Aux Archives de L'animisme

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Mélanges de la Casa de
Velázquez
Nouvelle série

45-1 | 2015
Langues indiennes et empire dans l'Amérique du Sud coloniale
Miscellanées

Aux archives de l’animisme


Ethnographie et théorie de la religion sauvage chez Edward
Taylor
En los archivos del animismo. Etnografía y teoría de la religión salvaje en Edward Tylor
In the animist archives. Ethnography and theory of savage religion according to Edward Tylor

Frederico Delgado Rosa


p. 221-242
https://doi.org/10.4000/mcv.6228

Resumos
Français Español English
En 1871, Edward Tylor rejeta les récits de son temps qui niaient l’existence de croyances
religieuses chez certains peu-ples alors considérés comme sauvages. C’était le cas, en
particulier, de l’explorateur victorien Samuel Baker, dont l’autorité ethnographique fut
mise en cause à travers la citation de quelques voyageurs européens qui avaient
également observé les peuples nilotiques - dont les Nuer. Contrairement à d’autres sources
de Primitive Culture, la qualité de ces ethno-graphies oubliées était, hélas, tout à fait
médiocre ; mais elles permirent à Tylor de faire l’une des affirmations les plus décisives de
son œuvre, celle de l’universalité de l’animisme. Cette problématique est indissociable
d’une perspective ethnographique cumulative qui représente aussi l’une des questions
grandioses de Tylor et un défi pour la sensibilité anthropologique dominante à l’heure
actuelle, notamment en ce qui concerne la critique postcoloniale des contenus
ethnographiques des archives.

En 1871, Edward Tylor rechazó los relatos de su época que negaban la existencia de
creencias religiosas en algunos pueblos por entonces considerados salvajes. Era el caso, en
particular, del explorador victoriano Samuel Baker, cuya autoridad etnográfica fue
cuestionada por las descripciones de algunos viajeros europeos que también habían
observado a los pueblos nilóticos, entre ellos los nuer. Al contrario que otras fuentes de
Primitive Culture, la calidad de estas etnografías olvidadas era, por desgracia,
absolutamente mediocre, pero permitieron a Tylor realizar una de las afirmaciones más
decisivas de su obra, la de la universalidad del animismo. Esta problemática es
indisociable de una perspectiva etnográfica acumulativa y representa una de las
cuestiones más importantes en Tylor; un desafío para la sensibilidad dominante en la
actualidad, en especial respecto a la crítica poscolonial de los contenidos etnográficos de
los archivos.
In 1871, Edward Tylor rejected the narratives of his time which denied the existence of
religious beliefs among certain peoples then considered savages. One such narrative was
that of the Victorian explorer Samuel Baker, whose authority as an ethnographer was
called into question by the reports of some European travellers who had also observed the
Nilotic peoples—among them the Nuer. Unlike other sources on Primitive Culture, the
quality of these forgotten ethnographic works was unfortunately quite mediocre; but they
did support Tylor in one of the most decisive assertions of all his works—namely the
universal nature of animism. These issues cannot be separated from a cumulative
ethnographic perspective which also represents one of the the great questions posed by
Tylor, and a challenge to the prevailing anthropological thinking of the present moment,
particularly as regards post-colonial criticism of the ethnographic contents in the archives.

Entradas no índice
Mots clés : animisme, archives, Edward Tylor, évolutionnisme, histoire de l’ethnologie,
peuples nilotiques
Keywords: animism, archives, Edward Tylor, evolutionism, history of ethnology, Nilotic
peoples
Palabras clave: animismo, archivos, Edward Tylor, evolucionismo, historia de la etnología,
pueblos nilóticos

Texto integral
We cannot escape from him in any field of activity; we repeat his theories
without knowing.
Andrew Lang, « Edward Burnett Tylor », 1907.

1 C’est à Andrew Lang (1844-1912) que revint l’honneur de rédiger le chapitre


d’ouverture des Anthropological Essays Presented to Edward Burnett Tylor in
Honour of his 75th Birthday Oct. 2 1907. Cet ouvrage collectif — un cadeau
d’anniversaire bien connu des historiens de l’anthropologie — comprenait une
vingtaine d’essais sur des sujets en vogue à l’époque, depuis le totémisme
australien jusqu’à l’origine de l’exogamie, signés par des figures inégalement
évoquées de nos jours, telles que Robert Marett ou W.H.R. Rivers, Northcote
Thomas ou Charles Seligman. Bien entendu, le texte de Lang était le seul
spécifiquement consacré à Edward Tylor (1832-1917) et transmettait à merveille
l’idée centrale de sa vaste entreprise intellectuelle, celle de l’intimité profonde,
non seulement généalogique, mais aussi psychologique, entre « l’homme
civilisé » et « l’homme sauvage ». La phrase citée ci-dessus résumait justement ce
principe victorien révolutionnaire : on ne pouvait guère échapper from him,
voulant dire l’homme « sauvage », car il était derrière nos croyances et derrière
nos institutions les plus vénérables, à commencer, en Grande-Bretagne, par la
royauté elle-même. Plus qu’une anthropologie, c’était une véritable
Weltanschauung. Tylor et ses disciples dégageaient la permanence du legs
préhistorique de l’humanité, qui avait certes subi des transformations
esthétiques, philosophiques ou morales au long des siècles, mais tout en gardant
son essence.
2 Cette perspective était indissociable du concept d’animisme tel que Tylor l’a
développé dans Primitive Culture en 1871 et dont l’impact dans le milieu
anthropologique, énorme à l’époque et presque indiscuté pendant des décennies
par toute une pléiade de disciples, a survécu au rejet ultérieur des
présuppositions évolutionnistes et intellectualistes qui avaient orienté les thèses
d’origine, tout en souffrant chemin faisant un certain nombre de
transformations, qui ne pouvaient évidemment pas être prévues par son
créateur. On peut même dire que la notion d’animisme a traversé le xxe siècle et
perdure jusqu’à nos jours, non seulement parce qu’elle a gagné une utilité
descriptive, ou ethnographique, permettant d’indiquer de manière économique
des croyances à la nature animée de certains objets tangibles, mais aussi parce
qu’elle a débordé la communauté savante pour être comme apprivoisée par le
sens commun. Nous savons, en outre, qu’elle a récupéré des lettres de noblesse
théoriques au tournant du millénaire, par l’initiative, entre autres, de Philippe
Descola, un peu à l’exemple de ce qu’avait fait son maître Lévi-Strauss dans les
années 1960 avec les notions de totémisme et de pensée sauvage, également
forgées par les évolutionnistes victoriens.
3 Il faut dire néanmoins que Primitive Culture fait souvent l’objet de lectures
hâtives ou incomplètes, pour ne pas dire que la connaissance de Tylor se fait à
travers des précis d’histoire de l’anthropologie plutôt qu’en revenant à la source.
En règle générale, on sélectionne des paragraphes du premier ou du deuxième
chapitre, les préférés des auteurs de manuels ou de compilations, alors qu’on y
trouve des propos généralistes qui peuvent facilement induire en erreur une fois
coupés de la complexité comparatiste du reste de l’ouvrage et de la minutie de
ses citations ethnographiques et historiques1. Nous ne voulons en aucun cas
suggérer que les participants au récent dossier anthropologique néo-animiste ne
prennent pas non plus la peine de lire l’intégralité de ce classique désuet avec
l’attention qui lui est due2. Une chose est certaine, les transformations du concept
d’animisme, aussi bien dans le discours profane que dans les manipulations
savantes, représentent d’habitude un rétrécissement extraordinaire de sa portée
chez Tylor. Il faut dire, premièrement, que toute tentative d’application
restrictive du concept à des cosmologies non européennes va complètement à
l’encontre de l’esprit provocateur de la théorie originale. Pour lui, toute religion
était animiste, les deux termes étant par ailleurs des synonymes dans sa pensée.
Et deuxièmement, on se doit de préciser que Tylor n’avait pas non plus
l’intention de limiter le concept à l’animation d’objets tangibles, bien au
contraire, tout être spirituel était concerné par définition3.
4 Le présent article ne prétend pas contribuer directement au débat conceptuel,
mais attirer plutôt l’attention sur d’autres potentialités dans la relecture de
Primitive Culture au xxie siècle. Nous essayerons notamment de montrer que le
projet évolutionniste tylorien, indissociable des ethnographies citées, représente
aussi un défi épistémologique pour notre époque. Il s’agit de repenser la
dépréciation des contenus ethnographiques qui traversent les archives coloniales
au sens large, ce qui représente indéniablement une tendance expressive, voire
hégémonique, de l’anthropologie à l’heure actuelle. Cela dit, nous commencerons
quand même par restituer, en historien de l’anthropologie, ce que nous jugeons
être la vraie pensée de Tylor dans Primitive Culture. Cette section de l’article sera
suivie de trois autres :

une section qui reprendra le texte d’Andrew Lang déjà cité, dans le but
de révéler que Tylor, contrairement à des idées reçues, était disposé à
admettre l’existence de versions sauvages du monothéisme ;
une section qui abordera le moment capital de Primitive Culture où il
réfutait la parole des observateurs qui niaient l’existence d’idées
religieuses chez certains peuples « primitifs » (comme les Nuer, devenus
célèbres au xxe siècle), alors que justement il y avait d’autres récits
— quoique fragmentaires — indiquant leur croyance en un être spirituel
suprême et démiurgique ;
et enfin une section qui attire l’attention sur les différences qualitatives
des sources ethnographiques de l’époque, en vue d’une réflexion sur les
risques de sous-estimer leur dimension descriptive.
Développement, survivance, résurgence :
les transformations du legs animiste
5 Tylor était persuadé que la notion d’âme, issue de processus nécessaires
d’association d’idées, avait constitué dans la Préhistoire une sorte de prototype a
partir duquel avaient été forgées, également dans la Préhistoire, toutes les
croyances à des êtres spirituels. S’il a été fort critiqué au xxe siècle pour avoir
parlé de « philosophes sauvages », en réalité il n’employait pas ce terme pour
caractériser l’intelligence ou la curiosité intellectuelle au dessus de la moyenne
de figures singulières du passé préhistorique de l’humanité. Il s’agissait plutôt de
mécanismes psychologiques élémentaires et universels. Le philosophe sauvage
était l’humanité toute entière, puisque la psychologie humaine penchait
naturellement vers l’animisme. Tylor introduisait le concept de « religion
naturelle » pour exprimer cet aspect inévitable et universel4. Associant
l’anthropologie à la philosophie matérialiste ou moniste sous-jacente à la science
— justement par opposition à la philosophie spiritualiste ou animiste — il voyait
sans doute la religion comme un processus de création d’images fantaisistes sur
la réalité, quoiqu’à travers une logique compréhensible, qui n’était pas non plus
l’exclusivité d’un esprit infantile, mais proprement humain.
6 Il y avait en particulier deux conceptions fondamentales qui dérivaient
directement de l’idée d’âme et qui permettaient de comprendre le surgissement
de toutes les autres catégories, y compris les différents types de dieux. D’un côté,
c’était l’animation ou la personnification de la nature, c’est-à-dire l’attribution
d’une âme à des animaux, à des plantes, à des montagnes ou à tous autres objets
extérieurs. D’un autre côté, c’était la formation quasiment spontanée de la notion
d’esprit à partir de la notion d’âme détachée du corps. En somme, ce n’est pas
Dieu qui a créé l’homme à son image, mais l’inverse5. Il n’était guère surprenant
que les ancêtres préhistoriques eussent inventé tout ce qu’il y avait à inventer en
cette matière. Il était même difficile d’admettre que les choses eussent pu se
passer autrement.
7 Ce qu’il faut relever, c’est que Tylor ne voyait pas le concept d’âme et ses
dérivations comme des étapes de l’évolution religieuse de l’humanité ; et qu’il n’a
jamais utilisé l’ethnographie contemporaine dans ce sens-là. Les croyances
élémentaires n’étaient pas remplacées par des créations nouvelles suivant un
ordre séquentiel. Au contraire, toutes les ramifications de l’animisme avaient eu
lieu à l’époque préhistorique, c’est pourquoi on pouvait les déceler parmi les
populations les plus primitives encore existantes. L’un des principes
fondamentaux de l’anthropologie de Tylor était précisément l’idée de
« développement » des différents articles de foi sauvages. Au lieu d’une séquence
d’étapes, il était question d’une permanence d’idées préhistoriques, soumises à
de nombreuses adaptations progressives, d’ordre moral, philosophique,
esthétique, etc. Tylor avait conscience que ces parcours répondaient aux
idiosyncrasies historiques des différents peuples, mais l’objet principal de sa
recherche était autre. Primitive Culture était avant tout une encyclopédie des
catégories religieuses de l’humanité, à chaque fois repérables à tous les niveaux
de civilisation et, dans ce sens, nous devons en extraire l’image puissante d’un
vaste patrimoine idéologique d’origine préhistorique.
8 Il s’agissait ainsi d’une accumulation originelle de toutes les idées animistes de
l’histoire humaine, de la notion d’âme jusqu’aux différents types de divinités, en
passant par quelques dizaines de catégories qui concernaient la nature, les
fonctions et les attributs d’êtres animés ou spirituels, du totem au vampire, du
fétiche à l’esprit du volcan, de l’ange gardien au dieu de la mer. La table des
matières de Primitive Culture représentait à elle seule une entreprise
classificatrice6. Malheureusement, cette spécificité de l’évolutionnisme tylorien a
échappé à nombreux de ses lecteurs (aussi bien au xixe qu’au xxe siècle), alors
qu’il ne faut pas mettre sur le même pied Tylor et, par exemple, un John
Lubbock, qui proposait dans son Origin of Civilization, de 1870, une séquence
proprement unilinéaire d’étapes religieuses se succédant les unes aux autres. À
vrai dire, chacun peut trouver dans Primitive Culture la séquence d’évolution
qu’il désire, en attribuant aux chapitres encyclopédiques des étapes qui
n’existent que dans l’imagination ou dans le préjugé du lecteur, et non pas dans
le texte original. Par exemple, Marcel d’Hertfelt découvre chez Tylor l’ordre
évolutif suivant : croyance à l’incarnation d’esprits, conception de dieux de la
nature, conception de dieux de l’activité humaine, et conception d’un dieu
unique7. Or, dans Primitive Culture, les divinités du polythéisme
anthropomorphique intégraient une catégorie animiste décelable chez des
populations sauvages :

Les grands dieux du polythéisme, nombreux et définis de manière très


élaborée dans la théologie du monde cultivé, n’y trouvent pourtant pas leur
première parution. Dans les religions des peuples les plus rudes, leurs types
principaux étaient déjà dessinés et, à partir de là […], la tâche est revenue au
prêtre et au poète, au faiseur de légendes et à l’historien, au théologien et au
philosophe, de développer et de rénover, ou alors de dégrader et d’anéantir,
les puissantes divinités de ces panthéons8.

9 Cette formule, tel un leitmotiv, était systématiquement répétée à chaque


chapitre. Bref, l’évolution religieuse était un processus à la fois de permanence et
de transformation du legs primitif. Tylor proposait, à côté du développement, un
deuxième principe pour interpréter les rapports étroits entre l’homme sauvage et
l’homme civilisé. Outre l’adaptation progressive des conceptions animistes,
justifiant en quelque sorte leur durée dans l’Histoire, les populations dites
civilisées gardaient aussi des traits sauvages qui ne s’étaient pas développés. Il
s’agissait d’idées et d’usages dont le maintien était dû au conservatisme
irréfléchi, au poids atavique de la tradition. C’étaient les survivances dans la
civilisation, ou survivals. Selon ses propres paroles, une survivance était « […] la
persistance d’une idée dont le sens s’est perdu il y a longtemps, mais qui continue
d’exister pour la seule raison qu’elle a existé un jour »9. Par exemple, l’habitude
européenne de saluer quand quelqu’un éternuait était censée être une
survivance de la période lointaine où cette sortie d’air soudaine était associée au
mouvement d’entités spirituelles. Hélas, les nuances théoriques entre les notions
de développement et de survivance se perdent trop souvent dans les relectures
de Tylor. Seulement ainsi pouvons-nous expliquer que John Burrow, par
exemple, ait écrit dans Evolution and Society que Tylor « déclarait la guerre aux
survivances » quand il retraçait les origines sauvages de certaines composantes
fondamentales du Christianisme, comme le baptême ou la consécration10. Or,
Tylor n’aurait jamais utilisé le concept de survivance dans ces cas, mais celui de
développement, allusif à dix-neuf siècles de théologie érudite travaillant sur de
tels mystères, un travail de développement initié par ailleurs (ou plutôt repris)
par personne d’autre que Jésus Christ. Il est intéressant d’admettre que la
position de Tylor lui-même en matière de religion reflétait cette fine frontière
entre le rejet et la conciliation11. De même, il ne pensait pas que la définition
chrétienne d’âme immortelle soit une simple survivance de l’animisme sauvage,
vidée de sens et de raison d’être, mais il n’hésitait pas à les unir par le concept de
développement.
10 Il affirmait à maintes reprises que les notions de développement et de
survivance pouvaient rendre compte de la plus grande partie des manifestations
religieuses rassemblées dans Primitive Culture, mais il introduisait encore
d’autres outils conceptuels, tels que la survivance partielle, la dégénération, la
disparition et la résurgence ou revival, appliquée par exemple au renouveau
d’intérêt pour le spiritisme dans les salons victoriens. Cela renforce par ailleurs
l’un des aspects les plus osés de la théorie tylorienne, c’est-à-dire la perception
que l’humanité continuait dans tous les temps à pencher vers l’animisme, sa
religion naturelle, ancrée dans le fonctionnement même de l’esprit humain. :
« The thing that has been will be »12.
11 Ces idées sur l’évolution religieuse de l’humanité s’appliquent de façon
ironique — ou devrait-on dire métaphorique ? — à l’histoire même du concept
d’animisme forgé par Tylor. Dans son article de 1999, « “Animism” Revisited »,
vite devenu une référence majeure du débat néo-animiste, Nurid Bird-David
commence par énumérer, comme nous l’avons fait plus haut, la permanence de
ce legs conceptuel, soit dans des précis de la discipline, soit dans des
monographies, ou encore dans des encyclopédies et des dictionnaires, aussi bien
de sciences sociales que de l’univers New Age, et même dans le langage de tous
les jours. Et à Bird-David d’ajouter :

Étonnamment, ce concept tylorien vieux d’un siècle apparaît dans toutes ces
sources bien diverses (qui oscillent entre le populaire et l’académique, le
général et le spécifique) sans qu’il fasse à peine l’objet d’une révision13.

12 Elle va jusqu’à parler de la « survivance » de la notion tylorienne, sauf qu’il


faudrait plutôt préciser que celle-ci a subie des transformations bien plus variées
que la simple survivance, y compris des développements et des résurgences, dont
le débat néo-animiste constitue lui-même la preuve.

Pages perdues : le monothéisme, c’est de


l’animisme
13 Par analogie avec Charles Darwin, qui avait révélé à la bourgeoisie et à
l’aristocratie victoriennes qu’elles avaient en elles-mêmes un primate, Edward
Tylor voulait mettre en évidence l’ossature culturellement sauvage de ses pairs.
Et c’est effectivement Andrew Lang qui a le mieux résumé la sensibilité savante
de l’époque, avec ses tirades de littéraire : « L’homme ne peut jamais être sûr
d’avoir expulsé le sauvage de ses temples et de son cœur »14. Le fait est que, au
moment du 75e anniversaire de Tylor, Lang se réclamait à la fois comme son
disciple et comme son critique, tout en soulignant que les deux conditions étaient
indissociables. Primitive Culture n’était point « un essai éphémère, mais une
possession éternelle », la base à partir de laquelle on pouvait suggérer des
modifications15. Dès 1898, au moins, il essayait de considérer à part les versions
sauvages du dieu monothéiste, les célèbres High Gods australiens et autres, non
pas comme une catégorie animiste de plus, mais comme une représentation
profondément morale dès la préhistoire. Il alla jusqu’à formuler une opposition
entre déisme et animisme, en tant que forces distinctes et agissantes depuis
toujours dans les sociétés humaines16.
14 Au premier abord, Andrew Lang ne faisait que pousser un peu trop loin le
principe fondamental de l’anthropologie tylorienne, de toujours retrouver des
parallèles chez les sauvages, notamment en matière de religion, et en opposition
à ceux qui la leur niaient. Le monothéisme, ne serait-il pour Tylor une création
exclusive et tardive de l’humanité « civilisée », pour ne pas dire la seule création
animiste qui ne soit pas engendrée par les sauvages de la Préhistoire ? Nous
avons affirmé que l’idée d’une évolution religieuse par étapes lui était étrangère,
mais l’idée monothéiste n’était-elle pas l’exception à la règle ? Certes, Tylor
refusait sans doute de placer un dieu unique à l’origine de la religion, mais cela
représentait, de sa part, une réaction d’hostilité intellectuelle par rapport au
dégénérationnisme biblique. En effet, ce refus était extensible à toute autre
formation animiste ; dans la Préhistoire, il y avait eu tout simplement une grande
variété de religions, quoique fondées sur des principes communs. Or, ce qu’il y a
de frappant dans Primitive Culture, c’est que Tylor affirmait que les germes du
monothéisme, y compris du dualisme éthique, étaient tout aussi repérables chez
quelques populations primitives contemporaines. Sans vouloir dire pour autant
que toute l’humanité était prédestinée à croire à un être suprême, l’important
reste que l’ethnographie sauvage concernait cette problématique. Ce n’est pas
Lang, mais Tylor lui-même, qui l’a inaugurée dans sa version proprement
anthropologique, c’est-à-dire indépendante des regards bibliques.
15 Tylor admettait donc qu’il y avait des versions « sauvages » d’une divinité
suprême et démiurgique, comme il y avait des versions « sauvages » de
pratiquement tous les articles de foi – y compris l’homme-dieu mis à mort,
devenu la spécialité de son disciple James Frazer (1854-1941), dans Le Rameau
d’or. Plus tard, il en est venu à accentuer son soupçon que les idées sauvages de
cet ordre-là étaient dues, dans beaucoup de cas, à des influences chrétiennes,
surtout dans leurs composantes morales. L’article « On the Limits of Savage
Religion », publié en 1892, traduit bien cette inflexion, mais le titre constitue à lui
seul une preuve de la portée quasiment illimitée de la religion primitive. En
outre, il ne fallait pas oublier que le monothéisme à l’état pur était une fiction.
Historiquement, les religions du Livre, et tout d’abord le Christianisme,
regorgeaient de conceptions animistes au-delà du dieu unique, y compris
d’autres êtres spirituels aux attributs divins ou merveilleux. D’autre part, Tylor
n’a jamais cessé d’identifier des exemples sauvages pour la catégorie religieuse
du dieu suprême. Voilà le sens de ce passage :

Si l’on considère que le critère du monothéisme consiste simplement en


l’idée d’une divinité suprême créatrice de l’univers et à la tête de la
hiérarchie spirituelle, alors son application à la théologie sauvage et barbare
nous conduira à des conséquences surprenantes. Des peuplades de
l’Amérique du Nord et du Sud, de l’Afrique, de la Polynésie, sont d’habitude
et de façon légitime considérées polythéistes, mais d’après cette définition-là
leur reconnaissance d’un démiurge suprême […] les habilite en même temps
au titre de monothéistes17.

16 Andrew Lang, de son côté, croyait que le « vrai » Dieu était aux sources du
déisme primitif, non pas à travers une révélation directe, mais par la nature
humaine elle-même, susceptible de percevoir la figure du créateur et sa bonté
essentielle à l’égard des hommes. La pomme de la discorde était donc
l’indépendance du déisme par rapport à l’animisme en tant que matrice
intellectuelle responsable de toute catégorie religieuse. Si les propos de Lang
contredisaient le point de vue de Tylor, selon lequel toute religion était animiste,
c’est finalement parce que, en raison de sa propre religiosité, le premier avait un
concept moral de religion, plutôt qu’intellectuel. En toute rigueur, il rejetait
subtilement la définition du maître :

Tylor a commencé par dénoncer l’erreur ordinaire de nier à beaucoup de


races le moindre vestige de religion, une erreur provoquée par des
définitions du terme trop étroites. Comme « définition minimale de
religión », il propose « la croyance à des êtres spirituels ». Personne n’arrive
à définir la religion d’une manière qui plaise à tout le monde, et on peut même
dire qu’il y a des gens non-religieux qui croient à des êtres spirituels, alors
qu’une personne religieuse peut éprouver un sentiment de devoir moral envers
un être qui n’est pas pour elle un esprit. C’est clairement un idolon de la
caverne, ou de la recherche, que de regarder une telle croyance comme une
idée avancée, hors de la portée d’un simple sauvage. Il n’y a aucune idée
religieuse que les sauvages n’aient pas développée à leur façon rude et que
nous ne nous bornions à affiner18.

17 Nous sommes à l’épicentre d’un dialogue quelque peu saugrenu, mais capital,
de l’histoire de l’anthropologie, entre l’évolutionnisme de Tylor et le néo-
dégénérationnisme d’Andrew Lang. Celui-ci admettait que les High Gods
n’étaient pas facilement repérables à l’heure actuelle, puisque leur importance
avait dû diminuer sous l’emprise de conceptions rivales, proprement animistes,
d’esprits immiscés dans les trivialités mondaines de la vie des hommes. D’où la
puissante formule : « The less animism, the more theism; the more animism, the
less theism »19. Même sans tomber dans les excès des vieux dégénérationnistes
bibliques, qui pouvaient facilement considérer qu’il n’y avait plus chez les
sauvages contemporains aucun vestige de la révélation divine, Andrew Lang
risquait de restreindre à nouveau les critères d’identification universelle de
croyances religieuses. Subordonner ces critères à la vénération d’un Dieu
surveillant, sous forme d’Être Suprême ou High God, c’était détruire le travail, la
mission anthropologique de Tylor, fondée justement sur la critique de ceux qui
parlaient de l’irréligiosité de certaines populations. Si Lang dénonçait lui-même
cette erreur, c’est parce qu’il n’admettait en aucun cas que la dégénération soit
complète. Hélas, les risques de sa démarche étaient évidents. Le cadeau
d’anniversaire était, en quelque sorte, empoisonné. En lisant le texte d’Andrew
Lang qui portait son nom, Edward Tylor fut peut-être hanté par de vieux
fantômes du combat évolutionniste...

Les Nuer au temps de Tylor ou la richesse


des ethnographies douteuses
18 En 1871, dans Primitive Culture, il citait en bas-de-page une poignée d’auteurs
qui, en raison d’une définition trop étroite ou d’une observation mal menée,
niaient l’existence de religion chez certaines « tribus sauvages », tels que
Christoph Meiners, Frederic William Farrar, Carl Friedrich von Martius ou John
G. Palfrey. C’est néanmoins la figure de Samuel Baker (1821-1893), par sa
renommée d’explorateur du Nil, qui était littéralement érigée en haut de page
pour illustrer l’erreur : « Dans notre temps, la négation la plus frappante de
religion chez des tribus sauvages est celle de Sir Samuel Baker, dans un exposé lu
devant l’Ethnological Society of London […] »20. Publié en 1867 dans les
Transactions de cette société savante, le texte en question s’intitulait « The Races
of the Nile Basin » et portait sur « les tribus les plus au nord du Nil Blanc », dont
en particulier les Nuer, les Dinka et les Shilluk qui deviendront célèbres dans
l’anthropologie du xxe siècle.21 « Une description générale suffira pour
l’ensemble », disait Baker. « Dans chaque cas, ils sont dépourvus de toute
croyance en un Être Suprême, ils n’ont aucune forme de culte ou d’idolâtrie ; et
même pas un seul rayon de superstition n’a éclairé les ténèbres de leurs
esprits »22.
19 Edward Tylor soupçonnait, à raison, que le rapport personnel de l’explorateur
avec ces africains laissait à désirer. On devait justement se méfier de l’absence de
données concrètes sur les idées religieuses d’un peuple, car elle pouvait cacher,
tout simplement, un manque d’intimité et de gentillesse à l’égard de ses
membres. Déjà en 1866, dans The Albert N’Yanza. Great Basin of the Nile and
Explorations of the Nile Sources, Samuel Baker avait dessiné un portrait on ne
peut plus négatif des Nuer : « Des gens charmants, ces pauvres noirs ! comme les
appellent leurs défenseurs anglais […]. Franchement, mon singe Wallady semble
civilisé en comparaison avec les sauvages Nuer »23. Il allait jusqu’au point de les
décrire, dans leurs traits physiques, comme des « démons à l’aspect non
terrestre », ce qui avait bel et bien des implications anthropologiques. De prime
abord, on pouvait espérer que le dégénérationnisme biblique de Baker l’empêche
d’adopter une perspective raciste, mais ce ne fut pas le cas. Son texte terminait
par un rejet du monogénisme, c’est-à-dire une mise en doute du caractère
adamite de l’habitant des marais pestilentiels du Nil Blanc : « […] peut-on le
proclamer un homme et un frère ? »24.
20 Paladin par excellence de l’unité de l’espèce humaine, biologique et surtout
intellectuelle, Edward Tylor ne pouvait qu’être horrifié par de tels propos. Il se fit
donc un plaisir de mener contre Baker une attaque sur des bases
ethnographiques. Si l’explorateur avait fait référence à des tribus totalement
méconnues, on pouvait encore admettre que sa description serve à combler une
lacune, jusqu’à ce que d’autres complètent sa recherche. Or, ce n’était pas le cas :
« En parlant ainsi de tribus comparativement bien connues, comme sont les
Dinkas, les Shilluks et les Nuehr, Sir S. Baker ignore l’existence de données déjà
publiées […] »25. Il faisait notamment référence aux travaux d’Antoine Brun-
Rollet, de Guillaume Lejean et d’Anton Kaufmann, qui avaient tous les trois
abordé les croyances religieuses nilotiques. Tylor évoquait encore d’« autres
observateurs » de ces peuples, sans toutefois indiquer leurs noms, ce qui suscite
une réflexion sur l’aspect à la fois relatif et cumulatif des archives
ethnographiques et, du même coup, de l’histoire de l’anthropologie.
21 Pour ce qui est des Nuer, précisons que, depuis la première expédition au Nil
Blanc en 1839, par le capitaine turco-égyptien Selim Qapudan, Edward E. Evans-
Pritchard (1902-1973) avait été précédé par un siècle d’observateurs directs, dont
un nombre significatif nous ont laissé des livres, des articles ou d’autres types de
documents. Evans-Pritchard introduisait précisément ce sujet dans les mots
d’ouverture de The Nuer :

Entre 1840, quand Werne, Arnaud et Thibaut entreprirent leur voyage plein
de surprises, et 1881, l’année où la révolte victorieuse du Mahdi Mohamed
Ahmed ferma le Soudan à de nouvelles explorations, plusieurs voyageurs
ont pénétré dans le territoire nuer par l’un ou l’autre des trois grands
fleuves qui le traversent26…

22 Il ne connaissait pas Kaufmann, ni certains autres ethnographes de la période


turco-égyptienne, mais il mentionnait quand même un total de seize auteurs,
dont la moitié avaient effectivement publié leurs récits avant la parution de
Primitive Culture. Il s’avère que les limitations inévitables de ces observateurs
occasionnels étaient particulièrement frappantes en matière de religion. Dans sa
monographie de 1956, Nuer Religion, Evans-Pritchard précisait que tous les
passages à ce sujet étaient « maigres et superficiels »27. Autrement dit, les
autorités citées par Tylor pour contredire Samuel Baker étaient fort peu fiables. Il
est évident qu’il ne faut pas généraliser ce verdict à l’ensemble des ethnographies
à la base de la théorie de l’animisme universel. Leur qualité était tout
simplement inégale ou même contrastée. Et Tylor s’est bâti une réputation par
son souci permanent de faire la critique des sources, comme en témoigne sa
méfiance à l’égard de Baker. Hélas, l’importance stratégique de cette partie de
son œuvre exigeait une solidité empirique que les ethnographies nilotiques, alors
disponibles ou connues, n’étaient pas du tout en mesure de lui procurer. Cela
nous invite à les connaître un peu.
23 Le voyageur et commerçant savoyard Antoine Brun-Rollet (1810-1858) vécut de
longues années au Soudan, entre 1830 et 1850, et il sillonna plusieurs fois le Nil
Blanc, surtout pour obtenir de l’ivoire auprès des Shilluk, contre des verroteries.
Son ouvrage Le Nil Blanc et le Soudan. Études sur l’Afrique centrale et coutumes
des sauvages, publié en 1855 à Paris, où il fut admis à la Société de Géographie,
nous révèle néanmoins un personnage soucieux de connaître les peuples
nilotiques pour des raisons non purement pragmatiques :

À côté du grand précepte connais-toi toi-même, il en est un autre qui n’a pas
une portée moins élevée, quoique n’ayant pas été inscrit aussi souvent. C’est
celui-ci, connais au moins tes semblables. Et ce précepte […] ne se borne pas
à nous prescrire d’étudier les hommes au milieu desquels nous vivons […]. Il
nous dit encore que des millions d’hommes qui habitent la même terre que
nous nous sont complètement inconnus, que nous ne savons rien de leurs
mœurs, de leurs habitudes, de leurs coutumes28…
24 Selon ses propres dires, Brun-Rollet a « gagné la confiance des Chelouk », mais
pour tenir la conversation avec eux il devait compter sur un drogman
arabophone. Il est indiscutable que ses remarques à leur propos étaient fondées
sur l’observation, notamment celles concernant « la mystérieuse habitation du
roi » et les intrigues des prétendants au trône. Curieusement, il devançait, avant
la lettre, l’argument central d’Evans-Pritchard, quand celui-ci a voulu discréditer
les interprétations intellectualistes, frazériennes, de la mise à mort du roi sacré
Shilluk. Il n’était pas question d’éviter la décadence du monde, associée au
vieillissement d’un homme-dieu, mais tout simplement de mener un combat
politique entre des factions dynastiques régionales :

[…] il arrive souvent que les héritiers, pressés de jouir d’un titre trop
longtemps attendu, l’acquièrent par la violence et le meurtre, ce qui leur est
d’autant plus facile qu’ils ont un apanage de villages nombreux où ils
peuvent recruter des partisans29.

25 Brun-Rollet faisait référence à « un esprit invisible, créateur universel de


toutes choses », mais ne disait rien de concret sur le culte de Nyikang, le premier
roi divinisé, qu’incarnaient ses successeurs. Quoi qu’il en soit, sa familiarité
relative avec le système « autocratique » des Shilluk a probablement influencé sa
divagation à propos des Nuer, quelques pages plus loin. Ils auraient non
seulement des « rois » ou des « chefs guerriers », mais « une sorte de pape », à la
tête d’une religion qui cachait peut-être des vestiges d’une ancienne influence
éthiopienne :

Les Nouer ne reconnaissent qu’un seul Dieu, qu’ils appellent Néar. Le chef
du culte, appelé Dowa, est une sorte de pape pour lequel on professe une
vénération extrême, voisine de l’adoration. Les Nouer s’imaginent qu’il est
non seulement inaccessible aux besoins de la nature humaine, comme par
exemple à la faim, mais encore ils le croient immortel ; aussi lorsque sa
mort arrive, elle est soigneusement cachée par ses disciples, ou prêtres
auxiliaires, dont le plus âgé le remplace. Sa demeure est entourée de
palissades et inaccessible à tout autre qu’à ses disciples et aux rois ou chefs
guerriers. […] Rien ne se fait dans la tribu sans qu’il soit consulté ; il passe sa
vie, disent ses ouailles, à communiquer avec les esprits qui dominent ce
monde30…

26 Tylor eut le réflexe de ne citer que la première phrase de ce passage, mais c’est
semble-t-il par un pur hasard que Brun-Rollet a annoncé l’idée d’un
monothéisme Nuer, laquelle réapparaîtra dans des récits ultérieurs, notamment
au xxe siècle. Par la main du missionnaire Giuseppe Pasquale Crazzolara (1884-
1976), auteur de Zur Gesellschaft und Religion der Nueer, de 1953, l’être suprême
des Nuer est même entré dans le circuit néo-dégénérationniste du Père Wilhelm
Schmidt (1868-1954), très redevable à Andrew Lang. Nous savons que dans sa
monographie sur la religion des Nuer, Evans-Pritchard parlait lui aussi de la
« tendance fort monothéiste de leur pensée religieuse », même si leur dieu
n’avait pas de nom31.
27 Quant aux rois et au pape, il est vrai que plusieurs visiteurs du pays Nuer, y
compris les militaires britanniques au début du siècle dernier, crurent par
moments que les Nuer avaient des chefs – des cheiks, pour employer le
vocabulaire en vogue dans le milieu soudanais. Mais la littérature accumulée va
dans le sens d’une corroboration de la longue durée de l’organisation tribale
égalitaire, reconstituée tant bien que mal par Evans-Pritchard dans un moment
de transition vers l’ordre colonial. La désignation même de chefs à peau de
léopard était contredite par des références explicites à leur manque d’autorité
politique32. « L’absence de toute figure ayant une autorité suffisante », a écrit
Evans-Pritchard en 1940, « fut constatée en des termes très nets par les premiers
officiers britanniques qui entrèrent dans le territoire nuer »33. Seulement les
prophètes, et sûrement pas les chefs à peau de léopard (kuaar muon), auraient pu
correspondre quelque peu à la fantaisie de Brun-Rollet, mais les historiens du
prophétisme Nuer, en particulier Douglas Johnson, n’admettent guère que ce
mouvement ait des antécédents dans les premières décennies du xixe siècle34. On
pourrait encore citer Percy Coriat (1898-1960), District Commissioner des Nuer
dans les années 1920, pour qui les kuaar muon auraient eu, jadis, des pouvoirs
« autocratiques et demi-divins ». Il fut un ethnographe d’une certaine envergure,
mais il s’agissait là d’une pure conjecture : il était parfaitement conscient que ce
n’était pas du tout le cas dans le présent35.
28 Bref, Edward Tylor ne se gênait nullement de citer un exemple de
monothéisme « sauvage » pour affirmer l’universalité de l’animisme ; sauf que
les fondements ethnographiques de sa démonstration s’avéraient fragiles.
Passons cependant à l’explorateur français Guillaume Lejean (1828-1871), qui
remonta lui aussi le Nil Blanc et alla jusqu’au Bahr al Ghazal en 1860. Avant la
publication de son Voyage aux deux Nils, entre 1865 et 1868, il publia dans la
Revue des deux mondes l’article « Le Haut-Nil et le Soudan. Souvenirs de voyage »,
que citait Tylor dans Primitive Culture. Encore une fois, il était question d’un être
suprême, cette fois-ci chez les Dinka, ce que confirmeront les anthropologues
professionnels du xxe siècle, en particulier Godfrey Lienhardt (1921-1993). Lejean
commençait par dire que « le nègre du Nil » pouvait paraître « dépourvu d’idées
religieuses ». Une telle impression était néanmoins contrebalancée par cette
autre révélation :

[Q]uand on a appris la langue des noirs et inspiré une certaine confiance


aux vieillards, on obtient d’eux certaines demi-confidences, réminiscences
obscures d’une tradition qui s’efface dans la nuit. Les Denka, la plus
nombreuse des tribus niliennes, rendent un culte ou plutôt un hommage
fort théorique à l’Être tout-puissant, habitant du ciel d’où il voit tout, et
appelé Dendid (la Grande-Pluie, c’est-à-dire la bénédiction universelle).
Dendid peut tout ; mais comme il est tout bien, il ne peut faire que le bien ;
aussi, comme on ne le craint pas, on ne le prie jamais36.

29 Le fait que Lejean ait lui-même qualifié ces données de « demi-confidences »


semblait leur prêter plus de vraisemblance, mais le fait est que son récit et, du
coup, son observation se confondent, de manière problématique, avec les
travaux linguistiques et ethnographiques des missionnaires catholiques de
Gondokoro, notamment du Père Giovanni Beltrame (1842-1906), dont il citait un
manuscrit. Deux années plus tard, dans Schilderungen aus Centralafrika oder
Land und Leute im obern Nilgebiete am weissen Flusse, un autre missionnaire de
Gondokoro, Anton Kaufmann (1821-1882), véhiculait pratiquement la même
formule sur les Dinka. Retrouvons le passage original, très bref, auquel Tylor
faisait allusion, concernant leur croyance en un être suprême (qui, pour
Kaufmann, était Dieu en majuscule, bien entendu) :

Ces noirs, pour qui un grand troupeau de bœufs constitue le bonheur


absolu, sont assez détachés en matière de sujets spirituels. Mais ils
connaissent Dieu — ils l’appellent Den-did — et ils savent qu’Il a tout créé.
Seulement Dieu est bon, et toujours bon. C’est pourquoi ils ne pensent pas à
Lui, ils ne Le craignent pas, car tout le mal vient du Diable37.

30 Il y avait dans ces premières ethnographies nilotiques une sorte d’essence


fragmentaire ou fautive qui représentait un défi énorme pour l’anthropologue
qui s’en servait dans les cabinets d’Europe. Tout compte fait, c’est l’intuition de
Tylor qui l’a guidé dans ce labyrinthe. En rétrospective, et pour l’essentiel, il est
surprenant de constater qu’il n’a pas eu tort d’accepter que les Nuer ou les Dinka
croyaient en un dieu suprême, alors qu’il pouvait (voire préférait) se contenter
d’êtres spirituels bien plus modestes.
31 À partir du manuscrit du Père Beltrame, Guillaume Lejean citait encore « un
chant antique et singulier » des Dinka, qui paraîtra également, cette fois-ci en
Dinka et en Allemand, dans l’ouvrage de Kaufmann. Tylor le traduisit à son tour
en Anglais, justement pour évoquer les dangers associés à l’interprétation des
sources. Nous nous en tenons, bien entendu, à la version française de Lejean :

Au commencement, quand Dendid créa toutes choses,


Il créa le soleil ;
Et le soleil naît, et meurt et revient.
Il créa la lune,
Et la lune naît, et meurt et revient.
Il créa les étoiles,
Et les étoiles naissent, et meurent et reviennent.
Il créa l’homme,
Et l’homme naît, et meurt et ne revient plus38…

32 Il s’agissait apparemment, disait Tylor, de « l’une des négations les plus


formelles de la vie après la mort, jamais enregistrées chez un peuple non
cultivé39 ». Le Père Kaufmann lui-même avait affirmé :

Ils pensent que tout se finit au moment de la mort. Ils ne croient pas à
l’immortalité de l’âme. L’âme n’est qu’un souffle, un soupir. La chanson
Dinka traduit parfaitement ce concept. (…) Donc, l’homme ne revient
jamais ; avec la mort, tout se termine. Beaucoup d’années seront nécessaires
pour que la confiance dans le missionnaire se transforme en foi ; pour qu’ils
croient en une vérité sans en avoir des preuves, puisqu’ils n’ont que la
parole du missionnaire40.

33 Or, ajoutait Tylor, l’ethnologue averti devait plutôt se méfier du chant Dinka et
de tout ce genre de tirade, puisque « le sauvage qui déclare que les morts ne
reviennent plus, peut vouloir dire tout simplement qu’ils sont décédés »41.
Richard Burton (1821-1890), par exemple, précisait que, dans la région des
grands lacs, la réponse indigène à sa question sur le destin des ancêtres enterrés
— « ils sont finis » — ne voulait pas dire que leurs fantômes ne survivent pas42.
Mais Tylor avait cette fois-ci la satisfaction de citer, à l’appui de sa thèse, une
ethnographie d’une autre qualité.

Henry Callaway et la critique post-


coloniale des archives
34 The Religious System of the Amazulu, publié en 1870 par le missionnaire de la
Church of England, Henry Callaway (1817-1890), qui travaillait depuis plus de dix
ans à Insunguze — dans la colonie britannique du Natal, voisine du royaume
zoulou, encore indépendant — est incontestablement l’une des ethnographies les
plus riches et les plus solides du xixe siècle. Tylor s’aperçut très vite de l’aspect
exceptionnel de cet ouvrage et se fit un point d’honneur de l’utiliser
abondamment tout au long de Primitive Culture, qui était pourtant en phase
finale d’élaboration. Callaway sera influencé à son tour par les idées de Tylor,
mais ce qu’il y a de frappant dans son œuvre, c’est l’option profondément
boasienne avant la lettre, de ne pas impreigner les paroles indigènes
d’interprétations théoriques. Il alla jusqu’au point de s’éclipser en tant qu’auteur,
laissant toute la place à ses informateurs Zoulous. The Religious System of the
Amazulu est un ouvrage bilingue, en Zoulou et en Anglais, sous forme
d’interview. Comme le disait Callaway, il s’agissait très humblement de « papers
written at the dictation of natives »43.
35 Tylor citait l’un des informateurs de Callaway, d’après lequel Unkulunkulu,
premier homme démiurgique, avait déterminé que les gens « devaient mourir et
ne plus jamais se lever »44. Sans une mise en contexte, cette affirmation pouvait
induire en erreur et faire croire que, pour les Zoulous, il n’y avait pas de vie
après la mort – l’un de piliers même de l’animisme. Mais l’ethnographie de
Callaway permettait d’en saisir la véritable portée :

Connaissant comme nous la connaissons, d’une manière si complète, la


théologie des Zoulous, dont les fantômes non seulement survivent dans le
monde souterrain, mais sont les divinités même des vivants, nous pouvons
accorder à ces affirmations leur sens exact. Mais si nous ne disposions pas
d’une telle information, nous aurions pu les prendre pour des négations de
l’existence de l’âme après la mort45.

36 Il était question d’un culte des ancêtres, les Amatongo, qui effectivement ne se
levaient plus, car ils prenaient la forme de serpents, comme en témoignent ces
paroles d’Ufulatela Sitole, l’un des informateurs de Callaway :

Les Amadhlozi, les hommes morts, au moment où ils sont décédés, ils ont
changé de nouveau et sont devenus des Amatongo, et ils rampent sur leur
ventre, et donc les vieux disent qu’un homme mort transformé de cette
manière est un Itongo. C’est un serpent46.

37 En contraste avec la pauvreté des occurrences ethnographiques Nuer ou Dinka


en matière de religion, l’ouvrage de Callaway servait à démontrer de façon très
rigoureuse que toute tentative de négation des croyances animistes de telle ou
telle population devait susciter chez les anthropologues les plus grandes
réserves47. Malgré le peu d’attention que lui accordent les historiens de
l’anthropologie, Callaway demeure une source incontournable dans le domaine
zoulou, pour des raisons évidentes. Son choix d’enregistrer la parole
vernaculaire de ses informateurs — des convertis qui avaient quitté leur pays et
qui visiblement étaient très proches du missionnaire —, transforme son œuvre
en un document historique dont la valeur heuristique est pérenne. Tout au moins
devant lui, ces indigènes affirmaient leur propre distance par rapport aux
croyances traditionnelles, mais nul doute qu’ils les connaissaient très bien, de
l’intérieur.
38 Les conditions coloniales de production sont évidemment un critère à prendre
en ligne de compte dans l’évaluation de cette littérature, mais il est discutable
qu’une telle préoccupation en épuise la portée historique. Chacun à sa manière,
avec une autorité et un savoir fort inégaux, Callaway en Afrique du Sud ou Brun-
Rollet dans le sud du Soudan étaient pour Tylor, comme tous les ethnographes
cités dans Primitive Culture, des « combleurs » de lacunes – excusez le
néologisme. Autrement dit, la valeur de chaque citation était toute relative et ne
dépendait que de sa rareté ou de sa représentativité.
39 Sans pour autant les nier, nous savons que Tylor ne s’intéressait pas de façon
prioritaire aux particularités culturelles et historiques des phénomènes religieux
dans leurs lieux respectifs. En termes rétrospectifs de l’histoire de
l’anthropologie, l’une des caractéristiques de ce point de vue les plus critiquées
ou critiquables était le manque d’attention qu’il portait aux différences de sens à
l’intérieur d’une même catégorie religieuse (ou de ce qu’il percevait comme étant
une même catégorie religieuse). Au lieu de traiter les religions en tant que
systèmes, il pulvérisait leurs composantes respectives à travers les différents
chapitres de l’ouvrage. Au premier abord, nous sommes devant une réduction
drastique des significations dans chaque contexte, comme si l’auteur avait laissé
de côté tout ce qui allait intéresser l’anthropologie du xxe siècle. On se doit
toutefois de préciser que Tylor ne cherchait pas à expliquer — et non plus à
nier — les particularités culturelles et historiques de ces phénomènes dans leurs
lieux respectifs, de pair avec son usage de termes vernaculaires. Il était bien
conscient que les différentes conceptions religieuses, tout en ayant des
fondements psychologiques communs, avaient été forgées en société :

L’homme est un « animal social », comme l’a remarqué Aristote il y a


longtemps, et une grande partie de sa façon de voir le monde extérieur et de
ses réponses aux impressions que celui-ci lui provoque est déterminée, non
par lui-même, mais par la vision du monde qui domine la société où son
propre appareil mental s’est développé48.

40 Cela expliquait par ailleurs les variations flagrantes de chaque type de


croyance, y compris les caractéristiques exactes de l’âme. En outre, les idées
même de développement et de survivance étaient inséparables d’histoires
concrètes de transformation ou de conservatisme social. Tylor s’est limité à
donner une réponse, sa réponse, à une question sur la civilisation dans son
ensemble - en particulier sur la religion de l’humanité - sans pour autant nier les
cultures ou les civilisations au pluriel49.
41 Cela pour dire que son entreprise anthropologique était entièrement et
profondément fondée sur des bases empiriques, liées aux illustrations diverses
de chaque catégorie animiste. Or, nous savons que beaucoup d’anthropologues
croient aujourd’hui que le changement de perspective vers une anthropologie en
tant que forme textuelle, de pair avec la sensibilité post-coloniale envers les
questions de pouvoir, empêche de démêler les faits empiriques et le processus
discursif, jusqu’au point de « mettre sérieusement en question les faits eux-
mêmes »50. Une telle option, on le sait bien, est en rapport avec la critique de la
production du savoir en tant que dérivation colonialiste, voire de l’empirisme en
tant qu’idéologie occidentale jetable. De ce point de vue, les documents
ethnographiques ne doivent pas être envisagés en tant que « collection de
données », mais comme des « cas complexes d’un discours qui produits ses objets
comme étant réels, c’est-à-dire existants avant et en dehors du discours »51. Il
n’est pas question pour nous de nier que la connaissance ethnographique
s’imbriquait dans des questions de pouvoir colonial. Nous voulons pourtant
suggérer que le binôme connaissance/pouvoir est devenu lui-même une forme
d’hégémonie ; et revendiquer le droit d’admettre que les archives renferment un
savoir dont la valeur contrastée et la portée inégale ne peuvent ou ne doivent
aucunement être réduits aux questions de pouvoir et de discours.
42 La compréhension de l’immensité, pour ne pas dire de l’incommensura-bilité
des archives coloniales, revendiquée par l’anthropologie à l’heure actuelle et en
particulier par l’anthropologie historique, a pour conséquence l’élévation des
archives elles-mêmes, de leur construction et de leur monumentalité, au statut
d’objet. « L’anthropologie historique s’éloigne des contenus des archives du
colonialisme pour s’orienter vers les divagations de leurs formes 52». Nous
proposons, sous l’inspiration de Tylor, de faire une suspension de jugement par
rapport à ce que rejette cette tendance intellectuelle, tout en soupçonnant qu’elle
mine la diversité des évaluations du contenu ethnographique de milliers de
documents, dont beaucoup peuvent être autrement riches et utiles par la
recherche anthropologique et historique présente et future. En effet, l’un des
risques de la surévaluation de la forme au détriment des contenus empiriques
est la dilution de la bibliographie anthropologique en une sorte de plasma
colonial qui ne fait pas la différence entre des recueils ethnographiques de
qualité, voire d’excellence, souvent publiés sous forme de livre explicitement
dirigé à la communauté savante, et des documents mineurs, pour ainsi dire. De
même, les efforts, les privations et les émotions des différents agents ont
tendance à être nivelés sous l’angle de la violence coloniale, liée à l’anxiété de la
domination d’une masse non suffisamment circonscrite. Au lieu de remanier les
contenus descriptifs des ethnographies du passé, on cherche davantage à
démontrer leur imbrication dans cette violence, ce qui est censé démobiliser
toute autre voie analytique.
43 Sans avoir peur de la formule selon laquelle la « terreur de l’incommen-
surable » caractérisait le colonialisme, nous rejoignons ainsi la recherche des
critères alternatifs pour faire des distinctions et des coupures dans l’immensité
des archives, c’est-à-dire pour identifier des ethnographes (comme Callaway) qui
méritent, pour des raisons constructives, une place plus visible dans l’histoire de
l’anthropologie53. Le problème de l’universalité de l’animisme est indissociable
d’une perspective ethnographique cumulative qui représente en soi tout aussi
bien l’une des questions grandioses de Tylor. On peut même dire que la
proximité évolutive et psychologique de l’homme « civilisé » et de l’homme
« sauvage » avait son pendant méthodologique dans l’utilisation pêle-mêle,
chapitre après chapitre, de sources provenant de tous les temps et de toutes les
sociétés. Par l’étendue de son érudition, les archives de Tylor n’étaient pas que
coloniales ; et son anthropologie nous invite, de manière imprévue, à
questionner certaines obsessions post-coloniales. Au lieu de « nier » aux cultures
non européennes une existence extérieure à la situation coloniale, comme
semblent le faire beaucoup d’anthropologues aujourd’hui54, Tylor a plutôt nié
aux cultures européennes une existence extérieure à la situation « précoloniale »,
c’est-à-dire, à la « culture primitive ». Tout compte fait, son œuvre est on ne peut
plus aux antipodes d’une certaine sensibilité contemporaine, ce qui peut la
rendre pertinente pour des raisons imprévues, au-delà des situations de
survivance, de développement ou de résurgence du concept d’animisme.

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DOI : 10.1037/13484-000
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Notas
1 Par exemple Erickson, Murphy, 2008 ; McGee, Warms, 2008.
2 Voir Stringer, 1999, p. 542.
3 Il est curieux de constater que, dans Par-delà Nature et Culture, Descola n’évoque le nom
de Tylor qu’à deux reprises. Il a eu néanmoins d’autres occasions pour laisser comprendre
que l’acception originale du terme, trop collée à l’idée de religion, lui semble inutile (voir
par exemple 2006-2007).
4 Tylor, 1876 [1871], vol. 2, p. 142.
5 Voir Stocking Jr., 1987, p. 195.
6 Le cadre était complété par une référence à la magie, qui n’était point, il faut préciser,
un phénomène animiste ou religieux, puisqu’elle n’impliquait pas en elle-même des êtres
spirituels. Elle dérivait toutefois d’un processus d’association d’idées tout aussi
élémentaire, pour ne pas dire inéluctable, faisant partie intégrante du patrimoine
idéologique préhistorique au même titre que les manifestations animistes.
7 D’Hertfelt, 1992, p. 58.
8 Tylor, 1903 [1871], vol. 2, p. 248.
9 Id., 1871, vol. 2, p. 64.
10 Burrow, 1966, p. 256-257.
11 Voir Stocking, Jr., 1987, p. 188-197.
12 Tylor, 1903 [1871], vol. 1, p. 159.
13 Bird-David, 1999, p. 67.
14 Lang, 1887, vol. 1, p. 338.
15 Id., 1907, p. 6.
16 Voir Id., 1898.
17 Tylor, 1903 [1871], vol. 2, p. 332.
18 Lang, 1907, p. 11 ; les italiques sont de nous.
19 Id., 1899, p. 1016.
20 Tylor, 1871, vol. 1, p. 423.
21 Pour une mise en contexte du voyage de Baker et d’autres initiatives européennes dans
le sud du Soudan pendant la période ottomane, voir Moore-Harell, 2010.
22 Baker, 1867, p. 231.
23 Id., 1866, p. 41.
24 Id., 1867, p. 237.
25 Tylor, 1871, vol. 1, p. 423.
26 Evans-Pritchard, 1969 [1940], p. 1.
27 Id., 1956, p. V.
28 Brun-Rollet, 1855, p. 10.
29 Ibid., p. 94-95 ; voir Evans-Pritchard, 1948.
30 Brun-Rollet, 1855, pp. 223-224.
31 Evans-Pritchard, 1956, p. 49.
32 Voir Maxse, 1899, p. 6 ; Hawker, 1902, p. 5 ; Gordon, 1903, p. 12.
33 Evans-Pritchard, 1969 [1940], p. 172.
34 Voir Johnson, 1994.
35 Coriat, 1993 [1931], p. 198. À part Brun-Rollet, le seul auteur qui affirmait que les Nuer
obéissaient à un roi « comme les Schéllouks », c’était Hadji Abd-el-Hamid Bey, alias Louis-
Laurent du Couret (1812-1867), un voyageur français qui signa en 1854 un ouvrage intitulé
Voyage au pays des Niam-Niams ou hommes à queue (Du Couret, 1854, p. 82). Dans A
Biographical Dictionary of the Anglo-Egyptian Sudan, Richard Leslie Hill nous prévient que
Du Couret était probablement un charlatan, que ses voyages et même son identité sont
douteuses et qu’il existe la suspicion de l’interférence d’Alexandre Dumas (père) dans son
œuvre (Hill, 1967, p. 117).
36 Lejean, 1860, p. 760.
37 Kaufmann, 1862, p. 124.
38 Beltrame, ms. cité dans Lejean, 1860, p. 761 ; voir Tylor, 1871, vol. 2, p. 21.
39 Tylor, 1871, vol. 2, p. 20.
40 Kaufmann, 1862, p. 125.
41 Tylor, 1871, vol. 2, p. 20.
42 Ibid.
43 Callaway, 1870, p. 83.
44 Tylor, 1871, vol. 2, pp. 20-21 ; voir Callaway, 1870, p. 84.
45 Ibid.
46 Voir Callaway, 1870, p. 7.
47 Du reste, ce contraste était aussi bien quantitatif que qualitatif. Il ne s’agissait pas de
quelques pages ou de quelques paragraphes, mais d’une monographie de 448 pages,
entièrement consacrée aux croyances et aux pratiques rituelles des Zoulous.
48 Tylor, 1905, p. 142. Les italiques sont de nous.
49 Quoiqu’elle en soit devenue le canon dans l’historiographie de l’anthropologie, nous ne
sommes donc pas d’accord avec l’interprétation de Stocking, Jr., selon laquelle Tylor
n’avait pas cette notion plurielle (Stocking, Jr., 1968).
50 Manganaro, 1990, p. VI.
51 Axel, 1981, p. 13.
52 Id., 2002, p. 21
53 Ibid, p. 20.
54 Voir Sahlins, 2000.

Para citar este artigo


Referência do documento impresso
Frederico Delgado Rosa, «Aux archives de l’animisme », Mélanges de la Casa de Velázquez, 45-
1 | 2015, 221-242.

Referência eletrónica
Frederico Delgado Rosa, «Aux archives de l’animisme », Mélanges de la Casa de Velázquez
[Online], 45-1 | 2015, posto online no dia 01 janeiro 2018, consultado o 18 outubro 2024. URL:
http://journals.openedition.org/mcv/6228; DOI: https://doi.org/10.4000/mcv.6228

Autor
Frederico Delgado Rosa
CRIA-FCSH/NOVA – Centro em Rede de Investigação em Antropologia (Lisbonne)

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