Theologie Des Religions Traditionnelles Africaines
Theologie Des Religions Traditionnelles Africaines
Theologie Des Religions Traditionnelles Africaines
TRADITIONNELLES AFRICAINES
par René Tabard
. Il semble bien clair que les acteurs de l’évangélisation, dans la rencontre pratique avec les person-
nes, étaient fort conscients qu’un baptisé en Afrique n’était pas chrétien comme un baptisé européen,
même si cette expérimentation n’était pas encore conceptualisée et théorisée comme elle l’est de nos
jours.
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africain à 180 millions, en 2050, on prévoit 1,7 milliard…, soit une multiplication par 10.
. Dans la paroisse St Kisito de Brazzaville, au Congo, le nombre de catéchumènes est passé
d’environ 300 en 1985 à un millier aujourd’hui. Durant ce temps, l’église a été agrandie deux
fois, et la pratique dominicale a plus que triplé alors que la population est restée stable.
. A ce sujet, il est très significatif de savoir que l’Eglise catholique ne dispose pas encore
d’une chaîne de télévision…
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. Gérard Buakassa, Impact de la religion africaine sur l’Afrique d’aujourd’hui : latence et patience,
in Colloque du Festival mondial des Arts Négro-africains, Lagos, Janvier 1977. L’auteur y déve-
loppe les nombreux impacts des religions africaines traditionnelles sur l’existence quotidienne
contemporaine des populations africaines.
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et qui donne du poids aux faits, gestes et coutumes, et aux pensées de cette population.
Non statique encombrant, mais changement enrichissant ».
Ces précisions épistémologiques ne sont sans doute pas aussi anodines
qu’on pourrait le croire, puisqu’elles permettent d’éclairer les débats her-
méneutiques actuels de la théologie africaine. Si, en effet, certains théolo-
giens africains se méfient des R.T.A comme socle épistémologique d’une
théorie du christianisme, n’est-ce pas parce qu’ils craignent, et à bon droit,
d’enfermer la réflexion théologique dans un archaïsme culturel d’antan, et
cela, au détriment des questions fondamentales d’exploitation et de misères
qui s’étendent sur le continent ? Voilà pourquoi il importe de considérer les
R.T.A. comme un champ d’expressions en pleine évolution au contact de la
modernité. Mais, autre chose « évolution », autre chose « disparition »10.
Ainsi, dans la conception de l’inculturation qui semble s’imposer
aujourd’hui en Afrique, il ne faut pas penser à une théologie qui chercherait
à élaborer un transfert de codes qui seraient transmis d’un passé à un futur,
ou d’une religion à une autre, mais à une communication entre des hom-
mes qui sont tous « culturés », c’est-à-dire qui pensent à travers un système
culturel de représentations. Autrement dit, il ne suffit pas de traduire des
mots – pensons par exemple à nature, personne, trinité, mystère pascal, rédemp-
tion, purgatoire… – mais il faut entrer dans une dynamique ecclésiale qui fait
advenir la Bonne Nouvelle au cœur de la vie des populations. Il peut être
bon de discuter des matières à utiliser dans l’eucharistie (le mil, le manioc,
le vin de palme), mais encore faut-il que le message du salut permette à
l’assemblée chrétienne de boire de l’eau non polluée et d’avoir de la nour-
riture à préparer pour pouvoir se nourrir en revenant de la célébration. La
question culturelle ne peut tuer la dimension socio-économique, si l’on veut
œuvrer à l’avenir de la foi et de l’Eglise.
De ces considérations, nous voudrions tirer trois conséquences importan-
tes dans l’effort théologique de l’Eglise en Afrique :
J’aime, pour illustrer le sens du mot, dire que, pour un paysan, la culture
est ce que l’on cultive… c’est-à-dire ce que l’on plante, que l’on fait pousser
et que l’on récolte, et, en conséquence, ce dont on vit, et qui permet de
11. E. Messi Metogo Le christianisme peut-il mourir en Afrique ? , Karthala, Paris, 1997, p.183.
12. Eboussi Boulaga, La crise du Muntu. Authenticité africaine et philosophie, Présence africaine,
Paris, 1977, pp. 144-160.
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2- Les cultures et les traditions religieuses se sont installées à l’intérieur des églises
chrétiennes
Si, comme nous l’avons évoqué, il est possible, méthodologiquement, de
penser les R.T.A comme une réalité qui fait face au christianisme, occasion-
nant un affrontement de deux blocs religieux, de plus en plus, les R.T.A.
sont considérées comme imprégnant l’existence chrétienne.
Sans doute, de nombreux africains ne sont ni chrétiens, ni musulmans, ni
athées ; ils vivent toujours, et parfois totalement, des R.T.A. Mais les 250 mil-
lions qui ont été baptisés n’ont pas, dans le rite baptismal, évacué tout rapport
avec ce qui est véhiculé par leur culture traditionnelle. Puisque la culture
négro-africaine demeure profondément marquée par la dimension reli-
gieuse, il faut conclure nécessairement que la figure que prend aujourd’hui
le christianisme africain est profondément imprégnée par un système de
représentations traditionnelles. De ce fait, nous nous devons d’admettre
une multiplicité de visages du christianisme, voire d’églises unies au sein de
l’Eglise catholique14. Si le premier synode du continent avait pour thème
Ecclesia in Africa, il n’est pas vain de s’interroger sur ce que pourrait signifier
de pertinent le renversement des mots Africa in Ecclesia. En effet, le synode
peut laisser entendre que l’Eglise millénaire est aujourd’hui bien implantée
sur le continent. Le renversement des termes donne à penser que c’est aussi
une « nouvelle » église qui naît dans des formes originales, dans la mesure
13. A ce propos, le livre de Kabolo Iko Kabwita, Le Royaume Kongo et la mission catholique,
1750-1838. Du déclin à l’extinction, Karthala, Paris, 2004, devrait donner à penser sur les rapports
entre l’évangélisation et la culture.
14. Nous avions déjà abordé cette difficile question ecclésiologique dans un article intitulé
« Pour une Eglise patriarcale en Afrique », Revue de Théologie africaine, Kinshasa, 1980.
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15. Nous empruntons ces trois dimensions à G. Buakassa, dans son ouvrage Lire la religion
africaine, Noraf, Louvain-la-Neuve, 1988. Il reprend les points essentiels développés jusqu’ici
par ses collègues africains.
16. Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, 1975, N° 20.
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Or, notre propos incline vers la mise en action d’une autre méthode. Il
s’agit de dire la foi chrétienne dans un autre système culturel, c’est-à-dire un
autre système de représentation que celui hérité des traditions philosophi-
ques grecques qui ont été comprises comme des « servantes » de l’expres-
sion théologique du mystère chrétien. Comme le dit E. De Rosny « il existe
bien une Raison humaine, mais il y a plusieurs rationalités, plusieurs systèmes cohé-
rents de la représentation du mal » de la vie, de la mort, de l’ordre du monde,
des valeurs…17.
Autre chose est de chercher les valeurs des cultures africaines pour les
insérer dans la théologie chrétienne, autre chose est d’exprimer la foi dans
un autre système culturel. Et c’est là tout le défi de l’inculturation.
17. Voir l’article de E. De Rosny « L’art de négocier avec les défunts (Cameroun), Colloque
C.N.R.S., Université de Picardie et de Paris, 2002. La même thèse se trouve également illustrée
dans son livre Les yeux de ma chèvre, Plon, Paris, 1981. On peut également se référer au Chapitre
« Raison et Rationalités », de l’ouvrage de R. Luneau, Comprendre l’Afrique, Karthala, Paris,
2003.
18. E Messi Metogo, o. c. p. 17.
19. J. Moltmann, Le Dieu crucifié, Cerf, Paris, 1975, p. 252.
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22. A ce propos, il n’est pas sans intérêt de voir qu’Origène, notamment, et Augustin, ont
affronté le même genre de questionnement quant à la justification de la foi en Jésus qui serait
fondée uniquement sur les apparitions. Les logiques empruntées par ces devanciers ne sont
pas sans intérêt pour un travail d’inculturation aujourd’hui.
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23. Cette expression est souvent reprise justement par le théologien congolais Ka Mana. Voir,
par exemple, La nouvelle évangélisation en Afrique, Karthala, Paris, 2000.
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