Leçon Sur La Leçon, Pierre Bourdieu
Leçon Sur La Leçon, Pierre Bourdieu
Leçon Sur La Leçon, Pierre Bourdieu
PIERRE BOURDIEU
LEÇON SUR LA LEÇON
LES ÉDITIONS DE MINUIT
ISBN 9782707337450
On devrait pouvoir prononcer une leçon, même inaugurale, sans se
demander de quel droit : l’institution est là pour écarter cette interrogation,
et l’angoisse liée à l’arbitraire qui se rappelle dans les commencements.
Rite d’agrégation et d’investiture, la leçon inaugurale, inceptio, réalise
symboliquement l’acte de délégation au terme duquel le nouveau maître
est autorisé à parler avec autorité et qui institue sa parole en discours
légitime, prononcé par qui de droit. L’efficacité proprement magique du
rituel repose sur l’échange silencieux et invisible entre le nouvel entrant,
qui offre publiquement sa parole, et les savants réunis qui attestent par
leur présence en corps que cette parole, d’être ainsi reçue par les maîtres
les plus éminents, devient universellement recevable, c’est-à-dire, au sens
fort, magistrale. Mais mieux vaut éviter de pousser trop loin le jeu de la
leçon inaugurale sur la leçon inaugurale : la sociologie, science de
l’institution et du rapport, heureux ou malheureux, à l’institution,
suppose et produit une distance insurmontable, et parfois insupportable,
et pas seulement pour l’institution ; elle arrache à l’état d’innocence qui
permet de remplir avec bonheur les attentes de l’institution.Parabole
ou paradigme, la leçon sur la leçon, discours qui se réfléchit lui-même
dans l’acte du discours, aurait au moins pour vertu de rappeler une
des propriétés les plus fondamentales de la sociologie telle que je la
conçois : toutes les propositions que cette science énonce peuvent et
doivent s’appliquer au sujet qui fait la science. C’est lorsqu’il ne sait pas
introduire cette distance objectivante, donc critique, que le sociologue
donne raison à ceux qui voient en lui une sorte d’inquisiteur terroriste,
disponible pour toutes les actions de police symbolique. On n’entre pas en
sociologie sans déchirer les adhérences et les adhésions par lesquelles on
tient d’ordinaire à des groupes, sans abjurer les croyances qui sont
constitutives de l’appartenance et renier tout lien d’affiliation ou de
filiation. Ainsi, le sociologue issu de ce que l’on appelle le peuple et
parvenu à ce que l’on appelle l’élite ne peut accéder à la lucidité spéciale
qui est associée à toute espèce de dépaysement social qu’à condition de
dénoncer et la représentation populiste du peuple, qui ne trompe que ses
auteurs, et la représentation élitiste des élites, bien faite pour tromper à la
fois ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas.
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Tenir l’insertion sociale du savant pour un obstacle insurmontable
à la construction d’une sociologie scientifique, c’est oublier que le
sociologue trouve des armes contre les déterminismes sociaux dans la
science même qui les porte au jour, donc à sa conscience. La sociologie de
la sociologie, qui permet de mobiliser contre la science se faisant les acquis
de la science déjà faite, est un instrument indispensable de la méthode
sociologique : on fait de la science – et surtout de la
sociologie – contre sa formation autant qu’avec sa formation. Et seule
l’histoire peut nous débarrasser de l’histoire. C’est ainsi que l’histoire
sociale de la science sociale, à condition qu’elle se conçoive aussi
comme une science de l’inconscient, dans la grande tradition
d’épistémologie historique illustrée par Georges Canguilhem et Michel
Foucault, est un des moyens les plus puissants pour s’arracher à l’histoire,
c’est-à-dire à l’emprise d’un passé incorporé qui se survit dans le présent
ou d’un présent qui, comme celui des modes intellectuelles, est déjà passé
au moment de son apparition. Si la sociologie du système d’enseignement
et du monde intellectuel me paraît primordiale, c’est qu’elle contribue
aussi à la connaissance du sujet de connaissance en introduisant,
plus directement que toutes les analyses réflexives, aux catégories
de pensée impensées qui délimitent le pensable et prédéterminent le
pensé : qu’il suffise d’évoquer l’univers de présupposés, de censures et
de lacunes que toute éducation réussie fait accepter et ignorer, traçant le
cercle magique de la suffisance démunie où les écoles d’élite enferment
leurs élus.
La critique épistémologique ne va pas sans une critique sociale.
Et pour mesurer ce qui nous sépare de la sociologie classique, il suffit
d’observer que l’auteur des « Formes primitives de classification » n’a
jamais conçu l’histoire sociale du système d’enseignement qu’il proposait
dans l’Évolution pédagogique en France comme la sociologie génétique
des catégories de l’entendement professoral pour laquelle il fournissait
pourtant tous les instruments. Peut-être parce que le même Durkheim,
qui recommandait que la gestion de la chose publique fût confiée
aux savants, avait peine à prendre, à l’égard de sa position sociale de
maître à penser le social, la distance nécessaire pour la penser comme
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telle. De même, seule sans doute une histoire sociale du mouvement
ouvrier et de ses rapports avec ses théoriciens du dedans et du dehors
pourrait permettre de comprendre pourquoi ceux qui font profession de
marxisme n’ont jamais véritablement soumis la pensée de Marx et
surtout les usages sociaux qui en sont faits à l’épreuve de la sociologie
de la connaissance, dont Marx fut l’initiateur : pourtant, sans espérer
de la critique historique et sociologique qu’elle puisse jamais décourager
complètement l’utilisation théologique ou terroriste des écrits canoniques,
on pourrait au moins en attendre qu’elle détermine les plus lucides
et les plus résolus à s’arracher au sommeil dogmatique pour mettre
à l’œuvre, c’est-à-dire à l’épreuve, dans une pratique scientifique,
des théories et des concepts auxquels la magie de l’exégèse toujours
recommencée assure la fausse éternité des mausolées.
Bien qu’elle doive évidemment quelque chose aux transformations
de l’institution scolaire qui autorisait la certitudo sui magistrale du
passé, cette interrogation critique ne doit pas être comprise comme une
concession à l’humeur anti-institutionnelle qui est dans l’air du temps.
Elle s’impose en effetcomme la seule manière d’échapper à ce principe
systématique d’erreur qu’est la tentation de la vision souveraine. Lorsqu’il
s’arroge le droit, qu’on lui reconnaît parfois, de dire les limites entre les
classes, les régions, les nations, de décider, avec l’autorité de la science, s’il
existe ou non des classes sociales, et combien, si telle ou telle classe sociale
– prolétariat, paysannerie ou petite bourgeoisie –, telle ou telle unité
géographique – Bretagne, Corse ou Occitanie –, est une réalité ou une
fiction, le sociologue assume ou usurpe les fonctions du rex archaïque,
investi, selon Benveniste, du pouvoir de regere fines et de regere sacra, de
dire les frontières, les limites, c’est-à-dire le sacré. Le latin, que j’invoque
aussi en hommage à Pierre Courcelle, a un autre mot, moins prestigieux
et plus proche des réalités d’aujourd’hui, celui de censor, pour désigner le
détenteur statutaire de ce pouvoir de constitution qui appartient au dire
autorisé, capable de faire exister dans les consciences et dans les choses
les divisions du monde social : le censor, responsable de l’opération
technique – census, recensement – consistant à classer les citoyens
selon leur fortune, est le sujet d’un jugement qui est plus proche de celui
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du juge que de celui du savant ; il consiste en effet – je cite Georges
Dumézil – à « situer (un homme, un acte ou une opinion, etc.) à sa
juste placehiérarchique, avec toutes les conséquences pratiques de cette
situation, et cela par une juste estimation publique ».
Pour rompre avec l’ambition, qui est celle des mythologies, de
fonder en raison les divisions arbitraires de l’ordre social, et d’abord la
division du travail, et de donner ainsi une solution logique ou cosmologique
au problème du classement des hommes, la sociologie doit prendre
pour objet, au lieu de s’y laisser prendre, la lutte pour le monopole de
la représentation légitime du monde social, cette lutte des classements
qui est une dimension de toute espèce de lutte des classes, classes d’âge,
classes sexuelles ou classes sociales. La classification anthropologique se
distingue des taxinomies zoologiques ou botaniques en ce que les objets
qu’elle met – ou remet – à leur place sont des sujets classants. Il suffit
de penser à ce qui adviendrait si, comme dans les fables, les chiens, les
renards et les loups avaient voixau chapitre s’agissant de la classification
des canidés et des limites de variation acceptables parmi les membres
reconnus de l’espèce et que la hiérarchie des caractéristiques retenues
pour déterminer les rangs dansla hiérarchie des genres et des espèces soit
de nature à commander les chances d’accès à la pitance, ou aux prix de
beauté. Bref, au grand désespoir du philosophe-roi qui, en leur assignant
une essence, prétend leur enjoindre d’être et de faire ce qui leur incombe
par définition, les classés, les mal classés, peuvent refuser le principe de
classement qui leur accorde la plus mauvaise place. En fait, l’histoire le
montre, c’est presque toujours sous la conduite de prétendants au monopole
du pouvoir dejuger et de classer, souvent eux-mêmes mal classés, sous
certains rapports au moins, dans le classement dominant, que les dominé
peuvent s’arracher à l’emprise du classement légitime et transformer leur
vision du monde en s’affranchissant de ces limites incorporées que sont
les catégories sociales de perception du monde social.
Ainsi, c’est une même chose de se découvrir inévitablement engagé
dans la lutte pourla construction et l’imposition de la taxinomie légitime,
et de se donner pour objet, en passant au second degré, la science de cette
lutte, c’est-à-dire la connaissance du fonctionnement et des fonctions des
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institutions qui s’y trouvent engagées – comme le système scolaire ou
les grands organismes officiels de recensement et de statistique sociale.
Penser comme tel l’espace de la lutte des classements – et la position du
sociologue dans cet espace ou par rapport à lui – ne conduit nullement
à anéantir la science dans le relativisme. Sans doute le sociologue n’est-
il plus l’arbitre impartial ou le spectateur divin, seul apte à dire où est
la vérité – ou, pour parler comme le sens commun, qui a raison –, ce
qui revient à identifier l’objectivité à une distribution ostentatoirement
équitable des torts et des raisons. Mais il est celui qui s’efforce de direla
vérité de luttes qui ont pour enjeu – entre autres choses – la vérité. Par
exemple, au lieu de trancher entre ceux qui affirment et ceux qui nient
l’existence d’une classe, d’une région ou d’une nation, il travaille à établir
la logique spécifique de cette lutte et à déterminer, à travers une analysede
l’état du rapport de forces et des mécanismes de sa transformation, les
chances des différents camps. Il lui appartient de construire un modèle
vrai des luttes pour l’imposition de la représentation vraie de la réalitéqui
contribuent à faire la réalité telle qu’elle se livre à l’enregistrement. C’est
ainsi que procède Georges Duby lorsque, au lieu de l’accepter comme
un instrument indiscuté du travail d’historien, il prend pour objet de
l’analyse historique le schème des trois ordres, c’est-à-dire le système de
classement à travers lequel la science historique a coutumede penser la
société féodale ; pour découvrir que ce principe de division, qui est à
la fois l’enjeu et le produit des luttes entre les groupes prétendant au
monopole du pouvoir de constitution, évêques et chevaliers, a contribué
à produire la réalité même qu’il permet de penser. De la même façon, le
constat que le sociologue établit à un moment donné du temps touchant
les propriétés ou les opinions des différentes classes sociales, les critères
de classement mêmes qu’il doit utiliser pour opérer ce constat,sont aussi
le produit de toute l’histoire des luttes symboliques qui, ayant pour enjeu
l’existence et la définition des classes, ont contribué très réellement à faire
les classes : l’aboutissement présent de ces luttes passées dépend, pour
une part non négligeable, de l’effet de théorie exercé par les sociologies du
passé et notamment par celles qui ont contribué à faire la classe ouvrière,
et, du même coup, les autres classes, en contribuant à lui faire croire
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et à faire croire qu’elle existe en tant que prolétariat révolutionnaire. À
mesure que la science sociale progresse, et que progresse sa divulgation,
les sociologues doivent s’attendre à rencontrer de plus en plus souvent,
réalisée dans leur objet, la science sociale du passé.
Mais il suffit de penser au rôle que les luttes politiques font jouer
à la prévision, ou au simple constat, pour comprendre que le sociologue le
plus rigoureusement attaché à décrire sera toujours soupçonné de prescrire
ou de proscrire. Dans l’existence ordinaire, on ne parle pratiquement
jamais de ce qui est que pour dire, par surcroît, qu’il est conforme ou
contraire à la nature des choses, normal ou anormal, admis ou exclu, béni
ou maudit. Les noms sont assortis d’adjectifs tacites, les verbes d’adverbes
silencieux qui tendent à consacrer ou à condamner, à instituer comme
digne d’exister et de persévérer dans l’être ou, au contraire, à destituer, à
dégrader, à discréditer. Aussi n’est-il pas facile d’arracher le discours de la
science à la logique du procès dans laquelle on veut le faire fonctionner, ne
fût-ce que pour se donner la liberté de le condamner. Ainsi, la description
scientifique du rapport que les plus démunis culturellement entretiennent
avec la culture savante a toutes les chances d’être comprise soit comme une
manière sournoise de condamner le peuple à l’ignorance soit, à l’inverse,
comme une manière dissimulée de réhabiliter ou de célébrer l’inculture
et de démolir les valeurs de culture. Et que dire des cas où l’effort pour
rendre raison, en quoi consiste toujours le travail de la science, risque
d’apparaître comme une façon de justifier, voire de disculper ? Devant la
servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de
la torture ou de la violence des camps de concentration, le « c’est ainsi »
que l’on peut prononcer, avec Hegel, devant les montagnes revêt la valeur
d’une complicité criminelle. Parce que rien n’est moins neutre, quand il
s’agit du monde social, que d’énoncer l’être avec autorité, c’est-à-dire avec
le pouvoir de faire voir et de faire croire que confère la capacité reconnue
de prévoir, les constats de la science exercent inévitablement une efficace
politique, qui peut n’être pas celle que voudrait exercer le savant.
Pourtant, ceux qui déplorent le pessimisme désenchanteur ou les
effets démobilisateurs de l’analyse sociologique lorsqu’elle formule par
exemple les lois de la reproduction sociale sont à peu près aussi fondés
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que ceux qui reprocheraient à Galilée d’avoir découragé le rêve de vol
en construisant la loi de la chute des corps. Enoncer une loi sociale
comme celle qui établit que le capital culturel va au capital culturel,
c’est offrir la possibilité d’introduire parmi les circonstances propres à
contribuer à l’effet qu’elle prévoit – dans le cas particulier, l’élimination
scolaire des enfants les plus dépourvus de capital culturel – les « éléments
modificateurs », comme disait Auguste Comte, qui, si faibles soient-ils en
eux-mêmes, peuvent suffire à transformer dans le sens de nos souhaits
le résultat des mécanismes. Du fait que la connaissance des mécanismes
permet, ici comme ailleurs, de déterminer les conditions et les moyens
d’une action destinée à les maîtriser, le refus du sociologisme qui traite
le probable comme un destin se justifie en tout cas ; et les mouvements
d’émancipation sont là pour prouver qu’une certaine dose d’utopisme,
cette négation magique du réel qu’on dirait ailleurs névrotique, peut même
contribuer à créer les conditions politiques d’une négation pratique du
constat réaliste. Mais surtout, la connaissance exerce par soi un effet – qui
me paraît libérateur – toutes les fois que les mécanismes dont elle
établit les lois de fonctionnement doivent une part de leur efficacité à la
méconnaissance, c’est-à-dire toutes les fois qu’elle touche aux fondements
de la violence symbolique. Cette forme particulière de violence ne peut
en effet s’exercer que sur des sujets connaissants, mais dont les actes de
connaissance, parce que partiels et mystifiés, enferment la reconnaissance
tacite de la domination qui est impliquée dans la méconnaissance des
fondements vrais de la domination. On comprend que la sociologie se
voie sans cesse contester le statut de science, et d’abord évidemment par
tous ceux qui ont besoin des ténèbres de la méconnaissance pour exercer
leur commerce symbolique.
La nécessité de répudier la tentation régalienne ne s’impose jamais
aussi absolument que lorsqu’il s’agit de penser scientifiquement le monde
scientifique lui-même ou, plus largement, le monde intellectuel. S’il a fallu
repenser de fond en comble la sociologie des intellectuels, c’est que, du fait
de l’importance des intérêts en jeu et des investissements consentis, il est
suprêmement difficile, pour un intellectuel, d’échapper à la logique de la
lutte dans laquelle chacun se fait volontiers le sociologue – au sens le plus
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brutalement sociologiste – de ses adversaires, en même temps que son propre
idéologue, selon la loi des cécités et des lucidités croisées qui règle toutes
les luttes sociales pour la vérité. C’est pourtant à condition d’appréhender
le jeu en tant que tel, avec les enjeux, les règles ou les régularités qui lui sont
propres, les investissements spécifiques qui s’y engendrent et les intérêts
qui s’y assouvissent, qu’il peut simultanément et s’en dégager par et pour
la distance constitutive de la représentation théorique et s’y découvrir
engagé, à une place déterminée, avec des enjeux et des investissements
déterminés et déterminants. Quelles que soient ses prétentions
scientifiques, l’objectivation est vouée à rester partielle, donc fausse, aussi
longtemps qu’elle ignore ou refuse de voir le point de vue à partir duquel
elle s’énonce, donc le jeu dans son ensemble. Construire le jeu comme tel,
c’est-à-dire comme un espace de positions objectives qui est au principe,
entre autres choses, de la vision que les occupants de chaque position
peuvent avoir des autres positions et de leurs occupants, c’est se donner
le moyen d’objectiver scientifiquement l’ensemble des objectivations plus
ou moins brutalement réductrices auxquelles se livrent les agents engagés
dans la lutte, et de les apercevoir pour ce qu’elles sont, des stratégies
symboliques qui visent à imposer la vérité partielle d’un groupe comme
la vérité des relations objectives entre les groupes. C’est découvrir par
surcroît qu’en laissant ignoré le jeu même qui les constitue en concurrents,
les adversaires complices s’accordent pour tenir masqué l’essentiel, c’est-
à-dire les intérêts attachés au fait de participer au jeu et la collusion
objective qui en résulte.
Il est trop évident que l’on ne doit pas attendre de la pensée des
limites qu’elle donne accès à la pensée sans limites – ce qui reviendrait
à ressusciter sous une autreforme l’illusion, formulée par Mannheim, de
« l’intelligentsia sans attaches ni racines », sorte de rêve de vol social
qui est le substitut historique de l’ambition du savoir absolu. Il reste que
chaque nouvel acquis de la sociologie de la science tend à renforcer la
science sociologique en accroissant la connaissance des déterminants
sociaux de la pensée sociologique, donc l’efficacité de la critique que
chacun peut opposer aux effets de ces déterminants sur sa propre pratique
et sur cellede ses concurrents. La science se renforce toutes les fois
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que se renforce la critique scientifique, c’est-à-dire, inséparablement, la
qualité scientifique des armes disponibles et la nécessité, pour triompher
scientifiquement, d’utiliser les armes de la science et celles-là seulement. Le
champ scientifique est, en effet, un champ de luttes comme un autre mais
où les dispositions critiques suscitées par la concurrence n’ont quelque
chance de trouver satisfaction que si elles peuvent mobiliser les ressources
scientifiques accumulées ; plus une science est avancée, donc dotée d’un
acquis collectif important, plus la participation à la lutte scientifique
suppose la possession d’un capital scientifique important. Il s’ensuit que
les révolutions scientifiques ne sont pas l’affaire des plus démunis mais des
plus riches scientifiquement. Ces lois simples permettent de comprendre
que des produits sociaux transhistoriques, c’est-à-dire relativement
indépendants de leurs conditions sociales de production, tels que les vérités
scientifiques, puissent surgir de l’historicité d’une configuration sociale
singulière, c’est-à-dire d’un champ social tel que celui de la physique ou de
la biologie aujourd’hui. Autrement dit, la science sociale peut rendre raison
du progrès paradoxal d’une raison de part en part historique et pourtant
irréductible à l’histoire : s’il y a une vérité, c’est que la vérité est un enjeu
de luttes ; mais cette lutte ne peut conduire à la vérité que lorsqu’elle
obéit à une logique telle qu’on ne peut triompher de ses adversaires qu’en
employant contre eux les armes de la science et en concourant ainsi au
progrès de la vérité scientifique.
Cette logique vaut aussi pour la sociologie : il suffirait que
puisse être pratiquement exigée de tous les participants et de tous les
prétendants la maîtrise des acquis – déjà immenses – de la discipline
pour que disparaissent de l’univers certaines pratiques qui disqualifient
la profession. Mais qui, dans le monde social, a intérêt à l’existence
d’une science autonome du monde social ? En tout cas, ce ne sont pas
les plus démunis scientifiquement : structuralementinclinés à chercher
dans l’alliance avec les puissances externes, quelles qu’elles soient, un
renfort ou une revanche contre les contraintes et les contrôles nés de la
concurrence interne, ils peuvent toujours trouver dans la dénonciation
politique un substitut facile de la critique scientifique. Ce ne sont pas
davantage les détenteurs d’un pouvoir temporel ou spirituel qui ne peuvent
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voir dans une science sociale réellement autonome que la plus redoutable
des concurrences. Surtout peut-être lorsque, renonçant à l’ambition de
légiférer, par où advient l’hétéronomie, elle revendique une autorité
négative, critique, c’est-à-dire critique d’elle-même et, par implication, de
tous les abus de science et de tous les abus de pouvoir qui sont commis
au nom de la science.
On comprend que l’existence de la sociologie comme discipline
scientifique soit sans cesse menacée. La vulnérabilité structurale qui résulte
de la possibilité de tricher avec les impératifs scientifiques par le jeu de
lapolitisation fait qu’elle a presque autant à craindre des pouvoirs qui
en attendent trop que de ceux qui veulent sa disparition. Les demandes
sociales sont toujours assorties de pressions, d’injonctions ou de séductions
et le plus grand service que l’on puisse rendre à la sociologie, c’est peut-
être de ne rien lui demander. Paul Veyne remarquait qu’« on reconnaît
de loin les grands antiquisants à certaines pages qu’ils n’écrivent pas ».
Que dire des sociologues qui sont sans cesse invités à outrepasser les
limites de leur science ? Il n’est pas si facile de renoncer aux gratifications
immédiates du prophétisme quotidien – d’autant quele silence, voué par
définition à passer inaperçu, laisse le champ libre à l’inanité sonore de la
fausse science. C’est ainsi que certains, faute de répudier les ambitions
de la philosophie sociale et les séductions de l’essayisme qui, présent
partout, a réponse à tout, peuvent passer toute une vie à se situer sur des
terrains où, en l’état actuel, la science est vaincue d’avance. Cependant
que d’autres trouvent au contraire dans ces excès une excuse pour justifier
la démission qu’impliquent souvent les prudences irréprochables de la
minutie idiographique.
La science sociale ne peut se constituer qu’en refusant la
demande sociale d’instruments de légitimation ou de manipulation. Le
sociologue – il peut lui arriver de ledéplorer – n’a pas de mandat, pas de
mission, sinon ceux qu’il s’assigne en vertu de la logique de sa recherche.
Ceux qui, par une usurpation essentielle, se sentent en droit ou se mettent
en devoir de parler pourle peuple, c’est-à-dire en sa faveur, mais aussi à sa
place, fût-ce, comme il m’est arrivé de le faire, pour dénoncer le racisme,
le misérabilisme ou le populisme de ceux qui parlent du peuple, ceux-là
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parlent encore poureux-mêmes ; ou, à tout le moins, ils parlent encore
d’eux-mêmes, en ce qu’ils tâchent ainsi, dans le meilleur des cas – je pense
par exemple à Michelet –, d’endormir la souffrance liée à la coupure
sociale en sefaisant peuple en imagination. Mais je dois ouvrir ici une
parenthèse : lorsque, comme je viens de le faire, le sociologue enseigne
à rapporter les actes ou les discours les plus « purs », ceux du savant, de
l’artiste oudu militant, aux conditions sociales de leur production et aux
intérêts spécifiques de leurs producteurs, loin d’encourager le parti pris
de réduction et de démolition dont s’enchantent l’aigreur et l’amertume,
ilentend seulement livrer le moyen de dépouiller de son impeccabilité
objective et subjective le rigorisme, voire le terrorisme du ressentiment ; à
commencer par celui qui naît de la transmutation d’un désir de revanche
sociale en revendication d’un égalitarisme compensatoire.
À travers le sociologue, agent historique historiquement situé,
sujet social socialement déterminé, l’histoire, c’est-à-dire la société dans
laquelle elle se survit, se retourne un moment sur soi, se réfléchit ; et, par
lui, tous les agents sociaux peuvent savoir un peu mieux ce qu’ils sont, et ce
qu’ils font. Mais cette tâche est précisément la dernière qu’aient envie de
confier au sociologue tous ceux qui ont partie liée avec la méconnaissance,
la dénégation, le refus de savoir, et qui sont prêts à reconnaître comme
scientifiques, en toute bonne foi, toutes les formesde discours qui ne
parlent pas du monde social ou qui en parlent sur un mode tel qu’ils n’en
parlent pas. Cette demande négative n’a pas besoin, sauf exception, de
se déclarer dans des censures expresses : en effet, du fait que la science
rigoureuse suppose des ruptures décisoires avec les évidences, il suffit de
laisser faire les routines de la pensée commune ou les inclinations du bon
sens bourgeois pour obtenir les considérations infalsifiables de l’essayisme
planétaire ou les demi-savoirs de la science officielle. Une bonne part de ce
que le sociologue travaille à découvrir n’est pas caché au même sens que ce
que les sciences de la nature visent à porter au jour. Nombre des réalités
ou des relations qu’il met à découvert ne sont pas invisibles, ou seulement
au sens où « elles crèvent les yeux », selon le paradigme de la lettre volée
cher à Lacan : je pense par exemple à la relation statistique qui unit
les pratiques ou les préférences culturelles à l’éducation reçue. Le travail
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nécessaire pour produire au jour la vérité et pour la faire reconnaître une
fois produite se heurte aux mécanismes de défense collectifs qui tendent à
assurer une véritable dénégation, au sens de Freud. Le refus de reconnaître
une réalité traumatisante étant à la mesure des intérêts défendus, on
comprend la violence extrême des réactions de résistance que suscitent,
chez les détenteurs de capital culturel, les analyses qui portent au jour les
conditions de production et de reproduction déniées de la culture : à des
gens dressés à se penser sous les espèces de l’unique et de l’inné, elles ne
font découvrir que le commun et l’acquis. En ce cas, la connaissance de
soi est bien, comme le voulait Kant, « une descente aux Enfers ». Pareils
aux âmes qui, selon le mythe d’Er, doivent boire l’eau du fleuve Amélès,
porteuse d’oubli, avant de revenir sur terre pour y vivre les vies qu’elles
ont elles-mêmes choisies, les hommes de culture ne doivent leurs plus
pures jouissances culturelles qu’à l’amnésie de la genèse qui leur permet
de vivre leur culture comme un don de nature. Dans cette logique,
que connaît bien la psychanalyse, ils ne reculeront pas devant la
contradiction pour défendre l’erreur vitale qui est leur raison d’être et
sauver l’intégrité d’une identité fondée sur la conciliation des contraires :
recourant à une forme du paralogisme du chaudron tel que le décrit
Freud, ils pourront ainsi reprocher à l’objectivation scientifique à la fois
son absurdité et son évidence, donc sa banalité, sa vulgarité.
Les adversaires de la sociologie sont en droit de se demander
si une activité qui suppose et produit la négation d’une dénégation
collective doit exister ; mais rien ne les autorise à en contester le
caractère scientifique. Il est certain qu’il n’existe pas, à proprement parler,
de demande sociale pour un savoir total sur le monde social. Et seule
l’autonomie relative du champ de production scientifique et les intérêts
spécifiques qui s’y engendrent peuvent autoriser et favoriser l’apparition
d’une offre de produitsscientifiques, c’est-à-dire, le plus souvent, critiques,
qui sont en avance sur toute formede demande. En faveur du parti de la
science, qui est plus que jamais celui de l’Aufklärung, de la démystification,
on pourrait se contenter d’invoquer un texte de Descartes que Martial
Gueroult aimait à citer : « Je n’approuve point qu’on tâche à se tromper en
se repaissant de fausses imaginations. C’est pourquoi, voyant que c’est une
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plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu’elle soit à
notre désavantage, que de l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins
gai et avoir plus de connaissance. » La sociologie dévoile la self-deception,
le mensonge à soi-même collectivement entretenu et encouragé qui, en
toute société, est au fondement des valeurs les plus sacrées et, par là,
de toute l’existence sociale. Elle enseigne, avec Marcel Mauss, que « la
société se paie toujours elle-même de la fausse monnaie de son rêve ».
C’est dire que cette science iconoclaste des sociétés vieillissantes peut
contribuer au moins à nous rendre tant soit peu maîtres et possesseurs de
la nature sociale, en faisant progresser la connaissance et la conscience des
mécanismes qui sont au principe de toutes les formes de fétichisme : je
pense bien sûr à ce que Raymond Aron, qui a tant illustré cet enseignement,
appelle la « religion séculière », ce culte d’État qui est un culte de l’État,
avec ses fêtes civiles, ses cérémonies civiques et ses mythes nationaux ou
nationalistes, toujours prédisposés à susciter ou à justifier le mépris ou la
violence raciste, et qui n’est pas le fait des seuls États totalitaires ; mais
je pense aussi au culte de l’art et de la science qui, au titre d’idoles de
substitution, peuvent concourir à la légitimation d’un ordre social pour
une part fondé sur la distribution inégale du capital culturel. En tout cas,
on peut attendre au moins de la science sociale qu’elle fasse reculer la
tentation de la magie, cette hubris de l’ignorance ignorante d’elle-même
qui, chassée du rapport au monde naturel, survit dans le rapport au monde
social. La revanche du réel est impitoyable pour la bonne volonté mal
éclairée ou le volontarisme utopiste ; et le destin tragique des entreprises
politiques qui se sont réclamées d’une science sociale présomptueuse
est là pour rappeler que l’ambition magique de transformer le monde
social sans en connaître les ressorts s’expose à remplacer par une autre
violence, parfois plus inhumaine, la « violence inerte » des mécanismes
que l’ignorance prétentieuse a détruits.
La sociologie est une science qui a pour particularité la difficulté
particulière qu’elle a de devenir une science comme les autres. Cela
parce que, loin de s’opposer, le refusde savoir et l’illusion du savoir infus
cohabitent parfaitement, tant chez les chercheurs que chez les praticiens.
Et seule une disposition rigoureusement critique peut dissoudre les
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certitudes pratiques qui s’insinuent dans le discours scientifique à travers
les présupposés inscrits dans le langage ou les préconstructions inhérentes
à la routine du discours quotidien sur les problèmes sociaux, bref à travers
le brouillard de mots qui s’interpose sans cesse entre le chercheur et le
monde social. De façon générale, le langage exprime plus facilement les
choses que les rapports, les états que les processus. Dire par exemple de
quelqu’un qu’il a du pouvoir ou se demander qui, aujourd’hui, détient
réellement le pouvoir, c’est penser le pouvoir comme une substance, une
chose que certains détiennent, conservent, transmettent ; c’est demander
à la science de déterminer « qui gouverne » (selon le titre d’un classique
de la science politique) ou qui décide ; c’est, admettant que le pouvoir, en
tant que substance, est situé quelque part, se demander s’il vient d’en haut,
comme le veut le sens commun ou, par un renversement paradoxal qui
laisse entière la doxa, d’en bas, des dominés. Loin de s’opposer, l’illusion
chosiste et l’illusion personnaliste vont de pair. Et l’on n’en finirait pas
de recenser les faux problèmes qui s’engendrent dans l’opposition entre
l’individu-personne, intériorité, singularité, et la société-chose, extériorité :
les débats éthico-politiques entre ceux qui accordent une valeur absolue
à l’individu, à l’individuel, à l’individualisme, et ceux qui confèrent le
primat à la société, au social, au socialisme, sont à l’arrière-plan du débat
théorique, sans cesse renaissant, entre un nominalisme qui réduit les
réalités sociales, groupes ou institutions, à des artefacts théoriques sans
réalité objective, et un réalisme substantialiste qui réifie des abstractions.
Seule la prégnance des oppositions de la pensée ordinaire, fortes
de toute la force des oppositions entre groupes qui s’y expriment, peut
expliquer la difficulté extraordinaire du travail nécessaire pour dépasser
ces alternatives scientifiquement mortelles ; et que ce travail soit sans
cesse à recommencer, contre les régressions collectives vers des modes
de pensée plus communs, parce que socialement fondés et encouragés.
Il est plus facile de traiter les faits sociaux comme des choses ou comme
des personnes que comme des relations. Ainsi ces deux ruptures décisives
avec la philosophie spontanée de l’histoire et avec la vision commune
du monde social qu’ont représenté l’analyse, avec Fernand Braudel, des
phénomènes historiques de « longue durée » et l’application, avec Claude
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Lévi-Strauss, du mode de pensée structural à des objets aussi rebelles que
les systèmes de parenté ou les systèmes symboliques, ont débouché sur
des discussions scolastiques touchant les rapports entre l’individu et la
structure. Et surtout, l’emprise des vieilles alternatives a conduit à rejeter
dans l’événementiel, le contingent, bref, hors des prises de la science,
tout ce dont traitait l’histoire à l’ancienne, au lieu d’inciter à dépasser
l’antithèse de l’histoire infrastructurelle et de l’histoire événementielle,
de la macrosociologie et de la microsociologie. Sous peine d’abandonner
à l’aléa ou au mystère tout l’univers réel des pratiques, il faut en effet
chercher dans une histoire structurale des espaces sociaux où s’engendrent
et s’effectuent les dispositions qui font « les grands hommes », champ
du pouvoir, champ artistique, champ intellectuel ou champ scientifique,
le moyen de combler l’abîme entre les lents mouvements insensibles de
l’infrastructure économique ou démographique et l’agitation de surface
qu’enregistrent les chroniques au jour le jour de l’histoire politique, littéraire
ou artistique.Le principe de l’action historique, celle de l’artiste, du savant
ou du gouvernant comme celle de l’ouvrier ou du petit fonctionnaire,
n’est pas un sujet qui s’affronterait à la société comme à un objet constitué
dans l’extériorité. Il ne réside ni dans la conscience ni dans les choses
mais dans la relation entre deux états du social, c’est-à-dire entre l’histoire
objectivée dans les choses, sous forme d’institutions, et l’histoire incarnée
dans les corps, sous la forme de ce système de dispositions durables que
j’appelle habitus. Le corps est dans le monde social mais le monde social
est dans le corps. Et l’incorporation du social que réalise l’apprentissage
est le fondement de la présence au monde social que supposent l’action
socialement réussie et l’expérience ordinaire de ce monde comme allant
de soi.
Seule une véritable analyse de cas, mais qui demanderait un
très long exposé, pourrait faire voir la rupture décisive avec la vision
ordinaire du monde social que détermine le fait de substituer à la
relation naïve entre l’individu et la société la relation construite entre
ces deux modes d’existence du social, l’habitus et le champ, l’histoire
faite corps et l’histoire faite chose. Pour convaincre complètement
et constituer en chronique logique la chronologie des relations entre
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Monet, Degas et Pissarro ou entre Lénine, Trotski, Staline et Boukharine
ou encore entre Sartre, Merleau-Ponty et Camus, il faudrait en effet
se donner une connaissance suffisante de ces deux séries causales
partiellement indépendantes que sont d’une part les conditions
sociales de production des protagonistes ou, plus précisément, de leurs
dispositions durables, et d’autre part la logique spécifique de chacun
des champs de concurrence dans lesquels ils engagent ces dispositions,
champ artistique, champ politique ou champ intellectuel, sans oublier,
bien sûr, les contraintes conjoncturelles ou structurales qui pèsent sur ces
espaces relativement autonomes.
Penser chacun de ces univers particuliers en tant que champ,
c’est se donner le moyen d’entrer dans le détail le plus singulier de leur
singularité historique, à la façon des historiens les plus minutieux, tout en
les construisant de manière à y apercevoir un « cas particulier du possible »,
selon le mot de Bachelard, ou, plus simplement, une configuration parmi
d’autres d’une structure de relations. Ce qui suppose, une fois encore,
que l’on soit attentif aux relations pertinentes, le plus souvent invisibles
ou inaperçues au premier regard, entre les réalités directement visibles,
comme les personnes individuelles, désignées par des noms propres, ou
les personnes collectives, à la fois nommées et produites par le signe ou
le sigle qui les constitue en tant que personnalités juridiques. C’est ainsi
que l’on pourra penser telle polémique située et datée entre un critique
d’avant-garde et un professeur patenté de littérature comme une forme
particulière d’une relation dont l’opposition médiévale entre l’auctor et
le lector ou l’antagonisme entre le prophète et le prêtre sont d’autres
manifestations. Lorsqu’elle est orientée par un principe de pertinence qui
permet de construire le donné pour la comparaison et la généralisation,
la lecture des quotidiens elle-même peut devenir un acte scientifique.
Poincaré définissait la mathématique comme « l’art de donner le même
nom à des choses différentes » ; de même, la sociologie – les mathématiciens
me pardonneront l’audace de cette assimilation – est l’art de penser
des choses phénoménalement différentes comme semblables dans leur
structure et leur fonctionnement, et de transférer ce qui a été établi à
propos d’un objet construit, par exemple le champ religieux, à toute une
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série d’objets nouveaux, le champ artistique, ou le champ politique, et
ainsi de suite. Cette sorte d’induction théorique, qui rend possible
la généralisation sur la base de l’hypothèse de l’invariance formelle
dans la variation matérielle, n’a rien de l’induction ou de l’intuition à
base empirique à laquelle on l’identifie parfois ; grâce à l’usage raisonné
de la méthode comparative à laquelle elle confère sa pleine efficacité, la
sociologie, comme les autres sciences qui, selon le mot de Leibniz, « se
concentrent à mesure qu’elles s’étendent », peut appréhender un nombre
de plus en plus étendu d’objets avec un nombre de plus en plus réduit
de concepts et d’hypothèses théoriques.
La pensée en termes de champ demande une conversion de toute la
vision ordinaire du monde social qui s’attache aux seules choses visibles : à
l’individu, ens realissimum auquel nous lie une sorte d’intérêt idéologique
primordial ; au groupe, qui n’est qu’apparemment défini par les seules
relations, temporaires ou durables, informelles ou institutionnalisées,
entre ses membres ; voire aux relations entendues comme interactions,
c’est-à-dire comme relations intersubjectives réellement effectuées. En fait,
de même que la théorie newtonienne de la gravitation n’a pu se construire
qu’en rupture avec le réalisme cartésien qui ne voulait reconnaître aucun
autre mode d’action physique que le choc, le contact direct, de même, la
notion de champ suppose une rupture avec la représentation réaliste qui
porte à réduire l’effet du milieu à l’effet de l’action directe s’effectuant dans
une interaction. C’est la structure des relations constitutives de l’espace du
champ qui commande la forme que peuvent revêtir les relations visibles
d’interaction et le contenu même de l’expérience que les agents peuvent
en avoir.
L’attention à l’espace de relations dans lequel se meuvent les
agents implique une rupture radicale avec la philosophie de l’histoire qui
est inscrite dans l’usage ordinaire ou demi-savant du langage ordinaire
ou dans les habitudes de pensée associées aux polémiques de la politique,
où il faut à tout prix trouver des responsables, du meilleur comme
du pire. On n’en finirait pas de recenser les erreurs, les mystifications
ou les mystiques qui s’engendrent dans le fait que les mots désignant des
institutions ou des groupes, État, Bourgeoisie, Patronat, Église, Famille,
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École, peuvent être constitués en sujets de propositions de la forme
« l’État décide » ou « l’École élimine », et, par là, en sujets historiques
capables de poser et de réaliser leurs propres fins. Des processus dont le
sens et la fin ne sont à proprement parler ni pensés ni posés par personne,
sans être pour autant ni aveugles ni aléatoires, se trouvent ainsi ordonnés
par référence à une intention qui n’est plus celle d’un créateur conçu
comme personne mais celle d’un groupe ou d’une institution fonctionnant
comme cause finale capable de tout justifier, et au moindre coût, sans rien
expliquer. Or, on peut montrer, en s’appuyant sur l’analyse célèbre de
Norbert Elias, que cette vision théologico-politique ne se justifie même
pas dans le cas en apparence le mieux fait pour la confirmer, celui d’un
État monarchique qui présente au plus haut degré, pour le monarque lui-
même – « l’État c’est moi »–, les apparences de l’« Appareil »: la société de
cour fonctionne comme un champ de gravitation dans lequel le détenteur
du pouvoir absolu est lui-même pris, lors même que sa position privilégiée
lui permet de prélever la plus grande part de l’énergie engendrée par
l’équilibre des forces. Le principe du mouvement perpétuel qui agite le
champ ne réside pas dans quelque premier moteur immobile – ici le Roi
Soleil – mais dans les tensions qui, produites par la structure constitutive
du champ (les différences de rang entre princes, ducs, marquis, etc.),
tendent à reproduire cette structure. Il est dans les actions et les réactions
des agents qui, à moins de s’exclure du jeu, n’ont pas d’autre choix que
de lutter pour maintenir ou améliorer leur position dans le champ,
contribuant ainsi à faire peser sur tous les autres les contraintes, souvent
vécues comme insupportables, qui naissent de la coexistence antagoniste.
Du fait de la position qu’il occupe dans le champ de gravitation
dont il est le soleil, le roi n’a pas besoin de vouloir ni même de penser
le système en tant que tel pour prélever les profits d’un univers ainsi
structuré que tout y tourne à son profit. De façon générale, c’est-à-dire
aussi bien dans le champ intellectuel ou dans le champ religieux que dans
le champ du pouvoir, les dominants sont, beaucoup plus souvent que ne
le laisse voir l’illusion théologique du premier moteur, ceux qui expriment
les forces immanentes du champ – ce qui n’est pas rien – plus qu’ils ne les
produisent ou ne les dirigent.
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J’aurais pu prendre aussi bien l’exemple du cirque-hippodrome
de Constantinople, dans l’analyse, devenue classique, de Gilbert Dagron.
Ce n’est sans doute pas par hasard que cette réalisation paradigmatique
du champ politique se présente sous la forme d’un espace de jeu
socialement institué qui transforme périodiquement le peuple réuni en
assemblée populaire, investie du pouvoir de contester ou de consacrer
rituellement la légitimité impériale. L’espace institutionnel, où tous les
agents sociaux, l’empereur, placé en position d’arbitre, les sénateurs, les
hauts fonctionnaires, mais aussi le peuple, dans ses différentes factions,
ont leurs places assignées, produit en quelque sorte les propriétés de
ceux qui l’occupent, et les relations de concurrence et de conflit qui les
opposent : dans ce champ clos, les deux camps, les Verts et les Bleus,
s’affrontent rituellement selon une logique qui participe à la fois de celle de
la compétition sportive et de celle de la lutte politique ; et l’autonomie de
cette forme sociale, sorte de taxis instituée et, par là, transcendante à l’un
ou l’autre camp, tagma, qu’elle ne cesse d’engendrer, s’affirme dans le fait
qu’elle « se prête à l’expression de conflits de toute nature », décourageant
les efforts pour trouver à ces antagonismes une base sociale ou politique
précise et constante.
Comme le montre bien le cas de ce jeu social tout à fait exemplaire,
la sociologie n’est pas un chapitre de la mécanique et les champs sociaux
sont des champs de forces mais aussi des champs de luttes pour transformer
ou conserver ces champs de forces. Et le rapport, pratique ou pensé, que
les agents entretiennent avec le jeu fait partie du jeu et peut être au
principe de sa transformation. Les champs sociaux les plus différents, la
société de cour, le champ des partis politiques, le champ des entreprises
ou le champ universitaire, ne peuvent fonctionner que pour autant qu’il
y a des agents qui y investissent, aux différents sens du terme, qui y
engagent leurs ressources et en poursuivent les enjeux, contribuant ainsi,
par leur antagonisme même, à en conserver la structure ou, dans certaines
conditions, à la transformer.
Parce que nous sommes toujours plus ou moins pris à l’un des
jeux sociaux qui sont offerts par les différents champs, il ne nous vient
pas à l’esprit de demander pourquoi il y a de l’action plutôt que rien – ce
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qui, à moins de supposer une propension naturelle à l’action ou au
travail, ne va nullement de soi. Chacun sait par expérience que ce qui
fait courir le haut fonctionnaire peut laisser le chercheur indifférent et
que les investissements de l’artiste restent inintelligibles pour le banquier.
C’est dire qu’un champ ne peut fonctionner que s’il trouve des individus
socialement prédisposés à se comporter en agents responsables, à risquer
leur argent, leur temps, parfois leur honneur ou leur vie, pour poursuivre
les enjeux et obtenir les profits qu’il propose et qui, vus d’un autre point
de vue, peuvent paraître illusoires, ce qu’ils sont toujours aussi puisqu’ils
reposent sur la relation de complicité ontologique entre l’habitus et le
champ qui est au principe de l’entrée dans le jeu, de l’adhésion au jeu, de
l’illusio.
C’est dans la relation entre le jeu et le sens du jeu que s’engendrent
des enjeux et se constituent des valeurs qui, bien qu’elles n’existent pas
en dehors de cette relation, s’imposent, à l’intérieur de celle-ci, avec une
nécessité et une évidence absolues. Cette forme originaire de fétichisme
est au principe de toute action. Le moteur – ce qu’on appelle parfois la
motivation – n’est ni dans la fin matérielle ou symbolique de l’action,
comme le veut le finalisme naïf, ni dans les contraintes du champ, comme
le veut la vision mécaniste. Il est dans la relation entre l’habitus et le
champ qui fait que l’habitus contribue à déterminer ce qui le détermine. Il
n’y a de sacré que pour le sens du sacré qui rencontre néanmoins le sacré
comme pleine transcendance. La même chose est vraie de toute espèce de
valeur. L’illusio au sens d’investissement dans le jeu ne devient illusion, au
sens originaire d’action de se tromper soi-même, de divertissement – au
sens de Pascal – ou de mauvaise foi – au sens de Sartre –, que lorsqu’on
appréhende le jeu du dehors, du point de vue du spectateur impartial, qui
n’investit rien dans le jeu ni dans les enjeux. Ce point de vue d’étranger
qui s’ignore porte à ignorer que les investissements sont des illusions bien
fondées. En effet, à travers les jeux sociaux qu’il propose, le monde social
procure aux agents bien plus et autre chose que les enjeux apparents, les
fins manifestes de l’action : la chasse compte autant, sinon plus, que la prise
et il y a un profit de l’action qui excède les profits explicitement poursuivis,
salaire, prix, récompense, trophée, titre, fonction, et qui consiste dans le
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fait de sortir de l’indifférence, et de s’affirmer comme agent agissant, pris
au jeu, occupé, habitant du monde habité par le monde, projeté vers des
fins et doté, objectivement, donc subjectivement, d’une mission sociale.
Les fonctions sociales sont des fictions sociales. Et les rites
d’institution font celui qu’ils instituent en tant que roi, chevalier, prêtre ou
professeur en forgeant son image sociale, en façonnant la représentation
qu’il peut et doit donner en tant que personne morale, c’est-à-dire en tant
que plénipotentiaire, mandataire ou porte-parole d’un groupe. Mais ils
le font aussi en un autre sens. En lui imposant un nom, un titre, qui le
définit, l’institue, le constitue, ils le somment de devenir ce qu’il est, c’est-
à-dire ce qu’il a à être, ils lui enjoignent de remplir sa fonction, d’entrer
dans le jeu, dans la fiction, de jouer le jeu, la fonction. Confucius ne
faisait qu’énoncer la vérité de tous les rites d’institution lorsqu’il invoquait
le principe de la « justification des noms », demandant à chacun de se
conformer à sa fonction dans la société, de vivre conformément à sa
nature sociale : « Que le souverain agisse en souverain, le sujet en sujet,
le père en père, et le fils en fils. » En se donnant corps et âme à sa
fonction, et, à travers elle, au corps constitué qui la lui confie, universitas,
collegium, societas, consortium, comme disaient les canonistes, l’héritier
légitime, le fonctionnaire, le dignitaire, contribue à assurer l’éternité de
la fonction qui lui préexiste et lui survivra – Dignitas non moritur – et
du corps mystique qu’il incarne, et dont il participe, participant du même
coup à son éternité.
Bien qu’elle doive refuser, pour se constituer, toutes les formes
du biologisme qui tend toujours à naturaliser les différences sociales en
les réduisant à des invariants anthropologiques, la sociologie ne peut
comprendre le jeu social dans ce qu’il a de plus essentiel qu’à condition de
prendre en compte certaines des caractéristiques universelles de l’existence
corporelle, comme le fait d’exister à l’état d’individu biologique séparé, ou
d’être cantonné dans un lieu et un moment, ou encore le fait d’être et de
se savoir destiné à la mort, autant de propriétés plus que scientifiquement
attestées qui n’entrent jamais dans l’axiomatique de l’anthropologie
positiviste. Voué à la mort, cette fin qui ne peut être prise pour fin, l’homme
est un être sans raison d’être. C’est la société, et elle seule, qui dispense,
23
à des degrés différents, les justifications et les raisons d’exister ; c’est elle
qui, en produisant les affaires ou les positions que l’on dit « importantes »,
produit les actes et les agents que l’on juge « importants », pour eux-
mêmes et pour les autres, personnages objectivement et subjectivement
assurés de leur valeur et ainsi arrachés à l’indifférence et à l’insignifiance.
Il y a, quoi qu’en dise Marx, une philosophie de la misère qui est plus
proche de la désolation des vieillards clochardisés et dérisoires de Beckett
que de l’optimisme volontariste traditionnellement associé à la pensée
progressiste. Misère de l’homme sans Dieu, disait Pascal. Misère de
l’homme sans mission ni consécration sociale. En effet, sans aller jusqu’à
dire, avec Durkheim, « la société, c’est Dieu », je dirais : Dieu, ce n’est
jamais que la société. Ce que l’on attend de Dieu, on ne l’obtient jamais que
de la société qui seule a le pouvoir de consacrer, d’arracher à la facticité,
à la contingence, à l’absurdité ; mais – et c’est là sans doute l’antinomie
fondamentale – seulement de manière différentielle, distinctive : tout
sacré a son complémentaire profane, toute distinction produit sa vulgarité
et la concurrence pour l’existence sociale connue et reconnue, qui arrache
à l’insignifiance, est une lutte à mort pour la vie et la mort symbolique.
« Citer, disent les Kabyles, c’est ressusciter. » Le jugement des autres est le
jugement dernier ; et l’exclusion sociale la forme concrète de l’enfer et de
la damnation. C’est aussi parce que l’homme est un Dieu pour l’homme
que l’homme est un loup pour l’homme.
Surtout lorsqu’ils sont les adeptes d’une philosophie
eschatologique de l’histoire, les sociologues se sentent socialement
mandatés, et mandatés pour donner sens, rendre raison, voire mettre de
l’ordre et assigner des fins. Aussi ne sont-ils pas les mieux placés pour
comprendre la misère des hommes sans qualités sociales, qu’il s’agisse
de la résignation tragique des vieillards abandonnés à la mort sociale des
hôpitaux et des hospices, de la soumission silencieuse des chômeurs ou
de la violence désespérée de ces adolescents qui cherchent dans l’action
réduite à l’infraction un moyen d’accéder à une forme reconnue d’existence
sociale. Et, sans doute parce qu’ils ont trop profondément besoin, comme
tout le monde, de l’illusion de la mission sociale pour s’avouer ce qui en
est le principe, ils ont peine à découvrir le véritable fondement du pouvoir
24
exorbitant qu’exercent toutes les sanctions sociales de l’importance, tous
les hochets symboliques, décorations, croix, médailles, palmes ou rubans,
mais aussi tous les supports sociaux de l’illusio vitale, missions, fonctions
et vocations, mandats, ministères et magistères.
La vision lucide de la vérité de toutes les missions et de toutes les
consécrations ne condamne ni à la démission ni à la désertion.
On peut toujours entrer dans le jeu sans illusions, par une
résolution consciente et délibérée. En fait, les institutions ordinaires n’en
demandent pas tant. On pense à ce que Merleau-Ponty disait à propos de
Socrate : « Il donne des raisons d’obéir aux lois, mais c’est déjà trop d’avoir
des raisons d’obéir (...). Ce qu’on attend de lui, c’est justement ce qu’il
ne peut donner : l’assentiment à la chose même et sans considérants. » Si
ceux qui ont partie liée avec l’ordre établi, quel qu’il soit, n’aiment guère
la sociologie, c’est qu’elle introduit une liberté par rapport à l’adhésion
primaire qui fait que la conformité même prend un air d’hérésie ou
d’ironie.
Telle eût été sans doute la leçon d’une leçon inaugurale de
sociologie consacrée à la sociologie de la leçon inaugurale. Un discours
qui se prend lui-même pour objet attire l’attention moins sur le
référent, qui pourrait être remplacé par n’importe quel autre acte, que
sur l’opération consistant à se référer à ce que l’on est en train de faire
et sur ce qui la distingue du fait de faire simplement ce qu’on fait,
d’être, comme on dit, tout à ce qu’on fait. Ce retour réflexif, lorsqu’il
s’accomplit, comme ici, dans la situation même, a quelque chose
d’insolite, ou d’insolent. Il rompt le charme, il désenchante. Il attire le
regard sur ce que le simple faire travaille à oublier et à faire oublier.
Il recense des effets oratoires ou rhétoriques qui, comme le fait de lire
sur le ton pénétré de l’improvisation un texte écrit à l’avance, visent à
prouver et à faire éprouver que l’orateur est tout entier présent à ce qu’il
fait, qu’il croit à ce qu’il dit et qu’il adhère pleinement à la mission dont il
est investi. Il introduit ainsi une distance qui menace d’anéantir, tant chez
l’orateur que dans son public, la croyance qui est la condition ordinaire
du fonctionnement heureux de l’institution.
Mais cette liberté à l’égard de l’institution est sans doute le seul
25
hommage digne d’une institution de liberté, de tout temps attachée,
comme celle-ci, à défendre la liberté à l’égard des institutions qui est la
condition de toute science, et d’abord d’une science des institutions. Elle
est aussi le seul témoignage de reconnaissance digne de ceux qui ont tenu
à accueillir ici une science mal aimée et mal assurée, et entre lesquels
je dois isoler André Miquel. L’entreprise paradoxale qui consiste à user
d’une position d’autorité pour dire avec autorité ce que c’est que dire
avec autorité, pour faire une leçon mais une leçon de liberté à l’égard de
toutes les leçons, serait simplement inconséquente, voire autodestructive,
si l’ambition même de faire une science de la croyance ne supposait la
croyance dans la science. Rien n’est moins cynique, moins machiavélique
en tout cas que ces énoncés paradoxaux qui énoncent ou dénoncent le
principe même du pouvoir qu’ils exercent. Il n’est pas de sociologue qui
prendrait le risque de détruire le mince voile de foi ou de mauvaise foi
qui fait le charme de toutes les piétés d’institution, s’il n’avait foi dans la
possibilité et la nécessité d’universaliser la liberté à l’égard de l’institution
que procure la sociologie ; s’il ne croyait aux vertus libératrices de ce
qui est sans doute le moins illégitime des pouvoirs symboliques, celui
de la science, spécialement lorsqu’elle prend la forme d’une science des
pouvoirs symboliques capable de restituer aux sujets sociaux la maîtrise
des fausses transcendances que la méconnaissance ne cesse de créer et de
recréer.
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