Comprendre Et Maîtriser L'hypnose Profonde (A.Bioy)
Comprendre Et Maîtriser L'hypnose Profonde (A.Bioy)
Comprendre Et Maîtriser L'hypnose Profonde (A.Bioy)
ISBN 978-2-10-084211-7
Table des matières
Auteurs
Préface
Introduction
Conclusion
Bibliographie
Auteurs
COORDINATEURS ET CONTRIBUTEURS :
Antoine Bioy
Professeur de psychologie clinique et psychopathologie à l’université Paris-
8, directeur adjoint du Laboratoire de psychopathologie et processus de
changement (LPPC), psychologue clinicien et hypnothérapeute (Institut des
médecines intégratives et complémentaires du CHU de Bordeaux),
responsable scientifique du centre de formation et d’étude en hypnose
Ipnosia, expert scientifique auprès de l’UNESCO (chaire 918), cofondateur
de la Revue de l’Hypnose et de la Santé (Dunod) et coordinateur
scientifique de l’Agence des médecines complémentaires et alternatives (A-
MCA).
Daniel Goldschmidt
Hypnothérapeute licencié en psychologie (université Paris-8), diplômé de
l’EHSB (École des hautes études de sophrologie et bio analyse), certifié par
le British Hypnosis Research (Stephen Brooks) et le New York Training
Institute For N.L.P. (Année Linden).
CONTRIBUTEURS :
Édouard Collot
Médecin psychiatre, psychothérapeute et psychanalyste (cabinet libéral,
Paris), responsable d’une unité d’hypnothérapie à l’Institut Paul Sivadon,
établissement de la Fondation l’Élan Retrouvé, Paris.
Renaud Evrard
Maître de conférences habilité à diriger des recherches en psychologie
clinique et psychopathologie à l’université de Lorraine, laboratoire Interpsy,
responsable du master Psychologie clinique, psychopathologie et
psychologie de la santé, psychologue clinicien, cofondateur du Centre
d’information, de recherche et de consultation sur les expériences
exceptionnelles.
Jean-Claude Lavaud
Docteur en anthropologie sociale (EHESS), thérapeute praticien de
l’hypnose et anthropologue, président du Collège d’hypnose de l’Océan
Indien (CHOI), fondateur et directeur du Centre de ressources et d’études
ericksoniennes de La Réunion (CRÉER), l’Institut Milton Erickson de La
Réunion.
Franck Mahia
Praticien en accompagnement personnel (Bordeaux-Bègles),
hypnothérapeute certifié par la National Guild of Hypnotists, certifié
Mirroring Hands par Richard Hill.
Silvia Morar
Neurochirurgien, responsable du Centre de référence pour la syringomyélie
du CHU Bicêtre-APHP (Le Kremlin-Bicêtre).
Thierry Servillat
Médecin psychiatre, exerce au CITI (Centre interdisciplinaire de thérapie
intégrative) à Rezé près de Nantes, président de l’Institut Milton H.
Erickson de Rezé (RIME 44) et directeur du centre Ipnosia Nantes,
cofondateur et rédacteur en chef de la Revue de l’Hypnose et de la Santé
(Dunod).
Préface
Pr Gérard Ostermann
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne
pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous
penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De
vin, de poésie, ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous !
Charles Baudelaire
Écrire une préface, c’est un peu comme réaliser un puzzle à partir d’un
infini de petites pièces, toutes différentes et formant ensemble un tout, avec
des zones d’ombre et d’autres de pleine lumière qu’il est parfois difficile de
bien positionner avant de les relier entre elles. Malgré la profusion
d’ouvrages sur l’hypnose, il convient de souligner que ce livre est unique
sur cette thématique et qu’il constitue une véritable école du regard. Les
auteurs se sont répartis les rôles et les approches et cela donne un discours
pluriel qui permet d’aborder le sujet sous différents angles de vue ouvrant à
la compréhension et plus encore à la réflexion. À travers les exposés et
discussions de l’ouvrage, nous parcourons avec les thérapeutes les terrains
intimes qu’ils ont eu à explorer et qu’ils mettent aujourd’hui au service de
leurs patients, au service du changement, de la libération psychique et/ou
physique, de l’individuation. La transe profonde est le niveau d’hypnose qui
permet au sujet de fonctionner convenablement et directement à un niveau
inconscient sans interférence de l’esprit conscient. Consciemment,
l’individu ne peut généralement pas savoir s’il est dans un état de transe,
mais il peut apprendre à le reconnaître (Erickson & coll., 1976, p. 69).
Inviter le patient à l’hypnose profonde, c’est prendre le risque d’une
relation thérapeutique d’inconscient à inconscient : on peut parler d’une
véritable communion d’inconscient (Édouard Collot), ce qui suppose de la
part du thérapeute une pratique de l’expérience intérieure. La prise de
risques par rapport à l’« académique », les recherches et expérimentations
personnelles, l’effort de documentation, de connaissances (mythologie,
anthropologie, ethnologie, etc.) qui nourrissent l’écriture de ce livre ont
quelque chose de particulièrement heuristique et grisant.
Cet ouvrage fait bien ressortir aussi que les discussions sur ce qu’est
l’hypnose sont encore loin d’être achevées : l’hypnose est-elle une simple
réponse à la suggestion ou un état dissociatif particulier ? Existe-t-il une
parenté indéniable entre les transes hypnotiques et les transes observées
dans les Cultures Premières ? Il semble en outre que l’imagerie médicale
montre une différence de fonctionnement cérébral entre l’hypnose profonde
et l’hypnose plus légère, indiquant de plus que la fameuse « common
everyday trance » n’en serait pas une (Sylvia Morar).
Avec ces quelques mots, nous avons abordé les différents angles proposés
par cet ouvrage ! Renaud Evrard ouvre la danse avec d’indispensables
repères historiques, grâce auxquels vous vous rendrez compte combien
l’hypnose profonde a d’emblée été mêlée à l’histoire des expériences
exceptionnelles (écriture automatique, clairvoyance, etc.). Ensuite, Antoine
Bioy vous invite à prendre la route depuis la théorie jusqu’à la pratique, en
situant des processus importants qu’il fait connaître pour exercer l’hypnose
profonde. Franck Mahia puis Daniel Goldschmidt préciseront la démarche
de construction d’une séance et les techniques importantes pour pratiquer.
Suit Thierry Servillat qui fera un focus sur la pratique de l’hypnose
profonde dans l’approche ericksonienne, dont l’articulation est évidemment
la notion d’esprit inconscient. Une belle introduction à la contribution de
Silvia Morar qui nous enseigne ce que les neurosciences nous apprennent –
ou non ! – de l’hypnose profonde. Et puisque nous avons évoqué un pont
entre Erickson et Jung, Édouard Collot précisera l’approche en
hypnoanalyse de la transe profonde, particulièrement éclairée par le
psychologue analytique suisse. Enfin, et comme une ouverture, Jean-Claude
Lavaud termine l’ouvrage par une perspective anthropologique sur la
pratique en hypnose profonde, aussi fascinante que novatrice ! Comme des
éléments de respiration, chaque contributeur (de Bioy à Lavaud) vous
proposera une ou des situations cliniques détaillées, afin que vous puissiez
vous figurer du mieux possible l’approche dont il est question.
Repères historiques et
conceptuels
R. Evrard
Classifications parapsychologiques
Les premières échelles de profondeurs hypnotiques forgées par des
magnétiseurs français ou allemands furent construites autour du critère de la
« lucidité », critère qui sera plus tard refoulé. Par exemple, le médecin Carl
Alexander F. Kluge avait établi une échelle subdivisée en six degrés :
– « l’état de veille, avec une sensation de chaleur accrue ;
– le demi-sommeil ;
– l’obscurité intérieure, c’est-à-dire le sommeil magnétique avec
insensibilité complète ;
– la clarté intérieure, c’est-à-dire que le sujet perçoit par le toucher des
sensations qui, généralement, ne sont perceptibles que par la vue […]
;
– la contemplation de soi, c’est-à-dire l’aptitude du sujet à percevoir
avec une grande précision l’intérieur de son propre corps, comme
aussi du corps de ceux avec qui on le met en rapport ;
– la clarté universelle : les voiles du temps et de l’espace sont
supprimés, le sujet perçoit des choses cachées dans le passé et
l’avenir, ou des évènements à distance […] » (Kluge in Ellenberger,
1994, p. 110).
Des classifications similaires vont apparaître tout au long du xixe siècle,
comme en témoignent Noizet (1820) ou encore Durand de Gros (1860).
Ainsi, le colonel Albert de Rochas fera paraître en 1892 un ouvrage Les
états profonds de l’hypnose, à contretemps des travaux de son époque. Là
où les médecins de la Salpêtrière repéraient uniquement trois phases
classiques (léthargie, catalepsie et somnambulisme), il dénonçait un
bornage prématuré de la transe : « l’hypnotisme, jusqu’ici seul étudié
officiellement, n’est que le vestibule d’un vaste et merveilleux édifice déjà
exploré en grande partie par les anciens magnétiseurs » (de Rochas, 1904,
p. 75). En cause, des pratiques avec des « agents très faibles » (bruit subit,
pression des globes oculaires, friction du vertex, fixation du regard qui
cesse d’agir aussitôt que les sujets ont les yeux fermés) tandis que les
magnétiseurs prolongeaient leur action par des « passes » pendant parfois
plus d’une demi-heure, ne se préoccupant nullement de ce qui pouvait se
produire au début et ne s’arrêtant que lorsqu’ils avaient reconnu que le sujet
avait atteint le degré de lucidité. De Rochas affirme que cette superficialité
de l’hypnotisme médical s’est installée car les hypnotiseurs redoutent « un
rapprochement entre leurs recherches et les pratiques des magnétiseurs »
(de Rochas, 1904, p. 6).
Se faisant un héritier des anciens magnétiseurs, de Rochas présente sa
méthode d’induction sur Benoît, 19 ans, par imposition de la main sur son
front. Il passerait ainsi de l’état de crédulité à l’état léthargique, puis à l’état
cataleptique avec ses deux phases de rigidité puis d’imitation automatique,
un deuxième état léthargique sans contractibilité musculaire, et enfin le
somnambulisme. C’est ensuite que de Rochas prétend explorer des étapes
non étudiées par les écoles modernes : une troisième phase léthargique puis
un état de « crise complète » marqué par un rapport électif dans lequel le
sujet ne perçoit aucun objet à moins que celui-ci ne soit en contact avec le
magnétiseur. À travers cette fusion parfaite, le sujet présenterait des états de
sympathie soit avec ce à quoi le magnétiseur a accès, soit à distance. Plus
précisément, au 1er degré le magnétisé voit son propre mal et les étapes de
sa guérison ; au 2e degré et 3e degré, le magnétisé peut voir les maux
d’autres personnes avec une efficacité croissante ; au 4e degré, il voit même
des choses éloignées et étrangères à son état, y compris dans l’avenir. De
Rochas observe alors des effets de la transe profonde sur la mémoire
(mémoire qui embrasse toutes les autres mais restera ignorée des mémoires
des niveaux supérieurs) et sur la suggestibilité (qui régresse).
Bertrand Méheust (2003) a repris les comptes rendus des expériences avec
le somnambule lucide Alexis Didier pour présenter d’autres caractéristiques
particulières de l’état de lucidité. Son magnétiseur habituel induisait la
transe en le fixant intensément dans les yeux, en concentrant intensément sa
volonté, ou encore en lui serrant la main. La procédure prenait rarement
plus de dix minutes. Le début de la séance était marqué par une phase
pénible et même apparemment douloureuse de courte durée ; « presque
aussitôt Alexis (…) pénètre dans un état calme, que le magnétiseur
“consolide” par des passes silencieuses » (Méheust, 2003, p. 182).
Physiquement, Alexis présente soit une fixité de la pupille, « son regard est
inexpressif comme celui d’un aveugle » (ibid., p. 183), soit une révulsion
des globes oculaires. Rien d’autre ne le distingue d’une personne qui se
trouve dans son état normal. Méheust décrit un état paradoxal d’éveil et de
présence dans lequel le sujet est censé jouir de facultés spéciales. Cette «
hyperprésence » est marquée par l’autonomie du sujet et non par ses
automatismes : « [Alexis] met en œuvre un sens de la répartie qui coupe le
souffle de ses consultants, son discours oraculaire se teinte souvent d’une
nuance de distance et d’ironie, il puise à sa guise dans ses souvenirs »
(Méheust, 2003, p. 344).
Méheust s’interroge, comme d’autres, sur ce qui fait que nous n’observons
plus rien de tel dans nos dispositifs actuels. Plus récemment, Lecron (1961)
a affirmé que les performances aux expérimentations sur la perception
extra-sensorielle étaient en déclin par rapport aux phénomènes
spectaculaires du xixe siècle car les transes hypnotiques obtenues de nos
jours étaient plus légères. Toutefois, cette corrélation n’a pas encore pu être
établie avec certitude, des performances parapsychologiques comparables
ayant été obtenues avec des transes légères et des transes profondes
(Moreau & Rogez, 1977).
Classifications psychophysiologiques
Au cours du xxe siècle, les modèles expérientiels de l’hypnose profonde ont
intégré de multiples facteurs : suggestibilité accrue, dissociation accrue et
absorption (Cardeña & Spiegel, 1991). Toutefois, il y a eu peu de recherche
sur la phénoménologie de l’hypnose profonde. Cardeña (2010) recense
quelques travaux qui s’appuient sur ceux de Milton Erickson (1952), le
premier célèbre auteur moderne à consacrer des recherches sur ce qu’il
appelait également « l’hypnose plénière ».
Plusieurs auteurs ont donc contribué à décrire des vécus spécifiques en
hypnose profonde :
Des modifications de l’image du corps et des sensations corporelles
(sensation de flotter, vertiges), perte du sens de la réalité extérieure
(Gill & Brenman, 1959) ;
Des modifications de la perception du temps, sensation de perte de
contrôle, modifications de la pensée, diminution de l’affect, etc.
(Ludwig, 1965) ;
Parfois de la synesthésie, un effacement de l’identité personnelle et
un manque de contenus mentaux (Erickson, 1965) ;
Charles Tart (1970) a publié un rapport sur une procédure d’hypnose
profonde avec un virtuose hypnotique. Celui-ci eut même la sensation
mystique de ne faire qu’un avec l’univers.
Le professeur Etzel Cardeña (2005) a poursuivi ce travail en interrogeant
des sujets placés dans des conditions de transes légères ou profondes. Le
tableau suivant synthétise les phénomènes qu’il considère comme
caractéristiques des différents niveaux.
A. Bioy
1 Introduction
5 Auto-transe du praticien
1 Introduction
En fait, la question de la profondeur a longtemps été une question de
chercheurs : jusqu’où peut-on aller dans une déconnexion de la réalité
ambiante, sans être dans une forme de sommeil ou de coma ? Finalement,
on pourrait dire que jusqu’à Erickson, toute hypnose était ce que l’on
nomme aujourd’hui hypnose profonde. De Franz Anton Mesmer au sage de
Phoenix, on était en hypnose lorsque l’on manifestait des signes francs de
cette déconnexion, avec la production d’actes automatiques, des
hallucinations plus ou moins suggérées et des amnésies partielles et parfois
totales. Et puis Erickson proposa un lien entre transe commune et transe
hypnotique, qui modula le besoin d’une déconnexion franche pour travailler
en hypnose (voir le chapitre de Thierry Servillat dans cet ouvrage). Surtout,
la PNL, prétextant un lien de parenté avec l’hypnose, influença l’invention
de la « communication hypnotique » (années 1980 et au-delà) qui, par
nature, n’a pas besoin d’une transe profonde pour opérer (rapidement dit,
elle consiste en de la communication thérapeutique avec induction
progressive d’un état de transe légère). Cette modalité de pratique se trouve
très adaptée à l’hypnose médicale appliquée au domaine du soin, et
remporte encore de nos jours un franc succès. L’identité de l’hypnose s’en
trouva modifiée, on parle ainsi de communication hypnotique (parfois
différenciée de l’hypnose conversationnelle) et d’hypnose formelle (séance
d’hypnose avec mise en lien, induction, phase de travail, temps de
renforcement ou de suggestions post-hypnotiques et enfin retour à l’état de
conscience ordinaire). Et dans la pratique de l’hypnose formelle, il existe
une pratique désignée comme « hypnose profonde », qui est en fait
l’hypnose « historique », la pratique qui a prévalu tout le xixe siècle et les
trois quarts du xxe siècle. Cette forme d’hypnose est maintenant bien l’une
des approches possibles en hypnose lorsque la situation y est propice. Par
exemple, dans Hypnosis and treating depression applications (2006),
Michaël Yapko développe longuement le suivi de Julia, qui s’appuie sur la
pratique de l’hypnose profonde, avec un usage important des métaphores.
Un peu plus loin, il situe aussi l’intérêt de l’hypnose profonde pour préparer
le suivi des patients (permettre aux suggestions d’être plus ancrées)2. Des
auteurs comme Assen Aladdin proposent que l’approfondissement de la
transe soit systématique dans toutes les pratiques d’hypnose formelle et
d’autres auteurs n’envisagent pas l’hypnose sans cet approfondissement,
notamment car elle favorise les mouvements de régression et la production
de méthodes particulières comme l’écriture automatique (Watkins &
Barabasz, 2008).
L’écriture automatique
Hippolyte Taine dans la préface de la troisième édition de son
ouvrage De l’intelligence (1878) en dit ceci : « Plus un fait est
bizarre, plus il est instructif. À cet égard, les manifestations
spirites elles-mêmes nous mettent sur la voie de ces découvertes,
en nous montrant la coexistence au même instant, dans le même
individu, de deux pensées, de deux volontés, de deux actions
distinctes, l’une dont il a conscience, l’autre dont il n’a pas
conscience et qu’il attribue à des êtres invisibles… Il y a une
personne qui, en causant, en chantant, écrit sans regarder son
papier des phrases suivies et même des pages entières, sans
avoir conscience de ce qu’elle écrit. À mes yeux, sa sincérité est
parfaite ; or, elle déclare qu’au bout de sa page, elle n’a aucune
idée de ce qu’elle a tracé sur le papier. Quand elle le lit, elle en est
étonnée, parfois alarmée… Certainement on constate ici un
dédoublement du moi, la présence simultanée de deux séries
d’idées parallèles et indépendantes, de deux centres d’actions,
ou, si l’on veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le
même cerveau ; chacune a une œuvre, et une œuvre différente,
l’une sur la scène et l’autre dans la coulisse ». Janet cite ce
passage en parlant des actes de sa patiente Léonie, et l’attribue à
un phénomène de suggestion rendu possible par la distraction
maintenue. Janet fait de l’écriture automatique une véritable voie
d’exploration des contenus inconscients, d’autres l’utiliseront
comme Ferenczi ou encore Erickson. Dans le domaine des arts,
l’écriture automatique sera utilisée par exemple en poésie
(mouvement surréaliste) et dans le dessin. Pour notre part, nous
avons développé à partir de cela la méthode du « squiggle
hypnotique » (Bioy, 2014).
Ronald est un adolescent approchant de la majorité, qui a longtemps été un « enfant trop sage » et
lorsque sa mère en parle au premier entretien, elle décrit une situation qui évolue dans un sens
qu’elle trouve inquiétant. Assez peu porté vers les contacts sociaux, Ronald a cependant des
hobbies prenant une bonne place dans sa vie : mangas qui l’initient à la langue japonaise,
conférences en ligne sur les nouvelles technologies et séries de science-fiction. Lors de
discussions en famille, il consolide des scénarios d’anticipation, abordant le futur possible des
terriens, des vols spatiaux, du fait de peupler les fonds sous-marins. En consultation seul à seul, il
décrit ce qu’il nomme des moments de dépersonnalisation (il a trouvé le terme sur internet), qui
lui font peur par leur récurrence et leur intensité parfois (il craint de rester bloqué dans son
imaginaire). Il n’a pas réellement d’expériences de sortie du corps (il pense qu’il pourrait mais il
s’en empêche), mais il décrit volontiers des ressentis curieux qui lui échappent avec parfois
l’impression que certaines parties de son corps « pourraient partir en vacances ». Il a été vu par un
neurologue, une dernière imagerie cérébrale est en attente, et finalement une pathologie de cet
ordre sera exclue. Une psychiatre a proposé un traitement un peu plus d’un an auparavant, sans
cependant avoir été convaincu par la réalité des troubles si l’on en croit ce qu’en disent Ronald et
sa mère. Pour notre part, nous évaluons évidemment dans l’entretien clinique différentes pistes
pathologiques possibles, en prenant aussi en compte une consommation de cannabis récréative
avec ses amis qui semble aller croissant (Ronald s’en sert pour augmenter ses perceptions et non
les éteindre). Finalement, au moment du suivi, une entrée dans la pathologie semblait à exclure.
Les phénomènes de dissociations spontanées du patient étaient plus des modalités d’adaptation à
l’adolescence et ses changements, à des angoisses existentielles et du devenir, et peut-être aussi à
un épisode effrayant voire traumatique dans lequel cependant Ronald ne nous laissa pas aller dans
l’investigation. Nous lui avons proposé des séances d’hypnose très perceptives pour investir son
corps d’une façon plus satisfaisante et sincère. Puis, nous lui avons proposé d’approfondir les états
hypnotiques jusqu’à pouvoir explorer la partie qui – en lui – ressent sa trajectoire de vie. Cet
apprivoisement à la démarche profonde prendra quatre séances, Ronald ayant besoin d’apprivoiser
la méthode, comme le renard du Petit Prince. Le travail a été possible en prenant pour appui ses
dissociations normales et adaptatives, mais en leur donnant un sens différent (recadrage), celles
des manifestations d’un Sage intérieur auquel il pouvait avoir confiance, en apprivoisant son
langage interne comme il apprivoisait le langage de ses mangas.
Une dissociation normale est-elle possible ?
Pour notre part, nous défendons l’idée que la dissociation est un processus
non seulement inné et universel, mais même plus que cela : elle est
nécessaire au développement humain. Nous ne donnerons ici qu’un
exemple, le fait qu’il ne peut y avoir d’apprentissage sans dissociation,
puisque cela implique l’attention (un mouvement cérébral sélectif et
mouvant), l’engagement actif (anticiper une réalisation, visualiser les
actions, alterner savoirs et tests, etc.), la capacité à jongler avec pensées,
émotions et comportements, etc. Et bien entendu, notre cerveau suit le
mouvement en activant et désactivant les réseaux neuronaux au fil des
apprentissages successifs, impliquant la dissociation. Ainsi, pas
d’apprentissage de la lecture, de la course, du piano, de la cuisine… sans
dissociation, autrement dit, sans approcher et répéter jusqu’à rendre
automatique une dissociation temporaire entre pensées, émotions et
comportements pour apprendre puis mettre en œuvre ces compétences dans
un processus dynamique et évolutif. L’hypnose est aussi une situation
d’apprentissage et la répétition de procédures telles que l’entrée dans
l’hypnose profonde aura donc pour vertu d’intérioriser les processus activés
pour le travail thérapeutique. Pas d’apprentissage hypnotique sans
dissociation, pas d’apprentissage installé en hypnose profonde sans
répétition de la procédure !
Nous parlons bien de « dissociation » et non de « trouble dissociatif
transitoire » ; ce mouvement d’apprentissage est par nature fluide et
universel. Pour autant, loin de nous l’envie de nier que la dissociation
puisse devenir pathologique. Comme pour tout processus normal lorsqu’il
devient excessif, chronique, et/ou qu’il dévie d’une expression
normativement convenable pour l’individu, le risque pathologique est là.
Shani est une jeune artiste venue consulter pour un trac envahissant et des tremblements
inexpliqués lorsqu’elle jouait de son instrument de musique. Un bilan médical (neurologique en
particulier) ayant exclu un terrain organique, elle nous consulte maintenant pour avancer. Lors de
la première séance, nous lui proposons un simple exercice d’exploration des énergies de son corps
et de la façon dont ces énergies se distribuent (pour expliquer le trac et les tremblements, elle avait
auparavant utilisé l’image d’une pompe à chaleur énergétique qui se vide brutalement, ne laissant
que des vagues de froid balayant son corps et dans les extrémités). Nous l’engageons à
approfondir ce mouvement d’entrée à l’intérieur d’elle-même, protégée par la chaleur de ses
vêtements. Au bout de quelques minutes, Shani commence à trembler de la main droite, alternant
mouvements amples et gestes frénétiques. Nous lui suggérons de tendre la main vers ce qui
pourrait se présenter comme un geste d’accueil, son bras se soulève d’abord péniblement, puis la
patiente semble écrire dans le vide. Nous la laissons faire puis au sortir de la séance, nous lui
présentons une feuille de papier et un crayon en lui demandant d’en faire l’usage qu’elle souhaite.
Elle « dessine » alors un mot sur la feuille (chaque lettre étant une sorte de forme vivante qu’elle
nomme : queue d’un chat, lierre, etc.). Ce mot sera repris dans nos séances par la suite.
Aitor vient consulter pour ce qu’il nomme une « boiterie intellectuelle ». Personne cultivée,
gravitant dans le monde de la haute couture, il ne supporte pas d’être pris à défaut lors de dîners
ou de rencontres professionnelles, à l’inverse d’échanges dans un cadre personnel, où il se met
volontiers en situation d’apprenant. Il a écarté la sexualité de sa vie, ses relations étant épuisantes
du fait de tiraillements sadomasochistes très marqués, allant de pair avec une problématique
d’abandon envahissante. Les premières séances explorent son univers créatif et perceptif, en
s’appuyant sur ses habiletés dans le domaine de la mode pour aller tranquillement vers
l’exploration de ce lien problématique aux autres (coudre et découdre, dessiner de l’épure à la
réalité intégrant aussi l’imaginaire de l’autre, dialectique : déchirer et découper, etc.). À la 4e
séance, Aitor tressaille au moment de l’induction hypnotique où il était plus autonome, comme en
difficulté. Nous lui suggérons alors que peut-être aujourd’hui passer le chas de l’aiguille était plus
compliquée, et nous poursuivons sur l’art de mouiller le fil pour ce faire (nous nous sommes
engagés très directement dans une visite de la façon dont Aitor pouvait vivre la sexualité). Aitor se
recroqueville sur le fauteuil, visiblement à la peine. Nous travaillons le passage du « lieu sécure »
au « lien sécure » en validant le contact du fauteuil qui le contient, à l’essence de ce qui l’entoure
comme des éléments immuables accompagnant son expérience, y compris notre présence à ses
côtés. Nous lui proposons ensuite une métaphore d’un autre registre puisque nous lui parlons de
ces éléments « calmes, immuables et intemporels comme peut l’être la surface d’un lac, à peine
plissée comme une frêle étole ondulée par une brise légère », puis progressivement nous
l’amenons à visiter « la profondeur de ce lac, à passer de l’autre côté, à découvrir le miroir
déformé et peuplé de ce qui se trouve dessous, de plus en plus déformé et de plus en plus installé
dans ces ombres dansantes. » Le rythme de respiration est ratifié comme ce qui engage à cette
profondeur vers les dessous de ce lac, déformés et agissants. L’espace de quelques minutes, Aitor
se tortille, il donne l’impression d’une larve cherchant à avancer sur ce fauteuil. Ses yeux sont très
agités, les bras collés au corps. Les suggestions pour cadrer cela n’auront pas grand effet, aussi
nous choisissons de nous adresser à ces ombres ondulantes, ces tréfonds que nous avions installés
pour leur demander de prendre soin d’Aitor en lui laissant juste l’espace pour apprendre quelque
chose de ce qui se déroule. Un temps de silence ponctue l’affaire. À son retour, assez long et
difficile, le patient décrit sa rencontre avec un personnage aux attraits presque mythologiques.
Surtout, cette personne qu’il « connaissait sans pouvoir l’identifier » lui fit « un aveu » sur son
histoire familiale, engageant des rapports d’emprise, de violence et de profits par l’asservissement
d’autres êtres humains (il confirmera par la suite la véracité de cet « aveu » par une enquête). Cela
permit à Aitor de donner un sens nouveau à sa problématique avec les autres et d’avancer sinon
dans sa résolution, au moins dans la perception plus claire de ce qui semblait à ses yeux la nourrir.
Un adorcisme
La rencontre en hypnothérapie possède des caractéristiques qui lui sont très
typiques. Puységur l’a noté en premier : la relation hypnotique est d’abord
du côté du paternel, puis a vocation à se « maternaliser ». Paternel, c’est-à-
dire cette modalité relationnelle où le thérapeute sait et « impose », où sa
parole doit « couler en soi » côté patient, dans un mouvement de régression.
Ainsi, le patient attend que le praticien perçoive et vienne corriger ce qui
fait souffrance, sous couvert d’un processus de transe comprise comme une
forme de sommeil réparateur. Ainsi, quelques demandes de patient à notre
endroit : « je ne veux pas voir un psychologue, je veux voir un hypnotiseur »
; « combien de séances vous faut-il pour que je ne sois plus dépressive ? » ;
« je vais m’endormir, ne plus être là, et vous allez m’enlever ma douleur » ;
« j’ai été toxicomane, je suis alcoolique, j’ai un problème avec le jeu, je
suis violent avec ma mère et donc je veux devenir quelqu’un d’autre, que
vous fassiez disparaître ce qui fait que je suis comme cela ».
On peut donc dire que les patients qui formulent une demande d’hypnose
sont à la recherche d’une forme de « possession correctrice et acceptable »
(Bioy, 2020) : un lien à l’autre qui ferait intrusion en eux, puis contiendrait,
et enfin qui libérerait par une parole déposée en soi. Ce mouvement
correspond à la définition de l’adorcisme, que Luc de Heusch (1971, 2006)
décrit comme le fait de vouloir se faire posséder par un esprit (l’adorcisme
est le mouvement inverse de l’exorcisme), esprit qui finalement est perçu
comme bénéfique, précise Brandibas (2003), en lui apportant sa force et sa
connaissance. Cette demande d’être fantasmatiquement possédé par l’autre,
le praticien, source supposée du pouvoir hypnotique, est fondateur de l’acte
hypnothérapeutique depuis le xviiie siècle (alors que toutes les hypnoses
étaient profondes) et encore actuellement, avec les pratiques dites «
d’hypnose profonde »… Il s’agit de l’illusion première, de la grande mise
en scène de l’hypnose : elle agit car fondamentalement le patient projette
dans le dispositif proposé une mise en scène où l’autre, le praticien, se
trouve fantasmatiquement nanti d’un pouvoir donné. Et plus le praticien
sera cadrant, ferme dans sa guidance, et plus ce fantasme d’un pouvoir du
côté du praticien renforcera le dispositif de l’hypnose profonde. Car
particulièrement dans cette pratique, il est important de laisser cette illusion
se déployer ; l’idée n’est pas tellement de maintenir une « magie » de
l’hypnose, mais simplement de dire qu’elle est sinon nécessaire, au moins
aussi intéressante qu’incontournable pour soutenir les effets thérapeutiques.
Peu à peu le « pouvoir » basculera du côté du patient avec notamment la
pratique toujours très recommandée de l’autohypnose. Ainsi se trouve
régulé l’accompagnement hypnotique : d’une situation où le thérapeute «
peut tout », le patient se réinvestit progressivement dans sa capacité à être
autonome, à développer ses attributions internes, à « pouvoir lui aussi », et
le suivi peut alors se terminer.
5 Auto-transe du praticien
En 1977, Beahrs dévoile ce qu’est pour lui le grand secret d’Erickson pour
faciliter son travail : il entrait en transe durant la séance ! Lorsqu’il
interroge ce dernier à propos de cela et pour savoir s’il voit juste, Erickson
sourit et lui lance : « Vous êtes sur la bonne voie ! » Un des patients
d’Erickson a résumé ses séances de la manière suivante : « Si vous voulez
connaître la vérité, le Dr Erickson se met en transe… La première chose
que vous savez, c’est que je suis avec lui » (Haley, 1985). Erickson était
conscient que sa propre entrée en transe stimulait la transe chez les autres.
En fait, il pensait que c’était un élément crucial pour un travail efficace sur
la transe. Il écrit : « J’ai pris soin de souligner l’importance, pour induire
l’hypnose, de parler lentement, de façon impressionnante et significative, et
de “sentir” littéralement à l’instant même, à l’intérieur de soi, toute la
signification de ce qui est dit » (Erickson, 1980). Et Havens de poursuivre :
« La possibilité d’entrer en transe auto-induite permet à l’hypnothérapeute
de participer ou de “sentir” les réponses souhaitées du sujet. »
On le comprend à ces extraits, il n’est pas possible pour nous de parler
d’hypnose profonde sans parler de celle du thérapeute. Nous l’avons écrit, à
la suite des travaux d’autres auteurs, la transe du thérapeute est
fondamentale dans le processus thérapeutique. Où que l’on tourne le regard,
des pratiques les plus culturellement éloignées des nôtres à celles qui
peuplent nos contrées (hypnose bien entendu, méditation…), toute pratique
de transe à visée thérapeutique implique que l’accompagnant soit lui-même
dans une forme de transe.
Comme nous le disions, le patient en hypnose profonde a du mal à exprimer
l’expérience vécue. Mais il en est souvent de même pour le thérapeute !
Pour notre part, nous nous surprenons bien souvent à « nous écouter parler
», c’est-à-dire à découvrir nos mots lorsqu’ils sortent de notre bouche, dans
un état très éloigné de la réalité de la pièce où nous nous trouvons, la tête
lourde, les yeux fermés. Pas dans toutes les situations et pas dès le début,
bien entendu, mais « une transe qui roule » est bien souvent signalée au
thérapeute par le fait qu’il s’est autorisé à être « présentement absent ».
Agustina consulte pour une maladie orpheline évolutive et handicapante. Au fur et à mesure des
séances, des images métaphoriques dont l’enracinement conscient est assez clair sont utilisées par
le thérapeute, comme des espaces étroits, qui permettent de travailler le rapport au corps, perçu
comme une cage ou une prison, et qui malgré tout peuvent être le lieu d’un mouvement inattendu.
De ce mouvement est née la demande d’une automaticité (nous sommes aux alentours de la 6e
séance de travail) : laisser le corps trouver sa façon d’habiter autrement le fauteuil où la patiente se
trouve et qui la « cercle ». Agustina part alors assez rapidement dans une transe plus profonde,
que nous ratifions et encourageons par un simple décompte, selon la méthode du neurologue
allemand Oskar Vogt (début du xxe siècle) : « Dans un instant, je vais compter de 1 à 15. Quand
j’arrive au chiffre dix, laissez-vous remonter juste assez pour pouvoir ouvrir doucement vos
paupières (…) et maintenant de 10 à 15, les paupières deviennent lourdes et tombantes,
somnolentes, comme si elles s’endormaient agréablement… bien » (entre 10 et 15 la voix doit
elle-même être lourde, de plus en plus laborieuse, nous donnant aussi la possibilité d’entrer nous-
mêmes dans une profondeur de transe plus intense). La consigne est généralement répétée 2 à 3
fois, mais avec Agustina à ce moment-là, une seule fois a suffi. Nous avons ensuite accompagné la
patiente à la rencontre de diverses substances organiques incriminées dans sa pathologie. Durant
toute notre transe de thérapeute, nous avons été « visités » par un coq, dont nous n’avons rien fait.
À la séance suivante, il est revenu, puis une troisième fois. Nous avons alors pris l’intrigue de la
pièce d’Edmond Rostand Chantecler pour dénoncer les agissements de certaines substances
parasites dans le corps d’Agustina, et pour critiquer leurs attitudes hautaines et outrancières, avant
de recadrer par le fait que ces cellules pouvaient aussi chanter clair pour prévenir d’un danger,
voire en préserver l’organisme. Au retour, la patiente décrit l’orage émotionnel que cela a été, et
nous approfondirons par la suite à partir de la transe du thérapeute, que la patiente s’approprie à sa
façon, progressivement.
Points à retenir
Présentation du suivi
▶ Les premières séances
Préparation
Je me suis préparé à cette séance avec une séance
d’autohypnose de quelques minutes juste avant la consultation,
centrée sur mes propres ressentis corporels. J’ai par ailleurs
choisi un objet qui avait une résonance symbolique au regard de
ce suivi, que j’ai placé à hauteur de mon regard, afin de soutenir
ma propre mise en transe avec cet ancrage visuel. Cette pratique
(autohypnose/symbolique) est pour moi habituelle en hypnose
profonde, ou lorsqu’un suivi provoque chez moi un sentiment
d’impasse. Le principe suivi est ici très rogérien : tout travail
d’accompagnement exige avant tout que le thérapeute ancre sa
posture, travaille sa propre disposition à l’autre et à la rencontre
thérapeutique.
Concernant l’induction hypnotique, elle consiste dans un premier temps
(classique) à ce que Nahia prenne la posture où elle est la plus tranquille par
rapport à cet environnement qu’elle connaît maintenant bien. Je lui
demande par la suite de fermer les yeux à mesure que sa respiration devient
plus présente et son attention plus centrée sur son monde intérieur. Puis je
lui propose une induction impliquant trois pièces. Cette méthode consiste à
faire visiter des pièces de couleur différente à la patiente. Dans chacune
d’elles, il ne se trouve rien d’autre qu’un fauteuil inclinable où la personne
peut être de plus en plus confortable (fractionnement de la transe :
inclinaison vers le confort puis revenir un peu pour passer à la salle 2 et à
son fauteuil encore plus confortable, puis revenir un peu pour passer à la
salle 3 et à son fauteuil encore plus confortable que le 2). La couleur des
pièces gagne en profondeur au fur et à mesure (en l’occurrence, j’ai suggéré
à Nahia un bleu pâle comme celui de l’eau pure d’un lac, puis de quitter un
peu plus la surface en passant à un bleu plus appuyé et enfin à un bleu
profond comme si la nuit se reflétait dans ce lac).
Enfin, dans la dernière pièce, la patiente confortablement basculée en
arrière se rend compte qu’un petit appui supplémentaire sur le dossier
déclenche un mécanisme de descente du fauteuil12 de plus en plus
profondément (renforcement supplémentaire de la profondeur de la transe).
J’induis toujours un espace de lumière ténu et bien présent qui accompagne
ce mouvement pour empêcher une « angoisse de descente à la cave ».
Arrivée suffisamment en profondeur (« jusqu’au niveau où votre corps veut
que vous soyez »), Nahia est face à une porte qui porte une inscription ou
un mot sur le frontispice que seul son corps sait pour l’instant déchiffrer.
Chaque pas vers cette porte est l’occasion de renforcer un peu plus sa
conviction et sa déconnexion du réel, « comme Alice est dans son pays des
Merveilles ; comme chacun sait, ses merveilles étaient parfois bonnes et
parfois différentes mais le principal est bien l’expérience qu’elle en a tirée,
lui disait son lapin blanc plus pressé qu’elle ». Alors qu’elle pousse la porte,
je suggère à Nahia qu’elle peut laisser son corps choisir en toute
intelligence l’épisode de sa vie qu’il va souhaiter lui faire revisiter,
autrement, en sa compagnie, « comme un guide précieux et sachant ferait
visiter un jardin ou un musée ». Je vais lui indiquer qu’elle n’a plus besoin
du son de ma voix puisque c’est sa petite voix intérieure, celle de
l’intelligence du corps, taquin et assuré, qui va pouvoir le faire. Je me suis
donc tu, profitant aussi de ce moment pour laisser mes propres ressentis
construire leurs chemins et me « parler » de la situation. Autrement dit, je
laisse mes perceptions s’organiser telles des associations libres, mais ici
ancrées dans un ressenti, autrement dit une conviction intuitive. Ce qui
émergera de mon côté est d’abord un visage de femme, en noir et blanc, de
profil, comme sur un médaillon en ivoire dont je peux ressentir la texture
sous mes doigts. Je ressens le cerclage un peu froid, avec une odeur à la fois
boisée et un peu énergique là aussi presque fraîche. Je me laisse absorber
par les sensations suivantes, guidant Nahia en fonction de mes ressentis
corporels lorsque je reprends la parole pour prolonger et guider
l’accompagnement vers la fin.
Alors que la séance est dans sa phase finale, je propose à Nahia de repasser
le pas de la porte et de découvrir avec plaisir et curiosité que ce qu’elle a
acquis lors de cette expérience lui permet de lire et comprendre ce qui est
noté au sommet de la porte. Elle se réinstalle ensuite dans le fauteuil et
procède à la « remontée » vers l’état de conscience ordinaire. Plus qu’en
hypnose classique, il est important de laisser le temps nécessaire à la
personne afin de bien se réassocier après une séance avec transe hypnotique
profonde.
L’après séance et l’après suivi
Nahia revient avec le sourire, même si j’ai l’impression qu’il est un peu
mécanique. Elle s’est plongée dans un moment de son histoire qu’elle
pensait avoir oublié, un moment en lien avec les négligences subies, et a
redécouvert plus, me dit-elle. Elle décrit en quelques mots ce qu’elle a vécu,
puis me demande si mon intention était qu’elle retrouve cela ; je lui réponds
en lui demandant comment s’est comportée l’intelligence du corps durant
ce temps, car c’est vers cette expérience que je souhaitais la guider. Nahia
l’a d’abord perçue comme une petite voix (ce qui était ma suggestion
initiale) avant de lui donner une forme qui a évolué au cours de la séance.
Globalement, il s’agissait cependant d’un animal poilu, doux, agile et vif.
Elle me parle d’un vécu comme entre deux miroirs, les deux réalités : celle
qu’elle avait vécue et celle qu’elle a « maintenant vécue ».
La fois suivante, nous ne faisons pas d’hypnose ; mais je lui propose une
séance d’apprentissage d’un exercice d’autohypnose centré sur la douleur
(Nahia avait eu deux violentes crises depuis le dernier rendez-vous). À la
fin de cette consultation, Nahia reprend des éléments qu’elle a vécus la fois
précédente et me reparle notamment de cette expérience « entre deux
miroirs ». À tort ou à raison, j’associe pour ma part avec la perception du
profil féminin et quelques autres perceptions qui avaient été présentes.
▶ La seconde séance d’hypnose profonde
Discussion
Entre chaque séance, nous avons proposé à Nahia de mener des exercices
d’hypnoanalgésie guidée (séances enregistrées dont elle pouvait cependant
modifier les modalités d’induction et de retour à l’état de conscience
ordinaire). Quelques séances ont été tournées vers l’apprentissage de
l’autohypnose centrée sur le soulagement « en autonomie ». De façon
concomitante, le travail hypnothérapeutique s’est poursuivi. Nahia a
réinstallé « des fondamentaux » (le masculin / le féminin / la sécurité
interne / la corporalité source de plaisir et d’ancrage dans un réel riche,
etc.). Nous avons égrené les thèmes comme elle égrène ses perles… Le
travail n’est sans doute pas encore terminé, même si Nahia a souhaité une
pause au décours d’une reprise de son activité professionnelle (elle était en
arrêt maladie). Si la douleur est parfois présente, elle ne nourrit en tout cas
plus un processus traumatique et Nahia la vit comme une forme de
périphérie, elle-même étant plus centrée sur ses besoins et aspirations. Le
premier mot sur le frontispice était « amnésie » et il reste encore chez la
patiente une insatisfaction un peu anxieuse de ce qu’elle pourrait avoir
oublié et qui pourrait resurgir un jour. Sans doute en lien avec la séance «
olfactologique », Nahia dit qu’un jour peut-être elle pourra trouver son
remède au « parfum de douleur » dont quelques effluves sont encore
présents, même si, dit-elle : « j’ai maintenant ouvert grand les fenêtres. »
1. « Deep hypnosis is that level of hypnosis that permits the subject to function adequately and
directly at an unconscious level of awareness without interference by the conscious mind »
(traduction libre).
2. La dépression est une indication importante de l’hypnose profonde parmi d’autres et Daniel
Goldschmidt s’en fait aussi l’écho.
3. Cette partie dont nous sommes l’auteur a été reprise comme base d’un article dans la revue de
l’hypnose et de la santé (Collinet et Bioy, 2022).
4. Dans son ouvrage princeps L’automatisme psychologique (1889), Janet ne cite le terme de «
dissociation » qu’une fois, lui préférant celui de « désagrégation psychologique », plus descriptif.
Mais William James, se faisant l’écho outre-Atlantique des travaux de Janet, trouve plus exact de
conserver le terme de « dissociation » (1890). Finalement, Janet lui-même finira par l’utiliser
couramment.
5. On peut se dire que si le sujet bascule de l’hypnose profonde vers la transe stuporeuse (où il
n’interagit plus avec les suggestions et l’attitude du thérapeute) alors nous sommes sans doute dans le
« sens 3 » de Cardeña : une modalité défensive, qui est à entendre par le praticien qui doit arrêter là
son travail.
6. Préliminaires désignés par cet affreux anglicisme de « prétalk ».
7. Même si ce champ reste en France peu développé, il est un véritable champ d’exploration
historique scientifique (Evrard, 2016).
8. « When deep hypnosis is involved, the best measures are numerical estimates made by the subject
on his own scale. » Des hétéro-évaluations existent cependant et sont parfois nécessaires, ne serait-ce
que parce que les vécus profonds engagent aussi une certaine forme d’amnésie, une distorsion du
temps, etc.
9. « Hypnotic depth may be defined as some complex of depth along three conceptual separate
dimensions. These three dimensions are : a) the dimension of hypnotic role-taking involvement, b) the
dimension trance, and c) the dimension of archaic involvement ».
10. Je n’évoque pas ici uniquement la question du rapport au temps, à l’argent, à l’instruction, à la
culture, etc. Mon quart de siècle de pratique clinique « double » me pousse à dire que les profils de
patients les plus sévères se croisent en institution. Lorsque les situations très complexes se présentent
en cabinet, nous sommes souvent en relai d’une prise en charge principale, ou bien on finit par
organiser un maillage avec une institution plus apte à soutenir la question de la complexité
(multidisciplinarité, capacité d’hospitalisation plus simple lorsque nécessaire, etc.).
11. Je travaille plus volontiers avec le corps, la sensorialité, etc., dans une approche très
phénoménologique évidemment inspirée par Roustang (qui a été mon superviseur).
12. Dans certains cas, j’appuie un peu sur le dossier ou demande au patient concerné un appui bref et
plus ferme pour déclencher le fauteuil s’enfonçant dans le sol.
13. Les huiles essentielles sont utilisées dans cette séance pour leur capacité inductrice et évocatrice,
et non pour l’usage que l’on peut en faire en aromathérapie.
14. Évidemment, il est possible de choisir ce que l’on souhaite.
Chapitre 3
F. Mahia
5 En conclusion
6 Situation 2 : Elodie, des inhibitions multiples
L’alliance thérapeutique
Nous allons montrer dans ce qui suit de quelle façon les considérations
précédentes sur la façon de caractériser l’hypnose profonde sont
concrètement intégrées dans la manière de la conduire. Il est important de
noter que si le sujet qui doit entrer en hypnose profonde est censé perdre
une certaine forme de contrôle conscient sur ce qui se joue en lui, ou ne
serait-ce que l’illusion qu’il avait de ce contrôle, cela ne pourra s’effectuer
confortablement qu’avec une certaine dose de confiance dans le praticien,
ou au moins dans le processus et la compétence de celui qui est là pour
l’accompagner. C’est pourquoi la notion d’alliance thérapeutique, qui est un
élément essentiel dans la plupart des formes d’accompagnement, revêt en
l’occurrence une importance toute particulière (Bioy, 2021).
« Mindset »
Pour que le client ait confiance, il est bien sûr absolument nécessaire que le
praticien ait lui-même confiance dans sa propre pratique. C’est
généralement une des plus grandes difficultés pour les praticiens débutants.
Il est souvent évoqué une forme d’accompagnement non directif en
hypnose, reposant sur des suggestions indirectes, sur l’évocation, les
métaphores, utilisant notamment la confusion, les doubles liens, etc. On
évoque régulièrement la position basse, qui serait opposée à celle du
sachant (position haute). Elle est parfois présentée comme quelque chose de
respectueux des personnes accompagnées. À l’opposé, il est possible
d’envisager cette posture comme extrêmement manipulatrice puisque sous
l’apparence d’une grande permissivité, le praticien conduit son sujet en
l’influençant et en le manipulant inconsciemment. Cette apparente humilité
devient une sorte de subterfuge.
Au contraire, en ce qui concerne l’hypnose profonde, il est très important
pour le praticien d’utiliser un positionnement beaucoup plus clair et, d’une
certaine façon, moins manipulateur. Il ne peut être laissé de place au doute,
pour le sujet et pour le praticien, quant à l’intention et la possibilité
d’obtenir un état profond d’hypnose. Cela demande, du côté du praticien,
un travail personnel pour qu’il parvienne à lever tout ce qui pourrait
amoindrir sa propre certitude. Bien évidemment, cette certitude se
renforcera avec la pratique et le nombre de personnes accompagnées en
hypnose profonde. Cela contribuera à renforcer la confiance qui servira de
fondation à cette pratique.
Il existe de nombreux freins à cela. Nous avons déjà évoqué la nécessité de
l’assertivité comme un comportement qui peut s’avérer fort utile pour
conduire les personnes en hypnose profonde. Ce comportement comporte
deux éléments essentiels que sont l’affirmation de soi et le respect de
l’autre. Si le respect de l’autre peut assez facilement s’envisager comme
basé sur une qualité éthique à cultiver, l’affirmation de soi est parfois plus
complexe à obtenir. L’affirmation de soi est bien sûr reliée à la confiance en
soi et à l’estime de soi. Tous ces sujets peuvent représenter des freins à la
pratique et peuvent être utilement travaillés par le praticien en se faisant lui-
même régulièrement accompagner par ses confrères et, en fonction de ses
besoins et des difficultés rencontrées dans sa vie personnelle ou sa pratique
professionnelle, notamment grâce à la supervision.
Mais revenons un instant sur cette notion de confiance indispensable à la
pratique de l’hypnose profonde. Il serait imprudent de continuer à donner
des indications pratiques pour conduire une séance d’hypnose profonde
sans insister lourdement sur cette notion. Pour faire très simple, on pourrait
exprimer cela ainsi : pour obtenir une hypnose profonde, il est moins
important de s’intéresser à ce que l’on fait qu’à la façon dont on le fait, à
l’état d’esprit qui nous anime à ce moment précis. C’est pourquoi la notion
de « mindset » est très importante. Tout ce qui est décrit dans les
paragraphes suivants ne sera d’aucune utilité sinon.
Cet état d’esprit, ce mindset, est nécessaire dans la mesure où il permettra
une forme de communication entre le praticien et le sujet qui comportera de
nombreux éléments non verbaux et paraverbaux essentiels et, la plupart du
temps, inconscients.
Parcours de thérapeutes
Nous avons déjà évoqué la confiance, l’assertivité, mais à quelles sources
est-il possible de les alimenter ? Il est d’abord important pour un praticien
d’identifier toutes les peurs infondées qui pourraient exister chez lui dans le
cadre de sa pratique afin qu’il travaille à s’en libérer. Mais au-delà, cette
confiance, cette assertivité ne peuvent être suffisamment puissantes que si
elles s’appuient sur une base solide, et il n’est pas certain que ce soit
nécessairement la même pour chaque praticien. Chaque praticien est
différent, avec son histoire, ses souvenirs, ses expériences, son évolution
personnelle, ses peurs, croyances, difficultés, talents, qualités, etc.
Il n’est pas rare de constater qu’un certain nombre de praticiens reconnus
ont vécu des expériences de vie extrêmement difficiles (comme frôler la
mort), ou hors du commun. Milton Erickson, en particulier, s’inscrit
parfaitement dans ce schéma. Beaucoup des consœurs et confrères moins
connus, et néanmoins très compétents, que j’ai pu interroger, ont aussi eu à
vivre ce genre d’épisodes qui demandent de mobiliser d’incroyables
ressources personnelles pour les traverser. Ces expériences ont souvent en
commun d’avoir remis en question les fondations de l’identité de la
personne, soit par la proximité de l’éventualité de ne plus « exister »
concrètement, soit par la confrontation avec des évènements qui obligent à
changer radicalement, ou à mobiliser des capacités qui semblaient
habituellement hors de portée pour s’en sortir. En faisant un raccourci, peut-
être un peu audacieux, cela pourrait être rapproché de la désagrégation du
soi que l’on retrouve dans les épisodes de grande dissociation. De la même
façon, on trouve dans de nombreuses cultures traditionnelles des rituels de
mort-renaissance symboliques permettant d’accompagner les moments de
changements importants dans une histoire de vie. Ce type d’évènement
constitue un des moyens d’obtenir une certitude absolue, par l’expérience
directe, de l’existence d’une force interne inconsciente, de sa capacité à se
manifester et à mobiliser d’importantes ressources, pour changer.
Peak Experiences
Évidemment, tout le monde n’a pas besoin de se trouver confronté à ce type
de difficultés pour accéder à cette certitude, et ce n’est bien sûr en aucun
cas souhaitable. Cela pourrait se concevoir comme une sorte d’initiation
sauvage, bouleversante et transformatrice, par son caractère d’absolue
nécessité. Fort heureusement, il existe de nombreux autres chemins pour y
accéder. L’un d’entre eux, et sans doute le plus simple, est de se faire soi-
même accompagner dans une transe hypnotique profonde. Cette expérience
est souvent si marquante qu’il en reste quelque chose de profondément
indélébile, un souvenir saisissant que l’on pourrait comparer aux « peak
experiences » décrites et étudiées par Abraham Maslow. Il s’agit, dans ce
cas, plutôt d’une transmission que d’un enseignement, comme cela peut
exister dans les traditions d’initiation entre maître et disciple, qui
comportent de nombreux enseignements inconscients, par l’expérience
directe.
Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la façon de l’obtenir, il est nécessaire
pour le praticien de pouvoir s’appuyer sur une certitude, au point de
l’incarner suffisamment pour qu’elle prenne vie concrètement, à travers lui,
et dans la relation à l’autre. Pour le praticien, il peut sembler s’agir de
quelque chose d’un peu plus grand que lui, quasiment de transcendant, et
cette certitude ressemble à une sorte de foi, en l’occurrence laïque, par son
caractère absolu.
Approfondissements
Une fois obtenue une bonne qualité continue d’attention, suffisamment
immersive, et que s’est développée une belle dissociation, en faisant par
exemple constater au sujet certaines réponses automatiques et autonomes
(mouvements idéomoteurs par exemple), il est possible d’utiliser toutes
sortes de techniques d’approfondissement pour lui permettre de se diriger
vers l’hypnose profonde.
S’il est un moment où les suggestions sont les plus utiles à cette pratique,
c’est bien celui-ci. Toutes les techniques habituelles de l’hypnose, qu’elle
soit plus ou moins ericksonienne, peuvent être employées à cette fin de
suggérer la profondeur, directement ou indirectement. Les métaphores
(l’hypnose « profonde » est déjà une métaphore), évocations, doubles,
triples, liens, ruptures de pattern, décomptes, ou injonctions bien plus
directes (« plus profondément, maintenant ! »), sont applicables.
En particulier, le fractionnement qui consiste à « ressortir » la personne de
son état (faire ouvrir les yeux, par exemple) pour rapidement l’y « replonger
» (fermer les yeux), plusieurs fois de suite, est souvent très efficace,
permettant à chaque fois d’aller un peu plus profondément.
De même, quand commence à se développer un bel état d’hypnose,
suffisamment dissocié, utiliser un mouvement idéomoteur pour suggérer
l’approfondissement fonctionne très bien : « et plus le bras descend
automatiquement et plus l’hypnose devient profonde », ou encore mettre à
profit le silence comme un approfondissement puissant : « dans un instant
je me tairai, et cet état s’approfondira… »
Avec l’hypnose profonde, nous recherchons un état particulier et les
possibilités qu’il offre, sur lesquelles nous reviendrons.
L’approfondissement est donc souvent un levier essentiel pour parvenir à
cet état. Pour certains sujets naturellement doués, ou suffisamment
entraînés, l’approfondissement n’est presque pas nécessaire car il s’effectue
de façon automatique comme s’ils connaissaient déjà la destination. Pour
d’autres, il y aura bien plus de travail et souvent une recherche, qui peut
demander un peu de patience, de ce qui leur convient le mieux. Il est
souvent judicieux de le présenter comme une collaboration, une recherche
conjointe. Pour cela, ne pas hésiter à demander le plus de retour
d’information au sujet sur son état, sur ce qu’il vit, ressent. L’état d’hypnose
n’est pas un état « fragile » qui ne supporterait aucune perturbation ou
interruption. Il est possible de continuer d’échanger avec les personnes et
nous avons vu que sortir de l’état pour y rentrer est plutôt un facteur
d’approfondissement (fractionnement).
Le but de ces techniques d’approfondissement est d’obtenir concrètement
cet état, ou mode spécifique de fonctionnement puisque cet état est
dynamique, que l’on qualifiera d’hypnose profonde. Il apparaît de plus en
plus objectivable par les neurosciences, notamment avec la désactivation du
réseau du mode par défaut du cerveau, mais il va surtout être utile
concrètement au praticien pour que s’y réalise un travail particulier, et bien
sûr utile finalement pour le sujet. Avant d’aller plus loin dans la description
de ce qu’il est possible d’y réaliser, voyons comment il est possible
d’obtenir des éléments de confirmation de l’atteinte de l’état.
Revenir
Au retour de telles expériences, il n’est pas rare de constater la grande
difficulté que peut avoir la personne à se souvenir de son expérience
d’hypnose profonde. Parfois cette amnésie est pratiquement complète et
spontanée. Évidemment, elle peut aussi être issue d’une demande explicite
du praticien, pendant l’hypnose, à l’esprit inconscient de garder pour lui ce
qui ne lui semble pas utile de partager avec le conscient. Mais souvent,
quand le niveau de dissociation a été très important, tout se passe comme si
le conscient n’avait plus la possibilité d’accéder aux informations liées à la
séance. Il ne s’agit pas là d’une amnésie complète car le contenu mnésique
est là et il est d’ailleurs la plupart de temps possible d’y faire référence lors
d’une séance suivante, mais seul l’esprit inconscient semble y avoir accès.
Il peut d’ailleurs arriver que ce contenu émerge plus tard et devienne plus
accessible au conscient.
5 En conclusion
La grande dissociation qui existe en hypnose profonde permet cette
suspension temporaire du fonctionnement conscient habituel de la personne
qui peut représenter un frein à changement plus profond et plus identitaire.
Points à retenir
Quinze jours après, elle revenait bien décidée à aller plus loin. Cette séance
sera assez peu différente de la précédente mais avec moins d’échanges hors
transe. Je constate aussi rapidement que le simple fait de lui demander ce
dont elle se souvient de la séance précédente commence à induire
spontanément un état d’hypnose et l’induction qui a suivi lui a ensuite paru
l’emmener encore plus profondément en elle. Ces premières séances ont
répondu en partie à sa demande initiale, essentiellement par un allègement
de son état émotionnel, et aussi de sa charge mentale. Comme si l’état
d’hypnose, de lui-même, lui apportait ces bienfaits.
Il n’en restait pas moins pour elle une sorte de questionnement existentiel,
comme s’il subsistait quelque part un manque essentiel à combler dans sa
vie et, en poussant un peu, presque une forme de quête de sens.
Il se passera ensuite deux mois avant qu’elle ne revienne consulter.
Beaucoup de choses auront commencé à changer. Elle finit par prendre
l’initiative de dire à ses parents tout ce qu’elle avait sur le cœur, et
notamment le manque profond d’un sentiment d’affection qu’ils ne lui ont
jamais vraiment témoigné. Elle comprendra aussi plus clairement que
jamais qu’il n’y avait plus d’amour entre eux et qu’ils ne faisaient que
maintenir les apparences.
Il deviendra aussi évident qu’elle commence à construire un point de vue
plus personnel sur les choses, en prenant par exemple une certaine distance
par rapport à la situation de ses parents, tout en étant capable d’en éprouver
une certaine tristesse pour eux, mais en veillant à ne plus mettre de côté ses
propres besoins d’affection.
Cette évolution sera aussi pour elle l’occasion de me confier quelque chose
de bien plus personnel encore, un problème plus intime, qu’elle ne s’était
pas encore autorisée à formuler. Elle m’annonce que depuis très longtemps,
elle ne prend plus de plaisir lors des rapports sexuels avec son mari. Le
simple fait qu’elle s’autorise à m’en parler, et qu’elle considère que c’est
maintenant un problème à prendre en charge, me semble à ce moment-là
une importante évolution de sa part. Quelque chose était à l’œuvre en elle et
ne semblait pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. Cette annonce me
semble comme une étape de franchie, comme une façon de dépasser
quelque barrière. Bien sûr, elle est tout d’abord mal à l’aise, rougit, mais
ensuite, l’obstacle passé, c’est comme une libération pour elle et elle
s’autorise bien plus facilement à expliciter les choses. Notamment le fait
qu’elle est en revanche capable de se donner du plaisir seule et jusqu’à
l’orgasme.
Évidemment, la nature des sentiments réels qu’elle éprouve pour son mari
est forcément, si ce n’est remise en question, au moins remise à l’ordre du
jour.
C’est sur ce problème de libido que nous avons travaillé cette fois en
hypnose, et bien sûr, en orientant le travail vers une exploration plus
profonde des sentiments qui l’animaient pour son mari. À chaque fois, se
déploie pour elle très facilement un bon état d’hypnose, une sensation de
vraiment décrocher du réel et de s’immerger dans une transe qui semble au
moins apaisante et réparatrice. Mais cela ne permettra pas d’en obtenir la
moindre forme de révélation par rapport à sa situation.
▶ Par la suite
Le premier volet de cette prise en charge aura aussi été pour elle, au fil des
séances, une exploration de l’état hypnotique. Et, par chance, elle a montré
dès le début, une grande facilité à y entrer, sans doute assez proportionnelle
à sa volonté de changement et à son investissement personnel.
Dans ce type de cas en particulier, où il semble dès le début qu’il y ait des
choses à faire émerger, de nouvelles compréhensions de la situation qui ont
besoin d’apparaître, il peut être utile, d’une certaine façon, de garder un peu
plus le conscient « à portée de main » et donc un recours moins nécessaire à
une hypnose plus profonde, surtout quand les choses évoluent presque
d’elles-mêmes, sans sembler manifester de grande résistance.
Mais la prise en charge ne s’est pas arrêtée là. Elodie reviendra environ six
mois plus tard avec beaucoup de choses à m’annoncer. Elle a déménagé à
plus de deux cents kilomètres de chez elle et a décroché d’une façon qui lui
semble assez incroyable un nouveau travail avec d’importantes
responsabilités dans une grande entreprise. Ce poste est en lien direct avec
la direction de l’entreprise, et serait habituellement attribué à des profils de
candidats bien plus âgés car il nécessite normalement plus d’expérience. À
cela s’ajoute une nouvelle relation amoureuse, qu’elle considère dès le
début comme assez peu sérieuse et elle n’envisage pas qu’elle puisse
perdurer.
Ces nouveaux changements importants, malgré leurs côtés positifs,
semblent activer paradoxalement une baisse de confiance en soi, comme si
tout était allé trop vite. Professionnellement, en particulier, se développe
comme un syndrome de l’imposteur, comme si elle ne méritait ce poste,
alors qu’il est évident qu’elle y donne toute satisfaction. Elle est d’ailleurs
consciente de son manque d’expérience, mais le comble en se formant
rapidement et avec ce m’apparaît une incroyable faculté d’adaptation.
Mais une angoisse monte, et elle semble très reliée à ce qui était à la base de
ses problèmes initiaux, à savoir une forme de sur-adaptation à la situation, à
laquelle s’ajoute cette fois-ci la peur irrationnelle de découvrir, ou que l’on
découvre, que finalement elle ne serait pas à la hauteur. Et cette peur
profonde commence à devenir vraiment perturbante.
Les indices qu’il devenait important de pousser plus loin les investigations
inconscientes m’ont semblé réunis, avec l’idée d’approfondir l’état
d’hypnose pour ce faire. Il doit être noté que, stratégiquement, tout ce qui
avait été fait avant a énormément compté dans cette possibilité. La
confiance était bien établie et solide, elle était déjà bien entraînée à la transe
hypnotique et il était très simple de l’induire, et de multiples façons. La
capacité à évoluer, à dépasser des blocages émotionnels, était prouvée et
avait déjà permis de régler beaucoup de problèmes.
Ce qu’il restait à faire là était d’une nature un peu différente et certainement
un peu plus existentielle. Il s’agissait d’une forme d’intégration plus
complète du changement jusqu’aux niveaux les plus profonds de l’identité.
Et il m’a semblé que les nouvelles difficultés auxquelles elle faisait face à
ce moment de sa vie lui permettaient aussi de réaliser consciemment la
nature de l’enjeu lié à cette intégration du changement, une forme de
libération bien plus complète des anciens schémas qui la limitaient et
l’empêchaient d’avancer.
▶ Approfondissement
J’avais remarqué à de nombreuses reprises que tout ce qui passait par des
mouvements idéomoteurs fonctionnait très bien avec elle, et qu’il était
toujours facile de voir à quel point elle entrait profondément dans un état
d’hypnose par toutes sortes de manifestations physiques automatiques,
comme si son corps reprenait une certaine autonomie dont elle devenait
spectatrice.
J’opte donc pour un démarrage de la séance à partir de la technique appelée
« mirroring hands » d’Ernest Rossi. La mise en place s’effectue très
simplement en lui demandant d’observer le plus attentivement possible ses
deux mains placées en suspension devant elle, avec la plus grande curiosité
possible envers tous les phénomènes différents qu’elle pouvait percevoir de
ses deux mains : poids, température, aspect, sensations diverses.
Rapidement, comme à son habitude, elle s’immerge facilement dans
l’expérience, et développe une bonne qualité de focalisation. Afin de ne pas
trop orienter le travail et d’ouvrir le champ des possibles, je lui demande
juste d’imaginer que l’une de ses deux mains va recevoir ce qui la limite à
nouveau, comme si tout ce qui était lié à « ça » venait s’installer à
l’intérieur de cette main. Immédiatement, cette main se met en mouvement
par des petits mouvements très saccadés vers le bas. Je demande alors
explicitement que tout ce qui était relié à « ça » soit totalement accueilli
dans cette main qui s’anime de plus belle. J’en profite tout de suite pour
travailler en contraste avec ce que pourrait bien contenir l’autre main en la
laissant libre d’accueillir tout ce qui pourrait être nouveau, différent,
intéressant, et en n’oubliant pas de le relier à ce qui avait déjà été obtenu
grâce aux séances précédentes.
Un tel dispositif, qui se passe très souvent de toute autre forme d’induction
formelle, est assez classique. Mais alors que tout semble s’animer et
prendre vie de façon autonome, elle ferme spontanément les yeux et semble
vivre une expérience de plus en plus intense. J’en profite pour suggérer que
« cette intelligence plus physique, plus profonde, aille aussi loin que
nécessaire pour que ce qui se passe dans les mains puisse évoluer aussi loin
que possible ».
L’approfondissement devient très important et les mouvements de la main
qui descend commencent à l’entraîner plus bas que l’assise du fauteuil. Tout
le corps commence ensuite à prendre part à ce travail, et je suggère
simplement que cela s’approfondisse encore. Le corps commence alors à
être traversé par des spasmes périodiques assez rapprochés qui finissent par
devenir assez impressionnants vus de l’extérieur, assez impressionnants
pour que je m’inquiète un peu de l’état de ma cliente et lui demande
comment ça va pour elle. Une réponse rassurante est difficilement formulée,
car il lui semble pénible d’articuler, mais qui s’accompagne d’un petit
sourire, un peu surpris, de celle qui réalise ce qui est en train de se passer
sans pouvoir rien contrôler. Les spasmes musculaires s’intensifient et la
main finit par l’entraîner tellement bas que tout le corps suit dans un
mouvement général vers le bas et l’avant qui me fait me demander à quel
moment elle va basculer du fauteuil au sol.
Il est important de noter dès à présent que très peu de suggestions sont
utilisées à part ce qui s’apparente plutôt à des instructions initiales, pour la
mise en place du dispositif, et des suggestions d’animation de la transe,
essentiellement d’approfondissement.
Je n’ai alors à ce moment-là aucune idée de ce qui se joue en elle, et elle me
dira plus tard qu’elle non plus, et ma première préoccupation est de veiller à
sa sécurité pour qu’elle ne tombe pas lourdement sur le sol. Je ne suis
d’ailleurs plus dans mon propre fauteuil mais à genoux à côté d’elle pour
pouvoir la rattraper le cas échéant.
Il devient manifeste qu’elle va aller au sol. Je lui redemande si ça va pour
elle et un « oui » toujours mal articulé est prononcé. La main se pose en
premier sur le sol et le bras dans une sorte de catalepsie retient
suffisamment le corps pour qu’elle descende finalement assez
progressivement par terre et dans un mouvement fort peu naturel et assez
inélégant.
Une fois au sol, les mouvements s’intensifient encore comme si une étape
était franchie et quelque chose cherche encore un peu plus à se libérer. Cela
passe par des contorsions surtout des bras, qui sont comme écartelés, mais
aussi du visage, notamment de la bouche qui donne l’impression de crier
silencieusement. Les contorsions dureront ainsi près de trente minutes, la
faisant, pour ainsi dire, ramper au sol car elle finira par s’éloigner du
fauteuil, m’obligeant à bouger quelques objets de décoration qui auraient pu
la gêner. À la suite de ça, épuisée, toujours au sol, elle se met sur le dos
pour récupérer un peu de cette expérience intense. Et après quelques mots
d’apaisement, je lui demande ce qui se passe maintenant dans son corps.
Cette simple question déclenche immédiatement un mouvement
automatique de la main qui réactive les spasmes de tout le corps et la voilà
repartie pour presque encore trente minutes ainsi.
Pendant tout ce temps, je me suis contenté d’être là, simplement présent et
rassurant avec juste quelques mots d’animation et d’encouragement. Une
fois revenue de cette expérience et réinstallée dans le fauteuil, j’ai l’idée de
conclure cette expérience de descente profonde dans le corps par une petite
transe avec des suggestions de légèreté et d’élévation, comme une façon
d’équilibrer les choses sur une quinzaine de minutes.
Cette séance d’hypnose profonde illustre à quel point il peut être important
de travailler à l’intégration du changement. Elle aura permis d’aller à des
niveaux si profonds de l’identité qu’il ne devient plus possible de décrire
consciemment ce qui se joue vraiment. Il devient d’ailleurs difficile de
discerner après la séance si la cliente était inconsciente de ce qu’une partie
d’elle vivait ou si elle en était le témoin avant qu’une amnésie complète
n’intervienne. En tout état de cause, elle fut incapable d’en savoir plus après
la séance sur ce qui l’avait à ce point animée, il ne restait plus qu’un
souvenir distant des mouvements incontrôlés de son corps.
Pourtant, cette séance aura libéré beaucoup de choses par la suite, lui
permettant notamment de bien plus facilement assumer les responsabilités
professionnelles qui lui avaient été confiées, jusqu’à ce qu’on lui propose
même d’intégrer le comité de direction de son entreprise. Cela lui permit
aussi de bien plus facilement s’affirmer dans ses rapports avec les autres en
général.
Je la revois depuis régulièrement une à deux fois par an, quand elle
considère qu’une difficulté se présente à elle, ou même simplement comme
une séance préventive de ce qu’il pourrait être utile de prendre en charge.
Mais plus aucune difficulté d’importance comparable à ce qu’elle a pu vivre
précédemment ne s’est présentée, comme si des bases bien plus stables
étaient en place dorénavant.
Discussion
On peut constater avec le cas d’Elodie que l’hypnose profonde, si elle ne
constitue évidemment pas une panacée, peut avoir une importance
considérable dans un accompagnement. En l’occurrence, elle n’a été qu’un
élément très partiel d’un accompagnement sur le long terme, et pourtant, la
pierre angulaire de ce qui a permis une forme essentielle d’intégration.
Elle n’est pas toujours utile de cette façon, en fonction des besoins de
chacun, mais dans ce cas, cela aurait été sans doute une mauvaise idée de
vouloir trop vite chercher à l’employer. Ma cliente n’était pas encore prête.
En revanche, quand le parcours vers le changement fut bien entamé, que les
planètes étaient suffisamment alignées pour aller plus loin, l’hypnose
profonde s’est presque invitée d’elle-même.
C’est d’après mon expérience, une façon idéale d’y avoir recours. Cela n’a
été possible, de cette façon, que grâce au développement préalable d’une
grande confiance mutuelle, et au fait que je veille à toujours garder à
l’esprit la possibilité d’aller jusqu’à ces niveaux profonds de transe. Cela
permet instinctivement de déceler le moment charnière ou
l’approfondissement peut produire cette puissante dissociation qui possède
ces étonnantes capacités naturelles d’une forme de refondation de l’identité,
pour accueillir les changements d’importance.
Il me semble utile d’en retenir que, le plus souvent, il y a aussi bien sûr
d’autres choses à prendre en charge, de façons différentes, dans le parcours
d’un client, et parfois avec des techniques très éloignées de l’hypnose.
L’hypnose profonde peut constituer l’élément central, le levier du
changement, ou compléter d’autres approches, soit comme catalyseur d’une
évolution profonde de l’identité, soit comme une façon de l’intégrer plus
complètement.
Chapitre 4
D. Goldschmidt
6 Conclusion
« Un secret ! »
L’amnésie sur cette partie du travail15 est toujours au rendez-vous (souvent,
seul le secret est oublié). Nous ne nous posons jamais la question de savoir
si tout cela est réel ou simplement le fait d’une mise en scène du « petit
théâtre de l’hypnose » (Bioy, 2020). Si la pièce est bonne et la conclusion
heureuse, pourquoi donc en amoindrir l’efficacité par des considérations
réductionnistes ? Nous pensons que le praticien se doit d’être profondément
convaincu du dispositif qu’il utilise et doit oublier, dans sa propre transe,
toute rationalité, tel un chamane jouant de son tambour et ouvrant la porte
des trois mondes à l’impétrant.
« Afin que nous réussissions ensemble à vous plonger en hypnose profonde, vous allez très
simplement suivre mes indications. Je vais vous guider et vous pouvez parfaitement me parler et
m’indiquer dans quel niveau vous vous trouvez, même si vous pourriez rencontrer quelques
lourdeurs et difficultés à parler. La première chose que je souhaiterais que vous fassiez c’est
écouter les bruits autour de vous dans cette pièce. Tous ces petits bruits que l’on ne remarque
jamais et qui sont pourtant présents. (Silence. Puis, on peut nommer les bruits, le tout constituant
un « yes set »). À présent, prenez une grande inspiration et en expirant détendez tout le corps du
haut de la tête jusqu’au bout des pieds. Portez, maintenant, votre attention sur les paupières et
fermez les yeux. Détendez les paupières le plus possible jusqu’à ce que vous sentiez qu’elles ne
réagissent plus. C’est cela. Et testez en essayant d’ouvrir ! Si vous arrivez encore à ouvrir,
recommencez jusqu’à ce que vous n’y arriviez plus. C’est bien ! Cessez d’essayer. Vous ne pouvez
plus ouvrir les yeux ! (ratification) »
« À présent, nous allons approfondir votre état. Tel un poisson dans l’eau qui s’ébat avec
allégresse, vous allez remonter un court instant avant de descendre encore plus profond et ceci,
nous allons le faire trois fois de suite, et chaque fois vous descendrez dix fois plus. Si vous
n’arrivez plus à ouvrir les yeux, le simple fait d’essayer sera suffisant à vous faire descendre de
plus en plus profond, de plus en plus loin dans cet océan de calme et de tranquillité. Ouvrez les
yeux et refermez-les. C’est cela ! Et encore une fois et une troisième fois. De plus en plus profond,
de plus en plus loin, de plus en plus détendu ! »
Ratification de l’état profond par lâcher du bras (« hand
drop »)
Elman insiste sur la nécessité pour le patient d’éprouver d’une manière
évidente les modifications d’état par lesquelles il passe. C’est tout l’art de la
ratification ! Avec l’accord de la personne souvent déjà en état
somnambulique, il s’agit de saisir le bras droit puis le bras gauche et de le
laisser retomber lourdement. Aucune rétention ni résistance ne doit se faire
sentir, le bras retombant lourdement sur la jambe ou l’appui du fauteuil.
Gerald (Jerry) Kein, élève d’Elman, allait jusqu’à interrompre le processus
dans le cas d’une quelconque résistance et « réveiller » le consultant puis le
replonger dans la transe en recommençant l’ensemble de l’induction. Ceci
constituait un fractionnement procurant la profondeur.
« Dans quelques instants, je vais saisir votre bras, le lever pour tester son poids et pour que vous
puissiez le tester également et le lâcher afin qu’il retombe comme une bûche sur votre jambe. Ne
faites rien, ne m’aidez surtout pas ! Laissez la chose advenir par elle-même ! C’est cela et lorsque
le bras retombe, vous allez descendre dix fois encore et encore ! » À présent, vous remarquez la
lourdeur de vos deux bras et la manière dont ils se détendent encore et encore, au fur et à mesure
que vous progressez dans cette transe, à tel point que “ça se fait tout seul” et que cette lourdeur se
communique à tout le corps, tandis qu’inconsciemment vous créez cet état ! »
Ou bien : « Dans un instant je vais saisir un de vos poignets, je vais lever votre bras et il va
retomber très lourdement comme s’il pesait une tonne. Ne faites rien, c’est moi qui fais le travail
et lorsque vous sentirez votre bras retomber lourdement, profitez-en pour aller encore plus loin.
Voilà ainsi. C’est très bien ! »
Avec de l’habitude et une solide expérience, le sujet est en somnambulisme dès le « hand drop »,
sauf certaines personnes qui résistent. Avec ceux-là, il peut être intéressant de leur faire ouvrir les
yeux et de tout recommencer à zéro. En fait, il s’agira alors d’un fractionnement, et doubler ou
tripler l’opération voire plus (pyramidage) n’est pas un problème ! Cela constituera la preuve de
l’assertivité du praticien, de sa conviction profonde que le sujet va obtenir le somnambulisme.
Ensuite, quelques tests simples seront garants de l’état obtenu :
– Essayez de communiquer avec le consultant : il répondra avec un ton de voix lointain et une
verbalisation lente. Posez des questions concernant la problématique, vous serez surpris de
la justesse des réponses.
– Faites-lui ouvrir les yeux tout en lui demandant de rester en hypnose (regard fixe).
– Vous obtiendrez une amnésie juste en lui demandant de la produire !21
– Testez un début d’anesthésie légère suffisante (pincement de la main, par exemple).
« Vous savez comment fermer votre poing très fortement, n’est-ce pas, jusqu’à générer une
extrême tension ? Et vous savez aussi comment le détendre totalement jusqu’à atteindre la
relaxation ultime. Dans l’état dans lequel vous êtes, il y a encore trois niveaux. Nous allons les
nommer A, B, C, le niveau ultime de relaxation étant le niveau C. Je vais maintenant vous
demander de descendre au niveau A, en doublant votre détente. Par le biais d’un escalator
(escalier roulant) ou tout autre moyen de votre choix. Quand vous serez au niveau A, vous verrez
une pancarte A. Vous me le ferez savoir en disant A à haute voix. Allez au niveau A !
Le sujet : « A ».
Très bien ! À présent, je vais compter de 10 à 1 et à chaque chiffre vous allez continuer à vous
approfondir. C’est bien, mais vous pouvez aller encore beaucoup plus profond !
À présent, rendez-vous au niveau B. Prenez l’escalator et descendez à présent au niveau B… Vous
voyez une pancarte avec une flèche B. Votre détente va encore doubler ou même plus.
En arrivant vous verrez une pancarte avec la lettre B. Il vous sera difficile de prononcer B mais
essayez.
Le sujet : « B » (difficilement).
Voilà vous avez atteint le niveau B !
À présent, nous allons aller encore plus profond, suivez la pancarte C et descendez jusqu’au
niveau C, la base ultime de votre détente, votre niveau le plus profond. Lorsque vous serez à C, il
vous sera impossible de parler. Allez, maintenant à C ! »
Elman précise que l’état Esdaile permet une anesthésie sans aucune
suggestion de tout le corps ainsi qu’une catatonie permettant de positionner
une partie du corps de la meilleure manière, les membres et tout le corps
étant devenus souples et flaccides de par un antagonisme musculaire
idéal… Il précise, également, que malgré l’apparence comateuse, même s’il
n’arrive pas à répondre, le sujet n’est pas inconscient, entend et est capable
de relater à son « réveil » l’ensemble des conversations, sauf si une amnésie
spontanée se produit. Ce qui s’avère fréquent ! Comme pour l’état
somnambulique, des tests peuvent être conduits sur le sujet en transe,
comme par exemple la vérification de l’anesthésie du corps par le jeu d’un
clamp ou d’un objet pointu.
« Pouvez-vous mettre vos mains en face de vous les bras tendus ? Pouvez-vous les joindre, les
deux paumes bien serrées ? Descendre vos mains jointes comme si vous faisiez une prière ?
Détachez et pointez vos deux indexs vers le ciel séparés par une certaine distance.
Regardez l’espace entre eux car dans un petit instant ils vont se toucher.
Comme deux aimants qui s’attirent. Regardez-les commencer à bouger. Imaginez qu’ils sont
aimantés et lorsqu’ils se touchent, fermez les yeux.
À présent, pressez fermement les deux paumes, entrez vos index et sentez vos mains qui se
serrent, les doigts imbriqués les uns dans les autres.
Maintenant, imaginez les visages de ceux que vous aimez le plus.
Voyez leurs yeux, leurs
sourires, entendez leur voix et ressentez tout l’amour que vous leur portez et d’où provient ce
sentiment.
À présent, tandis que vous ressentez tout cela, vos doigts se collent de plus en plus
en plus et fusionnent. Vous pouvez essayer de les séparer mais plus vous essayez, plus ils se
collent.
Vous ouvrez les yeux et vous ne pouvez toujours pas les séparer. Vous ne pourrez les séparer qu’en
descendant encore plus profond dans cette transe. »
Le praticien : « Êtes-vous prêt(e) à glisser en transe profonde ? Tandis que vous écoutez ma voix
et que vous sentez votre propre respiration, je souhaiterais que vous vous concentriez sur votre
sensation interne. Quelle est donc cette sensation que vous ressentez, maintenant ? »
Le sujet : « Une forme de chaleur. »
Le praticien : « Une forme de chaleur, bien ! Et où la situez-vous dans votre corps ? »
Le sujet : « Dans tout mon corps. »
Le praticien : « Dans tout votre corps ! (ratification) Eh, dites-moi, cette sensation est-elle en train
de bouger, de s’intensifier ou bien en êtes-vous de plus en plus conscient(e) ? (3B) »Le sujet : «
Cela s’intensifie. »
Le praticien : « Cela s’intensifie, et vous pouvez également remarquer combien, à présent, il est
facile d’entrer profondément en transe… Faites le maintenant ! (sleep) » Approfondissement.
Le praticien induit une transe légère à moyenne en se servant d’images d’un vieux château et
d’une large tour qui le surmonte.
Le consultant ferme les yeux et s’imagine au centre de la tour après avoir emprunté un large
escalier et avoir monté une centaine de marches.
Il aperçoit son reflet dans un grand miroir ancien placé sur le mur de la salle.
En examinant son visage, il constate qu’il est entré en transe (mouvements dans les paupières,
symétrie du visage, respiration lente ou rapide, etc.).
Le thérapeute explique que des parties internes vont apparaître dans le miroir.
Le thérapeute « évoque » l’apparition de l’Inconscient dans le miroir à côté du sujet. L’inconscient
apparaît sous la forme soit d’un vieux sage soit d’un ange. De l’inconscient émergent des « moi »
jeunes corrélés à des moments importants de la vie du sujet.
Un moi plus jeune émerge à sa droite.
Un moi plus jeune encore émerge à sa gauche.
Le sujet discute de son problème avec les « moi » jeunes.
D’autres « moi » jeunes peuvent encore apparaître ou même des « moi » plus âgés qui proviennent
du futur. Le praticien discute avec le consultant et les différents « moi » et tente de résoudre la
problématique ou du moins de l’éclairer. Plus le consultant s’enfonce dans la transe, plus les
réponses et échanges deviennent « automatiques » et seront discutés après coup.
Très important : en fin de travail, réassocier tous les « moi » en les faisant entrer les uns dans les
autres comme des poupées russes et finalement, dans le « moi » sujet.
L’induction du 3-2-1
On attribue à Elizabeth Erickson cette induction basée sur les mécanismes
attentionnels (Grinder et Bandler, 2005). Cette technique était destinée à
l’autohypnose, et elle donne d’excellents résultats appliquée à la transe
profonde.
« Cette technique demande que l’on concentre notre attention sur les choses que l’on voit, entend
et ressent. On concentre notre attention sur ces éléments pour occuper notre esprit conscient.
Quand notre esprit conscient est occupé de la sorte, l’esprit inconscient lui est libre de travailler
sur les objectifs que vous lui donnez. Avant de vous décrire les détails spécifiques de la technique,
j’aimerais faire un survol des étapes précédant l’autohypnose : Assurez-vous d’être dans un
endroit calme et dans une position confortable et sécuritaire. Donnez-vous une limite de temps et
proclamez-la à voix haute. Ex. : Je pars maintenant en autohypnose pour une période de 15
minutes. Donnez-vous une autosuggestion reliée à l’objectif de votre session d’autohypnose. Ex :
Je m’endors de plus en plus rapidement le soir et me sens reposé et revitalisé à mon réveil.
Maintenant, voici les détails spécifiques du cycle externe de la technique : Regardez fixement un
point dans la pièce où vous êtes en ce moment. Gardez vos yeux fixés sur un objet ou une partie
de la pièce. Utiliser votre vison périphérique. Ne bougez pas la tête. Maintenant, prenez
conscience de 3 choses que vous voyez en ce moment. Enregistrez-les dans votre esprit en faisant
3 affirmations consécutives telles que : « Je vois la lampe… je vois la chaise… je vois la plante…
»
Maintenant, prenez conscience de 3 choses que vous entendez en ce moment. Enregistrez-les dans
votre esprit en faisant 3 affirmations consécutives telles que : « J’entends la pendule… j’entends
la voiture rouler dans la rue… j’entends les bruits de mon estomac… »
Maintenant, prenez conscience de 3 choses que vous ressentez en ce moment. Enregistrez-les dans
votre esprit en faisant 3 affirmations consécutives telles que : « Je sens mes cuisses sur la chaise…
je sens la chaleur du chauffage… je sens la relaxation en moi… » Prenez conscience de 2 choses
que vous voyez en ce moment. Prenez conscience de 2 choses que vous entendez en ce moment.
Prenez conscience de 2 choses que vous ressentez en ce moment Prenez conscience de 1 chose
que vous voyez en ce moment. Prenez conscience de 1 chose que vous entendez en ce moment.
Pour la dernière chose que vous ressentez, dites : « Je sens l’envie de fermer les yeux ».
Maintenant, fermez les yeux et tournez votre attention vers l’intérieur.
Maintenant, voici les détails spécifiques du cycle interne de la technique :
Maintenant, répétez le processus décrit ci-dessus, dans le cycle externe, mais cette fois-ci en
observant ce qu’il se passe à l’intérieur de vous. Observez ce qu’il se passe dans votre esprit.
Observez ce que vous voyez, entendez et ressentez. Il se pourrait que ce soit des choses que vous
imaginez ou des scènes que vous vous remémorez. Ça pourrait être n’importe quoi qui apparaît
spontanément dans votre esprit comme un objet, une photo, un son, une sensation et même une
émotion. Faites la même chose avec vos représentations internes. Laissez venir à la conscience 3
choses que vous voyez. Laissez venir à la conscience 3 choses que vous entendez. Laissez venir à
la conscience 3 choses que vous ressentez. Continuez avec 2-2-2 et 1-1-1 de chaque. Si vous le
désirez, tout ce cycle interne peut être répété pour prolonger la durée de la séance. »
« À présent, je souhaiterais que vous preniez soin de ne plus bouger ni la tête ni le corps. Fermez
les yeux et détendez-vous ! En inspirant, ouvrez les yeux et regardez le bout de mon index que j’ai
placé proche de vos yeux. Toujours sans bouger, suivez avec attention les mouvements de mon
index (qui deviennent de plus en plus rapides, montant et descendant et allant même en zig zag).
Puis, refermez vos yeux et continuez à regarder les mouvements de mon index à l’intérieur de
votre tête, imaginez-le allant de droite à gauche. »
Puis Mandel passe une main derrière la tête du sujet et avec l’autre main prend fermement sa main
gauche étendue sur sa jambe, et il intime « Dormez » tout en basculant gentiment le haut du corps
du sujet vers le bas, le tout rapidement mais avec délicatesse… La transe est obtenue en quelques
secondes !
Induction de l’univers en rotation (Daniel Goldschmidt)
Cette induction a été créée et pratiquée par nous depuis les années 2000,
suite à la lecture des ouvrages de l’astrophysicien Hubert Reeves. Elle
procure une hypnose profonde en peu de temps à condition que le narrateur
mette l’accent sur la présence dans « l’ici et maintenant » des éléments
appelés.
« Je souhaiterais que vous fermiez les yeux et que vous commenciez à ressentir profondément
votre propre présence et notamment, le fait que nous tournions actuellement dans l’espace, au
moment même où je vous parle, entraînés par la rotation de la Terre sur elle-même. Vous pouvez
ressentir également, dans le même temps, la rotation de la planète autour du soleil qui s’effectue
sur environ un an. Le soleil se déplace également dans la galaxie, capté lui-même par le
mouvement global de la Voie Lactée et si vous prêtez bien attention à votre corps, à votre
respiration et même aux bruits ambiants, en laissant dériver le son de ma voix, si vous vous
concentrez totalement sur le fait que nous flottons d’une certaine manière tous dans l’espace, votre
bras pourrait automatiquement et de lui-même se déplacer et flotter à son tour. »
La plupart du temps, le sujet entre en transe et la catalepsie du bras s’installe. Interrogé sur les
souvenirs de la séance, le sujet répond, la plupart du temps, qu’il n’écoutait plus, tout occupé à
ressentir les mouvements astronomiques.
6 Conclusion
Les inductions de transe profonde sont utiles, comme on l’aura compris, à
la fois pour approfondir rapidement l’état hypnotique du consultant et aussi,
dans certains cas, constituent de véritables leviers thérapeutiques. Très
souvent, il n’est pas obligatoire de les pratiquer en totalité, le niveau
profond étant obtenu rapidement et la stabilité de la transe étant atteinte
simplement.
Elles deviennent vite indispensables lorsqu’on les utilise dans un contexte
hospitalier ou psychothérapeutique et, bien sûr, au bloc opératoire ou en
urgence.
Points à retenir
Présentation du suivi
▶ La première séance : les tests
Je lui dressai un schéma de l’hypnose telle que je la pratiquais, prenant bien
soin d’éliminer de mon vocabulaire toute allusion à une perte de contrôle ou
même un sommeil. Je lui expliquai le Conscient et l’Inconscient, magnifiant
la puissance de celui-ci et tentant de donner un sens à ses troubles en les lui
présentant comme des tentatives inconscientes de résoudre un conflit
intérieur. Visiblement, Gérard – le prénom que nous lui donnons – n’était
pas porté sur la psychologie, a fortiori sur la neurologie mais il me dit
trouver mes explications recevables et même rassurantes. C’était un «
honnête homme » au sens classique du terme, plutôt ouvert et sans égo
démesuré. Je lui demandai s’il acceptait de faire des tests et ayant reçu son
accord, glissai plusieurs phrases à l’intention de l’Inconscient : « Ça va être
intéressant de voir comment cette partie interne de vous-même va réagir »,
« en fait, il s’agit de jeux comme les enfants que vous côtoyez utilisent dans
les cours de collège. Rien de grave ni d’angoissant, donc ! »
Il répondit parfaitement aux tests, les mains galopèrent l’une vers l’autre, la
catalepsie du bras fut très rapide et une lévitation spontanée se mit en place.
Les tests
Les tests hypnotiques font partie d’une séance d’hypnose
profonde. En théorie, ils servent à permettre au praticien d’évaluer
l’hypnotisabilité du consultant mais constituent, en fait, de
véritables inductions capables de plonger ce dernier dans une
transe légère, moyenne, ou profonde. Il est bon de commencer
par ceux-ci car ils suffisent souvent à amorcer la séance. Ils
consistent à créer chez le consultant une série d’effets d’hypnose
qui se cumulant finissent par plonger ce dernier dans un état de
stupeur.
On retiendra pour la facilité à les utiliser en séance :
1) Les doigts magnétiques : Faire fermer les mains l’une
contre l’autre comme en position de prière puis faire sortir
les indexs de part et d’autre, en les écartant. Ensuite
donner l’instruction que les indexs vont se diriger l’un vers
l’autre et se toucher en bout de course. Ce test fonctionne
sur presque tout le monde. Il faut reconnaître qu’une partie
de l’effet provient de la fatigue musculaire des doigts,
l’automaticité fonctionnant, néanmoins, à la fin.
2) Les mains magnétiques : Les deux mains se font face et se
dirigent automatiquement l’une vers l’autre pour finalement
se toucher paume contre paume. Donner la suggestion que
la transe s’approfondit, lorsque les deux mains se joignent.
3) Demander que les yeux se ferment soit volontairement soit
en fixant un objet, par fatigue (Braid). Puis le consultant se
concentre sur ses paupières et les détend complétement.
On lui explique que l’entrée en hypnose se soldera par la
catalepsie des paupières. Les muscles de cette région ne
fonctionnent plus.
On lui demande alors de faire le test, lui-même, et d’ouvrir
doucement les yeux.
Si les paupières résistent et ne s’ouvrent plus, c’est gagné !
Si ce n’est pas le cas, on recommence autant de fois qu’il
le faut !
Je regardais ses mains s’agiter. Lorsque je levai les yeux, Gérard était dans
une transe que je pouvais qualifier de profonde, absorbé, les yeux fermés, et
un demi-sourire aux lèvres.
Le trouble anxieux du type « crises de panique » possède un versant
dissociatif et l’hypnose est facilitée chez ce type de personnes.
Néanmoins, je fus quelque peu surpris d’une réaction aussi forte et me
frottai mentalement les mains en me disant que cette histoire se présentait
bien !
Je mis de nombreuses minutes à sortir Gérard de sa transe et lorsqu’il fut
pleinement présent à nouveau, nous prîmes quelques temps pour discuter de
cette première séance. Je fis allusion à un trauma éventuel. Il me confia
s’être posé la question mais ne voyait pas d’évènement de sa vie capable
d’entraîner de tels malaises, faisant l’impasse sur le décès de son ami.
Nous conclûmes de nous revoir bientôt afin de mener l’enquête ensemble.
▶ La seconde séance : navigation entre différents états
Une semaine passa et Gérard me fit savoir par SMS qu’il avait été sujet à
une nouvelle attaque de panique trois jours après notre premier entretien. Il
la décrivait comme plus faible qu’habituellement et plus courte aussi. Je ne
tentai pas de suggestion sur un mieux possible, car je sentais intuitivement
que le mécanisme psychologique qui déclenchait les malaises restait entier.
Si l’accès au trauma est « protégé » par une transe profonde immédiate,
c’est que l’Inconscient a de solides raisons pour cela. Nous décidâmes donc
d’une date proche pour nous revoir et continuer le travail. La conversation
fut longue et visiblement, Gérard avait été intrigué et séduit par la sensation
particulière qu’il avait éprouvée en hypnose, constituée, selon lui, de
relâchement et d’une forme de tendresse profonde qu’il avait ressentie, «
comme un maternage », me dit-il.
Lorsque Gérard franchit à nouveau le seuil de mon cabinet, je compris qu’il
était déjà dans un état hypnotique léger : son élocution était ralentie et la
fixité de son regard était manifeste. Je n’eus aucun mal à le guider vers un
état somnambulique que je décidai de mettre à profit pour explorer plus
avant la problématique. Je lui expliquai, alors, que je désirais m’entretenir
directement avec son Inconscient sans que son Conscient interfère et passai,
sans prévenir, du « vous » au « tu », l’ayant prévenu que lorsque je le
tutoierai, c’est que je m’adresserai à son inconcient. Faire parler
inconsciemment en transe profonde est possible et peut même être utilisé
comme une méthode d’approfondissement, à condition d’avoir entraîné la
personne auparavant à cette pratique, lui faisant atteindre un état profond et
lui demandant de laisser les paroles « sortir librement de sa bouche ». Cette
dernière technique prenant du temps, je décidai de l’interroger par le biais
des idéomoteurs, mouvements des doigts codifiés au préalable ou battement
des paupières droite et gauche signifiant « oui » et « non ».
Commentaires
Les croyances peuvent être utiles ! Aussi bien celles du consultant que
celles du praticien. Je dois reconnaître que je me suis beaucoup intéressé, à
une époque, au bouddhisme et à l’hindouisme. La conception d’une
Conscience globale habitant la matière est séduisante et l’étude en amateur
de certains pans de la physique moderne a, sans doute, conforté chez moi
certaines réflexions inconscientes. Pouvons-nous concevoir que, dans ce cas
précis, il y eut communication intime entre mes croyances et l’esprit de
Gérard en transe profonde, par le biais de suggestions que j’adressai à son
inconscient ? La neurologie semble indiquer qu’il existe bien une pensée
inconsciente structurée (Lionel Naccache, Le nouvel inconscient, 2006,
Odile Jacob), même si, selon Naccache, cette pensée capable de complexité
est évanescente, correspondant à des modules spécialisés peu équipés pour
la mémorisation à long terme.
L’inconscient de Gérard, après un travail interne de traitement des
informations, aurait souscrit à la théorie que j’ai délivrée, et expédié un
message apaisant au Conscient anxieux de sa propre disparition. Ce qui ne
prouve pas que les dires de Maharaj sont vérifiés mais plutôt qu’ils donnent
un sens à l’absurdité de la Mort, mettant fin au retournement amygdalien,
processus de protection inconscient déclenchant anxiété et panique, ces
états ayant pour but de préserver la vie en tentant de placer le sujet à l’abri.
On ne manquera pas de faire un parallèle quelque peu iconoclaste entre les
techniques utilisées en hypnose telles que la métaphore ou la parabole et les
enseignements orientaux bouddhistes et hindouistes tels que définis comme
des techniques d’induction mais aussi de recadrage, la croyance du disciple
créant un champ de conscience adéquat à l’obtention d’un état permettant
l’absorption aisée des suggestions. Le recadrage en transe profonde apparaît
alors comme un excellent mode psychothérapeutique, l’amnésie
antérograde évitant la rumination consciente et permettant l’implantation
aisée des suggestions.
15. Braid évoque deux types d’amnésie spontanée, l’une irréversible et l’autre pouvant être levée par
le biais d’un retour en hypnose. Dans ce cas et selon les essais que nous avons réalisés, il semble que
l’amnésie soit irréversible, la patiente se souvenant juste que j’ai parlé à son inconscient, mais « vu
que ça ne [la] concernait pas, [elle] n’[a] pas écouté ».
16. Hyperesthésie : augmentation de la sensibilité qui rend certaines sensations pourtant anodines
(tactiles, thermiques) douloureuses ou excessivement ressenties.
17. Du nom d’Esdaile (1808-1859), célèbre chirurgien écossais qui opérait aux Indes.
18. Walter Sicchort, hypnotiseur et mentaliste, était capable d’induire chez son assistante Mary
Borgessi l’état Esdaile mais également l’état catatonique. Un jour, celle-ci tomba dans un état très
particulier caractérisé par de nombreux mouvements oculaires (REM) et une extrême flaccidité
musculaire. Après la mort de Sichort en 2000, ses élèves donnèrent le nom « d’état Sichort » à ce
stade de grande profondeur qui aurait des vertus de guérison rapide et d’actualisation de certaines
manifestations parapsychologiques.
19. « Le Protocole Simpson se connecte avec l’esprit “supérieur” du consultant et lui permet de faire
tout le travail de “guérison” (dans le sens le plus large possible du terme). Cet esprit supérieur ou ce
que nous appelons (parce que nous avons besoin d’un mot) le Supraconscient est apparemment cette
partie de notre esprit qui semble reliée à l’inconscient collectif, et à toute sagesse et connaissance. Ce
n’est pas une forme de foi ou un truc de conte de fées. Cette partie de l’esprit semble avoir le pouvoir
d’ajuster et de réparer ce qui est le plus nécessaire pour le consultant et cela, qu’il le sache ou non (ou
nous les hypnotiseurs). Cela n’a rien à voir avec les besoins conscients du consultant. C’est, semble-
t-il, l’œuvre pure de l’esprit. Et nous sommes capables d’atteindre cette partie “supérieure” de l’esprit
en utilisant des niveaux “profonds” d’hypnose qu’on appelle l’état d’Esdaile (bien que peu importe le
nom que vous utilisez car l’état peut être testé) et, de là, d’accéder à plusieurs » “niveaux” de l’esprit
ou autre qui facilite un changement optimal pour le consultant. » (Extrait du site internet du Protocole
Simpson, 2021)
20. Il composa notamment avec son ami W.C. Handy le fameux « Atlanta Blues » interprété par
Louis Armstrong.
21. « Et vous n’oublierez pas d’oublier de vous souvenir ! »
22. La « transderivational search » (TDS) est tirée du travail d’Erickson et consiste à proférer un
ensemble de suggestions aussi vagues et ambigues que possible, afin que le sujet soit conduit à
examiner intensément ses propres ressentis, sensations ou pensées par rapport à l’énoncé, ainsi qu’à
construire ses propres objets internes. L’effort et la concentration résultants de ce procédé conduisent
souvent vers une transe profonde, à condition que l’opérateur n’en profite pas pour introduire ses
propres croyances dans le monde interne du sujet. L’induction par poignée de main d’Erickson est un
exemple de ce procédé.
23. Né en 1949, de nationalité anglaise, Stephen Brooks vit depuis plus de trente ans en Thaïlande
d’où il enseigne une hypnose ericksonienne mâtinée de bouddhisme. Il est considéré par beaucoup de
ses anciens élèves comme un très grand instructeur.
24. La phobophobie est la peur d’avoir peur. Pour être plus précis, le phobophobe a peur de ses
réactions s’il avait à affronter une situation difficile. C’est l’habituel « cercle vicieux » qui aboutit à
la panique.
25. Nisargadatta Maharaj (mars 1897 - 8 septembre 1981) est un guru indien de la doctrine de
l’Advaita Veda-nta, ou non-dualité. Son enseignement se fit connaître en Occident, notamment au
travers du livre intitulé I Am That (« Je suis »).
Chapitre 5
T. Servillat
1 Introduction
4 Aspects techniques
1 Introduction
Les éléments qui constituent cet article relèvent essentiellement de notre
compréhension des échanges que nous avons eus avec des élèves directs de
Milton Erickson : Steve Lankton, Steve Gilligan, Michael Yapko, Jeffrey
Zeig, d’autres aussi ; et surtout Roxanna Erickson Klein. Ayant avec le
temps mélangé les différents souvenirs de mes entretiens et séminaires, il
nous sera souvent impossible de citer des références précises (si tant est
qu’elles soient publiées) concernant les éléments de ce texte qui aura la
structure suivante :
– Nous préciserons d’abord 14 points généraux posant les principaux
repères pour le lecteur ;
– Nous irons ensuite voir les textes d’Erickson sur le sujet, afin
d’approfondir et de préciser autant que possible les éléments
principaux qu’ils contiennent ;
– Nous compléterons ces textes par la présentation de modes atypiques
d’induction de transe profonde : les thérapies de choc et la
provocation.
Autres apports
Les autres points importants qu’Erickson abordent dans son article sont :
– l’importance d’entraîner les patients suffisamment longtemps pour
qu’ils puissent s’émanciper des croyances préalables qui pourraient
limiter les possibilités de la transe profonde. Le but d’un tel
entraînement peut particulièrement porter sur le fait d’apprendre au
patient qu’en transe profonde, il est tout aussi possible de parler
qu’en transe légère. Il y a donc à agir sur la croyance consciente
limitante qui impliquerait que l’on soit conscient quand nous parlons.
Concrètement, Milton Erickson préconise, pour apprendre aux
patients à parler en transe profonde (ce qui est fort utile), la pratique
de l’écriture automatique, suivie de l’apprentissage de la lecture
silencieuse de ce qu’ils ont écrit, puis de l’articulation en silence de ce
qu’ils lisent, pour ensuite passer facilement à l’état final en
transformant l’activité motrice d’écrire ou d’articuler en silence en
véritable émission de parole. Il précise que l’apprentissage de
l’analgésie et de l’anesthésie procèdent de même, tout comme celui
des hallucinations, de la régression, de l’amnésie et d’autres
phénomènes hypnotiques.
– Figure aussi dans ce paragraphe une phrase lourde de conséquences
pour notre sujet : « On doit souvent apprendre au sujet à prendre en
compte ses aptitudes à bien fonctionner, que ce soit un niveau
conscient ou un niveau inconscient ». Ce que Roxanna Erickson Klein
précise parfois lors de ses ateliers de la façon suivante : « Toute
thérapie est une double thérapie, celle du conscient et celle de
l’inconscient. »
– Concernant la définition de l’hypnose profonde, Erickson commence
par énoncer : « L’hypnose profonde est le niveau d’hypnose qui
permet au sujet de fonctionner directement un niveau inconscient et de
manière adaptée, sans interférence de l’esprit conscient. » Ainsi, la
réalité du patient en transe profonde est constituée « d’abstractions, de
souvenirs et d’idées », et ce indépendamment des forces qui régissent
son esprit conscient. Ainsi : « La réalité de l’environnement extérieur
dans lequel il baigne n’est pertinente que dans la mesure où elle est
utilisée dans la situation hypnotique ».
– Concernant le mécanisme d’action thérapeutique de la transe
profonde, Erickson précise : « La réalité de la transe profonde doit
nécessairement s’accorder aux besoins et à la structure fondamentale
de la personnalité dans son ensemble ». C’est la condition même pour
que la transe profonde puisse libérer le patient de l’emprise d’un
comportement névrotique tout en respectant totalement sa
personnalité. Erickson précise l’intérêt de ce point notamment pour la
rééducation, car la couche névrotique, pour lui, ne dénature pas le
noyau central de la personnalité. On voit ici une grande différence
entre l’approche ericksonienne et la psychanalyse. Erickson propose,
dans la continuité de certains magnétiseurs qui l’ont précédé, qu’une
guérison peut rester totalement inconsciente, dans le sens où elle ne
modifie pas l’esprit conscient. Il ajoutera même qu’il est dans de
nombreux cas préférable que les mécanismes de la guérison restent
inconscients.
– Concernant la distinction entre transe stuporeuse et transe
somnambulique, l’auteur là encore relativise les différences que
d’autres pourraient trouver radicales. Il s’agit fondamentalement des
mêmes phénomènes. Le sujet en transe somnambulique est certes en
apparence réveillé. Mais ce n’est qu’une apparence. Si les sujets en
transe somnambulique montrent une apparence d’être éveillés, ce
n’est pas parce qu’on leur a appris un fonctionnement particulier mais
au contraire « parce qu’ils ont été entraînés à se fier entièrement à
leur propre schéma inconscient de réaction et de comportement ».
– Quant aux sujets en transe stuporeuse, ayant un comportement passif
marqué par un ralentissement à la fois psychologique et
physiologique, ils manquent au contraire de « ces comportements
spontanés et des initiatives si caractéristiques de l’état somnambulique
quand on les laisse se produire ». D’où leur réponse incomplète, leur
perte de la capacité à prendre conscience du moi, ce qui peut les faire
apparaître au praticien non averti comme des patients sous l’effet de
narcotiques. Erickson précise que cet état de stupeur est difficile à
obtenir du fait, semble-t-il, « de leur refus de perdre leur conscience
d’eux-mêmes en tant qu’individus ». La transe stuporeuse paraît donc
une sorte de renoncement (temporaire) à l’individuation. Cela nous
paraît rejoindre les intuitions de la phénoménologie qui peut
préconiser d’être notre corps et uniquement lui dans une sorte de
néant d’où va apparaître le vivant sous la forme de sentiments
(Henry).
La dernière partie de l’article considère différents problèmes liés à
l’induction de la transe profonde.
En premier, Erickson revient sur la nécessité pour le thérapeute comme
pour le patient de distinguer l’induction et l’utilisation de la transe. Car
c’est la « préoccupation essentielle », faute de quoi les comportements
propres à l’induction vont se poursuivre dans l’état de transe. Et de ce fait,
les comportements de l’état de transe deviennent alors un mélange incluant
des éléments propres au comportement conscient, ce qui n’est pas souhaité.
Car il est nécessaire de reconnaître et de différencier le comportement
conscient du comportement prenant sa source dans l’inconscient. Erickson
insiste également sur l’importance de prendre en compte le besoin de
protection de l’ego pour obtenir une coopération profonde, inconsciente,
afin d’induire des transes profondes.
4 Aspects techniques
Le rôle de la confusion
Comme si Erickson peinait à terminer son texte, ou comme s’il voulait nous
surprendre, en toute fin d’article il va aborder les techniques de confusion.
La technique de confusion, si elle peut induire des phénomènes particuliers,
est particulièrement utile pour les transes profondes. Erickson précise
qu’elle donne ses meilleurs résultats avec les sujets « intelligents »
intéressés par les processus hypnotiques, et aussi qui ont des réticences
conscientes à aller en transe même s’ils y sont prêts inconsciemment. La
confusion consiste dans la présentation de séries de suggestions différentes
les unes des autres, contradictoires et ne paraissant pas agrégées les unes
avec les autres. Elle demande au sujet de changer constamment
d’orientation. En essayant de s’adapter à ces confusions, le patient se sent
tellement déconcerté qu’il accepte volontiers n’importe quelle suggestion
positive qui lui permettra de sortir d’un tel malaise. La confusion est donc
une technique de déstabilisation, déstabilisation créée par celle, volontaire,
du thérapeute qui présente l’apparence d’être quelqu’un de déficient. La
technique de confusion se montre d’une grande valeur dans l’induction
d’une amnésie étendue avec régression du sujet. Nous n’en reprendrons pas
ici la technique, très bien décrite dans l’article, mais aborderons simplement
un point particulier : lors de la régression du patient à une période
antérieure à sa rencontre avec le thérapeute, il est important de s’attendre au
fait que le patient va transformer la personne de son thérapeute en une autre
personne réelle ou imaginaire, et le thérapeute va favoriser cette
transformation pour que le patient se sente à l’aise à communiquer avec
cette personne.
La technique de répétition
Il s’agit d’une autre forme d’induction de transe profonde qui « consiste à
retenir certaines formes de comportement qui semblent prometteuses et à
les faire répéter au sujet, d’abord mentalement puis effectivement ». Par
exemple, chez un sujet répondant mal à des suggestions d’écriture
automatique, on va saisir ses réponses partielles hésitantes que l’on cadre
comme un réel succès, ce qui permet au sujet de les répéter mentalement en
introduisant de nouvelles variables, en hallucination. Un seul aspect,
simplifié, de cette technique de répétition est généralement enseigné en
France, qui consiste à induire une transe chez le patient, ensuite le réveiller
pour de nouveau induire une transe et le réveiller, ceci un certain nombre de
fois.
L’auteur, avant de terminer son article, cite brièvement les techniques de
multidissociation (double dissociation, voire triple ou davantage), et les
techniques posthypnotiques (« à chaque fois que vous le souhaiterez, vous
pourrez fermer les yeux pour retrouver un état d’hypnose encore plus
profond ») qu’il utilise également souvent pour induire les transes
profondes.
Points à retenir
En progressant dans ma pratique, je constate qu’il est inutile d’en faire trop.
Je me distingue en cela de Farrelly, qui était volontiers outrancier, même si
avec certains patients je pense qu’il faut l’être. La thérapie de choc n’est pas
utile pour que le thérapeute se fasse plaisir ni pour que le patient en ait. Je
reste un partisan du minimalisme tel que Steve de Shazer le pratiquait
(Deneux et al., 2009). J’avais déjà constaté cela avec l’approche stratégique
proposée par Giorgio Nardone, qui propose souvent des interventions trop
puissantes par rapport aux besoins du patient. Il s’agit juste d’en faire
suffisamment pour obtenir chez ce dernier des éléments cliniques (regard,
mise en mouvement du comportement non verbal qui alterne avec une
immobilité révélant l’état de transe) indiquant que le contact est établi voire
qu’il y a mise en mouvement.
Il faut préciser ici qu’il est très difficile de prévoir à l’avance si ce type de
manœuvre va avoir un effet provocatif ou non. On peut même dire qu’il est
prétentieux de prédire que l’on va provoquer quelqu’un, et qu’il est très
fréquent qu’un propos anodin puisse provoquer chez un patient une émotion
intense. On peut donc simplement dire qu’il y a une ambition provocative
dans ces approches. Même s’il faut ici se souvenir qu’en anglais induire une
transe se dit (aussi) « to provoke a trance ».
Pour avoir vécu moi-même un entretien provocatif avec Farrelly, je peux
témoigner que cette approche peut induire une transe profonde, ou en tout
cas, pour suivre Roxanna Erickson-Klein et sa notion de vagabondage, une
transe comportant des moments de transe profonde. Ces moments
s’accompagnent fréquemment d’une amnésie, d’où la précaution que
Farrelly prend de faire enregistrer les séances pour les donner ensuite au
patient afin qu’il puisse les réécouter, notamment pour vérifier que ce qui a
été dit lui convient si la séance s’est produite lors d’un atelier devant des
participants tiers.
Précisons enfin que, si ce type d’approche est pratiqué assez rarement, c’est
parce que d’une part il est fatigant pour le thérapeute, et qu’il est loin d’être
toujours nécessaire pour qu’un processus de changement puisse se produire.
Nous trouvons néanmoins intéressant de la présenter car c’est une approche
typique de la créativité et de la posture d’Erickson. Erickson cherche
toujours le contact avec le patient et se donne d’importants moyens pour
l’obtenir quand cela est difficile. D’ailleurs, il n’y parvient pas toujours.
▶ Le choix de la méthode
J’ai vu pendant d’assez nombreux mois une femme âgée d’environ 50 ans,
enseignante, qui venait me voir pour un syndrome dépressif. Elle prenait
des antidépresseurs déjà prescrits par un confrère précédent, traitement qui
semblait avoir peu d’efficacité même si peut-être il procurait, car il était pris
à dose assez faible, un certain effet atténuateur sur son anxiété.
En tout cas, au bout de plusieurs mois, cette femme déclara qu’elle allait
mieux au niveau de l’humeur, et se mit à davantage parler de son fils unique
qui vivait encore avec elle bien qu’il approchât la trentaine. Celui-ci était
décrit comme ne faisant rien de sa vie et sa mère me l’évoquait comme
étant la cause de son grand malheur. Bien que divorcée, elle n’exprimait pas
que sa solitude (qui était relative puisque son fils vivait avec elle) fût un
réel problème pour elle. À un certain moment, devant son état clinique plus
satisfaisant, et aussi parce qu’elle me présentait son fils comme l’essentiel
de ses préoccupations, je lui déclarai que j’étais prêt à voir celui-ci et elle
me l’adressa.
▶ Premières consultations : présentation, demande
Le patient était très grand. Il aurait été possible de dire qu’il était athlétique
s’il n’avait pas montré un certain embonpoint préoccupant pour son âge, et
une hypotonie dans sa posture qui l’amenait à baisser la tête, avoir les
épaules rentrées et le dos voûté. Sur le plan émotionnel, il semblait comme
anesthésié. Il se plaignait de sa vie mais n’exprimait rien qui puisse
corporellement confirmer cela, si l’on excepte les éléments sus-mentionnés.
Son humeur était médiocre, comme calquée sur celle de sa mère lorsque je
fis connaissance avec celle-ci. Le jeune homme exprimait très peu de
plaisirs dans sa vie, confirmant sa dépressivité. Il avait un travail
alimentaire, peu qualifié malgré des études réelles. Ses loisirs étaient
réduits, et consistaient le plus souvent à regarder des DVD dans sa
chambre, jouer à des jeux vidéo seul (à l’époque les jeux en réseau par
Internet n’existaient pas). Il avait tendance à dormir excessivement, avec
peu d’activités physiques, disant qu’il n’avait pas le courage d’en faire. Il
lui arrivait ponctuellement de faire un jogging qu’il ne pouvait renouveler
les jours suivants. C’était comme s’il était incapable d’avoir une vie
personnelle, avec une vie relationnelle essentiellement construite autour de
la présence maternelle. Sa mère m’avait dit ressentir une certaine culpabilité
devant cela, sans m’expliciter sur quoi sa culpabilité reposait précisément.
Sa demande d’aide était pauvre : « aller mieux », sans pouvoir me dire en
quoi sa vie serait différente s’il « allait mieux ». Tous mes outils d’hypnose
orientée solutions restaient inefficaces, c’est-à-dire ne créaient pas de
différence. Le moindre questionnement sur un objectif possible à la thérapie
le laissait semble-t-il dans un état de non-réponse qui aurait pu évoquer un
certain degré de débilité mentale si je n’avais pas ressenti en lui, de façon
presque cryptée, des signes d’une réelle souffrance émotionnelle : regard
triste, ralentissement psychomoteur net notamment.
▶ Premières approches thérapeutiques
Discussion
Cette présentation nous semble illustrer comment, en ne faisant pas le
travail du patient (en l’occurrence ici nous aurions pu convoquer la mère
pour qu’elle dise à son fils qui était son père), il est possible de créer un
cadre pour que cela soit lui qui le fasse. Qu’a-t-il fait de différent pour que
sa mère accepte enfin de lui dire ce qu’elle avait à lui dire ? Qu’en est-il de
même de la véracité de cette histoire ? Nous ne le saurons en fait
probablement jamais.
La seule chose que nous savons, c’est qu’il s’est produit un changement
dans le comportement de Gilles. Celui-ci a changé sa narration (il a fait
quelque chose de semble-t-il signifiant pour lui) et, surtout, il a quitté la
honte et est devenu fier de lui.
L’approche thérapeutique utilisée peut être considérée comme non
conventionnelle, marquée par une prise de risque du thérapeute (qui fait
confiance à ce qui lui vient dans sa propre transe). Cette prise de risque a-t-
elle en résonance suscitée celle du patient, osant demander par des moyens
adaptés à sa mère les coordonnées de son père et osant ensuite rendre visite
à celui-ci ? Cela ne peut être, en l’absence de données cliniques, qu’une
supposition de notre part.
Reste, repérable cliniquement, le travail effectué par Gilles en transe
profonde, stuporeuse. De ce travail nous n’en saurons rien non plus. Qu’il y
en ait eu un ne peut en toute rigueur que relever d’une hypothèse. Cette
hypothèse nous la faisons, et comme on dit, nous en avons l’intime
conviction.
De tels constats sont fréquents en transe profonde dans notre pratique. Nous
n’incitons généralement pas le patient à parler de ce qu’il a vécu pendant sa
transe, souhaitant éviter tout voyeurisme. Nous utilisons habituellement la
question qu’Erickson posait : « Y a-t-il quelque chose dont vous voulez
parler ? », en montrant une attitude non suggestive.
Dans le cas de Gilles, non seulement nous devions garder une telle attitude,
mais il me semble que je ne lui ai même pas posé la question. Lui poser la
question aurait – je pense – suscité de la résistance de nouveau, comme
annulé le travail fait. Sans en avoir là non plus de preuve, nous pensons que
notre intervention a mis au défi Gilles, en activant probablement sa colère.
Il n’était jusque-là pas décidé à savoir qui vraiment était son père, et il est
possible qu’il n’ait jamais clairement demandé à sa mère les coordonnées
de celui-ci, et que celle-ci s’arrangeait bien en gardant pour elle
l’information. En allant le provoquer, j’allais le défier dans une sorte de
confrontation père-fils qu’il n’avait pas le courage de provoquer lui-même
en faisant une demande affirmée à sa mère.
Pour que celle-ci ait pu se faire (nous le redisons, semble-t-il, puisque nous
n’en avons pas eu la preuve autre que par son changement clinique), il est
possible qu’un élément spirituel ait été nécessaire. La transe profonde
permet souvent ce travail spirituel (au sens de riche de sens). Elle a pu
permettre ce travail sur la honte que Gilles pouvait ressentir : quitter la
honte d’être fils d’Arabe, assumer la rencontre, faire l’inverse du choix de
la violence fait par Meursault, personnage du roman L’Étranger d’Albert
Camus.
Points à retenir
26. Ce sujet est l’objet d’un excellent ouvrage sur cette question : le manuel des phénomènes
hypnotiques des époux Edgette (SATAS).
27. Exemple parmi d’autres de sa directivité possible.
28. Milton Erickson est resté toute sa vie impressionné, grâce aux efforts d’une institutrice pertinente,
par sa subite compréhension de ce qu’était la lettre E. Il guérit progressivement de sa dyslexie très
invalidante lorsqu’il eut dans un éclair blanc l’image d’un cheval dressé.
29. Juillet 2021. Intervenante : Marie-Estelle Blanc-Couval.
Chapitre 6
S. Morar
1 Introduction
6 En conclusion
7 Situations 5 et 6 : hypnose profonde et hypnoanalgésies
1 Introduction
La grande question qui se pose est : Est-ce qu’il y a une vraie
neurophysiologie de l’hypnose profonde et/ou de l’hypnose en général ? Y
a-t-il une différence claire de fonctionnement cérébral entre la transe
profonde et légère ?
À ce jour, il n’y a aucun consensus clair concernant les différences entre la
transe profonde et légère. Et en ce qui concerne tout simplement l’hypnose,
dans de nombreux écrits on se rend compte que c’est un sujet à caution, car
à la lecture des nombreux articles scientifiques parus dans les dernières
années on peut avoir l’impression de découvrir de nombreuses
contradictions. Cette impression est due aux variations de protocoles de
recherche utilisés : techniques d’induction différentes, populations non
homogènes, absence (souvent) de mise en évidence de processus
d’activation/désactivation cérébrale fonction du type de transe, etc. Il faut
faire un travail important de sélection des informations que ces études nous
apportent. On peut les diviser en deux catégories : celles qui analysent le
fonctionnement cérébral caractéristique de la transe hypnotique que je vais
appeler « pure », sans suggestions spécifiques (par exemple : douleur,
anxiété, etc.), et celles qui vont étudier les modifications de fonctionnement
cérébral en rajoutant des suggestions bien spécifiques. Dans ce dernier cas,
le fonctionnement va s’adapter à la situation et nous découvrons des centres
qui ne sont pas actifs en transe simple, pure, mais vont commencer à
travailler suite aux suggestions.
Le gyrus frontal médial gauche est une structure cérébrale appartenant au frontal qui a comme
fonction l’établissement et la mise en pratique des règles de comportement fonction des stimuli
extérieurs reçus. Il surveille le déroulement de l’application pratique de la règle qu’il a établie.
En pratique, il est plus facile d’amener en transe profonde une personne qui
possède un « bon » fonctionnement de cette structure cérébrale, mais la
question qui se pose est : comment le savoir sans avoir recours à l’IRM
fonctionnel ? Des indications nous sont données par l’anamnèse et les
antécédents du patient. Par exemple, les patients avec des pathologies
lourdes psychiatriques (schizophrénie, paranoïa, etc.), les alcooliques
chroniques, consommateurs de drogue, dépressifs chroniques, anxieux
chroniques, etc. vont nécessiter de la part du praticien beaucoup plus
d’effort et de stratégie pour obtenir une transe profonde.
De plus, les résultats en IRM fonctionnel montrent des caractéristiques
anatomiques particulières de l’hypnotisabilité reliés à une meilleure
connectivité entre les deux hémisphères (structure nommée le corps
calleux) plus performante. Ceci implique une communication plus
performante surtout dans la partie concernant la mise en route des structures
cérébrales responsables des mécanismes de « démarrage » des processus
attentionnels ainsi que de l’inhibition des informations extérieures non
pertinentes. Ces résultats démontrent qu’en transe hypnotique on obtient
une focalisation de l’attention du patient qui sera orientée uniquement vers
le but construit par le praticien grâce à ses suggestions, avec en plus la
suppression d’une grande quantité des informations externes inutiles, non
pertinentes. À leur tour, les stimulations internes somatiques, autonomes et
émotionnelles seront filtrées/supprimées en grande partie, ce qui va
renforcer le phénomène d’absorption (Hoeft et al., 2012).
Les activations décrites plus haut (aires visuelles, zones responsables des
processus attentionnels, corps calleux) s’accompagnent d’un ralentissement
et d’une incohérence dans les aires corticales représentant le choix et le
contrôle exécutif, ce qui va faciliter encore plus le travail du thérapeute. Il
s’ensuit une plus grande adhésion au « choix » du thérapeute ainsi qu’une
mise en route des actions (qu’elles soient mentales ou physiques) suggérées
par celui qui donne les suggestions. Mais il ne faut pas du tout croire qu’en
transe le sujet peut être « manipulé » d’une façon exagérée par celui qui
l’hypnotise. Comme je l’ai dit précédemment, il y a une désactivation de
l’insula dans l’état hypnotique de base, mais celle-ci peut s’activer pendant
la transe dans certaines situations. Si par exemple une suggestion est non
conforme avec les croyances, les traits profonds de la personnalité, etc, à ce
moment l’inconscient va décider qu’il ne doit pas répondre favorablement
aux choix et indications reçues. Il peut continuer la transe en les refusant ou
décider de sortir le patient de la transe.
D’autres résultats qui peuvent paraître contradictoires à la lecture des études
sont l’activation/désactivation de certains centres nerveux mises en
évidence pendant la transe. La raison principale de certains débats réside
dans la conséquence des suggestions spécifiques qui vont, en plus de l’état
neurologique de base de la transe, produire des variations d’activation en
fonction de la demande. Il existe une corrélation négative (donc une
désactivation) lors de la transe des connectivités entre les structures
responsables (entre autres) de la gestion des conflits et celles responsables
du passage de la décision inconsciente à l’espace conscient. Ceci est
parfaitement visible pour le praticien : par exemple dans la lévitation main,
si on fait ouvrir les yeux on constate la surprise du sujet qui découvre que «
la main s’est levée toute seule ». En réalité, son inconscient a choisi
d’exécuter le geste moteur sans passer au conscient l’information de la prise
de décision de déclencher le mouvement.
Même si ces résultats n’apportent pas une réponse définitive concernant les
différences individuelles de capacité d’acquérir une transe profonde, ils ont
le mérite de renforcer le constat que le fonctionnement cérébral lors de la
transe hypnotique utilise les structures responsables des mécanismes
attentionnels et non pas celles responsables du mode par défaut. Dans le
fonctionnement cérébral habituel, de veille, donc en dehors de l’état
hypnotique, il est parfaitement prouvé que les deux systèmes ne peuvent
pas fonctionner en même temps. Il existe une alternance et au moment où
les réseaux attentionnels se mettent en route, la grande majorité du réseau
mode par défaut cesse son activité.
Si un sujet est tranquillement assis sur son transat ou dans le bus, « dans ses pensées » et sans
rien faire, le mode par défaut est en pleine activité. Périodiquement il se tait, soit pour laisser les
réseaux attentionnels « faire un tour d’horizon » pour vérifier son environnement, soit en réponse
à un stimulus nouveau (le bus freine brutalement, un ballon tombe sur le transat, etc.).
Le mouvement
À part ces grands réseaux attentionnels et exécutifs qui vont déterminer
l’état de transe, de nombreuses études ont analysé l’activité cérébrale lors
des suggestions (une fois la transe hypnotique installée) à but bien
spécifique. Par exemple en ce qui concerne la motricité, on découvre que
les principales aires corticales responsables sont activées même en
l’absence de tout mouvement réel. La simple suggestion va activer ces
zones de la même façon que si le mouvement est réellement effectué. À
l’inverse, en dehors de la transe hypnotique, si une suggestion de bouger est
donnée ces activations n’apparaissent pas, ce qui nous confirme que le «
virtuel » devient effectivement « réel » pendant l’état hypnotique.
La « paralysie hypnotique »
Une autre donnée intéressante est la corrélation positive de la profondeur de
la transe avec l’activité du gyrus frontal inférieur. Son rôle est important
dans l’attention sélective, cette région étant engagée dans la réponse à des
épreuves incongrues. Il est recruté lors des événements nécessitant une
attention soutenue jouant un rôle essentiel dans le contrôle attentionnel,
permettant de cette façon une adaptation flexible et rapide des réponses
comportementales aux stimuli pertinents et saillants. Il est également
impliqué dans la commutation attentionnelle, dans la reconfiguration de la
représentation d’un stimulus afin de guider le comportement. Son activation
lors de la transe hypnotique est essentielle en pratique car elle va commuter
la focalisation de l’attention vers les suggestions données qui deviennent les
stimuli pertinents en éliminant les non pertinents. Il est remarquable que
dans une étude d’IRM fonctionnel sur la « paralysie hypnotique », des
augmentations sélectives ont été observées dans le gyrus frontal inférieur
pendant l’hypnose par rapport à la conscience normale, sans changements
dans d’autres composants du réseau de contrôle cognitif. Cela explique que
lors de la « paralysie hypnotique », il n’y a pas seulement une inhibition
motrice mais un meilleur contrôle attentionnel induit par l’hypnose (Cojan
et al., 2009). Cette conclusion est renforcée par d’autres études en
électrophysiologie (EEG) qui confirment une source distinctive d’activité
dans le gyrus frontal inférieur pendant l’hypnose. Peut-être ce type de
fonctionnement en transe explique-t-il la sensation de réelle paralysie que le
sujet expérimente.
La peur
D’autres modifications concernant des structures bien spécialisées ont été
mises en évidence, comme par exemple l’amygdale qui est une structure
responsable de la gestion de la peur, l’anxiété et du traitement de tout
stimulus représentant un danger. Son activité est fortement diminuée
(souvent complètement absente) en transe, ce qui a un impact très favorable
dans la prise en charge par hypnose de la dépression, l’anxiété, le syndrome
post-traumatique, les douleurs chroniques irréductibles (notamment
neuropathiques). Dans ces pathologies, l’amygdale présente une très forte
activité, qui va être responsable (avec d’autres zones cérébrales dont
certaines appartenant au mode par défaut) des pensées de tristesse qui
tournent en rond sans résultat, de la négativité de la pensée, des
manifestations neurovégétatives (fréquence cardiaque, respiration,
transpirations, sensation de « boule au ventre », etc.).
Dans un premier temps, chez les dépressifs par exemple, on retrouve une
augmentation de taille et du volume de l’amygdale suite à son « effort
permanent », puis avec la chronicisation de la maladie une hypotrophie
(réduction du volume) par fatigue. Les traitements médicamenteux
antidépresseurs peuvent avoir un bon résultat dans la première phase, mais
nettement moins dans la deuxième phase (celle d’atrophie amygdalienne).
Certaines études (Beltran et al., 2019) ont montré une efficacité de la prise
en charge par hypnose même dans la phase d’atrophie amygdalienne, ce qui
à mon avis doit presque imposer la prise en charge de ces situations
cliniques par l’hypnose en parallèle du traitement médical. La simple transe
hypnotique implique automatiquement la mise au calme de cette structure,
ce qui va permettre l’application des suggestions à visée
psychothérapeutique plus complexe.
6 En conclusion
– Le degré d’hypnotisabilité est positivement corrélé avec la possibilité
d’obtenir une transe profonde grâce à des caractéristiques de
fonctionnement cérébral habituel chez les personnes hautes
hypnotisables.
– Les moments de rêverie ne peuvent pas se convertir en « transe
spontanée », donc il s’agit d’un processus avec un fonctionnement
cérébral spécifique qui est forcément induit par une importante
activation des réseaux attentionnels au détriment de ceux responsables
de la « rêverie ».
– L’hypnose présente des bénéfices certains dans de nombreuses
situations cliniques difficiles et doit être intégrée à une pratique
beaucoup plus large.
– Les études scientifiques apportent de plus en plus de preuves
concernant le fonctionnement cérébral en transe ainsi que les
explications cartésiennes de certains phénomènes per hypnotiques
comme l’automaticité du mouvement, la paralysie hypnotique, les
dissociations, etc.
Il s’agit d’un patient âgé de 63 ans avec pour antécédents un lupus cutané
sans manifestation systémique31, une gastrite, un kyste synovial (kyste
articulaire bénin). En avril 2004, il présente des douleurs aux deux membres
supérieurs, essentiellement à gauche, associées à des douleurs aux genoux
et à la jambe gauche, avec une sensation de froid aux quatre membres
prédominant à gauche. Ces sensations s’aggravent progressivement avec un
déficit moteur du bras gauche coté à 4 sur 5. Il présente également des
dysesthésies et des paresthésies (troubles sensitifs qui se manifestent par
des fourmillements désagréables et douloureux) au niveau des deux bras,
mais à prédominance toujours gauche.
Il consulte plusieurs médecins, généralistes et spécialistes, qui tournent
autour du problème sans arriver à un diagnostic précis. Finalement, le
patient bénéficie d’une IRM cervicale qui met en évidence un épendymome
(tumeur bénigne) intra médullaire étendue de C1 à C5 avec une portion
kystique à sa partie inférieure. Il s’agit d’une tumeur localisée à l’intérieur
de la moelle épinière (dans le cas présent au niveau cervical) de nature
parfaitement bénigne, mais qui par son développement écrase les structures
nerveuses de la moelle épinière qui sont habituellement en charge des
commandes motrices et de la transmission des informations sensitives dans
pratiquement la totalité de l’organisme.
Pendant les mois et années qui ont suivi l’intervention, la seule « séquelle »
reste les douleurs. M. Adrien ne travaille plus, même s’il a parfaitement
bien récupéré du point de vue neurologique. Il a très peu d’activités, il est
focalisé sur ses douleurs, avec un discours négatif, de « victimisation ». Je
lui propose de rajouter quelques séances d’hypnose. En général, le
protocole que je fais pour mes patients de ce type est de 7 à 10 séances
espacées de minimum 2 semaines. Il accepte en spécifiant qu’il ne croit pas
à l’hypnose et que ses douleurs sont bien réelles, non pas « dans sa tête ».
Ma réponse (comme d’habitude) : On verra bien. À la première séance, je
propose au patient une induction par fixation d’un point de son choix, avec
une suggestion de bien-être qui envahit progressivement le corps. Son choix
ne m’a pas aidée, car le patient avait choisi le bras d’une grue… qui était en
mouvement, et non régulier qui plus est ! Sans doute aussi pour contrecarrer
un peu cette « distractabilité », j’ai amené graduellement l’hypnose
profonde, notamment en insistant sur certains mots. En voici quelques
extraits :
« Et comme vous continuez à continuer à regarder ou à imaginer ce point
pendant que vous pouvez fermer les paupières et même si les paupières ne
deviennent pas lourdes et même si vous n’allez pas laisser ces paupières se
fermer comme pour imaginer ce point ou cet objet ou tous les objets
imaginaires qui peuvent maintenant se former devant vous plus facilement
et beaucoup plus rapidement comme une surprise sur le mur des paupières
qui se ferment maintenant (yeux fermés), ce mur qui est comme un écran
de cinéma et vous pouvez voir si le désir de voir ce que je ne vous dis pas
pendant que vous écoutez ma voix et même si vous n’écoutez attentivement
ma voix… ce qui est là maintenant… sur l’écran qui vous montre
maintenant cette grue qui continue à bouger au même rythme (…) »
Sous les paupières fermées, les yeux de M. Adrien bougent latéralement. Je
suggère que la grue s’arrête de bouger, les mouvements oculaires s’arrêtent,
ce qui me confirme l’installation de la transe. Finalement, les mouvements
de la grue m’ont été utiles pour pouvoir vérifier la profondeur de la transe !
« Comme dans un miroir vous voir maintenant installé confortablement
dans ce fauteuil comme dans un miroir découvrir l’image de Robert (son
prénom : lorsque la transe est bien installée, j’utilise le prénom)
parfaitement calme, avec un bien-être visible et peut-être vous pouvez
chercher dans cette image de Robert le signe parfaitement visible et le
signe parfaitement évident de son bien-être le parfait signe du
changement… et maintenant et tout de suite ou peut-être à votre rythme…
plus tôt vous allez pouvoir décrire ce signe qui devient évidemment d’une
évidence parfaitement évidente. »
Souvent, je pose des questions aux patients pendant la transe. Dans
quasiment 80 % des cas, ils oublient ces échanges.
Patient : Elle est droite.
Moi : Droite ? Quoi ?
Je me demande s’il y a une relation avec ses douleurs neuropathiques qui
étaient prédominantes au membre supérieur droit (main droite).
Patient : Ma colonne… est droite… comme la grue.
L’abord chirurgical, l’opération que j’avais pratiquée pour enlever la tumeur
avait eu lieu au niveau de la moelle épinière cervicale, donc il a fallu
enlever une partie des vertèbres pour pouvoir accéder. Souvent les patients
sont inquiets à cause de cette obligation d’enlever une partie de leur
colonne vertébrale, malgré toutes nos explications rassurantes quant à la
stabilité future de leur rachis. Même s’il avait accepté mes paroles, on
remarque qu’une inquiétude à ce sujet était encore restée présente.
Moi : Bien… elle va pouvoir rester droite comme la grue.
Patient : Oui.
Au réveil : « Je me sens totalement différent, je n’ai plus de corps, ivre,
agréable ». Ces sensations se sont dissipées progressivement après la
séance et il accuse à nouveau la même symptomatologie douloureuse le
lendemain.
▶ Les autres rendez-vous
Mais l’objet de mon écrit n’est pas celui-ci, même s’il y a peut-être
beaucoup à dire…
Lors des deux dernières consultations, il m’a rapporté une aggravation des
douleurs au niveau de la main droite. Je rappelle qu’il présentait en post-
opératoire des douleurs neurogènes aux membres supérieurs avec une nette
prédominance gauche. L’intensification des douleurs à droite, même sans
prise médicamenteuse nouvelle ou augmentation des doses déjà existantes,
m’a fait demander une IRM de contrôle. Celle-ci montrait une
augmentation du kyste avec un aspect de tension intra kystique, donc sur la
moelle. Son kyste post-opératoire était stable depuis des années, mais j’ai
dû le réopérer pour cela 6 ans après la première intervention (en per
opératoire pas de récidive tumorale, donc sa tumeur n’était pas réapparue,
mais le kyste s’était redéveloppé, car une des caractéristiques naturelles de
notre organisme est celle de cicatriser ; pour un neurochirurgien, la «
cicatrisation » naturelle peut poser parfois des problèmes à cause de la
dynamique de la circulation du liquide qui enveloppe notre système
nerveux et à cause des « cicatrices » – nommées par nous « brides » ou «
arachnoidite » –, le liquide se trouve piégé et forme à distance des kystes
qui peuvent devenir compressifs).
Discussion
Cela confirme que l’hypnose peut diminuer dans beaucoup de cas la
douleur, jusqu’à la faire disparaître et améliorer la qualité de vie. Les études
montrent aussi que l’hypnose ne peut pas modifier les caractéristiques les
plus profondes de notre moi, même s’il est complètement inconnu par nous.
Elle ne peut pas changer nos croyances personnelles les plus profondes. Je
pense que l’hypnose, même si elle arrive à diminuer des symptômes bien
réels comme la douleur, ne peut avoir d’incidence sur l’évolution
anatomique d’une pathologie et qu’il n’y a pas de risque qu’elle « cache »
une évolutivité nouvelle éventuelle. Car il est, à mon avis, très étonnant ce
pouvoir qu’a l’hypnose de diminuer des symptômes bien réels, organiques
et d’arrêter cet effet bénéfique au moment où le symptôme nécessite un
autre regard. Dans le cas décrit plus haut, on peut considérer qu’il existe «
un gardien » qui ne va pas être d’accord avec le thérapeute si lesdits
symptômes nécessitent une prise en charge différente (dans notre cas la
chirurgie).
D’une part, l’atteinte anatomique par la poussée du kyste n’a pas été «
masquée » par l’hypnose et d’autre part, il suffit d’être attentif et à l’écoute
de chaque signe, chaque plainte spontanée du patient et ne pas céder aux
habitudes de consultation, en considérant, comme c’était le danger avec
mon patient, que cette nouvelle plainte reste dans le cadre d’une nécessité
autre (psychologique) de garder les bénéfices secondaires.
Il s’agit d’un patient âgé de 82 ans présentant des céphalées, une paralysie
partielle du bras et de la jambe droite, un syndrome confusionnel associés à
des troubles d’expression verbale (parole dysarthrique, mal formulée, oubli
de certains mots). Le scanner montre un assez volumineux hématome situé
dans son cerveau gauche qui comprime le reste des structures nerveuses. Il
présente comme antécédent un diabète, une hypertension artérielle traitée,
des troubles du rythme traités par anticoagulants par voie orale. Une
intervention chirurgicale (évacuation de l’hématome sous hypnose pour
éviter l’anesthésie générale) est décidée en urgence, réalisée en plein milieu
de la nuit, à plus de 3h30, retardée par l’attente d’une hémostase propice à
la réalisation de l’acte. L’entretien pré-opératoire, notamment l’information
nécessaire à la réalisation de l’induction hypnotique, est très peu productif à
cause de la confusion et des troubles phasiques. Les seules informations que
j’arrive à obtenir sont qu’il est retraité, qu’il a 2 enfants et qu’il aime passer
ses vacances à la mer sans aucun détail. Malgré cette anamnèse très limitée,
je décide de faire l’intervention sous hypnose et basculer en anesthésie
générale en cas de problème.
▶ Réalisation de l’acte
Il faut savoir aussi qu’une fois la transe profonde installée, il n’y a plus
besoin de « parler », je ne fais qu’opérer en amenant des suggestions de
temps en temps en fonction du besoin. J’indique systématiquement que
pendant tout le temps qu’on est ensemble (moi et le patient), je peux être
amenée à lui parler, qu’il doit ignorer les bruits autour de lui, que je peux
aussi discuter avec d’autres personnes présentes au bloc et qu’il le saura car
ma voix va changer à ce moment-là. Cette suggestion a toujours bien
fonctionné, excepté dans le cas que je vais décrire. Au moment où je
m’apprête à faire ouvrir son crâne (on utilise une perceuse électrique qui se
nomme trépan), je m’aperçois que le câble n’est pas celui de la marque que
j’avais sur la table, donc je demande à la panseuse de m’apporter le bon
câble.
Patient : Je n’ai pas de câble.
Moi : C’est bien. Peut-être nous allons en trouver un ? Vous êtes où ?
Patient : Sur le transat.
Moi : Sur la plage ?
Patient : Oui.
Moi : Vous pouvez continuer à regarder la mer, confortablement installé sur
le transat, le sable… et chercher ce câble.
Je continue à travailler. J’essaye de fixer le nouveau câble que la panseuse
m’a apporté, mais il n’est pas adapté (il s’agit en effet d’une infirmière qui
travaillait pour la première fois en neurochirurgie). Je m’adresse à nouveau
à la panseuse en lui demandant de m’apporter un autre câble. Je ne
m’adresse pas au patient.
Patient : Madame !!!! (Avec une voix forte et colérique mais toujours
dysarthrique) Les plages d’Espagne sont propres !!! Il n’y a pas de câble.
Moi : C’est très bien. Puis, je lui suggère de rentrer dans la mer, nager et
chercher un câble.
Patient (toujours en colère) : Il est 8h00 du matin. Personne ne rentre dans
la mer !
Je rappelle qu’il est en réalité aux alentours de 4h du matin…
Moi : Pendant que vous restez tranquillement installé sur le transat vous
pouvez regarder le soleil qui se lève, ressentir la chaleur qui enveloppe
votre corps (en même temps, je fais signe à la penseuse d’augmenter la
température de la couverture chauffante)… Puis des suggestions du même
type pendant 2 minutes pour arriver à la fin à une forte chaleur, le soleil qui
est très haut et finalement il est midi, le temps de rentrer dans la mer et
chercher le câble.
Je ne vérifie pas si le patient est rentré ou pas dans l’eau. J’essaye le
troisième câble qui ne marche toujours pas ! Cette fois-ci je commence
également à m’énerver et je demande à la panseuse de m’apporter tous les
câbles du bloc pour que je puisse choisir avant de stériliser. Je ne m’adresse
pas au patient mais il répond à ma demande adressée à la panseuse :
Patient : Oui… Je cherche. (je le sens un peu fatigué)
Moi : Je vous remercie. Nous avons vraiment besoin de ce câble. Je cherche
moi aussi de mon côté.
Finalement je récupère le câble adapté pour la perceuse et j’arrive à réaliser
le volet crânien. J’évacue l’hématome. Je suis contente. Je ne parle pas au
patient, je surveille seulement le scope avec sa fréquence cardiaque. Sans
aucune demande de ma part :
Patient : Je suis dans l’eau. C’est la dernière fois que je vous fais plaisir. Je
vais trouver votre foutu câble !
Moi : C’est bien.
C’est le seul exemple au bloc au cours duquel le patient a pris
pour son compte toutes mes paroles, car habituellement pendant
une séance hypnose au bloc avec ma voix qui change quand je
m’adresse aux autres, les patients le savent. Par ailleurs pendant
l’acte il y a beaucoup de bruit, des gens qui parlent, les
instruments métalliques qui font des bruits forts, les moteurs des
perceuses pour réaliser les trous et couper l’os qui ont le même
son que les perceuses qu’on utilise pour faire des trous dans un
mur, etc. C’est un aspect qui à première vue peut paraître
perturbant pour le déroulement d’une induction hypnotique, mais
en ce qui me concerne est très utile, car au moment où je
constate que le patient n’est plus réceptif à tout ce qui se passe
autour et qu’il n’a aucune réaction aux bruits forts, je sais qu’il a
gagné la profondeur de la transe que je souhaite. En général à
partir de ce moment-là mes paroles prennent une connotation très
directive.
Discussion
Le patient ne s’intéresse pas du tout aux résultats de l’opération. Il continue
d’être fâché car il n’a pas trouvé le câble. Même les jours suivants, il ne me
parle que de l’effort fourni pour le chercher. Il a récupéré le déficit moteur
et la dysarthrie, et même lors des consultations de contrôle à 6 semaines et à
3 mois, il est resté marqué par la recherche du câble, sa pathologie cérébrale
étant passée sur un plan secondaire.
De mon point de vue, même si mon patient n’a pas été content, j’ai été
extrêmement satisfaite car grâce à la transe profonde où le réel n’existait
plus et le virtuel devenait une nouvelle réalité, j’ai pu pratiquer une
opération dont les résultats étaient très satisfaisants. Même si le patient a
conservé ce sentiment de mauvaise expérience de recherche de câble.
Points à retenir
30. Voir notamment : Lewis 2007, Pagnoni 2007, Lutz 2008, Baron 2010, Manna 2010, Berkowich-
Ohana 2011, Kilpartick 2011, Xue 2011, Yu 2011, Hasenkamp 2012, Sato 2012.
31. Absence des signes habituels comme la fatigue intense, maux de tête, atteinte articulaire,
articulations gonflées ou douloureuses, fièvre, anémie, gonflement dans les pieds, les jambes, les
mains, douleur dans la poitrine et/ou essoufflement, etc.
Chapitre 7
Hypnoanalyse et apports de
C.G. Jung
E. Collot
4 Conclusion
Cet état est d’ailleurs partagé par l’analyste, alors qu’il se laisse
glisser dans l’écoute flottante, s’assurant d’une forme d’écoute
attentive à la musique de la langue, aux subtilités du langage,
celles des signifiants (les images évoquées par le mot). Il s’agit
conjointement d’ouvrir le cœur et l’imaginaire qui sont alors
partagés avec ceux du patient. Ce principe de métaphorisation
sera appliqué fréquemment par Milton Erickson qui, ne l’oublions
pas, a étudié la psychanalyse, et qui vers la fin de sa vie selon sa
fille Betty Alice avait une pratique de « guérisseur »
(communication personnelle).
« Faire table rase de nos acquis, oublier un instant nos bagages culturels… se penser au milieu du
Pacifique, de la forêt équatoriale, du désert, observer la ligne d’horizon, s’immiscer dans cet
espace sans épaisseur entre terres et cieux… Être là où je ne suis rien, où je ne suis pas encore né
! Autre façon d’expérimenter le mystère de la poupée de sel de Ramakrishna. » (Collot, 2016)
Le Soi est une entité à part entière, superposable au concept d’âme, non pas
dans le sens religieux mais dans le sens de l’imago dei dans l’homme. Jung
reconnaît ainsi une fonction spirituelle en psychologie. Les concepts
jungiens d’archétype et de synchronicité sont liés à l’Unus Mundus, l’unité
de la création. Les archétypes en seraient les manifestations. La
synchronicité35, définie comme une coïncidence signifiante, ne peut se
concevoir que comme la résultante d’un lien subtil ou d’une union de
l’observateur et du phénomène via l’Unus Mundus. Le modèle de la
psychologie jungienne est ternaire : corps, conscience, esprit ou âme. Enfin
Jung ajoute ce commentaire :
« La solitude n’existe apparemment que lorsque le Soi est un désert…/… Aucune culture de
l’esprit ne suffit à faire de ton âme un jardin. J’avais entretenu mon esprit, l’esprit du temps en
moi, mais pas l’esprit des profondeurs qui se tourne vers les choses de l’âme, le monde de l’âme.
L’âme possède son monde qui lui est propre. N’y pénètre que le Soi ou l’homme qui est
entièrement devenu son Soi, qui n’est donc ni dans les choses, ni dans les humains, ni dans ses
pensées. » (Jung, 2011)
4 Conclusion
Quelle profondeur de l’hypnose ? À quel moment l’hypnose, la transe,
devient-elle profonde ? Au terme de cette présentation, non exhaustive, une
question vient à l’esprit : en présence d’un patient, que recherchons-nous et
pourquoi l’hypnose profonde ?
Nous savons l’influence déterminante de l’inconscient sur le conscient,
nous savons que les directives et suggestions directes n’ont que peu d’effet,
ou des effets limités dans le temps. Un traitement psychothérapeutique sera
d’autant plus efficace que le thérapeute saura lier contact avec l’inconscient
du patient. La profondeur de la dissociation est donc fondamentale. De
même que le sujet pris en charge en hypnoanalgésie sera d’autant plus
anesthésié qu’il sera dissocié, perdu dans les pensées partagées avec le
thérapeute, de même le patient en thérapie sera immergé dans les
profondeurs de son inconscient, là où siègent les résolutions malveillantes,
le saboteur, les traumatismes, l’enfant intérieur qui pleure… mais aussi les
solutions, en particulier par la capacité du sujet en hypnose profonde à
dépasser ses limites habituelles. D’autre part, l’esprit conscient s’avère un
empêcheur d’accéder au changement, pour différentes raisons, comme la
peur de rouvrir les traumas, l’inquiétude d’accroître le mal-être, la crainte
de retrouver des cauchemars, etc. La dissociation voire la double
dissociation exclut la pensée cartésienne et ouvre le champ de conscience.
Enfin, plus la transe est profonde, voire silencieuse, et plus la conscience
s’imprègne d’une forme de sagesse.
Situation 7 : hypnoanalyse
▶ Entretien préliminaire
Discussion
Les exemples cliniques confirment que la dissociation autorise un travail
psychique thérapeutique grâce à la capacité de l’inconscient à réactualiser
les traces des blessures narcissiques non résolues, à ouvrir de nouvelles
voies en laissant la névrose de côté. Ce n’est que lorsque le sujet décide
d’aller à la rencontre de son âme qu’il achève un processus de réalisation et
entre dans la phase de régression profonde. L’état d’hypnose est un état de
transe qui se retrouve et est utilisé dans de nombreuses techniques, la pleine
conscience, l’EMDR, la sophrologie, le troisième niveau du Training
autogène de Schultz, le yoga Nidra, le Rêve Eveillé Dirigé, la méditation
tibétaine, etc. La psychothérapie analytique bénéficie d’une transe légère à
profonde, indispensable à la libre association, à la régression et au travail
d’individuation. Toutes ces techniques requièrent un état de transe tel que
nous l’utilisons en hypnothérapie, seules les modalités thérapeutiques
utilisées les différencient, parfois considérablement, y compris dans les
différentes formes d’hypnothérapie. En ce sens le terme de nouvelle
hypnose n’est pas pertinent. Ce sont les techniques qui se différencient,
l’état est évidemment le même, plus ou moins profond. L’alliance
thérapeutique est un des éléments clefs de la réussite d’un soin
psychothérapeutique, et le cadre doit être fixé rapidement dès les premières
séances.
32. Médecin, Jacques Palaci (1915-1995) était diplômé de Columbia University et du William
Alanson Institute. Président de la National Psychological Association for Psychoanalysis de 1959 à
1961.
33. À noter que l’autiste peut selon cet auteur et dans certaines conditions se renfermer sur lui-même,
accédant alors, selon moi, à une forme de transe.
34. Alexandre Berzin le présente ainsi : « Le Mahamoudra, ou Mahamudra, est un corpus
d’enseignements que l’on retrouve dans nombre d’écoles du bouddhisme tibétain. Il présente des
méthodes qui permettent de comprendre véritablement la nature même de notre propre esprit, nous
conduisant ainsi à l’illumination. Les approches pour atteindre ce but peuvent différer légèrement
selon les écoles, mais peu importe celle que nous adoptons car, de toute façon, travailler sur la nature
réelle de notre esprit donne un sens incroyable à notre vie » (http://urlr.me/pBGsk consulté le 11
octobre 2021).
35. La synchronicité est un principe non causal ou acausal, décrit conjointement par C.G. Jung et le
prix Nobel de physique Wolfgang Pauli.
36. Voici ce qu’écrit Götz : « Il fixa donc notre rendez-vous à neuf heures du soir. Après s’être
intéressé à mon état de santé, il m’interrogea sur mes études, et je lui parlai alors avec enthousiasme
des lectures de la Bhagavadgita auxquelles j’assistais à l’université, lors d’un cours de Leopold von
Schroeder. Je n’avais quasiment pas commencé à parler que Freud se leva et commença à marcher
dans la pièce à longs pas. « Fais attention, mon garçon, fais attention », s’exclama-t-il dès que j’eus
terminé. « Tu as sans doute tes raisons pour faire preuve d’autant d’enthousiasme, tes mots
témoignent de l’impétuosité de ton cœur. Le cœur a toujours raison, mais cherche néanmoins à garder
l’esprit froid, comme tu l’as fait jusqu’à présent. Ne baisse pas la garde. Un intellect clairvoyant et
limpide est le plus grand des biens. Le poète de la Bhagavadgita serait le premier à en convenir. Sois
attentif, garde les yeux bien ouverts, prend conscience de toute chose, sois d’un courage indéfectible,
mais ne te laisse pas éblouir, ne te trompe pas. La Bhagavadgita est un poème grand et profond, mais
il ouvre sur des abîmes. Et elle demeure au-dessous de moi dans la rose lumière, récite le plongeur de
Schiller, qui jamais n’est revenu de sa deuxième et téméraire tentative. Si, en revanche, tu te plonges
dans la lecture de la Bhagavadgita, là où rien ne semble assuré et où toute chose se confond avec
toute autre, sans l’aide d’une intelligence lucide, dans ce cas tu te trouveras tout d’un coup face au
néant. Est-ce que tu sais ce que veut dire « se trouver face au néant » ? Est-ce que tu peux même
seulement l’imaginer ? Et pourtant un tel néant n’est que le fruit d’un malentendu de notre part, à
nous Européens : le nirvâna hindou n’est pas le néant mais ce qui dépasse toute contradiction. Il n’est
pas, comme les Européens le croient trop souvent, une extase des sens, mais la dernière étape de
l’entendement humain. Une intuition sidérante, omnicompréhensive et difficile à représenter. Or, s’il
est mal compris, il amène tout droit à la folie. Qu’est-ce que ces soi-disant mystiques d’Occident
comprennent à la profondeur de l’Orient ? Ils s’imaginent des choses, mais ils ne savent rien. Et puis
ils s’étonnent lorsqu’ils perdent la tête, et souvent ils perdent la raison – ils se perdent littéralement. »
« Se réjouisse qui respire dans la rose lumière ». Allusion au poème de Schiller dans lequel un page
descendu dans les entrailles de la Terre ne revint jamais.
37. – ELECTRE. Où nous en sommes ?
– LA FEMME NARSES. Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment qu’il se
passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se
lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire,
et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables
agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
– ELECTRE. Demande au mendiant. Il le sait.
– LE MENDIANT. Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore.
– RIDEAU
Chapitre 8
L’anthropologie animale au
service de l’hypnose
profonde
J.C. Lavaud
1 Un clivage obsolète ?
4 La métaphore vivante
7 En conclusion
1 Un clivage obsolète ?
Poser un regard anthropologique sur la profondeur de la transe en général et
de l’hypnose en particulier nécessite de s’interroger sur le vieux clivage
occidental entre nature et culture. Issu d’une longue tradition philosophique,
il trouve son apogée au xxe avec d’un côté le monde du sauvage, du non
domestiqué, de ce qui échappe aux humains, et de l’autre celui de la
maîtrise de la nature, de la technique, de l’art, de l’industrie, et du prima de
la conscience réflexive, l’apanage de l’humain, qui prive de facto tous les
autres vivants de la faculté de conscience. Le philosophe Michel Henry
évoque cette mésestime du vivant non humain, qui nous a séparés des autres
vivants : « Avec cette conscience qui se propose comme un sujet opposé à
l’objet et, de plus, comme un moi, ou comme habitée par un moi, ne
sommes-nous pas en présence d’une dimension subjective d’intériorité
différente du monde et opposée à lui ? » (Henry, 1978)
S’il faut conserver notre conscience réflexive pour demeurer humain,
comment l’hypnose peut-elle être autre chose qu’un état où l’on garde la
maîtrise de nos actes, où la conscience de soi en reste le parangon ? À ce
sujet, en 2005, le regretté Thierry Melchior explique que d’un côté on a les
éléments de la nature qui obéissent à des lois naturelles et déterministes, et
de l’autre le monde des humains, régi par le libre arbitre et le choix
d’édicter des règles, en conscience. Ces lois choisies font de nous des êtres
responsables de nos actes : « Pas question que l’on permette que l’on
esquive ses responsabilités, c’est là une exigence extrêmement forte de
notre système culturel. Pas question donc, de laisser quelqu’un “faire
semblant” qu’il n’est pas responsable alors qu’il l’est. » Ou alors, explique
Melchior, il faut un coupable ! Il fut un temps, dit-il, où la personne,
possédée par le diable, ne jouissait plus de son libre arbitre, de sa
responsabilité individuelle. Aujourd’hui, le coupable est plutôt un produit
toxique ingurgité ou injecté, une altération du système nerveux, ou encore
une maladie psychiatrique, quelque chose qui, faisant passer l’individu du
côté de la non-responsabilité, le fait glisser chez les non-humains. Si nous
ne sommes plus en capacité d’user en conscience de notre libre arbitre, nous
versons du côté du sauvage… Ainsi, les états de possession et l’hypnose
profonde, caractérisés par l’absence de contrôle de soi, seraient de l’ordre
de notre animalité et non de notre humanité.
Mais aujourd’hui, de nouveaux paradigmes se font jour, et d’un point de
vue anthropologique, la Nature est maintenant différemment pensée. Les
travaux de Philippe Descola proposent un nouveau mode de relation entre
les éléments du vivant, incluant une continuité entre non-humains et nous
(2005 ; 2014). En nous proposant de dépasser nos propres clivages, il ne
récuse pas le dualisme « nature-culture », mais plutôt nous invite à le penser
dans une perspective historique occidentale, et de ce fait, il demande que ce
dualisme ne soit pas ou plus considéré « comme une grille de lecture
universelle sur des manières d’articuler les humains et les non-humains que
d’autres civilisations ont systématisées dans de tout autres constructions
culturelles » (2011).
Inspiré par les travaux de Gregory Bateson – un temps l’époux de
l’anthropologue Margaret Mead, tous les deux intimes de la famille
Erickson – Descola propose une écologie des relations, où « les organismes,
les outils, les artéfacts, les divinités, les esprits, les processus techniques, ne
soient plus appréhendés simplement comme un entourage, comme des
ressources, comme des représentations plus ou moins illusoires, comme des
facteurs limitants ou comme des moyens de travail, mais bien comme des
agents en interaction avec des humains dans des situations données. »
(ibid.)
Grégory Bateson s’interrogeait sur « la structure qui relie toutes les
créatures vivantes ». À l’instar des peuples que Mead et lui côtoyaient pour
leurs études sur la transe profonde, il cherchait ce qui englobait dans un
ajustement permanent tout le monde vivant, flore et faune comprises : «
Quelle est la structure qui relie le crabe au homard et l’orchidée à la
primevère ? Et qu’est-ce qui les relie, eux quatre, à moi ? Et moi à vous ?
Et nous six à l’amibe, d’un côté, et au schizophrène qu’on interne, de
l’autre ? (…) Quelle est la structure qui relie toutes les créatures vivantes ?
» (1984)
C’est à partir du dépassement quasi ontologique du clivage « nature-culture
» que thérapeutes et patients peuvent, dans des états d’hypnose profonde,
prendre contact avec leur animalité sans craindre de terminer aux urgences
psychiatriques !
4 La métaphore vivante
Malarewicz (1990) le précise : « la métaphore augmente les chances pour
la réalité d’être effectivement “mobilisée” ». Elle déstabilise le symptôme
et propose au patient des pistes pour exister différemment. Elle est
potentiellement « libératrice » lorsque le thérapeute arrive à jongler avec les
représentations animales du patient. Ces dernières, « si fortement et
fréquemment incarnée[s] par des images tropiques », donnent « la parole
humaine aux bêtes ainsi que le fait la littérature animalière » (Desblaches,
2011). Dans la transe, il s’agit de parler le langage du patient tout en
l’accompagnant dans ses perceptions animales. S’il est un ours, ce pourrait
être l’odorat subtil, la lourdeur et l’agilité, la puissance, etc. Ordinairement,
l’humain se projette dans le passé et le futur. Or la force de l’animal est
d’être résolument ancré dans le présent. Ainsi, la métaphore animale tire sa
puissance de l’instant. C’est ce qui fait son charme !
Voici ce que Erickson préconise :
« Vous devez apprendre à lier votre intonation et vos inflexions de voix à la réponse hypnotique
souhaitée, (…) vous utilisez un ton de voix distinctif que la personne relie inconsciemment au
comportement de réponse. (…) Votre choix des phrases, l’accent que vous donnez, votre emploi
des termes – tout cela tend à approfondir indirectement la transe. » (Erickson, 1965-a)
Ainsi, dans sa propre transe, le thérapeute doit « être » le lion, l’ours, le
gorille… l’animal qui vient.
7 En conclusion
Ainsi, l’utilisation de l’animal-force dans la transe profonde s’inscrit dans
l’histoire de l’hypnose. Et comme souvent, Milton Erickson nous a montré
le chemin.
D’une certaine façon, nous pourrions dire que la « transe animale » permet
au patient de se bâtir un Nouveau monde, dont on suppose qu’il va avoir
des effets de transformation pour la personne, dans son quotidien. Dans
cette perspective de recherche thérapeutique, avec la transe animale réalisée
en hypnose profonde, le patient découvre des solutions, renoue avec ses
ressources, retrouve de l’énergie de façon similaire à ce que Patricia Merli
décrit du voyage chamanique occidental, le tambour et le groupe en moins
(Merli, 2019). Le scénario et la mise en scène en sont cependant fort
différents puisqu’en hypnose, il n’est pas proposé de voyager dans les
mondes d’en bas et d’en haut comme dans la transe menée par le chamane,
mais de construire de façon indirecte le changement.
Si les personnes qui ont culturellement une certaine familiarité avec les
transes entrent plus facilement en hypnose profonde, la plupart du temps
cela nécessite de la préparation et des ajustements. Aussi, pendant le recueil
d’informations – qui permet de connaître de quoi est peuplé le monde
imaginaire du patient et les référents culturels qui le structurent – j’utilise
des éléments de focalisation, par exemple en laissant l’un de mes bras se
soulever, coude appuyé sur l’accoudoir, puis en laissant la main en l’air,
effectuant de légers balancements quasi imperceptibles ou en utilisant mes
lunettes à la façon d’un pendule. Que la personne ait le regard focalisé sur
cette main, ou qu’elle soit simplement dans son champ visuel, cette
technique permet le plus souvent un relâchement du corps. Cette séquence
est accompagnée d’une reformulation qui a un effet de saturation, une
certaine confusion, suivie d’un silence que la focalisation rend acceptable.
S’ensuit la proposition d’entrer en hypnose avec une induction de type
elmanienne : j’invite le patient à produire une lévitation de l’un des deux
bras, que j’accompagne par la lévitation de mon bras, en miroir avec le sien,
puis d’une descente « en même temps que les paupières vont se clore… et
lorsque le bras tombera sur l’accoudoir, vos yeux se ferment une première
fois ». J’induis la transe par étapes, en suggérant de s’installer
convenablement, à la place qui convient, avec un balayage corporel. « Une
première fois, je suggère aux paupières de se soulever » et mon bras se
soulève tout en même temps, refocalisant à nouveau le patient. « Une
deuxième fois, vos paupières se ferment, deux fois plus profondément que
la première fois… » et cette fois-ci, je suggère de s’isoler du monde, des
bruits alentour. « Et une deuxième fois, vos paupières se soulèvent… puis
se referment vingt fois plus profondément que la deuxième, vingt-deux fois
plus profondément que la première… profondément fermées. » Enfin, le
patient maintenant isolé du monde, je propose de prendre contact avec
l’infiniment petit du corps, l’oxygène de l’air qui régénère les cellules, le
gaz carbonique qui s’évacue avec le souffle, permettant aux tensions qui
subsistent encore « de se relâcher… les traits du visage, la bouche, le
masque social que l’on reprend chaque matin devant le miroir et qu’on
lâche le soir… pour dormir… »
Je mets en place un signaling, moyen de communication « hors les mots »
qui permet au patient d’entrer plus profondément en lui-même. Ce signaling
formel ne sera pas systématiquement utilisé. Cela dépendra de ce qui se
passera dans la transe.
Nous sommes là dans un processus de changement de l’orientation vers la
réalité de la personne, ainsi les suggestions sont plus pertinentes lorsque le
thérapeute connaît les caractéristiques de l’animal qui se présente au
patient. Mais comme il est impossible d’être informé sur tous les animaux,
il peut y avoir des surprises et dans ce cas, en observant sa propre transe –
en se dissociant – le thérapeute peut laisser son intuition révéler des
constituants qu’il connaît, mais qu’il ne sait pas qu’il connaît. Je me
souviens d’un patient se décrivant comme « haut potentiel et hyper sensible
». Voilà que la pieuvre se présente à lui. À cet instant, je suis démuni,
convaincu de ne rien connaître de la pieuvre. Dans ce cas, il n’y a qu’une
seule solution, entrer en transe avec le patient. Après un temps qui me parut
bien long, me vint à l’esprit que cet animal a plusieurs cerveaux et plusieurs
cœurs, ce qui fut bien utile pour cette personne.
Chaque animal utilise ses propriétés en fonction de sa nature et son
comportement varie en fonction du contexte dans lequel il est. L’agressivité
et la douceur se manifestent différemment selon qu’il s’agisse d’une tortue
ou d’une panthère.
Pour ressentir comme un animal, toutes les perceptions, les sensorialités,
dont l’intuition, l’équilibre, la proprioception, etc. sont mobilisables.
J’utilise également la notion de « force » : la vigueur, la résistance, l’agilité,
l’habilité, la capacité à se défendre, à traverser les épreuves et à s’adapter
aux changements.
▶ Qui sont-ils ?
Les grands mammifères ont le chic de souvent venir : lion ; tigre ; jaguar ;
taureau ; éléphant ; ours, mais aussi des oiseaux (aigle ; hibou), etc. Parfois,
des animaux décriés surgissent : le serpent, le requin, boucs émissaires de
nos peurs. Nous avons moins peur du loup aujourd’hui qu’il y a un siècle !
Mais nos représentations sont instables et nos peurs peuvent changer de
territoires, comme les loups…
A priori, les animaux fragiles et vulnérables tels les poussins et autres
chatons sont peu adaptés pour faire face à des difficultés aussi colossales
que l’anxiété et sa cohorte de manifestations. Pourtant, il est arrivé qu’un
escargot fasse son apparition. C’est qu’il est utile l’escargot, lorsque la
personne a besoin de se poser, de se laisser guider par sa lenteur, par sa
présence silencieuse.
Enfin, dans la transe hypnotique comme dans la vie, l’animal ne juge pas,
n’analyse pas, n’a pas besoin de comprendre. Il vit la situation telle qu’elle
est, et il accompagne la personne avec ce qu’il sait faire, avec ce qu’il sait
être, dans la transe.
Lorsque pendant l’induction telle que décrite plus haut, le patient présente
les signes d’entrer en hypnose, je suggère une plus grande profondeur de la
transe en insérant une induction rapide accompagnée d’un petit claquement
de doigts : « Quel est l’animal puissant qui vient là, maintenant, comme le
nez au milieu de la figure ? » La réponse fuse aussitôt et l’animal arrive
immédiatement. Je n’ai jamais vu de refus ou d’impossibilité de répondre à
cette question. Nous sommes dans la dimension du sauvage, du non-
domestiqué, et contrairement à ce à quoi nous pourrions nous attendre, il est
rare que ce soit l’animal préféré (son chat tout doux ou un bon toutou) qui
vienne. L’arrivée soudaine d’un animal puissant provoque une légère peur.
Ici, pas de confort, pas de lieu sécure, mais au contraire, une déstabilisation,
comme on le dit habituellement : « On sort de sa zone de confort ». Ce que
la personne est venue régler n’est pas une mince affaire, mais souvent
quelque chose qui, tout en handicapant le rythme de vie, en structure
l’essentiel. La sécurité suffisante est assurée par la présence du thérapeute,
présence qui permet d’oser avoir peur.
Alors qu’il a surgi « comme le nez au milieu de la figure », l’instant
d’après, l’animal apparaît éloigné (les patients disent « d’une bonne
centaine de mètres ») et s’approche maintenant lentement d’eux,
progression durant laquelle j’accompagne la personne dans cette
identification. Ce n’est que lorsque la transe est profonde que cette
incorporation (du latin incorporatio, le fait de devenir corps) devient réelle :
« Je n’étais plus Isabelle, j’étais hibou » dit cette patiente en recherche de
sérénité, qui ajoute qu’en étant hibou et non plus « Isabelle » elle ressentait
une plénitude d’être, une absence de vide.
Lorsqu’il est enfin tout près du patient, je précise : « Vous êtes au sens strict
comme lui. Vous êtes (tel ou tel animal) et il vous identifie comme étant de
la même nature que lui. Il vous perçoit comme l’un des siens. Il vous
connaît, il vous reconnaît. »
Cela permet au patient de franchir sa peur : « Vous êtes comme cet animal.
Il est là, à côté de vous et vous êtes à côté de lui ». Cette superposition de
deux réalités permet de travailler deux orientations, la réalité qu’il souhaite
transformer et une réalité hallucinée qui permet de mobiliser des ressources
pour aider à résoudre le problème.
Présentation du suivi
▶ Première séance
Avec le tigre, nous sommes dans le monde des félins. Et quel félin
! Les patients s’étonnent toujours de voir le plus grand carnivore
du règne animal surgir dans leur transe hypnotique. Il faut dire
que sa réputation de mangeur d’hommes est des plus terrifiante. Il
aurait coûté la vie à plus d’un million d’Asiatiques en l’espace de
quatre siècles, essentiellement en Inde et dans le sous-continent.
En 1884, Rudyard Kipling, dans Le Livre de la jungle, nous montre
avec force et terreur le tigre du Bengale Shere Khan (le «
seigneur lion » en langues hindi et ourdou). Le tigre y est en
bonne entente avec les autres animaux, et c’est aux humains qu’il
en veut – et à Mowgli particulièrement – ce qui lui vaut d’être plus
méprisé que craint par le monde animal. Avec Walt Disney,
changement de ton. Shere Khan est présenté comme un animal
cruel, qui aime tuer et qui s’amuse à chercher Mowgli à cette fin.
Avec Disney, le tigre est un prédateur craint de tous par son
sadisme – il donne au petit d’homme une fausse occasion de fuir,
histoire de prendre son temps pour le tuer. Tout le monde dans la
jungle est conscient que c’est un arrogant, qui ne respecte
personne. Un dangereux assassin, pour ne pas dire « un tueur en
série ». Lui-même sait sa malfaisante réputation, adorant jouer de
la peur que la seule évocation de son nom inspire. « Votre altesse
» – comme disent les vautours – s’amuse à effrayer les rapaces
d’un simple « bouh » dédaigneux.
Dans le remake réalisé par John Favreau en 2016, le voici en être
absolument impitoyable, manipulateur, froid et monstrueux, cruel,
violent, destructeur, assoiffé de sang. Ces tableaux peu flatteurs
ont du mal à être rééquilibrés par le gentil Tigrou de Winnie
l’Ourson (créé par Milne en 1926) et le sympathique Hobbes,
compagnon de Calvin (Bill Watterson en 1985).
Lorsque Gauthier (le tigre) est revenu me voir 15 jours plus tard, il est
arrivé sans son masque : « C’est réglé ! Je n’ai plus l’odeur de cadavre en
putréfaction dans le pif ! Formidable ! » Voyons ce dont le patient se
souvient de la séance.
– Quand le tigre est arrivé, j’ai eu très peur. Je me suis dit qu’il allait me
bouffer. Et puis, ma transformation en tigre a rapidement levé cette
peur… alors ça allait. Ensuite, j’ai senti l’odeur, mais c’était une super
bonne odeur. La même odeur infecte, mais différente. Alors je suis
arrivé sur la charogne. Impossible de savoir ce que c’était. Ça sentait
fort, mais ça me plaisait. Peut-être les restes d’un sanglier. Déjà, à ce
moment-là, je savais que mon problème était réglé. Et j’étais prêt à
boulotter la charogne quand sur ma droite, il y a eu un léger bruit. Je
ne sais pas pourquoi, mais j’ai tout de suite su que c’était une jeune
biche. J’ai immédiatement laissé la charogne et j’ai poursuivi la jeune
biche… et je l’ai tué… et mangé…
– … Impressionnant… et comment ça s’est passé avec les odeurs ?
[En réalité, l’odorat n’est pas le sens le plus développé du tigre qui se
fie mieux à son ouïe et, comme tous les félins nocturnes, à sa vue
perçante. Mais ici cela n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est le
fait que le patient accroche à ce qui est proposé.]
– Déjà, j’étais un tigre, et vous m’avez stimulé là-dessus, alors très vite
l’odeur de charogne s’est avérée agréable. Je ne connais rien aux
tigres, mais je suis sûr qu’ils aiment les odeurs comme ça. Ensuite,
j’ai entendu la biche. Et puis j’ai senti son odeur, très douce, un peu
crottée. Et là, d’un seul coup, les deux odeurs se sont mélangées et j’ai
choisi instinctivement de laisser tomber la charogne et de sauter sur la
biche.
– Et une fois sorti d’ici ?
– D’abord je dois vous dire que j’étais un peu bizarre à la sortie de votre
cabinet. Mais ne vous inquiétez pas, je n’ai agressé personne ! C’est
juste que j’étais étrangement bien. D’ailleurs, je n’ai pas remis mon
masque tout de suite. J’ai attendu de voir ce qu’il se passait, je suis
entré dans ma voiture, et j’ai observé. Toujours rien ? Pas de sensation
nauséabonde. J’ai conduit calmement et une fois chez moi, j’ai voulu
mettre le masque. J’ai hésité, je suis rentré et j’ai reniflé partout, mais
rien. J’étais presque déçu et ce sentiment m’a mis en colère, alors j’ai
jeté le masque à la poubelle, j’ai ouvert une boîte de cassoulet que j’ai
mise sur le feu. Et là, j’ai attendu que les odeurs de cassoulet arrivent
à mon nez. À ce moment-là, mon épouse est arrivée. Elle m’a regardé,
elle était intriguée, m’a demandé ce qu’il se passait. J’ai expliqué
l’histoire du tigre, la séance… et le cassoulet sentait tellement bon !
C’était fini. On a ouvert une bouteille de vin pour fêter ça. Voilà. »
Maintenant, Gauthier veut retrouver, dit-il, « le goût du deuil ». Une bien
étrange expression qui a encore à voir avec la sphère ORL.
Plusieurs éléments vont l’aider à atteindre son objectif : dans l’hindouisme,
la divinité Maa Durga est une Shakti (la force de l’épanouissement du Soi),
énergie féminine de Shiva. Elle chevauche Damon, le tigre. Il représente le
pouvoir illimité de Durga, au service de la vertu contre le mal. Le tigre
quant à lui, est considéré comme le lien entre l’être humain, la Terre et le
règne animal, entre le monde sauvage et celui du village.
Mais évidemment, il ne s’agit pas de demander directement à une divinité
d’aider un simple mortel. Pendant la séance d’hypnose, je vais donc
simplement suggérer un chemin sur lequel il pourra associer son
comportement aux propositions de phrases ou de mots que je vais lui faire.
L’entrée en hypnose est cette fois-ci rapide. Gauthier devance mes
inductions, il est en quelque sorte en autohypnose. Il présente des signes
d’état profond. Je lui propose d’être sur le chemin qui mène au temple et, au
fur et à mesure qu’il avance, je lui suggère d’incorporer les qualités qu’il
possède, certaines parfaitement bien et d’autres moins, toutes en lien avec la
déesse Durga : la créativité, la fécondité, la force, le courage. Le tigre est là,
symbole de la victoire sur toutes les forces négatives. C’est une invitation
au détachement, à la connaissance de soi, la générosité et le discernement.
C’est une séance longue, lente où je fais peu de choses, en dehors de ce
chemin qui reste la quintessence de ma digestion métaphorique. En fin de
séance, le patient mettra plusieurs minutes à se réassocier, moment qu’il
marquera d’un grand sourire.
Discussion
On constate qu’en hypnose profonde, les transformations sont rapides. Les
analogies de personnification sont des canaux d’ouverture particulièrement
efficaces pour les modifications sensorielles. Il est fréquent qu’une odeur,
une image, etc. cristallisent un conflit intérieur, un trauma. On ne fait pas
grand-chose en étant un animal, ou une source, ou une pierre, mais ce
simple fait permet d’exister à nouveau, parce que l’on ne sollicite que le
corps, rien d’intellectuel, rien de mental. Un corps qui se transforme,
transmute et ressent le poil de la bête, la limpidité de l’eau, la dureté de la
pierre, la capacité à supporter la douleur. Au fond, l’état d’hypnose
profonde nous réveille de nos cauchemars d’humain.
Notons également qu’il est sans doute plus aisé d’utiliser la force des
mauvaises transes (ici l’odeur) lorsqu’on est en hypnose profonde, en étant
dissocié de son « moi humain ».
Si l’on peut évidemment utiliser les éléments culturels, quel que soit le
niveau de profondeur de la transe, il me semble que lorsqu’il s’agit
d’éléments à caractère religieux ou mystique, plus la transe est profonde,
plus la personne s’autorise à être présente à son dieu, sa divinité, sa
croyance, sans avoir besoin de rien d’autre que d’être dépouillé de tout, sauf
de soi.
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
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