Comprendre Et Maîtriser L'hypnose Profonde (A.Bioy)

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 244

© Dunod, 2022

11, rue Paul Bert, 92240 Malakoff


www.dunod.com

ISBN 978-2-10-084211-7
Table des matières
Auteurs

Préface

Introduction

Chapitre 1 – Repères historiques et conceptuels


1 Mesmerisme, somnambulisme et hypnotisme
2 Classifications des niveaux de transe
Classifications parapsychologiques
Classifications psychophysiologiques
3 Illustrations dans les travaux de Pierre et Jules Janet
4 Conclusion : régression ou évolution ?

Chapitre 2 – Les enjeux de l’hypnose profonde


1 Introduction
2 Au comm encement était la dissociation
Origine et difficultés du concept
Une dissociation normale est-elle possible ?
3 La profondeur en hypnose : une affaire de dissociation ?
L’inévitable suggestion en hypnose
Au-delà de la suggestion, un monde s’ouvre…
4 Processus psychologique de l’hypnose profonde
L’approche de Ronald Shor
Un adorcisme
5 Auto-transe du praticien
6 Situation 1 : Nahia et son « parfum de douleur »
Présentation de l’approche d’Antoine Bioy
Présentation de la situation clinique
Présentation du suivi
L’après séance et l’après suivi
Discussion

Chapitre 3 – Grands principes du cadre de pratique en


hypnose profonde
1 Caractérisation de l’hypnose profonde en pratique
L’hypnose profonde : une progression ou une disposition ?
La subjectivité comme marqueur
Janet, toujours Janet !
2 Les étapes d’une séance d’hypnose profonde : le mindset
L’alliance thérapeutique
« Mindset »
Parcours de thérapeutes
Peak Experiences
Les étapes d’une séance d’hypnose profonde : la posture du praticien
Focus sur l’attention
Approfondissements
3 Les étapes d’une séance d’hypnose profonde : s’appuyer sur une
phénoménologie… et en revenir !
Automatismes, hallucinations, amnésie
Le travail avec l’inconscient
Revenir
4 Hypnose profonde : travail réalisable, indications
Indications
5 En conclusion
6 Situation 2 : Elodie, des inhibitions multiples
Présentation de l’approche de Franck Mahia
Présentation de la situation clinique
Discussion

Chapitre 4 – Florilège d’inductions clefs, vers l’hypnose


profonde
1 Partager un secret : la pierre d’achoppement
Avant-propos
« Un secret ! »
2 La mesure de ce que l’on fait. Dans quel état j’erre ?
3 Introduction aux inductions profondes
Ingrédients communs
4 Les techniques d’induction : Dave Elman
L’hypnose de scène au service de la médecine
La conversation préalable (« pretalk »)
La catalepsie des paupières
Approfondissement par fractionnement
Ratification de l’état profond par lâcher du bras (« hand drop »)
Ratification par l’amnésie des chiffres
Ratification par les tests
A, B, C - Coma hypnotique - État Esdaile
5 Autres inductions utiles
Les mains magnétiques (version Antony Jacquin)
Le « slam dunk induction »
La « triple bind conversational induction » du Dr Mike Mandel
Les miroirs de Stephen Brooks
L’induction du 3-2-1
Induction par mouvements oculaires rapides (REM)
Induction de l’univers en rotation (Daniel Goldschmidt)
6 Conclusion
7 Situation 3 : Gérard et ses crises anxieuses
Présentation de l’approche clinique de Daniel Goldschmidt
Présentation de la situation clinique
Présentation du suivi
Commentaires

Chapitre 5 – L’hypnose profonde selon M.H. Erickson


1 Introduction
2 Points principaux concernant l’approche ericksonienne de
l’hypnose profonde
3 Les écrits ericksoniens sur l’hypnose profonde
Deux textes préparatoires
L’article de 1952 : « L’hypnose profonde et son induction »
Autres apports
Une aventure partagée
4 Aspects techniques
Le rôle de la confusion
La technique de répétition
Le choc thérapeutique : une pratique ericksonienne explicitée tardivement
Quelques techniques post-ericksoniennes
5 Conclusion : mais quand l’hypnose profonde est-elle utile ?
6 Situation 4 : Gilles, un rapport difficile au père
Présentation de l’approche clinique de Thierry Servillat
Présentation de la situation clinique
Discussion

Chapitre 6 – Neurophysiologie des états d’hypnose


profonde
1 Introduction
2 Hypnotisabilité : une controverse ?
3 Activité cérébrale en transe
4 Transe profonde, processus attentionnels et mode par défaut
Les processus attentionnels
Le cerveau en grande activité lorsque l’on ne fait rien
5 Motricité, paralysie et peur
Le mouvement
La « paralysie hypnotique »
La peur
6 En conclusion
7 Situations 5 et 6 : hypnose profonde et hypnoanalgésies
Présentation de l’approche clinique de Silvia Morar
Situation 5 : Monsieur Adrien (suivi chronique)
Discussion
Situation 6 : patient fâché, praticien heureux ! (Bloc opératoire)
Discussion

Chapitre 7 – Hypnoanalyse et apports de C.G. Jung


1 Avant-propos : l’émotion plutôt que l’intellectualisation
2 Les mécanismes de survenue de l’hypnose profonde
Hypnose profonde et concept de dissociation
Hypnose profonde et régression psychique
3 Comment se représenter dans les grandes lignes l’appareil
psychique jungien
L’idée d’une supra-conscience
Un narcissisme au-dessus de toutes contingences
L’unité dans la cohérence du test
4 Conclusion
5 Situations 7 et 8 : hélène et une difficulté à l’écriture, angelina
Présentation de l’approche clinique d’Édouard Collot
Situation 7 : hypnoanalyse
Situation 8 : séance d’imagination active
Discussion

Chapitre 8 – L’anthropologie animale au service de


l’hypnose profonde
1 Un clivage obsolète ?
2 La transe vue d’ailleurs
3 La nature hallucinée comme canal d’accès à l’hypnose profonde
4 La métaphore vivante
5 Traces d’animaux dans l’histoire
6 Le scepticisme de Milton Erickson
7 En conclusion
8 Situation 9 : Gauthier, une odeur hallucinée persistante
Présentation de l’approche clinique de Jean-Claude Lavaud
Présentation du suivi
Discussion

Conclusion

Bibliographie
Auteurs
COORDINATEURS ET CONTRIBUTEURS :

Antoine Bioy
Professeur de psychologie clinique et psychopathologie à l’université Paris-
8, directeur adjoint du Laboratoire de psychopathologie et processus de
changement (LPPC), psychologue clinicien et hypnothérapeute (Institut des
médecines intégratives et complémentaires du CHU de Bordeaux),
responsable scientifique du centre de formation et d’étude en hypnose
Ipnosia, expert scientifique auprès de l’UNESCO (chaire 918), cofondateur
de la Revue de l’Hypnose et de la Santé (Dunod) et coordinateur
scientifique de l’Agence des médecines complémentaires et alternatives (A-
MCA).

Daniel Goldschmidt
Hypnothérapeute licencié en psychologie (université Paris-8), diplômé de
l’EHSB (École des hautes études de sophrologie et bio analyse), certifié par
le British Hypnosis Research (Stephen Brooks) et le New York Training
Institute For N.L.P. (Année Linden).

CONTRIBUTEURS :

Édouard Collot
Médecin psychiatre, psychothérapeute et psychanalyste (cabinet libéral,
Paris), responsable d’une unité d’hypnothérapie à l’Institut Paul Sivadon,
établissement de la Fondation l’Élan Retrouvé, Paris.

Renaud Evrard
Maître de conférences habilité à diriger des recherches en psychologie
clinique et psychopathologie à l’université de Lorraine, laboratoire Interpsy,
responsable du master Psychologie clinique, psychopathologie et
psychologie de la santé, psychologue clinicien, cofondateur du Centre
d’information, de recherche et de consultation sur les expériences
exceptionnelles.

Jean-Claude Lavaud
Docteur en anthropologie sociale (EHESS), thérapeute praticien de
l’hypnose et anthropologue, président du Collège d’hypnose de l’Océan
Indien (CHOI), fondateur et directeur du Centre de ressources et d’études
ericksoniennes de La Réunion (CRÉER), l’Institut Milton Erickson de La
Réunion.

Franck Mahia
Praticien en accompagnement personnel (Bordeaux-Bègles),
hypnothérapeute certifié par la National Guild of Hypnotists, certifié
Mirroring Hands par Richard Hill.

Silvia Morar
Neurochirurgien, responsable du Centre de référence pour la syringomyélie
du CHU Bicêtre-APHP (Le Kremlin-Bicêtre).

Thierry Servillat
Médecin psychiatre, exerce au CITI (Centre interdisciplinaire de thérapie
intégrative) à Rezé près de Nantes, président de l’Institut Milton H.
Erickson de Rezé (RIME 44) et directeur du centre Ipnosia Nantes,
cofondateur et rédacteur en chef de la Revue de l’Hypnose et de la Santé
(Dunod).
Préface

Pr Gérard Ostermann

Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne
pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous
penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De
vin, de poésie, ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous !
Charles Baudelaire

Il est certes osé de parler d’ivresse à la lecture de cet ouvrage, mais le


voyage que vous allez faire est à l’image d’Arthur Rimbaud qui
transgressait la sensibilité ordinaire pour inventer des mondes nouveaux.
C’est cela qui est enivrant ! Comprendre et maîtriser l’hypnose profonde
traduit la richesse d’un tel sujet à portée de mots. Comment ne pas être
enthousiasmé par l’élan et l’allant des auteurs qui offrent au patient de
participer à une connaissance élargie de lui-même ?

Écrire une préface, c’est un peu comme réaliser un puzzle à partir d’un
infini de petites pièces, toutes différentes et formant ensemble un tout, avec
des zones d’ombre et d’autres de pleine lumière qu’il est parfois difficile de
bien positionner avant de les relier entre elles. Malgré la profusion
d’ouvrages sur l’hypnose, il convient de souligner que ce livre est unique
sur cette thématique et qu’il constitue une véritable école du regard. Les
auteurs se sont répartis les rôles et les approches et cela donne un discours
pluriel qui permet d’aborder le sujet sous différents angles de vue ouvrant à
la compréhension et plus encore à la réflexion. À travers les exposés et
discussions de l’ouvrage, nous parcourons avec les thérapeutes les terrains
intimes qu’ils ont eu à explorer et qu’ils mettent aujourd’hui au service de
leurs patients, au service du changement, de la libération psychique et/ou
physique, de l’individuation. La transe profonde est le niveau d’hypnose qui
permet au sujet de fonctionner convenablement et directement à un niveau
inconscient sans interférence de l’esprit conscient. Consciemment,
l’individu ne peut généralement pas savoir s’il est dans un état de transe,
mais il peut apprendre à le reconnaître (Erickson & coll., 1976, p. 69).
Inviter le patient à l’hypnose profonde, c’est prendre le risque d’une
relation thérapeutique d’inconscient à inconscient : on peut parler d’une
véritable communion d’inconscient (Édouard Collot), ce qui suppose de la
part du thérapeute une pratique de l’expérience intérieure. La prise de
risques par rapport à l’« académique », les recherches et expérimentations
personnelles, l’effort de documentation, de connaissances (mythologie,
anthropologie, ethnologie, etc.) qui nourrissent l’écriture de ce livre ont
quelque chose de particulièrement heuristique et grisant.

L’hypnose thérapeutique est une auto-hypnose relationnelle dans laquelle la


créativité du sujet suit de nouveaux chemins en s’appuyant sur la présence
du thérapeute, marquée par un accueil inconditionnel.

Pour Renaud Evrard, les états profonds de l’hypnose se présentent comme


une fascinante terra incognita, voire un « continent englouti ». L’hypnose
profonde renoue avec l’hypnose des xviiie–xixe siècles, celle de Mesmer,
du marquis de Puysegur, de l’abbé Faria et des Spirites, avec ses aspects
extraordinaires voire magiques mais bien embarrassants… Puis vinrent les
grands Charcot et Janet. En France, malgré la résistance de certains
praticiens comme Léon Chertok, l’hypnose a disparu avec l’apparition de la
psychanalyse, dont d’ailleurs on peut se demander si la consigne de libre
association n’était pas un reste de transe hypnotique. Mais tout passe et le «
tout psychanalyse » a perdu de son aura pour devenir ce qu’il est devenu. Et
l’hypnose nous est revenue via les Etats-Unis et ce qu’il est convenu de
nommer l’hypnose ericksonienne ou la nouvelle hypnose (Jean Godin), née
de la rencontre de Bateson et de ses élèves de l’école de Palo Alto en lien
avec Erickson. Les liens établis entre PNL et hypnose sont également
clairement expliqués par Antoine Bioy. Nous avons tous été formés à cette
forme d’hypnose aux transes plus légères et surtout aux suggestions
indirectes. Finis les « dormez ! Je le veux ! » et la franche suggestion
réservée maintenant à l’hypnose de spectacle. La critique de la
psychanalyse a porté sur le fait que dans la suggestion, le sujet n’est pas
présent. Or dans l’hypnose profonde, l’idée d’Erickson c’est d’amener
justement le sujet à être présent.

Il est bien sûr question de la relation hypnothérapeute-patient qui semble


moins passif que ce que l’on croyait. L’hypnose profonde ne doit être
induite que si la relation thérapeutique est instaurée, mais parfois le patient
s’immerge dans une transe profonde très rapidement, ce qui peut être le
signe d’une relation de confiance rapide et créer ainsi une co-thérapie, mais
il est bien connu aussi que la capacité à entrer en transe diffère d’une
personne à l’autre, sans parler dela résistance et de la psychopathologie du
patient qui est au cœur de la cure et qui conditionne sa façon de réagir et
d’aller ou non plus profondément en hypnose. Quant au thérapeute, il est
fait mention d’une manière générale à sa formation à l’hypnose bien sûr, à
son appropriation de la méthode et au confort qu’elle doit générer et à son
assertivité, sa confiance en lui et en sa méthode, il y est aussi souligné sa
capacité attentionnelle : tout mérite attention dans l’attitude du patient en
transe et bien sûr sans aucun jugement si possible (Antoine Bioy). Enfin le
thérapeute doit accepter de ne pas comprendre entièrement ce qui se passe
dans la transe, de n’essayer de prendre en compte que les résultats. En effet
certains patients sont incapables de dire pendant ou après la séance ce qui
s’est passé en eux.

Cet ouvrage fait bien ressortir aussi que les discussions sur ce qu’est
l’hypnose sont encore loin d’être achevées : l’hypnose est-elle une simple
réponse à la suggestion ou un état dissociatif particulier ? Existe-t-il une
parenté indéniable entre les transes hypnotiques et les transes observées
dans les Cultures Premières ? Il semble en outre que l’imagerie médicale
montre une différence de fonctionnement cérébral entre l’hypnose profonde
et l’hypnose plus légère, indiquant de plus que la fameuse « common
everyday trance » n’en serait pas une (Sylvia Morar).

Comme le soulignait Edmond Jabès, il n’y a rien de moins évident que


l’évidence ! On distingue habituellement deux formes d’hypnose profonde :
l’hypnose stuporeuse et l’hypnose somnambulique. La première, dont les
manifestations l’ont fait comparer au coma, s’accompagne d’un
comportement plutôt passif et inhibé. Même si l’expression de coma peut
être déroutante, c’est pour souligner que l’on a la relation mais pas du tout
l’autonomie. Elle est souvent perçue comme très appréciable et le résultat
d’une induction réussie. Dans l’hypnose somnambulique, la personne paraît
totalement autonome, elle est très créative mais on aperçoit peu la relation.
L’hypnose somnambulique offre des possibilités d’action et de réaction
verbale donnant l’impression d’un état proche de l’état de veille et est
souvent considérée comme un échec. Une hypnose en apparence
superficielle, eu égard à la persistance de mouvements corporels, peut
s’avérer au contraire particulièrement profonde car le sujet ne réagit pas à
ce qui survient matériellement autour de lui, mais répond au contenu qui se
développe au sein même de son état de transe. À l’inverse, une transe en
apparence profonde peut s’avérer en fait légère et incapable d’entraîner un
résultat thérapeutique satisfaisant. L’évaluation de la profondeur de la transe
se fait sur la base de la différence entre l’adhésion à la réalité extérieure et
l’adhésion à la réalité hypnotique. Ainsi par exemple, le sujet ne se montre
pas particulièrement influencé par ce qui se produit autour de lui alors qu’il
est évident, par la manifestation des phénomènes observés, qu’il continue
de répondre à la réalité hypnotique. Ce qui est essentiel, c’est la
construction d’un rapport hypnotique (alliance) qui lie le sujet et
l’hypnotiste, dans lequel on trouve une capacité de réponse réciproque
sélective.

Ainsi que nous l’enseigne Dominique Megglé, « L’hypnose profonde ce


n’est pas apprendre un langage compliqué comme une langue exotique,
c’est apprendre à voir midi à midi et non plus à 14 h et c’est ça qui est
difficile ! Cela nous enjoint à nous simplifier ! »

La vision d’Erickson, c’est de rétablir cette vision relationnelle et sécure, où


il y a un partage affectif. Erickson propose une régression en âge et c’est
cela qu’il appelle hypnose profonde. C’est d’aller, grâce à la régression en
âge, dans la petite enfance où l’on fait les apprentissages de base (marcher,
écrire, parler, etc.). Ce sont des moments privilégiés où il y a eu un échange
avec l’autre, où les intentions réciproques ont été perçues. Ce qui est
essentiel chez Erickson, c’est que chacun trouve la profondeur qui lui est
indispensable, sous-entendu pour être en capacité de percevoir les
intentions positives, sinon ça n’a pas de sens. Thierry Servillat, dans une
analyse très fine de l’œuvre de Milton Erickson, nous rappelle à juste titre
que l’inconscient est plus intelligent que le conscient !
Ce qui fait la base de la sécurité humaine, c’est d’avoir fait l’expérience que
quelqu’un a envie d’entrer en relation avec nous car cela enrichit sa vie.
Cette relation humaine s’installe à partir du moment où l’intentionnalité est
perçue de manière réciproque. C’est cela qui autorise un réel lâcher-prise.
C’est pour cela qu’il est intéressant de pratiquer l’hypnose de façon
fractionnée, pour amplifier cette capacité de lâcher-prise. Les techniques
d’approfondissement peuvent s’avérer en effet un levier essentiel pour
parvenir à l’hypnose profonde. Ce qui est central, c’est lorsque qu’une
action déterminée rejoint une relation ; une action se finit alors sur un
partage affectif. L’hypnose profonde, c’est toujours hyper individualisé.
Dans l’hypnose légère à moyenne on est ici et ailleurs, dans l’hypnose
profonde on est ici mais surtout ailleurs.

Pour clore cette préface, je ferais volontiers miennes les formulations de


Jean-Claude Lavaud : « au fond, l’état d’hypnose profonde nous réveille de
nos cauchemars d’humain » et celle d’Édouard Collot : « plus la transe est
profonde, voire silencieuse, et plus la conscience s’imprègne d’une forme
de sagesse ».
Gérard Ostermann

Professeur de thérapeutique, médecin interniste, psychothérapeute –


analyste, membre du comité éditorial de la Revue de l’Hypnose et de la
Santé et du Conseil scientifique de la CFHTB (Confédération francophone
d’hypnose et thérapies brèves)
Introduction
« Le somnambulisme devient donc pour nous une transformation
momentanée et passagère de l’état mental d’un individu capable de
déterminer chez lui des dissociations de la mémoire personnelle.
L’hypnose n’est pas autre chose que la production artificielle du
somnambulisme. Cette définition, j’en suis certain, éclaircirait
beaucoup les discussions (…) elle obligerait beaucoup d’auteurs à
restreindre l’emploi du mot hypnose qu’ils emploient à tort et à
travers. » (Janet, 1919)

Lorsque l’on mentionne l’hypnose profonde dans une conversation, il y a


souvent comme un flottement dans l’air, un ange qui passe, un subtil
malaise ; la discussion s’infléchit, le spectre de l’hypnose de scène apparaît,
vision dantesque dans laquelle, tels des figures du peintre maudit Jérôme
Bosch, de pauvres pantins s’agitent maintenus par des fils invisibles.
Remplacez le mot par hypnose somnambulique et une poésie un peu
surannée s’installe. Le terme est plus évocateur ! Et pourtant l’hypnose
profonde n’est pour nous rien d’autre que l’étude et la pratique du
somnambulisme dont parle Janet dans la citation ci-dessus, et des états
apparentés telle l’hypnose « stuporeuse » dont parle Erickson lui-même.
C’est bien cette hypnose qui est étudiée « par les anciens » : Albert de
Rochas, James Braid, Sigmund Freud, Joseph Delbœuf, Hippolyte
Bernheim, Ambroise-Auguste Liébeault, Pierre et Paul Janet, William
James, Auguste Forel, Wilhelm Wundt, Moritz Benedikt, Jules Dejerine,
Émile Durkheim, Frederik Van Eeden, Albert van Renterghem, Julian
Ochorowicz, Frederic Myers…

Tous étudient et/ou pratiquent de manière variée ce qu’aujourd’hui on


nomme « hypnose profonde », allant de la pratique suggestive aux
manifestations associées au spiritisme. La notion de niveau de transe était
moins un intérêt clinique (la profondeur était la règle) que d’étude, où il
fallait classifier, puisque nous parlons de science. Nancy eu une place
importante dans ces travaux avec l’échelle de Liébeault, comme la
Salpêtrière et les niveaux de Charcot : la léthargie, la catalepsie et le
somnambulisme ; le sujet faisant l’expérience d’une amnésie totale et
systématique au réveil. Puis vint l’ère des méthodes de relaxation, moins
regardante sur les niveaux de conscience puisqu’un état léger pouvait
suffire à travailler, par exemple le training autogène de Johannes Heinrich
Schultz (autour des années 1910) à base d’autosuggestions utilisant la
pesanteur, la chaleur, le contrôle de la respiration et des battements du cœur
(la méthode proposait cependant un cycle supérieur, plus profond
aboutissant à une forme d’hypnose analytique). Citons également, à la fin
des années 1920, la psychothérapie physiologique d’Edmund Jacobson : en
améliorant le tonus musculaire, il serait possible d’agir sur le tonus
psychique et les émotions. Ces pratiques se sont déployées : la méthode
Vittoz, le biofeedback, le battement binaural, la cohérence cardiaque… Et
évidemment la fameuse sophrologie d’Alfonso Caycedo qui malgré tout
renouait d’une certaine façon avec la question de la profondeur en
introduisant les 12 degrés de relaxation dynamique, ou « vivances » pour
reprendre un terme cher à Patrick-André Chéné, qui fut une figure
francophone majeure de cette approche.

Le dernier clou sur le cercueil de l’hypnose profonde – si l’on peut dire –


fut posé par l’irruption de la très décriée PNL (Programmation Neuro-
linguistique) dans le domaine de l’hypnose, contre l’avis d’Erickson lui-
même, ce dernier ne cachant pas son animosité envers Richard Bandler, l’un
des fondateurs de cette pratique (qui le lui rendait bien), lui-même en guerre
contre l’autre fondateur, John Grinder. Avec l’hypnose mâtinée de PNL, des
états légers de transe suffiraient pour pratiquer : Erickson, justement, le «
sage de Phoenix », aura le talent de faire prendre « vessies pour lanternes »,
obtenant de ses sujets, en état somnambulique, des réactions qu’un
observateur non initié prendrait pour une veille normale. Pourtant, Erickson
prendra soin de laisser comprendre dans ses écrits que l’apparence est
trompeuse. Il le fera à fleurets mouchetés du fait de la quasi-obligation,
tâche paradoxale, de consolider une approche scientifique de l’hypnose.
Pour Erickson, l’hypnose profonde permet un accès direct à l’inconscient
qui pourrait alors selon lui œuvrer à la guérison : « C’est ainsi que des
personnes profondément névrosées peuvent, en transe profonde, être
libérées de l’emprise de leur comportement névrotique, ce qui assure une
base à leur rééducation thérapeutique en accord avec leur personnalité de
fond. » On notera le parallèle que l’on peut faire entre les vues d’Erickson
et le schéma analytique de Carl Gustav Jung qui fait de l’Inconscient un
agent puissant de redressement et de progrès à l’intérieur de la personne
(individuation), permettant au Soi de prendre sa véritable place, repoussant
l’inflation du Moi. Bien que pragmatique, Erickson n’a jamais précisément
expliqué ce qu’il faisait au cours de ses séances, ni au point de vue
technique ni au point de vue de la profondeur de transe. On sait cependant
qu’il gardait ses patients longtemps dans son cabinet car la méthode
impliquait pour lui un entraînement (plus d’ailleurs que l’autohypnose) ; il
en parle notamment dans son article de 1952 sur l’hypnose profonde.

Avec ces quelques mots, nous avons abordé les différents angles proposés
par cet ouvrage ! Renaud Evrard ouvre la danse avec d’indispensables
repères historiques, grâce auxquels vous vous rendrez compte combien
l’hypnose profonde a d’emblée été mêlée à l’histoire des expériences
exceptionnelles (écriture automatique, clairvoyance, etc.). Ensuite, Antoine
Bioy vous invite à prendre la route depuis la théorie jusqu’à la pratique, en
situant des processus importants qu’il fait connaître pour exercer l’hypnose
profonde. Franck Mahia puis Daniel Goldschmidt préciseront la démarche
de construction d’une séance et les techniques importantes pour pratiquer.
Suit Thierry Servillat qui fera un focus sur la pratique de l’hypnose
profonde dans l’approche ericksonienne, dont l’articulation est évidemment
la notion d’esprit inconscient. Une belle introduction à la contribution de
Silvia Morar qui nous enseigne ce que les neurosciences nous apprennent –
ou non ! – de l’hypnose profonde. Et puisque nous avons évoqué un pont
entre Erickson et Jung, Édouard Collot précisera l’approche en
hypnoanalyse de la transe profonde, particulièrement éclairée par le
psychologue analytique suisse. Enfin, et comme une ouverture, Jean-Claude
Lavaud termine l’ouvrage par une perspective anthropologique sur la
pratique en hypnose profonde, aussi fascinante que novatrice ! Comme des
éléments de respiration, chaque contributeur (de Bioy à Lavaud) vous
proposera une ou des situations cliniques détaillées, afin que vous puissiez
vous figurer du mieux possible l’approche dont il est question.

Terminons en remerciant chaleureusement Gérard Ostermann qui a accepté


de préfacer cet ouvrage. Son érudition et la finesse de son regard clinique
sont des effluves précieux qui guideront votre lecture. Alors, bonne lecture,
précisément !
Les coordinateurs
Chapitre 1

Repères historiques et
conceptuels

R. Evrard

1 Mesmerisme, somnambulisme et hypnotisme

2 Classifications des niveaux de transe

3 Illustrations dans les travaux de Pierre et Jules Janet

4 Conclusion : régression ou évolution ?

Les premiers praticiens de l’hypnose (dont le magnétisme animal


est l’ancêtre) étaient pour certains des scientifiques affirmés, pour
d’autres des personnes curieuses de comprendre ce qui était à
l’œuvre. Et la description des phénomènes hypnotiques a très tôt
conduit à étudier la notion de profondeur de la transe. De ce fait,
l’Histoire constitue un bel appui pour comprendre ce que l’on
nomme de nos jours « hypnose profonde ».

1 Mesmerisme, somnambulisme et hypnotisme


La transe relationnelle qui prendra la forme actuelle de « l’hypnose »
possède une histoire mouvementée. Si l’on se borne à faire remonter les
éléments clefs de sa genèse au courant du « magnétisme animal » de Franz
Anton Mesmer (1734-1815), dans la période précédant la Révolution
française, nous faisons déjà face à une multitude de transes différentes.
L’intention thérapeutique a longtemps pris le pas sur l’appréhension
scientifique, d’où des conceptualisations peu systématiques et difficiles à
manier, tant pour le praticien que pour l’historien. Comment différencie-t-
on l’individu « mesmérisé », le somnambule et l’hypnotisé ?
Il semble que les transes observées dans les différents contextes soient
particulièrement conditionnées par la culture ambiante, non seulement au
travers des co-constructions du duo qui cultive la transe, mais également du
fait des bornes des institutions diffusant leurs observations. Le phénomène
semble si bien taillé par les époques qu’une solution est de parler des
mesmérismes ou des hypnotismes au pluriel (Belhoste & Edelman, 2015).
Plutôt que de favoriser cette illusion rétrospective de continuités, on peut
également reprendre la métaphore biologique des « niches écologiques »
employée par le philosophe canadien Ian Hacking afin d’analyser les
différents facteurs qui convergent pour modeler des phénomènes singuliers
possédant leurs propres coordonnées. Mais délimiter ces niches n’étant pas
l’objet de ce chapitre, je me contenterai de reprendre le séquençage proposé
par plusieurs auteurs, en me centrant sur la situation française.
Une première époque correspond à l’arrivée à Paris de Mesmer en 1778. Il
tente de faire connaître sa découverte d’un fluide universel, dont la
manipulation permet de soigner tous les maux, mais échoue à obtenir
certaines reconnaissances officielles. Par analogie avec le fonctionnement
des aimants et leurs champs de force invisibles, les personnes qu’il «
magnétise » présente une série de réactions physiologiques et
psychologiques rassemblées sous le mot de « crise », en droite ligne des
observations de Gassner sur l’exorcisme (Rausky, 1977).
En parallèle de Mesmer, l’un de ses disciples va diffuser une version
alternative du magnétisme animal. Armand Marc Jacques de Chastenet,
marquis de Puységur (1751-1825), découvre en 1784 en magnétisant Victor
Race, un paysan dont la famille est à son service, une transe différente. En
lieu et place des convulsions bruyantes des mesmérisés, il observe un sujet
dans un état d’apaisement semblable à l’endormissement, bien que
pleinement conscient. Employant une analogie médicale, il le baptise «
somnambulisme artificiel » ou « somnambulisme provoqué ». Puységur met
alors en doute les théorisations de Mesmer en affirmant que la « crise
magnétique » pourrait n’être qu’un élément parasite et intermédiaire d’un
phénomène plus puissant. En effet, dans cet état, le « somnambule »
parvient à une forme de « lucidité » lui permettant, d’une part, de réaliser
un diagnostic de ses troubles, des troubles d’autres personnes, et d’identifier
les remèdes appropriés ; d’autre part, de capter des informations autrement
inaccessibles en pénétrant dans des esprits ou des lieux distants.
Partout, même dans les rangs des élites savantes et aristocratiques, ces
observations divisent. Le marquis multiplie les actions pour répondre à cette
incrédulité ambiante. L’année de son décès, soit en 1825, l’Académie de
médecine accepte de réexaminer le magnétisme en tenant compte des
nouveautés introduites par le somnambulisme artificiel. Toutefois, faute de
consensus, les divisions vont perdurer jusqu’en 1842 où l’Académie décide
de ne plus procéder à l’examen de toute espèce de fait magnétique. Cette fin
de non-recevoir plonge magnétisme et somnambulisme dans la clandestinité
scientifique. Ils surgiront à nouveau par des voies de contournement : le
phréno-hypnotisme de Braid, la métallothérapie et l’étude des « névroses
extraordinaires » (Evrard & Pratte, 2017). Ce découpage isole un autre
courant consacré à la démonstration expérimentale de la seule « lucidité
magnétique » dans des milieux amateurs et savants. La carrière du «
clairvoyant » Alexis Didier débute par exemple en 1842 (Méheust, 2003).
Ces différents fils vont se renouer quelques décennies plus tard. Le jeune
médecin Charles Richet (1875) réintroduit le « somnambulisme provoqué »
dans la pratique médicale et la médecine expérimentale. Cette tentative
hardie est entérinée par les travaux du neurologue Jean-Martin Charcot
(1825-1893), professeur de clinique des maladies nerveuses. Sous la
bannière de « l’hypnotisme », il décrit savamment une phénoménologie
dont les origines seraient physiologiques. Avec ses collègues, ils appliquent
des traitements par des métaux ou par des interactions relationnelles sur des
sujets sélectionnés pour leurs névropathies, afin de comprendre et de traiter
leurs symptômes d’allures psychosomatiques et psychiatriques. Charcot
répugne en revanche à s’intéresser aux phénomènes les plus merveilleux
qui ont auparavant nourri l’hostilité du monde savant. Ironiquement, c’est
au sein même de la Société de psychologie physiologique dont il est le
président que le jeune philosophe Pierre Janet communique, dès 1885, des
observations d’hypnose à distance (Evrard et al., 2018), secondé par Richet
qui se spécialise progressivement dans la « recherche psychique », future «
métapsychique » (Evrard et al., 2021).
En somme, une succession d’événements – ici à peine esquissés – va
favoriser le déploiement de plusieurs niches écologiques : le mesmérisme
puis le somnambulisme, leur éclatement puis l’articulation, au tournant du
xxe siècle, entre l’hypnotisme et la recherche psychique. L’« hypnose
profonde » est donc une notion qui va recouvrir différents phénomènes
selon ces contextes. L’identification des transes et des phénoménologies
associées joue en effet un rôle décisif dans le découpage territorial de ces
différents mouvements.

2 Classifications des niveaux de transe


Dès 1786, le comte de Lutzelbourg proposait une classification des états du
somnambulisme en degrés et nuances, en prenant pour repère la capacité de
reconnaître les maladies grâce à la lucidité. En 1819, M. de Lausanne
(pseudonyme du mathématicien et journaliste Alexandre Sarrazin de
Montferrier) divisait les phénomènes du magnétisme en « demi-crise » et «
crise complète », avec huit degrés pour la demi-crise et quatre pour la crise
complète. Il caractérise les degrés les plus profonds par un rapport
particulier entre le somnambule et le magnétiseur, dont le « sixième sens »
(terme qu’il invente) est la manifestation la plus spectaculaire. Il est
considéré comme l’auteur de la première échelle de profondeur de ce que
nous appelons aujourd’hui l’hypnose (Petot & Poliakov, 2008).
Ces deux exemples illustrent les tentatives précoces de classification des
niveaux de transe obtenus par l’intermédiaire du magnétisme et du
somnambulisme. La plus grande difficulté est de s’accorder sur les critères
différentiels qui permettent d’opérer ces distinctions. Ils peuvent être
d’ordre physiologique, psychologique ou parapsychologique. Or, pour une
grande partie des premiers acteurs, ce sont les critères parapsychologiques
qui vont jouer un rôle prédominant, alors qu’ils sont aujourd’hui à peine
mentionnés (Cardeña, 2005).
Se pose donc la question de tenir compte ou non d’un « surplus » de
phénomènes non élaboré dans l’hypnose actuelle. L’historien de
l’ésotérisme Antoine Faivre (1986) a montré que la faculté de l’imagination
« d’agir sur la nature » recouvre historiquement deux catégories d’actions :
l’action dite « intransitive » qui « s’exerce sur le seul corps du sujet
imaginant » et l’action dite « transitive » qui « s’exerce sur des objets
extérieurs à lui ». L’hypnotisme se borne à l’action intransitive, tandis que
les phénomènes de lucidité décrits par Puységur semblent déborder cette
frontière. Alors que l’imagination intransitive qui caractérise l’hypnose a
mis deux siècles à être totalement reconnue, l’action transitive de l’esprit,
en dehors du corps propre, apparaît comme un reste encore non-assimilé.
Nous présentons donc deux modalités de classification : l’une qui intègre
l’imagination transitive en tant qu’événement objectif, l’autre qui l’intègre
uniquement en tant qu’expérience subjective.

Classifications parapsychologiques
Les premières échelles de profondeurs hypnotiques forgées par des
magnétiseurs français ou allemands furent construites autour du critère de la
« lucidité », critère qui sera plus tard refoulé. Par exemple, le médecin Carl
Alexander F. Kluge avait établi une échelle subdivisée en six degrés :
– « l’état de veille, avec une sensation de chaleur accrue ;
– le demi-sommeil ;
– l’obscurité intérieure, c’est-à-dire le sommeil magnétique avec
insensibilité complète ;
– la clarté intérieure, c’est-à-dire que le sujet perçoit par le toucher des
sensations qui, généralement, ne sont perceptibles que par la vue […]
;
– la contemplation de soi, c’est-à-dire l’aptitude du sujet à percevoir
avec une grande précision l’intérieur de son propre corps, comme
aussi du corps de ceux avec qui on le met en rapport ;
– la clarté universelle : les voiles du temps et de l’espace sont
supprimés, le sujet perçoit des choses cachées dans le passé et
l’avenir, ou des évènements à distance […] » (Kluge in Ellenberger,
1994, p. 110).
Des classifications similaires vont apparaître tout au long du xixe siècle,
comme en témoignent Noizet (1820) ou encore Durand de Gros (1860).
Ainsi, le colonel Albert de Rochas fera paraître en 1892 un ouvrage Les
états profonds de l’hypnose, à contretemps des travaux de son époque. Là
où les médecins de la Salpêtrière repéraient uniquement trois phases
classiques (léthargie, catalepsie et somnambulisme), il dénonçait un
bornage prématuré de la transe : « l’hypnotisme, jusqu’ici seul étudié
officiellement, n’est que le vestibule d’un vaste et merveilleux édifice déjà
exploré en grande partie par les anciens magnétiseurs » (de Rochas, 1904,
p. 75). En cause, des pratiques avec des « agents très faibles » (bruit subit,
pression des globes oculaires, friction du vertex, fixation du regard qui
cesse d’agir aussitôt que les sujets ont les yeux fermés) tandis que les
magnétiseurs prolongeaient leur action par des « passes » pendant parfois
plus d’une demi-heure, ne se préoccupant nullement de ce qui pouvait se
produire au début et ne s’arrêtant que lorsqu’ils avaient reconnu que le sujet
avait atteint le degré de lucidité. De Rochas affirme que cette superficialité
de l’hypnotisme médical s’est installée car les hypnotiseurs redoutent « un
rapprochement entre leurs recherches et les pratiques des magnétiseurs »
(de Rochas, 1904, p. 6).
Se faisant un héritier des anciens magnétiseurs, de Rochas présente sa
méthode d’induction sur Benoît, 19 ans, par imposition de la main sur son
front. Il passerait ainsi de l’état de crédulité à l’état léthargique, puis à l’état
cataleptique avec ses deux phases de rigidité puis d’imitation automatique,
un deuxième état léthargique sans contractibilité musculaire, et enfin le
somnambulisme. C’est ensuite que de Rochas prétend explorer des étapes
non étudiées par les écoles modernes : une troisième phase léthargique puis
un état de « crise complète » marqué par un rapport électif dans lequel le
sujet ne perçoit aucun objet à moins que celui-ci ne soit en contact avec le
magnétiseur. À travers cette fusion parfaite, le sujet présenterait des états de
sympathie soit avec ce à quoi le magnétiseur a accès, soit à distance. Plus
précisément, au 1er degré le magnétisé voit son propre mal et les étapes de
sa guérison ; au 2e degré et 3e degré, le magnétisé peut voir les maux
d’autres personnes avec une efficacité croissante ; au 4e degré, il voit même
des choses éloignées et étrangères à son état, y compris dans l’avenir. De
Rochas observe alors des effets de la transe profonde sur la mémoire
(mémoire qui embrasse toutes les autres mais restera ignorée des mémoires
des niveaux supérieurs) et sur la suggestibilité (qui régresse).
Bertrand Méheust (2003) a repris les comptes rendus des expériences avec
le somnambule lucide Alexis Didier pour présenter d’autres caractéristiques
particulières de l’état de lucidité. Son magnétiseur habituel induisait la
transe en le fixant intensément dans les yeux, en concentrant intensément sa
volonté, ou encore en lui serrant la main. La procédure prenait rarement
plus de dix minutes. Le début de la séance était marqué par une phase
pénible et même apparemment douloureuse de courte durée ; « presque
aussitôt Alexis (…) pénètre dans un état calme, que le magnétiseur
“consolide” par des passes silencieuses » (Méheust, 2003, p. 182).
Physiquement, Alexis présente soit une fixité de la pupille, « son regard est
inexpressif comme celui d’un aveugle » (ibid., p. 183), soit une révulsion
des globes oculaires. Rien d’autre ne le distingue d’une personne qui se
trouve dans son état normal. Méheust décrit un état paradoxal d’éveil et de
présence dans lequel le sujet est censé jouir de facultés spéciales. Cette «
hyperprésence » est marquée par l’autonomie du sujet et non par ses
automatismes : « [Alexis] met en œuvre un sens de la répartie qui coupe le
souffle de ses consultants, son discours oraculaire se teinte souvent d’une
nuance de distance et d’ironie, il puise à sa guise dans ses souvenirs »
(Méheust, 2003, p. 344).
Méheust s’interroge, comme d’autres, sur ce qui fait que nous n’observons
plus rien de tel dans nos dispositifs actuels. Plus récemment, Lecron (1961)
a affirmé que les performances aux expérimentations sur la perception
extra-sensorielle étaient en déclin par rapport aux phénomènes
spectaculaires du xixe siècle car les transes hypnotiques obtenues de nos
jours étaient plus légères. Toutefois, cette corrélation n’a pas encore pu être
établie avec certitude, des performances parapsychologiques comparables
ayant été obtenues avec des transes légères et des transes profondes
(Moreau & Rogez, 1977).

Classifications psychophysiologiques
Au cours du xxe siècle, les modèles expérientiels de l’hypnose profonde ont
intégré de multiples facteurs : suggestibilité accrue, dissociation accrue et
absorption (Cardeña & Spiegel, 1991). Toutefois, il y a eu peu de recherche
sur la phénoménologie de l’hypnose profonde. Cardeña (2010) recense
quelques travaux qui s’appuient sur ceux de Milton Erickson (1952), le
premier célèbre auteur moderne à consacrer des recherches sur ce qu’il
appelait également « l’hypnose plénière ».
Plusieurs auteurs ont donc contribué à décrire des vécus spécifiques en
hypnose profonde :
Des modifications de l’image du corps et des sensations corporelles
(sensation de flotter, vertiges), perte du sens de la réalité extérieure
(Gill & Brenman, 1959) ;
Des modifications de la perception du temps, sensation de perte de
contrôle, modifications de la pensée, diminution de l’affect, etc.
(Ludwig, 1965) ;
Parfois de la synesthésie, un effacement de l’identité personnelle et
un manque de contenus mentaux (Erickson, 1965) ;
Charles Tart (1970) a publié un rapport sur une procédure d’hypnose
profonde avec un virtuose hypnotique. Celui-ci eut même la sensation
mystique de ne faire qu’un avec l’univers.
Le professeur Etzel Cardeña (2005) a poursuivi ce travail en interrogeant
des sujets placés dans des conditions de transes légères ou profondes. Le
tableau suivant synthétise les phénomènes qu’il considère comme
caractéristiques des différents niveaux.

Phénomène/Profondeur Légère/Médium Profonde/Très profonde


Sensation corporelle Relaxation profonde, rotation, Désincorporation
etc.
Émotion Légèrement positive Aucune ou plus intense («
émerveillement »)
Phénomène/Profondeur Légère/Médium Profonde/Très profonde
Attention Focalisée sur les Flottante
changements corporels
Mémoire Inchangée Rare réminiscence de
souvenirs oubliés
Pensée Diminution du bavardage Absorption totale dans
mental l’événement ou absence
Imagerie Simple (formes Complexe
géométriques), lumière,
noirceur
Perception du temps Ralentie Atemporelle
État de conscience Transe De l’ordre du rêve lucide ou
de la transcendance
Expériences Bien-être Fusion, faire un avec le tout,
transpersonnelles vide

Focalisons-nous brièvement sur les travaux de Tart (1970). Sa seule


instruction explicite consistait à suggérer au sujet d’entrer dans une hypnose
la plus profonde que possible. Cette suggestion unique a suffi pour que le
sujet virtuose décrive la progression suivante :
1) Son corps est devenu très relaxé jusqu’à ce qu’il en perde
conscience ;
2) La conscience de sa respiration a graduellement disparu ;
3) Une obscurité absolue a été perçue ;
4) Son sens de l’identité a diminué jusqu’à donner naissance à un
sentiment de potentialité ;
5) Le temps s’est ralenti jusqu’à devenir insignifiant ;
6) L’activité mentale spontanée a été perdue ;
7) Un sentiment d’unité avec l’univers s’en est ensuivi.
Cette recherche a fait l’objet de réplications (dont Hilgard, 1986).
L’ensemble de ces études semble bien contredire l’idée d’un état d’hypnose
« unique ». Toutefois, plutôt que de parler de niveaux d’hypnose plus ou
moins profonds ou de variations d’intensité, Tart (1975) a conclu qu’il
fallait les conceptualiser comme des modes d’expérience distincts. Les
arguments dans ce sens sont la non-linéarité de certains phénomènes (par
exemple, l’intensité émotionnelle) et l’émergence d’expériences anomales –
telles que « la fusion avec la lumière » – uniquement à ce niveau très
profond (Cardeña, 2010, p. 102). Goldschmidt (2017) souligne également
que les guérisons les plus spectaculaires adviennent avec les sujets qui
atteignent la profondeur de transe la plus extrême.
Quelques corrélats physiologiques de cet état ont pu être observés : la
désynchronisation corticale, des fréquences EEG plus élevées (Cardeña et
al., 2013) et une variabilité du rythme cardiaque (au niveau des composants
vagaux parasympathiques) avec une fréquence respiratoire plus faible
(Diamond et al., 2008). Les recherches sur cette voie doivent être
approfondies.

3 Illustrations dans les travaux de Pierre et


Jules Janet
Le philosophe et médecin Pierre Janet (1889) s’est beaucoup inspiré des
travaux des précédents magnétiseurs. Sa théorie de la dissociation donne un
repère nouveau pour la mesure de la profondeur de l’état d’hypnose : plus le
sujet est dissocié, plus l’hypnose est profonde. L’une des conditions que
Janet considère comme obligatoire (contrairement à Erickson, 1952) est
l’amnésie post-hypnotique.
Janet a été amené à reconnaître l’existence de plusieurs phases distinctes de
somnambulisme qu’il désigne en faisant suivre de chiffres le nom du sujet.
C’est ainsi que Lucie 1, Lucie 2, Lucie 3 désignent ses trois états successifs,
en partant de l’état de veille. Cette numérotation vient également figurer les
modifications de la personnalité qui s’opèrent aux différentes étapes, par
fragmentation et réagrégation. Il s’agit donc à la fois d’états momentanés et
de traits plus persistants, Lucie 3 se présentant par exemple comme une
personnalité distincte des autres, avec notamment sa propre chaîne de
souvenirs :
« J’ai commencé par endormir simplement Lucie de la manière ordinaire, et j’ai constaté, à
propos de ce second état, les phénomènes de mémoire propres à toutes les somnambules. Un jour,
à propos d’une suggestion que je voulais lui faire et qui ne réussissait pas, j’ai essayé de la faire
dormir davantage, espérant augmenter ainsi la suggestibilité du sujet. J’ai donc recommencé à
faire des passes sur Lucie 2, comme si elle n’était pas déjà en somnambulisme. Les yeux qui
étaient ouverts se fermèrent, le sujet se renversa et sembla s’endormir de plus en plus. Il y eut
d’abord une contraction générale qui ne tarda pas à se dissiper, et les muscles restèrent flasques
comme dans la léthargie, mais sans aptitude aux contractures provoquées ; aucun signe, aucune
parole ne pouvait amener le plus léger mouvement. C’est là cet état de syncope hypnotique que
j’ai déjà signalé ; je l’ai revu souvent depuis, et, chez certains sujets, il m’a paru former une
transition inévitable entre les divers états psychologiques.
Après une demi-heure de ce sommeil, le sujet se redressa de lui-même et, les yeux d’abord
fermés, puis ouverts sur ma demande, il se mit à parler spontanément. Le personnage qui me
parlait alors, Lucie 3, se souvenait parfaitement de sa vie normale, elle se souvenait également
des somnambulismes provoqués précédemment et de tout ce que Lucie 2 avait pu dire ; en outre,
elle pouvait me raconter en détail ses crises d’hystérie, ses terreurs devant des hommes qu’elle
voyait cachés dans les rideaux, ses somnambulismes naturels pendant lesquels elle avait été se
préparer à dîner ou faire son ménage, ses cauchemars, etc., toutes choses dont ni Lucie 1, ni Lucie
2 n’avaient jamais présenté le moindre souvenir.
Il fut assez long et difficile de réveiller alors ce sujet ; après un passage de quelques minutes dans
la syncope déjà décrite, il se retrouva en somnambulisme ordinaire ; mais Lucie 2 ne put me dire
alors ce qui venait de se passer avec Lucie 3, elle prétendit avoir dormi sans rien dire. Quand je
ramenai plus tard et plus facilement le même état, Lucie retrouva immédiatement ces souvenirs
en apparence disparus. » (Janet, 1889, p. 87-88)

À partir de telles observations, Janet édicte les trois lois de la mémoire


somnambulique selon lesquelles la mémoire propre à un état plus profond
qu’un autre forme un système plus englobant, le mouvement inverse
entraînant un rétrécissement du champ de la conscience signalé par
l’amnésie. Ce système gigogne de mémoires indique que la progression
vers la profondeur tend vers une étendue mnésique de plus en plus grande,
conformément au modèle de la mémoire pure développé par son collègue
Henri Bergson (1896).
Toutefois, Janet (1886) développe également une autre conception selon
laquelle les phases de l’hypnotisme forment un cercle. Il repère six formes
intermédiaires entre la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme, c’est-à-
dire le triptyque classique érigé par Charcot. Plutôt que de degrés différents
de sommeil, Janet décrit les caractéristiques de phases distinctes. Le point
d’entrée étant la catalepsie, il procédait à des suggestions (y compris des
suggestions mentales) pour passer d’une phase à l’autre, dans un sens
comme dans l’autre : catalepsie ; catalepsie léthargique ; léthargie
cataleptique ; léthargie ; léthargie somnambulique ; somnambulisme
léthargique ; somnambulisme lucide ; somnambulisme cataleptique (les
yeux ouverts) ; catalepsie somnambulique ; de nouveau catalepsie…
Par rapport au point de bifurcation des classifications de ces états, Janet
présente une conception plus restreinte de la lucidité : « je n’entends par ce
mot aucune faculté mystérieuse, je veux dire simplement qu’elle avait la
conscience, l’intelligence et la volonté à peu près aussi complètes qu’à
l’état de veille » (Janet, 1886, p. 581). En dépit de ses travaux sur l’hypnose
à distance (Evrard et al., 2018), le jeune philosophe n’en fait pas un critère
pertinent. C’est un reproche que lui fait de Rochas (1904, p. 88) : «
Malheureusement M. Janet, absorbé par ses recherches sur les rapports de la
mémoire et de la sensibilité, a négligé volontairement ou involontairement
toutes les autres facultés des somnambules ».
Le médecin Jules Janet, frère de Pierre, parviendra de son côté à obtenir ce
« somnambulisme supérieur » (rapporté par Janet, 1889) avec un sujet
célèbre, Blanche Wittman, qui avait été patiente à la Salpêtrière pour l’étude
des suggestions, mais qui possédait « un somnambulisme facile à produire
et absolument ignoré » (idem). Jules Janet a cherché à dépasser le premier
niveau de transe et a obtenu des résultats imprévus. En prolongeant les
passes au-delà de la léthargie initiale, sont entièrement réapparus sa
sensibilité, son sens musculaire, sa chromatopsie, son acuité visuelle,
l’amplitude normale de son champ visuel et son audition. De plus, Blanche
était mentalement bien plus autonome puisqu’il était devenu impossible de
lui faire aucune suggestion. Le deuxième caractère distinctif de cet état est
l’électivité importante : Blanche ne veut plus parler qu’à Jules, elle ne prête
aucune attention aux paroles qui lui sont adressées par les autres personnes
présentes, quoiqu’elle les entende fort bien. Jules Janet (1888, p. 622)
conclut que « Blanche 1 est incomplète et non élective, Blanche 2 est
complète et élective ». Tout se passe comme si la libération psychique du
potentiel de l’hypnotisé passait par son intrication consolidée avec la
personne de l’hypnotiseur.

4 Conclusion : régression ou évolution ?


Pierre Janet a formulé la question de savoir si ces nouvelles formes
d’existences psychologiques sont inférieures ou supérieures à l’état de
veille. Une décadence ou un progrès ? L’oubli au réveil, que P. Janet dit
systématique, lui laisse croire que l’état du somnambulisme lucide est l’état
parfait. Toutefois, ses opinions vont changer au cours de sa carrière pour
aller vers un réductionnisme psychopathologique plus prononcé.
Le chercheur anglais Frederic Myers (1887) concluait déjà que l’état
somnambulique, au lieu d’être un état régressif, pouvait être quelquefois un
état évolutif et permettre des réadaptations de notre personnalité face à de
nouveaux besoins.
Les états profonds de l’hypnose se présentent comme une fascinante terra
incognita, voire un « continent englouti » (Méheust, 1999), dont on peut
attendre un dépassement des capacités habituelles et des effets
thérapeutiques supérieurs. Présentée comme une modalité d’être au monde,
l’hypnose profonde cultive les paradoxes : éveil paradoxal, hyperprésence
avec un regard inexpressif, et autonomie conditionnée à une relation
élective. De sorte qu’elle constitue un renversement total de la vision
classique de l’hypnose comme assujettissement à un automatisme moteur et
moral.
La classification historique des états profonds a reposé sur l’objectivation
d’une lucidité de plus en plus transcendante. Or, avec la désagrégation de
l’hypnotisme et de la recherche psychique, un tel critère ne semble plus
utilisable. L’hypnose profonde reste néanmoins associée aux expériences
dites anomales ou exceptionnelles spontanées (Cardeña, 2010) ou
provoquées (Tressoldi & Del Prete, 2007). Certains travaux signalent des
corrélations fortes entre tendance à la dissociation, hypnotisabilité et
expériences exceptionnelles, avec un processus commun sous-jacent qui
serait la porosité des frontières psychiques (Cardeña & Terhune, 2014).
Chapitre 2

Les enjeux de l’hypnose


profonde

A. Bioy

1 Introduction

2 Au commencement était la dissociation

3 La profondeur en hypnose : une affaire de dissociation ?

4 Processus psychologique de l’hypnose profonde

5 Auto-transe du praticien

6 Situation 1 : Nahia et son « parfum de douleur »


Dans ce chapitre, nous vous proposons un premier aperçu de
l’hypnose profonde, de la théorie à la pratique. Il s’agit – comme
vous le verrez – de l’un des sujets les plus intrigants dans le
champ de l’hypnose, et celui qui crée le plus de controverses.
L’approche expérimentale est pragmatique : le terme d’hypnose
profonde renvoie… à la profondeur mesurable de la transe
hypnotique. En pratique clinique, plusieurs définitions existent ;
citons celle d’Erickson (1952) : « L’hypnose profonde est le niveau
d’hypnose qui permet au sujet de fonctionner de manière
adéquate et directe à un niveau inconscient, sans interférence de
l’esprit conscient. »1

1 Introduction
En fait, la question de la profondeur a longtemps été une question de
chercheurs : jusqu’où peut-on aller dans une déconnexion de la réalité
ambiante, sans être dans une forme de sommeil ou de coma ? Finalement,
on pourrait dire que jusqu’à Erickson, toute hypnose était ce que l’on
nomme aujourd’hui hypnose profonde. De Franz Anton Mesmer au sage de
Phoenix, on était en hypnose lorsque l’on manifestait des signes francs de
cette déconnexion, avec la production d’actes automatiques, des
hallucinations plus ou moins suggérées et des amnésies partielles et parfois
totales. Et puis Erickson proposa un lien entre transe commune et transe
hypnotique, qui modula le besoin d’une déconnexion franche pour travailler
en hypnose (voir le chapitre de Thierry Servillat dans cet ouvrage). Surtout,
la PNL, prétextant un lien de parenté avec l’hypnose, influença l’invention
de la « communication hypnotique » (années 1980 et au-delà) qui, par
nature, n’a pas besoin d’une transe profonde pour opérer (rapidement dit,
elle consiste en de la communication thérapeutique avec induction
progressive d’un état de transe légère). Cette modalité de pratique se trouve
très adaptée à l’hypnose médicale appliquée au domaine du soin, et
remporte encore de nos jours un franc succès. L’identité de l’hypnose s’en
trouva modifiée, on parle ainsi de communication hypnotique (parfois
différenciée de l’hypnose conversationnelle) et d’hypnose formelle (séance
d’hypnose avec mise en lien, induction, phase de travail, temps de
renforcement ou de suggestions post-hypnotiques et enfin retour à l’état de
conscience ordinaire). Et dans la pratique de l’hypnose formelle, il existe
une pratique désignée comme « hypnose profonde », qui est en fait
l’hypnose « historique », la pratique qui a prévalu tout le xixe siècle et les
trois quarts du xxe siècle. Cette forme d’hypnose est maintenant bien l’une
des approches possibles en hypnose lorsque la situation y est propice. Par
exemple, dans Hypnosis and treating depression applications (2006),
Michaël Yapko développe longuement le suivi de Julia, qui s’appuie sur la
pratique de l’hypnose profonde, avec un usage important des métaphores.
Un peu plus loin, il situe aussi l’intérêt de l’hypnose profonde pour préparer
le suivi des patients (permettre aux suggestions d’être plus ancrées)2. Des
auteurs comme Assen Aladdin proposent que l’approfondissement de la
transe soit systématique dans toutes les pratiques d’hypnose formelle et
d’autres auteurs n’envisagent pas l’hypnose sans cet approfondissement,
notamment car elle favorise les mouvements de régression et la production
de méthodes particulières comme l’écriture automatique (Watkins &
Barabasz, 2008).

L’écriture automatique
Hippolyte Taine dans la préface de la troisième édition de son
ouvrage De l’intelligence (1878) en dit ceci : « Plus un fait est
bizarre, plus il est instructif. À cet égard, les manifestations
spirites elles-mêmes nous mettent sur la voie de ces découvertes,
en nous montrant la coexistence au même instant, dans le même
individu, de deux pensées, de deux volontés, de deux actions
distinctes, l’une dont il a conscience, l’autre dont il n’a pas
conscience et qu’il attribue à des êtres invisibles… Il y a une
personne qui, en causant, en chantant, écrit sans regarder son
papier des phrases suivies et même des pages entières, sans
avoir conscience de ce qu’elle écrit. À mes yeux, sa sincérité est
parfaite ; or, elle déclare qu’au bout de sa page, elle n’a aucune
idée de ce qu’elle a tracé sur le papier. Quand elle le lit, elle en est
étonnée, parfois alarmée… Certainement on constate ici un
dédoublement du moi, la présence simultanée de deux séries
d’idées parallèles et indépendantes, de deux centres d’actions,
ou, si l’on veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le
même cerveau ; chacune a une œuvre, et une œuvre différente,
l’une sur la scène et l’autre dans la coulisse ». Janet cite ce
passage en parlant des actes de sa patiente Léonie, et l’attribue à
un phénomène de suggestion rendu possible par la distraction
maintenue. Janet fait de l’écriture automatique une véritable voie
d’exploration des contenus inconscients, d’autres l’utiliseront
comme Ferenczi ou encore Erickson. Dans le domaine des arts,
l’écriture automatique sera utilisée par exemple en poésie
(mouvement surréaliste) et dans le dessin. Pour notre part, nous
avons développé à partir de cela la méthode du « squiggle
hypnotique » (Bioy, 2014).

Pourtant, un premier caillou dans cette affaire : et si Bernheim avait raison


en écrivant que l’hypnose n’existait pas et que la seule chose à considérer
était la suggestion ? D’une certaine façon, c’est ce que postule l’un des plus
grands noms dans le champ de l’hypnose : Théodore Barber. Pour ce
dernier, ce que l’on nomme « état hypnotique » n’est qu’un prolongement
de l’état de vigilance ordinaire. Autrement dit, l’état hypnotique est un état
de vigilance où le patient a l’impression qu’il vit un état différent de la
veille ordinaire, simplement car on lui suggère cela. Le thérapeute bien
entendu : « et à mesure que vous respirez, vous pouvez laisser l’hypnose
s’installer de plus en plus intensément » ; ou bien « et je ne sais pas si vous
pouvez déjà ne plus sentir vos lunettes sur le nez, ou si l’hypnose se
manifeste autrement ». Mais aussi le patient, qui apprend, séance après
séance, à intégrer le rituel hypnotique pour lui, voire à le reconduire pour
son bénéfice (« autohypnose »). Et dans ce cas, la simple intention de vivre
un moment d’hypnose pour soi a valeur de suggestion.
Et si l’on pousse le raisonnement jusqu’à son terme, la profondeur est aussi
le fait de la suggestion : elle est une construction de la séance elle-même, le
thérapeute glissant dans son propos des suggestions telles que : « et plus
vous respirez, et plus vous plongez encore plus loin à l’intérieur de vous-
même ». Pour autant, que la profondeur de la transe soit une réalité clinique
(un état spécifique) ou un état induit par le cadre thérapeutique sans substrat
autre que la suggestion, la seule question valable est : l’hypnose profonde :
pour en faire quoi ?
2 Au commencement était la dissociation
Origine et difficultés du concept
L’hypnose et sa profondeur sont intimement liées à la notion de
dissociation3. Faire l’expérience d’un état hypnotique profond implique que
l’on soit dans un niveau de dissociation important, plus grand évidemment
qu’en transe commune ou légère. Il faut donc comprendre ce terme et sa
place dans le processus hypnotique pour saisir le mouvement de l’hypnose
profonde.
Le terme de « dissociation » est d’abord utilisé par Benjamin Rush en 1812,
l’auteur de la première classification américaine des maladies mentales. Ce
terme est pour lui un simple synonyme de la démence, une affection
dégénérative et définitive qu’il classe dans les dérangements intellectuels au
chapitre « folie générale ». Il n’en fera rien d’autre, et nous sommes donc
assez loin du contenu qui sera donné à ce terme par la suite. Cette suite
précisément, elle se passe en France en 1845, avec le Dr Moreau de Tours
qui utilise le terme de « dissociation » pour décrire les effets du « chanvre
indien » (hachisch), dont la consommation est pour lui une méthode
d’exploration du psychisme humain (il créera d’ailleurs le « club des
hachichins », fréquenté notamment par Baudelaire, Delacroix, Flaubert,
Balzac…). Janet s’empare du terme pour le faire basculer dans la
psychopathologie, et l’assimile aux moments où les fonctions mentales se
compartimentent comme dans certaines manifestations hystériques, même
s’il ne l’enferme pas totalement dans ce champ4. Ainsi, sous le coup d’une
forte émotion par exemple, le psychisme n’arrive plus à mener son activité
de synthèse et se dissocie des pensées et des comportements, créant un état
de « misère psychologique » (une « faiblesse morale »). Janet décrit
également le processus dissociatif dans le trauma, y voyant un symptôme là
où Freud et Breuer y verront plus un mécanisme de défense (mettre à
distance les conflits traumatiques). Bleuler, inspiré par Janet, finira
d’enfermer le concept dans la psychopathologie pour le définir comme une
fragmentation des fonctions mentales rencontrée notamment dans la
schizophrénie (donnant lieu au mythe populaire qu’être schizophrène, c’est
avoir une « double personnalité »).
Et aujourd’hui encore, cette notion reste attachée au monde de la pathologie
puisque lorsque l’on parle « dissociation », ce qui est immédiatement retenu
est le « trouble dissociatif ». Cette restriction brutale ne va pourtant pas de
soi. Ainsi, Cardeña (1994) note que le terme de « dissociation » peut avoir
trois sens distincts :
– Celui d’un état de conscience qui se trouve modifié de type «
absorption », qui va du normal au pathologique, du temporaire au
chronique (allant de l’écoute machinale d’une discussion dont on ne
retient rien, aux processus de sidération).
– Celui d’une fragmentation de la personnalité (les processus
psychiques sont compartimentés). Cette conception est dans la lignée
de Janet, et elle est défendue actuellement par Onno Van der Hart
dans le champ du psychotraumatisme, où il parle d’une dissociation
entre une partie normale et la partie émotionnelle de la personnalité,
porteuse du noyau traumatique, qui n’est plus soumise au contrôle
volontaire, donnant lieu aux signes cliniques de la dissociation.
– Celui d’une modalité adaptation ou défensive à un événement
extraordinaire.
Il est cependant à noter que si la seconde conception fait clairement
référence à la psychopathologie, il en est de même pour la première et la
dernière. En effet, même en situation de dissociation normale, on parle de
processus de dépersonnalisation. Et lorsque l’on parle de la dissociation
comme modalité adaptative, ce n’est qu’au regard d’un événement
effractant voire au potentiel traumatique (accident de la route, agression
physique/sexuelle, etc.).

Cette assimilation est d’autant plus problématique que l’on a déjà


vécu cette dérive et qu’elle a été dénoncée, concernant l’étude
des chamanes. D’abord, précisons que nous sommes toujours
bien dans le même champ d’étude, puisque l’abord culturel est
indispensable pour penser la notion de dissociation (Spiegel,
1994). En fait, face aux manifestations cliniques de la dissociation
chez les chamanes durant l’exécution de leur fonction, la
tendance à pathologiser ces manifestations a vite fait jour, depuis
la fin du xixe siècle. Ils ont ainsi pu être la proie d’épisodes tour à
tour qualifiés de psychotique, d’épileptique, d’hystérique, de
psychose hystérique, voire donner lieu à de nouvelles
classifications éphémères pointant toutes du doigt la dimension
pathologique des manifestations chamaniques (voir notamment
l’intéressante synthèse de Mitrani, 1992). La bataille a fait rage
dans les années 1960 à 1980, avant de s’assagir pour reconnaître
que vouloir assimiler les manifestations dissociatives à des
processus psychopathologiques empêchait de rendre compte
avec justesse des processus individuels et groupaux à l’œuvre.

Et si nous essayons maintenant de ne pas psychopathologiser d’emblée la


dissociation, de ne plus la voir comme un processus d’emblée anormal et
déviant ?

Ronald est un adolescent approchant de la majorité, qui a longtemps été un « enfant trop sage » et
lorsque sa mère en parle au premier entretien, elle décrit une situation qui évolue dans un sens
qu’elle trouve inquiétant. Assez peu porté vers les contacts sociaux, Ronald a cependant des
hobbies prenant une bonne place dans sa vie : mangas qui l’initient à la langue japonaise,
conférences en ligne sur les nouvelles technologies et séries de science-fiction. Lors de
discussions en famille, il consolide des scénarios d’anticipation, abordant le futur possible des
terriens, des vols spatiaux, du fait de peupler les fonds sous-marins. En consultation seul à seul, il
décrit ce qu’il nomme des moments de dépersonnalisation (il a trouvé le terme sur internet), qui
lui font peur par leur récurrence et leur intensité parfois (il craint de rester bloqué dans son
imaginaire). Il n’a pas réellement d’expériences de sortie du corps (il pense qu’il pourrait mais il
s’en empêche), mais il décrit volontiers des ressentis curieux qui lui échappent avec parfois
l’impression que certaines parties de son corps « pourraient partir en vacances ». Il a été vu par un
neurologue, une dernière imagerie cérébrale est en attente, et finalement une pathologie de cet
ordre sera exclue. Une psychiatre a proposé un traitement un peu plus d’un an auparavant, sans
cependant avoir été convaincu par la réalité des troubles si l’on en croit ce qu’en disent Ronald et
sa mère. Pour notre part, nous évaluons évidemment dans l’entretien clinique différentes pistes
pathologiques possibles, en prenant aussi en compte une consommation de cannabis récréative
avec ses amis qui semble aller croissant (Ronald s’en sert pour augmenter ses perceptions et non
les éteindre). Finalement, au moment du suivi, une entrée dans la pathologie semblait à exclure.
Les phénomènes de dissociations spontanées du patient étaient plus des modalités d’adaptation à
l’adolescence et ses changements, à des angoisses existentielles et du devenir, et peut-être aussi à
un épisode effrayant voire traumatique dans lequel cependant Ronald ne nous laissa pas aller dans
l’investigation. Nous lui avons proposé des séances d’hypnose très perceptives pour investir son
corps d’une façon plus satisfaisante et sincère. Puis, nous lui avons proposé d’approfondir les états
hypnotiques jusqu’à pouvoir explorer la partie qui – en lui – ressent sa trajectoire de vie. Cet
apprivoisement à la démarche profonde prendra quatre séances, Ronald ayant besoin d’apprivoiser
la méthode, comme le renard du Petit Prince. Le travail a été possible en prenant pour appui ses
dissociations normales et adaptatives, mais en leur donnant un sens différent (recadrage), celles
des manifestations d’un Sage intérieur auquel il pouvait avoir confiance, en apprivoisant son
langage interne comme il apprivoisait le langage de ses mangas.
Une dissociation normale est-elle possible ?
Pour notre part, nous défendons l’idée que la dissociation est un processus
non seulement inné et universel, mais même plus que cela : elle est
nécessaire au développement humain. Nous ne donnerons ici qu’un
exemple, le fait qu’il ne peut y avoir d’apprentissage sans dissociation,
puisque cela implique l’attention (un mouvement cérébral sélectif et
mouvant), l’engagement actif (anticiper une réalisation, visualiser les
actions, alterner savoirs et tests, etc.), la capacité à jongler avec pensées,
émotions et comportements, etc. Et bien entendu, notre cerveau suit le
mouvement en activant et désactivant les réseaux neuronaux au fil des
apprentissages successifs, impliquant la dissociation. Ainsi, pas
d’apprentissage de la lecture, de la course, du piano, de la cuisine… sans
dissociation, autrement dit, sans approcher et répéter jusqu’à rendre
automatique une dissociation temporaire entre pensées, émotions et
comportements pour apprendre puis mettre en œuvre ces compétences dans
un processus dynamique et évolutif. L’hypnose est aussi une situation
d’apprentissage et la répétition de procédures telles que l’entrée dans
l’hypnose profonde aura donc pour vertu d’intérioriser les processus activés
pour le travail thérapeutique. Pas d’apprentissage hypnotique sans
dissociation, pas d’apprentissage installé en hypnose profonde sans
répétition de la procédure !
Nous parlons bien de « dissociation » et non de « trouble dissociatif
transitoire » ; ce mouvement d’apprentissage est par nature fluide et
universel. Pour autant, loin de nous l’envie de nier que la dissociation
puisse devenir pathologique. Comme pour tout processus normal lorsqu’il
devient excessif, chronique, et/ou qu’il dévie d’une expression
normativement convenable pour l’individu, le risque pathologique est là.

Comment distinguer la dissociation normale de celle


pathologique ?
Il est possible de se donner une première distinction simple en se
posant deux questions :
Est-ce qu’il s’agit d’une dissociation agie ou subie ?
Est-ce que les manifestations cliniques de la dissociation
sont temporaires ou chroniques ?
Lorsque la dissociation est agie, elle est forcément aussi
temporaire et relève du normal (apprentissage, autohypnose…).
Lorsque la dissociation est subie et temporaire, cela dépend du
contexte et de l’intention (normal lorsque l’on est saisi par la
beauté d’un paysage, pathologique dans le cas d’un viol). Et enfin
lorsqu’elle est subie et chronique, elle est toujours du côté du
pathologique (psychoses, tableaux psychotraumatiques…). Qu’en
est-il du processus thérapeutique ? Il relève le plus souvent de
dissociations agies (hypnose ou méditation guidées par un
thérapeute…) mais peut aussi relever d’une dissociation subie
temporaire (psychothérapie augmentée, casque de réalité
virtuelle…).

On peut ainsi retenir que la dissociation, qu’elle soit subie ou agie,


transitoire ou pérenne, normale ou pathologique, apparaît avant tout comme
un phénomène mental, produit de la conscience, pouvant être exprimé et
expérimenté par tous et donnant lieu à un vécu typique (dimension
expérientielle). L’hypnose profonde induite dans le cadre thérapeutique est
agie à partir des suggestions du thérapeute, et donc temporaire. Elle est
tellement agie qu’elle s’entraîne !5

3 La profondeur en hypnose : une affaire de


dissociation ?

L’inévitable suggestion en hypnose


Nous le disions, la question de l’hypnose profonde a d’abord été une affaire
de recherche avant de devenir un « terrain clinique » spécifique. Il nous faut
ici préciser qu’il existe deux biais constants dans les recherches portant sur
l’hypnose :
– L’hypnose est assimilée à la seule suggestion (pour tester la sensibilité
d’une personne au processus hypnotique, on teste si elle est
suggestible ou non). Cela est simplement pratique et pas
complètement absurde puisqu’il n’y a pas d’hypnose sans suggestion.
On le sait depuis les travaux de l’abbé de Faria (début du xixe siècle)
et cela ne s’est pas démenti depuis.
– Les études portent sur des personnes très suggestibles et parfois
tellement virtuoses que l’on se demande si le terme « hautement
suggestible » ne renverrait pas à une catégorie de personnes très
spécifiques (notamment les hauts potentiels). Là aussi, cela est
pratique puisqu’avec ces personnes hautement suggestibles, il est
facile d’induire le processus hypnotique, ce qui facilite les recherches.
Notons que si la transe hypnotique accroît la suggestibilité naturelle,
pour autant ce n’est pas parce que le sujet est très suggestible qu’il
partira plus spontanément en hypnose profonde (Weitzenhoffer,
1989), il faudra « l’y aider », comme les autres !
Nonobstant cela, les études en hypnose nous apprennent beaucoup,
notamment que la suggestion ne crée rien en soi. Elle est une proposition,
on pourrait même dire une occasion, offerte à la personne pour produire des
effets que l’on va qualifier d’hypnotiques. On peut certes déclencher des
phénomènes avec la suggestion (comme l’hallucination d’un mouvement du
bras) ou en modifier d’autres (atténuer la morsure d’une douleur, par
exemple). Mais ce n’est pas la suggestion qui crée cela : la suggestion est
l’invitation à ce que le patient laisse se produire ces phénomènes curieux
qui émanent pour certains auteurs de l’inconscient du sujet (Erickson,
Freud…) et pour d’autres d’une corporalité qui retrouve son épaisseur
(Roustang…). Lorsque l’on dit au patient « et laissez ce point maintenant
fixé devant vous changer de forme, ou de couleur », ce n’est pas la
suggestion qui transforme. La suggestion incite à laisser un mouvement de
transformation apparaître qui pourra prendre la forme admise, ou bien
s’exprimera autrement. Et parfois, le phénomène devance la suggestion,
comme les patients de Linn F. Cooper (1948) qui modulent spontanément le
temps, Victor Race (patient du marquis de Puységur) qui part en
somnambulisme alors qu’on attendait de lui qu’il tombe en « crise
magnétique » (mesmérisme) ou bien simplement dans nos consultations
thérapeutiques où les patients « voyagent » dans des lieux non suggérés ou
ressentent des impressions non induites.

Shani est une jeune artiste venue consulter pour un trac envahissant et des tremblements
inexpliqués lorsqu’elle jouait de son instrument de musique. Un bilan médical (neurologique en
particulier) ayant exclu un terrain organique, elle nous consulte maintenant pour avancer. Lors de
la première séance, nous lui proposons un simple exercice d’exploration des énergies de son corps
et de la façon dont ces énergies se distribuent (pour expliquer le trac et les tremblements, elle avait
auparavant utilisé l’image d’une pompe à chaleur énergétique qui se vide brutalement, ne laissant
que des vagues de froid balayant son corps et dans les extrémités). Nous l’engageons à
approfondir ce mouvement d’entrée à l’intérieur d’elle-même, protégée par la chaleur de ses
vêtements. Au bout de quelques minutes, Shani commence à trembler de la main droite, alternant
mouvements amples et gestes frénétiques. Nous lui suggérons de tendre la main vers ce qui
pourrait se présenter comme un geste d’accueil, son bras se soulève d’abord péniblement, puis la
patiente semble écrire dans le vide. Nous la laissons faire puis au sortir de la séance, nous lui
présentons une feuille de papier et un crayon en lui demandant d’en faire l’usage qu’elle souhaite.
Elle « dessine » alors un mot sur la feuille (chaque lettre étant une sorte de forme vivante qu’elle
nomme : queue d’un chat, lierre, etc.). Ce mot sera repris dans nos séances par la suite.

Dans cette séance, un cadre a été offert à Shani avec la suggestion


d’explorer son mal d’une certaine façon, et elle y a répondu d’un autre. Ce
que l’on nomme parfois créativité n’est finalement que la liberté que le
patient s’accorde lorsqu’il joue avec le cadre présenté.
En tout cas, on peut traduire de tout ceci que si les patients se placent
spontanément dans un certain niveau de transe hypnotique, ce que l’on
nomme « hypnose profonde » implique que le patient entre dans un « Être
au Monde » vraiment spécifique, qui doit être méthodiquement suggéré aux
patients, même aux plus suggestibles (Daniel Goldschmidt et Franck Mahia
en décrivent les ressorts dans cet ouvrage).

Au-delà de la suggestion, un monde s’ouvre…


L’hypnose de spectacle et la « street hypnose » (qui n’est finalement qu’un
théâtre de rue mettant en scène le spectacle hypnotique) nous enseignent
que l’on peut aussi faire entrer en hypnose profonde, sans ménagement et
sans cette précaution pour l’autre qui est impérative dans un cadre
thérapeutique. Un claquement de doigts peut suffire si les préliminaires sont
réussis6 ! Ce que l’on nomme « inductions instantanées » peut ainsi induire
facilement des « déconnexions » importantes (dissociations franches et
rapides). Pour autant, il est probable que ce que l’on nomme « approfondir
l’hypnose » doit aussi porter la marque de la considération du thérapeute
envers son patient. Pour lui assurer un certain confort dans le mouvement
de mise en hypnose, on l’engage à entrer progressivement dans un état de
transe hypnotique de plus en plus profond. Des « inductions rapides » sont
possibles, notamment en hypnose médicale, dans une sorte de compromis
où il ne s’agit pas d’être trop long, tout en ne violant pas la conscience du
sujet par un mouvement trop soudain qui cadre mal avec l’intention
thérapeutique.
En fait, on pourrait dire que l’on est ou non en hypnose, et plus on y entre
vite, plus l’hypnose est spontanément profonde. Si l’on prend plus de temps
et que l’on souhaite une certaine profondeur de transe hypnotique, alors il
faut la demander en suggérant qu’elle apparaisse. Pour autant, procéder
ainsi pour obtenir une transe profonde ne se résume pas à une question
éthique et de déontologie (être précautionneux de l’autre, ne pas brusquer
lorsque cela n’est pas nécessaire, particulièrement les personnes en
souffrance, fragilisées). Si les personnes effractées par les inductions «
flashs » entrent spontanément en hypnose profonde presque de façon «
on/off », il ne s’agit pas des niveaux les plus profonds de transe hypnotique,
qui eux demandent cette progressivité dont on parlait (et parfois un certain
apprentissage). Les travaux de Charles Tart (1972), confirmés ensuite par
Ernest Hilgard, montrent qu’avec cette progressivité, il est possible
d’induire des expériences intrigantes qui flirtent avec ce que l’on connaît
dans le champ des extases mystiques, des expériences paranormales et
extraordinaires, des transes de possession, etc. Cette expérience est difficile
à décrire par les patients (les mots appauvrissent forcément) mais a le plus
souvent à voir avec une expérience hors du temps d’être relié à une sorte de
vivant ou de savoir incommunicable, à une transcendance, etc.7 Et
particularité notable : dans ces états, toute suggestibilité semble disparaître,
au moins dans les conditions de recherche expérimentale (en clinique, la
relation maintient une forme de lien). La suggestion est donc bien ce qui
permet d’aller vers ce que l’on nomme hypnose profonde, mais sa fonction
« guidante » disparaît au fur et à mesure que la profondeur de transe
hypnotique s’atteint. Cette profondeur est parfois difficilement décrite, mais
en tout cas le patient est le mieux placé pour auto-évaluer quelle a été la
profondeur de son vécu (LeCron, 1953). Hilgard note d’ailleurs (1986) : «
En cas d’hypnose profonde, les meilleures mesures sont les estimations
numériques faites par le sujet sur sa propre échelle. »8

Aitor vient consulter pour ce qu’il nomme une « boiterie intellectuelle ». Personne cultivée,
gravitant dans le monde de la haute couture, il ne supporte pas d’être pris à défaut lors de dîners
ou de rencontres professionnelles, à l’inverse d’échanges dans un cadre personnel, où il se met
volontiers en situation d’apprenant. Il a écarté la sexualité de sa vie, ses relations étant épuisantes
du fait de tiraillements sadomasochistes très marqués, allant de pair avec une problématique
d’abandon envahissante. Les premières séances explorent son univers créatif et perceptif, en
s’appuyant sur ses habiletés dans le domaine de la mode pour aller tranquillement vers
l’exploration de ce lien problématique aux autres (coudre et découdre, dessiner de l’épure à la
réalité intégrant aussi l’imaginaire de l’autre, dialectique : déchirer et découper, etc.). À la 4e
séance, Aitor tressaille au moment de l’induction hypnotique où il était plus autonome, comme en
difficulté. Nous lui suggérons alors que peut-être aujourd’hui passer le chas de l’aiguille était plus
compliquée, et nous poursuivons sur l’art de mouiller le fil pour ce faire (nous nous sommes
engagés très directement dans une visite de la façon dont Aitor pouvait vivre la sexualité). Aitor se
recroqueville sur le fauteuil, visiblement à la peine. Nous travaillons le passage du « lieu sécure »
au « lien sécure » en validant le contact du fauteuil qui le contient, à l’essence de ce qui l’entoure
comme des éléments immuables accompagnant son expérience, y compris notre présence à ses
côtés. Nous lui proposons ensuite une métaphore d’un autre registre puisque nous lui parlons de
ces éléments « calmes, immuables et intemporels comme peut l’être la surface d’un lac, à peine
plissée comme une frêle étole ondulée par une brise légère », puis progressivement nous
l’amenons à visiter « la profondeur de ce lac, à passer de l’autre côté, à découvrir le miroir
déformé et peuplé de ce qui se trouve dessous, de plus en plus déformé et de plus en plus installé
dans ces ombres dansantes. » Le rythme de respiration est ratifié comme ce qui engage à cette
profondeur vers les dessous de ce lac, déformés et agissants. L’espace de quelques minutes, Aitor
se tortille, il donne l’impression d’une larve cherchant à avancer sur ce fauteuil. Ses yeux sont très
agités, les bras collés au corps. Les suggestions pour cadrer cela n’auront pas grand effet, aussi
nous choisissons de nous adresser à ces ombres ondulantes, ces tréfonds que nous avions installés
pour leur demander de prendre soin d’Aitor en lui laissant juste l’espace pour apprendre quelque
chose de ce qui se déroule. Un temps de silence ponctue l’affaire. À son retour, assez long et
difficile, le patient décrit sa rencontre avec un personnage aux attraits presque mythologiques.
Surtout, cette personne qu’il « connaissait sans pouvoir l’identifier » lui fit « un aveu » sur son
histoire familiale, engageant des rapports d’emprise, de violence et de profits par l’asservissement
d’autres êtres humains (il confirmera par la suite la véracité de cet « aveu » par une enquête). Cela
permit à Aitor de donner un sens nouveau à sa problématique avec les autres et d’avancer sinon
dans sa résolution, au moins dans la perception plus claire de ce qui semblait à ses yeux la nourrir.

4 Processus psychologique de l’hypnose


profonde

L’approche de Ronald Shor


En 1962, à la suite de nombreux travaux, Shor écrit : « L’hypnose profonde
peut être définie comme un système impliquant trois dimensions
conceptuellement distinctes. Ces trois dimensions sont :
– la dimension de l’implication dans la prise de rôle hypnotique,
– la dimension de la transe,
– la dimension de l’implication archaïque »9
La première dimension désigne le niveau auquel le patient a intériorisé les
représentations de l’hypnose. Il est motivé à ce que quelque chose se
produise selon des croyances et des attentes tellement digérées qu’elles sont
non conscientes. Dit un peu rapidement, le patient s’attend implicitement
mais fermement à une déconnexion, il est tendu vers la possibilité de vivre
une expérience qui sorte de l’ordinaire, etc., et met tout en œuvre pour que
cela se passe (immobilité, réceptivité maximale aux instructions du
thérapeute, etc.).
La seconde dimension désigne spécifiquement la modification de l’état de
conscience qui tend vers un vécu atypique de perte plus ou moins
importante de l’orientation générale, induite par ce que nous avons nommé
bien plus tard une « brusquerie » (Bioy, 2021).
La troisième dimension concerne le mouvement de régression en hypnose,
le lien particulier qui se noue entre le thérapeute et le patient (transférentiel,
selon Shor) et enfin la façon dont le noyau de la personnalité du patient est
impliqué dans le mouvement hypnotique.
Finalement, les états d’hypnose profonds sont là lorsque le patient « y met
du sien » et lorsque le thérapeute organise une brusquerie nécessaire
(suggestions directes, ton ferme, confusion…). Alors les mouvements de
régression vers une transe profonde sont intenses et sont susceptibles de
produire tout le champ des manifestations hypnotiques possibles :
dissociation, immobilité, anesthésie spontanée, amnésie spontanée, logique
de transe, hypersuggestibilité, etc.

Un adorcisme
La rencontre en hypnothérapie possède des caractéristiques qui lui sont très
typiques. Puységur l’a noté en premier : la relation hypnotique est d’abord
du côté du paternel, puis a vocation à se « maternaliser ». Paternel, c’est-à-
dire cette modalité relationnelle où le thérapeute sait et « impose », où sa
parole doit « couler en soi » côté patient, dans un mouvement de régression.
Ainsi, le patient attend que le praticien perçoive et vienne corriger ce qui
fait souffrance, sous couvert d’un processus de transe comprise comme une
forme de sommeil réparateur. Ainsi, quelques demandes de patient à notre
endroit : « je ne veux pas voir un psychologue, je veux voir un hypnotiseur »
; « combien de séances vous faut-il pour que je ne sois plus dépressive ? » ;
« je vais m’endormir, ne plus être là, et vous allez m’enlever ma douleur » ;
« j’ai été toxicomane, je suis alcoolique, j’ai un problème avec le jeu, je
suis violent avec ma mère et donc je veux devenir quelqu’un d’autre, que
vous fassiez disparaître ce qui fait que je suis comme cela ».
On peut donc dire que les patients qui formulent une demande d’hypnose
sont à la recherche d’une forme de « possession correctrice et acceptable »
(Bioy, 2020) : un lien à l’autre qui ferait intrusion en eux, puis contiendrait,
et enfin qui libérerait par une parole déposée en soi. Ce mouvement
correspond à la définition de l’adorcisme, que Luc de Heusch (1971, 2006)
décrit comme le fait de vouloir se faire posséder par un esprit (l’adorcisme
est le mouvement inverse de l’exorcisme), esprit qui finalement est perçu
comme bénéfique, précise Brandibas (2003), en lui apportant sa force et sa
connaissance. Cette demande d’être fantasmatiquement possédé par l’autre,
le praticien, source supposée du pouvoir hypnotique, est fondateur de l’acte
hypnothérapeutique depuis le xviiie siècle (alors que toutes les hypnoses
étaient profondes) et encore actuellement, avec les pratiques dites «
d’hypnose profonde »… Il s’agit de l’illusion première, de la grande mise
en scène de l’hypnose : elle agit car fondamentalement le patient projette
dans le dispositif proposé une mise en scène où l’autre, le praticien, se
trouve fantasmatiquement nanti d’un pouvoir donné. Et plus le praticien
sera cadrant, ferme dans sa guidance, et plus ce fantasme d’un pouvoir du
côté du praticien renforcera le dispositif de l’hypnose profonde. Car
particulièrement dans cette pratique, il est important de laisser cette illusion
se déployer ; l’idée n’est pas tellement de maintenir une « magie » de
l’hypnose, mais simplement de dire qu’elle est sinon nécessaire, au moins
aussi intéressante qu’incontournable pour soutenir les effets thérapeutiques.
Peu à peu le « pouvoir » basculera du côté du patient avec notamment la
pratique toujours très recommandée de l’autohypnose. Ainsi se trouve
régulé l’accompagnement hypnotique : d’une situation où le thérapeute «
peut tout », le patient se réinvestit progressivement dans sa capacité à être
autonome, à développer ses attributions internes, à « pouvoir lui aussi », et
le suivi peut alors se terminer.

5 Auto-transe du praticien
En 1977, Beahrs dévoile ce qu’est pour lui le grand secret d’Erickson pour
faciliter son travail : il entrait en transe durant la séance ! Lorsqu’il
interroge ce dernier à propos de cela et pour savoir s’il voit juste, Erickson
sourit et lui lance : « Vous êtes sur la bonne voie ! » Un des patients
d’Erickson a résumé ses séances de la manière suivante : « Si vous voulez
connaître la vérité, le Dr Erickson se met en transe… La première chose
que vous savez, c’est que je suis avec lui » (Haley, 1985). Erickson était
conscient que sa propre entrée en transe stimulait la transe chez les autres.
En fait, il pensait que c’était un élément crucial pour un travail efficace sur
la transe. Il écrit : « J’ai pris soin de souligner l’importance, pour induire
l’hypnose, de parler lentement, de façon impressionnante et significative, et
de “sentir” littéralement à l’instant même, à l’intérieur de soi, toute la
signification de ce qui est dit » (Erickson, 1980). Et Havens de poursuivre :
« La possibilité d’entrer en transe auto-induite permet à l’hypnothérapeute
de participer ou de “sentir” les réponses souhaitées du sujet. »
On le comprend à ces extraits, il n’est pas possible pour nous de parler
d’hypnose profonde sans parler de celle du thérapeute. Nous l’avons écrit, à
la suite des travaux d’autres auteurs, la transe du thérapeute est
fondamentale dans le processus thérapeutique. Où que l’on tourne le regard,
des pratiques les plus culturellement éloignées des nôtres à celles qui
peuplent nos contrées (hypnose bien entendu, méditation…), toute pratique
de transe à visée thérapeutique implique que l’accompagnant soit lui-même
dans une forme de transe.
Comme nous le disions, le patient en hypnose profonde a du mal à exprimer
l’expérience vécue. Mais il en est souvent de même pour le thérapeute !
Pour notre part, nous nous surprenons bien souvent à « nous écouter parler
», c’est-à-dire à découvrir nos mots lorsqu’ils sortent de notre bouche, dans
un état très éloigné de la réalité de la pièce où nous nous trouvons, la tête
lourde, les yeux fermés. Pas dans toutes les situations et pas dès le début,
bien entendu, mais « une transe qui roule » est bien souvent signalée au
thérapeute par le fait qu’il s’est autorisé à être « présentement absent ».

Agustina consulte pour une maladie orpheline évolutive et handicapante. Au fur et à mesure des
séances, des images métaphoriques dont l’enracinement conscient est assez clair sont utilisées par
le thérapeute, comme des espaces étroits, qui permettent de travailler le rapport au corps, perçu
comme une cage ou une prison, et qui malgré tout peuvent être le lieu d’un mouvement inattendu.
De ce mouvement est née la demande d’une automaticité (nous sommes aux alentours de la 6e
séance de travail) : laisser le corps trouver sa façon d’habiter autrement le fauteuil où la patiente se
trouve et qui la « cercle ». Agustina part alors assez rapidement dans une transe plus profonde,
que nous ratifions et encourageons par un simple décompte, selon la méthode du neurologue
allemand Oskar Vogt (début du xxe siècle) : « Dans un instant, je vais compter de 1 à 15. Quand
j’arrive au chiffre dix, laissez-vous remonter juste assez pour pouvoir ouvrir doucement vos
paupières (…) et maintenant de 10 à 15, les paupières deviennent lourdes et tombantes,
somnolentes, comme si elles s’endormaient agréablement… bien » (entre 10 et 15 la voix doit
elle-même être lourde, de plus en plus laborieuse, nous donnant aussi la possibilité d’entrer nous-
mêmes dans une profondeur de transe plus intense). La consigne est généralement répétée 2 à 3
fois, mais avec Agustina à ce moment-là, une seule fois a suffi. Nous avons ensuite accompagné la
patiente à la rencontre de diverses substances organiques incriminées dans sa pathologie. Durant
toute notre transe de thérapeute, nous avons été « visités » par un coq, dont nous n’avons rien fait.
À la séance suivante, il est revenu, puis une troisième fois. Nous avons alors pris l’intrigue de la
pièce d’Edmond Rostand Chantecler pour dénoncer les agissements de certaines substances
parasites dans le corps d’Agustina, et pour critiquer leurs attitudes hautaines et outrancières, avant
de recadrer par le fait que ces cellules pouvaient aussi chanter clair pour prévenir d’un danger,
voire en préserver l’organisme. Au retour, la patiente décrit l’orage émotionnel que cela a été, et
nous approfondirons par la suite à partir de la transe du thérapeute, que la patiente s’approprie à sa
façon, progressivement.

Points à retenir

La profondeur de la transe a d’abord intéressé les


expérimentateurs, avant de devenir une pratique
constituée, en contraste avec un travail en hypnose plus
légère, apparue depuis Erickson notamment dans le
champ de l’hypnose médicale.
Cette pratique – l’hypnose profonde – part de la capacité
de tous à la dissociation, mais réclame une déconnexion
plus importante pour la « travailler » thérapeutiquement.
La transe profonde donne accès sans filtre du conscient
à des contenus inconscients, automatiques, s’ancrant
dans un corps « privé de cerveau » dont les chercheurs
montrent la proximité parfois avec les phénomènes
extraordinaires (extases mystiques, éveil…).
La suggestion est le chemin qui guide cela ; elle est
proposée par le thérapeute avec le plus souvent une
posture assurée, inspirant la sécurité, de façon cadrante
et directive.
Plus qu’une série d’états, la question de la profondeur en
hypnose relève d’une expérience : c’est le patient qui
décrit un vécu de cette nature, à l’intérieur d’un cadre
défini par le praticien.
La déontologie implique une progressivité de la
démarche, éliminant les pratiques brusques (« inductions
flash », etc.).
Enfin, le travail en transe profonde est un travail de
relation. La transe du thérapeute, qui joue aussi avec les
différents niveaux de profondeurs, est essentielle dans la
survenue des phénomènes recueillis et travaillés dans un
cadre thérapeutique.

6 Situation 1 : Nahia et son « parfum de


douleur »
L’accompagnement psychologique d’une personne souffrant de douleur
chronique est une situation toujours complexe. Elle intègre à la fois
l’impact d’un trouble chronique et des spécificités en lien avec la
psychopathologie du somatique appliquée au champ de la douleur (Bioy et
Lignier, 2020).

Présentation de l’approche d’Antoine Bioy


Ma pratique clinique est celle d’un psychologue clinicien, dont l’orientation
principale est humaniste et existentielle (Carl Rogers, Abraham Maslow,
Leslie Greenberg ; Viktor Frankl, Rolo May…) avec une approche
hypnothérapeutique. Elle se déroule actuellement dans deux cadres : au
CHU de Bordeaux (Institut des Médecines Intégratives et
Complémentaires) et en libéral (quasi exclusivement en visioconsultation).
Dans ces deux lieux, je vois les patients le plus généralement toutes les
deux semaines. Cette double activité clinique est enrichissante, car
assurément ce ne sont pas les mêmes patients que l’on croise en institution
publique et dans le privé, ce qui veut dire aussi que les suivis sont de nature
différente du fait des cadres distincts qui possèdent leurs propres identités et
donc également des profils des patients, au-delà des diagnostics10.
Concernant la pratique de l’hypnose profonde, je la réserve exclusivement
aux situations de rencontre physique. D’une part car il m’arrive d’avoir
recours au toucher pour renforcer la dissociation (main sur l’avant-bras ou
sur le poignet) et d’autre part car l’hypnose profonde est la pratique qui est
certainement la plus étonnante dans ce qu’elle produit, et où le besoin
d’accompagnement est le plus intense (de ce fait, un souci technique de wifi
ou autre coupant la liaison serait problématique). Je n’y ai pour ma part
jamais recours en hypnose médicale, et je la réserve aux accompagnements
psychothérapeutiques médiés par l’hypnose (hypnothérapie, donc).
Concernant les indications, j’y ai recours majoritairement :
– pour travailler autour des premiers apprentissages (capacité à être seul
chez un patient toxicomane, par exemple, ou encore sur les processus
d’attachements primaires) ;
– pour les psychopathologies sévères (traumas de type II, situations
d’emprise, dépressions à caractère mélancolique, « véritables »
phobies c’est-à-dire non limitées à une crise anxieuse paroxystique,
etc.) ;
– pour organiser un travail autour de la complexité : parcours de vie
fracturés, corps aux perceptions morcelés…
– autour des problématiques limites de la personnalité qui se jouent
concomitamment sur plusieurs niveaux et demandent un travail de
réassociation spécifique (angoisses existentielles et corporelles,
conduites auto et hétéro-destructrices, etc.).
Elle n’est jamais une première intention dans ma pratique. Je travaille
auparavant la question du lien, de la sécurité, de la tolérance à la régression,
etc., comme cela sera exposé dans la situation présentée, celle d’une
patiente souffrant de douleurs chroniques.

Les techniques que j’utilise le plus couramment s’appuient sur le


fractionnement, méthode initiée par Bernheim et que l’on retrouve
dans beaucoup d’approches dont celle d’Elman (voir le chapitre
de Daniel Goldschmidt dans cet ouvrage). Une illustration sera
donnée ici avec la méthode des 3 pièces que je propose à Nahia.
Le fractionnement est aussi d’une certaine manière présent dans
mes accompagnements où je joue volontiers de la confusion et
des silences (par exemple au milieu d’une phrase, pour installer
une suspension). La répétition d’une induction est aussi pour moi
une façon simple d’approfondir les transes hypnotiques des
patients. Lorsque je propose une régression en âge, j’utilise le
classique escalier avec des paliers ou bien un calendrier avec des
feuilles qui se tournent à l’envers (le jour d’avant se recolle au
calendrier, encore celui d’avant, puis la semaine dernière, encore
la précédente, puis le mois précédent, et celui qui précède
encore…). Lors des séances qui suivent une première séance
d’hypnose profonde, j’utilise couramment le jeu expérientiel que
nous verrons aussi avec Nahia. Le travail avec les gestes
automatiques se fait me concernant par suggestions directes, et
l’amnésie par « histoires intriquées » (je commence un récit que
j’interromps au milieu pour intégrer celui qui est le cœur du travail,
avant de reprendre le récit 1 là où je l’ai laissé). Enfin, travaillant
peu avec la notion d’inconscient11 sauf si le patient exprime une
croyance forte à son propos, je m’adresse volontiers au corps du
patient, à la meilleure partie de lui-même, etc.

Présentation de la situation clinique


Nahia est une jeune personne au parcours de santé chaotique. Je la reçois en
cabinet, adressée par son médecin, avec qui je travaille régulièrement. La
patiente aborde d’emblée des premières règles douloureuses et qui le sont
toujours, des manifestations somatiques assez diverses tout au long de son
adolescence, avec pourtant une difficulté chronique à consulter : « à la
maison, la médecine c’est le confort : on ne se plaint pas et on avance ». De
son enfance, elle ne dira pas grand-chose, avançant qu’elle ne se souvient
que de bribes et qu’en famille, ils en parlent peu y compris dans la fratrie ou
au moment de fêtes familiales. Elle vient en consultation avec un double
diagnostic d’endométriose (avec dyspareunie : douleurs en lien avec l’acte
sexuel) et de fibromyalgie. Le second est plus ancien que le premier, qui a
mis du temps à être posé car là aussi, Nahia consulte peu sa gynécologue, et
ne lui délivre pas toutes les informations qu’elle devrait pour aboutir à une
prise en soins plus adaptée. Un rapport de négligence vis-à-vis de son
propre corps est donc évident, et je ressors de ce premier entretien avec
aussi l’hypothèse d’un trauma infantile (amnésie traumatique ?), le plus
logique étant qu’il soit de nature sexuel. À ce stade, il ne s’agit bien
évidemment que d’associations diagnostiques nourries par ce que dit la
patiente, mais qui restent à un stade assez grossier.
Toujours lors de ce premier entretien, je la questionne sur sa motivation à
s’investir dans un suivi, elle qui a un rapport si particulier à la santé. Elle
élude un peu la question, se voulant cependant confiante car elle souhaite
envisager une poursuite de vie « sans embarras ». Son souhait premier est
de gérer ses douleurs et aussi d’envisager une sexualité moins compliquée à
assumer corporellement : elle est actuellement célibataire et a peu de
rapports sexuels car elle est devenue anxieuse à l’idée d’avoir des douleurs
« de dedans ». La notion de « gestion » (de ses douleurs) me semble assez
antinomique de la forme d’accompagnement que je peux proposer à Nahia,
mais je fais le choix de ne pas négocier la demande de suite, relevant que la
patiente possède des traits de personnalité assez évitants sur nombre de
sujets que nous abordons. L’entretien clinique structuré qui me permet de
brosser les grandes lignes des processus internes me rassure sur une
éventuelle psychopathologie structurée, mais plusieurs signes cliniques sont
dans l’orange vif, et je me dis que Nahia doit probablement ressentir une
forme de fébrilité grandissante qui participe au fait qu’elle semble accepter
l’idée d’un suivi thérapeutique. Je ne reviens pas vraiment sur la nature et
l’expression de ses douleurs, il n’y a pas d’urgence particulière à cela et par
ailleurs la lettre d’introduction du médecin est très complète sur ces aspects
ainsi que sur l’histoire des traitements et d’autres antécédents en santé.
Comme je le fais habituellement, je propose un premier temps d’hypnose
dès cette première consultation, assez bref (une dizaine de minutes), qui
complète les premiers éléments cliniques. Avec Nahia, cette séance
confirme son caractère évitant (inconfort entretenu quant au cadre de
l’exercice), une attention très externalisée (rapport au corps douloureux
dans tous les sens du terme), et donc forcément un niveau de transe très en
surface dans un contexte encore peu sécure pour elle.
À la fin de ce premier entretien, la façon dont je m’imagine la démarche
thérapeutique est dans un premier temps de répondre à son souhait de «
gestion » des douleurs (abord par l’hypnoanalgésie), afin de lui laisser le
temps d’apprivoiser le cadre thérapeutique et que s’installe la relation de
travail avec moi, puis d’aller vers un travail hypnothérapeutique d’abord
exploratoire avant d’envisager de venir travailler ce qui, dans sa
personnalité et ce contexte, peut le nécessiter. Je me dis que l’hypnose
profonde qui interviendra à ce moment pourrait aussi répondre dans un
premier temps à son besoin d’évitement, tout en étant là.

Présentation du suivi
▶ Les premières séances

Les tout premiers temps en hypnose avaient la particularité d’avoir des


temps d’induction particulièrement longs. En effet, je souhaitais :
– d’une part, sécuriser le cadre en lui offrant des repères stables et
formels en lien avec l’environnement puis secondairement avec la
façon dont son corps se glissait dans les draps de la situation
(respiration, évolution du ressenti des points de contacts…) ; ceci en
respectant bien la méthode du recentrage perceptif (du plus loin au
plus proche, du plus connu au moins identifiable, du plus ordonné au
plus inattendu) ;
– d’autre part, tester la tolérance à la régression de Nahia en situation
hypnotique, en m’engageant peu à peu sur le chemin de
l’approfondissement de la situation (« et plus vous respirez, et plus
vous laissez votre attention descendre tranquillement observer ce qui
se passe en vous », par exemple).
Au bout de 2 à 3 séances qui ont installé cette alliance thérapeutique, j’ai
ritualisé dans mon accompagnement le fait que Nahia se sente de plus en
plus familière avec la situation et gagne en sécurité par rapport à cela. Ma
pratique laisse toujours aux patients un espace à la parole, pour y construire
leur « mythologie personnelle » (Bioy, 2021), ce qui est d’autant plus
important dans les troubles chroniques et douloureux particulièrement
(Bioy et Lignier, 2020). Progressivement, dans les séances suivantes, Nahia
investit cet espace de parole qui précède ou suit les séances d’hypnose. Elle
y aborde un passé émaillé de négligences parentales, une grand-mère très
investie en tant que figure d’attachement même si elle avait un relationnel
assez ambivalent vis-à-vis de la patiente, ses angoisses et presque en
réponse, la place de la créativité dans sa vie (elle travaille les perles depuis
longtemps) ainsi qu’un rapport là aussi ambiant à la spiritualité et au sacré,
à travers le beau et l’art. Je découvre qu’elle a déjà brièvement bénéficié
d’un suivi psychothérapeutique par EMDR ; l’hypothèse de l’abus sexuel
étant exact. Nahia n’a cependant pas donné suite car cet épisode est pour
elle sinon devenu inoffensif, au moins balayé par son évitement. Elle ne fait
pas le lien avec ses douleurs, et sans doute d’ailleurs qu’il ne peut pas être
fait de façon si directe. Par contre, il apparaît clairement que la répétition
douloureuse engage un véritable vécu traumatique chez Nahia comme cela
se rencontre régulièrement (Defontaine-Catteau et Bioy, 2014). Dans ce
contexte, nous travaillons son rapport au corps (je reprends le terme d’«
intelligence du corps » de Roustang et nous travaillons pour explorer cette
intelligence à travers les perceptions corporelles). Aux alentours de la 7e
séance, le suivi commence à arriver « à un plateau » (un air de « déjà-vu »)
et j’annonce à la patiente que nous allons travailler un peu différemment la
séance suivante (amorçage d’un effet d’attente).
▶ La première séance d’hypnose profonde

Mon intention concernant cette session était d’ancrer de façon plus


matérielle/charnelle la notion d’intelligence du corps et d’organiser une
revisite de différents moments de son histoire, confortée par cette
intelligence du corps.

Préparation
Je me suis préparé à cette séance avec une séance
d’autohypnose de quelques minutes juste avant la consultation,
centrée sur mes propres ressentis corporels. J’ai par ailleurs
choisi un objet qui avait une résonance symbolique au regard de
ce suivi, que j’ai placé à hauteur de mon regard, afin de soutenir
ma propre mise en transe avec cet ancrage visuel. Cette pratique
(autohypnose/symbolique) est pour moi habituelle en hypnose
profonde, ou lorsqu’un suivi provoque chez moi un sentiment
d’impasse. Le principe suivi est ici très rogérien : tout travail
d’accompagnement exige avant tout que le thérapeute ancre sa
posture, travaille sa propre disposition à l’autre et à la rencontre
thérapeutique.
Concernant l’induction hypnotique, elle consiste dans un premier temps
(classique) à ce que Nahia prenne la posture où elle est la plus tranquille par
rapport à cet environnement qu’elle connaît maintenant bien. Je lui
demande par la suite de fermer les yeux à mesure que sa respiration devient
plus présente et son attention plus centrée sur son monde intérieur. Puis je
lui propose une induction impliquant trois pièces. Cette méthode consiste à
faire visiter des pièces de couleur différente à la patiente. Dans chacune
d’elles, il ne se trouve rien d’autre qu’un fauteuil inclinable où la personne
peut être de plus en plus confortable (fractionnement de la transe :
inclinaison vers le confort puis revenir un peu pour passer à la salle 2 et à
son fauteuil encore plus confortable, puis revenir un peu pour passer à la
salle 3 et à son fauteuil encore plus confortable que le 2). La couleur des
pièces gagne en profondeur au fur et à mesure (en l’occurrence, j’ai suggéré
à Nahia un bleu pâle comme celui de l’eau pure d’un lac, puis de quitter un
peu plus la surface en passant à un bleu plus appuyé et enfin à un bleu
profond comme si la nuit se reflétait dans ce lac).
Enfin, dans la dernière pièce, la patiente confortablement basculée en
arrière se rend compte qu’un petit appui supplémentaire sur le dossier
déclenche un mécanisme de descente du fauteuil12 de plus en plus
profondément (renforcement supplémentaire de la profondeur de la transe).
J’induis toujours un espace de lumière ténu et bien présent qui accompagne
ce mouvement pour empêcher une « angoisse de descente à la cave ».
Arrivée suffisamment en profondeur (« jusqu’au niveau où votre corps veut
que vous soyez »), Nahia est face à une porte qui porte une inscription ou
un mot sur le frontispice que seul son corps sait pour l’instant déchiffrer.
Chaque pas vers cette porte est l’occasion de renforcer un peu plus sa
conviction et sa déconnexion du réel, « comme Alice est dans son pays des
Merveilles ; comme chacun sait, ses merveilles étaient parfois bonnes et
parfois différentes mais le principal est bien l’expérience qu’elle en a tirée,
lui disait son lapin blanc plus pressé qu’elle ». Alors qu’elle pousse la porte,
je suggère à Nahia qu’elle peut laisser son corps choisir en toute
intelligence l’épisode de sa vie qu’il va souhaiter lui faire revisiter,
autrement, en sa compagnie, « comme un guide précieux et sachant ferait
visiter un jardin ou un musée ». Je vais lui indiquer qu’elle n’a plus besoin
du son de ma voix puisque c’est sa petite voix intérieure, celle de
l’intelligence du corps, taquin et assuré, qui va pouvoir le faire. Je me suis
donc tu, profitant aussi de ce moment pour laisser mes propres ressentis
construire leurs chemins et me « parler » de la situation. Autrement dit, je
laisse mes perceptions s’organiser telles des associations libres, mais ici
ancrées dans un ressenti, autrement dit une conviction intuitive. Ce qui
émergera de mon côté est d’abord un visage de femme, en noir et blanc, de
profil, comme sur un médaillon en ivoire dont je peux ressentir la texture
sous mes doigts. Je ressens le cerclage un peu froid, avec une odeur à la fois
boisée et un peu énergique là aussi presque fraîche. Je me laisse absorber
par les sensations suivantes, guidant Nahia en fonction de mes ressentis
corporels lorsque je reprends la parole pour prolonger et guider
l’accompagnement vers la fin.

Ce qui est fait ici est le « pari de l’intersubjectivité » : lorsque


l’accordage est bon (perçu comme tel), alors le thérapeute peut
laisser aller ses propres contenus internes dans une forme de
partage ; il dit ce qui est pour lui dans cet instant de la rencontre.
L’idée n’est ni de deviner le contenu de la transe de l’autre, ni de
vivre la même, et encore moins que l’autre rejoigne la transe du
thérapeute, mais simplement, que cet appui sur la relation
nourrisse le cadre de la rencontre sur la scène du travail avec
l’hypnose, le peuple d’un « matériau » possible qui peut être
sensoriel, perceptif, ou représentatif.
Bien entendu, dans son travail d’élaboration a posteriori de la
séance, le thérapeute peut (ou non) engager des liens entre ce
qu’il a vécu et ce que l’autre a amené en gardant toujours un œil
critique sur l’influence qu’il a pu exercer dans la production des
contenus du patient, par ses propres partages (pouvant devenir
acte de suggestion).

Alors que la séance est dans sa phase finale, je propose à Nahia de repasser
le pas de la porte et de découvrir avec plaisir et curiosité que ce qu’elle a
acquis lors de cette expérience lui permet de lire et comprendre ce qui est
noté au sommet de la porte. Elle se réinstalle ensuite dans le fauteuil et
procède à la « remontée » vers l’état de conscience ordinaire. Plus qu’en
hypnose classique, il est important de laisser le temps nécessaire à la
personne afin de bien se réassocier après une séance avec transe hypnotique
profonde.
L’après séance et l’après suivi
Nahia revient avec le sourire, même si j’ai l’impression qu’il est un peu
mécanique. Elle s’est plongée dans un moment de son histoire qu’elle
pensait avoir oublié, un moment en lien avec les négligences subies, et a
redécouvert plus, me dit-elle. Elle décrit en quelques mots ce qu’elle a vécu,
puis me demande si mon intention était qu’elle retrouve cela ; je lui réponds
en lui demandant comment s’est comportée l’intelligence du corps durant
ce temps, car c’est vers cette expérience que je souhaitais la guider. Nahia
l’a d’abord perçue comme une petite voix (ce qui était ma suggestion
initiale) avant de lui donner une forme qui a évolué au cours de la séance.
Globalement, il s’agissait cependant d’un animal poilu, doux, agile et vif.
Elle me parle d’un vécu comme entre deux miroirs, les deux réalités : celle
qu’elle avait vécue et celle qu’elle a « maintenant vécue ».
La fois suivante, nous ne faisons pas d’hypnose ; mais je lui propose une
séance d’apprentissage d’un exercice d’autohypnose centré sur la douleur
(Nahia avait eu deux violentes crises depuis le dernier rendez-vous). À la
fin de cette consultation, Nahia reprend des éléments qu’elle a vécus la fois
précédente et me reparle notamment de cette expérience « entre deux
miroirs ». À tort ou à raison, j’associe pour ma part avec la perception du
profil féminin et quelques autres perceptions qui avaient été présentes.
▶ La seconde séance d’hypnose profonde

Comme cela m’arrive parfois, je décide d’associer les huiles essentielles au


travail entrepris13 (Delaunay-Bennet, Bioy et Bourry, 2022). Je choisis de
suivre les odeurs que j’avais ressenties précédemment et confectionne une
préparation avec du cèdre de l’Atlas, pour sa dimension boisée, du pin
sylvestre pour sa fraîcheur vivifiante, et une trace de camomille romaine
pour l’ambiance globalement herbacée. Alors que les huiles commencent à
envahir délicatement l’espace, je procède à mes quelques minutes de « mise
en condition » et reçois Nahia. Nous faisons le point sur cette situation, je
lui indique son souhait de poursuivre le travail dans la direction déjà
entreprise. Je renforce ma confiance dans le fait qu’elle saura poursuivre,
soulignent les progrès – réels – déjà observables et notamment qu’elle est
globalement moins craintive et donc plus assurée quant à sa façon de
construire son parcours.
Concernant l’induction de l’hypnose, pour cette fois, je choisis du fait de la
familiarité qu’elle a avec l’hypnose de passer par une méthode «
expérientielle » et de répétition :
– « Vous ne l’avez probablement pas remarqué il y a encore un instant,
mais comme j’attire votre attention dessus, vous remarquez
maintenant une légère sensation dans vos yeux. Hochez la tête lorsque
vous l’avez. » Et lorsque la patiente hoche la tête, je lui dis « OK,
allez plus loin… »
– « Et vous ne l’avez probablement pas remarqué il y a encore un
instant, mais comme j’attire votre attention dessus, vous remarquez
maintenant une légère sensation dans votre bouche, peut-être votre
gorge14. Hochez la tête lorsque vous l’avez. » Et lorsque la patiente
hoche la tête, je lui dis « OK, allez encore plus loin… Plus profond. »
– « Et vous ne l’avez probablement pas remarqué il y a encore un
instant, mais comme j’attire votre attention dessus, vous remarquez
maintenant une légère modification dans votre respiration. Hochez la
tête lorsque vous l’avez. » Et lorsque la patiente hoche la tête, je lui
dis « OK, allez encore plus loin… beaucoup plus profond… Suivez
cette respiration qui se modifie légèrement pour vous y amener. »
Puis, j’ai proposé à nouveau une porte à Nahia (même cadre que la fois
précédente, y compris avec l’inscription). Cette fois, la patiente associa son
intelligence du corps à un principe clairement masculin (jusqu’à entrevoir
un visage) qui l’aida à nouveau à vivre comme entre des miroirs un épisode
de sa vie assez douloureux (cette fois, il était cependant déjà connu d’elle).
Les huiles essentielles seront l’occasion également d’évocations non
seulement de l’enfance, mais également de ses désirs pour la suite.

Discussion
Entre chaque séance, nous avons proposé à Nahia de mener des exercices
d’hypnoanalgésie guidée (séances enregistrées dont elle pouvait cependant
modifier les modalités d’induction et de retour à l’état de conscience
ordinaire). Quelques séances ont été tournées vers l’apprentissage de
l’autohypnose centrée sur le soulagement « en autonomie ». De façon
concomitante, le travail hypnothérapeutique s’est poursuivi. Nahia a
réinstallé « des fondamentaux » (le masculin / le féminin / la sécurité
interne / la corporalité source de plaisir et d’ancrage dans un réel riche,
etc.). Nous avons égrené les thèmes comme elle égrène ses perles… Le
travail n’est sans doute pas encore terminé, même si Nahia a souhaité une
pause au décours d’une reprise de son activité professionnelle (elle était en
arrêt maladie). Si la douleur est parfois présente, elle ne nourrit en tout cas
plus un processus traumatique et Nahia la vit comme une forme de
périphérie, elle-même étant plus centrée sur ses besoins et aspirations. Le
premier mot sur le frontispice était « amnésie » et il reste encore chez la
patiente une insatisfaction un peu anxieuse de ce qu’elle pourrait avoir
oublié et qui pourrait resurgir un jour. Sans doute en lien avec la séance «
olfactologique », Nahia dit qu’un jour peut-être elle pourra trouver son
remède au « parfum de douleur » dont quelques effluves sont encore
présents, même si, dit-elle : « j’ai maintenant ouvert grand les fenêtres. »

1. « Deep hypnosis is that level of hypnosis that permits the subject to function adequately and
directly at an unconscious level of awareness without interference by the conscious mind »
(traduction libre).
2. La dépression est une indication importante de l’hypnose profonde parmi d’autres et Daniel
Goldschmidt s’en fait aussi l’écho.
3. Cette partie dont nous sommes l’auteur a été reprise comme base d’un article dans la revue de
l’hypnose et de la santé (Collinet et Bioy, 2022).
4. Dans son ouvrage princeps L’automatisme psychologique (1889), Janet ne cite le terme de «
dissociation » qu’une fois, lui préférant celui de « désagrégation psychologique », plus descriptif.
Mais William James, se faisant l’écho outre-Atlantique des travaux de Janet, trouve plus exact de
conserver le terme de « dissociation » (1890). Finalement, Janet lui-même finira par l’utiliser
couramment.
5. On peut se dire que si le sujet bascule de l’hypnose profonde vers la transe stuporeuse (où il
n’interagit plus avec les suggestions et l’attitude du thérapeute) alors nous sommes sans doute dans le
« sens 3 » de Cardeña : une modalité défensive, qui est à entendre par le praticien qui doit arrêter là
son travail.
6. Préliminaires désignés par cet affreux anglicisme de « prétalk ».
7. Même si ce champ reste en France peu développé, il est un véritable champ d’exploration
historique scientifique (Evrard, 2016).
8. « When deep hypnosis is involved, the best measures are numerical estimates made by the subject
on his own scale. » Des hétéro-évaluations existent cependant et sont parfois nécessaires, ne serait-ce
que parce que les vécus profonds engagent aussi une certaine forme d’amnésie, une distorsion du
temps, etc.
9. « Hypnotic depth may be defined as some complex of depth along three conceptual separate
dimensions. These three dimensions are : a) the dimension of hypnotic role-taking involvement, b) the
dimension trance, and c) the dimension of archaic involvement ».
10. Je n’évoque pas ici uniquement la question du rapport au temps, à l’argent, à l’instruction, à la
culture, etc. Mon quart de siècle de pratique clinique « double » me pousse à dire que les profils de
patients les plus sévères se croisent en institution. Lorsque les situations très complexes se présentent
en cabinet, nous sommes souvent en relai d’une prise en charge principale, ou bien on finit par
organiser un maillage avec une institution plus apte à soutenir la question de la complexité
(multidisciplinarité, capacité d’hospitalisation plus simple lorsque nécessaire, etc.).
11. Je travaille plus volontiers avec le corps, la sensorialité, etc., dans une approche très
phénoménologique évidemment inspirée par Roustang (qui a été mon superviseur).
12. Dans certains cas, j’appuie un peu sur le dossier ou demande au patient concerné un appui bref et
plus ferme pour déclencher le fauteuil s’enfonçant dans le sol.
13. Les huiles essentielles sont utilisées dans cette séance pour leur capacité inductrice et évocatrice,
et non pour l’usage que l’on peut en faire en aromathérapie.
14. Évidemment, il est possible de choisir ce que l’on souhaite.
Chapitre 3

Grands principes du cadre de


pratique en hypnose
profonde

F. Mahia

1 Caractérisation de l’hypnose profonde en pratique

2 Les étapes d’une séance d’hypnose profonde : le mindset

3 Les étapes d’une séance d’hypnose profonde : s’appuyer


sur une phénoménologie… et en revenir !

4 Hypnose profonde : travail réalisable, indications

5 En conclusion
6 Situation 2 : Elodie, des inhibitions multiples

Nous nous concentrerons essentiellement sur la description des


grands principes de la pratique de l’hypnose profonde, sur ses
aspects applicatifs, et sur ce qui s’approchera le plus de la
description d’une séance type, en précisant d’ores et déjà qu’il
existe de multiples façons de pratiquer, avec une importante
nécessité de s’adapter à chaque personne. C’est pourquoi il sera
principalement mis en avant des repères essentiels
d’accompagnement permettant une latitude suffisante d’adaptation
à chaque cas.

1 Caractérisation de l’hypnose profonde en


pratique
De quoi parle-t-on en pratique lorsque l’on évoque une séance d’hypnose «
profonde » ?
On pourrait légitimement se demander s’il s’agit d’une pratique
particulière, d’un état spécifique, d’une expérience subjective différente
vécue par le sujet, ou même d’une combinaison de tous ces aspects. Y
aurait-il surtout des marqueurs concrets identifiables pour qualifier
l’hypnose profonde, comme des phénomènes spécifiques et nécessairement
différents d’une hypnose « légère » ? Il semble important de commencer à
définir quelques notions indispensables pour préciser le sujet et pour décrire
ce que serait une pratique de l’hypnose dite profonde.

L’hypnose profonde : une progression ou une


disposition ?
Très souvent, l’hypnose profonde est associée à certains phénomènes
hypnotiques plutôt impressionnants comme les hallucinations ou ce qui
donne l’apparence d’un coma hypnotique. Il y aurait même pour certains
auteurs une forme de progression dans les phénomènes qui marquerait le
niveau de profondeur de l’hypnose obtenue.
De notre expérience, il n’y a pas de règle absolue dans l’ordre de
développement des phénomènes hypnotiques, mais il y a aussi une grande
variabilité d’un individu à l’autre, et même parfois pour une même
personne, suivant le contexte et le moment de la pratique, même si certains
phénomènes comme les hallucinations sont souvent plus difficiles à obtenir
sans une certaine profondeur de transe.
Alors, l’hypnose profonde est-elle affaire d’une progression ou d’une
disposition ? En tout cas, la foi qu’a le praticien dans la « bonne » façon de
pratiquer, et la congruence qui en découle, influencent énormément ce qu’il
est possible de réaliser. Elle permet d’établir un cadre qui repose
notamment sur une certaine assertivité du praticien. Cette assertivité est
nécessaire mais souvent bien insuffisante si on n’établit pas une certaine
qualité de relation préalable avec le sujet, que nous développerons plus loin,
ainsi qu’une posture ad hoc pour l’accompagner efficacement en hypnose
profonde.

La subjectivité comme marqueur


Il est sans doute regrettable de ne pas pouvoir ainsi s’appuyer uniquement
sur des phénomènes facilement objectivables pour pouvoir qualifier
simplement l’hypnose profonde. Pour autant, lorsque l’on parle d’hypnose
profonde, l’expérience subjective vécue par le sujet est souvent
bouleversante, parfois déstabilisante, et au moins une expérience
inhabituelle. Il ne s’agit pas d’une expérience qui pourrait être ressentie de
façon plus courante comme une simple et profonde relaxation, par exemple.
Et cette « signature subjective » – sans être objectivante absolument et
formellement – est cependant un marqueur fort du phénomène à l’œuvre.
Certaines personnes seront dans une transe hypnotique profonde de façons
très différentes : un relâchement complet, ou plutôt un état cataleptique, ou
encore des mouvements très amples presque violents, les yeux ouverts ou
fermés, capables de parler ou difficilement, voire en totale introspection,
coupés de l’extérieur, sauf de la relation avec le praticien. Et dans cette
multitude, il peut être intéressant de parler d’intensité pour qualifier la
profondeur. Il semble difficile de considérer comme hypnose profonde un
état de conscience vécu par le sujet qui ne serait pas « suffisamment »
décalé de son état de conscience ordinaire, quel que soit ce que l’on peut en
observer de l’extérieur. Ce décalage est souvent envisagé de façon
caricaturale, notamment en raison de ce qui est observable avec l’hypnose
de spectacle, comme une forme de coma ou de sommeil hypnotique qui
ouvrirait grandes les portes de la manipulation à l’opérateur, laissant le sujet
sous l’empire de toutes ses fantaisies.

La pratique nous montre que l’état d’hypnose est effectivement


souvent en corrélation avec une forme de passivité lorsqu’elle
passe par un profond relâchement, pour les sujets qui entrent
naturellement dans un état léthargique, une forme de transe
stuporeuse.
Mais il apparaît aussi que les sujets qui montrent un
comportement plus actif et entrent dans une transe
somnambulique peuvent vivre aussi un décalage très important
avec leur état habituel, même s’il semble moins apparent vu de
l’extérieur.
En étant très attentif à leur comportement, ce décalage peut
apparaître au praticien en constatant que leur dynamisme est
surtout constitué de réponses comportementales aux suggestions
du praticien, et qu’en l’absence de suggestions ils présentent une
passivité et un manque d’initiative plus importants que d’ordinaire.

Janet, toujours Janet !


Comme plusieurs personnes l’ont déjà énoncé dans cet ouvrage, l’état
fortement « décalé » de l’état ordinaire présente toutes les caractéristiques
de ce que Janet, dès le début du vingtième siècle, modélise comme un état
dissociatif, initialement à partir de l’étude de cas pathologiques présentant
une forme d’hystérie, ou ayant subi d’importants traumas. Il y voit un
mécanisme de défense de l’esprit qui fragmente la personnalité habituelle
avec pour conséquences des amnésies, ou au moins des difficultés
concernant l’élaboration des souvenirs, une isolation et une perturbation
d’expériences visuelles, auditives et kinesthésiques. La personnalité
habituelle s’en trouve altérée, fragmentée, avec une impossibilité de
réunification et d’intégration des phénomènes ainsi vécus. Et il apparaît
clairement que de nombreuses caractéristiques de la dissociation
pathologique sont présentes dans le vécu des personnes en hypnose
profonde. Fort heureusement, elle est dans ce cas temporaire, et surtout
délibérément utilisée pour un travail qui nécessite, le temps d’une séance,
ce type de fonctionnement. Une des caractéristiques les plus importantes de
ce décalage avec un état plus habituel repose sur la notion d’automatisme.
Dans la transe hypnotique profonde apparaît une perte d’agentivité : le sujet
ne se sent plus à l’origine de certaines de ses actions. Présenté ainsi, cela
pourrait évoquer les idées les plus caricaturales sur la façon d’envisager
l’hypnose, avec un sujet qui deviendrait le « jouet » du praticien. Ce n’est
pas ce qui nous intéresse en l’occurrence, mais nous pouvons remarquer
que pour la plupart des raisons qui amènent les personnes à consulter un
hypnothérapeute, on trouvera essentiellement des difficultés qui sont de
cette même nature, dans le sens où la personne est le plus souvent perturbée
par des émotions, compulsions, comportements automatiques, addictions,
ruminations, qui sont elles-mêmes parfaitement autonomes et ne demandent
aucune action volontaire de la personne, bien au contraire. Elle serait
d’ailleurs souvent bien incapable de provoquer volontairement les
symptômes dont elle souffre.
L’hypnose profonde a donc cette force d’être en partie de même nature que
le problème à prendre en charge. Elle permet d’activer des processus
autonomes inconscients que la volonté, la maîtrise, voire la compréhension
du sujet, sont souvent bien incapables de mettre en œuvre directement, ou
qui leur échappent parfois totalement. Cet aspect de l’hypnose profonde
permet de l’envisager comme une façon d’accéder à cette dimension
autonome qui prend à l’évidence ses racines dans les mécanismes les plus
essentiels de ce qui fait de nous des êtres biologiques vivants, et qui repose
sur une intelligence première, physiologique, autonome, et plutôt
indépendante de notre esprit conscient. En ce sens, il est possible
d’envisager que l’hypnose profonde ressemble à une sorte de régression
évolutive vers ce qui précède notre esprit conscient et, semble-t-il,
l’influence en grande partie. Nous retrouvons donc l’idée de dissociation
ou, comme l’évoque Janet, de désagrégation du conscient, mais aussi
l’activation d’autre chose, d’un mode de fonctionnement particulier, qui ne
fait pas appel à la volonté de l’esprit conscient. Il ne s’agit donc pas d’une
simple relaxation, ou de sommeil, qui sont des situations dans lesquelles le
premier aspect est présent, moindre présence du conscient, mais pas le
second qui lui est bien plus agissant. Du point de vue du sujet conscient, il
s’agit donc bien de l’impression de ne plus être totalement à l’origine de ses
propres actions. Il n’est plus question de volition : la volonté n’est plus le
carburant qui permet d’agir. Et c’est bien ce qui permet d’accéder à des
possibilités qui mettaient habituellement la volonté du sujet en échec.

2 Les étapes d’une séance d’hypnose profonde :


le mindset

L’alliance thérapeutique
Nous allons montrer dans ce qui suit de quelle façon les considérations
précédentes sur la façon de caractériser l’hypnose profonde sont
concrètement intégrées dans la manière de la conduire. Il est important de
noter que si le sujet qui doit entrer en hypnose profonde est censé perdre
une certaine forme de contrôle conscient sur ce qui se joue en lui, ou ne
serait-ce que l’illusion qu’il avait de ce contrôle, cela ne pourra s’effectuer
confortablement qu’avec une certaine dose de confiance dans le praticien,
ou au moins dans le processus et la compétence de celui qui est là pour
l’accompagner. C’est pourquoi la notion d’alliance thérapeutique, qui est un
élément essentiel dans la plupart des formes d’accompagnement, revêt en
l’occurrence une importance toute particulière (Bioy, 2021).

« Mindset »
Pour que le client ait confiance, il est bien sûr absolument nécessaire que le
praticien ait lui-même confiance dans sa propre pratique. C’est
généralement une des plus grandes difficultés pour les praticiens débutants.
Il est souvent évoqué une forme d’accompagnement non directif en
hypnose, reposant sur des suggestions indirectes, sur l’évocation, les
métaphores, utilisant notamment la confusion, les doubles liens, etc. On
évoque régulièrement la position basse, qui serait opposée à celle du
sachant (position haute). Elle est parfois présentée comme quelque chose de
respectueux des personnes accompagnées. À l’opposé, il est possible
d’envisager cette posture comme extrêmement manipulatrice puisque sous
l’apparence d’une grande permissivité, le praticien conduit son sujet en
l’influençant et en le manipulant inconsciemment. Cette apparente humilité
devient une sorte de subterfuge.
Au contraire, en ce qui concerne l’hypnose profonde, il est très important
pour le praticien d’utiliser un positionnement beaucoup plus clair et, d’une
certaine façon, moins manipulateur. Il ne peut être laissé de place au doute,
pour le sujet et pour le praticien, quant à l’intention et la possibilité
d’obtenir un état profond d’hypnose. Cela demande, du côté du praticien,
un travail personnel pour qu’il parvienne à lever tout ce qui pourrait
amoindrir sa propre certitude. Bien évidemment, cette certitude se
renforcera avec la pratique et le nombre de personnes accompagnées en
hypnose profonde. Cela contribuera à renforcer la confiance qui servira de
fondation à cette pratique.
Il existe de nombreux freins à cela. Nous avons déjà évoqué la nécessité de
l’assertivité comme un comportement qui peut s’avérer fort utile pour
conduire les personnes en hypnose profonde. Ce comportement comporte
deux éléments essentiels que sont l’affirmation de soi et le respect de
l’autre. Si le respect de l’autre peut assez facilement s’envisager comme
basé sur une qualité éthique à cultiver, l’affirmation de soi est parfois plus
complexe à obtenir. L’affirmation de soi est bien sûr reliée à la confiance en
soi et à l’estime de soi. Tous ces sujets peuvent représenter des freins à la
pratique et peuvent être utilement travaillés par le praticien en se faisant lui-
même régulièrement accompagner par ses confrères et, en fonction de ses
besoins et des difficultés rencontrées dans sa vie personnelle ou sa pratique
professionnelle, notamment grâce à la supervision.
Mais revenons un instant sur cette notion de confiance indispensable à la
pratique de l’hypnose profonde. Il serait imprudent de continuer à donner
des indications pratiques pour conduire une séance d’hypnose profonde
sans insister lourdement sur cette notion. Pour faire très simple, on pourrait
exprimer cela ainsi : pour obtenir une hypnose profonde, il est moins
important de s’intéresser à ce que l’on fait qu’à la façon dont on le fait, à
l’état d’esprit qui nous anime à ce moment précis. C’est pourquoi la notion
de « mindset » est très importante. Tout ce qui est décrit dans les
paragraphes suivants ne sera d’aucune utilité sinon.
Cet état d’esprit, ce mindset, est nécessaire dans la mesure où il permettra
une forme de communication entre le praticien et le sujet qui comportera de
nombreux éléments non verbaux et paraverbaux essentiels et, la plupart du
temps, inconscients.

Parcours de thérapeutes
Nous avons déjà évoqué la confiance, l’assertivité, mais à quelles sources
est-il possible de les alimenter ? Il est d’abord important pour un praticien
d’identifier toutes les peurs infondées qui pourraient exister chez lui dans le
cadre de sa pratique afin qu’il travaille à s’en libérer. Mais au-delà, cette
confiance, cette assertivité ne peuvent être suffisamment puissantes que si
elles s’appuient sur une base solide, et il n’est pas certain que ce soit
nécessairement la même pour chaque praticien. Chaque praticien est
différent, avec son histoire, ses souvenirs, ses expériences, son évolution
personnelle, ses peurs, croyances, difficultés, talents, qualités, etc.
Il n’est pas rare de constater qu’un certain nombre de praticiens reconnus
ont vécu des expériences de vie extrêmement difficiles (comme frôler la
mort), ou hors du commun. Milton Erickson, en particulier, s’inscrit
parfaitement dans ce schéma. Beaucoup des consœurs et confrères moins
connus, et néanmoins très compétents, que j’ai pu interroger, ont aussi eu à
vivre ce genre d’épisodes qui demandent de mobiliser d’incroyables
ressources personnelles pour les traverser. Ces expériences ont souvent en
commun d’avoir remis en question les fondations de l’identité de la
personne, soit par la proximité de l’éventualité de ne plus « exister »
concrètement, soit par la confrontation avec des évènements qui obligent à
changer radicalement, ou à mobiliser des capacités qui semblaient
habituellement hors de portée pour s’en sortir. En faisant un raccourci, peut-
être un peu audacieux, cela pourrait être rapproché de la désagrégation du
soi que l’on retrouve dans les épisodes de grande dissociation. De la même
façon, on trouve dans de nombreuses cultures traditionnelles des rituels de
mort-renaissance symboliques permettant d’accompagner les moments de
changements importants dans une histoire de vie. Ce type d’évènement
constitue un des moyens d’obtenir une certitude absolue, par l’expérience
directe, de l’existence d’une force interne inconsciente, de sa capacité à se
manifester et à mobiliser d’importantes ressources, pour changer.

Peak Experiences
Évidemment, tout le monde n’a pas besoin de se trouver confronté à ce type
de difficultés pour accéder à cette certitude, et ce n’est bien sûr en aucun
cas souhaitable. Cela pourrait se concevoir comme une sorte d’initiation
sauvage, bouleversante et transformatrice, par son caractère d’absolue
nécessité. Fort heureusement, il existe de nombreux autres chemins pour y
accéder. L’un d’entre eux, et sans doute le plus simple, est de se faire soi-
même accompagner dans une transe hypnotique profonde. Cette expérience
est souvent si marquante qu’il en reste quelque chose de profondément
indélébile, un souvenir saisissant que l’on pourrait comparer aux « peak
experiences » décrites et étudiées par Abraham Maslow. Il s’agit, dans ce
cas, plutôt d’une transmission que d’un enseignement, comme cela peut
exister dans les traditions d’initiation entre maître et disciple, qui
comportent de nombreux enseignements inconscients, par l’expérience
directe.
Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la façon de l’obtenir, il est nécessaire
pour le praticien de pouvoir s’appuyer sur une certitude, au point de
l’incarner suffisamment pour qu’elle prenne vie concrètement, à travers lui,
et dans la relation à l’autre. Pour le praticien, il peut sembler s’agir de
quelque chose d’un peu plus grand que lui, quasiment de transcendant, et
cette certitude ressemble à une sorte de foi, en l’occurrence laïque, par son
caractère absolu.

Pour Milton Erickson, grâce à son expérience personnelle, on


peut imaginer qu’elle prenait par exemple sa source dans la
certitude absolue que la personne accompagnée possédait toutes
les qualités nécessaires en elle pour développer un état
d’hypnose lui permettant de changer profondément.

Développer ce mindset a des conséquences très concrètes sur la manière


d’être en présence de l’autre. Elles ne sont pas évidentes à décrire
explicitement car elles passent sans doute par une forme de communication
inconsciente entre le praticien et le sujet. Mais à partir de là, le praticien va
pouvoir développer ce que l’on nomme dans la philosophie chinoise le « wu
wei », une façon d’agir paradoxale, sans effort de volonté consciente, une
forme d’état de flow, dans laquelle on est pratiquement spectateur de soi-
même. Cette façon d’agir peut évidemment nous rappeler les premières
étapes du développement d’un état d’hypnose par une diminution de
l’agentivité, quand se développent des actions automatiques.
En la matière, plus généralement, ce qui est bon pour le sujet est bon pour le
praticien.

Les étapes d’une séance d’hypnose profonde : la


posture du praticien
La confiance accordée par le sujet se construit essentiellement sur la base
de cette certitude qui émane du praticien. Elle sera aussi renforcée par
l’établissement d’une posture adaptée à partir de cet état d’être, notamment
par le développement d’une attention totale à l’autre. Une attention
inconditionnelle, c’est-à-dire qui ne trie pas les informations. Tout ce qui
peut être observé du sujet doit être considéré a priori comme intéressant.
Tout doit pouvoir être noté. Il s’agit donc d’apprendre à développer une
attention double, et très large, à ce qui est observable de l’autre et ce qui est
observable en soi, sans rien rejeter, et en se laissant s’en imprégner. Il ne
s’agit pas à ce niveau d’interpréter ni même de comprendre, mais plutôt
d’un entraînement attentionnel. Cette pratique attentionnelle, cette
imprégnation de toutes ces informations conscientes, et parfois plus
inconscientes, ont pour but d’obtenir une forme de compréhension
empathique. Celle-ci nécessite de développer une autre qualité nécessaire à
cette posture. Il s’agit de se connecter au plus proche de la subjectivité de
l’autre mais en gardant la distance nécessaire pour ne pas la confondre avec
la nôtre.
Ces éléments de la posture du praticien ne constituent pas une méthode en
soi mais sont à considérer comme des repères essentiels à la pratique. Ils
demandent une forme d’entraînement pour finalement devenir un savoir-
être en présence de l’autre, sans qu’il ne soit plus nécessaire de les
conscientiser, et ainsi laisser le champ libre à ce qui peut, dans ce cadre, se
déployer.

Focus sur l’attention


La posture du praticien, ainsi décrite, implique un travail tout particulier de
l’attention du praticien. Nous verrons qu’il est tout aussi important de
travailler précisément avec l’attention du sujet. On retrouve cette notion
dans beaucoup de techniques traditionnelles de méditation ainsi que de
nombreuses techniques d’induction d’hypnose, notamment avec la fixation
visuelle d’un point ou d’un objet (réel ou imaginaire). C’est le style
d’attention le plus adapté à l’entrée en hypnose profonde. Il est notamment
relié à de nombreux phénomènes hypnotiques qui brouillent notre
appréhension habituelle du temps et de l’espace, comme les formes de
distorsion temporelles habituellement rencontrées en hypnose, ou encore la
perte de la proprioception, le sujet les yeux fermés n’étant plus capable de
situer clairement la position de ses membres dans l’espace.
Le praticien pourra utilement guider le sujet pour qu’il développe de plus en
plus ce type d’attention par de nombreux moyens que l’on retrouve dans les
inductions classiques d’hypnose et qui peuvent aller de la fixation d’un
point ou d’un objet, permettant d’initialiser le début du guidage de
l’attention, à une spirale des sens permettant d’élargir l’attention et de
s’immerger dans plus d’informations sensorielles.
La focalisation est souvent ce qui permet plutôt d’établir une continuité de
l’attention. C’est un élément important pour la suite car il semble que nous
développions de plus en plus des capacités à « zapper » d’un objet
d’attention à l’autre. Nous sommes constamment bombardés de «
notifications », d’images, le montage des films est devenu extrêmement
dynamique, passant rapidement d’un plan à l’autre, ce qui crée une attention
étroite et discontinue. C’est l’inverse qui est recherché pour induire
l’hypnose profonde.
Il n’est pas rare, pour les meilleurs sujets, que le développement de ce type
d’attention permette déjà d’entrer dans un bon état d’hypnose, et parfois
sans qu’il soit besoin d’utiliser d’induction formelle mais plutôt par un
guidage attentionnel qui peut être effectué dès l’anamnèse. Pour les autres
sujets, il peut être utile de passer par les techniques plus habituelles et
notamment par les phénomènes idéomoteurs que l’on rencontre
classiquement dans de nombreuses inductions comme les différentes
catalepsies, des yeux, des membres, les lévitations et ce qui permet
d’obtenir des réponses physiques aux suggestions.
Ces possibilités sont à considérer comme des points d’entrée dans ce qui
permet d’abord d’obtenir le premier marqueur que nous avons évoqué, à
savoir la perte d’agentivité, une réponse automatique pour laquelle la
volonté du sujet a de moins en moins besoin d’être mobilisée.
Il serait possible de s’arrêter à ce stade pour commencer à travailler sur des
problématiques concrètes. Beaucoup de praticiens vont utiliser ces
phénomènes pour s’entretenir avec « l’Inconscient » en utilisant par
exemple des réponses idéomotrices ou en liant certains mouvements à la
mise en place d’un changement, qu’il soit comportemental ou émotionnel.
On notera dans ce cas l’emploi de nombreuses suggestions et un travail
important et souvent stratégique du praticien.
Nous verrons que la grande différence avec l’hypnose profonde reposera sur
une bien plus grande économie de suggestions qui seront essentiellement
réservées à créer un état bien plus profond pour accéder, quand cela le
nécessite, à des possibilités de changements souvent plus fondamentaux.
Pour cela, nous allons nous intéresser aux techniques d’approfondissement.

Approfondissements
Une fois obtenue une bonne qualité continue d’attention, suffisamment
immersive, et que s’est développée une belle dissociation, en faisant par
exemple constater au sujet certaines réponses automatiques et autonomes
(mouvements idéomoteurs par exemple), il est possible d’utiliser toutes
sortes de techniques d’approfondissement pour lui permettre de se diriger
vers l’hypnose profonde.
S’il est un moment où les suggestions sont les plus utiles à cette pratique,
c’est bien celui-ci. Toutes les techniques habituelles de l’hypnose, qu’elle
soit plus ou moins ericksonienne, peuvent être employées à cette fin de
suggérer la profondeur, directement ou indirectement. Les métaphores
(l’hypnose « profonde » est déjà une métaphore), évocations, doubles,
triples, liens, ruptures de pattern, décomptes, ou injonctions bien plus
directes (« plus profondément, maintenant ! »), sont applicables.
En particulier, le fractionnement qui consiste à « ressortir » la personne de
son état (faire ouvrir les yeux, par exemple) pour rapidement l’y « replonger
» (fermer les yeux), plusieurs fois de suite, est souvent très efficace,
permettant à chaque fois d’aller un peu plus profondément.
De même, quand commence à se développer un bel état d’hypnose,
suffisamment dissocié, utiliser un mouvement idéomoteur pour suggérer
l’approfondissement fonctionne très bien : « et plus le bras descend
automatiquement et plus l’hypnose devient profonde », ou encore mettre à
profit le silence comme un approfondissement puissant : « dans un instant
je me tairai, et cet état s’approfondira… »
Avec l’hypnose profonde, nous recherchons un état particulier et les
possibilités qu’il offre, sur lesquelles nous reviendrons.
L’approfondissement est donc souvent un levier essentiel pour parvenir à
cet état. Pour certains sujets naturellement doués, ou suffisamment
entraînés, l’approfondissement n’est presque pas nécessaire car il s’effectue
de façon automatique comme s’ils connaissaient déjà la destination. Pour
d’autres, il y aura bien plus de travail et souvent une recherche, qui peut
demander un peu de patience, de ce qui leur convient le mieux. Il est
souvent judicieux de le présenter comme une collaboration, une recherche
conjointe. Pour cela, ne pas hésiter à demander le plus de retour
d’information au sujet sur son état, sur ce qu’il vit, ressent. L’état d’hypnose
n’est pas un état « fragile » qui ne supporterait aucune perturbation ou
interruption. Il est possible de continuer d’échanger avec les personnes et
nous avons vu que sortir de l’état pour y rentrer est plutôt un facteur
d’approfondissement (fractionnement).
Le but de ces techniques d’approfondissement est d’obtenir concrètement
cet état, ou mode spécifique de fonctionnement puisque cet état est
dynamique, que l’on qualifiera d’hypnose profonde. Il apparaît de plus en
plus objectivable par les neurosciences, notamment avec la désactivation du
réseau du mode par défaut du cerveau, mais il va surtout être utile
concrètement au praticien pour que s’y réalise un travail particulier, et bien
sûr utile finalement pour le sujet. Avant d’aller plus loin dans la description
de ce qu’il est possible d’y réaliser, voyons comment il est possible
d’obtenir des éléments de confirmation de l’atteinte de l’état.

3 Les étapes d’une séance d’hypnose profonde :


s’appuyer sur une phénoménologie… et en
revenir !
Automatismes, hallucinations, amnésie
Comme évoqué précédemment, le développement d’actions automatiques
par le sujet fait partie des phénomènes qui peuvent se présenter ou être
utilisés à dessein lors de l’entrée dans un état d’hypnose. On peut aussi
noter que les mouvements automatiques ne sont pas une garantie d’entrée
dans un état d’hypnose, car ils existent aussi, et très spontanément, dans
notre état habituel. En revanche, quand ils apparaissent dans le cadre de la
relation avec le praticien, que celui-ci les lie, par ses suggestions, à l’idée
d’une entrée dans un état d’hypnose, avec la posture ad hoc, ils peuvent
devenir un moyen puissant d’induction, et surtout dans le cadre qui nous
intéresse d’approfondissement de l’état.
Au-delà, et avec toutes les possibilités d’approfondissement évoquées plus
haut, le niveau de dissociation deviendra de plus en plus important et les
réponses automatiques et autonomes de la personne de plus en plus
présentes, et utilisables, en fonction des nécessités de la séance. Ce que
Milton Erickson appelle « l’esprit inconscient » devient de plus en plus
présent et accessible directement au praticien. Pour ne pas trop s’engager
sur une interprétation sujette à caution, tout se passe comme s’il y avait « un
inconscient », comme une personnalité seconde, avec ses propres modes de
fonctionnements parfois, de façon surprenante, assez différents de ceux de
la personne hors de l’état d’hypnose, comme si le conscient avait été mis
temporairement de côté, qu’il soit plus ou moins encore en observation de
ce qui se passe. Il est d’ailleurs la plupart de temps possible de parler du
conscient à l’inconscient, et il semble tout à fait savoir de « qui » il s’agit,
d’en savoir des choses, de l’aider, de l’influencer…

Le travail avec l’inconscient


Tout ce travail avec l’inconscient ne nécessite généralement plus de travail
ou de suggestions indirects. Il est possible de proposer, demander,
interroger directement sans tergiverser. Les choses sont d’ailleurs souvent
prises par l’inconscient au premier degré et au sens le plus littéral. C’est
pourquoi il devient très prudent de bien choisir ses mots et souvent le plus
simplement et le plus explicitement possible, en précisant suffisamment les
choses pour qu’elles soient claires. Il sera au contraire utile d’utiliser un
langage flou laissant libre choix à l’interprétation pour tout ce qui concerne
le travail demandé à l’inconscient lui-même, pour lui laisser la liberté de
créer des solutions qui lui conviennent (en n’oubliant pas de préciser qu’il
serait bien qu’elles conviennent aussi au conscient…).
Le vécu expérientiel de ce moment revêt souvent un caractère saisissant
pour la personne. Ce qui est imaginé peut apparaître presque plus réel que
le réel. C’est pourquoi une plongée dans les souvenirs peut amener à une
forme de régression, comme si elle avait l’âge correspondant au souvenir,
avec la vision du monde de l’époque, et même son stade de développement
cognitif. De la même façon, ce caractère saisissant de l’expérience vécue
par imagination peut devenir prépondérant sur les informations sensorielles
de la personne. C’est pourquoi elle devient capable d’halluciner, soit en
ayant la certitude de voir quelque chose qui n’est pas là, soit en soustrayant
du réel des choses que pourtant elle perçoit. On imagine facilement le
bénéfice que l’on peut en obtenir pour permettre à une personne de vivre
virtuellement toutes sortes d’expériences aidantes, que ce soit en revivant
différemment des épisodes de vie, ou en en créant de toutes pièces
lorsqu’elles ont manqué.

Revenir
Au retour de telles expériences, il n’est pas rare de constater la grande
difficulté que peut avoir la personne à se souvenir de son expérience
d’hypnose profonde. Parfois cette amnésie est pratiquement complète et
spontanée. Évidemment, elle peut aussi être issue d’une demande explicite
du praticien, pendant l’hypnose, à l’esprit inconscient de garder pour lui ce
qui ne lui semble pas utile de partager avec le conscient. Mais souvent,
quand le niveau de dissociation a été très important, tout se passe comme si
le conscient n’avait plus la possibilité d’accéder aux informations liées à la
séance. Il ne s’agit pas là d’une amnésie complète car le contenu mnésique
est là et il est d’ailleurs la plupart de temps possible d’y faire référence lors
d’une séance suivante, mais seul l’esprit inconscient semble y avoir accès.
Il peut d’ailleurs arriver que ce contenu émerge plus tard et devienne plus
accessible au conscient.

4 Hypnose profonde : travail réalisable,


indications
Indications
Il est temps d’en venir à se demander en quoi une telle pratique est utile en
accompagnement, et ce qu’elle permet de réaliser. Il peut bien sûr y avoir
des phases très différentes dans la prise en charge d’une problématique.
Certaines étapes vont d’ailleurs bénéficier d’un travail plus conscient, en
s’appuyant par exemple sur des techniques de questionnements permettant
notamment des prises de conscience et des recadrages qui pourront être
bénéfiques pour le sujet, avec parfois une grande influence sur son
fonctionnement inconscient. Ces étapes profitent souvent de séances
d’hypnose qui n’ont pas besoin d’être profondes pour apporter du
changement. Mais il arrive aussi que quelque chose bloque dans la
progression d’une thérapie, pour des raisons qui échappent totalement au
sujet et au praticien. Parfois, au contraire, tout semble clair mais la
compréhension et les techniques employées échouent à faire bouger les
choses. Dans tous ces cas, il est utile d’envisager le recours à l’hypnose
profonde. Elle permet une forme de travail qui peut avoir lieu en aveugle
pour le conscient, mais donne un accès plus direct, comme par un raccourci,
à des processus inconscients, et à la logique qui leur est associée. C’est
notamment très utile quand il s’agit de travailler sur des problématiques qui
touchent aux fondements de la construction de l’identité de la personne, soit
quand elle mise au défi de changer profondément, soit quand il s’agit de
désensibiliser ce qui peut aller jusqu’à des pans entiers de sa construction,
qui sont même parfois amnésiés.
Toutes les indications classiques de l’hypnose peuvent être concernées,
qu’elles soient comportementales ou émotionnelles, peurs, phobies,
addictions, compulsions, plus généralement tous les troubles
psychosomatiques, et surtout quand elles sont reliées à des éléments très
existentiels de la personne lui demandant de reconsidérer son identité
même.

5 En conclusion
La grande dissociation qui existe en hypnose profonde permet cette
suspension temporaire du fonctionnement conscient habituel de la personne
qui peut représenter un frein à changement plus profond et plus identitaire.
Points à retenir

L’hypnose profonde à des marqueurs spécifiques tels que :


une très importante dissociation,
une perte d’agentivité permettant un fonctionnement
automatique et autonome,
une amnésie spontanée,
une expérience subjective très décalée de son état
ordinaire pour le sujet.
Parmi les qualités nécessaires à sa pratique, l’asservité est
indispensable, et la capacité de créer une bonne alliance
thérapeutique également.
Il peut être important pour le praticien de faire lui-même
l’expérience de l’hypnose profonde pour s’appuyer sur les
apprentissages inconscients qu’elle permet, et développer
ainsi un solide mindset.
La technique en elle-même inclut essentiellement un bon
guidage attentionnel, et l’utilisation d’approndissements.
L’utilisation des suggestions est surtout réservée à l’obtention
de l’état, contrairement au travail thérapeutique en hypnose
profonde qui s’appuie sur un travail plus autonome et
inconscient.
L’hypnose profonde permet de travailler jusqu’à des niveaux
fondamentaux de l’identité du sujet.

6 Situation 2 : Elodie, des inhibitions multiples


Le cas d’Elodie illustre un parcours thérapeutique jonché de
problématiques essentiellement inconscientes, mais très perturbantes, leur
prise en charge jusqu’à un certain point, et l’intervention de l’hypnose
profonde pour aller plus loin et la libérer jusqu’à une transformation
spectaculaire dans beaucoup d’aspects de sa vie.

Présentation de l’approche de Franck Mahia


Ma pratique en cabinet est constituée de prises en charge très diverses qui
ne relèvent pas du domaine exclusif de la santé physique ou mentale, pour
lesquelles je renvoie vers les professionnels de santé compétents dans leurs
spécialités respectives. Il m’arrive cependant souvent de travailler en
collaboration avec d’autres professionnels, médecins, psychiatres, pour les
cas où l’hypnose représente un accompagnement intéressant.
L’essentiel de mon travail se concentre donc sur le bien-être, et toutes les
formes de perturbations émotionnelles, comportementales en deçà d’une
certaine limite pathologique. On peut citer classiquement les peurs, phobies,
addictions, compulsions, problèmes d’estime de soi, de confiance en soi,
d’affirmation, etc. Il peut s’agir de prendre en charge des problèmes
ponctuels comme des difficultés à passer un examen, à faire un deuil, perdre
du poids, ou encore arrêter de fumer, mais aussi des difficultés plus
profondes et persistantes qui limitent les personnes qui me consultent de
façon bien plus générale et dans beaucoup d’aspects de leur vie.
L’hypnose profonde n’est pas nécessairement ce que j’envisage en première
intention mais elle reste pour moi une possibilité que je garde en
permanence à l’esprit en fonction de ce qui se présente. La transe
hypnotique, qu’elle soit plus légère ou profonde, est bien mon outil de
prédilection et c’est souvent une demande explicite de mes clients. Mon
approche utilise par ailleurs de nombreux outils complémentaires à
l’hypnose qui peuvent aller de la thérapie narrative à des techniques plus
neurologiques comme les stimulations bilatérales alternées, avec l’EMDR,
ses dérivés et évolutions récentes. L’idée est bien sûr de pouvoir s’adapter à
ce qui fonctionne le mieux avec une personne en particulier.
Le cas qui sera illustré ne comporte pas de volet spécifiquement
psychopathologique, mais illustre bien comment, dans cette prise en charge
utilisant beaucoup d’approches différentes, l’hypnose profonde aura été un
élément d’importance dans ce qui a fini par libérer ma cliente. Elle aura
permis de révéler et lever d’importantes inhibitions.
Présentation de la situation clinique
Elodie est une jeune femme d’une trentaine d’années qui se présente à moi
avec ce qui pourrait apparaître de prime abord comme un épisode dépressif,
sans en présenter les symptômes les plus graves. Aux prises avec une forme
de tristesse, un grand manque d’intérêt généralisé, un manque d’énergie,
elle semble aussi se dévaloriser en présupposant qu’il y aurait quelque
chose qui n’irait pas chez elle, sans pour autant pouvoir le préciser
clairement, mais en en supportant la responsabilité.
La demande initiale est de sortir de cette forme de torpeur et de frustration,
pour retrouver un peu plus de joie de vivre.
▶ Première consultation

Il me semble très important, pour que ce cas puisse illustrer en quoi


l’hypnose profonde peut être d’un intérêt capital dans un accompagnement,
de prendre le temps de détailler un peu la première partie de cette prise en
charge même si celle-ci commence dans un premier temps très
classiquement. Mais les évolutions qui surviennent rapidement pour ma
cliente changent rapidement la donne par leur ampleur et leurs
conséquences.
Nos premiers échanges permettent de commencer à préciser les choses, en
particulier un mari absent en raison de ses obligations professionnelles qui
l’amènent à être en déplacement sur de longues périodes, jusqu’à plusieurs
mois.
Immédiatement, elle balaie cet élément qui me semble pourtant important,
car d’après elle, il ne peut être la cause de son mal-être, en affirmant qu’il
s’agit d’un choix de vie assumé depuis le début par les deux conjoints.
Le problème de la fidélité du mari est soulevé, vu la situation, et elle
affirme que si elle ne peut manquer d’y penser, elle lui fait pleinement
confiance et chaque retrouvaille est pour elle la preuve qu’il n’en est rien,
que tout va bien, en me réaffirmant encore et avec beaucoup d’insistance
leur amour réciproque… Il n’en reste pas moins qu’elle m’évoque aussi les
tromperies qu’elle connaît des collègues de son mari et de leurs femmes qui
parfois ferment les yeux sur le problème, ce qui semble la choquer au plus
haut point.
Un autre élément en lien avec cette situation me semble aussi d’emblée
d’importance puisque pour pouvoir suivre son mari, après une mutation,
elle a abandonné toute idée de carrière professionnelle bien qu’elle soit
diplômée après un cursus d’études supérieures. Elle insiste, une fois de plus
haut et fort, sur le fait que c’est un choix assumé qui lui convient.
Le reste de la situation familiale fait apparaître des relations plutôt distantes
et froides avec ses parents. Une forme d’incompréhension mutuelle, dans
un climat familial où je comprends qu’il ne fait pas bon montrer ses
émotions, on ne fait pas de vagues, et on doit être raisonnable en toutes
circonstances.
Résumé ainsi, il pourrait être tentant d’aller creuser beaucoup d’aspects
d’une telle présentation des choses mais, même en y allant prudemment, je
sens très vite qu’elle ne souhaite pas remettre en question ce qu’elle pense
de sa situation et de ses relations interpersonnelles, et elle reste sur
l’hypothèse qu’il y a quelque chose qui doit clocher chez elle puisqu’elle ne
voit rien à redire à ce qu’elle vit. La demande est seulement de retrouver un
peu de joie de vivre, de bien-être. Elle a l’impression de ne pas avoir de vrai
problème et pourtant de mal vivre sa situation.
Elle considère qu’elle devrait se satisfaire pleinement de sa vie, bref que
tout devrait bien aller.
Mais évidemment, tout ne va pas bien. Elle ressent un mal-être diffus et
persistant, ne se sent pas à sa place. Elle n’arrive pas à créer de liens
d’amitié avec les autres, qui souvent la déçoivent, et semble avoir un
problème avec le regard de l’autre, qu’il soit féminin ou masculin. Dans le
premier cas, elle s’attire facilement de la jalousie car elle est une belle
femme, et elle en est d’ailleurs consciente, dans le second, elle a un
problème avec son pouvoir de séduction sur les hommes qu’elle vit comme
une forme de trahison par rapport à son mari absent. Elle en arrive à essayer
de ne pas trop se mettre en valeur pour essayer de ne pas trop plaire. C’est
d’ailleurs un élément présent lors des premières séances. Il semble qu’elle
essaie presque de cacher son apparence, ce qui fait apparaître une certaine
gêne, comme une sorte de peur de séduire.
Dans ce genre de cas, et en partie pour éviter toute forme de projection que
l’on pourrait être facilement tenté de faire, j’en reviens souvent aux
basiques de l’hypnose afin d’envisager en quoi elle pourrait être de quelque
utilité. En l’occurrence, l’idée a été rapidement de réifier « l’Inconscient »
comme l’ensemble des processus inconscients responsables de cet état de
mal-être, de lui conférer les pouvoirs qui semblent manifestement être les
siens, c’est-à-dire de créer de façon autonome, et pour des raisons qui
échappaient encore à ma cliente, ce qui la perturbait. Et pour être le plus
concret possible, j’en reviens aux manifestations physiques, corporelles,
donc à l’opposé d’un accompagnement analytique.
Il m’apparaît d’ailleurs assez vite qu’Elodie est dotée d’une capacité
d’analyse et de rationalisation assez importante, doublée d’une grande
intelligence, ce qui manifestement semblait avoir tendance à la couper de
ses émotions. En lui présentant explicitement l’approche que j’envisage, j’ai
la bonne surprise de constater qu’elle y adhère pleinement et que la
perspective de pouvoir explorer cette dimension d’elle-même lui semble
d’un grand intérêt. Ce type de réaction est souvent une grande chance car
pour certaines personnes, cela soulève plutôt des peurs et des résistances.
J’opte donc dès la première séance pour une première induction plutôt
ericksonienne pour lui permettre de se reconnecter à ses perceptions, par
une forme de spirale des sens, puis à ses sensations internes, et ensuite des
suggestions de relaxation suivies d’approfondissements successifs. Elle
entre tout de suite facilement dans un état stuporeux dont je profite pour
demander un travail inconscient général, en aveugle, sur la recherche des
causes de ce mal-être et sur la possibilité de les prendre en charge d’une
façon nouvelle, plus intéressante, en actualisant ce qui peut l’être.
Elle en ressort surprise du niveau de relâchement perçu, avec une baisse
importante des tensions physiques et aussi de sa charge mentale (moins de
pensées à propos du « problème »).
Cette première séance a surtout été l’occasion d’établir une relation de
confiance et a permis un premier entraînement à la transe hypnotique, et
une découverte pour elle de certains de ses bénéfices possibles.
À la suite de cette première séance, j’avais l’idée qu’il serait bien sûr
important de poursuivre, mais en même temps l’envie qu’elle s’approprie la
responsabilité de son évolution éventuelle. J’ai donc proposé que nous ne
fixions pas d’emblée de prochain rendez-vous mais qu’elle se sente libre
d’en reprendre un dès qu’elle en sentirait le besoin.
▶ Seconde et troisième consultations

Quinze jours après, elle revenait bien décidée à aller plus loin. Cette séance
sera assez peu différente de la précédente mais avec moins d’échanges hors
transe. Je constate aussi rapidement que le simple fait de lui demander ce
dont elle se souvient de la séance précédente commence à induire
spontanément un état d’hypnose et l’induction qui a suivi lui a ensuite paru
l’emmener encore plus profondément en elle. Ces premières séances ont
répondu en partie à sa demande initiale, essentiellement par un allègement
de son état émotionnel, et aussi de sa charge mentale. Comme si l’état
d’hypnose, de lui-même, lui apportait ces bienfaits.
Il n’en restait pas moins pour elle une sorte de questionnement existentiel,
comme s’il subsistait quelque part un manque essentiel à combler dans sa
vie et, en poussant un peu, presque une forme de quête de sens.
Il se passera ensuite deux mois avant qu’elle ne revienne consulter.
Beaucoup de choses auront commencé à changer. Elle finit par prendre
l’initiative de dire à ses parents tout ce qu’elle avait sur le cœur, et
notamment le manque profond d’un sentiment d’affection qu’ils ne lui ont
jamais vraiment témoigné. Elle comprendra aussi plus clairement que
jamais qu’il n’y avait plus d’amour entre eux et qu’ils ne faisaient que
maintenir les apparences.
Il deviendra aussi évident qu’elle commence à construire un point de vue
plus personnel sur les choses, en prenant par exemple une certaine distance
par rapport à la situation de ses parents, tout en étant capable d’en éprouver
une certaine tristesse pour eux, mais en veillant à ne plus mettre de côté ses
propres besoins d’affection.
Cette évolution sera aussi pour elle l’occasion de me confier quelque chose
de bien plus personnel encore, un problème plus intime, qu’elle ne s’était
pas encore autorisée à formuler. Elle m’annonce que depuis très longtemps,
elle ne prend plus de plaisir lors des rapports sexuels avec son mari. Le
simple fait qu’elle s’autorise à m’en parler, et qu’elle considère que c’est
maintenant un problème à prendre en charge, me semble à ce moment-là
une importante évolution de sa part. Quelque chose était à l’œuvre en elle et
ne semblait pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. Cette annonce me
semble comme une étape de franchie, comme une façon de dépasser
quelque barrière. Bien sûr, elle est tout d’abord mal à l’aise, rougit, mais
ensuite, l’obstacle passé, c’est comme une libération pour elle et elle
s’autorise bien plus facilement à expliciter les choses. Notamment le fait
qu’elle est en revanche capable de se donner du plaisir seule et jusqu’à
l’orgasme.
Évidemment, la nature des sentiments réels qu’elle éprouve pour son mari
est forcément, si ce n’est remise en question, au moins remise à l’ordre du
jour.
C’est sur ce problème de libido que nous avons travaillé cette fois en
hypnose, et bien sûr, en orientant le travail vers une exploration plus
profonde des sentiments qui l’animaient pour son mari. À chaque fois, se
déploie pour elle très facilement un bon état d’hypnose, une sensation de
vraiment décrocher du réel et de s’immerger dans une transe qui semble au
moins apaisante et réparatrice. Mais cela ne permettra pas d’en obtenir la
moindre forme de révélation par rapport à sa situation.
▶ Par la suite

Quatre mois plus tard, nouvelle consultation, tout a changé. Elle a


découvert que son mari était infidèle depuis longtemps, avec cette
impression que l’on retrouve de façon récurrente pour ce genre de cas,
qu’elle exprime de la façon suivante : « une part de moi le savait ». Cet
évènement est suffisamment bouleversant en lui-même mais il soulève en
même temps quelque chose de plus profond, qui ressemble à un mécanisme
de déni, et qui l’amène lors de cette séance à envisager que ce déni agisse
peut-être encore plus largement en elle. Nous travaillerons pendant cette
séance à l’intégration de ce bouleversement, mais aussi à accueillir un peu
plus de cette sorte d’intelligence inconsciente qui semblait savoir plus de
choses qu’elle-même.
Six mois s’écoulent ensuite avant qu’elle ne revienne consulter. Les
changements deviennent bien plus profonds. Concrètement d’abord,
puisqu’elle a décidé de se séparer et entamé une procédure de divorce, mais
au niveau des émotions aussi car elle sort beaucoup plus avec des amis et
surtout s’autorise à se mettre plus en valeur, se maquiller. C’est presque une
autre personne qui vient me consulter. Elle a d’ailleurs changé de coiffure et
s’autorise à s’offrir des choses un peu plus luxueuses pour se faire plaisir,
en m’expliquant que même si cela reste raisonnable, ce serait inconcevable
pour ses parents. Elle s’autorise aussi un peu plus à plaire, sans pour autant
en abuser ou trop user de séduction. Mais il lui semble qu’elle se sent
encore limitée dans cette sorte de libération et nous travaillons sur une
intégration de tous ces changements, sur le deuil de son mariage, ainsi que
sur un approfondissement de l’estime de soi par la recherche de ce qui serait
encore limité ou inhibé.
Toute cette première partie de son parcours a été l’occasion d’accueillir en
assez peu de séances, et de plus en plus espacées, des changements de vie
importants et une évolution personnelle assez spectaculaire dont le mérite
ne revient pas qu’aux séances d’hypnose, mais aussi à son courage
personnel d’affronter certaines réalités plutôt que de les subir ou de
s’aveugler. Les séances d’hypnose assez classiques ont été un
accompagnement, sans doute utile, pour accéder aux ressources nécessaires,
mais elles se sont aussi inscrites dans un travail plus conscient important
entre les séances.
Il n’était pas encore question d’hypnose profonde, et je ne crois pas qu’à ce
stade elle ait d’ailleurs été nécessaire pour enclencher cette mise en
mouvement. Mais quand tant de choses sont remises en question, il est
parfois déstabilisant d’accueillir autant de changements, surtout quand
certains n’ont pas été choisis ou quand ils lèvent autant le voile sur une
forme de déni. Et il me semblait, à la lumière de ce qu’Elodie m’exprimait,
qu’il y avait autant de potentiel de libération et d’évolution positives que de
possibilités pour elle d’être déstabilisée ou en perte de repères importants.
▶ Sur le chemin de l’hypnose profonde

Le premier volet de cette prise en charge aura aussi été pour elle, au fil des
séances, une exploration de l’état hypnotique. Et, par chance, elle a montré
dès le début, une grande facilité à y entrer, sans doute assez proportionnelle
à sa volonté de changement et à son investissement personnel.
Dans ce type de cas en particulier, où il semble dès le début qu’il y ait des
choses à faire émerger, de nouvelles compréhensions de la situation qui ont
besoin d’apparaître, il peut être utile, d’une certaine façon, de garder un peu
plus le conscient « à portée de main » et donc un recours moins nécessaire à
une hypnose plus profonde, surtout quand les choses évoluent presque
d’elles-mêmes, sans sembler manifester de grande résistance.
Mais la prise en charge ne s’est pas arrêtée là. Elodie reviendra environ six
mois plus tard avec beaucoup de choses à m’annoncer. Elle a déménagé à
plus de deux cents kilomètres de chez elle et a décroché d’une façon qui lui
semble assez incroyable un nouveau travail avec d’importantes
responsabilités dans une grande entreprise. Ce poste est en lien direct avec
la direction de l’entreprise, et serait habituellement attribué à des profils de
candidats bien plus âgés car il nécessite normalement plus d’expérience. À
cela s’ajoute une nouvelle relation amoureuse, qu’elle considère dès le
début comme assez peu sérieuse et elle n’envisage pas qu’elle puisse
perdurer.
Ces nouveaux changements importants, malgré leurs côtés positifs,
semblent activer paradoxalement une baisse de confiance en soi, comme si
tout était allé trop vite. Professionnellement, en particulier, se développe
comme un syndrome de l’imposteur, comme si elle ne méritait ce poste,
alors qu’il est évident qu’elle y donne toute satisfaction. Elle est d’ailleurs
consciente de son manque d’expérience, mais le comble en se formant
rapidement et avec ce m’apparaît une incroyable faculté d’adaptation.
Mais une angoisse monte, et elle semble très reliée à ce qui était à la base de
ses problèmes initiaux, à savoir une forme de sur-adaptation à la situation, à
laquelle s’ajoute cette fois-ci la peur irrationnelle de découvrir, ou que l’on
découvre, que finalement elle ne serait pas à la hauteur. Et cette peur
profonde commence à devenir vraiment perturbante.
Les indices qu’il devenait important de pousser plus loin les investigations
inconscientes m’ont semblé réunis, avec l’idée d’approfondir l’état
d’hypnose pour ce faire. Il doit être noté que, stratégiquement, tout ce qui
avait été fait avant a énormément compté dans cette possibilité. La
confiance était bien établie et solide, elle était déjà bien entraînée à la transe
hypnotique et il était très simple de l’induire, et de multiples façons. La
capacité à évoluer, à dépasser des blocages émotionnels, était prouvée et
avait déjà permis de régler beaucoup de problèmes.
Ce qu’il restait à faire là était d’une nature un peu différente et certainement
un peu plus existentielle. Il s’agissait d’une forme d’intégration plus
complète du changement jusqu’aux niveaux les plus profonds de l’identité.
Et il m’a semblé que les nouvelles difficultés auxquelles elle faisait face à
ce moment de sa vie lui permettaient aussi de réaliser consciemment la
nature de l’enjeu lié à cette intégration du changement, une forme de
libération bien plus complète des anciens schémas qui la limitaient et
l’empêchaient d’avancer.
▶ Approfondissement

J’avais remarqué à de nombreuses reprises que tout ce qui passait par des
mouvements idéomoteurs fonctionnait très bien avec elle, et qu’il était
toujours facile de voir à quel point elle entrait profondément dans un état
d’hypnose par toutes sortes de manifestations physiques automatiques,
comme si son corps reprenait une certaine autonomie dont elle devenait
spectatrice.
J’opte donc pour un démarrage de la séance à partir de la technique appelée
« mirroring hands » d’Ernest Rossi. La mise en place s’effectue très
simplement en lui demandant d’observer le plus attentivement possible ses
deux mains placées en suspension devant elle, avec la plus grande curiosité
possible envers tous les phénomènes différents qu’elle pouvait percevoir de
ses deux mains : poids, température, aspect, sensations diverses.
Rapidement, comme à son habitude, elle s’immerge facilement dans
l’expérience, et développe une bonne qualité de focalisation. Afin de ne pas
trop orienter le travail et d’ouvrir le champ des possibles, je lui demande
juste d’imaginer que l’une de ses deux mains va recevoir ce qui la limite à
nouveau, comme si tout ce qui était lié à « ça » venait s’installer à
l’intérieur de cette main. Immédiatement, cette main se met en mouvement
par des petits mouvements très saccadés vers le bas. Je demande alors
explicitement que tout ce qui était relié à « ça » soit totalement accueilli
dans cette main qui s’anime de plus belle. J’en profite tout de suite pour
travailler en contraste avec ce que pourrait bien contenir l’autre main en la
laissant libre d’accueillir tout ce qui pourrait être nouveau, différent,
intéressant, et en n’oubliant pas de le relier à ce qui avait déjà été obtenu
grâce aux séances précédentes.
Un tel dispositif, qui se passe très souvent de toute autre forme d’induction
formelle, est assez classique. Mais alors que tout semble s’animer et
prendre vie de façon autonome, elle ferme spontanément les yeux et semble
vivre une expérience de plus en plus intense. J’en profite pour suggérer que
« cette intelligence plus physique, plus profonde, aille aussi loin que
nécessaire pour que ce qui se passe dans les mains puisse évoluer aussi loin
que possible ».
L’approfondissement devient très important et les mouvements de la main
qui descend commencent à l’entraîner plus bas que l’assise du fauteuil. Tout
le corps commence ensuite à prendre part à ce travail, et je suggère
simplement que cela s’approfondisse encore. Le corps commence alors à
être traversé par des spasmes périodiques assez rapprochés qui finissent par
devenir assez impressionnants vus de l’extérieur, assez impressionnants
pour que je m’inquiète un peu de l’état de ma cliente et lui demande
comment ça va pour elle. Une réponse rassurante est difficilement formulée,
car il lui semble pénible d’articuler, mais qui s’accompagne d’un petit
sourire, un peu surpris, de celle qui réalise ce qui est en train de se passer
sans pouvoir rien contrôler. Les spasmes musculaires s’intensifient et la
main finit par l’entraîner tellement bas que tout le corps suit dans un
mouvement général vers le bas et l’avant qui me fait me demander à quel
moment elle va basculer du fauteuil au sol.
Il est important de noter dès à présent que très peu de suggestions sont
utilisées à part ce qui s’apparente plutôt à des instructions initiales, pour la
mise en place du dispositif, et des suggestions d’animation de la transe,
essentiellement d’approfondissement.
Je n’ai alors à ce moment-là aucune idée de ce qui se joue en elle, et elle me
dira plus tard qu’elle non plus, et ma première préoccupation est de veiller à
sa sécurité pour qu’elle ne tombe pas lourdement sur le sol. Je ne suis
d’ailleurs plus dans mon propre fauteuil mais à genoux à côté d’elle pour
pouvoir la rattraper le cas échéant.
Il devient manifeste qu’elle va aller au sol. Je lui redemande si ça va pour
elle et un « oui » toujours mal articulé est prononcé. La main se pose en
premier sur le sol et le bras dans une sorte de catalepsie retient
suffisamment le corps pour qu’elle descende finalement assez
progressivement par terre et dans un mouvement fort peu naturel et assez
inélégant.
Une fois au sol, les mouvements s’intensifient encore comme si une étape
était franchie et quelque chose cherche encore un peu plus à se libérer. Cela
passe par des contorsions surtout des bras, qui sont comme écartelés, mais
aussi du visage, notamment de la bouche qui donne l’impression de crier
silencieusement. Les contorsions dureront ainsi près de trente minutes, la
faisant, pour ainsi dire, ramper au sol car elle finira par s’éloigner du
fauteuil, m’obligeant à bouger quelques objets de décoration qui auraient pu
la gêner. À la suite de ça, épuisée, toujours au sol, elle se met sur le dos
pour récupérer un peu de cette expérience intense. Et après quelques mots
d’apaisement, je lui demande ce qui se passe maintenant dans son corps.
Cette simple question déclenche immédiatement un mouvement
automatique de la main qui réactive les spasmes de tout le corps et la voilà
repartie pour presque encore trente minutes ainsi.
Pendant tout ce temps, je me suis contenté d’être là, simplement présent et
rassurant avec juste quelques mots d’animation et d’encouragement. Une
fois revenue de cette expérience et réinstallée dans le fauteuil, j’ai l’idée de
conclure cette expérience de descente profonde dans le corps par une petite
transe avec des suggestions de légèreté et d’élévation, comme une façon
d’équilibrer les choses sur une quinzaine de minutes.
Cette séance d’hypnose profonde illustre à quel point il peut être important
de travailler à l’intégration du changement. Elle aura permis d’aller à des
niveaux si profonds de l’identité qu’il ne devient plus possible de décrire
consciemment ce qui se joue vraiment. Il devient d’ailleurs difficile de
discerner après la séance si la cliente était inconsciente de ce qu’une partie
d’elle vivait ou si elle en était le témoin avant qu’une amnésie complète
n’intervienne. En tout état de cause, elle fut incapable d’en savoir plus après
la séance sur ce qui l’avait à ce point animée, il ne restait plus qu’un
souvenir distant des mouvements incontrôlés de son corps.
Pourtant, cette séance aura libéré beaucoup de choses par la suite, lui
permettant notamment de bien plus facilement assumer les responsabilités
professionnelles qui lui avaient été confiées, jusqu’à ce qu’on lui propose
même d’intégrer le comité de direction de son entreprise. Cela lui permit
aussi de bien plus facilement s’affirmer dans ses rapports avec les autres en
général.
Je la revois depuis régulièrement une à deux fois par an, quand elle
considère qu’une difficulté se présente à elle, ou même simplement comme
une séance préventive de ce qu’il pourrait être utile de prendre en charge.
Mais plus aucune difficulté d’importance comparable à ce qu’elle a pu vivre
précédemment ne s’est présentée, comme si des bases bien plus stables
étaient en place dorénavant.

Discussion
On peut constater avec le cas d’Elodie que l’hypnose profonde, si elle ne
constitue évidemment pas une panacée, peut avoir une importance
considérable dans un accompagnement. En l’occurrence, elle n’a été qu’un
élément très partiel d’un accompagnement sur le long terme, et pourtant, la
pierre angulaire de ce qui a permis une forme essentielle d’intégration.
Elle n’est pas toujours utile de cette façon, en fonction des besoins de
chacun, mais dans ce cas, cela aurait été sans doute une mauvaise idée de
vouloir trop vite chercher à l’employer. Ma cliente n’était pas encore prête.
En revanche, quand le parcours vers le changement fut bien entamé, que les
planètes étaient suffisamment alignées pour aller plus loin, l’hypnose
profonde s’est presque invitée d’elle-même.
C’est d’après mon expérience, une façon idéale d’y avoir recours. Cela n’a
été possible, de cette façon, que grâce au développement préalable d’une
grande confiance mutuelle, et au fait que je veille à toujours garder à
l’esprit la possibilité d’aller jusqu’à ces niveaux profonds de transe. Cela
permet instinctivement de déceler le moment charnière ou
l’approfondissement peut produire cette puissante dissociation qui possède
ces étonnantes capacités naturelles d’une forme de refondation de l’identité,
pour accueillir les changements d’importance.
Il me semble utile d’en retenir que, le plus souvent, il y a aussi bien sûr
d’autres choses à prendre en charge, de façons différentes, dans le parcours
d’un client, et parfois avec des techniques très éloignées de l’hypnose.
L’hypnose profonde peut constituer l’élément central, le levier du
changement, ou compléter d’autres approches, soit comme catalyseur d’une
évolution profonde de l’identité, soit comme une façon de l’intégrer plus
complètement.
Chapitre 4

Florilège d’inductions clefs,


vers l’hypnose profonde

D. Goldschmidt

1 Partager un secret : la pierre d’achoppement

2 La mesure de ce que l’on fait. Dans quel état j’erre ?

3 Introduction aux inductions profondes

4 Les techniques d’induction : Dave Elman

5 Autres inductions utiles

6 Conclusion

7 Situation 3 : Gérard et ses crises anxieuses


« Le besoin pressant d’un univers logique et cohérent est
profondément ancré dans l’esprit humain. Mais l’univers réel est
toujours un pas au-dessus de la logique. » Franck Herbert, Dune
(1965)

1 Partager un secret : la pierre d’achoppement


Avant-propos
Deux grands auteurs du champ de l’hypnose dite profonde sont pour nous
Pierre Janet et Milton Erickson. À notre sens, tous deux visaient d’entrée de
jeu le stade somnambulique qui permet le travail psychothérapeutique le
plus intégratif, utilisant, toutes les ressources inconscientes, sans être limité
par les carcans et habitudes conscients.
De nombreux praticiens l’ont aujourd’hui compris et s’efforcent de
désamorcer les résistances afin d’obtenir la profondeur, ce qui est gage, très
souvent, de réussites rapides et de meilleure prise en charge du patient. Pour
gagner du temps, ils ont élaboré une série de méthodes inductives, à la
découverte et à la pratique desquelles nous vous convions, dans ce chapitre.
À noter que les premiers hypnotiseurs tenaient comme nécessaire l’amnésie
comme garante du résultat. Évidemment, comme Mahia le rappelle au
chapitre précédent, la chose est plus subtile et des éléments individuels,
relationnels et de contexte sont à apprécier. Erickson, quant à lui, a écrit
cette petite phrase qui, à notre sens, est loin d’être insignifiante : « La petite
astuce consistant à partager un secret entre l’inconscient du sujet et
l’hypnotiste s’est révélée très souvent remarquablement efficace pour
obtenir des transes profondes chez des sujets jusque-là d’une résistance
agressive. »
Erickson était pour l’utilisation de la résistance à la fois en thérapie et en
hypnose, la considérant non pas comme un adversaire mais comme un
guide. Cette formule nous a beaucoup frappés, et nous la considérons
comme une pierre angulaire dans l’édification d’une séance de transe
profonde. Le somnambulisme atteint, l’esprit conscient « fasciné » par
l’adorcisme (voir le chapitre de Bioy dans cet ouvrage), devient confus
voire absent. Nous ne nous adressons plus qu’à l’esprit inconscient, pour
bien faire le distinguo et accroître la dissociation, nous vouvoyons le
Conscient, et tutoyons l’Inconscient, en cours de séance. Nous expliquons,
avec force détails, les caractéristiques exactes de la problématique, dans le
temps et dans l’espace, ce que nous attendons de cette collaboration et tout
en parlant avec ferveur et admiration l’exhortons à nous aider à résoudre le
dysfonctionnement, allant même jusqu’à lui livrer des informations «
confidentielles » ou réputées telles, lui parlant de la personne comme si elle
n’était pas présente, tentant de créer un rapport et une complicité avec le
thérapeute interne. Les réponses idéomotrices et comportementales
apportent des indices sur l’avancement des solutions mises en œuvre. Nous
remercions abondamment et prenons bien soin d’indiquer que toute cette
partie de séance se doit de rester confidentielle.

« Un secret ! »
L’amnésie sur cette partie du travail15 est toujours au rendez-vous (souvent,
seul le secret est oublié). Nous ne nous posons jamais la question de savoir
si tout cela est réel ou simplement le fait d’une mise en scène du « petit
théâtre de l’hypnose » (Bioy, 2020). Si la pièce est bonne et la conclusion
heureuse, pourquoi donc en amoindrir l’efficacité par des considérations
réductionnistes ? Nous pensons que le praticien se doit d’être profondément
convaincu du dispositif qu’il utilise et doit oublier, dans sa propre transe,
toute rationalité, tel un chamane jouant de son tambour et ouvrant la porte
des trois mondes à l’impétrant.

On ne manquera pas de faire un parallèle avec


l’observateur caché, théorie élaborée par Ernest
Hilgard (1904-2001) sous le nom de néo-dissociation.
Celui-ci découvre, lors d’une intervention auprès
d’étudiants à Stanford, qu’un très bon sujet présentant
une surdité induite par hypnose et à qui on suggère une analgésie
hypnotique, ne sentant plus la douleur, constate qu’un de ses
doigts se lève et ne comprend pas pourquoi. On lui explique alors
qu’on lui avait demandé de bouger ce doigt s’il ressentait de la
douleur après que l’on ait plongé sa main dans une eau glacée ; il
n’avait rien senti ni entendu, mais « une partie de lui » visiblement
souffrait et entendait. Elle le signalait.
2 La mesure de ce que l’on fait. Dans quel état
j’erre ?
Les échelles d’hypnose sont nombreuses et souvent contradictoires en
fonction des référents utilisés : réponses aux suggestions, analyse
comportementale, comparaisons, apparitions des effets hypnotiques, etc.
Les consultants présentant la plupart du temps des niveaux mixtes et
l’hypnose étant fluctuante, ils passent souvent d’un niveau à un autre, à
l’exclusion des états de grande profondeur de type Esdaile où ils ne
communiquent plus, même par mouvements idéomoteurs. Dit autrement,
les niveaux varient en fonction des sujets (certaines personnes entrant très
profondément d’emblée sans passer par les stades intermédiaires) et
dépendent du rapport avec le praticien, dans un contexte donné, et
certainement aussi de facteurs psychologiques internes peu connus
actuellement. Mais peu importe ! Puisque les effets d’hypnose attribués à
chaque niveau peuvent apparaître indifféremment dans des états légers ou
profonds.

À titre indicatif, nous pouvons indiquer les stades suivants :


État hypnoïde : relaxation physique facilitant la perlaboration
(psychanalyse) ou la relaxation, détente musculaire et
nerveuse.
État léger : catalepsie des yeux, du corps et des membres et
anesthésie légère en gant.
État moyen : apparition de mouvements idéomoteurs,
élargissement des pupilles, lenteur dans l’oralisation et dans
l’ensemble du comportement.
État somnambulique : signe l’entrée en hypnose profonde,
relaxation mentale, amnésie post-hypnotique sans
suggestion, les yeux s’ouvrent et la personne reste stable,
suggestions post-hypnotiques, hallucinations positives et
négatives visuelles et auditives, hyperesthésie16.
État Esdaile17 : anesthésie générale sans suggestion, état
pré catatonique (muscles cireux), amnésie complète sans
suggestion, également nommé hypnose stuporeuse par
Erickson.
État Sicchort18 ou Abyss où l’on rencontre la catatonie de
tout le corps et paradoxalement une forme d’hypervigilance
associée à des phénomènes exceptionnels, selon Sicchort.

3 Introduction aux inductions profondes


Ingrédients communs
Il est approprié, pour s’essayer à la transe profonde, d’apprendre et de
mettre en pratique ces inductions spécifiques. On notera que la plupart des
inductions de transe profonde (et il en existe de nombreuses) utilisent les
ingrédients suivants :
Fractionnement : induire la transe, remonter le sujet et le faire redescendre
plus profondément en lui donnant des suggestions d’approfondissement.
Exemple : « À présent, ouvrez les yeux, regardez autour de vous, puis
refermez les yeux et redescendez cinq fois plus profond. » Cette manœuvre
peut être répétée de nombreuses fois, si nécessaire, après avoir vérifié l’état
du sujet.
Suggestions indirectes : parler à quelqu’un d’autre dans l’assistance et
émettre des suggestions qui s’adressent au sujet. Exemple : « Et je me
demande, si vous qui êtes au premier rang voyez bien combien notre sujet
devient progressivement lourd et tranquille, calme et apaisé… »
Pyramidage : répéter l’induction entière de multiples fois, en sortant le sujet
de la transe et en l’y renvoyant. Exemple : « À présent, que vous avez
atteint cette très profonde relaxation, vous pouvez vous permettre de revenir
en haut et d’ouvrir les yeux, c’est cela, et en expirant, refermez les yeux et
refaire tout le chemin en allant de plus en plus loin, et en vous laissant
guider par ma voix… »
Suggestions composées : ce mécanisme consiste à lier un acte ou un mot du
praticien à la mise en route ou à l’approfondissement de l’état hypnotique.
Exemple : « À chaque fois que je dirai “bleu”, vous irez dix fois plus
profond. » Milton Erickson utilisait souvent l’acte d’allumer une cigarette
comme déclencheur de la transe. Gerald Kein touchait son nœud de cravate,
etc.
Suggestions post-hypnotiques : cette suggestion, comme son nom l’indique,
consiste à mettre le sujet en transe dite moyenne ou en tout état réceptif
adéquat, et à lui demander d’effectuer une tâche si possible confusionnante,
telle qu’ouvrir une porte ou une fenêtre ou enlever une de ses chaussures,
etc. Puis à lui demander d’oublier, à ramener la personne, et à juste attendre
que la suggestion soit exécutée. Exemple : « Lorsque vous vous éveillerez,
vous ouvrirez et fermerez deux fois la porte, tout en oubliant cette
instruction. » Une astuce consiste à faire totalement sortir le sujet, le laisser
accomplir la tâche programmée et utiliser son étonnement en disant «
Bravo, vous avez fait ce que je vous avais demandé, entrez profondément
en transe, maintenant ! » tout en produisant un geste qui tiendra lieu de
rupture, comme une invitation à descendre plus profond (lâcher de bras).
Ratification : consiste à informer le sujet de l’ensemble des réactions
hypnotiques constatées par le praticien. Cela renforce et approfondit l’état
hypnotique car la ratification conforte le sujet dans la conviction qu’il est en
train de vivre une transe de plus en plus forte.
Exemple : « Et je peux voir que vos yeux ne peuvent plus s’ouvrir et que
vos doigts commencent à vibrer, à s’agiter en synchronisation avec votre
respiration. » Faire remarquer les sensations de lourdeur s’accroissant qui
constituent un marqueur de la profondeur.
Arm Drop ou lâcher de bras : dans bon nombre d’inductions, le lâcher du
bras constitue une rupture, une brusquerie (Antoine Bioy) susceptible de
permettre l’entrée en transe et même son approfondissement. Exemple : «
Lorsque votre bras retombera lourdement, vous irez dix fois plus
profondément en transe. »
Catalepsies diverses : la catalepsie (paupières, bras, ou autres parties du
corps), une fois obtenue, devient une marque d’automaticité que l’on peut
faire remarquer au sujet. Plus profondément, elle ouvre sur la catatonie qui
affecte les membres et la tête, les rendant flaccides et raides en même
temps, permettant au praticien de faire adopter toutes sortes d’attitudes
corporelles au sujet. Exemple : « Plus vous essayez d’ouvrir les yeux et
moins vous y arrivez ! »
Visualisations : ce moyen est discutable car il amplifierait le mode par
défaut du cerveau ne permettant pas la proéminence des systèmes
attentionnels. On peut l’utiliser en début d’induction afin de créer un cadre
imaginaire : symbolique, parapsychologique, spirituel, etc. La visualisation,
trouvant sa place au moment du « pretalk », sera utilisée avec parcimonie
dans le cours de l’induction proprement dite, au profit des sensations
corporelles et des images spontanées.
Hallucinations : les hallucinations sont dites négatives si un objet ou un
individu disparaît de la perception du sujet, positives si elles se rajoutent à
une scène dans laquelle le sujet est immergé. On peut utiliser les
hallucinations en somnambulique pour créer un environnement propice à la
thérapie ou afin de créer des confusions qui augmentent la profondeur de la
transe. Exemple : « Vous m’entendez clairement mais ne pouvez plus me
voir… maintenant, vous me voyez, n’est-ce pas ? » (« Now, you see me,
now you don’t ! »)
Erickson et Rossi ont consacré tout un ouvrage à l’accompagnement
thérapeutique réussi d’une infirmière déprimée par une enfance solitaire, au
cours duquel Erickson apparaissait sous les traits hallucinés de « l’homme
de février », un oncle bienveillant et généreux qui lui apportait des cadeaux
et la faisait rire. La transe profonde dans laquelle celle-ci était plongée lui
rendit son sourire et sa joie de vivre en seulement quatre séances.
Concernant les hypnoses dites ultra profondes, « l’Ultra Depth » de Walter
Sicchort et James Ramey utilise tous ces ingrédients en répétant de
multiples fois l’induction. Par exemple, ils conseillent de poser des
ancrages à différents stades de « la descente en profondeur » et ensuite de
jouer avec chaque ancre pour fractionner et pyramider, quitte à faire sortir le
sujet de la transe et l’y renvoyer, de multiples fois. Jerry Kein, quant à lui,
fait monter vers des plans supérieurs où la notion d’Inconscient est
remplacée par celle d’un « supraconscient efficient ». Depuis le décès de
Kein, Inès Simpson a repris le procédé en l’enrichissant. Elle fait monter,
stabilise l’état et fait silence, laissant le supraconscient travailler.19
Précision culturelle
La France est très attachée aux inductions type PNL
(Programmation Neuro-Linguistique), et ce malgré la sensibilité
négative d’Erickson à leur égard. Il en découle que le travail en
hypnose le plus commun de nos jours en France est le plus
souvent appuyé sur des états légers ou moyens. Parfois même il
s’agit d’un travail plus proche de la relaxation, qui peut cependant
par entraînement amener aussi à une certaine profondeur de
transe. Dans les territoires anglo-saxons par contre, les praticiens
sont familiers avec le travail en état de transe plus profond ; à tel
point que dans nombre d’ouvrages, la distinction entre hypnose et
hypnose profonde n’est pas faite : toute hypnose étant perçue
comme régulièrement profonde, ne serait-ce que par habituation
du patient à la méthode. Les techniques que nous proposons
maintenant sont donc issues de cette culture anglo-saxonne, que
nous partageons.

4 Les techniques d’induction : Dave Elman


L’hypnose de scène au service de la médecine
En même temps qu’Erickson s’efforçait de faire entrer l’hypnose au sein du
monde médical et scientifique, un autre praticien faisait parler de lui : Dave
Elman (David Kopelman de son vrai nom). Il est né le 6 mai 1900 à Park
River dans le Dakota du Nord. Son intérêt pour l’hypnose débuta à 8 ans,
lorsque son père, souffrant d’un cancer en phase terminale, demanda de
l’aide à un ami hypnotiseur afin de soulager ses douleurs, avec succès. Là
où la médecine de l’époque avait atteint ses limites, il put l’aider. Ce jour-là,
le jeune Elman s’est rendu compte de l’énorme potentiel de l’hypnose. À
l’âge de 14 ans, Dave avait acquis un tel savoir sur l’hypnose qu’il
commença à hypnotiser ses camarades de classe. Après avoir quitté l’école,
il travailla en tant que musicien et compositeur20, comédien et hypnotiseur
de spectacle. Durant la guerre, il travailla en tant qu’animateur radio et eut
beaucoup de succès avec son émission « Hobby Lobby ». En 1949, lors
d’une discussion avec un ami médecin, Dave lui fit une démonstration de
ses capacités à contrôler les douleurs grâce à l’hypnose. Impressionné, son
ami lui demanda d’organiser un cours d’hypnose pour des collègues
médecins, dentistes et psychologues. Ces derniers donnaient des «
feedbacks » réguliers à Dave et lui faisaient part de leurs expériences avec
l’hypnose dans son application médicale. Jusqu’à sa mort, il enseigna
l’hypnose à de très nombreux médecins. Les méthodes développées par
Dave Elman à cette époque sont considérées comme de grands classiques
de l’hypnose médicale et de l’hypnothérapie moderne (Elman, 1970). Le
travail de Dave Elman connut énormément de succès. À tel point qu’après
sa mort en 1967, ses émules continuèrent à faire connaître sa philosophie et
ses pratiques et les enrichirent. Il inspira la création de la National Guild of
Hypnotists qui est aux USA la plus grande organisation professionnelle
dans le domaine de l’hypnose avec en moyenne 6000 membres actifs et 63
représentations dans le monde.
Elman a inventé une induction célèbre, véritable « couteau suisse », qui a
pour but de plonger l’hypnotisant dans un état profond, avec un maximum
de rapidité et d’efficacité. Elle constitue un outil d’importance permettant
de suggérer la profondeur d’une manière directe mais aussi indirecte.
Malgré son apparente simplicité et sa souplesse, son adaptabilité permettant
de l’utiliser « à sa main », l’induction d’Elman reste un outil qui doit être
appris, compris et intégré. Elle est basée sur des observations et
expérimentations dérivées de l’hypnose de scène et peut se décliner sous
plusieurs formes, le praticien n’en gardant éventuellement qu’une partie en
fonction du travail à accomplir. Elle a été adaptée des dizaines de fois par
d’excellents praticiens (Jerry Kein, Inès Simpson, Dr Mike Mandel). Elle
est réputée permettre en moins de quatre minutes de placer un consultant en
hypnose somnambulique, état qui permet l’entrée en profondeur et la quasi-
disparition du « facteur critique » ouvrant la porte aux suggestions, cette
induction étant elle-même une suite de suggestions directes ou masquées,
présentées comme de l’autohypnose afin de désamorcer toute résistance.
L’induction d’Elman comprend deux parties principales : l’induction
proprement dite, et son approfondissement afin d’obtenir le coma
hypnotique gage d’anesthésie, destiné aux médecins, dentistes et
anesthésistes qui se pressaient lors des enseignements du thérapeute. La
coupler, une fois le somnambulisme obtenu, à « une conversation avec
l’inconscient » donne des résultats saisissants et a constitué la majorité de
notre travail au cours de ces vingt-deux dernières années. Voici cette
induction, telle que nous la pratiquons chaque jour, sans connaître beaucoup
d’échecs en ce qui concerne l’obtention de l’état somnambulique en
quelques minutes. Nous l’avons un peu amendée par rapport à la version
d’origine afin d’obtenir une réponse encore plus rapide. Si l’on pouvait
résumer le somnambulisme en deux mots, ce serait « plasticité » et «
consentement ».

La conversation préalable (« pretalk »)


La conversation en début de séance est un important facteur du bon
déroulement de celle-ci. Elle doit comporter plusieurs éléments :
– Une mise en sécurité du consultant : le praticien doit se montrer
assertif, protecteur et ouvert et prendre en compte les doutes et les
peurs éventuels.
– Parler abondamment de l’Inconscient (évocation), de la sensation
agréable et de la fluidité que l’on ressent en hypnose profonde. En
hypnose, lorsque l’on parle de quelque chose dans un contexte
propice, on crée cette chose, elle apparaît, on l’évoque comme un
esprit, on fait plus que la suggérer on la rend possible. L’évocation de
l’inconscient à la fois par le sujet et le praticien engendre un ensemble
de phénomènes hypnotiques involontaires qui en renforce la
réification.
– Utiliser le double langage Conscient/Inconscient dont parle Erickson.
Exemple : « Et votre inconscient a beaucoup de choses à apprendre à
votre conscient. »
– Faire mention de l’amnésie finale qui peut se produire si besoin.
– Mettre l’accent sur l’efficacité du processus et combien il peut être
puissant et utile.
– Expliquer, comme le faisait Elman, afin de désamorcer la résistance,
que toute hypnose est autohypnose et naît de l’action du consultant
sur lui-même, le praticien n’étant qu’un guide, ensuite, garder une
forme de distance bienveillante. Dans de nombreux cas, la notion
d’autohypnose peut être escamotée si le consultant a besoin de «
croire à la toute-puissance du praticien », même s’il est bon de faire
comprendre que le consultant sera cocréateur de son niveau
d’hypnose.
Si la conversation préalable est bien menée, un rapport chaleureux se mettra
en place et le consultant pourra présenter, dans ce cadre, des prémisses
d’hypnose tels qu’une accélération des battements dans les paupières
(fluttering), un changement du rythme respiratoire, une certaine fixité dans
le regard, un retard dans l’élocution, etc. Ce sera, sans doute, le moment
propice pour initier les tests de suggestibilité type « doigts magnétiques », «
mains magnétiques » ou « lévitations du bras » qui sont de très bons pré-
inducteurs de transe.
La position du praticien est ferme, il est certain du résultat, donnant une
impression d’expérience et prêtant une totale attention au sujet.

La catalepsie des paupières

« Afin que nous réussissions ensemble à vous plonger en hypnose profonde, vous allez très
simplement suivre mes indications. Je vais vous guider et vous pouvez parfaitement me parler et
m’indiquer dans quel niveau vous vous trouvez, même si vous pourriez rencontrer quelques
lourdeurs et difficultés à parler. La première chose que je souhaiterais que vous fassiez c’est
écouter les bruits autour de vous dans cette pièce. Tous ces petits bruits que l’on ne remarque
jamais et qui sont pourtant présents. (Silence. Puis, on peut nommer les bruits, le tout constituant
un « yes set »). À présent, prenez une grande inspiration et en expirant détendez tout le corps du
haut de la tête jusqu’au bout des pieds. Portez, maintenant, votre attention sur les paupières et
fermez les yeux. Détendez les paupières le plus possible jusqu’à ce que vous sentiez qu’elles ne
réagissent plus. C’est cela. Et testez en essayant d’ouvrir ! Si vous arrivez encore à ouvrir,
recommencez jusqu’à ce que vous n’y arriviez plus. C’est bien ! Cessez d’essayer. Vous ne pouvez
plus ouvrir les yeux ! (ratification) »

Approfondissement par fractionnement

« À présent, nous allons approfondir votre état. Tel un poisson dans l’eau qui s’ébat avec
allégresse, vous allez remonter un court instant avant de descendre encore plus profond et ceci,
nous allons le faire trois fois de suite, et chaque fois vous descendrez dix fois plus. Si vous
n’arrivez plus à ouvrir les yeux, le simple fait d’essayer sera suffisant à vous faire descendre de
plus en plus profond, de plus en plus loin dans cet océan de calme et de tranquillité. Ouvrez les
yeux et refermez-les. C’est cela ! Et encore une fois et une troisième fois. De plus en plus profond,
de plus en plus loin, de plus en plus détendu ! »
Ratification de l’état profond par lâcher du bras (« hand
drop »)
Elman insiste sur la nécessité pour le patient d’éprouver d’une manière
évidente les modifications d’état par lesquelles il passe. C’est tout l’art de la
ratification ! Avec l’accord de la personne souvent déjà en état
somnambulique, il s’agit de saisir le bras droit puis le bras gauche et de le
laisser retomber lourdement. Aucune rétention ni résistance ne doit se faire
sentir, le bras retombant lourdement sur la jambe ou l’appui du fauteuil.
Gerald (Jerry) Kein, élève d’Elman, allait jusqu’à interrompre le processus
dans le cas d’une quelconque résistance et « réveiller » le consultant puis le
replonger dans la transe en recommençant l’ensemble de l’induction. Ceci
constituait un fractionnement procurant la profondeur.

« Dans quelques instants, je vais saisir votre bras, le lever pour tester son poids et pour que vous
puissiez le tester également et le lâcher afin qu’il retombe comme une bûche sur votre jambe. Ne
faites rien, ne m’aidez surtout pas ! Laissez la chose advenir par elle-même ! C’est cela et lorsque
le bras retombe, vous allez descendre dix fois encore et encore ! » À présent, vous remarquez la
lourdeur de vos deux bras et la manière dont ils se détendent encore et encore, au fur et à mesure
que vous progressez dans cette transe, à tel point que “ça se fait tout seul” et que cette lourdeur se
communique à tout le corps, tandis qu’inconsciemment vous créez cet état ! »
Ou bien : « Dans un instant je vais saisir un de vos poignets, je vais lever votre bras et il va
retomber très lourdement comme s’il pesait une tonne. Ne faites rien, c’est moi qui fais le travail
et lorsque vous sentirez votre bras retomber lourdement, profitez-en pour aller encore plus loin.
Voilà ainsi. C’est très bien ! »

On peut utiliser les deux bras et répéter l’opération de multiples fois en


donnant constamment l’indication de descendre encore et encore. Dans le
cours global de l’induction et même après, on se servira du lâcher de bras
(hand drop) à chaque fois que l’état aura besoin d’être approfondi.

Ratification par l’amnésie des chiffres


En théorie et très souvent en pratique, l’état somnambulique est atteint
après le lâcher de bras. Néanmoins, Dave Elman a rajouté ce « convincer »
(qui convainc) afin de magnifier encore la profondeur. En effet, plus le sujet
est certain de la profondeur de sa transe, plus il la crée (c’est la boucle
habituelle de l’hypnose de scène).
« Vous avez obtenu une détente physique complète, mais je veux vous montrer comment vous
pouvez obtenir une relaxation mentale aussi bien que physique, je vais vous demander de
commencer à compter, en commençant de 100 et à l’envers. Chaque fois que vous direz un
nombre, doublez votre relaxation, et au moment où vous descendez à 98, vous serez si détendu(e)
qu’il n’y aura plus de nombre… Commencez avec l’idée de faire apparaître ces chiffres, de les
visualiser et de le regarder passer.
Comptez s’il vous plaît, à haute voix.
(Patient : « 100 ») Doublez votre détente et regardez les chiffres commencer à disparaître.
(« 99 ») Regardez, les chiffres commencent à disparaître.
(« 98 ») Maintenant, ils sont presque partis… ça se produit. Vous devez le faire, je ne peux pas le
faire pour vous. Les faire disparaître, se dissiper, s’effacer. Sont-ils tous partis ? (Le sujet dit « oui
». Elman trouve qu’il est tout simplement « Trop fatigué pour continuer ».)
« Donc ces chiffres ont disparu complètement… bannis… Sont-ils partis ? Faites-les disparaître.
Je vais lever cette main et la laisser tomber, et quand je le fais, le reste de ces chiffres se
décrochent. Vous voulez qu’ils se décrochent et les regarder disparaître… Fini ? (« Oui. ») »

Ratification par les tests

Avec de l’habitude et une solide expérience, le sujet est en somnambulisme dès le « hand drop »,
sauf certaines personnes qui résistent. Avec ceux-là, il peut être intéressant de leur faire ouvrir les
yeux et de tout recommencer à zéro. En fait, il s’agira alors d’un fractionnement, et doubler ou
tripler l’opération voire plus (pyramidage) n’est pas un problème ! Cela constituera la preuve de
l’assertivité du praticien, de sa conviction profonde que le sujet va obtenir le somnambulisme.
Ensuite, quelques tests simples seront garants de l’état obtenu :
– Essayez de communiquer avec le consultant : il répondra avec un ton de voix lointain et une
verbalisation lente. Posez des questions concernant la problématique, vous serez surpris de
la justesse des réponses.
– Faites-lui ouvrir les yeux tout en lui demandant de rester en hypnose (regard fixe).
– Vous obtiendrez une amnésie juste en lui demandant de la produire !21
– Testez un début d’anesthésie légère suffisante (pincement de la main, par exemple).

A, B, C - Coma hypnotique - État Esdaile


Le Dr Esdaile, ayant exercé en Inde en 1845, utilisait l’état d’hypnose pour
induire une anesthésie et opérer des patients en chirurgie. Il constate une
réduction importante de la mortalité grâce à cette technique. En plongeant
les patients en hypnose par utilisation du « magnétisme animal », il
accomplit environ 1000 opérations de moyenne importance et 300
interventions majeures, dont des amputations, des ablations de tumeurs et
des opérations oculaires. À la même époque, on découvre les vertus du
chloroforme et la Société anglaise de médecine passe malheureusement
sous silence les expériences du Dr Esdaile.
Cet état appelé « l’état Esdaile » ou « coma hypnotique » produit une
anesthésie automatique ainsi qu’une catatonie.

« Vous savez comment fermer votre poing très fortement, n’est-ce pas, jusqu’à générer une
extrême tension ? Et vous savez aussi comment le détendre totalement jusqu’à atteindre la
relaxation ultime. Dans l’état dans lequel vous êtes, il y a encore trois niveaux. Nous allons les
nommer A, B, C, le niveau ultime de relaxation étant le niveau C. Je vais maintenant vous
demander de descendre au niveau A, en doublant votre détente. Par le biais d’un escalator
(escalier roulant) ou tout autre moyen de votre choix. Quand vous serez au niveau A, vous verrez
une pancarte A. Vous me le ferez savoir en disant A à haute voix. Allez au niveau A !
Le sujet : « A ».
Très bien ! À présent, je vais compter de 10 à 1 et à chaque chiffre vous allez continuer à vous
approfondir. C’est bien, mais vous pouvez aller encore beaucoup plus profond !
À présent, rendez-vous au niveau B. Prenez l’escalator et descendez à présent au niveau B… Vous
voyez une pancarte avec une flèche B. Votre détente va encore doubler ou même plus.
En arrivant vous verrez une pancarte avec la lettre B. Il vous sera difficile de prononcer B mais
essayez.
Le sujet : « B » (difficilement).
Voilà vous avez atteint le niveau B !
À présent, nous allons aller encore plus profond, suivez la pancarte C et descendez jusqu’au
niveau C, la base ultime de votre détente, votre niveau le plus profond. Lorsque vous serez à C, il
vous sera impossible de parler. Allez, maintenant à C ! »

Elman précise que l’état Esdaile permet une anesthésie sans aucune
suggestion de tout le corps ainsi qu’une catatonie permettant de positionner
une partie du corps de la meilleure manière, les membres et tout le corps
étant devenus souples et flaccides de par un antagonisme musculaire
idéal… Il précise, également, que malgré l’apparence comateuse, même s’il
n’arrive pas à répondre, le sujet n’est pas inconscient, entend et est capable
de relater à son « réveil » l’ensemble des conversations, sauf si une amnésie
spontanée se produit. Ce qui s’avère fréquent ! Comme pour l’état
somnambulique, des tests peuvent être conduits sur le sujet en transe,
comme par exemple la vérification de l’anesthésie du corps par le jeu d’un
clamp ou d’un objet pointu.

5 Autres inductions utiles


Voici quelques autres inductions permettant d’obtenir rapidement le
somnambulisme ou préparant le sujet à y entrer.

Les mains magnétiques (version Antony Jacquin)


L’originalité de cette induction provient de l’utilisation des affects. Elle est
le fruit de la constatation que l’émotion pouvant être régulée et réorientée
par l’état hypnotique, l’inverse se vérifie et l’émotion devient un inducteur
de profondeur, sans doute du fait d’une réorganisation cérébrale ponctuelle
au moment où elle est ressentie et de l’attention sur le corps qu’elle
entraîne.

« Pouvez-vous mettre vos mains en face de vous les bras tendus ? Pouvez-vous les joindre, les
deux paumes bien serrées ? Descendre vos mains jointes comme si vous faisiez une prière ?
Détachez et pointez vos deux indexs vers le ciel séparés par une certaine distance.
Regardez l’espace entre eux car dans un petit instant ils vont se toucher.
Comme deux aimants qui s’attirent. Regardez-les commencer à bouger. Imaginez qu’ils sont
aimantés et lorsqu’ils se touchent, fermez les yeux.
À présent, pressez fermement les deux paumes, entrez vos index et sentez vos mains qui se
serrent, les doigts imbriqués les uns dans les autres.
Maintenant, imaginez les visages de ceux que vous aimez le plus.
Voyez leurs yeux, leurs
sourires, entendez leur voix et ressentez tout l’amour que vous leur portez et d’où provient ce
sentiment.
À présent, tandis que vous ressentez tout cela, vos doigts se collent de plus en plus
en plus et fusionnent. Vous pouvez essayer de les séparer mais plus vous essayez, plus ils se
collent.
Vous ouvrez les yeux et vous ne pouvez toujours pas les séparer. Vous ne pourrez les séparer qu’en
descendant encore plus profond dans cette transe. »

Le « slam dunk induction »


Cette induction, d’apparence fort simple, s’avère très efficace soit
lorsqu’elle est pratiquée en début de séance, soit utilisée seule en
autohypnose.
Elle est basée sur une double catalepsie, celle des yeux qui est quasi
automatique et celle des bras. Le slam dunk ou smash, plus couramment
appelé dunk, est une action de jeu au basket-ball qui consiste à marquer en
projetant le ballon dans l’arceau, à une ou deux mains. Le dunk est une des
manières les plus spectaculaires de marquer un panier.
« Prenez une grande bouffée d’air et en expirant, relaxez-vous et permettez aux yeux de se fermer.
À présent, regardez à travers vos cils, en ouvrant très légèrement les yeux, l’ongle du pouce de la
main gauche. Puis, levez lentement votre bras en continuant de fixer votre pouce, et sentez
combien le bras devient lourd, répétez ce manège plusieurs fois jusqu’à ce que vous ne puissiez
plus du tout lever votre bras tellement il est lourd. Car la lourdeur double à chaque fois. À présent,
de la même manière, regardez le pouce de la main droite et levez la plusieurs fois. À chaque fois,
elle devient plus lourde, jusqu’à ce qu’elle s’immobilise d’elle-même entre votre jambe et votre
visage, à mi-parcours. Fermez les yeux. Descendez de plus en plus profond, tandis que vous
expérimentez une parfaite catalepsie de votre bras droit. »

La « triple bind conversational induction » du Dr Mike


Mandel
Cette induction permet d’obtenir une transe très profonde en quelques
minutes chez certains sujets particulièrement kinesthésiques. Elle est basée
sur les sensations internes et les ratifications du praticien. Elle utilise la «
transderivational search » (recherche interne) tirée du travail d’Erickson et
reprise par la PNL22.

Le praticien : « Êtes-vous prêt(e) à glisser en transe profonde ? Tandis que vous écoutez ma voix
et que vous sentez votre propre respiration, je souhaiterais que vous vous concentriez sur votre
sensation interne. Quelle est donc cette sensation que vous ressentez, maintenant ? »
Le sujet : « Une forme de chaleur. »
Le praticien : « Une forme de chaleur, bien ! Et où la situez-vous dans votre corps ? »
Le sujet : « Dans tout mon corps. »
Le praticien : « Dans tout votre corps ! (ratification) Eh, dites-moi, cette sensation est-elle en train
de bouger, de s’intensifier ou bien en êtes-vous de plus en plus conscient(e) ? (3B) »Le sujet : «
Cela s’intensifie. »
Le praticien : « Cela s’intensifie, et vous pouvez également remarquer combien, à présent, il est
facile d’entrer profondément en transe… Faites le maintenant ! (sleep) » Approfondissement.

Les miroirs de Stephen Brooks23


Cette induction que l’on doit à Stephen Brooks met en jeu une très forte
dissociation créatrice de profondeur. Elle reprend le travail de Maggie
Philips (décédée récemment) sur les états du Moi.

Le praticien induit une transe légère à moyenne en se servant d’images d’un vieux château et
d’une large tour qui le surmonte.
Le consultant ferme les yeux et s’imagine au centre de la tour après avoir emprunté un large
escalier et avoir monté une centaine de marches.
Il aperçoit son reflet dans un grand miroir ancien placé sur le mur de la salle.
En examinant son visage, il constate qu’il est entré en transe (mouvements dans les paupières,
symétrie du visage, respiration lente ou rapide, etc.).
Le thérapeute explique que des parties internes vont apparaître dans le miroir.
Le thérapeute « évoque » l’apparition de l’Inconscient dans le miroir à côté du sujet. L’inconscient
apparaît sous la forme soit d’un vieux sage soit d’un ange. De l’inconscient émergent des « moi »
jeunes corrélés à des moments importants de la vie du sujet.
Un moi plus jeune émerge à sa droite.
Un moi plus jeune encore émerge à sa gauche.
Le sujet discute de son problème avec les « moi » jeunes.
D’autres « moi » jeunes peuvent encore apparaître ou même des « moi » plus âgés qui proviennent
du futur. Le praticien discute avec le consultant et les différents « moi » et tente de résoudre la
problématique ou du moins de l’éclairer. Plus le consultant s’enfonce dans la transe, plus les
réponses et échanges deviennent « automatiques » et seront discutés après coup.
Très important : en fin de travail, réassocier tous les « moi » en les faisant entrer les uns dans les
autres comme des poupées russes et finalement, dans le « moi » sujet.

L’induction du 3-2-1
On attribue à Elizabeth Erickson cette induction basée sur les mécanismes
attentionnels (Grinder et Bandler, 2005). Cette technique était destinée à
l’autohypnose, et elle donne d’excellents résultats appliquée à la transe
profonde.

« Cette technique demande que l’on concentre notre attention sur les choses que l’on voit, entend
et ressent. On concentre notre attention sur ces éléments pour occuper notre esprit conscient.
Quand notre esprit conscient est occupé de la sorte, l’esprit inconscient lui est libre de travailler
sur les objectifs que vous lui donnez. Avant de vous décrire les détails spécifiques de la technique,
j’aimerais faire un survol des étapes précédant l’autohypnose : Assurez-vous d’être dans un
endroit calme et dans une position confortable et sécuritaire. Donnez-vous une limite de temps et
proclamez-la à voix haute. Ex. : Je pars maintenant en autohypnose pour une période de 15
minutes. Donnez-vous une autosuggestion reliée à l’objectif de votre session d’autohypnose. Ex :
Je m’endors de plus en plus rapidement le soir et me sens reposé et revitalisé à mon réveil.
Maintenant, voici les détails spécifiques du cycle externe de la technique : Regardez fixement un
point dans la pièce où vous êtes en ce moment. Gardez vos yeux fixés sur un objet ou une partie
de la pièce. Utiliser votre vison périphérique. Ne bougez pas la tête. Maintenant, prenez
conscience de 3 choses que vous voyez en ce moment. Enregistrez-les dans votre esprit en faisant
3 affirmations consécutives telles que : « Je vois la lampe… je vois la chaise… je vois la plante…
»
Maintenant, prenez conscience de 3 choses que vous entendez en ce moment. Enregistrez-les dans
votre esprit en faisant 3 affirmations consécutives telles que : « J’entends la pendule… j’entends
la voiture rouler dans la rue… j’entends les bruits de mon estomac… »
Maintenant, prenez conscience de 3 choses que vous ressentez en ce moment. Enregistrez-les dans
votre esprit en faisant 3 affirmations consécutives telles que : « Je sens mes cuisses sur la chaise…
je sens la chaleur du chauffage… je sens la relaxation en moi… » Prenez conscience de 2 choses
que vous voyez en ce moment. Prenez conscience de 2 choses que vous entendez en ce moment.
Prenez conscience de 2 choses que vous ressentez en ce moment Prenez conscience de 1 chose
que vous voyez en ce moment. Prenez conscience de 1 chose que vous entendez en ce moment.
Pour la dernière chose que vous ressentez, dites : « Je sens l’envie de fermer les yeux ».
Maintenant, fermez les yeux et tournez votre attention vers l’intérieur.
Maintenant, voici les détails spécifiques du cycle interne de la technique :
Maintenant, répétez le processus décrit ci-dessus, dans le cycle externe, mais cette fois-ci en
observant ce qu’il se passe à l’intérieur de vous. Observez ce qu’il se passe dans votre esprit.
Observez ce que vous voyez, entendez et ressentez. Il se pourrait que ce soit des choses que vous
imaginez ou des scènes que vous vous remémorez. Ça pourrait être n’importe quoi qui apparaît
spontanément dans votre esprit comme un objet, une photo, un son, une sensation et même une
émotion. Faites la même chose avec vos représentations internes. Laissez venir à la conscience 3
choses que vous voyez. Laissez venir à la conscience 3 choses que vous entendez. Laissez venir à
la conscience 3 choses que vous ressentez. Continuez avec 2-2-2 et 1-1-1 de chaque. Si vous le
désirez, tout ce cycle interne peut être répété pour prolonger la durée de la séance. »

Induction par mouvements oculaires rapides (REM)


Cette induction rapide est enseignée par Dr Mike Mandel. Elle est très
efficace et peut se pratiquer aisément en cabinet mais aussi en urgence au
bloc, par exemple. Elle prend appui sur les mouvements oculaires rapides
que chacun effectue pendant son sommeil, que l’on reproduit ici avec une
grande rapidité et qui installent une transe profonde en quelques secondes,
partant du principe que la transe hypnotique passe elle-même par une étape
de mouvements oculaires rapides et qu’en les faisant consciemment on
initie l’état profond. Voici la formule créée par le Humans Given Institute
en Angleterre qu’utilise Mike Mandel :

« À présent, je souhaiterais que vous preniez soin de ne plus bouger ni la tête ni le corps. Fermez
les yeux et détendez-vous ! En inspirant, ouvrez les yeux et regardez le bout de mon index que j’ai
placé proche de vos yeux. Toujours sans bouger, suivez avec attention les mouvements de mon
index (qui deviennent de plus en plus rapides, montant et descendant et allant même en zig zag).
Puis, refermez vos yeux et continuez à regarder les mouvements de mon index à l’intérieur de
votre tête, imaginez-le allant de droite à gauche. »
Puis Mandel passe une main derrière la tête du sujet et avec l’autre main prend fermement sa main
gauche étendue sur sa jambe, et il intime « Dormez » tout en basculant gentiment le haut du corps
du sujet vers le bas, le tout rapidement mais avec délicatesse… La transe est obtenue en quelques
secondes !
Induction de l’univers en rotation (Daniel Goldschmidt)
Cette induction a été créée et pratiquée par nous depuis les années 2000,
suite à la lecture des ouvrages de l’astrophysicien Hubert Reeves. Elle
procure une hypnose profonde en peu de temps à condition que le narrateur
mette l’accent sur la présence dans « l’ici et maintenant » des éléments
appelés.

« Je souhaiterais que vous fermiez les yeux et que vous commenciez à ressentir profondément
votre propre présence et notamment, le fait que nous tournions actuellement dans l’espace, au
moment même où je vous parle, entraînés par la rotation de la Terre sur elle-même. Vous pouvez
ressentir également, dans le même temps, la rotation de la planète autour du soleil qui s’effectue
sur environ un an. Le soleil se déplace également dans la galaxie, capté lui-même par le
mouvement global de la Voie Lactée et si vous prêtez bien attention à votre corps, à votre
respiration et même aux bruits ambiants, en laissant dériver le son de ma voix, si vous vous
concentrez totalement sur le fait que nous flottons d’une certaine manière tous dans l’espace, votre
bras pourrait automatiquement et de lui-même se déplacer et flotter à son tour. »
La plupart du temps, le sujet entre en transe et la catalepsie du bras s’installe. Interrogé sur les
souvenirs de la séance, le sujet répond, la plupart du temps, qu’il n’écoutait plus, tout occupé à
ressentir les mouvements astronomiques.

6 Conclusion
Les inductions de transe profonde sont utiles, comme on l’aura compris, à
la fois pour approfondir rapidement l’état hypnotique du consultant et aussi,
dans certains cas, constituent de véritables leviers thérapeutiques. Très
souvent, il n’est pas obligatoire de les pratiquer en totalité, le niveau
profond étant obtenu rapidement et la stabilité de la transe étant atteinte
simplement.
Elles deviennent vite indispensables lorsqu’on les utilise dans un contexte
hospitalier ou psychothérapeutique et, bien sûr, au bloc opératoire ou en
urgence.

Points à retenir

L’hypnose profonde repose sur trois piliers essentiels :


l’obtention par le biais d’inductions d’un état dit
somnambulique, permettant les effets d’hypnose tels
qu’amnésie, hallucinations, catalepsies, régressions, etc.
et de l’état de coma hypnotique, pouvant être utile
notamment en médecine.
le partage d’un secret avec l’Inconscient, pierre angulaire
de la thérapie, permettant de briser la résistance
consciente et de travailler en profondeur, suivi, le cas
échéant, d’amnésie.
les états profonds de l’hypnose constituent un dispositif
suggestif suffisamment puissant pour entraîner des
automatismes inconscients capables d’assurer des
recadrages efficaces et la psychothérapie de traumas
difficiles.

7 Situation 3 : Gérard et ses crises anxieuses


Le lecteur aura noté combien, à certaines époques, la pratique de l’hypnose
profonde a possédé des frontières connexes avec la magie, la voyance et ce
qu’il est convenu de nommer aujourd’hui les « expériences exceptionnelles
». Elles sont difficiles à étudier scientifiquement, car elles surviennent sans
raison apparente, aux détours d’un suivi. Elles se retrouvent néanmoins
tout au long de l’histoire de l’hypnose, depuis le marquis de Puységur (fin
xviiie siècle) jusqu’à James Ramey (années 2000). Le cas dont je vais vous
entretenir, à présent, s’est présenté au cours d’un travail clinique. Ce type
d’évènements n’est pas fréquent et il mérite d’être signalé. Il représente, de
surcroît, un exemple de phénomènes hypnotiques productibles en hypnose
profonde se soldant, lorsqu’ils fonctionnent, par un « soulagement éclair »
et parfois la disparition quasi instantanée des symptômes pour une durée
qui reste, néanmoins, à déterminer.

Présentation de l’approche clinique de Daniel


Goldschmidt
J’exerce l’hypnose thérapeutique en libéral dans la région parisienne,
depuis les années deux mille, après des études de psychologie en France et
aux USA et un ensemble de stages et d’enseignements d’hypnose. Ma
clientèle est variée comme c’est le cas dans les zones peuplées des grandes
villes, avec sa clinique habituelle de souffrances psychologiques et
psychosomatiques (troubles anxieux, dépressions réactionnelles ou
chroniques, phobies diverses, deuils, ruptures sentimentales ou
professionnelles, somatisations de conversion, etc.) Mes séances durent
environ une heure et font appel à plusieurs techniques dont les T.C.C., la
psychologie positive, un brin de psychanalyse, la sophrologie et surtout
l’hypnose.
À mes débuts, j’utilisais abondamment les techniques de P.N.L., ayant suivi
les enseignements d’Année Linden et Steven Goldstone du New York
Training Institute for N.L.P. (double dissociation pour les traumas,
régression en âge « à la cause », etc.), techniques issues de l’observation du
travail de Milton Erickson systématisées par Bandler et Grinder et
enseignées dans de nombreuses écoles et instituts. Un peu plus tard, je me
suis intéressé à l’hypnose classique dite « directe », hypnose ancienne et
souvent efficace, pour finir par réaliser que Milton Erickson n’était indirect
que par moments et très direct, au contraire, à d’autres occasions.
La lecture de L’homme de février, récit d’une thérapie brève en cinq
séances, fut une forme de révélation. Pour la première fois, toute la palette
des effets d’hypnose et leur utilisation thérapeutique sous forme de
régression réelle et d’hallucinations en état somnambulique
m’apparaissaient. Ce fut ma première rencontre avec un recadrage
hypnotique en transe profonde, opération par laquelle le thérapeute introduit
un élément clé qui va faire basculer l’histoire de vie de la personne.

Dans L’homme de février (1989), Ernst Rossi et Milton Erickson


démontrent comment ce dernier vient à bout d’une dépression
chronique chez une jeune infirmière en lui faisant halluciner sa
présence sous la forme d’un oncle attentif et prévenant, qui
revient régulièrement en février, lui apportant des cadeaux et
meublant son extrême solitude.
Ma méthode est simple : je prends le temps nécessaire pour établir le «
rapport », passage indispensable qui désamorce, en partie, la résistance,
permettant concentration et entrée en profondeur. Puis, je m’efforce de créer
le somnambulisme à l’aide de techniques issues de l’hypnose rapide : tests
hypnotiques, catalepsies diverses, mouvements involontaires dont
lévitations, inductions par les mouvements oculaires, induction d’Elman,
écriture automatique, répétition des inductions. Ou bien, plus simplement,
en utilisant le silence qui est un levier puissant. Si l’ensemble est fluide, le
consultant entre dans le jeu et y prend plaisir comme un enfant qui joue.
Ensuite, je ne m’adresse plus au Conscient et demande des signes de
présence à l’Inconscient par le biais de mouvements idéomoteurs. Le reste
de la séance se passe sous forme de dialogues entre l’Inconscient du
consultant, moi-même… et mon propre Inconscient, déclenchant la transe
de l’opérateur, faite de lucidité accrue (expansion) et d’immersion dans
l’ensemble de la bulle contextuelle. Toutefois, je ne vois pas les deux
instances psychiques des deux protagonistes comme radicalement séparées,
mais comme une seule et même conscience possédant plusieurs niveaux…
Je ne crois pas à la disparition du Conscient au cœur de la transe mais à sa
dilution provisoire dans l’océanique de l’Inconscient (absorption) ; raison
pour laquelle, le seul fait d’interagir avec l’Inconscient « en direct »
entraîne, rapidement, la profondeur.
Le mot d’une consultante : « Je n’ai plus écouté car vous ne vous adressiez
pas à moi ! »
Par ailleurs, j’ai constaté que l’état hypnotique somnambulique peut advenir
sans induction, spontanément, à condition que la transe du praticien
rencontre celle du consultant au milieu d’un contexte ritualisé et sécure…
Le passage du « vous » (lorsque je m’adresse au Conscient) au « tu »
(lorsque je m’adresse à l’Inconscient) constituant un appel, une réification
et une métaphore, permettant d’induire la dissociation nécessaire.

Présentation de la situation clinique


Il faisait beau, ce jour-là. C’était un temps sans COVID, sans masque et
sans gel. J’avais replanté quelques iris et le jardin embaumait de leur odeur
subtile. À l’heure dite, la sonnerie de l’entrée résonna et je vis arriver un
homme encore jeune, plutôt agréable de par sa démarche et ses vêtements.
On aurait pu l’assimiler à un étudiant si ce n’était la blancheur de son teint
et les profondes rides sur son visage.
J’associe, souvent, l’humour à mon discours car « [l]’humour est l’unique
remède qui dénoue les nerfs du monde sans l’endormir » (Robert Escarpit).
Aussi je lui posais quelques questions badines sur les fleurs qu’il préférait.
Visiblement, il avait hâte d’éviter les préliminaires et les coups d’œil qu’il
jetait un peu partout semblaient indiquer une forte anxiété. Je le fis asseoir
dans le cabinet et écoutai.
Il souffrait d’intenses crises d’anxiété depuis maintenant plusieurs années,
qui tournaient souvent en trouble panique, avec souvent, une sensation de «
mort imminente » et s’était fait conduire, plusieurs fois, en urgence à
l’hôpital. Bien évidemment, les médecins l’avaient rassuré sur son état
physiologique qui, vu son âge (42 ans) et l’exercice physique auquel il
s’adonnait, était excellent. Comme souvent dans le cas de trouble anxieux,
il était parcouru de mouvements automatiques type tics et présentait
quelques TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs) importants. Il expliqua
ne pas comprendre « ce qui lui arrivait », menant une vie plutôt sans
problème auprès d’une épouse aimante et exerçant un travail régulier dans
l’Éducation nationale. Ses troubles avaient soudainement démarré lors
d’une période de vacances, alors que sur une plage ensoleillée, il lisait un
roman d’été. Seul point négatif, un de ses meilleurs amis avait péri il y a
trois ans, emporté par un cancer très agressif.
Son généraliste l’avait placé sous anxiolytiques et le psychiatre de l’hôpital
avait affiné la prescription en lui donnant un antidépresseur. Le traitement
avait fonctionné quelques temps, mais il avait rechuté assez rapidement en
présentant les mêmes symptômes certes moins paroxystiques mais aussi
handicapants.
On lui avait parlé de l’hypnose et de son efficacité sur l’angoisse mais il me
déclara tout de go être parfaitement non réceptif, ce que j’interprétai comme
le besoin de garder le contrôle, ce qui est souvent le cas chez les personnes
anxieuses. Je lui donnai alors des explications rassurantes sur l’hypnose et
sur tous les mythes et légendes sans fondements qui l’enrobent encore.

Présentation du suivi
▶ La première séance : les tests
Je lui dressai un schéma de l’hypnose telle que je la pratiquais, prenant bien
soin d’éliminer de mon vocabulaire toute allusion à une perte de contrôle ou
même un sommeil. Je lui expliquai le Conscient et l’Inconscient, magnifiant
la puissance de celui-ci et tentant de donner un sens à ses troubles en les lui
présentant comme des tentatives inconscientes de résoudre un conflit
intérieur. Visiblement, Gérard – le prénom que nous lui donnons – n’était
pas porté sur la psychologie, a fortiori sur la neurologie mais il me dit
trouver mes explications recevables et même rassurantes. C’était un «
honnête homme » au sens classique du terme, plutôt ouvert et sans égo
démesuré. Je lui demandai s’il acceptait de faire des tests et ayant reçu son
accord, glissai plusieurs phrases à l’intention de l’Inconscient : « Ça va être
intéressant de voir comment cette partie interne de vous-même va réagir »,
« en fait, il s’agit de jeux comme les enfants que vous côtoyez utilisent dans
les cours de collège. Rien de grave ni d’angoissant, donc ! »
Il répondit parfaitement aux tests, les mains galopèrent l’une vers l’autre, la
catalepsie du bras fut très rapide et une lévitation spontanée se mit en place.

Les tests
Les tests hypnotiques font partie d’une séance d’hypnose
profonde. En théorie, ils servent à permettre au praticien d’évaluer
l’hypnotisabilité du consultant mais constituent, en fait, de
véritables inductions capables de plonger ce dernier dans une
transe légère, moyenne, ou profonde. Il est bon de commencer
par ceux-ci car ils suffisent souvent à amorcer la séance. Ils
consistent à créer chez le consultant une série d’effets d’hypnose
qui se cumulant finissent par plonger ce dernier dans un état de
stupeur.
On retiendra pour la facilité à les utiliser en séance :
1) Les doigts magnétiques : Faire fermer les mains l’une
contre l’autre comme en position de prière puis faire sortir
les indexs de part et d’autre, en les écartant. Ensuite
donner l’instruction que les indexs vont se diriger l’un vers
l’autre et se toucher en bout de course. Ce test fonctionne
sur presque tout le monde. Il faut reconnaître qu’une partie
de l’effet provient de la fatigue musculaire des doigts,
l’automaticité fonctionnant, néanmoins, à la fin.
2) Les mains magnétiques : Les deux mains se font face et se
dirigent automatiquement l’une vers l’autre pour finalement
se toucher paume contre paume. Donner la suggestion que
la transe s’approfondit, lorsque les deux mains se joignent.
3) Demander que les yeux se ferment soit volontairement soit
en fixant un objet, par fatigue (Braid). Puis le consultant se
concentre sur ses paupières et les détend complétement.
On lui explique que l’entrée en hypnose se soldera par la
catalepsie des paupières. Les muscles de cette région ne
fonctionnent plus.
On lui demande alors de faire le test, lui-même, et d’ouvrir
doucement les yeux.
Si les paupières résistent et ne s’ouvrent plus, c’est gagné !
Si ce n’est pas le cas, on recommence autant de fois qu’il
le faut !

Je regardais ses mains s’agiter. Lorsque je levai les yeux, Gérard était dans
une transe que je pouvais qualifier de profonde, absorbé, les yeux fermés, et
un demi-sourire aux lèvres.
Le trouble anxieux du type « crises de panique » possède un versant
dissociatif et l’hypnose est facilitée chez ce type de personnes.
Néanmoins, je fus quelque peu surpris d’une réaction aussi forte et me
frottai mentalement les mains en me disant que cette histoire se présentait
bien !
Je mis de nombreuses minutes à sortir Gérard de sa transe et lorsqu’il fut
pleinement présent à nouveau, nous prîmes quelques temps pour discuter de
cette première séance. Je fis allusion à un trauma éventuel. Il me confia
s’être posé la question mais ne voyait pas d’évènement de sa vie capable
d’entraîner de tels malaises, faisant l’impasse sur le décès de son ami.
Nous conclûmes de nous revoir bientôt afin de mener l’enquête ensemble.
▶ La seconde séance : navigation entre différents états
Une semaine passa et Gérard me fit savoir par SMS qu’il avait été sujet à
une nouvelle attaque de panique trois jours après notre premier entretien. Il
la décrivait comme plus faible qu’habituellement et plus courte aussi. Je ne
tentai pas de suggestion sur un mieux possible, car je sentais intuitivement
que le mécanisme psychologique qui déclenchait les malaises restait entier.
Si l’accès au trauma est « protégé » par une transe profonde immédiate,
c’est que l’Inconscient a de solides raisons pour cela. Nous décidâmes donc
d’une date proche pour nous revoir et continuer le travail. La conversation
fut longue et visiblement, Gérard avait été intrigué et séduit par la sensation
particulière qu’il avait éprouvée en hypnose, constituée, selon lui, de
relâchement et d’une forme de tendresse profonde qu’il avait ressentie, «
comme un maternage », me dit-il.
Lorsque Gérard franchit à nouveau le seuil de mon cabinet, je compris qu’il
était déjà dans un état hypnotique léger : son élocution était ralentie et la
fixité de son regard était manifeste. Je n’eus aucun mal à le guider vers un
état somnambulique que je décidai de mettre à profit pour explorer plus
avant la problématique. Je lui expliquai, alors, que je désirais m’entretenir
directement avec son Inconscient sans que son Conscient interfère et passai,
sans prévenir, du « vous » au « tu », l’ayant prévenu que lorsque je le
tutoierai, c’est que je m’adresserai à son inconcient. Faire parler
inconsciemment en transe profonde est possible et peut même être utilisé
comme une méthode d’approfondissement, à condition d’avoir entraîné la
personne auparavant à cette pratique, lui faisant atteindre un état profond et
lui demandant de laisser les paroles « sortir librement de sa bouche ». Cette
dernière technique prenant du temps, je décidai de l’interroger par le biais
des idéomoteurs, mouvements des doigts codifiés au préalable ou battement
des paupières droite et gauche signifiant « oui » et « non ».

Les mouvements dits idéomoteurs sont réputés automatiques et


permettent souvent, si la transe est suffisamment stable,
d’entamer une série de questions/réponses avec le personnage
inconscient, après avoir codifié les réponses (par exemple un
doigt de la main droite pour dire « oui » et un doigt de la main
gauche pour dire « non »). Très souvent, le consultant ne s’en
rend pas compte et peut même les émettre en transe légère, ces
mouvements étant souvent contraires à ce qu’il dit consciemment.
On peut faire un lien avec le décodage du langage corporel qui
constitue une mine d’enseignements pour le praticien.

À la question du ou des traumas initiaux, le signal « oui » fut solide et


immédiat. Par contre, très rapidement, Gérard passa d’un état
somnambulique à un état de coma hypnotique, les idéomoteurs cessèrent,
ainsi que tout contact avec l’extérieur. Mes efforts pour le faire sortir de cet
état n’aboutirent pas. Je décidai, alors, de profiter de la stabilité du niveau
dans lequel il était pour parler à l’Inconscient. En effet, si le coma
hypnotique ou état stuporeux selon Erickson serait, pour certains auteurs,
sans intérêt, j’ai néanmoins remarqué qu’un contact peut être établi avec
l’Inconscient, qui porte ses fruits en différé, même si une amnésie totale le
recouvre. Je décrivis la problématique en détail le plus précisément
possible, demandai son aide en lui recommandant très respectueusement
d’enquêter de son côté, afin de s’assurer des causes profondes des troubles
anxieux. Toujours aucune réponse !
Je posai alors la question suivante : « Serais-tu d’accord pour au cours
d’une prochaine séance essayer l’écriture automatique ? » Je lui expliquai
alors le procédé et m’en tins là. Après une ou deux minutes de silence total,
Gérard donna des signes de « retour » et émergea. « Je ne me souviens de
strictement rien ! me dit-il avec un éclat de rire. Par contre, je me sens très
bien ! » En le raccompagnant et sur le pas de la porte, je lui expliquai que
j’avais l’intention d’essayer l’écriture automatique à la prochaine séance. À
ce moment précis, sa main droite eut un sursaut (signal oui) dont il ne se
rendit pas compte. Je tenais ma réponse !
▶ La troisième séance, écriture automatique

À la séance suivante, Gérard me sembla détendu et désireux de commencer


le plus vite possible. Il avait connu quelques épisodes anxieux depuis notre
dernière rencontre mais se sentant soutenu, il les avait considérés comme
des symptômes s’inscrivant dans un système qui prenait sens, ce qui en
minorait le retentissement. Si « la peur d’avoir peur » (phobophobie)24 était
moindre, il n’en restait pas moins une angoisse de fond qu’il ne parvenait
pas à dominer. Nous discutâmes longtemps de son enfance sans histoires, de
sa vie maritale très équilibrée et de l’apparition de ses premiers symptômes
sur cette plage ensoleillée d’un mois d’août sans histoire. Puis, presque
naturellement, silencieusement, il entra de lui-même dans un état profond
que je calibrai comme somnambulique : paupières agitées de tressautement,
symétrie du visage, mouvements automatiques des membres légers, phrasé
lent et neutre. Je remerciai l’Inconscient et lui proposai l’écriture
automatique. Le signal « oui » fut immédiat. Gérard avait les yeux fermés et
les ouvrit très peu, juste suffisamment pour percevoir le bloc que je lui
tendais. Je mis un stylo dans sa main et après quelques minutes, il
commença à tracer ce qu’au début j’identifiais comme des gribouillis. Un
idéomoteur persistant dans sa main gauche attira mon attention. Le
mouvement semblait m’enjoindre de mieux regarder le dessin et à plusieurs
reprises un cercle fut tracé autour d’une zone précise. Je réalisai qu’il
s’agissait d’un ensemble de croix.
Les croix semblaient posséder un socle commun et pointaient vers un ciel
figuré par des formes de nuages ou de brumes.
La main s’arrêta, Gérard ouvrit les yeux, sourit et me demanda : « Alors, ça
donne quelque chose ? » Contre toute attente, je ne dis mot, subtilisai le
dessin que je plaçai dans ma poche de veston et répondis : « Intéressant,
mais demande réflexion ! On en parle la prochaine fois ? » Il avait pris, je
pense, l’habitude de me faire confiance et prit congé en disant : « Vous me
direz, hein ? En tout cas l’hypnose me fait du bien et je me sens toujours
mieux en partant ». Le soir venu, je repensai à la séance et plaçai le dessin
sur ma table de travail. Mon impression initiale se confirmait. Ces croix
dessinées esquissaient un paysage lugubre, faisant penser à un cimetière,
des tombes alignées à l’infini dans un ciel de fin du jour.
▶ La quatrième séance

De retour à mon domicile, je ne pus m’empêcher de songer à notre séance.


Je relus un chapitre de L’Art de la thérapie d’Irving Yalom : celui consacré
à la Mort et à la pression inconsciente qu’elle exerce sur l’être dans le cadre
des forces qui régissent son existence. Gérard, d’évidence, n’était pas serein
concernant l’issue incontournable de toute existence sur terre, mais qui
l’est, vraiment ?
Un peu plus tard dans la soirée, j’ouvris cet ouvrage déjà ancien qui
constitue un dialogue entre un Maître et un Américain perdu au cœur de
Bombay, cherchant un sens à sa vie : Je suis de Sri Nissagadarta Maharadj
(1985).
Question : Et qu’est-ce que la mort ? Maharadj : « C’est un changement
dans le processus de vie d’un corps déterminé. L’intégration cesse et la
désintégration commence (…) Dans la mort, seul le corps meurt. La vie ne
meurt pas, ni la conscience, ni la réalité. Même le corps n’est jamais aussi
vivant qu’après la mort. » Et enfin, cette phrase que le Maître adresse à son
disciple : « Ne crains rien. Tu ne peux mourir car, en vérité, tu n’es jamais
né ».25
Gérard vint très à l’heure à sa séance. Il se sentait mieux mais rien n’était
réglé, selon lui. Il avait subi deux mini crises et se rendre à son travail était
difficile. Je pris le parti de ne discuter de rien, ni du dessin, ni des raisons
profondes de ces malaises. Il entra en transe facilement comme un enfant
qui s’endort, en suivant des yeux mon stylo qui dessinait des arabesques
dans l’air et qu’il continua à contempler les yeux fermés (induction visuelle
par mouvements alternés), passant ainsi d’une image réelle à une image
interne (voir le début de ce chapitre sur les inductions). Je commençai à
parler à l’Inconscient.
Je lui expliquai en détail les théories indouistes, lui parlai des instincts de
vie et de mort et citai à plusieurs reprises comme un koan Zen la phrase de
Maharadj : « Tu ne peux mourir, puisque tu n’es pas né ! » Je reçus de
nombreuses réponses comportementales. Les doigts s’agitaient et «
persévéraient » à des moments clés de mon discours et la tête bougeait de
droite et de gauche, tandis que la respiration s’intensifiait. Je pensais : « Je
suis ridicule avec cette histoire. Je ne vois pas, en fait, l’intérêt de la
manœuvre car Gérard n’a jamais ni de près ni de loin ouvert un livre de
spiritualité ou ne s’est intéressé à tout cet exotisme suranné ». Puis je pris
conscience du fait que j’avais réalisé un recadrage de sens par suggestion,
créant un décor pour finalement rendre le concept de mort recevable. Il
reprit conscience, sortit de la transe et me déclara qu’il ne se souvenait de
rien, tout comme les fois précédentes. J’attendais un flot de questions de sa
part qui ne vinrent pas. Il me tapa sur l’épaule, me remercia comme à
l’accoutumée et dit qu’il m’appellerait demain pour « faire le point !
»â€©J’attendis son appel qui ne vint jamais. je décidai de l’appeler
quelques jours plus tard. Sa femme pris l’appel et d’un ton enjoué
m’informa que Gérard allait « très bien ! » Le temps passa, le téléphone
sonna un soir. Gérard avait une très bonne voix. Nous plaisantâmes un
moment puis je dis sur un air faussement triste : « Alors, on ne va plus se
voir ? » « C’est dommage, dit-il, mais vous avez terminé votre boulot, et je
vous remercie ! » À ce jour, près de deux ans après les séances, Gérard n’a
pas rechuté. Son psychiatre a baissé les médicaments et il est réputé tiré
d’affaire.

Commentaires
Les croyances peuvent être utiles ! Aussi bien celles du consultant que
celles du praticien. Je dois reconnaître que je me suis beaucoup intéressé, à
une époque, au bouddhisme et à l’hindouisme. La conception d’une
Conscience globale habitant la matière est séduisante et l’étude en amateur
de certains pans de la physique moderne a, sans doute, conforté chez moi
certaines réflexions inconscientes. Pouvons-nous concevoir que, dans ce cas
précis, il y eut communication intime entre mes croyances et l’esprit de
Gérard en transe profonde, par le biais de suggestions que j’adressai à son
inconscient ? La neurologie semble indiquer qu’il existe bien une pensée
inconsciente structurée (Lionel Naccache, Le nouvel inconscient, 2006,
Odile Jacob), même si, selon Naccache, cette pensée capable de complexité
est évanescente, correspondant à des modules spécialisés peu équipés pour
la mémorisation à long terme.
L’inconscient de Gérard, après un travail interne de traitement des
informations, aurait souscrit à la théorie que j’ai délivrée, et expédié un
message apaisant au Conscient anxieux de sa propre disparition. Ce qui ne
prouve pas que les dires de Maharaj sont vérifiés mais plutôt qu’ils donnent
un sens à l’absurdité de la Mort, mettant fin au retournement amygdalien,
processus de protection inconscient déclenchant anxiété et panique, ces
états ayant pour but de préserver la vie en tentant de placer le sujet à l’abri.
On ne manquera pas de faire un parallèle quelque peu iconoclaste entre les
techniques utilisées en hypnose telles que la métaphore ou la parabole et les
enseignements orientaux bouddhistes et hindouistes tels que définis comme
des techniques d’induction mais aussi de recadrage, la croyance du disciple
créant un champ de conscience adéquat à l’obtention d’un état permettant
l’absorption aisée des suggestions. Le recadrage en transe profonde apparaît
alors comme un excellent mode psychothérapeutique, l’amnésie
antérograde évitant la rumination consciente et permettant l’implantation
aisée des suggestions.
15. Braid évoque deux types d’amnésie spontanée, l’une irréversible et l’autre pouvant être levée par
le biais d’un retour en hypnose. Dans ce cas et selon les essais que nous avons réalisés, il semble que
l’amnésie soit irréversible, la patiente se souvenant juste que j’ai parlé à son inconscient, mais « vu
que ça ne [la] concernait pas, [elle] n’[a] pas écouté ».
16. Hyperesthésie : augmentation de la sensibilité qui rend certaines sensations pourtant anodines
(tactiles, thermiques) douloureuses ou excessivement ressenties.
17. Du nom d’Esdaile (1808-1859), célèbre chirurgien écossais qui opérait aux Indes.
18. Walter Sicchort, hypnotiseur et mentaliste, était capable d’induire chez son assistante Mary
Borgessi l’état Esdaile mais également l’état catatonique. Un jour, celle-ci tomba dans un état très
particulier caractérisé par de nombreux mouvements oculaires (REM) et une extrême flaccidité
musculaire. Après la mort de Sichort en 2000, ses élèves donnèrent le nom « d’état Sichort » à ce
stade de grande profondeur qui aurait des vertus de guérison rapide et d’actualisation de certaines
manifestations parapsychologiques.
19. « Le Protocole Simpson se connecte avec l’esprit “supérieur” du consultant et lui permet de faire
tout le travail de “guérison” (dans le sens le plus large possible du terme). Cet esprit supérieur ou ce
que nous appelons (parce que nous avons besoin d’un mot) le Supraconscient est apparemment cette
partie de notre esprit qui semble reliée à l’inconscient collectif, et à toute sagesse et connaissance. Ce
n’est pas une forme de foi ou un truc de conte de fées. Cette partie de l’esprit semble avoir le pouvoir
d’ajuster et de réparer ce qui est le plus nécessaire pour le consultant et cela, qu’il le sache ou non (ou
nous les hypnotiseurs). Cela n’a rien à voir avec les besoins conscients du consultant. C’est, semble-
t-il, l’œuvre pure de l’esprit. Et nous sommes capables d’atteindre cette partie “supérieure” de l’esprit
en utilisant des niveaux “profonds” d’hypnose qu’on appelle l’état d’Esdaile (bien que peu importe le
nom que vous utilisez car l’état peut être testé) et, de là, d’accéder à plusieurs » “niveaux” de l’esprit
ou autre qui facilite un changement optimal pour le consultant. » (Extrait du site internet du Protocole
Simpson, 2021)
20. Il composa notamment avec son ami W.C. Handy le fameux « Atlanta Blues » interprété par
Louis Armstrong.
21. « Et vous n’oublierez pas d’oublier de vous souvenir ! »
22. La « transderivational search » (TDS) est tirée du travail d’Erickson et consiste à proférer un
ensemble de suggestions aussi vagues et ambigues que possible, afin que le sujet soit conduit à
examiner intensément ses propres ressentis, sensations ou pensées par rapport à l’énoncé, ainsi qu’à
construire ses propres objets internes. L’effort et la concentration résultants de ce procédé conduisent
souvent vers une transe profonde, à condition que l’opérateur n’en profite pas pour introduire ses
propres croyances dans le monde interne du sujet. L’induction par poignée de main d’Erickson est un
exemple de ce procédé.
23. Né en 1949, de nationalité anglaise, Stephen Brooks vit depuis plus de trente ans en Thaïlande
d’où il enseigne une hypnose ericksonienne mâtinée de bouddhisme. Il est considéré par beaucoup de
ses anciens élèves comme un très grand instructeur.
24. La phobophobie est la peur d’avoir peur. Pour être plus précis, le phobophobe a peur de ses
réactions s’il avait à affronter une situation difficile. C’est l’habituel « cercle vicieux » qui aboutit à
la panique.
25. Nisargadatta Maharaj (mars 1897 - 8 septembre 1981) est un guru indien de la doctrine de
l’Advaita Veda-nta, ou non-dualité. Son enseignement se fit connaître en Occident, notamment au
travers du livre intitulé I Am That (« Je suis »).
Chapitre 5

L’hypnose profonde selon


M.H. Erickson

T. Servillat

1 Introduction

2 Points principaux concernant l’approche ericksonienne de


l’hypnose profonde

3 Les écrits ericksoniens sur l’hypnose profonde

4 Aspects techniques

5 Conclusion : mais quand l’hypnose profonde est-elle utile


?
6 Situation 4 : Gilles, un rapport difficile au père

Il n’existe aucun article consacré spécifiquement à la transe


profonde dans les travaux des élèves d’Erickson, et le maître lui-
même n’a au sens strict écrit qu’un seul texte sur le sujet, l’article
dont il aurait été le plus fier nous dit-on (Beahrs, 1971).

1 Introduction
Les éléments qui constituent cet article relèvent essentiellement de notre
compréhension des échanges que nous avons eus avec des élèves directs de
Milton Erickson : Steve Lankton, Steve Gilligan, Michael Yapko, Jeffrey
Zeig, d’autres aussi ; et surtout Roxanna Erickson Klein. Ayant avec le
temps mélangé les différents souvenirs de mes entretiens et séminaires, il
nous sera souvent impossible de citer des références précises (si tant est
qu’elles soient publiées) concernant les éléments de ce texte qui aura la
structure suivante :
– Nous préciserons d’abord 14 points généraux posant les principaux
repères pour le lecteur ;
– Nous irons ensuite voir les textes d’Erickson sur le sujet, afin
d’approfondir et de préciser autant que possible les éléments
principaux qu’ils contiennent ;
– Nous compléterons ces textes par la présentation de modes atypiques
d’induction de transe profonde : les thérapies de choc et la
provocation.

2 Points principaux concernant l’approche


ericksonienne de l’hypnose profonde
1) Incertitude à définir précisément ce qu’est hypnose. Ce point est
essentiel. Il faisait dire à Erickson que dans un tiers des cas, il ne
savait pas si ce qu’il faisait était de l’hypnose ou non. La pluralité de
définitions possibles de l’hypnose est jusqu’à un certain point utile.
Erickson parlait principalement tantôt « de dissociation », tantôt de
recherche interne.
2) C’est le patient qui fait l’hypnose et non le thérapeute (ce dernier
fait « le cadre »). Cette position d’Erickson est également de
première importance. Sa divergence avec Clark Hull s’est
manifestée très tôt lors des études médicales d’Erickson et n’a pas
varié depuis.
3) Le degré de profondeur de l’état hypnotique n’est pas quelque chose
d’essentiel. Il n’y a pas à s’en préoccuper lorsque le travail
thérapeutique se passe bien. C’est lorsque celui-ci est difficile qu’il
peut être pertinent de se poser la question. Y a-t-il un intérêt
d’approfondir la transe ou est-ce que les solutions, si solutions il y a,
relèvent d’un travail d’une autre nature ?
4) Les techniques d’induction d’hypnose profonde ne sont pas
notablement différentes des techniques d’induction d’hypnose légère
à moyenne. En termes ericksoniens, l’hypnose profonde consiste à
être quasiment totalement en contact avec notre inconscient, gardant
juste une toute petite partie de notre conscience pour être en contact
avec notre environnement, environnement qui peut inclure un
thérapeute ou non. Les techniques ericksoniennes d’induction
reposent donc principalement sur les suggestions, principalement
directes, d’approfondissement de la transe, même si Erickson, par
son goût pour l’utilisation, privilégie autant qu’il le peut l’approche
utilisationnelle pour induire la transe profonde.
5) L’inconscient étant « plus intelligent que le conscient », il est en
pratique recommandé, lorsque l’on ne sait pas la profondeur qui est
utile, de laisser l’inconscient du patient décider, et même de lui
demander de déterminer lui-même la profondeur de transe qui est
nécessaire pour que le travail puisse s’accomplir.
6) Du point de vue ericksonien actuel (Gilligan, Yapko, Lankton,
Erickson-Klein), la transe hypnotique est envisagée, plutôt que
comme un état, comme un processus dynamique lors duquel le sujet
vit des alternances de transe légère, moyenne, profonde et aussi des
moments d’éveil. C’est la notion de « vagabondage » proposée par
Roxanna Erickson, notion qui inclut la dimension ludique et
éventuellement amusante (fun) que son père mettait dans la pratique
de l’hypnose (J. Haley, 1973). Une sorte de promenade à des
profondeurs variées de transe (qui amène à se poser la question de
savoir si le patient est en hypnose ou non, selon le moment de la
transe considéré).
7) Cette conception dynamique de la transe relativise la préoccupation
classique de se demander si le patient est en transe ou non. Dans les
conceptions d’Erickson, tout être humain en bonne santé passe une
bonne partie de sa vie en transe hypnotique, qui est vue comme un
fonctionnement naturel et le plus souvent spontané de l’être humain
(notion de transe commune de la vie quotidienne (common everyday
trance)).
8) Cette conception naturaliste de l’hypnose permet de comprendre les
propos d’Erickson lorsqu’il disait que s’il gardait plus de deux
heures un patient en consultation, quoi qu’il fasse (on doit entendre
ici à condition qu’une relation soit bien établie entre thérapeute et
patient), le patient entrait en transe.
9) À la lumière du point précédent, il faut comprendre que si Erickson
gardait ses patients environ deux heures en général (voire
davantage), cela ne signifiait pas qu’il faisait systématiquement ni
même souvent de l’hypnose profonde. Il en faisait lorsqu’il pensait
cela nécessaire et pertinent, car par ailleurs il considérait aussi qu’un
certain nombre de patients avait besoin d’une thérapie de leur esprit
conscient (ou parties conscientes de leur esprit). Il trouvait utile de
donner des explications (auquel cas il disait qu’il ne faisait pas
d’hypnose). Dans d’autres cas, il racontait des anecdotes et des
histoires, et nous savons comme il est facile d’entrer en transe quand
nous écoutons une histoire ou une anecdote bien racontée sur un ton
hypnotique). Il faisait de l’humour, et nous savons au moins depuis
Koestler (Koestler, 1964) combien l’humour peut partager avec
l’hypnose, en tout cas dans la conception ericksonienne de celle-ci,
de nombreux points communs. Quant aux explications, nous savons
combien, lorsque nous donnons des informations pertinentes à nos
patients, pour peu que nous utilisions des métaphores, nous pouvons
très souvent constater qu’ils entrent en transe.
10) Erickson encourageait ses étudiants à inventer pour chaque patient
non seulement une thérapie différente, mais aussi une théorie
différente. Ce rapport particulier à la théorie contribue à éclairer la
complexité du point de vue ericksonien sur la transe profonde. Il
avait probablement un point de vue utilisationnel sur la théorie,
celle-ci devant être utile pour les interlocuteurs qu’il avait. D’où sa
réticence à trop se lancer dans des élaborations théoriques. De ce
point de vue, l’article sur la transe profonde de 1952 représente une
sorte d’exception. On peut penser que la satisfaction d’avoir écrit cet
article venait de ce qu’il arrivait à y exposer une conception assez
simple de ce en quoi consistait son approche de l’hypnose : une
partie inconsciente de l’esprit, pleine de ressources, mais enchâssée
dans une gangue plus ou moins épaisse de croyances limitantes
conscientes (Erickson, 1952). Il est piquant de constater combien
cette conception était voisine de celle de Charcot (Bouchara, 2013),
surtout quand on sait qu’Erickson lisait celui-ci.
11) Précisons maintenant que ces positions semblent compatibles avec
les caractéristiques de l’inconscient telles que nous les avons
proposées dans notre ouvrage sur l’autohypnose : inconscient plutôt
ludique, enfantin, corporel, ayant besoin d’être sollicité et orienté
(Servillat, 2019).
12) Abordons maintenant un point assez difficile de l’utilisation
ericksonienne de l’hypnose profonde. Comme nous venons de le
voir, Erickson était donc loin d’avoir toujours la préoccupation
délibérée d’induire une transe profonde. Il pouvait l’avoir, mais il
pouvait aussi ne pas s’en préoccuper. Ce qui comptait pour lui
beaucoup plus était la question de la résistance. Il avait à cœur
d’aider ses patients, et vivait souvent comme un challenge le fait d’y
parvenir. Il aimait avoir affaire à des patients résistants car cela
stimulait sa créativité thérapeutique et le faisait, comme nous dirions
actuellement, sortir de sa zone de confort. Cela l’a amené à
concevoir des techniques non orthodoxes à son époque. À ses
étudiants, afin de les encourager à s’aventurer de cette manière, il
conseillait de ne pas se préoccuper de leur renommée
professionnelle. C’était en fait un message de confiance pour qu’ils
puissent développer leur créativité, et il leur répétait sans cesse de «
faire confiance à leur inconscient » pour cela. On peut considérer
que la créativité d’Erickson a pu culminer dans l’art de ce qu’il
appelait de deux termes différents désignant une réalité très proche
sinon identique : la « provocation » et les « thérapies de choc ». Il
précisait à leur sujet que ces approches menaient souvent (ce qui
veut donc dire pas toujours, et aussi que ce n’était pas un but en soi)
à des transes profondes. Il n’est pas dans notre propos de les décrire
ici mais nous illustrerons ce point important par notre cas clinique.
13) Précisons ici que les techniques non orthodoxes évoquées dans le
point précédent restent toujours actuellement peu enseignées, ou le
sont en tout cas de manière très intermittente. Il existe relativement
peu de formateurs dans ce domaine : Jacques Antoine Malarewicz,
notre maître, le faisait. Actuellement, citons Patrick Bellet, Stefano
Colombo, Yves Doutrelugne et nous-même. Remarquons à quel
point les femmes sont absentes de cette liste puisque pour trouver
une autrice sur ce sujet il faut quitter le champ spécifique de
l’hypnose pour évoquer les thérapies d’impact de Danie Beaulieu.
14) Enfin, il semble aujourd’hui pertinent de faire progresser la
définition de l’hypnose en allant plus loin que les notions
d’inconscient et de conscience (comme les phénoménologues l’ont
compris, toute conscience étant « conscience de quelque chose »
(Husserl), il est très difficile de la définir de façon précise). Ainsi
Rossi a pu le faire en proposant la notion de lumière (du symptôme
à la lumière) et d’illumination. Une telle évolution est en accord
avec les acquis de la phénoménologie, notamment celle développée
par Michel Henry (2011).

3 Les écrits ericksoniens sur l’hypnose


profonde
Regardons maintenant les principaux textes d’Erickson sur l’hypnose
profonde afin d’y chercher un maximum de précisions.

Deux textes préparatoires


Deux textes préfigurent l’article consacré spécifiquement au sujet et qui ne
paraîtra qu’en 1952 :
Déjà dans un premier article de 1939, « Les applications de l’hypnose en
psychiatrie », Milton Erickson expose un certain nombre de points de vue
qu’il reprendra ultérieurement. Particulièrement, il énonce un problème
général : comment choisir d’utiliser tel ou tel phénomène hypnotique26.
Concernant l’hypnose profonde, la question de comment utiliser l’amnésie
« qui se développe pour tous les événements de la transe à la suite de
l’hypnose profonde ». Il précise que « l’amnésie hypnotique peut être
contrôlée, manipulée, dirigée, selon le bon vouloir de l’expérimentateur ».
C’est certainement en tant que chercheur qu’il s’exprime, mais on sait que
l’hypnose profonde est une technique importante pour créer une amnésie de
la séance lorsque celle-ci a pu mobiliser des éléments éprouvants.
Plus important pour notre sujet, l’article de 1944 sur « hypnose et médecine
». Il y aborde des éléments pour lui essentiels. En premier, l’importance de
la coopération entre thérapeute et patient, précisant que la technique pour
induire l’hypnose, que celle-ci soit superficielle ou profonde, repose avant
tout sur leur relation : « Contrairement à des superstitions traditionnelles et
tenaces évoquant la fixation du regard, les boules de cristal et des passes
avec les mains, la technique d’induction de l’hypnose repose avant tout sur
la relation interpersonnelle qui existe entre le sujet et l’hypnotiste ». Cette
coopération est centrale et « est une bonne technique toute technique qui
permet à l’hypnotiste d’obtenir rapidement une coopération convenable
dans cette forme de relation interpersonnelle hautement spécialisée†‰ ».
Également, l’importance de l’identification et de la prise en compte des
besoins du patient : « L’hypnotiste compétent est celui qui est capable
d’adapter sa technique aux besoins individuels de chaque sujet ». Afin
d’expliciter ces besoins, il illustre la notion en évoquant les patients ayant
besoin d’être « dominés », ou « cajolés », ou « persuadés », précisant
encore : « Certains sujets souhaitent dominer la situation et placer
l’hypnotiste dans un rôle d’assistant qui ne fait que les guider, d’autres
préfèrent être hypnotisés par une longue série de suggestions répétitives, et
d’autres encore faire l’expérience introspective du processus qui les conduit
en transe. Parfois la relation est de type autorité-obéissance, parfois de type
père-fils ou encore médecin-patient et souvent simplement une relation
entre deux personnes égales fortement intéressées par un problème
important ». C’est dire la diversité des besoins des patients et l’importance
primordiale de s’y adapter pour les aider à parvenir à la transe profonde. De
plus, Erickson aborde aussi les différences entre hypnose légère et hypnose
profonde, même si les manifestations de transe hypnotique varient aussi
selon la personnalité des sujets. Il ajoute ensuite une phrase essentielle pour
notre propos : « Cela étant dit, des phénomènes que l’on rencontre
d’habitude avec l’hypnose profonde, chez certains sujets, peuvent survenir
en transe légère et vice versa, en fonction de la personnalité du sujet et de
ses besoins psychologiques du moment ». Nous voyons donc que pour
Erickson il n’y a pas de clinique absolue de l’hypnose profonde, Erickson
précisant ensuite que « les tentatives pour décrire avec précision les
différents niveaux de transe ont surtout un intérêt théorique ». Enfin, sur les
indications de la transe profonde, Erickson y précise aussi sa philosophie, et
celle-ci est complexe : « Pour l’utilisation médicale, on peut se satisfaire
soit d’une transe légère soit d’une transe profonde, selon la nature et les
caractéristiques de l’objectif thérapeutique à atteindre ». Si Erickson éveille
notre intérêt en évoquant l’importance de l’objectif thérapeutique dans cette
question, il n’en dit pas plus. Il précise ensuite un autre facteur pour choisir
la transe profonde : si la transe légère ne convient pas. Mais, là aussi, il
nous laisse dans une complexité, ne disant pas sur quels critères nous
pouvons-nous appuyer pour affirmer que la transe légère n’est pas adaptée.
En tout cas, ce n’est pas seulement en cas d’échec de celle-ci, car Erickson
évoque que le choix de la transe profonde peut se faire « immédiatement ».
Plutôt que de théoriser la question, il évoque : « Seule l’expérience peut
apprendre le type de transe qui est nécessaire. Il précise, enfin, c’est-à-dire
pour terminer son propos, que le choix de l’hypnose profonde peut être fait
suite à « l’échec à obtenir des résultats en transe légère ». L’article de 1952
reviendra sur cette question des indications.

L’article de 1952 : « L’hypnose profonde et son induction


»
La lecture de cet article nous fournit de nouveau un paradoxe, encore plus
clairement : dans ce texte, Erickson ne semble toujours pas parler
exclusivement de l’hypnose profonde. Il est clair qu’il ne souhaite pas isoler
cette question du reste de son discours sur l’hypnose. Si spécificité il y a
dans cette pratique, cette spécificité est complexe et doit aussi être
relativisée. Avec le temps, Erickson maintient son propos commencé 15 ans
avant, au risque de nous laisser parfois dans une certaine confusion.
À aucun moment Erickson ne semble faire l’apologie de l’hypnose
profonde. Au contraire, sa première phrase situe l’importance du sujet
général de l’induction des transes quelle que soit leur profondeur : « Le
problème de l’induction d’état de transe satisfaisant est au cœur de tout
travail hypnotique ». Ainsi, Erickson attache une grande importance à la
technique et précise : « Même l’induction de transes légères et leur maintien
à un niveau constant est une tâche difficile. » La transe profonde n’est donc
pas plus difficile pour lui à induire que les autres.
Erickson va ensuite aborder ce qu‘il appelle « état de transe satisfaisant »,
insistant rapidement sur une de ses conceptions essentielles : chaque patient
est différent, et même unique. Dans son approche, la technique doit être du
sur-mesure vis-à-vis de ce patient unique (tailoring). C’est ensuite au temps
qu’Erickson s’intéresse pour toujours prendre en charge l’unicité de chaque
patient : le temps dont a besoin un patient pour entrer en transe et pour
développer des phénomènes hypnotiques varie énormément d’un sujet à
l’autre, mais aussi, selon les moments, pour un même patient en fonction de
nombreux facteurs comme son humeur. D’une façon générale, les patients
ont besoin de temps pour entrer en transe profonde.
Il en vient à aborder la pierre de touche de sa technique : l’utilisation du
comportement du sujet. Pour cela, il précise préalablement qu’il est tout à
fait nécessaire de distinguer le travail d’induction de la transe de celui
d’utilisation de celle-ci. Ce sont deux mécanismes totalement différents
comme, précise Erickson, les techniques mises en œuvre par le chirurgien
sont différentes de celles mises en œuvre préalablement par l’anesthésiste.
En distinguant clairement voire radicalement l’induction et l’utilisation, la
préoccupation d’Erickson est de protéger le travail avec l’inconscient de
contaminations possibles par des éléments venant de l’esprit conscient.
Erickson semble, et on sait qu’il croyait vraiment à l’existence de
l’inconscient, vouloir préserver une sorte de pureté (même s’il n’utilise pas
ce terme) qu’aurait le travail en hypnose profonde. Il n’a jamais parlé de
l’hypnose profonde comme ayant une dimension spirituelle mais il paraît
permis de l’envisager.
L’auteur quitte ensuite ce qu’il nomme des « considérations générales »,
sortes de commentaires d’autant plus précieux qu’ils sont assez peu
abondants dans une œuvre faisant surtout appel à la narration de cas. Et
c’est dans la suite de cet article qu’il va simultanément approfondir ses
conceptions concernant la transe profonde et détailler ses points de vue en
psychopathologie. Reprenons d’abord ceux-ci car leur importance est
majeure.

La notion d’Inconscient est au centre de la conception psychopathologique chez Erickson. Pour


lui, l’Inconscient est la zone créative de l’être humain, réservoir de ressources qui, dans les
problématiques névrotiques qui sont les plus fréquentes en pratique, est enserré dans une « gangue
» qui entoure l’inconscient en l’étouffant. Cette gangue névrotique est constituée principalement
par les croyances limitantes du conscient du patient. En privant l’Inconscient du pouvoir de se
déployer, cette gangue, analogue à celle qui enserre nombre de pierres précieuses, l’empêche de
manifester ses effets bénéfiques sur la santé. Cette gangue peut donc être plus ou moins épaisse,
plus ou moins difficile à franchir. C’est le rôle du thérapeute que d’aider le patient à contacter son
inconscient. Il le fait, quand il y arrive, en étant à l’affût des ouvertures, de fissures,
éventuellement de trous dont il va s’ingénier à augmenter le diamètre.
Précisons encore que si pour beaucoup de thérapeutes ericksoniens l’inconscient est une
métaphore, Erickson disait à son entourage proche qu’il y croyait vraiment (communication
personnelle avec sa fille cadette, Roxanna Erickson). Ce qui nous a permis de proposer que cet
inconscient ait comme principales caractéristiques d’être, outre orienté vers la santé, intégralement
positif, protecteur et bienveillant, corporel, enfantin, ludique, joyeux, ayant besoin d’être sollicité,
encouragé, et orienté (Servillat, 2017).

Une remarque ici s’impose également : l’inconscient d’Erickson n’est pas


l’inconscient freudien. Il le définissait simplement comme « tout ce qui
n’est pas conscient » et, répétons-le, il le croyait profondément utile à la
santé. Erickson n’était pas un dogmatique et il n’est nullement nécessaire
d’adhérer à son point de vue, même si Roxanna Erickson-Klein (2014) peut
insister sur l’importance de considérer l’inconscient comme une entité
totalement et intégralement positive, faute de quoi on risque de perdre une
partie considérable du mécanisme d’efficacité particulière de l’approche
ericksonienne de l’hypnose. Ainsi, une alternative possible à la notion
d’inconscient nous paraît être celle de « vivant » proposée par François
Roustang s’inspirant de Hegel et des travaux du phénoménologue Michel
Henri (Henri, 2011).

Autres apports
Les autres points importants qu’Erickson abordent dans son article sont :
– l’importance d’entraîner les patients suffisamment longtemps pour
qu’ils puissent s’émanciper des croyances préalables qui pourraient
limiter les possibilités de la transe profonde. Le but d’un tel
entraînement peut particulièrement porter sur le fait d’apprendre au
patient qu’en transe profonde, il est tout aussi possible de parler
qu’en transe légère. Il y a donc à agir sur la croyance consciente
limitante qui impliquerait que l’on soit conscient quand nous parlons.
Concrètement, Milton Erickson préconise, pour apprendre aux
patients à parler en transe profonde (ce qui est fort utile), la pratique
de l’écriture automatique, suivie de l’apprentissage de la lecture
silencieuse de ce qu’ils ont écrit, puis de l’articulation en silence de ce
qu’ils lisent, pour ensuite passer facilement à l’état final en
transformant l’activité motrice d’écrire ou d’articuler en silence en
véritable émission de parole. Il précise que l’apprentissage de
l’analgésie et de l’anesthésie procèdent de même, tout comme celui
des hallucinations, de la régression, de l’amnésie et d’autres
phénomènes hypnotiques.
– Figure aussi dans ce paragraphe une phrase lourde de conséquences
pour notre sujet : « On doit souvent apprendre au sujet à prendre en
compte ses aptitudes à bien fonctionner, que ce soit un niveau
conscient ou un niveau inconscient ». Ce que Roxanna Erickson Klein
précise parfois lors de ses ateliers de la façon suivante : « Toute
thérapie est une double thérapie, celle du conscient et celle de
l’inconscient. »
– Concernant la définition de l’hypnose profonde, Erickson commence
par énoncer : « L’hypnose profonde est le niveau d’hypnose qui
permet au sujet de fonctionner directement un niveau inconscient et de
manière adaptée, sans interférence de l’esprit conscient. » Ainsi, la
réalité du patient en transe profonde est constituée « d’abstractions, de
souvenirs et d’idées », et ce indépendamment des forces qui régissent
son esprit conscient. Ainsi : « La réalité de l’environnement extérieur
dans lequel il baigne n’est pertinente que dans la mesure où elle est
utilisée dans la situation hypnotique ».
– Concernant le mécanisme d’action thérapeutique de la transe
profonde, Erickson précise : « La réalité de la transe profonde doit
nécessairement s’accorder aux besoins et à la structure fondamentale
de la personnalité dans son ensemble ». C’est la condition même pour
que la transe profonde puisse libérer le patient de l’emprise d’un
comportement névrotique tout en respectant totalement sa
personnalité. Erickson précise l’intérêt de ce point notamment pour la
rééducation, car la couche névrotique, pour lui, ne dénature pas le
noyau central de la personnalité. On voit ici une grande différence
entre l’approche ericksonienne et la psychanalyse. Erickson propose,
dans la continuité de certains magnétiseurs qui l’ont précédé, qu’une
guérison peut rester totalement inconsciente, dans le sens où elle ne
modifie pas l’esprit conscient. Il ajoutera même qu’il est dans de
nombreux cas préférable que les mécanismes de la guérison restent
inconscients.
– Concernant la distinction entre transe stuporeuse et transe
somnambulique, l’auteur là encore relativise les différences que
d’autres pourraient trouver radicales. Il s’agit fondamentalement des
mêmes phénomènes. Le sujet en transe somnambulique est certes en
apparence réveillé. Mais ce n’est qu’une apparence. Si les sujets en
transe somnambulique montrent une apparence d’être éveillés, ce
n’est pas parce qu’on leur a appris un fonctionnement particulier mais
au contraire « parce qu’ils ont été entraînés à se fier entièrement à
leur propre schéma inconscient de réaction et de comportement ».
– Quant aux sujets en transe stuporeuse, ayant un comportement passif
marqué par un ralentissement à la fois psychologique et
physiologique, ils manquent au contraire de « ces comportements
spontanés et des initiatives si caractéristiques de l’état somnambulique
quand on les laisse se produire ». D’où leur réponse incomplète, leur
perte de la capacité à prendre conscience du moi, ce qui peut les faire
apparaître au praticien non averti comme des patients sous l’effet de
narcotiques. Erickson précise que cet état de stupeur est difficile à
obtenir du fait, semble-t-il, « de leur refus de perdre leur conscience
d’eux-mêmes en tant qu’individus ». La transe stuporeuse paraît donc
une sorte de renoncement (temporaire) à l’individuation. Cela nous
paraît rejoindre les intuitions de la phénoménologie qui peut
préconiser d’être notre corps et uniquement lui dans une sorte de
néant d’où va apparaître le vivant sous la forme de sentiments
(Henry).
La dernière partie de l’article considère différents problèmes liés à
l’induction de la transe profonde.
En premier, Erickson revient sur la nécessité pour le thérapeute comme
pour le patient de distinguer l’induction et l’utilisation de la transe. Car
c’est la « préoccupation essentielle », faute de quoi les comportements
propres à l’induction vont se poursuivre dans l’état de transe. Et de ce fait,
les comportements de l’état de transe deviennent alors un mélange incluant
des éléments propres au comportement conscient, ce qui n’est pas souhaité.
Car il est nécessaire de reconnaître et de différencier le comportement
conscient du comportement prenant sa source dans l’inconscient. Erickson
insiste également sur l’importance de prendre en compte le besoin de
protection de l’ego pour obtenir une coopération profonde, inconsciente,
afin d’induire des transes profondes.

Sur un plan technique, Erickson précise :


– Une autre façon de procéder est de demander au sujet en
transe légère de « faire un rêve très vivant, très agréable, d’y
prendre plaisir et, dès qu’il est terminé, de l’oublier et de ne
plus s’en souvenir jusqu’à ce que la personne en ait envie
dans une situation favorable ».
– Une autre méthode consiste à demander au sujet en transe
légère de cacher au thérapeute une information plutôt intime
que le sujet n’identifie pas complètement (par exemple le
deuxième prénom). Ceci permet que le sujet puisse
comprendre qu’il n’est pas un automate et qu’il peut donc
coopérer avec plaisir avec le thérapeute.
– Une autre méthode encore est d’exprimer de la
reconnaissance au patient pour les services qu’il rend : les
patients ont besoin d’être reconnus pour les efforts qu’ils
font, d’abord en transe puis après celle-ci, afin d’obtenir leur
coopération.

Une aventure partagée


Erickson va terminer son texte sur plusieurs points qui lui tiennent
particulièrement à cœur :
– Une dénonciation de la tendance à accorder une importance exagérée
à ce que fait le thérapeute et à sous-estimer ce que fait le patient. On
sait qu’à l’époque où il suivait le séminaire de Clark Hull, il s’agissait
déjà d’un point de divergence fondamental avec son professeur. Cela
le restera jusqu’à la fin de sa vie. Le rôle du thérapeute peut être vu
comme celui d’un incubateur : il n’est que de créer des circonstances
favorables, un cadre pour que le patient puisse travailler. Souvent, ce
sont les techniques mises en place par le thérapeute pour contourner
les résistances du patient qui sont mises en valeur. Pour Erickson, il
est important d’envisager que le patient veut coopérer d’une manière
qui corresponde à ses propres besoins et qu’il y a donc à utiliser les
comportements de ce dernier plutôt que de les considérer comme de la
résistance. Ces comportements de « résistance » doivent plutôt être
vus comme une manière de mettre à l’épreuve le thérapeute et de
déterminer sa volonté en tant que patient d’aller à sa rencontre. Forcer
ces résistances n’est donc pas l’éthique d’Erickson. Celui-ci
mentionne le cas d’une patiente demandant à être hypnotisée debout.
– L’hypnose profonde est une « aventure partagée » où le thérapeute
stimule le sujet afin qu’il fasse les efforts nécessaires.
Particulièrement efficace avec les patients les plus intelligents et les
plus intéressés, elle l’est avec tout le monde. Accepter et utiliser la
résistance est la manière la plus satisfaisante de procéder. Une petite
astuce peut d’ailleurs consister à demander à l’inconscient du patient
de partager un secret avec le thérapeute (voir le chapitre proposé par
Daniel Goldschmidt).

4 Aspects techniques
Le rôle de la confusion
Comme si Erickson peinait à terminer son texte, ou comme s’il voulait nous
surprendre, en toute fin d’article il va aborder les techniques de confusion.
La technique de confusion, si elle peut induire des phénomènes particuliers,
est particulièrement utile pour les transes profondes. Erickson précise
qu’elle donne ses meilleurs résultats avec les sujets « intelligents »
intéressés par les processus hypnotiques, et aussi qui ont des réticences
conscientes à aller en transe même s’ils y sont prêts inconsciemment. La
confusion consiste dans la présentation de séries de suggestions différentes
les unes des autres, contradictoires et ne paraissant pas agrégées les unes
avec les autres. Elle demande au sujet de changer constamment
d’orientation. En essayant de s’adapter à ces confusions, le patient se sent
tellement déconcerté qu’il accepte volontiers n’importe quelle suggestion
positive qui lui permettra de sortir d’un tel malaise. La confusion est donc
une technique de déstabilisation, déstabilisation créée par celle, volontaire,
du thérapeute qui présente l’apparence d’être quelqu’un de déficient. La
technique de confusion se montre d’une grande valeur dans l’induction
d’une amnésie étendue avec régression du sujet. Nous n’en reprendrons pas
ici la technique, très bien décrite dans l’article, mais aborderons simplement
un point particulier : lors de la régression du patient à une période
antérieure à sa rencontre avec le thérapeute, il est important de s’attendre au
fait que le patient va transformer la personne de son thérapeute en une autre
personne réelle ou imaginaire, et le thérapeute va favoriser cette
transformation pour que le patient se sente à l’aise à communiquer avec
cette personne.

La technique de répétition
Il s’agit d’une autre forme d’induction de transe profonde qui « consiste à
retenir certaines formes de comportement qui semblent prometteuses et à
les faire répéter au sujet, d’abord mentalement puis effectivement ». Par
exemple, chez un sujet répondant mal à des suggestions d’écriture
automatique, on va saisir ses réponses partielles hésitantes que l’on cadre
comme un réel succès, ce qui permet au sujet de les répéter mentalement en
introduisant de nouvelles variables, en hallucination. Un seul aspect,
simplifié, de cette technique de répétition est généralement enseigné en
France, qui consiste à induire une transe chez le patient, ensuite le réveiller
pour de nouveau induire une transe et le réveiller, ceci un certain nombre de
fois.
L’auteur, avant de terminer son article, cite brièvement les techniques de
multidissociation (double dissociation, voire triple ou davantage), et les
techniques posthypnotiques (« à chaque fois que vous le souhaiterez, vous
pourrez fermer les yeux pour retrouver un état d’hypnose encore plus
profond ») qu’il utilise également souvent pour induire les transes
profondes.

Le choc thérapeutique : une pratique ericksonienne


explicitée tardivement
Cet article ne saurait être complet sans aborder une pratique d’Erickson
qu’il a probablement commencé à pratiquer assez tard dans sa carrière, et
que Rossi a explicitée dans un article de 1972, soit neuf ans avant la mort
d’Erickson. Le texte de Rossi, intitulé « Choc psychologique et moments
créatifs en psychothérapie », constitue un deuxième éclairage conséquent
sur l’hypnose profonde. Rossi le présente comme un aspect fondamental du
travail d’Erickson et nous partageons ce point de vue. Il s’agit des chocs
thérapeutiques, techniques « pour briser des attitudes et des schémas de
comportement mal adaptés afin que le thérapeute puisse aider le patient à
recentrer ses apprentissages de vie d’une façon plus constructive. »
Déjà dans « Les techniques naturalistes en hypnose », Erickson évoque le
cas d’une lycéenne de 16 ans qui suce son pouce, et à laquelle il s’adresse
en évoquant les parents de celle-ci : « Et je n’aime pas la façon dont vos
parents m’ont ordonné de vous faire cesser de sucer le pouce. Me donner
des ordres, à moi, hein ! C’est votre pouce et votre bouche et pourquoi
diable ne pourriez-vous pas le sucer si vous en avez envie ». Et plus loin : «
Ce que j’aimerais faire, c’est vous apprendre à sucer votre pouce avec
suffisamment d’agressivité pour énerver diablement vos vieux. » Erickson
précise que le mot « diablement » captiva totalement la jeune fille.
Le choc est une manière d’interpeller directement l’inconscient et ses
ressources, y compris les ressources identitaires les plus profondes, les
valeurs, etc., ainsi que j’ai pu le montrer (Servillat, in Bioy, 2017 ; Servillat,
à paraître).
Ainsi, le troisième cas de l’article de Rossi concerne une jeune femme qui
ne supporte pas que son mari la voie nue. Lors d’un entretien préparatoire,
il lui fait anticiper la séance où son mari sera présent, en évoquant l’aspect
athlétique de son mari, introduisant une ambiance de contrainte d’une façon
habile en faisant intervenir un point de vue personnel qui va s’avérer être un
moyen subtil de créer une contrainte pour la patiente : « Bon, votre mari
mesure 1,90 m, pèse 105 kg, il est robuste. J’ai une mauvaise claudication.
Je mesure 1,70 m, je pèse 75 kg. Il ne fait aucun doute que, physiquement,
je ne fais pas le poids devant votre mari. Je veux que vous restiez
tranquillement assise sur cette chaise. Votre mari va vous faire tenir assise
là. Je peux vous dire, et je suis sérieux, de rester assise là. Maintenant je
vais vous faire quelque chose, et je veux que votre époux observe ». «
Maintenant je vais commencer à relever votre jupe (la mode était à l’époque
aux jupes à mi mollets) un tout petit peu sur vos cuisses, j’arrêterai de la
remonter seulement quand vous serez dans une transe profonde ». La
séance est continuée toujours sur le même principe, en la faisant imaginer
qu’elle regarde son corps nu dans une glace, etc.
Le choc va souvent de pair avec la surprise. Ainsi Erickson mentionne deux
exemples dans un de ses articles sur le sujet. Par exemple avec les enfants,
le thérapeute peut pointer un coin vide de la pièce et demander de façon
autoritaire27 : « Décris-moi avec tous les détails le chien qui est là-bas ! »
ou « Lequel des deux chiens préfères-tu ? Celui qui a des taches ou celui
qui est coloré ? » Noter l’utilisation subtile du double lien dans la dernière
suggestion, cette technique donnant lieu fréquemment à l’obtention d’une
hallucination vivace qui est ensuite utilisée pour obtenir d’autres
phénomènes de transe profonde. Ou avec cette femme qui avait déjà passé
une vingtaine d’heures en thérapie sans pouvoir entrer en hypnose : «
Fermez-la, asseyez-vous de n’importe quelle manière sur cette chaise,
relaxez-vous et allez dans une transe profonde maintenant ! »

Quelques techniques post-ericksoniennes


Michael Yapko a pu expliciter certaines techniques conçues dans l’esprit
d’Erickson qu’il appelle des techniques d’intensification (c’est-à-dire
d’approfondissement) de la transe (Yapko, 2003). Il propose une technique
de l’escalier (voir chapitre de D. Goldschmidt) ; Yapko préconise aussi
d’utiliser des suggestions composées verbales du type « tandis que vous
faites X, vous pouvez faire Y », comme : « Tandis que vous fermez les
yeux, vous pouvez prendre une respiration profonde et relaxante ». Les
suggestions composées manuelles impliquent, elles, de lier des suggestions
d’approfondissement à une expérience suggérée sur un plan physique,
généralement des suggestions d’aller plus profond en hypnose tout en
expérimentant des sensations physiques qui renforcent les suggestions. Par
exemple, en prenant une des mains du patient pour l’élever et suggérer : «
Pendant que je laisse lentement et doucement descendre votre main sur
votre cuisse, vous pouvez descendre lentement et tranquillement encore
davantage en hypnose. »
La technique de fermeture des « yeux de l’esprit » favorise également
l’installation d’une transe profonde. Elle consiste à donner des suggestions
d’imaginer la présence d’un « œil de l’esprit » comme une partie de l’esprit
restant active en pensée et en imagination tandis que le corps se relaxe : «
Exactement comme vous avez des yeux qui peuvent voir le monde autour
de vous, vous avez un œil intérieur que vous pourrez appeler l’“œil de
l’esprit”… et il peut voir des images élaborer des pensées même lorsque
vous vous relaxez profondément… et vous pouvez penser que votre œil de
l’esprit a une paupière… et comme vos yeux physiques, votre paupière de
l’esprit devient progressivement davantage fatiguée et lourde, et elle peut
commencer à tomber… et tandis qu’elle commence à se fermer elle ferme
doucement les pensées et les images parasites et peut laisser votre esprit
parfaitement tranquille et ouvert, et libre d’expérimenter tout ce que vous
aimeriez… et il se ferme de plus en plus… et votre esprit devient plus
tranquille, plus reposé… et maintenant l’œil de votre esprit peut se
fermer… et fermer toutes les pensées et les images parasites que vous ne
vous voulez pas voir interférer avec votre relaxation… »
Enfin, le silence peut également être utilisé avec des suggestions que le
patient peut maintenant « avoir un temps de silence pour apprécier la
profonde relaxation de l’hypnose et le merveilleux calme intérieur » : «
Vous pouvez même approfondir votre niveau de confort », « Vous pouvez
prendre 60 secondes du temps de votre horloge pour apprécier une période
silencieuse durant laquelle vous pouvez approfondir votre relaxation encore
davantage (ou durant laquelle vous pouvez vous préparer à une relaxation
encore plus profonde) » (Yapko, 2003).
En ce qui nous concerne, nous apprécions particulièrement d’induire des
transes profondes par la répétition de petits exercices hypnotiques courts.
Cette présentation très modeste favorise là aussi la mise au travail du
patient. Ils ne suggèrent pas la transe profonde et celle-ci peut donc
s’installer lorsque le patient en a vraiment besoin.

5 Conclusion : mais quand l’hypnose profonde


est-elle utile ?
Nous terminerons ce chapitre avec la question récapitulative : « Quand
l’hypnose profonde est-elle utile ? » Une question qui peut aussi être posée
sous la forme : « Quand est-il utile de mobiliser l’essentiel de l’attention du
patient vers son inconscient ? » L’hypnose profonde semble être utile dans
les différents cas suivants :
– Lorsqu’il s’agit de protéger, grâce à l’amnésie qui en résulte, l’esprit
conscient de matériaux éprouvants douloureux voire traumatiques.
– Lorsque l’hypnose superficielle à moyenne ne suffit pas à la réussite
d’objectifs semblant pourtant réalistes. Ou pour le dire autrement,
lorsqu’il y a une résistance.
– Lorsque le patient exprime une demande de transe profonde qui
semble réfléchie et mûrie. Il faut parfois laisser la fonction d’expertise
au patient lorsque celui-ci semble pressentir que la transe profonde
peut être la source d’insights décisifs.28
– Pour permettre la pratique de certaines suggestions post-hypnotiques
susceptibles d’être efficace si le patient ne se rappelle pas avoir reçu
ces suggestions.
– Lors de la pratique de certaines régressions en âge.
– Enfin, une autre fonction paraît aussi être la mobilisation des affects.
Les travaux de Leslie Greenberg (2021) nous ont appris que celle-ci
joue un rôle essentiel en psychothérapie, ainsi qu’Erickson en avait
l’intuition. C’est en ce sens que nous développons personnellement ce
que nous appelons l’hypnose provocative, et nous la développons
particulièrement avec l’utilisation de la colère.

Points à retenir

Nous avons essayé de présenter l’approche qu’avait Milton


Erickson de l’hypnose profonde. Comme nous l’avons dit, elle
semble contradictoire, voire paradoxale. L’hypnose profonde,
avec les techniques qui la favorisent (confusions et répétition
notamment), tout comme les techniques puissantes qui
généralement la provoquent (traitements de choc), a une
importance centrale dans sa pratique et dans son œuvre. Et
pourtant, obéissant à une sorte de principe de parcimonie,
Erickson réserve l’hypnose profonde à un nombre de cas
minoritaires. À la fois centrale et périphérique, la pratique par
Erickson de l’hypnose profonde a encore besoin d’être
davantage étudiée, y compris dans ses techniques les moins
orthodoxes.

6 Situation 4 : Gilles, un rapport difficile au


père
Le cas présenté ici a constitué un tournant dans ma pratique. Lorsque j’ai
fait cette intervention je ne me doutais pas des suites qu’elle allait avoir.
Elle illustre comment l’hypnose profonde n’est pas forcément sciemment
induite par le thérapeute.

Présentation de l’approche clinique de Thierry Servillat


▶ Cadre de pratique

Je suis psychiatre de pratique exclusivement libérale. Ce qui a motivé mon


engagement professionnel était et reste mon souhait d’apaiser la souffrance.
Après avoir envisagé une carrière hospitalo-universitaire, et en commun
accord avec mes maîtres, j’ai écouté leurs conseils de m’installer « en ville
» afin d’échapper aux lourdes contraintes administratives de la pratique
hospitalière. Pendant mes études, et mon clinicat ensuite, j’avais étudié
nombre d’approches (psychanalyse, thérapie cognitive comportementale,
sophrologie et, un peu, écoute « humaniste » rogérienne) sans qu’aucune ne
me paraisse, en tout cas dans le traitement des pathologies sévères,
suffisamment convaincante en termes d’efficacité pour m’y former en
profondeur.
Quand je me suis installé en cabinet en 1993, j’ai rapidement constaté,
comme je m’y attendais, la faiblesse de mes résultats. Notamment, nombre
de mes patients dépressifs, même après d’assez nombreuses séances,
n’allaient pas mieux. À l’époque, la pratique psychiatrique dominante était
de qualifier ces patients de « résistants », et d’augmenter le traitement
médicamenteux antidépresseur généralement déjà instauré. Cette pratique
me gênait, ne me paraissait pas honnête. L’argument me semblait quand
même facile. En début de carrière, j’aspirais à une démarche plus
ambitieuse. Surtout, cette façon de faire me semblait passer à côté de ce qui
me paraissait nécessaire, même si je ne le formulais pas encore à l’époque
dans ces termes : activer les ressources de mes patients (je n’avais pas
encore compris non plus qu’il s’agissait surtout d’aider les patients à le faire
eux-mêmes).
Peu de temps après mon installation, alors que j’envisageais fortement de
me réorienter professionnellement (j’envisageais avec peu d’enthousiasme
la pratique de la médecine du travail, non soignante), j’entendis parler de la
venue à Nantes de Jacques Antoine Malarewicz, qui importait depuis
plusieurs années déjà, avec Jean Godin, l’hypnose ericksonienne en France.
C’était une association de psychiatres hospitaliers qui l’invitait et je n’étais
donc pas prioritaire pour m’inscrire. J’attendis l’année suivante pour avoir
une place.
Mon formateur, brillant au point de ne pas me sentir capable de faire aussi
bien que lui, était excellent, et enseignait simultanément hypnose et thérapie
familiale, respectant totalement la démarche de Milton Erickson. Il ne
s’intéressait pas vraiment à l’hypnose profonde (mais dans une formation
en neuf jours en avait-il le temps ?). Il avait cependant un style provocatif
qu’il disait avoir appris lors d’un stage prolongé à Rome, dans le centre de
thérapie familiale dirigé par Maurizio Andolfi. Le modèle enseigné
consistait à mettre le système familial en crise pour ensuite accompagner
activement sa réorganisation (Andolfi, 1992).
Avec cette première formation, que je complétai par de nombreuses autres
ensuite car j’avais quand même commencé à ressentir que j’étais capable, le
terrain était donc favorable pour que je sois sensibilisé, lors de ma lecture
de l’ouvrage ericksonien-clé Un thérapeute hors du commun, à ce que
Milton Erickson appelait la « thérapie de choc » (shock therapy). Je vibrais
particulièrement en lisant le cas de Karl.

Ce patient d’origine prussienne (Haley, 1973) souffrait d’un


syndrome post AVC (avec au premier plan une pseudo-paralysie
non lésionnelle mais très handicapante, le patient ne se déplaçant
plus qu’en fauteuil roulant). Erickson l’avait mis volontairement en
colère, voire en rage, en le traitant de « sale nazi ». Nous étions à
moins de 10 ans de la fin de la deuxième guerre mondiale. Et de
fureur (sans mauvais jeu de mots), les émotions suscitées avaient
permis à Karl de quitter son état dépressif, de se lever et de
marcher de nouveau.

La lecture de ce cas me révélait une piste de travail qui me paraissait


convaincante notamment dans le cadre du traitement des dépressions
complexes et résistantes.
Je décidai alors de parfaire ma formation dans ce domaine par un séminaire
avec Franck Farrelly et son approche provocative (Farrelly et Brandsma,
2009). Cet ancien élève de Carl Rogers, bien que ne se réclamant pas de
l’hypnose (mais à l’époque aucun nouveau thérapeute n’enseignait la
thérapie de choc) raconte comment, lors d’un stage en psychologie, chargé
d’animer un groupe de parole pour patients dépendants à l’alcool, il avait
constaté l’inefficacité de l’approche enseignée par son maître et avait au
contraire réussi à établir le contact en traitant les participants de « pochtrons
».
Néanmoins, j’avais encore peu osé mettre en pratique ces méthodes, encore
trop inhibé pour oser de telles approches non conventionnelles. La première
fois que j’utilisai cette approche provocative (j’ignorais qu’Erickson les
avait déjà dénommées « thérapies de choc »), je publiai aussitôt le cas dans
l’organe officiel de la fondation Erickson, me disant que si j’étais devenu
fou, la très sérieuse fondation me le dirait ou en tout cas refuserait mon
manuscrit.

L’« hypnose provocative » consiste, comme Farrelly l’a exposé, à


utiliser des stéréotypes, encore qualifiés de lieux communs, afin
que le patient soit fortement tenté de protester. En même temps,
Farrelly adopte une attitude et une posture très chaleureuses,
voire tendres (il caresse volontiers la main du patient et se tient
très proche de lui). Aussi le patient est-il partagé entre l’envie
d’exprimer de la colère pour dire qu’il est différent du stéréotype
évoqué, et en même temps celle de continuer l’entretien pour
savoir ce qui va se passer ensuite, jusqu’où le thérapeute va oser
aller, et aussi profiter du plaisir évident que l’entretien procure
conjointement à son aspect désagréable. Les principes de la
thérapie de choc d’Erickson sont très comparables, même si celui-
ci parle explicitement évidemment d’hypnose, qualifie les
sentiments contradictoires du patient comme de la dissociation, et
précise que cette modalité thérapeutique aboutit souvent à
l’entrée en transe profonde du patient.

▶ À quoi ressemble habituellement ma pratique de l’hypnose profonde

Conformément à la pratique de Milton Erickson, je privilégie dans un


premier temps avec mes patients la pratique de l’hypnose moyenne à légère
et je m’en contente lorsque celle-ci fonctionne. Il me faut dire que je
pratique exclusivement l’hypnose thérapeutique. Je n’ai donc pas de
patients qui viennent pour un simple développement personnel, et
notamment qui viendraient pour « faire de l’hypnose profonde » comme
étant un but en soi. Étant psychiatre, je centre ma pratique sur les cas
difficiles, ai beaucoup de travail et ne dispose donc pas de temps pour une
pratique récréationnelle de l’hypnose ni même dans un but
d’épanouissement personnel. Grâce aux enseignements de Michael Yapko
et aussi de mes propres recherches, je dispose d’une méthodologie de
traitement de la dépression efficace et pratique l’hypnose de cette manière.
Ce n’est que lorsque le traitement ne progresse pas que je recours à
l’hypnose profonde. Même s’il arrive que le fait de faire de l’hypnose
profonde soit une décision prise d’un commun accord avec le patient, du
fait de résistance à l’hypnose légère à moyenne, il est fréquent que je ne
parle pas d’hypnose profonde avant de la pratiquer. Je laisse l’inconscient
du patient (cette nomination, que l’on peut considérer comme désuète,
continue à plutôt bien me convenir et à convenir à mes patients) choisir la
profondeur de transe qu’il trouvera utile, j’accompagne
l’approfondissement en le suggérant assez peu.
L’autre manière que j’utilise volontiers est de faire entrer et sortir de transe
à plusieurs reprises. J’utilise volontiers dans ma pratique de courts petits
exercices hypnotiques, parfois dans l’esprit de ceux proposés par François
Roustang, ou qui me viennent spontanément en fonction du patient et de sa
demande. Sans y réfléchir consciemment, il m’arrive d’avoir l’intuition de
multiplier ces exercices, provoquant, par la succession d’entrée et de sortie
de transe, une hypnose profonde sans que ma stratégie soit vraiment
réfléchie.
L’utilisation de la thérapie de choc pour induire la transe profonde
reste donc une pratique plutôt rare voire marginale chez moi.
C’est lorsque j’ai l’impression de ne pas avoir un contact suffisant
avec le patient que je vais le provoquer ou le choquer.

En progressant dans ma pratique, je constate qu’il est inutile d’en faire trop.
Je me distingue en cela de Farrelly, qui était volontiers outrancier, même si
avec certains patients je pense qu’il faut l’être. La thérapie de choc n’est pas
utile pour que le thérapeute se fasse plaisir ni pour que le patient en ait. Je
reste un partisan du minimalisme tel que Steve de Shazer le pratiquait
(Deneux et al., 2009). J’avais déjà constaté cela avec l’approche stratégique
proposée par Giorgio Nardone, qui propose souvent des interventions trop
puissantes par rapport aux besoins du patient. Il s’agit juste d’en faire
suffisamment pour obtenir chez ce dernier des éléments cliniques (regard,
mise en mouvement du comportement non verbal qui alterne avec une
immobilité révélant l’état de transe) indiquant que le contact est établi voire
qu’il y a mise en mouvement.

Présentation de la situation clinique


▶ Préambule

Le cas présenté ici a constitué un tournant dans ma pratique. Lorsque j’ai


fait cette intervention, je ne me doutais pas des suites qu’elle allait avoir.
Elle illustre comment l’hypnose profonde n’est pas forcément sciemment
induite par le thérapeute. Plutôt que de décrire un cas « standard » reprenant
des techniques qui ont été largement reprises et développées par les
successeurs d’Erickson, il me semble utile de présenter un cas
d’intervention rentrant dans le cadre de ce qu’Erickson appelait des «
thérapies de choc ». Ces thérapies provoquaient généralement des moments
de transe profonde chez les patients d’Erickson, et il me semble que c’est
aussi le cas chez le patient que je vais décrire ici.

Les thérapies de choc, et la provocation qui est à peu près la


même chose, ont été le mieux théorisées par Franck Farelly
(Farelly, 1989). Celui-ci considère que ces thérapies sont basées
sur le maniement des stéréotypes. Il s’agit de « balancer » un
stéréotype au patient afin qu’une partie de lui soit tentée de
protester. Mais la gentillesse du praticien fait aussi qu’une partie
du patient a envie de continuer l’entretien, de savoir ce qui va se
passer. D’où l’effet dissociatif.

Il faut préciser ici qu’il est très difficile de prévoir à l’avance si ce type de
manœuvre va avoir un effet provocatif ou non. On peut même dire qu’il est
prétentieux de prédire que l’on va provoquer quelqu’un, et qu’il est très
fréquent qu’un propos anodin puisse provoquer chez un patient une émotion
intense. On peut donc simplement dire qu’il y a une ambition provocative
dans ces approches. Même s’il faut ici se souvenir qu’en anglais induire une
transe se dit (aussi) « to provoke a trance ».
Pour avoir vécu moi-même un entretien provocatif avec Farrelly, je peux
témoigner que cette approche peut induire une transe profonde, ou en tout
cas, pour suivre Roxanna Erickson-Klein et sa notion de vagabondage, une
transe comportant des moments de transe profonde. Ces moments
s’accompagnent fréquemment d’une amnésie, d’où la précaution que
Farrelly prend de faire enregistrer les séances pour les donner ensuite au
patient afin qu’il puisse les réécouter, notamment pour vérifier que ce qui a
été dit lui convient si la séance s’est produite lors d’un atelier devant des
participants tiers.
Précisons enfin que, si ce type d’approche est pratiqué assez rarement, c’est
parce que d’une part il est fatigant pour le thérapeute, et qu’il est loin d’être
toujours nécessaire pour qu’un processus de changement puisse se produire.
Nous trouvons néanmoins intéressant de la présenter car c’est une approche
typique de la créativité et de la posture d’Erickson. Erickson cherche
toujours le contact avec le patient et se donne d’importants moyens pour
l’obtenir quand cela est difficile. D’ailleurs, il n’y parvient pas toujours.
▶ Le choix de la méthode

La méthode que je présente dans ce cas correspond à celles que j’ai pu


expérimenter lors de mon cheminement. Appliquant la fameuse phrase
attribuée à Erickson « L’hypnose, c’est une relation pleine de vie qui a lieu
dans une personne et qui est suscitée par la chaleur d’une autre personne »,
je cherche à effectuer quelque chose qui va créer de l’émotion, du
mouvement. Suivant les conseils d’Erickson et de Farrelly, ainsi que ma
tendance naturelle dès mon enfance à taquiner l’autre, j’essaye de susciter
de la colère, du désaccord, et donc une certaine résistance. Mais par mon
implication affective, mon comportement de sympathie, j’empêche aussi
cette résistance. Mes patients me disent habituellement que j’ai « une main
de fer dans un gant de velours ».
La méthode repose certainement, comme le préconisait Erickson, sur une
observation attentive du patient, et ici en l’occurrence aussi de la mère de
celui-ci que j’avais soignée auparavant.
La question de l’intuition reste, tout comme dans l’œuvre d’Erickson,
posée. Par quel(s) mécanisme(s) l’idée de mon intervention m’est-elle
venue, je l’ignore encore aujourd’hui. Quant à pouvoir expliquer son
incroyable pertinence, j’en suis plus que jamais incapable, même si j’ai pu
découvrir récemment l’approche intuitive lors d’une « master class Ipnosia
»29.
▶ Présentation du patient

J’ai vu pendant d’assez nombreux mois une femme âgée d’environ 50 ans,
enseignante, qui venait me voir pour un syndrome dépressif. Elle prenait
des antidépresseurs déjà prescrits par un confrère précédent, traitement qui
semblait avoir peu d’efficacité même si peut-être il procurait, car il était pris
à dose assez faible, un certain effet atténuateur sur son anxiété.
En tout cas, au bout de plusieurs mois, cette femme déclara qu’elle allait
mieux au niveau de l’humeur, et se mit à davantage parler de son fils unique
qui vivait encore avec elle bien qu’il approchât la trentaine. Celui-ci était
décrit comme ne faisant rien de sa vie et sa mère me l’évoquait comme
étant la cause de son grand malheur. Bien que divorcée, elle n’exprimait pas
que sa solitude (qui était relative puisque son fils vivait avec elle) fût un
réel problème pour elle. À un certain moment, devant son état clinique plus
satisfaisant, et aussi parce qu’elle me présentait son fils comme l’essentiel
de ses préoccupations, je lui déclarai que j’étais prêt à voir celui-ci et elle
me l’adressa.
▶ Premières consultations : présentation, demande

Le patient était très grand. Il aurait été possible de dire qu’il était athlétique
s’il n’avait pas montré un certain embonpoint préoccupant pour son âge, et
une hypotonie dans sa posture qui l’amenait à baisser la tête, avoir les
épaules rentrées et le dos voûté. Sur le plan émotionnel, il semblait comme
anesthésié. Il se plaignait de sa vie mais n’exprimait rien qui puisse
corporellement confirmer cela, si l’on excepte les éléments sus-mentionnés.
Son humeur était médiocre, comme calquée sur celle de sa mère lorsque je
fis connaissance avec celle-ci. Le jeune homme exprimait très peu de
plaisirs dans sa vie, confirmant sa dépressivité. Il avait un travail
alimentaire, peu qualifié malgré des études réelles. Ses loisirs étaient
réduits, et consistaient le plus souvent à regarder des DVD dans sa
chambre, jouer à des jeux vidéo seul (à l’époque les jeux en réseau par
Internet n’existaient pas). Il avait tendance à dormir excessivement, avec
peu d’activités physiques, disant qu’il n’avait pas le courage d’en faire. Il
lui arrivait ponctuellement de faire un jogging qu’il ne pouvait renouveler
les jours suivants. C’était comme s’il était incapable d’avoir une vie
personnelle, avec une vie relationnelle essentiellement construite autour de
la présence maternelle. Sa mère m’avait dit ressentir une certaine culpabilité
devant cela, sans m’expliciter sur quoi sa culpabilité reposait précisément.
Sa demande d’aide était pauvre : « aller mieux », sans pouvoir me dire en
quoi sa vie serait différente s’il « allait mieux ». Tous mes outils d’hypnose
orientée solutions restaient inefficaces, c’est-à-dire ne créaient pas de
différence. Le moindre questionnement sur un objectif possible à la thérapie
le laissait semble-t-il dans un état de non-réponse qui aurait pu évoquer un
certain degré de débilité mentale si je n’avais pas ressenti en lui, de façon
presque cryptée, des signes d’une réelle souffrance émotionnelle : regard
triste, ralentissement psychomoteur net notamment.
▶ Premières approches thérapeutiques

Devant l’incapacité, y compris la mienne, à construire avec lui un objectif


thérapeutique, j’adoptais une attitude que l’on peut considérer comme
normative : je lui proposai de l’aider à déjà quitter sa mère et à vivre chez
lui puisqu’il en avait les moyens financiers.
Ce fut sans aucun résultat. Bien au contraire, l’état de celui que je vais
appeler Gilles se dégradait. De plus en plus d’aboulie, de conduites
d’alcoolisation au long cours, de dépressivité. Un certain degré de honte
était tout à fait perceptible, qui expliquait sa tendance à baisser la tête. Une
tendance à l’hypersomnie, avec des retards de phase, une diminution de sa
vie sociale et une absence évidente de sens à sa vie complétaient la clinique.
Je me retrouvais donc avec Gilles en échec comme avec les premiers
patients lors de mon installation.
À cette époque, je pratiquais déjà beaucoup moins qu’au début de ma
carrière la prescription de médicaments. De plus, voyant Gilles comme un «
adulescent », l’idée d’un antidépresseur ne me venait même pas à l’idée.
J’avais le sentiment que le mécanisme dépressif de Gilles était clairement
psychogène, qu’il existait en lui un blocage de son élan vital. Même si je
n’avais aucune idée de ce en quoi ce blocage pouvait consister. « Aucune
idée », cela était quand même excessif : Gilles me parlait parfois de son
père. Il ne connaissait pas celui-ci, qui avait quitté sa conjointe peu de
temps après sa naissance. Selon lui, et j’avais quelques raisons de le croire,
sa mère savait où son père se trouvait mais refusait de parler de lui, et
évidemment de lui donner ses coordonnées. Gilles s’en plaignait, exprimait
parfois de la colère à ce sujet bien qu’il semblât de plus en plus se résigner.
C’était vraiment le seul point qui émergeait. Il n’abordait aucun autre point
de sa vie, particulièrement ni envie concernant sa vie professionnelle, ni
désir particulier d’aller plus loin que des aventures très ponctuelles avec des
jeunes filles.
▶ Comment s’est construit le chemin vers l’hypnose profonde

Un jour, Gilles revint en séance en me répondant, lorsque je lui demandais


de ses nouvelles, son sempiternel : « Comme d’habitude ». Lorsque
j’essayais d’investiguer pour tenter de trouver quelques éléments quand
même un peu nouveaux, le seul matériel que je pus recueillir fut la
description d’une triste réunion avec deux autres amis durant laquelle ils
burent pas mal de bière arrosant l’ingestion de pizzas de piètre qualité. Non
seulement aucun élément positif, et encore moins joyeux, n’émanait de sa
voix monocorde, mais aucune lueur de vie n’émanait de son regard de chien
battu. J’étais de nouveau déçu, peut-être envisageai-je inconsciemment de
me reconnaître défaillant et de me mettre en position basse pour tenter de
mettre fin à la thérapie.
Pourtant, j’avais une affection certaine pour Gilles. J’étais sensible à sa
souffrance et l’idée de me reconnaître impuissant activait en moi une
certaine colère : ce n’était pas possible qu’il n’y ait rien à faire pour ce
jeune homme ! Plutôt que de me mettre bêtement en colère envers Gilles (et
de le voir ainsi comme un patient résistant), ma démarche bascula assez vite
vers une recherche d’humour : comment pouvais-je mettre un peu de vie
dans une existence aussi terne chez un jeune homme manifestement
empêtré par une sorte de glu noire ?
Je cherchais un éventuel mot d’esprit à faire sur la thématique de la fin d’un
repas, et pour cela me mettai en transe. C’est alors que je repensai aux assez
nombreux étudiants en médecine juifs et arabes que j’avais eus comme amis
pendant mes études de médecine parisienne. Progressivement, ma transe
s’approfondissait et je revivais les moments de spiritualité festive, les rituels
auxquels ils me faisaient participer dans leur famille, particulièrement
lorsque nous célébrions la fin d’un repas…
C’est alors que je m’entendis dire à Gilles (j’étais fortement dissocié, sinon
je n’aurais jamais osé) sur un ton assez moqueur : « Au moins j’espère que
lorsque vous avez fini de manger et de boire, vous avez roté en disant
Hamdoullah ! » Il s’ensuivit une longue pause.
Lorsqu’on est invité à un repas, il est en effet d’usage chez les musulmans
d’éructer en proférant ce mot qui veut dire « louange à Dieu, à Allah ! »
Durant cette pause, Gilles se mit à devenir livide, son visage se figea
comme hébété, son regard se fixa. Une pâleur impressionnante décolora son
visage. Une stupeur s’installait dans l’ensemble de son corps, une véritable
transe stuporeuse.
Je sentis qu’il était particulièrement important de maintenir mon propos
ironique, mon attitude moqueuse mais très bienveillante, alors qu’une partie
de moi doutait fortement de la pertinence de celles-ci. Mais il était trop tard.
C’était fait ! Les minutes devenaient longues pourtant. Gilles continuait à
vivre sa stupeur, semblait décontenancé, déstabilisé, assez en détresse.
Pourtant mon intuition était qu’il fallait que je m’abstienne de l’aider, qu’il
était nécessaire que je le laisse se débrouiller pour se restabiliser lui-même.
En ne l’aidant pas, je lui suggérais qu’il avait la capacité de faire face.
Au bout d’un long moment que je ne chronométrais évidemment pas, Gilles
recroisa mon regard et me dit : « Comment savez-vous ? » Ce fut mon tour
d’être décontenancé. Je n’avais plus aucun contrôle sur ce qui se passait et
il me semble qu’il me fallait le lui dire : « Comment sais-je quoi ? » ; «
Pour mon père. Qu’il est arabe ».
Ce que je vivais était inouï. Je me rendais compte que Gilles, ce géant blond
aux yeux bleus, était d’origine arabe et que j’avais deviné cela ! Ou alors
était-ce une coïncidence ? Mais alors comment avait pu survenir une telle
coïncidence ? Très vite, je revoyais intérieurement les explications
possibles. Croire au hasard m’a toujours paru non scientifique, paresseux
voire lâche. Mais comment expliquer ce qui se passait ? Heureusement
Gilles était là face à moi avec sa question, et je devais y répondre. Je ne
trouvais pourtant aucun mot pour cela, et la séance s’arrêta ainsi.
▶ L’après séance et l’après dans le suivi

À la séance suivante, Gilles m’annonça qu’il avait demandé à sa mère de


façon persuasive les coordonnées de son père. Il avait sûrement fait d’une
manière fort différente de celle utilisée précédemment car celle-ci les lui
avait données. Il avait de suite téléphoné à son père pour lui demander un
rendez-vous, et celui-ci avait eu lieu. Peu après qu’il avait sonné à
l’interphone, le père était descendu lui ouvrir et l’avait accueilli dans son
modeste appartement. Ils avaient parlé, peu longuement semble-t-il. Il ne
s’était rien dit de spécial. Probablement quelques phrases, mais qui avait du
sens au-delà des mots. Le père lui avait dit qu’il restait disponible pour le
revoir si Gilles le souhaitait, et l’avait raccompagné. Lorsque je
l’interrogeai sur ce qu’il ressentait, de manière très malhabile il me répondit
que « quelque chose était différent maintenant ». Gilles mit d’ailleurs fin
assez rapidement à sa thérapie, sans vraiment expliciter sa décision, et sans,
encore moins, m’informer de comment il comptait vivre la suite de sa vie.

Discussion
Cette présentation nous semble illustrer comment, en ne faisant pas le
travail du patient (en l’occurrence ici nous aurions pu convoquer la mère
pour qu’elle dise à son fils qui était son père), il est possible de créer un
cadre pour que cela soit lui qui le fasse. Qu’a-t-il fait de différent pour que
sa mère accepte enfin de lui dire ce qu’elle avait à lui dire ? Qu’en est-il de
même de la véracité de cette histoire ? Nous ne le saurons en fait
probablement jamais.
La seule chose que nous savons, c’est qu’il s’est produit un changement
dans le comportement de Gilles. Celui-ci a changé sa narration (il a fait
quelque chose de semble-t-il signifiant pour lui) et, surtout, il a quitté la
honte et est devenu fier de lui.
L’approche thérapeutique utilisée peut être considérée comme non
conventionnelle, marquée par une prise de risque du thérapeute (qui fait
confiance à ce qui lui vient dans sa propre transe). Cette prise de risque a-t-
elle en résonance suscitée celle du patient, osant demander par des moyens
adaptés à sa mère les coordonnées de son père et osant ensuite rendre visite
à celui-ci ? Cela ne peut être, en l’absence de données cliniques, qu’une
supposition de notre part.
Reste, repérable cliniquement, le travail effectué par Gilles en transe
profonde, stuporeuse. De ce travail nous n’en saurons rien non plus. Qu’il y
en ait eu un ne peut en toute rigueur que relever d’une hypothèse. Cette
hypothèse nous la faisons, et comme on dit, nous en avons l’intime
conviction.
De tels constats sont fréquents en transe profonde dans notre pratique. Nous
n’incitons généralement pas le patient à parler de ce qu’il a vécu pendant sa
transe, souhaitant éviter tout voyeurisme. Nous utilisons habituellement la
question qu’Erickson posait : « Y a-t-il quelque chose dont vous voulez
parler ? », en montrant une attitude non suggestive.
Dans le cas de Gilles, non seulement nous devions garder une telle attitude,
mais il me semble que je ne lui ai même pas posé la question. Lui poser la
question aurait – je pense – suscité de la résistance de nouveau, comme
annulé le travail fait. Sans en avoir là non plus de preuve, nous pensons que
notre intervention a mis au défi Gilles, en activant probablement sa colère.
Il n’était jusque-là pas décidé à savoir qui vraiment était son père, et il est
possible qu’il n’ait jamais clairement demandé à sa mère les coordonnées
de celui-ci, et que celle-ci s’arrangeait bien en gardant pour elle
l’information. En allant le provoquer, j’allais le défier dans une sorte de
confrontation père-fils qu’il n’avait pas le courage de provoquer lui-même
en faisant une demande affirmée à sa mère.
Pour que celle-ci ait pu se faire (nous le redisons, semble-t-il, puisque nous
n’en avons pas eu la preuve autre que par son changement clinique), il est
possible qu’un élément spirituel ait été nécessaire. La transe profonde
permet souvent ce travail spirituel (au sens de riche de sens). Elle a pu
permettre ce travail sur la honte que Gilles pouvait ressentir : quitter la
honte d’être fils d’Arabe, assumer la rencontre, faire l’inverse du choix de
la violence fait par Meursault, personnage du roman L’Étranger d’Albert
Camus.

Points à retenir

L’existence d’une résistance chez le patient peut révéler une


ambivalence chez celui-ci. La transe profonde peut permettre
de contacter des dimensions de signification qui peuvent
permettre au patient un travail intime, générateur de
mobilisation.
Gilles manquait probablement de sens à sa vie. La transe
profonde permet généralement lorsqu’elle fonctionne un tel
travail générateur de sens.
Caractéristiques notamment de l’approche ericksonienne,
l’humour et le jeu activent la créativité du thérapeute pour oser
des interventions non conventionnelles sans, comme le disait
Erickson, se préoccuper de sa renommée professionnelle,
élément toujours limitant dans notre formidable métier.

26. Ce sujet est l’objet d’un excellent ouvrage sur cette question : le manuel des phénomènes
hypnotiques des époux Edgette (SATAS).
27. Exemple parmi d’autres de sa directivité possible.
28. Milton Erickson est resté toute sa vie impressionné, grâce aux efforts d’une institutrice pertinente,
par sa subite compréhension de ce qu’était la lettre E. Il guérit progressivement de sa dyslexie très
invalidante lorsqu’il eut dans un éclair blanc l’image d’un cheval dressé.
29. Juillet 2021. Intervenante : Marie-Estelle Blanc-Couval.
Chapitre 6

Neurophysiologie des états


d’hypnose profonde

S. Morar

1 Introduction

2 Hypnotisabilité : une controverse ?

3 Activité cérébrale en transe

4 Transe profonde, processus attentionnels et mode par


défaut

5 Motricité, paralysie et peur

6 En conclusion
7 Situations 5 et 6 : hypnose profonde et hypnoanalgésies

Les différentes profondeurs de transe hypnotique, leurs


caractéristiques cliniques et neurophysiologiques ainsi que leurs
conséquences font l’objet d’un large débat. Ce chapitre a pour
objet d’apporter quelques précisions sur les principales
activations/désactivations/différences de la transe profonde sèche
sans suggestions spécifiques (comme l’analgésie, l’addiction,
l’anxiété) par rapport à l’état de veille de base, et sur les zones
cérébrales impliquées dans la transe profonde.

1 Introduction
La grande question qui se pose est : Est-ce qu’il y a une vraie
neurophysiologie de l’hypnose profonde et/ou de l’hypnose en général ? Y
a-t-il une différence claire de fonctionnement cérébral entre la transe
profonde et légère ?
À ce jour, il n’y a aucun consensus clair concernant les différences entre la
transe profonde et légère. Et en ce qui concerne tout simplement l’hypnose,
dans de nombreux écrits on se rend compte que c’est un sujet à caution, car
à la lecture des nombreux articles scientifiques parus dans les dernières
années on peut avoir l’impression de découvrir de nombreuses
contradictions. Cette impression est due aux variations de protocoles de
recherche utilisés : techniques d’induction différentes, populations non
homogènes, absence (souvent) de mise en évidence de processus
d’activation/désactivation cérébrale fonction du type de transe, etc. Il faut
faire un travail important de sélection des informations que ces études nous
apportent. On peut les diviser en deux catégories : celles qui analysent le
fonctionnement cérébral caractéristique de la transe hypnotique que je vais
appeler « pure », sans suggestions spécifiques (par exemple : douleur,
anxiété, etc.), et celles qui vont étudier les modifications de fonctionnement
cérébral en rajoutant des suggestions bien spécifiques. Dans ce dernier cas,
le fonctionnement va s’adapter à la situation et nous découvrons des centres
qui ne sont pas actifs en transe simple, pure, mais vont commencer à
travailler suite aux suggestions.

2 Hypnotisabilité : une controverse ?


Les études neuroscientifiques pertinentes qui se sont concentrées sur
l’analyse de la transe hypnotique de base sans « mélanger » des suggestions
spécifiques ont utilisé le degré d’hypnotisabilité pour inclure les sujets dans
leurs protocoles. Les échelles d’hypnotisabilité sont considérées par les
chercheurs comme étant un indicateur de la profondeur de la transe. Il est
vrai que ces échelles ne représentent pas un consensus clair et qu’il y a
certains débats. Le fait de considérer la haute hypnotisabilité comme
indicateur de la profondeur de la transe se base sur les analyses en IRM
fonctionnel des différences de fonctionnement cérébral entre les deux
populations (les haut et les bas hypnotisables), qui montrent que le degré
d’hypnotisabilité est positivement corrélé aux modifications structurelles,
morphologiques et fonctionnelles de certaines zones cérébrales.
Comme Oakley et Halligan l’ont mentionné en 2009 : « l’hypnose fait
référence au changement de la ligne de base de l’activité psychologique
après des procédures de suggestion à un niveau subjectif avec une attention
concentrée, une distraction, des stimuli étrangers et une atténuation de la
pensée spontanée ». En revanche, il a été mis en évidence que les sujets les
plus suggestibles (d’après les échelles actuellement utilisées) rapportent
subjectivement une plus grande profondeur de la transe et que cette analyse
auto déclarée est positivement corrélée avec le volume de matière grise
dans le gyrus frontal médial gauche (McGeown et al., 2015). On peut donc
dire que la profondeur de la transe est associée, du point de vue
neuroscientifique, avec le volume de matière grise dans ce gyrus.

Le gyrus frontal médial gauche est une structure cérébrale appartenant au frontal qui a comme
fonction l’établissement et la mise en pratique des règles de comportement fonction des stimuli
extérieurs reçus. Il surveille le déroulement de l’application pratique de la règle qu’il a établie.

En pratique, il est plus facile d’amener en transe profonde une personne qui
possède un « bon » fonctionnement de cette structure cérébrale, mais la
question qui se pose est : comment le savoir sans avoir recours à l’IRM
fonctionnel ? Des indications nous sont données par l’anamnèse et les
antécédents du patient. Par exemple, les patients avec des pathologies
lourdes psychiatriques (schizophrénie, paranoïa, etc.), les alcooliques
chroniques, consommateurs de drogue, dépressifs chroniques, anxieux
chroniques, etc. vont nécessiter de la part du praticien beaucoup plus
d’effort et de stratégie pour obtenir une transe profonde.
De plus, les résultats en IRM fonctionnel montrent des caractéristiques
anatomiques particulières de l’hypnotisabilité reliés à une meilleure
connectivité entre les deux hémisphères (structure nommée le corps
calleux) plus performante. Ceci implique une communication plus
performante surtout dans la partie concernant la mise en route des structures
cérébrales responsables des mécanismes de « démarrage » des processus
attentionnels ainsi que de l’inhibition des informations extérieures non
pertinentes. Ces résultats démontrent qu’en transe hypnotique on obtient
une focalisation de l’attention du patient qui sera orientée uniquement vers
le but construit par le praticien grâce à ses suggestions, avec en plus la
suppression d’une grande quantité des informations externes inutiles, non
pertinentes. À leur tour, les stimulations internes somatiques, autonomes et
émotionnelles seront filtrées/supprimées en grande partie, ce qui va
renforcer le phénomène d’absorption (Hoeft et al., 2012).

3 Activité cérébrale en transe


L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle est une technologie
largement utilisée dans l’étude de l’activité neuronale en transe, ainsi que
dans de nombreuses autres situations. Par exemple, les modifications de
l’activation cérébrale lors d’une simple perte de connaissance sont
diamétralement opposées à celles observées en hypnose. Dans le premier
cas, il est rapporté un taux de métabolisme régional réduit de glucose, une
diminution globale de l’activité cérébrale, une capacité réduite d’intégration
cérébrale et une connectivité fonctionnelle fortement diminuée par rapport à
l’état conscient. À l’opposé, l’hypnose est du point de vue fonctionnel un
état d’attention amélioré avec une augmentation de l’afflux sanguin cérébral
régional dans les zones et connexions responsables de la focalisation et du
maintien de l’attention, une connectivité fonctionnelle accrue du contrôle
exécutif et émotionnel et des réseaux participant à la régulation de la
conscience. Par conséquent, les corrélations améliorées/couplées de
l’activité cérébrale totale, plus particulièrement au sein de certains réseaux
pendant l’hypnose, sont associées à la régulation de la conscience cognitive
et perceptive et à une forte activation des réseaux attentionnels.

L’analyse de ces différences a mis en évidence pendant la transe


hypnotique une augmentation de l’activité cérébrale dans le cortex
calcarin droit, le gyrus bilatéral fusiforme et le gyrus temporal
moyen gauche (mise en route de la régulation émotionnelle,
création d’images virtuelles même en dehors des suggestions
spécifiques visuelles), et une diminution de l’activité dans l’insula
(inhibition de l’amplitude respiratoire pendant l’hypnose) ainsi
qu’au niveau du lobe postérieur du cervelet gauche (partie
inférieure du lobule semi-lunaire). On peut en conclure que
l’entrée audio (suggestion verbale) facilite la perception et la
cognition en modulant contextuellement le cortex visuel primaire
en l’absence de toute stimulation visuelle ou suggestion visuelle
(Petro et al., 2017). Les études montrent que le sujet va créer des
images virtuelles, visualisations, etc. par le simple fait d’être mis
en hypnose profonde, même si l’induction ne comporte
absolument aucune suggestion concernant la visualisation. Si la
transe est bien induite, la stimulation de l’aire cérébrale auditive
va créer ces images spontanées qui paradoxalement sont
produites auditivement. Ce fait présente une grande utilité en
pratique car comme le stimulus uniquement auditif va activer
spontanément certains centres visuels, on peut considérer que le
sujet est « prêt » à répondre favorablement aux suggestions de
type visuel (qui vont suivre si besoin) et donc faciliter le travail du
thérapeute.

Les activations décrites plus haut (aires visuelles, zones responsables des
processus attentionnels, corps calleux) s’accompagnent d’un ralentissement
et d’une incohérence dans les aires corticales représentant le choix et le
contrôle exécutif, ce qui va faciliter encore plus le travail du thérapeute. Il
s’ensuit une plus grande adhésion au « choix » du thérapeute ainsi qu’une
mise en route des actions (qu’elles soient mentales ou physiques) suggérées
par celui qui donne les suggestions. Mais il ne faut pas du tout croire qu’en
transe le sujet peut être « manipulé » d’une façon exagérée par celui qui
l’hypnotise. Comme je l’ai dit précédemment, il y a une désactivation de
l’insula dans l’état hypnotique de base, mais celle-ci peut s’activer pendant
la transe dans certaines situations. Si par exemple une suggestion est non
conforme avec les croyances, les traits profonds de la personnalité, etc, à ce
moment l’inconscient va décider qu’il ne doit pas répondre favorablement
aux choix et indications reçues. Il peut continuer la transe en les refusant ou
décider de sortir le patient de la transe.
D’autres résultats qui peuvent paraître contradictoires à la lecture des études
sont l’activation/désactivation de certains centres nerveux mises en
évidence pendant la transe. La raison principale de certains débats réside
dans la conséquence des suggestions spécifiques qui vont, en plus de l’état
neurologique de base de la transe, produire des variations d’activation en
fonction de la demande. Il existe une corrélation négative (donc une
désactivation) lors de la transe des connectivités entre les structures
responsables (entre autres) de la gestion des conflits et celles responsables
du passage de la décision inconsciente à l’espace conscient. Ceci est
parfaitement visible pour le praticien : par exemple dans la lévitation main,
si on fait ouvrir les yeux on constate la surprise du sujet qui découvre que «
la main s’est levée toute seule ». En réalité, son inconscient a choisi
d’exécuter le geste moteur sans passer au conscient l’information de la prise
de décision de déclencher le mouvement.

La gestion des conflits qui sont beaucoup moins pris en compte


lors de la transe par la désactivation de la connectivité des
structures responsables possède de nombreuses conséquences
pratiques dans le travail d’un hypnothérapeute qui peut obtenir de
bons et rapides résultats sur la prise en charge des syndromes
post-traumatiques, syndromes anxieux, phobies, dépressions
réactionnelles, etc. Les structures cérébrales concernées sont le
gyrus cingulaire antérieur, les régions pariétales supérieures et
des régions du cortex préfrontal.

Mais on retrouve de nombreuses études où il existe une activation de


certaines de ces structures, fonction des suggestions spécifiques pour la
modulation des différends en hypnose. En fonction de la spécificité des
suggestions, les structures concernées vont se mettre à réaliser un travail qui
appartient aux nombreux rôles et fonctions qu’elles remplissent
habituellement, donc il est parfaitement normal de les voir s’activer sans
que ceci change les conclusions présentées plus haut. Ainsi, même s’il y a
une activation du cortex cingulaire pour une tâche bien spécifique
(modulation de l’aspect affectif de la douleur par exemple), il va remplir
uniquement cette tâche sans remettre en route son rôle dans la gestion et le
renforcement d’un éventuel conflit.

4 Transe profonde, processus attentionnels et


mode par défaut

Les processus attentionnels


Les modèles théoriques de l’hypnose ont souligné l’importance des
processus attentionnels dans les phénomènes hypnotiques, mais ses
mécanismes neuronaux restent parfois controversés.
Le fonctionnement neuronal de l’état hypnotique et de la méditation
implique les mêmes systèmes neuronaux, notamment les zones
responsables de la mise en route et du maintien des processus
attentionnels30. En hypnose, on remarque notamment l’amélioration de
l’attention exécutive, ainsi que la performance de l’exécution des tâches.
L’attention sélective implique la focalisation sur une information. Il existe
deux niveaux attentionnels, un diffus ou ambiant et un état focalisé
(sélection d’une information qui provient de l’espace ambiant). Deux
hypothèses opposées ont été avancées. La première propose que les
individus très sensibles à l’hypnose ont naturellement une meilleure
capacité de focalisation attentionnelle et de maintien de celle-ci dans le
temps (Barber, 1960 ; Tellegen, 1974). La deuxième propose en revanche
un processus contraire, de réduction de la focalisation de l’attention
sélective laissant place à un pilotage du comportement par des processus
automatiques non pris en compte par l’espace conscient (Hilgard, 1965 ;
Woody, 1994). Ces hypothèses n’ont pas été confirmées par les études
psychologiques comportementales dont il ressort de nombreuses
contradictions. Les différences individuelles dans les critères communs
d’hypnotisabilité et les capacités naturelles de focalisation et de maintien de
l’attention constituent des traits stables qui peuvent être observés aussi en
dehors de l’état hypnotique (Cojan, 2015).

Seules les études neuroscientifiques ont mis en évidence que les


sujets hautement hypnotisables peuvent activer les réseaux
attentionnels plus efficacement que les sujets faiblement
hypnotisables au moment de la transe profonde. Cette plus
grande flexibilité cognitive a pour conséquence une meilleure
focalisation en ignorant les stimuli non pertinents dans
l’environnement, donc le sujet peut répondre plus efficacement
aux suggestions hypnotiques avec de meilleurs résultats. Ce type
de contrôle cognitif se base sur des processus qui sont associés à
un « système attentionnel superviseur » impliquant des zones
corticales du système limbique, du gyrus temporal moyen et le
cortex pré frontal dorso latéral qui s’activent lors de l’état de
transe profonde (De Pascalis et al., 1999 ; De Benedittis et al.,
2015 et 2019).

Un équilibre particulier entre l’attention et la focalisation introspective


centrée sur soi pourrait constituer l’élément commun clé pour permettre de
modifier le contenu de la conscience, afin de remplacer les stimuli externes
par des sensations, des images et des souvenirs internes formés et dirigées
par les suggestions hypnotiques. Ceci peut se faire par la nette diminution
de l’activité de certains centres responsables de la « rêverie », processus
nommé mode par défaut.

Le cerveau en grande activité lorsque l’on ne fait rien


Le mode par défaut formé par le précuneus (lobe pariétal), le lobule pariétal
inférieur, le cortex préfrontal médian, le gyrus cingulaire, hippocampe et
temporal médian présente une activation uniquement au repos, au moment
où des pensées spontanées surgissent, où le sujet imagine le futur, évoque
mentalement le passé (la rêverie diurne). Ces régions sont inhibées pour le
passage dans les autres modes de fonctionnement, exécutif ou réceptif aux
stimuli extérieurs et attentionnel. Il médiatise les représentations internes à
partir de la mémoire ainsi que les processus de régulation émotionnelle et
d’introspection (Land, 2014 ; Cavanna et Trimble, 2006 ; Cojan et al.,
2009). Il est essentiel de savoir qu’il existe une relation inverse/opposée
entre le fonctionnement cérébral en état de repos (« mode par défaut » ou «
resting state ») et les processus attentionnels ; si les zones responsables de
l’attention s’activent, le mode par défaut diminue nettement son
fonctionnement.

Les études montrent pendant la transe des différences entre les


personnes hautement hypnotisables et les bas hypnotisables suite
aux changements de connectivité entre le gyrus cingulaire
antérieur, les zones impliquées dans le réseau attentionnel et
celles responsables du mode par défaut (McGeown et al., 2009 ;
Deeley et al., 2012 ; Hoeft et al., 2012).

Même si ces résultats n’apportent pas une réponse définitive concernant les
différences individuelles de capacité d’acquérir une transe profonde, ils ont
le mérite de renforcer le constat que le fonctionnement cérébral lors de la
transe hypnotique utilise les structures responsables des mécanismes
attentionnels et non pas celles responsables du mode par défaut. Dans le
fonctionnement cérébral habituel, de veille, donc en dehors de l’état
hypnotique, il est parfaitement prouvé que les deux systèmes ne peuvent
pas fonctionner en même temps. Il existe une alternance et au moment où
les réseaux attentionnels se mettent en route, la grande majorité du réseau
mode par défaut cesse son activité.
Si un sujet est tranquillement assis sur son transat ou dans le bus, « dans ses pensées » et sans
rien faire, le mode par défaut est en pleine activité. Périodiquement il se tait, soit pour laisser les
réseaux attentionnels « faire un tour d’horizon » pour vérifier son environnement, soit en réponse
à un stimulus nouveau (le bus freine brutalement, un ballon tombe sur le transat, etc.).

La notion classique selon laquelle la focalisation de l’attention est


responsable de l’induction de la transe hypnotique (Braid, 1846) a son
explication dans cette modulation de la connectivité entre les réseaux
neuronaux de l’attention et du mode par défaut. Les réseaux attentionnels
sont en majorité opposés à ceux du mode par défaut qui d’ailleurs vont
diminuer leur activité lors de la mise en route de l’attention et la
focalisation sur un but, ainsi que dans la transe profonde. Ceci confirme que
le très ancien paradigme, toujours cité à ce jour dans de nombreux écrits,
considérant l’état de rêverie, certaines actions automatiques exécutives
(assis dans le bus, sur un transat, etc.) comme une « transe hypnotique
spontanée, ordinaire » et qui peut se manifester à tout moment est
parfaitement faux. Il peut exister une transe hypnotique spontanée lors de
situations exceptionnelles, l’inconscient va choisir de diriger le
fonctionnement cérébral dans cet état bien spécifique de la transe,
privilégiant l’activation des réseaux attentionnels et exécutifs inconscients
suite à un besoin qu’il considère comme extrêmement important, en arrêtant
le mode par défaut. Ce changement reste cependant exceptionnel et ne peut
être que très rarement observé.
Mais il est également prouvé que la « construction » de la transe hypnotique
doit avoir comme support un fonctionnement normal du mode par défaut,
même si celui-ci diminue son activité lors de l’entrée en transe hypnotique
et le maintien de cette dernière. Par exemple, dans quelques situations
pathologiques, certaines zones du mode par défaut « tournent à plein régime
» : idées persistantes, répétitives, même obsessionnelles et négatives, de
tristesse, de victimisation, etc. dans les syndromes dépressifs, anxieux, post-
traumatiques. Les connexions habituelles du mode par défaut deviennent
alors « pathologiques » et il devient difficile de réussir à « déconnecter »
certaines zones de celui-ci, condition absolument nécessaire afin d’obtenir
la transe profonde.

Cette nécessité est d’ailleurs parfaitement visible dans la pratique,


les études neuroscientifiques ne faisant que renforcer le constat
clinique : si le sujet continue à errer dans ses propres pensées, le
praticien ne va pas réussir à transmettre à l’inconscient ses
directives à cause du bruit de fond (les pensées propres de
l’individu).

La baisse d’activité indispensable à l’induction hypnotique se produit dans


les régions antérieures du système (McGeown, 2009 ; Demertz, 2011). Le
mode par défaut garde une faible activité postérieure qui va permettre
uniquement le maintien des représentations internes égocentriques au
niveau inconscient sans que le conscient soit informé. Mais même s’il faut
plus de travail et d’efforts dans les situations décrites plus haut, une prise en
charge par hypnose devient extrêmement utile pour ces patients car ces
structures qui travaillent à haut régime, déclenchant ainsi la production des
pensées négatives, tristes et d’un paradigme de « pensée qui tourne en rond
», vont être obligées de se taire lors de la prise en charge par hypnose (si la
transe réussit), ce qui va apporter un net bénéfice psychologique pour le
patient.

Par ailleurs, cette capacité ou tendance à concentrer


sélectivement l’attention tout en engageant simultanément des
processus d’auto-surveillance plus introspectifs, grâce à la
connectivité entre le contrôle et les représentations internes
égocentriques (zones postérieures du mode par défaut), pourrait
contribuer à l’expérience subjective de « dissociation psychique »,
qui est considérée comme l’un des phénomènes fondamentaux
de l’hypnose (Hilgard, 1974).

5 Motricité, paralysie et peur


Pour passer en revue la totalité des études neurologiques en hypnose il
faudrait un livre entier, voire plusieurs. Nous avons sélectionné seulement
quelques résultats concernant la transe profonde, mais quelques autres
aspects intéressants concernent le mouvement (lévitation de la main par
exemple), la « paralysie hypnotique », et la gestion de la peur.

Le mouvement
À part ces grands réseaux attentionnels et exécutifs qui vont déterminer
l’état de transe, de nombreuses études ont analysé l’activité cérébrale lors
des suggestions (une fois la transe hypnotique installée) à but bien
spécifique. Par exemple en ce qui concerne la motricité, on découvre que
les principales aires corticales responsables sont activées même en
l’absence de tout mouvement réel. La simple suggestion va activer ces
zones de la même façon que si le mouvement est réellement effectué. À
l’inverse, en dehors de la transe hypnotique, si une suggestion de bouger est
donnée ces activations n’apparaissent pas, ce qui nous confirme que le «
virtuel » devient effectivement « réel » pendant l’état hypnotique.

La « paralysie hypnotique »
Une autre donnée intéressante est la corrélation positive de la profondeur de
la transe avec l’activité du gyrus frontal inférieur. Son rôle est important
dans l’attention sélective, cette région étant engagée dans la réponse à des
épreuves incongrues. Il est recruté lors des événements nécessitant une
attention soutenue jouant un rôle essentiel dans le contrôle attentionnel,
permettant de cette façon une adaptation flexible et rapide des réponses
comportementales aux stimuli pertinents et saillants. Il est également
impliqué dans la commutation attentionnelle, dans la reconfiguration de la
représentation d’un stimulus afin de guider le comportement. Son activation
lors de la transe hypnotique est essentielle en pratique car elle va commuter
la focalisation de l’attention vers les suggestions données qui deviennent les
stimuli pertinents en éliminant les non pertinents. Il est remarquable que
dans une étude d’IRM fonctionnel sur la « paralysie hypnotique », des
augmentations sélectives ont été observées dans le gyrus frontal inférieur
pendant l’hypnose par rapport à la conscience normale, sans changements
dans d’autres composants du réseau de contrôle cognitif. Cela explique que
lors de la « paralysie hypnotique », il n’y a pas seulement une inhibition
motrice mais un meilleur contrôle attentionnel induit par l’hypnose (Cojan
et al., 2009). Cette conclusion est renforcée par d’autres études en
électrophysiologie (EEG) qui confirment une source distinctive d’activité
dans le gyrus frontal inférieur pendant l’hypnose. Peut-être ce type de
fonctionnement en transe explique-t-il la sensation de réelle paralysie que le
sujet expérimente.

La peur
D’autres modifications concernant des structures bien spécialisées ont été
mises en évidence, comme par exemple l’amygdale qui est une structure
responsable de la gestion de la peur, l’anxiété et du traitement de tout
stimulus représentant un danger. Son activité est fortement diminuée
(souvent complètement absente) en transe, ce qui a un impact très favorable
dans la prise en charge par hypnose de la dépression, l’anxiété, le syndrome
post-traumatique, les douleurs chroniques irréductibles (notamment
neuropathiques). Dans ces pathologies, l’amygdale présente une très forte
activité, qui va être responsable (avec d’autres zones cérébrales dont
certaines appartenant au mode par défaut) des pensées de tristesse qui
tournent en rond sans résultat, de la négativité de la pensée, des
manifestations neurovégétatives (fréquence cardiaque, respiration,
transpirations, sensation de « boule au ventre », etc.).
Dans un premier temps, chez les dépressifs par exemple, on retrouve une
augmentation de taille et du volume de l’amygdale suite à son « effort
permanent », puis avec la chronicisation de la maladie une hypotrophie
(réduction du volume) par fatigue. Les traitements médicamenteux
antidépresseurs peuvent avoir un bon résultat dans la première phase, mais
nettement moins dans la deuxième phase (celle d’atrophie amygdalienne).
Certaines études (Beltran et al., 2019) ont montré une efficacité de la prise
en charge par hypnose même dans la phase d’atrophie amygdalienne, ce qui
à mon avis doit presque imposer la prise en charge de ces situations
cliniques par l’hypnose en parallèle du traitement médical. La simple transe
hypnotique implique automatiquement la mise au calme de cette structure,
ce qui va permettre l’application des suggestions à visée
psychothérapeutique plus complexe.

6 En conclusion
– Le degré d’hypnotisabilité est positivement corrélé avec la possibilité
d’obtenir une transe profonde grâce à des caractéristiques de
fonctionnement cérébral habituel chez les personnes hautes
hypnotisables.
– Les moments de rêverie ne peuvent pas se convertir en « transe
spontanée », donc il s’agit d’un processus avec un fonctionnement
cérébral spécifique qui est forcément induit par une importante
activation des réseaux attentionnels au détriment de ceux responsables
de la « rêverie ».
– L’hypnose présente des bénéfices certains dans de nombreuses
situations cliniques difficiles et doit être intégrée à une pratique
beaucoup plus large.
– Les études scientifiques apportent de plus en plus de preuves
concernant le fonctionnement cérébral en transe ainsi que les
explications cartésiennes de certains phénomènes per hypnotiques
comme l’automaticité du mouvement, la paralysie hypnotique, les
dissociations, etc.

7 Situations 5 et 6 : hypnose profonde et


hypnoanalgésies

Présentation de l’approche clinique de Silvia Morar


Ayant une pratique dans deux lieux distincts, dans ce chapitre je vais vous
présenter deux situations, la première dans le cadre des douleurs
neuropathiques et la deuxième d’une hypnoanalgésie au bloc pour
hématome intra crânien.
▶ Cadre de pratique

Les bénéfices apportés par l’hypnose dans de nombreuses situations


cliniques sont bien identifiés. Ma pratique concerne essentiellement
l’hypnoanalgésie. Depuis 2003, je pratique l’hypnose (après une formation
à l’Institut Français d’Hypnose, alors dirigé par Didier Michaux) dans le
cadre de mon métier de neurochirurgien. Mais à part la neurochirurgie
classique, je suis neurochirurgien référent national maladies rares
(syringomyélie), ce qui m’amène à voir en consultation des patients atteints
de lésions du système nerveux qui génèrent ce que nous appelons les
douleurs neuropathiques, correspondant à des douleurs chroniques rebelles
aux traitements médicaux antalgiques classiques. En effet, le soulagement
de ces douleurs peut dans le meilleur des cas être partiel, encore
actuellement. Par conséquent, l’hypnose est une alternative qui m’a
beaucoup intéressée dans ce cadre, d’une part au bloc opératoire pendant
des interventions chirurgicales dont le délai prévu ne dépasse pas 3 heures
car il est évidemment plus difficile de faire les deux actes en même temps
sur une durée plus longue : la fatigue du praticien peut engendrer des
résultats moins probants. D’autre part, l’hypnose me paraît pertinente pour
la prise en charge plus complexe des patients présentant des douleurs
neuropathiques. Je vais ici vous exposer un cas de chacune de ces
catégories, les techniques utilisées et les résultats obtenus selon mon
interprétation. Ce qui est paradoxal, c’est qu’il m’apparaît plus facile
d’opérer et de faire l’hypnose en même temps chez un patient
(hypnoanalgésie) que de pratiquer l’hypnose dans le cas des douleurs
chroniques neuropathiques. L’explication la plus logique est que la
composante psychologique et les modifications de fonctionnement cérébral
notamment limbique (déjà bien documentées dans de très nombreuses
études) qui accompagnent les douloureux chroniques prennent une place
majeure dans la chronicité des symptômes ainsi que dans la vie du patient.
▶ Ma pratique habituelle

Les techniques habituellement utilisées pour l’analgésie simple pendant


l’intervention chirurgicale sont : induction fonction du patient sur
respiration, body scan, etc. Pour la grande majorité des patients (80 %), la
technique est d’amener le patient dans un lieu sécurisé, où il se sent bien,
par exemple en vacances.
Personnaliser le lieu peut être très original, par exemple pour un prêtre
persuadé de mourir et qui avait très peur de se faire ouvrir la tête pour les
besoins de la chirurgie, j’ai choisi de l’amener à Dieu et l’inciter à discuter
avec lui pendant l’acte.
En hypnose, il faut s’adapter au patient, à ses croyances, à son mode de vie.
En ce qui concerne les patients souffrant de douleurs chroniques, la prise en
charge nécessite une prise en charge plus longue, en moyenne de 7 à 10
séances pouvant être éloignées les unes des autres et en utilisant des
techniques variées, qui ont déjà fait leurs preuves.

Situation 5 : Monsieur Adrien (suivi chronique)


▶ Présentation de la situation

Il s’agit d’un patient âgé de 63 ans avec pour antécédents un lupus cutané
sans manifestation systémique31, une gastrite, un kyste synovial (kyste
articulaire bénin). En avril 2004, il présente des douleurs aux deux membres
supérieurs, essentiellement à gauche, associées à des douleurs aux genoux
et à la jambe gauche, avec une sensation de froid aux quatre membres
prédominant à gauche. Ces sensations s’aggravent progressivement avec un
déficit moteur du bras gauche coté à 4 sur 5. Il présente également des
dysesthésies et des paresthésies (troubles sensitifs qui se manifestent par
des fourmillements désagréables et douloureux) au niveau des deux bras,
mais à prédominance toujours gauche.
Il consulte plusieurs médecins, généralistes et spécialistes, qui tournent
autour du problème sans arriver à un diagnostic précis. Finalement, le
patient bénéficie d’une IRM cervicale qui met en évidence un épendymome
(tumeur bénigne) intra médullaire étendue de C1 à C5 avec une portion
kystique à sa partie inférieure. Il s’agit d’une tumeur localisée à l’intérieur
de la moelle épinière (dans le cas présent au niveau cervical) de nature
parfaitement bénigne, mais qui par son développement écrase les structures
nerveuses de la moelle épinière qui sont habituellement en charge des
commandes motrices et de la transmission des informations sensitives dans
pratiquement la totalité de l’organisme.

L’annonce du diagnostic est faite par un radiologue qui commence


par lui dire dans un couloir : « M. Adrien, vous n’avez pas de
chance ! » Ceci est très important car j’ai déjà remarqué à de
nombreuses reprises l’influence bénéfique sur les suites
postopératoires qui est en partie conditionnée par une annonce
initiale du diagnostic « bien faite ». La majorité des patients qui
ont eu une annonce « difficile » de pronostic d’une maladie lourde
ou encore une errance de la prise en charge et un retard
diagnostique ont des suites postopératoires conditionnées par une
composante psychologique « négative » qui peut même
potentialiser la symptomatologie et le vécu (difficile) du patient.

Finalement, ce patient est adressé en neurochirurgie pour sa prise en charge.


Une intervention chirurgicale lui est proposée au cours d’une consultation
où les risques et les bénéfices lui sont expliqués, mais il demande un temps
de réflexion. Lors de la deuxième consultation et devant les risques
d’évolution vers une tétraplégie s’il n’est pas opéré de sa tumeur
compressive, il accepte l’intervention.
À la suite de cette dernière, M. Adrien présente au décours et comme
attendu, une aggravation transitoire post-opératoire à type déficit moteur
incomplet des quatre membres à nette prédominance gauche. Des douleurs
de type neurogènes s’associent progressivement à ce déficit.
Étant donné le travail pendant l’intervention chirurgicale, très souvent on
observe une légère aggravation en post-opératoire immédiat (qui se résout
dans les jours suivants) en fonction du niveau abordé. Il est donc normal
d’avoir un léger déficit moteur (paralysie transitoire) des membres car le
lieu abordé est en cervical, or, comme dit plus haut, les commandes passent
par cet endroit. Les douleurs de type neurogènes (neuropathiques) sont des
douleurs bien spécifiques qui apparaissent à chaque fois que le système
nerveux est lésé ou même un peu « embêté ».
La rééducation pour prise en charge de ce déficit post-opératoire se fait dans
un centre spécialisé et le patient récupère complètement au bout de deux
mois. Il ne conserve que des douleurs du bras gauche et de l’hémicorps
gauche. Le résultat anatomique à l’imagerie (IRM) est satisfaisant avec une
ablation totale de la portion tumorale. Une partie du kyste est encore
constatée, qui nécessite selon les recommandations une surveillance
régulière clinique et radiologique. Les douleurs neuropathiques se
chronicisent avec une très faible amélioration par traitement médical. On
décide ensemble d’une prise en charge complémentaire par hypnose. Son
traitement médicamenteux habituel est assez lourd depuis plusieurs années
et comporte plusieurs catégories de molécules à dose maximales :
antalgiques de 2e classe, antiépileptiques (les antalgiques simples et même
de 2e et 3e catégorie ont une action réduite dans le cas des douleurs
neuropathiques), anxiolytiques, antidépresseurs. Le caractère chronique et «
irréductible » des douleurs neuropathiques nécessite la prise en charge par
ces dernières catégories car la cause principale de ce type de douleurs est
une lésion propre à une partie du système nerveux qui va envoyer des
signaux aberrants ayant comme conséquence les sensations douloureuses.
Par conséquent, les catégories de médicaments qui peuvent « mettre au
calme » le travail des neurones concernés vont amener des bénéfices. C’est
d’ailleurs à cause de cet aspect bien particulier des douleurs neuropathiques
que l’hypnose peut avoir de très bons résultats.
▶ La première séance d’hypnose, 3 ans après l’intervention

Pendant les mois et années qui ont suivi l’intervention, la seule « séquelle »
reste les douleurs. M. Adrien ne travaille plus, même s’il a parfaitement
bien récupéré du point de vue neurologique. Il a très peu d’activités, il est
focalisé sur ses douleurs, avec un discours négatif, de « victimisation ». Je
lui propose de rajouter quelques séances d’hypnose. En général, le
protocole que je fais pour mes patients de ce type est de 7 à 10 séances
espacées de minimum 2 semaines. Il accepte en spécifiant qu’il ne croit pas
à l’hypnose et que ses douleurs sont bien réelles, non pas « dans sa tête ».
Ma réponse (comme d’habitude) : On verra bien. À la première séance, je
propose au patient une induction par fixation d’un point de son choix, avec
une suggestion de bien-être qui envahit progressivement le corps. Son choix
ne m’a pas aidée, car le patient avait choisi le bras d’une grue… qui était en
mouvement, et non régulier qui plus est ! Sans doute aussi pour contrecarrer
un peu cette « distractabilité », j’ai amené graduellement l’hypnose
profonde, notamment en insistant sur certains mots. En voici quelques
extraits :
« Et comme vous continuez à continuer à regarder ou à imaginer ce point
pendant que vous pouvez fermer les paupières et même si les paupières ne
deviennent pas lourdes et même si vous n’allez pas laisser ces paupières se
fermer comme pour imaginer ce point ou cet objet ou tous les objets
imaginaires qui peuvent maintenant se former devant vous plus facilement
et beaucoup plus rapidement comme une surprise sur le mur des paupières
qui se ferment maintenant (yeux fermés), ce mur qui est comme un écran
de cinéma et vous pouvez voir si le désir de voir ce que je ne vous dis pas
pendant que vous écoutez ma voix et même si vous n’écoutez attentivement
ma voix… ce qui est là maintenant… sur l’écran qui vous montre
maintenant cette grue qui continue à bouger au même rythme (…) »
Sous les paupières fermées, les yeux de M. Adrien bougent latéralement. Je
suggère que la grue s’arrête de bouger, les mouvements oculaires s’arrêtent,
ce qui me confirme l’installation de la transe. Finalement, les mouvements
de la grue m’ont été utiles pour pouvoir vérifier la profondeur de la transe !
« Comme dans un miroir vous voir maintenant installé confortablement
dans ce fauteuil comme dans un miroir découvrir l’image de Robert (son
prénom : lorsque la transe est bien installée, j’utilise le prénom)
parfaitement calme, avec un bien-être visible et peut-être vous pouvez
chercher dans cette image de Robert le signe parfaitement visible et le
signe parfaitement évident de son bien-être le parfait signe du
changement… et maintenant et tout de suite ou peut-être à votre rythme…
plus tôt vous allez pouvoir décrire ce signe qui devient évidemment d’une
évidence parfaitement évidente. »
Souvent, je pose des questions aux patients pendant la transe. Dans
quasiment 80 % des cas, ils oublient ces échanges.
Patient : Elle est droite.
Moi : Droite ? Quoi ?
Je me demande s’il y a une relation avec ses douleurs neuropathiques qui
étaient prédominantes au membre supérieur droit (main droite).
Patient : Ma colonne… est droite… comme la grue.
L’abord chirurgical, l’opération que j’avais pratiquée pour enlever la tumeur
avait eu lieu au niveau de la moelle épinière cervicale, donc il a fallu
enlever une partie des vertèbres pour pouvoir accéder. Souvent les patients
sont inquiets à cause de cette obligation d’enlever une partie de leur
colonne vertébrale, malgré toutes nos explications rassurantes quant à la
stabilité future de leur rachis. Même s’il avait accepté mes paroles, on
remarque qu’une inquiétude à ce sujet était encore restée présente.
Moi : Bien… elle va pouvoir rester droite comme la grue.
Patient : Oui.
Au réveil : « Je me sens totalement différent, je n’ai plus de corps, ivre,
agréable ». Ces sensations se sont dissipées progressivement après la
séance et il accuse à nouveau la même symptomatologie douloureuse le
lendemain.
▶ Les autres rendez-vous

Trois semaines après, monsieur Adrien cote sa douleur à 9 sur l’échelle


EVA (0 = absence de douleur et 10 = douleur intolérable), je lui suggère
donc pendant la séance la visualisation du chiffre 9 de la taille qu’il
souhaite, de la couleur qu’il souhaite, puis le chiffre va changer
progressivement en 8 puis 7 puis 6 puis 5 puis 4 avec à chaque fois le
changement de couleur qui peut se faire indépendamment de sa volonté. Je
lui donne comme suggestion post-hypnotique de voir le chiffre 4 à chaque
fois qu’il en estime le besoin, à chaque fois que sa douleur est présente,
insupportable. Après la séance, il me dit qu’il n’a pas pu descendre plus bas
que le chiffre 6.
À la troisième séance, à 2 semaines, il me dit qu’il « est d’accord pour
constater une amélioration de sa situation sans pour autant parler de
miracle ». Cette fois, j’utilise une métaphore en commençant une fois l’état
de transe profonde constaté avec l’idée que le cerveau a la capacité
d’oublier et il le fait très bien tous les jours. Je poursuis avec la métaphore
de la gomme qui efface et supprime tout ce qu’il est nécessaire de
supprimer, cette gomme qui peut continuer s’il est d’accord à travailler
pendant des semaines et des mois et des années tant qu’il en aura besoin.
Le rendez-vous suivant, une nouvelle fois à 2 semaines, le patient a les
mêmes plaintes avec en plus l’idée que l’hypnose peut ne pas marcher pour
lui. Il dit que les douleurs reviennent dès le lendemain de la séance. Je
commence moi aussi à me demander si cette thérapeutique doit être
poursuivie et dans mon rôle de neurochirurgien, je lui demande son
traitement médicamenteux actuel pour une réévaluation corrélée à sa
souffrance. À mon grand étonnement, j’apprends qu’assez rapidement
depuis le début du traitement par hypnose il a « éliminé 2 ou 3 médicaments
» pour finalement n’avoir conservé qu’« un peu de n… et de x… le soir »,
qu’il fait un peu plus d’activités dans la vie quotidienne mais qu’il se sent
dans l’impossibilité de reprendre le travail un jour. On constate donc de
façon très objective une nette amélioration même si elle n’est pas formulée
par le patient. Il a gardé seulement 2 médicaments à très faible dose (avant
la prise en charge par hypnose il avait les doses maximales de 5 catégories
de molécules différentes). C’est peut-être d’ailleurs pour conserver les «
bénéfices secondaires » de sa maladie, comme l’arrêt de travail et
l’installation dans « la longue maladie ». Ces informations me persuadent
donc de l’intérêt de l’hypnose dans son cas de douloureux chronique, et je
refais une séance simple (ballon qui lève la main gauche). Au total, le
patient a bénéficié de 8 séances étalées sur environ 2 mois. Le résultat
objectif semble bon car il a réduit de lui-même son traitement qui était assez
lourd. Il a également repris partiellement des activités de la vie courante.
S’est posée ensuite la question d’une prise en charge psychologique, car
certains indices m’ont semblé curieux comme la non reconnaissance d’une
amélioration de sa part (rapport au corps ? résistance au changement ? autre
chose ?). Je rappelle que je suis neurochirurgien et que je peux faire bien
seulement ce que je sais faire.
▶ Une suite surprenante

Mais l’objet de mon écrit n’est pas celui-ci, même s’il y a peut-être
beaucoup à dire…
Lors des deux dernières consultations, il m’a rapporté une aggravation des
douleurs au niveau de la main droite. Je rappelle qu’il présentait en post-
opératoire des douleurs neurogènes aux membres supérieurs avec une nette
prédominance gauche. L’intensification des douleurs à droite, même sans
prise médicamenteuse nouvelle ou augmentation des doses déjà existantes,
m’a fait demander une IRM de contrôle. Celle-ci montrait une
augmentation du kyste avec un aspect de tension intra kystique, donc sur la
moelle. Son kyste post-opératoire était stable depuis des années, mais j’ai
dû le réopérer pour cela 6 ans après la première intervention (en per
opératoire pas de récidive tumorale, donc sa tumeur n’était pas réapparue,
mais le kyste s’était redéveloppé, car une des caractéristiques naturelles de
notre organisme est celle de cicatriser ; pour un neurochirurgien, la «
cicatrisation » naturelle peut poser parfois des problèmes à cause de la
dynamique de la circulation du liquide qui enveloppe notre système
nerveux et à cause des « cicatrices » – nommées par nous « brides » ou «
arachnoidite » –, le liquide se trouve piégé et forme à distance des kystes
qui peuvent devenir compressifs).

Discussion
Cela confirme que l’hypnose peut diminuer dans beaucoup de cas la
douleur, jusqu’à la faire disparaître et améliorer la qualité de vie. Les études
montrent aussi que l’hypnose ne peut pas modifier les caractéristiques les
plus profondes de notre moi, même s’il est complètement inconnu par nous.
Elle ne peut pas changer nos croyances personnelles les plus profondes. Je
pense que l’hypnose, même si elle arrive à diminuer des symptômes bien
réels comme la douleur, ne peut avoir d’incidence sur l’évolution
anatomique d’une pathologie et qu’il n’y a pas de risque qu’elle « cache »
une évolutivité nouvelle éventuelle. Car il est, à mon avis, très étonnant ce
pouvoir qu’a l’hypnose de diminuer des symptômes bien réels, organiques
et d’arrêter cet effet bénéfique au moment où le symptôme nécessite un
autre regard. Dans le cas décrit plus haut, on peut considérer qu’il existe «
un gardien » qui ne va pas être d’accord avec le thérapeute si lesdits
symptômes nécessitent une prise en charge différente (dans notre cas la
chirurgie).
D’une part, l’atteinte anatomique par la poussée du kyste n’a pas été «
masquée » par l’hypnose et d’autre part, il suffit d’être attentif et à l’écoute
de chaque signe, chaque plainte spontanée du patient et ne pas céder aux
habitudes de consultation, en considérant, comme c’était le danger avec
mon patient, que cette nouvelle plainte reste dans le cadre d’une nécessité
autre (psychologique) de garder les bénéfices secondaires.

Situation 6 : patient fâché, praticien heureux ! (Bloc


opératoire)
▶ Présentation

Il s’agit d’un patient âgé de 82 ans présentant des céphalées, une paralysie
partielle du bras et de la jambe droite, un syndrome confusionnel associés à
des troubles d’expression verbale (parole dysarthrique, mal formulée, oubli
de certains mots). Le scanner montre un assez volumineux hématome situé
dans son cerveau gauche qui comprime le reste des structures nerveuses. Il
présente comme antécédent un diabète, une hypertension artérielle traitée,
des troubles du rythme traités par anticoagulants par voie orale. Une
intervention chirurgicale (évacuation de l’hématome sous hypnose pour
éviter l’anesthésie générale) est décidée en urgence, réalisée en plein milieu
de la nuit, à plus de 3h30, retardée par l’attente d’une hémostase propice à
la réalisation de l’acte. L’entretien pré-opératoire, notamment l’information
nécessaire à la réalisation de l’induction hypnotique, est très peu productif à
cause de la confusion et des troubles phasiques. Les seules informations que
j’arrive à obtenir sont qu’il est retraité, qu’il a 2 enfants et qu’il aime passer
ses vacances à la mer sans aucun détail. Malgré cette anamnèse très limitée,
je décide de faire l’intervention sous hypnose et basculer en anesthésie
générale en cas de problème.
▶ Réalisation de l’acte

D’ordinaire, je commence par une induction avec relaxation et body scan,


fixation d’un point, observation de sa respiration, etc. Pour ce patient j’ai
choisi d’aller un peu plus vite (car il était tard) et je lui suggère qu’il est en
vacances. Extrait pendant l’installation et la fixation de la tête :
« Comme je vous ai déjà expliqué tout à l’heure nous allons commencer le
travail pour vous débarrasser de cet hématome, mais finalement c’est
uniquement moi qui vais réellement travailler… vous n’avez rien à faire
absolument rien à faire pendant tout ce temps sauf écouter ma voix qui
vous dira tout ce qui est important à savoir et il est fort possible qu’il est
plus facile pour vous d’écouter ma voix les yeux fermés bien confortable
pour être capable de bien entendre toute ma voix… et écouter tout ce qui
se passe et tout ce suit… Et maintenant c’est bien (yeux fermés) car à
partir de maintenant comme vous êtes parfaitement installé vous vous
concentrez uniquement sur ma voix qui est la seule qui compte maintenant
vous écoutez ma voix… (injection anesthésie locale)… vous êtes
tranquillement installé sur votre transat face à la mer, bien confortable,
vous entendez le bruit des vagues, le soleil commence à sortir de la mer et
se reflète sur la mer, il y a des gens et des enfants autour, vous êtes calme,
tranquille, heureux… »
En général, je fais l’induction pendant l’installation, le rasage du cuir
chevelu, le badigeonnage de l’antiseptique, l’installation du champ
opératoire. Je fais toujours une anesthésie locale uniquement pour la peau
avec une dose de lidocïne et adrénaline, la dose en cas d’utilisation de
l’hypnose étant systématiquement réduite de moitié par rapport aux patients
sous anesthésie générale car il a été déjà rapporté dans des études que
l’hypnose peut potentialiser les effets de certains médicaments. Les effets
de l’adrénaline et de la xylocaïne au niveau cardiaque ne doivent pas être
trop forts. On sait aussi qu’en période de transe profonde, le rythme
cardiaque est parfaitement stable, sans aucune variation. Ce fait est
extrêmement important pour ma pratique, car durant toute la durée de l’acte
je ne peux plus voir le visage et le corps du patient, complément couvert par
les champs opératoires et ma seule visibilité reste son cerveau et le scope
avec les chiffres de la fréquence cardiaque, la tension artérielle, et une
partie de son ECG. Ceci m’est extrêmement utile, car si à un moment donné
je constate le moindre changement je renforce par des suggestions adaptées
pour éviter le risque de sortie de l’état de transe. À partir du moment où je
constate la stabilisation de la fréquence cardiaque (qui pour moi est un
signe d’installation en transe profonde), les suggestions changent, en
devenant très directives, puis pendant l’acte je garde une hypnose très
directive et éloignée du style « gentil » sophrologique et même ericksonien.

Je rappelle un point essentiel, qui est que l’installation du patient


au bloc comporte la « fixation » de sa tête à la table opératoire par
un cadre dans lequel j’installe 3 vis pénétrant l’os du crâne (de la
même façon qu’on perce un mur pour introduire des vis, clous,
etc.). C’est une sensation désagréable pour les patients
conscients. Au moment où le scope me confirme l’installation de
la transe profonde, je passe aux suggestions directives et je
commence les manœuvres « lourdes ».

Il faut savoir aussi qu’une fois la transe profonde installée, il n’y a plus
besoin de « parler », je ne fais qu’opérer en amenant des suggestions de
temps en temps en fonction du besoin. J’indique systématiquement que
pendant tout le temps qu’on est ensemble (moi et le patient), je peux être
amenée à lui parler, qu’il doit ignorer les bruits autour de lui, que je peux
aussi discuter avec d’autres personnes présentes au bloc et qu’il le saura car
ma voix va changer à ce moment-là. Cette suggestion a toujours bien
fonctionné, excepté dans le cas que je vais décrire. Au moment où je
m’apprête à faire ouvrir son crâne (on utilise une perceuse électrique qui se
nomme trépan), je m’aperçois que le câble n’est pas celui de la marque que
j’avais sur la table, donc je demande à la panseuse de m’apporter le bon
câble.
Patient : Je n’ai pas de câble.
Moi : C’est bien. Peut-être nous allons en trouver un ? Vous êtes où ?
Patient : Sur le transat.
Moi : Sur la plage ?
Patient : Oui.
Moi : Vous pouvez continuer à regarder la mer, confortablement installé sur
le transat, le sable… et chercher ce câble.
Je continue à travailler. J’essaye de fixer le nouveau câble que la panseuse
m’a apporté, mais il n’est pas adapté (il s’agit en effet d’une infirmière qui
travaillait pour la première fois en neurochirurgie). Je m’adresse à nouveau
à la panseuse en lui demandant de m’apporter un autre câble. Je ne
m’adresse pas au patient.
Patient : Madame !!!! (Avec une voix forte et colérique mais toujours
dysarthrique) Les plages d’Espagne sont propres !!! Il n’y a pas de câble.
Moi : C’est très bien. Puis, je lui suggère de rentrer dans la mer, nager et
chercher un câble.
Patient (toujours en colère) : Il est 8h00 du matin. Personne ne rentre dans
la mer !
Je rappelle qu’il est en réalité aux alentours de 4h du matin…
Moi : Pendant que vous restez tranquillement installé sur le transat vous
pouvez regarder le soleil qui se lève, ressentir la chaleur qui enveloppe
votre corps (en même temps, je fais signe à la penseuse d’augmenter la
température de la couverture chauffante)… Puis des suggestions du même
type pendant 2 minutes pour arriver à la fin à une forte chaleur, le soleil qui
est très haut et finalement il est midi, le temps de rentrer dans la mer et
chercher le câble.
Je ne vérifie pas si le patient est rentré ou pas dans l’eau. J’essaye le
troisième câble qui ne marche toujours pas ! Cette fois-ci je commence
également à m’énerver et je demande à la panseuse de m’apporter tous les
câbles du bloc pour que je puisse choisir avant de stériliser. Je ne m’adresse
pas au patient mais il répond à ma demande adressée à la panseuse :
Patient : Oui… Je cherche. (je le sens un peu fatigué)
Moi : Je vous remercie. Nous avons vraiment besoin de ce câble. Je cherche
moi aussi de mon côté.
Finalement je récupère le câble adapté pour la perceuse et j’arrive à réaliser
le volet crânien. J’évacue l’hématome. Je suis contente. Je ne parle pas au
patient, je surveille seulement le scope avec sa fréquence cardiaque. Sans
aucune demande de ma part :
Patient : Je suis dans l’eau. C’est la dernière fois que je vous fais plaisir. Je
vais trouver votre foutu câble !
Moi : C’est bien.
C’est le seul exemple au bloc au cours duquel le patient a pris
pour son compte toutes mes paroles, car habituellement pendant
une séance hypnose au bloc avec ma voix qui change quand je
m’adresse aux autres, les patients le savent. Par ailleurs pendant
l’acte il y a beaucoup de bruit, des gens qui parlent, les
instruments métalliques qui font des bruits forts, les moteurs des
perceuses pour réaliser les trous et couper l’os qui ont le même
son que les perceuses qu’on utilise pour faire des trous dans un
mur, etc. C’est un aspect qui à première vue peut paraître
perturbant pour le déroulement d’une induction hypnotique, mais
en ce qui me concerne est très utile, car au moment où je
constate que le patient n’est plus réceptif à tout ce qui se passe
autour et qu’il n’a aucune réaction aux bruits forts, je sais qu’il a
gagné la profondeur de la transe que je souhaite. En général à
partir de ce moment-là mes paroles prennent une connotation très
directive.

Au réveil : comme d’habitude au moment où je me déstérilise et j’enlève les


champs opératoires, pansement, etc., je réveille le patient.
Il parle d’une façon parfaite alors que pendant le bloc il s’exprimait avec
une importante dysarthrie à cause de son hématome ; par contre il se montre
toujours très colérique.
Patient : J’ai cherché votre foutu câble partout. J’ai mal à tous mes muscles
! J’ai mal partout !
Moi : Vous savez, l’opération s’est très bien passée.
Patient : Je veux aller me reposer dans ma chambre et ne plus vous voir !

Discussion
Le patient ne s’intéresse pas du tout aux résultats de l’opération. Il continue
d’être fâché car il n’a pas trouvé le câble. Même les jours suivants, il ne me
parle que de l’effort fourni pour le chercher. Il a récupéré le déficit moteur
et la dysarthrie, et même lors des consultations de contrôle à 6 semaines et à
3 mois, il est resté marqué par la recherche du câble, sa pathologie cérébrale
étant passée sur un plan secondaire.
De mon point de vue, même si mon patient n’a pas été content, j’ai été
extrêmement satisfaite car grâce à la transe profonde où le réel n’existait
plus et le virtuel devenait une nouvelle réalité, j’ai pu pratiquer une
opération dont les résultats étaient très satisfaisants. Même si le patient a
conservé ce sentiment de mauvaise expérience de recherche de câble.

Points à retenir

L’obtention d’une transe profonde est extrêmement bénéfique


dans le cas présent, et je dois avouer dans tous les cas au
bloc opératoire, car elle peut amener le patient dans une réalité
virtuelle qui pour lui devient vraiment réelle. Cette nouvelle
réalité est beaucoup moins traumatisante. La transe profonde
présente également le grand bénéfice d’amener l’oubli en post
séance des nombreux évènements et pensées anxieuses qui
peuvent avoir lieu pendant l’acte.
Dans d’autres cas de prise en charge comme pour les
douleurs chroniques, la transe profonde (à mon avis) permet
une négociation directe avec l’inconscient pour obtenir le
résultat le plus bénéfique possible pour le patient, en
conformité toujours avec ce que son conscient est prêt à
recevoir.

30. Voir notamment : Lewis 2007, Pagnoni 2007, Lutz 2008, Baron 2010, Manna 2010, Berkowich-
Ohana 2011, Kilpartick 2011, Xue 2011, Yu 2011, Hasenkamp 2012, Sato 2012.
31. Absence des signes habituels comme la fatigue intense, maux de tête, atteinte articulaire,
articulations gonflées ou douloureuses, fièvre, anémie, gonflement dans les pieds, les jambes, les
mains, douleur dans la poitrine et/ou essoufflement, etc.
Chapitre 7

Hypnoanalyse et apports de
C.G. Jung

E. Collot

1 Avant-propos : l’émotion plutôt que l’intellectualisation

2 Les mécanismes de survenue de l’hypnose profonde

3 Comment se représenter dans les grandes lignes


l’appareil psychique jungien

4 Conclusion

5 Situations 7 et 8 : Hélène et une difficulté à l’écriture,


Angelina
L’hypnose profonde ne se limite pas à une technique, une
approche, une pensée. Elle est aussi un processus que diverses
matières tentent de mettre à jour. Juste avant nous, Silvia Morar
propose une synthèse de ce que les neurosciences peuvent en
dire. Pour notre part, nous proposons un éclairage via la pratique
de l’hypnoanayse, et particulièrement de la façon dont Jung
permet aussi une approche de ce qui se passe lorsque le patient
bénéficie d’une hypnose « approfondie ».

1 Avant-propos : l’émotion plutôt que


l’intellectualisation
C’est en tant que psychiatre psychothérapeute formé à l’hypnoanalyse par
le psychanalyste américain Jacques Palaci32, très proche de Heinz Kohut,
que j’ai fait connaissance de l’hypnose profonde. Historiquement, bien qu’il
s’agisse d’un état de conscience naturel et spontané qui peut se manifester
de la transe légère à la transe profonde (de la dissociation légère à
profonde), il a été associé malencontreusement aux pratiques suggestives de
Freud, et honni de ce fait par la plupart des écoles analytiques. Voilà qui est
paradoxal. En effet, il n’échappera pas à qui connaît l’état d’hypnose et qui
par ailleurs pratique l’analyse qu’il n’existe pas d’analyse sans libre
association, celle-là même recherchée par Freud lorsqu’il abandonna
l’hypnosuggestion. Il explique clairement ne conserver de la technique
suggestive que l’état hypnoïde, celui qui autorise la mobilité des afférences
inconscientes, état qui est précisément ce que nous nommons aujourd’hui
état d’hypnose.
La libre association peut être considérée, selon Jacques Palaci, comme une
forme d’auto-induction de transe en ce qu’elle est un discours qui s’adresse
à soi-même. Le dispositif analytique est d’évidence contingent de la libre
association : l’analysant investit son espace intérieur dans un état second,
manifestement pour qui en a la connaissance, de nature hypnotique
(dissocié), intensément lié aux affects. Si nous ne devions retenir qu’une
seule phrase de Freud, ce pourrait être que toute remémoration dénuée
d’affect est sans effet. Or il se trouve que depuis 1999 (Maquet et al.), le
scanner à positron a permis de confirmer la différence des états cérébraux
d’un sujet qui raconte une histoire dans la machine (narration), de celui qui
la reconsidère dans un état hypnoïde et la revit (vécu). Seul, le revécu ouvre
les canaux sensoriels, facilitant en particulier l’accès aux émotions. Voilà
donc l’intérêt du mode de fonctionnement de la conscience nommé
maladroitement hypnose. En effet, tandis que le vocable « hypnose »
évoque le sommeil, à la transe hypnotique correspond plutôt l’opposé, une
hyperactivité cérébrale, assurant la possibilité d’un plongeon dans l’univers
affectif, siège privilégié des névroses.

Cet état est d’ailleurs partagé par l’analyste, alors qu’il se laisse
glisser dans l’écoute flottante, s’assurant d’une forme d’écoute
attentive à la musique de la langue, aux subtilités du langage,
celles des signifiants (les images évoquées par le mot). Il s’agit
conjointement d’ouvrir le cœur et l’imaginaire qui sont alors
partagés avec ceux du patient. Ce principe de métaphorisation
sera appliqué fréquemment par Milton Erickson qui, ne l’oublions
pas, a étudié la psychanalyse, et qui vers la fin de sa vie selon sa
fille Betty Alice avait une pratique de « guérisseur »
(communication personnelle).

Erickson fait un pas de plus dans l’approfondissement de la transe : il


cherche une occultation totale de la conscience critique rationalisante,
convaincu comme Freud que toute intellectualisation doit être éliminée afin
de faciliter l’élaboration inconsciente. Beaucoup de thérapeutes qui ne
reconnaissent pas, sinon la psychothérapie analytique, simplement l’écoute
flottante, pensent qu’il existe une incompatibilité entre Freud et Erickson.
C’est tout à fait faux dans la pratique. Nous verrons même que
l’hypnothérapeute a beaucoup à apprendre de la pratique d’une analyse
jungienne, et inversement.
Enfin il peut être utile de rappeler que l’hypnose n’est qu’un état qui ne
présage pas des nombreuses possibilités de son utilisation. L’hypnose de
foire ou de music-hall est principalement un exercice de sidération
suggestive qui n’utilise en aucun cas les ressources de l’hypnose
thérapeutique. C.G. Jung vécut dans l’enfance, spontanément, de nombreux
moments de dissociation auxquels s’associèrent des épisodes de régression
parfois intenses. Voilà qui l’invita à étudier la nature de la conscience et à
s’intéresser davantage à la régression. Beaucoup plus proche des questions
liées au narcissisme (au Moi précoce), il développe des techniques de
régression psychique, parfaitement hypnotiques, définies selon la
terminologie freudienne comme des inversions du sens de circulation des
influxs nerveux : Quelle est la nature de la manifestation psychique
primitive ? Qu’en est-il lorsque notre perception du réel est créée non plus
par les sens mais par le cerveau comme cela se produit lorsqu’un sujet est
en immersion dans un caisson d’isolation sensorielle, par exemple.
L’efficacité du travail thérapeutique en hypnothérapie dépend souvent de la
capacité du sujet à entrer dans un mode de déconnexion profonde. Mais
qu’est-ce que la profondeur de la transe et quels sont les mécanismes
auxquels elle est subordonnée ?

2 Les mécanismes de survenue de l’hypnose


profonde

Deux concepts sont indissociables des processus menant à


l’approfondissement de la transe : la dissociation, conceptualisée
par ce grand esprit qu’était Pierre Janet, qui s’accompagne ipso
facto d’un second concept, la régression qui provoque une
dépotentialisation progressive de la conscience, entendue ici
comme une relation entre le Moi et le monde (régression
psychique freudienne).

Hypnose profonde et concept de dissociation


Pierre Janet pose l’hypothèse de l’existence d’une personnalité première et
d’une personnalité seconde, qui bien que toujours présente dans la psyché,
ne s’exprime que lorsque la personnalité première est réprimée. Nous
pensons immédiatement à Puységur, et à ces sujets capables de « divination
», ces choses enfouies dans leurs subconscients et exprimées dans l’état de
transe, ou à Théodore Flournoy et sa patiente, Hélène Smith. La
représentation schématique de Janet est simple : la personnalité est à
l’image d’un lustre pyramidal possédant plusieurs étages de chandelles. La
seconde rangée (la personnalité seconde) n’apparaît que lorsque la première
rangée est éteinte. Simple mais efficace. Pourquoi la dissociation ? Peut-être
parce que le cerveau a besoin d’être en boucle sur lui-même pour s’adonner
librement à la résolution de problèmes, « être dans ses pensées et ne plus
porter une quelconque attention à l’environnement ». Elle survient
spontanément dès que l’environnement n’est plus « suffisamment bon »
pour paraphraser Winnicott33. L’espace environnant s’estompe
progressivement au profit d’un espace intérieur. Cette faculté de l’esprit qui
permet à l’imaginaire de prendre la place de la conscience objective est un
processus fondamental qui nous autorise à être ailleurs, dans les périodes de
repos, entre deux tâches par exemple. L’exemple le plus simple à considérer
est bien sûr la rêverie qui s’empare du sujet dans un transport : il manque de
descendre à la station alors qu’il était bien physiquement présent. C’est
encore le cas de l’étudiant qui lit techniquement un ouvrage mais ignore
après-coup ce qu’il a lu. Ce sont des exemples de dissociation légère, à mon
sens des débuts de transe hypnotique. Lorsque surgit dans l’esprit une peur
panique, chez un sujet s’attendant à être frappé violemment par exemple,
une dissociation intense peut survenir extemporanément. Le sujet peut aller
jusqu’à se vivre en dehors de son corps et ne rien ressentir. Il semble
d’ailleurs que certains prisonniers détenus dans des camps de la mort aient
pu résister des heures, nus dans le froid et la neige, grâce à la dissociation.
Mais l’affaire n’est pas aussi simple. Le concept d’hypnose profonde repose
principalement sur ces deux variables, la dissociation et la régression qui
par synergie s’intensifient.
La dissociation tend à rendre étanche la séparation entre conscient et
inconscient. Il ne s’agit pas d’un clivage psychotique. Le thérapeute peut
alors a priori créer un lien fort avec l’inconscient du sujet de telle façon que
ce dernier quitte son attitude névrotique, sa persona en termes jungiens. La
régression, parce que l’inconscient est structuré de façon métaphorique
(archétypale), ouvre un espace de travail perméable au registre onirique.
Dans le contexte de la psychothérapie, l’accès aux événements traumatiques
provoqués par la levée de la conscience critique (dissociation) demande au
sujet d’être capable d’affronter la douleur morale. En l’absence de
résilience, le sujet manifestera de grosses difficultés pour accéder au lâcher-
prise. En outre, l’ouverture onirique favorise une complicité entre patient et
thérapeute : une alliance thérapeutique. Jung considère à l’inverse de Freud
que les échanges transférentiels se manifestent de part et d’autre. Enfin la
régression profonde qui caractérise les états de transe dont l’hypnose
profonde conduit à dissiper le Moi dans le Soi et à réaliser une
extraordinaire expansion de conscience. La régression est alors
thérapeutique en soi, ce qui justifie parfois l’hypnose sèche (sans
l’auxiliaire de la parole).
L’hypnose sèche est en vérité le plus souvent une hypnose profonde.
Nombre de sujets disent volontiers au décours d’une séance : « le meilleur
moment, le plus intense, c’était dans le silence qui a suivi » (telle ou telle
parole, suggestion, etc.). Il faut différencier un moment d’hypnose « travail
», guidé par le thérapeute, d’un espace de liberté dans l’état d’hypnose
laissant la conscience (et non plus la pensée) approfondir une intention.
Voire, il est parfois difficile de faire revenir un sujet dans la réalité : même
sorti de la séance, le sujet reste de plusieurs minutes à plusieurs heures dans
un état de flottement.

Hypnose profonde et régression psychique


La dissociation est un prérequis à l’hypnose profonde (comme le rappelle
Antoine Bioy dans cet ouvrage), cependant le Moi ne bascule pas
nécessairement vers une régression profonde qui s’apparente à un retour
vers la psyché originelle, débarrassée de tout avatar. La méditation tibétaine
Mahâmudrâ donne un exemple de ce processus dont la progression est
soumise aux capacités de lâcher-prise34. Une comparaison peut aider à la
compréhension de ce parcours qui plonge l’esprit dans le Soi. En voici
l’illustration donnée par Rama Krishna à ses étudiants :
« Parfois Dieu efface jusqu’à la trace du je. Voici l’expérience jada Samâdhi ou nirvikalpa
Samâdhi (extase sans forme) : cette expérience ne peut être décrite. Une poupée de sel alla
mesurer la profondeur de l’océan, mais avant d’être allée profond dans l’eau, elle a fondu. Alors,
qui a pu revenir et donner la profondeur de l’océan ? » (traduction libre)

À la question des étudiants qui s’interrogent sur la capacité d’un retour


d’expérience, Rama Krishna répond qu’il reste toujours une petite partie du
Moi suffisante pour intégrer l’expérience, celle qui jouxte l’âme et qui
entretient un lien avec le Soi.
Voici la description que fait Bertrand Méheust de ce même voyage
: « Quant au mystique, il traverse les couches de la réalité
objective puis celle de la réalité psychique universelle et reçoit
l’éclairage de l’absolu, du Principe. Il est alors dans les moments
d’extase comme la poupée de sel qui plonge dans l’océan pour en
mesurer la profondeur. Au fur et à mesure de cette descente, il se
dissout et s’unit avec le Tout. Son corps ne répond plus aux
exigences terrestres : stigmates, anorexie, don d’ubiquité,
miracles, visions allégoriques et métaphysiques… » Selon
Bertrand Méheust, Jésus était un thaumaturge (Meheust, 2015).

« Faire table rase de nos acquis, oublier un instant nos bagages culturels… se penser au milieu du
Pacifique, de la forêt équatoriale, du désert, observer la ligne d’horizon, s’immiscer dans cet
espace sans épaisseur entre terres et cieux… Être là où je ne suis rien, où je ne suis pas encore né
! Autre façon d’expérimenter le mystère de la poupée de sel de Ramakrishna. » (Collot, 2016)

Cette régression profonde dans l’hypnose survient lorsque l’esprit se libère


de toute attente, de toute directive consciente. Non pas tant parce que le
Moi sombre dans une forme de coma, car il reste observateur attentif, mais
parce qu’il abandonne toute prérogative. Ce voyageur attentif explore ce
monde au-delà du monde. Il passe du visible à l’invisible. Il s’engage dans
la démarche de façon active, participative, tout en restant neutre, non
décisionnel. La dissociation est bien réelle, cependant que le Moi reste
opérant, observateur de ce que Corbin nomme « l’imaginal ». L’état est
comparable à celui survenant dans les cultes de possession ou de perte
d’âme propres aux cultures premières, ou encore aux états pathologiques
schizoïdes (personnalités narcissiques qui ont des visions sans perte du
réel). La psyché peut perdre totalement ses repères habituels et aboutir à la
folie divine telle que Socrate l’évoque dans Phèdre.
Il est important de comprendre que seule la conscience est dissociée et non
le Moi. Par contre, le Moi imaginal envahit le Moi conscient qui s’estompe
pour devenir la personnalité seconde.
Jung a expérimenté l’imagination active, la technique la plus avancée et la
plus poussée dans le domaine de l’exploration psychique. C’est une
approche amplificatrice (notée parfois amplificatoire) des symboles
oniriques. Le sujet voyage et rencontre des personnages issus de
l’inconscient (provenant le plus souvent de la part cachée de l’inconscient
nommée ombre), avec lesquels il peut communiquer. Pensez à une question
relative à votre psyché et laissez-vous entraîner dans l’imaginal. Comme
dans le rêve, des personnages peuvent apparaître avec lesquels vous pourrez
converser, et desquels vous pourrez obtenir des réponses. Cette technique
est assez proche de l’Internal Family System (IFS), développée par Richard
C. Schwartz dans les années 1980, ou encore des « constellations familiales
» développées dans les années 1990 par Bert Hellinger.
L’analyse du rêve revécu en séance d’hypnose profonde peut tout à fait être
source d’ouverture du Moi vers le Soi.
Kohut ou Jung proposent de développer un état stable d’accession à l’infini,
source d’équilibre psychique et de réalisation de soi.
La constante indispensable pour la réalisation de cette ouverture sur
l’espace du Soi est de comprendre et de maîtriser le lâcher-prise et le laisser
advenir, deux processus décrits dans l’hypnose profonde et décrits par
ailleurs par Jung. Il eut la chance d’avoir et de découvrir enfant ce don inné
de déconnexion lui permettant de s’échapper de la réalité pour explorer la
réalité de l’invisible, celle de l’âme.
Un détour par les conceptions de l’appareil psychique jungien est éclairant
pour mieux comprendre les liens entre ces deux mouvements de la
conscience profondément intriqués.

3 Comment se représenter dans les grandes


lignes l’appareil psychique jungien

L’idée d’une supra-conscience


Selon Jung, « l’être conscient » ne constitue qu’une partie de la totalité de la
psyché. C’est l’émergence phylogénétique de l’appareil psychique qui a
permis à l’homme de figurer dans le processus objectif d’être. Mais cet être
en devenir (comme ceux de l’ensemble du règne vivant) était déjà existant
sans en être conscient. La philosophie jungienne postule implicitement qu’il
existe une dimension atemporelle et non localisée, l’espace du Soi, de
l’Esprit, de l’Âme, c’est aussi le « paradis d’Indra », qui renvoie à une
dimension spirituelle universelle. Cet inconscient comme espace du Soi est
évidemment différent de l’inconscient décrit par la psychanalyse
freudienne. C’est une différence fondamentale que nous retrouvons dans
l’hypnose profonde et dans l’hypnoanalyse ; l’inconscient qui s’ouvre dans
les transes profondes n’est plus celui d’un sujet isolé, car il s’ouvre sur
l’Unus Mundi. Il s’ouvre aussi sur l’ensemble des archétypes. Le « grand
archétype organisateur » en représente la quintessence, le Soi. Toute
création possède son ombre dans le Soi, l’inconscient pourrait se définir
comme l’ombre du Tout.
La théorie de l’ordre implicite proposée par le physicien David Böhm
suppose de considérer l’esprit et la matière (ou la dualité onde-corpuscule)
comme la double manifestation dans l’ordre explicite d’une même réalité
sous-jacente.
De même que la Terre est contenue au sein d’un système, l’être en devenir
est plongé dans un environnement systémique. Au fur et à mesure de
l’expansion de la conscience de soi émerge un inconscient collectif, propre
au genre humain mais aussi à l’ensemble des êtres pensants. Jung a nommé
archétypes les formes-pensées qui peuplent cet espace existant en dehors du
Moi cérébral. L’être naissant aujourd’hui développera au cours d’un
processus nommé individuation une symbolique universelle existant depuis
l’émergence de cette dimension. La rencontre et l’incorporation de ces
archétypes conduiraient le sujet vers sa propre réalisation. Les archétypes
symbolisent toutes sortes de situations humaines mais aussi animales (d’où
le monde magique du chamane, l’animal totem, etc.). Il existe par exemple
toute une hiérarchie des archétypes du féminin, de la mauvaise mère à la
bonne mère, de Lilith à Ève, Hélène… jusqu’à Marie puis la Sofia,
représentation de la divinité. Nous nous représentons l’ensemble de ces
hiérarchies, l’homme ou la femme viscérale par exemple, en devenir vers
des êtres spirituels. L’acquisition d’archétypes enrichit le Moi et le conduit
vers un espace imaginal.

Un narcissisme au-dessus de toutes contingences


L’ensemble de ces éléments s’intègre dans cet espace préexistant, le Soi
(Selbst, Self). Il représente la somme de tous les archétypes, dont le grand
archétype organisateur représente la quintessence. Déjà évoqué dans
différents échanges avec Freud, Romain Rolland donne forme à
l’expérience du Soi qu’il nomme le sentiment océanique. L’idée vint à
Rolland au cours de l’étude des textes de Rama Krishna Paramakas dont il
fut l’un des exégètes. Rama Krishna était en effet particulièrement attaché à
un texte sanskrit médiéval : l’astâvakra samhitâ (selon Jeffrey M. Masson).
Kohut estime que le sentiment océanique décrit par Rama Krishna et repris
par Romain Rolland semble une ouverture brutale sur l’infini, une
Épiphanie mais d’une courte durée. Kohut, quant à lui, pose en principe le
narcissisme cosmique comme le but religio-éthique de sa psychologie. Le
narcissisme cosmique serait le résultat d’un développement mental achevé
indiquant un accomplissement, une réalisation éthique et existentielle au-
delà du résultat d’une psychanalyse réussie (l’intégration d’éléments du
Moi grandiose et l’idéalisation des imagos parentaux dans un Moi
cohérent). Il se caractériserait par un état qu’il définit de la manière suivante
:
« L’accomplissement d’un changement de l’investissement narcissique du moi en direction d’un
investissement dans une existence supra individuelle et en dehors du temps, se pose en contraste
au sentiment océanique… dont on fait l’expérience passivement (et habituellement de façon
fugitive)… Le véritable changement vers un narcissisme cosmique est la résultante durable et
créative d’activités soutenues d’un ego autonome, que très peu sont capables d’atteindre. Je crois
que cette prouesse rare repose, non seulement par la victoire d’une raison autonome et d’une
objectivité suprême au-dessus des réclamations du narcissisme, mais aussi sur la création d’une
forme supérieure de narcissisme… Un narcissisme cosmique qui a transcendé les limites
individuelles. » (Kohut, 1978)
« Le Soi est la donnée existante a priori dont naît le Moi. Il préforme en quelque sorte le Moi. Ce
n’est pas moi qui me crée moi-même : j’adviens plutôt à moi-même. » (Jung, 1971)

Le Soi est une entité à part entière, superposable au concept d’âme, non pas
dans le sens religieux mais dans le sens de l’imago dei dans l’homme. Jung
reconnaît ainsi une fonction spirituelle en psychologie. Les concepts
jungiens d’archétype et de synchronicité sont liés à l’Unus Mundus, l’unité
de la création. Les archétypes en seraient les manifestations. La
synchronicité35, définie comme une coïncidence signifiante, ne peut se
concevoir que comme la résultante d’un lien subtil ou d’une union de
l’observateur et du phénomène via l’Unus Mundus. Le modèle de la
psychologie jungienne est ternaire : corps, conscience, esprit ou âme. Enfin
Jung ajoute ce commentaire :
« La solitude n’existe apparemment que lorsque le Soi est un désert…/… Aucune culture de
l’esprit ne suffit à faire de ton âme un jardin. J’avais entretenu mon esprit, l’esprit du temps en
moi, mais pas l’esprit des profondeurs qui se tourne vers les choses de l’âme, le monde de l’âme.
L’âme possède son monde qui lui est propre. N’y pénètre que le Soi ou l’homme qui est
entièrement devenu son Soi, qui n’est donc ni dans les choses, ni dans les humains, ni dans ses
pensées. » (Jung, 2011)

L’unité dans la cohérence du test


Les énergies conscientes et inconscientes s’influencent sous l’égide du Soi
pour soigner et réaliser la personnalité. Rappelons que C.G. Jung n’est en
rien un mystique. Il se réclame du philosophe William James (fondateur du
Pragmatisme). Il entend établir la psychologie analytique sur des bases
scientifiques, à partir d’une phénoménologie. Le monde réel, tangible, ne
représenterait selon Jung que la moitié de la réalité. L’invisible en serait
l’autre partie. L’être réalisé possèderait cette totalité. À noter que Kohut
formule en d’autres termes la même hypothèse. L’hypnose profonde selon
la philosophie jungienne autorise un cheminement vers la découverte de
l’Ombre (univers des pulsions) et des instances inconscientes, les
représentantes du Moi authentique, plus stables que ses avatars de l’espace
conscient. La transe profonde donne accès au corps et au soin psychique.
Cependant elle permet au-delà du soin la réalisation de l’être,
l’individuation par l’accès au Soi, en tant que dimension infinie de
Conscience, l’équivalent d’Âtmâ, souffle vital de l’indouisme.
Les exemples cliniques suivants montrent les liens d’échanges et de
complémentarité entre les instances de la conscience et de l’inconscient
personnel, les stigmates ou manifestations corporelles et enfin avec
l’inconscient universel. L’expansion de conscience ainsi réalisée est le
chemin de la réalisation de soi.
Selon ce processus, la véritable psychothérapie est au sens premier du terme
un soin de l’âme, qui nourrit une véritable évolution personnelle. Il ne s’agit
pas uniquement dans l’hypnose profonde de traiter un symptôme, il s’agit
ipso facto de bien davantage, si le sujet le désire. Toutefois Jung (à l’inverse
de Freud) considère qu’il faut tout d’abord « traverser son ombre » (le ça),
et non pas l’analyser (l’ombre reste l’ombre) avant d’accéder à la régression
profonde. La peur de la découverte de son âme inhibe souvent l’exploration
des profondeurs.

4 Conclusion
Quelle profondeur de l’hypnose ? À quel moment l’hypnose, la transe,
devient-elle profonde ? Au terme de cette présentation, non exhaustive, une
question vient à l’esprit : en présence d’un patient, que recherchons-nous et
pourquoi l’hypnose profonde ?
Nous savons l’influence déterminante de l’inconscient sur le conscient,
nous savons que les directives et suggestions directes n’ont que peu d’effet,
ou des effets limités dans le temps. Un traitement psychothérapeutique sera
d’autant plus efficace que le thérapeute saura lier contact avec l’inconscient
du patient. La profondeur de la dissociation est donc fondamentale. De
même que le sujet pris en charge en hypnoanalgésie sera d’autant plus
anesthésié qu’il sera dissocié, perdu dans les pensées partagées avec le
thérapeute, de même le patient en thérapie sera immergé dans les
profondeurs de son inconscient, là où siègent les résolutions malveillantes,
le saboteur, les traumatismes, l’enfant intérieur qui pleure… mais aussi les
solutions, en particulier par la capacité du sujet en hypnose profonde à
dépasser ses limites habituelles. D’autre part, l’esprit conscient s’avère un
empêcheur d’accéder au changement, pour différentes raisons, comme la
peur de rouvrir les traumas, l’inquiétude d’accroître le mal-être, la crainte
de retrouver des cauchemars, etc. La dissociation voire la double
dissociation exclut la pensée cartésienne et ouvre le champ de conscience.
Enfin, plus la transe est profonde, voire silencieuse, et plus la conscience
s’imprègne d’une forme de sagesse.

5 Situations 7 et 8 : Hélène et une difficulté à


l’écriture, Angelina

Présentation de l’approche clinique d’Édouard Collot


Je suis médecin psychiatre, psychothérapeute, psychanalyste. J’exerce plus
spécifiquement la psychothérapie d’influence analytique jungienne, dont «
l’imagination active » et différentes formes d’hypnothérapie.
L’enseignement et l’expérience personnelle de la transe m’ont amené à
m’ouvrir au champ de l’anthropologie.
L’étude et la confrontation des transe-thérapies occidentales et des
tradithérapies indiquent qu’il existe des « ressorts » psychiques universels,
très en dehors de nos paradigmes. Ce transculturalisme ne fait pas
seulement s’ouvrir de nouvelles voies de pratiques, de nouveaux concepts
psychothérapeutiques. Il laisse à penser qu’il faut réintroduire « l’âme du
monde » dans nos pratiques actuelles qui, souvent désincarnées, n’ont
tendance qu’à considérer l’objet au détriment du sujet.
Concernant ma pratique clinique, elle est actuellement exclusivement
libérale. Cependant, durant des années, j’ai été responsable de l’unité
d’hypnothérapie à l’Institut Paul Sivadon, établissement de l’association
l’Élan Retrouvé, à Paris. Cette unité adossée à un hôpital de jour de
psychiatrie a été une initiative inédite, qui se prolonge encore de nos jours.

Situation 7 : hypnoanalyse
▶ Entretien préliminaire

Le premier entretien tend à déterminer l’intérêt d’une prise en charge, ainsi


que définir l’approche privilégiée pour mener à bien le travail
thérapeutique. En l’occurrence, l’entretien sera bref ; d’évidence la patiente
ne souhaite pas trop en dire. Madame Hélène, âgée d’environ trente-cinq
ans, est historienne des sciences. Elle consulte pour difficultés d’écriture,
stratégies d’évitement… évoque des problèmes relationnels avec ses
collègues ; elle se décrit comme narcissique, orgueilleuse, plutôt rebelle…
Elle dit ne pas avoir les moyens de son orgueil, éprouve frustration,
agressivité et… se déprime, alors, dit-elle, « se lance des défis à la con… »
Elle préfère fouiller le passé avec des séances d’hypnoanalyse. C’est tout ce
qui ressort de l’entretien ! L’hypnoanalyse est la technique retenue.
▶ Première séance

L’induction de la transe ne peut se faire que par une attitude visant à


éliminer progressivement l’attention consciente au profit d’une attention
flottante. Il s’agit de faire en sorte d’éliminer toute interpolation de la
conscience critique. Comme le disait Lao Tseu, ce n’est pas en tirant sur le
brin d’herbe qu’on le fait pousser. Suggérer le lâcher-prise est un oxymore !
L’induction ou l’aide à entrer en transe ne peut être qu’indirecte. On parle
parfois de dépotentialisation de la conscience. En l’occurrence, l’induction
(induire n’est ni suggérer ni ordonner) consiste à demander à la patiente de
se focaliser sur le ressenti du corps tout en prêtant attention à la respiration,
profonde et régulière. Le sujet doit parvenir au lâcher-prise, il doit
minimiser au mieux les recours cognitifs au profit d’un laisser advenir.
J’évoque l’idée d’un lieu agréable de son choix (la traditionnelle safe place)
et lui donne l’espace et le temps. Il est important qu’elle engage d’elle-
même le processus de dissociation. Sa première parole sera pour m’indiquer
qu’elle est sourde d’une oreille, je lui dis que je parlerai plus fort… Je
considère ce commentaire comme le signe d’un début de lâcher-prise, car
c’est probablement quelque chose vécu comme une infirmité qu’elle a du
mal à évoquer. Mais c’est aussi le signe qu’elle s’éloigne de l’ici et
maintenant.
Après quelques minutes (qui peuvent paraître longues), elle prend la parole.
Elle est dans le lointain, la voix est frêle, ténue, je dois tendre l’oreille, le
rythme est lent. Souvent il existe un temps de latence important entre les
prises de parole. Mais il ne faut pas penser en l’occurrence qu’il s’agit de
réflexions, tout indique le contraire dans le dialogue : il s’agit d’observation
d’elle-même en situation.
Hélène : Je pense à une lecture…
Thérapeute : C’est naturel.
Je favorise au mieux le laisser-aller.
H : Je vois une plage, c’est une plage crépusculaire, je ne vois jamais ça…
Les flots sont bleu sombre… C’est sans doute à cause du tableau…
Il est intéressant de constater qu’elle utilise l’un des tableaux faisant face au
divan ; ce qui pourrait être défensif mais qui manifestement va assurer une
transition subtile entre le Moi réel, la persona, et le Moi imaginal. En effet
ce tableau représente les Alpilles avec des champs de lavande aux couleurs
criardes. Rien qui pourrait évoquer les flots, mais tout évoque un ailleurs,
elle n’est plus pour une part dans mon bureau.
Th: Cette vision est-elle sinistre ?
C’est pour moi une façon d’accentuer la dissociation, l’aider à pénétrer sa
vision.
H : Non… ce sont des couleurs magnifiques… mais c’est inhabituel pour
moi de trouver ça là…Je n’ai pas peur… Il y a des petits cailloux blancs qui
brillent, c’est inhabituel, c’est glorieux, car j’ai peur, je suis froussarde, j’ai
peur de tout… peur du crépuscule. C’est comme la fin de quelque chose,
comme un soleil qui tombe dans l’eau, la fin d’un cycle… plus angoissant
que triste… La mer avant je l’adorais… je nageais sans crainte…
maintenant je n’adore plus… je pense qu’il y a des choses sous la mer…
l’eau fait partie de la vie… ce n’est pas l’eau c’est la profondeur de la mer
que je crains… finalement c’est mieux sur la plage…
J’associe inconsciemment son récit avec l’histoire que Freud évoque à
propos de son rapport à l’Inde dans un commentaire à Bruno Götz : le
fameux « plongeur » du poème de Schiller…36 Le page descendit en effet
dans les entrailles de la Terre, mais j’évoque ici un « plongeur », pas un
spéléologue… Mon inconscient a-t-il été alerté par quelque chose ? Est-ce
un simple lapsus ? Voici souvent l’effet d’une « écoute flottante ».
H : C’est amusant mon père était plongeur, il nous emmenait moi et ma
sœur au fond de la mer ou au milieu du lac sur son dos… Et mon père n’est
plus là…
Je lui fais remarquer que dans sa rêverie le soleil est tombé dans l’eau…
Elle ne fait aucun commentaire et reste un long moment dans le silence puis
elle reprend doucement ses esprits et déclare avec émotion et contentement
:
H : J’ai fait un beau voyage…
Fin de la séance dont la durée aura été d’une vingtaine de minutes, ce qui
donne une idée de la lenteur de l’idéation. Cela indique la richesse de la
vision dont le compte rendu fait par la patiente est restreint, il y a beaucoup
de perte pour le thérapeute, mais pas pour elle !
▶ Commentaires sur la première séance

La technique, à cet endroit, impose de ne pas reprendre l’analyse de séance.


Cela se fera après-coup, selon l’évolution de la personne. J’ai en
conséquence écrit ce commentaire dès après la séance, sans autres
renseignements anamnestiques.
Je n’ai aucune connaissance de la problématique œdipienne avant de
pratiquer cette première séance. Très clairement, elle vient pour résoudre la
question du blocage à l’écriture et ne veut spontanément rien révéler d’elle-
même qui pourrait porter atteinte à l’image qu’elle entend donner. Elle omet
par exemple d’évoquer le problème de surdité dans l’entretien préliminaire.
Un transfert œdipien paternel se manifeste extemporanément assez
clairement.
Un paradoxe se fait jour : une forme d’opposition, semble-t-il, à ce
crépuscule, c’est un crépuscule solaire, un crépuscule des dieux, le dieu
père, Aton le soleil, s’efface dans les flots d’une grande beauté, le plongeur
ne remontera pas. Elle évoque sa peur des profondeurs, sa surdité qui s’est
associée après-coup avec les profondeurs, comme s’il ne fallait pas entendre
ce qui émane des abysses, confrontée à la douleur d’un deuil inexorable et
qui mêle tristesse et beauté : une apothéose.
Il est bien clair que l’évocation pendant la séance est un vécu, par
opposition à une narration. Elle est dissociée et la qualité de la régression
peut être appréciée par l’accès à des archétypes très spécifiques. Il est
magnifique de constater qu’une symbolique neptunienne la protège d’un
sentiment de peur. Elle vit une expérience très profonde : le père se sublime
dans les flots en laissant une atmosphère de grande beauté et de sérénité.
Ce qui ne pouvait être vu, entendu et probablement donc écrit, la mort du
père, devrait dès lors trouver réification dans la source divine du disque
solaire. Car ainsi que Giraudoux l’écrit dans Électre, la renaissance se
produit dans un rayon de lumière chaude37.
Le thérapeute n’est ici qu’un catalyseur, et la question du comment reste
quelque peu énigmatique. Les processus d’accession aux régressions
profondes restent mystérieux. Quoi qu’il en soit, le travail thérapeutique se
manifeste extemporanément pendant la séance, et l’outil de ce travail est la
régression qui met en contact l’esprit avec le Soi ; schématiquement l’esprit
de la patiente va à la rencontre des archétypes (au sein de l’espace du Soi).
Il se produit un basculement d’un vécu de tristesse et de perte vers un
sentiment de beauté et de gloire d’un imago paternel transfiguré. Réintégré
dans le panthéon des divinités, le père saluera sa fille chaque matin, la
baignant de lumière. Forte du retour généreux du père, elle saura apprécier
le crépuscule, comportement d’exploration retrouvé.
▶ Seconde séance

Il n’y a aucun commentaire de part et d’autre au début de séance. La


patiente a noté le rêve qui le soir même a fait suite à la séance.
Elle est devant sa maison d’enfance. Elle voit son père, et pour la première
fois dans un rêve, elle ne le voit pas malade (son père est décédé d’un
cancer en 2015, et la patiente qui rêve beaucoup et très souvent de son
père, le perçoit toujours malade). Il y a aussi un immense avion devant la
maison. Ensuite elle voit une femme (dans la réalité une personne de son
âge qu’elle a connue et dont elle dit qu’elle l’a trahie), enceinte (vu leur
âge elle considère que cela est très improbable), et qui porte un foulard au
fond bleu clair avec des dessins blancs, et sur lequel est écrit en lettres
rouges « Libé », avec une typographie évoquant l’hebdomadaire. Puis deux
amis très proches d’elle poussent des cris de joie car le foulard en question
avait été offert à leur mère et elle l’avait perdu. Enfin apparaît un autre
personnage, une femme, « une machine à distribuer des vacheries » dit-elle,
« une vielle peau, qui lui a mis beaucoup de bâtons dans les roues ». Elle
avait perdu ses clefs. Il se met à pleuvoir violement, elle est en voiture et ne
peut plus avancer à cause de cette pluie battante.
Elle est stupéfaite par cette image du père qui pour la première fois depuis
six ans lui apparaît bien portant (elle ne dira pas bien portant mais « pas
malade »).
Manifestement dans ce cas, il n’est pas nécessaire d’avoir de discussion
pour favoriser l’élaboration du matériel de la séance ou du rêve. La patiente
suit précisément le chemin jungien qu’il définit comme suit : « la tâche la
plus noble de l’individu est de devenir conscient de lui-même ».
▶ Commentaire au second entretien

Nous assistons au retour du refoulé. Les problématiques de deuil non résolu


se manifestent. Le parcours logique du deuil, tristesse, révolte, sublimation,
n’est pas achevé. Dans le droit fil de la séance d’hypnoanalyse (très proche
de la technique de l’imagination active), nous constatons que le père renaît
à sa fille. Le foulard concrétise un paradoxe subtil, un de ces tours
incroyables de l’inconscient. En effet il s’agit d’une personne honnie,
portant un foulard esthétiquement moche (selon les dires de la patiente), qui
arbore le mot « Libé » (même typo que celle du quotidien), quotidien qui
toujours selon les dires de la patiente « lui brûlerait les mains ». Or l’âge de
la personne, enceinte qui plus est, au côté du père relève de l’identification
projective ou de la rivale. C’est aussi le retour de la mère… L’inconscient,
c’est très probable, traduit ainsi le paradoxe de l’inconfortable position de la
psyché devant une situation de libération face à un deuil qu’elle ne veut
peut-être pas faire. Il s’agit d’une position d’ambivalence classique souvent
en relation avec un problème de culpabilité, en l’occurrence ici vis-à-vis du
père… A-t-elle fait tout son possible pour ce père cancéreux et avec lequel
elle nouait une relation symboliquement incestueuse ? Elle parle de son
père en disant : « c’était un être solaire, très adulé… » Elle explique que son
père pilotait un « coucou »… Dans le rêve, c’est un avion immense… Enfin
la fin du rêve révèle fort probablement une autre blessure narcissique, dont
il résulte un sérieux blocage. Tous ces éléments font partie de plusieurs
séances hebdomadaires, parfois en face à face, selon une méthode de
discussion, d’élaboration et d’abréaction.
Cet exemple montre clairement que l’histoire de la patiente s’exprime de
façon tout à fait symbolique, ce qui est grandement facilité par l’état de
transe beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît, dont une part était auto-
induite. Le thérapeute agit indirectement par sa simple présence. Jung à ce
sujet estime qu’il existe un double transfert et non un transfert et un contre-
transfert. Voilà qui confirme la nécessité pour le thérapeute de développer
une perception de la problématique du patient au même niveau de
conscience subliminale et métaphorique. Aucune formulation interprétative
n’est nécessaire, le travail se fait par la conscientisation d’archétypes d’une
part et dans un échange transférentiel réciproque, d’inconscient à
inconscient (une alliance thérapeutique). Ceci ne se produit que lorsque la
dissociation est profonde.
L’état onirique vécu dans la séance et le rêve qui s’ensuit indiquent qu’il
existe dans notre évolution quotidienne une progression menant vers une
libération. Il ne fait aucun doute que ces deux étapes font partie d’un
processus d’individuation. Par ailleurs, le « traitement » du rêve dans la
séance d’hypnoanalyse permet de mesurer l’intérêt d’un travail
thérapeutique faisant appel aux symboles et aux métaphores.
La patiente a repris la lecture et la rédaction en quelques séances, ses
collègues on fait quelques allusions sur des changements notables dans son
comportement.

Situation 8 : séance d’imagination active


L’anamnèse est rapide : Angelina a connu Sergio, son premier amour, à
l’âge de 20 ans. Après avoir rompu, (elle vivait à l’époque à Rome), elle a
quitté la ville uniquement par peur de le croiser. Elle dit en rêver de temps
en temps, « il est vivant parmi les morts » ajoute-t-elle. Il est décédé en
2017 à l’âge de 36 ans, mais elle ne l’a appris qu’en 2019. Elle a la volonté
de vivre en paix alors qu’elle est constamment tourmentée par ce souvenir.
Elle ne parvient pas à faire de nouvelles rencontres et se replie sur elle-
même. Après plusieurs séances anamnestiques où il est question de son
passé (beaucoup de déceptions amoureuses et de l’investissement
compensatoire dans son travail), nous décidons de tenter une séance
d’hypnose profonde, sans pour autant en fixer l’objectif.
L’induction se fait de la même façon que précédemment, quoique plus
longue. Il est évident que l’induction est toujours différente d’une personne
à l’autre. Parfois c’est pendant l’induction que se manifestent, au fur et à
mesure de la régression, d’importants éléments psychiques ou physiques.
En préalable il faut savoir qu’en séance d’imagination active, les
personnages interpelés ne sont pas les miroirs de l’âme d’un sujet
désespéré, mais des interlocuteurs stimulant les fonctions affectives et
poussant aux prises de conscience.
« Je retrouve Sergio. Je suis pleine d’émotion. Les retrouvailles sont pleines
d’émotion, intenses, passionnées. Nous ne sommes pas tout seuls dans
l’instant, il y a beaucoup de gens que je ne connais pas, ils circulent mais
ne s’immiscent pas dans notre « intimité ».
Long silence
Nous sommes à présent dans un appartement qui ne lui appartient pas,
comme un appartement qu’on lui a prêté pour travailler. Le lieu semble un
peu vieillot dans le style « Allemagne de l’est » pendant la guerre froide.
Nous nous embrassons passionnément (mais sans sexualité) et je lui dis que
ce que nous sommes en train de vivre est unique. Il approuve mais il
regarde en même temps un téléphone posé sur la commode à côté de
laquelle nous sommes assis. Il le regarde comme s’il attendait un appel.
Nouveau silence
Nous nous retrouvons à l’extérieur de la ville. Il ne me semble pas la
connaître, et elle est quasiment vidée de ses habitants. Sergio m’emmène à
pied prendre un petit train à l’extérieur de cette ville, c’est presque la
campagne et le vent se lève, soudain, comme un temps d’automne. Il ne fait
ni jour ni nuit, je n’arrive pas à définir car j’ai l’impression qu’il fait
sombre mais tout en voyant les choses nettement dans la pénombre. Dans le
train, où il y a d’autres personnes, et Sergio semble le diriger, nous roulons
vite contre le vent et la pluie. Nous longeons un torrent qui court dans le
même sens que nous. À notre droite il y a un flanc de coteau. Puis face à
nous plein d’arbres remplis de perles (comme des perles de culture)
s’ajoutent au paysage. C’est une vision magnifique. Les branches viennent
fouetter le train et les perles tombent. J’en ramasse quelques-unes, mais
quand elles sont dans mes mains elles ressemblent tout compte fait à des
grains de raisins séchés. Je suis en pleine illusion. Le voyage en train se
termine.
Nouveau silence
J’en descends seule, j’entends une voix… Elle me demande d’écouter Dieu
s’il venait à me parler. Je lui réponds que je ne crois pas en Dieu… Elle me
répond d’écouter au moins les 4 témoins. Sur ce, je descends le long de la
route qui longe elle aussi le torrent et Sergio vient à ma rencontre, habillé
d’un imperméable. Il porte des lunettes noires (il ressemble à la caricature
des espions qu’on peut voir dans les films). Il me tend alors 4 petits violons
dans leurs étuis avec quelques partitions (les violons semblent avoir vécu
car le cuir des étuis est abîmé). Puis il me dit : « Voici les 4 témoins ».
Je lui réponds : « Mais qu’est-ce que je peux en faire, puisque je ne sais pas
en jouer ? »
Il me répond : « Ça ne fait rien, apprends au moins un morceau pour que
nous puissions le jouer ensemble lors de notre prochaine rencontre ».
Je prends les violons et Sergio continue son chemin. Je me retourne pour le
regarder s’éloigner. Ghislaine se trouve alors à côté de moi et comme pour
la prendre à témoin, je lui dis « regardes là-bas, c’est lui Sergio ! » »
Fin de la séance d’Imagination active.
▶ Commentaire

Il semble que la patiente revive la période de sa vie amoureuse avec Sergio.


Le train, comme les moyens de déplacement en général dans les rêves,
exprime le plus souvent la ligne du temps. Sergio est le chef du train, c’est
lui qui gère la relation et c’est aussi lui qui y met fin. Elle peut concevoir
que sa vision (magnifique) fut troublée pendant ce temps, les perles qu’elle
imaginait n’étaient que des raisins séchés. Mais aujourd’hui il lui confie un
secret et un projet auquel il s’associe, jouer de la musique ensemble, ce qui
l’obligerait à reprendre sa vie en main avec de nouveaux objectifs. La
patiente est depuis lors beaucoup plus présente à son quotidien Elle a repris
des activités artistiques et s’ouvre au monde qui l’entoure.
L’imagination active est une méthode de mise en relation des plans
conscients et inconscients, à partir d’un dialogue intérieur. La dissociation
est nécessairement un préalable, d’où une forme d’induction, le plus
souvent d’auto induction. Bien que la plupart des analystes jungien ignore
l’état d’hypnose, il est évident que la technique requiert une transe
profonde. Le thérapeute encourage le sujet à laisser s’exprimer
l’inconscient en personnifiant les archétypes, ou à donner corps aux conflits
intérieurs. Ce sont ainsi de véritables entités avec lesquelles le sujet entre en
relation. Un dialogue peut s’engager et les représentations inconscientes
acquièrent progressivement un statut de personne à part entière. Des
animaux, voire des objets, des nuages par exemple, peuvent s’exprimer, et
participer à l’élaboration de solutions. Jung a débuté sa carrière en
découvrant que des entités inconscientes (nommées complexes) bloquaient
les mécanismes cognitifs. Tout comme Erickson, Jung cherche à faire du
sujet une personne en possession d’une pleine conscience. Il met en œuvre
toute technique tendant à libérer le sujet de mécanismes de blocage ou de
limitations inconscientes. Ainsi l’usage du bac à sable, des collages et des
arts plastiques participent au même objectif. Laisser s’exprimer
l’inconscient est libérateur, et c’est bien ce que nous cherchons à faire dans
l’hypnothérapie en hypnose profonde. L’adage de Freud « toute
remémoration dénuée d’affects est sans effet » prend ici tout son sens :
seule la facilitation de l’accès de l’inconscient ouvre pleinement l’accès aux
affects, ce que nous connaissons depuis plusieurs centaines d’années avec
les traitements de syndromes post-traumatiques. Il est souvent dommage
d’opposer praticiens ou techniques, sous des prétextes fallacieux. Même
une approche comportementale peut parvenir à réduire progressivement un
blocage affectif inconscient.

Discussion
Les exemples cliniques confirment que la dissociation autorise un travail
psychique thérapeutique grâce à la capacité de l’inconscient à réactualiser
les traces des blessures narcissiques non résolues, à ouvrir de nouvelles
voies en laissant la névrose de côté. Ce n’est que lorsque le sujet décide
d’aller à la rencontre de son âme qu’il achève un processus de réalisation et
entre dans la phase de régression profonde. L’état d’hypnose est un état de
transe qui se retrouve et est utilisé dans de nombreuses techniques, la pleine
conscience, l’EMDR, la sophrologie, le troisième niveau du Training
autogène de Schultz, le yoga Nidra, le Rêve Eveillé Dirigé, la méditation
tibétaine, etc. La psychothérapie analytique bénéficie d’une transe légère à
profonde, indispensable à la libre association, à la régression et au travail
d’individuation. Toutes ces techniques requièrent un état de transe tel que
nous l’utilisons en hypnothérapie, seules les modalités thérapeutiques
utilisées les différencient, parfois considérablement, y compris dans les
différentes formes d’hypnothérapie. En ce sens le terme de nouvelle
hypnose n’est pas pertinent. Ce sont les techniques qui se différencient,
l’état est évidemment le même, plus ou moins profond. L’alliance
thérapeutique est un des éléments clefs de la réussite d’un soin
psychothérapeutique, et le cadre doit être fixé rapidement dès les premières
séances.

32. Médecin, Jacques Palaci (1915-1995) était diplômé de Columbia University et du William
Alanson Institute. Président de la National Psychological Association for Psychoanalysis de 1959 à
1961.
33. À noter que l’autiste peut selon cet auteur et dans certaines conditions se renfermer sur lui-même,
accédant alors, selon moi, à une forme de transe.
34. Alexandre Berzin le présente ainsi : « Le Mahamoudra, ou Mahamudra, est un corpus
d’enseignements que l’on retrouve dans nombre d’écoles du bouddhisme tibétain. Il présente des
méthodes qui permettent de comprendre véritablement la nature même de notre propre esprit, nous
conduisant ainsi à l’illumination. Les approches pour atteindre ce but peuvent différer légèrement
selon les écoles, mais peu importe celle que nous adoptons car, de toute façon, travailler sur la nature
réelle de notre esprit donne un sens incroyable à notre vie » (http://urlr.me/pBGsk consulté le 11
octobre 2021).
35. La synchronicité est un principe non causal ou acausal, décrit conjointement par C.G. Jung et le
prix Nobel de physique Wolfgang Pauli.
36. Voici ce qu’écrit Götz : « Il fixa donc notre rendez-vous à neuf heures du soir. Après s’être
intéressé à mon état de santé, il m’interrogea sur mes études, et je lui parlai alors avec enthousiasme
des lectures de la Bhagavadgita auxquelles j’assistais à l’université, lors d’un cours de Leopold von
Schroeder. Je n’avais quasiment pas commencé à parler que Freud se leva et commença à marcher
dans la pièce à longs pas. « Fais attention, mon garçon, fais attention », s’exclama-t-il dès que j’eus
terminé. « Tu as sans doute tes raisons pour faire preuve d’autant d’enthousiasme, tes mots
témoignent de l’impétuosité de ton cœur. Le cœur a toujours raison, mais cherche néanmoins à garder
l’esprit froid, comme tu l’as fait jusqu’à présent. Ne baisse pas la garde. Un intellect clairvoyant et
limpide est le plus grand des biens. Le poète de la Bhagavadgita serait le premier à en convenir. Sois
attentif, garde les yeux bien ouverts, prend conscience de toute chose, sois d’un courage indéfectible,
mais ne te laisse pas éblouir, ne te trompe pas. La Bhagavadgita est un poème grand et profond, mais
il ouvre sur des abîmes. Et elle demeure au-dessous de moi dans la rose lumière, récite le plongeur de
Schiller, qui jamais n’est revenu de sa deuxième et téméraire tentative. Si, en revanche, tu te plonges
dans la lecture de la Bhagavadgita, là où rien ne semble assuré et où toute chose se confond avec
toute autre, sans l’aide d’une intelligence lucide, dans ce cas tu te trouveras tout d’un coup face au
néant. Est-ce que tu sais ce que veut dire « se trouver face au néant » ? Est-ce que tu peux même
seulement l’imaginer ? Et pourtant un tel néant n’est que le fruit d’un malentendu de notre part, à
nous Européens : le nirvâna hindou n’est pas le néant mais ce qui dépasse toute contradiction. Il n’est
pas, comme les Européens le croient trop souvent, une extase des sens, mais la dernière étape de
l’entendement humain. Une intuition sidérante, omnicompréhensive et difficile à représenter. Or, s’il
est mal compris, il amène tout droit à la folie. Qu’est-ce que ces soi-disant mystiques d’Occident
comprennent à la profondeur de l’Orient ? Ils s’imaginent des choses, mais ils ne savent rien. Et puis
ils s’étonnent lorsqu’ils perdent la tête, et souvent ils perdent la raison – ils se perdent littéralement. »
« Se réjouisse qui respire dans la rose lumière ». Allusion au poème de Schiller dans lequel un page
descendu dans les entrailles de la Terre ne revint jamais.
37. – ELECTRE. Où nous en sommes ?
– LA FEMME NARSES. Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment qu’il se
passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se
lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire,
et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables
agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
– ELECTRE. Demande au mendiant. Il le sait.
– LE MENDIANT. Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore.
– RIDEAU
Chapitre 8

L’anthropologie animale au
service de l’hypnose
profonde

J.C. Lavaud

1 Un clivage obsolète ?

2 La transe vue d’ailleurs

3 La nature hallucinée comme canal d’accès à l’hypnose


profonde

4 La métaphore vivante

5 Traces d’animaux dans l’histoire


6 Le scepticisme de Milton Erickson

7 En conclusion

8 Situation 9 : Gauthier, une odeur hallucinée persistante

Un peu partout dans le vaste monde, la transe [profonde]


s’accompagne d’une dissociation particulièrement marquée, au
cours de laquelle quelque chose d’autre que « moi » s’incorpore
en « moi » ou sort de « moi ». Lors de la transe hypnotique,
l’incorporation à un élément de la nature (ici nous porterons
attention sur l’incorporation animale) est au croisement entre les
patterns du patient et « sortir de soi » qui a une dimension
universelle. C’est un chemin particulièrement adapté pour le soin,
parfois pour la guérison.

1 Un clivage obsolète ?
Poser un regard anthropologique sur la profondeur de la transe en général et
de l’hypnose en particulier nécessite de s’interroger sur le vieux clivage
occidental entre nature et culture. Issu d’une longue tradition philosophique,
il trouve son apogée au xxe avec d’un côté le monde du sauvage, du non
domestiqué, de ce qui échappe aux humains, et de l’autre celui de la
maîtrise de la nature, de la technique, de l’art, de l’industrie, et du prima de
la conscience réflexive, l’apanage de l’humain, qui prive de facto tous les
autres vivants de la faculté de conscience. Le philosophe Michel Henry
évoque cette mésestime du vivant non humain, qui nous a séparés des autres
vivants : « Avec cette conscience qui se propose comme un sujet opposé à
l’objet et, de plus, comme un moi, ou comme habitée par un moi, ne
sommes-nous pas en présence d’une dimension subjective d’intériorité
différente du monde et opposée à lui ? » (Henry, 1978)
S’il faut conserver notre conscience réflexive pour demeurer humain,
comment l’hypnose peut-elle être autre chose qu’un état où l’on garde la
maîtrise de nos actes, où la conscience de soi en reste le parangon ? À ce
sujet, en 2005, le regretté Thierry Melchior explique que d’un côté on a les
éléments de la nature qui obéissent à des lois naturelles et déterministes, et
de l’autre le monde des humains, régi par le libre arbitre et le choix
d’édicter des règles, en conscience. Ces lois choisies font de nous des êtres
responsables de nos actes : « Pas question que l’on permette que l’on
esquive ses responsabilités, c’est là une exigence extrêmement forte de
notre système culturel. Pas question donc, de laisser quelqu’un “faire
semblant” qu’il n’est pas responsable alors qu’il l’est. » Ou alors, explique
Melchior, il faut un coupable ! Il fut un temps, dit-il, où la personne,
possédée par le diable, ne jouissait plus de son libre arbitre, de sa
responsabilité individuelle. Aujourd’hui, le coupable est plutôt un produit
toxique ingurgité ou injecté, une altération du système nerveux, ou encore
une maladie psychiatrique, quelque chose qui, faisant passer l’individu du
côté de la non-responsabilité, le fait glisser chez les non-humains. Si nous
ne sommes plus en capacité d’user en conscience de notre libre arbitre, nous
versons du côté du sauvage… Ainsi, les états de possession et l’hypnose
profonde, caractérisés par l’absence de contrôle de soi, seraient de l’ordre
de notre animalité et non de notre humanité.
Mais aujourd’hui, de nouveaux paradigmes se font jour, et d’un point de
vue anthropologique, la Nature est maintenant différemment pensée. Les
travaux de Philippe Descola proposent un nouveau mode de relation entre
les éléments du vivant, incluant une continuité entre non-humains et nous
(2005 ; 2014). En nous proposant de dépasser nos propres clivages, il ne
récuse pas le dualisme « nature-culture », mais plutôt nous invite à le penser
dans une perspective historique occidentale, et de ce fait, il demande que ce
dualisme ne soit pas ou plus considéré « comme une grille de lecture
universelle sur des manières d’articuler les humains et les non-humains que
d’autres civilisations ont systématisées dans de tout autres constructions
culturelles » (2011).
Inspiré par les travaux de Gregory Bateson – un temps l’époux de
l’anthropologue Margaret Mead, tous les deux intimes de la famille
Erickson – Descola propose une écologie des relations, où « les organismes,
les outils, les artéfacts, les divinités, les esprits, les processus techniques, ne
soient plus appréhendés simplement comme un entourage, comme des
ressources, comme des représentations plus ou moins illusoires, comme des
facteurs limitants ou comme des moyens de travail, mais bien comme des
agents en interaction avec des humains dans des situations données. »
(ibid.)
Grégory Bateson s’interrogeait sur « la structure qui relie toutes les
créatures vivantes ». À l’instar des peuples que Mead et lui côtoyaient pour
leurs études sur la transe profonde, il cherchait ce qui englobait dans un
ajustement permanent tout le monde vivant, flore et faune comprises : «
Quelle est la structure qui relie le crabe au homard et l’orchidée à la
primevère ? Et qu’est-ce qui les relie, eux quatre, à moi ? Et moi à vous ?
Et nous six à l’amibe, d’un côté, et au schizophrène qu’on interne, de
l’autre ? (…) Quelle est la structure qui relie toutes les créatures vivantes ?
» (1984)
C’est à partir du dépassement quasi ontologique du clivage « nature-culture
» que thérapeutes et patients peuvent, dans des états d’hypnose profonde,
prendre contact avec leur animalité sans craindre de terminer aux urgences
psychiatriques !

2 La transe vue d’ailleurs


À quelques rares exceptions, dans les sociétés dites traditionnelles, la transe
n’est pas décrite comme en hypnose : légère, moyenne, profonde. J’ai
interviewé les acteurs de la transe, en pays Turka au sud-ouest du Burkina
Faso (Lavaud, 2013), auprès des Maîtres des rituels Indo-Tamil38 et ceux
des cultes ancestraux d’origine malgache à l’île de La Réunion dans l’océan
Indien. Tous disent que « soit on est en transe, soit on n’y est pas », et que
cette entrée dans l’état de transe ne se décide pas. Cela n’est donc pas une
question de décision, mais d’intention, définie par un cadre collectif, où un
guide expert mène le rite : un deuil qui occasionne des maladies organiques
ou psychiques d’un ou plusieurs membres de la famille peut donner lieu à
un rite où la transe d’exorcisme ou d’adorcisme permet d’apaiser la
souffrance. Dans les affiliations à des cultes pour un dieu ou une divinité
comme dans l’hindouisme, ou chez les pentecôtistes, ou encore autour de ce
qu’autrefois les ethnologues nommaient « fétiche39 », sujet-objet enchanté,
nourri le plus souvent de cultes sanglants, ces objets fabriqués ont une
identité, un statut de « personne », une autonomie qui, par leurs relations
aux affiliés, indique le moment et la manière d’entrer en transe pour
participer ainsi « à l’équilibre du monde », comme me le disait, à propos du
fétiche Manoula, Kanima le « guérisseur contre-sorcier, porteur de cadavres
» turka.
Ces états de transe, quelle qu’en soit la durée, sont provoqués par une force
extérieure structurée par le rite provoquant une dissociation de l’individu.
La connexion avec l’invisible permet de dépasser une vision de soi
égocentrée et ouvre à une sensorialité holistique.
À propos de l’hindouisme populaire shivaïte pratiqué à l’île de La Réunion,
Ghasarian note l’absence de séparation entre le monde visible et le monde
invisible (Ghasarian 1994). La possession est vue comme un moment où la
personne « devient temporairement un individu hors du monde humain ».
L’officiant se décrit alors comme l’instrument du divin, sous l’œil expert du
maître des rituels (le Pusari). Les rites de possession sont connus et
attendus par tous. Ces transes auxquelles les Réunionnais ont recours par
l’intermédiaire des Shakti (énergie féminine d’un dieu) sont réputées
puissantes et redoutables. Paradoxalement, ce sont elles qui aident les
personnes à « résoudre les désordres générés dans leurs foyers par les
violences aussi bien physiques (maladies, coups…) que symboliques et
morales (insultes, pressions, mépris, indifférence…) et protéger leurs
enfants, en mettant en scène des rituels (…) » (Callandre, 2014).
Dans un autre registre, à propos des cultes Bön pratiqués par les Tibétains,
la célèbre voyageuse Alexandra David-Néel (1868-1969) évoque des
transes de médiums qui, sans aucune préparation, sont saisis par un dieu, un
génie, par l’esprit d’une personne récemment décédée, et qui parle ou agit
par le canal du corps du médium : « Il arrive que ces gens étant
soudainement « possédés » alors qu’ils sont occupés chez eux ou en marche
sur une route, perdent tout contrôle sur leurs actes, abandonnent ce qu’ils
faisaient pour faire tout autre chose ou bien pour s’en aller à de grandes
distances, accomplir un acte ou délivrer un message qui leur sont suggérés
par la personnalité qui les domine. La plupart demeurent en état de transe
et agissent mécaniquement pendant tout le cours de l’action qui leur est
commandé, mais d’autres sont partiellement ou même complètement
conscients du fait qu’ils sont devenus les instruments d’une volonté
étrangère » (David-Néel, 1994). Nous pourrions ainsi faire le tour du
monde de l’incroyable diversité des phénomènes de transe profonde, dans
les cultures traditionnelles40.
Quelques mots de synthèse : d’un point de vue culturel, toute
transe est par nature profonde : elle est ou n’est pas du fait de
signes que l’on retrouve aussi dans « nos » classifications :
apparition de mouvements automatiques pouvant aller jusqu’aux
convulsions, remise de soi entre les mains d’un plus grand, etc.

3 La nature hallucinée comme canal d’accès à


l’hypnose profonde
Dans le travail hypnotique, chaque thérapeute, chaque soignant peut utiliser
les références culturelles de ses patients : les croyances religieuses, ou
ésotériques, ou familiales, les contes, les films, les super-héros, des histoires
locales, ou des objets à forte valeur affective. Il en est de même des
éléments de la nature qu’il côtoie directement ou indirectement. À La
Réunion, les patients citent fréquemment le tangue, la papangue, l’endormi
ou encore la bibe qui peut de ce fait donner lieu à des contes (Lavaud,
2009)41.
En empruntant les caractéristiques d’un animal, nous prenons contact avec
notre propre animalité (Roustang, 2015) pour retomber sur nos deux pattes
et mieux exister. Notre vie d’enfant et d’adulte est parsemée d’animaux
(contes, dessins animés, romans, films fantastiques…) et cela contribue à
nous structurer individuellement et collectivement. À travers eux, nous ne
cessons de nous raconter. Du fait qu’il ne parle pas, qu’il ne pense pas
comme nous, et qu’en même temps il ressent et même plus intensément que
nous, l’animal est un vecteur puissant facilitant l’accès à la transe profonde,
à l’accueil de l’absence de contrôle.
Cette transmutation, Morizot la nomme « l’ancestralité animale partagée ».
Être l’animal, c’est adopter ses qualités, ses caractéristiques, sa personnalité
: « c’est avec la patience de la panthère, la sienne, que je cherche la
panthère », une aptitude héritée de notre passé de primate, il y a quelques
deux millions d’années, dit-il. Dans la transe hypnotique, le patient se sert
des suggestions faites par le thérapeute pour halluciner l’animal en adoptant
son intelligence, sa faculté d’adaptation, son appréhension du monde qui
l’entoure, sa force, etc. Être cet animal dans la transe permet au patient de
se mobiliser corporellement (marcher, nager, courir, voler comme cet
animal qui est là) et émotionnellement : une émotion d’ours face à un
danger est forcément différente de celle d’un humain face à ce même
danger…
Dans ces transes, l’anthropomorphisme (le fait de prêter aux animaux des
sentiments humains) devrait être évité, car cela complique le processus de
dissociation et remobilise la conscience vigile. Cependant c’est un péché
véniel au regard de l’anthropocentrisme (conception du vivant qui rapporte
toute chose à l’être humain, faisant de lui le centre de l’univers) où l’on
instrumentalise les animaux et la nature en général. Charles Foster fait
d’étranges expériences : « Lorsque je suis un blaireau, je vis dans un terrier
et mange des vers de terre. Quand je suis une loutre, j’essaie d’attraper des
poissons avec les dents » (2017). Bien sûr, ce que raconte Foster est
bluffant, mais évocateur de ce qui est possible dans la transe hypnotique :
être comme l’animal, au maximum. En hypnose profonde, bien des choses
deviennent possibles, et se laisser incorporer par un élément de la nature
pendant la transe hypnotique est une ressource intéressante. J’appelle cela le
« naturomorphisme ». Opposé à l’anthropomorphisme, c’est l’aptitude de
l’humain à être un élément de la nature (autre que lui).
L’eau est un élément transversal à l’humain (en fonction de notre âge, nous
sommes plus ou moins constitués d’eau) et… à la source. S’incorporer à la
source ou, comme je vais l’expliquer ici, être l’animal en incorporant ce
qu’il est nécessite que le thérapeute identifie les transversaux entre le
patient et l’animal (par exemple, l’humain et l’ours sont capables de courir)
et utilise les particularités de l’animal pour aider le patient (l’ours hiberne et
le patient pourrait incorporer cette capacité pour se reposer). Il n’y a plus à
raisonner uniquement en humain, mais aussi à s’halluciner en loup, gorille,
aigle, requin, dauphin, etc. pour se décentrer de son problème.

Il pourrait y avoir une confusion entre la démarche exposée ici et


la notion « d’animal totem » telle qu’elle est développée dans le
néo-chamanisme. Il faut donc préciser ceci : dans les sociétés
traditionnelles, l’anthropologie nous enseigne que l’animal totem
est une notion complexe qui fait appel à la structure sociétale, aux
liens de parenté, aux interdits, à la maladie, à la mythologie, aux
pratiques de chasse et de pêche, etc. Dans le chamanisme
contemporain, notamment occidental, l’animal totem fait appel à la
notion « d’animal intérieur », propice au développement
personnel. Cette démarche inspirée de cultures autochtones, le
plus souvent amérindiennes, fut impulsée dans les années
soixante, par l’anthropologue américain Michael Harner (1929-
2018). Grâce à sa fondation42, il a œuvré pour étudier et
préserver les pratiques chamaniques ancestrales et
contemporaines dans le monde entier. L’utilisation de l’animal (ou
d’un autre élément de la nature) dans notre contexte de transe
hypnotique ne se réfère ni à l’une ni à l’autre. Pour cela, j’ai choisi
de l’appeler « l’animal-force ».

4 La métaphore vivante
Malarewicz (1990) le précise : « la métaphore augmente les chances pour
la réalité d’être effectivement “mobilisée” ». Elle déstabilise le symptôme
et propose au patient des pistes pour exister différemment. Elle est
potentiellement « libératrice » lorsque le thérapeute arrive à jongler avec les
représentations animales du patient. Ces dernières, « si fortement et
fréquemment incarnée[s] par des images tropiques », donnent « la parole
humaine aux bêtes ainsi que le fait la littérature animalière » (Desblaches,
2011). Dans la transe, il s’agit de parler le langage du patient tout en
l’accompagnant dans ses perceptions animales. S’il est un ours, ce pourrait
être l’odorat subtil, la lourdeur et l’agilité, la puissance, etc. Ordinairement,
l’humain se projette dans le passé et le futur. Or la force de l’animal est
d’être résolument ancré dans le présent. Ainsi, la métaphore animale tire sa
puissance de l’instant. C’est ce qui fait son charme !
Voici ce que Erickson préconise :
« Vous devez apprendre à lier votre intonation et vos inflexions de voix à la réponse hypnotique
souhaitée, (…) vous utilisez un ton de voix distinctif que la personne relie inconsciemment au
comportement de réponse. (…) Votre choix des phrases, l’accent que vous donnez, votre emploi
des termes – tout cela tend à approfondir indirectement la transe. » (Erickson, 1965-a)
Ainsi, dans sa propre transe, le thérapeute doit « être » le lion, l’ours, le
gorille… l’animal qui vient.

5 Traces d’animaux dans l’histoire


Albert de Rochas d’Aiglun (1837-1914), militaire de carrière, traducteur de
grec ancien, praticien de l’hypnose de son époque, relate une expérience
avec une patiente en état de régression hypnotique, ce qu’il appelle « les
vies successives » :
« Elle me dit alors, avec hésitation et en tournant la tête d’un air confus, qu’elle avait été un
singe, un grand singe presque semblable à l’homme : j’avoue que je ne m’attendais pas à cette
confidence (…). Je gardai pourtant mon sérieux et me contentai de manifester mon étonnement
de ce qu’une âme de bête devînt une âme d’homme. Elle me répondit que (…) quand on devenait
homme, on gardait les instincts de ce qu’on avait été comme bête. Une autre fois, dans les mêmes
circonstances, elle me dit qu’elle se souvenait d’avoir vécu dans les bois en tuant des loups, et, à
ce moment, elle prit une figure féroce. » (1892)

Il n’y a pas si longtemps encore, toute manifestation décalée était imputée à


de l’hystérie, donc à une pathologie :
« La malade peut être également transformée en oiseau, en chien, etc., et on la voit s’exercer alors
à reproduire les allures de ces animaux. – Elle parle cependant, et répond aux questions qu’on lui
adresse, sans paraître s’apercevoir de ce qu’il y a de contradictoire dans ce fait d’un animal qui se
sert du langage humain. Et cependant, la malade affirme parfaitement voir et sentir son bec et ses
plumes, ou son museau et ses poils, etc. » (Richer, 1885)

Faudrait-il être « diablement » cinglé pour être et faire l’animal et ainsi se


soigner de quelque chose ?

6 Le scepticisme de Milton Erickson


« Que fait-on en hypnose pour produire une transe ? Il ne s’agit sûrement pas d’avoir un œil
d’aigle ou de mesurer deux mètres ou quelque chose de ce genre. » (Erickson, 1965-b)

Erickson exprimerait-il une réserve à propos de ce que je propose de faire,


puisqu’incarner un animal signifie, le temps de la transe, avoir un regard
d’aigle, être gros comme un éléphant, avoir des dents de crocodile, etc. ? En
réalité, il se méfiait de tout ce qui n’était pas validé scientifiquement. Il
recommandait de « ne pas utiliser le terme télépathie et de le remplacer par
d’autres expressions telles que “stimuli subliminaux ; sensibilité incroyable
; changements mineurs d’expression du visage ou de la respiration…” »
(Zeig et Geary, 2000)
Cependant, son scepticisme est à relativiser. Jim Hills43 raconte comment,
s’intéressant aux traditions des Indiens Seri, Erickson utilisait les récits
amérindiens à propos des sculptures en bois d’animaux : « comme un
moyen d’élargir son univers (…) de sortir de sa petite maison de Hayward
Avenue et de devenir balbuzard, phoque, hibou, coucou terrestre ou coyote
» (Erickson, Keeney, 2008). Il était très attentif au lien qui unissait la
structure en bois et ce qu’elle représentait et utilisait la sensation tactile
qu’il en tirait pour aider ses patients. S’il s’agissait d’une sculpture de
requin, il parlait alors de la sensation de « squaléité », d’une chouette, de la
« chouettité », d’un phoque, de sa « phoquéité ».

7 En conclusion
Ainsi, l’utilisation de l’animal-force dans la transe profonde s’inscrit dans
l’histoire de l’hypnose. Et comme souvent, Milton Erickson nous a montré
le chemin.
D’une certaine façon, nous pourrions dire que la « transe animale » permet
au patient de se bâtir un Nouveau monde, dont on suppose qu’il va avoir
des effets de transformation pour la personne, dans son quotidien. Dans
cette perspective de recherche thérapeutique, avec la transe animale réalisée
en hypnose profonde, le patient découvre des solutions, renoue avec ses
ressources, retrouve de l’énergie de façon similaire à ce que Patricia Merli
décrit du voyage chamanique occidental, le tambour et le groupe en moins
(Merli, 2019). Le scénario et la mise en scène en sont cependant fort
différents puisqu’en hypnose, il n’est pas proposé de voyager dans les
mondes d’en bas et d’en haut comme dans la transe menée par le chamane,
mais de construire de façon indirecte le changement.

8 Situation 9 : Gauthier, une odeur hallucinée


persistante
Voici l’histoire d’un trauma où la transe hypnotique profonde mobilise tout
autant les éléments de la nature que la culture du patient.

Présentation de l’approche clinique de Jean-Claude


Lavaud
▶ Parcours, méthodes

Hypnothérapeute, je pratique en libéral à Saint-Pierre dans le sud de l’île de


La Réunion. Mon approche est ethnosociologique, la technique est le plus
souvent inspirée d’Erickson. Je pratique l’hypnose depuis 1996, et
l’approche centrée sur la personne (ACP) de Carl Rogers depuis 1991.
J’utilise les éléments de la nature en hypnose profonde à partir d’une
représentation du monde où s’identifier à l’un de ses éléments permet plus
facilement de se départir de son « moi » restreint, pour sortir de soi, l’un
des sens du verbe « exister ». Si c’est le lion qui surgit dans la transe du
patient, je recours à ce qui est inhérent à sa nature (la force physique par
exemple). S’installe alors un partenariat entre la nature de l’animal et la
culture du patient, par exemple « rendre la justice » dans le film
d’animation Le Roi Lion. Ces ressources invitent à la dissociation, le vécu
métaphorique de la relation hypnotique à l’animal supposant l’abandon de
soi.
Mon observation repose sur deux plans : un regard ethnologique sur la
société dont est issue la personne qui vient consulter, et un regard
éthologique qui permet de m’imprégner du comportement des animaux44.
Je les observe dans leur milieu de vie, sur le terrain quand cela est possible,
en visionnant des vidéos ou encore par webcam sur des sites dédiés45.
L’utilisation de ces analogies de personnification varie en fonction de la
solution à trouver. Parfois il s’agit de dénouer une anxiété chronique, des
scénarios de répétition ou encore d’améliorer l’équilibre du cycle
menstruel, alors l’eau, la source sont particulièrement indiquées46. Parfois il
s’agit d’ancrer un processus de changement dans la durée (plusieurs
animaux sont utilisés, dans une hypnose fractionnée, alternant des moments
de profondeur et d’autres plus en conscience). Dans d’autres situations,
comme celle que je vais exposer ici, le patient crée sa solution à l’aide d’un
seul animal.
▶ Hypnose profonde et processus de changement

Si les personnes qui ont culturellement une certaine familiarité avec les
transes entrent plus facilement en hypnose profonde, la plupart du temps
cela nécessite de la préparation et des ajustements. Aussi, pendant le recueil
d’informations – qui permet de connaître de quoi est peuplé le monde
imaginaire du patient et les référents culturels qui le structurent – j’utilise
des éléments de focalisation, par exemple en laissant l’un de mes bras se
soulever, coude appuyé sur l’accoudoir, puis en laissant la main en l’air,
effectuant de légers balancements quasi imperceptibles ou en utilisant mes
lunettes à la façon d’un pendule. Que la personne ait le regard focalisé sur
cette main, ou qu’elle soit simplement dans son champ visuel, cette
technique permet le plus souvent un relâchement du corps. Cette séquence
est accompagnée d’une reformulation qui a un effet de saturation, une
certaine confusion, suivie d’un silence que la focalisation rend acceptable.
S’ensuit la proposition d’entrer en hypnose avec une induction de type
elmanienne : j’invite le patient à produire une lévitation de l’un des deux
bras, que j’accompagne par la lévitation de mon bras, en miroir avec le sien,
puis d’une descente « en même temps que les paupières vont se clore… et
lorsque le bras tombera sur l’accoudoir, vos yeux se ferment une première
fois ». J’induis la transe par étapes, en suggérant de s’installer
convenablement, à la place qui convient, avec un balayage corporel. « Une
première fois, je suggère aux paupières de se soulever » et mon bras se
soulève tout en même temps, refocalisant à nouveau le patient. « Une
deuxième fois, vos paupières se ferment, deux fois plus profondément que
la première fois… » et cette fois-ci, je suggère de s’isoler du monde, des
bruits alentour. « Et une deuxième fois, vos paupières se soulèvent… puis
se referment vingt fois plus profondément que la deuxième, vingt-deux fois
plus profondément que la première… profondément fermées. » Enfin, le
patient maintenant isolé du monde, je propose de prendre contact avec
l’infiniment petit du corps, l’oxygène de l’air qui régénère les cellules, le
gaz carbonique qui s’évacue avec le souffle, permettant aux tensions qui
subsistent encore « de se relâcher… les traits du visage, la bouche, le
masque social que l’on reprend chaque matin devant le miroir et qu’on
lâche le soir… pour dormir… »
Je mets en place un signaling, moyen de communication « hors les mots »
qui permet au patient d’entrer plus profondément en lui-même. Ce signaling
formel ne sera pas systématiquement utilisé. Cela dépendra de ce qui se
passera dans la transe.
Nous sommes là dans un processus de changement de l’orientation vers la
réalité de la personne, ainsi les suggestions sont plus pertinentes lorsque le
thérapeute connaît les caractéristiques de l’animal qui se présente au
patient. Mais comme il est impossible d’être informé sur tous les animaux,
il peut y avoir des surprises et dans ce cas, en observant sa propre transe –
en se dissociant – le thérapeute peut laisser son intuition révéler des
constituants qu’il connaît, mais qu’il ne sait pas qu’il connaît. Je me
souviens d’un patient se décrivant comme « haut potentiel et hyper sensible
». Voilà que la pieuvre se présente à lui. À cet instant, je suis démuni,
convaincu de ne rien connaître de la pieuvre. Dans ce cas, il n’y a qu’une
seule solution, entrer en transe avec le patient. Après un temps qui me parut
bien long, me vint à l’esprit que cet animal a plusieurs cerveaux et plusieurs
cœurs, ce qui fut bien utile pour cette personne.
Chaque animal utilise ses propriétés en fonction de sa nature et son
comportement varie en fonction du contexte dans lequel il est. L’agressivité
et la douceur se manifestent différemment selon qu’il s’agisse d’une tortue
ou d’une panthère.
Pour ressentir comme un animal, toutes les perceptions, les sensorialités,
dont l’intuition, l’équilibre, la proprioception, etc. sont mobilisables.
J’utilise également la notion de « force » : la vigueur, la résistance, l’agilité,
l’habilité, la capacité à se défendre, à traverser les épreuves et à s’adapter
aux changements.
▶ Qui sont-ils ?

Les grands mammifères ont le chic de souvent venir : lion ; tigre ; jaguar ;
taureau ; éléphant ; ours, mais aussi des oiseaux (aigle ; hibou), etc. Parfois,
des animaux décriés surgissent : le serpent, le requin, boucs émissaires de
nos peurs. Nous avons moins peur du loup aujourd’hui qu’il y a un siècle !
Mais nos représentations sont instables et nos peurs peuvent changer de
territoires, comme les loups…
A priori, les animaux fragiles et vulnérables tels les poussins et autres
chatons sont peu adaptés pour faire face à des difficultés aussi colossales
que l’anxiété et sa cohorte de manifestations. Pourtant, il est arrivé qu’un
escargot fasse son apparition. C’est qu’il est utile l’escargot, lorsque la
personne a besoin de se poser, de se laisser guider par sa lenteur, par sa
présence silencieuse.

En réalité, cela dépend du contexte culturel de la personne. Dans


la culture hindoue, le rat, mais aussi la souris, sont liés à Ganesh,
le dieu un peu rondouillard, à tête d’éléphanteau, qui chevauche
Mushika, le rat. Sans lui, Ganesh n’a pas de sens. Avec lui, il est
dieu de la sagesse, de l’intelligence, du discernement (avec le
balancement de sa trompe), de l’éducation, de la prudence. Il
supprime les obstacles. Le rongeur est alors vécu comme une
ressource, et ses qualités, associées à Ganesh, aident la
personne à trouver de nouvelles astuces dans le règlement de
son problème.

Enfin, dans la transe hypnotique comme dans la vie, l’animal ne juge pas,
n’analyse pas, n’a pas besoin de comprendre. Il vit la situation telle qu’elle
est, et il accompagne la personne avec ce qu’il sait faire, avec ce qu’il sait
être, dans la transe.
Lorsque pendant l’induction telle que décrite plus haut, le patient présente
les signes d’entrer en hypnose, je suggère une plus grande profondeur de la
transe en insérant une induction rapide accompagnée d’un petit claquement
de doigts : « Quel est l’animal puissant qui vient là, maintenant, comme le
nez au milieu de la figure ? » La réponse fuse aussitôt et l’animal arrive
immédiatement. Je n’ai jamais vu de refus ou d’impossibilité de répondre à
cette question. Nous sommes dans la dimension du sauvage, du non-
domestiqué, et contrairement à ce à quoi nous pourrions nous attendre, il est
rare que ce soit l’animal préféré (son chat tout doux ou un bon toutou) qui
vienne. L’arrivée soudaine d’un animal puissant provoque une légère peur.
Ici, pas de confort, pas de lieu sécure, mais au contraire, une déstabilisation,
comme on le dit habituellement : « On sort de sa zone de confort ». Ce que
la personne est venue régler n’est pas une mince affaire, mais souvent
quelque chose qui, tout en handicapant le rythme de vie, en structure
l’essentiel. La sécurité suffisante est assurée par la présence du thérapeute,
présence qui permet d’oser avoir peur.
Alors qu’il a surgi « comme le nez au milieu de la figure », l’instant
d’après, l’animal apparaît éloigné (les patients disent « d’une bonne
centaine de mètres ») et s’approche maintenant lentement d’eux,
progression durant laquelle j’accompagne la personne dans cette
identification. Ce n’est que lorsque la transe est profonde que cette
incorporation (du latin incorporatio, le fait de devenir corps) devient réelle :
« Je n’étais plus Isabelle, j’étais hibou » dit cette patiente en recherche de
sérénité, qui ajoute qu’en étant hibou et non plus « Isabelle » elle ressentait
une plénitude d’être, une absence de vide.
Lorsqu’il est enfin tout près du patient, je précise : « Vous êtes au sens strict
comme lui. Vous êtes (tel ou tel animal) et il vous identifie comme étant de
la même nature que lui. Il vous perçoit comme l’un des siens. Il vous
connaît, il vous reconnaît. »
Cela permet au patient de franchir sa peur : « Vous êtes comme cet animal.
Il est là, à côté de vous et vous êtes à côté de lui ». Cette superposition de
deux réalités permet de travailler deux orientations, la réalité qu’il souhaite
transformer et une réalité hallucinée qui permet de mobiliser des ressources
pour aider à résoudre le problème.

Présentation du suivi
▶ Première séance

Laissez-moi vous raconter l’histoire un peu décalée et peu ragoutante de


Gauthier. Cet homme de 45 ans arrive dans le cabinet avec un masque de
chantier sur le visage (en 2017, ça n’était pas courant). Il m’explique que
depuis six mois, il ne peut se passer de ce masque, car « l’air qu[‘il] respire
sent la mort ». Que s’est-il passé ?
Six mois auparavant, il rend visite à son père âgé, qui vit seul, isolé dans la
montagne. Cela fait 15 jours qu’il ne l’a pas vu, et comme son père n’aime
pas parler au téléphone, il n’a pas eu l’idée de l’appeler. Il a fait des courses
pour lui – une façon de lui faire des cadeaux – et c’est les bras chargés de
paquets qu’il se présente à la porte. Comme d’habitude, la télévision est
allumée et il l’entend depuis la cour. Comme d’habitude aussi, la porte n’est
pas fermée à clé. Gauthier rentre dans la maison et est aussitôt saisi par une
odeur nauséabonde. Il se précipite dans la cuisine et là, c’est une scène
horrible : son père est effondré sur la table, dans son assiette, son corps est
en décomposition avancée. Gauthier lâche ses paquets, se précipite
instinctivement vers son père, mais il a un mouvement de recul, assailli par
l’odeur de putréfaction. Il est pris de nausées, en panique, il recule, hésite,
recule encore et sort en courant de la maison jusqu’au fond de la cour. Il
s’assoit sur une chaise, et il vomit. « Je regardais mes mains, je les sentais,
et tout me semblait être souillé par l’odeur abominable du corps de mon
père. Il m’a fallu un certain temps, plusieurs minutes c’est sûr, pour appeler
les pompiers. Bien qu’ensuite, je ne sois rentré dans la maison qu’une fois
que les pompes funèbres ont tout nettoyé, il n’y avait rien à faire. L’odeur
de la mort était sur moi, une odeur de décomposition absolument horrible.
Et depuis, je ne supporte plus d’être le nez à l’air, sauf quand je suis au
bureau ou chez des amis. [Il enlève son masque]. Là, dans votre cabinet, ça
va. Mais chez moi ou dans la rue, parfois même en voiture, l’odeur est
présente, insidieuse, dégueulasse. Ça fait six mois que ça dure, je n’en peux
plus. »
Ces circonstances font que Gauthier dit ne pas pouvoir être en deuil. Il a eu
beaucoup de difficulté à assister aux funérailles et il lui a été impossible de
se recueillir près du cercueil de son père, affrontant les regards
d’incompréhension de la famille. Donc, ni chagrin, ni tristesse, mais une
nausée persistante. Il se dit catholique, mais de par les origines de ses
parents, il est également un peu hindouiste. Il croit à la réincarnation et fait
régulièrement des rituels, des « services » à différentes divinités du grand
panthéon hindou. Mais depuis le décès de son père, il se sent « totalement
impur » et n’a pas eu la force de revenir au kovil (le temple) que sa famille
fréquente régulièrement. Donc, beaucoup de frustrations et de culpabilité
qu’il faudra prendre en compte dans la résolution de son problème.
L’odeur pestilentielle qu’il ressent physiquement est résolument du côté du
monde sauvage. Aussi, je décide de faire travailler Gauthier avec un animal,
celui qui voudra bien venir.
Après avoir installé l’hypnose comme décrite plus haut, je lui pose la
question que maintenant le lecteur connaît. Il répond spontanément : « Le
tigre. »

Avec le tigre, nous sommes dans le monde des félins. Et quel félin
! Les patients s’étonnent toujours de voir le plus grand carnivore
du règne animal surgir dans leur transe hypnotique. Il faut dire
que sa réputation de mangeur d’hommes est des plus terrifiante. Il
aurait coûté la vie à plus d’un million d’Asiatiques en l’espace de
quatre siècles, essentiellement en Inde et dans le sous-continent.
En 1884, Rudyard Kipling, dans Le Livre de la jungle, nous montre
avec force et terreur le tigre du Bengale Shere Khan (le «
seigneur lion » en langues hindi et ourdou). Le tigre y est en
bonne entente avec les autres animaux, et c’est aux humains qu’il
en veut – et à Mowgli particulièrement – ce qui lui vaut d’être plus
méprisé que craint par le monde animal. Avec Walt Disney,
changement de ton. Shere Khan est présenté comme un animal
cruel, qui aime tuer et qui s’amuse à chercher Mowgli à cette fin.
Avec Disney, le tigre est un prédateur craint de tous par son
sadisme – il donne au petit d’homme une fausse occasion de fuir,
histoire de prendre son temps pour le tuer. Tout le monde dans la
jungle est conscient que c’est un arrogant, qui ne respecte
personne. Un dangereux assassin, pour ne pas dire « un tueur en
série ». Lui-même sait sa malfaisante réputation, adorant jouer de
la peur que la seule évocation de son nom inspire. « Votre altesse
» – comme disent les vautours – s’amuse à effrayer les rapaces
d’un simple « bouh » dédaigneux.
Dans le remake réalisé par John Favreau en 2016, le voici en être
absolument impitoyable, manipulateur, froid et monstrueux, cruel,
violent, destructeur, assoiffé de sang. Ces tableaux peu flatteurs
ont du mal à être rééquilibrés par le gentil Tigrou de Winnie
l’Ourson (créé par Milne en 1926) et le sympathique Hobbes,
compagnon de Calvin (Bill Watterson en 1985).

Je note également que Gauthier étant de culture hindoue (précisément Indo-


Tamil), le tigre y est présenté comme la monture de Durga, énergie
féminine de Shiva. Nous y reviendrons.
Alors, on peut se demander : « Qu’allaient-ils faire dans cette galère ? » (je
parle des patients qui voient le félin « absolu » arriver dans leur transe et
qui, de ce fait, se transforment en tigre…).
C’est que le tigre n’est pas qu’un meurtrier ! Il sait se faire respecter. Il est
souvent décrit comme ayant un regard hypnotique sidérant. Dans un récit
aux frontières entre le documentaire et l’histoire de coureurs de bois
expérimentés, attaqués, puis tués par un tigre, John Vaillant47 raconte
comme le tigre de Sibérie est un point d’équilibre entre le monde
contemporain et ses errements irréversibles, et une Nature hostile, « la
jungle boréale » qui peut à tout moment provoquer le chaos. Dans ce récit,
nous percevons combien le tigre est un excellent compagnon pour activer
son intuition.
Et, comme tous les prédateurs carnivores, le tigre ne dédaigne pas une
petite charogne à défaut de chair fraîche. C’est là-dessus que je vais
accompagner la séance.
Après que Gauthier s’est petit à petit transformé en tigre, je l’aide à se
diriger dans la jungle, en parlant lentement, avec de nombreux temps de
silence : « Vous voici, tigre que vous êtes maintenant, “Gauthier le tigre”
attiré dans la jungle par une odeur spéciale. Une odeur qui annonce qu’il y a
quelque chose de bon à manger. Alors vous suivez ce fumet, celui d’un
animal mort, tranquillement, sûr de votre force, de votre flair. L’odeur est
encore loin. Arrêtez-vous pour humer l’air… là maintenant. Vous sentez
cette bonne odeur ? (Gauthier me fait signe que oui, avec sa patte droite.)
Très bien. Continuez à marcher de tout votre corps, de vos quatre pattes de
tigre. Ne vous laissez distraire par rien d’autre, ni par l’odeur capiteuse des
fleurs, ni par l’odeur dominante des mousses et des feuilles qui moisissent
au sol, dans l’humidité de la forêt. Est-ce que vous pouvez apprécier cette
odeur dont vous êtes proche maintenant ? [signal positif] Quand vous serez
arrivé près de cet… animal… mort, qui sent bon à votre flair de tigre, vous
me le ferez savoir. »
S’ensuivent plusieurs minutes de silence. Gauthier paraît très concentré sur
ce qu’il fait. Ses pattes bougent légèrement, comme s’il marchait. Il marche.
Et puis, voilà que ses narines se dilatent, un sourire d’extase éclaire sa face
de tigre. Il hume le parfum de la viande faisandée. Je me demande ce qu’il
va faire. Va-t-il arriver à associer l’odeur de la charogne avec celle du corps
de son père ? Tout à coup, sa tête se tourne vers la droite et il renifle. Je
laisse faire. Gauthier paraît complètement occupé par ce qui se passe sur sa
droite. Il me semble qu’il se met en chasse : « Vous savez ce qui est bon
pour vous, “Gauthier le tigre”, alors s’il y a une proie possible, forcez votre
talent ! ». Un silence s’en est ensuivi. Puis la fin de la séance, avec une
réassociation, aussi logique que possible.
▶ Deuxième séance

Lorsque Gauthier (le tigre) est revenu me voir 15 jours plus tard, il est
arrivé sans son masque : « C’est réglé ! Je n’ai plus l’odeur de cadavre en
putréfaction dans le pif ! Formidable ! » Voyons ce dont le patient se
souvient de la séance.
– Quand le tigre est arrivé, j’ai eu très peur. Je me suis dit qu’il allait me
bouffer. Et puis, ma transformation en tigre a rapidement levé cette
peur… alors ça allait. Ensuite, j’ai senti l’odeur, mais c’était une super
bonne odeur. La même odeur infecte, mais différente. Alors je suis
arrivé sur la charogne. Impossible de savoir ce que c’était. Ça sentait
fort, mais ça me plaisait. Peut-être les restes d’un sanglier. Déjà, à ce
moment-là, je savais que mon problème était réglé. Et j’étais prêt à
boulotter la charogne quand sur ma droite, il y a eu un léger bruit. Je
ne sais pas pourquoi, mais j’ai tout de suite su que c’était une jeune
biche. J’ai immédiatement laissé la charogne et j’ai poursuivi la jeune
biche… et je l’ai tué… et mangé…
– … Impressionnant… et comment ça s’est passé avec les odeurs ?
[En réalité, l’odorat n’est pas le sens le plus développé du tigre qui se
fie mieux à son ouïe et, comme tous les félins nocturnes, à sa vue
perçante. Mais ici cela n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est le
fait que le patient accroche à ce qui est proposé.]
– Déjà, j’étais un tigre, et vous m’avez stimulé là-dessus, alors très vite
l’odeur de charogne s’est avérée agréable. Je ne connais rien aux
tigres, mais je suis sûr qu’ils aiment les odeurs comme ça. Ensuite,
j’ai entendu la biche. Et puis j’ai senti son odeur, très douce, un peu
crottée. Et là, d’un seul coup, les deux odeurs se sont mélangées et j’ai
choisi instinctivement de laisser tomber la charogne et de sauter sur la
biche.
– Et une fois sorti d’ici ?
– D’abord je dois vous dire que j’étais un peu bizarre à la sortie de votre
cabinet. Mais ne vous inquiétez pas, je n’ai agressé personne ! C’est
juste que j’étais étrangement bien. D’ailleurs, je n’ai pas remis mon
masque tout de suite. J’ai attendu de voir ce qu’il se passait, je suis
entré dans ma voiture, et j’ai observé. Toujours rien ? Pas de sensation
nauséabonde. J’ai conduit calmement et une fois chez moi, j’ai voulu
mettre le masque. J’ai hésité, je suis rentré et j’ai reniflé partout, mais
rien. J’étais presque déçu et ce sentiment m’a mis en colère, alors j’ai
jeté le masque à la poubelle, j’ai ouvert une boîte de cassoulet que j’ai
mise sur le feu. Et là, j’ai attendu que les odeurs de cassoulet arrivent
à mon nez. À ce moment-là, mon épouse est arrivée. Elle m’a regardé,
elle était intriguée, m’a demandé ce qu’il se passait. J’ai expliqué
l’histoire du tigre, la séance… et le cassoulet sentait tellement bon !
C’était fini. On a ouvert une bouteille de vin pour fêter ça. Voilà. »
Maintenant, Gauthier veut retrouver, dit-il, « le goût du deuil ». Une bien
étrange expression qui a encore à voir avec la sphère ORL.
Plusieurs éléments vont l’aider à atteindre son objectif : dans l’hindouisme,
la divinité Maa Durga est une Shakti (la force de l’épanouissement du Soi),
énergie féminine de Shiva. Elle chevauche Damon, le tigre. Il représente le
pouvoir illimité de Durga, au service de la vertu contre le mal. Le tigre
quant à lui, est considéré comme le lien entre l’être humain, la Terre et le
règne animal, entre le monde sauvage et celui du village.
Mais évidemment, il ne s’agit pas de demander directement à une divinité
d’aider un simple mortel. Pendant la séance d’hypnose, je vais donc
simplement suggérer un chemin sur lequel il pourra associer son
comportement aux propositions de phrases ou de mots que je vais lui faire.
L’entrée en hypnose est cette fois-ci rapide. Gauthier devance mes
inductions, il est en quelque sorte en autohypnose. Il présente des signes
d’état profond. Je lui propose d’être sur le chemin qui mène au temple et, au
fur et à mesure qu’il avance, je lui suggère d’incorporer les qualités qu’il
possède, certaines parfaitement bien et d’autres moins, toutes en lien avec la
déesse Durga : la créativité, la fécondité, la force, le courage. Le tigre est là,
symbole de la victoire sur toutes les forces négatives. C’est une invitation
au détachement, à la connaissance de soi, la générosité et le discernement.
C’est une séance longue, lente où je fais peu de choses, en dehors de ce
chemin qui reste la quintessence de ma digestion métaphorique. En fin de
séance, le patient mettra plusieurs minutes à se réassocier, moment qu’il
marquera d’un grand sourire.
Discussion
On constate qu’en hypnose profonde, les transformations sont rapides. Les
analogies de personnification sont des canaux d’ouverture particulièrement
efficaces pour les modifications sensorielles. Il est fréquent qu’une odeur,
une image, etc. cristallisent un conflit intérieur, un trauma. On ne fait pas
grand-chose en étant un animal, ou une source, ou une pierre, mais ce
simple fait permet d’exister à nouveau, parce que l’on ne sollicite que le
corps, rien d’intellectuel, rien de mental. Un corps qui se transforme,
transmute et ressent le poil de la bête, la limpidité de l’eau, la dureté de la
pierre, la capacité à supporter la douleur. Au fond, l’état d’hypnose
profonde nous réveille de nos cauchemars d’humain.
Notons également qu’il est sans doute plus aisé d’utiliser la force des
mauvaises transes (ici l’odeur) lorsqu’on est en hypnose profonde, en étant
dissocié de son « moi humain ».
Si l’on peut évidemment utiliser les éléments culturels, quel que soit le
niveau de profondeur de la transe, il me semble que lorsqu’il s’agit
d’éléments à caractère religieux ou mystique, plus la transe est profonde,
plus la personne s’autorise à être présente à son dieu, sa divinité, sa
croyance, sans avoir besoin de rien d’autre que d’être dépouillé de tout, sauf
de soi.

Ce que l’on peut retenir

L’analogie de personnification (et particulièrement la


transe animale) n’est possible que si la personne est en
transe profonde où l’hallucination est corporelle. La
simple imagination, le « faire comme si », ne suffit
souvent pas.
Être en hypnose profonde n’est pas synonyme d’amnésie
pour le patient.
La préparation (installation, induction, etc.) de la séance
d’hypnose profonde conditionne souvent le succès de la
suggestion d’analogie de personnification, ce qui n’est
pas forcément le cas pour d’autres modalités.
38. Appelés Pusaris, ou encore dans le langage courant, prêtres Malbars.
39. Terme portugais signifiant « chose fée, enchantée, divine ».
40. Le lecteur pourra se référer à l’ouvrage collectif sous la direction de Sébastien Baud et Nancy
Midol. La conscience dans tous ses états, approches anthropologiques et psychiatriques. Paris :
Masson ; 2009.
41. Le tangue est un insectivore d’origine malagache qui, bien que ressemblant au hérisson, en est
éloigné. Le papangue est le seul rapace nicheur de La Réunion. L’endormi est un caméléon lui aussi
originaire de Madagascar. Enfn, la bibe est une araignée qui vit dans l’archipel des Mascareignes, à
Madagascar, aux Seychelles et en Afrique du Sud.
42. Center for Shamanic Studies fondé en 1979.
43. Anthropologue, il dirigeait la boutique et la librairie du musée du désert de l’Arizona et de
Sonora à Tucson.
44. Pour ce qui est de l’étude des végétaux, je m’instruis auprès des personnes-ressources qu’à La
Réunion on appelle les « tisanneurs », afin de connaître la symbolique attachée à certaines plantes.
45. Voir sur https://explore.org.
46. Voir : Lavaud. L’eau et la musique ; la musique et l’eau. Transes n°11 ; Dunod, avril 2020.
47. Vaillant J. Le Tigre. Lausanne : Les Éditions Noir sur Blanc ; 2011.
Conclusion
Et si ce que nous appelons l’hypnose profonde, dernier « continent noir » de
la transe occidentale dont nous commençons à connaître tenants et
aboutissants, nous réservait de belles surprises ? Et si, à travers un dialogue
avec l’inconscient, certains phénomènes non expliqués, frontières,
expériences exceptionnelles trouvaient sinon une explication du moins une
perspective, prémisse d’une autre manière de percevoir le monde ? Le
présent ouvrage prendrait alors tout son sens, comme prend sens le besoin
de plus en plus marqué du public d’un changement de paradigme
relationnel entre les êtres humains. Cette analogie n’est pas totalement
fortuite… L’hypnose profonde est affaire de mise en relation : relation entre
deux Êtres bien entendu, dont la finalité est thérapeutique. Mais c’est aussi
une façon de permettre une nouvelle relation de la personne à elle-même, à
la fois sensorielle et spirituelle. Par spiritualité, nous nommons l’ensemble
des points cardinaux qui lui permettent d’avancer dans sa vie : valeurs,
croyances, rituels… Cela peut inclure les affaires religieuses, mais pas
nécessairement ni exclusivement. Ce qui est aussi mobilisé ici est une
nouvelle relation à l’immanence et à la transcendance, autrement dit un
retour à soi (au principe de soi) et un retour à ce qui nous déborde (nous
dépasse) ; les deux relevant certainement du sacré (ce que l’on doit
respecter et craindre).
Par ces grandes phrases, on comprend que la scène de l’hypnose profonde
n’est pas un divertissement, elle implique beaucoup. Cette méthode
implique une déontologie et une éthique du professionnel qui souhaite en
user. L’hypnose profonde peut être ludique, mais elle n’est pas un jeu.
Comme vous l’aurez certainement remarqué dans les situations cliniques,
les praticiens s’y engagent avec raison, et progressivement avec leurs
patients, simplement pour garantir que le cadre continue à être sécure,
même lorsque l’on se situe à la lisière de ce « continent noir ». Janet,
Erickson, etc., tous ceux cités faisaient de même, ils étaient précautionneux
de l’autre et jamais ils n’ont pris leur patient comme une « chose » que l’on
trimbalait entre différents niveaux de conscience ! Gardons tous en tête
cette démarche éthique, elle garantit un usage aussi éclairé que possible de
la méthode, vers des horizons joyeux et profitables !
Les coordinateurs
Bibliographie

Ali, M., Masoud, S., Lavasanie, G., Sharifif, A.,


Hekmatmaneshg, A. (2019). Electrophysiological processing of
happiness during conscious and sub-conscious awareness in
depression. Neurology, Psychiatry and Brain Research, vol. 33,
September, 32-38.
Alladin, A. (2007). Hypnotherapy Explained. Boca Raton :
Taylor & Francis Group.
Andolfi, M. (1992). La thérapie avec la famille. Paris : ESF.
Ås, A., Ostvold, S. (1968). Hypnosis as subjective experience.
Scandinavian Journal of Psychology, 9, 33-38.
Baker, M. (2007). Hommage à Elisabeth Moore Erickson.
Satas le Germe.
Barber, T.X. (1960). “Hypnosis,” analgesia, and the placebo
effect. J Am Med Assoc, Feb 13, 172, 680-3.
Baron, R., Binder, A., Wasner, G. (2010). Neuropathic pain:
diagnosis, pathophysiological mechanisms, and treatment.
Lancet Neurol, Aug, 9(8), 807-19.
Bateson, G. (1984). La Nature et la Pensée. Paris : Seuil.
Beahrs, J.O. (1971). The hypnotic Psychotherapy of Milton
Erickson. Am J Clin Hypnosis, vol. 14, n° 2, October, 73-90.
Beahrs, J.O. (1977). Integrating Erickson’s approach.
American Journal of Clinical Hypnosis, 20, 55-68.
Belhoste, B., Edelman, N. (dir.) (2015). Mesmer et
mesmérismes. Le magnétisme animal en contexte. Paris :
Eyrolles.
Beltrán, D., Morera, Y., García-Marco, E., de Vega, M. (2019).
Brain Inhibitory Mechanisms Are Involved in the Processing of
Sentential Negation, Regardless of Its Content. Evidence From
EEG Theta and Beta Rhythms. Front Psychol, Aug 8, 10, 1782.
Beltran Serrano, G., Rodrigues, L.P., Schein, B., Souza, A.,
Torres, I.L.S., da Conceição Antunes, L., Fregni Caumo, F.W.
(2019). Comparison of Hypnotic Suggestion and Transcranial
Direct-Current Stimulation Effects on Pain Perception and the
Descending Pain Modulating System: A Crossover
Randomized Clinical Trial. Frontiers In Neuroscience [Front
Neurosci], Jun 26, vol. 13, ISSN : 1662-4548.
Bergson, H. (1896). Matière et mémoire. Essai sur la relation
du corps à l’esprit. Paris : Alcan.
Berkovich-Ohana, A., Glicksohn, J., Goldstein, A. (2012).
Mindfulness-induced changes in gamma band activity -
implications for the default mode network, self-reference and
attention. Clin Neurophysiol, Apr, 123(4), 700-10.
Bernheim, H. (1884). De la suggestion dans l’état hypnotique
et dans l’état de veille. Paris : Doin.
Bernheim, H. (1886). De la suggestion et de ses applications à
la thérapeutique. Paris : Doin.
Bioy, A. (2014). Créativité en relation. In Bioy, A., Ceslestin, I.
Hypnothérapie et hypnose médicale (103-109). Paris : Dunod.
Bioy, A. (2020). L’hypnose comme adorcisme, une analyse du
processus thérapeutique. In Chahraoui, K., Bioy, A. Corps,
trauma et culture. Paris : L’Harmattan.
Bioy, A. (2021). Hypnose et Hypnothérapie. Encyclopédie
Médico-Chirurgicale, 37-820-B-50.
Bioy, A. (2021) L’alliance thérapeutique en hypnothérapie. In
Brennstuhl, M.J., Marteau-Chasseriau, F. L’aide mémoire
d’alliance thérapeutique (369-374). Paris : Dunod.
Bioy, A. (2021). Hypnose et troubles dits psychosomatiques. In
17 cas pratiques en hypnothérapie (32-47). Paris : Dunod.
Bioy, A. (2021). L’hypnose [1e édition 2017]. Paris : PUF.
Bioy, A., Lignier, B. (2020). Clinique et psychopathologie de la
douleur. Paris : Dunod.
Bouchara, C. (2013). Charcot, une vie avec l’image. Paris :
Philippe Rey.
Braid, J. (1846). The Power of the Mind over the Body : An
Experimental Inquiry into the Nature and Cause of the
Phenomena Attributed by Baron Reichenbach and Others to a
“New Imponderable”. Edinb Med Surg J., Oct 1, 66(169), 286-
312.
Brandibas, J. (2003). Traité de psychopathologie et
thérapeutiques réunionnaises. Thèse de doctorat en
psychologie, université de La Réunion.
Callandre, F. (2014). Violence et recours aux Déesses-Mères,
Shakti, du panthéon hindou réunionnais. Disponible sur
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02057210/document.
Cardeña, E. (2005). The phenomenology of deep hypnosis:
Quiescent and physically active. International journal of clinical
& experimental hypnosis, 53, 37-59.
Cardeña, E. (2010). Anomalous experiences during deep
hypnosis. In Smith, M. (ed.), Anomalous experiences. Essays
from parapsychological and psychological perspectives (93-
107). London : McFarland & Cie.
Cardeña, E., Jönsson, P., Terhune, D.B., Marcusson-Clavertz,
D. (2013). The neurophenomenology of neutral hypnosis.
Cortex; a journal devoted to the study of the nervous system
and behavior, 49(2), 375–385.
Cardeña, E., Spiegel, D. (1991). Suggestibility, absorption, and
dissociation: An integrative model of hypnosis. In Schumaker,
J.F. (ed.), Human suggestibility: Advances in theory, research
and application (93-107). New York : Routledge.
Cardeña, E., Terhune, D.B. (2014). Hypnotizability, personality
traits, and the propensity to experience alterations of
consciousness. Psychology of Consciousness: Theory,
Research, and Practice, 1, 292-307.
Cavanna, A.E., Trimble, M.R. (2006). The precuneus: a review
of its functional anatomy and behavioural correlates. Brain,
Mar, 129(Pt 3), 564-83.
Chertok, L., Stengers, I. (1989). Le cœur et la raison.
L’hypnose en question, de Lavoisier à Lacan. Paris : Payot.
Cojan, Y., Piguet, C., Vuilleumier, P. (2015). What makes your
brain suggestible? Hypnotizability is associated with differential
brain activity during attention outside hypnosis. Neuroimage,
Aug 15, 117, 367-74.
Collot, E. (2016). Aux portes de la conscience. Entrevoir
l’invisible. InterEditions.
Cooper, L.F., Erickson, M. (1954/2002). Time distorsion in
hypnosis. Crown House Publishing.
David-Néel, A. (1994). Voyages et aventures de l’esprit. Paris :
Albin Michel [1985 pour la première édition].
De Benedittis, G. (2021). Neural Mechanisms of Hypnosis and
Meditation-Induced Analgesia: A Narrative Review. Int J Clin
Exp Hypn, Jul-Sep, 69(3), 363-382.
Deeley, Q., Oakley, D.A., Toone, B., Giampietro, V., Brammer,
M.J., Williams, S.C., Halligan, P.W. (2012). Modulating the
default mode network using hypnosis. Int J Clin Exp Hypn,
60(2), 206-28.
Defontaine-Catteau, M.C., Bioy, A. (2014). Place du trauma
psychique en clinique de la douleur. Douleur et analgésie, 27,
68-74.
De Heusch, L. (1971). Pourquoi l’épouser et autres essais.
Paris : Gallimard.
De Heusch, L. (2006). La Transe et ses entours. La sorcellerie,
l’amour fou, saint Jean de la Croix, etc. Bruxelles : Éditions
Complexe.
Delaunay-Bennet, M.P., Bioy, A., Bourry, C. (à paraître).
Hypnose et huiles essentielles. Paris : Dunod.
Demertzi, A., Soddu, A., Faymonville, M.E., Bahri, M.A.,
Gosseries, O., Vanhaudenhuyse, A., Phillips, C., Maquet, P.,
Noirhomme, Q., Luxen, A., Laureys, S. (2011). Hypnotic
modulation of resting state fMRI default mode and extrinsic
network connectivity. Prog Brain Res, 193, 309-22.
Deneux, A., Poudat, F.X., Servillat, T., Venisse, J.L. (2009). Les
psychothérapies : approche plurielle. Paris : Elsevier Masson.
De Pascalis, V. (1999). Psychophysiological correlates of
hypnosis and hypnotic susceptibility. Int J Clin Exp Hypn, Apr,
47(2), 117-43.
De Rochas, A. (1904). Les états profonds de l’hypnose (5e
édition) [1892]. Paris : Librairie générale des sciences occultes.
Desblaches, L. (2011). La plume des bêtes. Les animaux dans
le roman. Paris : L’Harmattan.
Descola, P. (2005). Par-delà nature et culture. Paris :
Gallimard.
Descola, P. (2011). L’écologie des autres. L’anthropologie et la
question de la nature. Versailles : Quae, « Sciences en
questions ».
Descola, P., Charbonnier, P. (2014). La Composition des
mondes. Flammarion.
Diamond, S.G., Davis, O.C., Howe, R.D. (2008). Heart rate
variability as a quantitative measure of hypnotic death.
International journal of clinical and experimental hypnosis, 56,
1-18.
Durand de Gros (1860). Cours théorique et pratique de
braidisme ou hypnotisme nerveux. Paris : J.B. Baillière et fils.
Edgette, J., Sasson Edgette, J. (2009). Manuel des
phénomènes hypnotiques. Bruxelles : SATAS.
Ellenberger, H.F. (1994). À la découverte de l’inconscient :
histoire de la psychiatrie dynamique [1970]. Paris : Fayard.
Elman, D. (1964 sous le titre Findings In Hypnosis).
Hypnotherapy. Westwood Publishing Co Glendale, Ca.
Elman, D. (1970). Explorations in hypnosis. Nash Pub.
Erickson, B.A., Keeney, B. (2008). Le Dr Milton H. Erickson,
médecin et guérisseur américain. Bruxelles : Satas.
Erickson, M.H. (1939). Les applications de l’hypnose en
psychiatrie. In L’intégrale des articles de Milton Erickson sur
l’hypnose, tome 4. Bruxelles : SATAS, 15-28.
Erickson, M.H. (1944). L’hypnose en médecine. In L’intégrale
des articles de Milton Erickson sur l’hypnose, tome 1, Bruxelles
: SATAS, 29-45.
Erickson, M.H. (1952). Deep hypnosis and its induction. In L.M.
LeCron (ed.), Experimental Hypnosis (70-114). New York :
Macmillan, disponible en français dans les oeuvres complètes
(Satas).
Erickson, M.H. (1958). Les techniques naturalistes en
hypnose. In L’intégrale des articles de Milton Erickson sur
l’hypnose, tome 1, Bruxelles : SATAS, 214-224.
Erickson, M.H. (1965). A special inquiry with Aldous Huxley
into the nature and character of various altered states of
consciousness. American Journal of Clinical Hypnosis, 8, 17-
33.
Erickson, M.H. (1965-a). Une introduction à l’étude et à
l’application de l’hypnose dans le contrôle de la douleur. In
L’Hypnose thérapeutique. Quatre conférences. Paris : ESF
Sciences Humaines, 1986.
Erickson, M.H. (1965-b). Techniques d’induction. In L’Hypnose
thérapeutique. Quatre conférences. Paris : ESF Sciences
Humaines, 1986.
Erickson, M.H., Rossi, E. (1964). À propos de deux techniques
d’hypnose : « La Surprise » et « Mon-Ami John » : Signaux
minimes et expérimentation dans la vie quotidienne. In
L’intégrale des articles de Milton Erickson sur l’hypnose, tome
1, 428-452.
Erickson, M.H., Rossi, E. (1980). The Collected Papers of
Milton H. Erickson on Hypnosis. New York : Irvington
Publishers, édité en français par les éditions Satas.
Erickson, M.H., Rossi, E. (1989). L’homme de février.
Brunner/Mazel, Inc.
Esdaile, J. (1902). Mesmerism in India, And Its Practical
Application in Surgery and Medicine. Chicago, Psychic
Research Company.
Evans, F.J. (1963). The structure of hypnosis: A factor analytic
investigation. Thèse de doctorat non publiée, University of
Sidney, Australia.
Evrard, R. (2016). Enquête sur 150 ans de parapsychologie.
Trajectoire.
Evrard, R., Gumpper, S., Beauvais, B., Alvarado, C.S. (2021).
“Never sacrifice anything to laboratory work”: The
“physiological psychology” of Charles Richet (1875-1905).
Journal of the History of the Behavioral Sciences, 57(2), 172-
193.
Evrard, R., Pratte, E.A. (2017a). From Catalepsy to Psychical
Research: The Itinerary of Timothée Puel (1812-1890). History
of Psychology, 20(1), 50-71.
Evrard, R., Pratte, E.A., Cardeña, E. (2018). Pierre Janet and
the enchanted boundary of psychical research. History of
Psychology, 21(2), 100-125.
Faivre, A. (1986). « Vis imaginativa » (Étude sur l’imagination
magique et ses fondements mythiques). In Accès de
l’ésotérisme occidental, tome II (171-219). Paris : Gallimard.
Farrelly, F., Brandsma, J. (2009). La thérapie provocatrice.
Bruxelles : Satas.
Feldman, B.E. (1976). A phenomenological and clinical inquiry
into deep hypnosis. Thèse de doctorat non publiée, University
of California, Berkeley, CA.
Field, P.B. (1965). An inventory scale of hypnotic depth.
International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis,
13, 238-249.
Flournoy, Th. (1900). Des Indes à la Planète Mars. Le Seuil.
Foster, C. (2017). Dans la peau d’une bête. Paris : JC Lattès.
Ghassarian, C. (1994). « Dieu arrive ! » (Possession rituelle et
hindouisme populaire à La Réunion). Ethnologie française
XXIV.
Gill, M., Brenman, M. (1959). Hypnosis and related states. New
York : International Universities Press.
Goldschmidt, D. (2017). Thérapie par l’hypnose profonde d’une
dépression majeure. In Bioy, Bioy (dir.), 17 cas pratiques en
hypnothérapie, 2e edition (82-99). Paris : Dunod.
Greenberg, L. (2021). La thérapie centrée sur les émotions.
Bruxelles : De Boeck.
Gumpper, S. (2008). L’expérience mystique, entre réalisation
ultime et folie : analyse épistémologique et psychopathologique
(1789-1980). Thèse de doctorat non publiée, Université de
Strasbourg, Strasbourg.
Hacking, I. (1998). L’âme réécrite : Essai sur la personnalité
multiple et les troubles de la mémoire. Paris : Institut
Synthélabo.
Haley, J. (2007). Un thérapeute hors du commun : Milton
Erickson, [1973]. Paris : Desclée de Brouwer.
Haley, J. (ed.) (1985). Conversations with Milton H. Erickson,
New York : W. W. Norton.
Hasenkamp, W., Barsalou, L.W. (2012). Effects of meditation
experience on functional connectivity of distributed brain
networks. Front Hum Neurosci, Mar 1, 6, 38.
Havens, R.A. (1988). Erickson’s wisdom; about self-hypnosis:
is this state a necessary part of the art? In Zeig, J.K., Lankton,
S.R. Developing Ericksonian Therapy : State Of The Art (185-
197), Brunner/Mazel.
Henry, M. (1965). Philosophie et phénoménologie du corps.
PUF, « Epiméthée », réédité en 2011.
Henry, M. (1978). Qu’est-ce que cela que nous appelons la vie
? Philosophiques, vol. 5, n° 1, avril.
Henry, M. (2011). L’essence de la manifestation. Paris : PUF, «
Epiméthée ».
Herbert, F. (1965). Dune. Chilton Books.
Hilgard, E.R. (1965). HYPNOSIS. Annu Rev Psychol, 16, 157-
80.
Hilgard, E.R. (1977). Divided consciousness: multiple controls
in human thought and action. NY : John Wiley & sons.
Hilgard, E.R. (1986). Divided consciousness (expanded
edition). New York : Wiley.
Hilgard, J.R. (1974). Sequelae to hypnosis. Int J Clin Exp
Hypn, Oct, 22(4), 281-98.
Hoeft, F., Gabrieli, J.D., Whitfield-Gabrieli, S., Haas, B.W.,
Bammer, R., Menon, V., Spiegel, D. (2012). Functional brain
basis of hypnotizability. Arch Gen Psychiatry, Oct, 69(10),
1064-72.
Jacobson, E. (1974). Biologie des émotions. Les bases
théoriques de la relaxation. ESF
Jacquin, A., Cummins, J. (2016). L’art de l’hypnose
impromptue. Anthony Jacquin (1e édition).
Janet, J. (1888). L’hystérie et l’hypnotisme, d’après la théorie
de la double personnalité. Revue Scientifique, 25, 616-623.
Janet, P. (1886). Les phases intermédiaires de l’hypnotisme.
Revue Scientifique, 37(19), 577- 587.
Janet, P. (1889). L’Automatisme psychologique : Essai de
psychologie expérimentale sur les formes inférieures de
l’activité humaine. Paris : Félix Alcan.
Jung, C.G. (1971). Le symbole de la transsubstantiation dans
la messe. In Les racines de la conscience. Paris : Buchet
Chastel.
Jung, C.G. (1987). L’homme à la découverte de son âme. Albin
Michel.
Jung, C.G. (2011). La voie de l’à-venir in Le livre rouge, Liber
Novus. Paris : Ed. L’iconoclaste.
Kilpatrick, L.A., Suyenobu, B.Y., Smith, S.R., Bueller, J.A.,
Goodman. T., Creswell, J.D., Tillisch, K., Mayer, E.A., Naliboff,
B.D. (2011). Impact of Mindfulness-Based Stress Reduction
training on intrinsic brain connectivity. Neuroimage, May 1,
56(1), 290-8.
Kluge, C.A.F. (1811). Versuch einer Darstellung des
animalischen Magnetismus als Heilmittel. Wien : Franz Haas.
Koestler, A. (1964). The Act of Creation, trad fr. partielle in Le
Cri d’Archimède. La découverte de l’art et l’art de la
Découverte, Paris : Belles Lettres, 2011.
Kohut, H. (1978). The search for the self, vol. 1, 456.
Land, M.F. (2014). Do we have an internal model of the outside
world ? Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci, Jan 6, 369(1636) :
20130045.
Lausanne, M. de (1819). Des Principes et des procédés du
magnétisme animal, et de leurs rapports avec les lois de la
physique et de la physiologie (2 vols.). Dentu.
Lavaud, J.C. (2009). Le voyage de Marie Ti’Bibe. Saint-André :
Design Peï.
Lavaud, J.C. (2013). Le messager du crocodile. Paris :
L’Harmattan.
Lecron, L.M. (1953). A method for measuring depth of
hypnosis, JCEH, 1, 4-7.
Lecron, L.M. (1961). Hypnosis in the production of psi
phenomena. International journal of Parapsychology, 3, 65-78.
Lewis, A.K., Osborn, I.P., Roth, R. (2004). The effect of
hemispheric synchronization on intraoperative analgesia.
Anesth Analg, Feb, 98(2), 533-536.
Liu, Y., He, Y., Li, R., Yu, S., Xu, J., Xie, Y. (2020). Coupled
Temporal Fluctuation and Global Signal Synchronization of
Spontaneous Brain Activity in Hypnosis for Respiration Control:
An fMRI Study. Neuroscience, vol. 429, 1 March, 56-67.
Ludwig, A.M., Levine, J. (1965). Alterations in consciousness
produced by hypnosis. Journal of Nervous and Mental
Disease, 140(2), 146-153.
Lutz, A., Slagter, H.A., Dunne, J.D., Davidson, R.J. (2008).
Attention regulation and monitoring in meditation. Trends Cogn
Sci, Apr, 12(4), 163-9. d
Lutzelbourg, Comte de (1786). Extraits du journal d’un
magnétiseur associé à la Société des amis de Strasbourg ;
avec des observations sur les crises magnétiques, connues
sous la dénomination de somnambulisme magnétique. Lorenz
& Schouler.
Malarewicz J-A. (1990). Cours d’hypnose clinique. Paris : ESF
Sciences Humaines, « L’art de la psychothérapie ».
Mandel, M. (2021). Hypnotic Power Inductions [DVD]. Mike
Mandel Publishing.
Manna, A., Raffone, A., Perrucci, M.G., Nardo, D., Ferretti, A.,
Tartaro, A., Londei, A., Del Gratta, C., Belardinelli, M.O.,
Romani, G.L. (2010). Neural correlates of focused attention
and cognitive monitoring in meditation. Brain Res Bull. Apr 29,
82(1-2), 46-56.
Maquet, .P, Faymonville, M.E., Degueldre, C., Delfiore, G.,
Franck, G., Luxen, A., Lamy, M. (1999). Functional
neuroanatomy of hypnotic state. Biol Psychiatry, Feb 1, 45(3),
327-33.
McGeown, W.J., Mazzoni, G., Venneri, A., Kirsch, I. (2009).
Hypnotic induction decreases anterior default mode activity.
Conscious Cogn. Dec, 18(4), 848-55.
Méheust, B. (1999). Somnambulisme et médiumnité (2 tomes).
Paris : Institut Synthélabo.
Méheust, B. (2003). Un voyant prodigieux : Alexis Didier (1826-
1886). Paris : Les Empêcheurs de Penser en Rond.
Méheust, B. (2015). Jésus thaumaturge. Intereditions.
Melchior, T. (2005). La signification anthropologique de
l’hypnose, Perspectives Psy, 44.
Merli, L. (2019). Le voyage chamanique au tambour. Des
traditions mongoles aux thérapies du troisième millénaire,
Multitudes, vol. 77, n° 4, 169-176.
Mitrani, P. (1992). Aperçu critique des approches
psychiatriques du chamanisme. Diogène, 158.
Moreau, C., Rogez, R. (1977). Hypnose et parapsychologie :
une revue de la littérature. Revue de parapsychologie, n° 5, 5-
29.
Morizot, B. (2017). La patience de la panthère. Philosophie
magazine, n° 111, juillet-août.
Myers, F.W.H. (1887). Automatic writing – III. Proceedings of
the Society for Psychical Research, 4, 209-261.
Noizet, F.J. (1820). Mémoire sur le somnambulisme et le
magnétisme animal. Adressé en 1820 à l’Académie Royale de
Berlin.
Oakley, D.A., Halligan, P.W. (2009). Hypnotic suggestion and
cognitive neuroscience. Trends Cogn Sci, Jun, 13(6), 264-70.
doi : 10.1016/j.tics.2009.03.004. Epub 2009 May 8. PMID :
19428287 Review.
Pagnoni, G., Cekic, M. (2007). Age effects on gray matter
volume and attentional performance in Zen meditation.
Neurobiol Aging. Oct, 28(10), 1623-7. doi : 10.1016/
j.neurobiolaging. 2007.06.008. Epub 2007 Jul 25.
Pekala, R.J., Kumar, V.K., Maurer, R., Elliott-Carter, N.C.,
Moon, E. (2006). “How deeply hypnotized did I get?”:
Predicting self-reported hypnotic depth from a
phenomenological assessment instrument. International journal
of clinical and experimental hypnosis, 54, 316-399.
Petot, J.-M., Poliakov, A. (2008). Expérience paranormale et
hypnotisabilité. In Collot, E. (dir.), Hypnose et pensée magique
(95-111), Paris : Imago.
Petro, L.S., Paton, A.T., Muckli, L. (2017). Contextual
modulation of primary visual cortex by auditory signals. Philos
Trans R Soc Lond B Biol Sci, Feb 19, 372(1714), 20160104.
doi : 10.1098/rstb.2016.0104. Epub 2017 Jan 2. PMID :
28044015.
Rausky, F. (1977). Mesmer ou la révolution thérapeutique.
Paris : Payot.
Richer, P. (1885). Études cliniques sur la grande hystérie ou
hystéro-épilepsie. Paris : Delahaye & Lecrosnier.
Richet, C. (1875). Du somnambulisme provoqué. Journal de
l’anatomie et de la physiologie normales et pathologiques de
l’homme et des animaux, 2, 348-377.
Rochas D’Aiglun (de), A. (2018). Les états profonds de
l’hypnose. Paris : Hachette/BNF [1e édition, 1892].
Rossi, E. (1973). Choc psychologique et moments créatifs en
psychothérapie. In L’intégrale des articles de Milton Erickson
sur l’hypnose, tome 4, Bruxelles : SATAS, 564-586.
Rousseau, P. (2020), Hypnose, Art et Hypnotisme. École
Nationale Supérieure Des Beaux-Arts et Musée D’arts De
Nantes.
Roustang, F. (2004). Il suffit d’un geste. Paris : Odile Jacob.
Roustang, F. (2015). Jamais contre, d’abord. Paris : Odile
Jacob.
Sato, J.R., Kozasa, E.H., Russell, T.A., Radvany, J., Mello,
L.E., Lacerda, S.S., Amaro, E. Jr. (2012). Brain imaging
analysis can identify participants under regular mental training.
PLoS One, 7(7), e39832. doi : 10.1371/journal.pone.0039832.
Epub 2012 Jul 3. PMID : 22802944.
Schultz, J.H. (1987). Manuel pratique de training autogène.
Paris : PUF.
Schultz, J.H. (1991). Le training autogène. Paris : PUF.
Servillat, T. (2001). The Case of Helene and Dominique. The
Milton Erickson Foundation Newsletter, Hiver, 4.
Servillat, T. (2017). Le travail avec la colère. In Bioy, A., 15 cas
pratiques en hypnothérapie, Paris : Dunod.
Servillat, T. (2019). Découvrir l’autohypnose. Malakoff :
InterEditions.
Servillat, T (à paraître). Foreword, Collected Works of Milton
Erickson, tome 4. Milton Erickson Foundation Press.
Sherman, S.E. (1971). Very deep hypnosis: An experiential
and electroencephalographic investigation. Thèse de doctorat
non publiée, Stanford University, California.
Shor, R.E. (1962). Three dimensions of hypnotic depth,
International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis,
10(1), 23-38.
Simpson, I. (2013). The Simpson Protocol Instruction Manual:
Working Interactively In The Esdaile State And Beyond, Inner
Healing Press.
Singer, J.L. (1977). Ongoing though : The normative baseline
of altered states of consciousness. In Zinberg, N.E. (ed.)
Alternate states of consciousness, 89-120, New York : Free
Press.
Spiegel, D. (1994). Dissociation - Culture, Mind, and Body.
American Psychiatric Press.
Swain, G., Gauchet, M. (1997). Le Vrai Charcot : les chemins
imprévus de l’inconscient suivi de deux essais de Jacques
Gasser et Alain Chevrier. Paris : La procure.
Tart, C.T. (1970). Transpersonal potentialities of deep hypnosis.
Journal of Transpersonal Psychology, 2, 27-40.
Tart, C.T. (1972). Measuring the death of an altered state of
consciousness with particular reference to self report scales of
hypnotic depth. In Shor, R.E. (ed.). Hypnosis: research
development and new perspectives - 2nd edition. NY : Aldine-
Atherton.
Tart, C.T. (1975). States of consciousness. New York : Dutton.
Tellegen, A., Atkinson. G. (1974). Openness to absorbing and
self-altering experiences (“absorption”), a trait related to
hypnotic susceptibility. J Abnorm Psychol, Jun, 83(3), 268-77.
Tressoldi, P., Del Prete, G. (2007). ESP under hypnosis: The
role of induction instructions and personality characteristics.
Journal of Parapsychology, 71, 125-137.
Vanhaudenhuyse, A., Laureysa, S., Faymonville, M.E. (2014).
Neurophysiology of hypnosis. Review. Neurophysiologie
Clinique/Clinical Neurophysiology, vol. 44, Issue 4, October,
343-353.
Watkins, J.G., Barabaszn, A. (2008). Advanced hypnotherapy.
NY : Routledge.
Weitzenhoffer, A.M. (2000). The practice of hypnotism. Second
edition. New York : Wiley.
Weitzenhoffer, A.M. (1989). The practice of hypnosis. NY :
John Wiley.
Xue, S., Tang, Y.Y., Posner, M.I. (2011). Short-term meditation
increases network efficiency of the anterior cingulate cortex.
Neuroreport, Aug 24, 22(12), 570-4. doi : 10.1097 /WNR.
0b013e328348c 750. PMID : 21691234
Yapko, M. (2003). Trancework. An introduction to the practice
of clinical hypnosis (3e édition). New York : Brunner Routledge.
Yapko, M. (2003), Trancework. New York and London :
Routledge.
Yapko, M. (2006). Hypnosis and treating depression
applications. New York and London : Routledge.
Zeig, J.K., Geary, B.B. (2005) Les lettres de Milton H. Erickson.
Bruxelles : SATAS Le Germe, trad. française [édition originale
2000].
from

Your gateway to knowledge and culture. Accessible for everyone.

z-library.se singlelogin.re go-to-zlibrary.se single-login.ru

O cial Telegram channel

Z-Access

https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
ffi

Vous aimerez peut-être aussi