La Peau de Chagrin Livret Pédagogique Étonnants Classiques

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FICHE LA PEAU DE CHAGRIN

IQUE Honoré de Balzac


PÉDAGOG ISBN : 9782080278296
Prix 3 € – 416 p.

# Première : « les romans de l’énergie :


création et destruction »
# Groupement de textes : « les troubles
de l’énergie », « La Comédie humaine,
œuvre de l’énergie »
# Cahier iconographique

« Dans cette réécriture du drame de


Goethe, Balzac redistribue les rôles pour
poser autrement la question de la
finitude humaine et des pouvoirs
démoniaques du désir. » Marguerite Chotard,
professeure de lettres

Sommaire
Enjeux pédagogiques ............................................................... 2
I. Déroulement des séances ............................................... 4
II. Corrigé des questions et exercices .............................. 10

La Peau de chagrin | 1
Enjeux pédagogiques
La Peau de chagrin est un roman écrit par Balzac en 1830, à
une date charnière pour le mouvement romantique, qui en
marque à la fois l’apogée et le déclin. La même année sont
publiés deux autres récits représentatifs de leur temps : Notre-
Dame de Paris et Le Rouge et le Noir, dont Balzac considère qu’il
incarne « le génie de l’époque 1 ». Ces trois romans ont égale-
ment en commun leur retentissant succès, immédiat et durable.
La présente édition rend compte de cette inscription dans un
moment clef de l’histoire littéraire en proposant non seulement
un groupement de textes circulant autour de ces œuvres contem-
poraines, mais également des extraits de La Comédie humaine,
qui permettent de développer les questionnements engagés par
les « romans de l’énergie ».
Le premier extrait du groupement explore le « mal du siècle »
tel qu’il est présenté par George Sand dans Indiana. Il rend
compte d’une étude des passions qui en restitue les dimensions
créatrices et destructrices, dans ce temps paradoxal de la Restau-
ration où triomphent les idéaux les plus conservateurs entre
deux moments révolutionnaires. Le deuxième, avec les affres de
l’abbé Frolot suppliant Esmeralda, montre les dangers du désir
amoureux lorsqu’il se fraye un chemin en méprisant le droit,
l’ordre social et la nature. Le troisième enfin, qui s’intéresse au
terrible excipit du Rouge et le Noir, donne à entendre dans de
« poignantes moqueries » que la seule réponse possible au
« désenchantement 2» ambiant est probablement la distance iro-
nique du narrateur contemplant la jeunesse romantique – ironie
qui résonne également dans La Peau de chagrin.
Les trois extraits choisis au sein de l’œuvre pour mener les
explications linéaires dans la séquence présentée ci-dessous
illustrent la profondeur de la réflexion balzacienne autour des
thèmes de la décadence, de la perte et de l’intensité de la vie.
Mais ils témoignent aussi de la grande variété des styles de
Balzac et annoncent le foisonnement de La Comédie humaine.

1. Onzième « lettre sur Paris », publiée dans Le Voleur le 10 janvier 1831.


2. Ibid.

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Ainsi, le premier extrait présente les valeurs des jeunes person-
nages du roman, en montrant l’instant du pacte amical que
Raphaël et Rastignac concluent pour mourir ensemble dans la
débauche la plus intempérante plutôt que de se suicider par une
vulgaire noyade. Ce passage exalte les valeurs du dandy et
annonce la décision de Rastignac de conquérir Paris à tout prix
dans Le Père Goriot. Il est conseillé de l’étudier en même temps
que la description de la chambre du jeune homme, car, dans les
descriptions balzaciennes, l’environnement immédiat du person-
nage l’explique et le poursuit. L’observation de ce texte est pro-
posée sous forme d’un commentaire guidé, qui permet aux
élèves une formation plus complète aux exercices écrits de l’EAF.
La deuxième lecture analytique aborde un autre aspect des des-
criptions balzaciennes. Elle rappelle l’approche profondément
sensuelle de la nature par Balzac – qui aimait autant la Touraine
que Paris – et son inscription dans la pensée rousseauiste oppo-
sant l’univers social à un âge d’or où l’homme « naturel » avait
une chance de connaître un bonheur durable.
La dernière lecture analytique synthétise, dans l’image finale
de ce « conte oriental 1 » déroutant et mystérieux, les questionne-
ments proposés par l’auteur sur la nature même du désir et de
l’énergie vitale, dont on ne jouit qu’en les consumant.
Le dossier iconographique accompagne l’œuvre pour en rele-
ver les aspects saillants : la figure de saint Antoine et les vanités
pleines de mordant de Grandville illustrent la méditation mys-
tique sur la finitude et la tentation ; les toiles de Gustave Moreau
dévoilent l’aspect visionnaire des inventions balzaciennes,
puisqu’il annonce le symbolisme triomphant quelques décen-
nies plus tard en poésie comme en peinture ou en sculpture ; et
l’atmosphère fantastique des gravures de Charles Meryon permet
au jeune lecteur de s’approprier l’ambiance unique de ce récit
profondément singulier.

1. Trace d’une réflexion écrite de la main de l’auteur dans un carnet de notes


daté de 1830 : « L’invention d’une peau qui représente la vie. Conte oriental. »

La Peau de chagrin | 3
I. Déroulement des séances

Séance no 1 : Raphaël, personnage


romantique souffrant d’un mal
mystérieux
Objectifs → Élucider la notion de « romantisme » en
littérature à partir du personnage d’Indiana.
→ S’interroger sur la notion de personnage : un
« être de papier », purement ctif ? Le
« dandy » est-il réel ?
→ Lancer la lecture.
Supports → Lecture analytique d’Indiana de George Sand,
p. 360-363.
→ Deux portraits de Raphaël : en joueur
malheureux au début de la 1re partie (p. 52-53) et
en dandy souffrant au début de la 3e partie
(p. 253-255).
– Lire les portraits du héros : pourquoi est-il malheureux,
d’après les indices dont vous disposez dans le texte ?
– Les élèves confrontent leurs réponses : les hypothèses de
lecture liées au 1er portrait (il est malheureux d’être pauvre
et dépourvu de puissance sociale) sont annulées par la lec-
ture du 2e portrait (il possède tout).
– Relancer les hypothèses de lecture : quel est l’ordre chrono-
logique de ces portraits, dans le récit ? Qu’est-ce qui a
changé dans la situation de Raphaël ?
Lancement de la lecture : lisez la première partie jusqu’au
pacte et expliquez pourquoi le personnage du 2e portrait est plus
malheureux que le 1er, pourtant prêt à se noyer.
Exposé(s) autour du « dandysme » avec des personnages histo-
riques et fictifs comme Oscar Wilde, Baudelaire, Rastignac,
Robert de Montesquiou.

4 | Étonnants Classiques
Séance no 2 : découvrir La Comédie
humaine et placer La Peau de chagrin
dans le cycle des romans
Objectifs → Élucider les notions de fantastique et les
particularités de l’esthétique réaliste qui émerge
en 1830.
→ Modéliser le cahier de lecture.
Supports → explication linéaire no 1, p. 390-392.
→ Commentaire guidé, p. 385-386.
→ Extraits consacrés aux comptes et décomptes de
l’argent au début de la 2e partie, p. 134-136.
→ Iconographie : Charles Meryon, p. 130.
Exposé sur Rastignac et le réalisme : le retour des personnages
renforce l’illusion référentielle.
Lecture analytique no 1 dans l’œuvre : montrer le paradoxe
d’une amitié fondée sur un pacte morbide → Raphaël est au
seuil d’une « nouvelle vie » rendue possible par une promesse
de mort.
En devoir sur table ou à la maison : commentaire guidé décri-
vant la chambre de Rastignac → le détail de la description rend
compte d’un univers moral.
Images de Paris par Charles Meryon : la ville entre redécou-
verte gothique, détails réalistes et émergence d’un questionne-
ment fantastique du réel → c’est la précision du détail qui
déréalise le décor.
Consignes pour le carnet de lecture : relever au fil du texte les
éléments relevant du réalisme, du fantastique, du romantisme.
Vous pouvez traiter par exemple en classe les extraits où
Raphaël explique comment il vit avec 1 F par jour (étude socio-
logique de la façon dont on vit en 1830) et l’opposer au goût
de Balzac pour l’image et le symbole (365 F par an, chiffre
magique).
Pour soutenir la lecture personnelle : mettre en évidence la
chronologie singulière du récit en disant aux élèves que le désir
de mourir de Raphaël, présenté dans cette première lecture

La Peau de chagrin | 5
analytique de l’œuvre, est antérieur aux deux premiers portraits.
Relancer leur lecture en leur demandant de trouver pour la pro-
chaine séance :
– quelle est la cause de ce premier projet de suicide ;
– comment s’explique cette grande analepse dans le roman :
où elle commence, où elle se termine.

Séance no 3 : inspirations :
le pacte faustien et le romantisme noir
Objectifs → Construire des réponses argumentées dans un
débat.
→ Comprendre le pessimisme radical de la n du
roman.
Supports → Extrait de la rencontre avec l’antiquaire, p. 74-
80.
→ Images de Faust aux versos de la couverture.
→ Explication linéaire no 3 : excipit du roman,
p. 395-398.
Exposé d’élève : histoire et signification de Faust.
Question : dans la rencontre entre l’antiquaire et Raphaël, qui
se rapproche le plus du personnage de Faust ? De Méphistophé-
lès ? Élaborer en groupe une réponse argumentée avec des
exemples tirés du texte.
→ Balzac opère une réécriture transformant le sens originel,
pour développer un propos général sur les paradoxes et
les apories du désir.
Lecture analytique no 3 : on peut comprendre cette scène sans
l’existence de la Peau de chagrin, qui symbolise un propos plus
universel sur la nature du désir consumant irrémédiablement
l’objet et le sujet du désir.

6 | Étonnants Classiques
Séance no 4 : le bonheur est-il possible
dans La Peau de chagrin ?
Objectifs → Observer une œuvre palimpseste : des images
et la philosophie rousseauiste en ligrane.
→ Construire une argumentation orale et écrite à
partir de l’interprétation d’images.
Supports → Dossier Histoire des Arts, p. 378-382.
→ Images de saint Antoine (p. 17 et p. IV du cahier
iconographique), vanités (p. II-III), illustration
de Raphaël en couverture.
→ Explication linéaire no 2 : paysage d’Auvergne,
p. 393-395.
Réflexion par groupe : chacun choisit un ensemble d’images
et répond aux questions ; restitution collective.
Explication linéaire no 2 dans l’œuvre et exposé professoral
sur l’opposition entre état de nature et état social chez
Rousseau.
À l’écrit, rédigez une synthèse montrant que Balzac réinvestit
des figures religieuses pour mieux s’en démarquer et proposer
une conception de la vie marquée par l’héritage de Rousseau.

Séance no 5 : La Peau de chagrin,


un « conte oriental » ?
Objectif → Éclairer les choix narratifs de Balzac.
Support → Frises chronologiques indiquant le ratio temps
de l’histoire/temps du récit.
Par groupe : élucidation de la chronologie d’une partie du
roman. Pour la restitution, on superpose les frises chronolo-
giques montrant le différentiel temps de l’histoire/temps du
récit.
Mise en évidence de la différence entre la complexité de cette
rédaction et la simplicité linéaire des schémas narratifs que l’on
emploie dans les contes.
Réflexion sur les effets ainsi produits : qu’est-ce que ces choix
apportent au récit ? Création d’un monde plus complexe par la

La Peau de chagrin | 7
fiction (représentation des langues, effets de réel, descriptions,
réflexions, etc.) et interprétations multiples de l’histoire.

Séance no 6 : symboles et allégories


dans les romans de l’énergie :
d’Esmeralda à Gustave Moreau
Objectif → Observer la construction des personnages dans
La Peau de chagrin à partir des gures de style
de l’image et la représentation des discours.
Supports → Dossier Histoire des Arts : étude des œuvres de
Gustave Moreau, p. 381-382.
→ Cahier iconographique, p. I : Jupiter et Sémélé de
Gustave Moreau.
→ Extrait no 2 du groupement de textes no 1 :
Notre-Dame de Paris, p. 363-365.
→ Fin de la 1re partie : tirades des courtisanes et
cacophonies du banquet Taillefer, p. 88-129.
Les œuvres de Gustave Moreau : mettre en évidence que les
personnages portent un sens symbolique ou archétypal et ne
renvoient pas qu’à eux-mêmes.
À partir des tirades des courtisanes et des cacophonies du
banquet : faire classer et identifier aux élèves les moments où le
héros se constitue par la parole et ceux où il se perd à cause de
la dispersion des discours.
Travail personnel dans le cahier de lecture : repérez et analysez
au moins dix allégories/images au fil du récit.
Répondre aux questions de l’extrait no 2 du groupement de
textes no 1 : observer la constitution du personnage de Frolot
par son discours et la façon dont son argumentaire
s’autodétruit.

8 | Étonnants Classiques
Séance no 7 : entre romantisme
et réalisme : l’ironie dans les romans
de Balzac et Stendhal
Objectif → Identier l’importance de l’ironie dans les
romans contemporains et chez Balzac.
Supports → Extrait no 3 du groupement de textes no 1 :
Le Rouge et le Noir, p. 365-368.
→ Extraits de La Peau de chagrin : plaisanteries des
courtisanes et d’Émile se préparant à écouter
Raphaël, diagnostics des médecins, dialogues
Raphaël/Rastignac et Raphaël/Fœdora.
Répondre aux questions de l’extrait no 3 du groupement de
textes no 1 : Le Rouge et le Noir.
Définition de l’ironie : parole signifiant explicitement autre
chose, voire le contraire, de ce qu’elle exprime littéralement.
En s’appuyant sur cette définition, les élèves doivent remar-
quer dans les extraits de Balzac, qu’ils peuvent travailler en
groupe, les moments où l’ironie apparaît. Débat sur les interpré-
tations possibles de cette ironie et sur les interventions du
narrateur.
Exercice de lectures expressives rendant l’ironie audible.

Séance no 8 : évaluation finale


(dissertation)
Objectif → Se préparer aux exercices de l’EAF en
reparcourant une lecture longue.
Support → Citation de Rousseau, p. 387.
Dans La Nouvelle Héloïse, Rousseau écrit : « Malheur à qui
n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il pos-
sède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère
et l’on est heureux qu’avant d’être heureux. »
Trouvez-vous que Balzac illustre cette conception de la vie
dans La Peau de chagrin ?

La Peau de chagrin | 9
Analyse du sujet pour resserrer la problématique autour de la
représentation du désir et du bonheur dans l’œuvre.
Débat : Raphaël est-il capable de bonheur ? Travailler cette
question seul ou par groupe, en collectant des exemples à
l’appui de votre argumentation.
Rédaction individuelle du devoir.

II. Corrigé des questions et exercices

Questions sur le groupement de textes


(p. 360-377)
➤ Texte no 1 : George Sand, Indiana (1832), p. 360-363
1. La maladie de Mme Delmare est comparée à un monstre :
« dévorait sa jeunesse » (l. 16) ; « son cœur brûlait » (l. 20), « ses
yeux s’éteignaient » (l. 20-21), « son sang ne circulait plus »
(l. 21) : ses « facultés » (l. 19) sont comparées à un objet qui se
consume (cœur), à une flamme qui s’éteint (yeux), à une source
qui se tarit (sang). Par le rappel du verbe « dévorer » (l. 16), on
voit que le monstre est aussi Mme Delmare : « quels aliments
pour la dévorante activité de ses pensées » (l. 29). Elle est à elle-
même son propre mal. La première phrase du texte (« aussi elle
se mourait », l. 16), montre que cette maladie est bien réelle.
2. « La pauvre captive » désigne Mme Delmare dans le premier
paragraphe ; le baiser agissant comme un « fer rouge » (l. 36)
brûlant sa main rappelle la coutume de marquer les esclaves
comme le bétail ; enfin, elle est « femme-esclave » (l. 48) pour
aimer Raymon, et « briser sa chaîne » (l. 49) fait référence aux
« chaînes » de son mariage avec le colonel Delmare. Elle se défi-
nit toujours comme appartenant à l’homme qui la choisit.
3. « L’atmosphère glacée » (l. 33) dans laquelle vit Mme Delmare
fait contraste avec le « souffle embrasé » (l. 33-34) du jeune
homme, annonçant le « fer rouge » (l. 36) brûlant sa main ; sa
parole est comme un alcool (« enivra son oreille », l. 35) ; la

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chaleur extrême n’est donc pas réconfortante et l’ivresse qui gal-
vanise ne donne pas la vie ; la parole amoureuse apparaît autant
comme un poison qu’un remède.
4. L’énergie apportée par un amour attendu par l’héroïne ne
la ranimera que temporellement, et pour mieux la dévorer
ensuite. On a vu que le monstre dévorateur était autant extérieur
à elle qu’en elle ; il se réveille à l’approche de Raymon, pour
dévorer sa vie. La proposition relative qui clôt le texte – « et qui
sans lui devait mourir » (l. 51) – montre donc que l’amour ne
guérit Indiana qu’en apparence. Le rêve amoureux, stérile ou
réalisé, est une énergie cyclique, tour à tour créatrice et destruc-
trice. Raymon en effet n’apparaît pas digne qu’on place en lui
de telles espérances : il est bienheureux de trouver une « femme
esclave » (l. 48) « née pour l’aimer » (l. 47-48), et croit volontiers
à une prédestination dans leur rencontre : le Ciel l’aurait
« formée » (l. 50) pour lui-même. Trouver naturel d’apporter la
vie à une femme qui se meurt est sans doute un excès dont les
deux amants seront punis. On peut imaginer qu’ils ne connaî-
tront pas le bonheur parce qu’ils se sont vus, chacun, selon leurs
désirs (« elle le vit comme elle le désirait », l. 41-42), au lieu de
se rencontrer vraiment.
5. C’est son aspiration même à cet amour trompeur qui
« dévore » (l. 16) Mme Delmare. L’amour la ranime et la détruit :
c’est une énergie incapable de stabilité qui use ses facultés sans
lui offrir de plénitude durable.

➤ Texte no 2 : Victor Hugo, Notre-Dame de Paris (1830),


p. 363-365
1. Frollo présente son amour comme s’il plaidait sa cause,
pour affirmer qu’il est plus malheureux qu’Esmeralda – inno-
cente et condamnée à mort à cause de lui. Dans un premier
temps, il montre que l’aimer et être prêtre est insupportable,
en évoquant les tortures de la jalousie ; puis il affirme souffrir
doublement : de ses propres peines, et des peines qu’il lui a fait
endurer ; enfin, il la supplie de le prendre en pitié.
2. Les accumulations donnent au texte un effet de liste inter-
minable, comme pour signifier qu’il n’y a pas de bornes aux
souffrances de Frollo. Celles-ci sont d’abord construites par les

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verbes à l’infinitif, séparés par des points-virgules : « aimer »
(l. 3), « sentir » (l. 4), « regretter » (l. 6), « étreindre » (l. 8), « voir »
(l. 9), « avoir à offrir » (l. 10), « être présent » (l. 11), « voir »
(l. 13), « aimer » (l. 15), « songer » (l. 16), « voir » (l. 18). Ces
verbes sont amplifiés dans un deuxième temps par la ponctua-
tion exclamative qui les souligne. Les COD qui les complètent
forment également des accumulations : « son sang, ses entrailles,
sa renommée, son salut, l’immortalité et l’éternité, cette vie et
l’autre » (l. 5-6) pour « sentir » (l. 4) ; « de ne pas être roi, génie,
empereur, archange, dieu » (l. 7) pour « regretter » (l. 6) ; « ce
corps » (l. 13), « ce sein » (l. 14), « cette chair » (l. 14) pour
« voir » (l. 13) par exemple. De plus, les deux premiers COD
sont suivis de relatives qui amplifient l’accumulation par un
parallélisme : « dont la forme vous brûle » (l. 13-14), « qui a tant
de douceur » (l. 14). Le désir inassouvi se renforce en tournant
sur lui-même et démultiplie les éléments du corps d’Esmeralda.
Plus elle échappe à Frollo, plus son désir se déploie et plus il
« brûle » (l. 14) celui qui le ressent.
3. Les éléments présentés par Frollo au début du texte comme
fondateurs de sa souffrance : « aimer » (l. 3)/ « être prêtre » (l. 3)/
« être haï » (l. 3) n’étant pas susceptibles de changer, on peut
en conclure que son amour demeurera sans espoir. De plus, il
utilise l’image de la torture pour évoquer ses souffrances, alors
qu’Esmeralda, couchée sur le « lit de cuir » (l. 19) plus tôt dans
l’histoire, l’a vraiment subie, et par sa faute : cela rend la méta-
phore particulièrement odieuse et fait saillir les injustices dont
Frollo se rend coupable. Il détruit les autres et mérite d’être
détruit.
4. Les oppositions construisent de forts contrastes entre ce
que ressent Frollo pour Esmeralda et ce qu’elle ressent : « aimer
une femme » (l. 3) / « être haï » (l. 3) ; « l’aimer » (l. 3) / « la voir
amoureuse » (l. 9) ; « sa jalousie et sa rage » (l. 11-12) / « trésors
d’amour et de beauté » (l. 13) ; mais l’opposition souligne aussi,
dans un chiasme, la différence entre lui-même et son rival :
« amoureuse d’une livrée de soldat » (l. 9-10) / « soutane de
prêtre dont elle aura peur et dégoût » (l. 10-11), ainsi que ses
espoirs amoureux et l’aboutissement tragique de ses efforts pour
l’approcher : « toutes les caresses qu’on a rêvées pour elle

12 | Étonnants Classiques
n’aboutir qu’à la torture » (l. 18-19). La répétition du verbe
« voir » (l. 9, 13 et 18) montre que les souffrances de Frollo ont
été ravivées à plusieurs reprises par l’amour qui unit Esmeralda
et Phoebus, dont il est le spectateur lucide. Il voit Esmeralda, il
la voit amoureuse, ce qui la rend encore plus désirable (« cette
chair palpiter et rougir », l. 14-15) Cela rend plus sensible aussi
le fait qu’elle lui échappe : pour « un autre » (l. 15). Ces opposi-
tions sont à l’origine du renouvellement des frustrations du
prêtre : le désir renaît toujours, pour être chaque fois davan-
tage déçu.
5. Le fait que les souffrances de Frollo (1) se renouvellent et
(2) ne trouvent pas de bornes donne l’impression qu’il ne peut
que se consumer dans le désir d’Esmeralda. On ne doute donc
pas que l’énergie qu’il trouve pour exprimer sa passion ne susci-
tera que davantage de rejet de la part de la jeune fille. La vio-
lence ne peut que s’amplifier et le détruire en même temps
qu’elle détruit Esmeralda, au fur et à mesure qu’elle crée des
situations inextricables pour tous les personnages du récit enfer-
més dans Notre-Dame.

➤ Texte no 3 : Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830),


p. 365
1. Julien a prévu sa mort, il « avait pris ses arrangements
d’avance » (l. 16) ; le mot « arrangements » est répété dans les
consignes adressées à Fouqué : « arrange-toi » (l. 18) : il trans-
forme ainsi sa condamnation en un suicide mémorable. Il y a
en effet une dimension théâtrale à vouloir orienter les émotions
des spectatrices de sa mort pour les distraire « de leur affreuse
douleur » (l. 22). On voit apparaître plus haut dans le texte
l’adjectif « poétique » (l. 8) : Julien pense sa mort comme un
artiste.
2. Il parvient à arracher sa dépouille aux autorités et prévoit
ainsi ses propres funérailles dans une grotte isolée surplombant
le paysage, représentative de l’esthétique romantique, sur un
point dominant et secret. Le paradoxe de cette condamnation
réappropriée par le personnage lui confère une dimension
« sublime » : une condamnation apparemment subie devient le
triomphe d’une volonté indomptable. Enfin la décision de

La Peau de chagrin | 13
Mathilde de vénérer elle-même la tête de son amant renvoie à
un épisode historique célèbre (que Dumas raconte plus tard
dans La Reine Margot) du passé héroïque de sa famille : la déca-
pitation de Boniface de La Mole. Cette glorification des temps
passés est également typique des récits romantiques.
3. Julien choisit la grotte pour son secret et son isolement.
Mathilde la transforme en mausolée « peuplé » de statues de
marbre, alors que c’est la nature que Julien adorait dans ce lieu.
Mme de Rênal réagit apparemment plus sobrement à sa mort,
mais une force mystérieuse l’empêche de lui survivre.
4. Ces contrastes révèlent la profonde incompréhension qui
règne entre Julien et Mathilde : elle est incapable de comprendre
son indépendance. Elle crée un formidable événement à partir
de sa mort, multipliant les lumières et les spectateurs, là où il
aspirait à un lieu solitaire. On comprend que c’est pour être
fidèle aux images qu’elle se fait de l’amour et de sa propre
famille, autant que par amour véritable, que Mathilde agit ainsi.
De même, on comprend que son geste horrible baisant « au
front » (l. 50) la tête décapitée est moins dicté par l’amour que
par un penchant pour les sensations fortes. Ceux qui aiment
véritablement Julien, comme Fouqué, ne supportent pas la
vision de ce geste.
5. Malgré l’ironie que l’on sent à l’œuvre dans la narration,
Stendhal montre que l’amour peut être source de création – en
ce qui concerne Mathilde, création de soi. Mme de Rênal, au
contraire, véritablement consumée par la perte de son amant,
est détruite en même temps que lui : elle l’aime littéralement
plus que la vie.

Commentaire guidé (p. 385-386)


➤ De « je suis fou » (p. 220) à « par hasard ! » (p. 221)
Le commentaire suivant s’appuie sur les différentes questions
de la partie du dossier concernée et les met en forme de manière
à présenter un exemple entièrement rédigé.
Introduction
Balzac écrit La Peau de chagrin en 1830, au moment de la
parution de Notre-Dame de Paris, sommet du récit romantique,

14 | Étonnants Classiques
mais aussi du Rouge et le Noir, dont la dédicace (« La vérité,
l’âpre vérité ») annonce l’esthétique réaliste. À la façon roman-
tique, Balzac centre l’histoire sur une méditation à propos de la
mort, mais il y déploie aussi des observations que développeront
plus tard les études sociologiques de La Comédie humaine. Le
personnage de Rastignac est représentatif de cette dimension
des romans : il est le mentor des jeunes idéalistes et leur explique
le fonctionnement de la société. Dans cet extrait, le récit est
enchâssé : Raphaël raconte à Émile comment son désir de
mourir a été reporté par les propositions de Rastignac qui
l’amènent vers une forme originale de suicide par la débauche.
Le dialogue ainsi restitué est donc profondément paradoxal :
comment Rastignac s’y prend-il pour transformer le désespoir
du jeune homme en décision de jouir totalement de l’existence ?
Nous verrons d’abord qu’il répond par l’humour à son déses-
poir, puis qu’il fait l’apologie de la débauche.
I. Rire du désespoir, pour mieux compatir
Raphaël présente ses émotions à son ami en exposant leur vio-
lence : il parle fort « m’écriai-je » (l. 2672), a des gestes théâtraux
(« en me frappant le front », l. 2678). Il compare son état à une
« folie » (l. 2672) rugissante comme un fauve indomptable, ses
obsessions à des « fantômes » (l. 2673) insaisissables et qui le pos-
sèdent en créant des visions (« elles dansent devant moi », l. 2673-
2674). Rastignac a donc toutes les raisons de s’inquiéter pour le
jeune homme.
Or, il répond de façon ambiguë à son appel à l’aide. D’une
part, il la prend parfaitement au sérieux, puisqu’il n’essaie aucu-
nement de contester la violence de ses chagrins, mais d’autre
part, il oppose à cette confidence un détachement apparemment
désabusé. Il lui répond d’un mot (« Canaille ! », l. 2681), se
permet des considérations très triviales (« les filets de la Morgue
sont bien sales », l. 2683). Il montre qu’il compatit pleinement
à ses souffrances, pour les avoir traversées lui-même : « qui de
nous, à trente ans, ne s’est pas tué deux ou trois fois ? » (l. 2686-
2687). Il se place ainsi au-delà de son questionnement, et se
positionne sur la question du bon moyen à employer. Sa leçon
est pleinement reçue par Raphaël, qui accepte alors de distendre
son projet dans le temps en employant « l’intempérance ». Cet

La Peau de chagrin | 15
excès sera porté à ses plus extrêmes limites : dès lors que le sujet
ne désire plus du tout protéger son corps, et que la destruction
est son objectif, il n’y a pas de borne possible à la débauche.
L’échange raconté par Raphaël est particulièrement vivant et
drôle : d’abord, la multiplication des tirets qui remplacent les
retours à la ligne rappelle que tout ce dialogue est restitué par le
narrateur Raphaël, et que le texte est donc joué et très théâtral. Les
images comiques se succèdent (le duc de Clarence noyé dans son
tonneau, l’Alsacienne à six doigts), il multiplie les hyperboles et les
images (de « l’opium en petite monnaie », l. 2693), et Rastignac,
par la voix de Raphaël, montre ainsi la vivacité de son esprit réflé-
chissant par analogie ; cette force vitale débordante et déployée sur
le sujet du suicide est d’autant plus désopilante.
II. Mourir de plaisir : apologie de la débauche
On constate que Raphaël perd la parole peu à peu. Au dialogue
réel, qui initie le récit, succède un échange portant plus précisé-
ment sur les moyens de mettre fin à ses jours, par lequel Rastignac
prouve à son ami qu’il l’a bien entendu ; enfin, une tirade de Ras-
tignac lui propose de transformer sa vision du monde en vivant
sans considérer que son corps ou sa santé sont une limite aux
expériences qui, dès lors, seront extrêmes : la « dissolution »
(l. 2689) devient la conséquence nécessaire du « plaisir » (l. 2688).
Dans la forme, l’intervention de Rastignac continue de faire parler
Raphaël : il progresse en posant des questions rhétoriques (cinq
en tout), qui soulignent l’approbation silencieuse du jeune
homme, et les ponctue de maximes paradoxales : « l’intempé-
rance, mon cher ! est la reine de toutes les morts » (l. 2689-2690).
Aucun des arguments de Rastignac ne contredit le désir de mort
de Raphaël : il craint seulement la saleté, le manque de fiabilité
ou la douleur occasionnée par les moyens envisagés par ce dernier
pour mettre fin à sa vie. Ses premières réponses s’opposent aux
choix avancés par Raphaël au nom de la sensualité et de l’esthé-
tique, et c’est le ton qu’il garde pour lui proposer une mort non
moins certaine mais plus élitiste et luxueuse que celle d’un « épi-
cier » (l. 2702). L’argument esthétique se double donc d’un désir
de distinction sociale : c’est pour mourir différemment, autant que
pour se préserver de la saleté, qu’il ne faut pas se noyer dans le
fleuve que « les négociants ont déshonoré » (l. 2702).

16 | Étonnants Classiques
Explications linéaires guidées
(p. 390-398)

➤ Extrait no 1 : la chambre de Rastignac (p. 390-392)


1. L’expression « noble insouciance » (l. 2773) désigne l’état
d’esprit dans lequel se trouve Raphaël après avoir décidé de se
tuer : il ne peut être atteint par aucune contingence. « Les plaisirs
de la guerre » (l. 2798) évoqués plus loin sont bien ceux de la
noblesse sous l’ancien régime.
2. Les verbes sont à l’imparfait ; la valeur de ce temps couplé
aux connecteurs de lieu : « au milieu de la cheminée » (l. 2774),
« sur sa tortue » (l. 2775), « entre ses bras » (l. 2775), « sur un
voluptueux divan » (l. 2777-2778), etc. permet ici de s’attarder
sur la description du décor.
3. « Vénus accroupie » (l. 2775) semble câliner le vieux cigare,
le fauteuil plein de « cicatrices » aux « bras » est comparé à « un
vieux soldat » (l. 2779), les vieilles chaussettes traînant sur le
divan y remplacent les jeunes femmes que l’on y imagine
puisqu’il est « voluptueux » (l. 2777). Avec ces personnifications,
la chambre s’anime de figures étranges.
4. « Meubles élégants » (l. 2776) / « vieilles chaussettes »
(l. 2777) ; volupté/confort des sièges / « la pommade et l’huile
antique » (l. 2780-2781) des têtes s’opposent et sont indisso-
ciables : la propreté douteuse du dandy accompagne ici son
élégance.
5.
Termes mélioratifs Termes péjoratifs
« Pendule » (l. 2774), « meubles « Vieilles chaussettes » (l. 2777),
élégants » (l. 2776), « cigare à demi consumé »
« voluptueux divan » (l. 2777- (l. 2776), « bras déchirés »
2778), « confortable fauteuil » (l. 2780), « misère » (l. 2782),
(l. 2778), « opulence » (l. 2781), « lazzaroni » (l. 2783),
« palais de Naples » (l. 2783), « haillons » (l. 2787)
« luxe » (l. 2784), « paillettes »
(l. 2787)

La Peau de chagrin | 17
6. Le contraste produit par ces accumulations parallèles de
termes opposés renforce chacune des listes : le désordre et la
richesse s’en trouvent mises en valeur l’une par l’autre ; elles
sont d’autant plus surprenantes qu’elles sont rapprochées.
Cela rappelle le contraste porté par le parcours, où la création
va de pair avec la destruction : l’énergie créatrice est d’autant
plus impressionnante qu’elle dévore son milieu jusqu’à se consu-
mer elle-même.
7. Le tableau est curieusement comparé à l’instant de vie d’un
maraudeur jouissant pleinement de ses vols : il y a comme une
scène inscrite dans le tableau.
8. Les verbes passent au présent de l’indicatif (« risque »
[l. 2791], « court » [l. 2792], « donnent » [l. 2793]). Ce présent
de narration présente Rastignac dans ses gestes quotidiens.
9. Le parallélisme est construit par la subordonnée relative
ayant pour antécédent « jeune homme » (l. 2791) : « qui risque
au jeu mille francs » (l. 2791), « qui court en tilbury » (l. 2792) ;
les épanorthoses « et n’a pas une bûche » (l. 2791) et « sans pos-
séder une chemise saine et valide » (l. 2792) montrent que la vie
du jeune homme repose sur l’écart entre une vie pleine de super-
flu (jeu, tilbury) alors qu’il manque du nécessaire.
10. Les termes « comtesse » (l. 2793) et « actrice » (l. 2793)
sont rapprochés alors que les deux types de femmes ne se ren-
contreraient jamais : cette liste signifie donc n’importe quelle
femme, et elles sont mises sur le même plan qu’un jeu de cartes
(« l’écarté », l. 2793) : elles n’existent donc que pour ce
qu’elles fournissent.
11. Cela montre que Rastignac dévore tout ce que possèdent
ceux qui l’aiment, et il partage tout avec Raphaël. Ce dédain
pour les possessions et le capital explicite l’idée de « noble
insouciance » (l. 2773).
12. « […] quand, d’un coup de pied » (l. 2799) a valeur de
connecteur temporel, car cela montre la soudaineté de l’entrée
brutale de Rastignac. Les verbes au passé simple (« enfonça »
[l. 2800], « s’écria » [l. 2800], « montra » [l. 2802], « mit »
[l. 2802], « dansâmes » [l. 2803]) accélèrent l’action.
13. Les deux jeunes gens qui dansent autour d’une proie à
manger (fauves), qui se frappent l’un l’autre en se dotant de la

18 | Étonnants Classiques
force des bêtes sauvages (« rhinocéros », l. 2805) et qui chantent
comme des coqs pour célébrer leur victoire débordent soudain
d’une vitalité incontrôlable.
14. Cette scène est très joyeuse du fait de l’amitié fraternelle
entre Rastignac et Raphaël. Mais le pacte qui les unit est une
promesse de suicide : on sait que le trésor ouvre l’horizon à de
dangereuses dissipations, et à leur destruction probable.
Grammaire
On peut se demander comment un jeune homme naturellement
avide d’émotions renoncerait aux attraits d’une vie aussi riche
d’oppositions et qui lui donne les plaisirs de la guerre en temps
de paix.
Les transformations effectuées sur la phrase sont justifiées par
le passage du discours direct, observé dans le texte de Balzac où
le narrateur intervient pour souligner la sympathie qu’il porte à
son propre personnage, au discours indirect : la ponctuation
expressive est abandonnée pour le point et l’inversion du sujet
n’a plus lieu d’être.

➤ Extrait no 2 : paysage d’Auvergne (p. 393-395)


1. Les termes « lustre » (l. 2480), « blondes » (l. 2481), « clair-
obscur » (l. 2481-2482), « tachetée » (l. 2482), « luisant »
(l. 2483), « d’azur ou d’émeraude » (l. 2485) font référence à
la vue ; « fragiles fleurs aquatiques » (l. 2483), « sablonneuses »
(l. 2486), « tièdes » (l. 2487), « eau » (l. 2483) rappellent le tou-
cher ; « bourdonnaient » (l. 2482-2485), « silence » (l. 2489),
« jappements » (l. 2497) appellent l’ouïe, tandis que « senteurs »
(l. 2487), « parfumaient » (l. 2488) font référence à l’odorat. Le
lecteur se trouve plongé par cet appel aux sensations physiques
dans l’atmosphère décrite par Balzac. « Tableau délicieux »
(l. 2480) résume ce désir de produire une description synesthé-
sique, de même que la sensation « voluptueuse » (l. 2489) de
Raphaël dont nous épousons la vision dans une focalisation
interne du narrateur.
2. Les « fragiles fleurs aquatiques étendues comme des
franges » (l. 2483) font ressembler cette nature à des meubles
précieux (décorés par les « franges » du tissu), l’enfoncement où

La Peau de chagrin | 19
elles semblent dormir ressemble à une alcôve, l’« informe figure
en cailloux » (l. 2486-2487) est couronnée par des « chevelures
sablonneuses » (l. 2486), comme une sorte d’elfe forestier.
3. La première phrase du texte est très longue et le narrateur
crée une polysyndète avec la répétition de la coordination « et »
(l. 2481-2485) qui met en valeur chaque élément ajouté à la
phrase. La répétition de « tout » (l. 2480-2483) amplifie cet
effet solennel.
4. L’harmonie est construite ainsi dans la description pour
montrer une forte communion entre les univers humains
(meubles précieux, insectes de pierres précieuses) et naturels ; la
présence implicite de créatures surnaturelles donne la sensation
d’une présence bienveillante veillant sur le lieu. Cette présence
se concrétise bientôt avec l’apparition des personnages peuplant
le vallon.
5. Ce groupe nominal fait référence au vieillard et à l’enfant,
mais le début du texte déploie d’autres formes de vie – végétales,
animales, presque surnaturelles –, qui sont aussi reprises par le
groupe nominal « l’air, les fleurs et la maison » (l. 2499-2500)
ainsi que par « cette nature plantureuse » (l. 2500-2501) : der-
rière la diversité des « types », on décèle une vision holistique
d’un monde conçu comme un cycle harmonieux et équilibré
entre les espèces, ce que développe l’expression « routine de
bonheur » (l. 2502-2503).
6. Cela s’oppose au monde citadin et intellectuel qui est celui
du narrateur et qu’il suppose être aussi celui de son lecteur en
évoquant « nos capucinades philosophiques » (l. 2503-2504),
c’est-à-dire les discussions inabouties qui utilisent la philosophie
pour gonfler les problèmes simples de la vie ; les « passions
boursouflées » (l. 2504) évoquent également quelque chose de
factice et d’infecté : le monde des villes est artificiel et méconnaît
la bonté de la nature. Les personnages incarnent cette opposi-
tion, car ils sont capables de combattre la société pour suivre la
loi naturelle : le vieillard « serait peut-être devenu brigand par
amour pour sa précieuse liberté » (l. 2512-2513). Ces êtres
humains, contrairement à ceux des villes ou à « l’homme social »
tel que le peint Rousseau, n’interviennent pas dans la nature
pour la transformer mais épousent son énergie.

20 | Étonnants Classiques
7. Balzac se distingue de Rousseau qui condamne tous les
arts : le fait que le vieillard semble adopter la vision d’un artiste
suppose que ce dernier peut restituer dans l’image un sujet de
méditation.
8. Le vieillard vu immobile s’oppose à l’enfant « leste »
(l. 2515) du fait de leur âge : la vision du narrateur les repré-
sente dans leurs gestes quotidiens. Le travail du vieillard, passé,
a sculpté et pétrifié son corps, tandis que l’énergie de l’enfant se
déploie dans une vivacité animale.
9. Le portrait du vieillard le compare à une « vieille feuille de
vigne » (l. 2508), l’enfant est comparé à un oiseau : ces compa-
raisons rendent compte de leur différence mais surtout de leur
inscription profonde dans le paysage. C’est « leur vie également
oisive » (l. 2520) qui les rend pareils aux éléments qui les
entourent.
10. Les termes « vieillard »/ « enfant » (l. 2521), « force près de
finir » (l. 2522) et « force près de se déployer » (l. 2523)
s’opposent, mais le mot « force » les inscrit aussi dans une même
énergie ; le chiasme : « Le vieillard avait épousé les jeux de
l’enfant, et l’enfant l’humeur du vieillard » (l. 2520-2521)
repose aussi sur une action conjointe : l’un comme l’autre
« épousent » les besoins de l’autre.
11. Alors qu’il errait sur les bords de Seine en attendant la
nuit pour se noyer, Raphaël a rencontré un jeune « Savoyard »,
enfant dont on exploite la petite taille pour le faire ramoner les
cheminées des villes, et un vieillard qui mendiait comme lui. Les
couples sont symétriques et s’opposent : aux mendiants font
pendant les habitants libres d’une nature sauvage qui, loin
d’attendre du secours du riche inconnu qui vient à leur ren-
contre, le regardent comme un intrus.
Là où la ville a détruit la force, la nature la crée donc en per-
manence ; la douce énergie oisive de la campagne auvergnate
développe la « force » de l’homme en même temps que son auto-
nomie, alors que la ville le détruit inexorablement en rendant
ses désirs dépendants des autres.
Grammaire
L’extrait est composé de propositions indépendantes juxtapo-
sées qui créent une accumulation et un rapport d’égalité entre

La Peau de chagrin | 21
elles, favorisant l’effet pictural qui montre côte à côte les diffé-
rents éléments naturels observés dans la campagne. Elles sou-
lignent les conjonctions « et » qui ponctuent solennellement
l’accumulation. Les deux propositions subordonnées relatives
introduites par « où » et « qui » constituent des expansions du
nom qui complètent la description en construisant un parallé-
lisme harmonieux.

➤ Extrait no 3 : la mort de Raphaël (p. 395-398)


1. Les phrases exclamatives et injonctives dominent le discours
direct : « fuis, fuis, laisse-moi » (l. 2918), « va-t’en donc »
(l. 2919) ; la question rhétorique de Raphaël (« veux-tu me voir
mourir ? », l. 2919-2920) est agressive, tandis que celle de Pau-
line est désespérée (« est-ce que tu peux mourir sans moi ? »,
l. 2921) ; les anaphores de Pauline qui reprend « mourir »
(l. 2921) rendent leur échange très intense.
2. Les précisions concernant les tons de voix et les gestes des
jeunes gens apportent encore plus de théâtralité à la révélation :
« d’une voix sourde » (l. 2918-2919), « d’une voix profonde et
gutturale, en lui prenant les mains par un mouvement de folie »
(l. 2923-2924) tiennent lieu de didascalies, tandis que Pauline
exprime ses pensées à voix haute, comme une comédienne sur
scène : « est-ce une illusion ? » (l. 2924). Le mot « Adieu »
(l. 2929), affirmé solennellement par Raphaël et repris par Pau-
line « d’un air surpris » (l. 2929), condense l’enjeu de la scène
tandis que l’objet au cœur du texte : le talisman qui se rétracte
une dernière fois contribue également à concentrer l’action et à
la rendre visuelle.
3. Pauline apparaît dans cet extrait comme la vie de Raphaël :
« belle image de ma vie » (l. 2927), lui dit-il. Or, la vie de
Raphaël est aussi symbolisée par la Peau de chagrin. Elle est
l’image et l’objet de son désir, à la fois fuyante, s’autodétruisant,
et tentante, offerte, « belle de terreur et d’amour » (l. 2937). Elle
porte donc le même paradoxe que la Peau : elle incarne le bon-
heur et la mort du héros.
4. Les expressions « triomphèrent dans son âme depuis long-
temps endormie » (l. 2939-2940) et « s’y réveillèrent comme un
foyer mal éteint » (l. 2940) font référence au désir comme à un

22 | Étonnants Classiques
conquérant s’éveillant pour incendier et détruire. Le désir appa-
raît ici dans sa puissance ravageuse.
5. Les verbes qui montrent la réaction de Pauline à la révéla-
tion des pouvoirs de la Peau étirent son visage : « ses yeux se
dilatèrent », « ses sourcils, violemment tirés […] s’écartèrent »
(l. 2942-2944) ; ils sont conjugués au passé simple, ce qui des-
sine fermement ses traits ainsi déformés.
6. Ce masque de Pauline fait penser aux spectres effarés ou
aux vampires de l’imagerie contemporaine de Balzac ; elle qui
parlait comme si elle était sur scène, formulant ses interroga-
tions à voix haute perd soudain le langage et le narrateur
emploie pour la désigner le mot « gosier » (l. 2941) qui
l’animalise.
7. Le véritable sujet de l’action est la fine Peau : c’est sa
contraction qui suscite l’horreur et la fuite de Pauline, mais c’est
aussi grâce à elle que Raphaël « par une force singulière »
(l. 2951) arrache la porte de ses gonds pour la rejoindre. Enfin,
c’est elle qui tue le jeune homme et étrangle les sons dans sa
poitrine. Cette force silencieuse qui commande les gestes de tous
illustre un pouvoir occulte qui rappelle d’autres romans contem-
porains comme Melmoth.
8.
Champ lexical de la vie,
Champ lexical de la destruction
de l’action
« Désirs furieux » (l. 2945), « Douleur inouïe » (l. 2943),
« désir » (l. 2946), « courant » « horreur » (l. 2944),
(l. 2948), « je t’aime » (l. 2948- « moribond » (l. 2948), « je te
2949), « je t’adore » (l. 2949), maudis » (l. 2949), « se
« force singulière » (l. 2951), déchirer le sein » (l. 2953),
« éclat de vie » (l. 2951) « prompte mort » (l. 2954),
« s’étrangler » (l. 2954)

9. Le narrateur met le lecteur à la place de Raphaël contem-


plant sa maîtresse. Les verbes au plus-que-parfait et à l’imparfait
décrivent les gestes et les paroles qui se répètent du fait de
l’échec de la jeune femme (adverbe « vainement » mentionné
deux fois, l. 2953 et l. 2955) : « avait tenté » (l. 2953), « cher-
chait à » (l. 2954). Pauline apparaît ainsi dans une lutte autodes-
tructrice, et l’effet de tableau est renforcé par l’accumulation des

La Peau de chagrin | 23
groupes nominaux : « ses cheveux étaient épars, ses épaules
nues, ses vêtements en désordre, […] les yeux en pleurs, le visage
enflammé » (l. 2959).
10. Ces groupes nominaux sont complétés par les participes
présents qui suspendent la vision tout en l’imprégnant de mouve-
ment : « en tâchant vainement de serrer le nœud » (l. 2955-2956),
« se tordant sous un horrible désespoir » (l. 2959). La puissance
fugitive de Raphaël est exprimée par les verbes au passé simple
montrant l’efficacité de son action, mais l’usage de l’imparfait
(« dévorait » [l. 2964], « semblait partir de ses entrailles »
[l. 2966]) rappelle son agonie à l’arrière-plan de ses gestes.
11. Les mouvements de lutte sont très confus : Pauline lutte
pour se détruire, mais aussi contre le désir de Raphaël en
s’enfuyant. Raphaël lutte contre Pauline, qu’il désire. Lutte et
désir sont donc indissociables, et marqués par l’urgence d’une
mort imminente menaçant les deux amants.
12. Cette dernière image du roman symbolise donc ce qu’est
la fin de la vie de Raphaël : une lutte acharnée et paradoxale
contre son propre désir, qui ne demande qu’à être réalisé.
13. Raphaël apparaît comme un vautour, un dangereux
« oiseau de proie » (l. 2961), qui mord « au sein » (l. 2967),
tandis que, comme Pauline, il pousse des cris animaux (« gosier »
[l. 2942], « râle » [l. 2965]) ; c’est finalement Pauline qui est
« accroupie » (l. 2969) sur le cadavre comme une créature diabo-
lique ou comme un charognard.
14. Ce couple représente donc le paradoxe du désir : bien que
tous deux soient amoureux et désirant, ils luttent parce qu’au
cœur de leur désir, ils se dévorent eux-mêmes. Pauline souhaite
mourir pour sauver Raphaël, qui préfère la posséder que de
vivre. Du fait de l’enjeu vital apporté par la Peau, la vision qui
nous est donnée du désir amoureux ici est dévorante et des-
tructrice.
Grammaire
La négation est ici exprimée de façon syntaxique, par la res-
triction « ne… que » et porte sur le verbe « trouver ». La restric-
tion désigne l’exception de la négation et on peut gloser la
phrase ainsi : il ne trouva aucune parole, sauf les sons étranglés
du râle.

24 | Étonnants Classiques

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