Article Ethnology Art History 2005 A
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ethnologique en Haïti
Creation in the plastic arts and the «ethnological turning point» in Haiti
Carlo Avierl Célius
Abstracts
The advent of naive art to Haiti in the 1940s upset the «world of plastic language» there. Naive
art arose at an «ethnological turning point» and emerged as one of its multiple fecundations. An
analysis brings to light two facts. For one thing, the aesthetic judgement that established this new
artistic genre in the country did not proceed from the native aesthetics advocated by the Haitian
school of ethnology. For another, this school had a difficult time keeping abreast of this genre,
thinking about it or even approaching it. Two distinct phenomena were happening within a single
framework that made it easy to establish a «kinship» between the two, especially since ethnology
proposed a global view of society that served as the basis for working out and justifying
explanations of the artistic phenomenon. Haitian «discourse» about art referred to this basis with
its strong and weak points.
Index terms
Mots-clés :
africanismes, art naïf, folklore, haïtianité, indigénisme, jugement esthétique, primitivisme, race
Keywords :
Outline
Courants artistiqueset visions anthropologiques
Le projet d’une « modernité indigène »
À la recherche de l’« authenticité totale »
L’école haïtienne d’ethnologie face à l’avènement de l’art naïf
Price-Mars, le folklore et la création plastique
La voie de la culture matérielle
This article has been published in open access since 10 December 2008.
2À cette approche nuancée, mais globalisante, s’oppose celle de Georges Castera-fils (1997) qui,
dans un même souci de réévaluation de l’indigénisme, propose qu’on s’en tienne à une
délimitation stricte du mouvement. Selon lui, le mot et la chose sont une invention, non pas de
l’équipe de la Revue Indigène, mais de celle de la revue Les Griots (1938-1939) qui, rappelons-
le, est plus directement sous l’influence de Price-Mars4. L’art naïf reste-t-il, dans cette seconde
perspective, un avatar de l’indigénisme ?
• 5 Cf. Iconographie des contemporains. Depuis 1789, jusqu’en 1829, publié par F. S.
Delpech, Paris, C (...)
3Pour Danielle Bégot (1988), la peinture naïve « s’inscrit dans le sillage » de l’indigénisme
« mais pas dans sa mouvance ». Michel-Philippe Lerebours quant à lui, à la suite de Philippe
Thoby-Marcelin, distingue nettement un courant pictural proprement indigéniste qui précède
l’avènement de l’art naïf (Thoby-Marcelin 1956 ; Lerebours 1989). Et, entre les deux courants,
Félix Morisseau-Leroy (1955a : 5) martelait déjà que la différence est radicale. En effet, leur
mode d’instauration respectif diffère, de même que leur démarche d’ensemble et les œuvres
réalisées.
4L’art naïf en tant que genre résulte des nouvelles relations nouées entre art et anthropologie à la
fin du XIXe siècle et au début du XXe, et son avènement en Haïti ne procède pas pourtant de
l’indigénisme ; il le déborde, le subvertit et en signale ainsi les limites, observables jusque dans
la difficulté éprouvée par « l’école haïtienne d’ethnologie » à l’accompagner, à le penser ou, tout
simplement, à l’approcher.
7Dans ce projet d’une modernité indigène, confirmé par Savain lui-même (1936),
l’« indigénéïté », ainsi que le laisse comprendre un article de Marcello de Sylva de 1938, réside
essentiellement dans le choix des thèmes. La « couleur locale » tient essentiellement au
traitement du paysage mais aussi à la place accordée au paysan, à ses coutumes, ses misères et
ses infirmités.
• 6 Ces deux œuvres sont reproduites et commentées dans Fondation culture création
(1995, I : 26 et 29 (...)
8Mais l’hybridité dont parle Thoby-Marcelin n’est en rien une nouveauté. Elle correspond à la
pratique des artistes du XIXe siècle. Eux aussi traitaient de thèmes locaux en utilisant genres et
styles des beaux-arts en vigueur à leur époque. Les artistes des années 1930 croyaient avoir été
les premiers à représenter le paysage local alors qu’il est présent dans l’estampe et la peinture
depuis l’époque coloniale. Jaymé Guilliod, sculpteur et dessinateur actif vers le milieu du
XIXe siècle (Célius 1996), en fournit une illustration avec son Fond-Calalou (Fig. 2), « demeure
délicieuse enfermée dans un nid épais de hauts palmistes, au milieu de la campagne sévère et
volcanique de Jacmel, résidence chérie de Faustin Ier, où la Présidence est allée le prendre, et où
il va, avec une petite cour d’amis dévoués, oublier les soucis, les fatigues et les préoccupations
de la puissance ». Toute la charge affective et symbolique investie dans ce paysage – à la fois
lieu de souvenirs personnels de Guilliod (« un dessin qui m’a rappelé de biens doux et de biens
amers souvenirs d’enfance », souligne-t-il) et d’histoire nationale (en ce qu’il est habité par
l’empereur Faustin Soulouque) – n’est pas sans rappeler certaines œuvres des peintres de la
tendance indigène. Pensons au sentiment nationaliste qu’entendait exprimer Georges Remponeau
à travers Le Lamentin (1940) ou encore Jean Parisot avec son Sémaphore (ca 1937)6. Cela dit, le
courant pictural des années 1930 marque une différence par rapport au XIXe siècle. L’éventail des
thèmes susceptibles d’être traités s’est élargi. Portrait et sujets historiques ne conservent guère
leur ancienne prééminence, la préférence allant de plus en plus à des sujets puisés dans le monde
paysan et « populaire » urbain associés au nouveau critère de valorisation : l’haïtianité. Ce qui
constitue une transgression, même sous le mode folklorisé, dans le domaine des beaux-arts,
jusque-là espace symbolique d’auto-représentation des élites remplissant une fonction de
différenciation sociale (Célius 2000).
9Au XIXe siècle, le combat des artistes et l’évaluation de leurs œuvres reposaient sur d’autres
paramètres. On cherchait à fonder l’« Art en Haïti » plutôt que l’« art haïtien ». La démarche de
Guilliod le montre bien. Son Fond-Calalou est l’un des vingt dessins accompagnés de cinq
lettres qu’il publie dans l’hebdomadaire parisien, L’Illustration, de 1849 à 1852. Il engage
explicitement un triple combat : la défense du gouvernement de Faustin Soulouque, largement
ridiculisé à l’étranger, dans diverses publications (articles, livres, caricatures, en l’occurrence
celles de Daumier et de Cham), et jusque sous la plume de Victor Hugo et de Karl Marx ; la
défense de son pays dénigré et celle de sa « race » infériorisée. Trois combats en un, menés au
nom du progrès de « La Civilisation » en Haïti. Et c’est dans le cadre du paradigme
civilisationnel que ses envois, acceptés par la rédaction de L’Illustration, sont évalués. Non
seulement Guilliod a réussi à faire publier ses dessins, mais la rédaction a fini par le soutenir au
fur et à mesure de sa correspondance, apportant ainsi une note dissonante dans le concert de
dénigrement dont le gouvernement de Soulouque était accablé. Guilliod restitue des visages
d’hommes et de femmes politiques de son pays (Fig. 3), invitant à les comparer avec des
hommes et femmes politiques d’autres pays montrés dans les pages du même périodique. La
réussite du procès d’humanisation qu’il a engagé doit beaucoup à l’évaluation positive de son
talent d’artiste, sa maîtrise technique, au fait que ses œuvres peuvent tout à fait être comparées à
celles d’artistes européens reconnus. Autant de facteurs qui concourent à prouver son aptitude
personnelle à participer à l’œuvre de « Civilisation », qu’il partage avec le peuple auquel il
appartient, le gouvernement et la « race » qu’il défend.
• 8 Voir en particulier, « De la beauté dans les races humaines » (Firmin 1885 : 269-288),
et « Évolut (...)
• 9 Jean Price-Mars 1998 (« De l’esthétique dans les races », initialement publié dans La
Nouvelle Rev (...)
11L’entreprise de Guilliod n’est pas isolée. La réflexion théorique sur la création plastique et sur
l’esthétique passe, au cours du XIXe siècle, par la discussion du critère esthétique dans la
hiérarchisation des races. Sous la plume de De Vastey (1816 : 20-22), de Saint-Rémy des Cayes
en 1853, d’Anténor Firmin en 18858 ou de Jean Price-Mars en 19079, elle participe d’un
incessant combat antiraciste qui conduit les auteurs aux frontières d’un certain relativisme. Mais
le paradigme civilisationnel dans lequel s’inscrivent leurs démarches les place dans un
évolutionnisme qui les incite surtout à chercher à repousser les limites de l’universalité, en tout
cas ce qui était défini comme tel. Il s’agit au fond d’apporter la preuve de l’humanité de l’homme
issu de l’esclavage et de « l’homme noir » en général. Il y a là une visée anthropologique qui
prend en charge les différences pour autant qu’elles concourent à prouver l’humanité de tous les
hommes. Aussi adopte-t-on une conception universalisante de l’art (beaux-arts) utilisée comme
arme de combat. Mais les choses changent dans les premières années du XXe siècle sous
l’impulsion de la modernité artistique et de l’ethnographie. Désormais prévaut une conception
particularisante de l’art où sont mis en avant des thèmes considérés comme étant l’expression de
l’haïtianité.
• 10 Il est à noter que les dessins figurant dans cet ouvrage n’ont jamais été reproduits
dans les édit (...)
12Parmi ces thèmes, le vodou occupe une place de plus en plus significative. La comparaison
avec le milieu du XIXe siècle donne la mesure du changement survenu. Dans le numéro du 21
février 1852 de L’Illustration, paraît, sous la plume d’un dénommé A. Pigeard, un reportage sur
Haïti ayant pour titre « Une fête publique à Haïti ». L’auteur relate les festivités organisées à
l’occasion du retour de Soulouque dans la capitale après une tournée dans le pays. Ces festivités
consistent essentiellement en des « danses » vodou se déroulant dans des cabanes en feuillage
dressées le long de la route jusqu’à un arc de triomphe éphémère, en bois, érigé à l’entrée de la
ville, sur le chemin de la Croix-des-Bouquets. L’auteur décrit longuement une « danse
grossière », une « danse sauvage venant directement d’Afrique, et autorisée par le
gouvernement » à laquelle s’adonnent des campagnards descendus en grand nombre des mornes.
Une gravure anonyme fige une séquence de cette danse (Fig. 5). Cette œuvre graphique, une des
toutes premières représentations d’une scène vodou, n’est pas parvenue à restituer la grossièreté
et la sauvagerie dont parle l’article (voir, à titre de comparaison, les dessins illustrant Magic
Island de William Seabrook, 1929)10. Cependant, en accord avec l’argument soutenu dans le
texte, le dessin, comme une photo de reportage, montre une danse qui se déroule sous une
tonnelle, dans un espace ouvert, et qui atteste d’une pratique de plein jour, non clandestine. Ce
que renforce l’angle de vue adopté par le dessinateur : la danse est représentée de l’intérieur, face
à la rue, nettement décelable dans un arrière-plan qu’aucune foule n’obstrue. Adeptes et
assistants – parmi lesquels figurent des personnages endimanchés dont deux en tenue militaire,
attestant sans doute de la complicité des élites et des autorités établies – sont regroupés de part et
d’autre de l’espace central où se tient une danseuse. Tout concourt à montrer que l’instant est
exceptionnel : le personnage à genoux, qui vient en aide, les trois autres qui sont dans une
attitude de déférence, l’activité empressée du groupe des trois femmes de droite. La danseuse au
centre de la scène entre en possession. À cela, Guilliod répond, certes indirectement, en mettant
en évidence, dans son envoi de 1852, la figure d’un religieux, l’abbé Belot (Fig. 6). Il souligne,
dans sa lettre, l’action évangélisatrice de l’abbé qu’il traduit en dessin en campant un personnage
dynamique, saisi en marche, et non dans une pose statique (comme pour les autres portraits du
corpus), un livre, sans doute la Sainte Bible, en main, bien mis en évidence tant par sa proportion
que par le jeu des contrastes. L’artiste suggère ainsi une action en cours, motivée par une volonté
ferme et qui se déploie sans être contrariée. En d’autres termes, Soulouque encourage le
développement de la religion chrétienne, répandant ainsi les bienfaits de « La Civilisation » dans
le pays.
13La dénonciation de l’état de barbarie dans lequel patauge Haïti, le pays du vodou, s’est
intensifiée entre 1863 et 1889. Au cours de cette période s’organisent aussi les premières
tentatives de campagne antisuperstitieuse menée par le clergé breton, installé dans le pays à
partir de la signature du concordat en 1860 (Deslisle 2003 : 83-98). On mesure le renversement
idéologique provoqué par le développement des études ethnographiques, à partir des premières
années du XXe siècle, et le procès de valorisation du vodou qui l’accompagne. La nouvelle
conjoncture, en dépit de ses limites, des résistances et des conflits qu’elle provoque (cf. Ramsey
2002 et infra, pp. 165-179) favorise l’adoption, dans le domaine des beaux-arts, de la thématique
vodou qui deviendra centrale avec l’avènement de l’art naïf. Et, bien plus, le vodou, en tant que
tel, sera posé comme étant au fondement ou comme condition indissociable de l’haïtianité
artistique.
• 11 Le courant d’art naïf est déjà constitué et sa promotion en Haïti obtient l’appui de
plusieurs per (...)
15En Haïti, tout commence par une incidence esthétique. Le Centre d’art, créé par l’artiste états-
unien Dewitt Peters en 1944, accueille en son sein les principaux artistes issus de la mouvance
indigène et s’oriente selon leur credo esthétique. Celui-ci est très vite ébranlé par une rencontre
fortuite : José Gómez Sicre, critique d’art cubain, est à Port-au-Prince, pour présenter une
exposition d’œuvres d’artistes de son pays, en janvier-février 1945. Il découvre dans les réserves
du Centre une peinture envoyée aux dirigeants de l’établissement par un certain Philomé Obin
qui peignait depuis quelque temps. La toile, Visite du Président F. D. Roosevelt au Cap-Haïtien
le 5 juillet 1934, avait été acquise mais, parce que considérée comme l’œuvre d’un apprenti
artiste, elle avait été placée dans les réserves. Sicre, associant cette œuvre à celles d’artistes du
courant d’art naïf déjà constitué en Europe et en Amérique, fait valoir que Philomé Obin pratique
une forme d’art spécifique, digne d’être appréciée. En d’autres termes, il affirme qu’il y a de l’art
là où le credo esthétique en vigueur au Centre ne permettait pas qu’il soit reconnu. Ce jugement
ontologique, à caractère valorisant (« ceci est de l’art »), énoncé dans un contexte favorable11 a
rendu possible l’avènement de l’art naïf en Haïti (cf. Célius 2001, 2004). Cette appréciation de
Sicre est suivie d’effets. Le Centre, à la suite de l’exposition des peintres de Cuba à Port-au-
Prince, devait présenter une exposition à La Havane, où dirigeants et artistes commencèrent à se
rétracter estimant que le niveau des artistes haïtiens était nettement en deçà de celui des Cubains.
Sicre propose alors d’exposer les œuvres de Philomé Obin et des artistes qui lui sont apparentés,
ou perçus comme tels. L’exposition se tient en avril 1945, inaugurant ainsi publiquement
l’aventure de la peinture naïve d’Haïti. Ensuite les expositions se multiplièrent, bénéficiant de
comptes rendus élogieux dans la presse internationale. Mais il a fallu attendre la fin de 1946 pour
que le directeur du Centre, Dewitt Peters, se décide enfin à promouvoir en priorité l’art naïf, ce
qu’il confirme dans un article paru dans Harper’s Bazaar en janvier 1947 (Peters 1947). En
1951, l’art naïf triomphe en Haïti avec l’inauguration des décors muraux de la cathédrale
épiscopale de Port-au-Prince (Fig. 7).
16Il importe toutefois de comprendre le fondement conceptuel du jugement émis par Sicre.
L’institution du courant d’art naïf résulte de la valorisation, par des artistes européens du début
du XXe siècle, de pratiques de création perçues comme des formes d’expressions « premières »,
comme « l’enfance de l’art ». L’art naïf émane donc du primitivisme. Mais l’esthétique indigène
des années 1920 et 1930 a, elle aussi, une dimension primitiviste. Cependant elle ne rompt pas
avec le projet civilisationnel du XIXe siècle. Elle se propose de la redéfinir en assumant ce qui
avait été occulté, nié, refoulé : la part sauvage d’Haïti. Il s’agit de parvenir à un savant équilibre
entre valeurs de civilisation et primitivité. L’entreprise prend, à bien des égards, l’allure d’une
domestication du primitivisme où les formes d’expressions considérées comme primitives sont
établies comme sources, matériaux bruts au service de l’Art véritable, d’un art haïtien à fonder.
L’art naïf rompt l’équilibre visé, déjoue la domestication. Il surgit comme l’expression,
impossible à endiguer, du fonds originel haïtien dans toute sa nudité. Des voix s’élèvent contre
son institutionnalisation, réclament la formation artistique des nouveaux créateurs, d’autres
envisagent de fonder ou de refonder le véritable art moderne haïtien en puisant à la source
nourricière de l’art naïf. En vain ! Le courant se développe de manière autonome, se consolide,
s’amplifie et submerge tous les autres genres existants. On n’est plus, comme dans les années
1930, au niveau d’un simple élargissement thématique ; un nouveau courant s’impose. Le
« peuple » n’est plus uniquement un réservoir de thèmes dignes d’être peints ; « il » – des
hommes et des femmes qui en sont issus, bien sûr – peint lui-même. Dans une structure sociale
fondée sur l’exclusion et la barbarisation des masses, un tel phénomène ébranle les valeurs
établies. D’où les résistances, les rejets, les polémiques qu’il suscite. On mesure combien a dû
être déterminant le poids du regard et du marché extérieurs.
17L’art naïf disqualifie l’esthétique indigène et apparaît comme le seul étalon de l’haïtianité
artistique. Son authenticité serait totale : un art produit par des hommes, les Haïtiens véritables,
vierges de toute culture artistique, ayant conservé, en dépit de la colonisation, de l’esclavage et
de la longue histoire de leur pays, les pratiques, les valeurs, les croyances de l’Afrique
ancestrale. L’argument s’élabore très tôt : de fait, dès 1947. Il implique une réécriture de
l’histoire du Centre d’art de Port-au-Prince, une version adaptée de l’apparition de l’art naïf et la
mise en avant du vodou comme principe général d’explication. On saisit l’ampleur de ce travail
de réélaboration à travers les publications d’auteurs ayant écrit pour accompagner les débuts du
Centre d’art comme celles de Dewitt Peters ou de Pierre Mabille12. Le nouveau discours
s’affirme à travers des comptes rendus d’expositions où seuls les artistes « populaires » sont
retenus et où tout est expliqué par le vodou, même si sont présentées des œuvres d’artistes aux
préoccupations différentes, aux styles distincts et traitant de thèmes variés13. Ce réaménagement
se cristallise autour de la figure d’Hector Hyppolite. La légende qu’il a inventée (il aurait
effectué des voyages le menant jusqu’en Afrique où il se serait initié, d’autre part, il ne
travaillerait que sous la dictée des lwa) (Thoby-Marcelin & Chenet 1948a, 1948b) est devenue
l’énoncé explicatif de base. Or, Hyppolite doit son investiture à André Breton. Celui-ci séjourne
en Haïti du 4 décembre 1945 au 17 ou 18 février 1946. En visite au Centre d’art, il fixe son choix
sur Hyppolite et lui seul. Il achète quelques-unes de ses toiles14 qu’il présente à l’exposition
internationale du surréalisme organisée en 1947, à la galerie Maeght à Paris15.
• 16 André Breton (1965a [1947]). Pour un commentaire détaillé de ce texte, cf. Célius
(2001: 122-147). (...)
19Breton raconte que lors de sa visite au Centre, les œuvres d’Hyppolite « étaient les seules de
nature à convaincre que celui qui les avait réalisées avait un message d’importance à faire
parvenir, qu’il était en possession d’un secret » et « le secret c’est tout ». L’artiste est pourtant
« dans l’ignorance de toutes les recettes de “composition” que se transmettent les artistes
professionnels et qui tendent de plus en plus à faire dépendre la peinture des secrets de cuisine ».
Il réussit ses œuvres, atteignant « d’une manière spontanée, instinctive à l’équilibre ». Et, donnée
fondamentale, ses peintures « étaient marquées du cachet de l’authenticité totale ». Son œuvre
« peut être réputée pure de tout alliage ». Elle émane « d’un homme de moins de cinquante ans,
noir, aux traits fins, du beau type guinéen », en d’autres termes, un Africain pur sang dont
l’œuvre « manifeste une foi sans limites dans les révélations et les pratiques de culte “vodou” en
même temps qu’une aptitude exceptionnelle à se représenter concrètement les divinités qui y
président ». De fait, ajoute-t-il, cette initiation, « Hector Hyppolite l’avait reçue au cours d’un
séjour de sept ans au Dahomey ». En tout état de cause, « La peinture d’Hector Hyppolite
apporte […] les premières représentations qui aient été fournies de divinités et scènes vodou. À
ce titre seul, en tant que peinture religieuse primitive, elle présenterait déjà un intérêt
considérable »16. On reconnaît, dans ces phrases, un argumentaire primitiviste d’ailleurs bien
identifiable dans le dispositif discursif bretonien (Breton 1965b [1941]). Mais l’essentiel est que
par le geste et la parole de Breton, Hyppolite est devenu et est resté le « peintre du vodou » par
excellence, le chef de file de la « peinture vodou » qui peignait en état de possession. Une figure
de ce type de peintre est ainsi forgée, dont se serviront bien d’autres artistes.
• 17 Par exemple, de la liste de ses œuvres établie par Serge St. Jean (1973) (180 pièces,
chiffre qu’i (...)
20Hyppolite a cherché à apporter des correctifs à sa légende en usant du double langage (ce que
d’ailleurs feront après lui des peintres réputés travailler en état de possession, comme André
Pierre ou Célestin Faustin). Rien n’y fait. Cela a pour conséquence d’occulter des aspects
différents de son œuvre. Hyppolite n’a en effet pas peint que des sujets relatifs au vodou17. Cela
ressort peu des commentaires consacrés à son œuvre. En outre, les commentateurs établissent
rarement des relations entre ses tableaux et les décors peints (qui ont révélé son talent) des portes
du petit bar de Montrouis (Fig. 9 et 10). Or la structure formelle de ses peintures de chevalet est,
au moins en partie déjà là, dans ces décors, avec ce dessin libéré de toute rigueur géométrique,
aux traits légers, aériens, que prolongent des touches picturales relâchées. Par ailleurs, Hyppolite
a accompli un geste significatif, passé totalement inaperçu. Après sa « découverte », alors qu’il
est installé à Port-au-Prince, il signale sa cabane par une enseigne : « Ici station de peinture ».
Tout le sens de cette indication ressort quand on la rapporte à une réponse qu’il a donnée à
Rodman qui l’interrogeait sur son statut : il dit en effet avoir demandé la permission aux lwa de
se consacrer désormais à son nouveau métier de peintre.
21André Breton, en portant son choix sur Hyppolite parmi tant d’autres artistes et en le désignant
comme peintre du vodou et comme le seul ayant fait œuvre authentique, indiquait qu’il ne saurait
y avoir d’art vraiment haïtien s’il ne s’inscrivait dans ce rituel. Une base d’orientation était alors
donnée au mouvement naïf naissant, un critère d’évaluation de l’« haïtianité » était formulé (Fig.
10). Selden Rodman (1948) adopte cette même perspective. Pour lui, l’avènement de l’art naïf en
Haïti, signifie la renaissance des pratiques artistiques héritées de l’Afrique, qui jusque-là avaient
été refoulées. À la suite de Breton, de Rodman, tout un courant discursif s’est développé qui
explique l’« art haïtien », son authenticité, par le vodou. Ainsi, l’« haïtianité » est-elle rattachée
au vodou, lui-même ramené à l’Afrique ; ce qui a porté nombre de chercheurs à qualifier l’« art
haïtien » de néoafricain – certains allant jusqu’à parler d’atavisme ou de mémoire raciale.
22On voit donc comment et on comprend surtout pourquoi Hyppolite – qui n’a pas participé à
l’exposition inaugurale de La Havane en avril 1945 – est devenu le héros fondateur, le chef de
file du courant naïf, dépassant de loin en réputation Philomé Obin, celui dont une des œuvres
avait tout déclenché. Peintre d’histoire, non vodouisant, évoquant son intérêt pour la perspective,
il s’accommode mal non pas tant du primitivisme, fondement conceptuel de l’art naïf, que de la
nouvelle version haïtianisée du primitivisme.
L’école haïtienne d’ethnologie face à l’avènement de l’art
naïf
23Un premier constat s’impose : il est possible de déceler un impact plus ou moins direct de la
pensée de Price-Mars sur le courant pictural développé autour de Pétion Savain mais pas sur
l’avènement de l’art naïf.
26Il est moins aisé d’établir une relation directe entre l’œuvre de Price-Mars, le discours des
tenants de l’esthétique indigène et l’apparition de l’art naïf. Sicre a énoncé son jugement sur
l’œuvre d’Obin indépendamment et d’ailleurs contre les valeurs de l’esthétique indigène. Son
cadre de référence, comme celui de Breton, se situait ailleurs. Au moins l’école haïtienne
d’ethnologie était interpellée.
27Quand se pose, en 1945-1947, la question de la promotion de l’art naïf, le processus
d’institutionnalisation de cette école est déjà bien engagé, surtout que l’Institut et le Bureau
d’ethnologie avaient été fondés en 1941. Ce nouveau type d’art soulève d’emblée bien des
problèmes qui intéressent directement la nouvelle discipline, notamment ceux relatifs à l’identité
et à l’authenticité, au religieux et au sacré, à la mémoire sociale et « raciale ». On s’interroge sur
la meilleure façon de le qualifier : populaire ? naïf ? primitif ? De surcroît, cet art accomplit, dans
une certaine mesure, ce que le chef de file, Price-Mars appelle de ses vœux depuis les années
1910 : la promotion des gens du peuple, la reconnaissance de leurs potentialités et des valeurs
dont ils sont porteurs. L’art naïf apporte de nouvelles données à l’étude des caractéristiques de la
culture haïtienne et de sa dynamique interne.
29Au début de ces années, à l’heure où triomphe l’art naïf, Price-Mars parle de la diversité, de la
relativité du beau et des manifestations artistiques, reprenant ainsi un thème de réflexion qu’il
avait abordé dès 1907 dans sa conférence sur « L’esthétique dans les races » (2001 [1919]).
« Que la beauté soit multiforme et ne réside pas seulement dans l’expression immortelle qu’elle
revêtit jadis sur les bords de la mer Egée dans la statuaire grecque et la métaphysique
aristotélicienne, qu’elle se soit extériorisée aussi dans l’impressionnisme de l’art japonais, la
richesse de détail de l’art hindou, le faste du coloris de la peinture chinoise, qu’elle se soit
explicitée dans le réalisme émouvant et la stylisation de la sculpture nègre, c’est qu’en définitive
la beauté ne doit pas être prisonnière d’une forme unique, standardisée, immobile, momifiée. La
beauté peut et doit revêtir un idéal d’expression selon les peuples, les milieux et les époques en
incarnant la puissance de la vie dans la plasticité de la matière en insufflant l’émotion dans la
cadence du rythme, de la sonorité cristalline ou voilée du vocable, dans la souplesse harmonique
du mouvement, dans la symétrie et l’ordonnance des détails. Peinture, sculpture, architecture,
danse, poésie seront des expressions d’art aussi bien génériquement humaines que
spécifiquement nationales ou indigènes » (Price-Mars 1951 : 51).
30Qu’en est-il du cas précis d’Haïti ? Dans les années 1920, Price-Mars invitait les créateurs à
s’inspirer du folklore pour fonder un art véritablement haïtien. Il s’adressait aux nombreux
romanciers, aux musiciens dont « beaucoup d’ouvriers [étaient déjà] à la tâche », mais pas aux
plasticiens – il n’en voyait pas. Il tend par la suite à rectifier cet état des lieux. Il reconnaît
qu’« entre 1850 et 1904, la floraison des artistes et des hommes de lettres s’épanouit en gerbes
magnifiques dans tous les domaines. Musique, peinture, sculpture, littérature ont fait éclore des
talents robustes et brillants » (Price-Mars 1959a : 93). Aux côtés d’un Démesvar Délorme,
théoricien, d’un Oswald Durand, d’un Tertullien Guilbaud, Massillon Coicou, Georges Sylvain,
Etzer Vilaire, littéraires, il retient les noms d’Edmond Laforesterie et de Normil Charles,
sculpteurs, d’un Colbert Lochard, peintre ou d’Occide Jeanty, musicien. Cependant, c’est dans
les années 1950 que la floraison s’est montrée plus intense.
« Il n’est pas interdit d’associer à cette ferveur dont jouit l’art sous toutes ses formes, en ce
moment, l’engouement qui a poussé le public depuis une vingtaine d’années à encourager la
floraison des arts plastiques. Comme par enchantement, a paru, sous notre ciel, un essaim de
peintres, de sculpteurs et d’architectes dont les tableaux, les marbres, les bronzes ont soulevé
l’admiration générale et ont acquis la faveur des connaisseurs dans les expositions internationales
en Europe et dans les Amériques » (Price-Mars 1959b : 70-71).
31Price-Mars tente d’être plus précis dans un autre essai. « De toute cette activité, il résulte
qu’entre 1915 et 1953, soit en trente-huit ans, notre littérature et nos arts se plièrent à une
orientation nouvelle. »
Il poursuit :
« Pour la première fois apparut une floraison d’arts primitifs qui conquirent les lauriers des
expositions internationales grâce à la diligente amitié de M. Dewitt Peters. Pour la première fois
des chœurs sous la direction de M. Michel Déjean, participèrent avec succès à des festivals
internationaux, au-delà des mers, en faisant valoir des airs de notre folklore et de nos traditions
populaires. Pour la première fois, une Catherine Dunham qui vint chez nous s’instruire et
s’approvisionner des richesses de notre folklore s’appropria la technique de nos danses
populaires et alla sur les scènes américaines et européennes les faire applaudir en un succès
grandissant. Pour la première fois des troupes folkloriques sous la direction de Madame Fusman
Mathon ou d’autres personnalités après avoir moissonné des triomphes locaux vont faire
apprécier nos virtuosités artistiques à l’étranger. Pour la première fois, des musiciens tels que
Ludovic Lamothe, Justin Elie, Carmen Brouard, sans renoncer à la norme classique de leur
éducation artistique, s’inspireront des motifs de nos paysages ou de nos mœurs pour écrire “Sous
la tonnelle”, “Danse tropicale” ou “La Mer Frappée” » (Price-Mars 1959a: 99).
33Price-Mars aborde le phénomène de l’art naïf en reprenant des éléments du discours commun,
sans chercher à les intégrer de manière cohérente dans son propre dispositif discursif. Il
n’entreprend aucune réflexion spécifique, notamment sur les notions employées pour qualifier
cet art. Dans l’ensemble, il s’est contenté d’émettre des généralités, nous laissant le soin de
conjecturer sur les imprécisions et les ambiguïtés qu’elles recèlent. Pourtant il disposait, depuis
Ainsi parla l’oncle, d’un ensemble d’indices qui indiquaient des pistes d’enquêtes et auraient pu
susciter des questionnements sur les pratiques antérieures de créations « populaires », sur les
référents plastiques dont pouvait disposer un artiste d’origine paysanne, sur le vodou comme
fondement de toute activité artistique dans le pays, et auraient pu être exploitées pour expliquer
le surgissement de l’art naïf. Tout d’abord, les « observances », les « croyances », les
« cérémonies » qu’il se proposait de décrire sont généralement associées à des formes de
production plastique. Pensons aux vèvè, dessins rituels du vodou, aux drapo, aux fers rituels ou
encore aux décorations murales des ounfò. Il reproduit, dans Ainsi parla l’oncle, une photo de la
collection du Dr Arthur Holly, montrant des « dessins cabalistiques » du vodou, les vèvè, qu’il se
contente d’évoquer d’après la description d’une cérémonie tirée de Mimola, roman d’Antoine
Innocent. À la même époque, l’attitude d’un William Seabrook (1 929) est bien différente : il
prend le temps de décrire le dessin rituel dont il lui a été donné d’observer l’exécution. Des
manifestations plastiques s’imposent à Price-Mars jusque dans sa relation d’une histoire d’amour
paysan où il décrit la tenue portée par Ti Jean Pierre-Jean le jour de sa rencontre avec
Dorismène.
« Il [Ti Jean] mit son plus neuf pantalon, endossa sa blouse de cotonnade bleue, à boutons de
corozo doré, celle où l’artiste avait fait courir en dessins naïfs les points les plus fantaisistes
d’une aiguille experte ; sapattes19 de latanier enluminé de motifs à l’aniline, posées élégamment
en bandoulière, Ti Jean va parler d’amour » (Price-Mars 1998 [1928]: 192).
• 20 Cf. Alfred Métraux (1957: 50-53) ; Bastien (1985 [1951] : 96) qui a mené ses
enquêtes au même endr (...)
34Ces faits sont suffisamment significatifs aux yeux de Price-Mars pour être rapportés. Tout
aussi significatif est l’usage, dans les demandes en mariage, des papiers à lettre somptueusement
décorés. L’auteur qui insiste sur cette pratique, relevée par la suite en d’autres endroits du pays
par d’autres chercheurs20, reproduit un fac-similé de la lettre de Ti Jean (Fig. 14) (Price-Mars
1998 [1928] : 196-198). D’autres indices s’offraient encore à lui, comme les
chromolithographies des saints catholiques en usage dans le vodou. Ces pistes n’ont pas été
exploitées ; elles sont pourtant fondamentales. Il nous suffit d’en donner un exemple : la
circulation des images dans toutes les couches de la société depuis la période coloniale offre une
des clés de compréhension de l’explosion picturale survenue à partir des années 1940.
35Price-Mars (1953 : 73) avouera, dans une de ses conférences, que parler d’arts et de littérature
ne lui sied que fort malaisément. Il dira plus explicitement son manque de familiarité avec la
peinture d’Haïti.
« En 1958, à l’issue d’une communication sur la peinture haïtienne que nous avions faite à la
SNAD [Société nationale d’art dramatique], sous le patronage du Dr Price-Mars, rapporte
Michel-Philippe Lerebours, nous avons demandé à ce dernier, au cours d’un entretien, de nous
préciser ce “quelque chose de plus grand, de plus vrai” [qu’il faudrait à nos productions
artistiques]21. Il hésita, réfléchit assez longtemps et puis nous répondit : “Les peintres primitifs
pourraient peut-être mieux le dire que moi. Je pense qu’ils l’ont trouvé sans le chercher.
Dommage que je ne sois pas très familier avec la peinture haïtienne”. » (Lerebours 1989, I : 211,
n. 47).
36Son insistance à parler d’arts nous invite à ne pas nous en tenir à cette justification22. Tout en
s’excusant de parler littérature, c’est en fait à la littérature que pense Price-Mars lorsqu’il place
d’emblée l’art au cœur de son projet ethnologique. En effet, dans Ainsi parla l’oncle, il se
préoccupe de savoir si la société haïtienne dispose « … d’un fonds de traditions orales, de
légendes, de contes, de chansons, de devinettes, de coutumes, d’observances, de cérémonies et
de croyances qui lui sont propres ou qu’elle s’est assimilée de façon à leur donner son empreinte
personnelle, et si tant est que ce folklore existe, quelle en est la valeur au double point de vue
littéraire et scientifique ? » (Price-Mars 1998 [1928] : 5). De plus, il se demande « quel parti l’art
et la littérature ont-ils tiré de [ce] folklore ? » Il enchaîne : « Et d’abord y a-t-il un art haïtien, une
littérature haïtienne ? » (ibid.: 173) C’est dans ce contexte qu’il dresse le constat d’un vide en
matière de création plastique.
38Ses considérations sur l’esthétique telle qu’exprimée par des « races » différentes et la
diversité des manifestations artistiques sont reprises et font même l’objet d’un enseignement24.
Ses disciples, surtout deux d’entre eux en fournissent la preuve, adoptent comme lui un rapport
distancié à la création plastique. Lorimer Denis et François Duvalier, dans un article de 1936,
notent l’importance de la découverte des arts d’Afrique pour l’art moderne : Picasso, Derain,
Matisse, Segonzac, Laurencin y ont puisé les valeurs capables de les amener à « retrouver les
frontières effacées de l’art ingénu des primitifs ». « De même aussi dans la peinture encore à
l’état embryonnaire chez nous, M. Pétion Savain, au dire de sa critique M. Anthony Lespès, s’est
affranchi des normes occidentales pour assouplir son talent au contact des disciples du cubisme
d’inspiration franchement nègre. » (Denis & Duvalier 1968: 214). Cependant, quand il est
question de la peinture naïve, quand se pose le problème de son rapport à l’Afrique, les auteurs
se dispensent d’intervenir dans le débat. En 1952, l’un d’eux, François Duvalier, prononce une
conférence sur « la culture populaire » : il se limite à la poésie, au chant et aux danses dans
« l’esthétique vodouesque »25. Mais il n’a pu s’empêcher d’évoquer les beaux-arts. Traitant de
l’importance de la connaissance de la culture nationale, de la nécessité de « la conserver » et de
« l’augmenter », le conférencier soutient que :
« Cette conservation de la culture confiée aux musées, aux archives et aux bibliothèques sera
augmentée d’une façon insoupçonnée. Pour l’encouragement moral de notre culture, qui est la
base spirituelle de notre Nation et la base du véritable sentiment populaire, nous disposerons de
centres de diffusion des beaux-arts, des sciences et des belles-lettres, de conférences, de
radiodiffusions, de centres de recherches scientifiques, littéraires, historiques, philosophiques,
idéologiques, et artistiques et nous aurons également des académies: l’Académie des sciences,
des belles-lettres, des beaux-arts, de l’histoire et des langues, des croyances religieuses, de
littérature populaire et des traditions familiales et régionales » (Duvalier 1968a, I : 275-276).
39Aucune allusion n’est faite au Centre d’art créé en 1944 par Dewitt Peters, qui promeut l’art
naïf, ni au Foyer des arts plastiques qui venait d’être fondé en 1950 par des dissidents du Centre,
ni encore au décor de la cathédrale épiscopale qui venait d’être inauguré en 1951 marquant le
triomphe de l’art naïf en Haïti. En ce début des années 1950, où le monde de la création plastique
acquiert une certaine vigueur et suscite débats et même polémique, le discours de l’ethnologue y
est imper- méable tout en se risquant à esquisser un projet d’institutionnalisation du monde
artistique. Comme sur une table rase. Comme s’il s’agissait de partir du vide « constaté » par
Price-Mars en 1928.
in Milo Rigaud, Ve-ve. Diagrammes rituels du voudou. New York, French and European Pub.,
1974.
40L’idée d’un vide artistique, admise en 1937 par Melville Herskovits – dont on sait qu’il a été
influencé par Price-Mars (Yelvington 1999) –, est reprise à la fin des années 1950 par Milo
Rigaud. Herskovits, à la recherche d’africanismes, observe qu’un ensemble de facteurs
sociohistoriques a eu pour conséquence la destruction des traditions artistiques africaines en
Haïti (Herskovits 1937 : 261-263). Il y voit les effets néfastes d’un conflit de traditions et
soutient «… it is important to recognize that the suppression of these forms of the prevalent
African tradition would seem to have lost to the Haitian an important outlet for the resolution on
inner tensions caused by pent-up drives » (ibid.: 293). Milo Rigaud abonde dans le même sens, à
partir de son approche cabalistique du vodou. André Breton lui avait adressé son questionnaire
d’enquête sur L’Art magique, dans lequel il précisait :
« La catégorie d’œuvres d’art dont il s’agit comprenait à la fois celles que commande – ou sous-
entend – une magie en exercice, soit bon nombre d’œuvres archaïques et la presque totalité de
celle des “primitifs” (Afrique, Amérique, Océanie), celles qui, du Moyen Âge à nos jours,
véhiculent la pensée dite “traditionnelle” et – sous la pression d’aujourd’hui – toutes celles dont
le pouvoir sur nous excède ce qu’on pourrait attendre de leurs moyens décelables » (Breton 1991
[1957] : 259).
• 26 Breton raconte aussi (1965a) : « Un jour que je sollicitais son opinion sur les toiles de
Wifredo (...)
41Breton, on l’a vu, percevait la peinture d’Hector Hyppolite comme une « peinture religieuse
primitive » et soutenait que le statut de prêtre vodou du peintre présentait à ses yeux une garantie
absolue de l’authenticité de son œuvre. « J’ignore », ajoutait-il, « quelle part Hyppolite faisait
respectivement à la magie et au culte proprement dit. Le plus probable est qu’il était de ceux qui,
comme on dit en Haïti, “travaillaient des deux mains” (sont à la fois prêtre et magicien) »26.
42Milo Rigaud ne partageait vraisemblablement pas cet avis. Sa réponse, de portée générale, le
laisse comprendre :
« Pour avoir, en partie, “rejeté” (c’est-à-dire abandonné la volonté religieuse de magie qui leur
est traditionnellement propre parce que vaudou), les Haïtiens ont perdu les “formes de l’art”.
Cette perte essentielle a créé la nécessité d’une “refonte de l’Histoire” d’Haïti où, seules les
sources kabbalistiques qui ont valu à l’art universel les merveilles de la sculpture nègre, freinant
“le déchaînement des forces obscures” qui conduisent sataniquement à l’imitation et à la fiction,
redonneront divinement les pouvoirs de l’art de création» (Breton 1991 [1957]: 276).
43Au cours de la campagne antisuperstitieuse menée au début des années 1940, on invitait les
vodouisants à « rejeter » leurs pratiques, leurs objets, leurs croyances, d’où le nom de
« campagne de rejeter ». Quantité d’objets cultuels avaient été amassés et livrés en autodafé. La
campagne, toutefois, a échoué ; elle n’a pas réussi à détruire le vodou. Mais c’est sans doute un
rejet plus profond, global, que conçoit Rigaud. Ce que le statut conféré au vodou dans la société
semble confirmer mais qu’infirment, les pratiques socioculturelles. D’où la nécessité de prendre
en compte les conditions historiques de gestation et de structuration interne du vodou pour
chercher à établir et à comprendre les types de productions plastiques qu’elles ont rendu
possibles. Celles-ci paraissant insignifiantes en comparaison avec les « merveilles de la sculpture
nègre », autant soutenir leur inexistence. Pourtant Milo Rigaud (1974) se penchera sur les vèvè,
ce corpus graphique des langages plastiques vodou, mais sa critique radicale s’étend bien au-delà
du vodou, et pour lui aucune forme d’« art de création » ne s’est développée en Haïti (Fig. 15a et
15b). Les quelques manifestations plastiques qu’on pourrait relever ça et là seraient de l’ordre de
« l’imitation » et de… « la fiction », y compris l’art naïf, qui pour d’autres, un Morisseau-Leroy,
pour ne parler que de lui, aurait rompu avec une tradition d’art d’« imitation » (Morisseau-Leroy
1955b : 1). Rigaud rejette aussi dans le même mouvement la thèse selon laquelle l’art naïf serait
un art néo-africain ou encore un art magique.
• 27 Alfred Métraux (1989: 13). Métraux donne une autre version, où il lie ses
propositions à Roumain à (...)
45Métraux envisage alors d’étudier le vodou avant sa totale disparition. Et de ses conversations
avec Jacques Roumain naît l’idée de créer un Bureau d’ethnologie chargé d’en sauvegarder le
souvenir. « Quand je revins en Haïti, en 1944 », écrit-il, « le Bureau d’ethnologie, fondé par
Jacques Roumain, avait sauvé des flammes d’importantes collections et entrepris diverses
enquêtes sur des aspects peu connus du vaudou »27.
• 28 Cf. Roumain (2003). Voir les travaux scientifiques de Roumain (pp. 1009-1160) ainsi
que les articl (...)
46Le Bureau est donc fondé sur une tout autre base que celle de l’orientation initiale donnée à
l’école haïtienne d’ethnologie par Price-Mars (cf. Doucet, infra pp. 109-125). Jacques Roumain,
son fondateur, doit sa vocation d’ethnologue à Ainsi parla l’oncle, selon plusieurs auteurs, mais
il a été à une autre école, celle de Paul Rivet au musée de l’Homme à Paris. Et quelles que soient
les limites de sa formation et de son œuvre scientifique, sa démarche diffère de celle de Price-
Mars par la place qu’y occupe la culture matérielle28. Il en est de même de tous ceux qui
constituent le noyau initial de cette nouvelle tendance, Louis Maximilien, Kurt Fisher, Edmond
Mangonès, Rémy Bastien, mais si tous s’intéressent aux objets cultuels il ne s’agit pas des
mêmes artefacts. En effet, des recherches archéologiques avaient été amorcées malgré l’absence
de tout cadre institutionnel local (Aubourg 1951) et avaient donné lieu à une exposition d’objets
taïnos organisée à Port-au-Prince en 1941. Le catalogue, L’Art précolombien d’Haïti, avait été
préparé par Louis Maximilien et Edmond Mangonès (1941). Le titre de cette publication suffit à
suggérer que ce type de chercheurs était plus disposé à se pencher sur les autres formes de
production plastique. Quant à A. R. Bastien, il publie en 1944 une importante étude sur des
tableaux du XIXe siècle accrochés à l’ancienne cathédrale de Port-au-Prince (Bastien 1944b).
Edmond Mangonès (1943a, 1943b) étend son champ de recherches à la numismatique. Louis
Maximilien (1943) s’intéresse à la plastique « populaire » sacrée et profane, liée à l’héritage
précolombien.
47C’est dans cette perspective qu’il aborde le vodou dans son ouvrage Le Vodou haïtien. Rite
radas-canzo (Maximilien [1945]) où son intérêt pour les objets cultuels et les manifestations
plastiques est clairement exprimé. Le livre comporte un grand nombre d’illustrations (dessins et
photos) qui servent de supports à la description et à l’analyse. Les décorations extérieures et
intérieures des ounfò n’ont pas échappé à l’auteur. Il consacre tout un chapitre aux vèvè (ibid.:
41-51) qui sont d’ailleurs évoqués tout au long de l’étude. À part les photos montrant ces dessins
en situation, un corpus a été établi de vingt-quatre vèvè redessinés et présentés, pour vingt-deux
d’entre eux, avec leurs formules d’invocation, les deux autres étant des vèvè combinés (ceux des
tambours et du oungan, ceux des pots rituels dénommés zen). Pour Maximilien, ce sont des
« éléments essentiels aux rites cérémoniels », si bien qu’il convient de les analyser avant même
d’entreprendre la description des cérémonies. Il définit ce qu’est un vèvè, indique les lieux et les
moments de son exécution, les ingrédients et la technique utilisés pour le réaliser.
« [La] farine est prise par petite quantité entre le pouce et l’index, et on la laisse tomber à la
manière d’un sablier. Le houngan, en faisant mouvoir la main, obtient les lignes de son dessin.
Les motifs sont exécutés avec une habileté égale à celle d’un artiste travaillant au crayon sur du
papier ou mieux, à la craie, au tableau noir. Au cours des cérémonies, ces vêvers [sic] constituent
de véritables manifestations d’art. Ils supposent un sens développé de la perspective. Aussi, les
vodouisants, accordent-ils une grande importance au fait de savoir “tirer la farine” » (ibid.: 41).
48Maximilien s’interroge sur l’origine des vèvè. S’il soutient la thèse d’une provenance
précolombienne, il y voit l’expression des vestiges de la culture totémique africaine et surtout les
influences de la magie européenne, confirmées par des rapprochements iconographiques. Car
certains motifs s’apparentent à ceux relevés sur les pentacles du « Clavicule de Salomon » ou du
grimoire du Pape Honorius III et on y retrouve des cercles magiques ou encore « Le Triangle des
Pactes ». L’auteur établit un rapprochement tout à fait convaincant entre le vèvè d’Èzili et
l’effigie du Sacré-Cœur dessinée par sainte Marguerite Marie en 1685, tout en démontrant que le
motif est déjà présent dans le livre de cabale alchimique de l’Agneau intitulé Harmonie
mystique, ou accord des philosophes chymiques, daté de 1636. L’ouvrage comporte en effet deux
« hiéroglyphes alchimiques » qui proviennent de deux monuments antérieurs au XVIesiècle, et qui
sont, selon Maximilien, une « représentation anticipée du Sacré-Cœur ».
49La thèse de la provenance précolombienne des vèvè, bien que reprise encore aujourd’hui
(Saint-Louis 2000 : 18-20), a été très tôt contestée29. Mais Maximilien a ouvert en même temps
la voie d’une approche iconographique qui reste encore à explorer de façon approfondie.
50En 1947, il s’intéresse à Hector Hyppolite, qu’il perçoit comme un membre de « la grande
famille spirituelle des peintres de “l’instinct et du cœur” rencontrés sous tous les cieux et à tous
les âges », mais dont la singularité tient à ce que «…ses compositions et ses rythmes » lui
« viennent directement du vodou ». Hyppolite hérite des richesses de « la religion populaire
haïtienne » dont les rites sont « africains » tout en étant nourris d’« apports alchimiques,
magiques et maçonniques » (Maximilien 1947 : 25, 29), et il initie une « nouvelle école de
peinture à caractère ésotérique ». La parenté de cette proposition avec le discours tenu par André
Breton est évidente. Celui-ci connaissait les travaux de Maximilien, les cite en plusieurs endroits,
reprenant notamment ses considérations sur les différents apports constitutifs du vodou et sa
thèse sur l’origine précolombienne des vèvè.
51Le courant d’études sur la culture matérielle ne s’est malheureusement pas engagé plus à fond
dans la recherche sur l’art naïf. Il est vrai que cette tendance elle-même a eu du mal à prospérer.
Dans une analyse de la production scientifique du Bureau portant sur 116 articles recueillis dans
37 numéros de son Bulletin parus de 1943 à 1986, Raymonde Giordani (1987) observe que
soixante-deux articles, soit 53 %, traitent de la tradition religieuse ; vingt-cinq d’entre eux
étudient spécifiquement le vodou dans ses divers aspects et les trente-sept autres en traitent d’une
manière ou d’une autre. Dans cet ensemble, la plastique vodou proprement dite n’a pas bénéficié
d’une très grande attention. Sous une autre rubrique, Giordani dénombre vingt-cinq articles
consacrés à l’archéologie et à l’histoire précolombiennes, dont onze, soit 40 %, écrits par des
chercheurs étrangers. Sur la totalité des articles répertoriés, et même en les complétant à l’aide
du répertoire établi en 1992 par Arnold Dormilus (1994), on ne relève aucun article sur l’art naïf
et on en compte seulement deux consacrés aux « arts populaires » : « La vannerie haïtienne :
généralités et particularités », « La poterie haïtienne : généralités et particularités », publiés
respectivement en 1969 et en 1974 par Jacques Oriol. Giordani souligne l’absence d’études sur
nombre de pratiques artisanales pourtant importantes dans la vie de la collectivité. Certes les
études recensées témoignent d’une grande diversité thématique, mais la préoccupation centrale
reste la tradition religieuse. « Cependant, estime Giordani, ce souci se traduit trop souvent par
des inventaires et analyses du champ symbolique, alors que le champ de l’utilitaire reste
inconnu. » Il faut y voir, en fin de compte, le triomphe, au sein du Bureau dédié à l’étude de la
culture matérielle, de la voie initiale définie par Price-Mars.
• 30 Cf. la liste des mémoires soutenus à la Faculté d’ethnologie d’Haïti de 1959 à 1969,
parue dans la (...)
• 31 Max Benoît, s. dir., Cahier de folklore et des traditions orales d’Haïti, Cenahfotro-
Cinecutoh, 19 (...)
52Si la production scientifique de l’Institut, devenu Faculté d’ethnologie, semble présenter une
plus grande variété d’études, force est de constater que là aussi l’art naïf reste singulièrement en
dehors des préoccupations. Le répertoire des mémoires de fin d’études pour la période allant de
1959 à 1970 en témoigne30. Il en est de même des travaux de folklore de 2e année du cursus, si
l’on s’en tient à la sélection proposée par Max Benoît pour la période allant de 1969 à 197831.
En cette année 1978, Jean-Baptiste Romain, alors doyen de la Faculté, publie Africanismes
haïtiens. Compilations et notes, ouvrage qui constitue à la fois le n° 31 de la Revue de la Faculté
et le n° 6 du Bulletin de l’Académie des sciences humaines et sociales d’Haïti. Romain (1978: 9)
entend, à partir de la méthode proposée par Herskovits, établir une première synthèse des
données sur les survivances africaines en Haïti.
53Pour Herskovits, la culture peut être étudiée comme une série de variables à la fois interreliées
et indépendantes qu’il dénomme « aspects ». C’est par ces « aspects » qu’est donné le degré de
survivance. Cela tient à la variabilité des éléments culturels dans leur forme et dans leur capacité
de changement dans une situation historique donnée. Ainsi les degrés de rétention sont fonction
des aspects de la culture. Il y a par exemple beaucoup plus d’africanismes dans la religion que
dans la vie économique, davantage dans les classes sociales inférieures que dans les classes plus
favorisées. Herskovits aboutit à une échelle d’intensité des africanismes dans le Nouveau Monde
où seul le plus grand degré de rétention est retenu pour chaque groupe. L’échelle comprend six
degrés allant du purement africain (a) à l’absence d’indication (?) en passant par très africain
(b), assez africain (c), un peu africain (d) et traces de coutumes africaines ou néant (e). Dix
« aspects » sont retenus : technologie, vie économique, organisation sociale, institutions,
religion, magie, art, folklore, musique, langue (Herskovits 1967 : 305-307). Selon le tableau qui
en résulte, la religion, le folklore et la musique sont « purement africains » dans les campagnes
haïtiennes, tandis que dans les villes, seuls le folklore et la musique le sont. Et l’intensité est
variable pour les autres aspects. « L’art » par exemple est « un peu africain » dans les campagnes
et ne garde que des « traces de coutumes africaines ou néant » dans les villes.
• 32 Le tableau que Romain reproduit n’est pas fidèle à celui qui figure dans Herskovits
(1967). Entre (...)
• 33 Tige de fer surmontée d’un petit plateau rond, plantée devant l’autel et servant de
bougeoir. (...)
• 34 Talisman d’un genre particulier : sacoche de soie portant des ornements et
d’apparence anthropomor (...)
54C’est cette approche que Romain entend reprendre en vue de sa synthèse. Il précise qu’il s’agit
pour lui « de vérifier si les manifestations culturelles d’inspiration africaine, indiquées dans [le
tableau établi par Herskovits]32, répondent à des réalités dans la société haïtienne d’aujourd’hui ;
si oui, de compléter ce tableau au besoin sans s’astreindre à prendre en compte l’élément
intensité en rapport avec la rétention des dites manifestations » (Romain 1978 : 8). L’auteur
conclut que le tableau d’Herskovits, légèrement modifié et complété se vérifie encore et surtout
dans la paysannerie et qu’« Haïti se révèle ainsi un laboratoire d’expérimentation de ces
survivances » (ibid.: 98). En ce qui concerne « l’art » et en se référant à Marcel Griaule (1947), il
part d’une caractéristique définie de « l’art africain », de son « esprit utilitaire […]
religieusement parlant », qu’il retrouve « dans maintes démarches des masses paysannes
haïtiennes, sous le rapport de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, des arts du dessin, par
exemple » (ibid.: 26-27). Il retient le lakou, prototype de « l’habitation paysanne traditionnelle »
en matière architecturale, deux objets cultuels, l’asen33 et le pakèt34, comme exemples de
sculpture et les vèvè pour les arts du dessin. S’agissant de la peinture, l’auteur se contente de
parler de la symbolique des couleurs. En fin de compte, si cette rubrique « art » a le mérite
d’exister, elle est loin d’être une véritable synthèse des différentes études menées jusque-là et
l’art naïf n’est pas traité en tant que tel, même si l’africanité de cet art est en débat depuis son
irruption.
55L’avènement de l’école haïtienne d’ethnologie et celui de l’art naïf sont deux événements
distincts, qui participent toutefois d’un même paradigme. À travers l’un et l’autre s’affirme
l’existence de formes, de pratiques, de valeurs considérées comme premières, primitives, qu’il
convient d’accepter et de promouvoir comme telles. Ils s’inscrivent donc dans le primitivisme et
en cela subvertissent l’échelle des valeurs sociales établies, fondées sur une conception de la
« Civilisation ». En raison de ce partage d’un même univers paradigmatique, le procès de
valorisation du vodou, et de la « culture populaire » d’une manière générale, engagé par Price-
Mars a pu paraître comme l’événement qui a engendré l’art naïf. La différence entre les deux
phénomènes devenait d’autant plus imperceptible que la démarche ethnologique offrait un cadre
général de justification et une explication globale de l’art naïf. Ce qui, en retour, ne manquait pas
d’influer sur la production artistique elle-même. Les conditions d’une exploration systématique
de la thématique vodou étaient alors créées, ouvrant de nouveaux espaces imaginaires à la
création plastique. Mais l’avènement de l’art naïf est un phénomène de grande ampleur aux
implications multiples. Il institue un mode de représentation en rupture avec celui qui était
jusque-là légitimé en entraînant la promotion d’hommes et de femmes issus d’une catégorie
sociale alors déconsidérée. Il provoque une densification, une massification même, de la
production plastique accompagnée d’une reconfiguration du marché de l’art sur le plan interne.
Et c’est dans cette dynamique que s’est constitué un nouveau lieu de réflexion dans l’histoire
intellectuelle du pays, celui du discours sur la création plastique. Certes, des écrits sur « l’art »
ont existé auparavant, mais désormais émerge un véritable espace discursif, c’est-à-dire un
espace créé autour d’une série de questions posées, traitées, donnant ainsi lieu à une masse
discursive plus ou moins importante et clairement identifiable ; traduisant des enjeux spécifiques
et ayant des effets repérables. On voit bien que le phénomène de l’art naïf ne peut pas être
confondu avec ce procès de folklorisation de « la culture populaire », dénommée « mouvement
folklorique » en Haïti (Ramsey 2002). Évidemment il n’y a pas échappé, mais sa dynamique
propre ne saurait être occultée pour autant.
56Au départ de tout cela, il y a l’énonciation d’un jugement esthétique fondé sur le renversement
opéré dans la relation d’opposition primitivité / civilisation. Car le primitivisme n’est pas autre
chose. Il consiste plus précisément en un relèvement de la fonction négative jadis conférée au
« primitif » par rapport au « civilisé ». C’est dans le mode d’appropriation de ce renversement et
dans ses effets que réside la différence entre l’avènement conjoint de l’école haïtienne
d’ethnologie et de l’art naïf. Le primitivisme qui sous-tend l’injonction de Price-Mars, s’inspirer
du folklore pour créer un art proprement haïtien, était encore trop médiatisé par l’idéal
civilisationnel pour être à même de libérer une parole, comme celle de Gómez Sicre, capable
d’instaurer l’art naïf. Par contre, cette instauration une fois accomplie, on voudra transformer le
nouveau genre en source d’inspiration, la source jusque-là manquante à laquelle puiser les
substances d’un véritable art plastique haïtien. Philippe Thoby-Marcelin (1945) le recommande
dès 1945 ; Max Pinchinat en élabore la doctrine à travers toute une série de publications35 et il
s’est efforcé de l’illustrer par son œuvre.
57C’est à ce niveau justement, celui de l’appréhension du phénomène naïf, des débats qu’il a
suscités, donc de la constitution de l’espace du discours sur l’« art », que l’école haïtienne
d’ethnologie joue un rôle essentiel. Elle n’inclut certes pas la création plastique dans son horizon
d’exploration, mais elle occupe très vite la place centrale dans l’univers discursif – place qui
revenait en quelque sorte à l’histoire au XIXe siècle – ; elle devient la formation discursive36 qui
informe toutes les autres en ce qu’elle redéfinit Haïti en tant que « communauté », non pas
uniquement par son historicité, mais aussi et avant tout par ses composantes culturelles.
• 38 Cf. L. Mars (1955 [1946]) qui établit très tôt un rapprochement entre l’espace rituel
du vodou, la (...)
• 39 L. Mars (1966), article repris, avec un autre texte dans Cornevin ([1973]: 190-192),
Mars (1979a, (...)
• 40 Cf. entre autres Consentino (1995). Plusieurs articles de ce catalogue sont repris et
traduits dan (...)
59Louis Maximilien, une dizaine d’années plus tôt, avait débuté son ouvrage sur le vodou en ces
termes : « Aucun esprit de prosélytisme n’est contenu dans ces écrits, car le Vodou,
certainement, n’est pas un moyen de civilisation. Son temps, il y a déjà bien des siècles, est
révolu » (Maximilien 1945 : XXIII). Lui qui s’était déjà penché sur la musique vodou avec
Werner Jaegerhuber, perçoit les cérémonies comme « un véritable drame sacré, simple et logique
dans sa composition » (ibid. : 35). Il y voit là « une source jaillissante d’éléments d’art
dramatique pour un artiste qui voudrait les comprendre et les changer. Il en sortirait un théâtre
populaire […]. Et aucun doute ne peut être sur l’avenir de ce théâtre qui, dominé par la religion,
débuterait dans la ligne classique par excellence : les Mystères ». L’auteur suggère que « Des
rapports harmonieux de parties pourraient être dégagés de ces mystères qui, transformés par l’art,
éclateraient de splendeurs… » (ibid.: 36-37). Il pose là les fondements de ce qui va être
conceptualisé sous le nom de « pré-théâtre »38 et d’ethnodrame39. Lorsque Franck Fouché,
pensera le projet d’un « théâtre populaire », dans le prolongement de l’esthétique du merveilleux
de Jacques Stephen Alexis, c’est à cette notion de « pré-théâtre » qu’il recourra (Fouché 1976).
Michel-Philippe Lerebours (1989, I : 263-308) qui s’est lui aussi fondé sur la théorie d’Alexis
pour définir « Une esthétique nouvelle » en matière de création plastique, s’inspirera de Fouché
pour affirmer que le vodou offre un « pré-art », « cet état d’avant l’Art» (Lerebours 1992 : 98).
Les formes d’expressions plastiques du vodou sont perçues comme une réserve de matériaux
bruts et non comme relevant d’un univers de création à part entière, spécifique, autonome. Le
discours exclusiviste, qui a fourni la version longtemps dominante de l’haïtianité artistique,
synthétisée dans l’équation art haïtien = art naïf = art vodou, ne conçoit pas non plus cette
autonomie. Elle a une portée homogénéisante qui réduit la diversité des langages plastiques. En
tout cas, les deux conceptions occultent l’un des acquis des bouleversements survenus à partir
des années 1940, à savoir la visibilité des différents domaines de création existant et ayant existé
parallèlement aux beaux-arts. Il y a bien un domaine de langages plastiques propres au vodou.
Révélé dès le début des années 1940 à une école haïtienne d’ethnologie qui n’a pas su le
constituer en un véritable objet d’études, il est aujourd’hui de mieux en mieux exploré,
notamment par des chercheurs états-uniens40 et, en Haïti, à travers la collection, de plus en plus
connue, de Marianne Lehmann. Il est constitué d’un ensemble d’objets bien spécifiques, créés ou
appropriés, puis intégrés selon des procédures définies, évalués sur la base de critères établis et
auxquels sont assignées des fonctions particulières. Autant de facteurs qui différencient
nettement cette production d’œuvres picturales ou sculpturales non destinées aux cultes, et cela
même lorsqu’elles sont celles d’artistes vodouisants.
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Notes
1 Claude Souffrant, « Jean Price-Mars et sa révolution culturelle », Haïti en marche, 15-21 juin
1988, p. 12.
2 La question de l’influence de Price-Mars sur les écrivains de la Revue Indigène n’est pas
nouvelle. Price-Mars, lui-même, avait jugé nécessaire de faire le point dès 1939. Dans un article
paru dans la revue Les Griots, il revendique l’antériorité de sa démarche et l’impact éventuel de
sa réflexion sur ces écrivains.
3 Le qualificatif de naïf n’est pas admis de tous les chercheurs. J’ai justifié ailleurs le choix cette
appellation. Cf. Célius 2001, 2004.
5 Cf. Iconographie des contemporains. Depuis 1789, jusqu’en 1829, publié par F. S. Delpech,
Paris, Chez l’éditeur, 1832, 2 vol. Le portrait de Toussaint figure dans le second volume. Sur le
rapprochement entre les tables de physiognomonie et ce portrait, voir Célius (2000).
6 Ces deux œuvres sont reproduites et commentées dans Fondation culture création (1995, I :
26 et 29).
8 Voir en particulier, « De la beauté dans les races humaines » (Firmin 1885 : 269-288), et
« Évolution esthétique des noirs haïtiens », (ibid. : 288-301).
9 Jean Price-Mars 1998 (« De l’esthétique dans les races », initialement publié dans La Nouvelle
Revue, Cap-Haïtien, 1er septembre 1907, pp. 12-20, cet article a été repris dans La Vocation de
l’élite, dont la première édition date de 1919).
10 Il est à noter que les dessins figurant dans cet ouvrage n’ont jamais été reproduits dans les
éditions et rééditions françaises, à la différence de l’édition allemande dont j’ai eu connaissance
(Geheimnisvolles Haiti Rätsel und Symbolik des Wodu-Kultes, München, Matthes & Seitz,
1982). Quelques-uns sont reproduits dans Consentino (1995).
11 Le courant d’art naïf est déjà constitué et sa promotion en Haïti obtient l’appui de plusieurs
personnalités représentant les instances de légitimation de la modernité artistique, comme René
d’Harnoncourt du Musée d’art moderne de New York, ou André Breton, chef de file du
surréalisme ; sa production est appréciée sur le marché de l’art surtout états-unien, en pleine
expansion et prêt à accepter ces formes de création.
13 Cf. entre autres « Painting Priest », Time, New York, 6 janv. 1947, p. 44.
14 « Douze toiles » d’après Bloncourt & Nadal Gardère (1986: 16), « Cinq, à huit dollars
chacune », selon Rodman (1948: 60).
15 Breton & Duchamp (1947). Trois œuvres d’Hyppolite sont reproduites dans ce catalogue :
Papa Lauco (la toute première planche de l’ouvrage), Chez la gourgandine et Une prostituée
(planche XXIV).
16 André Breton (1965a [1947]). Pour un commentaire détaillé de ce texte, cf. Célius (2001:
122-147).
17 Par exemple, de la liste de ses œuvres établie par Serge St. Jean (1973) (180 pièces, chiffre
qu’il faudrait revoir à la hausse, estime, avec raison, Michel-Philippe Lerebours), moins de 50 %
des titres renvoient explicitement au vodou.
18 Dans « Survivances africaines...», Price-Mars (1956: 279) énumère des éléments manifestes
de la présence africaine en Haïti et ajoute : « Quoi qu’il en soit, l’Afrique, de ce côté-ci de
l’Atlantique, comme ailleurs, a inspiré une prodigieuse floraison d’arts plastiques qui a
bouleversé le monde comme une révolution ». Aucun doute que l’orateur parlait d’Haïti. C’est
d’ailleurs pour redire les origines africaines de « cette créativité des peintres haïtiens » que Jean
Métellus a repris ce passage (1987: 151-152). Il convient de souligner que contrairement à ce
qu’il fait pour les autres éléments inventoriés, Price-Mars n’a pas étayé de commentaires qui
rendraient moins allusive son affirmation au sujet de la production plastique. Il a évité de
nommer la peinture naïve. Ce qui confère à sa comparaison le même rapport distancié établi avec
les arts d’Afrique et l’art moderne occidental.
20 Cf. Alfred Métraux (1957: 50-53) ; Bastien (1985 [1951] : 96) qui a mené ses enquêtes au
même endroit, à la même époque, dans le cadre du même projet que Métraux, écrit : « Autrefois,
en des temps plus heureux, on écrivait cette lettre sur un papier spécial, brodé, acheté à Jacmel.
De nos jours, une simple feuille de papier fait l’affaire. » Métraux, quant à lui, reproduit un de
ces papiers spéciaux.
21 Price-Mars (1998 [1928]: 176) écrit : « Il semblerait qu’une certaine sensibilité commune à la
race, voire un certain tour de langue, une certaine conception de la vie très propre à notre pays
dont un écrivain de talent marquerait ses ouvrages sans que ses personnages soient haïtiens, ne
manquerait point de leur donner le caractère indigène que notre critique réclame. Mais, à côté de
tout cela, il faudrait quelque chose d’autre qui soit plus grand, plus vrai de vérité humaine et
haïtienne, il faudrait que la nature des œuvres fut tirée quelquefois de cette immense réserve
qu’est notre folklore, où se condensent depuis des siècles les motifs de nos volitions, où
s’élaborent les éléments de notre sensibilité, où s’édifie la trame de notre caractère de peuple,
notre âme nationale. »
22 Position qu’avait déjà adoptée M. Laroche dans « La question du point de vue » (1978: 9-15).
23 De Paul Sébillot dans la Revue des traditions populaires : [Catalogue sommaire illustré, de]
« La section des Traditions populaires à l’Exposition des arts de la Femme », t. VIII, 1892, pp.
457-473 ; « Les traditions populaires et les peintres romantiques au Salon », t. V, 1890, pp. 289-
294 (Salons de 1819 à 1840 inclus) ; « L’iconographie fantastique », t. IV, 1889, pp. 579-588, t.
V, 1890, pp. 338-352 ; « Superstitions iconographiques : 1. Les portraits RTP », t. I, 1886, pp.
349-354 ; « Superstitions iconographiques : 2. Les statues », t. II, 1887, pp. 16-23 ;
« Superstitions iconographiques : 3. Manies et superstitions des peintres ; 4. Les modèles ; 5. La
peinture et le mauvais œil, t. II, 1887, pp.270-272.
26 Breton raconte aussi (1965a) : « Un jour que je sollicitais son opinion sur les toiles de
Wifredo Lam dont se préparait une exposition au Centre d’art, il afficha pour lui un vif et
déférent intérêt tout en se récusant légèrement parce qu’à ses yeux c’était de la “la magie
chinoise” par opposition à la “magie africaine” qu’il sous-tendait être son fait [Wifredo Lam était
né de père chinois et de mère cubaine noire]. »
27 Alfred Métraux (1989: 13). Métraux donne une autre version, où il lie ses propositions à
Roumain à la protection des sites archéologiques (1944).
28 Cf. Roumain (2003). Voir les travaux scientifiques de Roumain (pp. 1009-1160) ainsi que les
articles de Jean Michael Dash (« Jacques Roumain romancier », pp. 1359-1377) et d’André
Marcel d’Ans (« Jacques Roumain et la fascination de l’ethnologie », pp. 1378-1428). Sur les
activités de recherche de Roumain, voir aussi les rapports d’activités du Bureau dans le Bulletin
du Bureau d’ethnologie, 1943, n° 2, pp. 4-7 ; 1944, n° 3, pp. 5-8 ; décembre 1946, sér. 2, n° 1,
pp. 8-11 ; Rémy Bastien, « Archéologie de la baie de Port-au-Prince (Rapport préliminaire) »,
1944, n° 3, pp. 33-39.
29 En 1947, C. Fernard-Pressoir soutient leur origine africaine (1947 : 48). Emmanuel C. Paul
estime, en 1949, qu’en introduisant cette référence, Louis Maximilien complique inutilement la
genèse du vodou pour ceux qui doutent encore de l’influence prépondérante de l’Afrique. Cf.
Paul (1949 : 26 ; voir aussi 1962 : 300). K. Mc C. Brown quant à elle admet leur origine
africaine (1976). R. F. Thompson (1984 : 188) n’a aucun doute non plus sur une telle
provenance. Alfred Métraux pense qu’ils sont d’origine dahoméenne mais qu’ils doivent leur
style aux ferronneries et aux broderies du XVIIIe siècle français (Métraux 1989 [1958]:148). Jean
Kerboull (1977) insiste sur l’apport de la magie européenne et de la franc-maçonnerie.
S’appuyant sur la présence attestée d’esclaves islamisés dans la colonie, Michel-Philippe
Lerebours (1989, I : 53) n’exclut pas l’influence même indirecte de l’art musulman.
30 Cf. la liste des mémoires soutenus à la Faculté d’ethnologie d’Haïti de 1959 à 1969, parue
dans la Revue de la Faculté d’ethnologie, 1970, n° 15.
31 Max Benoît, s. dir., Cahier de folklore et des traditions orales d’Haïti, Cenahfotro-
Cinecutoh, 1980.
32 Le tableau que Romain reproduit n’est pas fidèle à celui qui figure dans Herskovits (1967).
Entre autres différences, pour la rubrique « art », il est indiqué « (?), pas d’indication » alors
qu’il est mentionné « (d), un peu africain » dans Herskovits.
33 Tige de fer surmontée d’un petit plateau rond, plantée devant l’autel et servant de bougeoir.
34 Talisman d’un genre particulier : sacoche de soie portant des ornements et d’apparence
anthropomorphique.
36 Sur la distinction entre univers discursif, espace discursif et formations discursives, cf.
Maingueneau (1984).
37 Voir entre autres de L. Price (1946a, 1946b), Lerebours (1989), Thoby-Marcelin (1956) et de
M. Paillère (1975).
38 Cf. L. Mars (1955 [1946]) qui établit très tôt un rapprochement entre l’espace rituel du
vodou, la possession et le théâtre. Cf. A. Métraux (1955) ; A. Schaeffner (1947-1948), M. Leiris
(1989 [1958]). L’influence d’Haïti sur l’élaboration de cet ouvrage est mise en évidence par J.
Jamin (1999).
39 L. Mars (1966), article repris, avec un autre texte dans Cornevin ([1973]: 190-192), Mars
(1979a, 1979b, 1979c) cf. aussi A. Louis-Jean ([1970]).
40 Cf. entre autres Consentino (1995). Plusieurs articles de ce catalogue sont repris et traduits
dans M. Le Bris (2004).
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List of illustrations
Title Alfred Métraux, Hector Hyppolite en compagnie de Dewitt Peters, 1948
Credits © musée du quai Branly, photo Alfred Métraux
URL http://gradhiva.revues.org/docannexe/image/301/img-1.jpg
File image/jpeg, 448k
Title Vèvè d’Ézili Freda
in Milo Rigaud, Ve-ve. Diagrammes rituels du voudou. New York, French
Credits
and European Pub., 1974.
URL http://gradhiva.revues.org/docannexe/image/301/img-2.jpg
File image/jpeg, 160k
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