à l'affirmation de l'unité, certainement numé
rique, de la divinité dans la Trinité, dans le Père, le Fils et
le Saint-Esprit (569 B; 641 B; 648 B). Cette unité est
une conséquence nécessaire de l'enseignement de saint
Athanase touchant l'homogénéité de la Trinité, à laquelle
le Saint-Esprit appartient et qui est tout entière un seul
Dieu (596 C), une seule divinité (565 B; 569 B), unifiée en
elle-même (565 A), sans mélange d'élément différent,
étranger à elle (636 A); elle est impliquée dans l'affirmation
de la circuminsession des trois Personnes divines (577 A;
629 A-B) et de la possession par l'Esprit de tout ce que
possèdent le Père et le Fils (625 B). La nature du Saint-
Esprit, dit encore saint Athanase, n'est pas celle des
iNtTRÔDUCTlOfc 6?
créatures, mais celle de Dieu, du Père et du Fils (585 C;
588 A); par sa nature et sa substance1, il n'a rien de commun
avec les créatures, rien qui leur soit propre (593 C), mais
il est propre2 au Père, à la divinité du Père, propre aussi
au Verbe, à la substance et à la divinité du Fils, par laquelle
il appartient aussi à la Trinité (589 A-B; 605 A). La doctrine
qui fait du Saint-Esprit le « propre de la substance, de la
divinité » du Père et du Fils3 se rapproche à tout le moins
de la confession de sa consubstantialité avec les deux
autres Personnes divines. Cette consubstantialité, d'ailleurs,
saint Athanase, dans ses lettres à Sérapion, l'enseigne
équivalemment, en niant que le Saint-Esprit soit, dans
la Trinité, un élément de substance étrangère et différente
(àXXo-rpioovmov, 636 A; irepoovoiov, 533 A), et formelle
ment, en déclarant qu'il est unique, propre et consubstan-

1 Les termes nature (<j>vois) et substance (ovoia) sont pris par


saint Athanase dans le sens de réalité concrète et marquent en Dieu
la réalité divine, la divinité.
* Sur le sens et la valeur des expressions propre (iSioj), propre de
la substance ("Sioî rfjs ovotas), fréquemment employées par saint
Athanase au sujet du Fils et du Saint-Esprit, on consultera utilement
l'étude très fouillée qu'en a faite C. Haurbt dans sa thèse doctorale
intitulée : Comment le « Défenseur de Nicée « a-t-il compris le dogme de
Xicée? (Bruges, 1936). En matière trinitaire, chez saint Athanase,
le terme ïStos marque la relation la plus intime, absolument immé
diate, unique et nécessaire, d'appartenance exclusive de celui à qui
il est appliqué à l'égard de celui à qui il est ainsi rapporté; il semble
même que, dans-la formule susdite, saint. Athanase attache au terme
tStos.outre l'idée d'appartenance, une certaine idée d'origine, de sorte
que l'îStov rfjs ovoias apparaisse en quelque sorte comme le jail
lissement, le fruit naturel et nécessaire de la ovoia, sans lequel
celle-ci ne peut pas être.
* C. Hauret (o. c, p. 55-56) observe* que les lettres à Sérapion ne
donnent pas au Saint-Esprit la qualité de ÏSiov rrjs ovoias du Père,
mais seulement du Fils. La remarque est vraie, mais ne parait pas
avoir grande importance, car saint Athanase dit (589 B; 605 A)
crue l'Esprit est ïhiovrîjsrov Ilarpos deôrrfTos, et obvia et $eôm]s
sont évidemment synonymes (593 C, l'Esprit est IBiov rîjs tov Yiov
crùaias Kal OeorrjTos). D'ailleurs, l'expression même ne répugne
nullement à l'évêque d'Alexandrie, qui écrit, par exemple, dans le
Tome aux Antiochiens (n. 5; P. G., XXVI, 801 B) que l'Esprit est
tSiov Kaï àBiaiperov rijs ovoias tov Yiov koÙtoû ITarpos.
68 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
tiel à l'unique Verbe et à l'unique Dieu1 {éfmovaiov,
593 C). Il étend ainsi à la troisième Personne divine le
rapport d'unité numérique de substance concrète2 que le
1 Kal tov Beov ivôs ôvros ïBiov. On se rappellera que, pour
saint Athanase, o 6eos c'est le Père.
* Ce sens du terme ôfioovoios chez saint Athanase est bien établi
et généralement reçu par les auteurs à l'heure actuelle. Sans le mettre
en doute, K. Hoss (Studien iiber das Schrifttum und die Theologie des
Athanasius, p. 53, Fribourg e. Br. 1899) a prétendu l'attribuer aussi
au terme Sfioios, dont saint Athanase fait un fréquent usage, en
certaines de ses œuvres, en parlant du rapport du Fils au Père.
Hoss écrit que « 5fioios et ôfioovoios peuvent s'échanger », mais son
opinion s'appuie sur une erreur de lecture et d'interprétation qu'il
faut bien signaler et redresser ici, parce qu'elle affecte un passage
de la deuxième lettre à Sérapion (n. 3; 612 B). En cet endroit, saint
Athanase, voulant montrer que le Fils n'est pas une créature, compare
sa nature avec celle des créatures et, en particulier, avec celle des
hommes. De ces derniers, il écrit, d'après l'édition bénédictine :
« <&v iofiev Sfioioi, Kal rrjv ravror-qra exofiev tovtwv, Kal éiioov-
oiol iofiev ». Montfaucon a traduit : « Nam quorum sumus similes, eam-
dem quoque quam illi naturam habemus, atque adeo consubstantiales
sumus »; c'est là, plutôt qu'une traduction rigoureuse, une paraphrase
soucieuse d'écarter, sans y réussir d'ailleurs, la difficulté qui apparaît
nettement si l'on traduit littéralement le texte : « De ceux à qui nous
sommes semblables, nous avons aussi leur identité et nous sommes
consubstantiels ». En effet, la conclusion qui, de l'Sfioios, tire immé
diatement la ravrorrjs et l'o/aoot;o-ios', est en contradiction avec
d'autres énoncés dans lesquels saint Athanase déclare explicitement
que ôfioiov n'est pas ravrôv, ainsi qu'avec le sens toujours attaché
à ôfioovoios. Hoss semble bien avoir perçu l'anomalie et, sans doute
pour y remédier, il a, sans en avertir le lecteur, déplacé le pronom
rovrœv et transcrit ainsi le texte : « <Lv iofiev ôfioioi, tovtcuv Kal Trjv
ravrrÔTt]ra exofiev, Kal 6fioovoiol iofiev ». Peine perdue, car la
difficulté subsiste tout entière et le texte ainsi lu conduit Hoss à
une opinion qui n'est pas recevable. Le remède est aussi simple que
clair : en réalité, la correction qui s'impose consiste à placer la virgule,
non pas après, mais avant le pronom rovrœv, ce qui donne comme
traduction : « De ceux dont nous sommes 5fioioi et dont nous avons
la ravrOrrjs, de ceux-là nous sommes aussi ôfioovoioi ». Il suffit de
lire la suite immédiate de la phrase de saint Athanase pour se con
vaincre de la nécessité de cette correction : « âvdpaxroi yovv ôixoioi
Kal [rrjv] ravrôrrp-a ê^ovres, ôfioovoioi io-fiev a\XqX(ov : ainsi
donc, étant des hommes ofioioi et ayant la TavroYij? [entre nous],
nous sommes ôixoovoioi les uns aux autres ». La pensée de saint
Athanase est claire : pour lui, ce n'est pas de l'ô/xoios* seul, mais de
la réunion de l'Sfioios et de la ravrÔrrjs, que 1' ôixoovoios est la
conséquence immédiate et l'équivalent. La même explication se ren
contre déjà sous sa plume dans son écrit Sur les décisions du synode de
Nicée, n. 20 (P. G., XXV, 452 B),
INTRODUCTION 69
concile de Nicée avait affirmé, dans sa définition, pour les
deux premières Personnes, et son expression authentique,
le consubstantiel nicéen.
Personnellement distinct du Père et du Fils, le Saint-
Esprit est, par sa réalité substantielle, parfaitement un
avec l'un et l'autre : ainsi se trouvent sauvegardées l'unité
de Dieu et la Trinité des Personnes divines1.
.

3° Demandons-nous, enfin, comment saint Athanase


détermine, dans nos lettres, l'origine du Saint-Esprit.
Ici encore, et ici surtout peut-être, la pneumatologie
de saint Athanase ne dépasse guère les affirmations
directes et explicites de l'Écriture. C'est aux paroles et
aussi aux silences de l'Écriture qu'il renvoie les adversaires
lorsqu'il oppose à leur erreur la vérité de la doctrine et
lorsqu'il blâme leurs recherches indiscrètes et leurs
questions impudentes. S'il déclare insensé de dire ou de
penser que l'Esprit est frère du Fils et petit-fils du Père,
c'est parce que l'Écriture ne lui donne jamais ces noms
(569 B; 641 A-B) : de telles plaisanteries sont le fait de gens
infâmes, qui prétendent scruter les profondeurs de Dieu,
que l'Esprit de Dieu est seul à connaître (568 A). Pour la
même raison, il suffit aux fidèles de savoir que l'Esprit
n'est pas une créature, c'est-à-dire, qu'il est Dieu et appar
tient à la Trinité : ce qui a été confié à la foi, ce n'est pas
par la sagesse humaine, mais bien dans la soumission de
la foi qu'il convient de le méditer (569 C). En conséquence,

1 On pourrait encore relever dans nos lettres d'autres détails au


sujet du Saint-Esprit. On ne juge pas nécessaire de les noter ici
parce que ce sont des données purement scripturaires, auxquelles
saint Athanase n'a encore fait subir aucune élaboration théologique :
telle est, par exemple, l'attribution au Saint-Esprit de l'appellation et
de la qualité d'image (e'iKwv) du Fils (577 B; 588 B; 592 B; 641 A),
expressément appuyée au texte de Rom., VIII, 29.
70 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
saint Athanase saura parler avec l'Écriture et se taire
avec elle1.
A la différence des créatures, qui sont tirées du néant
(éf ovk Svruiv), le Saint-Esprit tire son origine de Dieu;
il est dit eK tov Qeov : c'est la parole de l'Écriture en
I Cor., II, 12. Comme Dieu n'est pas le néant, mais l'Être
même, cette origine suffit pour démontrer que l'Esprit
n'est pas une créature (581 A). Il n'est pas douteux que,
pour saint Athanase, Dieu (fleos) ne soit ici le Père.
Quand il précise le mode selon lequel l'Esprit tire son
origine de Dieu, il s'en tient encore rigoureusement à
l'expression employée par l'Écriture2 : l'Esprit-Saint
procède du Père (è/c ou irapà. tov IJarpôs iKiropeverat, :
533 B; 560 B; 580 A). Il ne cherche pas à scruter ce mode
d'origine par la considération et l'analyse soit du terme
« procéder » (cKiropeveoOaî), soit du nom d'Esprit {m>evpid).
Lorsqu'il veut réfuter la conclusion absurde des Tropiques
qui prétendent que, si l'Esprit est de (é/c) Dieu, il est
également engendré et fils, saint Athanase se contente
d'en appeler à la distinction toujours maintenue par l'Écri
ture entre les noms de Fils et d'Esprit-Saint. Chacune de ces
deux appellations, dit-il, a sa signification propre : il
explique celle du nom de Fils, qui est claire et révèle la
génération, mais il ne cherche pas à expliquer celle du nom
d'Esprit et passe plutôt à l'expression « Esprit de Dieu »,
qui marque, dit-il, que l'Esprit n'est étranger ni à la nature

1 Un autre Docteur de l'époque, saint Cyrille de Jérusalem, fait


également profession de s'en tenir au même principe. Voici ce qu'il
déclare explicitement au début de sa Catéchèse XVI (n. 2; P. G.,
XXXIII, 920 A), où il commence à traiter spécialement de la troi
sième Personne : « Disons donc au sujet du Saint-Esprit les seules
choses qui ont été écrites. Si quelque chose n'a pas été écrit, n'y
arrêtons pas notre recherche. C'est l'Esprit-Saint lui-même qui a dicté
les Écritures, lui aussi qui a dit de lui-même tout ce qu'il a voulu ou
tout ce que nous sommes capables de saisir. Disons donc ce qu'il a
dit et, pour ce qu'il n'a point dit, n'en ayons pas l'audace ».
» Joh., XV, 26.
INTRODUCTION 71
du Fils, ni à la divinité du Père, c'est-à-dire, n'est pas
créature (641 A-B).
Le Saint-Esprit est de Dieu, procède du Père : c'est là tout
ce que l'Écriture enseigne manifestement à saint Athanase
touchant l'origine et le mode d'origine de la troisième
Personne, et dès lors, selon sa coutume, c'est là tout
ce qu'il en énonce explicitement. Avec saint Paul, il parlera
également de l'Esprit du Fils (rov Yiov, 625 B; cfr Gai.,
IV, 6) et de l'Esprit du Christ (Xpurrov, 557 A; cfr Rom.,
VIII, 9), mais jamais il ne dira que l'Esprit est du (è*c)
Verbe ou du Fils, ni que l'Esprit procède du Fils1. La raison
de ce silence ne doit pas être cherchée bien loin : elle gît
tout entière dans le fait qu'il ne rencontre pas ces expres
sions dans l'Écriture.
S'ensuit-il que saint Athanase n'admet aucune relation
d'origine de l'Esprit à l'égard du Fils et doit donc être
considéré comme adversaire de la doctrine qui fait procéder
le Saint-Esprit du Fils aussi bien que du Père et en même
temps de l'un et de l'autre? Une telle conclusion serait
à tout le moins prématurée et téméraire, car l'opinion
d'un auteur touchant un point dont il ne traite pas formel
lement, demande à être dégagée avec plus de circonspection
de l'ensemble de ses textes. La question doit être circonscrite
dans de justes limites et, pour être vraie et sûre, la réponse
doit tenir compte de plusieurs considérations.
Et tout d'abord, ce serait un anachronisme insupportable
que de requérir d'un auteur du ive siècle toutes les précisions
successives que le travail théologique a laborieusement
obtenues, eussent-elles même été englobées plus tard
par l'autorité du magistère dans la saine compréhension

1 La traduction donnée par C. Hauret (o. c, p. 56, n. 12, premier


texte cité) : « . . .l'Esprit, qui procède du Fils ...» est erronée, car le texte
de saint Athanase, à l'endroit indiqué (533 B), porte : « S irapà rov
Ilarpos iKTropeverai ».
72 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
du dogme. N'exigeons pas de saint Athanase, pour le
croire en accord avec la doctrine de notre foi, qu'il ait déjà
enseigné que le Saint-Esprit procède à la fois, de la même
manière et également immédiatement, du Père et du Fils,
comme d'un seul principe, par une seule et même pro
cession1. Contentons-nous, avec le sens historique qui
convient, d'essayer de reconnaître s'il admet une relation
d'origine de l'Esprit-Saint à l'égard du Fils, comme
à l'égard du Père.
Constatons, en premier lieu, que si saint Athanase ne
confesse jamais explicitement l'existence d'une telle,
relation, jamais non plus il n'y contredit formellement.
Il ne l'exclut pas non plus en disant, par exemple, que le
Saint-Esprit procède du Père seul. Remarquons ensuite
que le schéma trinitaire de la théologie grecque, à laquelle
saint Athanase se rattache naturellement, ne l'engageait
pas à mettre en lumière l'égale et unique relation d'origine
qui rapporte la troisième Personne tout à la fois aux deux
premières. Ce schéma est, comme on l'a dit, en ligne droite :
tout va de Dieu ou du Père par le Fils dans l'Esprit. Ainsi
sont présentées les images de la Trinité que saint Athanase
tire de l'Écriture : le Père est la lumière, le Fils est l'éclat
et nous sommes illuminés dans l'Esprit; le Père est la source,
le Fils est le fleuve et nou^ buvons l'Esprit (573 B-D):
Ainsi conçoit-il toute l'activité divine à l'extérieur
pour nous borner à quelques exemples, le Père par le Fils
dans l'Esprit consomme et renouvelle toutes choses
(553 B), conduisait autrefois le peuple des Israélites et
était parmi eux (561 A-B), parlait dans les Écritures

1 L. Billot, De Deo Uno et Trino (3e édit.), p. 520 écrivait : « Spi-


ritus Sanctus a Pâtre et Filio, tanquam ab uno principio et unica
spiratione procedit », en ajoutant : « Propositio est de flde, ex Lugdu-
nensi II, Florentino, professione fldei Gregorii XIII; et sensus est,
Patrem et Filium non distingui ab inviçem in quantum originant
Spiritum Sanctum, quem spirant una spiratione ».
INTRODUCTION , 73
(565 B), opère la sanctification (577 C), etc., etc. C'est
ainsi qu'il conçoit la circuminsession des personnes divines :
l'Esprit est dans le Fils et par le Fils il est dans le Père
(565 B), et toute la vie et l'activité de la sainte et parfaite
Trinité, reconnue comme Dieu dans le Père et le* Fils et
le Saint-Esprit; « car le Père fait toutes choses par le Verbe
dans l'Esprit, et c'est ainsi que l'unité de la sainte Trinité
est sauvegardée, ainsi que, dans l'Église, est annoncé
un seul Dieu, qui est au-dessus de tous et agit par tous
et est en tous : au-dessus de tous, comme Père, comme
principe et source; par tous, par le Verbe; en tous, dans
l'Esprit-Saint » (596 A). Ces lignes indiquent aussi l'origine
de la formule et la justifient par là : elle est scripturaire,
car la référence à Eph., IV, 6 est manifeste. C'est à l'égard
du Père que saint Athanase énonce formellement une
relation d'origine pour le Saint-Esprit, en répétant l'affir
mation scripturaire : l'Esprit procède du Père. A l'égard
du Fils, l'Écriture lui fournit, pour le Saint-Esprit, de
multiples exemples d'une relation, plus immédiate même
en quelque sorte qu'à l'égard du Père, comme il apparaît
aussi dans son schéma trinitaire en ligne droite. Cette
relation peut certes être une relation d'origine. Qu'elle
le soit, saint Athanase ne semble pas l'avoir jamais dit
expressément. N'est-ce point là, cependant, le fond de sa
pensée, qui se révélerait par certains indices dans ses
paroles? On n'a pas manqué de relever de tels indices, bien
que tous ne paraissent pas également nets et probants1.

1 Voir, par exemple, J. Tixeront (o. c, p. 74). Certains, textes


notés en cet endroit semblent s'expliquer suffisamment par la con-
substantialité du Fils et de l'Esprit, sans indication de relation
d'origine : tels les textes de Ep. III, 1 (625 B; 628 A), dans lesquels
on lit que, si le Fils dit que toutes les choses qui appartiennent au
Pére sont a lui (Joh., XVI, 15), « nous trouverons que toutes ces choses
sont dans l'Esprit 8ià tov Ylov » et que « <z exel IT° Ilvevpa] tov
Ylov ioriv ». La relation d'origine aurait été marquée non par le
simple génitif ou par le génitif régi par Sia, mais par le génitif régi
74 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
Il en est au moins un dont la valeur, en l'espèce, semble
bien réelle : c'est la possession de la qualité de « propre de
la substance » du Fils, que saint Athanase attribue souvent
au Saint-Esprit, cette « propriété » marquant, comme on
l'a déjà dit, outre la notion d'appartenance immédiate1
et intime, une certaine notion d'origine2. En appelant
l'Esprit-Saint « propre » de la substance, de la divinité
du Père et du Fils3, saint Athanase permet d'entrevoir
par cK ou par napâ. On trouvera beaucoup plus expressif le texte du
3e Discours contre les Ariens, n. 24 (P. G., XXVI, 376 A) : «[Le Fils]
lui-même, comme il a été dit, donne à l'Esprit, Kal ocra e^et ro Uvev-
fia irapà rov Aoyov é^ci », ce que l'on peut traduire : « et tout ce
qu'a l'Esprit, il le tient du Fils ». La valeur des prépositions apparaît
bien, par exemple, Ep. III, n. 5 (632 C) : saint Athanase veut montrer
que l'Esprit n'est pas créature, puisqu'il intervient activement dans
la production des créatures. Il dit d'abord, conformément à son
schéma trinitaire, que le Pére crée toutes choses par (Sia) le Verbe
dans (èv) l'Esprit; puis, voulant noter que les créatures doivent leur
origine, par création, aux trois Personnes, il ajoute que les choses
que le Père crée ainsi par (Sio) le Verbe « l^ei èK rov I7vevfia.ros
napà rov Aôyov rrjv rov eîvai loxvv ».
1 Cf. supra, p. 67, n. 2.
* Saint Athanase inclut la notion d'origine dans la qualité de
« propre de la substance », en disant, par exemple, que le Fils est
« propre de la substance » du Père parce qu'il est « du Père », (èn-ciSiî
èK rov Ilarpos èora/,thios rrjs ovarias airrov ècrriv: 588 C), et que,
s'il en est ainsi, il faut nécessairement aussi que l'Esprit, qui est dit
« de (iK) Dieu », c'est-à-dire, du Père, soit propre du Fils selon la
substance, (àvayKrj Kalro TIvevfia, èK rov deov Xeyôfievov, IStov
eïvai Kar' otioiav rov Ylov : 589 A). La logique du raisonnement,
la nécessité de la conséquence sont, sans doute, fournies par le schéma
trinitaire, en vertu duquel tout va du Père par le Fils dans l'Esprit.
C'est aussi par là, semble-t-il, que doit s'expliquer une autre parole de
saint Athanase, Ep. I, n. 20 (580 A). Le Saint-Esprit n'est pas
créature, dit-il, car, tandis que les créatures sont toujours multiples,
l'Esprit jouit nécessairement de l'unicité du Fils, en tant qu'il est sa
parfaite et pleine vivante efficience sanctificatrice et illuminatrice et
sa donation « 7jris èK Ilarpos Xéyerai èKiropeveodai, èveiB-rj napà
rov Aoyov rov è/c Ilarpos 6fioXoyovfiévov ii<Adp.irei, Kal àvno-
oréXXerai Kal Si'Sorai ». Sur quoi le P. Th. de Réonon (Études de
théologie positive sur la sainte Trinité, 3e série, p. 23, Paris, 1898) écri
vait déjà : « Observez la raison pour laquelle le Saint-Esprit procède
du Père : c'est parce qu'il provient du Verbe qui procède du Père.
Il ne procéderait donc pas du Père, s'il ne provenait pas du Fils ».
3 Voir supra, p. 67, n. 3, pourquoi l'on peut dire que saint Atha
nase admet aussi, pour l'Esprit, cette « propriété », à l'égard du Père.
INTRODUCTION 75
qu'il pense, au fond, que la troisième Personne de la
Trinité est rattachée par une relation d'origine à chacune
des deux autres. L'affirmation explicite de saint Athanase
ne dépasse pas celle de l'Écriture et s'en tient au fait de
l'existence d'une telle relation à l'égard du Père : le Saint-
Esprit est eK tov 8eov,eK (ou irapà) tov Ilarpos eKTropeverai.
Ce fait est supposé et insinué pour la même relation à
l'égard du Fils. Quant à la nature spécifique de cette
relation d'origine, elle n'est déterminée que négativement,
en opposition aux objections des Ariens et des Tropiques.
Ce n'est une relation de génération, d'engendré, ni à
l'égard du Père, ni à l'égard du Fils : l'Esprit n'est ni frère
ni fils du Fils, ni fils ni petit-fils du Père, car l'Écriture ne
lui décerne jamais aucun de ces noms, mais seulement
celui d'Esprit de Dieu ou du Père, et du Fils ou du Christ1.

1 Cet usage de l'Écriture, qui ne mêle jamais les noms de Fils et


d'Esprit, mais réserve toujours chacun d'eux à une Personne divine
déterminée, est, semble-t-il, la seule raison que saint Athanase apporte
pour rejeter l'origine du Saint-Esprit par voie de génération. C. Hau-
ret (o. c, p. 56-57) croit pouvoir en assigner une autre, qui dénoterait
chez saint Athanase « un esprit vraiment philosophique ». II rappelle
l'idée énoncée par saint Athanase, dans nos lettres (568 C-569 B;
645 C-D) et ailleurs (1er Discours contre les Ariens, n. 21-23; P. G.,
XXVI, 56 C-57 A; 60 C), savoir, qu'en Dieu seul se vérifient formelle
ment (Kvplws) les notions de paternité et de filiation, parce que seul
Dieu le Père est père sans être fils d'un autre père et Dieu le Fils
est fils sans être père d'un autre fils, à la différence des pères et des
fils parmi les animaux et les hommes, qui cumulent ces deux qualités.
Saint Athanase exclurait la possibilité de l'union de paternité et de
filiation dans le Père ou le Fils au nom de la perfection divine et sous
l'influence des idées de Platon, qui « peuplait le monde intelligible
d'essences à l'état pur «, et qui, de plus, « insistait sur la corrélation
infaillible entre simplicité et perfection d'une part, et diversité et
imperfection, d'autre part ». Dès lors, comme, si l'Esprit-Saint tenait
son être du Fils par génération, le Fils cumulerait filiation et pater
nité, « cette union du divers, cette composition contrarieraient
l'infinie perfection du Logos divin ». Le Fils « propre à l'essence
du Père » procède par génération « parce que son principe, c'est
l'essence d'une Personne qui n'est que Pere »; l'Esprit « propre à
l'essence du Fils », ne procède pas par génération, parce que « son
principe « immédiat » — selon le diagramme grec — c'est l'essence
d'une Personne qui n'est que Fils ». L'explication peut paraître belle
76 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
Bien qu'il ne la confesse pas formellement et explicite
ment, on ne peut pas dire que saint Athanase s'oppose à la
doctrine du Filioque proclamée par la foi catholique. Il ne
s'y oppose pas par son schéma trinitaire : « du Père' par
le Fils dans l'Esprit »; l'élément 8t' Ylov n'y réduit certaine
ment pas le^Fils à un rôle de simple intermédiaire, et
nous admettons aussi que, si le Fils a la vertu de faire
procéder l'Esprit, il la tient, comme tout son être, du Père,
seul principe sans principe. Il ne s'y oppose pas non plus
par son silence qui, d'ailleurs, n'est pas absolu puisque,
comme on croit l'avoir établi, certaines de ses paroles per
mettent de comprendre qu'il admet pour l'Esprit une
relation d'origine à l'égard du Fils. Il suffit d'ouvrir un
de nos manuels de théologie dogmatique pour voir que la
doctrine du Filioque est basée sur des affirmations scriptu-

et ingénieuse; l'historien hésitera à y reconnaître la pensée, même


implicite, de saint Athanase, chez qui il ne trouvera, croit-on, ni
le principe platonicien, ni le raisonnement qui y conduisent. En
répondant en ce point aux objections indécentes reprises par les
Tropiques aux Ariens, saint Athanase manifeste une inspiration, une
mentalité, non pas philosophique, mais scripturaire et réaliste. Si,
pour lui, c'est en Dieu que la paternité et la filiation se rencontrent
Kvpiws, c'est parce que ce n'est pas Dieu qui imite l'homme dans son
activité génératrice, mais, comme dit saint Paul (Eph., III, 15),
c'est du Père que toute trarplo. tient ce nom dans les deux et sur la
terre (P. G., XXVI, 60 C). Si le Père n'est pas fils, mais seulement
père, et père d'un seul fils, c'est parce que l'Écriture lui apprend qu'il
n'y eut pas d'autre Dieu antérieur au Père et donne au Fils le nom
de Monogène (568 C). Si l'Esprit n'est ni fils du Père et frère du Fils,
ni fils du Fils et petit-fils du Père qui serait alors son grand-père, c'est
parce que l'Écriture ne lui donne jamais le nom de fils, mais se con
tente toujours de l'appeler l'Esprit (569 B). S'il faut une explication
à la « propriété » de la paternité et de la filiation respectivement dans
le Père et dans le Fils, saint Athanase la cherche et la trouve dans le
caractère spécial de la génération en Dieu, où elle ne se fait pas,
comme chez les hommes, par communication à l'engendré d'une
partie de l'engendrant, qui le dispose à engendrer à son tour (569 A;
644 C). Nulle part, dans tous ces développements, on ne voit saint
Athanase faire intervenir ni le principe philosophique de Platon, ni
la notion de « propre de l'essence », ni le diagramme grec de la Trinité,
et peut-on bien, dès lors, lui attribuer une explication qui ne s'élabore
qu'à l'aide de tous ces éléments?
introduction 77
raires, que l'on peut ramener à trois : le Saint-Esprit reçoit
du Fils; il est envoyé par le Fils; il est appelé l'Esprit du
Fils ou du Christ. Ces trois affirmations de l'Écriture,
saint Athanase ne les ignore ni ne les rejette, mais, au
contraire, il les rappelle et les invoque fréquemment.
Mais, sur ces énoncés scripturaires, la pneumatologie
postérieure a réfléchi et raisonné. Elle a dégagé de la
considération de la perfection divine ce principe incon
testable : une personne divine ne peut être dite recevoir
d'une autre, être envoyée par une autre, appartenir à
une autre personne divine, que parce qu'elle procède de
cette autre. D'où elle a pu tirer avec clarté et certitude que
le Saint-Esprit procède aussi du Fils, conclusion dont les
définitions du magistère infaillible ont fait un dogme de foi,
le dogme de la procession du Saint-Esprit ex Paire Filioque
ou ab utroque. Saint Athanase n'a pas encore été amené
à dégager ce principe, ni à tirer explicitement la conclusion
de son application aux données scripturaires. Sa pneu
matologie est moins avancée, moins développée, moins
complète que la pneumatologie catholique postérieure,
mais elle ne peut lui être dite opposée. Elle marche de
pair et d'accord avec cette dernière jusqu'au point où,
commence le développement dont il vient d'être question
elle s'arrête à ce point et, pour la suite, elle fait défaut, de
par les circonstances. Et nul ne songera, sans doute, à
comparer deux choses, pour juger de leur opposition aussi
bien que de leur accord, si ce n'est dans les limites où elles
sont l'une et l'autre existantes.
PREMIÈRE LETTRE

A SÉRAP10N

,1. La lettre de ta sacrée Charité m'a été remise au 528 a


désert. Et bien que fût cruelle la persécution déchaînée
contre nous et acharnée la poursuite de ceux qui
cherchent à nous perdre, cependant « le Père des
miséricordes et Dieu de toute consolation »\ nous a
encore consolés par ta lettre. Car en me rappelant ta
Charité et tous mes vrais amis, j'ai cru que vous étiez
alors auprès de moi. Je me suis donc vivement réjoui
à la réception de ta lettre. Mais dès que j'en eus pris
connaissance, j'ai senti de nouveau le courage m'aban
donner, à cause de ceux qui se sont décidément
appliqués à lutter contre la vérité.
En effet, ô cher et vraiment très désiré, tu m'écri
vais, affligé toi aussi, que certains se sont, sans doute,
séparés des Ariens à cause du blasphème contre le Fils
de Dieu2, mais nourrissent des pensées hostiles au 532 a
Saint-Esprit, prétendant qu'il est non seulement une
créature, mais même un des esprits serviteurs3,
et que ce n'est qu'en degré qu'il diffère des anges.

1 II Cor., I, 3.
• Le « blasphème contre le Fils de Dieu » est ici la négation de sa
divinité par les Ariens.
» Cf. Hebr., I, 14.
'1

80 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

Or cela, c'est une opposition simulée contre les Ariens,


mais une réelle contradiction à la sainte foi. Car de
même que les Ariens, en niant le Fils, nient aussi le
Père1, ainsi également ces hommes, en décriant le
Saint-Esprit, décrient aussi le Fils. Les deux clans se
sont partagé 1'insurrectipn contre la vérité pour
aboutir, en s'en prenant les uns au Fils et les autres
à l'Esprit, au même blasphème contre la sainte
Trinité.
Ce que considérant et me livrant à de longues
réflexions, je suis tombé dans l'abattement, parce que
de nouveau le diable a réussi à se jouer de ceux
b qui contrefont sa folie. J'avais résolu de me taire en
de telles circonstances; cependant, pressé par ta
Révérence, à cause de la méprise et de l'audace
satanique de ces gens, j'écris cette courte lettre,
à peine capable de le faire, à seule fin que tu en
prennes occasion de suppléer, selon l'intelligence que
tu possèdes, ce qui y manque, et que la réfutation
de l'hérésie impie se fasse [ainsi] complète.
2. Pour les Ariens tout d'abord, cette opinion ne
leur est pas non plus étrangère. En effet, une fois
qu'ils ont nié le Verbe de Dieu, il est naturel qu'ils
déblatèrent aussi contre son Esprit. C'est pourquoi
il n'en faut pas dire davantage à leur adresse,
car il suffit des réfutations dirigées contre eux
précédemment2.

1 En niant la divinité du Fils, les Ariens aboutissent à nier égale


ment la divinité du Père.
» Saint Athanase semble bien viser ici, en particulier, ses trois
Discours contre les Ariens, comme il a été dit dans l'Introduction
(supra, pp. 46-47).
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 81

Quant à ceux qui errent au sujet de l'Esprit, c'est C


selon un certain mode, comme ils diraient eux-mêmes1,
qu'il convient de mener les recherches en vue de leur
répondre. On pourrait s'étonner de leur démence : ils
ne veulent pas que Je Fils de Dieu soit une créature,
— et en cela, leur pensée est correcte; — comment 533 A
alors ont-ils supporté même d'entendre dire que
l'Esprit du Fils est une créature? Car si, à cause de
l'unité du Verbe avec le Père, ils ne veulent pas que
le Fils lui-même soit une des choses venues à l'exis
tence, mais, — ce qui est vrai, — pensent qu'il est
artisan2 des œuvres, pourquoi l'Esprit-Saint, qui
possède avec le Fils la même unité que celui-ci avec
le Père, le disent-ils créature? Pourquoi n'ont-ils
pas reconnu que de même qu'en ne séparant pas le
Fils du Père, ils sauvegardent l'unité de Dieu, ainsi
en séparant l'Esprit du Verbe, ils ne sauvegardent
plus l'unique divinité dans la Trinité, la divisant,
y mêlant une nature étrangère et d'autre espèce et la
ramenant à l'égalité avec les créatures? En outre,
cette opinion ne présente plus la Trinité comme une
réalité unique, mais bien comme constituée de natures
au nombre de deux et différentes, à cause de la diver
sité de substance de l'Esprit, ainsi qu'ils se le sont
imaginé. Mais qu'est-ce donc là pour une conception
1 Allusion au procédé employé par les adversaires pour éluder les
textes scripturaires allégués en faveur de la divinité du Saint-Esprit,
en n'y voyant que des manières de parler, des expressions figurées
(rpOTroi), ce qui leur vaut le nom de Tropiques, que saint Athanase
leur donne. Voir l'Introduction (supra, pp. 41-42).
* Le terme hrjfiiovpyos, traduit par « artisan », doit distinguer le Fils
des créatures; il équivaut à « créateur », car Athanase va reprocher
immédiatement aux adversaires de constituer la divinité c de démiurge
et de créature » (533 B).

Lettres à Sérapion. 6
82 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
B de Dieu1, qui est formée de démiurge et de créature?
Ou bien, en effet, il n'y a pas Trinité, mais Dyade
et, pour le reste, créature, ou bien, s'il y a Trinité,
comme il en est en réalité, pourquoi rangent-ils avec
les créatures, qui viennent après la Trinité, l'Esprit
de la Trinité? Car c'est là, une fois encore, diviser
et ruiner la Trinité. Mauvaise au sujet du Saint-Esprit,
leur doctrine n'est donc pas bonne non plus au sujet
du Fils, car si elle était correcte au sujet du Fils,
elle serait saine également au sujet de l'Esprit,
qui procède du Père2 et qui, étant propre au Fils,
est donné par lui à ses disciples et à tous ceux qui
croient en lui3. Ainsi égarés, ils n'ont pas non plus
la foi saine touchant le Père, car ceux qui résistent
c à l'Esprit, comme disait le grand martyr Étienne4,
ceux-là nient aussi le Fils et, niant le Fils, ils n'ont
pas non plus le Père.
536 A 3. D'où tirez-vous donc, vous, le prétexte d'une
audace si grande que vous ne craigniez pas ce qu'a
dit le Seigneur : « Qui aura blasphémé contre l'Esprit-
Saint n'aura de rémission ni en ce siècle, ni dans le
siècle à venir6 »? Les Ariens, sans doute, ne com
prenaient pas la présence du Verbe dans la chair ni
les paroles dites en raison de cette présence; ils en
tirèrent pourtant prétexte pour aller à leur erreur
et furent ainsi convaincus d'être des ennemis de
Dieu et de proférer des choses vaines d'inspiration

1 La deoXoyla est ici la manière de concevoir et d'exprimer Dieu;


plus loin, saint Athanase emploie encore ce substantif (544 A), puis
le verbe BeoXoyeîv (601 A) dans le même sens.
4 Cf. Joh., XV, 26. » Cf. Joh., VII, 39. 4 Cf. Act. VII, 51.
6 Texte mêlé de Matth., XII, 32 et Marc, III, 29.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 83

terrestre1. Mais vous, d'où vous est venue votre erreur?


De qui l'avez-vous apprise, ou quel est le mode2 de
votre singulier égarement?
Nous avons lu, disent-ils, chez le prophète Amos,
ces paroles dites par Dieu : « Me voici, moi, affer
missant le tonnerre et créant le pneuma* et annonçant
parmi les hommes son Christ, faisant l'aurore et le
brouillard et marchant sur les sommets de la terre :
le Seigneur Dieu tout-puissant est mon nom4 ». Et de
là [vient que] nous nous sommes laissé persuader par
les Ariens, qui disent que l'Esprit-Saint est une
créature.
Eh bien, le texte d'Amos, vous l'avez lu! Mais ce
qui est dit dans les Proverbes : « Le Seigneur m'a créée
comme principe de ses voies en vue de ses œuvres6 »,
ne l'avez-vous pas lu? Oui, vous l'avez lu6, et vous
l'interprétez selon ce que cette parole renferme de
vérité, pour éviter de dire que le Verbe est une
créature. Au contraire, ■ le terme employé par le
prophète, vous ne l'interprétez pas, mais dès que
vous avez entendu le terme pneuma, vous avez pensé
que l'Esprit-Saint était dit créature! Dans les Pro
verbes, la Sagesse dit clairement : « [Le Seigneur]
m'a créée », et pourtant, — et avec raison, — vous
interprétez cette expression, pour éviter de compter
1 Cf. Joh., m, 31.
* 'O rpoTros. Athanasc se plaît à jouer sur ce terme favori des
adversaires.
3 Laissons ici, sans le traduire, le terme grec pour garder l'équivoque
dont les adversaires tirent parti.
* Am., IV, 13. 6 Prov., VIII, 22.
* Au lieu de : «... « o{ik àvéyvurre, ^ àvéyvurre; Kai roîno
fiev... t, il faut lire, semble-t-il : « ... ovk àvéyvurre; rH àvéyvurre •
KanoSro ftèv... ».
84 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
c la Sagesse créatrice parmi les créatures. Or, la parole
du prophète ne vise pas le Saint-Esprit, mais men
tionne simplement un pneuma. Comment donc, alors
qu'il y a, dans les Écritures, une très grande diversité
quant aux pneumata, et que ce terme peut avoir
[ici] sa signification spéciale correcte, vous, en
disputeurs ou en hommes infectés par la morsure du
serpent arien, pensez-vous que c'est l' Esprit-Saint
qui est désigné par Amos, pour ne songer qu'à le
croire créature?
4. Dites-nous donc si, en quelque endroit de la
divine Écriture, vous trouvez le Saint-Esprit appelé
simplement pneuma, sans addition des mots, soit
537 A « de Dieu », soit « du Père », soit « le mien », soit
« du Christ même et du Fils », soit « [donné] par moi »,
c'est-à-dire, par Dieu, ou bien [sans addition de]
l'article, en sorte qu'il soit dit, non pas simplement
« esprit », mais bien « l'Esprit », ou encore : « cet
Esprit-Saint même », ou « [l'Esprit] Consolateur »,
ou « [l'Esprit] de vérité », c'est-à-dire, du Fils, qui dit :
« Je suis la Vérité1 », afin que, lorsque vous entendez
simplement le [mot] pneuma, vous soupçonniez qu'il
s'agit du Saint-Esprit. H faut laisser en dehors de la
considération présente [les cas de] ceux qui sont de
nouveau cités après avoir déjà reçu [l'Esprit-Saint],
ainsi que tous ceux qui, instruits au préalable tou
chant le Saint-Esprit, n'ignorent pas de qui il est
question lorsqu'on répète et qu'on rappelle et qu'on
dit simplement « l'Esprit », surtout qu'alors encore
b [le mot] est accompagné de l'article. Bref, sans l'article
1 Joh., XIV, 6.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 85

ou l'addition susdite, jamais l'Esprit-Saint n'est


marqué.
Ainsi, ces mots que Paul écrit aux Galates : « Voici
seulement ce que je voudrais savoir de vous : est-ce
des œuvres de la Loi que vous avez reçu l'Esprit, ou
de la prédication de la foi1? ». Mais quel [esprit]
avaient-ils reçu, sinon l'Esprit-Saint, donné à ceux
qui croient et renaissent par le bain de la régéné
ration? Et en écrivant aux Thessaloniciens : «N'étei
gnez pas l'Esprit2 », il disait à des hommes qui
connaissaient, eux aussi, [l'Esprit] qu'ils avaient
reçu, de ne pas éteindre par leur négligence la grâce
de l'Esprit allumée en eux. Si, dans les évangiles,
en parlant du Sauveur à la manière humaine à cause
de la chair qu'il a prise, les évangélistes disent :
« Jésus, rempli de l'Esprit, revint du Jourdain3 »,
et : « alors Jésus fut conduit par l'Esprit dans le
désert4 », le sens [du terme] est le même. Car Luc
avait dit auparavant : « Or, dans le temps que tout le
peuple venait de recevoir le baptême, et Jésus ayant
été baptisé et priant, il arriva que le ciel s'ouvrit et
que l'Esprit-Saint descendit, sous une forme corpo
relle comme une colombe, sur lui6 ». Il était manifeste
que, l'Esprit étant cité, c'était l'Esprit-Saint qui
était signifié. De même donc pour ceux chez qui
l'Esprit-Saint se trouve [déjà], il n'est pas douteux,
même si le seul [terme d']esprit, sans aucune addition,
est employé, que ne soit marqué l'Esprit-Saint,
surtout si le mot est affecté de l'article.

1 Gai., III, 2. » I Thess., V, 19. > Luc, IV, 1.


1 Matth., IV, 1. « Luc, III, 21-22.
86 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

'5. Vous donc, répondez à la proposition qui vous


a été faite1, si vous avez trouvé en quelque endroit
540 A de la divine Écriture l'Esprit-Saint appelé simplement
pneuma, sans l'addition susdite et indépendamment
de l'observation que nous avons rappelée. Mais vous
ne pourriez pas le faire, car vous ne trouverez pas
une parole [de ce genre]!
Au contraire2, il est écrit dans la Genèse : « Et
l'Esprit de Dieu se portait au-dessus de l'eau3 :
et peu après : « Mon Esprit ne demeurera pas dans ces
hommes, parce qu'ils sont des chairs4 ». Dans les
Nombres, Moïse dit au fils de Nave : « Ne va pas être
jaloux pour moi! Et qui fera de tout le peuple du
Seigneur des prophètes, le Seigneur ayant envoyé
son Esprit sur eux5 ». Et dans le livre des Juges, au
sujet de Gothoniel : « Et l'Esprit du Seigneur vint sur
lui et il jugeait Israël6 ». Et encore : « Et l'Esprit
du Seigneur vint sur Jephte7 »; et au sujet de Samson :
B « L'enfant, dit l'Écriture, grandit et le Seigneur le
bénit et l'Esprit du Seigneur commença à s'avancer
avec lui3 », et : « Et l'Esprit du Seigneur s'élança sur
lui9 ». De son côté, David chante : « Ne retire pas de
moi ton Esprit Saint10 », et encore, dans le psaume
CXLII : « Ton bon Esprit me conduira dans la voie
droite; à cause de ton nom, Seigneur, tu me vivi-

1 Cf. supra, p. 84.


2 Dans les citations du long florilège scripturaire par lequel saint
Athanase établit son affirmation touchant la terminologie biblique,
il n'est pas inutile de faire remarquer, en les imprimant en caractère
italique, les éléments qui, d'après lui, marquent qu'il s'agit du Saint-
Esprit.
3 Gen., I, 2. 4 Ibid., VI, 3. 5 Num., XI, 29.
• Iudic, III, 10. 7 Ibid., XI, 29. 3 Ibid., XIII, 24-25.
> Ibid., XV, 14. 10 Psalm. LI, 13.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 87

fieras1 ». En Isaïe il est écrit : « L'Esprit du Seigneur


est sur moi; c'est pourquoi il m'a oint2 ». Il était
dit auparavant : « Malheur, enfants rebelles! Voici ce
que dit le Seigneur : Vous avez fait un projet, non
par moi, et des conventions, non par mon Esprit,
pour accumuler péchés sur péchés3 »; et encore :
« Écoutez ceci : dès l'origine, je n'ai pas parlé en
cachette; quand cela arrivait, j'étais là; et maintenant
le Seigneur m'a envoyé, ainsi que son Esprit4 ». c
Peu après il dit ainsi : « Et voici mon alliance avec
eux, dit le Seigneur : mon Esprit, qui est sur toi5 »;
et de nouveau, dans ce qui suit, il ajoute : « Ce n'est
ni un envoyé, ni un ange, mais c'est le Seigneur lui-
même qui les a sauvés, parce qu'il les a aimés et les a
épargnés; c'est lui-même qui les a rachetés et les a pris
et les a élevés pendant tous les jours du siècle; mais 541 a
eux, ils furent rebelles et ils irritèrent son saint Esprit,
et il se tourna à l'inimitié envers eux8 ». Ézéchiel
parle ainsi : « Et /'Esprit m'enleva et me conduisit
dans la terre des Chaldéens, dans la captivité, en
vision, dans l'Esprit de Dieu7 ». Et dans Daniel
[on lit] : « Dieu éveilla l'Esprit saint d'un jeune enfant
nommé Daniel, et il cria d'une voix forte : je suis pur
du sang de celle-ci3 ». Michée dit : « La maison de
Jacob a irrité l'Esprit du Seigneur9 ». Par Joël,
Dieu dit : « Et il arrivera après cela que je répandrai •
de mon Esprit sur toute chair10 ». Et par Zacharie,

1 Psalm., CXLII, 10-11.Lire : eV rj? evdeia,a\i Heu de : èv yr\ eîiôeia.


2 Is., LXI, 1. 3 Ibid., XXX, 1. « Ibld., XLVIII,' 16.
» Ibid., LIX, 21. • Ibid., LXIII, 9-10. 7 Ezech., XI, 24.
3 Dan., XIII, 44-46 (Theodotion). 3 Mich., II, 7.
» Joël, II, 28.
88 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

c'est la voix de Dieu disant : « Cependant, recevez


mes paroles et mes décrets, tout ce que j'ordonne
b par mon Esprit à mes serviteurs les prophètes1 »;
et le prophète, accusant le peuple, dit encore peu
après : « Es ont rendu leur cœur indocile, pour ne pas
entendre ma loi ni les paroles que le Seigneur tout-
puissant envoyait par son Esprit, par l'intermédiaire
des prophètes d'autrefois2 ». Ce sont là quelques
citations recueillies dans l'Ancien Testament.
6. Informez-vous, vous aussi, de ce qui se trouve
dans les Évangiles et de ce qu'ont écrit les Apôtres,
et vous entendrez comment, là aussi, tandis que grande
est la diversité des esprits [mentionnés], l'Esprit-
Saint, en particulier, est appelé pneuma non pas
simplement, mais avec l'addition que nous avons
dite. Quand donc, comme je l'ai dit plus haut3,
le Seigneur fut baptisé à la manière humaine à cause
de la chair qu'il portait, il est dit que l'Esprit-Saînf
c descendit sur lui4. En le donnant à ses disciples,
[Jésus] disait : « Recevez le Sainf-Esprit6 »; d'autre
part, il leur enseignait : « Le Consolateur, l'Esprit-
Saint que le Père vous enverra en mon nom, c'est lui
qui vous enseignera toutes choses6 », et peu après,
au sujet du même [Esprit], il disait : « Lorsque sera
venu le Consolateur, que je vous enverrai d'auprès
. du Père, l'Esprit de la vérité, qui procède du Père,
il rendra témoignage de moi7 ». Et encore : « Ce n'est
544 A point vous qui parlerez, mais c'est l'Esprit de votre
Père qui parlera en vous8 »; et peu après : « Que si c'est
» Zach., I, 6. s Ibid., VII, 12. » Supra, p. 85.
4 Cf. Luc, III, 22. 6 Joh., XX, 22. • Ibid., XIV, 26.
7 Ibid., XV, 26. 8 Matth., X, 20.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 89

par l'Esprit de Dieu que j'expulse les démons, le


royaume de Dieu est donc venu à vous1 ». Et com
plétant en même temps toute la doctrine au sujet de
Dieu et notre initiation, par laquelle il nous a unis
à lui et, par lui, au Père, il prescrivait à ses disciples :
« Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant
au nom du Père et du Fils et du Sainf-Esprit2 ». En
leur promettant d'envoyer [l'Esprit], « il leur recom
mande de ne pas s'éloigner de Jérusalem3 » et,
quelques jours plus tard, « le jour de la Pentecôte
étant arrivé, ils étaient tous ensemble en un même lieu;
et tout à coup il vint du ciel un bruit, comme [celui]
du déplacement d'un souffle impétueux, et il remplit
toute la maison où ils étaient assis; et il leur apparut
des langues comme de feu qui se partagèrent et se
posèrent sur chacun d'eux; et ils furent tous remplis
du Sainf-Esprit, et ils se mirent à parler d'autres
langues, selon que /'Esprit leur donnait de s'expri
mer4 ». Dès lors donc l'Esprit-Saint fut aussi donné
par l'imposition des mains des Apôtres, à ceux qui
étaient régénérés6. Un certain Agabus prophétisa
alors en disant : « Voici ce que dit l'Esprit-Sainf6 ».
De son côté, Paul [disait] : « [Prenez garde à tout le
troupeau] sur lequel le Sainf-E sprit vous a établis
évêques pour paître l'Église de Dieu, qu'il s'est
acquise par son propre sang7 ». Et, l'eunuque ayant

1 Matth., XII, 28.


s Ibid., XXVIII, 19. Par ces paroles, le Christ a complété la
doctrine au sujet de Dieu, la BeoXoyla, en révélant la Trinité. Saint
Athanase y trouve aussi l'institution du baptême, rite de l'initiation
chrétienne.
* Act., I, 4. 4 Ibid., II, 1-4. « Cf. Ad., VIII, 17.
• Ibid., XXI, 11. 7 Ibid., XX, 28.
90 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

été baptisé, « l'Esprit du Seigneur enleva Philippe1 ».


Pierre a écrit : « atteignant la fin de votre foi, le
c salut de vos âmes. C'est ce salut qui a été l'objet
des recherches et des investigations des prophètes,
qui prophétisèrent sur la grâce qui vous était destinée,
scrutant la date et les circonstances du temps vers
lequel l'Esprit du Christ, qui était en eux, dirigeait
ses manifestations, attestant d'avance les souffrances
réservées au Christ et les gloires qui s'ensuivraient2 ».
Et Jean a écrit : « Nous connaissons que nous demeu
rons en lui, et lui en nous, en ce qu'il nous a donné de
son Esprit3 ».
Paul, lui, écrit aux Romains : « Pour vous, vous
n'êtes pas dans la chair, mais dans l'esprit, si du moins
l'Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu'un n'a pas
l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. Mais si le
Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort
545 A à cause du péché, mais l'esprit est vie à cause de la
justice. Si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus habite
en vous, celui qui a ressuscité le Christ Jésus d'entre
les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels à
cause de son Esprit qui habite en vous4 »; et aux
Corinthiens : « Car /'Esprit scrute toutes choses,
même les profondeurs de Dieu. Car qui connaît ce qui
se passe dans un homme, si ce n'est l'esprit de
l'homme, qui est en lui? De même aussi, personne ne
sait ce qui est en Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu.
Or nous, ce n'est pas l'esprit du monde que nous avons

1 Act, VIII, 39.


* I Petr., I, 9-11. Dans cette citation, lire : iSrjXov ro, au lieu
de eSt/AoÛto.
• I Joh., IV, 13. 4 Rom., VIII, 9-11.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 91

reçu, mais l'Esprit [qui vient] de Dieu, pour que nous


connaissions ce dont nous avons été gratifiés par
Dieu1 »; et peu après : « Ne savez-vous pas que vous
êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite
en vous2? » et de nouveau : « Mais vous avez été lavés,
mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été
justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et
par l'Esprit de notre Dieu3 »; et de nouveau : « Mais B
tout cela, c'est l'unique et même Esprit qui l'opère,
distribuant à chacun en particulier comme il lui
plaît4 »; puis encore : « Or, le Seigneur, c'est l'Esprit,
et là où est l'Esprit du Seigneur, est la liberté5 ».
Remarque encore8 comment il s'exprime en écrivant
aux Galates : « Afin que parvînt [aux Gentils] en
Jésus-Christ la bénédiction d'Abraham, pour que
nous recevions, par la foi, la promesse de /'Esprit7 »;
et encore : « Parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé
dans vos cœurs l'Esprit de son Fils, lequel crie :
Abba, Père. Ainsi donc, tu n'es plus esclave désormais,
mais fils; et si tu es fils, tu es aussi héritier de Dieu de
par le Christ3 ». Aux Éphésiens, il parlait ainsi :
« Et n'affligez pas l'Esprit-Sainf de Dieu, dans lequel
vous avez été marqués d'un sceau pour le jour de la
rédemption* »; et encore : « Vous efforçant de conserver c
l'unité de /'Esprit dans le lien de la paix10 ». Aux

1 I Cor., II, 10-12. 2 Ibid., III, 16. 3 Ibid., VI, 11.


« Ibid., XII, 11. 5 II Cor., III, 17.
* Saint Athanase parle ici au singulier, sans doute à Sérapion, et
semblant oublier que toute sa démonstration s'adresse aux adversaires
d'après le début du n. 6.
7 Gai., III, 14.
8 Ibid., IV, 6-7. Le texte reçu dit simplement : « ...héritier de par
Dieu ».
• Ephes., IV, 30. » Ibid., IV, 3.
92 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

Philippiens, il écrivait en toute franchise : « Quoi


donc? Rien, sinon que de toute manière, hypocrite
ment ou sincèrement, le Christ est prêché, et de cela
je me réjouis et me réjouirai. Je sais, en effet, que cela
tournera à mon salut, grâce à votre prière et à l'assis
tance de l'Esprit de Jésus-Christ, selon mon attente
548 A et mon espérance de n'être confondu en rien1 »;
et encore : « Car c'est nous qui sommes la circon
cision, nous qui servons par l'Esprit de Dieu et qui
nous glorifions dans le Christ Jésus2! » Aux Thessa-
loniciens, il atteste : « Celui donc qui méprise [tout cela]
ce n'est pas un homme qu'il méprise, mais Dieu, qui
nous a donné son Esprit-Sainf3 ». Et aux Hébreux
[il écrit] ainsi : « le Sainf-Esprit signifiant que la voie
conduisant au sanctuaire n'est pas encore libre aussi
longtemps que la première tente subsiste4 »; et encore :
« De quel pire châtiment, pensez-vous, sera jugé
digne celui qui a foulé aux pieds le Fils de Dieu et
qui a tenu pour chose commune le sang de l'alliance
par lequel il a été sanctifié, et qui a outragé l'Esprit
de la grâcel* »; et de nouveau : « Si, en effet, le sang
des taureaux et des boucs et l'aspersion avec de la
cendre de vache sanctifie ceux qui sont souillés à
b l'effet de purifier leur chair, combien plus le sang
du Christ qui, par le moyen de l'Esprit éternel, s'est
offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il
notre conscience des œuvres mortes6 ». Et aux
Thessaloniciens : « Et alors se manifestera l'impie,
que le Seigneur Jésus détruira par l'Esprit de sa

i Philipp., I, 18-20. » Ibid., III, 3. • I Thess., TV, 8.


4 Hebr., IX, 8. » Ibid., X, 29. • Ibid., IX, 13-14.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 93

bouche et anéantira par l'éclat de son avènement m1.


7. Voilà comment l' Esprit-Saint est indiqué dans
toute la divine Écriture. Qu'avez-vous donc observé
de semblable chez le prophète2? Le terme pneuma
employé par le prophète n'a pas même l'article,
pour vous fournir ne fût-ce qu'un semblant de raison!
C'est pure audace de votre part que d'imaginer des
manières de parler3 et de prétendre que l'esprit, qui
est dit créé, est l'Esprit-Saint, alors que vous pourriez
vous instruire auprès des érudits touchant la diversité
des « esprits ».
En effet, il est aussi parlé [dans l'Écriture] de c
1' « esprit » de l'homme. Ainsi, David chante : « De nuit
je m'entretenais avec mon cœur et mon esprit
s'attristait4 ». Baruch dit dans sa prière : « Une âme
dans l'angoisse et un esprit inquiet crie vers toi5 ».
Dans le cantique des trois jeunes gens [nous lisons] :
« Bénissez le Seigneur, esprits et âmes des justes8 ».
L'Apôtre écrit : « L'Esprit lui-même rend témoignage
à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.
Mais si nous sommes enfants, nous sommes aussi
héritiers7 »; et encore : « Nul ne sait ce qui se passe
dans un homme, si ce n'est l'esprit de l'homme, 549
qui est en lui3 »; et dans sa lettre aux Thessaloniciens,
il prie en ces termes : « Que votre esprit et votre
âme et votre corps sans tache soient conservés
1 II Thess., II, 8.
* C'est-à-dire, dans le texte d'Amos (IV, 13), dont les adversaires
font état (supra, 536 A-B) en faveur de leur doctrine touchant le
Saint-Esprit.
* Des rpân-oi, expression favorite des adversaires. Cf. supra,
p. 81, n. 1.
« Psalm. LXXVI, 7. ' Bar., III, 1. • Dan., III, 86.
7 Rom., VIII, 16-17. 3 I Cor., Il, 11.
94 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

de manière à être irréprochables à la venue de Notre-


Seigneur Jésus-Christ1 ».
Il est aussi parlé des « esprits » des vents. Ainsi
d'abord dans la Genèse : « Et Dieu fit passer un esprit
sur la terre, et les eaux baissèrent2 »; puis, à propos de
Jonas : « Et le Seigneur suscita un esprit sur la mer,
et il y eut une grande tourmente sur la mer et le
vaisseau était en danger de se briser3 ». Dans le
psaume CVI il est écrit : « Il dit et il s'éleva un esprit
de tempête et les flots furent soulevés4 »; et dans le
psaume CXLVIII : « De la terre louez le Seigneur,
b dragons et vous tous, abîmes, feu, grêle, neige,
glace, esprit de tempête, qui exécutez sa parole6 ».
Et en Ézéchiel, dans la lamentation sur Tyr [il est dit]:
« Au sein de la mer, sur les grandes eaux tes rameurs
te conduisaient; l'esprit du sud t'a brisée* ».
8. En lisant, vous aussi, les saintes Écritures, vous
trouverez, également appelé « esprit », le sens ren
fermé dans les paroles divines, quand Paul écrit :
« [Dieu] qui nous a aussi fendus capables de devenir
les ministres d'une nouvelle alliance, non pas de
la lettre mais de l'esprit. En effet, la lettre tue, mais
l'esprit vivifie7 ». Car l'expression est figurée par la
lettre, mais le sens qui y est renfermé, est appelé
esprit. Ainsi aussi « la loi est spirituelle8 », afin que,
comme [Paul] l'a dit encore, « nous servions, non
selon une lettre surannée, mais dans un esprit nou-
c veau9 ». Rendant grâces, il disait lui-même : « Ainsi

1 I Thess., V, 23. » Gen., VIII, 1. » Ion., I, 4.


4 Psalm. CVII, 25. s Psalm. CXLVIII, 7-8.
« Ezech., XXVII, 25-26. 7 II Cor., III, 6. » Rom., VII, 14.
* Ibid., VII, 6.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 95

donc, moi-même, par l'intelligence, je sers la loi de


Dieu, mais par la chair, la loi du péché. Il n'y a donc
maintenant aucune condamnation pour ceux qui
sont dans le Christ Jésus. En effet, la loi de l'esprit
de vie, dans le Christ Jésus, m'a délivré de la loi
du péché1 ». Et Philippe, voulant amener l'eunuque
de la lettre à l'esprit, dit : Comprends-tu bien ce que
tu lis2? » C'est un tel esprit que possédait Caleb, au
témoignage [du livre] des Nombres, [où] Dieu dit :
« Mais mon serviteur Caleb, parce qu'il a eu un autre
esprit en lui et s'est attaché à moi, je le ferai entrer
dans le pays où il est allé3 »; car, ayant parlé avec une
compréhension différente de celle de ses compagnons,
il fut agréable à Dieu. C'est un tel cœur que Dieu
ordonna au peuple d'avoir, en disant par Ézéchiel :
« Faites-vous un cœur nouveau et un esprit nouveau4 ». 552
Les choses étant telles et une si grande diversité
apparaissant à propos des « esprits », vous feriez
mieux, quand vous entendez parler d'un esprit créé
[dans le texte d'Amos], de songer à l'un de ceux qui
ont été mentionnés plus haut, tel qu'était celui au
sujet duquel il est écrit en Isaïe : « Aram s'est mis
d'accord avec Ephraïm, et l'âme [du roi] et celle de
son peuple fut agitée à la manière dont, dans la forêt,
un arbre serait secoué par un esprit6 »; tel encore que
l'esprit que le Seigneur suscita sur la mer à cause de
Jonas6. Car le tonnerre s'accompagne des esprits des
vents, comme lors de la forte pluie au temps d'Achab,
ainsi qu'il est écrit : « Et il se fit en peu de temps que

1 Rom., VII, 25-VIII, 1-2. 2 Act., VIII, 30. • Num., XIV, 24.
♦ Ezech., XVIII, 31. « Is.( VII, 2. • Cf. Ion., I, 4.
96 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESP.RIT

le ciel s'obscurcit par l'effet des nuages et de l'esprit1 ».


b 9. Mais, disent-ils, le passage faisant mention du
Christ, il faut, en conséquence, comprendre que
l'esprit cité n'est autre que l'Esprit-Saint2.
Eh bien, vous avez observé, sans doute, que
l'Esprit-Saint est nommé avec le Christ; mais n'avez-
vous pas appris3 à le séparer en nature et à l'écarter du
Fils, puisque vous dites que le Christ n'est pas
créature, tandis que vous dites que le Saint-Esprit
est créature? Et il est absurde de nommer et de glori
fier ensemble des êtres de nature dissemblable, car
quoi de commun, ou quelle similitude y a-t-il entre
le Créateur et la créature? Sinon, il vous faudrait
également compter avec le Fils et lui joindre les
créatures venues à l'existence par lui.
Il suffisait donc de comprendre le terme de l'Écri
ture comme employé au sujet de l'esprit des vents,
ainsi qu'il a été dit. Mais puisque vous prétextez
c la mention du Christ faite en cette parole, il faut
considérer soigneusement ce qui est dit; peut-être
y trouverons-nous aussi, pour l'esprit qui est dit
créé, un sens plus spécial.
Qu'est-ce donc qu' « annoncer son Christ parmi les

i III Reg., XVIII, 45.


* Les adversaires insistent en alléguant, en faveur de leur doctrine,
le fait que, dans le texte d'Amos, la mention du pneuma est accom
pagnée de la mention du Christ. De ce chef, il leur semble que chacune
de ces deux mentions se rapporte à une Personne de la Trinité.
» Au lieu de : ttov Ka.revoiqoa.re, il semble qu'il faut lire : où Ka-re-
vorjoare (avec certains manuscrits grecs et la version arménienne).
L'argument de saint Athanase est ad hominem contre l'adversaire
qui, d'une part, prétend que c'est le Saint-Esprit qui est compté avec
le Christ dans le texte du prophète, et, d'autre part, place une diffé
rence de nature entre le Fils et le Saint-Esprit. L'union de ces deux
affirmations, dit saint Athanase, constitue une absurdité.
Première lettre a sérapiôn 97

hommes1 », sinon [annoncer] qu'il se fait homme, et


cela n'équivaut-il pas à dire : « Voici que la Vierge
concevra et enfantera un fils, et ils lui donneront le
nom d'Emmanuel2 », et toutes les autres choses qui
ont été écrites touchant son arrivée? Mais si c'est
la venue dans la chair qui est annoncée au sujet du
Verbe, quel esprit faut-il comprendre [comme esprit
qui est] créé, sinon l'esprit des hommes, qui est recréé
et renouvelé? En effet, c'est lui que Dieu a promis en
disant également par Ézéchiel : « Et je vous donnerai
un cœur nouveau, et je vous donnerai, un esprit 553 a
nouveau; et j'ôterai de votre chair votre cœur de
pierre, et je vous donnerai un cœur de chair, et je
mettrai en vous mon Esprit3 ». Quand donc cela
s'est-il accompli, sinon lorsque le .Seigneur, étant
venu, a renouvelé toutes choses par sa grâce? Voici
qu'en ce passage la diversité des esprits est indiquée :
car notre esprit, c'est celui qui est renouvelé; mais
l'Esprit-Saint, Dieu ne dit pas simplement qu'il est
esprit, mais bien qu'il est son Esprit, par lequel les
nôtres aussi sont renouvelés, comme le dit également
le Psalmiste, au psaume CIII : « Tu leur retireras
l'esprit et ils expireront, et ils retourneront dans leur
poussière. Tu enverras ton Esprit et ils seront créés,
et tu renouvelleras la face de la terre4 ». Mais si nous
sommes renouvelés par l'Esprit de Dieu, l'esprit qui
est maintenant dit créé, ce n'est donc pas l'Esprit-
Saint, mais le nôtre. Et si, parce que tout est venu à b
l'éxistence par le Verbe, vous pensez à bon droit

* Am.( IV, 13. » Is., VII, 14. » Ezech., XXXVI, 26-27.


« Psalm. CIII, 29-30.

Lettres à Sérapiôn. 7
98 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ÈSPRif

que le Fils n'est pas créature, comment n'est-ce pas


un blasphème que vous déclariez créature l'Esprit
dans lequel le Père, par le Verbe, consomme et
renouvelle toutes choses? Et si, parce qu'il est écrit
simplement que « l'esprit » est créé, ces gens se sont
imaginé qu'il s'agissait là de l'Esprit-Saint, ils doivent
désormais être convaincus que ce n'est pas l'Esprit-
Saint qui est créé, mais que c'est le nôtre qui est
renouvelé en lui, [notre esprit] au sujet duquel David
aussi demandait dans le psaume : « Crée en moi,
ô Dieu, un cœur pur et renouvelle un esprit droit
dans mes entrailles1 ». Ici, en effet, [Dieu] est dit
« créer » [l'esprit], mais auparavant; il l'avait
« façonné », au dire de Zacharie : « ...étendant le ciel
et fondant la terre et façonnant l'esprit de l'homme
en- lui2 ». Car l'esprit qu'il avait d'abord façonné,
il l'a, une fois tombé, créé à nouveau, devenu lui-
même dans la créature lorsque le Verbe s'est fait
chair, « afin, comme dit l'Apôtre, de créer ces deux en
un homme nouveau, celui qui a été créé selon Dieu
dans la justice et la sainteté de la vérité3 ». [Paul] n'a
pas parlé [ainsi] en tant qu'il en aurait été produit
un autre, distinct de l'homme fait, dès le principe,
à l'image [de Dieu], mais c'était l'intelligence créée
et renouvelée dans le Christ qu'il [nous] engageait à
accueillir, ce qui apparaît encore par la parole
d'Ézéchiel : « Faites-vous un cœur nouveau et un
esprit nouveau. Et pourquoi mourir, maison d'Israël?
Car je ne veux pas la mort de celui qui meurt, dit
Adonaï le Seigneur4 ».
1 Psalm. L, 12. 2 Zach., XII, 1. 3 Ephes., II, 15 et IV, 24.
• Ezech., XVIII, 31-32.
r"
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 99

10. Tel étant le sens de [l'expression] « l'esprit d


créé » [dans le texte d'Amos], « le tonnerre affermi » 556 a
peut donc aussi [y] être compris convenablement
comme la parole sûre et l'inébranlable loi de l'esprit.
Voulant, en effet, que Jacques et Jean en fussent les
ministres, le Seigneur les appela Boanerges, c'est-à-
dire, fils du tonnerre; en conséquence, Jean crie
vraiment du ciel : « Au commencement était le
Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était
Dieu1 ». Car auparavant, la Loi avait « l'ombre des
biens futurs2 »; mais lorsque le Christ eut été annoncé
aux hommes et se trouva présent, disant : « Moi-même,
qui parle, je suis présent3 », alors, comme dit Paul,
« sa voix ébranla la terre, lui qui avait fait autrefois
cette promesse : « Une fois encore j'ébranlerai non
seulement la terre, mais aussi le ciel4 ». Cette parole :
« une fois encore », manifeste le changement des choses
ébranlées, pour que demeurent les choses inébran
lables. Donc, puisque nous avons reçu un royaume b
inébranlable, ayons de la reconnaissance grâce à
laquelle nous servions Dieu d'une manière qui lui
plaise6 ». Le royaume, que Paul appelle inébranlable,
David chante qu'il a été affermi : « Le Seigneur est roi,
il a revêtu la majesté; le Seigneur a revêtu la force
et il s'en est ceint. En effet, il a affermi le monde,
qui ne sera pas ébranlé6 ».
La parole dite par le prophète7 signifie donc la
venue du Sauveur, en laquelle, nous aussi, nous avons
1 Joh., I, 1. » Cf. Hebr., X, 1. » Cf. Joh., IV, 26.
« Aog., II, 7. 6 Hebr. XII, 26-28. • Psalm. XCII, 1.
7 Athanase vise ici deux détails du texte d'Amos allégué par les
adversaires : l'annonce du Christ parmi les hommes et le tonnerre
affermi.
100 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

été renouvelés, et la loi de l'Esprit demeure


inébranlable.

Mais ces vrais Tropiques, faisant cause commune


avec les Ariens et partageant avec eux le blasphème
contre la divinité pour appeler créature les uns le Fils
et les autres l'Esprit, ont eu l'audace d'imaginer encore
c à leur usage des « tropes », comme ils disent1, et de
détourner également de son sens la parole correcte
que l'Apôtre adressait à Timothée en lui écrivant :
« Je t'adjure devant Dieu et Jésus-Christ et les anges
élus d'observer ces choses, sans prévention, ne faisant
rien par faveur2 ». Pour eux, ils disent que, puisque
[Paul] a cité Dieu et le Christ et ensuite les anges,
l'Esprit est nécessairement compté parmi les anges,
est de leur rang lui aussi, et [n']est [qu']un ange
supérieur aux autres.
Tout d'abord, cette invention appartient à l'im
piété de Valentin3, et ces gens n'ont pas pu cacher
557 A qu'ils adoptent son langage, — car il a dit que lorsque
le Paraclet fut envoyé, les anges du même âge furent
envoyés avec lui4, — ni non plus qu'après avoir
rabaissé l'Esprit parmi les anges, ils rangent [ces
derniers avec lui] dans la Trinité. Car si, comme ils
le pensent, les anges prennent place après le Père et

1 Voir supra, p. 81, n. 1. * I Tim., V, 21.


* Valentin fut le fondateur de la plus importante secte gnostique;
son activité semble s'être déployée durant le deuxième tiers du
IIe siècle.
* Saint Athanase semble bien emprunter cette phrase à saint Irénée
qui, en exposant la doctrine valentinienne touchant les éons, dit que
le Paraclet fut envoyé à l'éon Sophia par l'éon Christos, et ajoute :
« 'EKTrefiirerai Sè irpàs avrrjv fiera rwv •qXiKuxyrSiv avrov twv
ayyéXu>v » (Adv. haeres., I, 4, 5; P. G., VII, 488 A).
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 101

le Fils, les anges appartiennent évidemment à la


Trinité1; ils ne sont plus « des esprits serviteurs
envoyés pour le, ministère2 »; ils ne sont plus sanctifiés,
mais ils seraient plutôt eux-mêmes sanctificateurs
des autres.
11. Pourquoi donc la folie extrême de ces gens?
Encore une fois, en quel endroit des Écritures ont-ils
trouvé l'Esprit appelé ange? H faut bien que je redise
ce que j'ai déjà dit3. Il a été appelé Consolateur,
Esprit de filiation par adoption, Esprit de sancti
fication, Esprit de Dieu, Esprit du Christ. Nulle
part [il n'a été appelé] ni ange, ni archange, ni esprit
de ministère, tel que sont les anges; bien plutôt
est-il, lui aussi, servi par Gabriel, qui dit à Marie : b
« L'Esprit-Saint viendra sur toi et la Vertu du Très-
Haut te couvrira de son ombre4 ». Mais si les Écritures
n'appellent pas l'Esprit du nom d'ange, quelle excuse
ces gens pourraient-ils avoir pour leur si grande et si
absurde témérité? D'autant que celui-là même, qui
a semé en eux une pensée si mauvaise, Valentin,
a donné à l'un le nom de Paraclet et aux autres le
nom d'anges, bien que lui aussi, l'insensé, il place
l'Esprit dans le même temps que les anges [comme]
leur contemporain5.
Eh bien, tenez, disent-ils; il est écrit dans le pro
phète Zacharie : « Voici ce que dit l'ange qui parle en

1 Au lieu de : « BrjXovori ri]v » lire : i BrjXov 5ri rrjs ».


3 Cf. Hebr., 1, 14.
* Le même procédé de réfutation, le défi, lancé aux adversaires,
d'établir leur opinion par l'Écriture, a été employé par saint Athanase
au début des numéros 4 et 5 de cette lettre (supra, 536 C, 537 C).
« Luc, I, 35.
* Cf. supra, p. 100.
102 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

moi1 », et il est manifeste que [le prophète] marque


que l'Esprit est l'ange qui parle en lui.
Ils ne parleraient pas ainsi s'ils lisaient attentive-
c ment le texte. En effet, Zacharie lui-même, dans la
vision du candélabre, dit : « L'ange, qui parlait en
moi, répondit et dit : Ne sais-tu pas ce que sont ces
choses? Je dis : Non, Seigneur. Il reprit et me parla
en ces termes : Voici la parole que le Seigneur adresse
à Zorobabel : Ni par une grande puissance, ni par la
force, mais par mon Esprit, dit le Seigneur tout-
puissant2 ». Il est donc bien manifeste que l'ange
parlant au prophète n'était pas l'Esprit-Saint; il était,
lui, un ange, tandis que [l'Esprit] c'est l'Esprit du
Dieu tout-puissant, qui est servi par l'ange, mais est
inséparable de la divinité et propre au Verbe.
Que s'ils allèguent pour prétexte la parole de
560 A l'Apôtre, parce que les anges élus y sont cités après
le Christ3, qu'ils disent donc quel est de tous ces
[anges] celui qui est rangé avec la Trinité, — car tous
ne sont pas numériquement un, — ou quel est celui
d'entre eux qui est descendu sur le Jourdain en la
forme d'une colombe, — car les [esprits] serviteurs
sont des milliers de milliers et des myriades de
myriades4. Et pourquoi, lorsque les cieux se furent
ouverts, n'a-t-il pas été dit : « Et un des anges élus »,
mais bien : « l'Esprit-Saint descendit6 »? Et pourquoi
le Seigneur lui-même faisait-il la distinction? En
s'entretenant avec ses disciples de la consommation
[du monde], il disait : « Le Fils de l'homme enverra

1 Zach., IV, 5. s Zach., IV, 5-6. » I Tim., V, 21. Cf. supra,


556 C. * Cf. Dan., VII, 10. 6 Cf. Luc, III, 22.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 103

ses anges1 »; il avait été dit auparavant : « Les anges


le servaient2 », et il dit encore lui-même : « Les anges
s'en iront3 ». Mais, en donnant [l'Esprit] à ses disciples,
il disait : « Recevez l'Esprit-Saint4 », et en les envoyant,
il disait : « Allez, enseignez toutes les nations, les B
baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-
Esprit6 ». Car ce n'est pas un ange qu'il a rangé avec
la divinité; ce n'est pas par une créature qu'il nous
a unis à lui-même et au Père, mais par le Saint-Esprit,
qu'il promettait en disant qu'il enverrait non pas
un ange, mais « l'Esprit de la vérité, qui procède du
Père6 », qui reçoit ce qui est à lui7 et est donné8.
12. Aussi Moïse, qui savait que les anges sont des
créatures, tandis que l'Esprit-Saint est uni au Fils
et au Père, lorsque Dieu lui dit : « Va, monte hors d'ici,
toi et ton peuple, que tu as fait sortir de la terre
d'Égypte vers la terre au sujet de laquelle j'ai juré
à Abraham et à Isaac et à Jacob : « Je la donnerai à c
votre postérité ». J'enverrai devant ta face mon ange
et il chassera le Chananéen9 », refusa-t-il en ces termes :
« Si tu ne viens pas toi-même avec nous, ne me fais
pas partir d'ici10 ».Car [Moïse] ne voulait pas que ce fût
une créature qui servît de guide au peuple, de crainte
qu'ils n'apprissent à servir la créature plutôt que
Dieu, le Créateur de toutes choses. Sans aucun doute,
en refusant l'ange, il invitait Dieu à les conduire lui-
même. Dieu lui ayant fait cette promesse : « Cette
parole aussi, que tu viens de dire, je l'accomplirai;

1 Matth., XIII, 41. 2 Ibid., IV, 11. » Ibid., XIII, 49.


* Joh., XX, 22. 6 Matth., XXVIII, 19. • Joh., XV, 26.
7 Cf. ibid., XVI, 14. • Cf. ibid., XIV, 16.
• Exod., XXXIII, 1-2. 10 Ibid., 15.
104 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

car tu as trouvé grâce devant moi et je te connais


D de préférence à tous1 », il est écrit en Isaïe : « [Où est]
561 A celui qui a fait monter de la terre le pasteur des brebis?
Où est celui qui a posé au milieu d'eux l'Esprit-Saint,
celui qui a conduit Moïse de sa droite2? »; et peu après
pe prophète] dit : « L'Esprit descendit d'auprès du
Seigneur et les conduisit. Ainsi, tu as conduit ton
peuple, pour te faire à toi-même un nom de gloire3 ».
Qui donc, par ces paroles, ne saisit pas la vérité?
Car une fois que Dieu a promis de conduire [le peuple],
voici qu'il promet d'envoyer, non plus un ange, mais
son Esprit, qui est au-dessus des anges, et c'est lui
qui devient le guide du peuple. Il est [ainsi] montré
que l'Esprit n'est ni une d'entre les créatures, ni un
ange, mais qu'il est supérieur à la création, uni à la
divinité du Père. Car c'était Dieu lui-même qui con
duisait le peuple par le Verbe dans l'Esprit. C'est
pourquoi, à travers toute l'Écriture il dit : « C'est
moi qui vous ai fait monter de la terre d'Égypte4;
b à vous de témoigner s'il y eut parmi vous un autre
Dieu que moi6 ». Et, de leur côté, les saints s'adressent
à Dieu [en ces termes] : « Tu as conduit ton peuple
comme des brebis' », et : « Le Seigneur les a fait
marcher avec confiance et ils n'eurent rien à
craindre7 ». Vers lui, ils font également monter leur
hymne, en disant : « A celui qui a conduit son peuple
dans le désert : car sa miséricorde [s'étend] jusque
dans l'éternité8 ». Le grand Moïse, lui, répète coup sur
i
1 Exod., XXXIII, 17. 2 Is., LXIII, 11-12. » Ibid., 14.
4 Cf. Leu., XI, 45; Iudic, VI, 8; Os., XIII, 4.
» Cf. Deuter., XXXII, 39; Is., XLIV, 8. ' Psalm. LXXVI, 21.
7 Psalm. LXXVII, 53. 6 Psalm. CXXXV, 16,
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 105

coup : « Le Seigneur Dieu qui marche devant votre


face1 ». Ainsi donc, l'Esprit de Dieu ne peut être
ni un ange, ni une créature, mais il est propre à sa
divinité, car lorsque l'Esprit était parmi le peuple,
c'était Dieu qui, par le Fils dans l'Esprit, était parmi
eux.
13. Eh bien, soit! disent encore ces gens; mais
pourquoi donc l'Apôtre, après le Christ, n'a-t-il pas
nommé l'Esprit-Saint, mais bien les anges élus?
On pourrait leur demander tout de même : Pourquoi c
Paul n'a-t-il nommé ni les archanges, ni les chérubins,
ni les séraphins, ni les dominations, ni les trônes, ni
rien d'autre, mais seulement les anges élus? Est-ce
que donc, parce qu'il n'a pas cité ces noms, les anges
sont des archanges, ou n'y a-t-il que des anges, et
n'y à-t-il ni séraphins ou chérubins, ni archanges, ni
dominations, ni trônes, ni principautés, ni rien
d'autre? Mais c'est là imposer une contrainte à
l'Apôtre [que de demander] pourquoi il n'a pas écrit
de telle façon, mais de telle autre; c'est d'autre part
ne pas connaître les divines Écritures et par là
errer2 touchant la vérité. Voici, en effet, qu'il est écrit
chez Isaïe : « Approchez-vous de moi et écoutez ceci :
dès l'origine je n'ai point parlé en cachette; quand 564 a
cela se faisait, j'étais là. Et maintenant, le Seigneur
m'a envoyé, ainsi que son Esprit3 »; et chez Aggée :
« Et maintenant, courage, Zorobabel, dit le Seigneur !
Courage, Jésus fils de Josédec, le grand-prêtre, dit
le Seigneur! Courage, tout le peuple du pays, dit le

1 Deuter., I, 30, 33. » Cf. Matth., XXII, 29.


' Is., XLVIII, 16.
106 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

Seigneur! Agissez, parce que je suis avec vous,


dit le Seigneur tout-puissant, et mon Esprit demeure
au milieu de vous1 ». Chez les deux prophètes égale
ment il n'est fait mention que du Seigneur et de
l'Esprit. Qu'en diront-ils donc? Car si, parce que Paul,
après avoir mentionné le Christ, a gardé le silence
touchant l'Esprit, mais a mentionné les anges élus,
ils rangent l'Esprit parmi les anges, c'est le moment
pour eux, lorsqu'ils lisent ces paroles des prophètes,
b d'étendre l'audace de leur discussion à celui qui
y est passé sous silence. Diront-ils que le Seigneur,
c'est le Fils? Mais alors, que diront-ils du Père?
Diront-ils que c'est le Père? Que diront-ils alors du
Fils? A Dieu ne plaise que l'on tienne même compte
du blasphème qui s'ensuit selon ces gens-là! Ils
doivent, en effet, soit dire que celui qui est passé sous
silence n'existe pas, soit le compter parmi les
créatures.
14. Que diront-ils en entendant également ces
paroles du Seigneur : « Il y avait, dans une contrée,
un juge qui ne craignait pas Dieu et ne se souciait
d'aucun homme2 »? Est-ce que parce qu'après Dieu
[le Seigneur] a nommé un homme, le Fils est cet
homme, dont le juge inique ne s'est pas soucié?
Ou bien, parce qu'après Dieu [le Seigneur] a nommé
l'homme, le Fils vient-il en troisième lieu, après
c l'homme, et l'Esprit-Saint en quatrième lieu? Et que
[diront-ils] en entendant aussi l'Apôtre, dans cette
même lettre3, déclarer encore : « Je t'ordonne devant
1 Ago., II, 4-5. s Luc, XVIII, 2.
* Dans la première lettre à Timothée, d'où l'objection des adver
saires est tirée.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 107

Dieu, qui donne la vie à tout, et devant Jésus-Christ,


qui a confessé la bonne confession en présence de
Ponce-Pilate, de garder le commandement, sans
tache, irréprochable1 »? Est-ce que donc, parce qu'ici
il a gardé le silence touchant les anges et l'Esprit, ils
doutent de l'existence de l'Esprit et de l'existence
des anges? Oui, ils en doutent aussi longtemps qu'ils
s'appliquent à débiter de telles insanités touchant
l'Esprit! Et s'ils entendent l'Écriture dire, dans
l'Exode : « Le peuple craignit le Seigneur, et ils 565 a
crurent à Dieu et à Moïse* son serviteur2 », vont-ils
compter Moïse avec Dieu et, après Dieu3, ne con
cevront-ils pas le Fils, mais seulement Moïse? Et que
[diront-ils] en entendant le patriarche Jacob bénir
Joseph en ces termes : « Que le Dieu qui m'a nourri
depuis ma jeunesse jusqu'à ce jour, que l'ange qui
m'a sauvé de tous les maux, bénisse ces enfants4 »?
Est-ce' que, parce qu'après Dieu [Jacob] a nommé
l'ange, l'ange est antérieur au Fils, ou le Fils est
compté parmi les anges? Oui, une fois encore ils le
penseront avec leur cœur corrompu!
Mais telle n'est pas la foi apostolique et jamais
chrétien ne tolérerait cela! Car la sainte et bienheu
reuse Trinité est indivisible et jouit de l'unité par
rapport à elle-même. Le Père étant cité, son Verbe b
est également là et aussi l'Esprit, qui est dans le Fils.
Si aussi le Fils est nommé, le Père est dans le Fils et
l'Esprit n'est pas en dehors du Verbe. Unique est,
en effet, la grâce qui, [venant] du Père par le Fils
1 I Tim., VI, 13-14. * Exod., XIV, 31.
» Pour saint Athanase, 6 8eos signifie souvent, comme ici, le Père.
4 Gen, XLVIII, 15.
108 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

s'achève dans l'Esprit-Saint; unique est la divinité


et il n'y a qu'un Dieu, qui est sur tout et à travers
tout et en tout.
C'est ainsi, en effet, que Paul, lui aussi, lorsqu'il
disait : « Je t'adjure devant Dieu et Jésus-Christ1 »,
savait parfaitement que l'Esprit n'était pas séparé
du Fils, mais était,- lui aussi, dans le Christ, comme
le Fils [est] dans le Père. Quant aux anges élus, il en
a ajouté la mention bien à propos, l'adjuration étant
adressée à son disciple, afin que celui-ci, sachant que
les paroles qui viennent de Dieu ont été dites par
[l'intermédiaire du] Fils dans l'Esprit, et que les
c anges s'emploient à notre service en surveillant les
actions de chacun, observât les exhortations de son
maître, dans la conscience d'avoir comme témoins
des conseils donnés [les anges], qui tiennent les yeux
fixés sur eux. Peut-être l'adjure-t-il également, en
Cette occasion, par les anges, qui voient toujours la
face du Père qui est dans les cieux2, à cause des petits
qui se rencontrent dans l'Église, afin que le disciple,
connaissant les protecteurs des peuples, n'aille pas
négliger les exhortations de l'Apôtre.

15. Tel me semble donc être le sens des divines


paroles; il réfute absolument le langage impie des
insensés contre l'Esprit. Cependant, ces gens qui
nourrissent une hostilité permanente contre la vérité,
comme tu l'écris, tirent, non plus des Écritures — car
ils ne l'y trouvent pas, — mais de la surabondance

1 II Tim., IV, 1. » Cf. Matth., XVIII, 10.-


PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 109

de leur propre cœur1, ce qu'ils éructent en disant


encore : Si [l'Esprit] n'est ni créature, ni un d'entre
les anges, mais procède du Père, il est donc fils, 568 A
lui aussi, et lui et le Verbe sont deux frères. Que s'il
est frère [du Verbe], comment le Verbe est-il mono
gène, ou comment ne sont-ils pas égaux, mais l'un
est-il nommé après le Père et l'autre après le Fils?
Comment encore, s'il [provient] du Père, n'est-il pas
dit qu'il est, lui aussi, engendré ou qu'il est fils, mais
simplement [qu'il est] Esprit-Saint? Et s'il est
l'Esprit dù Fils, eh bien alors, le Père est le grand-père
de l'Esprit2.
Telles sont les plaisanteries auxquelles se livrent
ces gens infâmes qui, remplis d'une curiosité indiscrète,
veulent scruter les profondeurs de Dieu, que nul ne
connaît si ce n'est l'Esprit de Dieu vilipendé par eux.
Il faudrait donc ne plus leur répondre, mais, selon le
précepte de l'Apôtre3, après l'admonestation qu'ils
ont reçue de nos paroles précédentes, les rejeter
comme des hérétiques, ou leur adresser des questions
dignes de celles qu'ils nous posent et exiger réponse B
d'eux comme ils l'exigent de nous.
Qu'ils [nous] disent donc si le Père provient d'un
père et si un autre a été engendré avec lui et [s'Jils
sont frères [provenant] d'un [seul père] et quel est leur
nom et qui est leur père et leur grand-père et qui leurs
ancêtres4. Ils diront certes qu'il n'en est pas. Qu'ils
1 Cf. Matth., XII, 34.
* La version arménienne donne à cette dernière phrase, comme aux
précédentes, la forme interrogative. ,
* Cf. TU., III, 10.
* J'ai traduit cette phrase d'après le texte grec, qui ne paraît pas
très sûr. La version arménienne dit, peut-être mieux : « Qu'ils [nous]
110 LETTRES SUR LA DIVINITE DU SAttfT-ËSPRl?

[nous] disent donc comment [le Père] est père, sans


être lui-même engendré1 d'un père, ou comment
il a pu avoir un fils sans avoir été d'abord engendré
lui-même [comme] fils. Question impie, je le sais :
mais ceux qui se permettent de telles plaisanteries,
il est juste de les plaisanter aussi afin que, au moins
par l'absurdité" et l'impiété d'une telle question, ils
puissent s'apercevoir de leur propre démence. Car
il n'y a rien de tout cela, à Dieu ne plaise, et il ne
convient pas de poser de telles questions au sujet de
la divinité. Dieu, en effet, n'est pas comme un homme,
pour que l'on ose s'informer de choses humaines à son
sujet.
16. C'est donc garder le silence, comme je l'ai déjà
dit, sur ces questions et ignorer de telles gens, qu'il
faudrait. Toutefois, de crainte que notre silence
ne leur fournisse un prétexte pour leur impudence,
qu'ils entendent [ceci] : comme on ne peut pas parler
d'un père à propos du Père, ainsi on ne peut pas parler
d'un frère à propos du Fils. Car, comme il est écrit,
avant le Père il n'y eut pas d'autre Dieu2; quant au
Fils, il n'en est pas d'autre, car il est unique engendré.
C'est pourquoi le seul et unique Père est père d'un
seul et unique Fils, et ce n'est que touchant la divinité

disent donc, si le Père provient d'un père et qu'un autre soit engendré
avec lui et qu'ils soient frères [provenant] d'un [seul père], quel est le
nom de ce dernier et qui est son père et son grand-père, leur ancêtre ».
1 J'adopte la leçon yew<t>fievos signalée dans certains manuscrits
grecs et suivie par le traducteur arménien.
* Il faut, semble-t-il, placer une virgule entre dis yéypairrai et
zinrpooBev, rapporter la référence, non à un passage antérieur de
la présente lettre, mais à Is., XLIII, 10 : efiirpooBév (lov ovk
iyeverÔ âXXos deos, et rattacher ijxirpoBev, comme l'a fait aussi le
traducteur arménien, à rov fièv yàp tlarpos.
PREMIÈRE LETTRE À SÉRAPION lll

que toujours il y eut et il y a « père » et « fils ». Si, en


effet, parmi les hommes quelqu'un est dit père, il est
pourtant fils d'un autre; et s'il est dit fils, il est 569 A
pourtant père d'un autre : ainsi, chez les hommes,
les noms de père et de fils ne se gardent pas au sens
propre1. Car Abraham, étant fils de Tharré, devint le
père d'Isaac, et Isaac, étant fils d'Abraham, devint
le père de Jacob, et telle est la condition de la nature
des hommes. En effet, [les hommes] sont des parties
les uns des autres; chaque homme qui est engendré
a une partie de son père, pour devenir lui aussi père
d'un autre. Mais pour la divinité, il n'en va pas ainsi.
Car « Dieu n'est pas comme l'homme2 »; il n'a pas
une nature obtenue par partage, et c'est pourquoi
il n'engendre pas non plus un fils en se partageant,
pour que ce dernier aussi devienne père d'un autre,
puisqu'il3 ne provient pas non plus d'un père. Le Fils
n'est pas davantage une partie du Père; c'est pourquoi
il n'engendre pas comme il a été engendré lui-même,
mais il est tout entier image et éclat du [Père] tout
entier. Dans la divinité seule, le Père est proprement b
père et le Fils est proprement fils, et c'est quant à eux
que demeure ferme [l'affirmation de] « Père toujours
père » et [de] « Fils toujours fils ». Et de même que le

1 On remarquera soigneusement cette particularité de la termino


logie de saint Athanase. Le sens « propre », dont il s'agit ici, n'est pas
celui qui s'oppose au sens métaphorique, mais plutôt le sens formel.
D'après saint Athanase, est pèrel/cupuo? celui qui n'est que père, sans
être en même temps fils, et est fils KvpLcos celui qui n'est que fils, sans
être en même temps père ou sans le devenir à son tour. C'est ce
qu'expliquent les exemples immédiatement donnés. Voir le passage
parallèle de la 4e Lettre à Sérapion, 6 (infra, pp. 184-185).
« Num., XXIII, 19.
* Il s'agit de 6 Beos, qui est, pour saint Athanase, le Père.
"1
112 LETTRES SUR LA DIVINITE DU SAINT-ESPRIT

Père ne pourrait jamais être fils, ainsi jamais le Fils


ne pourrait devenir père. Et de même que jamais le
Père ne cessera d'être seul Père, ainsi jamais le Fils
ne cessera d'être seul Fils.
C'est donc folie que de concevoir même et de dire
un frère pour le Fils et, pour le Père, le nom de grand-
père. Car, dans les Écritures, l'Esprit n'a été appelé
ni fils, pour qu'on ne le croie pas frère [du Fils],
ni fils du Fils, pour qu'on n'aille pas penser que le
Père est [son] grand-père; mais le Fils est dit Fils du
Père et l'Esprit, Esprit du Père, et ainsi une est la
divinité de la sainte Trinité et une la foi [en elle],
c 17. Pour la même raison également, c'est folie que
de dire que [l'Esprit] est une créature, car, s'il était
créature, il ne serait pas rangé avec la Trinité.
Il suffit de savoir que l'Esprit n'est ni créature, ni
compté parmi les œuvres [de Dieu] : en effet, rien
d'étranger n'est mêlé à la Trinité, mais elle est indivise
et semblable à elle-même. Cela suffit aux fidèles;
c'est jusque là que parvient la connaissance humaine,
jusque là [d'autre part] que les chérubins étendent le
voile de leurs ailes. Qui cherche et veut scruter
davantage ne tient pas compte de celui qui dit :
« Ne sois pas habile à l'excès, de peur que tu ne sois
frappé de stupeur1 ». En effet, ce qui a été remis à la
foi, ce n'est point par la sagesse humaine, mais bien
par la soumission de la foi qu'il convient de le méditer.
572 a Car quelle parole pourrait expliquer comme il le faut
ce qui surpasse la nature créée? Où quel entendement
peut jamais saisir ce qu'il n'est possible à des hommes
1 Eccles., VII, 17.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 113

ni d'ouïr ni d'exprimer? Paul parlait donc déjà ainsi


des choses qu'il avait entendues; au sujet de Dieu lui-
même, [il s'écriait] : « Qu'insondables sont ses voies!
Car qui a connu la pensée du Seigneur? Ou qui a été
son conseiller1? » Abraham, certes, ne chercha pas
avec curiosité et n'examina pas celui qui [lui] parlait,
mais « il crut et cela lui fut compté pour justice2 »;
ainsi Moïse fut appelé fidèle serviteur3. Que si les
sectateurs d'Arius, parce que « la sagesse ne pénétrera
jamais dans l'âme fourbe4 » qui est la leur, ne peuvent
concevoir ni croire [la doctrine] touchant l'indivisible
et sainte Trinité, qu'ils n'aillent pas pour cela travestir
la vérité, ni dire que ce qu'ils ne peuvent pas concevoir
ne peut pas non plus être. Us sont victimes d'une
absurdité extrême! Ne pouvant concevoir comment la
Sainte-Trinité est indivisible, les Ariens rangent le
Fils avec les créatures, tandis que les Tropiques, eux
aussi, comptent l'Esprit parmi les créatures. Ils
devraient ou bien, s'ils ne comprennent pas, garder un
silence absolu et s'abstenir de ranger, les uns le Fils
et les autres l'Esprit, avec les créatures, ou bien
reconnaître ce qui est écrit, joindre le Fils au Père et
ne pas séparer du Fils l'Esprit, pour que soient
vraiment sauvegardées l'indivisibilité et l'identité
de nature de la sainte Trinité. Sachant cela, ils
devraient contenir leur audace et s'abstenir de
demander, comme des gens qui doutent, comment
il peut en être ainsi, afin d'éviter, supposé que l'in
terrogé ne puisse répondre, de se forger à eux-mêmes
des opinions mauvaises. Car il est impossible à toutes
1 Rom., XI, 33. • Ibid., IV, 3. » Cf. Habr., III, 5. ♦ Sap., I, 4.

Lettres à Sérapion. 8
-

114 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

les créatures, et surtout à nous, hommes, de parler


comme il le faut des choses ineffables. En outre, il est
plus audacieux encore que ceux qui ne peuvent pas
exprimer ces choses, inventent à leur sujettes termes,
qui sont des nouveautés inconnues aux Écritures.
C'est là d'ailleurs une entreprise insensée tant de la
part de celui qui interroge que de la part de celui qui
songe même à répondre. Car celui qui poserait de
telles questions, même au sujet des créatures, ne
passerait pas pour avoir un sens droit.
18. Sinon, qu'ils se risquent à répondre, ces hommes
qui disent tout sans difficulté : comment a été constitué
le ciel et de quelle matière et quelle en est la com
position, ou comment [a été constitué] le soleil
d et chacun des astres? Mais est-ce merveille que de
confondre leur sottise en recourant aux êtres supé
rieurs, alors que l'on ne connaît pas non plus, quant
à leur manière d'être, la nature des arbres d'ici-bas,
les ensembles des eaux, la formation et l'organisation
573 A des êtres vivants? Ils ne pourraient certes pas
expliquer [ces secrets de la nature], quand Salomon
même, qui fut, plus que tout autre, doué de sagesse,
voyant qu'il était impossible aux hommes de les
découvrir, déclarait : « Il a mis aussi l'éternité tout
entière dans leur cœur, pour que l'homme ne découvre
pas l'œuvre que Dieu a faite depuis le commen
cement jusqu'à la fin1 »! Vont-ils donc, parce qu'ils
ne peuvent pas trouver [l'explication], prétendre que
ces êtres n'existent pas? Oui, ils le prétendront, avec
leur intelligence corrompue! C'est donc à bon droit

1 Eccles., m, 11.
.PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 115

qu'on pourrait leur dire : 0 hommes insensés et


capables de toutes les audaces, que ne cessez-vous
plutôt vos recherches indiscrètes au sujet de la
Trinité et ne vous contentez-vous de croire qu'elle
existe, puisque vous avez pour maître d'une telle
conduite l'Apôtre, qui dit : « Il faut croire d'abord
que Dieu est et que, pour ceux qui le cherchent, il
devient un rémunérateur1 »; car il n'a pas dit :
« comment il est », mais seulement : « qu'il est ».
Que si, même ainsi [confondus], ils ne se cachent
pas de honte, qu'ils disent comment le Père est,
afin d'apprendre par là comment aussi son Verbe est.
Mais, diront-ils, il est absurde de poser une telle
question au sujet du Père! Qu'ils nous permettent
de leur dire qu'il est également absurde de poser
une telle question au sujet de son Verbe.
19. Une telle entreprise étant donc superflue et
pleine de folie, que nul ne pose plus de telles questions,
mais qu'on se contente d'apprendre ce qui est
contenu dans les Écritures. Il s'y trouve, en effet,
des exemples suffisants et bien appropriés à ce sujet.
Le Père, en effet, est dit source et lumière : « Ils
m'ont délaissé, dit-il, moi, la source d'eau vive2 »;
et encore, en Baruch : « D'où vient, Israël, que tu es
dans le pays de tes ennemis? Tu as abandonné la
source de la sagesse3 »; et, selon Jean, « notre Dieu
est lumière4 ». Or, le Fils, en relation avec la source,
est aussi appelé fleuve, car « le fleuve de Dieu est
rempli d'eau5 »; en relation avec la lumière, [il est

1 Hebr., XI, 6. 2 Ierem, II, 13. 2 Bar., III, 10, 12.


4 Cf. I Joh., I, 5. » Psalm. LXIV, 10.
116 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

appelé] éclat, quand Paul dit : « lequel, étant l'éclat


de sa gloire et le caractère de sa substance1 ». Le Père
étant donc lumière et le Fils étant son éclat, — car
il ne faut pas se lasser de redire souvent les mêmes
choses, surtout en ces matières, — on peut voir aussi,
dans le Fils, l'Esprit par lequel nous sommes illu
minés : « qu'il vous donne, dit en effet [Paul], l'Esprit
de sagesse et de révélation, dans la parfaite connais
sance de lui-même, les yeux de votre cœur illuminés2 ».
D Mais, quand nous sommes illuminés, c'est le Christ
qui [nous] illumine en lui, car [l'Écriture] dit : « Il était
la vraie lumière, qui illumine tout homme venant dans
le monde3 ».
Et encore : Le Père étant source et le Fils étant
appelé fleuve, on dit que nous buvons l'Esprit. Car
576 A il est écrit : « Tous nous avons été abreuvés d'un seul
Esprit4 ». Mais, abreuvés de l'Esprit, nous buvons
le Christ, car : « Ils buvaient à un rocher spirituel
qui les suivait. Or, ce rocher, c'était le Christ6 ».
Et encore : Alors que le Christ est le vrai Fils, nous,
en recevant l'Esprit, nous sommes faits fils : « Car
ce n'est pas un esprit d'esclavage que vous avez reçu,
pour [retomber dans] la crainte, mais c'est l'Esprit
de fils par adoption que vous avez reçu6 ». Mais, faits
fils par l'Esprit, il est clair que c'est dans le Christ
que nous sommes appelés enfants de Dieu, car :
« Quant à tous ceux qui l'ont reçu, il leur a donné le
pouvoir de devenir enfants de Dieu7 ».
Ensuite, le Père étant, comme dit Paul, « seul sage8»,
1 Hebr., I, 3. • Ephes., I, 17. » Joh., I, 9.
4 I Cor., XII, 13. « Ibid., X, 4. • Rom., VIII, 15. 7 Joh., 1, 12.
• Cf. Rom., XVI, 27.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 117

le Fils est sa sagesse, car « le Christ [est] force et


sagesse de Dieu1 ». Or, le Fils étant la sagesse, nous
autres, en recevant l'Esprit de sagesse, nous possédons
le Fils et, en lui, nous devenons sages, car voici B
comment il est écrit dans le psaume CXLV : « Le
Seigneur délie les captifs, le Seigneur rend sages les
aveugles2 ». Et, l'Esprit nous étant donné, — car le
Seigneur disait : « Recevez l' Esprit-Saint3 », — Dieu4
est en nous; voici, en effet, comment Jean a écrit :
c Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure
en nous. Nous connaissons que nous demeurons en
lui et qu'il demeure en nous en ce qu'il nous a donné
de son Esprit6 ». Et, Dieu étant en nous, le Fils
aussi est en nous, puisque le Fils lui-même dit :
« Nous viendrons, moi et le Père, et nous ferons
chez lui notre demeure4 ».
Puis, tandis que le Fils est la vie, — car il dit :
« Je suis la vie7 », — nous sommes dits vivifiés dans
l'Esprit, car [l'Apôtre] dit : « Celui qui a ressuscité c
le Christ Jésus d'entre les morts, vivifiera nos corps
mortels aussi, par son Esprit qui habite en nous8 ».
Mais quand nous sommes vivifiés dans l'Esprit, le
Christ lui-même est dit vivre en nous : « Avec le
Christ, dit [Paul], j'ai été crucifié. Ce n'est plus moi
qui vis, mais c'est le Christ qui vit en moi9 ».
Puis encore : Les œuvres que le Fils faisait, il disait
que c'était le Père qui les opérait : « Le Père, dit-il,
qui demeure en moi, c'est lui qui opère les œuvres.

1 I Cor., I, 24. 2 Psalm. CXLV, 7. s Joh., XX, 22.


4 Se rappeler que, pour saint Athanase, Dieu (ô deos), c'est le Père.
6 I Joh., IV, 12-13. • Joh., XIV, 23. 7 Ibid., XIV, 6.
» Rom., VIII, 11. » Gai., II, 19-20.
118 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

Croyez m'en : je suis dans le Père et le Père est en


moi. Sinon, croyez-moi à cause de ces œuvres elles-
mêmes1 ». Et de même, ce que Paul opérait dans la
force de l'Esprit, il disait que c'étaient les œuvres
du Christ : « Je n'oserais pas, en effet, alléguer
quoi que ce soit en dehors de ce que le Christ a fait
d par moi pour l'obéissance des Gentils, en paroles et
en actes, dans la puissance des signes et des prodiges,
dans la puissance de l'Esprit-Saint2 ».
20. Quand il existe, dans la sainte Trinité, une telle
correspondance et unité, qui pourrait séparer soit
577 A le Fils du Père, soit l'Esprit du Fils ou du Père
lui-même? Ou qui aurait assez d'audace pour dire
que la Trinité est dissemblable ou d'une autre nature
relativement à elle-même, ou que le Fils est d'une
autre substance que le Père, ou que l'Esprit est
étranger au Fils? Quelqu'un s'informera peut-être
et demandera : Comment cela se fait-il? Comment,
l'Esprit étant en nous, dit-on que le Fils est nous,
et le Fils étant en nous, dit-on que le Père est en
nous? Comment, alors qu'il y a bien Trinité, la Trinité
est-elle marquée en un [des Trois]? Ou comment l'un
[des Trois] étant en nous, la Trinité est-elle dite être
en nous? i
Que celui-là commence par séparer l'éclat de la
lumière et la sagesse du sage, ou bien qu'il expose
d'abord la manière d'être de ces choses! S'il ne le peut,
c'est encore bien davantage le fait audacieux
d'hommes insensés que de se livrer à de telles
recherches au sujet de Dieu. Car, comme il a été dit,

1 Joh., XIV, 10-12. » Rom., XV, 18-19.


I

PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 119

la divinité n'est pas livrée [à notre connaissance]


en des discours démonstratifs, mais dans la foi et
dans la réflexion pieuse accompagnée de révérence, b
En effet, si Paul annonçait déjà les [vérités] qui
concernent la croix salutaire « non par des discours
persuasifs, mais par la manifestation de l'Esprit et de
la puissance1 », et s'il entendit dans le paradis des
paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme
de dire2, qui pourra parler au sujet de la Trinité
elle-même? Cependant, on pourra remédier à une telle
indigence en tout premier lieu par la foi, puis à l'aide
des [exemples] susdits, je* veux dire de l'image et de
l'éclat, de la source et du fleuve, de la substance et du
caractère. Car de même que le Fils est dans l'Esprit,
son image propre, ainsi le Père est aussi dans le Fils.
En effet, atténuant l'impossibilité de l'explication
rationnelle et de la compréhension de choses si
relevées, la divine Écriture nous a donné aussi des c
exemples tels que par eux, à cause de l'incrédulité
des téméraires, il soit possible à ce [sujet] de parler
d'une manière quelque peu simple, de parler sans
danger, de concevoir une pensée qui rencontre
l'indulgence, et de croire qu'une est la sanctification,
qui se fait du Père par le Fils dans l'Esprit-Saint.
Et dans le fait, comme le Fils est unique engendré,
ainsi aussi l'Esprit donné et envoyé par le Fils est 580 A
également un, et non multiple ni l'un d'entre beau
coup, mais il est lui-même seul Esprit. Car unique étant
le Fils, le Verbe vivant, il faut qu'unique, parfaite
et pleine soit sa vivante efficience sanctificatrice

1 I Cor., II, 4. 2 Cf. II Cor., XII, 4.


120 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

et illuminatrice, ainsi que sa donation, qui est dite


procéder du Père parce que de par le Fils, qui est
confessé [comme provenant] du Père, il resplendit
et estenvoyé et est donné. Certes, le Fils est envoyé
par le Père, car il dit : « Dieu a tellement aimé le
monde qu'il a envoyé son Fils unique1 ». Le Fils, lui,
envoie l'Esprit, car il dit : « Si je m'en vais, j'enverrai
le Consolateur2 ». Et le Fils glorifie le Père, puisqu'il
dit : « Père, je t'ai glorifié3 »; l'Esprit, de son côté,
B glorifie le Fils, car [le Fils] dit : « Celui-là me glo
rifiera4 ». Le Fils dit encore : « Ce que j 'ai entendu du
Père, c'est cela que je dis au monde6 »; l'Esprit, lui,
reçoit du Fils, car [le Fils] dit : « 11 recevra de ce qui
est à moi et il vous l'annoncera6 ». Le Fils est venu
au nom du Père7; mais le Fils dit : « L'Esprit-Saint,
que le Père enverra en mon nom8 ».
21. L'Esprit ayant, relativement au Fils, le même
rang et la même nature que le Fils relativement au
Père, comment celui qui l'appelle créature n'aura-t-il
pas nécessairement la même opinion au sujet du Fils?
Si, en effet, l'Esprit du Fils est créature, il serait
logique que [les adversaires] disent que le Verbe du
c Père est aussi créature, car c'est pour avoir imaginé
des choses semblables que les Ariens sont tombés
dans le judaïsme à la manière de Caïphe9. Si ceux

1 Cf. Joh., III, 16. » Cf. ibid., XVI, 7. » Cf. Joh., XVII, 4.
4 Ibid. 6 Ibid., VIII, 26. « Ibid., XVI, 14. 7 Ibid., V, 43.
6 Ibid., XIV, 26.
• Comme il parle ici de « judaïsme à la manière de Caïphe » à propos
de l'hérésie des Ariens, ainsi plus loin (596 B) saint Athanase appellera
ces hérétiques des « Juifs à la manière de Caïphe », également sans
expliquer son expression. On trouve cette explication dans l'écrit
Sur l'opinion de Denys, n. 3 (P. G., XXV, 484 A; édit. Opitz, t. II,
P. 1, pp. 47-48), où saint Athanase accuse aussi les Ariens de ressembler
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 121

qui tiennent un tel langage au sujet de l'Esprit,


affectent de ne pas partager les doctrines d'Arius,
qu'ils évitent aussi ses paroles et ne commettent pas
l'impiété contre l'Esprit! Comme, en effet, le Fils,
qui est dans le Père et a le Père en lui, n'est pas
une créature, mais est propre à la substance du Père,
— car cela, vous aussi vous affectez de le dire, — ainsi
il n'est pas permis non plus de ranger avec les créa
tures l'Esprit, qui est dans le Fils et a le Fils en
lui, ni de le séparer du Verbe et de mutiler [ainsi]
la Trinité.
A propos des paroles du prophète et de l'Apôtre,
dont les Tropiques ont faussé le sens, s'induisant
[ainsi] eux-mêmes en erreur, il suffît que nous ayons, d
par ces considérations, réfuté pleinement le blasphème
dû à leur ignorance.
Voyons désormais en elles-mêmes les paroles qui se 581 A
rencontrent dans les divines Écritures au sujet du
Saint-Esprit et, comme des changeurs expérimentés1,
discernons si l'Esprit a quelque propriété qui le
à Caîphe et à ses Juifs par leur obstination dans l'erreur et par la
négation du Christ, c'est-à-dire, de sa divinité. En cet endroit, il ajoute
un autre trait de ressemblance, qui ne serait pas de mise ici : Caîphe
et ses Juifs, ne voulant se rendre ni à l'évidence des œuvres du Christ,
ni au témoignage de l'Écriture à son sujet, imaginent de se prévaloir
du patronage d'un illustre ancêtre, et disent : « Nous avons pour
père Abraham »; les Ariens, ne pouvant répondre aux réfutations
qu'on leur oppose, prétendent se couvrir de l'autorité de Denys
d'Alexandrie. Ce subterfuge ne profite ni aux uns ni aux autres.
1 L'expression : « comme des changeurs expérimentés » (cl>s hoKfiOi
rpanf^îrai) rappelle un agraphon, c'est-à-dire, une parole du Christ
non rapportée par les évangiles canoniques, mais attribuée à
> l'Écriture » par Clément d'Alexandrie, au « Christ, dans l'évangile »
par l'hérétique Apelles, à « Jésus » par Origène, sous cette forme :
« ytvecrde [8è] Soki/xoi rpaire^îrai ». Voir, par exemple, l'édition des
Agrapha donnée par E. Klostermann (dans le fasc. 11 des Kleine
Texte fûr theologische Vorlesungen und Uebungen de H. Lietzmann,
Bonn, 1904), p. 4-5.
122 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

rapproche des créatures, ou s'il est propre à Dieu,


pour que nous le disions soit créature, soit différent
des créatures et propre [à la divinité] et un de la
divinité, [qui existe] en la Trinité1. Peut-être, au
moins de cette façon, [les adversaires] se sentiront-ils
confondus après avoir appris combien les paroles
blasphématoires de leur invention sont en désaccord
avec les oracles divins.
22. Or donc, les créatures ont surgi du néant; elles
ont commencé d'exister, car « au commencement,
Dieu a fait le ciel et la terre2 » et tout ce qui s'y trouve
contenu. Mais l'Esprit-Saint, c'est de Dieu qu'il est dit
[provenir] : en effet, [l'Apôtre] dit : « Nul ne sait ce
qui se passe dans un homme, si ce n'est l'esprit
de l'homme, qui est en lui; de même aussi, ce qui est
en Dieu, nul ne le sait, si ce n'est l'Esprit de Dieu.
b Or nous, ce n'est pas l'esprit du monde que nous
avons reçu, mais l'Esprit qui [vient] de Dieu3 ».
D'après les paroles susdites, quelle parenté y a-t-il
donc entre l'Esprit et les créatures? Les créatures,
en effet, n'existaient pas [tout d'abord]; Dieu, lui,
est simplement l'Existant, de qui aussi [vient]
l'Esprit. Or, ce qui [provient] de Dieu ne peut
[provenir] du néant, ni être créature, sous peine de
penser, comme les adversaires, que celui de qui
l'Esprit [provient], est également créature. Qui donc
supportera de tels insensés, qui disent, eux aussi,
dans leur cœur, qu'il n'y a point de Dieu4? Car si,

1 Le texte grec de la fin de cette phrase n'est pas très sûr; il faudrait
peut-être comprendre : « soit différent des créatures et propre et
unique [Esprit] de la divinité, [qui existe] en la Trinité ».
* Gen., I, 1. 3 Cf. I Cor., II, 11-12. 4 Cf. Psalm. XIII, 1.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 123

de même que nul ne sait ce qui se passe en un homme


si ce n'est l'esprit qui est en lui, ainsi également
[nul ne sait] ce qui est en Dieu si ce n'est l'Esprit
qui est en lui1, comment ne serait-ce pas un blasphème
que d'appeler créature l'Esprit qui est en Dieu, lequel
scrute même les profondeurs de Dieu2? En effet, qui
tient un tel langage3 en apprendra à dire que l'esprit c
de l'homme est en dehors de l'homme lui-même et
que le Verbe, qui est dans le Père, est une créature.
L'Esprit est encore et est appelé Esprit de sainteté
et de renouvellement. En effet, Paul écrit : « ...de celui
qui a été déclaré Fils de Dieu avec puissance selon
l'Esprit de sainteté, du fait d'une résurrection d'entre
les morts, Notre-Seigneur Jésus-Christ4 ». Il dit
encore : « Mais vous avez été sanctifiés, mais vous
avez été justifiés par le nom de Notre-Seigneur
Jésus-Christ et par l'Esprit de notre Dieu6 ». Et,
écrivant à Tite, il disait : « Mais quand la bonté de 584 a
notre Sauveur Dieu et son amour des hommes se
manifestèrent, non pas en raison des œuvres dans la
justice que nous avions faites nous-mêmes, mais
dans sa miséricorde, il nous sauva par un bain de
régénération et de renouvellement de l' Esprit-Saint,
qu'il répandit sur nous abondamment par Jésus-
Christ notre Sauveur, afin que, justifiés par la grâce
de celui-ci, nous devenions héritiers selon l'espérance
de la vie éternelle6 ». Les créatures, elles, sont sancti-
1 Cf. I Cor., II, 11. Saint Athanase semble avoir lu deux fois, dans
ce verset, les mots to iv avrw. Cf. infra, 592 A.
2 Cf. ibid., 10.
9 C'est-à-dire, quiconque dit que l'Esprit de Dieu est une créature
et par là place nécessairement l'Esprit en dehors de Dieu.
• Rom., I, 4. 6 I Cor., VI, 11. 6 TU., III, 4-7.
124 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

fiées et renouvelées, car [il est écrit] : « Tu enverras ton


Esprit, et ils seront créés, et tu renouvelleras la face
de la terre1 », et Paul, de son côté, dit : Il est impos
sible, en effet, que ceux qui ont été une fois éclairés
et qui ont goûté le don céleste et qui sont devenus
participants de l'Esprit-Saint2... ».
23. Celui donc qui n'est pas sanctifié par un autre,
ni participant de la sanctification, mais qui est lui-
même participable, celui en qui toutes les créatures
sont sanctifiées, comment serait-il un de tous ces
êtres [créés], propre à ceux qui participent à lui?
Ceux qui l'affirment doivent nécessairement dire que
le Fils, par qui toutes choses ont été faites, est égale
ment une de toutes ces choses.
L'Esprit est appelé [Esprit] vivifiant, car [Paul] dit :
« Celui qui a ressuscité Jésus-Christ des morts, vivi
fiera aussi vos corps mortels par son Esprit, qui habite
en vous3 ». Le Seigneur est la vie en soi et « l'auteur
de la vie », comme a dit Pierre4; mais le Seigneur
lui-même disait : « L'eau que je lui donnerai deviendra
en lui une source d'eau jaillissant jusqu'à la vie
éternelle6 »; or, « il disait cela de l^Esprit, que devaient
recevoir ceux qui croient en lui6 ». Pour les créatures,
comme il a été dit, elles sont vivifiées par lui; mais
celui qui n'a pas la vie par participation, mais est
lui-même objet de participation et vivifie les créatures,
quelle parenté a-t-il avec les êtres qui ont été faits?
Ou comment pourrait-il d'une manière quelconque
être [du nombre] des créatures, lesquelles sont vivi
fiées en lui par le Verbe?
1 Psalm. CIII, 30. 2 Hebr., VI, 4. » Rom., VIII, 11.
* Act,. III, 15. » Joh., IV, H. ' Ibid., VII, 39.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 125

L'Esprit est appelé onction et il est un sceau.


Car Jean écrit : « Pour vous, l'onction que vous avez
reçue de lui demeure en vous, et vous n'avez pas
besoin qu'on vous instruise, mais comme son onction,
— son Esprit, — vous instruit de toutes choses1 »;
dans le prophète Isaïe, il est écrit : « L'Esprit du
Seigneur est sur moi; c'est pourquoi il m'a oint2 »,
et Paul dit : « En lui aussi, après avoir cru, vous avez
été marqués d'un sceau pour le jour de la rédemp
tion3 ». Mais les créatures, c'est par lui qu'elles sont
marquées d'un sceau et ointes et instruites de toutes 585 A
choses. Que si l'Esprit est .l'onction et le sceau dont
le Verbe oint et marque toutes choses, quel rapport
de ressemblance ou de propriété y a-t-il entre l'onction
et le sceau [d'une part] et [d'autre part] les êtres qui
sont oints et marqués du sceau? Ainsi donc, d'après
cela encore, [l'Esprit] ne pourrait pas être lui-même
[du nombre] de tous les êtres [créés]. En effet, le
sceau n'est pas du nombre des êtres qui [en] sont
marqués, ni l'onction du nombre des êtres qui sont
oints, mais cela est propre au Verbe qui oint et marque
du sceau. Car l'onction a le parfum et l'odeur de celui
qui oint, et ceux qui sont oints y participent et disent :
« Nous sommes la bonne odeur du Christ4 ». Le sceau,
lui, a la forme du Christ, qui l'imprime, et ceux qui
en sont marqués, y participent, prenant forme d'après
lui, l'Apôtre disant : « Mes petits enfants, pour
lesquels je souffre une seconde fois les douleurs de
l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ prenne forme
en vous6 ». Mais, ainsi marqués du sceau, nous 2 B
1 I Joh., II, 27. s Is., LXI, 1. » Ephes.,lV, 30.
* II Cor., II, 15. « Gai., IV, 19.
126 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

devenons aussi tout naturellement participants de


la nature divine, comme a dit Pierre1, et ainsi, toute
la création devient participante du Verbe dans
l'Esprit.
24. C'est aussi par l'Esprit que nous sommes dits
tous participants de Dieu. En effet, [Paul] dit :
« Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu
et que l'Esprit de Dieu habite en vous? Si quelqu'un
détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira lui-même;
car le temple de Dieu, que vous êtes, est saint2 ». Or,
si l'Esprit-Saint était une créature, nous n'aurions
par lui aucune participation de Dieu, mais nous
serions joints à la créature et étrangers à la nature
c divine, en tant que ne participant en rien à elle.
Mais, maintenant que nous sommes dits participants
du Christ et participants de Dieu, il apparaît que
l'onction et le sceau, qui est en nous, n'est pas de la
nature des choses créées, mais de celle du Fils qui,
par l'Esprit qui est en lui, nous unit au Père. C'est,
en effet, ce que Jean, comme il a été dit plus haut3, a
enseigné en écrivant : « Nous connaissons que nous
demeurons en Dieu, et qu'il demeure en nous, en
ce qu'il nous a lui-même donné de son Esprit4 ».
Mais si, par la participation de l'Esprit, nous devenons
participants de la nature divine, bien insensé serait
quiconque dirait que l'Esprit appartient à la nature
588 a créée et non à celle de Dieu. C'est pour cela, en effet,
que ceux en qui il se trouve, sont divinisés. Que
s'il divinise, nul doute que sa nature ne soit [celle]
de Dieu.
1 II Petr., I, 4. 2 I Cor., III, 16-17.
2 Cf. supra, 576 B. » I Joh., IV, 13.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPIQN ' 127

Plus clairement encore pour la destruction de


cette hérésie, dans le psaume CIII, [David] chante,
comme nous l'avons dit précédemment1 : « Tu leur
retireras l'esprit, et ils expireront et ils retourneront
dans leur poussière. Tu enverras ton Esprit, et ils
seront créés et tu renouvelleras la face de la terre2 ».
Paul, de son côté, écrit à Tite : « ... par un bain de
régénération et de renouvellement de l'Esprit-Saint,
qu'il a versé en abondance sur nous par Jésus-Christ3 ».
Mais, si le Père crée et renouvelle toutes choses par le
Verbe dans l'Esprit-Saint, quelle ressemblance ou
parenté y a-t-il entre celui qui crée et les créatures?
Et comment en aucune façon celui en qui tout
est créé, pourrait-il être créature? Une telle calomnie,
en effet, s'accompagne du blasphème contre le Fils,
de sorte que ceux qui appellent l'Esprit une créature,
disent que le Verbe, par lequel tout est créé, est lui
aussi une créature.
L'Esprit est dit et est l'image du Fils, car « ceux
qu'il a connus d'avance, il les a aussi prédestinés
à être conformes à l'image de son Fils4 ». Ainsi
donc, le Fils étant donc, même selon ces gens-là5,
confessé n'être pas une créature, son image ne sera
pas non plus une créature : car telle que serait l'image,
tel aussi devrait être nécessairement celui, dont elle
est l'image. De là, c'est raisonnablement et comme
il convient que le Verbe est confessé n'être pas une
1 Cf. supra, 553A, 584A.
• Psalm. CIII, 29-30.
2 TU., III, 5-6. * Rom., VIII, 29.
* Il s'agit des Tropiques qui, comme saint Athanase l'a noté
(supra, 529 A) n'admettent pas que le Fils soit tenu pour une
créature et se séparent même, de ce chef, des Ariens.
128 LETTRES. SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

créature, puisqu'il est l'image du Père. Celui-là


donc qui compte l'Esprit parmi les créatures,
comptera aussi très certainement parmi elles le Fils,
c injuriant en même temps le Père par l'injure qu'il fait
à son image.
25. L'Esprit est donc différent des créatures, et il a
été montré qu'il est plutôt propre au Fils et non
étranger à Dieu.
Quant à la question rusée de ces gens-là : « Si
l'Esprit provient de Dieu, pourquoi n'est-il pas, lui
aussi, appelé fils? », on a déjà fait voir, dans ce
qui précède1, qu'elle est téméraire et audacieuse;
néanmoins, on le montrera encore à présent. En effet,
bien qu'il n'ait pas été appelé fils dans les Écritures,
mais bien Esprit de Dieu, il a [cependant] été dit
qu'il est en Dieu lui-même et de Dieu lui-même,
comme l'Apôtre l'a écrit2. Mais si le Fils, parce qu'il
provient du Père, est propre à la substance de celui-ci,
589 A n faut nécessairement que l'Esprit aussi, puisqu'il est
dit provenir de Dieu, soit propre au Fils selon la
substance. Certes, le Seigneur étant Fils, l'Esprit
lui-même a été appelé Esprit de filiation par adop
tion3. Puis, le Fils étant sagesse et vérité4, il est
écrit que l'Esprit est Esprit de sagesse et de vérité6.
Et encore, le Fils est force de Dieu6 et Seigneur de
la gloire, et l'Esprit est appelé Esprit de force et
Esprit de la gloire, l'Écriture parlant ainsi de chacun
d'eux. Paul écrit aux Corinthiens : « En effet, s'ils

1 Cf. supra, 568 A. » Cf. I Cor., II, 11-12.


» Cf. Rom., VIII, 15. 4 Cf. I Cor., I, 24; Joh., XIV, 6.
• Cf. Is., XI, 2; Joh., XIV, 17; XV, 26.
• Cf. I Cor., I, 24.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 129

l'avaient connue, ils n'auraient pas crucifié le


Seigneur de la gloire1 »; et ailleurs : « Car vous n'avez
pas reçu un esprit d'esclavage pour [retomber dans]
la crainte, mais vous avez reçu un Esprit de filiation
par adoption2 »; et encore : « Dieu a envoyé dans vos
cœurs l'Esprit de son Fils, lequel crie : Abba, Père3 ».
De son côté, Pierre écrivait : « Heureux, si vous êtes B
outragés au nom du Christ, car l'Esprit de gloire et
de force, l'Esprit de Dieu, repose sur vous4 ». Le
Seigneur, lui, a dit que l'Esprit est l'Esprit de la
vérité et Consolateur5 : d'où il apparaît qu'en lui
la Trinité est parfaite. En lui donc le Verbe glorifie
la création et, en conférant la divinisation et la
filiation par adoption, amène [les hommes] au Père.
Mais celui qui unit la créature au Verbe, ne peut pas
être lui-même du nombre des créatures; celui qui
confère la filiation par adoption ne peut pas être
étranger au Fils : sinon, il faudrait chercher un autre
Esprit, afin qu'en ce dernier il soit, lui aussi, uni au
Verbe. Mais cela serait absurde! L'Esprit n'est donc
pas du nombre des choses amenées à l'existence,
mais [il est] propre à la divinité du Père, [et] en lui
le Verbe divinise aussi les choses créées. Or, celui en
qui la création est divinisée, ne peut pas être lui-même
en dehors de la divinité du Père. c
26. Que l'Esprit soit au-dessus de la création,
qu'il soit différent de la nature des choses venues
à l'existence et propre à la divinité, c'est ce qu'on
peut encore saisir par les considérations que voici.

1 I Cor., II, 8. 2 Rom., VIII, 15. * Gai., IV, 6.


4 I Petr., IV, 14. 5 Cf. Joh., XIV, 16.

Lettres à Sérapion. 9
130 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

L'Esprit-Saint est immuable et invariable. En effet,


[l'Écriture] dit : « Le saint Esprit de discipline fuira
l'astuce et il s'éloignera des pensées dépourvues
d'intelligence1 »; et Pierre dit : « dans l'incorruptibilité
de l'Esprit doux et paisible2 »; [il est dit] encore
dans la Sagesse : « Car ton Esprit incorruptible
592 a est dans tous les êtres3 ». Et si « nul ne sait ce qui
appartient à Dieu,«si ce n'est l'Esprit de Dieu, qui est
en lui4 », tandis que chez Dieu, comme dit Jacques,
il n'y a « ni changement, ni ombre de variation* »,
il est logique que l' Esprit-Saint, étant en Dieu, soit
immuable, invariable et incorruptible. Mais la
nature des choses venues à l'existence et des créatures
est changeante, en tant qu'extérieure à la substance
de Dieu et tirée du néant. En effet, [l'Écriture]
dit : « Tout homme est menteur6 », et : « Tous ont
péché et sont privés de la gloire de Dieu7 », et : « Les
anges, qui n'ont pas conservé leur dignité, mais
ont abandonné leur propre séjour, il les a réservés
pour le jugement du grand jour, à jamais enchaînés
dans les ténèbres8 », et, en Job : « S'il ne se fie pas
à ses saints anges9 et a conçu un dessein tortueux
contre les anges, tandis que les astres ne sont pas
B purs devant lui10»; Paul, de son côté, écrit : « Ne savez-
vous pas que nous jugerons le» anges? A plus forte
raison, les choses de la vie quotidienne11». Nous avons
même appris encore que le diable, alors qu'il était

1 Sap., 1,5. sI Petr., III, 4. • Sap., XII, 1. 4 I Cor., II, 11.


« Jac, I, 17. • Psalm. CXV, 11. » Rom., III, 23. • Judas, 6.
• Il faut, sans doute, lire ici : « à ses serviteurs » (#carà iraihwv
oÙtov).
» Job, IV, 18 et XXV, 5. 11 I Cor., VI, 3.
PREMIÈRE LETTRE A SERAPION 131

au milieu des chérubins1, et était devenu sceau de


ressemblance2, tomba du ciel comme l'éclair3. Si les
créatures ont une telle nature et si de telles choses
sont écrites au sujet des anges, tandis que l'Esprit est
[toujours] le même, invariable, et partage l'immu
tabilité dû Fils, demeurant toujours invariable
avec lui, quelle ressemblance y a-t-il entre l'immuable
et les êtres changeants? Car il est manifeste que
[T Esprit-Saint] n'est pas une créature, qu'il n'est
nullement de la substance des anges, par le fait que
ceux-ci sont changeants, mais qu'il est l'image du Fils
et propre au Père.
En outre, «l'Esprit du Seigneur a rempli l'univers4» :
ainsi, en effet, chante également David : « Où irai-je
pour me dérober à ton Esprit6? » Et il est encore
écrit dans la Sagesse : « Ton Esprit incorruptible est
dans tous les êtres6 ». Mais, pour les choses venues
à l'existence, elles sont toutes dans des lieux parti
culiers : le soleil, la lune et les étoiles dans le firma
ment, les nuées dans l'air, et, pour les hommes,
[Dieu] a établi les frontières des nations7; les anges
aussi sont envoyés pour des ministères : « Et les anges
vinrent se présenter devant le Seigneur8 », comme il est
écrit dans [le livre de] Job, et le patriarche Jacob
« eut un songe, et voici [qu'il vit] une échelle posée
sur la terre et dont le sommet touchait le ciel, et sur
elle les anges de Dieu montaient et descendaient9 ».
Que si l'Esprit remplit toutes choses et, dans le Verbe,
est présent au milieu de toutes choses, tandis que les
1 CI. Ezbch., XXVIII, 14. » Cf. ibid., 12. » Cf. Luc, X,18.
» Sap., I, 7. • Psalm. CXXXVIII, 7. • Sap., XII, 1.
7 Cf. Aet., XVII, 26. » Job, I, 6. » Gen., XXVIII, 12.
132 LETTRES SUR LA DIVINITE DU SAINT-ESPRIT
593 A anges lui sont inférieurs et [ne] sont présents [que]
là où ils sont envoyés, nul doute que l'Esprit ne soit ni
du nombre des créatures, ni en aucune façon un ange,
comme vous le dites, mais il est au-dessus de la
nature des anges. ,
[ 27. Voici encore, en effet, des [paroles] d'où l'on
peut voir que l'Esprit-Saint rend participant mais
n'est pas participant, — car il ne faut pas craindre de
redire les mêmes choses. « Il est impossible, en effet,
dit [Paul], que ceux qui ont été une fois éclairés et
qui ont goûté le don céleste, et qui sont devenus
participants de l'Esprit-Saint, et qui ont goûté la
bonne parole de Dieu1 » etc. Or, les anges et les autres
êtres créés participent à l'Esprit lui-même; c'est
pour cela, en effet, que ces êtres peuvent aussi déchoir
de [la participation à] celui, dont ils ont été rendus
participants. L'Esprit, au contraire, est toujours le
même, car il n'est pas du nombre des participants,
mais c'est à lui que tous les êtres participent. Que si
b l'Esprit est toujours le même et rend participant,
tandis que les créatures participent à lui, l'Esprit-
Saint n'est ni un ange, ni en aucune façon une créa
ture, mais il est propre au Verbe, par lequel il est
donné lorsqu'il est participé par les créatures : sinon,
c'est l'instant, pour les adversaires, d'appeler égale
ment créature le Fils, à qui nous avons été rendus
participants dans l'Esprit.
Et encore : l'Esprit-Saint est unique, tandis que les
créatures sont multiples2. En effet, les anges sont des
1 Hebr., VI, 4-5.
s L'argumentation de saint Athanase oppose l'unicité de l'Esprit-
Saint, non pas à la multiplicité des créatures en général, mais à la
multiplicité d'individus dans chaque espèce de créatures.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 133

milliers de milliers et des myriades de myriades;


les astres sont multiples; les trônes, les dominations,
les ciçux1, les chérubins, les séraphins et les archanges
aussi sont multiples et, en un mot, les créatures ne
sont pas uniques, mais toutes sont multiples et
différentes. Que si l'Esprit-Saint est unique tandis
que les créatures sont multiples et multiples les anges,
quelle ressemblance y a-t-il entre l'Esprit et les êtres
venus à l'existence? Il est manifeste que l'Esprit
n'est pas du nombre des êtres multiples, ni non plus c
un ange, mais qu'il est unique et même propre au
Verbe, qui est unique, et propre à Dieu, qui est unique,
et consubstantiel [à eux].
Ainsi donc, les considérations faites au sujet du
Saint-Esprit montrent déjà à elles seules et par elles-
mêmes qu'il n'a rien de commun ni de propre, quant
à la nature et la substance, avec les créatures, mais
qu'il est propre à la substance et divinité du Fils,
par laquelle, appartenant aussi à la Trinité, il couvre
de honte la stupidité des adversaires.
28. Cependant, voyons en outre la tradition, la
doctrine et la foi, depuis l'origine, de l'Église catho- D
lique, [foi] que le Seigneur a donnée, que les Apôtres
ont annoncée et que les Pères ont gardée. C'est sur 596 A
elle, en effet, que l'Église a été fondée, et qui en
déchoit ne peut plus ni être ni être appelé chrétien.
Il y a donc une Trinité sainte et parfaite, reconnue
comme Dieu dans le Père et le Fils et le Saint-Esprit;

1 La mention des « deux » dans l'énumération des chœurs angéliques


est étrange (voir supra, 561 C et infra, 613 B-C) et pourrait être due
à une mauvaise lecture, qu'il n'est pas possible de contrôler
actuellement.
134 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

elle ne comprend rien d'étranger, rien qui lui soit


mêlé de l'extérieur; elle n'est pas constituée de
créateur et de créé, mais elle est tout entière vertu
créatrice et productrice; elle est semblable à elle-
même, indivisible par sa nature, et unique est son
efficience. En effet, le Père fait toutes choses par le
Verbe dans l'Esprit, et c'est ainsi que l'unité de la
Sainte Trinité est sauvegardée, ainsi que, dans
l'Église, est annoncé un [seul] Dieu, « [qui est]
au-dessus de tous et [agit] par tous et [est] en tous1 :
« au-dessus de tous » comme Père, comme principe
et source, « par tous » par le Verbe, « en tous » dans
B l'Esprit-Saint. 'La Trinité existe, non pas limitée à
un nom et à l'apparence d'un mot, mais [comme]
Trinité en vérité et réalité. Car de même que le Père
est l'Existant, ainsi son Verbe est l'Existant et Dieu
par-dessus tout, et l'Esprit-Saint n'est pas dépourvu
d'existence, mais il est et subsiste vraiment. L'Église
catholique ne pense rien de moins, pour éviter de
tomber au rang de ceux qui sont actuellement
juifs à la manière de Caï'phe et de Sabellius2; elle
n'imagine rien de plus, pour éviter de rouler dans le
polythéisme des Gentils3.
Que telle soit bien la foi de l'Église, que [les adver
saires] l'apprennent par la manière dont le Seigneur,

1 Ephes., IV, 6.
2 Les « Juifs à la manière de Caïphe » sont, comme il a été dit plus
haut (p. 120, n. 9), les Ariens, qui nient la divinité du Christ. Ainsi,
ils " pensent moins » que l'Église catholique au sujet de la Trinité,
de laquelle ils excluent le Verbe, et d'ailleurs aussi l'Esprit. Sabellius
« pense moins » que l'Église en n'admettant, comme on le sait, qu'une
Trinité de noms et non pas de personnes réellement distinctes.
* Les païens • imaginent plus » que la Trinité enseignée par l'Église
catholique, en admettant la pluralité de dieux.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 135

lorsqu'il envoya les Apôtres, leur enjoignit de donner


ce fondement à l'Église, en disant : « Allez, enseignez
toutes les nations, les baptisant au nom du Père et
du Fils et du Saint-Esprit1 ». De leur côté, les Apôtres, c
s'en étant allés, enseignèrent ainsi, et telle est la
prédication [répandue] dans toute l'Église qui est
sous le ciel.
29. Ainsi donc, puisque c'est là le fondement de la
foi de l'Église, que ces gens, une fois de plus, parlent
et répondent : y a-t-il Trinité ou dyade? S'il y a dyade,
comptez alors l'Esprit avec les créatures! Mais, étant
telle, votre croyance ne va pas à un seul Dieu, qui est
au-dessus de tous et [agit] par tous et [est] en tousl
Car vous ne retenez pas [l'affirmation : « qui est] en
tous », puisque vous arrachez et rendez étranger à la
Trinité l'Esprit. Et votre initiation, que vous croyez
accomplir alors que vous pensez ainsi, ne se fait pas d
intégralement en [vous ordonnant à] la divinité,
car il s'y mêle une créature! Et vous aussi, comme les 597A
Ariens et les Gentils, vous traitez comme ..Dieu la
créature, avec Dieu, qui l'a créée par son propre Verbe!
Mais, ainsi disposés, quelle sorte d'espérance avez-
vous? Qui vous unira à Dieu, alors que vous n'avez
pas l'Esprit de D^eu lui-même, mais celui de la créa
ture? Quelle témérité encore, quelle inconsidération
de votre part de rabaisser le Père et son Verbe parmi
les créatures et d'égaler ensuite la créature à Dieu?
Car c'est bien cela que vous faites en vous représen
tant l'Esprit comme une créature et en le rangeant
[avec le Père et le Fils] en une Trinité. Quel est aussi

1 Matth., XXVIII, 19.


136 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

votre égarement, allant jusqu'à penser « l'iniquité


contre Dieu1 », en ce que ce ne soient pas tous les
anges ou toutes les créatures, mais un seul de ces êtres
qui soit compté avec Dieu et son Verbe? Il faudrait,
dans votre opinion, dès que l'Esprit est un ange et
b une créature, et [pourtant] prend rang dans la Trinité,
que l'on range avec elle, non pas un ange, mais
tous les anges qui ont été créés, et qu'il y ait, non
plus Trinité, mais multitude innombrable de divinité2.
Ainsi également, votre initiation, qui semble à son
tour se faire par là, étant divisée de part et d'autre,
sera caduque par son manque d'unité. Tels sont,
en effet, vos mystères aussi bien que ceux des Ariens,
tandis que vous nourrissez des pensées contraires à
la divinité et que vous servez la créature au lieu de
Dieu, le créateur de toutes choses3.
30. Voilà les absurdités devant lesquelles vous vous
trouvez si vous affirmez [seulement] une dyade.
Mais s'il y a une Trinité, comme il en est en effet,
et s'il a été démontré qu'elle est indivise et nullement
dissemblable [à elle-même], il faut nécessairement
qu'une en soit la sainteté, qu'une en soit l'éternité
c et la nature immuable. Car de même que la foi, qui
1 Cf. Psalm. LXXIV, 6. %
* Saint Athanase veut dire que, si l'Esprit-Saint est considéré
comme un ange ou une créature, il n'y a aucune raison de lui réserver
exclusivement l'association au Père et au Fils dans la Trinité. Cet
honneur devrait revenir également à tous les anges, à toutes les
créatures, et la divinité subsisterait, non plus en la Trinité seulement,
mais en une multitude innombrable d'êtres.
* Cf. Rom., I, 25. — Que l'on nie, comme les adversaires ici visés,
la divinité du Saint-Esprit, ou, comme las Ariens, celle du Fils
(et du Saint-Esprit), l'effet est le même, dit saint Athanase : le baptême
étant conféré au nom de Dieu (le Père) et de la créature, l'initiation
chrétienne ainsi tentée est invalide. Saint Athanase va expliquer
bientôt sa pensée à ce sujet (infra, 597 C).
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 137

a été transmise [pour croire] en elle1, est une et que


c'est précisément [cette foi] qui unit à Dieu, tandis
que qui enlève quelque chose de la Trinité et est
baptisé au seul nom du Père ou au seul nom du Fils,
ou dans le Père et le Fils sans l'Esprit, ne reçoit rien
mais reste dénué [de fruit] et non-initié lui-même
tout comme celui qui semble donner [l'initiation],
celle-ci [ne] se faisant [que] dans la Trinité : de même
qui sépare le Fils du Père ou rabaisse l'Esprit parmi
les créatures, ne possède ni le Fils ni le Père, mais est
sans Dieu et pire qu'un infidèle2. Il est tout plutôt
que chrétien, et ce n'est que justice! En effet, comme
unique est le baptême conféré dans le Père et le Fils
et le Saint-Esprit, et unique la foi en cette [Trinité], d
ainsi que dit l'Apôtre3 : ainsi la sainte Trinité, eoo a
identique à elle-même et douée d'unité quant à elle-
même, n'a en elle-même rien [qui soit du nombre]
des créatures. C'est là l'indivisible unité de la Trinité,
et unique est la foi en cette [Trinité].
Que s'il n'en est pas ainsi, selon l'invention faite
par vous, les Tropiques, qui avez rêvé d'affirmer, au
contraire, que l'Esprit-Saint est une créature, votre
foi n'est plus unique, ni votre baptême unique,
mais [vous en avez] deux : l'un [conféré] dans le Père
et le Fils, et l'autre dans un ange, qui est une créature,
et désormais, chez vous, rien n'est plus sûr ni vrai.
Car qu'y a-t-il de commun entre la créature et son
auteur? Quelle unité entre les créatures inférieures
et le Verbe, qui les a produites?

1 Lire : ij els avrrjv irapahihofiévTf.


• Cf. I Tim., V, 8. 3 Cf. Ephes., IV, 5.
138 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

Le bienheureux Paul le savait bien: aussi ne divise-t-


il pas la Trinité, comme vous le faites, mais enseigne-
t-il l'unité de cette [Trinité] lorsqu'il écrit aux Corin-
B thiens à propos des [dons] spirituels et rapporte
toutes choses à un seul Dieu, le Père, comme à un seul
chef, en ces termes : « Il y a pourtant des diversités
de dons, mais c'est le même Esprit; et il y a des diver
sités de ministères, mais c'est le même Seigneur;
et il y a des diversités d'opérations, mais c'est le
même Dieu, qui opère tout en tous1 ». Car les [dons]
que l'Esprit départit à chacun, ce sont ceux qui sont
accordés de la part du Père par le Verbe. En effet,
tout oe qui appartient au Père, appartient au Fils;
c'est pourquoi les [biens] donnés par le Fils dans
l'Esprit sont aussi des dons du Père. Et quand
l'Esprit est en nous, le Verbe, qui [nous] le donne,
est aussi en nous, et dans le Verbe se trouve le Père,
et tel est le [sens du texte] : « Nous viendrons, moi
et le Père, et nous demeurerons chez lui2 », comme
il a déjà été dit3. Car où est la lumière, là est aussi son
c éclat; et où est l'éclat, là sont aussi sa vertu agissante
et sa grâce resplendissante.
C'est cela encore que Paul enseignait lorsqu'il
écrivait derechef aux Corinthiens, disant aussi dans
sa seconde lettre : « Que la grâce de Notre-Seigneur
Jésus-Christ et la charité de Dieu et la communication
du Saint-Esprit soient avec vous tous4 ». Car la grâce
et le don accordés dans la Trinité sont donnés de
la part du Père par le Fils dans l'Esprit-Saint. En

1 I Cor., XII, 4-6. • Joh., XIV, 23. » Cf. supra, 576 B.


* II Cor., XIII, 13.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 139

effet, de même que la grâce accordée vient du Père


par le Fils, ainsi il ne peut y avoir communication
du don en nous si ce n'est dans l'Esprit-Saint; car
c'est en participant à lui que nous avons la charité
du Père et la grâce du Fils et la communication
de l'Esprit lui-même.
31. Il ressort aussi de ces considérations qu'unique
est la vertu agissante de la Trinité. En effet, l'Apôtre
ne marque pas comme différents et séparés les dons D
accordés par chaque [personne de la Trinité], mais 601 A
[il indique] que les dons sont accordés dans la Trinité
et qu'ils proviennent tous d'un seul Dieu. Celui donc
qui n'est pas une créature, mais est uni au Fils comme
le Fils est uni au Père; celui qui est glorifié avec le
Père et le Fils et traité comme Dieu avec le Verbe;
celui qui opère ce que le Père opère par le Fils :
comment celui qui l'appelle une créature n'agit-il pas
tout aussitôt en impie contre le Fils lui-même?
Il n'est, en effet, rien qui n'arrive et ne s'opère
point par le Verbe dans l'Esprit. C'est ce qui est
chanté aussi dans les Psaumes : « Par le Verbe du
Seigneur les cieux ont été fermement établis, et par
l'Esprit de sa bouche toute leur vertu1 »; et, au
psaume CXLVII : « Il enverra son Verbe et il les
fondra; il fera souffler son Esprit et les eaux cou
leront2 ». Et, comme dit l'Apôtre, nous avons été
justifiés « par le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ b
et par l'Esprit de notre Dieu3 ». L'Esprit, en effet,
est inséparable du Fils. Assurément, si le Seigneur

1 Psalm. XXXII, 6. 2 Psalm. CXLVII, 7.


• I Cor., VI, 11.
140 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

dit : « Nous viendrons, moi et le Père1 », l'Esprit


vient avec eux pour habiter, tout comme le Fils, en
nous, puisque Paul écrit aux Éphésiens : « afin
qu'il vous accorde, selon la richesse de sa gloire, que
vous soyez affermis avec puissance par son Esprit
en l'homme intérieur, que le Christ habite [par
la foi dans vos cœurs]2 ». Mais, le Christ étant en
nous, le Père aussi [y est], puisque le Fils dit : « Je suis
dans le Père et le Père est en moi3 ». C'est pourquoi
encore, le Verbe étant présent dans les prophètes,
c'est par l'Esprit-Saint lui-même qu'ils prophétisent.
Aussi, lorsque l'Écriture dit : « Et le Verbe du Seigneur
vint » à tel ou tel prophète4, celui-ci apparaît-il
c [comme] prophétisant par l'Esprit-Saint. En effet,
il est écrit en Zacharie : «_ Cependant, recevez mes
par'oles et mes décrets, que j'intime dans mon Esprit
à mes serviteurs, les prophètes6 », tandis qu'un peu
plus loin, accusant le peuple, [Dieu] dit : « Ils ont
rendu leur cœur indocile, pour ne pas entendre mes
lois et les paroles qu'a envoyées le Seigneur tout-
puissant par son Esprit par le moyen de ses anciens
prophètes6 ». De son côté, Pierre disait, dans les
Actes : « Mes frères, il fallait que s'accomplît l'Écri
ture, que l'Esprit-Saint a dictée d'avance7 », et tous
ensemble les Apôtres s'écriaient : « Maître, c'est
vous8 qui avez fait le ciel et la terre et la mer et tout
ce qu'ils renferment, vous qui avez dit par l'Esprit-
604 A Saint, par la bouche de notre père David, votre
serviteur9 ». Paul également, étant à Rome, ne
1 Joh., XIV, 23. 2 Ephes., III, 16-17. 9 Joh., XIV, 10.
4 Cf. par exemple, Jon., I, 1. 6 Zach., I, 6. • Ibid., VII, 12.
7 Ad., I, 16. 6 Lire : ov à iroir/oas. ' Ad., IV, 24-25.

PREMIÈRE LETTRE A SÊRAPION 141

craignait pas de dire aux Juifs qui venaient le trouver :


« L'Esprit-Saint a bien dit par le prophète Isaïe à
vos pères1 ». A Timothée, il écrivait : « Or, l'Esprit
dit expressément que dans les derniers temps certains
abandonneront la foi saine en s'attachant à des esprits
d'erreur2 ». C'est pourquoi, quand l'Esprit est dit
présent en quelqu'un3, on conçoit qu'en lui le Verbe
donne l'Esprit. Tandis donc que s'accomplissait la
prophétie : « Je répandrai de mon Esprit sur toute
chair4 », Paul disait : « Selon la communication de
l'Esprit de Jésus-Christ en moi6 »; et il écrivait aux
Corinthiens : « Est-ce la marque probante du Christ
parlant en moi que vous cherchez6? » Si c'était le
Christ qui parlait en lui, il est manifeste que l'Esprit b
qui parlait en lui était [l'Esprit] du Christ. Et en effet,
tandis que le Christ parlait en lui, [Paul] disait encore,
dans les Actes : « Et maintenant, voici que lié par
l'Esprit, je vais à Jérusalem, sans savoir ce qui doit
m'y arriver, si ce n'est que, de ville en ville, l'Esprit-
Saint m'assure que des chaînes et des persécutions
m'attendent7 ». En conséquence, si les saints8 disent :
« Voici ce que dit le Seigneur9 », ils ne parlent pas
autrement que dans l' Esprit-Saint, et en parlant dans
l'Esprit, c'est dans le Christ qu'ils disent ces paroles.
Que si Agabus dit, dans les Actes : « Voici ce que dit
l' Esprit-Saint10», c'est simplement quand le Verbe fut
1 Act., XXVIII, 25. y" I Tim., IV, 1.
» Lire évrivi au lieu de évrioi. ♦ Joël, II, 28.
• Cf. Philipp., I, 19, où manquent les deux mots els ifié.
• Il Cor., XIII, 3. 7 Act., XX, 22-23.
• Les « saints » sont, ici comme plus bas (605A), les auteurs bibli
ques et surtout les prophètes.
• Expression fréquente dans l'Écriture, par exemple, chez les
prophètes. 10 Act., XXI, 11.
142 LETTRES SUR LA DIVINITE DU SAINT-ESPRIT

venu à lui, que l'Esprit lui donnait de parler et


c d'attester ce qui attendait Paul à Jérusalem. Certes,
lorsque l'Esprit donnait des assurances à Paul, c'était
encore le Christ lui-même qui parlait en lui, de sorte
605 a que l'assurance qui provenait de l'Esprit, était [celle]
du Verbe. Ainsi encore, lorsque le Verbe descendit
sur la sainte Vierge Marie, l'Esprit vint avec lui et,
dans l'Esprit, le Verbe se forma et adapta le corps,
voulant unir et présenter par lui-même la création
au Père et « en faisant la paix, réconcilier toutes
choses en lui, ce qui est dans les cieux et ce qui est
sur la terre1 ».
32. Ainsi donc, [des témoignages] concordants des
divines Écritures il apparaît que l' Esprit-Saint n'est
pas une créature, mais [qu'il est] propre au Verbe et
à la divinité du Père. C'est ainsi, en effet, que l'ensei
gnement des saints converge en la sainte et indivise
Trinité et qu'une est la foi même de l'Église catho
lique, tandis que la fable insensée forgée par les
B Tropiques est en désaccord avec les Écritures, mais
en accord avec la démence des Ariomanites : et il
semble bien qu'ils [ne] recourent à cette feinte [que]
pour induire en erreur les simples. Mais grâces
soient rendues au Seigneur de ce que, comme tu
l'écris, ils n'ont pas réussi à se couvrir de cette
opposition affectée aux Ariens! Car ces derniers aussi
les détestent, parce que ce n'est que l'Esprit, et non
pas également le Verbe, qu'ils disent être une créature,
et tous les réprouvent comme vraiment en lutte
contre l'Esprit et comme destinés à une mort pro-
1 Cf. Coloss., I, 20.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 143

chaine, dépourvus qu'ils sont et dénués de l'Esprit.


En effet, selon le bienheureux Apôtre, en tant
qu'hommes psychiques1, ils n'ont pas pu percevoir
les [dons] de l'Esprit de Dieu, choses qui veulent être
jugées spirituellement. Mais ceux qui tiennent les
[doctrines] de la vérité, jugent tout, tandis qu'eux-
mêmes ne sont jugés par personne2, parce qu'ils ont en
eux le Seigneur qui, par l'Esprit, se révèle lui-même c
à eux et, par lui-même, [leur révèle] le Père.

33. Moi donc, bien que vivant au désert, mû


cependant par l'impudence de ceux qui se sont
détournés de la vérité, sans me soucier de ceux qui
voudront rire de la faiblesse et de l'humilité de la
démonstration donnée par mes paroles, j'ai composé
ce court écrit et je l'envoie à ta Piété. Je t'en prie
instamment : lorsque tu en auras pris connaissance,
fais-y les corrections [nécessaires] et sois indulgent
pour les pauvretés de ma parole. C'est, en effet, selon
la foi apostolique qui nous a été transmise par les Pères
que j'ai transmis [la doctrine]; je n'ai rien imaginé
qui y fût étranger, mais c'est ce que j'avais appris que
j'ai retracé par écrit conformément aux saintes
Écritures : car cela aussi est conforme à ce qui a été
allégué en confirmation d'après les saintes Écritures d
et n'est pas imagination tirée d'ailleurs. C'est le
Seigneur Jésus-Christ lui-même qui a enseigné par
lui-même à la Samaritaine, et par elle nous [a enseigné]
1 L'homme psychique est, pour saint Paul ici cité par saint Atha-
nase, celui qui n'a pas d'autre principe de vie et d'action que l'âme,
la i/iv humaine. Il s'oppose à l'homme spirituel, qui est celui en qui
l'Esprit de Dieu habite et agit sans entraves.
• Cf. I Cor., II, 14-15.
144 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

la perfection de la Sainte Trinité, indivise et unique


divinité. La Vérité même l'atteste, comme elle dit
608 A à la Samaritaine : « Crois-moi, femme : l'heure
approche et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs
adoreront le Père dans l'Esprit et la Vérité. Car ce sont
de tels adorateurs que le Père demande. Dieu est
esprit, et ceux qui l'adorent, doivent l'adorer dans
l'Esprit et la Vérité1 ». D'où il apparaît que la Vérité,
c'est le Fils lui-même, comme il le déclare lui-même :
« Je suis la Vérité2 », et c'est de lui que le prophète
David également» en appelant au secours, disait :
« Envoie ta Lumière et ta Vérité3 ». Ainsi donc, les
vrais adorateurs adorent sans doute le Père, mais dans
l'Esprit et la Vérité, confessant le Fils et, en lui,
l'Esprit, car l'Esprit est inséparable du Fils comme le
Fils est inséparable du Père. C'est la Vérité elle-même
qui en témoigne en disant : « Je vous enverrai le Con-
b solateur, l'Esprit de la Vérité, qui procède du Père4,
celui que le monde ne peut pas recevoir6 » : [le monde],
c'est-à-dire, ceux qui nient qu'il [vienne] du Père
[et soit] dans le Fils. Il faut donc, à l'imitation des
vrais [adorateurs], confesser la Vérité et s'empresser
vers elle.
Que si peut-être, après ces explications, [les adver
saires] ne veulent pas s'instruire et ne parviennent
pas à comprendre, qu'ils cessent du moins leurs
injures et ne divisent plus la Trinité, de peur d'être
eux-mêmes séparés de la vie. Qu'ils ne comptent
plus l'Esprit-Saint au nombre des créatures, de

1 Joh., IV, 21, 23-24. » Ibid., XIV, 6. • Psalm. XLII, 3.


4 Joh., XV, 26. 6 Ibid., XIV, 17.
PREMIÈRE LETTRE A SÉRAPION 145

peur que, comme les Pharisiens de jadis, qui attri


buaient à Beelzeboul les [œuvres] de l'Esprit1, eux
aussi, pour avoir agi avec la même audace, ils ne
subissent avec eux un châtiment impitoyable en ce
monde et en l'autre.

1 Cf. Matth., XII, 24.

Lettres à Sérapion 10
DEUXIÈME LETTRE

A SÉRAPION

1. Je pensais, moi, que même ainsi [que je l'ai 608 c


fait], j'avais écrit bien peu de choses1, et je m'accusais
moi-même d'une grande faiblesse, comme n'ayant
pas eu la force d'écrire autant qu'il est permis aux
hommes de dire contre ceux qui sont impies à l'égard
de l'Esprit-Saint. Mais puisque, comme tu l'écris,
certains d'entre les frères ont demandé que je résume
encore mon exposé, afin qu'ils aient une défense toute
prête et concise à opposer à ceux qui posent des
questions au sujet de notre foi et une réfutation
contre les impies, je l'ai fait encore, avec la confiance 609 A
que,, vu la droiture de ta conscience, s'il manque
quelque chose dans ce résumé, tu le compléteras2.
Repliés sur eux-mêmes et ne considérant rien de
plus, rien qui soit en dehors d'eux-mêmes, les Ariens,
à la manière des Sadducéens3, ont compris l'Écriture

1 II s'agit de la première lettre; saint Athanase y avait déjàexprimé


son propos d'écrire brièvement (532 B) et sa conviction de l'avoir fait
(605 C).
* Même précaution prise par saint Athanase dans la lettre précé
dente (532 B, 605 C).
* Les Sadducéens étaient, parmi les Juifs du temps du Christ et
des Apôtres, les esprits forts qui niaient, par exemple, la résurrection
des morts, l'existence des anges, des esprits (Cf. Act., XXIII, 8).
Leur mentalité apparaît bien dans le cas subtil qu'ils posent à Jésus
(Cf. Matth., XXII, 23 et suiv.); leurs questions captieuses, en cette
occasion, sont du même genre que celles qui vont être signalées par
saint Athanase chez les Ariens et chez les Tropiques.
148 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

divinement inspirée au moyen des calculs de la


raison humaine. Ainsi donc lorsqu'ils entendent dire
que le Fils est sagesse, éclat et Verbe du Père, ils ont
coutume d'objecter : «Comment cela peut-il se faire?»,
persuadés que ce qu'ils ne peuvent pas concevoir,
eux, ne peut pas être. Ce serait le moment pour eux
de faire aussi au sujet de l'univers des réflexions
semblables : « Comment la création, alors qu'elle n'est
pas, peut-elle ^venir à l'existence? Comment la
poussière terrestre peut-elle être façonnée en homme
doué de raison? Comment ce qui est corruptible
[peut-il] devenir incorruptible? Comment la terre
a-t-elle été fondée sur les mers et Dieu l'a-t-il disposée
sur les fleuves1? » Il ne leur faudrait plus que se dire
b à eux-mêmes : « Mangeons et buvons, car demain
nous mourrons2 », pour qu'une fois qu'ils seront
détruits, soit détruite avec eux la folie de leur hérésie.
Une telle manière de penser, frappée de mort et
de corruption, est donc celle des Ariens. Au contraire,
la parole de la vérité, qu'ils auraient dû méditer
eux aussi, s'énonce ainsi : Si Dieu est source et lumière
et Père, il n'est permis de dire ni que cette source est
tarie, ni que cette lumière est sans éclat, ni non plus
que ce Dieu est sans Verbe, de crainte que Dieu ne
soit privé de sagesse, de raison et de splendeur.
Ainsi donc, le Père étant éternel, il faut que le Fils
aussi soit éternel; car ce que nous concevons comme
étant dans le Père, nul doute que cela ne se trouve
c aussi dans le Fils, puisque le Seigneur lui-même
déclare : « Tout ce qu'a le Père est à moi3, et tout ce
1 Cf. Psalm. XXIII, 2. * Isai., XXII, 13; I Cor., XV, 32.
» Joh., XVI, 15.
DEUXIÈME LETTRE A SÉRAPION 149

qui est à moi est au Père1 ». Éternel est donc le Père;


éternel est aussi le Fils, car c'est par lui que les siècles
ont été faits2. Le Père est existant; le Fils [l'est]
nécessairement aussi3, pui], « Pexistant au-dessus
de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen4 », comme
dit Paul. Il n'est pas permis de dire au sujet du Père :
« Il fut un temps qu'il n'était pas »; il n'est pas permis
de dire au sujet du Fils : « Il fut un temps qu'il n'était
pas6 ». Tout-puissant est le Père; tout-puissant est
aussi le Fils, puisque Jean déclare : « Celui qui est, qui
était, qui vient, le Tout-Puissant6 ». Le Père est
lumière; le Fils est éclat et vraie lumière. Vrai Dieu 612 a
est le Père; vrai Dieu le Fils, car voici comment Jean
a écrit : « Nous sommes dans le Véritable, dans son
Fils Jésus-Christ. Celui-ci est le vrai Dieu et la vie
éternelle7 ». Il n'y a absolument rien de ce qu'a le Père,
qui ne soit au Fils. Voici, en effet, pourquoi le Fils
est dans le Père et le Père dans le Fils : c'est parce
que ce qui appartient au Père, cela même est dans
le Fils et cela même est encore conçu [comme étant]
dans le Père. Ainsi comprend-on aussi [la parole] :
« Moi et le Père, nous sommes un8 », parce qu'il n'y
a pas autre chose en celui-ci et autre chose dans le
Fils, mais ce qui est dans le Père, c'est cela même
qui est dans le Fils. Et parce que ce que tu vois dans
le Père, tu le vois aussi dans le Fils, on comprend

1 a. Joh., XVII, 10. 2 Ci.Hebr., L 2%


* Le traducteur arménien a lu : àvdyKr) wv iori kcli 6 Yios.
* Rom., IX, 5.
6 Cette formule appartient aux Ariens; elle se trouvait dans l'écrit
d'Arius intitulé Thalie. Cf. Athanase, 1er Discours contre les Ariens,
5 (P. G., XXVI, 2Ï A).
4 Apoc, I, 8. 7 I Joh., V, 20. 6 Joh., X, 30.
150 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

bien la parole : « Qui m'a vu, a vu le Père1 ».


3. Ces choses ainsi établies, impie est celui qui dit
b que le Fils est une créature, car il sera contraint
d'appeler également^ créature la source jaillissante,
créature la Sagesse, le Verbe, en qui se trouve tout
ce qui appartient au Père. On peut surtout apercevoir
l'inanité de l'hérésie des Ariomanites grâce aux
considérations suivantes. A ceux à qui nous sommes
semblables et avec lesquels nous possédons l'identité,
à ceux-là nous sommes aussi consubstantiels2. Étant
donc des hommes semblables [les uns àux autres] et
possédant l'identité [les uns avec les autres], nous
sommes consubstantiels les uns aux autres. Car tous
nous avons identiquement d'être mortels, corruptibles,
changeants, tirés du néant. Les anges entre eux et
tous les autres êtres [entre eux] ont de même une
nature identique. Qu'ils cherchent donc, les ergoteurs,
si les créatures ont quelque ressemblance avec le Fils
ou s'ils peuvent trouver dans les créatures ce qui est
dans le Fils, pour oser même appeler créature le Verbe
de Dieu. Mais ils ne trouveront pas, ces hommes qui
ont toutes les audaces et qui s'égarent en ce qui
c concerne la piété ! Car parmi les créatures, nulle n'est
toute-puissante, nulle n'est soumise à la puissance
d'une autre : chacune [d'elles], en effet, appartient
à Dieu lui-même. Car « les cieux racontent la gloire
de Dieu3 », [et] « au Seigneur est la terre et tout ce
qu'elle renferme4 », [et] « la mer le vit et s'enfuit6 ».

1 Joh., XIV, 9.
1 Lire : kcli rrjv ravrorrjra éxofiev, tovtwv k<Ù àfioovowi
iojxev, et voir V Introduction, supra, p. 68, n. 2.
» Psalm. XVIII, 2. 4 Psalm. XXIII, 1. 6 Psalm. CXIII, 3.
DEUXIÈME LETTRE A SÉRAPION 151

Tous les êtres sont les serviteurs de Celui qui les a


faits : ils accomplissent sa parole1 et obéissent à son
ordre. Le Fils, lui, est tout-puissant, comme le Père, et
cela a déjà été écrit et démontré2.
En outre, parmi les créatures rien n'est, par nature,
soustrait au changement. Car parmi les anges, certains
n'ont point gardé leur dignité propre3, et « les étoiles
ne sont pas pures à ses yeux4 », et le diable est tombé
du ciel, Adam a commis la transgression et tous les
êtres changent. Le Fils, lui, est immobile et immuable, d
comme le Père : et cela, Paul l'a rappelé, d'après le
psaume CI, en disant : « Et toi, Seigneur, au com-6i3A
mencement tu as fondé la terre et les cieux sont des
œuvres de tes mains. Ils périront, mais tu demeureras;
et tous, comme un vêtement, ils s'useront et, comme
un manteau, tu les changeras et ils seront changés,
tandis que toi, tu es le même et tes années ne finiront
point6 ». Il dit encore : « Jésus-Christ hier et aujour
d'hui est le même et pour les siècles6 ».
4. Et encore : tous les êtres venus à l'existence
n'étaient pas [tout d'abord] et sont [ensuite] venus
à l'existence. En effet, [Dieu] a fait la terre, en tant
qu'elle n'était rien, et [il est] « celui qui appelle ce
qui n'est pas comme s'il était7 ». Ce sont des œuvres et
des créatures; c'est pourquoi elles ont aussi un com
mencement de leur existence, car « au commencement,

1 Psalm. CU, 20.


* Cf. Athanase, 2e Discours contre les Ariens, 23-24 (P. G., XXVI,
197), où il est établi par des preuves scripturaires que le Fils est vrai
Dieu et tout-puissant comme le Père.
3 Cf. Judas, 6. 4 Job, XXV, 5.
1 Hebr., I, 10-12; Psalm. Cl, 26-28.
• Hebr., XIII, 8. 7 Rom., IV, 17.
152 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

Dieu a fait le ciel et le terre1 » et tout ce qui y est


renfermé; et encore : « C'est ma main qui a fait toutes
b ces choses2 ». Le Fils, lui, est [simplement] existant
et Dieu au-dessus de tout, cdïnme le Père, — et cela
a été démontré également3. Il n'est pas fait, mais il
fait; il n'est pas créé, mais il crée et fait les œuvres du
Père : car c'est par lui que les siècles ont été faits4,
et « tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été
fait6 », et comme l'Apôtre l'enseignait [en reprenant
la parole] du psaume6, au commencement il a fondé
la terre et les cieux sont les œuvres de ses mains7.
Et puis : parmi les créatures, aucune, n'est Dieu par
nature, mais chacune des choses venues à l'existence
a été appelée selon ce qu'elle a été faite : l'une [a été
appelée] ciel, une autre, terre; les unes luminaires et
les autres, étoiles; d'autres, mers, abîmes, quadrupèdes
et enfin, homme, et avant cela, des anges, archanges,
chérubins, séraphins, vertus, principautés, puissances,
c dominations, paradis, et chaque [créature] demeure
telle [qu'elle a été faite]. Que si certains hommes ont
été appelés aussi des dieux, ce ne fut pourtant pas
en vertu de leur nature, mais bien en vertu de leur
participation au Fils. Ainsi, en effet, a-t-il dit lui-
même : « S'il a appelé dieux ceux à qui la parole
de Dieu a été adressée8 ». C'est pourquoi, n'étant pas
dieux par nature, certains sont parfois changés, qui
s'entendent dire : « J'ai dit : vous êtes des dieux et

1 Gen., 1,1. s Isai., LXVI, 2.


* Cf. Athanase, 2° Discours contre les Ariens, 71 et sv. (P. G.,
XXVI, 297 et suiv.).
4 Cf. Hebr., I, 2. 6 Joh., I, 3. 6 Psalm. CI, 26.
7 Cf. Hebr., I, 10. 8 Joh., X, 35.
DEUXIÈME LETTRE A SÉRAPION 153

tous des fils du Très-Haut; cependant, comme des


hommes, vous mourrez1 ». Tel était celui qui s'en
tendait dire : « Mais toi, tu es un homme, et non pas
un Dieu2 ». Le Fils, lui, est vrai Dieu comme le Père,
car il est en lui et le Père est dans le Fils. Et Jean 616 a
a écrit comme il a été montré3, tandis que David
chante : « Ton trône, ô Dieu, [est établi] pour les
siècles; le sceptre de ta royauté est un sceptre de
droiture4 », et que le prophète Isaïe s'écrie : « L'Égypte
a travaillé ainsi que les marchés des Éthiopiens, et
les Sabéens à la haute stature viendront à toi et ils
marcheront à ta suite les mains liées, et ils t'adoreront
parce que Dieu est en toi. Car tu es le Dieu d'Israël,
et nous l'ignorions5 ». Quel est donc le Dieu en qui
Dieu est, sinon le Fils, qui dit : « Je suis dans le Père
et le Père est en moi8 »?
5. Cela étant et étant écrit, qui ne voit que, puisque
le Fils n'a rien de semblable à lui parmi les créatures,
mais que tout ce qui appartient au Père appartient
au Fils, le Fils doit être consubstantiel au Père? B
En effet, de même qu'il serait consubstantiel aux
créatures s'il avait avec elles une ressemblance et
une parenté quelconque, ainsi, étant étranger selon
la substance aux choses venues à l'existence, et étant
le propre Verbe du Père dont il n'est pas différent7,
— puisqu'il a en propre tout ce qui appartient au

1 Psalm., LXXXI, 6-7. 2 Ezech., XXVIII, 2.


» Cf. supra, 612 A. « Psalm., XLIV, 7. 5 Isai., XLV, 14-15.
• Joh., XIV, 10.
7 Saint Athanase nie la différence dans l'ordre substantiel, non
la distinction réelle dans l'ordre personnel, comme le montre claire
ment la raison immédiatement alléguée à l'appui de cette négation :
« otiK ôÀÀoî mv oStos èKeivov ».
154 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

Père, — il doit vraiment être consubstantiel au Père.


C'est aussi dans cette pensée que les Pères ont
confessé, au concile de Nicée, que le Fils est con
substantiel au Père et est de sa substance. En effet,
ils ont bien vu qu'une substance créée ne pourrait
jamais dire : « Tout ce qui appartient au Père,
est mien1 », car, ayant un commencement de son
existence, elle n'a pas d'être et d'avoir été éternelle
ment. Et c'est pourquoi, puisque le Fils a cela et que
tout ce qui a été dit auparavant appartenir au Père
c appartient au Fils, il faut bien que la substance du
Fils soit, non pas créée, mais consubstantielle au Père.
Elle ne peut être une substance créée, surtout pour
la raison qu'elle est capable d'avoir les propriétés
de Dieu. Mais ce qui lui est propre, c'est ce par quoi il
est reconnu comme Dieu, — c'est, par exemple, d'être
tout-puissant, d'être existant [par soi-même], d'être
immuable, et tous les autres [attributs] précédemment
cités, — pour éviter que Dieu lui-même ne paraisse
consubstantiel aux créatures, comme le pensent ces
insensés, s'il a ce que les créatures elles aussi peuvent
avoir.
6. Voici comment on pourra encore réfuter l'im-
D piété de ceux qui disent que le Verbe de Dieu est une
617 A créature. Notre foi est dans le Père et le Fils et le
Saint-Esprit, puisque le Fils lui-même dit aux
Apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations, les
baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-
Esprit2 ». 11 a ainsi parlé afin que nous tirions des
choses que nous connaissons, nos pensées au sujet
1 Joh., XVI, 15. » Matth., XXVIII, 19.
DEUXIÈME LETTRE A SÉRAPION 155

de ce qu'il venait de nous dire. Ainsi donc, de même


que nous ne dirions pas de nos pères qu'ils nous ont
fabriqués, mais bien qu'ils nous ont engendrés, et que
nul ne pourrait dire que nous sommes nous-mêmes la
créature de nos pères, mais bien les fils par nature
de nos pères et consubstantiels à eux : de même, si
Dieu est père, il est sûrement père d'un fils selon la
nature et consubstantiel [à lui]. Abraham n'a certes
pas créé Isaac, mais il l'a engendré. Au contraire,
Beseleel et Eliab1 n'ont pas engendré, mais ils ont
fabriqué tous les objets qui étaient dans le Tabernacle.
Celui qui construit un bateau et celui qui bâtit une
maison n'engendrent pas les œuvres qu'ils font,
mais chacun d'eux construit, l'un la barque et l'autre
la maison. Isaac certes ne fait pas Jacob mais il l'en
gendre selon la nature et consubstantiel à lui, et
Jacob [engendre] de même Juda et ses frères. Comme
donc délirerait celui qui dirait que la maison est
consubstantielle au bâtisseur et la barque au con-
structeur, ainsi c'est à juste titre qu'on dira que tout
fils est consubstantiel à son père. S'il y a donc [en
Dieu] Père et Fils, il est nécessaire que le Fils soit fils
en nature et vérité. Or cela, c'est qu'il soit consubstan
tiel au Père, ainsi qu'il a été montré par beaucoup
[de preuves]2.
Assurément, en ce qui concerne les œuvres, « il a dit
1 Cf. Exod., xxxvi, 1.
* Ces preuves nombreuses, qui établissent que le Fils, étant fils
« en nature et vérité », est consubstantiel au Père, on les trouve dans
le 1" Discours contre les Ariens, 9 (P. G., XXVI, 28 D et suiv.)
et dans l'écrit Sur les décisions du concile de Nicée, 19-20 (P. G., XXV,
456D et suiv.). Dans ce dernier ouvrage (n. 6 et 13; /. c, 433 C et 445 C),
saint Athanase a déjà employé les exemples par lesquels il illustre ici
la différence qui existe entre engendrer et créer ou fabriquer.
156 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

et elles ont été faites, il a commandé et elles ont été


créées1 ». Mais, quant au Fils, [il est écrit] : « Mon
cœur a laissé échapper un Verbe bon2 ». Daniel con
naissait le Fils de Dieu; il connaissait aussi les œuvres
de Dieu : le Fils, il l'a vu mouiller de rosée la four-
c naise3; quant aux œuvres, après avoir dit : « Toutes
les œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur4 », il a
passé en revue chacune des créatures; mais le FiJs,
il ne l'a pas compté avec elles, sachant bien que
[le Fils] n'est pas une œuvre, mais que c'est par lui
que les œuvres ont été faites, tandis qu'il est célébré
et exalté dans le Père. Car, de même que c'est par lui
que Dieu est révélé à ceux qui le connaissent, ainsi
c'est par lui que la bénédiction, la louange, la gloire
et la puissance6 sont proclamées à l'adresse du Père,
par lui et en lui, afin qu'une telle proclamation
devienne aussi agréable, comme disent les Écritures9.
Ainsi donc, il a été démontré par beaucoup [de
preuves], et il est démontré aussi par celles-ci,
qu'impie est celui qui dit que le Verbe de Dieu est
une créature7.
620 A 7. Mais [les Ariens] tirent prétexte de ce qui est
écrit dans les Proverbes : « Le Seigneur m'a créée
principe de ses voies en vue de ses œuvres.», et ils se
i Psalm. CXLVIII, 5. s Psalm. XLIV, 2.
» Cf. Dan., III, 50. > * Ibid., 57. 6 Cf. Apoc, IV, 13.
" Pour le terme ivnpôoheKTos, cf. par exemple, Rom., XV, 16;
I Petr., II, 5.
7 Athanase distingue de la démonstration présente une démonstra
tion antérieure. Il semble bien se reporter ainsi aux Discours contre
les Ariens. Voir, par exemple, 2° Discours, 58 (P. G., XXVI, 269 C),
où l'opinion de ceux qui tiennent que le Fils est une créature, est aussi
taxée d'impiété, et 57, 71 (ibid., 268 B, 297 C), où les mêmes textes
scripturaires sont apportés pour montrer que l'Écriture ne s'exprime
pas au sujet du Fils comme au sujet des créatures.
DEUXIÈME LETTRE A SÉRAPION 157

disent alors : « Vous voyez! il p']a créé! Il est donc


créature ». Il est donc nécessaire de faire voir égale
ment par ce texte combien ils s'égarent en mécon
naissant l'intention de la divine Écriture.
S'il est Fils, qu'on ne l'appelle donc pas créature; et
si, d'autre part, il est créature, qu'on ne l'appelle pas
Fils. En effet, il a été montré dans ce qui précède1
quelle grande différence sépare une créature et un fils.
Et puisque l'initiation se fait [en nous ordonnant]
non pas au Créateur et à la créature, mais au Père
et au Fils, il faut que le Seigneur soit appelé, non pas
créature, mais Fils. N'est-ce donc pas écrit? disent-ils.
Oui certes,- c'est écrit, et cela a dû être écrit. Mais les
hérétiques comprennent mal ce qui a été dit correcte
ment. Car s'ils concevaient et pénétraient le trait
spécifique du christianisme, ils ne diraient pas que le
Seigneur de la gloire est une créature et ils ne se
heurteraient pas contre un texte irréprochable.
Ces gens n'ont donc « ni connu, ni compris », c'est
pourquoi, comme il est écrit, « ils marchent dans les
ténèbres2 ». Pour nous, cependant, nous devons parler
afin qu'en cela aussi ils apparaissent insensés et que

1 La référence à « ce qui précède » (èv toîs éfinpoodev) pourrait


viser les n. 3-6 de cette lettre, où l'auteur a relevé les nombreuses
différences qui séparent le Fils des créatures. Mais la thèse est énoncée
ici d'une manière plus générale et porte sur la différence considérable
qui existe entre un fils et une créature, entre les concepts de fils et de
créature. On notera le principe : el toLvvv vios, ov Kriofia - et
Se Kriofia, ovx viés, énoncé dans l'écrit Sur les décisions du concile
de Nicée, 13 (P. G., XXV, 448 A); mais on songera encore plutôt
au 2e Discours contre les Ariens, 56-51 (P. G., XXVI, 265 et suiv.,)
où la différence entre Kriofia et yévvrjfia ou viôs est longuement mise
en lumière et plusieurs fois notée sous cette forme générale et comme
considérable.
• Psalm., LXXXI, 5.
158 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

nous n'omettions pas la réfutation de leur impiété :


peut-être viendront-ils eux aussi à résipiscence.
La teneur spécifique de la foi dans le Christ est donc
celle-ci : le Fils de Dieu, qui est Verbe-Dieu, — car
« au commencement était le Verbe et le Verbe était
Dieu1, — qui est sagesse et force du Père, — car « le
Christ [est] force de Dieu et Sagesse de Dieu2 », —
s'est lui-même, à la fin des siècles, fait homme pour
notre salut. En effet, Jean lui-même, ayant dit :
c « Au commencement était le Verbe3 », a dit peu
après : « Et le Verbe s'est fait chair4 », ce qui revient
à dire: s'est fait homme. Et le Seigneur dit de lui-
même : « Pourquoi cherchez-vous à me tuer, moi,
l'homme qui vous a dit la vérité?6 » De son côté,
Paul, instruit par lui, disait : « Il n'y a qu'un seul
Dieu, un seul médiateur aussi de Dieu et des hommes,
l'homme Christ Jésus6 ». Après s'être fait homme et
avoir disposé les affaires des hommes, mis en fuite
et détruit la mort prononcée contre nous, il siège
maintenant à la droite du Père, étant dans le Père
et le Père étant en lui, comme il en fut toujours et en
est continuellement.
8. Cette teneur spécifique [de la foi chrétienne]
vient des Apôtres par l'intermédiaire des Pères; mais
il faut, au reste, que celui qui aborde l'Écriture,
examine et distingue quand elle parle de la divinité
du Verbe et quand de son côté humain, de peur que,
612 A prenant l'un [des deux ordres de choses] pour l'autre,
nous ne commettions l'extravagance dont les Ariens

1 Joh., 1,1. s I Cor., I, 24. » Joh., I, 1. 4 Ibid., 14.


6 Cf. Joh., VII, 19; VIII, 40. « I Tim., II, 5.
DEUXIÈME LETTRE A SÉRAPION 159

ont été victimes. Ainsi donc, le connaissant comme


Verbe, nous savons que « tout a été fait par lui et sans
lui rien n'a été fait1 », et que « par le Verbe du Seigneur
les cieux ont été fermement établis2 », et que « il envoie
son Verbe et répare3 » toutes choses; le connaissant
comme Sagesse, nous savons que « Dieu par sa Sagesse
a fondé la terre4 », et que le Père « a tout fait par la
Sagesse* »; le connaissant comme Dieu, nous avons
cru qu'il est le Christ, car David chante : « Ton trône,
ô Dieu, [existe] pour les siècles des siècles; le sceptre
de ta royauté est un sceptre de droiture; tu as aimé
la justice et tu as haï l'iniquité; c'est pourquoi Dieu,
ton Dieu t'a oint d'une huile d'allégresse de préférence
à tes compagnons8 », et en lsaïe il dit de lui-même :
« L'Esprit du Seigneur est sur moi; c'est pourquoi
il m'a oint7 », tandis que Pierre a confessé : « Tu es le
Christ, le Fils de Dieu vivant3 ». De même, le connais
sant comme fait homme, nous ne nions pas les choses
qui sont dites de lui comme on parle d'un homme,
par exemple, qu'il ait eu faim et soif, qu'il ait été
souffleté, qu'il ait pleuré, qu'il ait dormi et qu'enfin
il ait, en croix, subi la mort pour nous : car tout cela
a été écrit de lui. Ainsi encore, [le fait que Dieu 1']
« ait créé », qui convient aux hommes, l'Écriture ne l'a
pas caché, mais l'a déclaré. Car nous, hommes, nous
avons été créés et faits. Mais de même que, lorsque
nous entendons [qu']il a eu faim, a dormi, a été
souffleté, nous ne nions pas sa divinité, ainsi, lorsque
nous entendons [que Dieu 1'] a créé, il est logique que
1 Joh., I, 3. " Psalm. XXXII, 6. • Psalm. CVI, 20.
* Prov., III, 19. • Psalm. CIII, 24. « Psalm. XLIV, 7-8.
7 Isai., LXI, 1. • Matth., XVI, 16.
160 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
c nous nous rappelions qu'étant Dieu, il a été créé
[comme] homme, car être créé est propre aux hommes,
comme aussi les choses énoncées ci-dessus : avoir
faim et les autres choses semblables.
9. Aussi bien, cette parole encore, exacte comme
elle a été dite, mais mal comprise par [les Ariens],
— je veux dire [la parole] : « Pour ce qui est de ce jour
et de cette heure, nul ne les connaît, ni les Anges,
ni le Fils1 », — a un sens correct. Ces gens pensent,
sans doute, qu'en disant : « ni le Fils », le [Fils]
montre, par l'ignorance qu'il s'attribue, qu'il est
une créature; mais il n'en est pas ainsi, à Dieu ne
plaise! Car de même qu'en disant : « [Dieu] m'a créé »,
624 A il a parlé en homme, ainsi, en disant : « ni le Fils »,
il a parlé en homme. Et la raison de parler ainsi est
plausible. En effet, parce que, comme il est écrit, il
s'est fait homme et qu'il est propre aux hommes
d'ignorer, comme d'avoir faim, etc., — car les hommes
ne connaissent pas s'ils n'ont entendu et appris, —
pour cette raison, il manifeste, en tant que fait
homme, l'ignorance des hommes, tout d'abord afin
de montrer qu'il a vraiment un corps humain, puis
encore afin qu'ayant dans le corps l'ignorance
humaine, il présente au Père l'humanité, parfaite et
sainte, après l'avoir totalement rachetée et purifiée.
Quel prétexte pourront encore trouver les Ariens?
Que vont-ils encore imaginer et murmurer? On a
reconnu qu'ils ignorent [le sens de] la parole :
b « Le Seigneur m'a créée en vue de ses œuvres2 », et on
a montré qu'ils ne comprennent pas le texte : « Pour
1 Marc, XIII, 32. • Prov., VIII, 22.
DEUXIÈME LETTRE A SÉRAPION 161

ce qui est de ce jour et de cette heure, nul ne les


connaît, ni les Anges, ni le Fils1 ». Et en effet, de
même qu'en disant : « [le Seigneur m']a créé »,
pe Fils] marque son humanité, parce qu'il s'est fait
homme et [ainsi] a été créé, et qu'en disant : « Moi
et le Père nous sommes un2 », et : « Qui m'a vu, a vu
le Père3 », et : « Je suis dans le Père et le Père est en
moi4 », il marque son éternité et sa consubstantialité
avec le Père : ainsi, en disant : « nul ne les connaît,
ni non plus le Fils », il parle de nouveau comme
homme, — car ignorer est propre aux hommes, —
tandis que, puisqu'il dit : « Nul ne connaît le Père, si
ce n'est le Fils, et nul [ne connaît] le Fils, si ce n'est
le Père5 », il connaît à bien plus forte raison les
créatures. Aussi les disciples, dans l'évangile selon
Jean, disaient-ils au Seigneur : « Maintenant nous
savons que tu connais toutes choses8 ». Il est donc
évident qu'il n'est rien qu'il ignore, étant le Verbe
par qui tout a été fait7 : et comme « ce jour » est l'une c
de toutes les choses, il arrivera certes par lui, dussent
les Ariens éclater mille fois du fait de leur propre
ignorance.

1 Marc., XIII, 32. 2 Joh., X, 30. 2 Ibid., XIV, 9.


» Ibid., 10. » Matth., XI, 27. « Joh., XVI, 30 7 Cf. ibid.. I, 3,

Lettres à Sérapion. 11
TROISIÈME LETTRE

A SÉRAPION

1. Tu t'étonneras peut-être [en te demandant]


comment il se fait que, prié de résumer la lettre que
j'avais écrite au sujet du Saint-Esprit et de faire un 625 a
exposé succinct, tu me vois en quelque sorte délaisser
ce sujet et écrire contre ceux qui tournent leur impiété
contre le Fils de Dieu et disent qu'il est une créature.
Cependant, tu ne blâmeras pas, j'en suis sûr, [cette
manière d'agir] lorsque tu en auras appris la raison;
au contraire, ta Piété l'accueillera même favorable
ment lorsque tu en auras perçu le bien-fondé.
En effet, comme le Seigneur lui-même l'a dit :
i Le Consolateur ne parlera pas de lui-même, mais il
dira tout ce qu'il aura entendu, parce qu'il recevra
de moi et vous l'annoncera1 »; et ayant soufflé sur ses
disciples, il leur donna de lui-même l'Esprit2, et-
c'est ainsi que le Père le répandit, comme il est
écrit, sur toute chair3 : voilà pourquoi c'est avec raison
que j'ai commencé par parler et écrire au sujet du
Fils de Dieu, afin que de la connaissance [de la
doctrine] touchant le Fils nous puissions tirer heu
reusement la connaissance [de la doctrine] touchant

1 Cf. Joh., XVI, 13-14. • Cf. ibid., XX, 22.


• a. Joël, III, 1; Act., II, 17.
164 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
B l'Esprit. Car la condition propre que nous avons
reconnue [comme celle] du Fils à l'égard du Père,
nous trouverons que c'est précisément celle que
l'Esprit possède à l'égard du Fils. De même que le
Fils dit : « Tout ce qu'a le Père est mien1 », de même
nous trouverons que, par le Fils, tout cela est aussi
dans l'Esprit. Et comme le Père disait, en montrant
le Fils : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai
mis mes complaisances2 », ainsi l'Esprit est celui du
Fils, car l'Apôtre dit : « 11 a envoyé dans vos cœurs
l'Esprit de son Fils, lequel crie : Abba, Père3 ». Et,
— ce qui est merveilleux, — de même que le Fils dit :
« Ce qui est à moi, est au Père4 », ainsi l'Esprit-
Saint, qui est dit appartenir au Fils, appartient au
Père, car c'est le Fils lui-même qui dit : « Lorsque sera
venu le Consolateur, que je vous enverrai d'auprès
c du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il
rendra témoignage de moi6 »; et Paul, de son côté,
écrit : « Nul ne sait ce qui se passe dans l'homme,
si ce n'est l'Esprit de l'homme, qui est en lui. De
même aussi nul ne sait ce qui est en Dieu, si ce n'est
l'Esprit de Dieu, qui est en lui. Or nous, ce n'est
pas l'esprit du monde que nous avons reçu, mais
l'Esprit qui vient de Dieu, pour que nous connaissions
ce dont nous avons été gratifiés par Dieu6 ». Et dans
toute la divine Écriture, tu trouveras que l'Esprit-
Saint, qui est dit « du Fils », est dit aussi « de Dieu » :
cela aussi, nous l'avons écrit dans ce qui précède7.
Ainsi donc, si le Fils, à cause de sa condition propre à
1 Joh., XVI, 15. • Matth., III, 17. » Gai., IV, 6.
4 Cf. Joh., XVII, 10. « Joh., XV, 26. • I Cor., II, 11-12.
7 Voir la 1™ Lettre à Sérapion, 21 et suiv. (supra, 580 A et sulv.).
TROISIÈME LETTRE A SÉRAPION 165

l'égard du Père et parce qu'il est le propre rejeton


de sa substance, n'est pas une créature, mais est 628 A
consubstantiel au Père, de même l'Esprit-Saint non
plus ne peut pas être une créature, — mais impie est
même quiconque le dit, — à cause de sa condition
propre à l'égard du Fils et parce que c'est du [Fils]
qu'il est donné à tous et que ce qu'il a, appartient
au Fils.
2. C'en serait assez pour dissuader à tout disputeur
quel qu'il soit d'appeler encore créature de Dieu
P'Esprit] qui est en Dieu, qui scrute les profondeurs
de Dieu, et qui, de la part du Père, est donné par
l'intermédiaire du Fils, de peur d'être forcé par les
mêmes considérations d'appeler également créature
le Fils, le Verbe, la Sagesse, l'Effigie, l'Éclat, par la
vue de qui on voit le Père, et enfin de s'entendre
dire : « Quiconque renie le Fils, n'a pas non plus le
Père1 », car il s'en faut de peu qu'un tel homme ne dise,
comme l'insensé : « 11 n'y a point de Dieu2 ».
Toutefois, pour mettre en lumière, par des preuves
plus nombreuses, la réfutation opposée aux impies, b
il sied de montrer par les considérations mêmes d'où
il ressort que le Fils n'est pas une créature, que l'Esprit
n'est pas non plus une créature.
Les créatures sont tirées du néant et elles ont un
commencement de leur existence, car « au commen
cement, Dieu a fait le ciel et la terre3 » et ce qui y est
renfermé. L'Esprit-Saint, lui, est et est dit « de Dieu »,
comme dit l'Apôtre4. Si donc parce que le Fils n'est

1 I Joh., II, 23. 2 Psalm. XIII, 1. • Gen., I, 1.


4 Cf. I Cor., II, 12.
166 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

pas tiré du néant, mais [vient] de Dieu, il est naturel


qu'il ne soit pas une créature, il faut bien que l'Esprit-
Saint ne soit pas non plus une créature, car on
confesse qu'il [vient] de Dieu, tandis que les créatures
sont tirées du néant.
3. En outre, l'Esprit est appelé et est onction et
sceau. En effet, Jean écrit : « Pour vous, l'onction
c que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous
n'avez pas besoin qu'on vous instruise; mais, comme
son onction, son Esprit vous instruit de toutes
choses1 »; dans le prophète Isaïe, il est écrit : « L'Esprit
du Seigneur est sur moi; c'est pourquoi il m'a oint2 »,
et Paul écrit : « En lui aussi, après avoir cru, vous avez
été marqués d'un sceau» », et encore : « N'affligez pas
l'Esprit-Saint, dans lequel vous avez été marqués
d'un sceau pour le jour de la rédemption4 ». Mais les
créatures sont, en lui, ointes et marquées d'un sceau.
Que si les créatures sont, en lui, ointes et marquées d'un
sceau, l'Esprit ne peut pas être une créature, car ce qui
oint n'est pas semblable à ceux qui sont oints. Cette
onction, en effet, est le souffle du Fils, de sorte que
celui qui possède l'Esprit puisse dire : « Nous sommes
629 a le parfum du Christ6 », et le sceau représente le Christ,
de sorte que celui qui est marqué du sceau puisse avoir
la forme du Christ, l'Apôtre disant : « Mes petits
enfants, pour lesquels je souffre une seconde fois les
douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ
soit formé en vous6 ». Mais si l'Esprit est le parfum
et la forme du Fils, il est clair que l'Esprit n'est pas

» I Joh., II, 27. s Isai., LXI, 1. » Ephes., I, 13.


4 /Met., IV, 30. 6 II Cor., II, 15. • Gai., IV, 19.
TROISIÈME LETTRE A SÉRAPION 167

une créature puisque le Fils, qui existe dans la forme


du Père1, n'est pas non plus une créature. Et en effet :
de même que celui qui a vu le Fils, voit le Père2,
ainsi celui qui possède l' Esprit-Saint, possède le Fils
et, le possédant3, est le temple de Dieu, puisque Paul
écrit : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de
Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous4? » et que
Jean dit : « Nous connaissons que nous demeurons en
Dieu et qu'il demeure en nous, en ce qu'il nous
a donné de son Esprit6 ». Mais si l'on confesse que
le Fils, qui est dans le Père et en qui le Père est b
également, n'est pas une créature, de toute nécessité
l'Esprit non plus n'est pas une créature, car le Fils
est en lui et il est dans le Fils : c'est pourquoi encore
celui qui reçoit l'Esprit est appelé temple de Dieu.
Il est bon de s'éclairer encore par la considération
suivante : si le Fils est le Verbe de Dieu, il est unique
comme le Père, car « il n'y a qu'un Dieu, de qui tout
vient, et un Seigneur Jésus-Christ6 »; c'est pourquoi
il a été appelé et dit dans l'Écriture Fils Monogène7.
Au contraire, les créatures sont multiples et variées :
anges, archanges, chérubins, principautés, puissances,
et les autres, comme il a été dit8. Si donc, parce que
le Fils n'est pas [un] d'entre beaucoup, mais est
unique comme le Père est unique, il n'est pas non plus
créature, sans aucun doute l'Esprit, — car il faut
tirer également du Fils la connaissance de l'Esprit, — c

1 Cf. Philipp., II, 6. * Cf. Joh., XIV, 9.


• C'est-à-dire : possédant l'Esprit-Saint.
• I Cor., III, 16. « I Joh., IV, 13. • Cf. I Cor., VIII, 6.
7 Cf. Joh., I, 18.
• Voir 1" Lettre à Sérapion, 27 (supra, 593 B), où le même argument
est proposé.
168 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

n'est pas non plus une créature, car il n'est pas [un]
d'entre beaucoup, mais il est unique, lui aussi.
4. I^'Apôtre le savait bien lorsqu'il écrivait :
« Mais tout cela, c'est l'unique et même Esprit qui
l'opère, distribuant en particulier à chacun comme
il lui plaît1 »; et peu après : .« Tous nous avons été
baptisés en un unique Esprit, pour faire un corps
unique, et tous nous avons été abreuvés d'un unique
Esprit2 ».
Et puisqu'il faut prendre du Fils la connaissance
de l'Esprit, il convient de lui en emprunter aussi les
preuves. Or donc, le Fils est partout, puisqu'il est
dans le Père et que le Père est en lui. En effet, il tient
et contient toutes choses, et il est écrit que c'est en lui
que toutes choses, visibles ou invisibles, subsistent,
et qu'il est lui-même avant toutes 'choses3. Au
contraire, les créatures sont en des lieux déterminés :
d le soleil, la lune et les autres corps lumineux au firma-
632 a ment, dans le ciel les anges, et les hommes sur la terre.
Que si le Fils, parce qu'il n'est pas présent [seulement]
en des lieux déterminés, mais est dans le Père, est
présent partout, et si, parce qu'il est en dehors de
toutes choses, il n'est pas une créature, il s'ensuit
que l'Esprit non plus n'est pas une créature, puisqu'il
n'est pas [seulement] en des endroits déterminés,
mais remplit tout et est en dehors de toutes choses.
En effet, c'est ainsi qu'il est également écrit :
« L'Esprit du Seigneur a rempli l'univers4 », et que
David chante : « Où irai-je [pour me dérober] à ton

1 I Cor., XII, 11. 2 Ibid., 13. 3 Cf. Coloss., I, 16-17.


• Sap., I, 7.
TROISIÈME LETTRE A SÉRAPION 169

Esprit?1 », en tant que l'Esprit n'est pas [seulement]


en un lieu, mais est en dehors de toutes choses et est
dans le Fils, comme aussi le Fils est dans le Père.
Pour cela, en effet, il n'est pas, lui non plus, une
créature, ainsi qu'il a été démontré2.
Outre toutes ces raisons, voici qui davantage encore
condamne l'hérésie arienne et tire à nouveau du Fils
la connaissance de l'Esprit. Le Fils est créateur
comme le Père; il dit, en effet : « Ce que je vois faire B
au Père, je le fais moi aussi3 »; ainsi donc, « tout a été
fait par lui et, sans lui, absolument rien n'a été fait4 ».
Mais si, en tant que créateur comme le Père, le Fils
n'est pas une créature, et si, parce que tout a été fait
par lui, il n'est pas du nombre des êtres créés, il est
clair que l'Esprit non plus n'est pas une créature,
puisqu'il est également écrit à son sujet, dans le
psaume CIlIe : « Tu leur retireras le souffle et ils
expireront, et ils retourneront dans leur poussière;
tu enverras ton Esprit et ils seront créés, et tu renou
velleras la face de la terre6 ».
5. L'Écriture s'exprimant ainsi, il est clair que
l'Esprit n'est pas une créature, mais qu'il intervient
dans l'acte créateur : car le Père crée toutes choses par
le Verbe dans l'Esprit, puisque là où est le Verbe, là c
aussi est l'Esprit, et les choses créées par l'inter
médiaire du Verbe tiennent de l'Esprit par le Verbe
la force d'être. C'est ainsi, en effet, qu'il est écrit
dans le psaume XXXIIe : « Par le Verbe du Seigneur

1 -Psalm. CXXXVIII, 7.
• Voir 1" Lettre à Sérapion, 26 (supra, 592 B-C).
» Cf. Joh., V, 19. 4 Ibid., I, 3.
• Psalm. CIII, 29-30.
170 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

les cieux ont été fermement établis et par l'Esprit de


sa bouche toute leur vertu1 ».
Assurément, l'Esprit est tellement inséparable du
Fils qu'il ne reste aucun doute après ce qui vient d'être
dit. Quand, en effet, le Verbe venait chez le prophète,
c'était dans l'Esprit que le prophète exprimait ce
[qu'il apprenait] du Verbe. Ainsi trouve-t-on égale
ment écrite dans les Actes cette parole de Pierre :
« Mes frères, il fallait que s'accomplît ce que, dans
l'Écriture, l'Esprit-Saint a prédit2 ». En Zacharie,
D lorsque le Verbe est venu à lui, il est écrit : « Mais
recevez mes paroles et mes décrets, que j'impose par
mon Esprit aux prophètes3 »; et, peu après, incri-
633 A minant le peuple, il disait : « Ils ont rendu leur
cœur indocile, pour ne pas entendre mes lois, ni les
paroles que le Seigneur Tout-Puissant leur a adressées
dans son Esprit par l'organe des prophètes de jadis4 ».
Et lorsque le Christ parlait en Paul, — comme il le
disait lui-même : « Cherchez-vous donc une preuve
que c'est le Christ qui parle en moi?6 ». — [Paul]
n'en avait pas moins l'Esprit qui lui donnait de parler :
c'est ainsi, en effet, qu'il écrit lui-même : « grâce à
l'assistance que me prête l'Esprit de Jésus-Christ6 ».
Et réciproquement, alors que le Christ parlait en lui,
[Paul] disait : « si ce n'est que, de ville en ville,
l'Esprit-Saint m'assure que des liens et des tribula
tions m'attendent7 ». L'Esprit-Saint, en effet, n'est
pas en dehors du Verbe, mais, étant dans le Verbe,
il est en Dieu par lui, de telle sorte que les charismes
1 Psalm. XXXII, 6. 2 Act., I, 16. » Zach., I, 6.
4 Ibid., VII, 12. « II Cor., XIII, 3. • Philipp., I, 19.
7 Act., XX, 23.
TROISIÈME LETTRE A SÉRAPION 171

soient accordés dans la Trinité. Car, comme [Paul]


l'écrit aux Corinthiens, dans la diversité de ces [dons],
il y a le même Esprit et le même Seigneur et le même
Dieu, qui opère tout en tous1. En effet, c'est le Père
lui-même qui, par le Verbe dans l'Esprit, opère et
donne toutes choses.
6. Assurément, en priant pour les Corinthiens,
c'est dans la Trinité qu'il priait en ces termes : « Que
la grâce du Seigneur Jésus-Christ et la charité de
Dieu et la communication du Saint-Esprit soient avec
vous tous2 ». Car en participant à l'Esprit, nous avons
la grâce du Verbe et, en lui, la charité du Père. Or,
comme la grâce de la Trinité est une, ainsi la Trinité
est indivise. On peut le voir aussi à propos de la sainte
[Vierge] Marie. En effet, l'ange Gabriel, envoyé pour
lui annoncer la future descente de l'Esprit sur elle,
lui dit : « L'Esprit-Saint viendra sur toi »; sachant que
l'Esprit était dans le Verbe, il ajouta aussitôt : « Et
la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre3 »,
car « le Christ [est] vertu et sagesse de Dieu4 ». Mais
l'Esprit étant dans le Verbe, il est clair que l'Esprit,
par le Verbe, était aussi en Dieu.
Ainsi encore, l'Esprit se trouvant en nous, le Père
et le Fils viendront et feront leur demeure en nous6 :
car la Trinité est indivise et sa divinité est une, et il
n'y a qu'un Dieu [qui est] au-dessus de tous et [agit]
en tous et [est] en tous6.
C'est là la foi de l'Église catholique, car c'est
dans la Trinité que le Seigneur l'a fondée et enracinée

1 Cf. I Cor., XII, 4-6. 2 II Cor., XIII, 13. > Luc, I, 35.
4 Cf. I Cor., I, 24. 6 Cf. Joh., XIV, 23. • Cf. Ephes., IV, 6.
172 LETTRES SUR LA DIVINITÉ PU SAINT-ESPRIT

en disant à ses disciples : « Allez, enseignez toutes


les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et
D du Saint-Esprit1 ». Si l'Esprit était une créature, il ne
635 A l'aurait pas rangé avec le Père, de peur que la Trinité
ne soit pas semblable à elle-même, si quelque être
étranger et différent est rangé avec elle. Car que
manquait-il à Dieu pour qu'il prît à lui un être d'une
substance différente et que celui-ci fût glorifié avec
lui? A Dieu ne plaise, il n'en est pas ainsi! « Je suis
complet2 », dit-il lui-même. Voici pourquoi le Seigneur
lui-même a joint [l'Esprit] au nom du Père : c'était
pour montrer que la sainte Trinité n'est pas constituée
d'êtres différents, c'est-à-dire, de Créateur et de
créature, mais que sa divinité est une. Ce que sachant,
Paul enseignait qu'une est la grâce donnée en elle,
disant : « Un Seigneur, une foi, un baptême3 ». Mais
de même que le baptême est unique, ainsi la foi aussi
est unique; car qui croit au Père connaît le Fils dans
le Père, et l'Esprit non en dehors du Fils, et il croit
B aussi au Fils et à l'Esprit-Saint, parce que la divinité
de la Trinité est une [seule divinité] comme [venant]
du Père, qui est unique.
7. Telle est donc la marque spécifique de la foi
catholique. Quant à ceux qui décrient l'Esprit et
le disent créature, s'ils ne sont pas amenés à rési
piscence par ce qui vient d'être dit, qu'ils soient au
moins couverts de confusion par ce qui va l'être.
S'il y a une Trinité, et si la foi est dans la Trinité,
qu'ils disent donc si la Trinité existe toujours, ou s'il
y eut un temps que la Trinité n'existait pas. Que si

1 Matth., XXVIII, 19. » Isai., I, 11. » Ephes., IV, 5.


TROISIÈME LETTRE A SÉRAPION 173

la Trinité est éternelle, l'Esprit, étant éternellement


avec le Verbe et étant en lui, n'est pas une créature;
car les créatures, il fut un temps qu'elles n'existaient
pas. Si, au contraire, il est une créature, puisque les
créatures sont tirées du néant, il est clair qu'il fut
un temps qu'il n'y avait pas Trinité, mais dyade. Et
que pourrait-on dire de plus impie que cela?
Les adversaires disent : c'est par suite d'un chan
gement et d'un accroissement que la Trinité a été
constituée; d'abord, il y a une dyade; celle-ci attend
la production d'une créature pour que [cette créature]
prenne rang avec le Père et le Fils et que la Trinité c
soit produite.
A Dieu ne plaise qu'une telle pensée vienne même
jamais à l'esprit de chrétiens! Car, de même que le
Fils, étant toujours existant, n'est pas une créature,
de même la Trinité, étant toujours existante, ne .
renferme en elle aucune créature : c'est pourquoi
l'Esprit n'est pas une créature. En effet, comme la
Trinité fut toujours, ainsi elle est aussi à présent, et
comme elle est à présent, ainsi elle fut toujours et elle
est, et il y a en elle Père, Fils et Esprit-Saint. Et il y a un
seul Dieu, le Père, qui [est] au-dessus de tous et [agit]
en tous et [est] en tous, béni dans les siècles. Amen1.

Moi donc, je t'envoie ce que, selon tes indications,


j'ai écrit brièvement; pour toi, dans ta prudence,
veuille bien compléter mon écrit s'il y manque encore
quelque chose. Donnes-en lecture à nos frères dans la
foi2. Quant à ceux que l'esprit de dispute fait blasphé- d

1 Cf. Ephes., IV, 6; Rom., IX, 5. 2 Cf. Gai, VI, 10.


174 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

mer, reprend-les : peut-être dans un repentir même


tardif effaceront-ils de leur âme la malveillance
qui s'y était établie. Car il serait bon que, comme il
est écrit, ils ne se détournent et ne s'attardent point1,
de peur que, persistant dans leur [erreur], ils ne s'en-
637 A tendent dire la parole du Seigneur : « Quiconque aura
parlé contre l' Esprit-Saint, n'aura de rémission ni
dans ce siècle, ni dans le siècle à venir2 ».

1 Cf. Prov., IX, 18». » Matth., XII, 32.


QUATRIÈME LETTRE

A SÉRAPION

1. J'ai lu encore la lettre que ta Piété vient de637A


m'écrire et, stupéfait de l'impudence des hérétiques,
je me suis aperçu qu'à leur sujet nulle parole n'est
de mise autant que le précepte de l'Apôtre : « Pour
l'hérétique, après un premier et un second aver
tissement, évite-le, sachant que cet homme-là est b
perverti et qu'il pèche puisqu'il a porté lui-même sa
propre sentence1 ». Car, ayant l'esprit perverti, s'il
interroge, ce n'est pas pour se rendre lorsqu'on lui aura
répondu, ni pour changer d'avis lorsqu'on l'aura
instruit, mais c'est uniquement en considération de
ceux qu'il a trompés, dans la crainte qu'en gardant
[désormais] le silence, il ne se fasse condamner par eux
aussi.
Ce qui a déjà été dit suffisait donc; il suffisait des
démonstrations si fortes qu'on leur a fournies, pour
qu'ils cessent désormais leur blasphème contre le
Saint-Esprit. Mais cela ne leur a pas suffi et de

1 TU., III, 10-11. Dans sa première lettre à Séraplon (15; supra,


568 A), saint Athanase a déjà rappelé ce précepte de l'Apôtre, mais
sans noter le nombre des avertissements préalables imposés. S'il le
note ici, c'est qu'il se sait en règle quant à ce point. Il a donc déjà
écrit antérieurement, au moins à deux reprises, à Sérapion contre
ces hérétiques.
176 LETTRES SUR LA DIVINITE DU SAINT-ESPRIT

nouveau, ils affichent l'impudence afin de montrer


qu'exercés aux batailles de mots et décidément
adversaires de l'Esprit, ils seront bientôt morts de
démence. Certes, même si l'on répond encore à leurs
nouvelles questions, ils n'en resteront pas moins des
hommes ingénieux pour le mal1, pour chercher seule
ment sans trouver ou entendre sans comprendre!
Quelles sont donc leurs subtiles instances? Si,
c disent-ils, le Saint-Esprit n'est pas une créature, il est
donc fils, et le Verbe, et lui sont deux frères! Ils pour
suivent, comme tu l'écris : S'il est vrai que l'Esprit
« recevra du Fils », et qu'il. « est donné par lui »,
— car cela est écrit ainsi2, — alors, concluent-ils
immédiatement, le Père est donc grand-père et
l'Esprit est son petit-fils!
2. Qui, en entendant ces paroles, les considérera
encore comme des chrétiens et non plutôt comme des
païens? C'est, en effet, un tel langage que les païens
tiennent entre eux contre nous. Qui voudra répondre
à une telle folie, qui est la leur? Pour moi, j'ai beau-
d coup réfléchi, à la recherche de la réponse convenable
à leur faire; je n'en ai point trouvé d'autre que
celle qui fut jadis adressée aux Pharisiens. Comme,
en effet, tandis que [les Pharisiens] lui posaient
méchamment des questions, le Sauveur les interrogea
à son tour, pour leur faire percevoir leur propre
malice : ainsi, puisque [les adversaires] posent aussi
des questions de ce genre, qu'ils nous disent eux-
mêmes, ou plutôt qu'ils nous répondent, interrogés
comme ils interrogent. Puisqu'ils ne comprennent

1 Cf. Rom., I, 30. 2 Cf. Joh., XVI, 7, 14.


QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 177

pas leurs inventions lorsqu'ils [les] profèrent, peut-


être au moins en [les] entendant apprendront-ils à
connaître leur démence.
Si, comme il a été démontré précédemment1, 640 a
l'Esprit-Saint n'est pas une créature, mais est en Dieu
et est donné [en venant] de Dieu, il est donc fils lui
aussi, et lui et le Fils sont deux frères. Et si l'Esprit
est [celui] du Fils, et si l'Esprit reçoit tout du Fils,
comme [le Fils] lui-même l'a dit, et si « ayant soufflé,
il le donna à ses disciples2 », — car vous confessez cela
vous aussi, — le Père est donc grand-père et l'Esprit
est son petit-fils. Car ce que vous nous demandez par
vos questions, il est juste que vous vous l'entendiez
demander à votre tour. Si donc vous niez ce qui est
dans l'Écrituré, vous ne pouvez plus être appelés des
chrétiens et il est juste que nous, chrétiens, nous
soyons interrogés par vous. Mais si vous lisez les
mêmes [Écritures] que nous, il faut que vous vous
entendiez poser les mêmes questions par nous. Dites b
donc, et sans retard : l'Esprit est-il fils et le Père
grand-père?
Peut-être, comme le firent les Pharisiens de jadis3,
allez-vous réfléchir et vous dire aussi à vous-mêmes :
« Si nous disons qu'il est fils, nous nous entendrons
demander : « Où cela est-il écrit? ». Et si nous disons :
« Il n'est pas fils, nous craignons qu'ils ne nous disent :
« Comment donc est-il écrit : « Pour nous, ce n'est pas
1 La présente lettre suppose donc l'existence des lettres précédentes,
car la démonstration en question n'a pas encore été faite ici. —
Saint Athanase, en partant de ce qui a déjà été établi, va rétorquer
aux adversaires les questions mêmes qu'ils posaient pour montrer
ab absurdo que l'Esprit-Saint doit être une créature.
2 Cf. Joh., XX, 22. 3 Cf. Matth., XXI, 25.

Lettres à Sérapion. 12
178 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

l'esprit du monde que nous avons reçu, mais c'est


l'Esprit [qui vient] de Dieu1? ». Que si, luttant contre
vous-mêmes, vous dites : « Nous ne le savons pas »,
il faut bien que celui à qui vous posez ces questions,
se taise, obéissant à celui qui a dit : « Ne réponds pas
à l'insensé selon sa folie, de peur que tu ne deviennes
semblable à lui; mais réponds à l'insensé selon sa
folie, de peur qu'il ne se regarde comme sage2 ».
Mais la réponse qui convient le mieux à votre cas,
c'est le silence, afin que vous reconnaissiez votre
propre ignorance.
;3. Il est donc juste de vous poser à nouveau des
questions en partant de ce que vous admettez. Les
prophètes parlent dans l'Esprit de Dieu et, en Isaïe,
c'est l'Esprit-Saint qui prophétise, comme il a été
montré dans ce qui précède3. Cela étant, l'Esprit est
donc aussi Verbe de Dieu, et il y a deux Verbes,
l'Esprit et le Fils; en effet, les prophètes prophéti
saient lorsque le Verbe de Dieu venait à eux.
En outre, tout a été fait par le Verbe et sans lui
rien n'a été fait4, et « c'est par la Sagesse que Dieu
a fondé la terre6 », et par la Sagesse qu'il a fait toutes
choses6, tandis qu'il est écrit, comme bn l'a montré
dans ce qui précède7 : « Tu enverras ton Esprit, et ils
1 I Cor., II, 12. s Prou., XXVI, 4-5.
3 La référence ne peut pas viser la partie antérieure de cette
quatrième lettre, où l'on ne rencontre pas la démonstration ici men
tionnée. Cette démonstration se trouve dans la première lettre
(31; supra, 601 B) et dans la troisième lettre (5; supra, 632 C) à Séra-
pion. En ces deux passages, saint Athanase établit en effet par l'Écri
ture que, comme il le dit ici, les prophètes prophétisent dans l'Esprit
de Dieu quand le Verbe de Dieu vient à eux; mais la preuve est tirée
de textes de Zacharie et non de textes d' Isaïe. Il faut donc, semble-t-il,
lire ici : iv rû> Zar^apla, au lieu de : iv t<3 'Hoata.
4 Cf. Joh.,' I, 3. « Prov., III, 19. • Psalm. CIII, 24.
7 Voir la 3» Lettre à Sérapion, 4 (supra, 632 B).
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 179

seront créés1 ». Dès lors, ou bien l'Esprit est le Verbe,


ou bien Dieu a fait toutes choses par deux [agents], D
par la Sagesse et par l'Esprit : et comment Paul dit-il :
« Un Dieu, de qui sont toutes choses, et un Seigneur,
par qui sont toutes choses2 »? Et encore : Le Fils est 641 a
l'image du Père invisible3, et l'Esprit est l'image du
Fils, — car il est écrit : « Ceux qu'il a connus d'avance,
il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de
son Fils4 ». Cela étant, le Père est donc grand-père!
Et encore : Le Fils est venu au nom du Père; or,
le Fils dit : « L'Esprit-Saint, que le Père enverra en
mon nom5 ». Ainsi donc, de cette manière encore le
Père est grand-pèrel
Que répondez-vous à cela, vous qui, pourtant,
dites facilement toutes choses? Que raisonnez-vous
en vous-mêmes? Vous voyant embarrassés, allez-vous
blâmer de telles questions? Mais condamnez-vous
d'abord vous-mêmes, car c'est vous qui avez coutume
de poser de telles questions! Rendez-vous aux
Écritures, et n'ayant rien à dire, apprenez désormais!
Dans les Écritures, l'Esprit n'est pas appelé fils,
mais Esprit-Saint et Esprit de Dieu; et de même
que l'Esprit n'est pas appelé fils, de même il n'est pas b
écrit non plus du Fils qu'il est l'Esprit-Saint. Est-ce
que donc, parce que l'Esprit n'est pas appelé fils et
parce que l'Esprit n'est pas fils, la foi est en désaccord
avec la vérité? A Dieu ne plaise! Mais bien plutôt
chacune des désignations a sa signification propre.
Et en effet, le Fils est le propre rejeton de la substance

1 Psalm. CIII, 30. • I Cor., VIII, 6. 3 Cf. Coloss., I, 15.


4 Rom., VIII, 29. 1 Joh., XIV, 26.
180 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

et de la nature du Père, et c'est cela que [ce nom]


indique; et l'Esprit, qui est dit [Esprit] de Dieu
et qui est en lui, n'est étranger ni à la nature du Fils
ni à la divinité du Père. C'est pour cela, en effet,
que dans la Trinité, dans le Père et dans le Fils et
dans l'Esprit lui-même, il n'y a qu'une divinité,
et que, dans la Trinité elle-même, unique est le
baptême et unique la foi. Certes, quand le Père envoie
l'Esprit, le Fils le donne à ses disciples en soufflant
c [sur eux]; et quand le Verbe venait chez les prophètes,
ceux-ci prophétisaient dans l'Esprit, comme il est
écrit et a été montré1 : « Par le Verbe du Seigneur les
cieux ont été affermis et par l'Esprit de sa bouche
toute leur vertu2 ».
4. Ainsi, l'Esprit n'est pas une créature, mais il est
dit être propre à la substance du Verbe, propre aussi
à Dieu et en lui, — car il ne faut pas craindre de redire
les mêmes choses. Bien que l'Esprit-Saint n'ait pas
été appelé fils, il n'est pourtant pas en dehors du Fils,
car il a été dit Esprit de filiation par adoption3. Et
parce que le Christ est force de Dieu et Sagesse de
Dieu4, il a été dit conséquemment de l'Esprit : « Il est
Esprit de sagesse et Esprit de force6 ». En effet, en
d participant à l'Esprit, nous avons le Fils et, en- ayant
le Fils, nous avons l'Esprit qui crie dans nos cœurs :
Abba, Père, comme dit Paul8.
Si, parce que l'Esprit est dit de Dieu et en lui,
il est écrit : « Nul ne sait ce qui appartient à Dieu, si
ce n'est l'Esprit de Dieu, qui est en lui7, et si le Fils
1 Voir la 3e Lettre à Sérapion, 5 (supra, 632 C).
» Psalm. XXXII, 6. » Cf. Rom., VIII, 15. 4 Cf. I Cor., I, 24.
• Cf. Isai., XI, 2. • Gai., IV, 6. 7 I Cor., II, 11.
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 181

a dit : « Je suis dans le Père et le Père est en moi1 »,


pourquoi le même nom n'est-il pas donné à l'un et à
l'autre, mais l'un est-il [appelé] Fils et l'autre Esprit? 644 A
Si quelqu'un pose une telle question, cet homme est
fou de scruter les choses inscrutables et de refuser
d'écouter l'Apôtre, qui dit : « Car qui a connu la
pensée du Seigneur? Ou qui a été son conseiller2? ».
Que d'ailleurs oserait changer les noms [des êtres]
que Dieu a nommés? Sinon, que celui-là en fournisse
aussi pour les êtres de la création! Que [les adver
saires] nous disent donc : puisque la création s'est
faite par le même signe [de Dieu], pourquoi une
créature est-elle soleil, une autre ciel, et terre, et
mer et air? Si ces insensés ne le peuvent, — car chaque
être reste tel qu'il a été fait, — à plus forte raison les
êtres supérieurs à la création ont-ils une permanence
éternelle et ne sont-ils pas autrement qu'ils ne sont :
le Père, père et non grand-père, et le Fils, Fils de
Dieu et non père de l'Esprit, et l'Esprit-Saint, B
Esprit-Saint et non petit-fils du Père ni frère du
Fils.
[5. Après ces démonstrations, il faudrait être fou
pour demander : L'Esprit est-il donc également fils?
Et que nul n'aille l'exclure de la nature de Dieu et
de ce qui lui est propre, parce que cela ne se trouve
pas dit ainsi dans l'Écriture. Que chacun croie
plutôt comme il est écrit et ne dise pas : « Pourquoi
[en est-il] de telle manière et non de telle autre? »,
de peur que, se livrant à de telles réflexions, il n'en
vienne à dire, dans ses préoccupations : « Où est donc

1 Joh., XIV, 10. 3 Rom., XI, 34.


182 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

Dieu et comment est-il? » et n'entende ensuite cette


parole : « L'insensé a dit dans son cœur : il n'y a
point de Dieu1 ». Car ce qui est confié à la foi, veut
être connu sans curiosité indiscrète. Aussi, après
qu'ils eurent entendu : « les baptisant au nom du Père
et du Fils et du Saint-Esprit2 », les disciples ne
cherchèrent-ils pas curieusement pourquoi il y a
c deuxièmement le Fils et troisièmement l'Esprit,
ou pourquoi, en définitive, il y a Trinité, mais ils
crurent comme ils avaient entendu, sans demander
comme vous : « L'Esprit est-il donc fils? ». Le Seigneur
citant l'Esprit après le Fils, ils ne demandèrent pas
davantage : « Le Père est-il donc grand-père? ».
Car ils n'avaient pas entendu : « Au nom du grand-
père », mais bien : « Au nom du Père ». Et c'est cette
foi qu'avec une compréhension exacte ils prêchèrent
partout. Car il ne s'agissait pas de dire autrement que
n'avait dit le Seigneur [en s'appelant] lui-même Fils
et [en appelant] l'autre, Esprit-Saint; il n'était pas
permis non plus de changer l'ordre établi [entre eux],
de même que relativement au Père. En effet, de même
qu'il n'est pas permis de s'exprimer au sujet de ce
dernier autrement [qu'en disant] qu'il est Père, ainsi
il est impie de demander si le Fils est l'Esprit ou si
l'Esprit est fils. C'est pour cela que Sabellius fut jugé
d étranger à l'Église, lorsqu'il osa donner au Père le nom
de Fils et au Fils le nom de Père3.
1 Psalm. XIII, 1. » Matth., XXVIII, 19.
* Sabellius, originaire de Libye, enseigna son erreur à Rome
vers 220. Pour lui, Dieu n'était, en réalité, qu'une seule personne,
qui apparaissait comme Père, Fils et Saint-Esprit dans sa manifesta
tion ou son action dans le monde. Saint Athanase a surtout remarqué,
chez Sabellius, la confusion réelle et la distinction purement nominale
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 183

Après cela, quelqu'un osera-t-il encore, en enten


dant [nommer] Fils et Esprit, dire : « Le Père est-il
donc grand-père » ou « l'Esprit est-il donc fils »? Oui
certes, ils l'oseront, les Eunomius, les Eudoxius,
les Eusèbe1! Car ayant une fois pris un rôle dans 645 A
l'hérésie arienne, ils ne retiendront plus leur langue de
[proférer] l'impiété. Et qui donc leur a transmis ces
questions? Qui leur a enseigné [à les poser]? Assu
rément personne [qui s'inspirât] des divines Écri
tures! C'est du trop-plein de leur cœur qu'est sortie
une telle démence!
6. Si c'est parce que l'Esprit n'est pas une créature,
— car cela a été démontré, — que vous demandez :
« L'Esprit est-il donc fils? », c'est pour nous, sachant
que le Fils n'est pas une créature, — car c'est par lui
que les créatures ont été faites, — le moment de
demander : « Le Fils est-il donc père », ou encore :
« L'Esprit est-il donc le Fils et le Fils lu^-même est-il
l'Esprit-Saint? ». Mais, en se livrant à de tels calculs,
ils se trouveront en dehors de la sainte Trinité et seront
jugés athées, parce qu'ils changent le nom du Père B
et du Fils et du Saint-Esprit et qu'au gré de leur
caprice ils en tournent le sens à la ressemblance
du Père et du Fils. Voir, par exemple, le 3e Discours contre les Ariens,
4 (P. G., XXVI, 328 C), où il affirme que le Père et le Fils sont un
« non pas en ce sens qu'un seul serait deux fois nommé, de telle sorte
que le même serait tantôt Père et tantôt Fils de lui-même : ce qu'ayant
pensé, Sabellius fut jugé hérétique ».
1 II s'agit de trois champions de l'arianisme. Eunomius ressuscita
l'arianisme pur dans la doctrine qui fut appelée l'anoméisme, et devint
évêque de Cyzique. Eudoxius fut successivement évêque de Germa-
nicia, d'Antioche et de Constantinople; son arianisme connut diffé
rentes nuances. L'Eusèbe ici nommé est l'évêque de Nicomédie, qui
fut toujours le protecteur des Ariens; exilé après le concile de Nicée,
puis rappelé par Constantin le Grand, il jouit d'une grande faveur
auprès de cet empereur, à qui il conféra le baptême.
184 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

d'une origine humaine, parlant de petits-fils et de


grands-pères et rétablissant à leur usage la théogonie
des païens.
Mais ce n'est point là la foi de l'Église! Comme l'a
dit le Sauveur, [cette foi est] en un Père et un Fils
et un Sairft-Esprit : en un Père qui ne peut être
appelé grand-père, et en un Fils qui ne peut être
appelé père, et en un Esprit-Saint qui ne reçoit pas
d'autre nom que celui-là. Dans cette foi, on ne peut
pas alterner les appellations, mais le Père est toujours
père et le Fils toujours fils, et l'Esprit-Saint toujours
est et est dit Esprit-Saint, il n'en va pas ainsi en
ce qui concerne les hommes, même si les Ariens
se livrent à des imaginations semblables. En effet,
de même qu'il est écrit : « Dieu n'est pas comme
l'homme1», ainsi l'on pourrait dire : «Les hommes ne
sont pas comme Dieu ». En effet, chez les hommes, le
père n'est pa§ toujours père, ni le fils toujours fils, car
le même homme devient père d'un fils, mais il a
d'abord été lui-même fils d'un autre [père], et le fils,
étant fils d'un père, devient père d'un autre [fils.] Ainsi,
Abraham, étant fils de Nachor2, devint père d'isaac,
et Isaac étant fils d'Abraham, devint père de Jacob.
Car chaque homme, étant une partie, de celui qui
l'a engendré, est bien engendré comme fils, mais
devient lui aussi père d'un autre. Il n'en va pas de

1 Num., XXIII, 19.


» D'après Gen., XI, 26 et Jos., XXIV, 2, le père d'Abraham fut,
non pas Nachor, mais Thare, comme saint Athanase lui-même l'écrit
dans le passage parallèle de lalre Lettre à Sérapion (16; supra, p. 111).
On trouvera également dans ce passage les explications que saint
Athanase va reprendre ici touchant le sens « propre » de la paternité
et de la filiation en Dieu.
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 185

même en ce qui concerne la divinité, car Dieu n'est


pas comme l'homme. Le Père ne provient pas d'un
père; c'est pourquoi il n'engendre pas le futur père
d'un autre. Le Fils n'est pas une partie du Père; c'est
pourquoi il n'est pas un rejeton destiné à engendrer
[lui aussi] un fils. De là [vient que] ce n'est qu'en ce
qui concerne la divinité que le Père existe et était
et sera toujours proprement et uniquefment] père, D
et [que] le Fils est proprement et unique[ment] fils,
et c'est quant à eux que, d'une manière stable, se
vérifient et s'énoncent les affirmations : « le Père est
toujours père » et : « le Fils est toujours fils » et :
« l'Esprit-Saint est toujours Esprit-Saint ». Et ce
dernier, nous croyons qu'il est [l'Esprit] de Dieu
et qu'il est donné de la part du Père par le Fils. Car 648 A
c'est ainsi que demeure invariablement la sainte
Trinité reconnue en une seule divinité.
En conséquence, qui demande : « L'Esprit est-il
donc fils? » s'imagine que le nom peut être changé
et se frappe lui-même de folie; et qui demande :
« Le Père est-il donc grand-père? », imaginant un
[nouveau] nom pour le Père, a le cœur égaré.
Répondre donc encore à l'impudence des hérétiques
est chose peu sûre, car c'est aller à l'encontre de
l'exhortation de l'Apôtre; mais il convient, comme
il l'enjoignait lui-même, de leur donner plutôt
des conseils1.
7. En voilà assez pour réfuter vos bavardages
insensés! Cessez vos plaisanteries à l'adresse de la
divinité, car c'est le propre de gens qui plaisantent

1 cf. tu., m, 10.


186 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

d'interroger au sujet de choses sur lesquelles l'Écri


ture est muette, et de dire : « Ainsi donc l'Esprit est
fils et le Père est grand-père? ». Ainsi raillent celui de
Césarée et celui de Scythopolis1. 11 suffit que vous
croyiez que l'Esprit n'est pas une créature, mais
qu'il est l'Esprit de Dieu et qu'en lui [se complète]
la Trinité, Père et Fils et Esprit-Saint. Il ne faut pas
dire le nom de père à propos du Fils, et il n'est pas
permis de dire que l'Esprit est le Fils ni que le Fils
est l'Esprit-Saint, mais il en est comme il a été dit,
et une est, en cette Trinité, la divinité, une est la foi,
un aussi le baptême donné en elle, et une l'initiation,
dans le Christ Jésus Notre-Seigneur, par qui et avec
qui gloire et puissance au Père avec le Saint-Esprit
pour tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il!
8. Quant à la parole évangélique que tu as signalée
à mon attention dans ta lettre, pardonne-moi, mon
bien cher, dans la droiture de ta conscience2, car
je crains même de l'aborder, de peur qu'après m'y
être engagé par la pensée, et après avoir commencé
les recherches, je n'aie pas la force d'en dégager le
sens profond. Je voulais donc la passer complètement
sous silence et me contenter de ce que j'avais déjà
écrit. Toutefois, voulant éviter que tu né me presses
à nouveau d'écrire à ce sujet, je me suis contraint
moi-même à mettre par écrit le peu que j'en com-

1 La forme yeXwoiv pourrait aussi être considérée comme sub


jonctive; il faudrait traduire alors : « Laissez ces railleries à celui de
Césarée et à celui de Scythopolis! ». Il y a un certain mépris dans
l'expression que saint Athanase emploie pour désigner ces deux
évêques, Acace de Césarée et Patrophile de Scythopolis, tous deux
adversaires de la foi orthodoxe.
• Cf. I Petr., III, 16.
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 187

prends pour l'avoir [moi-même] appris. J'ai confiance


que, si nous atteignons le but, tu te déclareras
satisfait à cause de celui qui nous a instruits, et que,
si nous échouons, tu ne nous blâmeras pas, connaissant 649 A
tout à la fois notre bonne volonté et notre
faiblesse.
Voici donc la parole en question. Après tant de
miracles opérés [selon qu'il est rapporté] dans
l'Évangile, les Pharisiens disaient : « Cet homme ne
chasse les démons que par Beelzeboul, prince des
démons ». Mais le Seigneur, « connaissant leurs
pensées, leur dit : Tout royaume divisé contre lui-
même sera dévasté1 ». Et, après avoir dit : « Mais si
c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons,
le royaume de Dieu est donc venu à vous2 », il conclut :
i C'est pourquoi je vous dis : Tout péché et tout
blasphème vous sera remis, à vous, hommes; mais le
blasphème contre l'Esprit ne vous sera pas remis.
Et quiconque aura parlé contre le Fils de l'homme,
cela lui sera remis; mais quiconque aura parlé contre
l'Esprit-Saint, cela ne lui sera remis ni dans ce siècle, b
ni dans le siècle à venir3 ».
Pour toi, tu demandais pourquoi le blasphème
contre le Fils est remis, mais le blasphème contre
l'Esprit n'a de rémission ni en ce siècle, ni dans le
siècle à venir.
Or donc, des anciens, le très savant et laborieux
Origène et l'admirable et diligent Théognoste, — car
j'ai consulté leurs ouvrages à ce sujet lorsque tu m'as
écrit ta lettre, — disent tous deux que le blasphème

1 Matth., XII, 24-25. 3 Ibid., 28. 3 Ibid., 31-32.


188 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

contre le Saint-Esprit a lieu lorsque ceux qui, dans


le baptême, ont été honorés du don du Saint-Esprit,
retournent au péché. C'est pour cela, disent-ils,
que [ces pécheurs] n'obtiendront pas de rémission,
c selon ce que Paul déclare aussi dans la lettre aux
Hébreux : « Il est impossible, en effet, que ceux qui
ont été une fois éclairés et qui ont goûté le don
céleste et qui sont devenus participants de l'Esprit-
Saint et qui ont goûté la bonne parole de Dieu et les
forces du siècle à venir, et qui sont tombés, soient
renouvelés une seconde fois pour la pénitence1 ».
Jusqu'ici, ils tiennent le même langage; chacun d'eux
ajoute ensuite son opinion personnelle.
10. Car Origène exprime aussi la cause du jugement
porté contre ces hommes en ces termes : « Le Dieu et
Père pénètre tout et maintient tout, les êtres animés
et inanimés, ceux qui sont doués de raison et ceux
qui en sont privés. La puissance du Fils ne s'étend
qu'aux seuls êtres doués de raison, parmi lesquels
se trouvent les catéchumènes et les païens, qui n'ont
pas encore adhéré à la foi. Quant à l'Esprit-Saint,
652 A il n'est que pour ceux qui l'ont reçu en participation
dans la collation du baptême. Quand donc des caté
chumènes et des païens pèchent, ils pèchent contre
le Fils, parce qu'il est en eux, comme il a été dit;
ils peuvent toutefois recevoir la rémission, lorsqu'ils
sont honorés du don de la régénération. Mais quand
les baptisés pèchent, un tel méfait, dît-il, parvient
jusqu'à l'Esprit-Saint, parce que c'est alors qu'il
était dans l'Esprit que le baptisé a péché, et c'est

1 Hebr., VI, 4-6.


QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 189

pour cette raison que le châtiment porté contre lui


est inexorable1. »
11. Quant à Théognoste2, il poursuit lui aussi
[l'explication] et dit : « Celui qui aura transgressé
le premier et le deuxième terme pourra paraître digne
d'un moindre châtiment; mais celui qui aura méprisé
le troisième terme ne pourra plus obtenir de rémis
sion. » Il appelle premier et deuxième terme la
catéchèse touchant le Père et le Fils; le troisième, la
parole transmise dans l'initiation et la participation
de l'Esprit. Voulant confirmer cette [explication],
il allègue la parole du Sauveur à ses diciples : « J'ai
encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne
pouvez pas les porter à présent. Quand le Saint-Esprit
sera venu, il vous [les] enseignera3 ». Il dit ensuite :
« Le Sauveur leur parle, comme à des hommes qui ne
peuvent pas encore comprendre les choses parfaites,
en condescendant à leur médiocrité. Mais, aux
parfaits4, l' Esprit-Saint devient présent. Cependant,
que nul n'aille, de ce chef, prétendre que l'enseigne
ment du Saint-Esprit est supérieur à l'enseignement

1 Orioène, De principiis (irtpî àpxûv), 1. I, c. 3, n. 5 (P. G., XI,


150 B).
s Théognoste, qui fut le chef de l'école catéchétique d'Alexandrie
dans la seconde moitié du ine siècle, ne semble pas plus qu'Origène,
avoir consacré d'opuscule spécial à la question du blasphème contre
le Saint-Esprit. Son explication à ce sujet figurait sans doute dans le
troisième livre de ses Hypotyposes, ouvrage dont il ne s'est presque
rien conservé, mais dont le contenu a été brièvement décrit par
Photius, qui le lisait encore. Voir, par exemple, O. Bardenhewer,
Geschichte der altkirchlichen Literatur, t. II, p. 231 (2e édit., Fribourg
en Brisgau, 1914).
» Cf. Joh., XVI, 12-13.
* Les parfaits sont ceux qui ont reçu l'initiation chrétienne dans le
baptême; les imparfaits, ceux qui ne l'ont pas encore reçue avec la
participation de l'Esprit et l'enseignement réservé à ce dernier stade.
190 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

du Fils; c'est que le Fils pratique la condescendance


envers les imparfaits, tandis que l'Esprit est le sceau
c des parfaits. Ainsi, ce n'est pas à cause d'une supé
riorité de l'Esprit sur le Fils que le blasphème contre
l'Esprit est inexpiable et irrémissible, mais c'est parce
qu'il y a rémission chez les imparfaits, tandis que
chez ceux qui ont goûté le don céleste et ont été
rendus parfaits, il ne reste aucune défense, aucune
prière qui puisse obtenir le pardon. » Voilà donc ce
que disent ces auteurs.
12. Pour moi, d'après ce que j'ai appris, je pense
que l'opinion de l'un et de l'autre réclame une juste
vérification et considération, pour le cas qu'un sens
plus profond serait caché dans leurs paroles mêmes.
En effet, il est manifeste que le Fils, étant dans le Père,
est en ceux en qui le Père aussi se trouve, et que
l'Esprit n'est pas absent [d'eux], car la sainte et
bienheureuse et parfaite Trinité est indivise. En outre,
si « tout a été fait par le Fils1 » et si « c'est en lui que
D tout subsiste2 », comment serait-il en dehors des
choses qui sont venues à l'existence par lui? Or, ces,
êtres n'étant pas éloignés de lui, il est naturellement
lui aussi, en toutes choses. Ainsi, il faut bien que celui
qui pèche et blasphème contre le Fils, pèche aussi
653 A contre le Père et contre le Saint-Esprit.
Si le bain sacré était donné seulement au nom du
Saint-Esprit, il serait raisonnable de dire que les
baptisés pèchent seulement contre l'Esprit. Mais
puisqu'il est donné au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit, et que c'est ainsi que chacun des baptisés
1 Cf. Joh., I, 3. s Coloss., I, 17.
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 191

reçoit l'initiation, il faut bien, encore une fois, que


ceux qui commettent la transgression après le baptême »
blasphèment contre la sainte et indivise Trinité. Et il
est juste de le penser et de le comprendre [ainsi].
Si ceux à qui le Seigneur parlait, je veux dire les
Pharisiens, eussent été des hommes ayant déjà reçu
le bain de la régénération et ayant déjà participé
au don du Saint-Esprit, l'interprétation susdite serait
acceptable, en tant que [le Seigneur se serait adressé
à] des hommes qui étaient retournés en arrière et
avaient commis une faute contre le Saint-Esprit.
Mais si ces hommes n'avaient pas même reçu le
baptême et méprisaient même le baptême de Jean1, b
comment les aurait-il accusés de blasphémer contre
le Saint-Esprit, dont ils n'étaient pas encore devenus
participants? Car ce n'était pas seulement en donnant
un enseignement que le Seigneur prononçait ces
paroles; il ne formulait pas la menace du châtiment
contre de futurs [coupables]; c'est en accusant
directement et vraiment les Pharisiens comme déjà
coupables d'un si grand blasphème qu'il a dit cette
parole. Les Pharisiens étant ainsi accusés avant même
qu'ils eussent reçu le baptême, cette parole ne peut pas
viser ceux qui se rendent coupables de transgression
après le baptême, d'autant plus que ce n'était pas
simplement de péchés [quelconques], mais [préci
sément) de blasphème qu'il les accusait. Or, il y a
une différence : en effet, celui qui pèche transgresse
la loi, mais celui qui blasphème tourne son impiété
contre la divinité elle-même. Le Sauveur les avait

1 CI- Matth., XXI, 25-27.


i
192 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
c accusés auparavant de beaucoup de fautes : ils
transgressaient, par amour de l'argent, le précepte de
Dieu relatif aux [devoirs envers les] parents; ils
rejetaient les paroles des prophètes; ils faisaient de
la maison de Dieu une maison de négoce. Et cepen
dant, il les engageait à faire pénitence. Mais lorsqu'ils
dirent : « C'est par Beelzeboul qu'il chasse les démons »t
il ne dit plus simplement que ce péché, mais bien
que ce blasphème était si grand que le châtiment était
inévitable et irrémissible pour ceux qui poussaient
jusque là leur audace.
13. D'ailleurs, si c'est à propos de ceux qui pèchent
après le baptême que cette parole a été dite, et si c'est
pour eux que le châtiment des fautes est inexorable,
>v comment l'Apôtre rend-il officiellement au pécheur
repentant de Corinthe la même charité [qu'avant sa
faute]1, et comment pour les Galates, qui étaient
retournés en arrière2, souffre-t-il les douleurs de
l'enfantement jusqu'à ce que le Christ soit de nouveau
D formé en eux3? En disant « de nouveau », il manifeste
aussi leur précédente perfection dans l'Esprit. Pour
quoi encore blâmons-nous Novat4 de supprimer la
656 A pénitence et de dire que ceux qui pèchent après le
baptême n'obtiennent aucune rémission, si cette
parole a été dite à cause de ceux qui pèchent après
le baptême?

1 Cf. II Cor., II, 8. ! Cf. Gai., IV, 7. » Cf. ibid., 19.


* Novat, appelé Novatien par les écrivains latins, fut le chef d'un
parti rigoriste et schismatique à Rome vers 250. Il enseignait que ceux
qui avaient renié la foi ne pouvaient recevoir de rémission que de
Dieu seul, bien qu'on dût les exhorter à la pénitence. Dans la suite,
ses partisans refusèrent la réconciliation à tous ceux qui avaient
péché gravement après le baptême.
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 193

Aussi bien, la parole de l'épître aux Hébreux


n'exclut-elle pas la pénitence des pécheurs; elle
montre que le baptême de l'Église catholique est
unique et qu'il n'en est pas de second. En effet, c'est
à des Hébreux que [l'Apôtre] écrivait; il craint que,
sous prétexte de pénitence, ils ne pensent qu'il y a,
selon la coutume en vigueur sous la Loi, des baptêmes
nombreux et quotidiens1; c'est pourquoi il les engage,
sans doute, à se repentir, mais il déclare que la réno
vation par le baptême est unique et qu'il n'en est
pas de seconde. Ainsi également, dans une autre
lettre, il dit : « Une [seule] foi, un [seul] baptême2 ».
En effet, il ne dit pas qu'il est impossible de faire
pénitence, mais bien qu'il est impossible, sous
prétexte de pénitence, de nous renouveler. La diffé
rence est grande : car qui fait pénitence, cesse bien
de pécher, mais il garde les cicatrices de ses blessures;
au contraire, qui reçoit le baptême, dépouille le
vieil [homme] et est renouvelé3, naissant de nouveau4
par la grâce de l'Esprit.
]14. Quand donc je me livre à ces considérations,
je rencontre, dans la parole [susdite], une plus grande
profondeur de sens. C'est pourquoi, après avoir
d'abord prié instamment le Seigneur, qui s'est assis
auprès du puits et a marché sur la mer5, je reviens au
plan providentiel qui s'est réalisé en lui pour nous,
dans l'espoir d'en pouvoir tirer peut-être le sens
renfermé dans ce passage.
Or donc, toute la divine Écriture annonce et pro-
1 Cf. Marc, VII, 3-4. 2 Ephes., IV, 5.
3 Cf. Coloss., III, 9-10. 4 Cf. Joh., III, 3. . .
• Cf. Joh., IV, 6 et Matth., XIV, 25. '

Lettres à Sérapion. 13
194 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

clame ce [plan providentiel], en particulier Jean,


lorsqu'il dit : « Le Verbe s'est fait chair et il a habité
c parmi nous1 », et Paul, lorsqu'il écrit : « Lequel, alors
qu'il subsistait dans la forme de Dieu, ne s'attacha
pas jalousement à l'égalité avec Dieu, mais s'anéantit
lui-même en prenant la forme d'esclave et reconnu
pour homme par tout ce qui a paru de lui. Il s'humilia
lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, la
mort de la croix2 ». Car c'est pour cela qu'étant Dieu
et s'étant fait homme, d'une part, comme Dieu
il ressuscita des morts, guérit tous [les malades] par
sa parole et changea aussi l'eau en vin, — car ces
œuvres n'étaient pas [celles] d'un homme; — d'autre
part, en tant que revêtu d'un corps, il avait faim,
il avait soif, il souffrait, — car ces [passions] n'appar
tenaient pas à la divinité. Comme Dieu, il disait :
« Je suis dans le Père et le Père est en moi3 »; mais, en
657 a tant que revêtu d'un corps, il reprenait les Juifs
[en ces termes] : « Pourquoi cherchez-vous à me faire
mourir, moi homme qui vous ai dit la vérité que j'ai
entendue du Père?4 ». Cependant, ces œuvres ne
s'accomplissaient pas à part, selon la qualité qu'elles
revêtaient, de sorte que celles du corps apparussent
sans la divinité et celles de la divinité sans le corps;
au contraire, toutes se faisaient conjointement et
unique était le Seigneur, qui les faisait toutes d'une
manière merveilleuse par sa grâce. En effet, il crachait
à la manière des hommes, et sa salive était [douée
d'une vertu] divine, car par elle il donnait la vue aux
yeux de l'aveugle de naissance6. Voulant montrer
1 Joh., I, 14. » Philipp., II, 6-8. » Joh., XIV, 11.
4 Ibid., VIII, 40. » Cf. Joh., IX, 6.
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 195

qu'il était Dieu, il le signifiait en disant au moyen


d'une langue d'homme : « Moi et le Père, nous sommes
un1 ». Par sa seule volonté, il conférait la guérison2,
mais c'était en étendant sa main humaine qu'il faisait
lever la belle-mère de Pierre prise de fièvre3 et qu'il
ressuscitait d'entre les morts la fille défunte du chef
de la synagogue4.
|15. Les hérétiques ont donc déliré, chacun selon
son ignorance propre : les uns, voyant ce qui ressortit
au corps du Sauveur, ont nié la parole : « Au com
mencement était le Verbe5 »; les autres, considérant
ce qui ressortit à sa divinité, ont méconnu la parole :
« Le Verbe s'est fait chair6 ». Mais l'homme fidèle et
apostolique, qui connaît la bénignité du Seigneur
envers les hommes, lorsqu'il voit les prodiges de la
divinité, admire le Seigneur qui est dans le corps,
mais lorsqu'il considère également, à leur tour, les
choses propres au corps, il est frappé de stupeur en
observant en elles la force agissante de la divinité.
Telle est la foi ecclésiastique. En conséquence,
si certains hommes, les yeux fixés sur le côté humain
[de la vie] du Seigneur et le voyant éprouver la faim
ou la fatigue ou la souffrance, se contentent de
bavarder contre le Sauveur comme contre un homme,
ils pèchent grandement, sans doute, mais pourtant,
s'ils ne tardent pas à se repentir, ils peuvent obtenir

i Ibid., X, 30. 3 Cf. Matth., VIII, 3. 3 Cf. Marc., I, 31.


« Cf. ibid., V, 41. Il est possible que le texte de cette dernière
phrase soit altéré, car c'est dans l'opération du premier des trois
miracles que Jésus, d'après l'évangile, étend la main, tandis qu'il
prend la main de la belle-mère de saint Pierre et de la fille du chef de
la synagogue.
• Joh., I, 1. • Ibid., 14.
196 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

rémission, car la faiblesse corporelle leur est une


excuse1. En effet, ils ont même l'Apôtre pour leur
accordei rémission et en quelque sorte leur tendre
la main par le fait qu'il dit : « Et sans contredit il est
grand le mystère de la piété : Dieu a été manifesté
dans la chair2 ». Lorsque d'autres encore, au spectacle
des œuvres de la divinité, hésitent touchant la nature
du corps, ils pèchent extrêmement, eux aussi, parce
que, tout en voyant [le Seigneur] manger et souffrir,
ils se figurent une fiction; pourtant, à ceux-ci aussi,
s'ils ne tardent pas à se repentir, le Christ peut
d pardonner, parce qu'ils ont pour excuse la grandeur
surhumaine [qui se dégage] de ses œuvres.
660 a Mais lorsque, dépassant l'ignorance et la cécité
des uns et des autres, ceux qui semblent avoir la
connaissance de la Loi, — tels les Pharisiens d'alors, —
donnent dans la folie et nient sans plus le Verbe
existant dans le corps, ou bien lorsqu'ils vont jusqu'à
rapporter les œuvres de la divinité au diable et à ses
démons, c'est à bon droit que le châtiment qu'ils
reçoivent à cause ^d'une telle impiété, est sans rémis
sion. Car ils ont tout à la fois et considéré le diable
comme Dieu, et estimé que celui qui est vraiment et
réellement Dieu, n'a, dans ses œuvres, rien de plus
que les démons.

1 C'est-à-dire : les infirmités humaines, qui apparaissent dans la vie


du Sauveur, expliquent et excusent jusqu'à un certain point l'erreur
et la conduite de ces hommes.
* I Tlm., III, 16. L'authenticité athanasienne de cette phrase est
douteuse. Les éditeurs mauristes ont signalé (cf. P. G., XXVI, 658,
n. 21) qu'ils n'ont trouvé la phrase que dans un seul manuscrit et
encore, comme note marginale. On y remarquera la leçon Oeôs
(Dieu), au lieu de 8s (celui qui), dans la citation de la première lettre
à Timothée.
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 197

16. C'est donc dans une telle impiété qu'étaient


tombés les Juifs d'alors et, parmi les Juifs, les Phari
siens. En effet, tandis que le Seigneur faisait mani- B
festement les œuvres du Père, — car il ressuscitait
les morts, accordait la vue aux aveugles, faisait
marcher les boiteux, ouvrait l'ouïe des sourds,
faisait parler les muets, montrait que la création lui
est soumise en commandant aux vents et en marchant
sur la mer elle-même, — les foules étaient saisies
d'étonnement et glorifiaient Dieu; mais ces admirables
Pharisiens disaient que de telles œuvres étaient [celles]
de Beelzeboul et ne rougissaient pas, les insensés,
de transférer au diable la puissance de Dieu. C'est
pourquoi le Sauveur déclarait à bon droit qu'ils
proféraient un blasphème sans pardon ni rémission.
Car aussi longtemps que, considérant ce qu'il y avait
d'humain [dans le Christ], ils avaient une opinion
boiteuse [à son sujet], et disaient : « N'est-ce pas là
le fils du charpentier1? », et : « Comment connaît-il
les Écritures, lui qui n'a point fait d'études2? », et : c
« Quel miracle fais-tu pour [t'accréditer] toi-même3? »,
et : « Qu'il descende maintenant de la croix et nous
croirons en lui4 », il les supportait et, en tant qu'ils
péchaient contre le Fils de l'homme, il s'affligeait de
leur endurcissement6 et disait : « Si vous connaissiez,
vous aussi, ce qui ferait votre paix6! ». Et de fait, au
grand Pierre aussi qui, lorsque la portière lui parla
[de Jésus] comme d'un homme, répondit sur le même
ton, le Seigneur pardonna quand il versa des larmes

1 Matth., XIII, 55. • Joh., VII, 15. » Cf. Joh., VI, 30.
4 Matth., XXVII, 42. * Cf. Marc, III, 5. • Cf. Lwc, XIX, 42.
198 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

[de repentir]. Mais lorsque [les Pharisiens] tombèrent


encore plus bas et poussèrent encore plus loin leur
démence, jusqu'à dire que les œuvres de Dieu étaient
[celles] de Beelzeboul, il ne les supporta pas plus
longtemps. En effet, ils blasphémaient contre son
Esprit en disant que celui qui faisait ces œuvres,
ce n'était pas Dieu, mais bien Beelzeboul et pour
cette rajson, comme coupables d'une audace into-
d lérable, il les voua à un châtiment éternel. C'était,
66i a en effet, comme s'ils avaient eu l'audace de dire, en
voyant l'ordre du monde et la providence qui le
régit, que la création, elle aussi, a été faite par
Beelzeboul, que le soleil se lève en obéissant au diable
et que c'est à cause de lui que les astres évoluent dans
le ciel. Car de même que ces œuvres-ci sont des
œuvres de Dieu, ainsi celles-là étaient celles du Père;
et si celles-là étaient celles de Beelzeboul, de toute
nécessité celles-ci sont aussi des œuvres de Beelzeboul.
Et que font-ils en définitive de la parole : « Au com
mencement Dieu a fait le ciel et la terre1 »?
Une telle folie d'ailleurs n'a, chez eux, rien
d'étrange, puisque leurs pères, animés des mêmes
dispositions, étaient à peine sortis d'Égypte que, dans
le désert, ils fabriquèrent un veau [d'or] et, lui
attribuant les bienfaits qu'ils avaient reçus de Dieu,
dirent : « Voici tes dieux, Israël, ceux qui t'ont fait
b monter du pays d'Égypte2 ». A cause de ce blasphème,
alors déjà, parmi ceux qui avaient poussé l'audace
à un tel point, dès le début non pas quelques-uns
mais beaucoup périrent et Dieu proclama : « Au jour

1 6m'., I, i. * Cf. Exod., XXXII, 4.


QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 199

de ma visite, je ramènerai sur eux leur péché1 ».


Ainsi donc, aussi longtemps que ces hommes murmu
raient à cause du pain et de l'eau [qui manquaient],
il les supportait, comme une nourrice prendrait soin
de son nourrisson. Mais lorsque leur démence se fut
accrue et que, comme l'Esprit les en accuse dans le
psaume, « ils changèrent leur gloire en la figure d'un
veau qui mange de l'herbe2 », alors' déjà ayant osé
des choses impardonnables, ils furent frappés, comme
dit l'Écriture, pour la fabrication du veau qu'Aaron
avait fait3.
17. A présent les Pharisiens aussi ont agi avec la
même audace et ils ont ainsi reçu du Sauveur une c
sentence semblable à celle qu'a déjà reçue et que
reçoit ce Beelzeboul, à qui ils ont songé, de sorte
qu'ils soient éternellement consumés avec lui dans le
feu préparé pour lui. Car ce n'est pas en établissant
une comparaison entre le blasphème proféré contre
lui-même et le blasphème proféré contre l'Esprit-
Saint, ni comme si l'Esprit lui était supérieur et,
pour cette raison, plus répréhensible le blasphème
proféré contre l'Esprit, que [le Seigneur] a dit ces
paroles, à Dieu ne plaise! Car il avait enseigné aupa
ravant que tout ce qu'a le Père appartient au Fils et
que l'Esprit recevrait du Fils et glorifierait le Fils4.
Et ce n'est pas l'Esprit qui donne le Fils, mais c'est
le Fils qui accorde l'Esprit à ses disciples et, par eux,
à ceux qui croient en lui. Ce n'est donc pas en ce sens
que le Sauveur a parlé, mais c'est en tant que le

1 Exod., XXXII, 34. » Psalm. CV, 20.


• Cf. Exod., XXXII, 35. 4 Cf. Joh., XVI, 14-15.
200 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT
d blasphème proféré sous l'une et l'autre forme l'atteint
664 a lui-même, et que l'un est moindre et l'autre plus
grave, que le Seigneur a dit ces paroles. Et en effet, les
Pharisiens eux-mêmes proféraient les deux [blas
phèmes] : le voyant homme, ils l'insultaient [en
disant] : « D'où vient à celui-ci cette sagesse1? » et :
« Tu n'as pas encore cinquante ans et tu as vu
Abraham4? »; et contemplant [en lui] les œuvres
du Père, ils ne se contentaient pas de nier sa divinité,
mais encore, au lieu de celle-ci, ils disaient qu'en lui
se trouvait Beelzeboul et que ces œuvres étaient les
siennes. C'est pourquoi, en tant que les deux blas
phèmes étaient dirigés contre lui et que l'un était
moindre à cause de [l'excuse fournie par] son aspect
d'homme, tandis que l'autre était plus grand à cause
de [l'outrage fait à] sa divinité, c'est pour le plus
grand qu'il formula contre eux l'inévitabilité du
châtiment. Certes, lorsqu'il encourageait ses disciples
en ces termes : « S'ils ont appelé le maître de la
b maison du nom de Beelzeboul...3 », il disait qu'il était
lui-même le maître de la maison ainsi blasphémé
également par les Juifs.
18. Que si, en disant : « c'est par Beelzeboul »,
les Juifs n'insultaient nul autre que le Seigneur, il est
donc manifeste que l'expression « le blasphème contre
l'Esprit » vise le Seigneur lui-même et que c'est en se
désignant lui-même que le Sauveur disait la parole
entière. C'est lui, en effet, le « maître de la maison »
de l'univers, — car il ne faut pas craindre de redire la
même chose par souci de certitude. Avoir faim, se
1 Matth., XIII, 54. • Joh., VIII, 57. » Matth., X, 25;
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 201

fatiguer, dormir, .recevoir des soufflets, ce sont choses


propies aux hommes; mais les œuvres que le Seigneur
faisait, ce n'était plus aux hommes, mais à Dieu,
qu'il appartenait de les faire. Quand donc certains,
comme je l'ai dit précédemment1, à la vue de ces
choses-là, insultent le Seigneur comme un homme, c
ils peuvent être jugés dignes d'un châtiment moindre
que [le châtiment de] ceux qui rapportent au diable
les œuvres de Dieu. Ces derniers, en effet, ne jettent
pas seulement les choses saintes aux chiens2, mais
encore ils comparent Dieu au diable et appellent la
lumière ténèbres3. Que tel fût le blasphème irré
missible des Pharisiens, Marc l'a observé lorsqu'il dit :
« Qui aura blasphémé contre l'Esprit-Saint n'aura
point de rémission, mais il est coupable d'un péché
éternel; car ils disaient : Il est possédé d'un esprit
impur4 ».
L'aveugle de naissance, lorsqu'il vit clair, attestait :
« Jamais on n'a ouï dire que quelqu'un ait ouvert les
yeux d'un aveugle-né. Si cet homme n'était pas de
Dieu, il ne pourrait rien faire5 ». Les foules aussi,
remplies d'admiration pour ce que le Seigneur avait
fait, disaient : « Ce ne sont pas là les paroles d'un 665 A
possédé; un démon peut-il ouvrir les yeux des
aveugles6? ». Mais ceux qu'on croyait tout remplis de
la Loi, les Pharisiens, qui portaient de plus larges
phylactères7 et se glorifiaient d'en savoir plus que les
autres3, ne furent pas même par là amenés à rougir,
mais, comme il est écrit, ces malheureux sacrifiaient
1 Voir supra, 657 B-C. 2 Cf. Matth., VII, 6.
3 Cf. Isai., V, 20. * Marc, III, 29-30. 5 Joh., IX, 32-33.
• Ibid., X, 21. 7 Cf. Matth., XXIII, 5. 8 Cf. Joh., IX, 24, 29.

Lettres à Sérapion. 13 •
202 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT '

à un démon et non à Dieu1, disant que le Seigneur avait


[en lui] un démon et que les œuvres de Dieu étaient
celles des démons. Cette disposition n'avait chez eux
d'autre cause que leur volonté de nier que celui qui
accomplissait ces œuvres, fût Dieu et le Fils de Dieu.
Car si le fait qu'il mangeait et la vue de son corps
montraient qu'il était également homme, pourquoi
[les Pharisiens] ne percevaient-ils pas d'après ses
œuvres qu'il était dans le Père et que le Père était en
lui? Mais ils ne le voulaient pas! C'étaient eux plutôt
qui avaient Beelzeboul parlant en eux-mêmes, de
B sorte qu'ils appelassent [le Christ] simplement un
homme d'après le côté humain [de sa vie], sans le
confesser Dieu d'après ses œuvres, qui étaient propres
à Dieu, mais en déifiant à sa place Beelzeboul présent
en eux, pour finir par être éternellement châtiés avec
lui dans le feu.
19. Mais la considération même du texte me semble
suggérer une telle explication et montrer que c'est lui
qu'atteignent les deux blasphèmes et que c'est de lui-
même qu'il a dit « le Fils de l'homme » et « l'Esprit »,
pour indiquer par le premier nom son être corporel et,
par l'appellation d'Esprit, manifester sa spirituelle,
immatérielle et très véritable divinité. Et de fait, le
[péché] qui peut obtenir rémission, il l'a mis en
rapport avec le Fils de l'homme, pour marquer son
c être corporel; mais le blasphème irrémissible, il a
montré qu'il atteignait l'Esprit, afin qu'en nommant
[l'Esprit] par opposition à son être corporel, il indiquât
sa propre divinité.

1 Cf. Deuter., XXXII, 17.


QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 203

Cette particularité [de terminologie], je l'ai


remarquée aussi dans l'évangile selon Jean, lorsque
le Seigneur, discourant sur la manducation de son
corps et voyant que beaucoup en étaient scandalisés,
dit : « Cela vous scandalise? Et quand vous verrez le
Fils de l'homme monter où il était auparavant?
C'est l'Esprit qui vivifie; la chair ne sert de rien. Les
paroles que je vous ai dites sont esprit et vie1 ».
Ici aussi, en effet, il a dit les deux : chair et Esprit,
au sujet de lui-même, et il a distingué l'Esprit de
[son être] selon la chair afin que [ses auditeurs],
croyant non seulement en ce qui apparaissait de lui,
mais aussi en ce qui en était invisible, apprennent que
les choses dont il parle ne sont pas charnelles mais
spirituelles. Car à la nourriture de combien d'hommes d
son corps suffirait-il déjà, pour qu'il devienne aussi
l'aliment du monde tout entier? Mais voici pourquoi
il a fait mention de l'ascension du Fils de l'homme 668 a
dans les cieux : c'était pour les arracher à la pensée du
corps et leur faire comprendre désormais que la chair
dont il parlait, est un aliment céleste venu d'en-haut
et une nourriture spirituelle donnée par lui. Il dit, en
effet : « [Les paroles] que je vous ai dites, sont esprit
et vie2 », ce qui équivaut à dire : Ce qui est montré
et donné pour le salut du monde, c'est la chair que
je porte; mais cette [chair] même, avec son sang,
vous sera donnée par moi spirituellement comme
nourriture, de manière qu'elle soit distribuée spiri
tuellement en chacun et devienne pour tous une
sauvegarde en vue de la résurrection de la vie

1 Joh., VI, 62-63. 1 /MA, 63.


204 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

éternelle1. C'est "ainsi [également que, détachant la


Samaritaine des choses sensibles, le Seigneur dit que
« Dieu est Esprit2 », afin qu'elle eût au sujet de Dieu
des conceptions non plus corporelles mais spirituelles.
b Ainsi encore le prophète, en contemplant le Verbe fait
chair, dit : « L'Esprit de notre face, le Christ
Seigneur3 », de peur que [trompé] par l'apparence
extérieure, on ne pense que le Seigneur est un pur
homme, mais pour qu'en entendant aussi [le mot]
« Esprit » on reconnaisse que celui qui est dans le
corps, est Dieu.
20. Les deux choses sont donc désormais claires :
Qui considère le Seigneur parlant de ce qui le concerne
et, ne regardant que le côté corporel de son être,
dit dans son incrédulité : « D'où vient à celui-ci cette
sagesse4? », pèche, sans doute, et blasphème contre le
669 a Fils de l'homme; mais qui, voyant ses œuvres accom
plies par l'Esprit-Saint, dit que celui qui fait de telles
choses n'est ni Dieu ni Fils de Dieu et les attribue à
Beelzeboul, commet manifestement un blasphème
en niant sa divinité. Et en effet, comme il a été
souvent dit, dans le texte évangélique, en disant
« le Fils de l'homme », [le Seigneur] marque le côté
charnel et humain de son être, afin de montrer, en
1 II est à peine besoin de faire remarquer que cette explication
n'inclut pas la négation de la présence réelle de la vraie chair du Christ
dans l'eucharistie. Saint Athanase ne se préoccupe que de confirmer
que le Seigneur a pu s'appeler « l'Esprit » aussi bien que « le Fils de
l'homme ». Bien que vraiment présente et reçue dans l'eucharistie,
la chair du Christ ne nourrit pas le corps du communiant, à la manière
d'un aliment matériel, mais son âme, par l'effet de la divinité
présente en elle et qui est Esprit. C'est ainsi qu'elle peut être appelée
un aliment céleste venu d'en-haut, une nourriture spirituelle, spiri
tuellement donnée et distribuée en vue de la vie éternelle.
a Joh., IV, 24. » Thren., IV, 20. 4 Matth., XIII, 54.
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 205

disant « l'Esprit », que le Saint-Esprit, en qui il faisait


toutes choses, lui appartient. De là vient qu'en accom
plissant ses œuvres, il disait : « Si vous ne me croyez
pas, croyez au moins à mes œuvres, afin que vous
sachiez que je suis dans le Père et que le Père est en
moi1 ». Et sur le point de s'offrir corporellement pour
nous, quand il était monté à Jérusalem2 pour cela
même, il disait à ses disciples : « Dormez maintenant
et reposez-vous. Car voici que l'heure est proche où le
Fils de l'homme va être livré aux mains des pécheurs 3».
En effet, ses œuvres faisaient qu'on le crût vrai Dieu,
mais la mort montrait qu'il avait vraiment un
corps : c'est pourquoi il disait bien que celui qui était
livré, était le Fils de l'homme, car le Verbe est
immortel et intangible et il se trouve être la vie
par essence. Mais les Pharisiens ne croyaient pas à ces
[œuvres du Seigneur], ni ne voulaient considérer celles
que faisaient leurs fils4; c'est pourquoi le Seigneur
les reprenait encore une fois avec douceur en ces
termes : « Et si, moi, c'est parBeelzeboul que je chasse
les démons, vos fils, eux, par qui les chassent-ils?
C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. Mais
si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons,
le royaume de Dieu est donc venu à vous* ». Ici
encore, il disait : « par l'Esprit de Dieu », non qu'il fût
inférieur à l'Esprit, ni que ce fût l'Esprit qui accomplît
ces œuvres en lui, mais pour montrer à nouveau que

1 Cf. Joh., X, 38. • Cf. Matth., XX, 18. » Ibid., XXVI, 45.
* Il s'agit, comme dans le texte évangéllque qui va être cité,
de « flls » au sens large, des exorciste?, juifs qui étaient, pour les
Pharisiens, les leurs.
» Matth., XII, 27-28.
206 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

c'est lui, le Verbe de Dieu, lui qui par l'Esprit accom


plit toutes les oeuvres et pour enseigner à ses auditeurs
qu'autant ils attribuent à Beelzeboul les œuvres de
l'Esprit, autant ils insultent celui qui dispense
l'Esprit. Et en effet, en ajoutant ces paroles, il fait
voir que ce n'est point par ignorance mais de plein
gré qu'ils s'enfoncent eux-mêmes dans ce blasphème
inextricable, et qu'ils ne rougissent pas, bien qu'ils
sachent que de telles œuvres sont celles de Dieu, de
les attribuer, les insensés, à Beelzeboul et de dire
qu'elles proviennent d'un esprit impur.
21. Comment donc des gens d'une telle audace
672 a peuvent-ils encore incriminer les païens qui fabriquent
des idoles et les appellent des dieux? En effet, leurs
pratiques sont semblables à la folie de ces [païens];
peut-être même ce qu'ils osent est-il encore plus grave
parce que, bien qu'ils eussent reçu Une loi à ce sujet,
ils ont méprisé Dieu par la transgression de cette loi.
Après de tels blasphèmes, que feront-ils quand,
lisant le prophète Isaïe, ils entendront que les signes
de la venue du Christ sont la restitution de la vue
aux aveugles, de la marche aux boiteux, de la parole
aux muets, la résurrection des morts, la guérison des
lépreux, l'ouverture des oreilles des sourds? Qui
voudront-ils encore appeler l'auteur de ces [miracles] ?
S'ils disent que c'est Dieu [le Père], ils se convaincront
eux-mêmes d'impiété contre le Seigneur, car ce que le
b prophète a vu d'avance et a annoncé, c'est cela que
le Seigneur lui-même a fait lorsqu'il fut présent.
Mais si, saisis par une sorte de témérité, ils osent dire
que ces œuvres également se font par Beelzeboul,
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 207

je crains que, progressant peu à peu en impiété,


lorsqu'ils liront : « Qui a donné la bouche à l'homme
et qui a fait le sourd et le muet, l'homme qui voit et
l'aveugle1? », et d'autres textes semblables, ils ne
disent encore dans leur folie que ces paroles sont
aussi de Beelzeboul. Car c'est à celui à qui ils attri
buent le don de la vue qu'ils doivent nécessairement
attribuer aussi la cause de la cécité : la parole [de
l'Écriture], en effet, prononce que les deux ont le
même auteur. Et sûrement, en parlant ainsi, ils en
viendront à penser que Beelzeboul est aussi le créateur
de la nature humaine, car il appartient à l'auteur
d'avoir puissance sur ce qui est produit. En effet, c
Moïse ayant dit : « Au commencement Dieu a fait
le ciel et la terre2 », et : « Dieu a fait l'homme à l'image
de Dieu3 », Daniel, lui aussi, déclare franchement à
Darius : « Je ne vénère pas des idoles faites de main
d'homme, mais le Dieu vivant, qui a créé le ciel et la
terre et a puissance sur toute chair4 ». A moins que,
changeant d'avis une fois de plus, ils ne disent que la
cécité et le boitement et les autres infirmités pro
viennent d'un châtiment infligé par le Créateur, mais
que leur guérison et la bienfaisance envers ceux qui
en sont affligés, c'est Beelzeboul qui les accomplit.
Mais rien que de s'arrêter à cette pensée est déjà par
trop absurde! Ce langage fou et impie est celui
d'hommes en délire et plus que hors d'eux-mêmes,
parce que, insensés qu'ils sont, ils attribuent ce qui est

1 Exod., IV, 11. « Gen., I, 1. 3 Cf. ibld., 27.


* Cette citation est empruntée à l'histoire de Bel et du dragon, y. 5
(version de Théodotion); elle figure, dans la Vulgate, en Dan.,
XIV, 4.
208 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

comparativement meilleur non pas à Dieu, mais à


Beelzeboul. Et en effet, ces gens ne se font point
scrupule d'altérer les doctrines des saintes Écritures,
pourvu qu'ils puissent seulement nier la venue
du Christ!
A 22. Ils auraient dû, ces pervers, ou bien s'abstenir
de mépriser le Christ [comme un pur] homme à cause
de sa vie corporelle, ou bien manifestement le con
fesser aussi vrai Dieu d'après ses œuvres. Mais ils
faisaient toutes choses tout de travers! Le voyant
homme, ils l'insultaient comme un [pur] homme;
d'autre part, observant ses œuvres divines, ils niaient
sa divinité et recouraient au diable, pensant qu'ils
pourraient, par cette conduite audacieuse, échapper
au jugement de ce Verbe qu'ils outrageaient.
Or donc, les enchanteurs et mages et sorciers de
Pharaon, quoiqu'ils eussent presque tout tenté,
cédèrent cependant lorsqu'ils virent les prodiges
opérés par Moïse et se retirèrent en déclarant que
c'était le doigt de Dieu qui faisait ces [miracles]1.
Mais les Pharisiens et les Scribes, qui voyaient à
l'œuvre toute la main de Dieu2 et étaient témoins
des [miracles] encore bien plus nombreux et bien plus
grands faits par le Sauveur lui-même, disaient que

1 Cf. Exod., VIII, 19.


■ L'auteur Identifie avec le Saint-Esprit ce • doigt de Dieu »,
dont parlent les mages de Pharaon, en se reportant sans doute aux
textes parallèles de Matth., XII, 28 et Luc, XI, 20, où Jésus dit
qu'il chasse les démons, soit « par l'Esprit de Dieu », soit « par le doigt
de Dieu ». Voir l'écrit, d'authenticité athanasienne contestée, Sur
l'incarnation et contre les Ariens, 19 (P. G., XXVI, 1017 C et suiv.).
L'identification du Fils avec < la main de Dieu » est proposée et
justifiée d'après l'Écriture par saint Athanase dans l'ouvrage Sur les
décrets du concile de Nicée, 17 (P. G., XXV, 452 D et suiv.).
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 209

celui qui les faisait, c'était ce Beelzeboul, que les


mages, quoiqu'il fût bien à eux, proclamaient
pourtant impuissant à faire même des œuvres
moindres. Qui donc pourra exagérer leur folie, ou
qui, comme a dit le prophète, pourra assimiler quoi
que ce soit à leurs impiétés1? En effet, ils ont rendu
justes, en comparaison d'eux-mêmes, jusqu'aux
habitants de Sodome; ils l'ont emporté sur l'ignorance
des païens; ils dépassent même la folie des mages
de Pharaon; ils ne sont comparables qu'aux seuls
Ariomanites, tombant tous ensemble dans la même
impiété. En effet, les Juifs, en voyant les œuvres que
le Père accomplit par le Fils, les attribuent à Beel
zeboul; les Ariens, en voyant eux aussi ces mêmes
œuvres, mettent au nombre des créatures le Seigneur,
qui les accomplit : ils disent qu'il est tiré du néant et
qu'il n'était pas avant d'être amené à l'existence.
Les Pharisiens, en voyant le Seigneur dans le corps,
murmuraient : « Pourquoi toi, étant homme, te fais-tu
Dieu2? », et ceux qui sont les ennemis du Christ3,
le voyant souffrir et dormir, blasphèment en ces
termes ; « Qui endure cela ne peut être vrai Dieu et
consubstantiel au Père ». Et en définitive, qui voudra
examiner parallèlement les insanités des uns et des
autres, trouvera que, comme je l'ai dit plus haut, ils

1 II faut, semble-t-il, lire ùrcpfioX-qv au lieu de ûrre/jjSoAiJ. Quant à


la référence au prophète, je ne parviens pas à l'identifier, à moins
qu'elle ne porte simplement sur l'expression « assimiler^quelque chose
à »; en ce cas, on pourrait signaler Thren., II, 13 : ri 6/ioitoaco obi.
1 Joh., X, 33.
* Ces « christomaques » sont les Ariens, dont l'hérésie est ainsi
qualifiée par saint Athanase, par exemple, dans la Vie de saint Antoine,
70 (P. G., XXVI, 941 B).
210 LETTRES SUR LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT

tombent ensemble dans la vallée de l'amère folie1.


676 a 25. C'est pour cela, en effet, que tant pour ceux-là
que pour ceux-ci, le Seigneur a déclaré que le châti
ment porté contre de tels crimes serait sans rémission,
lorsqu'il a dit : « Mais à celui qui aura parlé contre
l'Esprit-Saint, il ne sera fait rémission ni dans ce
siècle, ni dans le siècle à venir2 ». Et c'est à bon droit !
Car celui qui renie le Fils3, qui invoquera-t-il bien
pour pouvoir obtenir propitiation? Quelle vie, quel
repos attendra l'homme qui aura rejeté celui qui dit :
« Je suis la vie4 » et : « Venez à moi, vous tous qui êtes
fatigués et qui ployez sous le fardeau, et je vous
soulagerai6 »?
Mais si ces hommes sont ainsi punis, il est clair que
ceux qui nourrissent envers le Christ des dispositions
pieuses, qui l'adorent dans sa chair et dans son Esprit,
qui ne méconnaissent pas qu'il est le Fils de Dieu et ne
b nient pas qu'il se soit fait aussi le Fils de l'homme,
mais qui croient également et qu' « au commencement
était le Verbe6 » et que « le Verbe s'est fait chair7 »,

1 « La vallée de l'amère folie » est une traduction qui rend la leçon


irapavôlas de certains manuscrits au lieu de la leçon irapoivias
fournie par d'autres et adoptée par les éditeurs mauristes. Cette
dernière demanderait une traduction de ce genre : • la vallée des excès
cuisants auxquels on se porte dans l'ivrognerie ». L'expression KOiXàs
akvKrj, la vallée salée, est celle par laquelle les Septante, en Gen.,
XIV, 8, ont rendu les mots hébreux qui signifient : « la vallée de
Siddim ». Ici, l'épithète àXvK-q a été détachée du premier substantif
et rattachée au second. La référence : « comme je l'ai dit plus haut »,
ne vise que le fait de « tomber ensemble », déjà noté supra 673 B,
et non pas l'emploi de l'expression biblique.
1 Matth., XII, 32.
* On ne s'étonnera pas de lire ici, en conclusion, « celui qui renie
le Fils », si l'on se rappelle que l'auteur a expliqué le « blasphème
contre l'Esprit » comme la négation de la divinité du Fils par l'attri
bution de ses miracles à Beelzeboul.
4 Joh., XIV, 6. « Matth., XI, 28. • Joh., I, 1. » Ibid., 14.

«
QUATRIÈME LETTRE A SÉRAPION 211

régneront éternellement dans les deux selon les


promesses sacrées de Notre-Seigneur et Sauveur
Jésus-Christ, qui dit : « Ceux-là s'en iront à l'éternel
supplice et les justes à la vie éternelle1 ».
Je t'ai écrit ce bref exposé d'après ce que j'ai appris
moi-même. Pour toi, reçois-le de moi, non pas comme
un enseignement complètement élaboré, mais comme
une simple amorce; forme-toi dans la suite une opi
nion plus précise et, la tirant tant du texte évan-
gélique que des psaumes2, lie les gerbes de la vérité,
afin qu'en te voyant les porter on dise : « Mais ils
reviendront avec exultation, portant leurs gerbes3 »,
dans le Christ Jésus Notre-Seigneur, par qui et avec
qui soient au Père en même temps qu'au Saint-Esprit
la gloire et la puissance souveraine dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il!

1 Matth., XXV, 46.


* Sur la mention des Psaumes en cet endroit, voir l'Introduction,
p. 37. » Psalm. CXXV, 6.
TABLE DES MATIÈRES

Introduction • 6
I. — Les personnages . 8
II. — Les textes 17
III. — Les documents 22
Genre littéraire et contenu 23
Authenticité 29
Distinction des pièces 31
Cause de la correspondance 39
Ordre et objet des lettres 43
Chronologie des lettres 49
Langue et style des lettres 50
IV. — Les doctrines 52
La pneumatologie des Tropiques 53
La pneumatologie de saint Athanase 56
Traduction 79
Première lettre à Sérapion 79
Deuxième lettre à Sérapion 147
Troisième lettre à Sérapion 163
Quatrième lettre à Sérapion 175

N» d'ordre chez l'Éditeur : 4410.


Imprimé en Belgique — Friuted in Belgium. (D70) Caste rman, Tournai
SOURCES CHRÉTIENNES
Collection dirigée par H. de LUBAC,
4 S. J. et J. Daniélou, S. J.

Déjà paras :
1. Grégoire de Nysse : Vie de Moïse.
Introduction et traduction de Jean Daniélou. s. j. (En réimpression).
2. Clément d'Alexandrie : Protreptique.
Introduction et traduction de Claude Mondésert, s. j.
(En réimpression avec le texte grec).
3. Athénagore : Supplique au sujet des Chrétiens.
Introduction et traduction de Gustave Bardy 60 fr.
4. Nicolas Cabasilas : Explication de la divine Liturgie.
Introduction et traduction de S. Salaville, A. A. (En réimpression).
5. Diadoque de Photicé : Cent chapitres sur la perfection
spirituelle.
Introduction et traduction de Édouard des Places, s. j. . 40 fr.
6. Grégoire de Nysse : La création de l'homme.
Introduction et traduction de Jean Laplace, s. j. Notes de
J. Daniélou, s. j 60 fr.
7. Origène : Homélies sur la Genèse.
Introduction de Henri de Lubac, s. j. Traduction de Louis Dou-
treleau, s. j (En réimpression).
8. Nicetas Stethatos : Le Paradis spirituel.
Texte établi, traduit et commenté par Marie Chalendard . 42 fr.
9. Maxime le Confesseur : Centuries sur la charité.
Introduction et traduction de Joseph Peoon, s. j 90 fr.
10. Ignace d'Antioche : Lettres.
Texte grec, tntrod., traduction et notes de Th. Camelot, o.p. 130 fr.
Introduction, traduction et notes (Épuisé).
11. Hippolyte de Rome : La tradition apostolique.
Texte latin, tntrod., traduct. et notes de Dora B. Botte, o.s.b. 70 fr.
12. Jean Moschus : Le pré spirituel.
Introduction et traduction du P. Rouêt de Journel. s. j. 220 fr.
13. Jean Chrysostome : Lettres à Olympias.
Introduction et traduction (avec Texte grec) de A.-M. Malinorey.
14. Hippolyte de Rome : Commentaire sur Daniel.
Introduction de Gustave Bardy.
Traduction (avec texte grec) de Maurice Lefevre.
15. Athanase d'Alexandrie : Lettres à Sérapion.
Introduction et traduction de J. Lebon.

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