Monarchies Censitaires Et Deuxième République

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CM Initiation à l’histoire contemporaine : « La France au XIXe siècle » — Thomas Hippler

2e séance : Les monarchies censitaires et la Deuxième République (1814-1852)

2e séance : Les monarchies censitaires et la Deuxième République


(1814-1852)

Plan
1. La Restauration
1.1. Vienne et la Charte constitutionnelle
1.2. Ultras et « constitutionnels »
1.3. Le durcissement du régime
2. La Révolution de 1830 et la Monarchie de Juillet
2.1. Un nouvel ordre politique ?
2.2. Un régime ambigu
2.3. Une société en mouvement
3. Les Révolutions de 1848 et la Deuxième République
3.1. Les révolutions de 1848
3.2. La Deuxième République
3.3. Un régime présidentiel en dérive autoritaire

Introduction
Après les turbulences de la Révolution, de l’Empire et surtout d’une guerre qui, quasiment
sans interruption, a ravagé l’Europe pendant près d’un quart de siècle, il y avait en France
un grand désir de calme, de paix, de stabilité.

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Malgré ce désir, les décennies à venir allait être encore agités: les générations suivants
allaient vivre sous deux dynasties royales, une Deuxième République, puis un Second
Empire et, finalement, une Troisième République. A part les changements de régime
politique, tous les autres aspects de la vie étaient pris dans un tourbillon et le 19e siècle va
inventer des nouvelles formes de religiosité, dont différents catholicismes, y compris le
catholicisme social, le féminisme, le modernisme artistique et littéraire. Au niveau
économique, l’avènement de la grande industrie a eu un impact majeur sur la vie de
presque tout le monde. Enfin, les formes du colonialisme changent également de fond en
comble et aux anciennes formes d’impérialisme d’outre-mer, dont les plantations
esclavagistes dans les caraïbes sont le meilleur exemple, succèdent de nouvelles formes
centrées sur l’expansion coloniale en Afrique du nord.

1. La Restauration
1.1 Vienne et la charte constitutionnelle
À partir du mois de septembre 1814, le Congrès de Vienne songe à donner un nouvel
ordre à l’Europe. Le but principal: empêcher la France et ce qu’elle représente, à savoir la
révolution, de déstabiliser l’ordre européen.

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Le bref retour de Napoléon au mois de mars 1815 — donc pendant le Congrès de Vienne —
souligne d’avantage le danger d’instabilité politique et donc l’importance de l’éliminer. Afin
d’y arriver, le Congrès de Vienne veut imposer la restauration de la monarchie. D’où le nom
communément donné à cette période post-napoléonienne : la restauration.

Allégorie du retour des Bourbons le 24 avril 1814 : Louis XVIII relevant la France de ses ruines

Restauration signifie d’abord la restauration de l’autorité « légitime » de la maison de


Bourbon et le fils de Louis XVI étant mort en prison, le trône revient au frère cadet du roi
guillotiné en 1793. Louis XVIII (le nom de Louis XVII ayant été réservé au dauphin mort
sans avoir régné).

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Or, à part cette retour de la maison de Bourbon, le terme « restauration » risque


d’induire en erreur, car l’impossibilité de faire table rase de tous les bouleversements
révolutionnaires et de retourner au statut d’avant la Révolution apparaissaient clairement.
Le système politique de la Restauration diffère ainsi sensiblement de celui de l’Ancien
régime: plutôt qu’une monarchie absolue, on a maintenant une monarchie constitutionnelle
avec une représentation parlementaire. Une « Charte constitutionnelle » est stipulée par le
nouveau roi dès son retour en 1814. Voyons ici une chronologie des différentes
constitutions françaises entre la fin de l’Ancien régime et le début du 20e siècle. Celle dont
nous parlons ici, est la « charte de 1814 »

Tout comme c’était le cas sous le directoire, seule une minorité d’électeurs fortunés a le
droit d’élire les représentants de la chambre basse (la « chambre des députés »). Il faut

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avoir 30 ans et payer 300 francs d'impôts directs pour être électeur, avoir 40 ans et payer
1000 francs d'impôts directs pour être éligible. Il y a, pour toute la France, 110 000
électeurs (moins de 2% des citoyens de plus de 21 ans : ils ne sont que 802 dans le Finistère,
32 en Corse) et 14 000 éligibles selon les relevés de 1828.
Les membres de la chambre haute (la « chambre des pairs ») sont des nobles appointés
par le roi. Or beaucoup de ces nobles avaient gagné leurs titres de noblesse sous Napoléon
et la Restauration n’a rien entrepris pour délester la noblesse d’Empire de leurs titres.
La même chose vaut pour l’organisation administrative (le découpage en départements,
le corps préfectoral, etc.), pour la vente des biens nationaux et donc l’organisation de la
propriété terrienne, pour l’organisation religieuse, ainsi que pour un certain nombre
d’autres points : jamais la Restauration n’affronta-t-elle frontalement l’héritage de la
Restauration, si bien qu’on peut se demander si le nom de Restauration convient
véritablement au régime et il n’est pas un hasard qu’un des manuels sur la période (celui
d’Emmanuel de Waresquiel et de Benoît Yvert) porte le sous-titre Naissance de la France
Moderne.

1.2 Ultras et « constitutionnels »


Or ceci est précisément l’un des problèmes de ce nouveau régime. Ceux qu’on appelle les
« ultras », des légitimes convaincus, dont beaucoup de nobles ayant passé un quart de siècle
en exil hors de France, sont réticents à tout compromis et veulent éliminer toutes les traces
de la Révolution. Même l’idée d’une monarchie constitutionnelle est difficilement
concevable pour eux. Il y a, pour ainsi dire, une fraction importante de ceux qui sont,
littéralement, plus royalistes que le roi. Étant donné que les élections pour la chambre des
députés ont lieu en octobre 1815, et donc juste après la victoire finale sur Napoléon,

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beaucoup d’ultras sont élus à la Chambre. Il s’ensuit la situation étonnante que le roi veut
gouverner de manière constitutionnelle mais qu’une forte opposition conservatrice qui
soutient une monarchie absolue, et donc pas constitutionnelle, et utilise les moyens
parlementaires dans leur combat politique. Paradoxalement, c’est l’opposition des ultras à
Louis XVIII a laquelle on doit la survie d’un pouvoir législatif indépendant.
Face à ces réactionnaires, au sens strict, les Constitutionnels, ou « doctrinaires », sont
des conservateurs, favorables à la Charte et au système censitaire, qui acceptent 1789 mais
non la suite de la Révolution, entendent marier liberté et monarchie et soutiennent le
ministère. Les libéraux, ou « indépendants » en sont l'aile gauche, hostile à l'Ancien régime,
rêvant d'une évolution à l'anglaise vers un régime parlementaire où le roi règne sans
gouverner ; parmi eux, La Fayette, l'écrivain Benjamin Constant, le banquier Lafitte ou
l'industriel Casimir Périer. S'y ajoute, hors parlement, une opposition moins républicaine
(la République, liée à la guillotine, fait peur) que bonapartiste, relancée par les Cent jours, la
mise en demi-solde de 12 000 officiers, le licenciement de 300 000 soldats qui racontent au
pays la légende dorée de Napoléon.

La Chambre des députés élue en 1815 est qualifiée d'introuvable par le roi qui ne pensait pas obtenir un si
grand nombre de députés favorables à l'absolutisme.

En février 1820, un isolé, Louvel, tue le duc de Berry, seul espoir de la dynastie, car seul
capable de procréer, bien qu'encore sans enfant légitime.

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1.3. Le durcissement du régime


C’est le signal de la réaction. En 1821, le pouvoir des ultras grandit encore avec Joseph
de Villèle nommé président du Conseil des ministres (l’équivalent d’un premier ministre).
Aux mesures réactionnaires comme l’interdiction du divorce en vigueur depuis 1816
s’ajoutent d’autres. Toutes les tendances libérales sont persécutées, les universités souvent
fermées, les professeurs suspendus, journaux fermés (« délit de tendance »). Trois ans plus
tard, en 1824, Louis XVIII meurt et son frère Charles X qui lui succède, essaie de renforcer
encore la politique « légitimiste ». Il se fait sacrer à Reims, en une anachronique
réaffirmation du droit divin.
Les jésuites sont autorisés à rentrer en France, le ministère de l'Instruction est confié à
un évêque, Mgr Frayssinous, et le protectionnisme (droits de douane élevés) favorise les
propriétaires fonciers. L'anachronisme continue avec en 1825 la loi sur le sacrilège, jamais
appliquée en fait : qui profane, ou vole avec effraction, des objets du culte catholique aurait
le poing coupé, puis serait exécuté.
La même année, ceux dont les biens ont été confisqués par la Révolution sont
indemnisés, sur la base de vingt fois les revenus de 1790, plus que la valeur de maints
domaines hypothéqués (on parle du « milliard des émigrés », mais l'indemnisation se fait en
rente d’Etat pour une valeur réelle, au cours de 1825, de 630 millions de francs-or. Ce qui
reste beaucoup). Cela clôt la polémique sur les biens nationaux, mais la somme est trouvée,
en particulier, en ramenant les intérêts de l’emprunt d'Etat de 5 à 3% : ceux qui ont souscrit
apprécient peu.
A partir de là, le vent tourne. Libéraux, protestants, possesseurs de biens nationaux
redoutent une dérive. Des révoltes populaires éclatent en 1827 et l’opposition s’organise.

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Villèle (à gauche) démissionne en janvier 1828.

A son ministère ultra-conservateur succède celui de Jean-Baptiste de Martignac, plus


accommodant. Il donne des gages aux anticléricaux, interdit les collèges de jésuites, rétablit
les cours de Guizot, Victor Cousin, etc. (donc les professeurs libéraux), met fin à la censure
et aux procès de tendance. Mais sa tentative de compromis échoue puisqu’il mécontente
tout le monde. En août 1829, il est remplacé par Jules de Polignac (à droite). Celui-là est un
pur « ultra », aussi intolérant qu’impopulaire. La chambre tient tête au nouveau
gouvernement; le roi la dissout. Mais lorsqu’on vote à nouveau, la majorité libérale est
encore renforcée. Charles X choisit l’affrontement : il ne veut pas accepter une monarchie
parlementaire, et croit que ce sont les concessions qui ont perdu Louis XVI.
La Charte constitutionnelle permet de faire des ordonnances pour la sûreté de l'Etat, il
prétend celle-ci menacée, et le 25 juillet 1830, quatre ordonnances mettent fin à la liberté
de la presse, dissolvent la Chambre nouvellement élue avant qu'elle se soit réunie, réserve
le vote aux propriétaires terriens en excluant commerçants, industriels etc.

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2. La Révolution de 1830 et la Monarchie de Juillet


2.1 Un nouvel ordre politique ?
Ces ordonnances déclenchent trois jours de Révolution (les « trois glorieuses »),
débouchant sur l’installation d'une nouvelle dynastie, les Orléans. Du 27 au 29 juillet la
révolution éclate à Paris. Il y a de nombreux morts (500 dont les noms seront inscrits sur
une colonne, place de la Bastille, un millier sans doute, 2 800 peut-être). Maints soldats
désertent ou fraternisent avec les insurgés. Mais l’opposition modérée a peur du peuple,
de la Révolution, de l'ombre de Robespierre et de la Terreur, d’une guerre contre toute
l’Europe monarchiste. Depuis quelques années, un parti orléaniste s’est ébauché. Ils
souhaitent un roi qui règne sans gouverner, qui accepte l'héritage de 1789.
Ce Roi, c'est Louis-Philippe d'Orléans, cousin des Bourbons, premier propriétaire
foncier du royaume. Son père, Philippe-Egalité, a voté la mort de Louis XVI avant d'être
guillotiné un peu plus tard. Louis-Philippe s'est battu à Valmy et à Jemmapes avec les
armées de la Révolution. Il cultive une image de bourgeois libéral. Louis-Philippe 1er est
« roi des Français » (et non plus « roi de France ») et il l’est « par la grâce de Dieu et la
volonté de la Nation » : cela relève d’une double légitimité.

Louis-Philippe, lui, jure fidélité à une Charte amendée : la censure est abolie, il ne peut
plus faire des ordonnances au nom de la sûreté de l’Etat, le catholicisme n'est plus que la
« religion de la majorité des Français », les Chambres ont l’initiative des lois. Le cens sera
abaissé (500 f pour être éligible, 200 pour être électeur, 100 si l’on est membre de l'Institut

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ou général) : on passe de 90 000 électeurs à 166 000, et 241 000 en 1848, du fait des
enrichissements. Par ailleurs, le parlementarisme, sans être prévu par les textes, s’installe
en fait : sous Louis-Philippe, aucun gouvernement ne se maintient après avoir été mis en
minorité à la Chambre.
Sont-ce des changements fondamentaux? Non, car un Roi chasse l’autre, la Révolution
a été confisquée, à un pays légal de propriétaires et d'industriels succède un pays légal
d’industriels et de propriétaires, juste plus nombreux. Oui, car c'est le retour au pouvoir des
idées de 1789, la légitimation de la Révolution et du drapeau tricolore, la fin de la légitimité
dynastique (Louis-Philippe tient sa couronne de l’Assemblée), l’échec d'un essai de retour à
l’ancien régime, c’est à dire d’exclusion de la bourgeoisie du pouvoir avec les ordonnances.
Et surtout, la réhabilitation de la Révolution prépare 1848, la chute définitive de la
monarchie, et à côté des conflits politiques, pour ou contre l'Ancien régime ou 1789, vont
apparaître les conflits sociaux. Ce serait caricaturer que de dire que la France entre dans la
civilisation bourgeoise, ou capitaliste, mais il y a de cela.

2.2 Un régime ambigu


La première période (1830-1832) est liée à l’ambiguïté du régime, monarchie née des
barricades. Même si le mot parti n’a pas son sens actuel, on a, parmi les orléanistes, le parti
du Mouvement qui considère 1830 comme le point de départ vers la démocratie , et le
parti de la Résistance (Casimir Périer, Guizot) pour qui on a atteint un optimum à ne pas
dépasser. En politique extérieure, le parti du mouvement est plutôt interventionniste,
tandis que le parti de la Résistance est plutôt pacifiste. Les deux partis s’accordent
néanmoins sur certains points: tous refusent et la Révolution et la contre-révolution,
acceptent et 1789 et la monarchie, entendent intégrer aux classes dirigeantes les élites de
l’Empire, les industriels et les financiers, et refusent l’emprise de l'Eglise sur la société.
Dans un premier temps, le roi confère le gouvernement à un représentant du
« Mouvement » (Lafitte); or un an plus tard, il est remplacé par Casimir Périer, représentant
de la « Résistance ». Dans un premier temps, il fait passer des lois libérales, élargit le corps
de électeurs, et retire quelques archaïsmes du code pénal, comme le carcan, le fer rouge,
l’amputation de la main.

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Mais on entre dans une période d’insurrections sporadiques, mal organisées, vite
écrasées, liées au désespoir social plus qu'à un projet politique. La répression est brutale.
En 1832, à Lyon, les ouvriers du textile, les canuts, s'insurgent, pour obtenir un « tarif », un
salaire minimum.

Ils tiennent la ville avant d'être écrasés par 20 000 soldats : pour l'orléanisme libéral, la
liberté, c’est aussi celle d'exploiter. En 1831, Casimir Périer disait : « Il faut que les ouvriers
sachent bien qu’il n’y a pas de remède pour eux que la patience et la résignation ».
L’insurrection, en tous cas, a fait peur. Elle réveille aussi des espoirs, y compris républicains.
Politiquement on voit des conceptions différentes concernant la place du roi. Pour
certains, comme Adolphe Thiers, le plus brillant des chefs de gouvernement successifs, « le
roi règne mais ne gouverne pas ». En 1840 Thiers est remplacé par Guizot, pour qui « le
trône n'est pas un fauteuil vide » (le Roi peut gouverner).

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François Guizot. Portrait par Jehan Georges Vibert, Château de Versailles

2.3 Une société en mouvement


À ceux qui veulent abaisser le cens, il répond « enrichissez vous » pour voter, ajoutant
« par le travail et par l’épargne ». De fait, certains s’enrichissent. Parfois honnêtement. On
est d’ailleurs dans une période de modernisation (construction de chemins de fer et de
route, on y reviendra). En marge du libéralisme officiel, on prend conscience de la misère,
en hausse. Les salaires baissent ; à l’usine on produit plus avec moins de bras ; la
concentration industrielle supprime des emplois à domicile, comme dans le textile, qui
permettaient à des paysans de compléter leurs revenus. D'où l’exode rural qui précipite en
ville des foules misérables, trop heureuses de trouver un emploi, d’où baisses de salaires,
d’où baisses de la consommation, d’où problèmes de production. Le fond du problème, c'est
le « paupérisme », le fait que l'on puisse être indigent alors que l’on a un travail : la misère
n’est plus un fait individuel, mais un problème social. Contre cela, il y a une défense
ouvrière, à travers les sociétés de secours mutuel, ou le compagnonnage, mais l’Etat répond
aux revendications par la répression. S’y ajoute une grave crise économique qui a
commence en 1845, avec de mauvaises récoltes et s’étend à d’autres secteurs de l’économie.
À cela s’ajoute encore une double crise politique. D’un côté, des affaires politico-
financières (trafics d'influence, etc.) indignent le public. D’un autre côté, même si le
gouvernement achète du blé à l’étranger pour nourrir la population française, son
libéralisme doctrinal et la faiblesse de son budget lui interdisent de beaucoup intervenir. En

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province, l’action sociale est assurée par la petite bourgeoisie, qui n'a pas accès au vote. Son
action devrait lui donner cet accès. Elle le réclame. Guizot refuse. Misère endémique, crise,
mépris pour le gouvernement, campagne pour l'extension du vote : le mélange est explosif.

3. Les Révolutions de 1848 et la Deuxième République


3.1 Les révolutions de 1848
L’opposition demande un élargissement du corps électoral. La loi interdit de tenir des
meetings, elle organise à partir de juillet 1847 une campagne de 70 banquets, qui doit
culminer à Paris, début 1848.

De banquet en banquet, le discours se radicalise, les républicains, Arago, Ledru-Rollin,


parlent de suffrage universel, on évoque la Révolution, pas la Terreur, mais la République
girondine, libérale, décentralisatrice. En même temps, des étudiants manifestent à Paris,
bientôt rejoints par des ouvriers et quelques bourgeois. Le 23 février Louis-Philippe
mobilise la Garde nationale, pilier du régime. Quelques barricades se dressent. Les
soldats de la garde tirent, il y a officiellement seize morts, probablement cinquante. Le
lendemain, le peuple de Paris s’insurge, réclame la République. Le roi abdique et part
pour l’Angleterre et un gouvernement provisoire se met en place, à la Chambre, autour des
députés républicains (Lamartine, Crémieux, Arago, Ledru-Rollin etc.). Mais à l’Hôtel de

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ville — souvenir de 1789, réactivé en 1830 : toujours le rôle de Paris quand la légitimité du
pouvoir n’est pas claire —, un autre gouvernement se prépare. La fusion se fait, le socialiste
Louis Blanc et « Albert » (Alexandre Martin, représentant des sociétés secrètes
républicaines) sont intégrés au gouvernement. L'aile modérée, libérale, domine.

3.2 La Deuxième République


La République est proclamée, sans consultation électorale: Paris décide encore, et se
souvient de la confiscation de la Révolution de 1830. Cette République, démocratique,
instaure le suffrage universel masculin. Libérale, elle instaure la liberté de presse et de
réunion, supprime la peine de mort en matière politique, ce qui éloigne le spectre de la
guillotine. La République proclame le droit au travail, et abolit l’esclavage aux colonies,
essentiellement aux Antilles. Au total, cette République est bien accueillie. On s’y rallie en
masse.
Le problème est que la crise continue, aggravée par les peurs des possédants. Deux
mesures sont prises : contre le déficit, augmentation de 45% des impôts directs ; contre le
chômage, du fait du droit au travail, création non d’entreprises d’Etat comme le veut Louis
Blanc (cela concurrencerait le privé) mais de chantiers, les ateliers nationaux ; ils
transforment le chômeur en terrassier, occupé à des travaux dont tous ne sont pas inutiles.
On limite aussi la journée de travail à 10 heures à Paris, 12 en province.
Paris est en effervescence: on a libéré les prisonniers politiques, les clubs fleurissent,
socialistes de toutes tendances, féministes, etc. : c'est le meeting permanent. On rêve
l’avenir, l’ambiance est à l’égalité, voire à l'ouvriérisme, avec une forte connotation
chrétienne. Mais un conflit éclate autour de la date de l’élection de l'assemblée

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constituante. Le gouvernement veut sortir du provisoire, donner au régime une


légitimité démocratique. Les révolutionnaires, comme Blanqui, s’inquiètent d’une majorité
rurale inculte, sous-informée, guidée par les notables locaux. Ils voudraient du temps. Mais
les élections sont tenues le 23 avril, dimanche de Pâques.
Le résultat: une centaine de républicains avancés, trois-cent monarchistes
reconvertis à la République « républicains du lendemain », un peu moins de républicains
« de la veille », modérés, hostiles aux mesures coûteuses type ateliers nationaux accusés
d’être la cause de la hausse des impôts. Les paysans ne veulent pas financer les chômeurs
urbains. Première inflexion conservatrice, un exécutif de cinq membres est élu par
l’Assemblée. L'aile gauche de février est écartée.
Les tensions sociales s’exacerbent. A Rouen, il y a trente morts dans des accrochages au
sujet des ateliers nationaux. Puis à Paris, au mois de juin avec plus de 3 500 morts, de
15 000 à 25 000 arrestations.

La Révolution est finie. L'exécutif collectif est remplacé, pendant l'émeute, par Cavaignac,
le ministre de la guerre. Mais en même temps, la République s'implante. La répression
parisienne est considérée en province comme une mesure nécessaire pour défendre les
institutions républicaines, ressenties comme légales et légitimes.

3.3 Un régime présidentiel en dérive autoritaire


Dans ce contexte, est élaborée une constitution, entre réaction et approfondissement
républicain : une seule Chambre, comme sous la Révolution, élue pour trois ans, purement
législative, et un pouvoir exécutif indépendant, comme aux Etats-Unis, avec un président

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élu pour quatre ans. L’assemblée ne peut renverser ni le Président, élu au suffrage universel
direct, ni le gouvernement, qu’il nomme: le régime est présidentiel et non parlementaire.
En retour, l'Assemblée ne peut être dissoute, et le Président n’est pas immédiatement
rééligible. Ajoutons que le droit au travail est remplacé par le droit à l’assistance. Le parti
de l’ordre choisit Louis-Napoléon Bonaparte comme candidat à l’élection présidentielle,
qui a un nom connu de tous, et qui, selon Thiers, « est un imbécile que l'on mènera par le
bout du nez ». C'est aussi le candidat des déçus de la République, des ouvriers parisiens
qui se souviennent de juin, de ceux qui, faute de culture politique, votent pour un nom. Le
10 décembre, il fait 75 % des voix (5 400 000, contre 1 400 000 à Cavaignac, moins de
400 000 à Ledru Rollin, 37 000 à Raspail, 8 000 à Lamartine).

La tendance se confirme lors des élections anticipées qui se tiennent en mai de l’année
suivante, 1849. Le parti de l’ordre triomphe, avec presque 500 ex-monarchistes sur 750
députés. Les républicains modérés, qui dominaient depuis avril 1848, sont laminés: une
petite centaine de sièges. A ces « blancs » et à ces « bleus » s'opposent les « rouges »,
socialistes ou radicaux, de Raspail à Ledru-Rollin : près de 200 qui se donnent un nom qui
rappelle 1793 et Robespierre, la Montagne, et un autre, « démocrates-socialistes ». Cela fait
peur aux « blancs » et la répression va s’abattre sur les « rouges ».
Le 2 décembre 1851, anniversaire de la bataille d'Austerlitz et du couronnement de

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son oncle, Napoléon Bonaparte, Louis-Napoléon Bonaparte dissout illégalement


l’assemblée. On arrête des militants démocrates, mais aussi des députés influents.
Quelques élus républicains veulent soulever le peuple de Paris, mais celui-ci n’a guère lieu
de défendre une République a qui il doit la répression brutale de juin 1848. En province, en
revanche, il y a un peu de résistance, pendant une semaine à peu près. La répression est
dure. On n’a pas le compte des exécutions sommaires, mais il y a 12 000 arrestations, des
milliers de déportations en Algérie. Fidèle à la tradition bonapartiste, le coup d'Etat est
approuvé, par plébiscite, par 7 145 000 électeurs ; 592 000 seulement ont voté non. La
République n’est pas formellement enterrée, mais la voie est libre pour l’Empire.

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