Document 20241112 032727

Télécharger au format doc, pdf ou txt
Télécharger au format doc, pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 7

Cour de cassation - Deuxième chambre civile — 23 mai 2024 - n° 22-11.

175

Cassation
ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C200458
Formation de diffusion : FS B
numéros de diffusion : 458

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 23 mai 2024

Cassation

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 458 FS-B

Pourvoi n° B 22-11.175

RÉPUBLIQUEFRANÇAISE

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 MAI 2024


Mme [I] [S], domiciliée [Adresse 2] (Ukraine), a formé le pourvoi n° B 22-11.175 contre l'arrêt
rendu le 28 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans le litige
l'opposant :

1°/ à M. [E] [K], domicilié [Adresse 1],

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Caillard, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan,
avocat de Mme [S], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience
publique du 3 avril 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Caillard, conseiller
rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mmes Grandemange, Vendryes, M.
Waguette, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, Latreille, Chevet, conseillers référendaires, M.
Adida-Canac, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-


5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré
conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 2021) et les productions, de l'union de M. [K] et de
Mme [S] est né l'enfant [N], [G] [K] le 6 octobre 2015. La famille a résidé en Ukraine à compter
de septembre 2018.

2. Alors qu'une procédure judiciaire était en cours devant le juge ukrainien concernant la
détermination des modalités d'exercice de l'autorité parentale envers l'enfant, son père, M. [K] l'a
ramené d'Ukraine en France, le 11 avril 2019.

3. Le 28 avril 2020, Mme [S] a saisi l'autorité ukrainienne d'une demande de retour de l'enfant,
sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de
l'enlèvement international d'enfants.
4. Le 30 novembre 2020, le procureur de la République d'un tribunal judiciaire a assigné M. [K]
devant un juge aux affaires familiales, à cette fin. Mme [S] est intervenue volontairement à
l'instance.

5. Par jugement du 21 janvier 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire a


constaté que le déplacement de l'enfant était illicite et que l'enfant s'était intégré depuis mai 2019
en France. Il a rejeté la demande de retour de l'enfant mineur en Ukraine.

6. Mme [S] a relevé appel de cette décision le 26 janvier 2021, en intimant M. [K] et le procureur
général. L'affaire a été orientée à bref délai.

7. Par ordonnance du 15 juin 2021 dont Mme [S] a relevé appel, le président de la chambre saisie
a déclaré caduque la déclaration d'appel en constatant que l'appelante n'avait signifié sa
déclaration d'appel qu'à M. [K] et non au procureur général.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Mme [S] fait grief à l'arrêt de déclarer caduque sa déclaration d'appel à l'égard du ministère
public et de M. [K], alors « qu'aux termes de l'article 905-1 du code de procédure civile, lorsque
l'affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l'appelant signifie la déclaration
d'appel dans les dix jours de la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à
peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office par le président de la chambre ou le
magistrat désigné par le premier président ; que cependant, si, entre-temps, l'intimé a constitué
avocat avant signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son
avocat ; qu'en application de l'article 902 du même code, le greffe qui reçoit une déclaration
d'appel relevant de la procédure avec représentation obligatoire par avocat adresse aussitôt cette
déclaration à l'intimé pour lui permettre de se constituer ; que l'objectif recherché par la
signification de la déclaration d'appel à l'intimé est uniquement de remédier au défaut de
constitution de ce dernier à la suite de ce premier avis du greffe, l'acte de signification rappelant
que l'intimé qui ne constitue pas dans les quinze jours suivant cet acte s'expose à ce qu'un arrêt
soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ; que le ministère public,
étant dispensé de constituer avocat lorsqu'il est partie à l'instance d'appel, l'appelant est par
conséquent lui-même dispensé de signifier la déclaration d'appel au procureur général qui en a
reçu communication par le greffe dès son dépôt par l'appelant ; qu'en déclarant caduque la
déclaration d'appel au motif que Mme [S] n'avait pas signifié au procureur général sa déclaration
d'appel dans les dix jours de l'avis de fixation, la cour d'appel a violé les articles 905-1, 902 du
code de procédure civile, L 312-7 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article 905-1, alinéa 1, du code de procédure civile, lorsque l'affaire est fixée à bref
délai par le président de la chambre, l'appelant signifie la déclaration d'appel dans les dix jours de
la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la
déclaration d'appel relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le
premier président ; cependant si entre-temps, l'intimé a constitué avocat avant signification de la
déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat.

10. Ce texte, qui n'établit aucune distinction selon la qualité de l'intimé et ne prévoit aucune
exception à la règle quand l'intimé est le procureur général, doit être interprété en ce sens que
l'appelant est tenu de signifier sa déclaration d'appel au procureur général lorsqu'il est intimé.

11. Le moyen, qui procède d'un postulat erroné, manque en droit.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

12. Mme [S] fait le même grief à l'arrêt, alors « que dès lors que l'obligation faite à l'appelant, par
les articles 902 et 905-1 du code de procédure civile, de signifier la déclaration d'appel à l'intimé
tend à remédier au défaut de constitution de ce dernier à la suite du premier avis du greffe,
imposer à l'appelant cette obligation à l'égard du ministère public, partie à l'instance d'appel qui
est dispensée de constituer avocat, sous peine de caducité de la déclaration d'appel revient à lui
imposer une charge procédurale inutile dont la sanction le prive définitivement de son droit de
former appel principal et constitue en conséquence une atteinte disproportionnée et injustifiée au
droit d'accès au juge consacré par l'article 6§1 de la convention de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en déclarant caduque la déclaration d'appel de Mme
[S] au seul motif qu'elle n'avait pas signifié au ministère public sa déclaration d'appel dans les dix
jours de l'avis de fixation, la cour d'appel a violé la disposition conventionnelle susvisée. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés


fondamentales, les articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects
civils de l'enlèvement international d'enfants et les articles 905-1 et 1210-4 du code de procédure
civile :

13. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et
impartial.

14. En application des deuxièmes, les autorités centrales instituées par la Convention doivent
coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs
Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants. En particulier, elles doivent prendre
toutes les mesures appropriées pour introduire ou favoriser l'ouverture d'une procédure judiciaire
ou administrative, afin d'obtenir le retour immédiat de l'enfant.

15. Selon le quatrième, l'autorité centrale désignée dans le cadre des instruments internationaux et
européens relatifs au déplacement illicite international d'enfants transmet au procureur de la
République près le tribunal judiciaire territorialement compétent la demande de retour dont elle
est saisie. Lorsque la demande concerne un enfant déplacé ou retenu en France, le procureur de la
République peut, notamment, saisir le juge compétent pour qu'il ordonne les mesures provisoires
prévues par la loi ou introduire une procédure judiciaire afin d'obtenir le retour de l'enfant.

16. Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient
cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit
s'en trouve atteint dans sa substance même.

17. En matière de mise en oeuvre d'une procédure de retour des enfants, la Cour européenne des
droits de l'homme, dans l'arrêt [P] c. France du 5 novembre 2015 (n° 21444/11, § 65 et 66), a
retenu, en vertu de la Convention de La Haye et de l'article 6, § 1, de la Convention de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'au vu des conséquences
entraînées par l'irrecevabilité du pourvoi provoqué du père, tenant essentiellement à
l'irrecevabilité du pourvoi principal due à une négligence du procureur qui avait un rôle central et
particulier dans la procédure de retour immédiat des enfants sur le fondement de la Convention
de La Haye, le père s'était vu imposer une charge disproportionnée qui rompait le juste équilibre
entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les
juridictions et, d'autre part, le droit d'accès au juge. En effet, le requérant n'avait pu voir examiner
par la Cour de cassation l'argument principal soulevé, à savoir qu'il n'existait aucun élément
susceptible de constituer une exception au retour immédiat des enfants au sens de l'article 13 a)
de la Convention de La Haye, alors que la procédure de retour d'enfants est susceptible d'avoir
des conséquences très graves et délicates pour les personnes concernées.

18. Pour confirmer l'ordonnance ayant déclaré caduque la déclaration d'appel de Mme [S], après
avoir constaté que le ministère public avait conclu devant la cour d'appel, l'arrêt retient, par
motifs propres et adoptés, que l'appelante, qui a intimé dans sa déclaration d'appel tant M. [K]
que le procureur général près la cour d'appel, n'a signifié sa déclaration d'appel qu'à M. [K], non
au procureur général, contrairement à ce qu'exige l'article 905-1, et que s'agissant d'un litige dans
lequel le ministère public est partie principale, la caducité de la déclaration d'appel prend effet à
l'égard de toutes les parties, y compris à l'égard de M. [K].

19. En statuant ainsi, en faisant prévaloir dans la procédure de retour immédiat engagée sur le
fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement
international d'enfants, le principe de l'obligation, pour l'appelant, de signifier sa déclaration
d'appel à tous les intimés y compris le procureur général, ce qui, à défaut d'une telle signification
au ministère public a eu pour effet de rendre caduque la déclaration d'appel de Mme [S] à l'égard
de l'ensemble des intimés, alors qu'elle avait constaté que le procureur général avait conclu
devant elle et que la déclaration d'appel avait été signifiée à M. [K], la cour d'appel a fait preuve
d'un formalisme excessif et a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 septembre 2021, entre les
parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant
la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. [K] aux dépens ;


En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera
transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président
en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.

Décision attaquée : Cour d'appel Paris 2021-09-28 (Cassation)

Copyright 2024 - Dalloz - Tous droits réservés.

Vous aimerez peut-être aussi